L'Enfer Des Femmes Études Réalistes (... ) Pélin Gabriel bpt6k64416865

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L'Enfer des femmes.

Études
réalistes sur les grandes
dames, dames, bourgeoises,
boutiquières, femmes
d'employés, [...]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Pélin, Gabriel. Auteur du texte. L'Enfer des femmes. Études
réalistes sur les grandes dames, dames, bourgeoises,
boutiquières, femmes d'employés, ouvrières, servantes, lorettes
et femmes tolérées. Leur position et leurs misères dans la bonne
ville de Paris, par Gabriel Pélin. 1861.

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L'ENFER DES FEMMES
ÉTUDES RÉALISTES

SLFL LES

CitAàDES DAMES, DAMES, BOURGEOISES, BOUTIQULÈUES,


FEMMES D'EMPLOYÉS, OUVRIÈRES, SEllYANTES..
LORETTES ET FEMMES TOLÉRÉES.

Leur position et leurs misères dans la bonne vilte de Paris

pn

GABRIEL PÉLIN

PRIX OU CENTIMES

PARIS
L'ÉCRIVAIN ET TOUBON, ÉDITEURS,
RUE DU PONT-DK-LOD1, 5.
ET cirez LUCIEN MARPON, LIBRAIRE, GHEIUE III; L'ODKOS, A et G.

1861
L'ENFER DES FEMMES.

ÍTrnES RFALTSTE.
ccall. T\|itnji-ai>liiu Je K.I'i'.PLC-
L'ENFER DES FEMMES
ÉTUDES RÉALISTES

SUR LES

GRANDES DAMES, DAMES, BOURGEOISES, BOUTIQU1ËRES,


FEMMES D'EMPLOYÉS, OUVlUÈRES, SERVANTES,
LORETTES ÈT FEMMES TOLÉRÉES.

Leur position et leurs misères dans la bonne villede Paris

TAn

GABRIEL PÉLIN

:
pnix 50 centimes.

PARIS
L'ÉCRIVAIN ET TOUBON, ÉDITEURS,
RUE DU PONT-DE-LODI, 5.
ZTCHEZFRUCHARD, PALAIS-ROTAL, ubraihie FAïusiïm,

1861
INTRODUCTION.

Il y a bien longtemps que, pour la pre-


mière fois, j'ai lu dans je ne sais plus quels
livres et entendu dire par je ne sais com-
bien de gens que Paris était le paradi, des
femmes et l'Enfer des chevaux.

;
Ce dicton pour certains prend la force
d'une vérité démontrée, d'un axiome ce-
pendant en étudiant les choses de près,
en pesant sérieusement la valeur de ce luxe
(souvent factice) dont la femme se plaît à
s'entourer et en fouillant sous l'habit, peut-
être trouvera-t-on plus de misères, plus de
souffrances que de joies pour peupler l'éden
édifié par le dicton populaire que je viens
de citer.
Si je voulais le controverser et l'attaquer
sérieusement, il ne serait pas difficile de
démontrer que le cheval est beaucoup
moins maltraité dans la capitale que dans
la province, et que l'enfer des chevaux est
de beaucoup préférable au paradis d'une
foule de chrétiens.
Il ne faudrait pas de grands efforts de lo-
gique pour arriver à prouver qu'en re-
tournant le dicton, il serait bien plus rap-
proché de la vérité.
Paris le Paradis des femmes! Triste para-
dis, bien peu à envier si elles ne devaient
pas en attendre un meilleur.
Hélas! pour beaucoup vous verrez qu
l'éden se transformera en une demeure
bien sombre, sous les dentelles les cache-
mires et le velours, nous trouverons, dans
le brillant Paris, ces misères morales dont
le Dante oublia de peupler son enfer.
Par en bas, nous rencontrerons la me-
nace, incessante de la fC-Îm, et un coin de
la jupe de ces malheureuses accroché à la
roue de l'omnibus qui conduit à la Morgue
et au charnier.
Partout des aspirations de luxe, une ap-
parence de richesse, et presque partout la
misère, ce grand ennemi de l'humanité.
Misère du dénûment! misère morale!
deux grandes calamités qui trônent en sou-
veraines dans les grandes villes, au sein d'un
tourbillon où tout s'engouffre et disparaît
sans qu'on le sache, sans qu'on le voie.
Le chant de l'orgie étouffe le bruit des
agonies. qu'importe? Personne ne se con-
naît!.
Par une pudeur instinctive àlaquelle même
obéissent les plus mauvais, chacun cache
ses ulcères. L'évangile a dit :
Tu ne découvriras pas tes nudités.

Aussi la foule ne voit que l'habit, et elle


juge sur l'habit.
Paris, au soleil, étale sur les épaules de
celles qui le peuplent des parures resplen-
dissantes.
Qu'est-ce que cela?
C'est la corbeille de la fiancée de Ruy
Gomès de Sylva :

« Vous n'allez pas au fond.


V.HUGO, (Hernani).
C'est au fond des choses qu'il faut cher-
cher pour les bien connaître.
C'est là aussi que nous allons trouver
la négation du dicton populaire qui veut
que la femme ait son paradis dans la grande
capitale au milieu de laquelle serpente la
Seine.
PARADIS OU ENFER.

CHAPITRE PREMIER.

LA GRANDE DAME-

Celle-là est évidemment la plus favorisée,


elle règne en vertu d'un certain nombre de
millions. Elle domine la position de toute
la puissance de ses domaines, sa dot est
immense, elle est par conséquent plus pres-
tigieuse que les titres de tous les Montmo-
rency, les Mortemart, les Clermont-Ton-
;
nerre. De bien beaux noms, ma foi mais
qui, dépourvus de numéraire, ne seraient
pas en bloc cotés dix francs à la Bourse, ce
grand crytérium de la valeur nominale de
chacun.
Si je me reportais d'un siècle en arrière,
il est évident que je n'irais pas chercher
cette valeur dans le camp des millionnaires,
n'ayant d'autres titres que ceux des écus.
Les écus n'étaient pas encore une no-
blesse, il fallait les doubler de. quelque
vertu. et le Juif Samuel Bernard sut com-
bien coûtait l'honneur de s'asseoira la table
d'un roi!

;
Les hommes changent, le temps modifie
les choses et les principes tel qui brillait
au premier rang tombe et se voit broyer
sans pitié sous les pieds de la foule qui
'chantait sa gloire.
Le siècle est sans pitié pour les gran-
deurs qui périclitent!
En l'an deux mille, on ne fera même pas
l'aumône aux, descendants desrois!.
Mais je m'éloigne de mon sujet, je m'em-
presse d'y revenir.
La grande dame de nos jours, c'est la
;
veuve, la femme, la fille ou la sœur du
:
puissant qui est vingt fois millionnaire
voilà ses parchemins et ses brevets. Elle n'a
qu'à ouvrir la bouche pour commander;
elle est servie comme par enchantement;
elle est une puissance devant laquelle tout se
courbe, elle est reine dans son hôtel comme
le marin sur son bord.; à moins qu'elle
ne soit elle-même'sous la puissance de quel-
que mari cacochyme et hargneux. Vienne
son décès, la femme la plus triomphante,
c'est l'heureuse veuve du mari dont je viens
d3 parler.
Si elle joint comme accessoire de sa for-
tune une couronne de comtesse ou de mar-
quise, luxe qu'on peut se procurer à peu de
frais aujourd'hui, il ne manquera rien au
prestige de sa puissance.
Son hôtel dépassera en élégance confor-
table, le luxe des gros banquiers israélites
ses voisins, leurs chevaux seront distancés
par les siens, elle pourra se faire reine du
turff, et y faire applaudir à mille excentri-
cités de mauvais goût. Que ne passe-t-on
!
pas à une veuve La grande dame veuve,
tutoie ses fournisseurs et ses laquais. On
assure qu'elle se chauffe à son foyer en
allongeant ses jambes à la façon de. Cel
;
daines si elle avait sa fortune en moins, on
lui trouverait des allures plus que compro-
mettantes, mais ses plus grands écarts
seront qualifiés de laisser-aller charmant.
Celle-là aura son paradis dans toutes les
capitales, je ne vois aucune raison pour
qu'elle ne l'ait pas à Paris.

Si au lieu d'être femme libre, notre


grande dame n'est encore que demoiselle,
voyons si la riche héritière aura une posi-
tion aussi belle que celle que nous venons
de citer.
Son enfance aura évidemment été en-
tourée d'une foule de soins, elle aura été
préservée du biberon Darbo, et autres in-
génieux instruments, inventés pour la des-
ruction et l'étiolement de l'espèce. Une
nourrice aux saines mamelles, des langes
soyeux, toutes les recommandations hygié-
niques auront été observées pour elle on;
en aura pris soin, comme de ces choses
fragiles qui peuvent être brisées par le

;
moindre choc, flétries par le moindre
souffle on l'aura entourée de maîtres, ou
-

confiée à quelque communauté splendide,


où on l'a élevée en l'apprenant à vivre dans
la contrainte et l'orgueil.
La vie de la grande dame, obligée par sa
fortune qu'elle craint de compromettre, va
se flétrir associée à la gloire de quelque
maréchal de France, ou d'un quasi-prince
sexagénaire, ayant conservé au moins au-
tant d'accès de goutte et de rhumatismes
que de souvenirs glorieux.
En général c'est ainsi.
Beau privilège, ma foi! et je me demande
à quoi servent les millions?
Espionnée par un nombreux domestique,
la grande dame se flétrit prématurément
sous les exigences de la société qui l'entoura
et dont elle est l'esclaev.
Elle ne peut pas jalouser la fortune d'au-
trui, mais plie enviera les talents ou la
beauté de ses amies, la coupe élégante
d'une robe bien portée.
Il est vrai qu'en compensation de cette
atrophie du cœur à laquelle elle semble
presque toujours condamnée, elle peut dé-

;
fruyer ses ennuis en tyranisant ceux qui
l'entourent !
hélas il lui faut bien cette sa-
tisfaction, pour mettre en contre-poids avec
les battements de ce cœur auquel il n'est
pas permis de parler, et qui bondit, avide
d'aspirations, comprimé sous les dentel-
les, cachemires et diamants, tristes orne-
ments, que parfois elle voudrait échanger
contre une robe de bure et la liberté !
Si le côté des aspirations du cœur fait
défaut, l'orgueil peut les compenser en-
core, et celle qui s'en nourrit enivrée par
l'encens qu'on prodigue à ses titres et à
sa fortune, vit sans doute heureuse dans
l'ivresse que lui donne le tourbillon des
fètes et l'encens qu'on lui brûle.
On sait aussi qu'elle pourra atteindre
l'idéal du bonheur terrestre, si à trente ans
elle devient veuve.
Mais malheur à la grande dame dont la
fortune vient à crouler, elle tombera tout
à coup du haut de l'échelle sociale.
A une époque où tous sont sans pitié
pour les grandeurs qui périclitent, malheur
à toutes les existences déclassées, malheur
à tous ceux dont la puissance a pour seule
base la valeur qui se cote à la Bourse, ou
que constate le trébuchet du changeur.
Il me souvient d'une jeune reine, alors
sans couronne (que j'ai servie), dont un
maître de poste retint les malles, et qui
faillit ne pas trouver une auberge pour abri-
ter sa royale tête, dans un temps où le vent
del'adversité soufflait sur ses deuxroyaumes.
Il y a bientôt trente ans de cela; depuis
cette époque, les choses ont été loin de se
modifier, notre machine sociale, en se ré-
gularisant, n'est devenue que plus froide et
plu ositive. -
Les gloires passent et ne durent qu'un
jour.

:Pour passer triomphant à travers le siè-


cle remplissez vos poches deducats.
CHAPITRE DEUXIÈME.

LA DAME-

Voilà une qualification assez élastique, et


qui a besoin d'être déterminée.
Il est plus difficile d'être dame, que grande
dame.

;
N'est pas évidemment dame qui veut,
bien que le mot soit générique il faut quel-
que chose de plus que la fortune pour être
dame.
Madame Potasse est une femme riche,
cY-t une buurgeoise, mais enfin dans la
saine acception du mot, co n'est pas une
dame.
Pour être dame, il faut avoir la forme et
le vernis de la civilisation, cela doublé de
quelques incriptions au grand-livre, de
terres, de maisons ou de valeurs équivalen-
tes, être artiste (non bohème), vivre dans
le monde et y avoir conquis son droit de
cité.
Voilà comment je comprends la valeur
du mot.
Il y a bien encore quelques dames faites
par l'autorité du nom et de la position du
mari qui s'est en quelque sorte mésallié;
celles-là usurpent évidemment la position,
au lieu d'être déclassées elles sont trop clas-
sées.
Elles l'entendent quelquefois dire.
derrière elles, leur privilége leur coûte très-
cher, si elles ont assez de tact pour com-
prendre les épigrames qu'on leur décoche
sous forme de compliment, et les sourires
moqueurs qui les accompagnent dans ce
monde où elles ont forcé la consigne et
passé en fraude.
!a dame de Paris est en général spiri-
;
tuelle d'une fécondité remarquable à l'en-
droit des lieux communs, elle parle actua-
lités et littérature avec une certaine verve
elle excelle dans la discussion des choses
;
de goût; elle a de l'artiste. En fait de mo-
des et de toilettes, elle n'a sa pareille nulle
part.
Distancée au point de vue de la fortune
par la grande dame, elle rachète cette in-
fériorité par l'adresse et le goût. Elle ne
peut pas remuer l'or à poignées, elle se rat-
trapera avec ces riens coquets qui sont
supérieurs à la richesse d'une parure mas-
sive. Puis enfin, au besoin, pour sou-
tenir bravement le choc dans la lutte. elle
mêlera adroitement le strass et le diamant
bien fin, ma foi, qui le jour du bal ira en
;
faire la constatation.
La dame est moins guindée, moins es-
clave que la grande dame, elle sait sourire
à propos, son collet est moins haut monté,
ses salons sont composés de notabilités
moins authentiques peut-être, niais on y
trouve plus d'esprit et de franche gaité.
La dame ayant plus d'espace pour se
mouvoir, plus de liberté et d'occasions de
pécher est assez souvent pécheresse; son
mari s'en aperçoit rarement, et c'est jus-
tice à lui rendre, soit qu'il ait accepté la
philosophie de notre époque, ou qu'en
homme sage, il juge prudent de laisser pas-
ser le mal qu'il ne peut éviter, on le voit
rarement jeter les hauts cris et profiter des
dispositions barbares de l'art. 324 du Code
pénal. S'il est par hasard dans l'obligation
de voir les choses, il fait en sorte de s'en
tirer en homme d'esprit, et il y réussit sou-
vent.
H. que vous connaissez tous, avait, il y

;
a quelques mois, oublié je ne sais quoi dans
sa chambre il rentre sans se faire annoncer,
et voilà. voilà. comment vousdirai-je?.
11 trouveG. un de ses bons amis,en con-
versation. animée avec sa femme. 11 n'y
a pas moyen de part et d'autre de nier la
chose. R. en prend bravement son parti.
il s'avance résolument vers sa commode.
G. croit qu'il va prendre auelqu'arme
pour le punir. alors il se jette à genoux.
R. avait pris tout bonnement son porte-
feuille. Il s'empresse de calmer G., il lui

:
dit en le relevant et en prenant le ton de la
commisération la plus profonde

!
étourdi
Hé bien! cher, vous m'en voyez
Comment, vous?. vous, qui n'y
êtes pas obligé!.
Notre homme, après avoir dit, sort le
plus tranquillement du monde.
Qu'en dites-vous?
Niladameni G. n'ont ébruité l'aventure;
mais Martine, la femme de chambre de
madame, avait aussi vu et entendu, c'est
par elle que j'ai su la chose qu'elle m'acon-
fiée sous le sceau du secret.

C'est assez généralement chez la dame


qu'on trouve le plus de Irio et de laisser-
aller. Il lui passe quelquefois des fantai-
sies de grande dame qui sont de l'extra-
vagance poussée à la quatrième puissance
le mari qui, peu expert dans la valeur des
;
chiffons et des dentelles, ne s'ost
-
pas douté
des dépenses formidables faites par ma-
dame, se voitsouvent assailli par une ava-
lanche de factures qui le mèneraient inévi-
tablement à Clichy, si la dette était com-
merciale.
Témoin madame D. la femme du juris-
consulte, la spirituelle madame D. qui, en
dix-huit mois de temps, avait trouvé moyen
de faire, chez sa lingère, une petite dette
de 37,518 francs, plus quelques centimes,
consiencieusement facturés par la mar-
chande.
Ajoutez à cela que D. a cru trouver ma-
dame en contravention formelle avec les
prescriptions de l'art. 212 duCode. Il a eu la
maladresse de le crier sur les toits et de de-
mander une séparation.
Heureusement l'innocence de madame a
débordé dans les documents fournis au pro-
cès, elle est sortie triomphante. D. a été
débouté de sa demande. c'était justice.
tout le monde sait que madame est char-
mante.
La dame est le véritable principe vivi-
fiant de la vie parisienne, elle a générale-
ment les idées avancées, bien souvent, en
politique, son mari lui doit ses plus heu-
reuses inspirations.
Nous ferons bon marché de ses péchés
mignons de jeunesse, Pardonnez-lui Sei-
gneur, etc. Elle est coquette, ce n'est pas
un crime; médisante. eh mon Dieu, c'est
le moyen de faire briller un esprit malicieux
et de chasser l'ennui. Si j'osais l'accuser
je dirais, non pas qu'elle manque de foi, elle
en est pleine. que son cœur se refuse à
l'espérance. oh que non pas; elle espère
toujours. être adorée, s'enrichir en-
core, etc., etc. Elle aurait toutes les ver-
tus théologales si elle possédait la cha-
rité.
Cette vertu lui fait généralement défaut,
surtout quand elle vieillit, la dame qui se
fait vieille et qui ne vit pas au milieu de ses
enfants, devient ordinairement hargneuse
et plus avare encore, justifiant ainsi la pa-
role évangélique.
Qui sordibus est, et sordescat adhuc.
Comme elle n'est plus adulée, elle s'en-
goue et se passionne pour un épagneul
ou un caniche blanc qu'elle fait tondre
en lion, et auquel elle adjoint un perro-
quet.
Ces deux animaux deviennent alors sa
vie et sa joie.
Elle craint toujours que le chien, em-
porté par la fougue de ses passions, aille se
perdre loin du quartiër, ou que l'oiseau fa-
vori ne s'envole ou ne mange une branche
de persil.
Avec ses deux bêtes elle tient ses ser-
vantes en haleinè, elle lçg fait courir
et damner pour des riens mycroscopiques.
Elle épie leurs moindres mouvements, elle
veille à la consommation du .charbon, et

;
crie à ladilapidation pour une braise mal
étouffée elle renferme tout sous clef, pèse
le pain qu'elle donne, et prétend que sa
cuisinière, qui a tout à gogQ, vole par vora-
cité le- pain de son chien pour le manger en
cachette.
La vieille dame, tondrait au besoin sur
un œuf; elle attire à elle comme si elle de-
;
vait vivre pendant des siècles elle se fait
détester de ses serviteurs. Ses anciens amis
la fuient parce que son esprit est toujours
à
disposé-
vouloir livrer bataille au genre humain :
la médisance, et qu'elle semble

elle fait le vide autour d'elle, parcequ'elle


ne veut rien rabattre de son orgueil et de
ses prétentions admissibles un demi-siècle
plus tôt, mais devenues ridicules avec le
temps. Détestée de tous et maudissant son
entourage, type d'égoïsme et de rapacité,
elle finit par mourir presque seule, sans
qu'une larme l'accompagne.
Elle lègue ordinairement une pension à
son chien, qui embarrassant bientôt ses
héritiers,meurt. par accident dans le
canal ou dans la Seine, ayant au cou
quelque lourde pierre appendue à son col-
lier.
Hâtons-nous de le dire, les damesde la
bonne ville de Paris sont loin d'être toutes
moulées sur le type que je viens de citer;
la majeure partie terminent leur carrière
comme elles l'ont commencée, c'est-à-dire
dans le sein de la famille près du foyer, où
elles se voient rajeunir et reproduites dans
la personne de leurs enfants, qui perpétuent
cette bonne tradition de la vive et spiri-
tuelle Parisienne prototype des mœurs et du
goût de la civilisation de la capitale du
monde élégant.
Noël pour les dames de Paris
Mais ce monde élégant dont la dame est
le plus bel ornement, tient matériellement
au point de vue du chiffre une bien petite
place au milieu de ces masses compactes
qui ondulent dans la Cité. Si la dame
trouve en partie son éden dans nos murs,
elle n'est qu'une fraction bien minime de la
grande société dans laquelle riches et gueux
viennent se débattre.
Passons outre en posant toutes fois no-
tre chiffre, plus tard nous ferons l'addition
et le bilan général.
CHAPITRE TROISIÈME.

LABOURGEOISE.

Elle ressemble beaucoup à la dame, et

différence bien marquée;


cependant il y a entre les deux types une
on pourrait dire
qu'à quelque chose près la position de for-
tune est la même, mais les mœurs diffèrent
ainsi que les prétentions.
La bourgeoise est beaucoup plus simple
et bien moins prétentieuse que la dame, il est
évident que le défaut de prétentions repose
en grande partie sur le manque d'habitude
et le défaut de savoir de ces riens qui font
la femme du monde et qui lui donnent son
droit de cité.
La bourgeoise, qui est en général rentière,
marchande retirée desaffaires ou femme
,
d'un ex-industriel enrichi, au lieu de cher-
cher comme la dame à faire remonter sa
généalogie à quelque origine princière, tient
à orgueil de dire qu'elle a vendu de la dra-
perie ou des épices, et qu'à force d'ordre et
d'économie elle est arrivée à être tout aussi
cossue que les grandes dames.
Le mot cossu a été créé pour la bour-
geoise; elle a moins de luxe apparent que
la dame, mais ce qu'elle a est moins colifi-
chet et plus sérieux; enfin, pour trouver le
mot propre, labourgeoise est cossue, sa mai-
son est plus sérieuse et mieux administrée
que celle de la dame, elle est moins sujette
aux revers de fortune.
Le mari de la bourgeoise est presque tou-

:
jours garde national, il est quelquefois dé-
coré; sa femme l'appelle mon bichon o*
monsieur Prud'homme, elle le choie, et elle a
pour lui tous les égards ? cependant le bour-
geois est bien rarement en première ligne
dans le domicile social où madame Prud'
homme a toujours le haut pavé.
Quant à la fille de la bourgeoise qui a
des aspirations plus élevées que celles des
auteurs de ses jours, elle se marie, devient
dame et quelquefois grande dame. -

Dans ces deux conditions, en admettant


qu'elle s'y maintienne, elle perd presque
toujours au change.
La maison du bourgeois est essentielle-
ment prosaïque; mais c'est justice à lui
rendre, c'est encore là que se conservent
le plus religieusement les traditions hon-
nêtes, on y retrouve encore la loi de la fa-
mille, et à défaut de poésie, on y conserve
l'honnêteté et la bonté du cœur.
La maison du bourgeois de Paris ressem-
ble beaucoup à celle du bourgeois de pro-
vince, c'est peut-être ce qui fait sa supé-
riorité.
Dans quelques années le type de la bour-
');SJ parisienne sera probablement effacé,
il sera de lui comme de l'épicier de 1830 :
le nom restera, mais le type se sera abâ-
tardi, perdu.
Si le titre de bourgeoise parisienne n'é-
tait pas un titre de transition et la con-
séquence heureuse d'une longue suite de
labeurs, je dirais probablement qu'en de-
hors de la farandole de nos idées extrava-
gantes de luxe et d'aspirations aux choses
fantastiques, la bourgeoise est la représen-
tation de la vie tranquille au milieu du ta-
page et des tentations du luxe effréné de
Paris.
Elle y vit heureuse à peu de frais.
tend à se retirer des murs de la
Mais elle
capitale, bientôt on ne la trouvera plus que
dans la grande banlieue.1
CHAPITRE QUATRIÈME.

LABOUTIQUIÈRE.

Malgré la transformation de l'ancienne


boutique sombre que remplace aujourd'hui
l'élégant et brillant magasin, il ne faut pas
trop se hâter de croire que celles qui vivent
dans ces cages dorées doivent y couler des
jours aussi resplendissants que l'enseigne
dont elles sont propriétaires.
0 vous qui cherchez les privilèges, les
joies et le bonheur, passez votre chemin et
!
cherchez ailleurs
Voyons ce qu'est pour la femme la vie de
la boutique, et quelles sont les délices ré-
servées à celles qui sont les reines du comp-
toir.
La fille du marchand ne passe en géné-
ral que quelques années dans les pensions;
elle y va, ordinairement, de treize à seize
ans; ses parents lui font à cette époque

sons:
quitter l'arrière-boutique pour deux rai-
la première, parce qu'ils espèrent

;
à sa rentrée qu'elle pourra remplacer
le teneur de livres la seconde, c'est qu'il
est possible qu'on la marie, qu'une fille
bien éduquée se place mieux, et qu'on peut
réduire sa dot.
Que la boutiquière soit issue de mar-
chands, ou que le marchand qui l'a épou-
sée l'ait prise dans une autre classe pour
ses écus, sur lesquels on a compté pour
payer. le fond acheté à crédit ou pour
parer au déficit d'une position embrouillée,
voyons ce que fait la pauvre marchande sur
la banquette de velours où elle se trouve
condamnée à s'asseoir, toujours, toujours,
toujours; moins heureuse qu'Asraël, le juif
symbolique, qui lui, au moins, voit depuis
des siècles des pays et des hommes nou-
veaux.
La marchande restera toujours à son
poste de comptoir, obligée par son enseigne;
il faut qu'elle sourie à la pratique, qu'elle
subisse ses caprices, ses exigences; à l'heure
où la boutique se ferme croyez vous
? -
qu'elle va se reposer Que non pas, elle se
doit aux soins du ménage, et bien souvent
encore le mari, qui le jour lui souriait en
public, se fera grondeur et tyrannique; le
brave courtaud sera en présence d'une
fin de mois embarrassée; l'huissier sera
venu déposer sa carte, signe du protêt
de quelque lettre de change, ou bien en-
core le propriétaire, qu'on n'aura pas soldé
en temps utile, aura en vertu de l'article
819 du Code de procédure fait saisir gager
le mobilier et menacé d'une expulsion de
lieux.
Oh! combien j'en connais, de ces pauvres
femmes de marchands dont la vie s'use en
une lutte incessante contre la ruine qui
-
les menace. Elles sourient au chaland.
Mais si leurs lèvres grimacent un sourire,
elles ont la mort dans l'âme.
Qu'une crise commerciale se fasse sentir!
;
c'est sur la femme qu'en retombe presque
toujours tout le poids le mari court il est
vrai pour conjurer l'orage; son activité lui
est une distraction, un soulagement; si il se
courbe quelques heures sur ses livres, il
peut au moins fuir momentanément la mai-
son et ses ennuis, mais la femme. Elle
restera là toujoursjusqu'à ce que la maison
croule ou qu'elle soit sauvée, toujours à
son poste comme le commodore sur son
banc de quart.
La femme du marchand, rapetissée aux
exigences de la boutique, se flétrit sans
avoir connu la vie, elle devient mère sans
avoir goûté les joies de l'hymen, elle est
sage même contre son gré; le comptoir et
les centyeux qui l'entourentsont engénéral
un vertugadin à toute épreuve.
A cette généralité il est sans doute quel-
ques exceptions, certaines maisons croulent
aussi par le fait de l'inconduite de la femme,
mais là encore il y aurait beaucoup à dire,
et ce serait s'écarter de notre sujet qui re-
pose sur les généralités et non sur des ex-
ceptions.
Mais je vous le demande, est-ce bien une
existence que cette vie sans air passée à la
même place entre un carnet d'échéance,
des plateaux et des poids, et n'est-ce pas
payer bien cher les oripeaux qui brillent
au gaz!. maigre compensation du servage
sous lequel se courbe la femme du bouti-
quier de Paris.
Cherchons-en de plus favorisées, car dans
la position qui lui est faite, je ne vois pas
qu'elle ait dans notre bonne ville une part
de paradis.
CHAPITRE CINQUIÈME.

LA FEMME DE L'EMPLOYÉ-

C'est une des positions les plus fausses,


les plus intolérables que les grandes villes
ont seules le triste privilége de créer.
La femme de l'employé est le type de la
vie restreinte rendue horrible par les aspi-
rations de luxe, par les besoins d'une pré-
tendue position.
L'employé est généralement un homme
propre et bien brossé, ciré, civil en la
forme, qui, quand il a dix-huit cents francs
d'appointements, est presque toujours aussi
capable que le sous-chef qui est rétribué à
quatre mille, avec cette différence cepen-
dant, que l'employé à dix-huit cents francs
fait dix fois plus de besogne que le sous-
chef.
L'employé est homme du monde, pres-
que toujours bachelier, quelquefois doc-
teur. c'est enfin un homme bien léché.
Il représente, et est dans l'obligation de
représenter quatre fois plus que sa solde
ne le permet. Cependant on exige cela -
de lui. Il ne prendra pas une femme à
açons communes, il lui faut une femme
élégante et distinguée, c'est obligatoire
pour lui, à peine de destitution.
Bref, notre homme se marie, il prend une
;
dot de dix, de vingt, de trente mille francs
sa femme est spirituelle, vive, elle a accepté
pour la valeur de l'habit l'époux que ses
parents lui ont désigné.
C'était charmant avant le mariage, c'est
charmant encore pendant deux ou trois
mois.
Au bout de ce temps, l'employé s'aper-
çoit que les charmes et les quinze cents
francs qu'il a épousés sont insuffisants.
La nouvelle épousée, qui avait cru trou-
ver l'abondance dans son ménage, com-
mence aussi à expérimenter la vie en s'im-
posant des privations qui lui laissent de
cruelles déceptions sur les rêves qu'elle
avait faits.
Mais nous ne sommes pas au bout des mé-
comptes, la famille vient; alors. il n'est
pas de misère dorée plus navrante, plus
profonde que celle-là.
Il faut paraître, il le faut, à peine de dis-
crédit, de retrait d'emploi, ou tout au moins
de croupir dans le même bureau, sans avan-
cement.
On ne -sait pas, on ne saura jamais ce
qu'ont coûté d'efforts à acquérir le chapeau

femme !.
de velours et le burnous de la pauvre

Pour les acheter, il a fallu économiser sur


la chandelle, le bois et le sel, sur les legu-
mes du pot-au-feu hebdomadaire, sur le sou
de lait du déjeuner des enfants!
La maison est entourée de créanciers
criards, ils viennent glapir à tour de rôle,
et le 28 de chaque mois, quelque bijou,
quelqu'oripeau va se déposer en cachette
dans les bureaux de l'administration phi-
lantrophique qui soulage les nécessiteux à
raison de i3 0/0 l'an.
Cette vie-là durera tant que l'héritage de
quelque parent ne sera pas venu combler le
déficit. ou encore jusqu'au jour où solli-
citant la bienveillance du chef de division,
la femme de l'employé obtiendra (pour son
mari) des gratifications et un avancement
dûs à son mérite, bien entendu.
La femme de l'employé a beaucoup plus
de liberté que la femme du marchand, elle
a le temps nécessaire pour solliciter.
Si elle sait intéresser, la position maté-
rielle du couple doit s'améliorer. si l'ins-
pecteur est le parrain de l'enfant.
Il faut être indulgent pour la pauvre
femme dont le mari, machine à expéditions,
vient régulièrement chaquejour, de neuf à
cinq heures, mettre sa plume à la solde des
Excellences.
Dans cette position de femme d'em-

;
ployé, il y a à enregistrer bien des fa-
tigues, bien des misères laissons passer la
femme du pauvre hère, passons chapeau bas
devant une des misères engendrées par les
besoins croissants de notre orgueil, et cher-
chons ailleurs la femme dont Paris est le
paradis.
CHAPITRE SIXIÈME.

L'OUVRIÈRE.

Peut-être troùverons-nous sur les der-


niers degrés de notre échelle hiérarchique
les heureuses que nous cherchons.
Voyons Jenny Vouvrièreau cœur content, etc.
S'il faut en croire la chanson, j'ai trouvé,
et je vais pouvoir poser ma lanterne.
En observant les choses de près, je m'a-
perçois que les Jenny sont rares, il en est
très-peu qui refusent la richesse pour. Je
demanderai au chansonnier ce qu'il a pré-
tendu faire préférer à sa Jenny, en me le
disant, il m'obligera beaucoup.
!
Oh !
le triste tableau quelle longue liste
de souffrances de toutes sortes! Prenons
notre courage à deux mains pour en tracer
rapidement l'esquisse.
L'ouvrière (même dans le nouveau Paris)
se trouve dans des logements malsains, où
l'air est raréfié, sinon par le vice de cons-
truction de l'édifice, mais par le fait de l'a-
glomération d'une trop grande quantité de
gens entassés dans un étroit espace.
Chacun sait quel est le prix des loyers, et
l'impossibilité matérielle pourcertainesgens
de se pourvoir d'un local suffisant. Alors
les familles pauvres s'entassent dans un lo-
cal étroit qu'un spéculateur philanthrope
loue en faisant payer le terme d'avance, et
faisant également signer un congé qui le
met à même d'expulser le locataire qui ne
serait pas en mesure de payer d'avance le
terme suivant.
Dans ces espèces de cités ouvrières, il
faut s'empresser de le constater, le proprié-
taire, pourvu qu'on le paie, laisse jouir le
locataire à sa guise. Il peut chanter, crier,
boire et battre, c'est son privilége. Il peut
avoir autant de chats, de chiens, d'amis et
d'enfants qu'il jugera convenable, le pro-
priétaire ne s'en préoccupe pas.
Aussi les maisons occupées spécialement
par des ouvriers, sont quelque chose
;
de navrant à voir une promiscuité révol-
tante vient ajouter encore son immoralité
aux miasmes de l'air corrompu par une trop
nombreuse agglomération, et par mille cho-
ses sans nom qui, haillons infects, sont les
tristes oripeaux de l'habitant.
La loi du Seigneur a dit à l'homme
ne découvriras pas ta nudité.
: Tu

Mais à côté de cette loi et des instincts


pudiques, viennent lutter victorieusement
les instincts des besoins impérieux de la
brutalité, et alors. la nudité se découvre
dans toute sa laideur.
Là, il ne reste plus rien des instincts pu-
diques, que le mot brutal; rien n'abruti
comme la misère!.
Avec ce hideux fléau meurt la poésie, le
cœur s'engourdit, l'âme se perd.
L'homme courbé sous sa loi, se rapetisse
au niveau de la brute, et dans ses aspira-
tions aux joies qui font que la vie est un
bienfait, illes réduit aux sensations anima-
les et il se fait homme dégénéré.

l'homme,
La malédiction du Seigneur qui pèse sur
a fait que le coupable est atteint
dans sa descendance jusqu'à la septième
génération
Ce
;
n'est pas une menace vaine, c'est une
vérité navrante, palpable que je vais dé-
montrer.
Hideux exemples, pourriture morale, vi-
rus du sang artériel du père, tout cela se
transmet. et ce n'est qu'à la septième gé-
nération, que le sang et les mœurs ont pu
se régénérer, quand la Providence permet
que ceux qui sont rongés par la lèpre mo-
rale et dont le sang est vicié, fassent des
efforts pour arriver à la régénération.
Plaignons donc les filles pauvres élevées
dans les langes du dénument, et dont .le
cœur fatalement perverti par l'exemple, a
dû fausser le sens moral.
Atrophiées par la misère, héritières d'un
sangapauvri, tuées moralement par l'exem-
ple des vices du père. que voulez-vous
donc qu'elles fassent, je vous le demande,
dites-le moi?
Vous avez trouvé moyen d'améliorer les
races ovines, bovines, chevalines, etc., on
va améliorer, à Canton, les habitants du
Céleste-Empire, et on quête pour les petits
Chinoisons destinés à l'engraisl

Hé messieurs les
1 philanthropes, qui amé-
liorez si bien tant de choses, tâchez donc
d'améliorer ce qui est à votre porte, dans
vos maisons, vous ne manquerez pas de be-
sogne, je vous le promets 1

MM. les économistes ont fait de bien sa-


vantes combinaisons, et se sont démontré
victorieusement à eux-mêmes qu'avec telle
somme dérisoire, qu'ils ont accusée en tou-
tes lettres, l'ouvrière rangée pouvait, non-
seulement, par son travail, fournir à tous les
besoins de sa vie, mais encore grossir cha-
que semaine son épargne, et, qïe vous di-
?
rai-je acquérir non-seulement des trésors

;
dans le ciel, mais quelques petits coupons
de rente puis enfin, de fil en aiguille, l'in-
térêt des intérêts aidant, devenir.
L'économiste a le talent de prouver àtout
le monde qu'il est on ne peut plus sim-
ple de devenir millionnaire. Pour plus
amples renseignements, je renverrai à l'au-
torité du livre qui enseigne le moyen de se
faire six mille livres de rente en élevant
des lapins dans un grenier. Apportez-moi
un de ces rentiers-là.
Puisque nous parlons de l'ouvrière pari-
sienne, il faut bien dire quelques mots sur
sa famille, la façon dont son éducation s'ac-
complit, et quels sont les exemples qui lui
sont donnés.
la ménage d'ouvriers.

C'est en prenant le terme moyen le plus


favorable, que nous en présenterons le ta-
bleau, et c'est dans les positions régulières
et légales que nous prendrons notre exem-
ple.
:
Nos mariés ont le mari vingt-six, la
femme dix-huit ans. Leur petit ménage
est au complet. Nos jeunes gens ont de bons
bras et bon courage, et la première année
ils ont pu arriver à faire quelques écono
mies; les voilà en bonne voie, tout va bien.
Un premier enfant arrive, la santé de
la femme en est altérée, les ressources di-
minuent, les dépenses ont augmenté.
Les choses vont ainsi en s'amoindrissant,
pour peu que le troisième enfant arrive, et
Iue le travail soit venu à faire momenta-
lieraient défaut, le ménage change alors
d'aspect.

;
Ce ne sont plus les meubles neufs et co-
quets de la première année tout cela s'est
flétri par le temps et le manque de soin.
La chambre est devenue un taudis.
Cependant les ouvriers luttent coura-
geusement; mais le mari tombe malade
à son tour, la misère se creuse encore, le
terme ne se paie pas, le propriétaire donne
congé. En changeant de maison, l'ou-
vrier change de mœurs; il subit l'influence
de ses nouveaux voisins qui ont depuis long-
temps été tributaires de la misère chroni-
que qui leur a imprimé son cachet fatal.
Un revirement complet s'opère.
On jette, comme on dit, le manche après
la cognée, on ne croit plus à l'avenir, et
on ne compte que sur le présent. A
quoi m'a servi l'économie, se dit le mari,
me voilà de dix ans plus vieux, et je
n'ai fait que rétrograder. Je me suis re-
fusé toutes les jouissances, j'ai eu tort,car
si j'avais pris mon plaisir où je pouvais le
trouver je n'en serais pas plus pauvre, et
j'aurais au moins joui de la vie.
Quand l'ouvrier en est arrivé à raisonner
ainsi, la maison est perdue.
Une fois qu'il a franchi la porte du caba-
ret, et qu'il s'y trouve en compagnie des
rigoleurs, le ménage devient un enfer.
Dans cette condition c'est le mari qui
s'est fatigué le premier.
Je ne viens pas prétendre qu'en d'autres
cas, la femme n'abandonne la maison pour
faire comme la châtelaine de Framboisy ;
:
mais en majorité c'est le mari qui quitte le
poste le premier voilà pourquoi je cite
l'exemple à ce point de vue.

Rien n'abrutit comme la misère, rien ne


"- dénature et ne pousse aux choses mauvai-
ses comme les besoins impérieux qu'elle
enfante; rien ne dégrade, n'avilit davan-
tage!
C'est qu'aussi c'est une terrible chose que
cette misère quand elle vient se greffer sur
une nature honnête et laborieuse qui tombe
écrasée par elle, quand tout a été mis en
œuvre pour échapper à son étreinte fa-
tale.
- !
J'ai été, hélas à même de l'expérimenter
bien souvent. Combien j'en ai vu de ces
pauvres cœurs confiants faire leur entrée
dans la vie avec cette ardeur et cette hon-
nêteté dignes d'un autre siècle ! Ils croyaient
à l'avenir, ils luttaient courageusement,
puis après dix années de fatigues, ils
étaient obligés de s'arrêter. ils avaient
faim !
Ils avaient faim et cependant ils s'étaient
usés dans les veilles et dans les pratiques
!
de la vertu Ils avaient travaillé sans jouir
et sans se plaindre, mais enfin ils s'arrê-
taient, désespérés, doutant de la Providence,
A côté d'eux passait en ricanant un scep-
tique de coin de borne qui leur jetait quel-
que raillerie amère.
Et cette raillerie les' mordait au cœur,
ils commençaient à maudire, révoltés dans
leur conscience de juste, mais déjà sur la
pente de la réaction; ils montraient le
poing en parodiant la menace de la troisième
:
Catilinairo
!
Quousquè tandem Catilina
Leur Catilina. c'est la chaîne à laquelle
est soudé l'anneau d'un.,travail pénibleet
insuffisant.
Le Catilina c'est. demandez-le partout
où les mystères de la création ont été dé-
montrés. demandez-le à ceux qui sont
assez forts pour expliquer les lois fatales
devant lesquelles doivent se courber tous
ceux qui, pétris du mêmelimon, trouveront
un jour l'égalité dans la poussière du char-
nier!
Passons. et revenons à notre sujet
Fatigué par le travail et les privations.
le cœur de l'ouvrier s'aigrit enfin. il veut
jouir, et c'est dans les joies de l'ivresse
qu'il va chercher ses consolations.
Bientôt la misère devient plus profonde
encore. mais il a trouvé dans l'alcool et
dans les immondices de la barrière un sur-
excitant qui l'attire, ainsi que les profon-
deurs du gouffre font subir leur attraction
à ceux qui ont l'imprudence de vouloir se
pencher sur ses bords.
Dans cette voie et dans la hideuse com-
pagnie qu'il a rencontrée, le malheureux
voit bientôt l'instinct moral s'effacer de son
cœur. Que lui importent ses enfants sa
femme.! Ce sont, dit-il, les éléments pri-
mordiaux de sa misère. Il les voit souffrir
sans s'émouvoir, son cœur s'est racorni,
il n'a plus de tressaillements pour les misè-
res des siens.
Il faut avoir été à même d'étudier de près
les misères de la femme de certains ouvriers
pour se rendre compte de tout ce qu'elles
ont d'horrible.
Le samedi de la quinzaine arrive. onze
heures du soir. La femme et les enfants
!

attendent. personne n'a soupé, le père a


dû recevoir sa paie. mais il n'est pas ren-
tré. Dans quel cabaret peut-il être?.
A minuit le voilà qui rentre. Dans quel
état, grand Dieu!. son œil est terne et fa-
rouche, il s'avance en titubant et en mon-
trant le poing.
Chacun s'écarte, on tremble. on atten-
dra qu'il se soit endormi pour chercher
dans ses poches les débris de la somme
qu'on lui aura donnée pour ses salaires:
mais, les poches seront vides!. et. Je
n'essaierai pas de dépeindre les angoisses
de la malheureuse femme, et je ne vous
dirai pas non plus comment elle arrivera à
se pourvoir du pain nécessaire à sa nourri-
ture et à celle de ses enfants. c'est un
problème que je n'ai pas résolu.
La Providence! diront les croyants cyniques.
Ils ont soin de ne jamais douter d'elle parce
qu'elle les dispense de secourir leur pro-
chain.
On ne meurt pas de faim, disent ceux qui
sont repus.
On en meurt rarement en effet, mais le
corps s'use et se détruit par les privations
et l'excès de travail.
Il enest dontlavie toutentière n'est qu'une
lente agonie!
il faut avoir vu certaines choses pour
bien se persuader qu'elles peuvent exister;
il faut suivre pas à pas certaines existences
de femmes pour savoir ce qu'elles ont d'hor-
rible, et ce qu'il doit leur falloir de cou-
rage pour conserver la force de supporter
la vie et ne pas maudire. la création !
En vertu de ses droits d'administrateur
des biens de la femme, voyez-vous ce mari
dont l'abrutissement peut seul égaler l'im-
pudeur. Croyez-vous qu'il ait pitié des
maux qu'endure sa famille affamée ?
Pour satisfaire aux besoins honteux de ses
orgies avinées, il va vendre à vil prix, en
l'absence de sa femme, le chétif mobilier

bes de la mère de ses enfants !


de la maison, les draps, le matelas, les ro-

revendeur éhonté en fera son lucre.


Quelque

C'est le droit du mari. Vienne la femme,


elle sera impuissante à s'opposera ce crime
de lèzc-humanité1
!
C'est impossible s'écrieront bon nombre
de ceux qui me liront. ou si cela existe,
c'est un fait isolé anormal.
Demandez aux employés des bureaux
auxiliaires des monts-de-piété cc qu'ils en
pensent ; prenez encore l'avis d'un de ces
brocanteurs qui logent près des ruelles oÏ.
s'abrite la pauvreté que suit fatalement le
vice. et bientôt vous serez à même de vous
convaincre que ces faits monstrueux se pro-
duisent tous les jours en plein soleil, et
qu'ils sont pour ainsi dire dans l'ordre nor-
mal.
La chose la plus providentielle qu'il m'ait
été permis de constater au milieu de ces
misères horribles que nous coudoyons à
chaque pas sans les deviner, c'est que la
mort moissonne à pleine faux là où elles ré-
gnent et que le supplice de ceux qu'elles
étreignent devient moins long.
Ce ne sont pas les jeunes filles qu'attirent
les bals du grand monde, qui viennent peu-
pler prématurément l'ossuaire, ainsi que le
dit le poète auteur des Orientales, des Odes
et des Ballades :
Il faut que le blé tombe au Iramliant des faucilles

Oui, mais celles qui tombent fauchées


comme le blé mûr, ce sont les filles nées
dans les langes de la .misère, ce grand pour-
voyeur de la fosse commune.
Elles ne sont pas belles, heureuses, adorées;
ce n'est pas au sortir d'un bal que la mort
aux froides mains vient les prendre.
!
Hélas elles ne sont pas toutes parées, elles
n'ont que des haillons, et avant de s'endor-
mir dans le cercueil elles ont reposé sur un
grabat, car souvent elles n'ont pas pu ob-
tenir le privilège d'un lit d'hôpital!.
Tenez, cette jeune fille, elle n'a pas
;
quinze ans élevée dans une ruelle humide
et sombre, née de parents étiolés, nourrie
par un lait vicié, ayant déjà souffert mille
privations, elle travaille à une de ces ma-
chines sur laquelle sa pqitrine étroite se
rétrécit encore. Voyez comme ses joues
sont creuses et pâles, sa main amaigrie,
ses yeux ternes. Quelques mois de pa-
tience.
Elle a son suaire sur sa poitrine, il n'est
pas besoin d'être membre d'une Faculté mé-
dicale pour le voir.
Celle-là était vigoureusement organisée,
elle devait probablement se développer et
grandir en résistant victorieusement aux
fatigues qu'impose le travail. Mais un père
que je ne qualifierai même pas du titre
d'infâme. dans les excès de son intempé-
rance a porté une main impudique et homi-
cide sur la pauvre enfant!. Les dernières
années de sa vie s'écoulent en long mar-
tyre. Elle aussi a son suaire sur sa poi-
!
trine
Je ne puis vous croire La rumeur
publique. les gens du voisinage. on au-
rait souffert?.
Les sages de notre siècle ont crié à qui
a voulu les entendre:
Chacun pour soi, chacun chez soi.
Mais la police?.
Heu, heu. Ses cent yeux ne peuvent
pas encore voir et fouiller partout. Tan
que le scandale n'est pas public.
Il n'y a guère qu'un apôtre de la charité
capable de venir au-devant de certaines
misères, pour en panser les plaies, d'arrêter
certaines monstruosités. Le service qui se
commande, la raison d'égoïsme, qui fait de
vertu prudence, n'ont rien de commun avec
l'apostolat.
Je n'essaierai pas ici de faire le compte
des pauvres femmes dont les yeux et les
mains s'usent chaque jour, pendant plus da
seize heures pour gagner, non pas de quoi
vivre, mais juste ce qu'il fautpour les em-
pêcher de mourir.
Je ne signalerai pas l'égoïsme cupide de
ces grands faiseurs qui, pour gagner des
millions, pressurent encore les salaires des
malheureuses qu'ils emploient au rabais
faute de pouvoir faire fonctionner partout
les couseuses américaines.
Chacun reconnaît l'insuffisance du prix
eccordé en rétribution du travail de la
femme, mais personne ne s'est avisé d'y
chercher un remède.
Les salaires de la femme sont insuffisants,
elle ne peut vivre et rester honnête qu'à la
condition de s'imposer mille privations, car
rien ne vient en aide à sa faiblesse, si elle
ne se double pas de quelque protecteur,
dont le protectorat pourra souvent lui coû-
ter un redoublement de misères de toutes
sortes.
A chaque pas une difficulté se dresse
pour la femme. Elle veut vivre seule,
elle cherche un logement? -
Elle va se heurter à un portier qui lui
crie que ce qu'il loue est une chambre de
garçon.
Dans les ateliers elle est en but aux pro-
vocations du contre-maître, ce Lovelace au
petit pied plus cynique encore que le dan-
dy en frac à boutons ciselés. Souvent elle
est obligée de payer l'impôt de la souillure
pour conserver sa place au travail
A
!.
chaque pas nous rencontrons sur notre
chemin quelques-unes de ces filles-mères,
qui, abandonnées par les cyniques de bas-
étage qui ont effeuillé leur jeunesse, vont
en haillons traînant par la main les pauvres
enfants qu'une loi fatale leur a donnés.
Dieu sait seul par quelles misères elles
ont_été éprouvées, et le courage qu'elles
déploient pour élever dans leurs haillons
les petits êtres dont elles sont les mères.
Tristes images de la dégradation qui vient
au nom de la loi de la misère. Chacun s'é-
loigne en les voyant. on se souillerait aux
impuretés de cette, misère. Passez donc,
mais qu'on n'y insulte pas!
Pensez-y bien, on ne lutte pas contre la
fatalité, et en présence du cachet indélé-
bile qu'elle imprime, il faut s'incliner et se
découvrir, en remerciant Dieu de nous
avoir préservés de son étreinte.

!
Élevées dans un milieu honnête, combien,
hélas, sont tombées entraînées par ces mille
causes qui ne sauraient être appréciées que
par ceux qui ont étudié de près la vie, et
qui savent combien d'écueils sont placés
sur le bord du chemin.
Dans tout ce qui touche aux faiblesses de
la femme, on ne saurait jamais avoir trop
de tolérance. car combien d'entre elles
:
ont le droit de s'écrier
!
Ce n'estpus moi; c'est la fatalité
Ainsi, souvent, partis d'une position heu-
reuse, certaines ouvrièrs arrivent, sans qu'on
puisse leur reprocher un vice, une faiblesse,
à tomber aux derniers degrés de l'avilisse-
ment de la misère et à perdre insensible-
ment le sens moral. Mais encore pour
peu qu'un rayon de soleil, une amélioration,
un espoir viennent à luire, et leur donnent
quelque chance de se relever, elle recom-
mencent à lutter, et quelquefois cette
lutte se trouve couronnée de succès.
Mais il en est qui n'ont jamais connu le
bonheur et qu'on a pour ainsi dire élevées
au milieu des malédictions, dans les lai-
deurs du vice greffé sur la misère chroni-
que, et qui, comme nous l'avons dit, alors
qu'elles étaient tout enfants, ont vu décou-
vrir les nudités et les lèpres de leur mère
par un père plus hideux encore.
Pauvres filles dont les oreilles n'ont en-
tendu que des paroles obscènes et des ma-
lédictions, fatalement destinées à hériter
de la misère et des vices du père !
Qui de nous n'a pas vu et ne rencontre
pas, chaque jour, ces. enfants précoces, ua
teint hâve, flétries avant d'avoir vécu, cyni-
ques avant d'avoir touché à la vie, mortes
à toutes croyances, à tout sentiment autre
!
que celui des instincts brutaux, matériels
On ne rencontre ces types-là que dans
les grandes villes. et Dieu soit loué qu'il
;
en soit ainsi car cette portion de l'espèce
humaine est bien hideusement souillée,
bien fatalement prédestinée
qu'il y a d'horrible à souffrir.
à. tout ce

Vous n'avez pas fait le compte, et Parent


Duchatelet lui-même n'a pas fait le bilan
des misères de ces enfants fatalement livrés
à la souillure.
C'est une belle chose que la charité qu
court les mers, et qui se dévoue sur les
continents lointains pour améliorer des
hordes sauvages !
Il serait encore plus beau d'améliorer
notre prétendue civilisation, qui laisse tuer
des milliers d'enfants pervertis, dégradés
par ceux-là même qui leur ont donné le
jour.
Rien pour ainsi dire ne s'oppose à cette
dégradation. Le père élève ses filles comme
il l'entend ; la mère? eh bien, elle les pousse
dans la voie fatale. elle les livre, elle les
vend. pour un morceau de pain!
Elle les façonne pour le vol 1

Puis, enfin, ces êtres prédestinés au mal-


heur viennent s'asseoir un jour sur les
bancs de la sixième chambre. Révolté de
trouver dans des cœurs si jeunes tant de
perversité et d'impudeur, le juge sévit ri-
goureusement.
C'est de la justice humaine, elle frappe
ceux qui commettent les crimes, mais elle
ne fait rien pour les prévenir.
D'aiHeurs que ferait l'indulgence, si les
éléments de régénération et de moralisa-
tion manquent.
Il faudrait une phalange compacte d'apô-
tres de la charité, et je ne vois que le gen-
darme et ce qu'on appelle la police des
mœurs. Proh pudor.
Il n'y a que Triat l'athlète qui ait essayé
de régénérer l'homme. dans son gymnase de
l'avenue Montaigne.
CHAPITRE SEPTIÈME.

LES SERVANTES.

On n'a pas rendu justice à la domestique


parisienne, à la femme de ménage, à celle
qui entrètient vos salons ou vos boutiques.
c'est un tort.
La domestique n'a rien de commun avec
le laquais, cet être bâtard qui s'affuble d'une
veste rouge, d'une culotte courte et qui
porte la livrée du premier cuistre qui le
paie. le laquais, un animal né pour être
homme et qui se fait pilier d'anti-chambre
complaisant desvicesdumaître, qui l'empâte
et qui iepaie pour montrer sans doute jusqu'à
quel point il est permis de faire bon mar-
ché de la noblesse que le créateur a donnée
à chaque homme qui n'est pas abâtardi.
Certains faiseurs de statistiques ont pré-
tendu que la lorette vieillie passait souvent
à l'état de femme de ménage. C'est là une
grossière erreur.
La domestique se fait souvent lorette.
La lorette ne se fait presque jamais ser-
viteur de la maison, elle ne le pourrait pas,
elle n'aurait aucune des qualités nécessai-
res pour cette profession. car, qu'on ne
s'y trompe pas, les domestiques de Paris
sont de laborieuses ouvrières, et elles
n'existent qu'à cette condition.

;
La domestique parisienne est générale-
ment écrasée d'ouvrage et on lui demande
une série de talents qui seraient vraiment ;
dignes d'un meilleur sort.
Faire la cuisine, coudre, repasser, coiffer.i
madame, faire le ménage et souvent soigner i
les enfants on n'en demande pas moins e
chez certains petits bourgeois, qui, pour
comble, pèsent le pain et rationnent les
malheureuses que les placeurs leur don-
nent, moyennant un louage qui varie de
230 à 300 francs l'an.
La domestique qui fait tout dans une
maison, est vraiment un souffre-douleur
auquel on ne saurait tresser trop de cou-
ronnes.
Les filles d'auberge, les servantes de
boutiquiers ne sont guère mieux partagées,
les heures de repos qu'on leur accorde sont
sordides. Il faut toute la vigueur de la
jeunesse pour résister à cette vie d'escla-
vage et de labeurs incessants.
En s'élevant de quelques degrés, la posi-
tion de la domestique s'améliore.
La cuisinière bourgeoise est mieux ré-
tribuée; elle travaille beaucoup moins, elle
a plus de liberté, elle en profite souvent,
car elle a toujours un ou plusieurs cou-
sins, garde impérial, ou municipal.
La femme de chambre, qui, dans la hié-
rarchie tient le haut pavé, mieux mise
plus policée et beaucoup moins occupée

:
que les autres domestiques, vaut évidem-
ment beaucoup moins les vices des maî-
tres déteignent sur elle,; elle acquiert bien
rarement un reflet des vertus qu'ils peuvent
avoir.
Elle fait commerce d'amitiés avec le GO-
cher ou l'officieux de monsieur. monsieur
lui-même a quelquefois des bontés pour
elle, et il lui donne alors une petite dot.
Après elle devient épicière ou maîtresse
d'hôtel meublé.
Quand- j'ai dit que les lorettes ne deve-
naientjamais servantes, j'ai fait erreur.
De trente-cinq à quarante-cinq, elles
prennent quelquefois une spécialité; ce
sont elles qui invariablement font insérer
cette réclame dans les Petites" Affiches
S.
:
sachant faire la cuisine
« Mademoiselle
et coudre, désire se placer chez une personne
SEUL. »

L'iwmeti» majorité des domestiques pa-


rislennes sont laborieuses, et surchagées
d'un travail au-dessus de leurs forces..
Elles ne savent jamais à quelle heure de la
nuit elles pourront se reposer. Sans les
je
servantes, ne sais trop ce que deviendraient
les bons bourgeois de Paris. Grands dieux !
comment feraient ces dames ? par en haut
bien entendu.
La domesticité de la femme est lourde à
supporter, mais au point de vue des sa-
laires c'est peut-être la seule profession où
il soit permis de faire quelques économies.

Toutcompte fait, la domesticité enrichit


bien rarement celles qui y ontusé leur vie,
et parmi les élues appeléesàjouir du bien-
être il ne faut pas compter les servantes de
la bonne ville de Paris.
CHAPITRE HUITIÈME.

LESLORETTES.

Cette classe distincte, qui a pris son droit


de cité depuis quelques années seulement,
est un des types les plus curieux qu'on
puisse étudier dans la vie parisienne.
Elles ont été tour à tour l'objet d'un en- ,
thousiasme immérité et d'une diffamation
souvent flagrante. Pourquoi ?
Parce que, sans doute confondues dans
des catégories auxquelles elles n'appartien-
nent pas, la lorgnette de l'observateur in-
habile s'est arrêtée ailleurs que sur celles
auxquelles on peut donner ce nom.
11 ne suffit pas d'être jolie et de mœurs
faciles pour appartenir à la catégorie des
lorettes. car à ce compte il suffirait à la
femme de se lancer sans vergogne dans la
corruption, non cloitrée, pour devenir lo-
rette : et certes, il n'en est pas ainsi.
Il ne faut pas non plus confondre les lo-
rettes et les biches.
La lorette est d'une classe plus élevée.
et cependant la biche, n'ayant plus l'âge
qui lui permet d'être biche, peut s'élever
et
au rang de lorette, si son intelligence sa
bonne étoile le permettent.
Depuis 1830, année fameuse par le chan-
gement qui a commencé à s'opérer après
l'explosion des trois jours, on a vu s'amoin-
drir, s'effacer et disparaître complètement
la grisette, cette vive, généreuse, énergi-
que et débraillée compagne de l'étudiant
d'autrefois.
Je me la rappelle encore, avec son bonnet
à rubans, son petit cfiâle, son jupon cour
et ses souliers découverts attachés avec des
rubans de soie; elle donnait la vie au vieux
quartier latin, aujourd'hui croulé !
Nous dansions à la Chaumière, puis 1g
soir nous revenions en criant et chantant.
M. Prunier Quatremère nous mettait quel-
ques heures au violon. C'était le bon
temps.
Bohain était au Figaro. Il y avait un journal
qui s'appelait le véritable Mayeux,. on
s'amusait à Sainte-Pélagie. l'incomparable
Lequeux philosophait. nous avions des
duels et nous logions à seize francs par
mois (avec Louisette), rue des Grès, place
Cambray ou rue des Mathurins.
Vingt fois pour vous j'ai mis ma moutre en gage.
La crinoline ne trônait pas en souve-
raine. Nous allions dîner chez Rousseau
l'llquatiqne. et quand nous étions riches
chez Flicotteaux.
!
Oh c'était le bon temps.
Mais, hélas!. il n'y a plus de grisettes à
Paris, plus d'étudiants! 0 quartier latin,
qu'c-tu devenu?
Deux choses impossibles à trouver à Pa-
ris. c'est une vraie grisette, un vrai chien
carlin.
En revanche nous avons Bréda street.
Bréda street, le berceau de la lorette, cette
grisette améliorée ou dégénérée, les deux
termes sont applicables suivant le point de
vue sous lequel on veut l'envisager.
Si c'est sous le rapport du cœur, de
l'énergie et de la philosophie qui fait nar-
guer la misère et les préjugés, vivre gaie-
ment au jour le jour, en prenant les choses
comme elles viennent? la lorette est de cent
piques au-dessous de la défunte grisette.
Si c'est comme question de goût, de co-
quetterie, d'élégance et de drôleries fémi-
nines? la grisette est distancée de tout l'es-
pace qui sépare l'enfant de la nature et
l'homme policé.
Comment se sont créées les lorettes?
dites-le moi.
Comment avons-nous la télégraphie élec-
trique, les chemins de fer, le gaz, la photo-
graphie. et tout ce qui se succède comme
luxe et progrès depuis trente ans.
La lorette. c'est la fille de votre portier
ou celle du cordonnier en échoppe. c'est
celle de votre revendeuse ou du suisse de la
paroisse. c'est tout ce qu'il vous plaira;

! !
sauf dix mille actions sur la dette inscrite.
C'est la débauche la prostitution crie un
rigoriste.
Tout beau, mon maître. C'est l'esprit fé-
minin du dix-neuvième siècle.
La lorette, c'est le pendant du coulissier
ou de l'agent de change, c'est l'intelligence
par en bas, qui agiote sur l'art féminin
qu'elle possède et qui bat monnaie de son
intelligence féminine, comme l'agent do
change calcule et aide à la variation des
cours.
La spéculation racornit le cœur; rien de
hideux moralement comme l'agio, rien d'im-
pitoyable comme le chiffre, rien d'immoral
comme certainès spéculations.
Cependant les vertueux s'y livrent.
Un peu de tolérance pour la lorette, qui
est votre sœur et qui vous vaut à tous
égards, messieurs de la spéculation.
Si vous pouviez vendre votre âme, la
chose ne se ferait guère attendre. si votre
corps pouvait. parbleu! vous feriez comme
la lorette. et encore plus bas.
Pour en revenir à elle, nous dirons donc
que c'est tout bonnement une fillette rusée
qui s'est aperçue que mademoiselle X***,
qui revient de pension, est une grande
niaise qui, malgré ses maîtres et sa fortune,
n'a ni grâce ni esprit; elle voit qu'avec sa
pauvreté et un peu d'art elle est mille fois
plus attrayante qu'elle.
C'est si visible, que le prétendu de la de-
moiselle riche le reconnaît le premier, et il
fait prime pour la fillette qui, à défaut de
dot, pour se mettre à la hauteur de la
civilisation, se laisse coter, et une fois re-
connue comme valeur, met toute son habi-
leté à faire monter. les cours.
11 y a du génie dans la véritable lorette :

elle serait artiste si elle n'était pas dans


l'obligation d'être sans cœjr.
Sortie des conditions les plus infimes, en

;
quelques mois elle se fait aux habitudes du
urand excentrique on dirait qu'elle a tou-
jours été habituée à cette vie. A peine est-
elle dépouillée des haillons de sa position
première, elle donne le ton, elle invente,
elle crée les modes et tous les riens coquets
et provoquants.
Elle ne recule devant aucun sacri6ce
pour se rendre attrayante et pour se faire
un entourage de luxe apparent.
La lorette transforme volontiers son jeune
frère en groom, son père est parfois son
cocher. au rabais. sa mère. devinez, si
vous l'osel.

Elle étonne par sa prodigalité et par le


nombre des choses qu'elle dévore. On
assure que si elle gaspillait moins elle ne
séduirait pas. Ne faisant pas de folies, les
autres n'en feraient pas pour elle. C'est
possible.
,
C'est une curieuse chose à observer que
k la fière attitude de la haute lorette qui, de3
derniers rangs de la classe pauvre, s'est
élevée par un coup de dé heureux au pre-
mier rang de l'aristocratie des écus.
Voyez madame la comtesse de., elle a
un million de revenu, elle passe pour une
lionne dans le cercle de son aristocratie;
ses chevaux sont magnifiques, sa berline est
d'un goût exquis. Elle est parée comme les
vingt ou trente millions qu'elle représente.
Mais voilà une voiture dont le luxe écrase
le sien; ses chevaux deviennent mesquins
en présence de l'attelage splendide qui s'é-
lance comme un trait en chassant au loin la
poussière.
Dans cet équipage, il y a une femme
vêtue de telle façon que sa mise est indes-
criptible; c'est la fantaisie du luxe poussé
aux dernières limites; c'est le dernier raffi-
nement de la coquetterie. c'est un rêve !
Madame la comtesse et ses millions n'at-
teindront jamais la hauteur de cette mise
fantastique; elle jalousera et copiera impar-
faitement sa rivale, qui ne sera autre qu'Hé-
loïse Larfaillou, la fille de la marchande de
radis de la barrière des Amandiers !
Qu'on ne se le dissimule pas! c'est la lo-
rette qui donne le ton aux dames de la ca-
pitale. c'est un fait acquis.
La lorette est extravagante; mais ses
extravagances de costume, qu'elle renou-
velle à chaque instant, sont aussitôt cal-
quées par les dames du monde honnête. On
dirait qu'à tout prix elles veulent se faire
prendre pour. ce qu'elles ne sont pas.
En comparant la lorette à l'agioteur, ou
ne saurait trouver un parallèle plus exact.
Moralité, audace et façon d'être sont en
parfaite harmonie. Ils courent les mêmes
chances, avec le même entraînement.
Tous deux sont la vie factice de Paris.
La lorette, qui vit en spéculant sur les
vices de ceux qui l'entourent, est également
entourée par le commerce honnête qui spé-
cule sur ses immoralités pour en faire sa
curée.
Je commerce honm*le tond Pt vole impi-
;
toyablement la lorette il la harcelle et ca-
resse ses vices pour lui vendre à crédit.
Marchand de meubles,
Tapissier,
Horloger,
Marchandes à la toilette,
Coiffeur,
Maître de chant, etc., etc.,

;
Sont autant de vampires qui lui sucent le
sang artériel mais qu'on se rassure, ce sang
est celui qu'elle a sucé à ceux qui sont
venus près d'elle chercher les délices. de
Capoue.
La lorette donne la mesure de ce que
peut la femme intelligente qui se résigne à
employer les séductions que la création à
mises à sa disposition.
Afin de les mieux faire ressortir, elle va
parfois les étaler sur les théâtres secondai-
res, ou elle se fait encataloguer.
Si elle était comédienne, elle ne serait
plus lorette, car on ne peut courir deux
lièvres à la fois.
Une comédienne de mœurs aussi élasti-
ques qu'il vous plaira de la doter, n'est pas
lorette.
En somme, la lorette est vraiment une
des femmes les plus attrayantes de la créa-
tion parisienne.
Ce ne sont pas les jeunes lorettes qui
sont les plus appréciées, ce ne sont pas
elles qui font faire le plus de folies.
Sans intelligence, la femme n'est pas lo-
rette; jeune, elle est biche; en vieillissant
elle est. au bureau des mœurs.
Rigolboche, Alice, etc., ne sont pas des
lorettes.
La lorette qui passe trente ans, et qui a
su se maintenir dans une bonne position,
est à peu près sûre de l'avenir.
Elle a toujours des protecteurs sérieux
qui ne lui feront pas défaut, elle a acquis
une telle expérience de la faiblesse humaine
et tant d'habileté pour en faire jouer les
ressorts, qu'elle enfante des prodiges.
La lorette a le talent de vieillir lente-
ment, et comme ceux qui la connaissent
vieillissent comme elle, elle conserve tou-
jours ses avantages sur eux.
La lorette vieillie, que vous visitez le

:
matin, s'excuse toujours de vous avoir reçu
en négligé elle vient de se lever, elle n'est
pas coiffée.
Elle n'a en vérité que l'apparence du dé-
sordre, elle est déjà armée de toutes pièces,
de toutes ses séductions.
Ceux qui sortent ne se sont aperçu da
rien : ils l'ont trouvée charmante.
Ils ont raison, elle a de l'expérience et de
l'esprit.
La vieille lorette enrichie fournit peu de
types, puisque la création est nouvelle.
Elle sera probablement fort considérée.
les cloches carillonneront à toute volée à
son enterrement.
Que deviennent les lorettes qui péricli-
tent ou disparaissent de la scène?
Quelques-unes se marient dans de bonnes
conditions; une fois casées, elles sont la
personnification da l'ordre en conservan
leur esprit et une partie de leurs agré-
ments. elles deviennent dames.
D'autres, entraînées par la martingale fu-
rieuse du terrible jeu qu'elles ont tenu,
tombent écrasées sous les débris de leur
luxe et ne se relèvent plus. L'huissier les a
brisées; elles descendent toujours, toujours.
Il en est encore un certain nombre qui
meurent à la fleur de l'âge, pour avoir trop
vécu.
Quelques-unes se contentant de peu, se
casent dans un petit magasin et exercent
bourgeoisement une petite industrie. Un
monsieur âgé les protège ordinairement:
elles auront une part dans son testament.
La lorette a certainement quelquefois à
subir de dures épreuves, mais le tourbillon
dans lequel elle se laisse entraîner lui donne
une vie d'émotions fiévreuses qui ne doit
pas être sans charme.
Si parfois elle a ses déceptions et ses dou-
leurs, elle a aussi ses jours de joie et de
triomphe.
Retirez aujourd'hui le* lorettes au beau
Paris, et il deviendra morose; ôtez la Bourse
et les lorettes, et il deviendra désert.
Qui donnerait le ton aux grandes dames ?
qui égayerait nos boulevards et nos Champs-
Elysées?
Qui nous ferait damner, avec ces modes
impossibles qui nous donnent le droit de
nous poser en victimes?
Et aussi, disons-le, comment pourrions-
nous reconnaître les anges si nous n'avions
pas près de nous quelques malins démons ?
Il n'y a peut-être qu'un gros grief à arti-
culer contre la lorette :
C'est qu'en général elle est sans cœur.
Voyez comme en tout point elle ressem-
ble au boursier.
CHAPITRE NEUVIÈME.

, LES FEMMES TOLÉRÉES.

Nous voilà-arrivés au bas de l'échelle, à


ce point où il est impossible de descendre
encore!
En touchant à cette misère, j'essaierai
d'en faire l'analyse; je me garderai d'y
apporter une insulte. On peut s'éloigner
d'unfoyer de contagion; mais il faut penser
que même encore quand elles sont arrivées
à ce dernier degré d'abaissement, dans ces
groupes do femmes perdues dans la fange
du lupanar, se trouvent aussi de pauvres
créatures fatalement entraînées qui se sont
cramponnées en vain aux glissantes parois
des bords de l'abîme où les poussait le dé-
nûment et l'abandon.
A quelles sources vont se recruter les
phalanges compactes de ces malheureuses
filles, tristes aventurières du pavé boueux
de nos cités?

Impitoyable adversaire, la fatalité qui


creuse les hontes, prélève ici sa dtme dans
toutes les classes, et la fortune est le seul
plastron qui puisse garantir sûrement de
cette souillure que dispense dans sa sagesse
le bureau qu'on appelle le commissariat de
la police des mœurs.

En consultant les archives de ce même


bureau, on pourrait constater que, sur les
cartes qu'il a délivrées, il a inscrit bon nom-
bre de noms se rattachant à des familles
portant de glorieux blasons, a des princes
de la finance, à des glpires industrielles et
marchandes, à. Une loi delà création veut
que chacun sur terre ait sa part de honte
et de douleurs.

;
Paris, plus que toute autre ville de France,
est fatal aux filles pauvres au milieu de ces
mille bruits de la rue, on n'entend pas les
cris de détresse. Et d'ailleurs, dans ce pro-
fond égoïsme des opulentes cités, l'immense
majorité de ceux qui les peuplent passent
indifférents et s'éloignent quand quelque
chrétien, dans la détresse, fait entendre sa
voix plaintive.
Ne venez pas chercher ici l'hospitalité
des temps antiques.
AParis l'hospitalité se vend et ne se
donne jamais.
Que le malheur veuille qu'une pauvre fille
tfait pas d'asile. Orpheline, étrangère,elle
aura cherché en vain à utiliser ses bras.
Les placeurs ne lui auront pas trouvé
d'emploi; à bout de ressources, la voilà
obligée d'errer.
A ?
quelle porte ira-t-elle frapper

Quelle institution généreuse, fonction-


nant au nom de la solidarité chrétienne,
viendra en aide à cette honnête misère?.
Je cherche à quel endroit pourra aller s'a-
briter la pauvre fille. je ne trouve rien.

Ah! j'oubliais : je trouve la chambre


grillée au-dessus de laquelle luit la lanterne
rouge du bureau de police et la menace
des articles 269 et 271 du Code pénal1

Je suis bien loin de médire de dame po-


lice; depuis M. Vidocq, elle s'est singuliè-
rement améliorée! je m'empresse de re-
connaître que le sergent de ville, recruté
en partie dans les rangs des soldats libé-
rés du service avec de bonnes notes, laisse
fort peu à désirer à tous égards. Mais je
le demande, cette policespécialedes rnurs,
qui aurait besoin d'être faite par des hom-
mes spéciaux, experts dans la connaissance
de la vie, est faite par le premier venu des
soldats de la légion chargée de veiller ù la
sûreté des nuits de la capitale.
Pour ceux dont la vie a été toujours
exempte d'orages, et qui, élevés dans le
giron de la famille, n'ont jamais connu ces
misères noires qui parfois viennent flétrir
les plus honnêtes, il paraît incroyable
qu'une jeune fille puisse, sans avoir péché,
se trouver errante et sans asile.,..
Oui, cela étonne; et cependant souvent
!
c'est ainsi
Toutes les errantes de nuit ne sont pas
les filles de la débauche, sachez-le bien.

Souvent le médecin chargé de surveiller


la contagion de la syphilis, a pu constater
l'intelligence de l'agent qui traînait sur le
fauteuil de cuir une fille vierge, accusée
d'avoir provoqué sans autorisation du bu-
reau des mœurs!.
Plus loin encore, voyez-vous ce chirur-
gien brutal, blesser avec le hideux instru-
ment que je ne veux pas nommer, une pau-
vre malheureuse enfant qu'on a entraînée à
cette horrible Clinique, malgré les cris
qu'elle poussait. une autre vierge encore!
que le père, fou de rage, viendra réclamer.
dix minutes trop tard!.
Iln'y a donc pas de répression pour de
pareils actes?
Hélas! on a fait erreur; d'ailleurs ces
faits, si parfois ils pouvaient appeler une
enquête et un jugement, tomberaient dans
la série des crimes ou délits mentionnés
par l'article 364 du Code d'instruction cri-
minelle.
L'agent et le docteur n'auraient rien à
redouter.

A quoi tiennent les destinées de la femme?


Aun fil plus léger que celui de l'épée
symbolique de Damoclès.
Combien il en est de ces pauvres fil-
les qui, le soir, assises sur ces bancs qui
garnissent les boulevards de ceinture et
pensant à leur misère, se sont vues accos-
tées par un de ces hommes sans nom qui
venaient les tenter. Elles avaient le mal-
heur d'accepter le bras qui leur était of-
fert; alors ce bras les étreignait comme
-dans un étau, et elles se voyaient entraî-
ner. vers 1; poste voisin. Vous êtes
servie, leur criait le séducteur êmérite en
les poussant dans la prison provisoire.

Le lendemain les portes de Saint-Lazarre


voyaient encataloguer une fille soumise de
plus!
;
Cela se faisait naguère une prime était
accordée èn récompense à l'habile agent.
Ce hideux mode de recrutement est-il
encore en vigueur?
fose espérer que cette laideur a été ra-
diée.

0 l'horrible chose que la misère, pour b


femme qui se trouve perdue dans un
Paris!
Citons une petite histoire arrivée il y a
deux ans à un mien ami.
Il était environ onze heures du soir ; c'é-
tait par une des dernières belles soirées d'au-
tomne, notre ami flânait sur le boulevard
de Clichy.
Il aperçoit deux femmes qui se prome-
naient le long du mur d'enceinte, il s'ap-
proche d'elles. mon ami cherchait.. for-
tune.
La plus grande, qui avait. d'assez bonnes
manières, lui dit avec une certaine émotion :
Monsieur, mon amie que voilà est sans
asile; mon mari m'a défendu de la loger
plus longtemps chez nous, et je suis dans
l'impossibilité de lui venir en aide. Elle a
soupé avec nous ce soir. mais demain elle
n'aura pas de quoi déjeuner. Si vous vou-
lez l'emmener et lui être utile, vous ferez
une bonne action. Victorine est une benne
travailleuse et une honnête fille, mais. il
faut bien céder devant la nécessité.

Mon ami prit le bras de Victorine qui


tremblait, et son amie s'éloigna.
Il avait à peine vu son visage, il l'em-
mena au café d'Orient prendre un thé. Alors
il put voir que celle qu'il avait rencontrée
avait une mise décente, des façons honnêtes
et vingt ans à peine, de.plus elle était
jolie.

Notre ami, malgré le débraillé de ses ha-


bitudes, est homme de cœur, et il fut na-
vré en voyant la résignation désespérée de
cette femme qui, au hasard, s'était jetée à sa
merci.
Elle m'appartient par la loi de la misère,
pensa-t-il. Je n'en abuserai pas.

11loua une chambre


pour quinze jours
à cette pauvre délaissée, il lui donna quel-
ques menues pièces et il lui souhaita le'bon-
soir.
Le lendemain il vint lui demander à quoi
il pouvait lui être utile et ce qu'elle comp-
tait faire. Elle désirait entrer en place,
,
avoir des répondants et un livret.

Il lui fit avoir tout cela, et la plaça comme


femme de chambre dans une bonne maison.

Elle y est restée pendant près d'un an à


la satisfaction de ceux qu'elleservait. Puis
elle a changé de place et notre ami l'a per-
due de vue.

Il n'a jamais été récompensé du petit


service qu'il avait rendu. Mais il nous a
avoué qu'il avait presque regretté sa con-
tinence, et qu'il avait espéré retrouver plus

!.
tard ce qu'il avait refusé, par respect pour
les misères humaines

Cependant Victorine lui devait bien quel-


que chose, il lui avait évité probablenentkt
honte du fatal fauteuil de cuir. et une vie
de dégradation.
Il faut ajouter que toute excellente cham-
brière qu'elle est, Victorine se promène

;
avec un sapeur de la garde impériale, qui
doit être son cousin c'est cela qui pèse sur
le cœur de notre ami et qui l'a rendu fu-
rieux; néanmoins, la chose serait à recom-
mencer, il agirait encore de la même façon.
L'homme prend bien souvent la femme
en pitié; mais, la femme est presque tou-
jours impitoyable pour la femme. Celle-là
même qui par miracle a échappé à une
souillure, est plus impitoyable encore pour
celles qui, moins heureuses, ont succombé,
ou n'ont pas pu cacher la faute dont elle
a su faire disparaître la trace.
Généralement aussi ce n'est pas l'homme
qui perd la femme. Les femmes se perdent
entre elles, et les agents les plus puissants
de dépravation appartiennent au sexe fé-
minin.
Quels sont les recruteurs hideux de la dé-
bauche? A qui appartiennent cesnuisons
aux persiennes toujours fermées, dont le
rez-de-chaussée dépourvu d'enseigne fait
reconnaître sa spécialité par un numéro
aux proportions collossales?
Quels sont les entraîneurs des servantes
fraîches et jeunes nouvellement débarquées,
les limiers de débauche qui seglissent fur-
tivementjusques dans l'arrière-boutique du
marchand, et qui même sous l'oeil de la
mère viennent tendra leurs piéges et cor-
rompre les filles imprudentes et naïves?
0 honte! cesont des femmes. Si toute-
fois on peut encore leur donner ce nom.

Ce sont desfemmes. et quelques-unes


ont une patente. presque un brevet.avec
garantie du bureau de la police des
mœurs!. qui les désigne sous le nom de.
matrones.
La matroneestordinairement une grosse
femme à la figure enluminée, ayant le sou-
rire sur les lèvres, la voix rauque, l'œil vir
et dur.
C'est le vampire féminin. la bête décrite
parsaintJean l'Apocalypseest moins hideuso
qu'elle..
être réprouvé pour associer sor.
Il faut
existence à celle d'un pareil être.
Il s'en trouve cependant qui affronteu:
cette souillure.
La matrone se fait ordinairement épou -
ser par un ancien limier de la police de
mœurs !
J'ai vu, il y a quelques années, des An-
glais pendre haut et court, au bout d'un
filin élongé aux basses vergues, de bon-
Espagnols qui avaient quelque peu vendu
la chair noire humaine.
En bonne justice, un bout de cartahu se-
rait bien employé pour récompenser cel-
és qui prélèvent ainsi leur dîme sur la
corruption et la dégradation de la race hu-
maine.
Des négrophiles m'ont assuré que c'était
bonne justice que de pendre les trafiquants

;
de la chair humaine. J'aimerais à voir pen-
dre les trafiquantes mais celles qui, loin
d'avoir été fatalement entraînées, ont pris
-
slles mêmes soin de courir au-devant du
uce pour s'y vautrer à loisir?
Il en est sans doute ainsi pour quelques-
unes; mais, je le dis, elles comptent parmi
les anomalies que la paresse (ce vice fatal
entre tous les vices) engendre en détrui-
sant le sens moral.
Il en est, qui, pour ainsi dire nées, bac-
chantes et ribaudes, passent ainsi leur vie
sans comprendre même à quel état d'abjec-
tion elles sont réduites.
Elles vivent de la vie du désordre, de
l'orgie elles se meuvent, pareilles à la
brute, au niveau de laquelle elles se sont
ravalées. Passons et détournons la tête
avec le dégoût que doivent inspirer ces lai-
deurs de l'imperfection humaine.

Mais ce sont les minorités infimes que


celles-là représentent, et l'immense majo-
rité de celles qui font le sujet de ce cha-
pitre ont bien souffert, avant d'arriver sous
la férule de cette tolérance qui les flétrit et
les met à la merci de je ne sais combien de
gens qui, chargés de refréner la débab.
font leur curée de cette même débauch
prélevant sur elle un impôt illégal.

Malheureuses filles vouées au mépris de

:
ceux-là même qui sont heureux de leur
marchander des joies au rabais passez au
milieu des huées de cette foule cynique qui
hurle vertueusement au scandale.
Elle se rangera avec déférence devant la
hideuse matrone qui vous aura livrées à ce.
vieux roué lascif, qui vous a poussées au
trottoir!.
Le vice le plus hideux n'est pas celui qui
se montre sur les pavés de nos rues. les
experts en lâchetés appartiennent souvent
à de plus hautes régions. Les grands poè-
tes eux-mêmes ont prostitué leurs amours.
Vous souvient-il de la malheureuse femme
de livrée à la police par le Célèbre.
Puis encore. cherchez quelque chose
d'énorme que vous trouverez dans le drame
contemporain des dernières années -de rn-
lustre M. dont un ministre dévoila les tur-
pitudes.
Pitié donc pour toutes ces malheureu-
ses. dont vous ne savez pas l'histoire
intime ; la cause de leur abjection peut trop
soutent s'attribuer à d'autres peu soucieux
du malqu'ils ont fait. Ils passent triompha-
lement et se Vanteront encore des-proues-
ses dont ils se seront couverts.
La société vit avec ses préjugés. ses
préjugés font quelquefois sa force et son
salut.
Mais la sagesse du préjugé n'est qu'une
sagesse relative qui s'éloigne souvent des
véritables lois de justice, pensez-y bien.

Aussi quand, dans quelqueruelle sombre,


il vous arrivera de rencontrer une de ces
malheureuses filles qu'Esquiros a désignées
;
sous le nom de vierges folles au lieu de lui
prodiguer le mépris et l'injure, plaignez en
elle la fragilité de la création. puisque la
fatalité peut faire que, roulant au pied de
l'échelle sociale, ses plus brilantes œuvres
aillentse débattre et agoniser dans la boue
en cherchant un morceau de pain !

Où se trouve la moralité du livre que


vous avez écrit et dans quel but avez-vous
?
tracé cette esquisse physiologique diront
probablement quelques-uns de nos lec-
teurs.

Notre réponse ne.se fera pas attendre.


L'intérèt qui s'attache à la femme, créa-
ture faible, capable tout à la fois du plus
grand dévouement, de l'abnégation la plus
complète et des plus grandes énormités,
s'est amoindri, en mainte occasion, par le
fait de la femme heureuse, qui a poussé
l'homme, à abandonner sans pitié celles

disant :
que Notre-Seigneur le Christ relevait en
Allez et ne péchez plus.

Il est du devoir de l'homme de protéger


la femme, et surtout de redresser le sens
moral qui se fausse chez elle sous l'impres-
sion du moment, et qui est cause qu'elle fait
à chaque instant trop bon marché de ses
droits.

Les lois modernes, dira-t-on, tendent


chaque jour à lui donner de nouvelles fran-
chises.

A côté de cette place au soleil qu'on


semble vouloir lui accorder, le législateur
oublieux a toléré qu'après avoir donné à la
femme le pain de l'âme, on lui enlevât le
pain du corps.

A cette question d'économie sociale que


nous n'aborderons pas, par respect pour les
droits du timbre, nous avons voulu rem-
placer la raison morale qui pourrait victo-
rieusement remplacer la première, si la loi
morale pouvait devenir une vérité com-
prise.
Chaque jour, le caractère de la femme
est avili par des traducteurs crétins ou
cyniques qui le torturent dans les livres
roses qu'ils publient. Nous avons voulu
établir la vérité, non pas comme l'anatomiste
Parent du Châtelet, dans un détail statis-
tique, mais au point de vue du fait moral
apprécié dans l'ensemble.

On ne saurait nier le vice, mais ceux qui


le stigmatisent en frappant celles qui le
colportent, np se sont presque jamais bien
pénétrés des causes qui peuvent lui être
une excuse.
Des justiciers trop sévères sont aussi dan-
gereux que ceux qui tolèrent toutes les lai-
deurs.
l'ne tendance des faiseurs de livres ro-
ses semble les pousser ii se dégrader eux-
mêmes, en doublant la honte de certaines
filles du cynisme de leur plume et de leurs
théories.
Nous avons voulu rendre hommage à la
vérité, en prenant la contre-partie de leur
morale.
Si flétrie que soit la femme, elle tient tou-
jours à la femme pure par quelque lien in-
time en dehors même de celui-là que rap-
pelle l'unité de création.
Femmes vertueuses, ou réputées telles,
n'écrasez donc pas celles qui sont déchues.
Souvenez-vous qu'il ne faut qu'un choc
pour briser l'aile d'un ange, et pour l'empê-
cher de monter au ciel.
Respectez la misère de la femme, et re*
levez, quand vous le pourrez, celles que
vous trouverez agonisantes surles chemins.
Pécheurs nous sommes en naissant.
Qui veut consulter sa conscience et se
rendre justice, la trouvera souvent bien
lourde de péchés qu'on a pu cacher au
monde, mais qui n'en sont pas moins au-
tant de taches qui se retrouveront un jour
sur le livre ouvert du dernier jugement.
Pour contrebalancer cette dette néfaste,
il est un moyen que Dieu nous enseigne, et
une morale que prêchait sans cesse le vieil
apôtre Jean :
« Aimez-vou bien les uns ls autres, mes
petits enfants. »
Si vous aimez vos semblables, vous serez
charitables, et vous aurez pour vous sauver
l'égide d'une des trois vertus qui viennent de
Dieu; puis encore que les heureux, dont la
vie est exempte de reproche, interrogent
leur conscience, et se demandent ce qu'ils
auraient fait si la hideuse misère les avait
écrans sous son talon de fer.
CHAPITRE DIXIÈME.

LA QUÊTEUSE DES PAUVAES,

0 charité, grâce que le ciel donne,


Et que le siècle a fait rare aujourd'hui,
Pour tes vertus la première couronne,
Dieu te commande et ta loi vient de lui :
Donnez beaucoup, heureux de cette terre,
Il est si doux d'avoir un jour bien fait,
Veneztoujours en aide à la misère :
La charité, mes maîtres, s'il vous plait.
:
La charité qui sait un jour encore
Si tous vos biens, à grand peine entassés, :_
Sous l'agio, ce fléau qui dévore,
Ne seront pas en d'autres mains passés?
Riches et gueux permutent à la ronde.
Le lendemain, qui de nous le connaît?
Rien n'est (xÉHaifl.iaà»les Splendeurg'du monde
La charité, mes maîtres, s'il vous plaît.
;
;
Chacun pour soi charité, que m'importe,
Fille du ciel, passez votre chemin, -
Chacun chez soi; je veux fermer ma porte
A tous ces gueux qui vous tendent la main,
Chacun son lot, son travail, sa ressource;
Dans les laideurs mon esprit se déplaît:
Allez ailleurs qu'aux aboids de la Bourse.
La charité, mes maîtres, s'il vous plaît.

J'ai vu plus tard l'égoïste cyaique


Qui refusait l'assistance au- malheur,
Pauvre, en haillons, adresser sa supplique -
Aux compagnons de ses temps de splendeur ':
Mais sans vouloir écouter son martyre
Sur son chemin partout il éprouvait
:
Qu'en certains lieux c'est en vain qu'on veut dire
La charité, mes maîtres, s'il vous plait.

Donnez, donnez l'obole à Bélisaire,


Et de saint Jean retenez les leçons,
Aimez-vous bien, puissant ou prolétaire ;
De Béranger répétez les chansons :
Toujours au cœur charitable on pardonne,
Donnez souvent et vous aurez bien fait :
Si vous voulez qu'un jour le ciel vous donne,
La charité, mes maîtres, s'il vous plait.
CHAPITRE ONZIÈME.

EXEMPLES, - -
PRÉCEPTES, CONCLUSION-

Il n'est pas besoin d'être habile anato-


miste du cœur humain, pour reconnaître
combien les affinités et la nature de la femme
tendent à la conduire sur une voie fausse,
dans laquelle une fois entrée, un préjugé
absurde fait que la société prend à tâche
de lui rendre impossible un retour vers
l'obéissance aux exigences sociales.
Le droit français admet, dans les crimes
commis par des garçons au-dessous de seize
ans, le fait d'excuse, et la question de dis-
cernement est appréciée pa- la Cour.
Eh bien! quand lajeune
faible, vient
fille, dont la nature
est à succomber à une séduc-
tion, malgré les seize ans qu'elle a'a pas
atteints chacun lui jette la pierre, on la re-
pousse, et c'est tout au plus si on ne battra
pas des mains au brillant exploit du séduc-
teur émérite qui l'aura perdue.
Pas d'excuses, pas de circonstances atté-
nuantes pour la femme, voilà le principe.

Nous avons vraiment, en France, une sin-


gulière façon d'interpréter la morale. Au
lieu de saluer chapeau bas la malheureuse
fille qui élève l'enfant sans nom, qu'elle
nourrit au prix de mille privations. on
lui fait boire sa honte, et quand il s'agit du
père qui abandonne l'enfant naturel dont il
ne conteste pas l'origine, on trouve cela
tout simple. M. le maire, orné de son
écharpe, n'ayant pas légalisé le devoir pa-
ternel!
Les rois Rodrigue font les comtes Julien, dit
le poète.

Les infanticides ne sont pas toujours les


filles-mères qui, dans leur fièvre de déses-
poir, ont, sous leurs mains crispées, tué
l'être infortuné qu'elles venaient de mettre
au monde.
Étranges contradictions dans la nature
!
Voyez cet homme ;
humaine, et ce qu'on appelle le devoir
il est impitoyable
sans cœur pour des enfants qui sont les
et

siens, mais qui sont le fruit d'une folie de


jeunesse.
Il a maintenant le bonheur d'être époux
légal. mais de cette légalité sont issus des
fruits dont lui-même a failli récuser la.
collaboration.

En fait, le fait est litigieux.

0 puissance de l'écharpe de M. le
maire! Le fait litigieux recevra tous les
soins, toutes les caresses, il héritera de
tous les droits et privilèges. tout pour lui.

L'autre. pourra tomber râlant la mi-


il
sère au coin de la borne. les folies de jeu-
nesse n'obligent pas. l'honntte homme légal.
Rappelez-vous le mot de le haut cy-
nique.
Un jour qu'au milieu de ses vertueux amis,
il venait de descendre de sa chaire (non pas
apostolique) mais d'enseignement, une jeune
femme d'environ vingt ans passe à côté
d'eux. la garde l'emmenait.
La malheureuse, poussée par la misère,
avait accepté le bras. d'un agent chargé
de la surveillance des mœurs.

Je crois que c'est une des filles que tu


?
as eues avec Victoire, tu sais dit un de ses
camarades,

- Ça me fait aussi cet effet,.,


Elle est bien belle. c'est bien mal-
heureux qu'elle en soit réduite à cet avilis-
sement. Si nous allions la réclamer?
Bah! fit. en soufflant ses joues de
la façon que vous savez et en prenant une
prise. Si j'étais obligé de les réclamer toutes,
je n'y suffirais pas. Conviens que mes
filles son jolies, hein?

Sa bouche se dilatait par un sourire.


On cite pour l'austérité de ses
mœurs; il est pensionné pour les services
qu'il a rendus.

On ne saurait se faire une idée de cer-


taines lâchetés commises par l'homme, à
l'endroit de ce qu'il appelle ses amours.

Vous souvient-il encore de. le grand


réformateur.
séduit la femme de X. puis pour ne
Il
pas éveiller de soupçons, il lui donne
rendez - vous dans une maison douteuse
qu'ilno savait pas surveillée par la po-
lice. Une nuit la police vient et les trouve.
La femme n'avait pas de patente, elle devait
être emmenée, si X. ne la couvrait pas de
sa haute protection.
Mais le vertueux pair refuse de se com-
promettre, il a une femme, des enfants.
et sa vertu à sauvegarder.

;
La femme coupable deX est em-
menée il Snint-Lazare mais, délateur équi-
table, l'officier de paix commandant la
ronde de nuit a révélé le nom du prudent
Lovelace.

Ah! il faut le dire, les grands hommes


commettent souvent de grandes lâchetés.

Tant que le règne de la force a duré, on


a pu comprendre la raison qui rendait la
femme esclave et qui faisait dénier ses
droits et ses privilèges.

Il en est ainsi dans l'Afrique et dans


l'tndf et dans tous pays réfratairrs à
le*;
la civilisation où règne le droit du plus
fort.

La force est évidemment un privilège,


mais l'intelligence ayant trouvé des agents
plus puissants que ceux de la force brutale,
là où règne l'intelligence cette force est
annihilée.

Chez nous la force matérielle de l'homme


réagit évidemment et pèse peut-être encore
trop lourdement sur la femme qui, malgré
son intelligence, par indolence ou par lé-
gèreté, néglige de revendiquer ses droits.

Un grand écrivain, dans une de ses tra-


ductions exagérées de la figure humaine, a
dit que la femme française n'était réelle-
ment femme que jusqu'à quarante ans.

féminine en deux classes :


Il a dit encore qu'il fallait diviser l'espèce
FEMMES et
FEMEU.ES. A son avis, pour être femme à Pa-
ris, il faut vingt cinq mille livres de rente,
en province il n'en exige que six mille.

Ça vous paraît monstrueux. n'est-ce


pas?

C'est cependant feu M. de Balzac qui a


écrit cela.

Aen prendre l'esprit et non la lettre, on


verra peut-être que ce sophisme a, un bon
fond de vérité.

La femme comme on la comprend, comme


on larêve, c'est un être frêle, gracieux, aux
mains eflilées et transparentes, aux ongles
roses; une de ees créations délicates qu'on
ose à peine toucher, qui doivent être cou-
vertes de soie, de mousselines et de den-
telles. Voilà la femme.

Le superbe dandy et le dernier des gou-


jats témoigneront leur admiration pour
cette femme féerique dégagée en quelque
sorte des impuretés terrestres.

Mais je vous le demande. la Vénus de


Milo elle-même affublée d'une cotte de bu-
re, et en sabots, portant sur ses épaules
une charge de bois mort, ou le panier de
pain du boulanger.

Cette Vénus, rendue auvergnate, sera-


t-elle la femme rêvée?

Non.

Ainsi la fatalité veut que la femme, fùt-


elle taillée sur le modèle le plus pur, ne
soit vraiment femme qu'a la condition de
s'entourer du luxe qui lui permettra d'a-
voir des mains fines et blanches, etc, etc.

Le travail durcit ses mains, rend sa voix


rauque, lui donne une force virile qu'elle ne
doit pas avoir, qui lui enlève ses minaude-
ries et tout son prestige.
En réfléchissant à ces choses, les déduc-
tions logiques vous conduisent très-loin.

Elles vous conduisent droit à l'indul-


gence pour tout ce qui touche aux faibles-
ses humaines.

Si j'avais à m'occuper de législation,


j'aurais beaucoup à revendiquer en faveur
de la femme. Je me contenterai de ra-
conter ici un des épisodes qui se déroulent
si souvent devant la sixième chombre.

Un mari, après avoir dévasté la maison


conjugale, laisse sa femme sur le pavé avec
un enfant de dix-huit mois.

Unouvrier ciseleur passe et ramasse cette


femme éplorée et son jeune enfant.

Un an se passe. Ils font ménage, comme


il y en a tant à Paris. Ce sont même des
gens rangés, la maison prospère, l'enfant
est élevé convenablement.
Un beau matin le mari passe par là, Il
voit que la misère n'étrangle pas celle qu'il
a jetée à la rue, des velléités honteuses lui
passent par le cerveau. Il force sa femme
à le suivre dans les champs.

Enfin il veut reprendre celle qu'il a aban-


donné. il sent le besoin d'avoir sous sa
main une femme pour raccommoder ses ha-
bits et pour dévorer une partie du gain de
la semaine qu'elle gagne.

Refus formel.

Alors, usant de ses droits, le mari fait


constater le flagrant délit.

A l'audience du 26 mai la cause est ap-


pelée. les prévenus sont sur la sellette,
sous la surveillance du gendarme tradition-
nel.

Ils ne nient pas ce dont on les accuse.


L'amant écrase le mari de toute la hauteur
-
;
de son mépris il se drape dans le délit qu'il
a commis comme dans un manteau de roi.
-Il avait jeté sa femme dans la boue du
ruisseau. Je l'ai relevée; voilà mon crime.
Telle est sa défense.
Mais elle viendra se heurter au mot in-
flexible du texte de la loi édictée en vertu
d'une garantie sociale, pierre angulaire de
la société française.
Les coupables sont condamnés au mini-
mum de la peine. Trois mois de prison.
Le mari a obtenu satisfaction. Mais au
lieù des félicitations du public, il entend en
passant la porte les murmures de l'auditoire.

mot:
Un homme décoré, habit noir, lui jette ce
!
Foulriquet
Une grande partie des maux inhérents à
l'espèce sont du domaine de la femme. Elle
enfante avec douleur, cent infirmités que ne
subit pas l'homme sont son partage. Elle est
l'esclave de nos mœurs et de nos préjugés
sociaux.
Elle est en quelque sorte livrée à l'arbi-
traire de ceux qui l'entourent, et les fautes
qu'elle commet ont sur son avenir une portée
incalculable.

rendra sans
La civilisation, qui grandit, lui
doute les priviléges auxquels elle a droit,
etfera bonne justice de bien des idées fausses
dont elle supporte les conséquences né-
fastes.

Mais comme la justice et la réparation


marchent lentement, il appartient à ceux
qui comprennent les misères et les faibles-
ses humaines d'aider à cette réparation en
attaquant les idées fausses d'une époque
sceptique, en aidant à la misère de celles
qui tombent, et qui, faute d'une main se-
courable, font des efforts impuissants pour
se relever.
TABLE

futroductioD.
Grandedame.
17
5
I.
CBAP.
H.
III.
La
La
La
Dame
Bourgeoise.
9

27
IV. La Boutiquière. 31
d'employé.
V.
VI.
La Femme
,
L'Ouvrière.
Servantes.
37
43
VII.
VIII.
IX.
Les
Les Lorettes.
tolérées.
Les Femmes
67
73
87
X. La quêteuse des pauvres109
Xl. Exemples, Préceptes,
Conclusion113
FIN DE LA TABLE.
OUVRAGES DU MÈUE AUTEUR.

PHYSIOLOGIE

LA PROCÉDURE DE

OUVRAGE CRITIQUE ET PRATIQUE


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