Liste de Textes Bis 1 Première G 3littérature D'idées Et Parcours Associé
Liste de Textes Bis 1 Première G 3littérature D'idées Et Parcours Associé
Liste de Textes Bis 1 Première G 3littérature D'idées Et Parcours Associé
Notes: 1Fagotin : Singe savant que l’on pouvait voir à la foire Saint-Germain 2 Pluton : dieu des
morts 3Caligula : après la mort de sa soeur Drusilla, l'empereur Caligula fit mettre à mort ceux
qui ne pleuraient pas ainsi que ceux qui pleuraient parce qu'ils offensaient ainsi la morte en ne
croyant pas qu'elle était devenue déesse. (Caligula, impopulaire par ses extravagances et ses
crimes, mourut assassiné)
Oeuvre intégrale 1 La Bruyère, Les Caractères, Livres V à X,1688-1693
Giton a le teint frais, le visage plein et les joues pendantes, l'oeil fixe et assuré,
les épaules larges, l'estomac haut, la démarche ferme et délibérée. Il parle avec
confiance; il fait répéter celui qui l'entretient, et il ne goûte que médiocrement tout ce
qu'il lui dit. Il déploie un ample mouchoir, et se mouche avec grand bruit; il crache
fort loin, et il éternue fort haut. Il dort le jour, il dort la nuit, et profondément; il ronfle
en compagnie. Il occupe à table et à la promenade plus de place qu'un autre. Il tient le
milieu en se promenant avec ses égaux; il s'arrête, et l'on s'arrête; il continue de
marcher, et l'on marche: tous se règlent sur lui. Il interrompt, il redresse ceux qui ont
laparole: on ne l'interrompt pas, on l'écoute aussi longtemps qu'il veut parler; on est de
son avis, on croit les nouvelles qu'il débite. S'il s'assied, vous le voyez s'enfoncer dans
unfauteuil, croiser les jambes l'une sur l'autre, froncer le sourcil, abaisser son chapeau
surses yeux pour ne voir personne, ou le relever ensuite, et découvrir son front par
fierté et par audace. Il est enjoué, grand rieur, impatient, présomptueux, colère,
libertin1, politique, mystérieux sur les affaires du temps; il se croit des talents et de
l'esprit. Il est riche.
Lecture linéaire 3 :Livre VIII, De la Cour, Remarque 74, « L’on parle d’une
région... »
- L’on parle d’une région où les vieillards sont galants, polis et civils; les jeunes gens
au contraire, durs, féroces, sans mœurs ni politesse: ils se trouvent affranchis de la
passion des femmes dans un âge où l’on commence ailleurs à la sentir; ils leur
préfèrent des repas, des viandes, et des amours ridicules. Celui-là chez eux est
sobre et modéré, qui ne s’enivre que de vin: l’usage trop fréquent qu’ils en ont fait le
leur a rendu insipide; ils cherchent à réveiller leur goût déjà éteint par des eaux-de-vie,
et par toutes les liqueurs les plus violentes; il ne manque à leur débauche que de boire
de l’eau-forte. Les femmes du pays précipitent le déclin de leur beauté par des
artifices qu’elles croient servir à les rendre belles : leur coutume est de peindre leurs
lèvres, leurs joues, leurs sourcils et leurs épaules, qu’elles étalent avec leur gorge,
leurs bras et leurs oreilles, comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles
pourraient plaire, ou de ne pas se montrer assez. Ceux qui habitent cette contrée ont
une physionomie qui n’est pas nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de
cheveux étrangers, qu’ils préfèrent aux naturels et dont ils font un long tissu pour
couvrir leur tête: il descend à la moitié du corps, change les traits, et empêche qu’on
ne connaisse les hommes à leur visage. Ces peuples d’ailleurs ont leur Dieu et leur roi:
les grands de la nation s’assemblent tous les jours, à une certaine heure, dans un
temple qu’ils nomment église; il y a au fond de ce temple un autel consacré à leur
Dieu, où un prêtre célèbre des mystères qu’ils appellent saints, sacrés et redoutables;
les grands forment un vaste cercle au pied de cet autel, et paraissent debout, le dos
tourné directement au prêtre et aux saints mystères, et les faces élevées vers leur roi,
que l’on voit à genoux sur une tribune, et à qui ils semblent avoir tout l’esprit et tout
le cœur appliqués. On ne laisse pas de voir dans cet usage une espèce de
subordination; car ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu. Les
gens du pays le nomment ***; il est à quelque quarante-huit degrés d’élévation du
pôle, et à plus d’onze cents lieues de mer des Iroquois et des Hurons.
La guerre a pour elle l’antiquité ; elle a été dans tous les siècles : on l’a toujours vue
remplir le monde de veuves et d’orphelins, épuiser les familles d’héritiers, et faire
périr les frères à une même bataille. Jeune Soyecour1 ! je regrette ta vertu, ta pudeur,
ton esprit déjà mûr, pénétrant, élevé, sociable ; je plains cette mort prématurée qui te
joint à ton intrépide frère, et t’enlève à une cour où tu n’as fait que te montrer :
malheur déplorable, mais ordinaire ! De tout temps les hommes, pour quelque
morceau de terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se
brûler, se tuer, s’égorger les uns les autres ; et pour le faire plus ingénieusement et
avec plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles qu’on appelle l’art militaire ; ils
ont attaché à la pratique de ces règles la gloire ou la plus solide réputation ; et ils ont
depuis renchéri de siècle en siècle sur la manière de se détruire réciproquement. De
l’injustice des premiers hommes, comme de son unique source, est venue la guerre,
ainsi que la nécessité où ils se sont trouvés de se donner des maîtres qui fixassent
leurs droits et leurs prétentions. Si, content du sien, on eût pu s’abstenir du bien de ses
voisins, on avait pour toujours la paix et la liberté.
Note :1le chevalier de Soyecour et son frère venaient de mourir à la bataille de Fleurus (1690). A
travers cette anecdote qui a marqué l’actualité de son temps, La Bruyère évoque les guerres
permanentes menées par Louis XIV conttre les pays voisins.
Dubois. – Point de bien ! votre bonne mine est un Pérou1 ! Tournez-vous un peu, que
je vous considère2 encore ; allons, Monsieur, vous vous moquez, il n’y a point de plus
grand seigneur que vous à Paris : voilà une taille qui vaut toutes les dignités possibles,
et notre affaire est infaillible, absolument infaillible ; il me semble que je vous vois
déjà en déshabillé3 dans l’appartement de Madame.
Dorante. – Quelle chimère4 !
Dubois. – Oui, je le soutiens. Vous êtes actuellement dans votre salle et vos
équipages5 sont sous la remise6.
Dorante. – Elle a plus de cinquante mille livres de rente7, Dubois.
Dubois. – Ah ! vous en avez bien soixante8 pour le moins.
Dorante. – Et tu me dis qu’elle est extrêmement raisonnable ?
Dubois. – Tant mieux pour vous, et tant pis pour elle. Si vous lui plaisez, elle en sera
si honteuse, elle se débattra tant, elle deviendra si faible, qu’elle ne pourra se soutenir
qu’en épousant ; vous m’en direz des nouvelles. Vous l’avez vue et vous l’aimez ?
Dorante. – Je l’aime avec passion, et c’est ce qui fait que je tremble !
Dubois. – Oh ! vous m’impatientez avec vos terreurs : eh que diantre!un peu de
confiance ; vous réussirez, vous dis-je. Je m’en charge, je le veux, je l’ai mis là9 ; nous
sommes convenus de toutes nosactions ; toutes nos mesures sont prises ; je connais
l’humeur de ma maîtresse, je sais votre mérite, je sais mes talents, je vous conduis,
et on vous aimera, toute raisonnable qu’on est ; on vous épousera,toute fière qu’on est,
et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous ? Fierté, raison et
richesse, il faudra que tout se rende. Quand l’amour parle, il est le maître, et il parlera :
adieu ; je vous quitte ; j’entends quelqu’un, c’est peut-être Monsieur Rémy ; nous
voilà embarqués ; poursuivons. (Il fait quelques pas, et revient.) À propos, tâchez que
Marton prenne un peu de goût pour vous. L’amour et moi nous ferons le reste.
Notes: 1 «Un Pérou» : très avantageuse (jeu de mots avec les mines d’or du Pérou et la belle
apparence de Dorante).2 . «Que je vous considère»: que je vous regarde.. 3«En déshabillé» : en
vêtement d’intérieur.4. «chimère»: ici, rêverie 5 .«équipages»: voitures à cheval . 6 «sous la
remise»: au garage 7 « rente»: revenu annuel élevé qui équivaut pour Araminte à plus de 560000
euros 8 « soixante»: Dubois estime à environ 680 euros /an le revenu de Dorante marquant
l’écart entre sa situation et celle d’Araminte. 9. «je l’ai mis là»: le personnage indique sa tête.
DORANTE
Dispensez-moi de la louer, Madame : je m'égarerais en la peignant. On ne connaît rien
de si beau ni de si aimable qu'elle ; et jamais elle ne me parle, ou ne me regarde, que
mon amour n'en augmente.
ARAMINTE baisse les yeux et continue.
Mais votre conduite blesse la raison. Que prétendez-vous avec cet amour pour une
personne qui ne saura jamais que vous l'aimez cela est bien bizarre. Que prétendez-
vous ?
DORANTE
Le plaisir de la voir quelquefois, et d'être avec elle, est tout ce que je me propose.
ARAMINTE
Avec elle ! Oubliez-vous que vous êtes ici ?
DORANTE
Je veux dire avec son portrait, quand je ne la vois point.
ARAMINTE
Son portrait ! Est-ce que vous l'avez fait faire ?
DORANTE
Non, Madame ; mais j'ai, par amusement, appris à peindre ; et je l'ai peinte moi-même.
Je me serais privé de son portrait, si je n'avais pu l'avoir que par le secours d'un autre.
ARAMINTE, à part.
Il faut le pousser à bout. (Haut.) Montrez-moi ce portrait.
DORANTE
Daignez m'en dispenser, Madame ; quoique mon amour soit sans espérance, je n'en
dois pas moins un secret inviolable à l'objet aimé.
DORANTE, plaintivement.- «De tout le reste de ma vie, que je vais passer loin de
vous, je n'aurais plus que ce seul jour qui m'en serait précieux.
ARAMINTE-Il n'y a pas moyen, Dorante ; il faut se quitter. On sait que vous m'aimez,
et on croirait que je n'en suis pas fâchée.
DORANTE-Hélas Madame ! Que je vais être à plaindre !
ARAMINTE-Ah ! Allez, Dorante, chacun a ses chagrins.
DORANTE-J'ai tout perdu ! J'avais un portrait, et je ne l'ai plus.
ARAMINTE-À quoi vous sert de l'avoir ? Vous savez peindre.
DORANTE-Je ne pourrai de longtemps m'en dédommager ; d'ailleurs, celui-ci
m'aurait été bien cher ! Il a été entre vos mains, Madame.
ARAMINTE-Mais, vous n'êtes pas raisonnable.
DORANTE-Ah ! Madame ! Je vais être éloigné de vous ; vous serez assez vengée ;
n'ajoutez rien à ma douleur !
ARAMINTE-Vous donner mon portrait ! Songez-vous que ce serait avouer que je
vous aime ?
DORANTE-Que vous m'aimez, Madame ! Quelle idée ! qui pourrait se l'imaginer ?
ARAMINTE, d'un ton vif et naïf.-Et voilà pourtant ce qui m'arrive.
DORANTE, se jetant à ses genoux.-Je me meurs !
ARAMINTE-Je ne sais plus où je suis. Modérez votre joie ; levez-vous, Dorante.».
Scène XII.
BÉLINE ; ARGAN, étendu dans sa chaise ; TOINETTE.
TOINETTE, feignant de ne pas voir Béline. – Ah ! mon Dieu ! Ah ! malheur ! quel
étrange accident !
BÉLINE. – Qu’est-ce, Toinette ?
TOINETTE. – Ah ! madame !
BÉLINE. – Qu’y a-t-il ?
TOINETTE. – Votre mari est mort.
BÉLINE. – Mon mari est mort ?
TOINETTE. – Hélas ! oui ! le pauvre défunt est trépassé.
BÉLINE. – Assurément ?
TOINETTE. – Assurément ; personne ne sait encore cet accident-là ; et je me suis
trouvée ici toute seule. Il vient de passer entre mes bras. Tenez, le voilà tout de son
long dans cette chaise.
BÉLINE. – Le ciel en soit loué ! Me voilà délivrée d’un grand fardeau. Que tu es sotte,
Toinette, de t’affliger de cette mort !
TOINETTE. – Je pensais, madame, qu’il fallût pleurer.
BÉLINE. – Va, va, cela n’en vaut pas la peine. Quelle perte est-ce que la sienne ? et de
quoi servait-il sur la terre ? Un homme incommode à tout le monde, malpropre,
dégoûtant, sans cesse un lavement ou une médecine dans le ventre, mouchant,
toussant, crachant toujours ; sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatiguant
sans cesse les gens, et grondant jour et nuit servantes et valets.
TOINETTE. – Voilà une belle oraison funèbre !
BÉLINE. – Il faut, Toinette, que tu m’aides à exécuter mon dessein ; et tu peux croire
qu’en me servant, ta récompense est sûre. Puisque, par un bonheur, personne n’est
encore averti de la chose, portons-le dans son lit, et tenons cette mort cachée, jusqu’à
ce que j’aie fait mon affaire. Il y a des papiers, il y a de l’argent, dont je veux me
saisir ; et il n’est pas juste que j’aie passé sans fruit auprès de lui mes plus belles
années. Viens, Toinette ; prenons auparavant toutes ses clefs.
ARGAN, se levant brusquement. – Doucement.
BÉLINE, surprise et épouvantée. – Ahi !
ARGAN. – Oui, madame ma femme, c’est ainsi que vous m’aimez ?
TOINETTE. – Ah ! ah ! le défunt n’est pas mort.
ARGAN, à Béline, qui sort. – Je suis bien aise de voir votre amitié, et d’avoir entendu
le beau panégyrique que vous avez fait de moi. Voilà un avis au lecteur, qui me rendra
sage à l’avenir, et qui m’empêchera de faire bien des choses.
Au vrai, cette Française vécut son enfance dans l’Yonne, son adolescence parmi des
peintres, des journalistes, des virtuoses de la musique, en Belgique, où s’étaient fixés
ses deux frères aînés, puis elle revint dans l’Yonne et s’y maria, deux fois. D’où, de
qui lui furent remis sa rurale sensibilité, son goût fin de la province ? Je ne saurais le
dire. Je la chante, de mon mieux. Je célèbre la clarté originelle qui, en elle, refoulait,
éteignait souvent les petites lumières péniblement allumées au contact de ce qu’elle
nommait « le commun des mortels ». Je l’ai vue suspendre, dans un cerisier, un
épouvantail à effrayer les merles, car l’Ouest, notre voisin, enrhumé et doux, secoué
d’éternuements en série, ne manquait pas de déguiser ses cerisiers en vieux
chemineaux et coiffait ses groseilliers de gibus poilus. Peu de jours après, je trouvais
ma mère sous l’arbre, passionnément immobile, la tête à la rencontre du ciel d’où elle
bannissait les religions humaines…
– Chut !… Regarde…
Un merle noir, oxydé de vert et de violet, piquait les cerises, buvait le jus, déchiquetait
la chair rosée…
– Qu’il est beau !… chuchotait ma mère. Et tu vois comme il se sert de sa patte ? Et tu
vois les mouvements de sa tête et cette arrogance ? Et ce tour de bec pour vider le
noyau ? Et remarque bien qu’il n’attrape que les plus mûres…
– Mais, maman, l’épouvantail…
– Chut !… L’épouvantail ne le gêne pas…
– Mais, maman, les cerises !…
Ma mère ramena sur la terre ses yeux couleur de pluie :
– Les cerises ?… Ah ! oui, les cerises…
Dans ses yeux passa une sorte de frénésie riante, un universel mépris, un dédain
dansant qui me foulait avec tout le reste, allégrement…
Et si tu arrivais, un jour d’été, dans mon pays, au fond d’un jardin que je connais, un
jardin noir de verdure et sans fleurs, -si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne
ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et
poussiéreux, tu m’oublierais, et tu t’assoirais là, pour n’en plus bouger jusqu’au terme
de ta vie!
Il y a encore, dans mon pays, une vallée étroite comme un berceau où, le soir, s’étire
et flotte un fil de brouillard, un brouillard ténu, blanc, vivant, un gracieux spectre de
brume couché sur l’air humide… Animé d’un lent mouvement d’onde, il se fond en
lui-même et se fait tour à tour nuage, femme endormie, serpent langoureux, cheval à
cou de chimère… Si tu restes trop tard penché vers lui sur l’étroite vallée, à boire l’air
glacé qui porte ce brouillard vivant comme une âme, un frisson te saisira, et toute la
nuit tes songes seront fous…
Écoute encore, donne tes mains dans les miennes : si tu suivais, dans mon pays, un
petit chemin que je connais, jaune et bordé de digitales d’un rose brûlant, tu croirais
gravir le sentier enchanté qui mène hors de la vie… Le chant bondissant des frelons
fourrés de velours t’y entraîne et bat à tes oreilles comme le sang même de ton cœur,
jusqu’à la forêt, là-haut, où finit le monde…C’est une forêt ancienne, oubliée des
hommes, et toute pareille au paradis, écoute bien, car…
Comme te voilà pâle et les yeux grands ! Que t’ai-je dit ? Je ne sais plus… je parlais,
je parlais de mon pays, pour oublier la mer et le vent… Te voilà pâle, avec des yeux
jaloux… Tu me rappelles à toi, tu me sens si lointaine… Il faut que je refasse le
chemin, il faut qu’une fois encore j’arrache, de mon pays, toutes mes racines qui
saignent…
Et les violettes elles-mêmes, écloses par magie dans l’herbe, cette nuit, les reconnais-
tu ? Tu te penches, et comme moi tu t’étonnes ; - ne sont-elles pas, ce printemps-ci,
plus bleues ? Non, non, tu te trompes, l’an dernier je les ai vues moins obscures, d’un
mauve azuré, ne te souviens-tu pas ?… Tu protestes, tu hoches la tête avec ton rire
grave, le vert de l’herbe neuve décolore l’eau mordorée de ton regard… Plus
mauves… non, plus bleues… Cesse cette taquinerie ! Porte plutôt à tes narines le
parfum invariable de ces violettes changeantes et regarde, en respirant le philtre qui
abolit les années, regarde comme moi ressusciter et grandir devant toi les printemps
de ton enfance…
Plus mauves… non, plus bleues… Je revois des prés, des bois profonds que la
première poussée des bourgeons embrume d’un vert insaisissable, – des ruisseaux
froids, des sources perdues, bues par le sable aussitôt que nées, des primevères de
Pâques, des jeannettes jaunes au cœur safrané, et des violettes, des violettes, des
violettes… Je revois une enfant silencieuse que le printemps enchantait déjà d’un
bonheur sauvage, d’une triste et mystérieuse joie… Une enfant prisonnière, le jour,
dans une école, et qui échangeait des jouets, des images, contre les premiers bouquets
de violettes des bois, noués d’un fil de coton rouge, rapportés par les petites bergères
des fermes environnantes… Violettes à courte tige, violettes blanches et violettes
bleues, et violettes d’un blanc bleu veiné de nacre mauve,- violettes de coucou
anémiques et larges, qui haussent sur de longues tiges leurs pâles corolles inodores…
Violettes de février, fleuries sous la neige, déchiquetées, roussies de gel, laideronnes,
pauvresses parfumées… Ô violettes de mon enfance ! Vous montez devant moi,
toutes, vous treillagez le ciel laiteux d’avril, et la palpitation de vos petits visages
innombrables m’enivre…
Sylvie GERMAIN (née en 1954), Jours de colère, Chants, « Les frères », 1989
Situé dans un passé indéterminé, le roman de Sylvie Germain Jours de colère prend
place dans les forêts du Morvan. Le texte suivant est extrait d'un chapitre intitulé « Les
frères ». Il présente les neuf fils d’Ephraïm Mauperthuis et de Reinette-la-Grasse.
Ils étaient hommes des forêts. Et les forêts les avaient faits à leur image. À leur
puissance, leur solitude, leur dureté. Dureté puisée dans celle de leur sol commun, ce
socle de granit d'un rose tendre vieux de millions de siècles, bruissant de sources,
troué d'étangs, partout saillant d'entre les herbes, les fougères et les ronces. Un même
chant les habitait, hommes et arbres. Un chant depuis toujours confronté au silence, à la
roche. Un chant sans mélodie. Un chant brutal, heurté comme les saisons, - des étés
écrasants de chaleur, de longs hivers pétrifiés sous la neige. Un chant fait de cris, de
clameurs, de résonances et de stridences. Un chant qui scandait autant leurs joies que
leurs colères.
Car tout en eux prenait des accents de colère, même l'amour. Ils avaient été élevés
davantage parmi les arbres que parmi les hommes, ils s'étaient nourris depuis
l'enfance des fruits, des végétaux et des baies sauvages qui poussent dans les sous-bois
et de la chair des bêtes qui gîtent dans les forêts ; ils connaissaient tous les chemins
que dessinent au ciel les étoiles et tous les sentiers qui sinuent entre les arbres, les
ronciers et les taillis et dans l'ombre desquels se glissent les renards, les chats
sauvages et les chevreuils, et les venelles 1 que frayent les sangliers. Des venelles
tracées à ras de terre entre les herbes et les épines en parallèle à la Voie lactée,
comme en miroir. Comme en écho aussi à la route qui conduisait les pèlerins de
Vézelay vers Saint-Jacques-de-ComposteIle. Ils connaissaient tous les passages
séculaires2 creusés par les bêtes, les hommes et les étoiles.
La maison où ils étaient nés s'était montrée très vite bien trop étroite pour pouvoir les
abriter tous, et trop pauvre surtout pour pouvoir les nourrir. Ils étaient les fils d'Ephraïm
Mauperthuis et de Reinette-la-Grasse.
Notes:1 Venelles : petits sentiers.2 Séculaires : qui existent depuis cent ans ou davantage.