Liste de Textes Bis 1 Première G 3littérature D'idées Et Parcours Associé

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Liste de textes classe de 1ère G3 Lycée Fesch 2023-2024

Parcours associé 1 : La Bruyère : la comédie sociale

Lecture linéaire 1 LA FONTAINE, Fables,Livre VII, La cour du lion (vers 13


à 32: «Le Prince...à d’enseignement»)

Sa Majesté Lionne un jour voulut connaître


De quelles nations le ciel l'avait fait maître.
Il manda donc par Députés
Ses Vassaux de toute nature,
Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture ,
Avec son sceau. L'écrit portait
Qu'un mois durant le Roi tiendrait
Cour plénière , dont l'ouverture
Devait être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin 1.
Par ce trait de magnificence
Le Prince à ses sujets étalait sa puissance.
En son Louvre il les invita.
Quel Louvre! un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord au nez des gens. L'Ours boucha sa narine:
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L'envoya chez Pluton2 faire le dégoûté.
Le Singe approuva fort cette sévérité,
Et flatteur excessif, il loua la colère
Et la griffe du Prince, et l'Antre, et cette odeur:
Il n'était ambre, il n'était fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succès, et fut encor punie.
Ce Monseigneur du Lion-là
Fut parent de Caligula3.
Le Renard étant proche: Or cà, lui dit le sire,
Que sens-tu? dis-le moi : parle sans déguiser.
L'autre aussitôt de s'excuser,
Alléguant un grand rhume : il ne pouvait que dire
Sans odorat ; bref, il s'en tire.
Ceci vous sert d'enseignement :
Ne soyez à la Cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère ;
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand.

Notes: 1Fagotin : Singe savant que l’on pouvait voir à la foire Saint-Germain 2 Pluton : dieu des
morts 3Caligula : après la mort de sa soeur Drusilla, l'empereur Caligula fit mettre à mort ceux
qui ne pleuraient pas ainsi que ceux qui pleuraient parce qu'ils offensaient ainsi la morte en ne
croyant pas qu'elle était devenue déesse. (Caligula, impopulaire par ses extravagances et ses
crimes, mourut assassiné)
Oeuvre intégrale 1 La Bruyère, Les Caractères, Livres V à X,1688-1693

Lecture linéaire 2:Livre VI ,Des biens de fortune, 83 Giton

Giton a le teint frais, le visage plein et les joues pendantes, l'oeil fixe et assuré,
les épaules larges, l'estomac haut, la démarche ferme et délibérée. Il parle avec
confiance; il fait répéter celui qui l'entretient, et il ne goûte que médiocrement tout ce
qu'il lui dit. Il déploie un ample mouchoir, et se mouche avec grand bruit; il crache
fort loin, et il éternue fort haut. Il dort le jour, il dort la nuit, et profondément; il ronfle
en compagnie. Il occupe à table et à la promenade plus de place qu'un autre. Il tient le
milieu en se promenant avec ses égaux; il s'arrête, et l'on s'arrête; il continue de
marcher, et l'on marche: tous se règlent sur lui. Il interrompt, il redresse ceux qui ont
laparole: on ne l'interrompt pas, on l'écoute aussi longtemps qu'il veut parler; on est de
son avis, on croit les nouvelles qu'il débite. S'il s'assied, vous le voyez s'enfoncer dans
unfauteuil, croiser les jambes l'une sur l'autre, froncer le sourcil, abaisser son chapeau
surses yeux pour ne voir personne, ou le relever ensuite, et découvrir son front par
fierté et par audace. Il est enjoué, grand rieur, impatient, présomptueux, colère,
libertin1, politique, mystérieux sur les affaires du temps; il se croit des talents et de
l'esprit. Il est riche.

Note: 1.»libertin»=ici, «libre d’esprit»

Lecture linéaire 3 :Livre VIII, De la Cour, Remarque 74, « L’on parle d’une
région... »

- L’on parle d’une région où les vieillards sont galants, polis et civils; les jeunes gens
au contraire, durs, féroces, sans mœurs ni politesse: ils se trouvent affranchis de la
passion des femmes dans un âge où l’on commence ailleurs à la sentir; ils leur
préfèrent des repas, des viandes, et des amours ridicules. Celui-là chez eux est
sobre et modéré, qui ne s’enivre que de vin: l’usage trop fréquent qu’ils en ont fait le
leur a rendu insipide; ils cherchent à réveiller leur goût déjà éteint par des eaux-de-vie,
et par toutes les liqueurs les plus violentes; il ne manque à leur débauche que de boire
de l’eau-forte. Les femmes du pays précipitent le déclin de leur beauté par des
artifices qu’elles croient servir à les rendre belles : leur coutume est de peindre leurs
lèvres, leurs joues, leurs sourcils et leurs épaules, qu’elles étalent avec leur gorge,
leurs bras et leurs oreilles, comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles
pourraient plaire, ou de ne pas se montrer assez. Ceux qui habitent cette contrée ont
une physionomie qui n’est pas nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de
cheveux étrangers, qu’ils préfèrent aux naturels et dont ils font un long tissu pour
couvrir leur tête: il descend à la moitié du corps, change les traits, et empêche qu’on
ne connaisse les hommes à leur visage. Ces peuples d’ailleurs ont leur Dieu et leur roi:
les grands de la nation s’assemblent tous les jours, à une certaine heure, dans un
temple qu’ils nomment église; il y a au fond de ce temple un autel consacré à leur
Dieu, où un prêtre célèbre des mystères qu’ils appellent saints, sacrés et redoutables;
les grands forment un vaste cercle au pied de cet autel, et paraissent debout, le dos
tourné directement au prêtre et aux saints mystères, et les faces élevées vers leur roi,
que l’on voit à genoux sur une tribune, et à qui ils semblent avoir tout l’esprit et tout
le cœur appliqués. On ne laisse pas de voir dans cet usage une espèce de
subordination; car ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu. Les
gens du pays le nomment ***; il est à quelque quarante-huit degrés d’élévation du
pôle, et à plus d’onze cents lieues de mer des Iroquois et des Hurons.

Lecture linéaire 4:Livre X, Du Souverain ou de la République, Remarque 9,


«La guerre a pour elle l’antiquité...»

La guerre a pour elle l’antiquité ; elle a été dans tous les siècles : on l’a toujours vue
remplir le monde de veuves et d’orphelins, épuiser les familles d’héritiers, et faire
périr les frères à une même bataille. Jeune Soyecour1 ! je regrette ta vertu, ta pudeur,
ton esprit déjà mûr, pénétrant, élevé, sociable ; je plains cette mort prématurée qui te
joint à ton intrépide frère, et t’enlève à une cour où tu n’as fait que te montrer :
malheur déplorable, mais ordinaire ! De tout temps les hommes, pour quelque
morceau de terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se
brûler, se tuer, s’égorger les uns les autres ; et pour le faire plus ingénieusement et
avec plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles qu’on appelle l’art militaire ; ils
ont attaché à la pratique de ces règles la gloire ou la plus solide réputation ; et ils ont
depuis renchéri de siècle en siècle sur la manière de se détruire réciproquement. De
l’injustice des premiers hommes, comme de son unique source, est venue la guerre,
ainsi que la nécessité où ils se sont trouvés de se donner des maîtres qui fixassent
leurs droits et leurs prétentions. Si, content du sien, on eût pu s’abstenir du bien de ses
voisins, on avait pour toujours la paix et la liberté.

Note :1le chevalier de Soyecour et son frère venaient de mourir à la bataille de Fleurus (1690). A
travers cette anecdote qui a marqué l’actualité de son temps, La Bruyère évoque les guerres
permanentes menées par Louis XIV conttre les pays voisins.

Oeuvre intégrale 2 Marivaux, Les Fausses Confidences, 1737

Lecture linéaire 5: Acte I, scène 2

Dubois. – Point de bien ! votre bonne mine est un Pérou1 ! Tournez-vous un peu, que
je vous considère2 encore ; allons, Monsieur, vous vous moquez, il n’y a point de plus
grand seigneur que vous à Paris : voilà une taille qui vaut toutes les dignités possibles,
et notre affaire est infaillible, absolument infaillible ; il me semble que je vous vois
déjà en déshabillé3 dans l’appartement de Madame.
Dorante. – Quelle chimère4 !
Dubois. – Oui, je le soutiens. Vous êtes actuellement dans votre salle et vos
équipages5 sont sous la remise6.
Dorante. – Elle a plus de cinquante mille livres de rente7, Dubois.
Dubois. – Ah ! vous en avez bien soixante8 pour le moins.
Dorante. – Et tu me dis qu’elle est extrêmement raisonnable ?
Dubois. – Tant mieux pour vous, et tant pis pour elle. Si vous lui plaisez, elle en sera
si honteuse, elle se débattra tant, elle deviendra si faible, qu’elle ne pourra se soutenir
qu’en épousant ; vous m’en direz des nouvelles. Vous l’avez vue et vous l’aimez ?
Dorante. – Je l’aime avec passion, et c’est ce qui fait que je tremble !
Dubois. – Oh ! vous m’impatientez avec vos terreurs : eh que diantre!un peu de
confiance ; vous réussirez, vous dis-je. Je m’en charge, je le veux, je l’ai mis là9 ; nous
sommes convenus de toutes nosactions ; toutes nos mesures sont prises ; je connais
l’humeur de ma maîtresse, je sais votre mérite, je sais mes talents, je vous conduis,
et on vous aimera, toute raisonnable qu’on est ; on vous épousera,toute fière qu’on est,
et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous ? Fierté, raison et
richesse, il faudra que tout se rende. Quand l’amour parle, il est le maître, et il parlera :
adieu ; je vous quitte ; j’entends quelqu’un, c’est peut-être Monsieur Rémy ; nous
voilà embarqués ; poursuivons. (Il fait quelques pas, et revient.) À propos, tâchez que
Marton prenne un peu de goût pour vous. L’amour et moi nous ferons le reste.

Notes: 1 «Un Pérou» : très avantageuse (jeu de mots avec les mines d’or du Pérou et la belle
apparence de Dorante).2 . «Que je vous considère»: que je vous regarde.. 3«En déshabillé» : en
vêtement d’intérieur.4. «chimère»: ici, rêverie 5 .«équipages»: voitures à cheval . 6 «sous la
remise»: au garage 7 « rente»: revenu annuel élevé qui équivaut pour Araminte à plus de 560000
euros 8 « soixante»: Dubois estime à environ 680 euros /an le revenu de Dorante marquant
l’écart entre sa situation et celle d’Araminte. 9. «je l’ai mis là»: le personnage indique sa tête.

Lecture linéaire 6: Acte II, scène 15

DORANTE
Dispensez-moi de la louer, Madame : je m'égarerais en la peignant. On ne connaît rien
de si beau ni de si aimable qu'elle ; et jamais elle ne me parle, ou ne me regarde, que
mon amour n'en augmente.
ARAMINTE baisse les yeux et continue.
Mais votre conduite blesse la raison. Que prétendez-vous avec cet amour pour une
personne qui ne saura jamais que vous l'aimez cela est bien bizarre. Que prétendez-
vous ?
DORANTE
Le plaisir de la voir quelquefois, et d'être avec elle, est tout ce que je me propose.
ARAMINTE
Avec elle ! Oubliez-vous que vous êtes ici ?
DORANTE
Je veux dire avec son portrait, quand je ne la vois point.
ARAMINTE
Son portrait ! Est-ce que vous l'avez fait faire ?
DORANTE
Non, Madame ; mais j'ai, par amusement, appris à peindre ; et je l'ai peinte moi-même.
Je me serais privé de son portrait, si je n'avais pu l'avoir que par le secours d'un autre.
ARAMINTE, à part.
Il faut le pousser à bout. (Haut.) Montrez-moi ce portrait.
DORANTE
Daignez m'en dispenser, Madame ; quoique mon amour soit sans espérance, je n'en
dois pas moins un secret inviolable à l'objet aimé.

Lecture linéaire 7: Acte III, scène 12 (aveu)

DORANTE, plaintivement.- «De tout le reste de ma vie, que je vais passer loin de
vous, je n'aurais plus que ce seul jour qui m'en serait précieux.
ARAMINTE-Il n'y a pas moyen, Dorante ; il faut se quitter. On sait que vous m'aimez,
et on croirait que je n'en suis pas fâchée.
DORANTE-Hélas Madame ! Que je vais être à plaindre !
ARAMINTE-Ah ! Allez, Dorante, chacun a ses chagrins.
DORANTE-J'ai tout perdu ! J'avais un portrait, et je ne l'ai plus.
ARAMINTE-À quoi vous sert de l'avoir ? Vous savez peindre.
DORANTE-Je ne pourrai de longtemps m'en dédommager ; d'ailleurs, celui-ci
m'aurait été bien cher ! Il a été entre vos mains, Madame.
ARAMINTE-Mais, vous n'êtes pas raisonnable.
DORANTE-Ah ! Madame ! Je vais être éloigné de vous ; vous serez assez vengée ;
n'ajoutez rien à ma douleur !
ARAMINTE-Vous donner mon portrait ! Songez-vous que ce serait avouer que je
vous aime ?
DORANTE-Que vous m'aimez, Madame ! Quelle idée ! qui pourrait se l'imaginer ?
ARAMINTE, d'un ton vif et naïf.-Et voilà pourtant ce qui m'arrive.
DORANTE, se jetant à ses genoux.-Je me meurs !
ARAMINTE-Je ne sais plus où je suis. Modérez votre joie ; levez-vous, Dorante.».

Parcours associé 2 : Théâtre et stratagème

Lecture linéaire 8: MOLIÈRE, Le Malade imaginaire, 1673, acte III, scène


12

Eléments concernant l’intrigue de la pièce :Argan est un bourgeois hypocondriaque, qui


prend toutes sortes de remèdes prescrits par son médecin, un certain Monsieur Purgon . Il se
comporte de manière tyrannique envers sa servante, Toinette et sa fille, Angélique qu’il veut
donner en mariage à un médecin, Thomas Diafoirus, neveu de Monsieur Purgon. Mais
Angélique est amoureuse d’un autre jeune homme, Cléante, et compte sur l’aide de Toinette,
qui s’oppose à Argan sur la question du mariage et promet à la jeune fille de l’aider à voir
son amant . La femme d’Argan, Béline, belle-mère d’Angélique, est une hypocrite qui chérit
son vieux mari dans le seul espoir d’accaparer sa fortune après sa mort ; quant à Argan ,
personnage crédule , il est persuadé que sa femme l’aime et se soucie de son bien-être . Pour
montrer à son maître Argan l’hypocrisie de son épouse Béline, qui prétend l’aimer, la
servante Toinette convainc Argan de faire semblant d’être mort.

Scène XII.
BÉLINE ; ARGAN, étendu dans sa chaise ; TOINETTE.
TOINETTE, feignant de ne pas voir Béline. – Ah ! mon Dieu ! Ah ! malheur ! quel
étrange accident !
BÉLINE. – Qu’est-ce, Toinette ?
TOINETTE. – Ah ! madame !
BÉLINE. – Qu’y a-t-il ?
TOINETTE. – Votre mari est mort.
BÉLINE. – Mon mari est mort ?
TOINETTE. – Hélas ! oui ! le pauvre défunt est trépassé.
BÉLINE. – Assurément ?
TOINETTE. – Assurément ; personne ne sait encore cet accident-là ; et je me suis
trouvée ici toute seule. Il vient de passer entre mes bras. Tenez, le voilà tout de son
long dans cette chaise.
BÉLINE. – Le ciel en soit loué ! Me voilà délivrée d’un grand fardeau. Que tu es sotte,
Toinette, de t’affliger de cette mort !
TOINETTE. – Je pensais, madame, qu’il fallût pleurer.
BÉLINE. – Va, va, cela n’en vaut pas la peine. Quelle perte est-ce que la sienne ? et de
quoi servait-il sur la terre ? Un homme incommode à tout le monde, malpropre,
dégoûtant, sans cesse un lavement ou une médecine dans le ventre, mouchant,
toussant, crachant toujours ; sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatiguant
sans cesse les gens, et grondant jour et nuit servantes et valets.
TOINETTE. – Voilà une belle oraison funèbre !
BÉLINE. – Il faut, Toinette, que tu m’aides à exécuter mon dessein ; et tu peux croire
qu’en me servant, ta récompense est sûre. Puisque, par un bonheur, personne n’est
encore averti de la chose, portons-le dans son lit, et tenons cette mort cachée, jusqu’à
ce que j’aie fait mon affaire. Il y a des papiers, il y a de l’argent, dont je veux me
saisir ; et il n’est pas juste que j’aie passé sans fruit auprès de lui mes plus belles
années. Viens, Toinette ; prenons auparavant toutes ses clefs.
ARGAN, se levant brusquement. – Doucement.
BÉLINE, surprise et épouvantée. – Ahi !
ARGAN. – Oui, madame ma femme, c’est ainsi que vous m’aimez ?
TOINETTE. – Ah ! ah ! le défunt n’est pas mort.
ARGAN, à Béline, qui sort. – Je suis bien aise de voir votre amitié, et d’avoir entendu
le beau panégyrique que vous avez fait de moi. Voilà un avis au lecteur, qui me rendra
sage à l’avenir, et qui m’empêchera de faire bien des choses.

Oeuvre intégrale 3 COLETTE, Sido suivi de Les Vrilles de la vigne


1930/1908

Lecture linéaire 9: Sido,(portrait de la mère)

Au vrai, cette Française vécut son enfance dans l’Yonne, son adolescence parmi des
peintres, des journalistes, des virtuoses de la musique, en Belgique, où s’étaient fixés
ses deux frères aînés, puis elle revint dans l’Yonne et s’y maria, deux fois. D’où, de
qui lui furent remis sa rurale sensibilité, son goût fin de la province ? Je ne saurais le
dire. Je la chante, de mon mieux. Je célèbre la clarté originelle qui, en elle, refoulait,
éteignait souvent les petites lumières péniblement allumées au contact de ce qu’elle
nommait « le commun des mortels ». Je l’ai vue suspendre, dans un cerisier, un
épouvantail à effrayer les merles, car l’Ouest, notre voisin, enrhumé et doux, secoué
d’éternuements en série, ne manquait pas de déguiser ses cerisiers en vieux
chemineaux et coiffait ses groseilliers de gibus poilus. Peu de jours après, je trouvais
ma mère sous l’arbre, passionnément immobile, la tête à la rencontre du ciel d’où elle
bannissait les religions humaines…
– Chut !… Regarde…
Un merle noir, oxydé de vert et de violet, piquait les cerises, buvait le jus, déchiquetait
la chair rosée…
– Qu’il est beau !… chuchotait ma mère. Et tu vois comme il se sert de sa patte ? Et tu
vois les mouvements de sa tête et cette arrogance ? Et ce tour de bec pour vider le
noyau ? Et remarque bien qu’il n’attrape que les plus mûres…
– Mais, maman, l’épouvantail…
– Chut !… L’épouvantail ne le gêne pas…
– Mais, maman, les cerises !…
Ma mère ramena sur la terre ses yeux couleur de pluie :
– Les cerises ?… Ah ! oui, les cerises…
Dans ses yeux passa une sorte de frénésie riante, un universel mépris, un dédain
dansant qui me foulait avec tout le reste, allégrement…

Lecture linéaire 10: Les Vrilles de la vigne, Jour gris, extrait

Et si tu arrivais, un jour d’été, dans mon pays, au fond d’un jardin que je connais, un
jardin noir de verdure et sans fleurs, -si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne
ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et
poussiéreux, tu m’oublierais, et tu t’assoirais là, pour n’en plus bouger jusqu’au terme
de ta vie!

Il y a encore, dans mon pays, une vallée étroite comme un berceau où, le soir, s’étire
et flotte un fil de brouillard, un brouillard ténu, blanc, vivant, un gracieux spectre de
brume couché sur l’air humide… Animé d’un lent mouvement d’onde, il se fond en
lui-même et se fait tour à tour nuage, femme endormie, serpent langoureux, cheval à
cou de chimère… Si tu restes trop tard penché vers lui sur l’étroite vallée, à boire l’air
glacé qui porte ce brouillard vivant comme une âme, un frisson te saisira, et toute la
nuit tes songes seront fous…

Écoute encore, donne tes mains dans les miennes : si tu suivais, dans mon pays, un
petit chemin que je connais, jaune et bordé de digitales d’un rose brûlant, tu croirais
gravir le sentier enchanté qui mène hors de la vie… Le chant bondissant des frelons
fourrés de velours t’y entraîne et bat à tes oreilles comme le sang même de ton cœur,
jusqu’à la forêt, là-haut, où finit le monde…C’est une forêt ancienne, oubliée des
hommes, et toute pareille au paradis, écoute bien, car…

Comme te voilà pâle et les yeux grands ! Que t’ai-je dit ? Je ne sais plus… je parlais,
je parlais de mon pays, pour oublier la mer et le vent… Te voilà pâle, avec des yeux
jaloux… Tu me rappelles à toi, tu me sens si lointaine… Il faut que je refasse le
chemin, il faut qu’une fois encore j’arrache, de mon pays, toutes mes racines qui
saignent…

Me voici ! de nouveau je t’appartiens. Je ne voulais qu’oublier le vent et la mer. J’ai


parlé en songe… Que t’ai-je dit ? Ne le crois pas ! Je t’ai parlé sans doute d’un pays
de merveilles, où la saveur de l’air enivre ?… Ne le crois pas ! N’y va pas : tu le
chercherais en vain. Tu ne verrais qu’une campagne un peu triste, qu’assombrissent
les forêts, un village paisible et pauvre, une vallée humide, une montagne bleuâtre et
nue, qui ne nourrit pas même les chèvres…

Lecture linéaire 11: Les Vrilles de la vigne, Le dernier feu, extrait

Et les violettes elles-mêmes, écloses par magie dans l’herbe, cette nuit, les reconnais-
tu ? Tu te penches, et comme moi tu t’étonnes ; - ne sont-elles pas, ce printemps-ci,
plus bleues ? Non, non, tu te trompes, l’an dernier je les ai vues moins obscures, d’un
mauve azuré, ne te souviens-tu pas ?… Tu protestes, tu hoches la tête avec ton rire
grave, le vert de l’herbe neuve décolore l’eau mordorée de ton regard… Plus
mauves… non, plus bleues… Cesse cette taquinerie ! Porte plutôt à tes narines le
parfum invariable de ces violettes changeantes et regarde, en respirant le philtre qui
abolit les années, regarde comme moi ressusciter et grandir devant toi les printemps
de ton enfance…

Plus mauves… non, plus bleues… Je revois des prés, des bois profonds que la
première poussée des bourgeons embrume d’un vert insaisissable, – des ruisseaux
froids, des sources perdues, bues par le sable aussitôt que nées, des primevères de
Pâques, des jeannettes jaunes au cœur safrané, et des violettes, des violettes, des
violettes… Je revois une enfant silencieuse que le printemps enchantait déjà d’un
bonheur sauvage, d’une triste et mystérieuse joie… Une enfant prisonnière, le jour,
dans une école, et qui échangeait des jouets, des images, contre les premiers bouquets
de violettes des bois, noués d’un fil de coton rouge, rapportés par les petites bergères
des fermes environnantes… Violettes à courte tige, violettes blanches et violettes
bleues, et violettes d’un blanc bleu veiné de nacre mauve,- violettes de coucou
anémiques et larges, qui haussent sur de longues tiges leurs pâles corolles inodores…
Violettes de février, fleuries sous la neige, déchiquetées, roussies de gel, laideronnes,
pauvresses parfumées… Ô violettes de mon enfance ! Vous montez devant moi,
toutes, vous treillagez le ciel laiteux d’avril, et la palpitation de vos petits visages
innombrables m’enivre…

Parcours associé 3: la célébration du monde

Lecture linéaire 12 Sylvie Germain, Jours de colère, extrait, 1989

Sylvie GERMAIN (née en 1954), Jours de colère, Chants, « Les frères », 1989
Situé dans un passé indéterminé, le roman de Sylvie Germain Jours de colère prend
place dans les forêts du Morvan. Le texte suivant est extrait d'un chapitre intitulé « Les
frères ». Il présente les neuf fils d’Ephraïm Mauperthuis et de Reinette-la-Grasse.

Ils étaient hommes des forêts. Et les forêts les avaient faits à leur image. À leur
puissance, leur solitude, leur dureté. Dureté puisée dans celle de leur sol commun, ce
socle de granit d'un rose tendre vieux de millions de siècles, bruissant de sources,
troué d'étangs, partout saillant d'entre les herbes, les fougères et les ronces. Un même
chant les habitait, hommes et arbres. Un chant depuis toujours confronté au silence, à la
roche. Un chant sans mélodie. Un chant brutal, heurté comme les saisons, - des étés
écrasants de chaleur, de longs hivers pétrifiés sous la neige. Un chant fait de cris, de
clameurs, de résonances et de stridences. Un chant qui scandait autant leurs joies que
leurs colères.
Car tout en eux prenait des accents de colère, même l'amour. Ils avaient été élevés
davantage parmi les arbres que parmi les hommes, ils s'étaient nourris depuis
l'enfance des fruits, des végétaux et des baies sauvages qui poussent dans les sous-bois
et de la chair des bêtes qui gîtent dans les forêts ; ils connaissaient tous les chemins
que dessinent au ciel les étoiles et tous les sentiers qui sinuent entre les arbres, les
ronciers et les taillis et dans l'ombre desquels se glissent les renards, les chats
sauvages et les chevreuils, et les venelles 1 que frayent les sangliers. Des venelles
tracées à ras de terre entre les herbes et les épines en parallèle à la Voie lactée,
comme en miroir. Comme en écho aussi à la route qui conduisait les pèlerins de
Vézelay vers Saint-Jacques-de-ComposteIle. Ils connaissaient tous les passages
séculaires2 creusés par les bêtes, les hommes et les étoiles.
La maison où ils étaient nés s'était montrée très vite bien trop étroite pour pouvoir les
abriter tous, et trop pauvre surtout pour pouvoir les nourrir. Ils étaient les fils d'Ephraïm
Mauperthuis et de Reinette-la-Grasse.

Notes:1 Venelles : petits sentiers.2 Séculaires : qui existent depuis cent ans ou davantage.

Oeuvre intégrale 4 RIMBAUD,Cahiers de Douai, 1870

Lecture linéaire 13 Sensation

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,


Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :


Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.
Mars 1870

Lecture linéaire 14 Les Effarés

Noirs dans la neige et dans la brume,


Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,

A genoux, cinq petits, — misère ! —


Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond...

Ils voient le fort bras blanc qui tourne


La pâte grise et qui l'enfourne
Dans un trou clair.

Ils écoutent le bon pain cuire.


Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge,


Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein.

Et quand, pendant que minuit sonne,,


Façonné, pétillant et jaune,
On sort le pain;

Quand, sous les poutres enfumées,


Chantent les croûtes parfumées,
Et les grillons;

Quand ce trou chaud souffle la vie;


Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,

Ils se resentent si bien vivre,


Les pauvres petits pleins de givre
- Qu'ils sont là, tous,

Collant leurs petits museaux roses


Au grillage, chantant des choses
Entre les trous,

Mais bien bas,-comme une prière...


Repliés vers cette lumière
Du ciel rouvert,

-Si fort, qu'ils crèvent leur culotte,


-Et que leur lange blanc tremblotte
Au vent d'hiver...

Lecture linéaire 15 Le Dormeur du val

C'est un trou de verdure où chante une rivière


Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent; où le soleil, de la montagne fière,
Luit ; c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue


Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme


Sourirait un enfant malade, il fait un somme.
Nature, berce-le chaudement : il a froid !

Les parfums ne font pas frissonner sa narine;


Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit
Octobre 1870

Parcours associé 4 Emancipations créatrices

Lecture linéaire 16 Paul Eluard, La courbe de tes yeux, Capitale de la douleur ,


1926
La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,


Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d'une couvée d'aurores


Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

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