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Cahiers de Alternatives - n°7- Décembre 2006

Denis Horman

Publié avec le soutien de la DGCD


GRESEA asbl
Groupe de Recherche pour une Stratégie économique al-
ternative
Rue Royale 11, 1000 Bruxelles, Belgique
Tél. 32.2/219.70.76 - Fax 32.2/219.64.86
Email: [email protected] - site: www.gresea.be
Editeur responsable: Erik Rydberg c/o GRESEA
Dépôt légal: D/4307/2006/1
Décembre 2006
Prix de vente: 3 euros
Avant-propos toutes les cultures. Qu’à cela ne tienne ! Le blé uti-
lisé en RDC est quasi exclusivement du blé importé.
Plus de 90% de protéines animales consommées à
En octobre 2006, le Gresea effectuait une mission Kinshasa (volaille, poisson, porc, bœuf…) sont im-
d’une quinzaine de jours en République Démocra- portées.
tique du Congo, à Kinshasa et dans le Bas-Congo La question sanitaire, surtout en rapport avec les
(Matadi et Kimpese). importations avicoles, fut systématiquement évo-
Cette mission se situait dans le prolongement quée. En 2004, l’UNAGRICO lançait un cri d’alarme.
d’une campagne d’information et de sensibilisation De son côté, la FAO (l’Organisation des Nations
menée en Belgique, par S.O.S. Faim, avec le soutien unies pour l’alimentation et l’agriculture) signalait,
du Gresea et en France, à l’initiative de l’associa- dans une étude publiée à Kinshasa, que plus de
tion Agir Ici. 80% des aliments vendus dans les lieux publics,
Cette campagne “pour le droit et la protection des via le secteur informel, étaient contaminés, princi-
marchés agricoles” voulait surtout attirer l’atten- palement par le Bacillus cereus, Salmonella, Shi-
tion sur les conséquences néfastes, sur les plans gella, Escherichia coli et même Vibrio cholerae.
économique, social et sanitaire, dans la plupart des Fin septembre 2006, RAUKIN organisait, à Kins-
pays d’Afrique subsaharienne, des importations de hasa, un séminaire pour analyser les conséquences
découpes de poules/poulets congelées et d’œufs, des importations avicoles, ainsi que les facteurs qui
en provenance de l’Europe. Le Gresea allait contri- bloquent le développement de la filière locale.
buer à cette campagne en publiant “Chicken Cette rencontre entre ONG locales (liées au
Connection, Le poulet africain étouffé par CNONGD), organisations paysannes, représentants
l’Europe”1. de ministères, OCC, … allait également pointer les
L’objectif de la mission en RDC était double. Il atouts et établir des stratégies, des actions à
s’agissait d’abord de cerner le mieux possible sur mener pour une (re)lance de la production locale.
place les conséquences des importations avicoles En ce qui concerne les blocages, plusieurs éléments
sur la filière et l’économie locales, sur la santé des étaient évoqués : le dumping alimentaire, le coût
populations. Ensuite, cette mission allait devoir se élevé des intrants (alimentation, produits vétéri-
traduire, ici, par un travail d’information et des dé- naires…), le délabrement du réseau routier, l’ab-
marches pour susciter un appui financier aux orga- sence de politique incitative (micro- crédit, subven-
nisations kinoises décidées à se mobiliser. C’est tions, régime fiscal approprié, etc.) pour la
l’objet de cette publication. promotion et le développement de la filière locale.
Sur place, à Kinshasa et dans le Bas-Congo, une Pourtant, les atouts ne manquent pas : un person-
vingtaine de contacts ont été pris avec des ONGD, nel congolais formé, compétent, avec des vétéri-
des organisations paysannes, des aviculteurs, des naires, des agronomes ; l’existence à Kinshasa et
fermiers, des institutions publiques (les ministères dans le Bas-Congo d’une filière “poules pondeuses
de l’Agriculture, de la Santé, l’Office congolais de et œufs de consommation”, avec des fermes de
Contrôle, l’Office des douanes…), des organisa- plus ou moins grande dimension.
tions internationales (FAO), des personnes-res- Un soutien concret des pouvoirs publics à cette fi-
sources… lière pourrait, à moyen terme, déboucher sur l’arrêt
Parmi ces organisations rencontrées figurent le des importations d’œufs de consommation pour la
CAVTK (Centre agronomique et vétérinaire tropical capitale. Dans le Bas-Congo déjà, la production lo-
de Kinshasa), partenaire du Gresea ; le CENADEP cale peut, dans une très large mesure, satisfaire la
(Centre national d’appui au développement et à la demande des populations.
participation populaire) ; le RAUKIN (Réseau d’agri- Par contre, c’est loin d’être le cas pour les poulets
culture urbaine de Kinshasa) qui regroupe une cin- de chair. Il ne viendrait à personne l’idée de de-
quantaine d’ONG ; l’UNAGRICO (Union des agricul- mander aujourd’hui l’arrêt immédiat ou la limita-
teurs et éleveurs du Congo) ; le CIVAK (Centre tion drastique des importations de découpes de
d’information et de vulgarisation agroalimentaire poules et poulets congelées, vendues à bas prix, à
de Kimpese). Une des personnes-ressources ren- une population kinoise de 8 millions d’habitants,
contrées, Alain Huart, est un vétérinaire belge, at- dont plus de 70% se trouvent sous le seuil de pau-
taché à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Uni- vreté.
versité de Liège et expert auprès du ministère de
l’Agriculture à Kinshasa. Comme l’ont rappelé les animateurs du séminaire
de Kinshasa, il s’agit plutôt de prendre un ensem-
De ces contacts et interviews ressortent une série ble de mesures immédiates pour le développement
1
Denis Horman, Chicken de constats et de propositions concordantes. de la filière avicole et de la production locales. Me-
conection, Agrobusiness, dum-
ping, souveraineté alimen- Il y a d’abord l’évocation d’un paradoxe. La RDC a sures qui peuvent se combiner avec le renforce-
taire, Le poulet africain non seulement un sous-sol extrêmement riche en ment du contrôle sur les importations fraudu-
étouffé par l’Europe, Gresea, minerais ; elle a aussi d’énormes potentialités cli- leuses, sur des produits importés impropres à la
octobre 2004.
matiques favorables à la production annuelle de consommation, en particulier les œufs venant de
Belgique, des Pays-Bas, d’Argentine et même
d’Inde, en concurrence directe avec une production
locale.
Ainsi, le développement de la filière locale pourrait
aller de pair avec une diminution progressive des
importations.
Suite à ce séminaire, la décision fut prise de lancer,
à Kinshasa et dans le Bas-Congo, une campagne sur
la sécurité et la souveraineté alimentaires, avec, en
priorité, le développement de la filière avicole lo-
cale.
A l’instar de la campagne menée au Cameroun –
qui a un grand impact sur plusieurs associations ki-
noises-, la première tâche que se donne RAUKIN, le
réseau coordonnateur de cette campagne, est l’éla-
boration d’un “livre blanc” sur la filière avicole :
les conséquences économiques, sociales et sani-
taires des importations, les obstacles et atouts de
la filière locale, les mesures politiques indispensa-
bles pour encadrer et développer la production lo-
cale, etc.
Pour mener à bien ce travail, support indispensable
à la campagne de sensibilisation et de mobilisa-
tion, les moyens financiers sont un atout majeur.
C’est, à coup sûr, une des concrétisations de notre
solidarité !
Denis Horman, chargé de recherche au Gresea.

Message de soutien de Kinshasa

RAUKIN, le Réseau d'agriculture urbaine de Kinshasa a fêté en 2006 ses dix ans d'existence.
C'est aujourd'hui un réseau d'une cinquantaine d'ONGD partageant une double préoccupation: la sécurité et la sou-
veraineté alimentaires.
"Consommons sain et local", tel est le leitmotiv de notre action! Nous avons reçu la tâche de piloter une campagne
de grande envergure sur la filière avicole à Kinshasa et dans le Bas-Congo, avec des relais dans tout le pays.
Notre préoccupation est de promouvoir la production locale dans le secteur avicole (poulets de chair et œufs de
consommation) face aux importations massives, incontrôlées, aux conséquences économiques, sociales et sanitaires
néfastes pour nos populations.
C'est pour nous une des manières de lutter contre la pauvreté, un des huit objectifs du Millénaire.
Nous avons eu la chance de faire connaissance avec le Gresea et d'accompagner, en octobre 2006, à Kinshasa et à
Matadi, son représentant, Denis Horman. Sa mission était précisément de procéder à une enquête sur des impor-
tations avicoles et leur impact sur les paysans producteurs, l'économie et la santé des populations.
La présente brochure du Gresea, intitulée "Kinshasa et les importations avicoles, En finir avec la catastrophe
sanitaire et économique" est pour nous un précieux outil pour mener à bien notre travail.
Nous avons donné mandat au Gresea pour représenter RAUKIN auprès des organismes belges, ONGD, associations,
syndicats, institutions politiques, etc. afin de susciter la solidarité la plus large possible avec notre campagne d'in-
formation, de conscientisation et de lobbying.

Pour RAUKIN, Pierre Ongala Lopema, Secrétaire permanent


Sommaire

1. L’Afrique et les ravages des importations agrolimentaires:


les multiples facettes du dumping alimentaire 6

2. Le soja contre la vie 8

3. La RDC: richesses et misère 10

4. Sécurité et souveraineté alimentaires en RDC: un état des lieux 12

5. Importations avicoles et filière locale 15

6. Kinois, vous avez le bonjour de Charles Doux 17

7. La catastrophe sanitaire 18

8. Cameroun: une campagne exemplaire 22

9. Ca commence à bouger à Kinshasa 24

10. Agir ici 26


1. L’Afrique et les ravages des devraient disparaître en 2013, comme le prévoit
importations agroali-
l’accord signé au sein de l’OMC, en décembre 2005.
Mais c’est l’OMC elle-même qui cautionne une
mentaires: les multi- autre forme de dumping, avec les aides directes
aux revenus des agriculteurs. En effet, l’OMC défi-
ples f acettes du nit le dumping par le fait d’exporter en dessous du
dumping alimentaire
prix du marché intérieur (même si celui-ci est main-
tenu artificiellement bas en raison des aides di-
rectes au revenu des agriculteurs) et non en des-
sous des coûts de production4.
Dans son dernier rapport sur la situation agricole
dans le monde2, l’Organisation des Nations unies Aides directes et indirectes
pour l’alimentation et l’agriculture rappelle que la aux gros exploitants agricoles
production vivrière3 par habitant a régressé en
Afrique subsaharienne. Après deux décennies de Ainsi, les subventions à l’exportation ne sont pas,
croissance très faible, voire de stagnation, elle est et de loin, les seules aides dont bénéficie le sec-
sur le continent noir inférieure au niveau enregis- teur laitier, même si elles sont les plus visibles. En
tré en 1970. plus des 2,5 milliards d’euros de soutien à l’export,
Ce même rapport indique que près de 73% de la 13,5 milliards d’euros supplémentaires sont, selon
population de la République Démocratique du l’OCDE, dépensés chaque année par l’UE pour ap-
Congo se trouvent dans une situation d’insécurité puyer la filière lait (aides directes aux exploitants
alimentaire, soit près de 42 millions de sous-ali- agricoles, aides indirectes en services techniques
mentés sur une population totale estimée à 60 mil- et vétérinaires, etc.). Dans cette filière, ce sont
lions de personnes. avant tout les grandes multinationales agroalimen-
taires –Nestlé, Lactalis, Bongrain- qui sont à la fois
Et, situation paradoxale, en RDC, comme ailleurs, les grandes bénéficiaires de la baisse des prix inté-
70% des pauvres sont des paysans : ils n’ont pas rieurs européens payés aux agriculteurs et des
de revenus suffisants pour manger correctement, subventions à l’exportation5.
envoyer les enfants à l’école ou encore assurer des
soins de santé décents. Les pays de l’OCDE (le club des pays riches) ont
consacré 225 milliards d’euros en 2005 pour soute-
Un bilan accablant ! nir leur agriculture (29% du produit agricole), soit
Une situation qui ne relève pas d’une cent fois plus que les Etats africains, qui n’y avaient
seule explication consacré que 2 milliards d’euros en 1999, alors que
60% de la population africaine dépend de l’agricul-
ture pour assurer leur subsistance.6
Expor tations subsidiées
Inégalités agricoles et pauvreté
On pense d’emblée à la hausse des importations à paysanne
bas prix en provenance de l’Europe, mais égale-
ment des Amériques et de l’Asie (les céréales, les Le problème des soutiens aux exportations et des
viandes, le poisson, le lait, les légumes…). aides directes aux revenus, surtout des gros exploi-
2
“L’Etat de l’insécurité ali- Depuis les années ‘90, les plans d’ajustement tants agricoles et aux multinationales agroalimen-
mentaire dans le monde”,
structurel, imposés par le FMI et la Banque mon- taires, ne doit pas occulter celui, plus large, de la
FAO, 2005 (www.fao.org)
diale, puis les règles de l’OMC, ont contraint les mise en concurrence d’agricultures dans le monde,
Les cultures vivrières four- jouant à armes extrêmement inégales.
pays en développement à ouvrir davantage leurs
3

nissent des produits alimen-


taires destinés principalement frontières. La concurrence entre producteurs du Sud Au cours de la seconde moitié du XXème siècle,
aux populations locales. et du Nord est d’autant plus inégale que ces der- l’écart de productivité du travail entre les agricul-
4
Denis Horman, Chicken Con- niers sont largement subventionnés. Les prix de teurs les moins performants et les plus perfor-
nection, chap. II, le dumping vente de denrées exportées sont ainsi loin de re- mants du monde a véritablement explosé : il est
alimentaire, Gresea, 2004, pp. fléter la réalité de leurs coûts de production dans
51-72 (www.gresea.be). passé de 1 contre 10, dans l’entre-deux guerres, à
le pays d’origine. L’exemple des produits laitiers, 1 contre 2000 à la fin du XXème siècle.
Alternatives Economiques,
dont l’Union européenne est le principal fournis-
5

Des subventions aux effets Au cours de cette période, dans les pays dévelop-
dévastateurs, n° 251, octobre seur pour l’Afrique, est à ce titre significatif :
2006. Voir également Défis l’Union européenne consacre chaque année 2,5 mil- pés et dans quelques secteurs limités des pays en
Sud, dossier: S’alimenter sou- liards d’euros pour subventionner l’exportation de développement, il y eut ce qu’on a appelé la “révo-
verainement, utopie ou objec- ses excédents dans ce secteur. Des soutiens finan- lution agricole contemporaine” : grande motorisa-
tif réaliste?, n° 75, octobre-
ciers qui permettent de combler la différence entre tion, mécanisation, sélection de variétés de plantes
novembre 2006. et de races d’animaux à fort potentiel de rende-
le prix intérieur payé aux acteurs de la filière
Alternatives Economiques, Le
(2.050 euros pour la tonne de lait en poudre en juil- ment, semences sélectionnées génétiquement,
6

Sud a besoin de politiques


agricoles, n° 254, janvier let 2006) et le prix mondial (1.623 euros). large utilisation des engrais minéraux, pesticides,
2007. aliments concentrés pour le bétail et produits de
Jugées contraires à “la libre concurrence”, ces sub- traitement des plantes et des animaux domes-
ventions directes aux exportations (restitutions) tiques, etc.
A partir des années 1960, dans certains pays en “Nous avons beaucoup de mal à comprendre la cohé-
développement, les agriculteurs, qui avaient les rence de nos décideurs politiques qui parlent de sou-
moyens d’investir, se sont lancés dans “la révolu- veraineté alimentaire et qui par après adoptent un
tion verte”, une variante de la révolution agricole. tarif douanier extérieur à un niveau plancher de 5%.
Cela étant, une majorité de paysans des pays dé- Comment peut-on promouvoir une souveraineté ali-
veloppés et a fortiori des pays en développement mentaire en réduisant la dépendance vis-à-vis des pro-
n’a jamais eu accès aux moyens de production de duits importés sans un minimum de protection des pro-
l’une ou l’autre de ces révolutions7. duits alimentaires locaux? C’est pour nous une
aberration pure et simple”.10
C’est le cas de l’Afrique subsaharienne. Les rende-
ments céréaliers moyens y sont de 12,3 quintaux Ibrahim Coulibaly, Président de la Confédération na-
par hectare contre 30,3 en Asie ou 54 en Europe. tionale des organisations paysannes du Mali (CNOP).

Europe – FMI- BM : même combat ! Certains pays, comme le Nigeria, la Tanzanie, le


L’Union européenne n’est pas la seule à demander Kenya, … ont fait de la résistance. Mais la plupart
aux pays du Sud d’ouvrir davantage leurs fron- hésitent à engager le bras de fer avec les bailleurs
tières. Dès les années ‘80, pour contraindre les de fonds, craignant des représailles, mais aussi la
pays du Sud à rembourser la dette, le FMI et la colère de consommateurs urbains qui bénéficient
Banque mondiale leur ont imposé les plans d’ajus- ainsi d’une alimentation moins chère.
tement structurel, les obligeant ainsi à couper dans Accords de Partenariat Economique
leurs dépenses publiques, à délaisser les produc- (APE) ou Accords de Paupérisation
tions vivrières pour “le tout à l’exportation” et à
abaisser radicalement leurs droits de douane. Si Economique
bien qu’aujourd’hui, la plupart de ces pays –et L’Accord de Cotonou entre l’Union européenne et
d’abord les PMA (pays les moins avancés !)– appli- les pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique), qui a
quent dans les faits des tarifs douaniers bien infé- succédé en 2000 à la Convention de Lomé, est à la
rieurs à ceux qu’ils seraient théoriquement en droit base des Accords de Partenariat Economique (ACP),
de pratiquer. Les pays en développement avaient qui doivent être conclus fin de cette année.
en effet obtenu, lors des négociations à l’OMC, la
possibilité d’avoir des tarifs plus élevés (tarifs “Les accords de partenariat économique sont la clé
consolidés) que ceux des pays de l’OCDE. Sur le pa- pour revitaliser la relation de développement entre
pier, les pays africains peuvent ainsi taxer leurs l’Union et les pays ACP”, indique Peter Mandelson,
7
Marcel Mazoyer et Laurence importations agricoles à des taux moyens compris le commissaire européen pour le Commerce.
Roudart, La fracture agricole entre 79% pour le Bénin et 230% pour le Came- Nombre de mouvements sociaux, au Sud et au Nord
et alimentaire mondiale, nour- roun.8
rir l’humanité aujourd’hui et sont bien loin de partager cette vision des choses.
demain, Universalis 2005. De tels niveaux auraient pu, par exemple, permet- Et c’est le cas également de pays ACP directement
Samir Amin, Le virus libéral, tre à ces pays de se protéger efficacement contre concernés.
La guerre permanente et les invasions de bas morceaux de poules de ré- Ces pays devront supprimer l’essentiel des taxes
l’américanisation du monde,
Ed. Le temps des cerises, forme, de poulets, bradés, n’ayant quasi plus de va- et réglementations qui freinent les importations en
2003. leur marchande sur les marchés européens.9 provenance de l’Europe et de leurs voisins, ce qui
Denis Horman, Pouvoir et La réalité est toute autre. Ainsi, le tarif douanier revient concrètement à supprimer l’essentiel de
stratégie des multinationales extérieur appliqué par l’Union économique et mo- leurs instruments de politique commerciale, de
agroalimentaires, site Gresea
nétaire ouest-africaine (Uemoa) est en moyenne de protection de leur économie locale, de perception
Alternatives Economiques, de recettes fiscales.11
10,8%. En RDC, selon l’Ofida (Office des douanes et
8

Du droit des peuples à se


nourrir, n° 253, décembre accises), le nouveau tarif des droits et taxes à l’im- Réunies à Niamey en juin 2006, de nombreuses
2006. portation, entré en vigueur depuis le mois d’avril organisations membres du réseau francophone
9
Denis Horman, Chicken 2003, se situe entre un minimum de 3% et 5% et d’Afrique de l’Ouest et du Centre (dont la RDC)
Connection, Dumping dans le un maximum de 13% et 20%. signaient une déclaration indiquant, à propos des
secteur avicole, pp. 61-66.
Gresea Echos, Commerce
APE: “le démantèlement tarifaire induira de
lourdes pertes de recettes tarifaires qui ne
10

Nord-Sud, l’Accord de Cotonou


et ses zones de libre-échange, pourront être compensées que par des
n° 46, avril-mai-juin 2006, p. augmentations de TVA, au détriment des
6. populations; le Tarif Extérieur Commun (TEC)
11
Voir Erik Rydberg, EPA ou envisagé ne protège par les produits agricoles et
PAS ? Introduction critique aux menace de ruiner la souveraineté alimentaire”.
accords de partenariat écono-
mique, Gresea, Les Cahiers
ders Alternatives, n°6, no-
vembre 2004. Voir également
Commerce Nord-Sud,, Gresea
Echos, n°46, avril-mai-juin
2006.
2. Le soja contre la vie tions s’accélèrent. Au Brésil, rien qu’en 2002,
700.000 ha de forêts ont été détruits pour laisser
la place au soja.
“L’objectif de notre campagne “le soja contre la vie” L’environnement et les ressources naturelles sont
est de pointer les nombreuses dérives et excès d’un de plus en plus malmenés par cette agriculture in-
modèle agricole productiviste, spécialisé et de plus en dustrielle: les sols s’érodent, s’appauvrissent et
plus concentré. La filière soja, en lien avec l’élevage canalisent les épandages massifs de produits chi-
industriel, illustre de manière emblématique ce “mo- miques vers les cours d’eau, tandis que les orga-
dèle” que nous dénonçons (…). L’Europe pourrait pro-
duire ses propres protéines végétales ou réduire ses nismes génétiquement modifiés (OGM) contaminent
besoins pour ne plus inciter à l’expansion du soja en les variétés traditionnelles.
Amérique du Sud. Mais elle fait le choix d’importer,
pour intensifier ses élevages et en exporter les excé- L’Union européenne: premier
dents. Or ces exportations font parfois des ravages: importateur mondial de soja
les excédents laitiers ou de volailles, exportés à très
bas prix, concurrencent les producteurs locaux des Aujourd’hui l’Union européenne à 25 pays importe
pays du Sud, détruisant de nombreux emplois et affai- 80% des oléo-protéagineux nécessaires aux éle-
blissant le potentiel de développement d’activités liées vages. Pourtant l’UE ne manque pas d’espace culti-
à l’agriculture.” vable. Avec 4 millions d’hectares en jachère et
Campagne “le soja contre la vie” l’équivalent de 4 millions d’hectares de blé ex-
porté, l’Europe dispose de 8 millions d’hectares
qu’elle pourrait consacrer à la production d’oléo-
La campagne “le soja contre la vie”, menée en protéagineux (cette conversion couvrirait près de
France dans le courant de l’année 2006 par quatre 70% des importations) ou d’autres productions
organisations (le Comité catholique contre la faim riches en protéines.
et pour le développement, la Confédération pay- Mais, dès l’après deuxième guerre mondiale, l’Eu-
sanne, le Groupe de recherche et d’échanges tech- rope s’est placée dans un autre scénario.
nologiques, le Réseau cohérence et le Réseau agri-
culture durable), tenait à dénoncer les nombreuses Les Etats-Unis utilisent le plan Marshall, qui impose
dérives et les excès d’un “modèle” agricole produc- l’achat de marchandises américaines, comme che-
tiviste et spécialisé – aux conséquences plané- val de Troie pour pénétrer le marché européen.
taires- et non le soja en tant que tel.12 Riche et Depuis le début des années 1960, la Communauté
connu pour ses vertus médicinales, le soja se subs- Economique Européenne (CEE), puis l’UE, et cela
titue avantageusement à la viande et aux produits dans le cadre de la Politique Agricole Commune
laitiers. Son utilisation dans l’alimentation humaine (PAC), ont opté pour un élevage (porc, volaille…)
se développe peu à peu. Par contre, l’extension industriel, intensif et surtout hors sol, dépendant
foudroyante du soja en Amérique du Sud est avant largement d’aliments importés.
tout destinée à l’alimentation animale (farine, tour-
teaux à partir des graines de soja). En 1962, l’Europe signe les accords de Dillon round:
en contrepartie de la mise en place d’un système
“Sojatisation” de l’Amérique du Sud de protection efficace des céréales dans le cade de
la PAC, elle laisse entrer librement sur son marché
Actuellement, 50% des terres arables argentines intérieur les oléagineux, dont le soja des Etats-
et 47% des terres cultivées en grains au Brésil Unis. Début des années ‘70, des récoltes de soja
sont plantées en soja. catastrophiques poussent les Etats-Unis à décréter
un moratoire sur ses exportations. C’est ainsi que
Le Brésil et l’Argentine pourvoient à eux seuls à le Brésil et l’Argentine en ont profité pour prendre
58% des échanges internationaux en soja (59% pied en Europe.
avec le Paraguay et la Bolivie).
Eldorado des multinationales de l’agro-industrie, la Toujours plus d’excédents…
filière soja est, en ce qui concerne les à exporter
négociants/transformateurs/exportateurs (grains,
farine, huile de soja) dominée par trois groupes Embarquée dans une orientation productiviste à
étasuniens (Cargill, Bunge, ADM) et un Français outrance et une industrialisation des élevages hors
(Dreyfus). Ces 4 sociétés assuraient, en 2005, 61% sol, liées à la consommation croissante de viande,
du total des exportations brésiliennes. Les trois l’Union européenne produit aujourd’hui bien au-
CCFD, Cohérence, groupes américains possèdent des usines de tritu- delà de ses besoins. En 2002-2003, l’UE produisait
104% de sa consommation de lait en poudre
12

Confédération Paysanne, GRET, ration en Europe (notamment à Brest pour Cargill).


RAD, Le soja contre la vie, écrémé, 106,7% de sa consommation de porc,
rapport février 2006. Voir Cette culture d’exportation se fait au détriment de 102% de sa consommation de volaille, 96,2% de
également Alternatives l’agriculture vivrière. Hyper-mécanisée, elle est sa consommation de viande bovine, 104,4% de sa
Economiques, n°250, éminemment destructrice d’emploi. Pour ouvrir consommation de céréales.13
septembre 2006. toujours plus d’espace au soja, les appropriations
13
CCFD, 2006, ibid., p. 36. illégales de terres se multiplient, les déforesta-
Etant donné que la libéralisation croissante des
échanges agricoles mondiaux l’oblige à s’ouvrir
aux importations, ces dernières (importation de
viande, de lait, d’œufs) augmentent de manière
continue sur un marché européen déjà largement
saturé. Alors, les excédents augmentent d’autant.
La PAC encourage donc une production industrielle
génératrice d’excédents qu’il faut écouler sur les
marchés mondiaux.
L’Afrique, un nouveau marché pour
les volailles
Les entreprises agroalimentaires tirent leur princi-
pal bénéfice de la vente des blancs ou des cuisses
de volailles dans l’Europe. Les découpes de volaille
exportées vers l’Afrique sont donc des sous-pro-
duits, vendus à des prix très bas, l’essentiel étant
de couvrir les frais d’emballage et de transport.
Les conséquences des évolutions récentes du marché
du soja sur l’agriculture africaine sont indirectes. Le
soja qui sert à nourrir notre élevage industriel contri-
bue à la production de surplus que l’on exporte ensuite
vers l’Afrique, au prix d’une déstructuration des filières
locales, d’un appauvrissement accru avec des paysans
14
CCFD, 2006, ibid. qui viennent grossir les périphéries des villes. Le tout,
sans aucune perspective de développement pour les
pays concernés14
3. La RDC: richesses et misère de 80% de la population congolaise est paysanne
et vit de l’agriculture.
Le deuxième atout de la RDC - après le potentiel hu-
“Il est inacceptable que des millions de Congolais ne main -, ce sont les richesses naturelles. Je parle
puissent pas manger chaque jour dans un pays où il d’abord de sa terre, de son eau, de son climat. C’est
pleut pendant 9 mois sur les 12 de l’année et où les ri- une richesse pérenne qui ne s’épuisera jamais, contrai-
vières, les lacs et les fleuves sont très poissonneux. Il rement aux richesses minières (or, diamant, cuivre…).
est inacceptable que 22% seulement de la population C’est la générosité de la nature qui a été donnée à ce
aient accès à l’eau potable dans un pays où l’hydro- pays en matière de pluviosité, de richesse des sols, de
graphie est hors du commun dans le monde, où le végétation. La position de la RDC, à cheval sur l’Equa-
fleuve Congo est le 2ème au monde. Il est inacceptable teur, jouissant ainsi de l’alternance des climats, permet
que l’électricité soit un luxe pour la majorité des au pays de produire des cultures sur toute l’année. Il
Congolais, alors que nous avons un des plus grands s’agit donc de mettre tout ce potentiel en route pour
barrages hydroélectriques au monde. Il est inaccepta- que ce pays puisse être autosuffisant pour nourrir ses
ble que des élèves s’assoient à même le sol dans les 60 millions d’habitants et même une bonne partie de
salles de classeclasses, alors que les pupitres peuvent l’Afrique.
être fabriqués à partir du bois de nos forêts qui repré- Max Muland, secrétaire général du CAVTK (Centre
sentent la moitié des réserves forestières du monde.” agronomique et vétérinaire tropical de Kinshasa).
B. Lutuala Mumpasi, démographe,
recteur de l’Université de Kinshasa.
Et pourtant, la RDC est un des pays les plus
pauvres du monde. Le rapport du PNUD
La RDC recèle d’immenses potentialités. Elle pos- 2006 le classe 167ème, à 10 places du Niger,
sède un sous-sol extrêmement riche en minerais : la lanterne rouge.
le diamant, le cuivre, le cobalt, l’or, le coltan, Plus de 75% des Congolais vivent avec moins d’un
l’étain. Elle a encore bien d’autres ressources natu- dollar par jour. La pauvreté frappe indistinctement
relles : le gaz naturel, le pétrole qui, avec le dia- et à des degrés divers toutes les couches sociales.
mant, concentre à l’heure actuelle près des trois On trouve plus de 75% de pauvres dans la paysan-
quarts des recettes en devises du pays.15 nerie, plus qu’en milieu urbain (61,50%). On
La RDC a des potentialités hydrauliques, avec le compte plus de 40% de pauvres chez les cadres de
fleuve Congo, avec le barrage d’Inga, dans le Bas- direction. Les salariés de l’Etat touchent en
Congo. Ce barrage fournit de l’électricité aux mines moyenne un dollar par jour. Après une grève
du Katanga auxquelles il est relié par une ligne à menée en 2005, les enseignants ont obtenu une
haute tension de 2.000 kilomètres, mais sans ali- augmentation et toucheraient aujourd’hui 50 dol-
menter en électricité les villages traversés. “Or, si lars par mois, prime de transport comprise.
nous avions eu ce courant”, souligne Victor Nzuzi Un enfant sur dix meurt avant l’âge d’un an. Près
Mbembe, animateur d’une organisation paysanne, d’un sur deux ne va pas à l’école primaire ; 22% de
“nos mangues, oranges, papayes, avocats, to- la population seulement ont accès à l’eau potable,
mates… seraient conservés et transformés”.16 De alors que le pays dispose d’un immense réservoir
15
OCDE 2006, Perspectives plus, deux tiers des turbines du barrage d’Inga ne et d’une pluviosité abondante. A peine 7% de la
économiques en Afrique 2005- sont pas fonctionnelles, ce qui donne une produc- population a accès à l’électricité.
2006, la RDC
(www.oecd.org/dev/publica- tion annuelle actuelle évaluée à 650 mW sur un po-
tentiel de 40.000 à 45.000 mW.17 Il y a les forêts qui La grande majorité de la population survit grâce
tions/perspectivesafricaines).
représentent près de la moitié de celles de tout le aux activités informelles, l’emploi formel ne tou-
16
Confédération paysanne chant que 4% de la population active et 8% de la
française, Campagnes soli- continent africain. La RDC abrite 12,5% de la forêt
daires, n°201, novembre humide tropicale mondiale. Seuls le Brésil et l’Indo- main-d’œuvre masculine.19
2005. nésie en abritent une plus grande part. Sur 2,3 mil- La situation est catastrophique. Le budget de la RDC, un
17
FAO, table ronde sur l’agri- lions de kilomètres carrés que compte la RDC, envi- Etat aussi grand que toute l’Europe occidentale, tourne
culture en RDC, Kinshasa, 19- ron la moitié est couverte de forêts, ce qui
20 mars 2004. autour d’un1 milliard de dollars, dont la moitié provient
constitue un potentiel sylvicole énorme. de prêts et dons extérieurs. Cela correspond au budget
J.-M. Kinkela, La RDC dans
d’une petite ville en Belgique. Le budget est pour l’es-
18

l’étau de la mondialisation : Et puis, et avant tout, il y a l’agriculture. La RDC est sentiel alimenté par l’économie minière de rente, le
regards sur la situation avi- probablement le pays le plus riche de l’Afrique diamant en premier lieu. Les salaires des agents de
cole, Gresea Echos, n°45, jan- subsaharienne du point de vue agricole. Sa superfi-
vier-février-mars 2006. l’Etat atteignent à peine 20 à 30 dollars par mois. Ils
cie est de 230 millions d’hectares, dont 80 millions sont bien souvent versés en retard ou pas du tout,
J.-M. Kinkela, ibid. ; OCDE,
d’hectares de terre arable avec un bon potentiel de
19

perspectives économiques en entre autres dans des zones occupées par la rébellion.
Afrique, ibid. ; B. Lututala, La fertilité en général. Le pays produit toute une Après 30 ans de dictature de Mobutu, nous en sommes
référence Plus, n°3760, 22 gamme de denrées vivrières : haricots, manioc, arrivés à un niveau de démolition incroyable. On doit
août 2006 ; Faustin K., Le Po- pomme de terre, maïs, bananes, riz… ; mais, sur reconstruire ce pays. En commençant par donner un
tentiel, 10 octobre 2006 ; FAO, l’étendue agricole, 10 millions d’hectares seule- coup d’arrêt à la “culture” de corruption, de vol des
Document stratégique de la ressources de l’Etat, d’impunité.
croissance et de la réduction ment, soit moins de 15%, sont consacrés aux cul-
de la pauvreté, RDC, juin tures et (aux) pâturages. Et, d’une manière géné- Baudouin Hamuli Kabarhuza, directeur général du
2006. rale, moins de 3% des terres sont cultivées.18 Plus CENADEP.
Créature de la conférence de Berlin, la RDC n’a été
en fait qu’une zone d’exploitation, soumise, depuis
sa création, à des décisions de prédation, d’exploi-
tation, de spoliation. Situation qui n’a fait qu’empi-
rer avec la longue dictature mobutiste d’une tren-
taine d’années, avec l’échec des programmes
d’ajustement structurel des années ‘80, initiés par
le FMI et la Banque mondiale, avec les deux pil-
lages des années ‘90 (1991 et 1993), les deux
grandes guerres dans le pays de 1996 à 2002 qui
ont, entre autres, provoqué le déplacement des po-
pulations vers les grands centres urbains.
Kinshasa en est l’exemple le plus impressionnant :
entre 1990 et 2006, la population kinoise est pas-
sée de 3 millions à plus de 8 millions d’habitants.
4. Sécurité et souveraineté Malgré ce potentiel, le secteur agricole est en dé-

alimentaires en RDC:
clin. “La production agricole accuse une tendance à
la baisse depuis 1998”, souligne la FAO.21 “Moins
un état des lieux 20% pour les céréales ; moins 12% pour les ra-
cines et tubercules ; moins 6% pour les légumes.
Le cas le plus frappant est celui du manioc, aliment
de base qui couvre 70 à 80% des apports nutrition-
Le Sommet mondial de l’Alimentation, organisé à nels des Congolais, mais dont la production a chuté
Rome en 1996 par la FAO (l’Organisation des Na- de 20% à cause des maladies et des ravageurs
tions unies pour l’alimentation et le développe- (…). D’autre part, la production des principales
ment), s’est fixé comme objectif la réduction de cultures de rente (café, huile de palme, coton,
moitié du nombre de sous-alimentés d’ici 2015. Il a cacao, hévéa et tabac) connaît un déclin rapide dû à
réaffirmé “le droit de chaque humain à une nourri- l’état des infrastructures routières, de l’organisa-
ture adéquate”. La mise en œuvre de ce droit sup- tion des marchés d’achat et des cours mondiaux
pose la possibilité pour tous et partout de bénéfi- (…). Le PIB du secteur agricole (l’agriculture
cier d’une véritable sécurité alimentaire que la congolaise représente quelque 50% du PIB) a
FAO définit comme le fait que, où que l’on soit, baissé de 3,4 milliards de $ US en 1990 à 2,2 mil-
“tous les habitants, à tout moment, aient accès à liards de $ US en 2000, soit une diminution de
une nourriture qualitativement et quantitativement 38%“.
suffisante pour mener une vie saine et active”. Importations alimentaires
A ce même Sommet mondial de la FAO, Via Campe-
sina lançait le débat sur la souveraineté alimen- En 1986-1987, la compétitivité de l’agriculture congo-
taire, c’est-à-dire sur “le droit pour chaque commu- laise face aux produits agricoles importés a été étu-
nauté de produire sa propre nourriture ; le droit de diée par le consortium ZTE-Groupe COGEPAR. On peut
définir ses propres politiques agricoles et alimen- conclure qu’à cette époque, l’agriculture congolaise
taires, de protéger et de réguler sa production inté- était généralement compétitive face aux importations
(…). Dans la conjoncture actuelle de la RDC, la pro-
rieure agricole et de protéger son marché intérieur portion des importations alimentaires augmente sans
du dumping des surplus agricoles des autres pays. cesse. Si ces importations aident à stabiliser l’appro-
Cela implique aussi que chaque communauté ne visionnement des villes, à maîtriser l’inflation et à ré-
fasse plus du dumping sur ses produits agricoles et duire le coût d’achat du “panier de la ménagère”, elles
alimentaires, c’est-à-dire qu’elle ne les vende plus font également grande concurrence à la production lo-
sur les marchés internationaux à un prix inférieur cale, qui reste largement déficitaire pour des produits
au coût de production”. clés comme (le) riz, sucre, huile végétale, viande, pois-
son, etc. qu’on peut facilement produire dans le pays.
A Dakar, en mai 2003, des représentants d’organi-
sations paysannes et de producteurs agricoles Eric Tollens, professeur à l’UCL–KUL (Leuven).
d’Afrique, d’Amérique(s), d’Asie et d’Europe si-
gnaient “la Déclaration de Dakar”. Cette déclara- Aujourd’hui, moins de 10% des protéines animales
tion, basée sur la souveraineté alimentaire, précise consommées à Kinshasa sont produites localement
que “pour assurer les droits humains fondamen- (porc, bœuf, poisson, volaille, œufs de table…). En
taux en agriculture (droit à l’alimentation, accès 2003, les importations couvraient 93% des pro-
aux ressources -terre, semences, eau, crédit…-), téines animales d’élevage consommées à Kins-
des instruments sont indispensables, en particulier hasa, en porc, volaille et bœuf. Et si on ajoute les
une protection à l’importation et la maîtrise de l’of- 114.697 tonnes de poissons congelés importés au
fre”20. cours de la même période, la production nationale
Un secteur agricole en déclin ne représentait plus que 3% des besoins du mar-
ché.22
20
Denis Horman, Chicken Con- Près de 73% de la population de la RDC se trouvent L’exemple du poisson est éclairant. Alors que la
nection, chap. VI : La souverai- dans une situation d’insécurité alimentaire, soit près RDC possède le 2ème plus grand fleuve au monde,
neté alimentaire, un droit fon- de 42 millions de sous-alimentés.
damental pour chaque c’est le poisson congelé importé, le mpiodi, “pois-
communauté, pp. 105-128. FAO, Kinshasa, mars 2004. son chinchard” non trié et non éventré, qui envahit
21
FAO, Table ronde sur l’Agri- les marchés de Kinshasa. Ce poisson est pêché par
culture, Kinshasa, mars 2004. des bateaux industriels, dans les eaux territoriales
Alain Huart, Diagnostic mul-
Lors d’une table ronde, tenue en mars 2004 à Kins- de la Namibie, et, dans une moindre mesure, de la
hasa, la FAO soulignait le potentiel agricole énorme
22

tifactoriel du secteur élevage, Mauritanie. Presque tous les ménages urbains


canevas de conception de pro- de la RDC : 80 millions d’hectares de terres consomment le mpiodi, qui est ancré durablement
jets de production animale arables ; 4 millions d’hectares de terres irrigables ; dans les habitudes alimentaires.
dans les pays en développe- la diversité climatique et l’importance du réseau
ment. Cas type de la RDC. Fa- hydrographique permettant de pratiquer une Les importations agricoles, elles aussi, n’ont fait
culté de médecine vétérinaire, qu’augmenter ces dernières années. Le blé utilisé
Institut vétérinaire tropical, gamme variée de cultures ; un potentiel de pâtu-
Université de Liège, année rages pour l’élevage d’environ 40 millions de bo- au Congo – RDC – est exclusivement du blé im-
académique 2004-2005. vins. porté, en provenance de l’Union européenne et des
USA. Le riz est surtout d’origine asiatique (Thaï-
lande, Vietnam, Inde). L’huile de palme
Ces importations ont entraîné un recul sensible des La RDC était jusque fin des années ‘50, le plus grand
deux principales productions locales, le manioc et exportateur d’huile de palme au monde. Aujourd’hui,
le maïs ou encore d’autres productions comme le elle importe de grandes quantités d’huile végétale
(50.000 à 60.000 t/an), surtout d’origine malaise via
riz, le sucre, l’arachide, l’huile végétale…23 Singapour ou de l’Union européenne (huile de colza).
Tableaux des importations alimentaires Cette huile importée est le plus souvent raffinée et ne
(en tonnes) : 2001-2005 contient plus les vitamines A et D, que l’on trouve
abondamment dans l’huile de palme brute. Cela pose
Les importations alimentaires (en tonnes) donc un problème nutritionnel pour la population.
Denrées 2001 2002 2003 Eric Tollens.
Farine/Blé 119 541 223 340 179 478
Maïs/Farine 4 690 67 451 7 904 Jusque début des années 60, les grandes planta-
Viande de bœuf, de porc 8 126 82 469 184 658
tions d’huile de palme appartenaient à des familles
coloniales. Suite à la zaïrisation dans les années
Volaille 8 812 49 164 27 763
‘70, l’ensemble de ces plantations est passé dans
Poisson 75 127 149 426 94 669 les mains des nouveaux responsables politiques du
Sel iodé 35 110 28 588 64 553 Zaïre. “Ceux-ci n’avaient pas la compétence suffi-
Lait; produits laitiers/beurre 6 220 18 400 10 378 sante, ni le temps pour gérer cette production”,
Pomme de terre 93 1 034 541 souligne Baudouin Hamuli du Cenadep.”Inévitable-
Tomates/conserves 3 349 11 213 6 517 ment, après un certain temps, les infrastructures,
Oignon, ail 78 3 635 3 315 les machines ont commencé à rouiller”.
Haricot 3 666 4 032 3 536 Le directeur du Cenadep s’insurge en particulier
Riz 46 678 273 794 115 265 contre les importations de riz : “L’ampleur de ces
Huile végétale 2 900 95 790 8 876 importations est scandaleuse. A 400 km de Kins-
Sucre 150 50 816 39 887 hasa, nous avons un bassin rizicole important.
Mais, à Mbandaka, vous trouverez une seule décor-
Source: Service des statistiques de l’ OFIDA, service des im- tiqueuse appartenant à une vielle religieuse belge.
portations de l’OCC
Et le peu de riz de cette région qui alimente Kins-
Les importations alimentaires (en tonnes) hasa coûte plus cher que le riz importé de Thaï-
lande, qui nous vient pourtant de l’autre côté de la
Produits 2004 2005 planète. C’est un élément pervers qui hypothèque
Sucre 60 030 16 066
notre sécurité et notre souveraineté alimentaires.
C’est très grave, quand on sait que pratiquement
Viande et abats 25 160 128 357
Poulet 352 3 269
60% de la population congolaise consomme le riz
Poissons congelés 5 966 6 142
comme aliment de base, à côté du manioc”.24
(mpiodi) Bien que la demande du manioc soit entièrement
Pommes de terre 115 454 37 926 couverte par la production intérieure, les besoins
Oignons 15 977 31 129 sont immenses pour une ville comme Kinshasa (8
Légumes 58 158 89 025 millions d’habitants). Le programme gouvernemen-
Maïs grains semences 15 397 20 386 tal “manioc” ne prévoit pas de dispositif pour in-
tensifier la production. Certes, des efforts sont réa-
Riz 106 504 366
lisés dans le Bas-Congo, mais quasiment pas dans
Farine de froment 2 349 3 486
les provinces reculées.
Farine de maïs 3 815 106 763 En ce qui concerne la production vivrière et maraî-
Huile végétale 26 857 6 181 chère, les choses se présentent un peu différem-
Blé dur 17 516 55 727 ment. “Heureusement qu’il y a encore cette produc-
tion qui permet de maintenir des échanges entre
Source: OFIDA les campagnes et les villes”, souligne Max Muland
du CAVTK (Centre agronomique et vétérinaire tropi-
cal de Kinshasa). “Autour des grandes villes, a pu
se développer, ces dernières années, une activité
dynamique de maraîchage. Une bonne partie des
Eric Tollens, Table ronde légumes qu’on trouve à Kinshasa vient non seule-
23

“Agriculture et sécurité
alimentaire”, Kinshasa, mars ment des zones maraîchères de la ville et de sa pé-
2004. riphérie, mais, pour certains de ces produits comme
24
Interview de Baudouin Ha- les oignons, des provinces voisines, notamment du
muli Kabarhuza, Kinshasa, Bas-Congo. Le maïs, produit au nord du Katanga,
octobre 2006. approvisionne Lubumbashi et les grandes villes du
Kasaï. Je pense surtout au manioc qui est produit
en grande partie dans la province de Bandundu et portations. Mais, c’est se voiler la face sur la survie
qui approvisionne en grande partie Kinshasa”.25 économique du pays. Pour importer autant, nous
avons besoin d’énormément de devises. La Banque
Protection douanière et centrale devait déjà, il y a quelques années, mobili-
sécurité alimentaire ser 60 à 70 millions de dollars par mois pour satis-
faire les importateurs. Alors, n’y aurait-il pas
Acheminées surtout dans les grandes villes du moyen de travailler à court, moyen et long termes
pays, les importations alimentaires sont souvent pour mettre ces capitaux à la disposition de l’agri-
de moindre qualité, bon marché et subventionnées culture, de la production locale, des familles pay-
directement ou indirectement. De plus, elles bénéfi- sannes, d’un soutien aux denrées de
cient de tarifs douaniers de plus en plus bas. base…Certes, nos productions sont tombées telle-
Les droits de douane à l’importation sont assis sur ment bas qu’entre-temps, il faut bien nourrir les
la valeur CAF (l’ensemble de la valeur du coût du populations avec les produits importés. Mais nos
produit, de l’assurance maritime et du fret mari- gouvernements doivent respecter ce à quoi ils ont
time). souscrit. En 2003, au Sommet de l’Union africaine à
Maputo, ils ont convenu, par une déclaration com-
A première vue, on pourrait conclure qu’une cer- mune au sein du NEPAD de consacrer 10% des
taine protection à l’importation des produits agri- dépenses publiques à l’agriculture et au dé-
coles et alimentaires existe en RDC. Des taux de veloppement rural, afin de soutenir la sécu-
24,3% dans la plupart des cas et même de 35,6% rité alimentaire dans le continent et ceci
pour le sucre et l’huile végétale ne sont pas négli- dans les cinq années à venir. Or, actuelle-
geables26 ment, je pense que le secteur agricole re-
Mais, en réalité, les droits et taxes à l’importation çoit de l’Etat à peine 0,5% à 1% du bud-
sont bien plus bas. En août 2003, l’OFIDA, l’Office get”.
des douanes et accises, sortait une circulaire ayant
trait à un nouveau tarif des droits et taxes à l’im-
portation. Ce tarif, entré en vigueur depuis le 28
avril 2003, se distingue par le recadrage des taux
des droits appliqués aux marchandises importées,
fixés au minimum à 3% et 5% et au maximum à
13% et 20%.
Le chiffre de 3% est confirmé par Jean-Marie Kin-
kela, enseignant à la Faculté des Sciences sociales,
administratives et politiques de l’Université de
Kinshasa : “les importations alimentaires, celles
destinées à l’agriculture en général, et celles de
produits animaux, jugées de première nécessité en
particulier, bénéficient d’un régime douanier extrê-
mement favorable aux importateurs, avec un droit
symbolique et dérisoire de 3% à l’entrée : encou-
ragement exorbitant aux commerçants et aux im-
portateurs, mais finalement lourdement payé par
le consommateur et le producteur congolais, par
l’étouffement de l’élevage national, incapable de
résister à une telle concurrence. Par contre, les pro-
duits destinés à l’agriculture, ou provenant de
celle-ci, commercialisés à l’intérieur des frontières,
sont frappés d’une taxe de 18% (CCA –contribution
sur le chiffre d’affaires). Les intérêts payés sur les
emprunts sont également taxés à 18%. Ces me-
sures fiscales frappent et pénalisent toute la
chaîne de production animale”.27
25
Interview de Max Muland,
Kinshasa, octobre 2006. Que répondre à ceux qui disent : “pourquoi devrait-
26
Eric Tollens, Les importa- on privilégier la production locale, alors que ce se-
tions alimentaires et la pro- rait beaucoup mieux de favoriser une grande ou-
tection douanière en RDC, verture à des importations à bas prix pour une
2006.
population qui vit dans la pauvreté”?
27
J.-M. Kinkela, La RDC dans
l’étau de la mondialisation : Max Muland du CAVTK répond à la question : “Si
regards sur la situation avi- l’on se met à la place des dirigeants du pays, sou-
cole, Gresea Echos, n°45, jan- cieux de la paix sociale, on peut comprendre, sans
vier-févier-mars 2006.
les excuser, qu’ils n’hésitent pas à favoriser les im-
5. Impor tations avicoles et filière Ce que nous produisons en poulet de chair, c’est encore
locale une goutte d’eau dans l’océan. On produit 3.500 pous-
sins par semaine : on vend sur pied et, avant la fin de
l’année 2006, l’abattoir sera prêt pour les découpes
de poulet, car la population est habituée à consommer
le poulet en découpe. On arrive à vendre quasiment
Le secteur avicole en RDC au même prix que le congelé importé, alors que celui-
ci, poules de réforme et autres “rebuts”, n’a rien à voir
Malgré ses nombreuses carences, l’inorganisation avec notre produit qui est du poulet presque “fermier”.
individuelle ou collective, la filière avicole existe en Anicet Lokenyo, administrateur de LON’ILEKO.
RDC.
A Kinshasa et dans le Bas-Congo, on trouve essen- Importations massives…
tiellement la filière “poules pondeuses“, une filière
relativement importante. Deux grosses fermes in- L’importation en RDC de viande congelée, du poulet
dustrielles (Mino Congo Dokolo et San Giro conces- de chair en particulier, remonte en fait à l’indépen-
sion Belliard) possèdent à elles deux plus de la dance du pays. C’est le gouvernement du premier
moitié des “pondeuses” sur un total de quelque ministre, Cyrille Adoula qui, le premier, ordonna ces
600.000. Le reste est détenu par des fermes importations. D’où la dénomination “Ebembe ya
moyennes et des fermes de “parcelles” (petites Adoula”, accolée déjà à l’époque à ces produits
unités familiales). d’importation.
L’élevage de poulet a également existé dans la ré- C’est à partir des années ’80 et surtout ’90 que les
gion, dans les années ‘80. Personne n’a oublié le importations avicoles prirent largement le dessus.
célèbre exemple de la “ferme présidentielle” (Mo- La dégradation accélérée de l’économie, les pil-
butu), une immense ferme moderne, avec l’équipe- lages en règle (1990-92), l’explosion démogra-
ment complet de la filière “intégrée” (du couvoir à phique de Kinshasa, l’Accord sur l’Agriculture de
l’abattoir). Cette ferme est aujourd’hui à l’abandon. l’OMC, accélérant le démantèlement des protec-
C’est qu’on ne s’improvise pas éleveur. C’est un tions douanières, l’adhésion de la RDC à l’OMC en
métier à part entière, avec une gestion technico-fi- 1997 furent autant d’éléments explicatifs de cette
nancière rigoureuse qui ne fait pas bon ménage montée en flèche des importations de poulets
avec les prébendes, les spoliations, les impré- congelés.
voyances.
Evolution des importations de pou-
A l’inverse de Kinshasa et du Bas-Congo, on trouve
à Lubumbashi la filière “poulet de chair“. La région lets congelés “européens”
importe les œufs fécondés de la Zambie, du Zim-
babwe et produit localement les poulets, sans unité 2003 2005 Evolution
d’abattage, de conservation ou de vente de dé-
République du 18 505 9 650 52%
coupes congelées. Congo
C’est une chaîne d’une certaine importance avec RDC 11 346 20 578 181%
une entrée de quelque 40.000 poussins de chair
Cameroun 16 528 2 100 13%
par semaine. Le poulet local est vendu essentielle-
ment sur pied (en vif) sur les marchés ou à la Côte d’Ivoire 5 991 1 900 32%
ferme ; il est abattu et directement cuisiné. Mais,
sans unité d’abattage, de conservation de découpe Ghana 13 840 21 800 158%
et d’installation frigorifique, il est extrêmement
difficile de vivre de son exploitation avicole. Pour Sénégal 9 327 1 600 17%
cela, il faudrait vendre en grande quantité le poulet Togo 3 619 5 300 146%
de chair en “vif”, ce qui s’avère impossible. Une
fois la période d’élevage terminée (une quaran- Source: SOS Faim, Campagne contre les importations de pou-
taine de jours), le fermier peut vendre une partie lets congelés au Cameroun, 2004
du lot. Mais il devra continuer à nourrir celle qui
reste, pendant qu’il entame un nouveau cycle d’éle- Initialement, ces importations se composaient de
vage. Cela coûte doublement de l’argent. Il est poulets entiers congelés. Par la suite, avec l’exten-
alors contraint à augmenter le prix de vente… ! sion de la misère, de la baisse du pouvoir d’achat
et des nouvelles habitudes culinaires urbaines, ces
Les Ets LON’ILEKO à KIN : produits entiers furent progressivement supplantés
première entreprise “intégrée” en RDC ! par les découpes de poulets congelées, puis les dé-
coupes (les parties les plus diverses) de poules de
Nous sommes une petite exploitation avicole, mais la réforme (poules en fin du cycle de ponte): gésiers,
première entreprise “intégrée” en RDC, installée à
Kinshasa, avec ferme parentale, couvoir, élevage de pattes, cuisses, cous, ailes, croupions, peau.
poulets de chair et abattoir. Ces importations, qui atteignent 30 à 50.000
tonnes par an, proviennent en ordre décroissant du
Brésil (Frangosul, une des entreprises de la multi- Par contre, pour ce qui est du poulet entier, le pou-
nationale avicole française, Charles Doux, etc.), de let local pourrait être presque compétitif par rap-
Belgique (l’abattoir Wilki en Flandre…), de Hol- port au poulet importé, ce qui était le cas il y a
lande, d’Espagne, d’Italie, de France, des USA, d’Al- quelques années : 2 dollars ou 2 dollars et demi
lemagne… contre 2 dollars pour l’importé.
Ces dernières années, la RDC s’est retrouvée égale- En RDC, comme dans les autres pays d’Afrique sub-
ment face à des importations d’œufs de consomma- saharienne, la viande de volaille importée ne béné-
tion, alors que la filière “poule pondeuse” était et ficie plus tellement de restitutions à l’exportation,
reste relativement développée à Kinshasa et dans et cela depuis 2003. Dans ce secteur, nous connais-
le Bas-Congo. Ces œufs de consommation provien- sons cependant un dumping “indirect” qui alimente
nent respectivement des Pays-Bas, de Belgique, une concurrence “déloyale” avec le prix de la pro-
d’Allemagne, mais aussi d’Argentine, du Brésil et duction avicole locale. D’abord, ces produits impor-
même d’Inde. tés sont les bas morceaux, abats et sous-produits,
L’impact de ces importations sur l’emploi et l’éco- résidus des marchés européens et américains et
nomie nationale est indéniable. Mais il est difficile qui n’ont donc quasiment plus de valeur marchande
d’obtenir des statistiques. On sait que dans le Bas- dans les pays d’origine. D’autre part, les aliments
Congo, à Boma, Matadi, Kimpese, Kwilu Ngongo, Ki- pour bétail (céréales, soja, oléagineux et protéagi-
tomesa, Mbanza Ngungu, Kinshasa…, de petits neux), qui représentent plus de 50% du coût de
exploitants ont dû arrêter leur exploitation avicole, production de ces viandes, continuent à entrer dans
avec, en cascade, la perte de nombreux emplois di- l’UE sans droit de douane. Aux Etats-Unis et davan-
rects et indirects liés à l’élevage et à la vente de tage encore au Brésil, l’approvisionnement en maïs
poulets de chair et d’œufs de consommation. ou en soja est bon marché, associé, au Brésil en
particulier, à un faible coût de la main-d’œuvre.
Importations incontrôlées… En RDC, comme dans bien d’autres pays subsaha-
riens, le coût élevé des intrants (aliments, produits
Au port de Matadi, des importateurs passent à tra- vétérinaires…), l’absence de politiques gouverne-
vers les mailles des services portuaires. Le nombre mentales incitatives, la non protection du marché
de containers déclarés est parfois loin de refléter local contre l’importation avicole, massive et incon-
les volumes réels. trôlée, sont autant d’éléments qui se surajoutent à
Il y a des astuces pour éviter le contrôle. Par exem- la nature des produits importés.
ple, un importateur du Congo Brazzaville fait venir
sa marchandise via le port de Matadi. Il n’y a aucun Et les importateurs, qui sont-ils ?
contrôle sur cette marchandise qui est en transit.
Ce contrôle doit se faire dans le pays de destina- A Kinshasa et dans le Bas-Congo, les deux plus
tion. Mais en fait, il arrive que cette marchandise gros importateurs sont : le belge Orgaman (la fa-
soit déversée sur les marchés de Kinshasa. mille Damseaux) et le libanais Congo Futur.
Le groupe familial Orgaman, dont Jean-Claude
Si les frais de dédouanement étaient régulièrement et Damseaux est directeur général, est installé au
correctement payés en ce qui concerne les œufs de Congo depuis une trentaine d’années. Il est sur
consommation importés, il serait très difficile de ven- place le n°1 dans l’importation de produits alimen-
dre moins cher que la production locale. Le premier taires congelés, avec quelque 35% des parts de
mémorandum de l’UNAGRICO le démontre : sans la marché. Il importe les poules de réforme congelées
fraude douanière, les œufs importés ne peuvent être de l’abattoir Wilki. Il importe également le poisson
vendus moins cher. congelé “chinchard” (plus de 40% des parts). Mais
Docteur Bisimwa il est également présent dans l’élevage (bovin, por-
cin, avicole), dans l’immobilier à Kinshasa et même
dans le secteur minier, l’or du Katanga.
Au rabais
Congo Futur est arrivé avec la vague des “Liba-
En ce qui concerne tout particulièrement les œufs, il nais”, dans les années ‘90 (Socimex, Sokin,
n’est pas rare de faire passer à la douane des œufs Atcom…). Il y a quelques rares importateurs
de consommation pour des œufs fécondés destinés congolais, dont Ledya.
aux couvoirs. La raison est simple : les taxes per-
çues sur les œufs fécondés sont plus basses que
sur les œufs de consommation. Opacité, passe-droit… !
Quant aux découpes de poulet et surtout poules de Chez les importateurs, c’est l’opacité totale, les pré-
réforme congelées importées, elles sont vendues bendes, le passe-droit… Ils ont mis dans leur poche
les circuits de contrôle. Ils paient des taxes symbo-
sur les marchés de Kinshasa à des prix deux fois et liques. Elles représentent au bas mot le 5ème des vo-
jusqu’à trois fois moins chers que la production lo- lumes réellement importés.
cale. Il faut compter 1 $, 1,5 $ le kg de découpe im-
portée par rapport à deux dollars, deux dollars et Docteur Bisimwa
demi le kg de production locale vendue en vif.
6. Kinois, vous avez le bonjour de Le rachat de l’entreprise brésilienne est une au-

Charles Doux
baine pour Doux: l’approvisionnement en matières
premières (soja, maïs) réduit fortement les coûts
de production; les réglementations sanitaires et
Doux/Frangosul au Brésil environnementales sont beaucoup plus souples ; la
main-d’œuvre est bon marché : un travailleur de
Un géant du secteur avicole l’entreprise brésilienne touchait en 2005 un salaire
d’environ 409 reals par mois, ce qui correspond à
Groupe français, créé en 1955, Maison mère à Château-
lin dans le Finistère. 111,7 euros.
Premier producteur européen (et 5ème au niveau mon- Depuis 2000, Doux restructure en France. Après
dial) de volailles et produits transformés à base de vo- l’achat de l’entreprise brésilienne, il a commencé à
laille ; premier exportateur mondial de volailles ; 2,5 fermer des unités en Bretagne et sur le territoire
millions de volailles produites chaque jour dans les national. Il s’est endetté pour cet achat au Brésil,
sites du groupe Doux ; des produits commercialisés mais il n’a rien perdu en chiffre d’affaires. Progres-
dans plus de 130 pays. sivement, une partie de la production brésilienne
Plus de 14.000 collaborateurs/effectifs. est arrivée en France pour desservir la clientèle de
Doux, avec des produits écoulés 33% moins chers
Les effectifs, au Brésil, ont augmenté de 62% depuis que la production réalisée en France. Doux s’auto-
1998. concurrence en quelque sorte. 80% des travailleurs
80% du personnel de Doux est au SMIG. de Doux/France sont au SMIG (980 euros
Depuis novembre 2004, Doux a passé un accord avec nets/mois).29
Maersk Sealand, premier transporteur maritime mon-
dial : 17.000 conteneurs sont acheminés sur une cin-
quantaine de corridors internationaux reliant les cinq
continents28

En 1998, Doux rachète la 3ème entreprise avicole


brésilienne, Frangosul, qui possède cinq unités in-
dustrielles. Aujourd’hui, plus de la moitié des em-
ployés de Doux à l’échelle mondiale sont des Brési-
liens (8.000 employés au Brésil sur un total de
14.000).
Dans le secteur de la volaille, 80% de la
production de Doux/Frangosul (essentielle-
ment des découpes de poulet) sont destinés
à l’exportation : Amérique Centrale, Moyen-
Orient, Union européenne, les pays africains via les
ports de Luanda (Angola) et Matadi (RDC). Les pro-
duits exportés en Afrique sont le bas de gamme :
cuisses, tête, cou, pattes de poulets. La principale
unité de poulets de Doux/Frangosul est localisée à
Passo Fundo, dans le Rio Grande do Sul. De cette
unité, qui abat environ 380.000 poulets/jour, près
de 95% de la production va à l’exportation.
Restructuration en France

Brésil : premier exportateur de poules,


poulets congelés et œufs en RDC
Le Brésil, premier exportateur mondial de volailles en
2004, exporte en RDC des poules et poulets à bouillir
(entiers et en morceaux congelés), des dos de poules,
28
Souveraineté alimentaire, des abats de volaille, des œufs de consommation…
Doux/Frangosul au Brésil, Les importateurs sont Congo Futur, Sokin, Socimex,
Gresea Echos N°45, janvier- Atcom, Orgaman…
février-mars 2006, pp. 22-23.
29
Voir interview de Raymond D’après les statistiques de l’OFIDA et de l’OCC, le total
Gouiffes, délégué syndical des importations en provenance du Brésil s’élève à
chez Doux “Père Dodu”, à 2.881.713 KGS pour l’année 2004 ; 2.269.085 KGS pour
Quimper, www.gresea.be. 2005 et 364.323 KGS pour les 3 premiers mois de 2006.
7. La catastrophe sanitaire ministères de l’Agriculture et de la Santé, et dont le
Phare, un des quotidiens de Kinshasa, s’est fait
l’écho, l’Union Nationale des Agriculteurs du Congo
(UNAGRICO) relatait le fait suivant: “Le 3 juin 2004,
“Le Congo Démocratique a-t-il le choix alors que la société d’importation et de distribu-
entre la mort par la faim et la mort par tion, Congo Futur, écoulait déjà des saucisses de
l’empoisonnement ?” qualité douteuse dans ses chambres froides de
R. P. Charles Kusika Nzau, Kimpese. Kinshasa, l’AFSCA de Belgique rendait publique la
mesure de suspension d’agrément à l’exportation
“Dans le secteur informel de l’alimenta- belge de l’entreprise de produits de viande, CSFF –
tion, plus de 80% des aliments vendus dans Delirein, localisée à Stekene en Flandre Orientale,
les lieux publics sont contaminés.” suspension intervenue après constatation d’une
FAO, Kinshasa, 2004. série d’infractions graves mettant en danger la
santé publique. Selon l’AFSCA, les fameuses sau-
“Les gens s’intoxiquent à longueur de jour- cisses de volaille vendues en RDC auraient été éla-
née. Poisson(s), viande, poulet, eau du borées à base de déchets d’animaux destinés aux
fleuve consommée, contamination, par ma- aliments pour chiens et chats et provenant d’entre-
nipulation sans précaution, de la farine de prises non agréées. No comment”.31
manioc, de maïs…, c’est l’ensemble du
traitement des aliments consommés par la En avril 2006, un membre des services judiciaires
population qu’il faut revoir !” de Kinshasa faisait le constat suivant: “Les irré-
gularités, les falsifications, les discordances
Jean-Baptiste Ruhanu, vétérinaire, OCC Matadi. et les contradictions des documents d’im-
portation renforcent les présomptions de
Signaux et cris d’alarme l’existence d’un réseau international de
blanchiment d’argent par le biais des pro-
En juin 2004, un représentant de la FAO à Kinshasa duits alimentaires pourris”.
publiait une étude qui n’est pas passée inaperçue.
Elle pointait l’ampleur de la catastrophe sanitaire: Ouverture d’une enquête judiciaire
“Bien que les statistiques sur les intoxications ali-
mentaires ne soient pas disponibles, une étude du Le document rédigé par ce fonctionnaire précise
CEPLANUT, conduite avec le concours de la FAO, sur “qu’une enquête judiciaire est ouverte au cabinet de
les dangers et le contrôle des points critiques dans Monsieur le Procureur général de la République sous la
supervision du premier Avocat général de la Répu-
le secteur informel de l’alimentation en 1995 déjà, blique, Monsieur Tsibambe Kia Mpungwe, concernant
avait montré que plus de 80% des aliments vendus les importations frauduleuses des produits alimen-
dans les lieux publics étaient contaminés, principa- taires d’origine animale de qualité douteuse, presque
lement par le Bavillus cereus, Salmonella, Shigella, en décomposition avec des dates de péremption
Escherichia coli et même Vibrio cholerae. proches ou expédiées par un groupe d’importateurs
installés en République Démocratique du Congo, en
Par ailleurs, les nombreux cas de salmonellose, de complicité avec leurs filiales à l’étranger faisant de
shigellose, de fièvre typhoïde, certains types de cette dernière un dépotoir”.
cancers, certaines pathologies endémiques telles
que le goitre, le crétinisme myxoedémateux, ren- Le document souligne que “l’Administrateur délé-
contrés aujourd’hui en RDC, trouvent vraisembla- gué Général de l’Office Congolais de Contrôle
blement leur origine dans une alimentation souil- (OCC), organe officiel de surveillance et de sécurité
lée par des microbes, des contaminants, des alimentaire, ainsi que le Secrétaire Général de
additifs ou des substances naturelles toxiques l’Union des Agriculteurs et Eleveurs du Congo (UNA-
comme les goitrigènes”.30 GRICO), qui ont alerté l’Autorité judiciaire, avaient
Cette étude souligne encore “qu’en juillet 1999, le constaté que, chaque fois qu’une crise ani-
gouvernement de la RDC, avec la collaboration de la male se déclarait à travers le monde
FAO, a mené une enquête sur les poulets et pro- (dioxine, ESB, fièvre aphteuse, grippe
duits dérivés contaminés par la dioxine. Cette aviaire, etc.), les produits incriminés en pro-
étude a révélé que la RDC avait importé de Bel- venance des pays ou régions touchés sont
gique, au premier semestre 1999, 2.191,7 tonnes déversés sur le marché congolais. Ces per-
30
A. Spijkers, RDC, Appui à la de viande de poulet, 24,72 tonnes de mayonnaise sonnalités sont convaincues de l’existence
mise en place d’une stratégie et 1,7 tonne de poussins contaminés à la dioxine; d’un réseau international qui collecte des
de contrôle et de surveillance
57,6% de la quantité de viande précitée et 42% de produits alimentaires de qualité douteuse,
de la qualité des aliments,
FAO, juin 2004. la quantité de mayonnaise indiquée était déjà qui échappent à la destruction dans les
Le Phare, La RDC au centre consommée au 7 juin 1999, date à laquelle le gou- pays d’origine à l’instar de l’affaire “res-
taurant Buffalo Grill” en France”32
31

d’un trafic de blanchiment de vernement congolais avait décidé de suspendre les


vivres frais, 9 mai 2005. importations des produits précités en provenance Ce même document formule des demandes de ren-
32
Victor Tshitenge Bumpanya, de l’Union européenne”. seignements adressées à plusieurs pays dont la
document 21/04/2006.
En mai 2005, dans une lettre ouverte adressée aux Belgique, la France et le Brésil.
En ce qui concerne la Belgique, il s’agit “d’obtenir entreposés est claire et ne prête à aucune
des précisions sur les exportations de saucisses interprétation particulière. Les directives
cancérigènes par les entreprises CSFF et Delirein et européennes stipulent un délai maximum de 21
sur la suite des investigations y relatives”. jours entre la date de ponte et la livraison des
Pour ce qui est de la France, il s’agit d’obtenir de œufs au consommateur. Il n’y a donc pas lieu
la multinationale Charles Doux -Chateaulin France-, d’ergoter sur la qualité et la fraîcheur des œufs
des explications concernant “la discordance des do- “vieux” de plus de 45 jours qui, aussitôt dépotés,
cuments sanitaires des produits vendus par elle subissent en plus une rupture de la chaîne du froid
aux importateurs congolais”; des explications éga- et partant constituent un danger réel de santé
lement à propos de “l’inscription sur l’emballage publique”.33
de poule à bouillir made in France, alors que ce Comme le rappelle opportunément Max Muland du
produit vient du Brésil, dont les additifs sont répu- CAVTK, “il est du devoir des autorités, judiciaires et
tés cancérigènes et interdits en France, tels que politiques, de prendre des mesures pour arrêter
E250, E621”. cette catastrophe alimentaire: le Gabon par
La demande de renseignements s’adresse égale- exemple, qui était aussi sous forte menace de ces
ment au Brésil: “Nous communiquer la réglemen- oeufs-là, a pu résoudre le problème en
tation en vigueur au Brésil concernant la produc- promulguant une loi; est considéré comme œuf
tion, l’inspection et l’exportation des produits frais tout œuf produit en moins de 7 jours. Cela
alimentaires, les noms des services, ministères et protège complètement la production locale, la seule
personnes habilitées à délivrer les documents tels à pouvoir être réalisée dans ces conditions”.
que certificats vétérinaires et d’origine ou tout L’UNAGRICO place les importateurs devant leurs
autre document devant accompagner les produits responsabilités: “Si les importateurs d’œufs
alimentaires en provenance du Brésil; nous faire voulaient réellement aider les Congolais à
parvenir les spécimens des certificats vétérinaires améliorer leur bol alimentaire, pourquoi ne font-ils
et d’origine ou tout autre document exigé à l’expor- pas de l’élevage avicole localement, à l’exemple de
tation des produits alimentaires d’origine animale; la société Minocongo qui exploite actuellement une
etc.”. ferme avicole dont les effectifs se chiffrent
actuellement à plus de 300 000 pondeuses dans la
Les œufs de la mort vallée de Lukaya à Kinshasa”.
“La RDC au centre d’un trafic de blanchi- La question est d’autant plus pertinente, qu’à
ment de vivres frais”, tel est le titre de l’article l’inverse de la filière des poulets de chair, la filière
paru, le 9 mai 2005, dans le quotidien Le Phare, et “poules pondeuses” est relativement développée à
signé par l’Union des Agriculteurs et Eleveurs du Kinshasa et dans le Bas-Congo et, qu’à cet égard,
Congo (UNAGRICO). ces importations d’œufs de consommation sont non
seulement des “déchets de la mort”, mais viennent
“Après nous avoir habitués aux vieilles poules de saper la réalité et les potentialités d’une filière
réforme congelées, Wilki et Pluvera”, relate locale.
l’article, “les importateurs ont tout essayé et réussi
à nous faire manger les tripes de bœufs de toute Rupture de la chaîne du froid
origine, les croupions de dinde, oreilles, pattes de
cochon de toute la planète, capa, cotis, queues de Il n’y a pas que les œufs importés qui posent des
boeuf, queues de buffle, mbanga (babine), lolemu problèmes sérieux sur le plan sanitaire. C’est le cas
(langue)… C’est une véritable ruée vers tous les également des importations de morceaux de poule
déchets alimentaires (…). Et depuis 2002, les et poulet congelés.
importateurs ont décidé de s’occuper aussi de notre RDC, Sénégal, Cameroun…, tous les pays
petit déjeuner, en nous amenant pour notre d’Afrique subsaharienne, aux prises avec ces
omelette tous les vieux stocks d’œufs réfrigérés de importations, sont confrontés à la rupture de la
la terre”. chaîne du froid. Si des importateurs comme
Ces œufs de consommation arrivent au port de Orgaman sont équipés en chambres froides à
Matadi en provenance de l’Allemagne, de la Matadi, Kinshasa et le long de la route entre ces
Hollande, de la Belgique, de l’Argentine, et même deux villes, il n’en est pas de même pour pas mal
de l’Inde. de petits commerçants. Sur les marchés, vous
“On n’a pas besoin d’un laboratoire pour constater verrez des dames qui vendent ces cuisses de
que des œufs réfrigérés embarqués à partir d’un poulet, exposées en pleine chaleur. Le soir, le
port indien arriveront à Matadi après 45 jours”, produit non vendu ira éventuellement dans un
déclare l’UNAGRICO. “Il en est de même pour des frigo. Le lendemain, il sera ré-exposé à la chaleur.
œufs embarqués à partir de n’importe quel port Il y a donc congélation, décongélation, re-
européen. Entre la ponte et la remise au congélation, décongélation, et ainsi de suite.
consommateur de Kinshasa, il se passera plus d’un Il y a également les coupures régulières de
33
Le Phare, ibid. mois… Or la réglementation de l’Union courant, les économies sur le courant.
européenne en matière de commerce des oeufs
“Le problème, il est surtout ici sur place”, souligne l’analyse. Il arrive alors que le résultat du labo sort
César Bisimwa. “J’ai visité le Brésil, l’Argentine. Le après que la marchandise soit déjà vendue et
problème n’est pas tellement dans les abattoirs distribuée.
des pays d’origine. Il est ici. Comptez le nombre de Une fois sur les marchés, la marchandise subit une
camions frigo qui maintiennent la chaîne du froid rapide contamination (rupture de la chaîne du froid)
entre Matadi et Kinshasa. Ça coûte cher et le qui la rend quasiment impropre à la consommation.
transit dure six heures au minimum. A Kinshasa, A cette étape, l’OCC n’intervient plus pour contrôler
c’est la vente au détail, avec rupture de la chaîne le produit. Ce n’est plus de son ressort, mais de
du froid. Le petit détallant, qui prend 10 ou 20kg de celui du ministère de la Santé… qui n’est pas
découpes, n’a pas d’équipement frigorifique pour le équipé pour ce genre de travail.
stock qu’il écoule au fur et à mesure”.
“Il y a des pays africains qui se protègent beaucoup L’OCC est en mesure de garantir plus ou moins la
mieux que nous. Un pays comme le nôtre, dont qualité de la marchandise. La plus grande difficulté
l’administration est complètement détruite et où, dans n’est pas de dire si c’est bon ou mauvais; c’est de
le chef de certains responsables, il n’y a pas la volonté pouvoir résister aux pressions.
de changer les choses, est très vulnérable face à aux Baptiste Ruhanu, vétérinaire, OCC Matadi.
importations avicoles et les problèmes sanitaires
qu’elles posent.”
Les tensions entre l’OCC et les ministères, en parti-
Baudouin Hamuli Kabarhuza culier le ministère de la Santé, ne manquent pas.
Un exemple! Le 6 février 2004, l’OCC (département
Et que fait l’OCC? provincial du Bas-Congo, division laboratoire de
Maradi) envoie une lettre à la société Socimex, lui
C’est l’OCC, l’Office congolais de contrôle, qui joue annonçant la consignation particulière de ses im-
un rôle central par rapport à la traçabilité, portations d’œufs de consommation en provenance
l’étiquetage et l’analyse des produits importés. de l’Inde (date de production: 19/12/2003; date
Une tâche qui porte sur toute une série d’éléments: d’expiration: 19/6/2004).
identification du fournisseur, du pays d’origine du Le lettre indique: “Suite à l’épizootie qui sévit en
produit, de la quantité, de la date de production et Asie et nous référant au message du Service de
d’expiration des cartons, du numéro de l’abattoir, production et santé animale du ministère de l’Agri-
du certificat vétérinaire d’origine, etc. Ce qui culture, nous vous informons que ces deux contai-
nécessite compétence, équipement approprié (pour ners ne peuvent pas sortir du Port en attendant
les analyses organoleptiques, physico-chimiques, une décision finale de la haute hiérarchie de l’Of-
micro-biologiques) et, last but not least, fice Congolais et du Ministère de l’Agriculture”.
dégagement de multiples pressions politiques.
Le lendemain, l’OCC recevait une lettre du Minis-
Opérer par exemple la traçabilité sur la date tère de la Santé (secrétariat général, direction de la
d’émission et la durée d’un produit, à partir des Quarantaine internationale).
documents d’importation, n’est déjà pas chose
aisée. Victor Tshitenge cite l’exemple de La consigne communiquée à l’OCC de Matadi, dans
l’importateur Socimex qui avait importé d’Inde cinq la lettre datée du 7 février 2004, est claire: “Je
containers d’œufs réfrigérés, avec le “bill of tiens tout simplement à vous fixer que les deux
laoding” émis à Anvers et indiquant Sallalah containers ne sont pas concernés par les mesures
(Emirat d’Omman) comme premier port de édictées par le message du Service de production
chargement. Il en est de même pour l’inscription et santé animale du ministère de l’Agriculture pour
sur les emballages de la firme Charles Doux, deux simples raisons: l’Inde n’est jusqu’à ce jour
“made in France”, alors que ses poules de réforme, pas touchée par l’épizootie de la fièvre aviaire; le
introduites en RDC, proviennent du Brésil. cargo a été expédié deux mois avant la déclaration
de l’épizootie qui secoue quelques pays d’Asie,
L’équipement de l’OCC n’est pas à la hauteur de la l’Inde non concernée. Je ne vois donc aucun incon-
tâche à accomplir. “J’ai vu le labo principal de l’OCC vénient à ce que ces deux containers soient enle-
à Kinshasa”, relate César Bisimwa.” C’est une vés après toutes les formalités habituelles
misère. Pour délivrer le document de mise en d’usage”.
consommation pour les oeufs importés, l’OCC
procède encore au test de l’eau salée. En fait l’OCC
n’a pas d’équipement fiable pour établir la La RDC a-t-elle le choix entre la mort par la
fraîcheur de l‘œuf”. faim et la mort par l’empoisonnement?
Je sais que ce qui vient de l’extérieur, c’est de l’em-
Au port de Matadi, quand l’importateur –et il ne poisonnement. Mais un ventre affamé, ce qui est de-
s’en prive pas– sollicite la procédure d’urgence vant lui, il le consomme. Je vois ce qui rentre dans le
pour le débarquement de la marchandise, sous Bas-Congo et surtout à Kinshasa qui consomme 10.000
prétexte qu’il importe des denrées périssables, kilos de charcuterie de volaille par jour. Personne
l’OCC n’a pas de chambres frigorifiques pour faire n’ignore l’impact micro-biologique des aliments qui
patienter l’importateur, le temps de procéder à
rentrent. Je vois ce que fait Orgaman, je vois la rupture
de la chaîne du froid. On est allé enterrer des contai-
ners entiers de poulet sur 6 km, à la sortie de Matadi.
Et pendant qu’on enterrait, il fallait que la police cein-
ture les containers: la population locale voulait récupé-
rer le stock. Quand j’étais enfant à Matadi, personne ne
mangeait le “chinchard”. C’était pour les chiens. Per-
sonne ne mangeait les croupions, les pattes de poulet.
Mais, aujourd’hui, la population mange ce qu’elle
trouve, tant que cela ne tue pas et que cela engraisse.
Bien sûr, il faut produire et consommer local. Mais, la
question à se poser est simple: comment pousser la
production locale pour qu’elle puisse combattre et rem-
placer progressivement l’importation de produits
congelés du “tout venant”?
Père Charly Kusika Nzau, Kimpese.
8. Cameroun: une campagne taire précis.36

exemplaire Plusieurs séminaires, ateliers, et mêmes rencontres


internationales (avec des représentant/e/s des or-
ganisations paysannes et sociales d'autres pays
africains -dont la RDC- et européens) se sont tenus
La campagne menée au Cameroun, à propos des à Yaoundé.
importations de poulet congelé, a inspiré des asso- Une campagne européenne (France, Belgique, avec
ciations d’autres pays africains, dont la RDC, im- S.O.S. Faim et le Gresea) a relayé l'information et
pressionnées par la manière dont cette campagne les objectifs des associations camerounaises. C'est
fut menée et par les résultats obtenus. ainsi que S.O.S. Faim allait récolter plus de 62.000
signatures dans le cadre d'une pétition "Mon pou-
Une catastrophe économique et let, ma poule", pétition présentée à la Commission
sanitaire européenne. Cette pétition demandait que "dans
toute négociation internationale, l'UE défende le
Entre 1996 et 2003, on est passé au Cameroun de droit pour chaque Etat ou chaque région de définir
978 tonnes de découpes de poulet congelé impor- sa politique agricole"; que "spécifiquement dans le
tées à 22.153 tonnes, la majorité des ces importa- cadre de l'OMC et des négociations des Accords de
tions provenant d'Espagne (9.779 tonnes) et de Bel- partenariat économiques avec les pays ACP, les in-
gique (9.559 tonnes), pour l'année 2003. térêts des populations agricoles priment toujours
Les importations avicoles, vers le Cameroun et sur les objectifs de libéralisation du commerce".
l'Afrique subsaharienne, ont sensiblement aug- Au Parlement européen également, le président de
menté dès 1995, avec l'entrée en vigueur, le 1er l'ACDIC, Bernard Njonga, soutenu par plusieurs or-
janvier 1995, de l'Organisation mondiale du com- ganisations, est intervenu devant un panel de par-
merce. Via l'Accord sur l'Agriculture, l'OMC a im- lementaires.
posé une réduction drastique des tarifs douaniers
pour les pays du Sud, membres de l'OMC, tout en Des résultats concrets
permettant aux Etats du Nord (Union européenne,
Etats-Unis…) de continuer à payer des subven- La campagne, menée au Cameroun, a porté ses
tions massives à l'agrobusiness. fruits.
Ces importations massives ont provoqué le déman- Le contingentement des importations a fortement
tèlement de la filière avicole camerounaise, une fi- diminué. Depuis 2005, environ 2.600 tonnes de dé-
lière qui était déjà bien structurée. C'est ainsi coupes de poulet congelé sont encore importées au
qu'entre 1996 et 2003, selon l'Association ci- Cameroun, soit 10% de ce qui arrivait dans le pays
toyenne de défense des intérêts collectifs au Came- en 2003.
roun (ACDIC), "la concurrence des poulets congelés
importés d'Europe a provoqué, chez près de 92% Cela s'explique par la mise en place d'un système
des petits producteurs camerounais, la perte de de surveillance des quotas et surtout l'augmenta-
leur principale source de revenu". tion importante de la TVA sur les produits importés,
le gouvernement camerounais l'ayant fait passer
De plus, ces importations ont entraîné une catas- de 27% à 43%.
trophe sanitaire. En 2003, le Centre Pasteur de
Yaoundé avait déjà indiqué qu'environ 83,5% des Sur les marchés locaux, le rapport s'est inversé
poulets congelés importés étaient impropres à la entre le prix de vente du poulet local et le produit
consommation pour avoir fait l'objet de congélation importé. Auparavant, les cuisses de poulet impor-
et de décongélation successives.34 tées se vendaient environ 900 francs CFA le kilo
(soit 1,37 euro) contre 1.300 francs CFA (1,98 euro)
Une campagne exemplaire pour la production locale. Aujourd'hui, le kg de dé-
coupes importées est passé à 1.600 francs CFA
Au mois d'août 2004, deux associations camerou- contre les 900 francs pour la production locale.
naises (l'ACDIC –association citoyenne de défense L'impact sur la production locale ne s'est pas fait
des intérêts collectifs– et le SAILD –service d'ap- attendre: entre mars et novembre 2005 déjà, la
pui aux initiatives locales de développement-) lan- production nationale de poulet a augmenté de
. Voir Denis Horman, çaient une grande campagne d'information, de sen- 57%. Aujourd'hui, elle se situe autour de 30.000
sibilisation (surtout vers les consommateurs) et de
34

Chicken Connection, pp. 36-38. tonnes, au lieu des 10.500 tonnes (année 2003).
. Ibid., pp. 122-124. lobbying destinée à limiter les importations, à pro-
Le gouvernement camerounais a également pris
35

ACDIC, Importations mas- mouvoir l'aviculture locale et à construire un large


des mesures pour la relance de la production lo-
36.

sives et incontrôlées, Poulets réseau de défense des intérêts de la population.35


"congelés", danger de mort cale, par exemple en supprimant la TVA sur les in-
pour la santé des populations, Pour cette campagne, l'ACDIC a élaboré un "livre trants: poussins, nourriture, médicaments, …
pour les paysans-producteurs, blanc", une étude menée pendant 9 mois pour cer-
pour l'économie nationale, ner, chiffres et statistiques à l'appui, l'ampleur des
Comprendre le phénomène au importations de poulet congelé, leur impact écono-
Cameroun, mars 2004. mique, social et sanitaire et établir un argumen-
Rien n'est définitivement acquis Les producteurs en ont besoin".
"Pour nous, souligne Bernard Njonga, le maintien
La contrebande est une réalité. Des importations d’une agriculture locale est la clé de voûte de notre
peuvent être acheminées dans le pays via les ports développement, mais nous considérons qu’il faut
de pays voisins, la Guinée Equatoriale par exemple. dépasser les intérêts des seuls agriculteurs. Nous
D'où l'importance de la mise en place d'un système essayons aussi de développer l’ACDIC en associa-
de contrôle permettant d'établir la traçabilité des tion sous-régionale, avec le Tchad, la Centrafrique,
produits importés, comme l'a demandé l'ACDIC. le Congo–Brazzaville et la République Démocra-
Il y a également des mesures politiques indispen- tique du Congo".39
sables pour le renforcement de la filière avicole lo-
cale. "Le gouvernement camerounais doit mettre
en place un mécanisme permettant d'assurer un
suivi efficace entre la production et la consomma-
tion", souligne Christian Penda Ekoka, économiste
et membre du mouvement démocratique du peuple,
"sinon, il y aura un vide que la population locale ne
sera pas en mesure de combler. Cela concerne par
exemple la mise en place de chaînes d'abattage au
niveau des grandes zones de production".
Et puis, il y a la discussion sur les Accords de parte-
nariat économique, les "fameux" APE. "Si les APE
sont signés tels quels", constate Jean-Jacques Gro-
dent de S.O.S. Faim, "le Cameroun ne pourra proba-
blement plus pratiquer une taxation élevée sur les
poulets congelés".
Cap sur la souveraineté
alimentaire
En avril 2005, l'ACDIC décidait d'initier une cam-
pagne pour la souveraineté alimentaire. Au vu des
difficultés de la filière avicole locale à satisfaire la
demande, après la réduction drastique des importa-
tions de découpes de poulet congelé, il s'avérait ur-
gent d'enquêter sur les méfaits des importations
agroalimentaires et leurs conséquences sur les fi-
lières locales, en particulier sur les trois produits
les plus consommés: le riz, le maïs et le blé. En
préparation de cette campagne, l'ACDIC sortait un
nouveau dossier "Aidons-les à nous nourrir".37
Ce dossier fourmille de chiffres qui font réfléchir:
"on importe 87% de nos besoins en riz, essentiel-
lement de Chine; 15% de nos besoins en maïs, es-
sentiellement des USA; et 100% de nos besoins en
blé, essentiellement d'Europe. La tomate, le lait et
l'oignon font aussi l'objet d'importations dont l'im-
portance s'accroît au fil des ans et au détriment de
nombreux producteurs".
37
. ACDIC, Campagne Souverai- Fin novembre 2006, après 4 mois de campagne,
neté alimentaire, "Aidons-les l'ACDIC récoltait 620.000 pétitions pour le soutien
à nous nourrir", Le Cameroun
perd sa souveraineté alimen- direct à l'agriculture.38 Le texte de cette pétition,
taire… et pourtant, 2006. adressée au Premier Ministre et au Président de
38
. Voir la brochure de l'ACDIC, l'Assemblée Nationale, souligne un constat: "Plu-
Souveraineté alimentaire, Les sieurs autres produits que le riz, tomate, oignon,
Camerounais parlent: 620.000 blé, maïs, huile, sucre, fruits, etc. font l'objet d'im-
pétitions pour le soutien di- portations massives, alors que l'on pourrait en pro-
rect à l'agriculture, analyse et duire abondamment au niveau local". La pétition
interprétation, janvier 2007.
demande des mesures et décisions politiques, "non
. Bernard Njonga, Il faut des
seulement dans l'optique de la reconquête de notre
39

subventions pour que les pay-


sans investissent, in Le Monde souveraineté alimentaire, mais, et surtout, dans
du 16 janvier 2007. l'optique des subventions à la production.
9. Ca commence à bouger à lière avicole à Kinshasa et dans le Bas–Congo. Il a

Kinshasa
également, à l’exemple des organisations camerou-
naises, suggéré une série de mesures pour booster
la production locale.
Des obstacles à surmonter
Au mois d’août 2006, RAUKIN, le Réseau d’Agricul-
ture Urbaine de Kinshasa, effectuait une enquête Le dumping des produits importés (poulets et
sur la production locale de poulets de chair et œufs), le coût élevé des intrants (poussins, alimen-
d’œufs de consommation. Quelque 300 enquêtes tation, produits phytosanitaires…), la vétusté du
étaient distribuées aux différents acteurs de la fi- réseau routier et la difficulté d’accès aux marchés
lière avicole : les producteurs, les importateurs, les ruraux, l’absence d’organisation de ramassage,
distributeurs et les consommateurs. Il s’agissait de d’abattage et de congélation des poulets fut évo-
mieux cerner les obstacles et les atouts de la fi- quée comme autant d’obstacles sur le plan écono-
lière avicole, mais également les stratégies, les ac- mique. Au niveau politique, le séminaire mettait
tions à mener et les mesures à prendre pour la re- l’accent sur l’absence de politiques gouvernemen-
lance et le développement de la production avicole tales pour la promotion et le développement de la
locale. filière locale, l’absence de politique incitative (cré-
Les 27 et 28 septembre 2006, le Réseau organisait dit, micro-crédit, régime fiscal approprié) et, last
un séminaire pour dégager les grandes tendances but not least, la non protection du marché local
de cette enquête. contre les importations massives des produits avi-
coles subventionnés (de manière indirecte), de
Au regard des conclusions des travaux en carrefour, basse qualité et à des prix défiant toute concur-
des échanges et des réalités quotidiennes de la fi- rence.
lière, les participant/e/s de ce séminaire prirent
trois décisions importantes : le lancement d’une Et qu’en est-il de l’organisation des producteurs
campagne nationale sur la sécurité et la souverai- avicoles ? "Dans le secteur de l’élevage, il n’y a pas
neté alimentaires en RDC ; la création d’un cadre de véritables organisations", constate le docteur
d’échanges et de concertation de tous les acteurs Bisimwa, "chacun travaille un peu dans son coin".
de la filière avicole ; le pilotage et l’animation de Des atouts à développer
cette campagne par le Réseau RAUKIN.
Les atouts ne manquent pas. C’est d’abord l’exis-
RAUKIN, le Réseau d’agriculture urbaine tence d’un personnel formé et compétent. "Nous
de Kinshasa n’avons pas besoin d’agronomes installés à Kins-
RAUKIN a été créé en 1996 par huit ONGD, membres hasa", déclare Baudouin Hamuli. "Ils doivent aller
du Conseil régional des ONGD de Kinshasa, "CRONGD". dans les centres de renforcement agricole, à l’inté-
C’est aujourd’hui un réseau d’une cinquantaine d’ONGD rieur des provinces, là où les gens travaillent sur
qui intervient dans plusieurs secteurs d’activité tou- des résultats concrets et clairs".
chant à la sécurité alimentaire : la production agricole,
les cultures maraîchères et vivrières ; la transforma- La filière avicole –d’abord la filière poules pon-
tion des produits alimentaires ; l’élevage de la volaille, deuses dans le Bas – Congo et à Kinshasa- peut
du petit bétail et des alevins ; la commercialisation et être relancée. Il existe toujours de grandes fermes
la diffusion des produits agro-pastoraux ; la formation, et une série de petits producteurs ; les bâtiments
le plaidoyer et le lobbying. sont toujours là, mais ils sont vides ; des machines
Dans le cadre de la campagne "Consommons sain et aussi, des meuneries, etc. A Kimpese, le Père
local", Raukin va mener une action de grande enver- Charly Kusika a créé un institut de transformation
gure sur les importations avicoles et la production lo- agroalimentaire ; à Kinshasa, Anicet Lokenyo a mis
cale. Des T-shirts imprimés par le Réseau donnent la sur pied la première entreprise avicole intégrée en
tonalité de la campagne : "poulets importés, congelés RDC, depuis la ferme parentale jusqu’à l’abattoir.
et recongelés, intoxication, chômage, fermeture des
élevages, fuite des capitaux". Et puis, il y a le potentiel agricole, avec en particu-
lier le maïs, la principale céréale en RDC, qui a
Tous les maillons de la filière du poulet importé ou pro- gagné en importance ces dernières années et qui
duit localement ont la lourde charge de définir des stra- est un des principaux aliments pour le bétail, pour
tégies appropriées et de proposer des solutions renfor-
çant la production locale d’œufs de consommation et de la filière avicole. "Mais il est clair que la culture de
poulets de chair. Il s’agit de favoriser la production lo- maïs ne peut se développer chez nous que si la de-
cale pour faire diminuer progressivement les impor- mande augmente considérablement", souligne
tations. Pierre Ongala du KAUKIN ; "la croissance de la de-
mande en maïs, grâce à l’évolution de la filière avi-
Pierre Ongala Lopema,
Secrétaire permanent du RAUKIN. cole, peut conduire à l’émergence des plantations
industrielles et semi-industrielles, où le maïs peut
être produit de façon plus rationnelle et à moindre
Le séminaire, organisé fin septembre 2006 à Kins- coût, le rendant plus abordable pour tous".
hasa, a identifié les blocages et les atouts de la fi-
Le tourteau de soja est importé, mais on peut culti- rentiels importés.
ver le soja sur place, ce que l’on ne fait pas actuel- De même, s’avère-t-il indispensable de renforcer
lement. les mesures et les outils de contrôle sur les impor-
Il existe deux gros producteurs d’aliments pour bé- tations frauduleuses et les produits impropres à la
tail dans le Bas–Congo et à Kinshasa. D’abord la consommation. Il y va de la santé de toute une po-
MIDEMA, une entreprise à 51% de capitaux améri- pulation.
cains. C’est un véritable monopole, la plus grosse A l’inverse, l’Etat peut utiliser plusieurs méca-
usine de production d’aliments pour bétail, à base nismes pour venir en soutien à la production locale.
de soja et de maïs. Cette multinationale, implantée Rien ne l’empêche de diminuer -ou même de sup-
dans presque tous les pays de l’Afrique centrale primer- les taxes sur les produits importés utilisés
(côte ouest), importe le blé et une grande partie du dans la filière élevage, et cela afin de réduire les
maïs et du soja. Midema est une minoterie, société- coûts de production. Cela concerne par exemple les
filiale de Seaboard Corp, une multinationale im- intrants : poussins, nourriture, médicaments, etc.
plantée dans presque tous les pays d’Afrique cen-
trale (de la côte Ouest à l’Est: Nigeria, Sierra Leone, De même, l’Etat peut apporter des aides directes
RDC, Congo Brazzaville, Angola, Zambie, Mozam- (subventions) aux éleveurs qui s’installent, encou-
bique, Kenya). En RDC, elle importe le blé pour la rager un système de crédit et micro-crédit à des
meunerie et une grande partie du maïs et du soja taux préférentiels pour encourager les producteurs
pour les aliments pour bétail. locaux, veiller à l’encadrement technique des pay-
sans pour la production de maïs, de soja, ou encore
L’autre producteur d’aliments, CDI Bwamanda, a un mettre en place des chambres frigorifiques et des
taux d’incorporation de matière première locale al- chaînes d’abattage au niveau des grandes zones de
lant jusqu’à 90%, en utilisant des formules maïs et production et de distribution.
soja produits localement dans l’Oubangui.
Sans oublier le réseau routier, les voies navigables
Mais il y a d’autres alternatives dans la formulation et le chemin de fer. Dans plusieurs provinces, des
et l’approvisionnement en intrants avicoles pour produits locaux pourrissent à cause du délabre-
l’alimentation. "Cultiver les légumineuses pour ment de ces moyens de transport.
substituer le maximum de matières premières im-
portées, c’est possible", constate le docteur Bis-
imwa. "Aussi, quand le maïs n’est pas disponible
en quantité suffisante, toutes les provenderies
pourraient utiliser le manioc-tubercule râpé et pel-
letisé. Celui-ci est mélangé à des feuilles de ma-
nioc séchées et le mélange donne des granulés qui
ont presque la même valeur nutritive que le maïs.
Or le manioc, peut être cultivé toute l’année".
Des mesures à prendre
Surmonter les obstacles, valoriser les atouts, cela
implique la mise en place de politiques et de me-
sures d’encadrement pour encourager et dévelop-
per la filière avicole locale.
La priorité des priorités porte sur la relance et le
développement de la filière avicole et de la produc-
tion locales. Comme le souligne Pierre Ongala,
"l’objectif n’est pas de supprimer du jour au lende-
main les importations de découpes de poulet, mais
bien de favoriser la production locale pour faire di-
minuer progressivement les importations".
La filière "poules pondeuses", dans le Bas–Congo
et à Kinshasa, est relativement développée. Les
importations d’œufs de consommation sont, à cet
égard, non seulement catastrophiques pour la
santé, mais en concurrence déloyale avec la pro-
duction locale. Il appartient donc au gouvernement
de limiter les importations d’œufs de consomma-
tion, en concurrence directe avec la production lo-
cale qui, "boostée" par des mesures de soutien,
pourrait tendre vers l’autosuffisance. A cet égard,
comme le demande RAUKIN, des taxes importantes
pourraient être prélevées sur ces produits concur-
10. Agir ici l'intégration des filières et l'intensité de la produc-
tion des aliments ont permis de baisser les coûts
de production. Une concurrence acharnée s'instaure
Fondements de la solidarité entre élevages des pays développés et de pays
Nord-Sud émergents.
Que ce soit en Afrique, en Europe, en Amérique la- Quant aux producteurs des pays les plus pauvres,
tine, en Asie, aux Etats-Unis, les paysannes et les leurs produits ne trouvent plus preneur(s) sur le
paysans, travaillant dans le secteur avicole, comme marché local, tant les prix des productions impor-
dans les autres secteurs agroalimentaires, sont vic- tées sont inférieurs à ceux des productions plus
times des intérêts des firmes transnationales, du traditionnelles, et ceci sans recours aux subven-
dumping de l'UE et des USA, des "avantages com- tions. Ces produits importés, sans valeur mar-
paratifs" de l'industrie avicole. chande sur le marché européen (ailes, croupions,
cous, carcasses…), sont des sources de revenus
Comment mieux résumer cette solidarité et "com- supplémentaires pour les agro-industries euro-
munauté d'intérêts" entre paysan(ne)s de ces dif- péennes et exposent les populations d'Afrique sub-
férents continents qu'en rappelant l'Appel interna- saharienne en particulier à des dangers sanitaires
tional du 24 mai 2004, signé à Bruxelles par de extrêmement graves (absence d'équipements frigo-
nombreuses associations paysannes.40 rifiques efficaces, rupture de la chaîne du froid).41
Les fondements de la solidarité Nord-Sud, entre or-
Appel international de Bruxelles ganisations paysannes, syndicales, consuméristes,
"Nous, paysannes et paysans d'Europe, aujourd'hui environnementalistes, ONGD…, reposent finale-
menacés de disparition par la Politique Agricole Com- ment sur des intérêts communs face à l'agrobusi-
mune (PAC) de l'Union européenne élargie; nous, ci- ness (firmes de production, de transformation, de
toyennes et citoyens européens, victimes, en tant que commercialisation), les multinationales agroali-
consommateurs et contribuables, des dégâts de cette mentaires, l'agriculture productiviste et indus-
politique au point de vue de la qualité des produits (in- trielle, orientée vers l'exportation, privilégiant la
dustrialisation de la production agricole), de l'environ- production maximale et la compétitivité dans la
nement, du bien-être des animaux (élevage industriel),
de l'emploi et du monde rural (volonté de l'Union eu- guerre économique du marché mondial et du libre-
Cet appel a été signé par la échange.42
40.

Coordination paysanne euro- ropéenne de diminuer fortement le nombre d'exploita-


péenne (CPE), Via Campesina, tions et concentration de la production agricole dans "Cette agriculture relègue au second plan, voire
le Movimento Sem Terra du certaines régions), du financement (budget agricole eu- conteste radicalement, les autres aspects de la
Brésil (MST), le Réseau des or- ropéen réparti injustement entre exploitation, secteurs multifonctionnalité de l'agriculture que sont l'em-
ganisations paysannes et des et pays);
producteurs de l'Afrique de ploi, le respect de l'environnement, l'occupation du
l'Ouest (ROPPA), le National Nous, paysannes et paysans des Etats-Unis, victimes territoire et aussi la qualité des produits et la sa-
Family Farm Coalition des d'une politique agricole similaire, engagée dans la tisfaction des consommateurs".43
Etats-Unis (NFFC), le Mouve- même course au dumping que l'Union européenne;
ment d'action paysanne de Une des manifestations les plus visibles de l'agri-
Wallonie (MAP), le Vlaams Nous, paysannes et paysans d'Afrique, d'Amérique la- culture industrielle productiviste -tant au Nord
Agrarisch Centrum en Flan- tine et d'Asie, empêchés de produire notre alimenta- qu'au Sud– se concrétise dans la "malbouffe". "La
dre(s) (VAC) et bien d'autres tion à cause d'importations à bas prix en provenance
mouvements paysans dans le de l'UE ou des USA, et premier groupe à souffrir de la malbouffe, souligne José Bové, c'est le fait de man-
monde. faim, de la pauvreté et de l'émigration forcée; ger n'importe quoi. Pour moi, c'est d'une part l'ali-
D. Horman, Chicken connec- mentation standardisée que McDo symbolise à sou-
Nous, paysannes et paysans de la planète, jouets de
41.

tion, ibid. Voir également De- hait, un goût uniforme d'un bout à l'autre de la
main Le Monde, Le monde au- surproductions encouragées pour faire chuter les prix planète, et, d'autre part, c'est la sécurité alimen-
agricoles, lésés par des niveaux de prix maintenus ar-
trement et d'autres mondes,
tificiellement très bas sur les marchés internationaux, taire, avec les problèmes des hormones, des OGM,
Nourrir la planète n'a pas de des résidus de pesticides, tout ce qui touche à la
prix! CNCD-11.11.11 et CRID. et victimes de la dérégulation des marchés, aujourd'hui
fonction des intérêts de firmes transnationales; santé. Donc, l'aspect culturel et l'aspect santé. La
D.H. Quelques éclairages
malbouffe vise également l'agriculture industrielle,
42.

sur le pouvoir et la stratégie Déclarons qu'ensemble, les paysannes/paysans et les


des multinationales de c'est-à-dire l'alimentation produite à la chaîne, pas
citoyennes/citoyens pourront forcer leurs gouverne- nécessairement sous forme de produit fini comme
l'agroalimentaire, site Gresea.
ments à changer de politique agricole."
43.
Déclaration du Mouvement les McDo, mais les produits de masse tels le cochon
d'Action Paysanne (MAP), or- industriel, le poulet en batterie, etc. A travers le
ganisation paysanne de dé- Cet Appel pose comme droit fondamental, fonda- concept de malbouffe, c'est en fait toute la chaîne
fense professionnelle pay- teur des revendications communes des organisa- de l'agriculture et une forme d'alimentation qui
sanne en Wallonie, membre tions paysannes du Nord et du Sud de la planète, la sont remises en cause".44
de la Coordination Paysanne sécurité et la souveraineté alimentaires.
Européenne et de la Via Cam-
pesina Ces droits sont bien malmenés dans le secteur avi- Maîtrise de la production et
44.
José Bové et François Du- cole. La viande de poulet fait l'objet d'une féroce gestion de l'offre
four, Le monde n'est pas une guerre commerciale au niveau international entre
marchandise, des paysans quelques grands groupes industriels implantés à la L'élimination des subventions à l'exportation, des
contre la malbouffe, La Décou-
fois dans les pays développés et les pays en déve- nouvelles formes de dumping (aides directes aux
verte, 200.
loppement. L'industrialisation de la production, producteurs payées par le contribuable, pour com-
penser partiellement les prix indûment bas dont tutions, rappelle Via Campesina47 ont mis en œuvre
profitent l'industrie agroalimentaire et la grande les politiques néo-libérales, dictées par les intérêts
distribution) et l'arrêt du bradage des surplus sur des firmes transnationales et des grandes puis-
les marchés internationaux sont les deux condi- sances politiques qui donnent la préférence au
tions principales qui permettront aux pays en déve- commerce international et non à l'alimentation des
loppement –et singulièrement les plus pauvres- de populations. Elles participent à l'augmentation des
protéger leurs agricultures de la concurrence “dé- exportations en direction de l'Afrique subsaha-
loyale” et même “loyale” (sans soutien de l'Etat ou rienne. Elles contraignent ces pays à réduire leurs
de la PAC) entre systèmes de production inégaux. barrières commerciales et à diminuer leurs sou-
Il s'agit donc de maîtriser la production agricole tiens à l'agriculture”.
dans les pays industrialisés et d'obtenir des prix
rémunérateurs pour les producteurs, reflétant les Comment arriver à la souveraineté
coûts de production. alimentaire?
La maîtrise de la production peut impliquer une Un pays peut-il le faire seul, en refusant d'accepter les
certaine protection à l'importation, au sein de “conseils” du FMI, en abandonnant l'Accord sur l'Agri-
l'Union européenne contre les importations d'ali- culture de l'OMC ou l'OMC? Cela pourrait entraîner bien
ments pour bétail par exemple. Cette protection à des risques. Cela étant, est-ce que plusieurs pays es-
l'importation permettrait à l'UE de réduire forte- saieront de le faire ensemble? Comment les persuader,
ment ses excédents exportables de céréales, de et comment préparer une telle action? Quels efforts
faut-il entreprendre pour persuader les plus puissants
viandes et des produits laitiers. Cela permettrait des pays développés –persuader soit leurs gouverne-
d'avoir une agriculture moins intensive en intrants, ments, soit au moins leur société civile- que la souve-
et de ce fait protégeant mieux l'environnement, la raineté alimentaire est nécessaire? Comment éviter
qualité des produits et de l'emploi. En particulier, les actions de représailles de la part de l'UE et des
cela conduirait à remplacer au maximum le couple USA? Si toute l'Afrique partait en même temps, il serait
maïs-soja par l'herbe, dans l'alimentation des ru- difficile à ceux-là de s'y opposer. Ceci entraînerait la
minants.45 perte de toute autorité morale à l'OMC, et peut-être
même l'effondrement de l'OMC elle-même. Mais si ce
PAC, OMC, FMI, BM, APE…: n'était qu'un petit groupe de pays qui la quittait, com-
même combat! ment éviterait-il les mesures de revanche et les efforts
de pays riches pour exploiter les divisions entre pays
“La meilleure solidarité Nord-Sud que peuvent met- africains, ceux qui veulent rester dans l'OMC et ceux
tre en œuvre les agriculteurs belges et européens qui voudraient en sortir?
est de travailler à un changement profond de la PAC Tom Lines, consultant, Royaume-Uni, au Forum régio-
et des règles du commerce international, qui per- nal sur la souveraineté alimentaire à Niamey48
mettront à l'agriculture familiale durable de vivre
de son travail dans toutes les régions du monde”.46 Et si la RDC refusait de payer
Les Accords de partenariat économique, négociés sa dette
entre l'UE et les pays ACP, s'inscrivent dans la phi- Le 20 décembre 2006, à l’invitation du sénateur
losophie de la Politique Agricole Commune (PAC) de Pierre Galand, le Comité pour l’annulation de la
45.
Denis Horman, Chicken l'UE.
Connection, ibid, pp. 111-118. dette du tiers monde (CADTM) organisait, dans les
46.
Gérard Choplin (CPE), Il Comme le souligne le ROPPA (Réseau des organisa- locaux du Sénat belge, un colloque consacré à l’au-
n'est pas trop tard pour chan- tions paysannes et des producteurs agricoles de dit de la dette de la République démocratique du
ger de politique agricole, in l'Afrique de l'Ouest), "les APE, contrairement aux Congo. Cette initiative était soutenue par le Centre
Demain Le monde, nourrir la accords précédents qui octroyaient des accès préfé- national de coopération au développement (CNCD),
planète n'a pas de prix,
CNCD/CRID. rentiels aux ACP, privilégient en premier lieu l'UE, le Gresea et d’autres ONGD belges et congolaises.
Via Campesina est un mou- qui pourra accroître des exportations alors que les Elle tombait à point nommé: quelques jours avant,
ACP auront à abaisser unilatéralement leurs bar-
47.

vement international composé le premier ministre, Guy Verhofstadt annonçait de-


d'organisations paysannes de rières douanières et de devenir compétitifs en dix vant les parlementaires son intention de remettre
petits et moyens agriculteurs, ans". la dette bilatérale du Congo vis-à-vis de la Bel-
de travailleurs agricoles, de gique.
femmes ainsi que des commu- C'est pourquoi “le ROPPA en appelle à la mobilisa-
nautés indigènes d'Asie, tion des organisations paysannes, des ONG et de La dette extérieure de la RDC dépasse les 10 mil-
d'Afrique, d'Amérique et d'Eu- toute la société civile, tant africaine qu'européenne, liards de dollars: les deux tiers sont dus aux créan-
rope. Via Campesina défend
le droit fondamental à la sou- en vue d'empêcher la mise en place des APE en ciers bilatéraux (majoritairement au Club de Paris
veraineté alimentaire (site: 2008. Il faut convaincre nos Chefs d'Etat sur la ca- dont fait partie la Belgique, 5ème plus gros créan-
http://www.viacampesina.org) tastrophe qui attend nos pays si nous ne nous mo- cier bilatéral de la RDC) et un tiers aux institutions
48.
ROPPA, Forum régional sur bilisons pas pour arrêter les négociations en cours multilatérales (FMI, Banque mondiale). Pour ali-
la souveraineté alimentaire à tant à Bruxelles, à Genève que dans nos pays”. menter ce colloque, il y avait l’expertise du
Niamey, Niger, novembre
Ici également, il s'agit de continuer les mobilisa- CADTM49, ainsi que l’étude réalisée avec la collabo-
2006, synthèse (site: ration d’un groupe de Congolais, étude intitulée “Et
www.roppa.info). tions contre l'OMC et les institutions financières in-
www.cadtm.org ternationales (FMI et Banque mondiale). “Ces insti- si le Congo-Zaïre refusait de payer sa dette ? Essai
analytique des preuves d’une dette odieuse”.
49.
Il n’est un secret pour personne que la dette exté- hasa. “Mais avec le concours du pouvoir public, des
rieure de la RDC a été contractée par le régime dic- entreprises étatiques et privées, des personnes
tatorial et corrompu du Maréchal Mobutu. Le ressources et de la société civile, il y a lieu d’espé-
montant des biens mals acquis par Mobutu varie rer et d’arriver à de bons résultats”.
entre 4 et 8 milliards de dollars! Comme le souligne RAUKIN se donne comme première tâche l’élabora-
Joseph Stiglitz, ancien vice-président de la Banque tion d’un “livre blanc”, suivant ainsi l’exemple
mondiale, “quand le FMI et la Banque mondiale des organisations camerounaises.
prêtaient de l’argent à Mobutu, ils savaient (ou au-
raient dû savoir) que ces sommes pour l’essentiel C’est un outil indispensable pour mener à bien les
ne serviraient pas à aider les pauvres de ce pays, activités que se fixe le Réseau, à savoir la sensibi-
mais à enrichir Mobutu. On payait ce dirigeant cor- lisation, la conscientisation et le lobbying.
rompu pour qu’il maintienne son pays fermement C’est une lourde tâche qui demande beaucoup d’in-
aligné sur l’Occident. Beaucoup estiment injuste vestissement, d’investigation, de contacts et de
que les contribuables des pays qui se trouvaient moyens financiers.
dans cette situation soient tenus de rembourser les
prêts consentis à des gouvernements corrompus Mais, c’est une tâche incontournable et une pre-
qui ne les représentaient pas”.50 mière concrétisation de notre solidarité.
Aujourd’hui encore, le remboursement des intérêts
de cette dette pèse lourdement sur le budget de
l’Etat congolais (29% du budget en 2004, selon les
estimations du FMI).
“C’est une dette odieuse, elle doit être absolument
annulée au FMI, à la Banque mondiale, au Club de
Paris et de Londres. On a bien besoin de cet argent
pour redresser le pays, réparer l’outil économique,
donner des salaires décents aux fonctionnaires,
rencontrer les besoins les plus urgents de la popu-
lation, et ça ne manque pas !”. Cette réflexion du
directeur général du CENAPEP à Kinshasa est parta-
gée par bien des acteurs et actrices de la société ci-
vile de la RDC.
A nous d’agir ici pour que notre premier ministre
respecte sa parole et que le gouvernement annule
purement et simplement, et sans conditions, la
dette bilatérale vis-à-vis de la RDC.
Soutien à RAUKIN
Comme suite au séminaire de fin septembre 2006 à
Kinshasa, RAUKIN a reçu la mission de préparer le
plan de campagne nationale sur la sécurité et la
souveraineté alimentaires en RDC.
Cette campagne va avant tout mettre l’accent sur la
filière avicole, à Kinshasa et dans le Bas-Congo
face aux importations massives et incontrôlées
d’œufs de consommation et poulets de chair.
A l’instar de la campagne menée au Cameroun et
qui a impressionné bon nombre d’organisations ki-
noises, RAUKIN tient à mettre en évidence la catas-
trophe sanitaire et économique engendrée par les
importations avicoles. Des T-shirts, imprimés par le
Réseau des ONGD, donnent la tonalité : “poulets
importés, congelés et recongelés, intoxication, chô-
mage, fermetures des élevages, fuite des capitaux”.
“Nous avons amorcé un défi qui va prendre du
temps pour que la population congolaise com-
prenne l’importance de l’enjeu”, souligne Pierre
Ongala Lopema, secrétaire permanent de RAUKIN,
J. Stiglitz, La grande désil-
dans le rapport d’enquête sur la problématique
concernant la production locale des poulets à Kins-
50.

lusion, Fayard, 2002.

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