الاقامة الاعتيادية في القانون الدولي الخاص

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UNIVERSITÉ JEAN-MOULIN, LYON III

LA RÉSIDENCE EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ


(CONFLITS DE JURIDICTIONS ET CONFLITS DE LOIS)

Thèse pour le doctorat en droit


(arrêté du 30 mars 1992)

Présentée et soutenue publiquement le


9 juillet 2004

par
Anne RICHEZ-PONS

Directeur de recherches!: Hugues FULCHIRON


Professeur à l’Université Jean-Moulin (Lyon III)

Membres du jury!: Jacques FOYER


Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

Paul LAGARDE
Professeur émérite de l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris!I)

Marie-Laure NIBOYET
Professeur à l’Université de Nanterre (Paris X)

Cyril NOURISSAT
Professeur à l’Université de Bourgogne (Dijon)
L’Université Jean Moulin – Lyon 3 n’entend donner ni approbation ni improbation aux
opinions émises dans les thèses. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs
auteurs.
Abréviations

BGB Bürgerliches Gezetzbuch


BGH Bundesgerichtshof
Bull. civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation
CE Conseil d’Etat
Chron. Chronique
Civ. Arrêt d’une chambre civile de la Cour de cassation
CJCE Cour de Justice des Communautés européennes
Cour!EDH Cour européenne des droits de l’homme
D. Recueil Dalloz
Defrénois Répertoire du notariat Defrénois
DP Dalloz périodique
Dr. fam. Revue Droit de la famille
Dr. et patrimoine Droit et patrimoine
Droits Revue française de théorie juridique
EGBGB Einführungsgezetz zum Bürgerlichen Gezetzbuch
FamRZ Zeitschrift für das gesamte Familienrecht
Gaz. Pal. Gazette du palais
IDI Institut de droit international
Die deutsche Rechtsprechung auf dem Gebiete des
IPR spr Internationales
Privatrecht
IR Informations rapides
J.-Cl. Jurisclasseur
JCP Semaine juridique/Jurisclasseur périodique édition générale
JCP N. Semaine juridique/Jurisclasseur périodique édition notariale
JDI Journal de droit international (Clunet)
JO Journal officiel
JOCE Journal officiel des Communautés européennes
JOUE Journal officiel de l’Union européenne
OGH Oberster Gerichtshof
OLG Oberlandesgericht
Procédures Revue procédures
rapp. Rapport
Recueil des cours de l’Académie de droit international de
RCADI
La Haye
Rec. CE Recueil des arrêts du Conseil d’Etat (Lebon)
Rép. intern. Dalloz Répertoire de droit international Dalloz
Req. Arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation
Rev. crit. Revue critique de droit international privé (Dalloz)
Rev. marché commun Revue du marché commun
RGDI pub. Revue générale de droit international public
RID comp. Revue internationale de droit comparé
RRJ Revue de le recherche juridique/Droit prospectif
RSC Revue de science criminelle
RSDIE Revue suisse de droit international et européen
RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil
RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial
S. Recueil Sirey
Soc. Arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation
Somm. Sommaires
ss Sous
TCFDIP Travaux du comité français de droit international privé
Sommaire

PREMIÈRE PARTIE. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE


ET GÉOGRAPHIQUE

TITRE 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE.


Chapitre 1. Les insuffisances du domicile
Section 1. En droit français
Section 2. Dans l’ordre international
Chapitre 2. Les avantages de la résidence
Section 1. Les avantages de la notion
Section 2. Les avantages de son application

TITRE 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE


Chapitre 1. La détermination de la résidence
Section 1. Le fait matériel et objectif, élément constitutif de la résidence
Section 2. L’intention, élément révélateur de la résidence
Chapitre 2. Le changement de la résidence
Section 1. Le changement licite de la résidence
Section 2. Le déplacement illicite de la résidence

DEUXIÈME PARTIE. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE


À UN MILIEU SOCIAL

TITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI


APPLICABLE

Chapitre1. L’application de la loi de la résidence habituelle, loi du milieu de vie actuel


Section 1. La désignation de la loi de la résidence habituelle du milieu de vie par la règle de
conflit
Section 2. L’application immédiate de la loi française de la résidence habituelle aux étrangers
installés en France
Chapitre 2. Le changement de la loi applicable au profit de la loi de la résidence habituelle en
raison d’un enracinement dans le milieu de vie
Section 1. Le changement de la loi applicable au profit de la loi de la résidence habituelle
consacré par la Conférence de la Haye
Section 2. Vers un changement de la loi applicable au profit de la loi de la résidence habituelle
en matière de statut personnel

TITRE 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE


NORMALEMENT COMPÉTENTE
Chapitre 1. La résidence habituelle, lien suffisant avec le territoire pour justifier l’éviction de la
loi étrangère
Section 1. La proximité avec le for, une circonstance justifiant l’éviction de la loi étrangère
Section 2. La reconnaissance par la jurisprudence de la résidence habituelle comme lien
révélateur d’une proximité suffisante avec le for
Chapitre 2. L’extension du rôle de la résidence habituelle dans le processus d’éviction de la loi
étrangère
Section 1. La résidence habituelle, lien suffisant avec le for pour écarter une seconde union
contractée à l’étranger
Section 2. La résidence habituelle, lien suffisant avec le for pour constituer un obstacle à la
répudiation
INTRODUCTION

« …les espaces se sont multipliés, morcelés et diversifiés. Il y en a aujourd’hui de toutes


tailles et de toutes sortes, pour tous les usages et pour toutes les fonctions. Vivre, c’est
passer d’un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner ».
Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 1985, p. 13-14.

1. La résidence est, comme le domicile, un élément de localisation juridique de


la personne : « replacer celle-ci dans son cadre territorial, la qualifier par un lieu, par un
point fixe, c’est encore une manière de l’individualiser. Ce qui tend à brouiller ces
localisations, c’est l’inaliénable liberté locomotrice »1. Souvent opposés, parfois
confondus, il est difficile de définir les deux termes et il est indéniable que des liens
existent entre eux ; ils revêtaient d’ailleurs originellement des sens analogues.
Étymologiquement2, le terme de résidence est emprunté au latin médiéval residentia,
« séjour, logis » ou encore « domicile ». Le mot domicile, également dérivé du latin,
correspond à l’habitation, la demeure (domicilium), la maison (domus) ou encore
l’endroit où l’homme a établi son foyer domestique. Tous ces termes expriment peu ou
prou la même idée : l’homme vit en un lieu particulier, celui où il a son « chez-soi »3.

2. On discerne donc une première série de sens que le langage courant donne
aux mots résidence et domicile, sens que l’on retrouve dans de nombreuses expressions
incluant ces deux termes. C’est ainsi que l’on parle de « violation de domicile »,
expression qui désigne d’ailleurs une infraction pénale, au sens de violation de l’endroit
où l’on habite. De la même manière, on « travaille à domicile » ou l’on se fait « livrer à
domicile », c’est-à-dire chez soi, au lieu où l’on vit. On « cherche un domicile »,
également, un appartement, un endroit où s’installer, puis on fixe sa résidence ou son

1
J. CARBONNIER, Droit civ. 1. Les personnes : PUF, Coll. Themis, droit privé, 21e éd., 2000, n° 51.
2
V. le dictionnaire Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, ss dir. A. Rey.
3
G. GOUBEAUX, Traité de droit civil. Les personnes, ss dir. J. Guestin : L.G.D.J., 1989, n° 174.
domicile dans telle ou telle ville, et lorsque l’on rentre chez soi, on « regagne son
domicile ». D’ailleurs, celui qui est « sans domicile fixe » est un sans-logis, un sans-abri
et, dans une certaine mesure, un clochard. La résidence revêt, à l’inverse une
connotation méliorative : n’évoque-t-on pas la « résidence secondaire » pour parler de la
maison de campagne, la « banlieue résidentielle », qui désigne un ensemble de maisons
cossues par opposition aux quartiers populaires ?

3. En dehors de ces aspects matériels, liés au lieu où l’on habite, à la maison,


le langage courant attribue à ces termes une connotation plus officielle, plus
administrative. On le vérifie avec des expressions qui utilisent le mot domicile : on parle
bien de « domicile fiscal », de « domicile électoral ». On ne s’y trompe pas : lorsque
l’administration des impôts réclame des renseignements concernant l’adresse où l’on
habite, c’est bien celle de son domicile que l’on a conscience de fournir. Sans parler de
la vieille expression de « domicile conjugal », qui désignait, avant la loi du 11 juillet
1975, le domicile légal de la femme mariée, et que l’on continue d’employer pour parler
de la résidence de la famille, croyant sans doute conférer à cette dernière un caractère
plus officiel. Plus curieusement peut-être, le terme de résidence revêt également ce sens
administratif. C’est le « séjour actuel et obligé » d’un personnage qui exerce des
fonctions officielles (un chef d’État, un fonctionnaire, un évêque). De là dérive
l’expression « à résidence » que l’on retrouve dans « l’assignation à résidence » du droit
pénal. Dans un sens proche, le résident général désignait dans les pays de protectorat un
haut fonctionnaire que l’État protecteur plaçait auprès du souverain de l’État protégé.

4. Si l’on quitte le langage courant ou administratif pour se placer sur le terrain


du droit interne, les sens assignés aux termes résidence et domicile se distinguent plus
précisément. Afin de localiser les personnes, le Code civil a porté sa préférence sur le
domicile. Il lui donne toutefois une acception bien particulière. L’article 102 du Code
civil, à défaut d’en donner une définition, indique comment il se détermine : « le
domicile de tout Français, quant à l’exercices de ses droits civils, est au lieu où il a son
principal établissement ». Cette formule ne dissipe pas le mystère qui entoure la notion,
mais il convient d’en retenir la spécificité. Si le domicile correspond généralement au
lieu où se trouve la personne, il présente la caractéristique essentielle d’être le lieu où la
personne est censée se trouver aux yeux de la loi. Le domicile est présenté comme une
fiction qui désigne le lieu où les pouvoirs publics, les administrations, peuvent trouver

10
la personne, même si elle ne s’y trouve pas effectivement. On oppose la résidence au
domicile en ce qu’elle désigne au contraire le lieu où la personne habite effectivement ;
au caractère fictif de la notion de domicile, on oppose le caractère concret de la
résidence.

5. La résidence est traditionnellement considérée comme l’un des éléments


matériels constitutifs du domicile (à côté, par exemple, du lieu où la personne exerce
son activité professionnelle4). Pourtant, l’évolution du droit positif a consisté à lui
donner un rôle dans la localisation des personnes concurrent de celui du domicile.
D’abord un rôle subsidiaire. Ainsi, les articles 42 et 43 du Nouveau Code de procédure
civile désignent comme juridiction territorialement compétente celle du lieu où le
défendeur a son domicile ou, à défaut, sa résidence. De même, selon l’article 655,
al. 1er, du Nouveau Code de procédure civile, « si la signification à personne s’avère
impossible, l’acte peut être délivré soit à son domicile, soit, à défaut de domicile connu,
à sa résidence ». La résidence peut également être utilisée comme critère alternatif. Par
exemple, les articles 112 et 122 du Code civil définissent l’absence comme la situation
de la personne qui « a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence ». De
la même manière, l’article 348-3 énonce que « le consentement à l’adoption est donné
devant le greffier en chef du tribunal d’instance du domicile ou de la résidence de la
personne qui consent […] ». On peut encore citer, à titre de dernier exemple, l’article
1247, alinéa 3, du Code civil selon lequel « les aliments alloués en justice doivent être
versés, sauf décision contraire du juge, au domicile ou à la résidence de celui qui doit
les recevoir ».

6. Enfin, la résidence tend de plus en plus à acquérir un rôle autonome par


rapport au domicile : dans de nombreux cas, seule la résidence est retenue comme
critère de localisation des personnes. Il faut bien sûr citer l’article 1070 du Nouveau
Code de procédure civile qui, en matière de divorce, désigne en principe comme
compétent le tribunal du lieu où la famille a sa résidence. Dans un tout autre domaine,
l’article L. 411-2 du Code du travail qualifie d’accident du travail l’accident survenu
pendant le trajet d’aller et de retour entre, notamment, la résidence principale et le lieu
du travail, sans faire aucune référence au domicile. Le droit pénal également utilise la
résidence. Ainsi, l’article 132-45 du Code pénal prévoit que le juge pénal peut imposer
4
P. MALAURIE et L. AYNÈS , Droit civil. Les personnes, les incapacités, par P. Malaurie : Defrénois,
2003, n° 211.

11
au condamné certaines obligations, notamment d’« établir sa résidence en un lieu
déterminé ». Ou encore, l’article 227-7 du même code punit d’un an d’emprisonnement
et de 15000 euros d’amende « le fait, par tout ascendant légitime, naturel ou adoptif, de
soustraire un enfant mineur des mains de ceux qui exercent l’autorité parentale ou
auxquels il a été confié ou chez qui il a sa résidence habituelle ». Ces quelques
exemples attestent l’importance acquise par la résidence en droit interne. Le phénomène
d’ensemble de l’infléchissement du domicile vers le réalisme, qui se traduit par
l’adoption de la notion concrète de résidence, est majoritairement constatée par la
doctrine5.

7. Alors que des thèses entières ont été consacrées au domicile, les écrits qui
concernent la résidence ne sont pas légion. Et pourtant, l’ampleur également prise par la
résidence en droit international privé et en droit communautaire relève du simple
constat.

8. En principe, en droit français, l’état et la capacité des personnes sont soumis


à la loi nationale, conformément à l’article 3 du Code civil. La seconde moitié du
e
XIX siècle est en effet marquée par « l’éveil des nationalités déclenché par la
Révolution française »6. Avec Mancini et jusqu’à la Première Guerre mondiale, ce fut
l’apogée de la loi nationale. Pour autant, on constate un fort infléchissement des règles
de conflit vers un critère de rattachement territorial. En effet, dès l’Entre-deux-guerres,
avec les mouvements de population, notamment l’arrivée massive de réfugiés et
d’apatrides, un regain d’intérêt s’est manifesté pour de tels critères, en particulier pour
le domicile. Pourtant, cette ferveur était sans doute due moins à un engouement pour le
domicile qu’à l’idée que la loi nationale était inapte à régir un certain nombre de
situations. De manière générale, on constate d’ailleurs que les pays d’immigration
adoptent aisément des solutions de territorialité. En France, selon les chiffres du dernier
recensement de 1999, la population légale s’établit à un peu plus de 60 millions
d’habitants. Il y aurait 4,3 millions d’immigrés7 présents sur le territoire français, et

5
V. notamment A. MARTIN-SERF, Du domicile à la résidence : RTD civ. 1978. 535 s. ; J. CARBONNIER,
Droit civ. 1. Les personnes : PUF, Coll. Themis, droit privé, 21e éd., 2000, n° 51.
6
R. CASSIN, La nouvelle conception du domicile dans le règlement des conflits de lois : RCADI 1930-IV,
t. 34, p. 655, spéc. p. 713.
7
Selon la définition du Haut Conseil à l’intégration (Liens culturels et intégration : La Documentation
française, juin 1995, p. 14), les immigrés sont des personnes nées étrangères à l’étranger et qui vivent en
France ; elles peuvent être restées étrangères ou avoir acquis la nationalité française. Le lieu de naissance
de l’étranger est la caractéristique invariable.

12
3,2 millions d’étrangers8. Selon le Haut Conseil à l’intégration, l’immigration en France
apparaît durable9 ; elle se caractérise également par le fait qu’elle est familiale10 et
diversifiée quant à l’origine des migrants. Ainsi, quelque cent cinquante nationalités
seraient représentées sur le territoire français11. La France peut donc être considérée
comme un pays d’immigration, même si le nombre d’émigrants est de l’ordre de 1,5 à
2 millions de Français12. On peut se demander dans quelle mesure ces phénomènes
démographiques n’exercent pas une influence plus ou moins directe sur le règlement
des conflits. On ne peut, au regard de ces statistiques, qu’admettre les difficultés qu’il y
a pour le juge français à appliquer la loi nationale étrangère de chacun. L’application de
la loi nationale risque de créer ce qu’un auteur appelle un « pluralisme juridique de
fait »13. Le choix d’un critère territorial, au contraire, apparaît comme un facteur de
cohésion sociale, par l’application homogène d’un droit à toutes les personnes
durablement installées sur le territoire français.

9. Mais, à son tour, le domicile a révélé ses limites, comme étant trop abstrait,
e
trop fictif, pas assez réaliste. A la fin du XIX siècle s’étaient réunies les premières
Conférences de La Haye qui rassemblaient les principaux États de l’Europe continentale
accordant une place prépondérante à la nationalité. Après la Seconde Guerre mondiale,
les pays de Common law, partisans d’une application de la loi du domicile (lequel

8
A. LE B O N , Immigration et présence étrangère en France en 1999. Premiers enseignements du
recensement : La Documentation française, 2001, p. 10 et J. BOËLDIEU et C. BORREL, Recensement de la
population 1999, la population d’immigrés stable depuis 25 ans : Insee Première, n° 748, nov. 2000.
9
Le Haut Conseil à l’intégration (Conditions juridiques et culturelles de l’intégration : La documentation
française, Coll. des Rapports officiels, Rapport au Premier ministre, mars 1992, p. 13) précise en effet
que « tout donne à penser que les personnes entrées en France […] s’y installeront définitivement » et
qu’à terme, elles « contribueront au peuplement français ».
10
Les chiffres de 2001 relatifs à l’immigration à caractère permanent indiquent que le caractère familial
de l’immigration s’applique en particulier aux ressortissants des pays hors Espace économique européen.
Le motif familial de l’immigration (i.e. regroupement familial, membres de famille de Français, membres
de famille de réfugiés et apatrides, les étrangers détenteurs d’un titre de séjour « vie privée et familiale »)
concerne 33 % des ressortissants de l’Espace économique européen et 70 % des ressortissants de pays
tiers. V. A. LEBON , Migrations et nationalité en France en 2001 : La Documentation française, 2003,
p. 10.
11
V. Rapport au Premier ministre, Liens culturels et intégration : La Documentation française, Coll. des
Rapports officiels, juin 1995, spéc. p. 15. – A. L EBON , Immigration et présence étrangère en France.
Premiers enseignements du recensement : La Documentation française, 2001, p. 10. Le rapport indique
que 43,5 % des étrangers seraient originaires d’Afrique (dont 34,8 % du Maghreb), 41,4 % d’Europe au
sens large (dont 36,6 % de l’Union européenne), 12,5 % d’Asie (dont 6,4 % de Turquie) et 2,5 %
d’Amérique.
12
V. B. GENTIL, La population française immatriculée à l’étranger est en forte hausse : Insee Première,
n° 919, août 2003.
13
J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations
entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI
1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 204.

13
diffère du domicile tel que conçu dans les pays de tradition romano-germatique ; il est
en effet proche de l’idée de rattachement à une patrie et a parfois été assimilé à la
nationalité des droits continentaux14), participèrent aux Conférences de La Haye. Si l’on
voulait élaborer des instruments internationaux acceptables par tous, il fallait trouver
des solutions de compromis entre les différents systèmes juridiques. Or, le domicile
apparut comme une notion recevant autant de définitions qu’il y avait de traditions
juridiques représentées. M. Mahaim15, après s’être livré à une étude de droit comparé
sur la notion de domicile, en a réuni une cinquantaine de définitions et a considéré
comme une tâche désespérante tout effort pour trouver une définition susceptible d’être
universellement acceptée. Le seul point commun entre toutes ces conceptions réside
dans le caractère fictif de la notion. Comme l’a dit un auteur, « quant au domicile, c’est
hélas une de ces notions tabou qui a si mauvaise réputation qu’on n’ose plus l’utiliser
sur le plan international »16.

10. Le choix de la résidence, critère neutre, s’est alors imposé. Apparue,


semble-t-il, pour la première fois en 1880 dans un traité franco-prussien17, la résidence a
également été retenue par la Conférence de La Haye dans une convention de 189618
relative à certaines questions de procédure civile, mais elle n’a connu son véritable
e
essor qu’à partir du milieu du XX siècle. Initialement, le recours au critère de la
résidence a été envisagé comme le résultat de concessions, comme un pont établi entre
les pays attachés au principe de la nationalité et ceux qui se réfèrent au domicile ; par la
suite, cette idée de compromis a disparu. Les nouvelles conventions élaborées avaient

14
Au jour de sa naissance, une personne se voit attribuer un domicile (celui de ses parents ; c’est le
« domicile d’origine » ; une personne peut donc avoir un domicile en Angleterre sans avoir jamais vécu
dans ce pays) ; elle le conserve définitivement, à moins qu’au cours de sa vie elle ne décide de s’établir
dans un autre pays avec l’intention de le quitter pour ne plus revenir dans son pays d’origine et n’ait
perdu tout esprit de retour au domicile d’origine (ce nouveau domicile, particulièrement laborieux à
prouver, est qualifié de « domicile d’élection », « de choix »). Par ailleurs, dès lors qu’il est constaté un
abandon du domicile « de choix », le domicile d’origine renaît de manière automatique. V., par exemple,
N. BENTWICH, Le développement récent du principe de domicile en droit anglais : RCADI 1934-III, t. 49,
p. 373 s., spéc. 380 s ; D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international
privé : Thèse Lausanne, 1995, p. 53 s.
15
Annuaire de l’Institut de droit international 1931, vol. II, p. 180-181.
16
G. A. L. D ROZ, La codification du droit international privé des successions. Perspectives nouvelles :
TCFDIP, p. 319 s, spéc. p. 327.
17
V. M. H. VAN HOOGSTRATEN, La codification par traités en droit international privé dans le cadre de
la Conférence de La Haye : RCADI 1967-III, t. 122, p. 359. L’auteur ajoute qu’il « est permis de
supposer qu’il s’agit là [en ce qui concerne l’utilisation de la résidence dans le traité franco-prussien]
d’une traduction en français d’un terme allemand indiquant une notion juridique précise, la gewöhnliche
Aufenthalt ».
18
Convention du 14 novembre 1896, modifiée le 17 juillet 1905.

14
des objectifs ciblés, restreints à des questions particulières ; or, la résidence, notion
éminemment concrète, souple et pragmatique, a été considérée comme le critère de
rattachement adéquat : « grâce à la résidence habituelle, un critère de rattachement
excellent a été trouvé »19. Par la suite, c’est tout naturellement que d’autres textes
internationaux – conventions multilatérales, bilatérales ou textes communautaires –
adoptèrent la notion de résidence comme élément de désignation de la juridiction
compétente ou de la loi applicable. On considère, en effet, que la résidence est un lien
suffisant avec le for pour fonder la compétence juridictionnelle et qu’elle peut
également traduire les liens les plus étroits de la situation juridique pour permettre de
désigner la loi applicable. Elle est donc un élément-clé de répartition des litiges dans
l’ordre international.

11. De fait, la référence à un critère de rattachement territorial, en particulier


celui de la résidence, généralement qualifiée d’« habituelle », a progressé dans toutes les
branches du droit international privé et du droit communautaire, qu’il soit retenu à titre
de principe ou à titre dérogatoire. Il en est ainsi de la matière contractuelle dans la
convention de Rome20. Le règlement communautaire n° 44/2001 concernant la
compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile
et commerciale envisage des chefs de compétence dérogatoires et tient également
compte de la résidence, notamment en matière d’assurances21 et de protection du
consommateur22. Si les délits ou quasi-délits sont en principe soumis à la loi du lieu où
ils sont survenus, la proposition de règlement communautaire sur la loi applicable aux
obligations non contractuelles (« Rome II ») envisage désormais une compétence de la
loi de la résidence habituelle23. Maints textes communautaires se réfèrent à la résidence

19
V. Actes de la XIe Session de la Conférence de La Haye, 1968, t. 2, p. 119.
20
La convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (entrée en
vigueur le 1er avril 1991), qui constitue le droit commun applicable en France pour l’ensemble des
contrats internationaux, se réfère, en l’absence de choix certain quant à la loi applicable, à un critère de
localisation objective du contrat : « le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il entretient les liens
les plus étroits » (art. 4, par. 1). Or, « il est présumé que le contrat entretient les liens les plus étroits avec
le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a […] sa résidence habituelle » (art. 4,
par. 2). – Les contrats conclus par le consommateur sont soumis à la loi du pays dans lequel le
consommateur a sa résidence habituelle (art. 3).
21
V. l’art. 13, par. 3, du règlement.
22
V. l’art. 17, par. 3, du règlement.
23
V. l’art. 3, par. 2, pour la règle générale applicable aux obligations non contractuelles dérivant d’un
délit (le texte envisage l’application de la loi de la résidence habituelle commune de la personne dont la
responsabilité est invoquée et de la personne lésée) ; l’art. 4 pour la responsabilité du fait des produits
défectueux ; l’art. 6 pour l’atteinte à la vie privée et aux droits de la personnalité. V. l’art. 9 pour les
règles applicables aux obligations non contractuelles dérivant d’un fait autre qu’un délit. – V., également,

15
dans des matières techniques24. Mais c’est en droit international privé de la famille que
la notion de la résidence a connu un véritable essor et c’est dans ce domaine qu’elle sera
étudiée, en particulier pour ce que la matière véhicule de valeurs humaines et
culturelles, l’opposition traditionnelle entre la loi nationale, loi du pays d’origine des
intéressés, et la loi de la résidence habituelle, loi du milieu de vie, prenant toute sa
dimension.

12. Le fait même que la résidence soit un critère de rattachement de prédilection


dans des domaines aussi divers prouve les intérêts pratiques qu’il y a à la retenir. La
notion de résidence paraît en outre relativement simple à préciser. Mais, au-delà de cette
apparente simplicité, elle se révèle difficile à cerner pour diverses raisons. La première
tient au fait qu’il existe de nombreux autres éléments localisateurs au sens spatial,
retenus à la fois par des textes ou par la jurisprudence. En quoi la résidence (qu’elle soit
« simple » ou qualifiée d’« habituelle », de « continue » ou de « discontinue »,
d’« instantanée », de « permanente », de « régulière » ou d’« irrégulière ») se distingue-
t-elle du domicile (parfois qualifié « d’effectif »), du « lieu de séjour », du « lieu de
présence » ou encore de l’« habitation » ? La liste de ces éléments qui supposent une
localisation géographique n’est pas exhaustive. En quoi diffèrent-ils les uns des autres ?

13. La discussion qui suivit la communication du 26 mai 1961 de Mme Simon-


Depitre devant le Comité français de droit international privé25 est assez révélatrice du
désarroi des juristes face à pareille abondance d’éléments localisateurs. G. Holleaux
souligna ainsi que les conventions de La Haye avaient substitué « la notion de résidence
habituelle qu’on n’a pas voulu définir – c’est indéfinissable – à la notion de domicile »
et que la Cour de cassation avait remplacé le terme de domicile par celui de « domicile
effectif commun », faisant même une large place à la notion « d’habitation effective »,

sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits, la convention de La Haye du 2 octobre 1973
et, sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière, la convention de La Haye du
4 mai 1971. C. N OURISSAT, Quelques observations sur l’avant projet de proposition de règlement du
Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles « Rome II » : JDI 2003, p. 7 s.
24
V. notamment le règlement n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 (JO L 149, 5 juill. 1971, p. 2) relatif
à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à
l’intérieur de la Communauté (le texte a subi d’innombrables modifications et une nouvelle proposition
modifiée de règlement a été adoptée en décembre 2003) ou la directive n° 83-182/CEE du Conseil du
28 mars 1983, relative aux franchises fiscales applicables à l’intérieur de la Communauté en matière
d’importation temporaire de certains moyens de transport (JO L 105, 23 avr. 1983). Ces deux textes ont
fréquemment fait l’objet de recours en interprétation devant la Cour de Justice des communautés
européennes.
25
M. S IMON -D EPITRE, La protection des mineurs en droit international privé après l’arrêt Boll de la
Cour internationale de justice : TCFDIP 1958-1962, p. 109 s., spéc. p. 132 s.

16
elle-même « très voisine de la notion de résidence habituelle avec toutefois un contenu
très concret ». L’expression de « résidence habituelle » ne convenait pas à M. Lenoan :
« au fond, le mot de "résidence » en droit international privé, même en ajoutant le
qualificatif "habituelle", est quelque chose d’assez vague », il évoqua « quelque chose
de passager » ; l’auteur lui préférait celui d’« habitation ». P. Francescakis l’interpella
sur la nécessité de distinguer les termes de « résidence » et d’« habitation ». M. Lenoan
lui répondit par une autre question : « Qu’est-ce qu’un domicile effectif ? Voulez-vous
dire si le qualificatif "effectif" accolé au mot "domicile" signifie quelque chose ? ».
G. Holleaux préférait lui aussi le terme d’habitation : « ce n’est pas seulement une
notion de fait, c’est une notion concrète. C’est ce caractère qui la rend très intéressante
et que ne présente pas au même degré la notion de résidence habituelle qui a, en effet
– c’est assez difficile à définir – une espèce de petit arrière-goût de passager… ».
P. Francescakis résuma la situation en ces termes : « le pauvre interprète est tout de
même embarrassé ».

14. Pareil embarras traduit visiblement une double difficulté : celle qu’il y a à
choisir le terme adéquat et celle qu’il y a à donner leur sens aux termes utilisés.
Désormais, alors que l’on admet aisément que la résidence est un élément de
rattachement approprié, les juristes en réclament régulièrement une définition. Ce
besoin logique de définition, de points de repères, n’ira qu’en s’accroissant si l’on
considère qu’il est de plus en plus fréquemment fait référence à la résidence et qu’il est
impossible de ne pas s’interroger sur le sens des termes employés. Or, il n’existe pas de
définition générale et abstraite de la notion. C’est là la seconde difficulté inhérente à la
notion de résidence. Si elle est traditionnellement présentée comme le lieu où la
personne est établie de manière suffisamment stable et effective, il ne s’agit pas d’une
définition ; tout au plus est-ce une description, d’ailleurs assez vague, de ce qu’elle
représente. Le droit suisse26 a pourtant décidé de définir la notion de résidence : une
personne physique « a sa résidence habituelle dans l’État dans lequel elle vit pendant
une certaine durée, même si cette durée est de prime abord limitée »27. Or, l’interprète
ne saurait, semble-t-il, être beaucoup plus instruit. Il est vrai que la notion de résidence
est encore relativement nouvelle et qu’elle n’a pas la longue tradition historique, propre

26
Ce pays semble être le seul à définir la notion.
27
Art. 20, al. 1 lit. B. LDIP.

17
à chaque système juridique, qui caractérise le domicile. Ce n’est pourtant pas ce qui
peut justifier l’absence de définition.

15. La Conférence de La Haye fut la première à généraliser le recours à la


résidence comme élément de rattachement. Toutefois, afin que la notion ne puisse
devenir l’objet de spéculations relatives à son contenu, craignant qu’une définition
contribue plus à une dislocation de la notion qu’à son unité28, les experts indiquèrent
qu’il ne fallait pas la définir, qu’elle devait rester le plus simple possible, proche de son
sens courant. Il y avait là un refus très net de la définir29.

16. À l’inverse, les textes communautaires usent de termes précis, en les


définissant le plus souvent. C’est le cas pour la notion de résidence, fréquemment
utilisée. Ainsi, le règlement n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité
sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la
Communauté30 indique que « le terme résidence signifie séjour habituel »31. La
résidence se distingue du « séjour », expression également retenue par le texte : « le
terme séjour signifie le séjour temporaire »32. Si la définition de la notion de résidence
existe, elle n’en est pas moins laconique. Dans ses conclusions rendues à propos de
l’affaire Robin Swaddling et Adjudication Officer33, M. Saggio, avocat général,
admettait que la valeur de la définition contenue dans ce texte ne réside effectivement
pas « tant dans sa portée clarificatrice qui est finalement si limitée qu’elle contraint
l’interprète à s’interroger sur la notion de caractère habituel mais dans l’indication selon
laquelle la notion de résidence est une notion communautaire qui à ce titre ne peux être
laissée aux choix, unilatéraux et non coordonnés, des différents systèmes nationaux ».
Définir un terme afin d’éviter qu’il ait un sens divergent dans les différents systèmes
nationaux, tel paraît donc être l’objectif que s’est fixé le droit communautaire ; cette
démarche diffère radicalement de celle adoptée par les rédacteurs des conventions de
La Haye.

28
V. D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse
Lausanne, 1995, p. 89.
29
Le législateur suisse est donc allé à l’encontre de l’opinion généralement admise du refus de définition,
ce qui, selon M. Masmejan (La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse
Lausanne, 1995, p. 90), n’est pas à l’abri de toute critique.
30
Précité, cf. supra note n° 24.
31
Art. 1, pnt h.
32
Art. 1, pnt i.
33
Conclusions présentées le 29 sept. 1998. Pour l’arrêt, v. CJCE, 25 févr. 1999, aff. C-90/97, Robin
Swaddling et Adjudication Officer : Rec. p. I-1075.

18
17. Dans les deux hypothèses, il semble que les buts poursuivis soient
identiques (éviter les divergences d’interprétation), mais que les méthodes pour
résoudre le problème ne le soient pas. En pratique, il est toujours aussi compliqué pour
l’interprète de savoir ce que signifie la notion de résidence.

18. De fait, il apparaît que même si l’on voulait définir le terme, il serait
difficile de le faire de manière concise. Pour M. Bucher, la notion de résidence « semble
insaisissable »34. Pour autant, cela ne signifie pas que l’on ne sache pas ce qu’elle est et
comment la déterminer, même si, en certains cas, il n’est pas toujours aisé de le faire.
Simplement, étant composée d’éléments de fait, elle est éminemment concrète et ne
semble pouvoir se résumer en quelques mots qui traduiraient tout son sens. Dès lors,
peut-être est-ce moins par sa définition que par ses fonctions qu’il convient d’aborder la
notion.

19. La résidence est avant tout un lieu : celui où l’intéressé est établi de manière
suffisamment stable et effective, celui où il vit quotidiennement. En principe, il faut être
présent en un lieu depuis un laps de temps suffisant pour y avoir sa résidence. L’accent
est placé sur un aspect, somme toute, assez quantitatif de la notion. L’intéressé qui a fait
d’un lieu son cadre de vie ordinaire y a une résidence que l’on pourra même alors
qualifier d’habituelle au fur et à mesure du temps écoulé (des « habitudes » se créent en
ce lieu de vie). Fondée sur des éléments concrets et objectifs, la notion est l’expression
d’une proximité matérielle, géographique, et permet de localiser, au sens de situer, une
personne dans l’espace.

20. Mais, la résidence peut également traduire un lien : celui qui unit l’individu
au milieu social dans lequel il s’est établi. La résidence est alors par principe habituelle
et elle est appréciée dans une dimension plus qualitative, même si la dimension
quantitative ne peut être ignorée. C’est au fil du temps passé que les étrangers
s’intègrent dans leur pays d’accueil, qu’ils déplacent le centre de leurs intérêts vers ce
pays d’établissement. Au-delà d’une simple présence sur le territoire, la résidence est
alors la marque d’une appartenance de l’étranger à un milieu de vie. Contrairement à la
nationalité, qui se présente comme un lien d’appartenance juridique d’un individu à un
État, la résidence, dans cette dimension, se présente comme un lien d’appartenance de
fait de l’étranger à la communauté locale.

34
A. BUCHER, La famille en droit international privé : RCADI 2000, t. 283, p. 9 s, spéc. p. 38.

19
21. Ces deux aspects de la résidence ne s’excluent nullement ; au contraire, ils
sont complémentaires. Selon la règle de conflit qui l’utilise comme élément de
rattachement, l’accent est tantôt mis sur la résidence comme l’expression d’une
proximité géographique et matérielle (Partie 1.), tantôt sur la résidence habituelle en
tant que marque d’une appartenance à un milieu social (Partie 2.).

20
PREMIÈRE PARTIE
LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE
PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE

22. Dans un premier temps, c’est en termes d’« affrontement entre deux ou
plusieurs puissances souveraines » que les conflits de lois ou de juridictions ont été
conçus1. Par la suite, une analyse privatiste a succédé à la première vision publiciste du
droit international privé2 ; la présence de l’État n’est pas exclue, elle est simplement
envisagée de manière différente. Depuis Savigny notamment, le débat ne s’analyse plus
en termes de conflit de souverainetés, mais en termes de conflit d’intérêts particuliers :
l’application de la loi « n’apparaît plus comme une satisfaction donnée à l’auteur de
celle-ci, ce n’est donc plus un but en soi, mais simplement un moyen de fournir au
rapport sa solution la plus convenable »3. Mme Muir-Watt a ainsi souligné que des
considérations tenant « soit à la protection d’intérêts étatiques, soit à la recherche d’une
justice propre aux rapports privés » ont notablement influé sur la théorie du conflit de
lois qui a pris un tournant « résolument privatiste vers le milieu de ce siècle »4. Dès la
seconde moitié du XXe siècle, le droit privé a en effet « porté l’intérêt des personnes en
tant que sujets de droit au centre des préoccupations »5. La recherche de résultats
concrets et d’efficacité dans les solutions retenues s’impose en droit, mais l’étude du
droit international privé, notamment des sources conventionnelles, révèle le
pragmatisme des méthodes utilisées pour y parvenir.

1
P. MAYER, L’État et le droit international privé, in L’État / 2 : Droits, n° 16, 1992, p. 33 s., spéc. p. 34
et 36. ; Le mouvement des idées dans le droit des conflits de lois, in, Les droits de l’homme / 2 : Droits,
1985, p. 129 s., spéc. p. 131-135.
2
V. également Y. LEQUETTE , Le droit international privé de la famille à l’épreuve des conventions
internationales : RCADI 1994-II, t. 246, p. 9 s., spéc. p. 30 s.
3
P. M AYER et V. HEUZÉ , Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat,. Droit privé, 7e éd.,
2001, n° 68.
4
H. MUIR-WATT, Droit public et droit privé dans les rapports internationaux (Vers la publicisation des
conflits de lois ?), in Le privé et le public : Archives de philosophie du droit, t. 41, Sirey, p. 207 s., spéc.
p. 207.
5
A. BUCHER, La famille en droit international privé : RCADI 2000, t. 283, p. 9 s., spéc. p. 27.
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE

23. Les textes internationaux ont des objectifs précis, définis selon les besoins
concrets des personnes visées et la matière concernée, et des règles spéciales sont
établies pour y répondre. Or, si « les aspirations au réalisme » ont pris « une large place
dans les préoccupations contemporaines », de fait, le recours à la résidence comme
critère de rattachement s’inscrit dans ce courant. Un État peut certes estimer nécessaire
de protéger socialement et juridiquement ses nationaux, mais s’il entend s’inscrire dans
« une optique de politique sociale », il est également essentiel qu’il prenne en
considération l’ensemble des personnes établies sur son territoire6. Seul un critère de
rattachement territorial permet d’atteindre cet objectif et d’assurer une protection des
personnes dans la réalité de leur vie quotidienne. Parce que la résidence correspond au
lieu où une personne vit de manière suffisamment stable et effective, parce qu’elle
traduit une proximité immédiate, géographique et matérielle entre les personnes et un
système juridique, elle a fréquemment été retenue comme élément de désignation non
seulement de la juridiction compétente, mais également de la loi applicable. La
résidence est devenue un critère de rattachement pivot, incontournable, du droit
international privé.

24. C’est donc ce caractère pragmatique qui justifie que l’on retienne
fréquemment la résidence comme critère de rattachement. Pour autant, malgré les
apparences, justement en raison de son caractère matériel, parce qu’elle est constituée
d’un ensemble d’éléments de fait, il est parfois difficile de déterminer le lieu où une
personne a sa résidence.

25. Les raisons exactes du choix de la résidence, en particulier ce pourquoi elle


a été préférée au domicile, seront d’abord envisagées (Titre 1), la mise en œuvre de ce
critère sera ensuite analysée (Titre 2).

6
A. BUCHER, La famille en droit international privé : RCADI 2000, t. 283, p. 9 s., spéc. p. 28.

22
TITRE 1.
LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

26. Certains voient dans la résidence l’histoire d’une « suprématie peu à peu
conquise sur le domicile »1, ou encore « en quelque sorte l’histoire de l’éviction du
domicile »2. D’autres auteurs ont évoqué la « fuite »3 devant le concept de domicile.
Celui-ci a effectivement gêné4 les juristes pour diverses raisons. Certaines sont liées aux
difficultés inhérentes à la notion elle-même, à son contenu et à sa détermination, en
particulier dans les rapports internationaux. D’autres tiennent au fait que le domicile
étant chargé d’un contexte historique propre à un système juridique considéré, la notion
diffère selon les législations nationales. L’insurmontable diversité des définitions du
domicile a notamment été dénoncée comme constituant un obstacle à sa reconnaissance
en tant qu’élément de rattachement dans un texte international, une interprétation
commune de ce terme étant difficilement envisageable.

27. Le choix du critère de la résidence s’est alors imposé, en particulier dans les
conventions de La Haye. Certes, se référer à la résidence permettait déjà d’échapper aux
difficultés posées par le domicile et, en optant pour un terme nouveau dénué de
contingences nationales, on s’écartait ainsi de tout problème de définition ; on a
d’ailleurs affirmé qu’il ne fallait pas la définir et que la notion devait rester la plus
proche possible de son sens courant. Mais le choix de la résidence s’est également
imposé pour ce qu’elle représente en tant que telle et, en particulier, parce qu’elle est
éminemment concrète, qu’elle traduit une situation de fait ; elle exprime une proximité

1
D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse Lausanne,
1995, p. 85.
2
B. SCHNEIDER, Le domicile international : Thèse Neuchâtel, 1973, p. 115.
3
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 2, L.G.D.J., 7e éd., 1983, n° 385 ;
NEUNHAUS, cité par B. S CHNEIDER , Le domicile international : Thèse Neuchâtel, 1973, n° 160. V.
également l’intervention de H. BATIFFOL dans les débats qui ont suivi l’intervention de Mme Simon-
Depitre, La protection des mineurs en droit international privé après l’arrêt Boll de la Cour
internationale de justice : TCFDIP 1958-1962, p. 109 s., spéc. p. 133 ;
4
P. FRANCESCAKIS , Les avatars du concept de domicile dans le droit international privé actuel :
TCFDIP, 1962-1964, p. 291 s. L’auteur évoque la « gêne » (op. cit. p. 299) et le « malaise » (op. cit.
p. 306) des juristes devant la notion.
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

purement matérielle et correspond au lieu où la personne concernée demeure


effectivement.

28. Le choix de la résidence procède de diverses raisons : si, dans un premier


temps, elle a certainement été envisagée « faute de mieux » pour ainsi dire, pour pallier
les insuffisances du domicile (Chapitre 1), désormais, la résidence n’est plus un
succédané du domicile, mais une notion autonome qui présente intrinsèquement de très
nombreux avantages (Chapitre 2).

24
CHAPITRE 1.
LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

29. Le domicile a soulevé maintes difficultés pour les juristes. En droit interne,
il représente à la fois le lieu où la personne a son principal établissement et donc celui
où elle est censée être. Son caractère juridique, parfois fictif, ne permet pas toujours de
répondre aux objectifs de la règle de conflit lorsqu'il s’agit de l’appliquer dans les
rapports internationaux. Aussi la jurisprudence a-t-elle progressivement élaboré des
définitions autonomes de la notion, propres à la matière qui s’y réfère. La quête de
réalisme apparaît également sur le plan international. Ainsi, lorsqu’il s’est agi pour les
rédacteurs de conventions d’adopter un critère de rattachement conciliable avec les
impératifs des différents systèmes juridiques, il est apparu que le domicile ne pouvait
convenir. Au-delà des divergences liées aux conceptions nationales de la notion, le
choix de ce critère n’apparaissait pas opportun, en particulier lorsque l’idée des grandes
codifications fut abandonnée au profit de conventions spécialisées, tournées vers des
objectifs plus concrets et plus précis. Le domicile ne désignant pas forcément l’endroit
où la personne est effectivement établie, il fut le plus souvent écarté comme élément de
rattachement des textes internationaux.

30. Le domicile a donc révélé ses limites, à la fois en droit français (Section 1)
et dans l’ordre international (Section 2). Si certaines de ses insuffisances sont
communes aux deux situations, elles ne sont pourtant pas identiques et seront tour à tour
analysées.
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

SECTION 1. EN DROIT FRANÇAIS

31. Francescakis a rappelé que dans l’Ancien droit français, le domicile


exprimait un lien entre une personne et un territoire et indiquait la soumission de cette
personne à la loi de ce territoire, essentiellement pour ce qui concerne le statut
personnel. Chaque territoire délimitait le ressort d’un système juridique déterminé, en
général le ressort d’une coutume1. Le domicile fixait une personne sur un point du
territoire concerné, il était « le point d’attache stable de la personne »2, et il en résultait
la soumission de la personne concernée à la loi en vigueur pour l’ensemble de ce
territoire. En matière de statut personnel, le domicile permettant la désignation du droit
applicable, ce qui importait, c’était de savoir si une personne était domiciliée sur le
territoire en question, beaucoup plus que de la localiser en un point très précis de cet
espace. Le domicile était donc un lien territorial, mais pas uniquement. En effet, dans la
mesure où le domicile était utilisé pour rattacher une personne à la loi d’un territoire, il
était nécessaire d’imposer à cette personne un domicile dès sa naissance. Ce domicile
n’était même pas déterminé par le lieu de naissance de l’intéressé, mais par celui de son
auteur, et d’éventuels déplacements ne le modifiaient pas3 : le domicile « [était] une
sorte d’obligation que nous contract[i]ons en naissant »4. Ce domicile, dit « d’origine »,
établissait un lien immédiat entre l’enfant et la loi territoriale5 ; il était très proche de
notre actuel concept de nationalité ou du concept de domicile encore aujourd’hui retenu
par le droit anglais6. Le domicile représentait un lien d’allégeance politique de la

1
V. P. FRANCESCAKIS, Les avatars du concept de domicile dans le droit international privé actuel :
TCFDIP, 1962-1964, p. 291 s., spéc. p. 302.
2
D’ARGENTRÉ, cité par R. CASSIN, La nouvelle conception du domicile dans le règlement des conflits de
lois : RCADI, 1930-IV, t. 34, p. 655 s., spéc. p. 704.
3
V. B. AUDIT, Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 140.
4
BOUHIER, cité par P. FRANCESCAKIS, Les avatars du concept de domicile dans le droit international
privé actuel : TCFDIP, 1962-1964, p. 291. spéc. p. 303.
5
B. SCHNEIDER, Le domicile international : Thèse Neuchâtel, 1973, n° 2.
6
Cf. infra n° 85.

26
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

personne à un certain territoire et à ses autorités7 : « l’homme de ce temps-là avait lui


aussi sa patrie, laquelle était représentée par le domicile »8.

32. La Révolution vint réaliser l’unité législative de la France : il n’y avait plus
désormais de conflits possibles entre les coutumes9. Quelques années plus tard, selon
l’article 3 du Code civil, le statut personnel des Français fut soumis à la loi nationale, et
la jurisprudence a par la suite admis que, corrélativement, le statut de l’étranger devait
obéir aux mêmes règles10. Le Code civil a donc innové lorsqu’il a soumis le statut
personnel à la loi nationale, mais les auteurs soulignent que les travaux préparatoires
sont restés muets sur ce changement radical de critère de rattachement. Une des
hypothèses avancées est que les rédacteurs du Code civil n’ont pas eu conscience
d’avoir à ce point innové11, dans la mesure où, à cette époque, le Français n’était rien
d’autre qu’une personne domiciliée en France12. La portée de cette substitution n’aurait
pas été immédiatement perçue13 et les raisons de ce changement ne sont pas clairement
justifiées. L’article 3 du Code civil a donc enlevé au domicile l’essentiel de son rôle en

7
V. sur ce point H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Droit international privé : t. 2, L.G.D.J., 7e éd., 1983,
n° 383 et H. BATIFFOL, Traité élémentaire de droit international privé : L.G.D.J., 3e éd., 1959, n° 384.
8
B. SCHNEIDER, Le domicile international : Thèse Neuchâtel, 1973, n° 3.
9
V. G. LEVASSEUR , La détermination du domicile en droit international privé français : Thèse Paris,
1931, p. 3 et H. BATIFFOL, Principes de droit international privé : RCADI 1956-II, t. 97, p. 431 s., spéc.
p. 499-500.
10
Paris, 13 juin 1814, Busqueta : S. 1814. 2. 393 ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la
jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 1.
11
Pour MM. Batiffol et Lagarde (Droit international privé : t. 2, L.G.D.J., 7e éd., 1983, n° 380), cette
position implique que la loi du domicile pouvait avoir dans l’esprit du législateur une signification assez
voisine de celle de la loi nationale. – V. également H. BATIFFOL, Le droit international privé français est-
il fidèle à la loi nationale ? : Hommage d’une génération de juristes au Président Basdevant, Éd.
A. Pédone, 1960, p. 22 s., spéc. p. 23-24.
12
B. SCHNEIDER, Le domicile international : Thèse Neuchâtel, 1973, n° 6 s. M. Schneider développe ce
point de l’assimilation entre domicile et nationalité. La confusion entre les deux termes s’est prolongée
pendant un certain temps au cours du XIXe siècle. L’auteur reprend l’exemple de l’article 17-3° du Code
civil, en vigueur jusqu’à la loi du 26 juin 1889, selon lequel la qualité de Français se perdait « par tout
établissement fait en pays étranger, sans esprit de retour ». Or, ce n’est qu’en 1865 (DP 1865. 1. 418) que
la Cour de cassation a admis qu’un Français pouvait s’établir à l’étranger sans perdre, de ce seul fait,
l’esprit de retour, ce qui est difficilement admissible pour le commentateur de l’arrêt. V. également, sur le
parallélisme du domicile et de la nationalité, J.-P. NIBOYET, Quelques considérations sur la détermination
et le rôle du domicile en matière internationale. À propos de l’article 59, § 1 du Code de procédure
civile, in Études de droit civil à la mémoire de Henri Capitant : Dalloz, 1939, p. 549 s., spéc. p. 554. –
V. également FŒLIX (cité par R. CASSIN , La nouvelle conception du domicile dans le règlement des
conflits de lois : RCADI 1930-IV, t. 34, p. 655 s., spéc. p. 709) : « Le territoire de la nation ou de la
patrie » et le lieu du domicile « sont deux expressions équivalentes ».
13
V. R. CASSIN , La nouvelle conception du domicile dans le règlement des conflits de lois : RCADI,
1930-IV, t. 34, p. 655 s., spéc. p. 707 ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence
française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 1, Busqueta, n. 2. V.
également H. BATIFFOL, Principes de droit international privé : RCADI 1959-II, t. 97, p. 431 s., spéc.
p. 500.

27
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

matière de conflits de lois14. Relevaient encore cependant de la loi du domicile les


successions mobilières, les régimes matrimoniaux et le statut personnel des apatrides.
Un rôle lui était également reconnu en matière de compétence judiciaire.

33. Deux questions essentielles concernant le domicile se sont posées. La


première était de déterminer si le domicile pouvait être acquis, au lendemain du Code
civil, dans les mêmes conditions pour les étrangers que pour les Français : les étrangers
pouvaient-ils acquérir un domicile en France au sens des articles 102 et suivants du
Code civil ? (§ 1.) La réponse s’étant révélée affirmative, on s’est ensuite demandé si
ces textes étaient transposables dans les rapports internationaux (§ 2.).

§ 1. Les difficultés liées à l’acquisition d’un domicile en France pour


l’étranger

34. Aucun texte du Code civil ne permettait de déterminer le domicile des


personnes dans les rapports internationaux. Il a été admis que si l’article 102 déterminait
le domicile de tout Français, c’est qu’a contrario, cela excluait le droit à un domicile
pour l’étranger. « Dès lors, le domicile des étrangers ne pouvait exister que si un autre
texte, dérogeant à l’article 102 du Code civil, le décidait, et aux conditions qu’il fixerait.
Or, ce texte ne pouvait être que l’article 13 du Code civil »15. Selon ce texte, tel qu’il a
résulté du décret du 8 mars 1803, « l’étranger qui aura été admis à domicile en France y
jouira de tous les droits civils, tant qu’il continuera d’y résider ». L’article 13 fut
analysé de manière radicalement opposée par deux courants doctrinaux et la
jurisprudence l’interpréta d’abord strictement, refusant de reconnaître à l’étranger non
autorisé un domicile en France (A.). Mais devant les incohérences juridiques que cette
interprétation fit naître, la jurisprudence dut progressivement admettre la substitution de
la notion de domicile de fait, dérivé de la simple résidence, à celle de domicile de droit,
dérivé de l’article 13 (B.).

14
P. FRANCESCAKIS , Les avatars du concept de domicile dans le droit international privé actuel :
TCFDIP 1962-1964, p. 291 s., spéc. p. 293.
15
J.-P. NIBOYET, Traité de droit international privé français. « Sources – Nationalité – Domicile » : t. 1,
Recueil Sirey, 2e éd., 1947, n° 533 et, sur l’ensemble de la question relative à l’admission à domicile,
n° 531 s.

28
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

A. La controverse sur l’admission à domicile de l’article 13 du Code civil

35. Pour certains auteurs16, le domicile n’étant que le résultat de la combinaison


d’un certain nombre d’éléments (matériels et intentionnels), l’étranger, comme le
national, pouvaient établir leur domicile en France : il ne fallait pas confondre « droit au
domicile » et « jouissance des droits civils ». Ils n’emportèrent pas immédiatement
l’adhésion. En effet, une autre partie de la doctrine17 déduisit de l’article 13 du Code
civil que, en dehors d’une autorisation gouvernementale, l’établissement de l’étranger
en France ne pouvait être un véritable domicile et en avoir les conséquences. Il existait
donc en France deux catégories d’étrangers : ceux qui avaient obtenu l’autorisation de
fixer leur domicile en France et ceux qui ne l’avaient pas, et un étranger non admis à
domicile restait alors domicilié dans son pays d’origine.

36. Les juridictions françaises furent ainsi déclarées incompétentes dans les
litiges entre étrangers. D’abord par principe, puis sur le fondement d’une interprétation
stricte de la maxime Actor sequitur forum rei. La jurisprudence a pu retenir que, en tant
que constituant un « droit civil » au sens de l’article 11 du Code civil, l’accès au
bénéfice de la justice appartenait aux Français et devait tout simplement être refusé aux
étrangers18. C’est ainsi que dans un arrêt de 189219, la Cour de cassation décida qu’« il
est de principe, en France, conformément à l’article 11 du Code civil, que les étrangers
ne sont pas justiciables des tribunaux français en matière de contestation intéressant leur
statut personnel et soulevant des questions d’état ». Cet arrêt fut largement critiqué20 : il
était en effet « inutile de reconnaître aux étrangers la jouissance des droits naturels si on
leur refus[ait] le moyen de les faire valoir en justice »21. Francescakis souligna par
ailleurs que la Cour restreignait l’incompétence aux questions d’état alors que dans le
texte de l’article 11 « rien n’autorisait un contact logique particulier avec les actions

16
V. les auteurs cités par G. LEVASSEUR , La détermination du domicile en droit international privé
français : Thèse Paris, 1931, p. 264, n. 1.
17
V. les auteurs cités par G. LEVASSEUR , La détermination du domicile en droit international privé
français : Thèse Paris, 1931, p. 263, n. 1.
18
V. H. GAUDEMET -T ALLON (Rép. intern. Dalloz, V° Compétence civile et commerciale, n° 13 s.) :
l’incompétence générale des tribunaux français était au début du XIXe siècle « déduite de l’article 11 du
Code civil qui était interprété comme faisant du droit d’ester en justice un "droit civil en principe réservé
aux Français" ».
19
Req. 18 juill. 1892, Suissa : S. 1892. I. 407 ; D. 1892. 1. 489.
20
V. la note de Francescakis sous Civ. 21 juin 1948 : Rev. crit. 1949. 557 s., spéc. 560 s. et 564 où
l’auteur qualifie la décision d’« aberrante », surtout quant à son fondement sur l’article 11 du Code civil.
21
H. BATIFFOL, Traité élémentaire de droit international privé : L.G.D.J., 1959, 3e éd., n° 697.

29
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

d’état »22. Cet arrêt est resté isolé, la jurisprudence ne s’est plus fondée par la suite sur
l’article 11 du Code civil et s’est contentée de mentionner de façon générale « le
principe d’incompétence ». D’autres arguments furent invoqués : la compétence fut
envisagée comme un rapport de droit public entre le sujet et son souverain23 dont
l’étranger ne pouvait bénéficier24 : « les tribunaux [étant] institués pour rendre la justice
aux Français, ils ne la d[evaient] pas aux étrangers »25. Avec cette position, on se
trouvait devant un refus de tenir compte du domicile ou de la résidence, même durable,
de l’étranger en France. Or, comme l’a souligné Batiffol, c’était oublier le fait que « si
les étrangers ne font pas partie formellement et à titre définitif de la collectivité
française, ils y entrent matériellement par leur présence en France […] et par leurs
intérêts localisés en France. Or, la paix publique, que protège la justice civile, doit
régner sur tous ceux qui se trouvent matériellement sur le territoire, car si elle est […]
"la tranquillité de l’ordre", cet ordre comprend matériellement tous les individus
présents »26. Les partisans de cette thèse selon laquelle la compétence est un rapport de
droit public ont vu dans les articles 14 et 15 du Code civil une confirmation de leur
analyse. En effet, ces textes, fondant la compétence des juridictions françaises sur la
nationalité française du demandeur ou du défendeur, ont été interprétés comme étant a
contrario inapplicables aux étrangers. Une telle interprétation est critiquable dans la
mesure où, constituant un privilège, ces articles « ne devaient pas s’interpréter a
contrario comme s’il n’existait plus aucun cas de compétence en dehors de leur champ

22
P. FRANCESCAKIS, note sous Civ. 21 juin 1948 : Rev. crit. 1949. 557 s., spéc. 560. Francescakis note
cependant que cette attitude de la Cour se justifiait malgré tout dans la mesure où, à la même époque,
« elle avait déjà construit tout un système d’exceptions à l’incompétence et que, de ce fait, les actions
d’état représentaient en quelque sorte le résidu du principe » (ibid.).
23
V. par exemple l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar de 1815 (30 déc. 1815 : S. 1815-1818. II. 87) qui
énonce que « si le droit de rendre la justice est l’un des apanages de la souveraineté, celui de réclamer et
de l’obtenir est un avantage que le sujet est fondé à exiger de son souverain, que sous ce double rapport,
chaque monarque ne doit la justice qu’à ses sujets et doit la refuser aux étrangers ».
24
V. É. PATAUT, Principe de souveraineté et conflits de juridictions (Étude de droit international privé) :
L.G.D.J., Bibliothèque de droit privé, t. 298, 1999, p. 76.
25
H. BATIFFOL , Traité élémentaire de droit international privé : L.G.D.J., 1959, 3e éd., n° 697. V.
également C. N. FRAGISTAS (La compétence internationale en droit international privé : RCADI 1961-
III, t. 104, p. 159 s., spéc. p. 209 s.) : « la justice était considérée comme une fonction de l’État ; elle
devait être rendue pour ou contre les nationaux mais, tout au moins en principe, elle n’était pas due aux
étrangers ».
26
H. BATIFFOL, Traité élémentaire de droit international privé : L.G.D.J., 1959, 3e éd., n° 697.

30
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

d’application »27. Il aurait effectivement été plus logique d’essayer de définir le droit
commun en dehors de leur champ d’application.

37. Les considérations évoquées ci-dessus ont évidemment eu leur importance,


mais l’incompétence des juridictions françaises dans les litiges entre étrangers semble
surtout avoir découlé d’une application très stricte de la maxime actor sequitur forum
rei selon laquelle le tribunal du défendeur est compétent. Il est résulté de l’interprétation
de l’article 13 du Code civil qu’un étranger ne pouvait pas être en principe poursuivi en
France par un autre étranger28, à moins que celui-ci ne fût lui-même admis à domicile,
« auquel cas, toujours par application de l’article 13, il était assimilé aux Français et
pouvait poursuivre sur la base de l’article 14 du Code civil »29. Admis à domicile,
l’étranger jouissait également du bénéfice de l’article 15 du Code civil. « Entre
étrangers admis à domicile, la situation [était] par conséquent la même qu’entre
Français »30.

38. L’institution de l’admission à domicile a été à l’origine d’un grand nombre


de difficultés. À partir de la loi du 29 juin 1867 relative à la naturalisation31, l’admission
à domicile devint une condition préalable à la naturalisation32. Avec la réforme du
26 juin 1889 sur la nationalité33, l’article 8, 5° du Code civil a indiqué que sont français
les étrangers naturalisés et que peuvent être naturalisés « 1° Les étrangers qui ont
obtenu l’autorisation de fixer leur domicile en France, conformément à l’art. 13 […],
après trois ans de domicile en France, à dater de leur demande au ministère de la
justice ». L’article 13 du Code civil a été modifié en la forme en ce qui concerne son
premier alinéa qui disposait désormais que « l’étranger qui aura été autorisé par décret à
fixer son domicile en France y jouira de tous les droits civils » ; mais surtout, un second

27
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 2, L.G.D.J., 1983, 7e éd., n° 671. V.
également É. PATAUT, Principe de souveraineté et conflits de juridictions (Étude de droit international
privé) : L.G.D.J., Bibliothèque de droit privé, t. 298, 1999, p. 74.
28
Que l’on ne puisse retenir l’existence d’un domicile de fait en France ou lui reconnaître des effets avait
pour conséquence qu’un étranger pouvait ainsi se prévaloir de l’incompétence des juridictions françaises
devant lesquelles il était poursuivi, et ceci sur le fondement d’un défaut de domicile en France.
29
P. FRANCESCAKIS, note sous Civ. 21 juin 1948 : Rev. crit. 1949. 557 s., spéc. p. 563.
30
D. HOLLEAUX, Compétence du juge étranger et reconnaissance des jugements : Dalloz, Bibliothèque
de droit international privé, vol. IX, 1970, n° 253.
31
Collection générale des décrets rendus par l’Assemblée nationale (Coll. Baudoin), t. 11, Bull. 1503,
n° 15-256.
32
Selon l’alinéa 1 de l’article 1er de la loi, « l’étranger qui, après l’âge de vingt et un ans accomplis, a,
conformément à l’article 13 du Code civil, obtenu l’autorisation d’établir son domicile en France, et y a
résidé pendant trois années, peut être admis à jouir de tous les droits de citoyen français ».

31
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

alinéa a été ajouté : « L’effet de l’autorisation cessera à l’expiration de cinq années, si


l’étranger ne demande pas sa naturalisation, ou si la demande est rejetée ». Par ces
articles, le législateur a marqué sa volonté de faire de l’admission à domicile le
préalable à une naturalisation : de fait, les effets de l’autorisation à domicile étaient
d’accorder à l’étranger non seulement la jouissance des droits civils, mais surtout des
facilités pour l’obtention de la nationalité française. Pour reprendre les termes de Weiss,
« le législateur a voulu marquer par là sa volonté d’établir entre l’admission et la
naturalisation une solidarité étroite »34 et selon la célèbre formule de Niboyet,
« l’admission à domicile se limita à être l’antichambre ou le vestibule de la
naturalisation, mais avec des sièges confortables et des possibilités d’une attente limitée
plus agréable »35. De fait, le lien entre l’admission à domicile et la naturalisation était
alors incontestable.

39. L’admission à domicile nécessitant un grand nombre de formalités et


occasionnant beaucoup de frais, il n’y avait qu’un nombre infime d’étrangers qui la
sollicitaient. Or, s’il y avait de moins en moins d’étrangers domiciliés en France, dans le
même temps, le nombre d’étrangers immigrant en France croissait de manière
significative, ce qui ne pouvait qu’occasionner des incohérences liées à l’interprétation
très étroite de l’article 13 du Code civil. Les difficultés posées par cette interprétation
ont alors atteint leur paroxysme. En effet, les juridictions françaises ne voulaient pas
reconnaître aux étrangers la jouissance du droit à un domicile en France par leur seule
volonté36. Ainsi, en matière successorale, la Cour de cassation, dans un arrêt de 186937,
estima que les étrangers ne pouvaient acquérir un domicile en France, avec tous ses
effets légaux « qu’autant qu’ils obtiennent l’autorisation du Gouvernement d’y établir
leur domicile et qu’ils continuent d’y résider. Celui qui n’a pu obtenir l’autorisation
prescrite n’a pu acquérir la jouissance des droits civils ni un domicile en France […]
encore bien qu’il ait eu un domicile de fait en France ». Saisi en première instance, le
tribunal de Marseille, dont la décision fut censurée, avait estimé que l’intéressé était

33
JO du 28 juin 1889.
34
A. W EISS , Traité théorique et pratique de droit international privé. De la nationalité : t. 1, 1892,
p. 323.
35
J.-P. NIBOYET, Traité de droit international privé français. « Sources – Nationalité – Domicile » : t. 1,
Recueil Sirey, 2e éd., 1947, n° 532.
36
J.-P. NIBOYET, Traité de droit international privé français. « Sources – Nationalité – Domicile » : t. 1,
Recueil Sirey, 2e éd., 1947, n° 533.
37
Civ., 12 janv. 1869 (3 arrêts ; spéc. 1re esp.) : DP 1869. 1. 294 ; S. 1869. 1. 138.

32
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

domicilié en France car « il ne s’ensuit pas qu’à défaut de cette autorisation l’étranger
ne puisse avoir un domicile réel et légal en France […] En effet, le domicile est
l’établissement d’une personne dans le lieu où elle entend fixer sa résidence ; il consiste
donc dans le fait d’une habitation réelle jointe à l’intention d’un établissement
permanent ». Or, l’interprétation de la Cour de cassation prouve qu’il ne suffisait pas
que l’étranger remplisse les conditions des articles 102 et suivants du Code civil pour
être domicilié en France au sens de l’article 13. L’arrêt Forgo du 5 mai 187538 confirma
la solution selon laquelle le domicile de fait d’un étranger ne suffisait pas « pour
attribuer [à l’intéressé] un domicile légal avec les effets juridiques qui y sont attachés ».
Or, cette interprétation rigide était pour le moins fâcheuse : « le domicile est un fait dont
la loi tire des conséquences de droit. Refuser un domicile en France à l’étranger qui y a
son principal établissement est nier un fait qui d’évidence existe »39. Batiffol a repris
l’exemple des successions mobilières pour souligner les contradictions du système :
« l’application des lois étrangères aux successions mobilières des étrangers décédés
domiciliés en France est apparue comme un contresens dans un pays d’immigration »40.
L’incohérence a également été soulignée par Fragistas qui a considéré que dès lors que
l’État « permet l’établissement d’étrangers sur son territoire et leur accorde la possibilité
de développer leur activité dans le domaine privé du droit, il est évident qu’il ne peut
fermer la porte de ses tribunaux à leurs litiges »41. Dès lors, le principe de l’indifférence
de la justice française à l’égard des litiges entre étrangers a dû admettre plusieurs
exceptions42.

B. Les concessions jurisprudentielles nécessaires

40. La jurisprudence a admis, dans de très nombreuses décisions, que l’étranger


pouvait posséder une résidence que « par opposition au domicile autorisé on appelle
domicile de fait »43. Comme l’a souligné M. Levasseur, le domicile étant une nécessité

38
Civ., 5 mai 1875 : D. 1875. 1. 343 ; S. 1875. 1. 409.
39
H. B ATIFFOL , Traité élémentaire de droit international privé : L.G.D.J., 3e éd., 1959, n° 182.
V. également H. B ATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 1, L.G.D.J., 8e éd.,
1993, n° 179.
40
H. BATIFFOL, Traité élémentaire de droit international privé : L.G.D.J., 3e éd., 1959, n° 182.
41
C. N. FRAGISTAS , La compétence internationale en droit privé : RCADI 1961-III, t. 104, p. 159 s.,
spéc. p. 209-210.
42
V. C. N. FRAGISTAS, La compétence internationale en droit privé : RCADI 1961-III, t. 104, p. 159 s.,
spéc. p. 210.
43
G. LEVASSEUR, La détermination du domicile en droit international privé français : Thèse Paris, 1931,
p. 270.

33
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

de la vie juridique, « on ne pouvait le refuser aux étrangers qu’en théorie, et avec


l’obligation de le leur accorder sous une forme détournée »44. Grâce à ce stratagème
juridique consistant à distinguer le domicile légal, requérant l’autorisation
gouvernementale, du domicile de fait ou de la simple résidence en France, que
l’étranger pouvait acquérir librement, la jurisprudence a pu contourner les difficultés
posées par l’article 13 du Code civil, tout en conservant un contrôle sur les effets du
domicile susceptibles de se produire vis-à-vis des étrangers. En effet, tout en soulignant
l’importance du domicile de fait, la jurisprudence a clairement indiqué a plusieurs
reprises que si l’étranger qui réside habituellement en France sans avoir obtenu
l’autorisation préalable de l’article 13 peut y avoir un domicile de fait, « ce domicile
entraîne des effets certains quoique moins étendus que ceux qui sont spécialement
énoncés dans l’article 13 »45. De même, dans un arrêt de 1902, la Cour de cassation a
précisé que « l’étranger peut, en transposant en France son principal établissement, s’y
créer […] un domicile de fait qui produit certains des effets que la loi attache au
domicile des Français »46. Les effets du domicile ou de la résidence en France sont donc
contrôlés et parfois limités, et l’influence du domicile de fait a pu être restreinte dans
certains cas. Le domicile de fait a été ainsi considéré comme attributif de compétence
dans de très nombreuses matières, mais à l’exclusion des actions d’état.

41. La jurisprudence a donc « commencé par voir sous le nom singulier de


domicile de fait, une simple résidence […] dans laquelle […] elle a reconnu
progressivement une attache suffisante pour déterminer la compétence française en
matière d’actions personnelles et par application de la maxime actor sequitur… Elle a
agi ainsi […] en matière commerciale […] et aussi en toute autre matière à l’exclusion
des actions d’état »47. La compétence des tribunaux français a de la sorte été admise par
la jurisprudence en matière successorale : « l’étranger fixé en France sans autorisation
du gouvernement peut y acquérir et y conserver un domicile de fait, ayant pour effet de
le soumettre à la juridiction des tribunaux français, et de déterminer la compétence du
tribunal qui doit connaître, après son décès, de la succession qu’il laissera en France »48.

44
G. LEVASSEUR, La détermination du domicile en droit international privé français : Thèse Paris, 1931,
p. 271.
45
J.-E. LABBÉ, note sous Caen, 12 juill. 1870 : S. 1871. 2. 57.
46
Civ., 28 juill. 1902 : D. 1902. 1. 398 ; S. 1907. 1. 114.
47
P. FRANCESCAKIS, note sous Civ. 21 juin 1948 : Rev. crit. 1949. 557 s., spéc. 566.
48
Req., 7 juill. 1874 : S. 1874. 1. 19 ; DP 1875. 1. 271.

34
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

La Cour de cassation a également reconnu les juridictions françaises compétentes,


même entre étrangers, dans les contestations ayant pour objets des immeubles situés en
France49. De même, les tribunaux français ont reconnu à la victime étrangère d’un délit
commis en France le droit à en obtenir réparation en France même dans l’hypothèse où
le responsable était étranger50. La compétence française s’est également étendue « à
tous les cas dans lesquels l’ordre public paraissait en cause ainsi que lorsqu’il fallait
prendre des mesures conservatoires ou urgentes »51.

42. La substitution de la notion de domicile de fait, dérivé de la simple


résidence, à celle de domicile de droit, dérivé de l’article 13, était acquise et la « logique
eut voulu que la solution nouvelle s’étendît, sous la même condition (celle d’un
domicile de fait en France) aux actions d’état »52. Mais il n’en fut rien. D’ailleurs,
même après l’abrogation de l’article 13 du Code civil par la loi du 10 août 1927, il n’y a
pas eu d’élargissement immédiat de la compétence internationale des juridictions
françaises à l’égard des étrangers lorsqu’elle était fondée en la matière sur la règle actor
sequitur forum rei53. D’après Francescakis, « la tradition rattachait précisément [les
actions d’état] à un domicile fortement empreint d’idée de patrie. À un tel domicile, les
tribunaux se refusaient à assimiler non seulement la simple résidence […] mais même
ce « domicile de fait » qui suffisait en d’autres matières pour fixer la compétence »54.
En ce sens, la jurisprudence a parfois mis l’accent sur la perte de l’esprit de retour de
l’étranger dans son pays d’origine, considérée comme élément nécessaire et révélateur

49
Req., 10 nov. 1847 : DP 1848. 1. 38 ; S. 1848. 1. 52 ; Civ., 22 mars 1865 : DP 1865. 1. 127 ; S. 1865. 1.
175.
50
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 2, L.G.D.J., 1983, 7e éd., n° 672.
51
H. GAUDEMET-TALLON : Rép. intern. Dalloz, V° Compétence civile et commerciale, n° 14.
52
É. BARTIN , Principes de droit international privé : Paris, Éd. Domat-Montchrestien, 1930, n° 153,
p. 379.
53
V. H. MUIR-WATT, Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10,
n° 53. D. HOLLEAUX (Compétence du juge étranger et reconnaissance des jugements étrangers : Dalloz,
Bibliothèque de droit privé, vol. IX, 1970, n° 293) relève le fait que les juridictions du fond ont largement
tiré argument de la suppression de l’admission à domicile, après 1927, afin de se reconnaître compétentes
quand le défendeur possédait son principal établissement en France, mais que « l’abrogation de l’article
13 ne fut pas considérée comme emportant cette conséquence », alors qu’elle aurait dû anéantir le
principe d’incompétence. V. en ce sens la décision de la Cour de cassation du 30 décembre 1930 (Req.,
30 déc. 1930 : JCP 1931, p. 259 ; Rev. crit. 1932. 111).
54
P. FRANCESCAKIS, note sous Civ. 21 juin 1948 : Rev. crit. 1949. 557 s., spéc. p. 567. L’auteur ajoute
qu’« on n’a, du reste, jamais su de manière certaine si la jurisprudence entendait le déterminer sur le
fondement des articles 102 et suivants du Code civil et, partant, le ramener à la notion interne du
domicile ». Il faut souligner que Francescakis concevait le domicile dans les rapports internationaux
comme une notion autonome, ne répondant pas obligatoirement aux articles 102 et suivants du Code civil
(cf. infra n° 54 s.). V. également B. A NCEL et Y. LEQUETTE , Les grands arrêts de la jurisprudence
française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 37, § 4.

35
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

de l’existence d’un domicile en France pour cet étranger55. La compétence des


juridictions françaises étant donc exclue dans tous les litiges relatifs à l’état des
personnes56, la jurisprudence a dû tourner cet obstacle en « créant un nouveau chef de
compétence, qui est celui du défaut à l’étranger de toute juridiction compétente »57.
C’est ainsi que dans l’hypothèse où l’étranger n’avait conservé aucun domicile à
l’étranger, afin d’éviter un déni de justice, les juridictions françaises se sont reconnues
compétentes « lorsqu’aucun pays étranger accessible aux parties » n’était « disposé à
juger de l’affaire »58. Par exemple, la Cour de cassation a ainsi admis que les
juridictions françaises étaient compétentes dans un litige entre deux réfugiés « s’il
n’[était] pas établi qu’un tribunal étranger pouvait connaître du litige »59. Une autre
exception au principe d’incompétence dans les litiges entre étrangers a consisté à
admettre que « le domicile de fait en France de l’étranger défendeur pouvait justifier la
compétence des tribunaux français »60. En somme, à la fin du XIX
e
siècle, « le principe
d’incompétence des tribunaux français à l’égard des étrangers n’était plus qu’une
coquille vide »61. Mais, finalement, les nombreuses dérogations évoquées
précédemment, « en évinçant le principe d’incompétence là où son application eût été
proprement intolérable, lui permirent de subsister »62 et il a fallu attendre l’arrêt Patiño
de 194863 pour que la Cour de cassation admette de façon générale la compétence des

55
V., pour une référence à la perte d’esprit de retour, Civ. 1re, 5 avr. 1978 : Bull. civ. I, n° 146. – La perte
de l’esprit de retour a souvent été retenue comme révélatrice de l’existence d’un domicile international
qui serait autonome par rapport au domicile du droit interne français des articles 102 et suivants du Code
civil, principalement pour Francescakis et Niboyet (cf. infra n° 53 s.).
56
Francescakis l’expliquait notamment par la volonté de faire coïncider loi applicable et compétence
juridictionnelle.
57
P. FRANCESCAKIS, note sous Civ. 21 juin 1948 : Rev. crit. 1949. 557 s., spéc. p. 567.
58
P. M AYER et V. H EUZÉ , Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat droit privé, 7e éd.,
2001, n° 282.
59
Req. 29 juill. 1912 : Gaz. Pal. 1912. 2. 410. V. également Req., 7 mars 1870 : S. 1872. 1. 361 ; DP
1872. 1. 326 et Req. 8 avril 1851 : S. 1851. 1. 335. Dans le même sens, même après l’abrogation de
l’article 13 en 1927, voir, sur le principe de la compétence des juridictions françaises fondée sur le risque
de déni de justice, l’arrêt de la Cour de cassation de 1930 (Req. 30 déc. 1930 : JCP 1931, p. 259 ; Rev.
crit. 1932. 111) : « si, en principe, les tribunaux français sont incompétents pour statuer entre étrangers
sur les litiges relatifs à des questions d’état, telles que le divorce, ils deviennent compétents lorsque le
défendeur étranger, domicilié de fait en France, n’a plus de domicile dans un pays étranger où une
juridiction aurait compétence pour connaître de l’action dirigée contre lui ». Pour d’autres références sur
ce point, v. P. M AYER et V. HEUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat Droit privé,
7e éd., 2001, n° 288, n. 18.
60
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 2, L.G.D.J., 1983, 7e éd., n° 672.
61
H. GAUDEMET-TALLON : Rép. intern. Dalloz, V° Compétence civile et commerciale, n° 14 s.
62
B. ANCEL et Y. L EQUETTE , Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international
privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 37, § 5.
63
Civ., 21 juin 1948 : Rev. crit. 1949. 557, note P. Francescakis ; JCP 1948. II. 4422, note P. L. ; S. 1949.
1. 121, note J.-P. Niboyet.

36
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

juridictions françaises dans les litiges entre étrangers. Dès lors, l’abandon du principe
d’incompétence « mettait en pleine lumière les insuffisances des articles 14 et 15 du
Code civil : sur quelles directives s’appuyer pour fonder la compétence internationale
de nos tribunaux lorsqu’aucun Français n’est partie au litige ? »64. Une réponse a
finalement été fournie par la Cour de cassation dans les arrêts Pelassa65 et Scheffel66.
Dans l’arrêt Scheffel, est énoncé sous forme de principe que « l’extranéité n’est pas une
cause d’incompétence des tribunaux français, dont […] la compétence internationale se
détermine par extension des règles de compétence territoriale interne ». Pour reprendre
les termes de Georges Holleaux, « le litige entre deux étrangers porté devant un tribunal
français y est traité, en ce qui concerne les questions de compétence internationale,
exactement comme le serait, dans les mêmes circonstances, un litige entre Français »67.

43. Une étude détaillée de la jurisprudence avait permis à Levasseur de


constater que le domicile de fait de l’étranger en France, « qui est toujours un domicile
de choix, puisque précisément il est accordé en fonction d’une situation de fait et non
d’une règle légale »68, se déterminait exactement de la même manière pour l’étranger
que pour le Français : la notion applicable au domicile de fait des étrangers en France
est bien « la notion du domicile de choix consacrée par le Code civil, puisque sur ce
point la Cour de cassation assimile l’étranger au Français »69. Avec la réforme du
10 août 1927, le législateur a abrogé un article 13 du Code civil devenu anachronique et
le seul texte applicable au domicile ne peut être par conséquent que l’article 102 du
Code civil70. On s’est alors demandé si les articles 102 et suivants étaient transposables
dans les rapports internationaux.

64
B. ANCEL et Y. L EQUETTE , Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international
privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 37, § 6.
65
Civ., 19 oct. 1959 : D. 1960. 37, note G. Holleaux ; JDI 1960, p. 486, obs. Sialelli ; Rev. crit. 1960.
215, note Y. L.
66
Civ. 1re, 30 octobre 1962 : B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française
de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 37 ; D. 1963. 109, note
G. Holleaux ; Rev. crit. 1963. 387, note P. Francescakis.
67
G. HOLLEAUX, note sous Civ. 1re, 30 oct. 1962 : D. 1963. 109.
68
G. LEVASSEUR, La détermination du domicile en droit international privé français : Thèse Paris, 1931,
p. 282.
69
G. LEVASSEUR, La détermination du domicile en droit international privé français : Thèse Paris, 1931,
p. 288.
70
V. J. VALÉRY, Un étranger peut-il acquérir un domicile en France depuis la loi du 10 août 1927 sur la
nationalité ? : JDI 1928. 592 s., spéc. 597. L’auteur indique clairement que « dorénavant, l’autorisation
du domicile étant supprimée, un étranger ne peut être considéré comme domicilié en France que s’il
remplit à ce point de vue les conditions exigées par la loi pour les Français ». Sur les incidences du

37
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

§ 2. Les difficultés liées à la détermination du domicile

44. Pour savoir si les articles 102 et suivants sont transposables dans les
rapports internationaux, et comprendre les difficultés auxquelles les tribunaux ont été
confrontés, il est essentiel de se référer à la notion de domicile en droit interne
français (A.). On verra ensuite comment ces textes ont été interprétés lorsqu’il s’est agi
de les appliquer aux étrangers (B.).

A. Le domicile en droit interne français

45. Si le Code civil n’apporte pas une réelle définition du domicile, il indique en
revanche de quelle manière il se détermine. Selon l’article 102 alinéa 1er, « le domicile
de tout Français, quant à l’exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal
établissement ». Le débat théorique, et qui a parfois manqué de clarté, entre les auteurs
qui ont considéré le domicile comme le lieu du principal établissement, et ceux qui ont
estimé que le domicile étant au lieu du principal établissement, il ne pouvait pas être un
lieu lui-même mais autre chose de plus (qui ne pouvait être qu’une fiction)71, semble
aujourd’hui épuisé72. Néanmoins, il permet de dégager l’ambiguïté du domicile, notion
tout à la fois concrète et abstraite. Cassin73 a rappelé qu’en son sens fondamental, « le
terme de domicile, dérivé de domus, désigne l’endroit où l’homme a établi son foyer
domestique et concentré l’ensemble de ses intérêts » et que la notion est « en son
principe une notion de fait répondant à un besoin élémentaire, celui de marquer
juridiquement le lien qui rattache un individu à la surface terrestre, lieu où il est réputé
présent ». Laissant un peu de côté l’idée de notion de fait pour définir le domicile,
Aubry et Rau ont mis l’accent sur son aspect plus juridique : « le domicile est la relation
juridique existant entre une personne et le lieu où cette personne est, quant à l’exercice
de ses droits et quant à l’accomplissement de ses obligations, toujours censée être

décret-loi du 12 novembre 1938 (abrogé par l’ordonnance du 2 novembre 1945) selon lequel les étrangers
ne pourraient invoquer les droits subordonnés au domicile en France qu’après avoir obtenu un permis de
séjour de plus d’un an et son interprétation, v. J.-P. NIBOYET, Traité de droit international privé français.
« Sources – Nationalité – Domicile » : t. 1, Recueil Sirey, 2e éd., 1947, n° 535 s.
71
V. pour les détails P. GALLIZIA, Du domicile général en droit français : Thèse Grenoble, 1930, p. 18 s.
72
Dans la rédaction du Conseil d'État, le texte de l’article 102 était le suivant : « Le domicile de tout
Français est le lieu où il a son principal établissement ». V. BARBOSA DE MAGALHAES, La doctrine du
domicile en droit international privé : RCADI 1928-III, t. 23, p. 1 s., spéc. p. 35.
73
R. CASSIN, La nouvelle conception du domicile dans le règlement des conflits de lois : RCADI 1930-
IV, t. 34, p. 655 s., spéc. p. 665.

38
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

présente »74. Le domicile ne serait pas forcément un lieu, celui de l’établissement


principal, mais au lieu de cet établissement75. En revanche, d’autres auteurs, estimant
cette définition trop abstraite et passablement complexe, préfèrent définir le domicile
comme le lieu lui-même76. Ainsi, pour Colin et Capitant77, le domicile « est la
demeure78 que la personne est censée avoir aux yeux de la loi pour l’exercice de certains
droits et l’accomplissement de certains actes » : le droit « fixe pour chaque personne un
lieu, qui est le siège légal de cette personne, siège où elle est toujours supposée
présente, soit qu’elle s’y trouve corporellement, soit qu’elle ne s’y trouve pas »79. La
position de Demolombe80 est un compromis entre ces positions doctrinales : « le mot
domicile a deux acceptions : 1° il désigne le siège légal, le siège juridique de la
personne ; c’est ainsi que l’article 102 déclare que le domicile de tout Français est au
lieu où il a son principal établissement ; 2° il désigne bien souvent aussi le lieu lui-
même où le principal établissement se trouve ». Le domicile est donc à la fois un lieu et
une fiction juridique81. Il est au lieu du « principal établissement », formulation qui
requiert également des précisions.

74
C. AUBRY et C. R AU , Droit civil français : t. 1, 7e éd. par A. PONSARD , 1964, p. 140, n° 571. – V.
également BARBOSA DE M AGALHAES , La doctrine du domicile en droit international privé : RCADI
1928-III, t. 23, p. 1 s., spéc. p. 34. Selon l’auteur, le domicile est « le lien juridique unissant l’individu à
un lieu déterminé ». – « La notion de domicile est essentiellement juridique et souvent fictive » ; elle
implique « une présomption de présence continue » (G. GOUBEAUX, Traité de droit civil. Les personnes,
ss dir. J. GHESTIN : L.G.D.J., 1989, n° 179). V. également M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de
droit civil français. Les personnes, par S. SAVATIER : L.G.D.J., 2e éd., 1952, n° 137.
75
Sur ces subtilités de langage, v. la thèse de P. GALIZZIA, Du domicile général en droit français : Thèse
Grenoble, 1930, p. 19.
76
V. notamment M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français. Les personnes, par
S. SAVATIER : L.G.D.J., 2e éd., 1952, n° 137 ; G. M ARTY et P. RAYNAUD, Les personnes : Sirey, 3e éd.,
1976, n° 740 ; MM. M AZEAUD et F. CHABAS, Leçons de droit civil. Les personnes : t. 1, Montchrestien,
2e vol., 1997, 8e éd. par F. LAROCHE-GISSEROT, n° 567.
77
A. COLIN et H. CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français : t. 1, Dalloz, 7e éd., 1931, p. 434,
n° 421.
78
En cela, il serait avant tout un lieu.
79
V. également sur l’idée de « siège légal », dans l’intérêt des tiers ou dans l’intérêt général,
MM. MAZEAUD et F. CHABAS, Leçons de droit civil. Les personnes : t. 1, Montchrestien, 2e vol., 1997,
8e éd. par F. LAROCHE-GISSEROT, n° 567 ; C. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, t. 1 : Traité de la
publication des effets et de l’application des lois en général. De la jouissance et de la privation des droits
civils. Des actes de l’état civil. Du domicile, Paris 1880, p. 430.
80
C. DEMOLOMBE, op. et loc. cit. Pour une position nuancée similaire, v. G. GOUBEAUX,Traité de droit
civil. Les personnes, ss dir. J. GHESTIN : L.G.D.J., 1989, n° 173 s. ; B. PETIT, Domicile : J.-Cl. Droit civil,
Fasc. 10, n° 5.
81
V. LOISEAU (cité par BARBOSA DE MAGALHAES, La doctrine du domicile en droit international privé :
RCADI 1928-III, t. 23, p. 1 s., spéc. p. 35). L’auteur, évoquant le remplacement de l’expression « le
lieu » du principal établissement par l’expression « au lieu », a estimé que « ces deux rédactions qui ne
pourraient se remplacer l’une par l’autre, sont également exactes, parce qu’elles correspondent aux deux
sens que peut avoir le domicile ».

39
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

46. Il est certain que l’expression de « principal établissement » est très vague :
le terme est « assez flou pour recouvrir des réalités diverses et pour se satisfaire de liens
matériels ou moraux, pécuniaires ou sentimentaux, fondés ou non sur une présence
effective »82. L’habitation réelle en un lieu constitue un élément important souvent
retenu83. Les relations de famille en un lieu déterminé, par exemple le fait pour une
personne d’y installer sa famille, d’y scolariser ses enfants, sont également prises en
compte, mais au même titre que l’exercice de certains droits ou obligations comme
l’inscription sur des listes électorales, ou encore le lieu où la personne exerce sa
profession, où elle possède un commerce, etc. Tous ces éléments sont des indices de
l’établissement qui sont appréciés et pesés pour pouvoir dégager où est localisé celui qui
apparaît comme le principal. Le Code de procédure civile marocain de 197484 dispose
dans son article 519 que « le domicile de toute personne est au lieu où elle a son
habitation habituelle et le centre de ses affaires et de ses intérêts ». Mais il prévoit
également que si « la personne a son habitation habituelle en un lieu et le centre de ses
affaires dans un autre, elle est considérée comme domiciliée, à l’égard de ses droits de
la famille et de son patrimoine personnel, là où elle a son habitation habituelle, et à
l’égard des droits ressortissant à son activité professionnelle, là où elle a le centre de ses
occupations et de ses intérêts ». Deux domiciles peuvent donc être envisagés. En
revanche, selon le droit français, une personne ne peut avoir qu’un domicile : un seul
établissement est considéré comme principal. Mais si le domicile est par principe
unique, les différents éléments qui peuvent le constituer ne sont pas forcément
géographiquement localisés en un même lieu : par hypothèse tous ces indices, inhérents
à la vie quotidienne de toute personne, peuvent évidemment être situés en différents
points du territoire français, mais également à l’étranger. Il est alors impossible de dire,
sans connaître tous les faits d’une espèce, où se situe le domicile d’une personne : il est
par exemple illusoire de dire que le lieu d’activité professionnelle va a priori l’emporter
sur toute autre considération. C’est aux juges du fond de décider souverainement ceux
auxquels il convient d’attacher le plus de valeur et cela en fonction de la nature du
litige, ce qui revient peu ou prou aux dispositions du droit marocain. En effet, pour le
juge du fond français, « tout dépend de la nature du litige à propos duquel se pose la

82
B. PETIT, Domicile : J.-Cl. Droit civil, Fasc. 10, n° 5.
83
Élément qui est par ailleurs déjà révélateur de la volonté d’une personne d’y fixer son principal
établissement, cf. infra n° 49.
84
Dahir portant loi n° 1-74-447 du 28 septembre 1974.

40
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

détermination du domicile car à l’arrière plan se dissimulent toujours des intérêts


pratiques auxquels le juge du fond ne reste pas étranger »85.

47. Si certaines personnes ont un domicile légal, ou de dépendance, fixé par la


loi, comme par exemple les mineurs non émancipés qui sont domiciliés chez leurs
parents, les autres ont la liberté de l’établir dans le lieu de leur choix et de le déplacer.
L’article 103 du Code civil, relatif au changement de domicile, dispose que ce
changement « s’opérera par le fait d’une habitation réelle en un autre lieu, joint à
l’intention d’y fixer son principal établissement ». Rédigé de manière réaliste, il fournit
deux indications : il précise que pour qu’il y ait un changement de domicile, il faut qu’il
y ait un changement du lieu d’habitation réelle, critère matériel et géographique ; il met
également en évidence ses deux éléments constitutifs.

48. Il faut donc une « habitation réelle ». La résidence est souvent opposée, dans
les ouvrages généraux de droit civil, à l’habitation : la première serait le lieu où la
personne vit de façon normale, où elle séjourne de manière assez stable et habituelle,
« où, en fait, la personne habite réellement au moment considéré »86 et la seconde, le
lieu où elle séjourne très brièvement et occasionnellement87. Lorsque la constitution du
domicile requiert une habitation réelle, ce n’est certainement pas le lieu du séjour bref et
occasionnel, la « chambre d’hôtel » traditionnellement donnée en exemple ou le lieu où
l’on passe ses vacances, qui sert de critère, la jurisprudence ne considérant l’habitation
comme constitutive d’un domicile que si elle présente un certain caractère de stabilité
ou de fixité. La résidence et l’habitation réelle à laquelle l’article 103 fait référence sont
souvent considérées comme synonymes et le changement de domicile requiert un

85
Y. BUFFELAN-LANORE : Rép. civ. Dalloz, V° Domicile, n° 69. – V. R. CASSIN, La nouvelle conception
du domicile dans le règlement des conflits de lois : RCADI 1930-IV, t. 34, p. 655 s., spéc. p. 670.
L’auteur souligne que si le domicile est « par principe unique, les juges nuancent et atténuent leurs
exigences quant à la réunion des éléments constitutifs du domicile en considération de chacun des effets
que doit avoir celui-ci ».
86
R. PERROT et S. RÉGLADE : Rép. civ. Dalloz, V° Domicile, 1972, n° 3. – V. BARBOSA DE MAGALHAES,
La doctrine du domicile en droit international privé : RCADI 1928-III, t. 23, p. 1 s., spéc. p. 42. La
résidence est « le lieu où l’individu habite et vit habituellement ».
87
V. F. TERRÉ et D. FENOUILLET, Droit civil. Les personnes, la famille, les incapacités : Dalloz, Coll.
Précis, 6e éd., 1996, n° 197 ; G. GOUBEAUX , Traité de droit civil. Les personnes, Sous la direction de
J. GHESTIN : L.G.D.J., 1989, n° 181. – V. BARBOSA DE M AGALHAES , La doctrine du domicile en droit
international privé : RCADI 1928-III, t. 23, p. 1 s., spéc. p. 42. « L’habitation est le lieu où l’individu
habite, ou vit, même accidentellement ».

41
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

transfert de la résidence qui ne peut être purement formel88. Si le domicile peut être une
fiction juridique, i.e. le lieu où la personne est censée être aux yeux de la loi, en
revanche, au moment du changement de domicile, il ne peut se résumer à cette fiction :
résidence et domicile coïncident forcément pendant un temps89, mais pour que la
résidence se mue en un domicile, un élément intentionnel doit accompagner la nouvelle
habitation réelle. L’article 103 l’indique explicitement, c’est d’ailleurs en ce sens qu’il
est révélateur des deux éléments constitutifs du domicile.

49. Le premier élément constitutif de domicile, objectif (l’habitation réelle dans


un autre lieu), aide à prouver l’existence du second, subjectif (l’intention), mais les deux
sont distincts. M. Carbonnier a fait une analogie avec la possession pour souligner que
« pour constituer le domicile, il faut la réunion d’un corpus et d’un animus, d’une
matérialité et d’une intention »90. Changer de lieu d’habitation ne suffit pas pour qu’il y
ait un changement de domicile. Il faut malgré tout nuancer le propos en précisant que le
transfert effectif de la résidence d’une personne est un fait qui est fréquemment retenu
comme révélateur de l’intention du changement de domicile, mais qui doit tout de
même être considéré comme distinct. Si la Coutume de Paris exigeait dans son
article 173 une habitation réelle d’un an et un jour au lieu du nouveau domicile pour que
le transfert de domicile s’opère91, la jurisprudence considère aujourd’hui que le transfert
de domicile a lieu immédiatement, dès que les conditions requises sont rapportées, mais
la durée et la continuité de l’habitation sont des indices de l’intention d’y fixer son
principal établissement, qui est la seconde condition nécessaire pour qu’il y ait
changement de domicile.

50. En théorie, la preuve de l’intention s’opère selon l’article 104 du Code civil
par une double déclaration faite à la municipalité du lieu que l’on quitte et à celle du
lieu où le domicile a été transféré. Mais cette déclaration n’est pas obligatoire, en
pratique elle est rarement effectuée, et elle ne peut suffire à prouver le changement de

88
V., pour des exemples dans lesquels la jurisprudence a considéré qu’il ne pouvait y avoir de
changement de domicile dans la mesure où le transfert de résidence n’était que purement formel, non
effectif : R. PERROT et S. RÉGLADE : Rép. civ. Dalloz, V° Domicile, 1972, n° 55.
89
Ensuite, tout en conservant son domicile, une personne peut changer de lieu de résidence. Les deux
notions ne coïncident alors plus forcément.
90
Et « l’intention n’est efficace qu’autant qu’elle se matérialise dans une installation de fait ».
J. CARBONNIER, Droit civil. 1. Les personnes : PUF, Coll. Thémis, droit privé, 21e éd., 2000, n° 53.
91
V. J. CARBONNIER, op. cit., n° 56 et R. PERROT et S. RÉGLADE : Rép. civ. Dalloz, V° Domicile, 1972,
n° 56.

42
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

domicile. Dès lors, elle ne peut être considérée que comme une « présomption simple de
l’intention de l’intéressé, et l’appréciation des circonstances devient le droit commun de
la preuve de l’élément psychologique »92. L’article 105 prévoit qu’à défaut d’une telle
déclaration, « la preuve de l’intention dépendra des circonstances », de faits extérieurs,
qui seront souverainement appréciées par les juges du fond qui doivent déduire de ces
faits l’élément intentionnel93.

B. Le domicile dans les rapports internationaux

51. La question s’est posée de savoir si le domicile s’acquiert de la même


manière pour les Français et pour les étrangers. On admet aujourd’hui qu’un étranger
acquiert un domicile en France dans les mêmes conditions qu’un Français, même si les
exigences dans la preuve que l’étranger a eu l’intention effective d’y fixer son domicile
peuvent s’avérer plus conséquentes – cependant, « il ne peut s’agir que de questions
d’appréciation de fait, non de définition de droit »94. En effet, le changement de
domicile est souvent plus difficile à établir lorsqu'il « implique un changement de pays :
la réalité de l’intention doit être certaine »95. Pourtant, certains auteurs se sont demandé
s’il ne pouvait pas exister un « domicile international », indépendant du domicile du
droit interne (1.). Aujourd’hui, cette thèse est écartée, mais la notion de domicile a
indéniablement un caractère fonctionnel ; et de nombreuses définitions autonomes du
domicile, indépendantes de toute référence aux articles 102 et suivants, ont été
élaborées par la jurisprudence (2.).

1. L’abandon d’une théorie du « domicile international »

52. Sur la question de savoir si les articles 102 et suivants du Code civil
pouvaient servir à déterminer le domicile en droit international privé ou s’il devait faire
l’objet d’une réglementation spéciale, les auteurs ont émis des avis partagés. La période
qui a suivi la Première Guerre mondiale a vu naître un mouvement doctrinal en faveur

92
A. MARTIN-SERF, Du domicile à la résidence : RTD civ. 1978. 537.
93
J. CARBONNIER (Droit civil. 1. Les personnes : PUF, Coll. Thémis, droit privé, 21e éd., 2000, n° 53) a
souligné que l’intention est présumée par le juge d’après une comparaison objective des intérêts dont
chacun des prétendus domiciles est le centre ; que la comparaison peut être aisée lorsqu’elle peut être
quantitative mais « plus délicate s’il s’agit de mettre en balance des intérêts hétérogènes : économiques et
professionnels, d’une part, sentimentaux et familiaux, de l’autre ».
94
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 1, L.G.D.J., 8e éd., 1993, n° 179.

43
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

d’une réglementation autonome du domicile dans les rapports internationaux : le


domicile, dans le cadre des rapports internationaux, n’aurait pas répondu
obligatoirement aux articles 102 et suivants du Code civil, car exigeant notamment plus
de stabilité.

53. Pour Niboyet, il convenait de distinguer le domicile en droit interne du


domicile international, plus précisément du domicile « en vue des rapports
internationaux »96, dans la vie internationale. Selon l’auteur, le domicile dans les
rapports internationaux était un concept de droit public : « le domicile de l’individu,
dans les rapports internationaux, n’a pas la même nature que le domicile général du
droit interne, ou domicile civil, qui est peut-être […] un concept du droit privé ». Le
domicile lui apparaissait comme « un rattachement avec un État beaucoup plus qu’avec
un lieu déterminé »97. Il concevait le domicile dans la vie internationale comme « une
vice-nationalité », comme un concept politique, une « concession de l’État »98. Or, en
raison de sa nature particulière, le domicile aurait pu faire, selon lui, « l’objet dans
chaque pays d’une réglementation spéciale »99. Il a regretté que l’« on se contente trop
souvent de prendre les dispositions du Code civil pour les utiliser à une double fin. Le
domicile, qui possède une nature particulière dans la vie internationale, devrait avoir
également sa fonction propre »100. « Transporter son domicile d’un point à un autre du
territoire, ce n’est pas la même chose […] que de le transporter d’un pays à un
autre »101. Cette pensée s’inscrivait dans le courant de l’Entre-deux-guerres en faveur de
la substitution de la loi du domicile à la loi nationale en tant que loi personnelle. Or,
l’instabilité de la notion dans le droit interne ne pouvait convenir comme critère de
rattachement en matière de statut personnel. Niboyet dirigea une Commission de

95
P. M AYER et V. H EUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 173.
96
J.-P. NIBOYET, Traité de droit international privé français. « Sources – Nationalité – Domicile » : t. 1,
Recueil Sirey, 2e éd., 1947, n° 509.
97
J.-P. NIBOYET, Le domicile dans le projet de la commission de réforme du Code civil : TCFDIP 1938-
1952, p. 65 s., spéc. p. 67.
98
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 1, L.G.D.J., 8e éd., 1993, n° 179.
99
J.-P. NIBOYET, Traité de droit international privé français. « Sources – Nationalité – Domicile » : t. 1,
Recueil Sirey, 2e éd., 1947, n° 511.
100
J.-P. NIBOYET, op. et loc. cit.
101
Propos de Niboyet, rapportés par P. F RANCESCAKIS, note sous Civ. 4 nov. 1952 : Rev. crit. 1953.
729 s., spéc. 731.

44
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

réforme du Code civil dans les années 1950102. Dans le projet de réforme, un chapitre
devait s’intituler « du domicile dans les rapports internationaux » et, dans la mesure du
possible, si des dispositions devaient être communes au domicile interne et au domicile
dans les rapports internationaux, sur certains points, il convenait au contraire de
s’écarter de cette coïncidence, de faire des corrections et d’aménager des règles
spéciales pour le second103. Finalement ce projet ne s’est jamais concrétisé. La thèse de
Niboyet sur l’existence d’un domicile international fut repoussée tant par la doctrine
que par la jurisprudence104, comme s’éloignant de « ce qui a paru l’évolution désirable
du droit positif »105.

54. Francescakis a quant à lui constaté une gêne des juristes devant le terme de
domicile liée à la multiplication des emplois de la notion après la Première Guerre.
D’après l’auteur, ce malaise, les difficultés posées par le domicile, venaient de ce que la
tradition internationaliste du domicile s’était perdue depuis que le domicile était devenu
une institution d’ordre essentiellement interne : « faute de textes spéciaux réglementant
le domicile en droit international privé, on a été conduit, à la longue, à penser que dans
ce domaine, le domicile est le même qu’en droit interne »106. Or, dans la mesure où le
domicile a repris, par la suite, du poids en droit international privé, il convenait de lui
restituer son ancienne stabilité sans se contenter d’une définition et d’un contenu
élaborés par la jurisprudence sur le fondement de l’article 102 du Code civil. Il
soulignait que par « jurisprudence », il fallait entendre « celle des juridictions du fond,

102
V. la communication de Niboyet devant le Comité français de droit international privé du 9 mars 1951,
Le domicile dans le projet de la commission de réforme du Code civil : TCFDIP 1938-1952, p. 65 s. – V.
Projet de droit international privé élaboré par la Commission de réforme du Code civil : Rev. crit. 1950.
111 s.
103
J.-P. NIBOYET, Le domicile dans le projet de la commission de réforme du Code civil : TCFDIP 1938-
1952, p. 65 s. La Commission de réforme du Code civil prévoyait que « le domicile de toute personne
physique est au lieu où elle a, en fait, sa résidence principale ». – En ce qui concerne le domicile dans les
rapports internationaux, l’article 15 du Code civil disposait que « L’étranger qui réside régulièrement et
de façon habituelle en France depuis cinq ans y acquiert de plein droit son domicile, à moins qu’il n’y
remplisse une fonction qui lui a été conférée par un organisme public national ou international ou qu’il
n’ait manifesté par une déclaration à la préfecture du lieu de sa résidence habituelle son intention de
conserver son domicile dans un autre État » (v. Projet de droit international privé élaboré par la
Commission de réforme du Code civil : Rev. crit. 1950. 111 s.). Ce texte fut finalement modifié par la
Commission, un an et demi plus tard, le nouvel article 15 prévoyant que « Est domicilié en France
l’étranger qui y possède sa résidence principale ou qui, à défaut, y exerce une activité professionnelle
principale » (v. sur les raisons du changement, le commentaire de J.-P. NIBOYET, op. cit., spéc. p. 72).
104
Sur le sort de la thèse de Niboyet, v. P. FRANCESCAKIS, note sous Civ. 4 nov. 1952 : Rev. crit. 1953.
729 s., spéc. 731 s.
105
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 1, L.G.D.J., 8e éd., 1993, n° 179.
106
P. FRANCESCAKIS , Les avatars du concept de domicile dans le droit international privé actuel :
TCFDIP, 1962-1964, p. 291 s, spéc. p. 300.

45
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

car la Cour de cassation, avec une constance qui ne s’est […] pratiquement jamais
démentie, a toujours déclaré considérer le domicile comme une question de fait
abandonnée à l’appréciation souveraine des juges du fond – ce qui montre précisément
qu’elle y voit une question mineure »107. Il estimait sur ce point que la Cour de cassation
aurait pu faire porter sur le domicile son contrôle habituel de la base légale des
décisions, afin de « structurer […] juridiquement les faits sur la base desquels le
domicile est affirmé. La Cour suprême s’assurerait, par exemple, que les juges du fond
ont prêté, comme il se doit, une attention égale à l’élément intentionnel et à l’élément
matériel »108. Si l’auteur ne prônait pas un retour à l’Ancien droit109, il estimait qu’il
convenait pour le moins de s’en inspirer. Les juges auraient dû reprendre, dans
l’appréciation de l’élément intentionnel du domicile, la vieille idée d’esprit de retour
dans le pays d’origine : « sans la pousser à l’extrême, ce qui reviendrait à exiger que le
nouveau domicile ait été acquis à titre perpétuel, on pourrait faire signifier à cette idée
que l’intéressé s’est effectivement détaché de son milieu social d’origine et y voir une
condition d’acquisition du nouveau domicile »110.

55. L’idée de dissocier un domicile international du domicile du droit interne est


aujourd’hui écartée111. Il n’en demeure pas moins que des définitions autonomes du
domicile, indépendantes de toute référence aux articles 102 et suivants du Code civil,
existent, élaborées en droit international privé par la jurisprudence.

107
P. FRANCESCAKIS , Les avatars du concept de domicile dans le droit international privé actuel :
TCFDIP, 1962-1964, p. 291 s, spéc. p. 301.
108
P. FRANCESCAKIS , Les avatars du concept de domicile dans le droit international privé actuel :
TCFDIP, 1962-1964, p. 291 s, spéc. p. 312- 313.
109
Sur l’idée de retour aux sources du droit international, avec des nuances, lorsque le domicile renaît
comme critère de rattachement international, v. P. M ALAURIE, Le divorce des mariages mixtes en cas de
séparation de fait : D. 1963. Chron. 53 s., spéc. 63.
110
P. FRANCESCAKIS , Les avatars du concept de domicile dans le droit international privé actuel :
TCFDIP, 1962-1964, p. 291 s, spéc. p. 306. V. également D. MASMEJAN, La localisation des personnes
physiques en droit international privé : Thèse Lausanne, 1995, p. 34 s. – Dans la tradition féodale, c’est la
perte de l’esprit de retour dans le pays d’origine qui caractérisait un changement de domicile : le domicile
d’origine acquis à la naissance était présumé conservé jusqu’à l’acquisition d’un nouveau domicile. Cette
conception est encore celle du droit anglais : une personne ne peut perdre son domicile d’origine pour
acquérir un domicile de choix que si elle a perdu tout esprit de retour dans son pays d’origine.
111
V. notamment H. MUIR-WATT (Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr.,
Fasc. 543-10, n° 9) qui relève que la définition du domicile au sens du droit international privé est
« restée insensible […] aussi bien aux plaidoiries répétées de Phocion Francescakis en faveur du retour
aux sources sur ce point […], qu’aux idées de Niboyet qui voyait dans le domicile une institution de droit
public à contenu variable, sorte de vice-nationalité conférée par le souverain et tendant à la répartition
internationale des individus ».

46
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

2. L’adoption de définitions autonomes du domicile

56. En droit international privé, il peut être plus difficile qu’en droit interne de
déterminer si l’étranger a acquis un domicile en France. Après avoir évoqué dans leur
ensemble les diverses conditions relatives à l’établissement du domicile dans les
rapports internationaux (a.), on constatera que les difficultés s’accroissent si l’on
considère que la notion de domicile est fonctionnelle. La jurisprudence a en effet
interprété la notion de domicile selon l’objectif de la règle de droit qui se réfère à la
notion (b.). On ne pourra que constater le réalisme de la méthode adoptée (c.).

a. Les conditions relatives à l’établissement du domicile

57. Un étranger peut être domicilié en France depuis sa naissance : ses parents y
avaient déjà leur domicile, et la famille y a toujours vécu112. Il n’y a alors aucune
difficulté pour déterminer son domicile dans la mesure où il n’y a eu aucun déplacement
transfrontière. Mais pour qu’un étranger qui vient d’un autre pays que la France, que ce
soit ou non son pays d’origine, y acquière un domicile, il faut déjà qu’il y soit présent
physiquement, matériellement, il doit avoir transféré en France son habitation réelle. Un
élément intentionnel vient qualifier cette présence et le juge doit vérifier qu’elle
s’accompagne d’un « élément affectif, afin d’écarter le séjour précaire, accidentel ou
forcé »113. Déterminer le lieu du domicile en combinant des éléments objectif et
subjectif est une opération concrète, qui dépend de circonstances de fait toujours
différentes. M. Goubeaux souligne à ce propos « la souplesse de la méthode », celle-ci
ayant pour « contrepartie nécessaire une large part d’incertitude, quelque peu
contradictoire avec les caractères attribués par la théorie classique à la notion de
domicile »114.

112
Il a en France son domicile d’origine, qui est celui de ses auteurs. Au cours de sa minorité, il aura un
domicile de dépendance, celui de ses père et mère. Une fois majeur, il pourra librement fixer son
domicile. Mme Muir-Watt apporte des précisions en indiquant que ces domiciles légaux ou de
dépendance sont régis dans les rapports internationaux par « la loi applicable à la détermination du
domicile en général, ou alors par la loi personnelle de la personne à protéger […]. Lorsque la loi française
est compétente, les domiciles de dépendance de l’article 108 sont transposés à l’ordre international
chaque fois que la définition du domicile volontaire est elle-même expressément empruntée à l’article 102
du Code civil » (H. MUIR-WATT, Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc.
543-10, n° 29). En revanche, les domiciles légaux ont été écartés des rapports internationaux dans certains
domaines (cf. infra n° 62 s.).
113
H. MUIR-WATT , Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10,
n° 66.
114
G. GOUBEAUX, Traité de droit civil. Les personnes, ss dir. J. GHESTIN : L.G.D.J., 1989, n° 184.

47
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

58. L’étranger qui entretient toujours avec son pays d’origine des liens qui sont
qualitativement importants ne peut en principe avoir son domicile en France, même s’il
y est établi depuis plusieurs années ; il n’y a pas forcément le centre de ses intérêts, son
« principal établissement ». Inversement, il peut être en France depuis peu, mais avoir
déjà transféré l’ensemble de ses intérêts dans ce pays et donc y avoir son domicile. Un
changement de domicile doit être « étayé par des faits de nature à démontrer la réalité de
la rupture avec le domicile antérieur »115. C’est ainsi que « la composante matérielle du
domicile n’a […] de véritable signification qu’au bénéfice de l’éclairage que lui apporte
l’élément subjectif »116. L’intention domiciliaire correspond dans les rapports
internationaux, d’après Mme Muir-Watt, « à la volonté de s’intégrer durablement dans
le milieu où l’on vit, en y fixant le centre de ses intérêts. Pareille volonté ne peut faire
l’objet d’une preuve directe. Une déclaration de l’intéressé peut certes être prise en
compte dans l’appréciation de cette intention, notamment lorsque l’élément matériel du
domicile est défaillant ou instable, mais encore faut-il qu’il soit sincère, c'est-à-dire
corroboré par des indices d’ordre objectif »117. Pour reprendre les termes de Simond,
dans la mesure où il est matériellement impossible « aux intelligences de communiquer
entre elles directement, la preuve de l’élément intentionnel devra nécessairement être
recherchée dans les manifestations extérieures de cette intention »118.

59. Il est impossible de faire une synthèse complète de la jurisprudence et de


dégager les éléments intentionnels retenus par la jurisprudence dans la mesure où, par
définition, le degré d’intégration requis, qui sert de base à l’appréciation des juges, varie
avec le but de la règle de droit qui l’utilise. Mme Muir-Watt mentionne quelques
exemples topiques : « l’existence de liens professionnels, patrimoniaux, familiaux,
sociaux et culturels, voire purement administratifs […], l’exercice d’un emploi
rémunéré ; la perception de ressources ou de revenus fonciers ; l’acquisition
d’immeubles ou d’un fonds de commerce, et en cas de pluralité de biens, leur valeur
respective ; la création d’une société ; le mariage avec un ressortissant du pays ; le lieu
de célébration du mariage ; la naissance et la scolarisation des enfants ; l’appartenance à

115
H. MUIR-WATT , Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10,
n° 74.
116
H. MUIR-WATT, op. cit., n° 66.
117
H. MUIR-WATT, op. cit.,, n° 74.
118
W. SIMOND, L’élément intentionnel du domicile. Étude théorique de droit suisse : Thèse Lausanne,
1923, n° 38.

48
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

des clubs ; la titularité d’un passeport ; l’obtention ou le renouvellement d’un titre de


séjour ; le paiement d’impôts ; l’exercice du droit de vote ; la naturalisation ; le train de
vie et l’entretien de domestiques… »119. Tous ces exemples retenus comme révélateurs
de l’intention sont des faits juridiques, des éléments qui permettent d’en déduire la
volonté de l’étranger, son intention de s’établir durablement en France120. L’élément
intentionnel ne dépend donc pas uniquement et directement d’une manifestation de
volonté de l’intéressé, mais de faits extérieurs, reconnaissables pour les tiers121.
L’étranger qui ne souhaite pas qu’on lui applique la loi française en tant que loi de son
domicile ne peut donc arguer de ce qu’il n’avait pas l’intention de faire de la France le
lieu de son principal établissement et que par conséquent il n’a pas son domicile en
France. À l’inverse, le fait de dire qu’on a l’intention de fixer en France son principal
établissement ne peut suffire. La volonté, interne et psychologique, de l’individu
n’intervient qu’indirectement. C’est un simple indice parmi les autres. L’intéressé peut
finalement avoir ou non l’intention de s’établir durablement, mais cela importe peu dès
lors qu’il remplit objectivement des conditions qui permettent de conclure qu’il a eu
cette intention.

60. Néanmoins, l’élément purement volitif, psychologique, interne à l’individu


a parfois été retenu par la jurisprudence. C’est ainsi par exemple que pour déterminer le
domicile des étrangers, elle a pu faire appel, non sans encourir fréquemment des
critiques doctrinales, à un critère aujourd’hui pratiquement abandonné : la perte de
l’esprit de retour dans le pays d’origine122. Mais la preuve négative de cet élément,
souvent difficilement rapportable, et sa recherche sont source d’un arbitraire certain.
L’étranger qui émigre en France n’est plus l’exilé d’origine européenne du début du
e
XIX siècle : beaucoup d’étrangers sont installés en France depuis de nombreuses
années, ils y ont leur famille, des enfants scolarisés, lesquels peuvent d’ailleurs avoir
acquis la nationalité française ; mais ont-ils perdu pour autant tout esprit de retour dans
leur pays d’origine et, surtout, se formulent-ils même la question ? Sont-ils en rupture

119
H. MUIR-WATT , Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10,
n° 75.
120
« Par "élément intentionnel", il faut entendre l’intention de rester d’une manière durable à un
endroit » : W. SIMOND , L’élément intentionnel du domicile. Étude théorique de droit suisse : Thèse
Lausanne, 1923, n° 35.
121
V. A. BUCHER, Personnes physiques et protection de la personnalité : Helbing et Lichtenhahn, 4e éd.,
1999, n° 364 s.

49
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

complète avec leur pays d’origine ? Il ne paraît pas concevable qu’une personne
étrangère assignée devant la juridiction française d’un ressort déterminé, parce qu’elle
est considérée comme ayant son domicile dans ce pays, puisse envisager de contester
cette compétence parce qu’elle n’aurait pas acquis un nouveau domicile en France du
fait de son intention de retourner à plus ou moins long terme dans son pays d’origine123.
En revanche, tenir compte de la volonté de demeurer en France pour un temps indéfini,
l’animus manendi, pour voir si un nouveau domicile s’est constitué dans ce pays,
semble plus acceptable. L’intention est positive dans ce cas et sa preuve plus aisée
puisque se déduisant le plus souvent d’éléments de faits objectifs – c’est « l’intention
de demeurer »124. L’élément intentionnel, subjectif, est donc objectivé.

61. Dans les rapports internationaux, le domicile s’est vu attribuer de multiples


fonctions. « Lien entre un individu et un État »125 ou encore « relation entre un individu
et un territoire »126, le domicile peut être particulièrement difficile à déterminer si
l’étranger a des attaches aussi bien familiales qu’économiques, professionnelles ou
sociales, par exemple, avec plusieurs territoires. Or, si le domicile est unique, un seul
lieu devant servir à situer l’individu dans l’espace127, sa détermination va tout de même
dépendre des fonctions qui lui sont attribuées. Dans tous les cas, pour reprendre les
termes de Mme Muir-Watt, « c’est l’intégration de l’individu à la communauté locale
qui justifie l’effet juridique envisagé. Mais le degré d’intégration requis varie d’une
branche à l’autre du droit international privé, suivant la finalité poursuivie par la règle
applicable »128. Les juges sont influencés par la nature du litige et par l’objectif de la
règle de droit qui utilise la notion de domicile et il a pu être observé que « la question du
domicile se présente toujours sous une "certaine optique" à laquelle les tribunaux ne
restent pas insensibles et qui souvent explique les solutions divergentes de la

122
Voir, sur l’idée de perte de l’esprit de retour, l’analyse de M. Malaurie sous Civ. 2e, 3 juin 1964 (D.
1966. 4) et les références de jurisprudence qu’il rapporte.
123
À l’inverse, pour justifier leur compétence internationale, les juges ont dans certains cas considéré que
l’intéressé avait acquis un domicile en France du fait de la perte de l’esprit de retour dans son pays
d’origine.
124
P. MALAURIE, Droit civil. Les personnes, les incapacités : Defrénois, 2003, n° 213.
125
H. MUIR-WATT, Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10, n° 1.
126
B. AUDIT, Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 136.
127
G. GOUBEAUX , Traité de droit civil. Les personnes, ss dir. J. G HESTIN : L.G.D.J., 1989, n° 184. V.
BARBOSA DE MAGALHAES, La doctrine du domicile en droit international privé : RCADI 1928-III, t. 23,
p. 1 s., spéc. p. 62-63. « Si un individu peut avoir un lien juridique entre lui et plusieurs lieux déterminés,
ces liens juridiques ont une intensité différente ».
128
H. MUIR-WATT, Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10, n° 2.

50
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

jurisprudence »129 ; c’est pourquoi on ne peut que constater que le domicile, loin d’être
unique, est « une notion essentiellement relative qui se modèle en fonction de la nature
du litige et des intérêts pratiques que commande la détermination du domicile »130.

b. Des définitions jurisprudentielles de la notion

62. En droit français, il existe un éventail assez large de domiciles dont les
éléments constitutifs, ou leur interprétation, varient en fonction de leur domaine
d’application. Dans le dernier chapitre de sa thèse intitulée « La détermination du
domicile en droit international privé français », Levasseur s’est attaché à analyser
« pour ainsi dire à la loupe, la notion de domicile employée par [les] tribunaux » ; la
conclusion générale de cet examen est « que le droit possède, sous le nom générique de
domicile, une collection de notions sensiblement différentes »131. S’il n’est pas question
d’étudier tous les domaines du droit international privé dans lesquels la notion
intervient, reprendre quelques exemples d’interprétations jurisprudentielles permet de
comprendre la nature des difficultés auxquels les tribunaux ont été confrontés. Certains
exemples, empruntés au droit de la nationalité, au droit du divorce ou des régimes
matrimoniaux, sont particulièrement révélateurs de cette autonomie du domicile dans
les rapports internationaux.

a . En matière de nationalité

63. Les magistrats ont été souvent gênés pour définir et appliquer la notion de
domicile requise dans les textes relatifs à la nationalité française, même s’il n’était pas
douteux, comme l’ont fait remarquer De Lapradelle et Niboyet132, qu’en tant que
condition d’acquisition de la nationalité française, la notion de domicile devait être
précisée d’après le droit français.

64. Dans un arrêt de 1907133, la Cour d’appel de Paris a indiqué que « le


domicile exigé par l’article 8, 4° du Code civil […] doit s’entendre […] de la résidence

129
R. PERROT et S. RÉGLADE : Rép. civ. Dalloz, V° Domicile, 1972, n° 51.
130
R. PERROT et S. RÉGLADE : Rép. civ. Dalloz, V° Domicile, 1972, n° 51.
131
G. LEVASSEUR, La détermination du domicile en droit international privé français : Thèse Paris, 1931,
p. 327 s.
132
A. DE LAPRADELLE et J.-P. N IBOYET, Répertoire de droit international : t. IX, Recueil Sirey, 1931,
n° 327.
133
Paris, 18 nov. 1907 : JDI 1908. 502 ; DP 1908. 2. 358.

51
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

réelle et effective ». Les magistrats ne se sont pas référés au domicile en général, à sa


conception civiliste au sens des articles 102 et suivants du Code civil, mais à celui exigé
par l’article 8, 4° du Code civil134. Dans l’arrêt Molist, rendu le 27 avril 1920135, la
Chambre des requêtes de la Cour de cassation a confirmé cette évolution de la notion de
domicile, de son autonomie par rapport aux textes des articles 102 et suivants du Code
civil : elle a approuvé l’arrêt qui avait considéré que, malgré un séjour temporaire en
Espagne pendant environ un an peu avant d’avoir sa majorité, Molist avait « conservé à
Narbonne la résidence qui avait été la sienne […] et qu’en conséquence il y avait son
domicile ». La Cour a précisé qu’en statuant ainsi, « la cour d'appel a donné à
l’expression "domicile" de l’art. 8, 4° du Code civil, le sens large dans lequel l’a
entendu le législateur ».

65. En 1955136, pour la première fois, la Cour de cassation fait directement


référence à un « domicile en matière de nationalité » : « le domicile pris en
considération par le Traité de Paris du 10 février 1947 et par la loi du 13 décembre 1947
doit, comme tout domicile en matière de nationalité, s’entendre de la résidence effective
et habituelle ». Cette formule, dénuée de toute ambiguïté, a été par la suite reprise de
manière constante par la jurisprudence qui utilise parfois l’expression de « domicile de
nationalité », raccourci équivalent à celle de « domicile en matière de nationalité ».

66. La notion de domicile en matière de nationalité s’est donc peu à peu


détachée de la conception civiliste du domicile, pour se généraliser ensuite. Cette
évolution répondait aux nécessités de la loi du 26 juin 1889, une interprétation assez
large de la notion étant requise pour permettre un plus grand nombre d’acquisitions de
la nationalité française. Au départ, le domicile a été apprécié indépendamment du Code
civil afin de s’écarter du régime d’admission à domicile de l’article 13 du Code civil,
mais « l’abrogation de l’article 13 du Code civil par la loi du 10 août 1927 aurait pu
favoriser un retour en matière de nationalité à la conception civiliste du domicile. Il n’en

134
Selon l’article 8, 4° du Code civil (rédaction loi du 26 juin 1889), est Français l’individu « né en
France d’un étranger et qui, à l’époque de sa majorité, est domicilié en France, à moins que dans l’année
qui suit sa majorité, […], il n’ait décliné la qualité de Français ».
135
Req., 27 avr. 1920 : JDI, 1920. 650, note P. Aymond ; Rev. crit. 1920. 466 ; S. 1921. 1. 305, note
E. Audinet.
136
Civ. 1re, 20 déc. 1955 : JCP 1956. II. 9173, note P. Aymond.

52
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

a rien été »137. Certains auteurs138 ont pensé que la notion de domicile employée dans
les lois de 1889 et de 1927 relatives à la nationalité française désignait uniquement le
domicile légal, tel que défini par les articles 102 et suivants du Code civil. Les
magistrats ont dû adopter après la loi de 1889 une position plus souple, en même temps
plus réaliste, du domicile. Dans l’arrêt précité de 1907139, la Cour d’appel de Paris a
précisé que « le domicile exigé par l’article 8, 4° du Code civil […] doit s’entendre non
du domicile légal du mineur chez ses parents prévu par l’article 108 qui pourrait être
purement fictif, mais de la résidence réelle et effective ». Cet attendu écartait très
clairement les domiciles de dépendance en matière de nationalité. Cette interprétation a
été confirmée dans l’arrêt Molist : elle a approuvé l’arrêt attaqué qui avait retenu que
« Molist a conservé à Narbonne la résidence qui avait été la sienne, comme celle de ses
parents, et, qu’en conséquence, il y avait son domicile ». L’allusion à la résidence des
parents apparaît comme « un simple élément de fait confirmatif de l’établissement et
non comme le domicile légal du mineur »140. Cette position jurisprudentielle a été par la
suite constante et dénuée d’ambiguïté. La Cour de Cassation a précisé, dans un arrêt du
9 janvier 1957141, que le domicile de l’intéressé devait s’entendre d’une résidence
effective et habituelle de l’intéressé lui-même. Tous les domiciles légaux de dépendance
des articles 108 et suivants du code civil (mineurs, domestiques et, jusqu’à la loi n° 75-
617 du 11 juillet 1975, femmes mariées) étaient donc sans effets en matière de
nationalité. Pour reprendre les termes de Boulbès, « s’il y a divorce entre le domicile et
la résidence, c’est-à-dire s’il s’agit simplement d’un domicile de droit (article 108 du
Code civil), c’est la résidence qui doit être prise en considération »142. En effet, les
domiciles légaux correspondent généralement « à une conception familiale du domicile
qui, si elle est concevable en droit civil, ne peut être transposée dans le droit de la
nationalité qui envisage le lien unissant l’État à un individu et non à une famille »143.

137
P. LAGARDE, La nationalité française : Dalloz, 3e éd., 1997, n° 144. Sur ce point, v. également A. DE
LAPRADELLE et J.-P. NIBOYET, Répertoire de droit international : t. IX, Recueil Sirey, 1931, n° 330 s.
138
Cf. notamment A. WEISS, Traité théorique et pratique de droit international privé. De la nationalité :
t. 1, 1892, p. 149-150 et 189.
139
Paris, 18 nov. 1907 : JDI 1908. 502 ; DP 1908. 2. 358.
140
P. AYMOND , note sous Req., 27 avr. 1920 : JDI, 1920. 650– Une controverse s’est élevée sur
l’interprétation à donner à l’arrêt Molist et, pour Niboyet notamment, la Cour suprême a retenu
l’existence en France du domicile de dépendance, bien que la résidence effective soit à l’étranger. Sur
cette controverse, v. R. BOULBÈS, Droit français de la nationalité : Sirey, 1956, n° 319.
141
Civ. 1re, 9 janv. 1957 : Rev. crit. 1957. 447, note H. B. ; JCP 1958. II. 10414, note P. Aymond.
142
R. BOULBÈS, Droit français de la nationalité : Sirey, 1956, n° 319.
143
P. LAGARDE, La nationalité française : Dalloz, 3e éd., 1997, n° 145.

53
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

67. En même temps que la jurisprudence s’écartait des domiciles légaux, elle a
progressivement donné une définition du domicile en matière de nationalité. Consacrant
l’évolution jurisprudentielle, l’ordonnance du 19 octobre 1945 instituant le Code de la
nationalité144 a substitué la condition de résidence à celle de domicile dans toutes les
matières relatives à la nationalité française145. La définition la plus communément
retenue de la notion de domicile est celle donnée par la Cour de cassation dans son arrêt
Khiari du 29 juin 1983146 : « le domicile s’entend, au sens du droit de la nationalité,
d’une résidence effective présentant un caractère stable et permanent et coïncidant avec
le centre des attaches familiales et des occupations professionnelles ». En ce qui
concerne la résidence, la Cour a également indiqué, dans un arrêt du 21 mai 1990147,
que « la résidence exigée pour l’acquisition de la nationalité française s’entend d’une
résidence effective et habituelle de l’intéressé, coïncidant avec le centre de ses attaches
et de ses occupations »148. Aujourd’hui, la jurisprudence ne fait pas de distinction selon
que le texte légal utilise le terme de domicile ou celui de résidence, leur définition est
identique149.

b . En matière de divorce

68. Jusqu’à la réforme du 11 juillet 1975150, le divorce était soumis en tant que
matière du statut personnel à la loi nationale, et pour le divorce entre étrangers, si la loi
nationale commune régissait en principe le divorce, la Cour de cassation a déclaré dans
l’arrêt Rivière151 qu’à défaut de nationalité commune, « la loi du domicile commun »
devait s’appliquer. Cette jurisprudence a été confirmée par l’arrêt Lewandowski152. Puis,

144
Ord. n° 45-2441 du 19 oct. 1945 : JO du 20 oct. 1945.
145
Le terme de domicile ne subsiste plus, dans le Titre I bis du Code civil relatif à la nationalité française,
que dans les articles relatifs aux effets sur la nationalité française des transferts de souveraineté de
certains territoires.
146
Civ. 1re, 29 juin 1983, Khiari : Rev. crit. 1984. 77, note P. Lagarde.
147
Civ. 1re, 21 mai 1990 : Bull. civ. I, n° 118.
148
Dans un arrêt de 1996 (Civ. 1re, 10 avr. 1996 : D. 1997. 105, note P. Guiho), la Cour de cassation a
statué dans le même sens : « la résidence habituelle au sens de l’article 54 du Code de la nationalité
s’entend d’une résidence présentant un caractère effectif et stable, coïncidant avec le centre des attaches
familiales et des occupations de l’intéressé ».
149
Sur l’assimilation des termes, v. P. LAGARDE, La nationalité française : Dalloz, 3e éd., 1997, n° 144.
Sur la question de la résidence en droit de la nationalité, cf. infra n° 543 s.
150
Loi n° 75-617 portant réforme du divorce.
151
Civ. 1re, 17 avril 1953, Rivière : Rev. crit. 1953. 412, note Batiffol ; JDI 1953. 860, note Plaisant ; JCP
1953. II. 7863, note Buchet.
152
Civ. 1re, 15 mars 1955, Lewandowski : Rev. crit. 1955. 320, note Batiffol ; JDI 1956. 146, note
Goldman ; D. 1955. 540, note Chavrier ; JCP 1955. II. 8771, note A. Ponsard.

54
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

dans quatre arrêts rendus en 1961153, la Cour de cassation a précisé qu’à défaut d’avoir
une nationalité commune, il fallait appliquer à deux époux souhaitant divorcer la loi
française en tant que « loi de leur domicile effectif commun ».

69. On peut notamment retenir de ces différents arrêts qu’ils ont écarté, dans le
contexte du divorce, le concept juridique, abstrait et formel, qui se ramène souvent à
une fiction, de domicile légal de la femme mariée au sens de l’ancien article 108 du
Code civil, en vigueur jusqu’en 1975154. En effet, la Cour entendait par domicile effectif
commun « une habitation commune en France », indépendamment du fait de savoir si
les époux habitaient dans un même lieu. Il suffisait d’établir que les époux étaient
installés tous deux sur le territoire français pour que la loi française soit appliquée à leur
divorce. Cette position de la Cour est confirmée en 1967155, avec l’arrêt Yechilzuke : le
pourvoi se fondait, entre autres, sur le fait que la Cour d’appel ne pouvait, sans se
contredire, constater que les époux résidaient séparément et décider que le domicile
commun était situé en France. Or, la Cour a rappelé que « le divorce d’époux de
nationalité différente est soumis à la loi du pays où tous deux sont intégrés par un
établissement effectif, alors même qu’ils y vivent séparés ». Utiliser l’article 108 du
Code civil selon lequel la femme est domiciliée de plein droit chez son mari aurait été
en parfaite contradiction avec l’esprit de ces arrêts. On peut noter qu’avant la loi du
11 juillet 1975156 réformant le divorce, il n’y avait pas de dispositions particulières
concernant la compétence ratione loci du juge du divorce. En vertu des règles de droit
commun, pouvait être saisi le tribunal du lieu du domicile du défendeur, ce qui revenait
à donner dans la quasi totalité des cas compétence au tribunal du domicile du mari
puisque la femme était légalement domiciliée chez celui-ci157. Selon une formule

153
Civ. 1re, 22 févr. 1961, Dame Corcos c. son mari : D. 1961. 437, note G. Holleaux ; Rev. crit. 1961.
383, note Henri Batiffol ; JDI 1961. 734, B. Goldman. – Civ. 1re, 15 mai 1961, 1re esp., Dame Ortiz c. son
mari : D. 1961. 437, note G. Holleaux ; Rev. crit. 1961. 545, note H. B. – Civ. 1re, 15 mai 1961, 2e esp.,
Tarwid c. dame Wirtensohn : D. 1961. 437, note G. Holleaux ; Rev. crit. 1961. 547, note H. Batiffol ; JDI
1961. 734, note B. Goldman. – Civ. 1re, 12 juin 1961, Garaccione : D. 1961. 437, note G. Holleaux.
154
Sur l’évolution notamment du domicile légal de la femme mariée, v.J. DE SAINT AFRIQUE, Le domicile
et l’absence, in Le discours et le code. Portalis, deux siècles apès le Code napoléon : Litec, p. 235 s.,
spéc. 240-241.
155
Civ. 1re, 30 oct. 1967, Yechilzuke c. dame Sesquin : Rev. crit. 1969. 479, note Jacques Foyer.
156
Loi n° 75-617 du 11 juill. 1975 : JO du 12 juill. 1975.
157
La jurisprudence consacrait une inégalité entre époux d’autant plus critiquée que de nombreuses
législations étrangères étaient favorables à une égalité entre l’homme et la femme. Lorsque les situations
étaient trop iniques, les juridictions devaient recourir à des expédients (sur la question, v. H. GAUDEMET-
TALLON, La désunion du couple en droit international privé : RCADI 1991-I, t. 226, p. 9 s., spéc. n° 6 s.).

55
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

classique reprise par Jean Maury158, « le mari emportait le domicile conjugal à la


semelle de ses souliers ». La compétence fondée sur l’ancien article 108 du Code civil
était difficilement transposable en droit international159 et fort peu satisfaisante. Il
existait donc une discordance de l’application du domicile légal en matière
juridictionnelle avec les solutions qui prévalaient en matière de conflits de lois.

70. Par ces arrêts, la Cour de cassation a défini le domicile d’une manière
propre aux relations internationales, s’écartant non seulement des domiciles légaux,
mais également de la notion de domicile au sens de l’article 102 du Code civil160. Le
caractère concret de cette notion est clairement affirmé puisque la Cour fait référence à
une idée « d’habitation de fait », notion beaucoup moins juridique. Dans l’arrêt
Tarwid161 du 15 mai 1961, la loi française a été appliquée au divorce d’époux « à titre
de loi du for, faute de tout domicile commun effectif », les époux vivant « depuis de
nombreuses années complètement séparés, la femme habitant en France […] et le mari
en Angleterre ». Cet arrêt précisait que les époux de nationalité différente doivent être
soumis à la loi de leur domicile commun « s’ils sont tous deux intégrés au milieu local
par un établissement effectif dans le même pays ». Dans l’hypothèse où « les époux
habitent séparément en des pays différents », la Cour de cassation a également retenu un
rattachement à une loi unique : la loi française, en tant que loi du for. Selon Batiffol162,
« la cour a voulu sans doute marquer surtout sa répugnance à prolonger l’application de
la loi d’un ancien domicile commun ne correspondant plus à aucune réalité ». La
disparition du domicile effectif commun, souverainement appréciée par les magistrats,
est subordonnée au constat que les époux se sont créés « un milieu dans deux pays
séparés »163 ; en revanche, des séparations passagères ne sauraient suffire. L’autonomie
du domicile en matière de divorce a donc été clairement consacrée par la jurisprudence ;
la encore une conception nettement réaliste, concrète, prévaut.

158
Jean MAURY, La compétence territoriale en matière de divorce (Art. 1070 Nouv. c. pr. civ.) : D. 1983,
Chron. 27.
159
Sur ce point, v. H. GAUDEMET-TALLON, J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 547-10, n° 41.
160
Selon Batiffol (note sous Civ. 1re, 15 mai 1961, 2e esp., Tarwid c. dame Wirtensohn : Rev. crit. 1961.
547), « le domicile commun doit être défini selon la loi française et peut l’être selon les notions du droit
civil interne tant qu’une nécessité caractérisée ne conduit pas à une solution différente ». La nécessité de
s’écarter du droit interne existe en ce domaine.
161
Civ. 1re, 15 mai 1961 : Rev. crit. 1961. 547, note H. Batiffol ; D. 1961. 437, 3e esp., note G. Holleaux ;
JDI 1961. 734, note B. Goldman.
162
Note sous Civ. 1re, 15 mai 1961, 2e esp., Tarwid c. dame Wirtensohn : Rev. crit. 1961. 549.
163
H. BATIFFOL, note sous Civ. 1re, 15 mai 1961, 2e esp., Tarwid c. dame Wirtensohn : Rev. crit. 1961,
p. 550.

56
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

c . En matière de régimes matrimoniaux

71. Le droit français des conflits de lois en matière de régimes matrimoniaux est
soumis depuis l’entrée en vigueur de la convention de La Haye de 1978164 à un système
dualiste (droit conventionnel et droit commun d’origine jurisprudentielle). Ne sont
envisagées ici que les dispositions du droit français d’origine interne, applicables aux
époux mariés avant le 1er septembre 1992, date d’entrée en vigueur de la convention
pour la France. Les régimes matrimoniaux sont soumis, en droit international privé
français, à la loi d’autonomie. Les époux peuvent ainsi exprimer leur choix quant à la
loi applicable dans un contrat de mariage, mais, à défaut de choix exprès de leur régime
matrimonial, on recherche à quelle loi les époux ont implicitement entendu se référer et,
pour ce faire, on doit tenir compte d’éléments révélateurs de leur volonté d’être soumis
à une certaine loi pour localiser leurs intérêts pécuniaires. Le « premier domicile
matrimonial » des époux est un indice retenu par le système jurisprudentiel français165.
Or, il est certain que le domicile matrimonial s’identifie indépendamment de toute
référence aux articles 102 et suivants du Code civil ; d’ailleurs, s’il doit être commun
aux deux époux, la notion de domicile matrimonial ou conjugal « légal » n’a jamais été
retenue par la jurisprudence, même lorsque l’ancien article 108 du Code civil
domiciliait la femme chez son mari.

72. Le premier domicile matrimonial s’identifie, selon Mme Muir-Watt166, au


« siège des intérêts à la fois familiaux et pécuniaires du ménage ». L’auteur souligne
qu’il revêt une « coloration patrimoniale marquée » même si d’autres attaches
accompagnent le plus souvent « la seule activité professionnelle ou l’emplacement des

164
Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux. Le texte
conventionnel ne se réfère plus qu’à la résidence habituelle des époux et non à leur domicile matrimonial.
165
Le choix du « premier » domicile matrimonial se justifie si l’on considère que c’est à ce domicile que
les époux songeraient au moment du mariage (v. P. MAYER et V. HEUZÉ , Droit international privé :
Montchrestien, Coll. Domat, Droit privé, 7e éd., 2001, n° 775). On peut également admettre avec
M. Wiederkehr (Les conflits de lois en matière de régime matrimonial : Dalloz, Bibliothèque de droit
international privé, vol. VII, 1967, n° 136, p. 162) qu’en général, « le ménage est principalement
imprégné de l’ambiance du pays où il est fixé, à condition qu’il ne s’agisse pas d’un établissement
provisoire », seules des attaches réelles devant être prises en considération.– M. Lagarde (Le principe de
proximité dans le droit international privé contemporain : RCADI 1986-I, t. 196, n° 25) souligne que la
présomption selon laquelle les époux ont entendu se soumettre à la loi de leur premier domicile
matrimonial au lieu où ils s’établissent après leur mariage « repose d’une certaine façon sur le principe de
proximité, sur l’idée que c’est avec la loi du premier domicile matrimonial que les époux ont entendu
établir les liens les plus étroits quant au régime de leurs biens ».
166
H. MUIR-WATT, Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10, n° 3
et 80.

57
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

biens des époux ». On peut distinguer deux approches jurisprudentielles différentes.


Dans la première, la jurisprudence a considéré l’indice du premier domicile
matrimonial, sinon comme un critère exclusif, du moins comme un élément
prépondérant de leur volonté167 : établir le premier domicile matrimonial en un lieu est
un élément objectif directement révélateur de cette volonté168. Dans la seconde
approche, le premier domicile matrimonial est analysé comme un simple indice parmi
d’autres de cette volonté : il faut alors rechercher la volonté des époux en se servant de
tous les éléments pertinents169. Aujourd’hui, la Cour de cassation est revenue à la
première conception du domicile matrimonial : le premier domicile matrimonial est un
élément présomptif de la volonté des époux170.

167
Dans l’Ancien droit, le domicile matrimonial constituait une présomption absolue de la volonté des
époux ; il a été par la suite considéré pendant un temps comme un indice privilégié (v. G. A. L. DROZ :
Rép. intern. Dalloz, V° Régimes matrimoniaux, 1998, n° 14). Ainsi, dans l’arrêt Zelcer rendu le 4 juin
1935 (Req. 4 juin 1935, Zelcer : Rev. crit. 1936. 557, note Basdevant ; S. 1936. 1. 377, rapp. Pilon, note
J.-P. Niboyet ; D.P. 1936. 1. 7, rapp. Pilon, note Savatier ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts
de la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001,
n° 15), la Cour de cassation a indiqué qu’il appartenait « aux juges du fond d’apprécier souverainement,
d’après les faits et circonstances, et notamment en tenant compte du domicile matrimonial des époux, le
statut matrimonial que des étrangers, se mariant en France sans contrat, ont eu la volonté commune
d’adopter pour le règlement de leurs intérêts pécuniaires ». – La jurisprudence s’est référé « notamment »
ou « spécialement » au domicile matrimonial. Sur l’emploi de ces deux adverbes, v. G. WIEDERKEHR,
Problèmes d’actualité en matière de droit international privé des régimes matrimoniaux : TCFDIP 1987-
1988, p. 223 s., spéc. p. 228.
168
Certains ont vu dans le domicile matrimonial une présomption de droit de la volonté des époux (v.
B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé :
Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 15, Zelcer, spéc. § 7-8. V. également M. REVILLARD, Droit
international privé et pratique notariale : Éd. Répertoire du notariat Defrénois, 5e éd., 2001, n° 207).
169
V. Civ. 1re, 12 janv. 1982 : Bull. civ. I, n° 13 ; JCP 1982. IV. 113 ; Defrénois 1984. art. 33224, note
M. Revillard. – Si les circonstances postérieures au mariage ne peuvent en principe être retenues, on peut
les prendre en compte lorsqu'elles servent à révéler l’intention des époux au jour du mariage quant à la
fixation de leur domicile matrimonial (V. H. B ATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international
privé : t. 2, L.G.D.J., 1983, 7e éd., n° 620 ; G. A. L. DR O Z : Rép. intern. Dalloz, V° Régimes
matrimoniaux, 1998, n° 21 s.). La Cour a pourtant, à maintes reprises, souligné l’importance des
circonstances postérieures au mariage, « éclairantes » de la volonté des époux de localiser leurs intérêts
pécuniaires. M. Droz (Rép. intern. Dalloz, V° Régimes matrimoniaux, 1998, n° 26-27) a fait remarquer
que dans un arrêt de décembre 1994 (Civ. 1re, 13 déc. 1994 : Rev. crit. 1995. 319, note M. Revillard), la
Cour ne mentionnait même plus l’indice du domicile matrimonial ; l’auteur s’est inquiété d’une telle
« dérive » qui « tend à donner aux juges du fond une liberté totale d’appréciation au cas par cas, de la
volonté présumée des époux en tenant compte de circonstances subjectives postérieurs au mariage » : en
privant l’indice matrimonial de sa force, « on ouvre droit à toutes les contestations, à toutes les
chicanes ». – Sur ces deux approches entre « objectivistes » et « subjectivistes » v. H. BATIFFOL,
Subjectivisme et objectivisme dans le droit international privé des contrats : Mélanges offerts à Jacques
Maury, Dalloz-Sirey, 1960, t. 1, p. 39 s.
170
Civ. 1re, 5 nov. 1996 : Bull. civ. I, n° 371, JCP éd. N 1997, p. 1291, note G. Wiederkehr ; Rev. crit.
1998. 596, note B. Bourdelois ; D. 1998, somm., 287, obs. B. Audit ; Civ. 1re, 2 déc. 1997 : Bull. civ. I,
n° 338 ; D. 1998, IR, p. 20 ; JCP 1998. IV. 1124 ; JCP éd. N 1998. 1303, note G. Wiederkehr – Civ. 1re,
12 déc. 2000 et 20 déc. 2000 : inédits (v. le site internet de Légifrance).

58
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

73. En analysant la jurisprudence, on peut observer que lorsque le premier


domicile matrimonial est le principal indice révélateur de la volonté des époux d’être
tacitement soumis au régime matrimonial du pays dans lequel ils s’établissent, les
intérêts économiques des époux sont localisés au lieu de leur établissement effectif au
moment du mariage. La jurisprudence tient compte uniquement de la stabilité du
premier établissement commun des époux en un lieu ; elle recherche le lieu où « dès
l’époque de leur union, les époux [ont] envisagé de s’établir […] de manière stable et
permanente »171. En revanche, lorsque le premier domicile matrimonial est un simple
indice retenu comme révélateur de la volonté des époux, il semble que la jurisprudence
admette plus difficilement que ce domicile matrimonial se trouve au lieu où les époux
s’installent physiquement au moment du mariage ; d’autres éléments sont pris en
considération pour localiser le domicile matrimonial et, de fait, la « coloration
patrimoniale »172 est nettement plus marquée que celle des intérêts personnels ou
familiaux. L’accent est mis sur le centre des intérêts patrimoniaux qui l’emporte sur
l’établissement physique des époux en un lieu au moment du mariage, même si
plusieurs années séparent le mariage de l’installation dans le pays173. On détermine le
domicile matrimonial en fonction principalement de la localisation des intérêts
pécuniaires des époux.

171
Civ. 1re, 7 nov. 1961 : Bull. civ. I, n° 505 ; Rev. crit. 1962. 681, note H. Batiffol. Pour prouver la
stabilité de l’établissement « au moment » du mariage, on peut se référer à des indices qui peuvent être
des faits antérieurs ou postérieurs à l’union. En l’espèce, les époux étrangers s’étaient mariés dans leur
pays d’origine ; le fait qu’ils se soient installés en France juste après leur mariage, que le mari y était déjà
établi avant, qu’ils y aient acquis un bien immobilier, que des enfants y soient nés et que les époux aient
acquis la nationalité française, sont des éléments qui ont été considérés comme révélateurs de l’effectivité
et de la stabilité de leur établissement, au moment du mariage.
172
Évoquée par Mme Muir-Watt (cf. supra n° 72).
173
V., par exemple Civ. 1re, 12 janv. 1982 : Bull. civ. I, n° 13 ; JCP 1982. IV. 113 ; Defrénois 1984. art.
33224, note M. Revillard. En l’espèce, les époux français s’étaient mariés à Londres, lieu où ils vivaient
déjà avant le mariage et où ils sont demeurés pendant les trois ans et demi qui suivirent. La cour d'appel a
retenu que l’établissement d’une résidence à Londres ne « traduisait pas nécessairement la volonté des
époux d’y fixer leur premier domicile ». Le moyen du pourvoi reprochait à la cour d'appel d’avoir
introduit une distinction artificielle entre domicile et résidence, mais la Cour de cassation a estimé que, de
l’acquisition d’un appartement à Paris, du versement en France du traitement du mari et de ses frais de
mission, de la délivrance en France à la femme d’une carte d’identité indiquant un domicile à Paris, la
cour d'appel pouvait souverainement déduire que les époux n’avaient pas eu la volonté de localiser en
Angleterre leurs intérêts pécuniaires et leur premier domicile matrimonial qui avait été établi en France.
– V. également Civ. 1re, 12 nov. 1986 (1re esp.) : Bull. civ. I, n° 256.

59
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

c. Le réalisme de l’approche fonctionnelle

74. Pour souligner l’autonomie du domicile dans les rapports internationaux


par rapport aux articles 102 et suivants du Code civil, ou bien la jurisprudence précise
que le domicile « en matière de… » (de nationalité par exemple) « doit s’entendre
de… », et elle donne une définition du domicile ainsi considéré ; ou bien elle s’abstient
simplement de toute référence aux articles 102 et suivants et retient que le domicile doit
être effectif, s’écartant ainsi de toute idée de fiction juridique que le domicile peut
induire au regard de l’article 102. À l’inverse d’ailleurs, lorsqu'il s’agit de se référer aux
articles 102 et suivants, c’est expressément que les tribunaux s’en rapportent au
domicile en France « tel qu’il est défini par les articles 102 et suivants du Code
civil »174. C’est ainsi le cas en matière de compétence judiciaire internationale.

75. L’approche fonctionnelle du domicile est évidente et d’ailleurs incontestée :


« ce qu’on appelle du même nom "domicile" comporte en réalité des éléments différents
selon l’institution juridique à laquelle on l’applique », constatait Levasseur175. Selon
l’auteur, le domicile se présente « comme un terrain transactionnel tout préparé où les
États pourront par un certain dosage concilier leurs principes avec les exigences de
fait ». Francescakis avait, tout en le déplorant d’ailleurs, pris acte de cette évolution des
domiciles qui trouverait son origine dans le fait que la Cour de cassation a abandonné sa
détermination aux juridictions du fond : « le résultat en est que les juridictions du fond
ont fait du domicile des articles 102 et suivants du Code civil, un domicile en quelque
sorte fonctionnel. Elles le déterminent eu égard à la nature du litige, voire, sans doute,
en considération de circonstances particulières à chaque espèce »176. Ce constat est
similaire à celui exprimé par Cassin qui a relevé que « la notion de domicile en droit
international privé […] reste soumise pour une large part à l’appréciation des tribunaux,
et que ceux-ci usent de leur liberté relative et tiennent le plus grand compte des effets à
reconnaître au domicile en chaque espèce pour procéder dans chaque litige à la

174
Civ. 21 juin 1948, Patiño : JCP 1948. II. 4422, note P. Lerebours-Pigeonnière ; S. 1949. 1. 121, note
Niboyet ; Rev. crit. 1949. 557, note Francescakis. V. également G. WIEDERKEHR , note sous Civ. 1re,
17 nov. 1981 : JDI 1982. 926 s., spéc. 929.
175
G. LEVASSEUR, La détermination du domicile en droit international privé français : Thèse Paris, 1931,
p. 177.
176
P. FRANCESCAKIS, Les avatars du concept de domicile dans le droit international privé actuel :
TCFDIP 1962-1964, p. 291 s, spéc. p. 301-302.

60
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

détermination, plus ou moins rigoureuse, qui leur paraît la meilleure… »177. Les
tribunaux l’ont bien compris : ainsi un jugement de 1958 résume la situation en
énonçant que « les études de la doctrine et de la jurisprudence ont, en fin de compte, fait
du domicile une notion essentiellement relative qui se modèle en fonction de la nature
du litige et des intérêts pratiques que commande la détermination de ce domicile »178.
Que le domicile dans les rapports internationaux revête un caractère fonctionnel est
donc unanimement admis et on ne peut effectivement que constater avec Mme Muir-
Watt que « les fins que sert ce concept au sens du droit international privé sont aussi
diversifiées que le sont les applications de la discipline dont il relève »179. La notion de
domicile doit s’adapter à la finalité, aux objectifs des règles qui s’y réfèrent180.

76. Lorsque la jurisprudence est bien établie et correctement conçue, peu


importe finalement qu’une approche fonctionnelle caractérise le domicile : au contraire,
il est alors un critère souple et pragmatique. Il recouvre certes des réalités distinctes,
mais il y a une « adéquation du concept aux besoins de la règle applicable » souligne
encore Mme Muir-Watt181. L’approche fonctionnelle présente pourtant le risque d’une
insécurité juridique et d’une imprévisibilité des solutions. Mais si des critères
suffisamment nets et cohérents se dégagent de la jurisprudence dans les divers domaines
du droit au sein desquels la notion intervient, la prévisibilité des solutions se trouve
rétablie. Or, selon Francescakis, « alors que les emplois de domicile dans le droit
international privé français se sont multipliés depuis la Première Guerre mondiale, on
est de moins en moins sûr de la notion que le mot "domicile" exprime. On y perd pied si
je puis dire »182. De fait, l’autre risque d’une approche fonctionnelle est celui d’une
dénaturation de la notion. On peut se poser la question de savoir si le domicile n’aurait
pas perdu sa cohérence d’ensemble face au foisonnement des conceptions autonomes.

177
R. CASSIN La nouvelle conception du domicile dans le règlement des conflits de lois : RCADI, 1930-
IV, n° 34, p. 666-667.
178
Attendu du jugement rendu par le Tribunal civil de Saint-Jean-de-Maurienne le 25 novembre 1958 :
Rev. crit. 1959. 475, note C. Gavalda.
179
H. MUIR-WATT, Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10, n° 2.
180
V. A. BUCHER, Personnes physiques et protection de la personnalité : Helbing et Lichtenhahn, 4e éd.,
1999, n° 356. L’auteur souligne que la notion de domicile n’est pas un concept absolu et que son
caractère fonctionnel a pour effet de relativiser le principe de l’unité du domicile.
181
H. MUIR-WATT , Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10,
1994, n° 35.
182
P. FRANCESCAKIS , Les avatars du concept de domicile dans le droit international privé actuel :
TCFDIP, 1962-1964, p. 291 s., spéc. p. 292.

61
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

77. Au-delà du constat de la nécessité d’une approche fonctionnelle de la notion


de domicile lorsqu'elle est utilisée en particulier dans les rapports internationaux, les
définitions dégagées par la jurisprudence dans les matières évoquées démontrent que
l’on recherche une effectivité des situations. On l’a vu, la résidence de l’étranger en
France avait déjà pu être assimilée au domicile de fait par rapport au domicile de droit
tel qu’il résultait de l’article 13 et de l’admission à domicile. La confusion entre
domicile et résidence s’est accentuée et est apparue plus franchement lorsque le
domicile a gagné une certaine autonomie par rapport au droit interne. Une tendance très
nette est apparue, visant à assimiler les notions de domicile, lorsqu’il relève d’une
situation du droit international, à la résidence habituelle. La jurisprudence s’est ainsi
écartée du domicile du Code civil, à la fois par la recherche constante d’effectivité des
situations, par le fait qu’elle élimine également la recherche d’une intention
domiciliaire, alors que l’élément intentionnel est un élément constitutif de la notion.
Georges Holleaux183 constatait ainsi, en 1961, « la propension de plus en plus forte, en
droit international privé, à tenir compte du milieu social et juridique où un rapport de
droit s’insère et déploie ses effets. Considération qui favorise la soumission de ce
rapport […] au droit du domicile et, chose très importante, à ce domicile envisagé sous
sa forme concrète, ce qui explique l’extraordinaire fortune depuis une dizaine d’années,
en France et hors de France, de la notion de "résidence habituelle", qui se substitue
progressivement au concept classique de domicile stricto sensu et particulièrement à
cette fiction juridique qu’est trop souvent le domicile légal ».

78. « Le phénomène d’ensemble d’infléchissement du domicile vers le réalisme


est une des plus brillantes démonstrations de la tendance très générale à prendre en
considération les situations de fait, dans tous les domaines »184. Dans un premier temps,
le juge peut adapter le droit aux faits, mais « lorsque le fossé est devenu trop profond
entre le droit existant et le fait, le législateur doit intervenir »185. Le législateur français a
tenu compte de l’évolution jurisprudentielle en s’écartant parfois de la notion de
domicile et en recourant dans un certain nombre de cas à celle de résidence. Une place
non négligeable a été faite à la résidence habituelle en droit international privé français :
en matière de nationalité où le critère de résidence a été substitué à celui du domicile en

183
G. HOLLEAUX, note sous Civ. 1re, 22 févr. 1961, 15 mai 1961 (2 esp.) et 12 juin 1961 : D. 1961. 437.
184
A. MARTIN-SERF, Du domicile à la résidence : RTD civ. 1978. 539.
185
A. MARTIN-SERF, op. et loc. cit.

62
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

1945, en matière de filiation où c’est le seul facteur de rattachement territorial retenu


par la réforme du 3 janvier 1972 (les textes dans lesquels elle apparaît ne sont cependant
pas des règles de conflit classiques : l’article 311-15 du Code civil est une règle de
conflit unilatérale ; l’article 311-18 est une règle de conflit à finalité matérielle). On
peut alors se demander si la loi du 11 juillet 1975 sur le divorce ne marque pas un retour
en arrière dans la mesure où elle a retenu le domicile comme critère de rattachement et
non la résidence186. Ce dernier critère aurait pu être retenu puisque c’est justement en
matière de divorces internationaux que la jurisprudence a particulièrement fait référence
à un établissement effectif dans le même pays, à l’intégration au milieu local. Mais dans
le même temps, la loi de 1975 a abrogé le domicile légal de la femme mariée et le décret
du 5 décembre 1975, instituant l’article 1070 du Nouveau code de procédure civile, a
fait de la résidence le critère de désignation de la juridiction compétente en matière de
divorce. Depuis un certain nombre d’années, la résidence, particulièrement qualifiée
d’« habituelle », a acquis en droit français son autonomie.

SECTION 2. DANS L’ORDRE INTERNATIONAL

79. Avec la multiplication des relations internationales, avec l’accroissement


des mouvements de populations et du nombre des litiges relevant du droit international
privé, les traités ont foisonné : « ils poussent comme des champignons », constatait déjà
Kegel dans les années 1970187. Aujourd’hui, c’est également l’harmonisation, voire
l’unification des législations européennes qui est envisagée. Maints règlements
communautaires sont adoptés et, comme l’a souligné M. Nourissat188, « selon un
mouvement qui semble inexorable, le droit communautaire aborde les rivages de la
personne et de la famille ». Il est toujours difficile de choisir des facteurs de
rattachement acceptables par le plus grand nombre et qui ne fassent pas l’objet de

186
V. sur ce point D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé :
Thèse Lausanne, 1995, p. 88-89.
187
Cité par H. BATIFFOL , Codificacion y unificacion en derecho internacional privado, in Choix
d’articles rassemblés par ses amis : L.G.D.J., 1976, p. 125-136, spéc. p. 126.
188
C. NOURISSAT , Droit civil de l’Union européenne : D. 2003. Chron. 2450. L’auteur évoque « la
frénésie qui affecte la construction de cet espace judiciaire européen en matière civile ».

63
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

spéculations quant à leur contenu. Or, le concept de domicile étant différent selon les
systèmes juridiques concernés, et les règles relatives à sa détermination étant tout aussi
variables189, il fut écarté en tant que facteur de rattachement de nombreux textes
internationaux. Ainsi, l’insurmontable diversité des domiciles a souvent été invoquée
dans les conventions de La Haye pour justifier son éviction (§ 1.). D’ailleurs, s’il joue
encore un rôle dans certaines conventions ou règlements internationaux, c’est
principalement lié au fait qu’il est directement défini par ses rédacteurs ou que ceux-ci
ont explicitement envisagé la loi applicable à sa détermination (§ 2.).

§ 1. Le domicile, facteur de rattachement en principe écarté

80. De façon générale, après la Première Guerre mondiale, la conception de


l’État prit une dimension nouvelle. Dans le même temps, on constatait une « importance
accrue des relations proprement internationales, jointe au fait que chaque État
développ[ait] désormais de façon autonome son propre droit international privé »190, ce
qui engendra de nouvelles difficultés.

81. Dès les années 1860, Mancini souhaitait la réalisation d’une codification
internationale visant à unifier des règles de conflit de lois en prenant la nationalité
comme critère de base du rattachement, projet qui n’a pas abouti191. En revanche, sous
l’égide des Pays-Bas, et particulièrement grâce à la volonté d’Asser, se réunit pour la
première fois en 1893 la Conférence de La Haye. Il s’agissait initialement d’une
conférence diplomatique tendant à une unification très générale des grandes catégories
du droit. Treize États y participaient et décidèrent, dans le protocole final, de la

189
P. LAGARDE, Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain : RCADI 1986-
I, t. 196, p. 69-70.
190
P. M AYER et V. H EUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 14.
191
Mancini a été, entre 1881 et 1885, ministre des Affaires étrangères d’Italie et a essayé de mettre sur
pied une conférence internationale. Certains pays ont refusé d’y participer ; puis en 1885, la conférence
prévue ayant pour objet la codification des conflits de lois n’a pu avoir lieu du fait d’une épidémie de
choléra. Enfin Mancini a perdu sa charge ministérielle et est ensuite décédé en 1888, sans avoir pu
réaliser son projet. V. sur le sujet G. J. W. STEENHOFF, Asser et la fondation de la Conférence de La Haye
de droit international privé : Rev. crit. 1994. 297 s., spéc. 311.

64
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

convocation d’une nouvelle conférence pour terminer le travail entrepris192. Finalement,


ces Conférences se poursuivirent193 et rapidement plusieurs conventions furent signées :
la convention de 1896194 sur la procédure civile ; celles de 1902195 et 1905196 sur des
matières du droit de la famille. Sous l’influence de Mancini, le rôle attribué à la loi
nationale était très largement étendu et dominant. Aucun des États de Common law ne
participait à ces conférences dans la mesure où tous étaient au contraire partisans de
l’application de la loi du domicile en matière de statut personnel ; les États à systèmes
non unifiés se tinrent également à l’écart, une référence à la loi nationale n’ayant guère
de sens pour eux. Finalement, « on avait pu "unifier" le droit international privé de pays
dont les règles de conflit en fait ne divergeaient guère »197. Le succès de ces conférences
était d’autant plus relatif que des dénonciations de conventions se succédèrent ; ainsi,
dès 1913, puis en 1916, les conventions de 1902 et 1905 cessèrent d’être en vigueur en
France198. Les Cinquième et Sixième sessions se réunirent après la Première Guerre en
1925 et 1928, mais les travaux n’aboutirent à aucune nouvelle convention. En 1951, au
cours de la Septième session, les conférences prirent une nouvelle tournure lorsque l’on
décida d’une nouvelle organisation. Un Statut fut élaboré, qui fit de la Conférence une
organisation intergouvernementale permanente199. Selon l’article 1er de ce Statut : « la
Conférence de La Haye a pour but de travailler à l’unification progressive des règles de
droit international privé ». Pour pouvoir être appliqués dans un nombre d’États
suffisamment important pour avoir une certaine efficacité, les critères de rattachement
retenus, quelle que soit la matière envisagée, devaient être conciliables avec les
impératifs des différents systèmes juridiques en vigueur, les parties contractantes devant

192
V., pour une étude détaillée sur les travaux accomplis lors des premières conférences de La Haye, le
Baron Boris NOLDE, La codification du droit international privé : RCADI, 1936-I, t. 55, p. 299 s., spéc.
p. 367 s.
193
La Deuxième session eut lieu en 1894, la Troisième en 1900 et la Quatrième en 1904.
194
Convention du 14 novembre 1896, modifiée le 17 juillet 1905.
195
Trois conventions du 12 juin 1902 : conflits de lois en matière de mariage ; conflits de lois et de
juridictions en matière de divorce et de séparation de corps ; la tutelle des mineurs.
196
Deux conventions du 17 juillet 1905 : conflits de lois relatifs aux effets du mariage sur les droits et
devoirs respectifs des époux dans leurs rapports personnels et sur les biens des époux ; interdiction et
mesures de protection analogues.
197
G. A. L. DROZ, La Conférence de La Haye de droit international privé en 1980, in La Conférence de
La Haye de droit international privé vingt-cinq ans après la création de son Bureau permanent : bilan et
perspectives : RCADI 1980-III, t. 168, p. 139.
198
V. H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 1, L.G.D.J., 8e éd., 1993, n° 33
et Y. L OUSSOUARN et P. B OUREL , Droit international privé : Dalloz, Coll. Précis, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 36.
199
Selon l’article 3 du Statut, les Sessions ordinaires de la Conférence doivent en principe avoir lieu tous
les quatre ans. Le Statut est entré en vigueur le 15 juillet 1955.

65
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

se trouver sur un pied d’égalité devant les textes internationaux. L’idée de faire de
grandes codifications fut abandonnée au profit de conventions spécialisées, concernant
des problèmes plus concrets et précis200.

82. Si le facteur de rattachement de principe, envisagé dans les premières


Conférences et conventions de La Haye, était la nationalité, dès la Deuxième session de
la conférence de La Haye de 1894, on remplaça le critère du domicile, retenu à titre
subsidiaire par la Première session, par celui de la résidence. La discussion de la
Deuxième session porta sur l’opportunité de ce rattachement au domicile : le mineur a
pour domicile celui de ses parents ou de son tuteur. Or, c’est la loi de la tutelle qui
déterminait ce domicile légal201 ; le domicile légal était donc censé se trouver auprès du
tuteur, non encore désigné202. Un représentant dénonça le fait que ce rattachement
introduisait un cercle vicieux. Le critère de la résidence lui fut finalement substitué203.
Poursuivant les travaux de la Deuxième session, la Troisième session, en 1900, précisa
que cette résidence devait être habituelle. La référence à la résidence habituelle, à titre
subsidiaire, était donc fondée sur le fait que le domicile de dépendance était inadéquat et
que l’on recherchait l’effectivité d’une situation, à localiser le mineur au lieu où il vit en
fait204. L’adjonction du qualificatif « habituelle » prouve qu’une certaine stabilité de la
résidence était recherchée205. Van Hoogstraten a indiqué cependant que l’emploi du
terme n’était pas nouveau, « la Conférence l’avait déjà utilisé dans le traité de 1896

200
V. G. A. L. DROZ, La Conférence de La Haye de droit international privé en 1980, in La Conférence
de La Haye de droit international privé vingt-cinq ans après la création de son Bureau permanent : bilan
et perspectives : RCADI 1980-III, t. 168, p. 139.
201
V. D. MASMEJAN , La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse
Lausanne, 1995, p. 83 s. Selon les Actes de la IIe session de la Conférence de La Haye (1894, p. 94), la
discussion portait sur l’article 4 de l’Avant-Projet de la IVe Commission concernant la tutelle, qui
précisait : « De même la tutelle sera régie par la loi du pays, où le mineur est domicilié et y aura son
siège, si le mineur n’a conservé aucun domicile dans son pays d’origine et si la personne, autorisée à cette
fin par la loi nationale du mineur, lui a nommé un tuteur domicilié dans le même pays que le mineur ».
202
M. H. VAN HOOGSTRATEN a souligné le vacuum (La codification par traités en droit international
privé dans le cadre de la Conférence de La Haye : RCADI 1967-III, t. 122, p. 337 s., spéc. p. 359).
203
Article 3 de la convention du 12 juin 1902 pour régler la tutelle des mineurs. Sur la compétence de
principe à la loi nationale, v. l’article 1 de cette convention.
204
V. D. MASMEJAN , La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse
Lausanne, 1995, p. 84.
205
On peut lire dans les Actes de la IIIe session de la Conférence de La Haye (1900, p. 103) que « La
Commission a substitué dans cet article, ainsi que dans les expressions suivantes, aux mots « résidant » et
« résidence » les expressions « résidant habituellement » et « résidence habituelle ». La résidence, qui ne
caractérisait pas la stabilité exprimée par le qualificatif qui a été ajouté, semble impropre à servir de point
de départ aux situations juridiques auxquelles elle se trouve mêlée comme élément efficient ».

66
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

relatif à certaines questions de la procédure civile, à l’instar d’un traité franco-prussien


de 1880 »206.

83. Lors de la Sixième session de 1928, on envisagea de réviser les conventions


de 1902 et 1905 : les cas d’apatridie, de double nationalité pour un individu et de pluri-
nationalité au sein d’une même famille s’étant multipliés après la Première Guerre, un
rattachement subsidiaire à la loi nationale devait être trouvé. Recourir encore une fois
au critère de la résidence habituelle sembla le meilleur moyen de résoudre le problème
et fut la solution retenue. Pour une double raison : le domicile ne pouvait convenir,
d’une part parce que l’on pensait à cette époque que le domicile devait être régi par la
loi nationale, et ne pouvait donc constituer un élément de rattachement pour les
apatrides207 ; d’autre part, le concept de domicile variant beaucoup d’un État à un autre
selon les systèmes juridiques, se référer à cette notion était source de trop grandes
difficultés208.

84. Si, en 1951, la Septième session se référait encore au terme de domicile,


c’était pour le définir en tant que résidence habituelle ; « la définition […] se réfère,
sauf pour le domicile dépendant, à la réalité du "centre vie", plutôt qu’aux notions

206
M. H. VAN HOOGSTRATEN, La codification par traités en droit international privé dans le cadre de la
Conférence de La Haye : RCADI 1967-III, t. 122, p. 337, spéc. p. 359. L’auteur ajoute qu’il « est permis
de supposer qu’il s’agit là [en ce qui concerne l’utilisation de la résidence dans le traité franco-prussien]
d’une traduction en français d’un terme allemand indiquant une notion juridique précise, la gewöhnliche
Aufenthalt ».
207
V. les Actes de la VIe session de la Conférence de La Haye, 1928, p. 131 : le rapporteur (M. Guex)
indique que l’on « évite la notion de domicile pour couper court aux difficultés que présente la définition
de ce terme, d’autant plus fâcheux en l’espèce, qu’il n’y a pas de loi nationale qui permette de savoir s’il
y a ou s’il n’y a pas de domicile ». V. également les Actes de la VIe session de la Conférence de La Haye,
1928, p. 141 et 158.
208
V. NEUMEYER (Actes de la VIe session de la Conférence de La Haye, 1928, p. 110) : « La résidence
habituelle garantit toujours une certaine mesure de durée, de continuité dans la situation légale de
l’individu. On pourrait songer au domicile, mais la conception du domicile varie beaucoup d’une
législation à une autre ; par exemple, dans les États anglo-saxons cette notion est entièrement différente
de celle du continent européen. En outre, en droit français, le domicile se trouve souvent remplacé par la
résidence habituelle ». L’argument selon lequel le domicile se trouve remplacé par la résidence habituelle,
qui vise à une assimilation des deux notions dans les rapports internationaux, s’inscrit dans un courant
doctrinal de cette époque. V. sur ce point les développements de B. SC H N E I D E R (Le domicile
international : Thèse Neuchâtel, 1973, n° 162 s.) qui précise que c’est surtout à propos de l’interprétation
des conventions internationales que la tendance à interpréter le terme de domicile au sens de résidence
habituelle s’est développée. Il cite en ce sens Neuhaus qui se montrait favorable à cette interprétation,
sauf dans l’hypothèse où la convention définit elle-même le domicile ou renvoie, pour sa détermination, à
la législation particulière de chaque État contractant.

67
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

juridiques »209. Issue de ces travaux, la convention du 15 juin 1955 pour régler les
conflits entre la loi nationale et la loi du domicile précisa en son article 5 que « Le
domicile, au sens de la présente convention, est le lieu où une personne réside
habituellement, à moins qu’elle ne dépende de celui d’une autre personne ou du siège
d’une autorité ».

85. À l’origine, la Conférence rassemblait les principaux États d’Europe


continentale accordant une place prépondérante à la loi nationale. Les déplacements en
masse des populations de l’Entre-deux-guerres ont favorisé un retour à des critères
d’inspiration territorialiste. Le fait qu’après la Seconde Guerre mondiale, les pays de
Common law participent aux Conférences ne pouvait que renforcer ce courant210. Des
compromis sont toujours nécessaires à l’élaboration d’une convention, mais ils ne
peuvent être viables que si les termes issus de cet accord trouvé sont interprétés de
manière homogène et autonome comme faisant partie « d’une langue juridique
internationale »211. Retenir le domicile comme critère de rattachement territorial
s’avérait dès lors impossible. En effet, en droit anglais, la conception du domicile se
rapproche de celle de l’Ancien droit français. Au jour de sa naissance, une personne se
voit attribuer un domicile qui est en fait celui de ses parents212, c’est le « domicile
d’origine »213. Elle va le conserver définitivement, à moins qu’au cours de sa vie elle ne
décide de fixer sa résidence dans un autre pays avec l’intention de ne plus le quitter
pour revenir dans son pays d’origine214, et n’aie ainsi perdu tout esprit de retour au
domicile d’origine. Ce nouveau domicile est le « domicile d’élection », « de choix ». Le
changement de domicile est cependant particulièrement laborieux à prouver215, les juges

209
M. H. VAN HOOGSTRATEN, La codification par traités en droit international privé dans le cadre de la
Conférence de La Haye : RCADI 1967-III, t. 122, p. 337, spéc. p. 361. V. les Actes de la VIIe session de
la Conférence de La Haye, 1951, p. 228 s.
210
Le Royaume-Uni et les États-Unis sont devenus membres de la Conférence de La Haye
respectivement en 1951 et 1964.
211
M. H. VAN HOOGSTRATEN, La codification par traités en droit international privé dans le cadre de la
Conférence de La Haye : RCADI 1967-III, t. 122, p. 337 s., spéc. p. 355.
212
En principe du père. V. D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international
privé : Thèse Lausanne, 1995, p. 53.
213
Ce domicile peut ainsi être tout à fait fictif : « si celui du père est fictif, celui de l’enfant qui en dépend
l’est d’autant plus. Il est donc fort possible à un individu d’avoir toute sa vie son domicile d’origine en
Angleterre sans avoir jamais respiré l’air britannique » (B. SCHNEIDER, Le domicile international : Thèse
Neuchâtel, 1973, n° 19).
214
V. N. BENTWICH, Le développement récent du principe de domicile en droit anglais : RCADI, 1934-
III, t. 49, p. 373 s., spéc. p. 380.
215
La procédure est longue et coûteuse. V. sur ce point N. BENTWICH , Le développement récent du
principe de domicile en droit anglais : RCADI, 1934-III, t. 49, p. 373 s., spéc. p. 382.

68
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

se montrant très difficiles à convaincre216. De plus, dès lors que l’on constate un
abandon du domicile de choix, le domicile d’origine renaît de manière automatique217.
Le domicile du droit anglais est proche de l’idée d’un rattachement à une patrie et a
souvent été assimilé à la nationalité des droits continentaux218. Cette conception est
donc radicalement différente de celle des pays continentaux, mais, même au sein de ces
pays, les distinctions qu’il convient d’établir quant à ce terme sont très nombreuses. En
effet, le domicile s’acquiert par la combinaison d’un élément matériel, élément objectif,
et d’un élément intentionnel, élément subjectif, mais ces conditions requises varient
d’un système juridique à un autre, particulièrement en ce qui concerne l’élément
intentionnel219. M. Mahaim après s’être livré à une étude de droit comparé sur la notion
de domicile en a réuni pas moins d’une cinquantaine de définitions et a considéré
comme une tâche désespérante tout effort fait pour trouver une définition du domicile
susceptible d’être universellement acceptée220. Recourir au domicile était donc voué à
l’échec et les experts, réunis pour les Conférences de La Haye, effrayés devant les
problèmes liés aux conflits d’interprétation, ont décidé à partir de la Huitième session
de se référer désormais au seul critère de la résidence habituelle comme facteur de
rattachement221. Selon les termes d’un expert de la Conférence, « la notion de résidence
habituelle est la seule qui puisse finalement satisfaire tout le monde »222.

216
Par exemple, le simple fait de lire la presse de son pays d’origine ou de dire que l’on est fier d’être
originaire de tel lieu, malgré le fait que l’on marque nettement sa volonté de demeurer à l’étranger, que
l’on y est installé depuis de très nombreuses années, peut ne pas suffire pour qu’il y ait changement de
domicile. Voir les exemples jurisprudentiels fournis par N. BENTWICH , Le développement récent du
principe de domicile en droit anglais : RCADI, 1934-III, t. 49, p. 373 s., spéc. p. 380 à 396 et par
B. SCHNEIDER, Le domicile international : Thèse Neuchâtel, 1973, n° 15-18.
217
Cette règle n’existe cependant pas aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Sur
l’ensemble de la question relative au domicile du droit anglais et américain, v. D. MASMEJAN, La
localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse Lausanne, 1995, p. 52-63.
218
Il s’en rapproche en effet, mais certains auteurs insistent sur le fait qu’il s’agit là d’une croyance
erronée. – V. en ce sens la mise au point de M. Graveson, dans La dualité des principes de nationalité et
de domicile en droit international privé : Annales de l’Institut de droit international 1987, t. 1, p. 298,
n. 3. et v. également H. MUIR-W ATT , Note sur l’évolution de la conception du domicile au Royaume-
Uni : Rev. crit. 1988. 403 s.
219
V. les éléments de droit comparé indiqués par L. I. DE WINTER, Nationality or domicile ? The Present
State of Affairs : RCADI 1969-III, t. 128, p. 421 s.
220
Annuaire de l’Institut de droit international 1931, vol. II, p. 180-181.
221
Lors de la XIe session de 1968, dans les travaux relatifs à la reconnaissance des divorces et séparations
de corps, la référence au domicile, utilisée de manière complémentaire, réapparaît sur la demande des
experts britannique et américain. Le terme n’est pas défini, mais renvoie à la loi du domicile allégué. Sur
les explications de la nécessité d’un retour à l’emploi dans une convention de La Haye de la notion de
domicile, v. le rapport de M. BELLET, Actes de la XIe session, La Haye, 1968, t. 2, p. 61-62.
222
M. GIANNINI, Actes de la VIe session de la Conférence de La Haye 1928, p. 142.

69
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

86. C’est en ce sens que l’emploi de la notion de résidence habituelle a été


présenté à la fois comme une fuite devant l’insurmontable diversité des définitions du
domicile et comme le résultat de « compromis » ou de « concessions » nécessaires entre
partisans de systèmes juridiques fondés sur la nationalité ou sur le domicile223. Comme
le souligne en effet M. Lequette, « aucun État n’est porté à ratifier une convention
internationale qui énonce des solutions qui sont aux antipodes de celles que consacre
son droit commun. De là, le souci de parvenir, grâce à des concessions réciproques, à un
instrument proche du droit des différents participants pour qu’il soit acceptable par
tous »224. Cependant, le choix de la résidence habituelle dans les Conférences de
La Haye n’a plus ensuite été justifié par les difficultés de la notion de domicile et se
référer à la résidence habituelle semble résulter d’un choix positif de la part des experts
qui voient en ce critère « une notion de fait »225, pragmatique, propre à servir de
rattachement dans les conventions : « grâce à la résidence habituelle, un critère de
rattachement excellent a été trouvé »226.

223
Ainsi, pour donner quelques exemples, L. I. DE W INTER (Rapport explicatif : Actes et documents de la
e
IX session de la Conférence de La Haye, t. IV., Protection des mineurs, 1960, p. 221) a indiqué que
« l’application de la loi de la résidence habituelle de l’enfant est la seule règle de conflits qui soit
acceptable tant pour les "États-domicile" que pour les "États-nationalité". En effet, la règle choisie ne
découle ni du principe du domicile, ni de celui de la nationalité » ; la résidence habituelle « constitue le
point de rencontre entre les États traditionnellement attachés à la nationalité et ceux qui connaissent le
domicile comme facteur de rattachement privilégié ». Pour P. B ELLET (Les nouvelles conventions de
La Haye en matière d’obligations alimentaires : JDI 1974. 5 s., spéc. 6), les dispositions conventionnelles
comportent « un équilibre heureux, pouvant satisfaire les pays de Common law et ceux qui restent fidèles
au rattachement du statut personnel à la loi nationale ». Pour W. VON STEIGER (Rapport explicatif : Actes
et documents de la IXe session de la Conférence de La Haye, t. IV., Protection des mineurs, 1960,
p. 221), les auteurs de la convention de 1961 sur la protection des mineurs « n’ont nullement voulu
prendre position de manière générale dans la controverse qui divise les adhérents au principe de la
nationalité et les partisans d’un droit international privé fondé sur le domicile ». S’ils se sont laissés
guider uniquement sur le but pratique de la convention, i.e. la protection du mineur, « ils ont aussi eu une
entière compréhension pour la situation des États attachés au principe de la nationalité et leur souci de
maintenir dans la mesure du possible les liens qui rattachent leurs ressortissants vivant à l’étranger à leur
patrie et à leurs familles ». V. également A. E. VON O VERBECK , La reconnaissance des rapports
d’autorité « ex lege » selon la convention de La Haye sur la protection des mineurs : Mélanges en
l’honneur de Henri Deschenaux, Éd. universitaires Fribourg, Suisse, 1977, p. 447 s., spéc. p. 448. – V.
également J. H. A. VAN L OON, Quelques réflexions sur l’unification progressive du droit international
privé dans le cadre de la Conférence de La Haye : Liber Memoralis François Laurent, Bruxelles, 1989,
p. 1133 s.
224
Y. LEQUETTE, Le droit international privé de la famille à l’épreuve des conventions internationales :
RCADI 1994-II, t. 246, p. 9 s., spéc. p. 42 s.
225
Expression à laquelle il est constamment fait référence. Cf. infra n° 113 s.
226
Actes de la XIe session de la Conférence de La Haye, 1968, t. 2, p. 119.

70
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

§ 2. Le domicile, facteur de rattachement exceptionnellement maintenu

87. Dans d’autres textes internationaux, le domicile est un critère de


rattachement qui a réussi à se maintenir ou bien parce qu’il est directement défini dans
le texte (A.), ou bien parce que le texte international indique la loi qui permet de le
déterminer (B.).

A. La définition de la notion de domicile dans le texte

88. Lorsque le domicile est directement défini par les textes, il échappe à des
divergences d’interprétation. Ainsi, la convention franco-polonaise du 5 avril 1967227
relative à la loi applicable, la compétence et l’exequatur dans le droit des personnes et
de la famille, énonce clairement dans son article 1er que « Possède son domicile sur le
territoire de l’une des hautes parties contractantes la personne qui a sa résidence
habituelle sur ce territoire ». De même, il est stipulé dans la convention franco-
marocaine du 10 août 1981228 relative au statut des personnes et de la famille et à la
coopération judiciaire que « Le domicile d’une personne est le lieu où elle a sa
résidence habituelle effective »229. On a vu230 que la convention de La Haye de 1955
pour régler les conflits entre la loi nationale et la loi du domicile prévoyait également
dans son article 5 que « Le domicile, au sens de la présente convention, est au lieu où
une personne réside habituellement, à moins qu’elle ne dépende de celui d’une autre
personne ou du siège d’une autorité ». Le terme de domicile subsiste donc parfois, mais
clairement défini par la référence à la résidence habituelle231, ce qui revient peu ou prou
à consacrer ce critère – M. Lagarde a d’ailleurs pu parler à propos de la convention
franco-polonaise de « domicile-résidence habituelle »232. Il ne fait l’objet d’aucune

227
Applicable depuis le 1er mars 1969 : Décret n° 69-176, 13 févr. 1969 : JO du 22 févr. 1969, p. 1969.
228
Entrée en vigueur le 13 mai 1983 : Décret n° 83-435 du 27 mai 1983 : JO du 1er juin 1983, p. 1643.
229
Article 2 de la convention.
230
Cf. supra n° 84.
231
La convention de La Haye de 1955 réserve tout de même l’hypothèse du domicile de dépendance.
232
P. LAGARDE, Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain : RCADI 1986-
I, t. 196, p. 70. V. l’arrêt Civ. 1re, 5 nov. 1991 (Bull. I, n° 295) : la mère d’un enfant, qui est domiciliée en
France, ne peut intenter une action en recherche de paternité contre un homme domicilié en France, alors
que l’enfant est élevé en Pologne : « Mme Y… ne pouvait attraire M. X… que devant le Tribunal dans le
ressort duquel l’enfant avait sa résidence habituelle ».

71
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

spéculation sur son contenu et il ne semble pas qu’il y ait eu de contentieux particuliers
liés à un problème d’interprétation de la notion ainsi visée233.

B. La désignation par le texte de la loi déterminant le domicile

89. Dans d’autres hypothèses, le domicile est le critère retenu, mais la loi qui
doit le définir est expressément envisagée par les rédacteurs du texte. On l’a vu, avec le
recours au domicile s’est posé le problème de savoir quelle loi devait servir à le
déterminer. Si le domicile est en principe défini par la loi du for ou la loi pour
l’institution de laquelle il joue, par la loi qui lui attribue un effet234, dans d’autres
systèmes, il convient de se référer à la loi sur le territoire duquel la personne concernée
est domiciliée.

90. Ainsi, la convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en
matière de dispositions testamentaires prévoit qu’une disposition testamentaire est
valable quant à la forme notamment si celle-ci répond à la loi interne « d'un lieu dans
lequel le testateur avait son domicile, soit au moment où il a disposé, soit au moment de
son décès »235. Selon le texte, « la question de savoir si le testateur avait un domicile
dans un lieu déterminé est régie par la loi de ce même lieu »236. La loi du « lieu dans
lequel le testateur avait sa résidence habituelle, soit au moment où il a disposé, soit au
moment de son décès »237 a également vocation à s’appliquer238.

233
Mais, sur ce point, cf. infra n° 249, et notamment la décision de la Cour suprême de Pologne (25 nov.
1975 : JDI 1989. 125, note Jodlowski) selon laquelle l’établissement des époux en France pendant deux
ans pour raisons professionnelles ne constitue pas un domicile au sens de la convention.
234
V. G. LEVASSEUR, La détermination du domicile en droit international privé français : Thèse Paris,
1931, p. 94 : « C’est à l’autorité qui fait du domicile une condition nécessaire à l’obtention d’un droit ou
d’une qualité ou qui résout par le recours à la loi ou au tribunal du domicile un conflit de lois ou de
juridictions préexistant, qu’il appartient de définir ce qu’elle entend par domicile […] C’est la loi qui a
déterminé l’effet du domicile qui seule doit en déterminer le lieu ».
235
Art. 1, al. 1, c).
236
Art. 1, in fine. – V., quant aux raisons de ce choix par les rédacteurs de la convention,
Y. LOUSSOUARN, La IXe Session de la Conférence de La Haye de Droit International Privé : JDI 1961,
654 s., spéc. p. 672.
237
Art. 1, al. 1, d).
238
Batiffol, dans son rapport explicatif de la convention (Actes et documents de la IXe session de la
Conférence de La Haye, 1960, t. III, Forme des testaments, p. 159 s., spéc. p. 164) a expliqué les raisons
du choix de la résidence habituelle et précisé que, si le texte ne désigne pas la loi selon laquelle devait être
définie la notion, c’est parce que la Conférence a estimé qu’elle était « dans l’esprit de la convention
essentiellement de fait » et que « même si l’habitude peut impliquer l’appréciation d’une intention, il
s’agit là essentiellement d’une question de fait ». Sur ce point, cf. infra n° 110.

72
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

91. C’est aussi le cas de la convention de Bruxelles du 28 septembre 1968


concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en
matière civile et commerciale239, remplacée depuis le 1er mars 2002, par le règlement
communautaire n° 44/2001 du 22 décembre 2000240, dont le champ d’application est
identique à celui de la convention précitée puisque seuls des ajustements sont envisagés.
En vertu de l’article 1er, par. 2, pnt a, le statut personnel des personnes physiques, les
rapports de famille extra-patrimoniaux et patrimoniaux sont exclus de son champ
d’application. Le règlement s’applique ratione loci dès lors que le domicile du
défendeur est situé dans un État membre241. En effet, le chef de compétence retenu à
titre de principe par l’article 2 du règlement est celui du tribunal du domicile du
défendeur242.

92. Dès le départ, le critère de la nationalité a été écarté par les rédacteurs de la
convention de Bruxelles à deux titres au moins. D’abord parce qu’il est de tradition dans
le droit international de la procédure de faire dépendre la compétence juridictionnelle du
domicile ou de la résidence habituelle des parties. Ensuite parce qu’adopter des règles
communes sur le fondement de la nationalité aurait généré de nombreuses difficultés
dans l’application de la convention. M. Jenard, rapporteur de la convention, a ainsi
précisé que le fait de retenir la nationalité comme point de rattachement aurait « entraîné
l’instauration de règles de compétence distinctes selon que les litiges auraient opposé

239
Élaborée sur la base de l’article 220 du Traité de Rome, en vigueur en France et dans tous les pays de
L’Union européenne. La convention de Lugano du 16 septembre 1988, qui lie la France et les pays de
l’Association européenne de libre-échange, également relative à « la compétence judiciaire et l’exécution
des décisions en matière civile et commerciale », a adopté à quelques détails près les mêmes dispositions
que celles de la convention de Bruxelles. La convention de Lugano a d’ailleurs été qualifiée de
« convention parallèle ». V. l’article de G. A. L. D ROZ , La Convention de Lugano parallèle à la
Convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière
civile et commerciale : Rev. crit. 1989. 1 s.
240
Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale : JOCE L 12, 16 janv. 2001,
p. 1-23. Le Règlement ne s’applique cependant pas aux relations entre le Danemark et les autres États
membres. V. les points (20) et suivants du préambule du Règlement. La transformation de la convention
en règlement communautaire s’inscrit dans le mouvement de communautarisation du droit international
privé européen, sur le fondement des articles 61 et suivants du traité C.E. issu du Traité d’Amsterdam.
241
Ce principe trouve à s’appliquer « même si le demandeur est domicilié dans un État tiers », sauf « dans
les cas exceptionnels où une disposition expresse de la Convention prévoit que la règle de compétence
qu’elle énonce dépend de la localisation du domicile du demandeur dans un État contractant » : CJCE 13
juill. 2000, aff. C 412/98, Group Josi Reinsurance Company SA c/ Universal General Insurance
Company : Rec., p. I-5925, spéc. points 47, 61, disp. 1.
242
Dans le cas des obligations alimentaires visées par le texte, le rattachement au domicile peut présenter
des inconvénients, et c’est pourquoi le règlement envisage la résidence habituelle comme autre chef de
compétence. Sur ce point, cf. infra n° 154 s.

73
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

des ressortissants d’un État contractant, ou un ressortissant d’un État contractant et un


étranger, ou deux étrangers »243. Le but de la convention était, d’une part, de simplifier
l’application du texte, de lui assurer une cohésion, par voie de conséquence une
interprétation uniforme, d’autre part de « faire preuve d’équité en admettant au bénéfice
de la convention les étrangers qui sont domiciliés à l’intérieur de la Communauté, qui y
sont établis et qui, ainsi, participent à son activité et à sa prospérité économique »244. Le
rattachement à un critère territorial était acquis, mais la question s’est posée de savoir
s’il ne fallait pas, à l’instar des conventions de La Haye, retenir le critère de la résidence
habituelle au lieu du domicile, ou encore juxtaposer les deux critères.

93. Le rattachement à la résidence habituelle n’a finalement pas été adopté pour
plusieurs raisons. D’abord parce que le comité de rédaction a fait observer qu’un
contentieux aurait pu s’engager « sur la notion d’habitude », car certains États membres
prévoient que « l’habitude se déduit d’une manière irréfragable de l’inscription dans les
registres de la population »245. Ensuite parce que la plupart des législations retiennent le
critère du domicile. Enfin, le critère de la résidence habituelle est apparu comme un
établissement de l’intéressé moins stable et moins fixe que le domicile, alors que « dans
un traité à compétence directe, il importe de fonder la compétence sur une base solide
pour le juge saisi »246. Le cumul de la résidence habituelle avec le domicile n’a pas non
plus emporté l’adhésion parce que multiplicateur des fors compétents. L’intéressé
pouvant effectivement avoir son domicile et sa résidence habituelle dans deux États
différents, les hypothèses de connexité ou de litispendance auraient considérablement
augmenté.

94. Le chef de compétence principal est donc le domicile du défendeur, mais il


n’a pas fait l’objet d’une définition, jugée trop dangereuse parce que « susceptible
d’entraîner une multitude de définitions et, par là même, de provoquer
l’incohérence »247. En revanche, un renvoi au droit interne des États membres pour le
déterminer est expressément prévu. En effet, de manière à éviter des conflits, positifs ou

243
Rapport de P. Jenard sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et
l’exécution des décisions en matière civile et commerciale : JOCE C 59, 5 mars 1979, p. 1 s., spéc. p. 14.
244
Rapport de P. Jenard sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et
l’exécution des décisions en matière civile et commerciale : JOCEC 59, 5 mars 1979, p. 1 s., spéc. p. 15.
245
Rapport de P. Jenard, op. et loc. cit.
246
Rapport de P. Jenard, op. cit., p. 16.
247
Rapport de P. Jenard op. cit., p. 15.

74
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

négatifs, de compétence, les deux premiers alinéas de l’article 52 de la convention,


devenus l’article 59 du règlement, indiquent que le juge d’un État membre doit
déterminer si une personne a son domicile sur son territoire au regard de sa propre loi
– soit pour le juge français saisi, au regard de l’article 102 du Code civil. Dans
l’hypothèse où ce ne serait pas le cas, le juge saisi, pour savoir si elle a son domicile sur
le territoire d’un État membre, doit appliquer la loi interne de cet État membre. Le texte
communautaire correspond très exactement au principe de « territorialité du domicile »
préconisé par Niboyet248 : « tout ce que la loi française peut faire, c’est de décider qu’un
individu est domicilié en France, ou, au contraire, qu’il n’y est pas domicilié » ; elle ne
peut aller plus loin. Dans ce cas, on est « obligé de lui reconnaître le domicile du pays
étranger […] en vertu de sa législation, seule compétente ». La loi étrangère doit donc
s’appliquer lorsque c’est à l’étranger qu’est localisé le domicile. La loi du lieu où le
domicile est prétendu est seule compétente pour le déterminer. L’hypothèse selon
laquelle le défendeur n’aurait son domicile ni sur le territoire de l’État du juge saisi, ni
sur celui d’un État membre, est également prévue : il y a un renvoi aux règles nationales
du juge saisi, y compris, à titre subsidiaire, à ses règles de compétence exorbitante, soit,
pour la France, aux articles 14 et 15 du Code civil, lesquelles peuvent être invoquées
dans le cadre de l’application du règlement, par toute personne, quelle que soit sa
nationalité, si elle est domiciliée sur le territoire d’un État membre, au même titre donc
que les nationaux249.

95. Dans sa première version, l’article 52 de la convention de Bruxelles


comprenait un troisième alinéa aux termes duquel, « pour déterminer le domicile d’une
partie, il est fait application de sa loi nationale si, selon celle-ci, son domicile dépend de
celui d’une autre personne ou du siège d’une autorité ». La loi nationale devait
déterminer si les personnes concernées avaient un domicile de dépendance et, dans
l’affirmative, devait indiquer où il se trouvait250. La femme mariée n’avait pas encore de

248
J.-P. NIBOYET, Traité de droit international privé français. « Sources – Nationalité – Domicile » : t. 1,
Recueil Sirey, 2e éd., 1947, n° 515.
249
Rapport de P. Jenard sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et
l’exécution des décisions en matière civile et commerciale : JOCE C 59, 5 mars 1979, p. 1 s., spéc.
p. 21 s. Par ailleurs, un demandeur français ne peut se prévaloir de sa nationalité pour attraire devant les
juridictions françaises un défendeur qui est domicilié dans un État membre de l’Union européenne.
250
M. Droz a été l’un des auteurs à vivement critiquer ces dispositions qui aboutissaient à des situations
regrettables : ou bien la compétence que fondait cette disposition était sans rapport avec la réalité, ou
bien, à l’inverse, une partie se voyait privée du bénéfice de la convention, alors qu’elle était durablement
installée dans la Communauté. V. G. A. L. D ROZ , Entrée en vigueur de la Convention de Bruxelles

75
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

domicile distinct de son mari, ce qui pouvait l’obliger à plaider dans un lieu très éloigné
de celui où elle vivait en réalité. La loi française a aboli en juillet 1975251 le domicile
légal de la femme. En 1989, le dernier alinéa de l’article 52 a été supprimé : même si, à
l’heure actuelle, une femme peut encore être domiciliée selon sa loi nationale chez son
mari, cela n’a plus aucune importance dans la mesure où l’article 52 de la convention
(art. 59 du règlement) renvoie pour la détermination du domicile au seul droit interne
des États membres, et que les législations européennes ne prévoient plus de domicile
légal pour la femme mariée. Le même raisonnement vaut pour les mineurs qui étaient
domiciliés au lieu prévu par leur loi nationale. Certes, ils sont aujourd’hui encore
soumis à la définition du domicile du droit interne des États membres (en droit français,
aux dispositions de l’article 108-2 du Code civil), mais plus à leur loi nationale. Même
si la loi nationale d’un mineur prévoit que la majorité est fixée à 21 ans, si c’est le droit
interne français, par exemple, qui permet de déterminer ce domicile, il est apprécié au
regard de l’article 102 du Code civil dans l’hypothèse où ce mineur a plus de 18 ans et
de l’article 108-2 du Code civil s’il a moins de 18 ans.

96. Selon un auteur, « ce que les tribunaux européens et notamment la Cour de


Justice des communautés européennes appellent "domicile" finit par s’identifier à la
résidence habituelle »252. Aucune décision en particulier ne permet de confirmer ou
d’infirmer ce point de vue. Mais il est vrai que la confusion des termes serait en pratique
possible dans la mesure où un autre texte communautaire, le règlement de Bruxelles du
29 mai 2000253, dit « Bruxelles II », relatif à la compétence, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité
parentale des enfants communs254, retient la résidence habituelle comme chef de
compétence territorial. Il n’y a qu’une seule référence au domicile : peuvent également
être compétentes les juridictions de l’État membre « de la nationalité des deux époux
ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, du "domicile" commun »255. L’article

révisée sur la compétence judiciaire et l’exécution des jugements : Rev. crit. 1987. 251, n° 75-76. ; v.
également H. GAUDEMET-TALLON, Les Conventions de Bruxelles et de Lugano. Compétence
internationale, reconnaissance et exécution des jugements en Europe : L.G.D.J., 2e éd., 1996, n° 72.
251
Loi du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce.
252
G. BROGGINI, Problèmes particuliers concernant les règles de compétence de la Convention de
Lugano, in L’espace judiciaire européen, La Convention de Lugano du 16 septembre 1988 : Nicolas
Gilliard éd., Coll. CEDIDAC, n° 21.
253
Sur ce règlement, cf. infra n° 151 s.
254
Règlement n° 1347-2000 du Conseil : JOCE L 160, 30 juin 2000, p. 19.
255
Art. 2, par. 1, pnt b.

76
CHAPITRE 1. LES INSUFFISANCES DU DOMICILE

précise à l’alinéa suivant qu’« aux fins du présent règlement, le terme de "domicile" doit
s’entendre au sens des systèmes juridiques du Royaume-Uni et de l’Irlande ». Les
rédacteurs ne pouvaient être plus clairs puisqu’ils renvoient à une conception précise du
domicile. Il est précisé dans le rapport explicatif256 que le terme de domicile est placé
entre guillemets « afin d’attirer l’attention sur le sens particulier que prend ce terme
dans ce contexte. Cela exclut donc la possibilité d’assimiler ce terme à la résidence
habituelle mentionnée au paragraphe 1 ». L’auteur du rapport ajoute que « l’objectif
essentiel de cette notion [le domicile] est de rattacher la personne au pays dans lequel
elle habite de manière permanente ou pour une durée indéterminée ». Comme l’ont
souligné M. Ancel et Mme Muir-Watt257, ce domicile « se rapproche à certains égards
du concept de la nationalité plus répandue en matière de statut personnel dans la
tradition civiliste, en ce qu’il s’acquiert à la naissance et ne s’abandonne que
difficilement, par la preuve d’un rattachement permanent avec un pays nouveau ».

97. Si le domicile a pu se maintenir dans certaines conventions ou règlements


internationaux, c’est uniquement parce que la question de la loi applicable à sa
détermination était directement envisagée par le texte ou parce qu’il était directement
défini, en particulier par une référence à la notion de résidence habituelle.

256
A. BORRÁS, Rapport explicatif relatif à la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur
l’Union européenne concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière
matrimoniale : JOCE n° C 221 du 16 juill. 1998, p. 27 s., spéc. n° 34. La convention dite « Bruxelles II »
devait être adoptée avant que les autoirtés européennes ne décident, après l’entrée en vigueur du Traité
d’Amsterdam, de l’adoption du règlement n° 1347/2000 précité. Ce règlement est d’illeurs remplacé par
le règlement n° 2201/2003. Les dispositions concernant la question de la référence au domicile restent
identiques.
257
B. ANCEL et H. MUIR-WATT, La désunion européenne : le Règlement dit « Bruxelles II » : Rev. crit.
2001, p. 403 s., spéc. p. 414, n. 34.

77
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

78
CONCLUSION DU CHAPITRE 1.

98. Il a été dit en introduction que certains auteurs voyaient en la résidence


habituelle l’histoire d’une « suprématie peu à peu conquise sur le domicile », d’une
« éviction » du domicile, d’une « fuite » devant ce concept. Il est vrai que le domicile
« de droit » a révélé des incohérences, que la notion de domicile a été et reste difficile à
définir de par le caractère fonctionnel qui la caractérise, que ses définitions varient
également selon les systèmes juridiques concernés, que la question de la loi applicable à
sa détermination est parfois complexe. Constatés par la doctrine, la gêne ou le malaise
des juristes chargés d’appliquer la notion, étaient incontestables. Le réalisme,
l’effectivité des solutions, essentiels en droit international privé, étaient difficiles à
trouver dans le critère du domicile, lequel peut présenter un caractère fictif : les
domiciles légaux, inadéquats dans les rapports internationaux puisque inaptes à localiser
la personne pour elle-même, ont été écartés ; l’élément intentionnel du domicile a été
objectivé. C’est d’un facteur de rattachement concret que les juristes avaient le plus
besoin. Le rattachement au domicile existe toujours, l’éviction n’est donc pas totale,
mais la notion a dû céder en partie devant une approche pragmatique de la matière. Des
concessions ont été possibles dans un premier temps pour adapter le droit au fait, mais
le domicile, par ses insuffisances, a révélé ses limites.

99. Il semble que l’on ait souhaité en droit français, et en droit international
privé en général, s’affranchir d’une notion de domicile trop chargée d’un contexte
juridique propre à chaque système national, d’une longue tradition historique, pour la
remplacer par une notion relativement nouvelle, en tout cas en tant que facteur de
rattachement. En passant du domicile à la résidence habituelle, on a substitué « à une
notion trop connue un concept inconnu »1. Dans un premier temps, la notion de
résidence habituelle a servi à définir le domicile dans les rapports internationaux, elle en
est d’ailleurs toujours un des éléments constitutifs, mais aujourd’hui elle est également

1
B. SCHNEIDER, Le domicile international : Thèse Neuchâtel, 1973, n° 173.
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

un facteur de rattachement à part entière : le domicile et la résidence habituelle sont


deux notions qu’il convient de considérer indépendamment l’une de l’autre.

100. La résidence est une notion relativement proche du domicile, mais


débarrassée d’un carcan juridique trop lourd à manier dans les rapports internationaux.
Le domicile ne correspondait plus à un certain nombre d’attentes. On peut concevoir
que, dans un premier temps, la résidence est une notion qui a été utilisée uniquement à
titre subsidiaire, faute de mieux en quelque sorte. Aujourd’hui, au contraire, la résidence
n’est plus envisagée comme le substitut du domicile, mais comme une notion autonome,
appropriée à un certain nombre de situations, un facteur de rattachement adéquat, doté
de très nombreux avantages.

80
CHAPITRE 2.
LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

101. Les avantages de la résidence sont multiples et la résidence peut s’imposer


comme point de rattachement « pour des raisons appartenant tant à la technique
juridique qu’à la nature des choses »1.

102. En droit interne français, le domicile est considéré comme le « siège


juridique » de la personne alors que la résidence serait son « siège réel »2. Faire appel à
la résidence, c’est avant tout rechercher un réalisme dans les rapports qui lui sont
soumis. Souvent qualifiée de « notion de fait », elle est un élément de rattachement
souple et pragmatique et, lorsque cet élément de rattachement sert à la fois à désigner la
juridiction compétente et la loi applicable, la corrélation qui en résulte implique
également de nombreux avantages. Après avoir analysé les avantages de la notion de
résidence (Section 1), on étudiera ceux qui résultent plus particulièrement de son
application (Section 2).

SECTION 1. LES AVANTAGES DE LA NOTION

103. La notion de résidence s’oppose sur de nombreux points à celle du domicile.


Elle n’a pas ce caractère un peu figé ou rigide qui le caractérise ; elle est parfois
« préférée au domicile comme impliquant une localisation plus véridique »3. Purement
objective, la résidence ne serait constituée que d’éléments matériels, faciles à constater,

1
W. VON S TEIGER , Rapport explicatif : Actes et documents de la IXe Session de la Conférence de
La Haye, t. IV, Protection des mineurs, 1960, p. 219 s., spéc. p. 226.
2
G. BAUDRY-LACANTINERIE, Précis de droit civil : t. 1, 8e éd., 1902, n° 359 s.
3
J. CARBONNIER, Droit civil, 1. Les personnes : PUF, Coll. Thémis, droit privé, 21e éd., 2001, n° 55.
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

au contraire du domicile qui requiert la conjonction d’éléments matériels et


intentionnels. La résidence correspond à une présence matérielle de l’intéressé sur le
territoire français, qualifiée par une certaine durée révélatrice de stabilité : elle est
traditionnellement présentée comme « le lieu où la personne demeure effectivement,
pourvu que ce soit d’une manière assez stable et habituelle »4. Mais il s’agit là moins de
définitions que d’éléments sans lesquels la résidence serait totalement indéfinie5 ou
inexistante et ne pourrait être envisagée, car il est des situations où la notion ne peut être
réduite à ces deux éléments de présence physique et de durée6. Néanmoins, elle doit en
partie son essor contemporain « à l’avantage que présenterait l’absence supposée de tout
élément intentionnel, source d’arbitraire et d’incertitude. Exprimant ainsi une proximité
purement matérielle, elle correspond à une présence d’une certaine durée dans un
ressort déterminé »7. On a surtout voulu, en substituant la résidence au domicile dans les
rapports internationaux, remplacer un terme difficile à définir, variable selon le système
juridique concerné, par un terme simple, une notion concrète, qui serait une « notion de
fait ».

104. On a effectivement souvent opposé le domicile à la résidence en ce que le


premier serait une notion juridique et la seconde une notion de fait, et on fait découler
de cette différence un certain nombre de conséquences juridiques qui mettent en relief
les avantages de la résidence (§ 1.). Cette assertion selon laquelle la résidence est une
notion de fait, qui revient de manière constante et qui fonde en partie la substitution de
la notion de résidence à celle de domicile, a été plus souvent formulée que démontrée et
d’ailleurs, les auteurs qui ont tenté de faire le point sur la question auraient plutôt
tendance à considérer la résidence comme une notion juridique. La qualification de la
notion comme étant « de fait » peut être discutée (§ 2.).

4
J. CARBONNIER, op. et loc. cit.
5
V. par exemple J.-Y. CARLIER, Autonomie de la volonté et statut personnel : Bruylant, 1992, n° 185.
6
Sur la question de la détermination de la résidence et de ses éléments constitutifs, cf. infra n° 216 s.
7
H. MUIR-WATT, Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10, n° 6.

82
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

§ 1. La qualification de la résidence comme notion de fait

105. On a déjà vu se profiler, en étudiant les insuffisances du domicile, les


avantages de la résidence. Cette fois, ce n’est plus en termes de difficultés posées par le
domicile, mais de manière plus positive que la résidence est analysée. La considérer
comme une notion de fait permet de la dégager des contingences nationales, ce qui lui
permet d’acquérir une certaine « universalité » (A.), mais surtout d’avoir un critère de
rattachement effectif (B.).

A. Une notion « universelle »

106. La détermination de la résidence ne dépend pas d’une législation en


particulier (1.) : en tant que notion de fait, elle correspond à un concept qui n’a pas à
être défini, puisque à vocation internationale (2.).

1. L’absence de référence à un ordre juridique particulier

107. En 1928, lors de la Sixième session de la Conférence de La Haye, les études


comparatives alertèrent le monde juridique sur les différences entre les législations
nationales en matière de domicile. Le mouvement en faveur de la résidence répondit
alors au besoin de se sortir de ce dilemme8.

108. Au cours des travaux préparatoires de cette Conférence de 1928, les experts
chargés de discuter de la révision des conventions de La Haye de 1902 et 19059 ainsi
que des problèmes d’apatridie devaient trouver un critère subsidiaire à celui de la
nationalité. Beaucoup étaient favorables à un rattachement d’abord fondé sur le
domicile, à défaut sur la résidence habituelle, à défaut sur la lex fori car « le domicile est
une notion juridique, alors que la résidence habituelle n’est qu’une question de fait. Il
vaut mieux […] s’en tenir à une donnée juridique lorsqu'il est possible de le faire ». Or,
l’expert roumain fit valoir qu’en Roumanie par exemple, « pays classique des apatrides,
[…] une partie de la doctrine enseigne que c’est la loi nationale de l’individu qui doit
dire si celui-ci a un domicile ou non, et comme dans l’espèce il n’y a pas de loi

8
V. B. SCHNEIDER, Le domicile international : Thèse Neuchâtel, 1973, n° 185.
9
Séance du 9 janv. 1928, Actes et documents de la VIe session de la Conférence de La Haye, 1928,
p. 110 s., spéc. p. 112.

83
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

nationale, puisqu’il s’agit d’un apatride, il faut s’en tenir au terme de résidence tout
court ». Au cours de cette même session, le gouvernement allemand déclara au contraire
qu’il fallait « baser la réglementation, non pas sur la notion juridique de domicile […],
mais sur la condition de pur fait de "séjour habituel" »10. Ce n’est pas le « séjour
habituel », mais la « résidence habituelle » qui fut finalement retenue.

109. La notion de domicile variant selon le système juridique concerné, la


question de la loi applicable à la détermination du domicile se pose inéluctablement
lorsqu'il est facteur de rattachement dans un texte international. Prendre la résidence
comme point de rattachement et la considérer comme une notion de fait permettait de se
débarrasser du problème car en matière de résidence il n’y a pas à se référer à la loi qui
lui est applicable : « il s’agit de toute évidence d’une notion de fait, distincte du
domicile, pour laquelle aucun conflit de qualification n’est à craindre »11. Au départ, le
choix de la résidence répond à une nécessité essentiellement technique ; il paraît ensuite
plus naturel de la retenir. Ainsi, alors qu’au cours de la Septième session de 1951, un
expert japonais proposait d’ajouter à l’expression « résidence habituelle » qu’elle devait
être utilisée « au regard de la loi du territoire en question », il lui a clairement été
opposé que la « résidence habituelle est une notion de fait qui ne nécessite aucun
rattachement à un ordre juridique donné »12. Pourtant, dans le protocole de la
Convention européenne d’établissement13 signée à Paris le 13 décembre 195514, il est
prévu ad article 30 que « la "résidence habituelle" doit s’apprécier selon les règles
applicables dans le pays dont l’intéressé est ressortissant ». Le domicile n’a pas été le
terme retenu dans la convention parce qu’il n’était « pas susceptible d’une interprétation

10
Actes et documents de la VIe Session de la Conférence de La Haye, 1928, p. 51.
11
J.-M. BISCHOFF, Les Conventions de La Haye en matière d’obligations alimentaires : JDI 1964. 759 s.,
spéc. 771.
12
Actes et documents de la VIIe Session de la Conférence de La Haye, 1951, p. 232.
13
La convention (STE n° 019) vise le droit d’établissement des personnes physiques : un traitement
favorable doit être assuré par les parties contractantes aux ressortissants des autres parties contractantes
en matière d’entrée, de séjour et d’expulsion des étrangers. Le rapport précise que « les notions
d’établissement ou de domicile n’étant pas susceptibles d’une interprétation commune par les membres
du Conseil et pour certains d’entre eux n’existant même pas, il a été jugé préférable de s’écarter du texte
de l’Assemblée qui proposait "L’établissement à titre de domicile ou de résidence permanente
prolongée". Le texte du Comité ne reconnaît que le "séjour temporaire" et la "résidence prolongée ou
permanente" en accordant à celle-ci tous les effets qu’aurait entraînés l’emploi des termes "établissement"
et "domicile" ».
14
Signée par la France le 13 décembre 1955, mais non suivie de ratification. Elle est entrée en vigueur le
23 février 1965 et est aujourd’hui applicable dans les pays suivants : Belgique, Danemark, Allemagne,
Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Suède, Turquie, Royaume-Uni.

84
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

commune par les membres du Conseil »15. Or, préciser que la résidence habituelle doit
s’apprécier au regard du système juridique dont l’intéressé a la nationalité suppose que
la résidence a également des sens différents selon les pays16. Et le texte est d’autant plus
surprenant que l’on est en droit de se poser la question de savoir dans quel pays on peut
trouver des « règles applicables » à la notion concernée17.

110. Au cours des travaux de la Huitième session, en 1956, il a été très


clairement précisé que la résidence « posera une simple question de fait, de sorte que
seront évités les problèmes de qualification qu’aurait soulevés la notion de domicile »18.
De même, alors que la convention de La Haye relative à la forme des testaments prévoit
que le domicile doit être défini par la loi du lieu où l’on allègue que le testateur était
domicilié, elle ne dit rien quant à la résidence habituelle : « la convention ne désigne pas
la loi selon laquelle devrait être définie la résidence habituelle. La Conférence a estimé
que cette notion était dans l’esprit de la convention essentiellement de fait »19.
Von Steiger a résumé, à propos de la convention de La Haye de 1961 sur la protection
des mineurs, la position de la Conférence de La Haye : en retenant la résidence
habituelle, la convention suit « une tendance très marquée du droit international privé, et
notamment des dernières conventions internationales, de prendre comme critère non pas
un concept juridique, mais une notion de fait. Ainsi, on évite de nouveau les difficultés
d’interprétation, qui surgiraient certainement, si l’on avait retenu comme point de
rattachement le domicile, concept juridique, dont le contenu varie de pays à pays et dont
une qualification autonome serait difficile à imposer »20.

15
Rapport précité de la Convention européenne d’établissement (STE n° 019).
16
Le problème serait donc déplacé, mais peut-être aussi réduit, si l’on considère que les divergences sur
la notion de résidence entre les systèmes juridiques sont moindres que celles relatives au domicile.
17
V. A. MAKAROV (Réflexions sur l’interprétation des circonstances de rattachement dans les règles de
conflit faisant partie d’une convention internationale, in Mélanges offerts à Jacques Maury : Dalloz-
Sirey, 1960, t. 1, p. 207 s., spéc. p. 227) qui relève que le protocole ad article 30 « se heurtera dans la
plupart des cas au manque de règles codifiées sur cette matière ».
18
Annuaire suisse de droit international, 1956-XIII, p. 41 s., spéc. p. 51.
19
H. BATIFFOL, Rapport explicatif : Actes et documents de la IXe Session de la Conférence de La Haye :
1960, t. III, Forme des testaments, p. 159 s., spéc. p. 164.
20
W. VON STEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents de la IXe Session de la Conférence de
La Haye, 1960, t. IV, Protection des mineurs, p. 219 s., spéc. p. 225. – V. également Y. LOUSSOUARN, La
IXe Session de la Conférence de La Haye de droit international privé : JDI 1961. 654 s., spéc. 684-685.
La convention a préféré la résidence au domicile parce qu’il est plus réaliste et plus sûr de se référer à une
notion de fait qu’à un concept juridique qui varie selon les différentes législations ».

85
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

111. Alors que semblait acquis le principe qu’aucune loi n’était applicable à la
détermination de la notion de résidence, Mme Borrás21 rapporte qu’il avait tout de
même été envisagé, au cours des travaux préparatoires de la convention européenne
concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière
matrimoniale, d’inclure une règle qui fixerait le lieu de la résidence habituelle d’une
manière analogue à celle dont l’article 52 de la convention de Bruxelles de 1968 fixe le
domicile22, i.e. au regard de la loi interne du juge saisi et, si le domicile n’est pas en
application de cette loi sur son territoire, en application de la loi de l’État sur lequel il
est censé être, mais cette solution fut finalement rejetée.

112. Lorsque l’on retient la résidence, il n’y a donc pas à opérer de rattachement
à un quelconque ordre juridique donné. Si l’on a cherché à se libérer d’une notion de
domicile difficile à déterminer, et trop chargée d’un contexte national, en éliminant la
référence à cette notion pour lui substituer celle de résidence, c’est que, par hypothèse,
celle-ci se trouve dénuée de telles contingences nationales. Dès lors, elle peut être
qualifiée de rattachement à « valeur internationale ». L’absence de définition dans la
quasi-totalité des textes internationaux est également fondée sur sa qualification de
notion de fait.

2. L’absence de définition textuelle

113. L’allégation selon laquelle la notion de résidence est de fait et qu’elle ne


doit pas, en tant que telle, faire l’objet d’une définition revient comme un leitmotiv :
« Aucune définition n’a été donnée de la résidence habituelle qui, en dépit des
importants effets juridiques qui lui sont attachés, doit rester une notion de fait »23 ; la
Conférence de La Haye est « restée fidèle à sa ligne de conduite de ne pas définir la
notion de résidence habituelle, qui doit rester une notion de fait »24 ; la notion de
résidence habituelle, « familière de la Conférence de La Haye, ne soulève pas de
difficulté particulière ; si la Convention ne la définit pas, c’est que, conformément à un

21
A. BORRÁS, Rapport explicatif relatif à la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur
l’Union européenne concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière
matrimoniale : JOCE C 221, 16 juill. 1998, p. 27 s., n° 32.
22
Sur ce point, cf. supra n° 94.
23
P. LAGARDE , Rapport explicatif : Actes et documents de la Conférence de La Haye, 2000, L a
protection internationale des adultes, n° 49.
24
P. LAGARDE, La nouvelle convention de La Haye sur la protection des mineurs : Rev. crit. 1997. 217 s.,
spéc. 223.

86
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

usage bien ancré, elle doit être comprise comme une notion de pur fait, distincte
notamment du domicile ; il appartiendra aux autorités judiciaires ou administratives
chargées d’appliquer la convention de déterminer l’existence de cette résidence et son
caractère habituel »25 ; « La notion de résidence habituelle ne semble pas devoir poser
de problème. La convention n’en donne aucune définition, mais cela n’était pas
nécessaire, car il s’agit à l’évidence d’une notion de pur fait »26.

114. La volonté ainsi clairement exprimée de s’abstenir de définir le terme de


résidence dans les conventions de La Haye, « le défaut de point d’ancrage précis de
cette notion dans les divers ordres juridiques » qui en résulte, ont très certainement,
comme l’a souligné M. Masmejan27, pour vocation de lui conférer une dimension
« universaliste » dans la mesure où « la doctrine appréhende la notion d’un point de vue
transnational, car l’espoir de parvenir à l’unité de vue est à l’origine même de ce
rattachement ». En principe, la notion de résidence ne doit pas répondre à une ou
plusieurs conceptions nationales et, de fait, il n’existe pas, pour reprendre les termes de
M. Schneider, « à proprement parler de "résidence habituelle du droit allemand" ou
d’aucun autre droit ». Mais malgré l’absence de précision en droit interne ou dans les
conventions, il est certain que des définitions se dégagent inéluctablement des
jurisprudences nationales lorsque les juridictions ont à appliquer la notion.
M. Masmejan parle d’une « certaine "nationalisation" de la notion », qui ne pourrait être
exclue28. C’est d’autant plus vrai qu’il n’existe pratiquement pas, en droit international
privé, de juridiction supranationale pour sanctionner des écarts d’interprétation ou pour
homogénéiser la notion de résidence29, et des incertitudes peuvent ainsi découler de la
notion.

115. Définir la notion de résidence, c’est admettre que des spéculations puissent
apparaître sur son interprétation. D’ailleurs, M. Lagarde, dans son rapport sur la
convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection des adultes, fournit une

25
M. VERWILGHEN , Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIe Session de la Conférence de
La Haye, 1972, t. IV, Obligations alimentaires, p. 384 s., spéc. p. 441.
26
J.-M. BISCHOFF, Les Conventions de La Haye en matière d’obligations alimentaires : JDI 1964. 759 s.,
spéc. 771.
27
D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse Lausanne,
1995, p. 90.
28
D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse Lausanne,
1995, p. 90.
29
Sur l’interprétation de la notion de résidence, cf. infra n° 130.

87
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

justification nouvelle au refus de définir le terme : « toute définition dans une


convention déterminée de la résidence habituelle, que ce soit par des éléments
qualitatifs ou quantitatifs, aurait l’inconvénient de remettre en cause l’interprétation
donnée à cette expression dans les autres conventions, très nombreuses, où elle est
utilisée »30. En s’abstenant de définir la notion, on occulte la question de son
interprétation ainsi que les considérations plus théoriques susceptibles de
l’accompagner. En la définissant, on s’expose à remettre en cause une interprétation qui
se serait dégagée de la jurisprudence et s’appliquerait à telle ou telle convention.
Von Steiger, tout en soulignant les avantages de la résidence habituelle, a d’ailleurs
admis que la notion était « certainement un peu vague » et qu’il était à prévoir « qu’elle
ne sera[it] pas appréciée partout de la même façon »31. Il est effectivement certain que,
même si la notion est de fait et qu’à ce titre on ne doit pas la définir, la jurisprudence va
inévitablement en dégager des éléments spécifiques, caractéristiques d’un contexte
particulier. C’est ainsi par exemple qu’un temps donné de présence en un lieu, s’il suffit
à caractériser la résidence, pourra n’être pas suffisant s’il s’agit d’acquérir la nationalité
française par naturalisation. On verra en effet que la notion de résidence peut parfois
changer de sens selon la fonction qui lui est dévolue, son contenu variant en fonction du
contexte dans lequel elle intervient ; ce contenu peut dépendre de l’objectif de la règle
de droit qui utilise la notion. Toute personne chargée d’appliquer la notion ne peut
qu’analyser si les éléments de fait qui lui sont soumis permettent de conclure à son
existence32.

30
P. LAGARDE, Rapport explicatif : Actes et documents de la Conférence de La Haye, 2000, L a
protection internationale des adultes, n° 49. – V. déjà, du même auteur, La nouvelle convention de
La Haye sur la protection des mineurs : Rev. crit. 1997. 217 s., spéc. 223 et Rapport explicatif : Actes et
documents de la XVIIIe Session de la Conférence de La Haye, 1996, t. II, Protection des enfants, n° 40. –
Au cours des travaux qui ont précédé l’adoption de la convention de La Haye de 1996 sur la protection
des enfants, l’observateur de l’Union internationale du Notariat latin, tout en soulignant qu’une définition
de la résidence habituelle était difficile à formuler, en avait néanmoins proposé une (proposition n° 41,
Actes et documents de la XVIIIe Session de la Conférence de La Haye, 1996, t. II, Protection des enfants,
p. 243) : « aux fins de la présente convention, l’État de résidence habituelle correspond à l’État dans
lequel l’enfant réside continuellement alors que suivant les circonstances il ne pourrait être déduit que
cette résidence est seulement temporaire. Une résidence pour une période ininterrompue d’un an est
toujours considérée comme constituant une résidence habituelle ». Cette proposition fut rejetée. La
délégation des États-Unis (proposition n° 6, op. cit., p. 226) avait également proposé, non pas de définir
positivement ce qu’était la résidence habituelle, mais d’indiquer dans quels cas la résidence habituelle de
l’enfant ne changeait pas. Sur ce point, cf. infra n° 358.
31
W. VON S TEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents IXe Session, t. IV, 1960, Protection des
mineurs, p. 219 s., spéc. p. 226.
32
Sur ce point, cf. infra n° 143

88
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

B. Une notion effective

116. On a vu que, dans les rapports internationaux, la jurisprudence a


constamment cherché à s’écarter de toute idée de fiction juridique et que la substitution
du terme de résidence à celui de domicile est l’une des manifestations de cette volonté33.
La fiction se manifeste en matière de domicile particulièrement sur deux points : lorsque
l’on présume qu’une personne est censée être en un lieu où elle n’est peut-être pas en
réalité ; lorsque la loi décide qu’une personne est domiciliée chez une autre. Or, la
résidence correspond au lieu où la personne vit en réalité (1.) et une résidence
personnelle est toujours requise (2.).

1. La résidence, lieu où la personne vit effectivement

117. La résidence exprime une proximité purement matérielle, elle est au lieu où
la personne demeure effectivement. Aux problèmes concrets qui sont traités dans les
conventions internationales, il a fallu trouver des solutions pragmatiques. Or, l’idée de
fiction juridique, de lieu où la personne est « censée être » ne peut suffire ; la notion
implique une localisation authentique, avérée. Les deux notions, domicile et résidence,
servent de critère de rattachement territorial, mais le domicile n’a pas pour seule
fonction de rattacher le litige à un ordre territorial déterminé : le domicile est le lieu où
la personne est censée être présente aux yeux de la loi, qu’elle y soit en réalité, ou
qu’elle ne s’y trouve pas34. Or, il n’y a que le domicile qui permette cette fiction : on ne
peut présumer qu’une personne est présente au lieu de sa résidence puisque la résidence
n’est pas nécessairement unique35 ; même si on reconnaît assez volontiers qu’une seule
résidence puisse être qualifiée d’habituelle, elle n’a pas ce caractère un peu rigide
propre au domicile, qui est nécessaire en matière de procédure et qui peut parfois
présenter des avantages supérieurs à celui du rattachement plus concret que constitue la
résidence de l’intéressé36. Le choix du critère dépend de l’objectif de la règle de conflit
qu’il sert. Par ailleurs, si une présomption de présence en un lieu est incompatible avec
la notion de résidence, laquelle suppose une localisation véritable des personnes

33
Cf. supra n° 51 s.
34
Cf. supra n° 45.
35
Sur ce point, cf. infra n° 226.
36
Ainsi, le choix du domicile peut se justifier en matière de procédure civile, entre autres, parce qu’« il ne
faut pas que l’homme trouve dans sa mobilité un moyen de s’évader de la machinerie judiciaire »
(J. CARBONNIER, Droit civil. 1. Les personnes : PUF, Coll. Themis, droit privé, 21e éd., 2000, n° 52).

89
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

concernées, la notion est conciliable avec une absence temporaire du territoire, liée
notamment à un court séjour à l’étranger37. Il ne s’agit pas de présumer que la personne
a, malgré son absence, une résidence en un lieu ; simplement, l’absence temporaire
n’implique pas, de ce seul fait, une perte de la résidence.

118. La résidence, qu’elle soit simple ou qualifiée d’« habituelle », implique un


établissement suffisamment stable, effectif, de la personne en un lieu. C’est pourquoi
elle a notamment été retenue dans plusieurs conventions ayant pour objet d’assurer la
protection de parties dites « faibles ». La résidence est le lien le plus effectif qu’une
personne entretienne avec un ordre juridique donné, avec la société au sein de laquelle
elle vit concrètement. Ainsi, pour le créancier d’aliments, il importe de prendre en
considération les conditions du pays dans lequel il demeure effectivement pour décider
de l’existence et de la mesure de sa créance. Il apparaît, à la lecture des travaux
préparatoires relatifs à la convention de La Haye de 1956 sur la loi applicable aux
obligations alimentaires envers les enfants, que l’application de la loi de la résidence
habituelle de l’enfant repose « en tout premier lieu sur l’argument tiré du fait qu’elle se
ramène à l’application du régime alimentaire en vigueur dans le pays sur le territoire
duquel l’enfant sera élevé. Or, les autorités du pays où il vit et grandit seront les plus
qualifiées pour édicter, eu égard aux conditions économiques et sociales existantes, des
règles sur le point de savoir dans quels cas, dans quelle mesure et jusqu’à quel âge
l’enfant a besoin d’une pension alimentaire »38. Lorsque, en 1973, la convention a été
révisée et étendue à tous les créanciers, les raisons du choix de la résidence habituelle
n’ont pas changé : il convient de protéger le créancier qui se trouve au centre de
l’institution « dans la réalité de sa vie quotidienne. […] Il est judicieux d’apprécier le
problème concret qui se pose par rapport à une société concrète : celle où le demandeur
d’aliments vit et vivra »39. La protection des personnes repose également sur le critère
de résidence car on verra que les autorités de l’État dans lequel le mineur a sa résidence
sont les mieux à même d’apprécier la situation dans laquelle il se trouve et de prendre

37
Cf. infra n° 283 s.
38
Actes et documents de la VIIIe session de la Conférence de La Haye, 1956, t. II, p. 127. V. également
Annuaire suisse de droit international, 1956-XIII, p. 41.
39
M. VERWILGHEN , Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIe Session de la Conférence de
La Haye, 1972, t. IV, Obligations alimentaires, p. 384 s., spéc. 441.

90
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

les mesures qui s’imposent40. La loi du pays dans lequel demeure effectivement le
mineur est également la plus qualifiée pour prendre les mesures le concernant41. Les
avantages qu’il y a à prendre en considération un rattachement fondé sur la résidence,
sur cette forme de proximité géographique, se retrouvent lorsqu’il s’agit d’assurer
l’exécution des décisions. Le choix de ce critère s’inspire de considérations
éminemment pragmatiques.

2. La résidence, lieu de vie personnel

119. La résidence habituelle représente « exclusivement une notion de fait ; par


conséquent, [elle] n’a rien à voir avec le domicile légal de l’enfant »42. En effet, en
aucun cas il ne peut y avoir de « résidence légale » comme il existe des domiciles
légaux43. La question de savoir si une personne peut avoir une résidence qui dépende de
celle d’une autre a pourtant curieusement pu être formulée. Ainsi, le Bureau permanent
de la Conférence de La Haye en 196444 a demandé aux gouvernements des États
membres si le rattachement à la résidence habituelle devait être « indépendant des règles
sur la dépendance du domicile de la femme de celui du mari ». Une réponse affirmative
a fait l’unanimité. De même, dans un questionnaire du Conseil de l’Europe relatif à la
notion de résidence et à celle de domicile45, les gouvernements, également interrogés
sur le fait de savoir si la résidence d’une personne pouvait dépendre de celle d’une
autre, ont répondu négativement, et la Résolution (72) 1 du Conseil de l’Europe
consacre expressément cette analyse46. Ces questions, qui semblaient induire une
réponse allant de soi, ont eu au moins le mérite de révéler des positions claires et
unanimes : la résidence a un caractère éminemment personnel qui n’exclut d’ailleurs pas

40
V. W. VON STEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents IXe Session, 1960, t. IV, Protection des
mineurs, p. 219 s., spéc. 221.
41
V. Y. LOUSSOUARN , La IXe Session de la Conférence de La Haye de droit international privé : JDI
1961. 654 s., spéc. 686.
42
Actes et documents de la VIIIe Session de la Conférence de La Haye, 1956, t. II, p. 123 s., spéc. p. 127.
43
M. Schneider (Le domicile international : Thèse Neuchâtel, 1973, n° 190) rapporte l’opinion dissidente
de Mann à ce sujet. Cet auteur, qui estimait que les notions de résidence habituelle et de domicile
devaient être considérées comme synonymes, en tirait la conclusion que toute personne ayant un domicile
légal devait également avoir une « résidence habituelle légale ».
44
Actes de la Xe Session de la Conférence de La Haye 1964, t. I, Divorce, p. 136, question 26 c.
45
Réponses des gouvernements au questionnaire relatif à la notion de « résidence » et à la notion de
« domicile » : Comité européen de coopération juridique (C.C.J.), Conseil de l’Europe, 1975, spéc. p. 29-
31
46
Selon la règle n° 11 de la Résolution (72) 1 du Conseil de l’Europe sur l’Unification des concepts
juridiques de « domicile » et de résidence » (Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1972, p. 7) : « La résidence
ou la résidence habituelle d’une personne ne dépend pas de celle d’une autre personne ».

91
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

le fait qu’une personne puisse être obligée, d’un point de vue matériel, de vivre en un
lieu pour une certaine durée, du fait de la volonté d’une autre personne. Ainsi, un
mineur a une résidence qui lui est propre, mais les titulaires de l’exercice de l’autorité
parentale sont à même de le contraindre à habiter, à résider en un lieu qu’ils ont eux-
mêmes choisi. Peu importe que la résidence lui ait été imposée, elle se détermine de
façon autonome47.

120. Il est vrai que le choix d’un rattachement légal se serait révélé inadapté.
Ainsi, la convention de La Haye de 1961 sur la protection des mineurs a préféré la
résidence au domicile parce que, s’agissant de mineurs, ce domicile eût été le domicile
légal. Or, « donner sur la base du critère du domicile légal compétence aux autorités du
pays du domicile eût entraîné souvent l’intervention d’autorités d’un pays sur le
territoire duquel le mineur ne vit pas effectivement, ce qui eût été à l’encontre de
l’objectif même de la Convention »48 qui est de protéger les mineurs ; il importait
d’éviter de recourir à une notion qui risquait d’entraîner « des rattachements artificiels à
la loi et aux autorités d’un pays n’ayant aucun lien réel avec la personne du mineur »49.
En choisissant la résidence, on cherche un critère simple et réaliste, qui corresponde au
lieu où l’intéressé demeure effectivement.

§ 2. La contestation de la qualification de la notion

121. Les avantages de la notion de résidence décrits ci-dessus ne sauraient être


remis en cause, mais l’assertion constante selon laquelle la notion est de fait peut être
discutée (A.). Si les deux thèses selon lesquelles elle serait de fait ou de droit ont été
avancées, il semble qu’elle devrait être considérée comme une notion juridique
constituée d’éléments de fait (B.).

47
Sur ce point, cf. infra n° 285 s.
48
Y. LOUSSOUARN, La IXe Session de la Conférence de La Haye de droit international privé : JDI 1961.
654 s., spéc. 684-685. V. également W. VON STEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents de la IXe
Session de la Conférence de La Haye, 1960, t. IV, Protection des mineurs, p. 219 s., spéc. p. 225.
49
V. G. A. L. DROZ, La protection des mineurs en droit international privé français depuis l’entrée en
vigueur de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 : JDI 1973. 603 s, spéc. 611.

92
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

A. Discussion sur la qualification de fait ou de droit de la notion

122. Parvenir à un point de vue unanime sur la question de savoir si la résidence


est une notion de fait ou de droit est d’autant plus délicat qu’il est déjà particulièrement
difficile de trouver un sens précis aux expressions de « notion de fait » et « notion de
droit ». On qualifie en effet volontiers une notion en lui adjoignant l’un de ces
qualificatifs, mais sans indiquer comment ils doivent être compris. Il semble d’ailleurs
impossible de le faire de manière à la fois claire et concise. Dès lors, on se limitera à
une présentation de certains éléments de réponse, mais qui permettront tout de même de
dégager les enjeux qu’il y a à qualifier la notion de résidence.

123. Si les arguments en faveur de l’une ou l’autre thèse sont finalement assez
divers (1.), certains reposent plus particulièrement sur l’étendue du contrôle de la Cour
de cassation sur la notion (2.).

1. Les arguments en présence

124. La doctrine a parfois débattu du problème de la nature juridique des notions


de domicile et de résidence en se plaçant sur le terrain de la nature de leurs éléments
constitutifs. Ainsi, certains auteurs sont partis du principe que l’élément subjectif du
domicile, l’élément intentionnel, est le critère du concept juridique. Parmi eux, il en est
qui ont déduit de ce postulat que la résidence devait être une notion de fait parce que
dénuée de cet élément. Les autres, à l’inverse, mais sur le même fondement, ont estimé
qu’elle est au contraire un concept de droit parce que non dépourvue de l’élément
intentionnel. Mais, comme le souligne très justement M. Schneider, c’est l’hypothèse de
départ qui paraît erronée car elle procède de la confusion de deux questions différentes :
confusion entre, d’une part, l’élément objectif du domicile, dit « de fait » par opposition
à l’élément subjectif, et d’autre part le problème de savoir si l’ensemble constitué par
les deux éléments, objectif et subjectif, est ou non « une institution purement factuelle »
ou au contraire de droit50. On peut donc, certes, se poser la question de savoir si la
résidence contient ou non un élément intentionnel, mais on ne saurait déduire de la
réponse que la résidence est une notion de droit ou de fait ; le postulat est faux51. Dans

50
B. SCHNEIDER, Le domicile international : Thèse Neuchâtel, 1973, n° 211.
51
V., sur l’ensemble de cette question, les références de B. SCHNEIDER : Le domicile international : Thèse
Neuchâtel, 1973, n° 211.

93
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

le même ordre d’idée, M. Masmejan estime que l’ambiguïté de la question de


l’assimilation de la résidence à une notion de fait vient de ce que, comparée au
domicile, elle se distingue par une prééminence du factum, de l’habitation effective, sur
l’animus. Mais selon l’auteur, « il n’en résulte pas que la résidence habituelle soit une
notion de fait, car l’élément subjectif n’est pas en soi plus juridique que le fait de
l’habitation effective »52. Cette analyse de la notion de résidence qui repose sur la nature
de ses éléments constitutifs n’emporte donc pas la conviction.

125. Les termes de présence, habitation, séjour, demeure, domicile et résidence


sont des expressions qui servent à localiser une personne, c’est-à-dire à la situer dans
l’espace, et sont souvent employés les uns pour les autres dans le langage courant. Le
jargon juridique les utilise également, mais de deux manières distinctes : ou bien il se
sert de l’un de ces termes en lui conservant son sens ordinaire, diverses interprétations
étant, quel qu’en soit le contexte, peu envisageables ; ou bien il lui attribue un sens plus
technique. Lorsqu’on dit qu’un terme a une acception juridique, ce n’est pas parce que
le droit y fait référence, tous ces différents termes étant repris par la loi, ou parce que
des conséquences juridiques en découlent53, mais parce que ce terme revêt une
signification particulière dans le domaine considéré. La question de savoir s’il existe un
lien direct entre acception juridique et notion juridique peut être posée dans la mesure
où certaines notions sont ipso facto qualifiées de juridiques parce que les termes qui les
expriment ont une signification spécifique dans le langage juridique. Mais on peut
également se placer sur le terrain de l’existence ou non d’une définition légale du critère
retenu : la notion serait juridique lorsqu’elle est définie par le droit ; or, il semble que
l’on puisse avoir une notion juridique qui ne soit pas définie textuellement, même si on
a allégué que la notion de résidence était de fait parce que non définie et surtout qu’à ce
titre, elle ne devait pas l’être.

126. La résidence, simple ou habituelle, est un élément de rattachement des


conflits de juridictions et des conflits de lois. Cet élément de rattachement, qui a pour
fonction de rattacher les questions de droit à un ordre juridique, a un contenu qui, en

52
D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse Lausanne,
1995, p. 91.
53
Si on devait sur ce fondement considérer le domicile comme une notion juridique, il conviendrait de
faire de même avec la résidence dans la mesure où le droit lui reconnaît également des conséquences
juridiques. Tous les éléments localisateurs énoncés sont des faits juridiques.

94
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

principe, « doit être établi par voie d’interprétation »54. Mais si cet élément est un
simple fait, il n’y a pas de difficulté. En effet, selon Maury, la règle qui contient les
points de rattachement peut être appliquée sans que l’on ait à résoudre une question
d’interprétation55 : il suffit alors de constater l’existence de ce simple fait. C’est par
exemple le cas lorsque la « présence » de l’intéressé est retenue. Ainsi, dans la
convention de La Haye de 1996 sur la protection des enfants56, lorsque les enfants sont
réfugiés, les autorités compétentes pour assurer la protection sont celles « sur le
territoire duquel les enfants sont présents »57. Les mêmes dispositions ont été adoptées
par le nouveau règlement communautaire n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à
la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de
responsabilité parentale58. Il n’y a pas à interpréter la notion : ou bien l’enfant réfugié
est physiquement sur le territoire en question, ou il n’y est pas. Or, d’après Makarov59,
de telles circonstances de rattachement, qui ne sont que de simples faits, sont
exceptionnelles. Engel60, Lewald et Ago61, notamment, avaient également relevé
l’extrême rareté du point de rattachement comme simple notion de fait.

127. En effet, dans la plupart des hypothèses, les notions utilisées comme
circonstances de rattachement sont des notions juridiques et sont susceptibles, en tant

54
A. MAKAROV, Réflexions sur l’interprétation des circonstances de rattachement dans les règles de
conflit faisant partie d’une convention internationale, in Mélanges offerts à Jacques Maury : Dalloz-
Sirey, 1960, t. 1, p. 207 s., spéc. p. 208. L’auteur précise qu’une telle interprétation n’est pas une
qualification au sens technique du terme. Qu’en l’espèce, « il s’agit d’interprétation de circonstances de
rattachement tandis que le problème de la qualification est un problème d’interprétation d’objets de
rattachement » (v., pour plus de détails, la note 3, p. 208).
55 .
Jacques MAURY, Règles générales des conflits de lois : RCADI 1936-III, t. 57, p. 325 s., spéc. p. 513,
n° 165.
56
Le 19 décembre 2002, le Conseil de l’Union européenne a autorisé les États membres à signer dans
l’intérêt de la communauté européenne la convention de La Haye de 1996 (JOUE L 48, 21 févr. 2003,
p. 1). Le 1er avril 2003, les États membre ont signé ce texte. Ils sont autorisés à le ratifier simultanément.
57
Article 6 de la convention.
58
V. l’article 13 du règlement communautaire (JOUE L 338, 23 déc. 2003, p. 1) dit « Bruxelles II bis ».
59
A. MAKAROV, Réflexions sur l’interprétation des circonstances de rattachement dans les règles de
conflit faisant partie d’une convention internationale, in Mélanges offerts à Jacques Maury : Dalloz-
Sirey, 1960, t. 1, p. 207 s., spéc. p. 208.
60
P. ENGEL, La détermination des points de rattachement en droit international privé : Thèse Genève,
1953, p. 43 s.
61
Cités par P. ENGEL, La détermination des points de rattachement en droit international privé : Thèse
Genève, 1953, p. 43-44. Pour Ago, tout point de rattachement est une notion juridique. P. Engel rajoute à
propos de cette analyse d’Ago que « cela revient à admettre que tout nom commun inclus dans une règle
de droit devient notion de droit par destination ».

95
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

que telles, d’avoir un contenu qui change selon l’ordre juridique concerné62. Le
domicile a été qualifié de notion de fait par Pillet car les éléments qui servent à la
constituer sont les mêmes dans tous les pays. Or, on reconnaît volontiers aujourd’hui
que le domicile n’a pas le même sens dans tous les pays et dans tous les domaines où la
notion intervient. On doit en déduire, qu’à ce titre, il est une notion de droit. On décide
alors d’évincer le domicile des textes internationaux pour lui substituer la résidence en
arguant qu’elle est une notion de fait et qu’elle ne doit pas être définie. Est-elle
cependant, à l’instar de la « présence », un simple fait ? La résidence ne peut être
considérée comme un fait unique, elle est constituée par un ensemble de faits, qui
doivent être appréciés. On en déduira ensuite l’existence ou pas d’une résidence. La
question se pose alors de savoir si les faits qui servent à la constituer sont les mêmes
dans tous les pays, s’il existe bien une notion « universelle » de résidence, qui, sans être
définie, aurait malgré tout partout le même sens. C’est bien ce que souhaitent ceux qui
ont adopté le critère, mais cela ne signifie pas pour autant que cette volonté corresponde
à la réalité.

128. Contrairement aux affirmations constantes des experts de la Conférence de


La Haye, Makarov considère que la résidence, simple ou habituelle, est un élément de
rattachement qui « ne peut avoir un caractère de pur fait », qui « n’est pas dépourvu
d’éléments juridiques »63. Si c’est à un concept, à une expression juridique, que l’on fait
appel comme élément de rattachement, selon les constats de Maury, « le besoin d’une
définition est sinon évident, du moins certain »64. Alors deux problèmes se posent
successivement : « l’un, d’interprétation de la règle, de définition du concept de
rattachement ; l’autre, d’application, de réalisation, en fait, de ce concept »65.

129. La notion de résidence n’étant pas définie textuellement, comment est-elle à


la fois interprétée et appliquée ? On ne devrait pas partir du résultat, i.e. de la nature et
de l’étendue du contrôle de la Cour de cassation, pour en déduire que la résidence est
une notion de fait ou de droit, mais, en dehors du fait que c’est pourtant souvent un

62
V. A. MAKAROV, Réflexions sur l’interprétation des circonstances de rattachement dans les règles de
conflit faisant partie d’une convention internationale, in Mélanges offerts à Jacques Maury : Dalloz-
Sirey, 1960, t. 1, p. 207 s., spéc. p. 208.
63
A. MAKAROV, Réflexions sur l’interprétation des circonstances de rattachement dans les règles de
conflit faisant partie d’une convention internationale, in Mélanges offerts à Jacques Maury : Dalloz-
Sirey, 1960, t. 1, p. 207 s., spéc. p. 225-226.
64
Jacques MAURY, Règles générales des conflits de lois : RCADI 1936-III, t. 57, spéc. p. 514, n° 165.

96
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

raisonnement tenu en pratique, la position de la Cour sur la question de la résidence est


un indice important de la manière dont elle conçoit la notion.

2. L’analyse sous l’angle de l’étendue du contrôle de la notion par la Cour de


cassation

130. Lorsqu’une notion est retenue dans un texte international, une compétence
interprétative peut être donnée à une juridiction supranationale66, et son interprétation,
qui permet d’éviter des divergences nationales sur ce point, s’impose aux juridictions
nationales des États parties67. À défaut d’une telle juridiction, il incombe aux tribunaux
nationaux d’interpréter la notion. Les méthodes d’interprétation des traités sont
nombreuses68 et des résolutions relatives à l’interprétation des traités ont été adoptées69,
mais elles n’ont pas eu d’influence sur la pratique70. En principe, une règle de conflit de
source internationale devient une « règle de conflit nationale dans chacun des pays

65
Jacques MAURY, op. cit., n° 166.
66
Par exemple, la Cour de justice des Communautés européennes peut être saisie par les juridictions
nationales par voie de question préjudicielle et l’interprétation donnée des textes communautaires
s’impose alors aux tribunaux des États membres, ses décisions ayant force obligatoire. – Selon l’article 36
des Statuts de la Cour internationale de justice, une compétence est également donnée à la Cour
internationale de justice pour interpréter les traités ; cette clause est cependant facultative et la France l’a
dénoncée en 1974 après y avoir adhéré en 1931. V. Y. LOUSSOUARN et P. BOUREL, Droit international
privé : Dalloz, Coll. Précis, Droit privé, 7e éd., 2001, n° 46. Un protocole adopté par la Conférence de
La Haye, signé le 27 mars 1931 et entré en vigueur en 1936, a reconnu à la Cour permanente de Justice
internationale compétence pour interpréter les conventions de La Haye. Cependant, il n’a jamais trouvé
application dans la pratique. Dans l’affaire Boll (arrêt du 28 novembre 1958, Pays-Bas c/ Suède : CIJ
Recueil 1958. p. 55 s.), les Pays-Bas se sont prévalus de l’article 36 du Statut de la Cour, clause
facultative, et non de ce protocole de 1931 ; v. sur ce point A. MAKAROV, Réflexion sur l’interprétation
des circonstances de rattachement dans les règles de conflit faisant partie d’une convention
internationale, in Mélanges offerts à Jacques Maury : Dalloz-Sirey, 1960 t. 1, p. 207 s., spéc. p. 210.
67
La Cour de justice des communautés européennes a déjà eu à interpréter la notion de résidence ; en
revanche, la Cour internationale de Justice n’a eu à interpréter une convention de droit international privé
qu’une fois, dans une affaire relative à l’application de la convention de La Haye de 1902 sur la tutelle
des mineurs (arrêt Boll du 28 novembre 1958, Pays-Bas c/ Suède : C.I.J. Recueil 1958. p. 55 s.) ; dans ce
cadre, elle n’a jamais eu à statuer sur la notion de résidence.
68
V., par exemple, l’article détaillé de J. SOUBEYROL, L’interprétation internationale des traités et la
considération de l’intention des parties : JDI 1958. 686-758.
69
V., par exemple, la Résolution sur l’interprétation des conventions de droit international privé par la
Cour permanente de Justice internationale du 15 octobre 1929, adoptée par l’Institut de Droit
international : Annuaire de l’Institut de Droit international, Session de New York, t. 35 II, p. 305 s. et
Résolutions de l’Institut de Droit international, 1873-1956, p. 272 s. V. également les Résolutions (69) 27
et (69) 28 adoptées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 26 septembre 1969 sur
l’interprétation uniforme des traités européens et Rapports explicatifs : Conseil de l’Europe, Strasbourg,
1969.
70
V. pour la Résolution de 1929 de l’Institut de droit international, A. MAKAROV, Réflexion sur
l’interprétation des circonstances de rattachement dans les règles de conflit faisant partie d’une
convention internationale, in Mélanges offerts à Jacques Maury : Dalloz-Sirey, 1960 t. 1, p. 207 s., spéc.
p. 210.

97
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

signataires du traité qui lui a donné naissance »71. Les juridictions de chaque État
reprennent pour l’appliquer, et donc l’interpréter, les dispositions de leur droit interne et
les transposent en droit international privé. Cependant, lorsque le texte international ne
définit pas lui-même l’élément de rattachement ou ne renvoie pas expressément à la
définition donnée par un droit national, dans la mesure où l’objectif des conventions est
d’unifier des règles internationales, les termes utilisés « doivent être interprétés de façon
autonome »72, comme faisant partie d’une langue juridique internationale73. Cela
implique que les juristes des divers pays doivent être incités « à ne pas chercher à
introduire dans le tissu des pensées juridiques d’origine internationale les particularités
de leur propre système national »74. En effet, pour remplir son but, « un traité sur
l’unification du droit doit recevoir la même interprétation dans tous les États parties »75
et les tribunaux doivent interpréter de tels traités « conformément à l’objet et au but de
ceux-ci […], ils d[oivent] tenir compte de la ratio legis, des intérêts en présence, de
l’esprit du traité »76, de l’intention commune des parties contractantes77, que ce soit pour
interpréter un traité dans son ensemble, ou des termes qui sont contenus dans les règles
qui y sont énoncées. Le juge doit « s’efforcer de comprendre exactement les termes
utilisés par la convention »78.

131. En ce qui concerne la résidence, il n’y a guère que dans les règles
matérielles du droit communautaire que la résidence est précisée79, et l’interprétation de

71
P. M AYER et V. HEUZÉ , Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, Droit privé, 7e éd.,
2001, n° 174.
72
M. H. VAN HOOGSTRATEN, La codification par traités en droit international privé dans le cadre de la
Conférence de La Haye : RCADI 1967-III, t. 122, p. 337 s., spéc. p. 348.
73
V. par ailleurs, sur les problèmes de traduction du traité et du choix de la langue utilisée,
M. H. VAN HOOGSTRATEN, La codification par traités en droit international privé dans le cadre de la
Conférence de La Haye : RCADI 1967-III, t. 122, p. 337 s., spéc. p. 345 s. ; A. E. VON OVERBECK ,
L’application par le juge interne des conventions de droit international privé : RCADI 1971-I, t. 132,
p. 1 s., spéc. p. 44.
74
M. H. VAN HOOGSTRATEN, La codification par traités en droit international privé dans le cadre de la
Conférence de La Haye : RCADI 1967-III, t. 122, p. 337 s., spéc. p. 348.
75
A. E. VON O VERBECK, L’application par le juge interne des conventions de droit international privé :
RCADI 1971-I, t. 132, p. 1 s., spéc. p. 41.
76
A. E. VON OVERBECK, L’application par le juge interne des conventions de droit international privé :
RCADI 1971-I, t. 132, p. 1 s., spéc. p. 40.
77
V. H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 1, L.G.D.J., 1993, 8e éd., n° 40
(notamment sur le problème de l’absence d’indication sur la volonté commune des signataires).
78
A. E. VON OVERBECK, L’application par le juge interne des conventions de droit international privé :
RCADI 1971-I, t. 132, p. 1 s., spéc. p. 60.
79
Par exemple, l’article 7, paragraphe 1 de la directive 83/182/CEE du Conseil du 28 mars 1983, relative
aux franchises fiscales à l’intérieur de la Communauté en matière d’importation temporaire de moyens de
transports, dispose que « pour l'application de la présente directive, on entend par "résidence normale" le

98
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

la notion par la Cour de Justice des communautés européennes s’impose alors aux
juridictions des États de l’Union européenne. Mise à part cette hypothèse, que la notion
soit utilisée en tant qu’élément contenu dans une règle matérielle ou comme critère de
rattachement dans une règle de conflit, elle n’est pas définie par les textes, qu’ils soient
d’ailleurs de source internationale ou interne. Certes, on l’a vu, le choix de la résidence
comme critère dans un certain nombre de conventions est celui d’un terme qui n’est en
principe pas chargé de significations nationales divergentes, mais cela n’empêche pas
qu’un certain nombre de questions puissent se poser lorsqu’elle doit être appliquée,
particulièrement dans les rapports internationaux. Quelle est alors l’étendue du contrôle
de la Cour de cassation sur l’interprétation qui a été donnée par des juridictions du
fond ?

132. Il est alors impératif de savoir si la résidence est une notion de fait ou de
droit dans la mesure où la nature et l’étendue du contrôle de la Cour découlent de la
qualification retenue. Ce n’est plus un problème d’interprétation de la notion qui se
pose, mais de qualification. On peut, de manière quelque peu schématique, indiquer que
cette question de l’étendue et des modalités du contrôle exercé par la Cour de cassation
sur les décisions rendues au fond dépend à la fois des sources du droit appliquées et des
divers éléments du débat judiciaire soumis à son appréciation80. Il existe différents types
de contrôle parmi lesquels figurent le contrôle élargi (lorsque la Cour vérifie non
seulement que les normes utilisées sont correctement appliquées, mais également
qu’elles reçoivent une interprétation uniforme sur l’ensemble du territoire) et le contrôle
restreint (la Cour vérifie alors que la norme a été correctement appliquée, mais, cette
fois, sans en contrôler totalement l’interprétation). La Cour doit en effet à la fois
maintenir l’unité de la jurisprudence et sanctionner les erreurs les plus flagrantes des
juges du fond81.

lieu où une personne demeure habituellement, c'est-à-dire pendant au moins 185 jours par année civile, en
raison d'attaches personnelles et professionnelles, ou, dans le cas d'une personne sans attaches
professionnelles, en raison d'attaches personnelles, révélant des liens étroits entre elle-même et l'endroit
où elle habite […] ». Le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application
des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leurs familles qui se déplacent à l'intérieur de
la Communauté, précise dans son article 1er qu’« aux fins de l'application du présent règlement : […] h)
le terme "résidence" signifie le séjour habituel ».
80
L’ensemble de la question fait l’objet de renvois à J. BORÉ et L. BORÉ, La cassation en matière civile :
Dalloz, Coll. Dalloz action, 2003, n° 60.01 s.
81
V. L. LEVENEUR , Le fait, in Vocabulaire fondamental du droit : Archives de philosophie du droit,
Sirey, t. 35, 1990, p. 143 s., spéc. p. 149.

99
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

133. Parmi les décisions soumises au contrôle de la Cour de cassation, certaines


sont rendues sur le fondement de traités ; d’autres font application de dispositions
légales étrangères. Dans ces deux hypothèses, le contrôle de la Cour de cassation est
souvent plus restreint82 : la Cour ne sanctionne que le caractère obligatoire de ces
dispositions, elle vérifie si le traité a bien fait l’objet d’une application par les
juridictions du fond, mais n’en contrôle que partiellement l’interprétation83. En principe,
la Cour réserve un contrôle élargi aux normes françaises, écrites, d’application, sinon
générale, du moins très large84. Ce contrôle porte sur les motifs de droit, vérifie que la
loi française a été correctement appliquée et interprétée. C’est là que la Cour de
cassation doit distinguer le fait du droit.

134. La question de fait relève de la seule appréciation des juges du fond – juges
du fait –, qui constatent et apprécient souverainement la matérialité des faits soumis. La
Cour de cassation – juge du droit – contrôle la qualification juridique de ces faits. Si la
notion est juridique, une qualification inexacte de la notion par les juges du fond est
censurée par la Cour. La qualification des faits se définit, selon M. Boré, comme
l’opération consistant à « identifier une situation de fait à une situation légale, à
déterminer dans quelle catégorie légale rentre le fait dont l’existence a été constatée »85.
La question de savoir si cette qualification des faits est elle-même une question de fait
ou de droit divise la doctrine, mais on peut dire qu’elle réalise « le passage du concret à
l’abstrait »86. Ce problème de la qualification des faits a, en effet, été l’objet de

82
Aujourd’hui, tant la Cour de cassation que le Conseil d'État reconnaissent que le juge a le pouvoir
d’interpréter un traité ; v., sur l’évolution en la matière et certaines précisions, D. GUTMANN, Droit
international privé : Dalloz, Coll. Cours, 3e éd., 2002, n° 16 s. ; Y. LOUSSOUARN et P. BOUREL , Droit
international privé : Dalloz, Coll. Précis, Droit privé, 7e éd., 2001, n° 47 s. ; P. M AYER et V. HEUZÉ,
Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, Droit privé, 7e éd., 2001, n° 34 s. ; H. BATIFFOL
et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 1, L.G.D.J., 1993, 8e éd., n° 37 s.
83
Elle fait de même lorsque le juge français applique une norme appartenant au droit étranger, et les
restrictions sont alors fondées sur la souveraineté des juges du fond dans la mesure où la norme étrangère
est assimilée à un élément de fait. La Cour s’assure donc, là encore, que la loi étrangère, compétente au
regard des règles françaises de conflits de lois, ou parce qu’un traité ratifié par la France renvoie à cette
loi étrangère, est bien appliquée, mais elle ne contrôle pas en revanche la manière dont les juges du fond
ont interprété la règle visée, son contenu réel ou son sens. Le contrôle de la Cour de cassation sur la
norme étrangère est minimum, il se limite à celui qu’elle exerce sur les motifs de fait : contrôle de la
dénaturation, du défaut de motifs, du défaut de base légale.
Sur la question des limites du contrôle de l’interprétation en matière communautaire et pour les autres
traités que le Traité de Rome, v. J. BORÉ et L. BORÉ, La cassation en matière civile : Dalloz, Coll. Dalloz
action, 2003, n° 62.51 à 62.63.
84
J. BORÉ et L. BORÉ : op. cit., n° 61.09 s.
85
J. BORÉ et L. BORÉ : op. cit., n° 65.04 s.
86
J. BORÉ et L. BORÉ : op. cit., n° 65.06.

100
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

multiples débats doctrinaux, certaines conceptions reposant sur la distinction entre les
notions définies ou non par la loi ; une autre thèse est partie du principe que toute
qualification devait être contrôlée dans la mesure où une qualification serait forcément
juridique.

135. Quoi qu’il en soit, il semble que la pratique de la Cour de cassation


n’applique aucune de ces théories avec rigueur : les chambres de la Cour de cassation
« font varier leur contrôle au gré d’une politique des qualifications, qui tient compte de
l’utilité de ce contrôle et de la nécessité de lutter contre les excès des juges du fond,
pour dégager une solution raisonnable »87. La pratique montre qu’elle ne contrôle cette
qualification que lorsque la notion qui sert de référence est courante et essentielle ;
l’intérêt du contrôle réside dans la nécessité de mieux cerner la notion88. De nombreux
auteurs ont critiqué la distinction du fait et du droit89 tant la délimitation de leurs
domaines respectifs manque de clarté90. Marty91 avait déjà constaté la tendance de la
Cour de cassation à développer son contrôle sur le fait92. À l’inverse, des notions légales
ou des éléments constitutifs de ces notions échappent à ce contrôle régulateur de la Cour
de cassation. Marty conclut sa thèse par le constat selon lequel la séparation
traditionnelle des questions de droit et de fait, « depuis longtemps dénoncée comme
artificielle et irréalisable, ne traduit certainement pas l’état actuel de la jurisprudence de
la Cour » relative à la délimitation de sa propre compétence : « la "distinction du fait et
du droit" est une formule commode pour éluder le problème, mais peu susceptible de
fournir une clarté quelconque lorsque l’on recherche la solution »93. En des termes
parfois incisifs, certains auteurs ont affirmé que « les concepts de fait et de droit n’ont

87
J. BORÉ et L. BORÉ : op. cit., n° 65.04.
88
J. BORÉ et L. BORÉ : op. cit., n° 65.111 s.
89
La théorie de la distinction du fait et du droit a été développée en France par Henri Motulsky.
90
Cf., pour l’ensemble de cette question, L. L EVENEUR , Le fait, in Vocabulaire fondamental du droit :
Archives de philosophie du droit, Sirey, t. 35, 1990, p. 143 s., spéc. p. 146 à 151.
91
G. MARTY, La distinction du fait et du droit, Essai sur le pouvoir de contrôle de la cassation par les
juges du fait : Thèse Toulouse, Sirey, 1929, n° 161 s., p. 349. L’auteur a constaté que « cédant aux
sollicitations des parties, la Cour suprême se sert du contrôle de la motivation et de la dénaturation pour
réprimer les erreurs de fait les plus évidentes. Par une méconnaissance regrettable de la véritable nature
du recours en cassation, ce dernier tend à se déformer pour devenir une troisième instance ».
92
Pour M. Leveneur (Le fait, in Vocabulaire fondamental du droit : Archives de philosophie du droit,
Sirey, t. 35, 1990, p. 143 s., spéc. p. 155), il est effectivement « indéniable que la Cour de cassation a
développé un certain contrôle sur le fait ». P. Bellet (Grandeur et servitudes de la Cour de cassation :
Rev. internat. dr. comp. 1980. 293 s., spéc. 300) a également constaté « un envahissement du fait » ; « il
n’y a pas de véritable barrière entre le droit et le fait, et il dépend de la Cour de cassation de délimiter la
frontière ».

101
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

pas de contenu distinct que le juriste puisse utiliser »94, que le droit est ce que la Cour de
cassation « décide de soumettre à son examen, le fait tout le reste »95, ou encore que le
concept de fait est « complètement creux »96 ; le concept de la distinction du fait et du
droit « n’est pas opérationnel, […] il n’a pas de contenu, en un mot il n’existe pas »97.
Ces analyses peuvent certes être nuancées, mais il semble certain que la Cour de
cassation pratique « une politique et un opportunisme de contrôle, laissant venir les
questions à maturité »98 et qu’elle s’arroge, par principe, le droit de vérifier et de
redresser la qualification juridique des faits. Elle le fait de manière circonstancielle.

136. En ce qui concerne la résidence, on peut résumer le problème de la manière


suivante. De deux choses l’une : ou bien la Cour de cassation considère que la notion est
de fait et elle ne peut exercer qu’un contrôle restreint sur les constatations des juges du
fond qui sont abandonnées à leur appréciation souveraine99 – il n’y a alors pas de
contrôle de la qualification ; ou bien elle considère que c’est une notion de droit et
exerce un contrôle élargi, vérifie que les faits, tels que souverainement appréciés par les
juges du fond, justifient la qualification qu’ils ont retenue. En d’autres termes, la
question qui se pose à la Cour de cassation peut être formulée de deux manières : les
juges du fond qui ont souverainement constaté que les éléments de fait du litige
constituaient ou ne constituaient pas une résidence ont-ils suffisamment motivé en fait
leur décision ? Et la Cour en reste là. Ou alors elle poursuit en se demandant si les faits
souverainement appréciés peuvent être qualifiés de résidence. Cette deuxième question
suppose que la Cour de cassation retienne une définition plus ou moins abstraite, plus

93
G. MARTY, La distinction du fait et du droit, Essai sur le pouvoir de contrôle de la cassation par les
juges du fait : Thèse Toulouse, Sirey, 1929, p. 363, n° 165.
94
F. RIGAUX , La nature du contrôle de la Cour de cassation : Bruxelles, Bruylant, 1966, préf. Dabin,
n° 51 (cité par L. LEVENEUR, Le fait, in Vocabulaire fondamental du droit : Archives de philosophie du
droit, Sirey, t. 35, 1990, p. 143 s., spéc. p. 150).
95
P. BELLET, Grandeur et servitudes de la Cour de cassation : Rev. internat. dr. comp. 1980. 293 s., spéc.
297. L’auteur ajoute que « la Cour de cassation, pour mener à bien sa politique jurisprudentielle, peut
modifier à son gré les frontières du droit et du fait en avançant ou reculant l’étendue de son contrôle des
qualifications ».
96
R. MARTIN , Retour sur la distinction du fait et du droit : D. 1987. Chron. 272 s., spéc. 274, n° 14.
L’auteur évoque l’« inanité du concept de fait et de droit » (n° 8).V. également R. SAVATIER, Réalisme et
idéalisme en droit civil d’aujourd’hui. Structures matérielles et structures juridiques, in Le droit privé
français au milieu du XXe siècle : Études offertes à Georges Ripert, t. 1, LGDJ, 1950, p. 75 s.
97
R. MARTIN, Le fait et le droit ou les parties et le juge : JCP 1974. I. 2625, n° 43. Selon l’auteur, il n’est
pas possible d’induire de la jurisprudence de la Cour de cassation un critère de la distinction du fait et du
droit (n° 33).
98
J. BORÉ et L. BORÉ, La cassation en matière civile : Dalloz, Coll. Dalloz action, 2003, n° 65.121.
99
Contrôle minimum de la motivation, sanction du défaut de base légale, contradiction de motifs ou
dénaturation d’un écrit.

102
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

ou moins élaborée, de la notion de résidence, qu’il existe des éléments constitutifs et


qu’elle s’y réfère pour voir si les faits qualifiés remplissent les conditions. Les faits sont
juridiquement qualifiés et elle doit en faire respecter l’application uniforme par les juges
du fond.

137. Affirmer que la notion de résidence est éminemment concrète paraît


contredire l’assertion selon laquelle elle est une notion juridique. Retenir une
qualification, c’est, on l’a vu, aller du concret vers l’abstrait. L’appréciation de la notion
de résidence par les juges du fond est concrète, circonstancielle. Or, si la Cour contrôle
la qualification des faits, elle ne peut que déterminer in abstracto les éléments qui
constituent la notion. Si l’on veut faire le parallèle avec le domicile, considéré comme
une notion juridique, défini par l’article 102 du Code civil comme « lieu du principal
établissement », on constate que c’est de manière constante que la jurisprudence a
affirmé que la question de savoir en quel lieu il se trouve « est essentiellement une
question de fait, qui relève du pouvoir souverain des juges du fond »100. La qualification
des faits ne serait alors pas contrôlée101. Cependant, dans certains arrêts, c’est tout en
soulignant le pouvoir souverain des juges que la Cour de cassation reprend les faits
décrits pour voir si leur appréciation repose sur des motifs suffisants et pertinents102. Il y
a là un contrôle des motifs de la détermination concrète du domicile, un contrôle de la
qualification des faits. On ne peut, de fait, que constater que la Cour suprême fait
parfois de même avec la notion de résidence : l’existence ou non des éléments de faits
qui permettent de conclure à l’existence d’une résidence en France relève de
l’appréciation souveraine des juges du fond, mais la Cour va plus loin : si elle ne
contrôle pas la véracité des faits eux-mêmes, elle en contrôle bien la qualification (et
conclut à l’existence ou non de la résidence). Il ne s’agit plus d’un contrôle restreint
portant sur des motifs de faits, mais d’un contrôle élargi, portant sur la motivation en
droit, sur la qualification des faits. Ainsi, pour prendre un exemple, lorsque la Cour

100
Req. 21 nov. 1905 : DP 1906. 1. 20 ; Civ. 1re, 12 févr. 1980 : Bull. civ. I, n° 50.
101
V., sur les critiques qui ont été émises quant à l’absence de contrôle de la Cour de cassation sur les
éléments constitutifs du domicile, P. FRANCESCAKIS, Les avatars du concept de domicile dans le droit
international privé actuel : TCFDIP 1962-1964, p. 291 s., spéc. p. 301. L’auteur a regretté cet abandon de
la notion à l’entière appréciation des juridictions du fond car la Cour de cassation pourrait faire porter sur
le domicile « son contrôle habituel de la base légale des décisions. Cela lui permettrait de « structurer », si
l’on peut dire, juridiquement les faits sur la base desquels le domicile est affirmé. La Cour suprême
s’assurerait, par exemple, que les juges du fond ont prêté, comme il se doit, une attention égale à
l’élément intentionnel et à l’élément matériel ».
102
Voir sur ce point G. WIEDERKEHR, note sous Civ. 1re, 17 nov. 1981 : JDI 1982. 926 s.

103
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

énonce que la « résidence exigée pour l’acquisition de la nationalité française s’entend


d’une résidence effective et habituelle de l’intéressé, coïncidant avec le centre de ses
attaches et de ses occupations »103, on ne peut que constater qu’elle exprime certaines
exigences liées aux caractéristiques de la résidence ; se faisant, elle donne également
une définition, d’ailleurs assez précise, de la notion de résidence. Il est vrai
qu’abandonner à l’entier pouvoir des juges du fond la question de la résidence, lorsque
son rôle est comme dans cet exemple essentiel et que des conséquences juridiques aussi
importantes découlent de la notion, serait dangereux. À défaut d’un tel contrôle sur la
qualification des faits, sur leur interprétation, la jurisprudence en la matière manquerait
d’homogénéité sur l’ensemble du territoire français, ce qui paraîtrait inacceptable.

138. Néanmoins, si en matière de nationalité l’étendue du contrôle de la Cour de


cassation est importante, il n’est pas certain que ce soit le cas dans les autres domaines
du droit, particulièrement du droit international privé, dans lesquels la notion de
résidence intervient. Il semble en effet que le contrôle de la Cour de cassation dépende
dans certains cas de la nature du litige, des intérêts qui sont à prendre en considération
et qu’il soit parfois fonction des objectifs poursuivis par la règle de droit qui l’utilise.
Les juridictions du fond réagissent d’ailleurs également le plus souvent en considération
de circonstances particulières à chaque espèce. Dès lors, il faut admettre que la
résidence puisse être une notion juridique, caractérisée par ailleurs par une approche
fonctionnelle.

B. La résidence, une notion de droit composée d’éléments de fait

139. Considérer que la résidence est une notion de fait, idée exprimée non
seulement dans les Conférences de La Haye mais également véhiculée par une large
majorité de la doctrine, semble être la panacée. Comme si, en énonçant cette idée, tout
était dit : on s’affranchit de toute obligation de la définir, voire on en interdit toute
définition. Mais il est certain qu’essayer de définir la résidence, de voir quels sont ses
éléments constitutifs, tout simplement de la préciser, revient finalement déjà à « ériger
la charpente d’une notion juridique »104 ; or, cette volonté ou cette tentation d’analyser
la notion, et notamment de la comparer au domicile, semble inévitable. Il est prévisible

103
Civ. 1re, 21 mai 1990 : Bull. civ. I, n° 18.

104
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

que la résidence, considérée comme une notion de fait, perde finalement et


immanquablement son caractère105, ne serait-ce qu’en raison de son application par les
tribunaux et par les praticiens du droit106.

140. Cependant, si l’on retient que la résidence est une notion de droit, le risque
qu’elle ne soit enserrée dans des éléments juridiques variables d’un pays à un autre
resurgit, alors même que c’est ce que l’on a cherché à fuir en substituant la résidence au
domicile dans les rapports internationaux. Avoir une notion unique, dénuée de
contingences nationales, perd en effet sa raison d’être. C’est là un cercle vicieux et le
problème ne serait, dans cette hypothèse, que déplacé et nullement résolu.

141. Énoncer que la résidence est, non pas une notion juridique, mais une notion
de fait ne résout pas le problème. Il faut le prendre sous un autre angle. Il est certes
important de ne pas définir le terme trop précisément, de le formuler de manière
abstraite. Mais on peut se poser la question de savoir si on ne pourrait pas avoir une
notion de droit, sans définition prédéfinie, sans carcan juridique. On pourrait en effet
tout à fait admettre que la notion de résidence est une notion juridique, sans que son
contenu soit pour autant défini en des termes généraux. On peut remettre en cause le
qualificatif de notion « de fait », sans pour autant remettre en question les caractères de
la résidence qui constituent ses avantages. Elle est éminemment concrète en ce sens
qu’elle est essentiellement, si ce n’est entièrement, constituée d’éléments de faits. C’est
ainsi que la considère M. Bucher qui résume clairement l’ambivalence de la notion en
ces termes : « l’idée [selon laquelle la résidence serait une notion de fait] trompe, car
s’il est vrai que la résidence habituelle est constituée d’un ensemble d’éléments factuels,
la question de savoir quels sont les critères déterminants et leur pondération dans le cas
particulier est une question de droit. Il s’agit donc d’une notion de droit, composée de
conditions de fait ». Même l’élément intentionnel qui, on le verra, peut parfois servir,
sinon à la constituer, du moins à la révéler107, doit être considéré comme un fait. Tous

104
M. H. VAN HOOGSTRATEN, La codification par traité en droit international privé dans le cadre de la
conférence de La Haye : RCADI 1967-III, t. 122, p. 337 s., spéc. p. 363.
105
V. Jean MAURY , La compétence territoriale en matière de divorce (Art. 1070 Nouv. c. pr. Civ.) : D.
1983. Chron. 27 s., spéc. 29. Selon l’auteur, « en réalité, la résidence n’est plus désormais une notion de
pur fait : c’est un concept juridique bien précis, au même titre que le domicile, mais un concept
différent ». La résidence aurait été une notion de fait, mais ne le serait plus.
106
V. M. H. VAN HOOGSTRATEN, La codification par traité en droit international privé dans le cadre de
la conférence de La Haye : RCADI 1967-III, t. 122, p. 337 s., spéc. p. 363.
107
Cf. infra 259 s.

105
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

ces éléments relèvent de la constatation et de l’appréciation souveraine des juges du


fond, mais ceux-ci ne devraient pas pouvoir se contenter de dire qu’une personne a ou
n’a pas sa résidence en un lieu sans mentionner tous les éléments de fait relevés
susceptibles d’étayer leurs conclusions. La qualification de ces faits pourrait alors être
contrôlée.

142. De plus en plus d’effets juridiques essentiels sont soumis à la condition de


résidence ; abandonner ce critère à l’entier pouvoir des juges du fond peut sembler
dangereux. Il n’est pas nécessaire, surtout si la résidence est, à l’instar du domicile, une
notion fonctionnelle, de donner un contenu précis et formulé à la notion – bien que la
Cour de cassation l’ait déjà fait en matière de nationalité – pour la contrôler utilement.
Elle ne doit pas devenir l’enjeu de spéculations juridiques sur son contenu, elle doit
conserver un caractère souple. La définir expressément, c’est admettre que d’autres
législations puissent faire de même et que, fatalement, des distinctions apparaîtront, ce
qui est tout à fait contraire aux objectifs des rédacteurs de textes internationaux qui, en
retenant la résidence, ont cherché à adopter un critère qui satisfasse le plus grand
nombre. Donner un sens précis à la notion serait retomber dans les travers auxquels on a
voulu échapper en substituant la résidence au domicile, ce qui risquerait, pour reprendre
les termes de M. Masmejan, de « décevoir les espoirs qu’elle a fait naître, soit
surmonter le handicap d’être enserrée dans des éléments juridiques variables d’un pays
à un autre »108.

143. Tout en admettant « l’impossibilité presque totale d’empêcher les juristes de


s’interroger sur le sens des mots » et craignant qu’en ce qui concerne la résidence, les
conséquences de cette recherche soient plus néfastes qu’éclairantes, M. van
Hoogstraten109 a fait observer qu’il était nettement plus efficace, notamment dans
l’optique de la réussite des conventions, de « considérer la résidence habituelle comme
un terme qui indique une façon de procéder inverse » imposant, à ceux qui
l’appliqueront, un procédé de raisonnement consistant à « se demander si les
circonstances de faits justifient l’application de la règle de conflit en question ». Dans
cette optique, l’auteur précise que le tribunal qui doit appliquer la loi de la résidence

108
D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse Lausanne,
1995, p. 91.

106
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

habituelle doit « se demander si les faits permettent – en vue de l’effet qu’aura telle
constatation, à savoir la loi devenant applicable – de conclure à la présence d’une
résidence habituelle ». Qu’il convient alors de s’arrêter là. En effet, « la question de
savoir s’il faut un foyer, s’il faut une intention de maintenir sa résidence, si la maison
d’habitation l’emporte sur le centre des affaires, tout cela est soumis à l’appréciation du
juge. Les cas où il y aura deux "centres-vie" sont rares. Mais ils ne sont pas exclus.
Telle qu’une ellipse, une vie peut avoir deux centres, l’un pour les aspects de la vie
familiale, l’autre pour les affaires. Le terme "résidence habituelle" permet de tenir
compte de cette complication. Bref, la résidence habituelle est un terme-procédé ».
Cette analyse va dans le sens d’une approche fonctionnelle de la notion de résidence ;
son sens peut varier et être adapté en fonction de l’objectif poursuivi par la règle qui
l’utilise. Cette approche fonctionnelle n’est pas obligatoirement un inconvénient ; au
contraire, elle a l’avantage de la souplesse et du pragmatisme, à condition évidemment
que les écueils de la dénaturation ou de l’éclatement de la notion soient évités. Même
sans être définie en des termes généraux ou abstraits, il est tout à fait possible de
déterminer l’existence ou non d’une résidence en un lieu en tenant compte notamment
du contexte dans lequel elle intervient. Aussi convient-il certainement d’éviter, dans la
mesure du possible, de trop spéculer sur la notion de résidence ou de résidence
habituelle, contrairement à ce que l’on a fait avec le domicile. La notion doit rester
d’application simple, proche de son sens courant.

SECTION 2. LES AVANTAGES DE SON APPLICATION

144. La résidence est un critère de rattachement largement retenu à la fois en


matière de compétence juridictionnelle et de compétence législative. Il présente des
avantages certains en ces deux domaines (§ 1.). Mais, alors même qu’il est de principe
en droit international privé de dissocier les deux questions de la juridiction compétente
et de la loi applicable, c’est la coïncidence de ces deux compétences grâce à un facteur

109
M. H. VAN HOOGSTRATEN, La codification par traité en droit international privé dans le cadre de la
conférence de La Haye : RCADI 1967-III, t. 122, p. 337 s., spéc. p. 363-364.

107
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

de rattachement identique, la résidence, qui présente le plus grand intérêt lorsqu’elle est
l’unique critère retenu (§ 2.).

§ 1. Les avantages de la résidence pour déterminer la juridiction


compétente et la loi applicable

145. Il ne s’agit pas de reprendre ici tous les textes dans lesquels la notion de
résidence sert de critère de rattachement, mais d’en choisir certains à titre d’exemples ;
les plus éloquents ont été retenus, d’abord en ce qui concerne la résolution des conflits
de juridictions (A.), puis de lois (B.).

A. La résidence, élément de détermination de la juridiction compétente

146. En droit français, il résulte de l’article 42 du Nouveau Code de procédure


civile, applicable à titre de principe110, que les juridictions compétences sont celles du
lieu où « demeure le défendeur ». Selon l’article 43 du même Code, ce lieu s’entend,
pour une personne physique, du lieu où elle a son domicile111 ou, à défaut, sa résidence.
Ce texte suppose une hiérarchie entre les deux éléments localisateurs. Lorsqu'il ne s’agit
plus de répartir les litiges entre les différents tribunaux français, mais d’une question de
compétence internationale112, la doctrine considère que ces dispositions sont
transposables purement et simplement aux rapports internationaux. Les juridictions
françaises sont compétentes lorsque le défendeur a son domicile en France ; elles sont
incompétentes si le défendeur a un domicile à l’étranger ; elles redeviennent
compétentes si le défendeur n’a pas de domicile connu à l’étranger, mais qu’il a sa

110
Bien que ne le précisant pas expressément, il concerne notamment les actions réelles, personnelles,
concernant l’état et la capacité des personnes (à l’exception du divorce et de la séparation de corps), les
droits de famille. V. A. LE BAYON, Compétence territoriale : J.-Cl. proc. civ., Fasc. 211.
111
Une approche fonctionnelle caractérise le domicile (cf. supra n° 74). Le juge appelé à se prononcer sur
l’existence du domicile d’une personne tient compte de la nature du litige qui lui est soumis.
112
La compétence juridictionnelle a alors une influence sur les règles de procédure à suivre qui dépendent
de la loi du for, sur la désignation de la loi applicable au fond du litige, l’admission éventuelle du renvoi,
la qualification, ou encore sur les exigences relatives à l’ordre public, l’exécution de la décision. La liste
n’est pas exhaustive (v. H. BAUER, Compétence judiciaire internationale des tribunaux civils français et
allemands : Dalloz, Bibliothèque de droit international privé, 1965, p. 2). On comprend dès lors, pour
reprendre les termes de M. Huet (Compétence des tribunaux français à l’égard des litiges
internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 581-10, n° 8), « l’acharnement que mettent les plaideurs à
s’adresser à tel tribunal ou à contester sa compétence, […] la fréquence des procès sur la compétence
judiciaire internationale ».

108
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

résidence en France. Ainsi, la compétence des juridictions françaises fondées sur la


résidence en France du défendeur n’intervient qu’à défaut d’un domicile en France,
mais également à l’étranger113. Or, on peut considérer que la subsidiarité de la résidence
en tant que critère apte à fonder la compétence internationale des juridictions française
n’a que peu, voire aucune utilité pratique. En effet, si la hiérarchie entre le domicile et la
résidence, envisagée dans les articles 42 et 43, est respectée, elle conduit, dans la
mesure où l’on considère traditionnellement que toute personne a nécessairement un
domicile, à une inapplicabilité en pratique du critère de la résidence114 – sauf à admettre
que le demandeur qui apporte la preuve qu’il ignorait le véritable lieu du domicile du
défendeur puisse valablement assigner ce dernier devant les juridictions du lieu de sa
résidence. Certes, le domicile est utile en tant que lieu où la personne est au moins
censée être présente aux yeux de la loi si elle ne s’y trouve pas en réalité, mais cet
élément est souvent insuffisant au regard des objectifs de la règle de conflit lorsqu'il
s’agit de saisir des juridictions géographiquement proches115.

147. Certains textes internationaux ont également adopté le domicile comme


critère de rattachement de principe. Cependant, d’une part, comme en droit interne, des

113
V. H. GAUDEMET-TALLON, note sous Paris, 14 nov. 1990 : JDI 1992. 734, spéc. 739. Selon l’auteur, le
défaut de domicile en France ne peut être assimilé à l’absence de domicile : « seule l’absence de domicile
connu, soit en France, soit à l’étranger, justifie la compétence française en raison de la résidence en
France » ; en d’autres termes, « cette raison n’a aucune raison d’être écartée en droit international ». Cette
interprétation stricte de l’extension de l’article 43 du Nouveau Code de procédure civile à l’ordre
international est affirmée avec fermeté. – V., en ce sens, A. HUET , note sous Paris, 30 nov. 1990 : JDI
1992. 192 s., spéc. 194 (« c’est "à défaut" de domicile – c'est-à-dire si le défendeur est dépourvu de tout
domicile en France ou dans un État étranger quelconque – que la résidence en France du défendeur est un
chef de compétence internationale des tribunaux français ». – Si le défendeur dispose d’un domicile hors
de France, le tribunal saisi qui se déclare territorialement incompétent n’a pas à désigner les juridictions
étrangères compétentes ; il ne peut que renvoyer les parties « à mieux se pourvoir » (V. l’article 46 du
Nouveau Code de procédure civile et C. N. FRAGISTAS, La compétence internationale en droit privé :
RCADI 1961-III, t. 104, p. 159 s., spéc. p. 261). – Il existe cependant une exception à l’extension sur le
plan international des dispositions de l’article 42 du Nouveau Code de procédure civile qui prévoit in fine
que « si le défendeur n’a ni domicile ni résidence connus, le demandeur peut saisir la juridiction du lieu
où il demeure ou celle de son choix s’il demeure à l’étranger ». On considère qu’il n’est pas souhaitable
d’étendre cette disposition à l’ordre international car admettre le contraire aboutirait à reconnaître les
juridictions françaises compétentes de façon générale. Son seul objet est de déterminer le tribunal français
spécialement compétent lorsque la compétence internationale revient aux juridictions françaises sur le
fondement par exemple des articles 14 et 15 du Code civil (v. A. HUET , Compétence des tribunaux
français à l’égard des litiges internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 581-20, n° 19 ; H. GAUDEMET-
TALLON : Rép. intern. Dalloz, V° Compétence civile et commerciale, n° 23).
114
Ainsi, en matière de succession mobilière, la loi applicable est celle du dernier domicile du défunt.
Pourrait-on admettre que ce lieu ne puisse être déterminé ?
115
Peut-être aurait-il été plus logique d’inverser la hiérarchie des critères : la résidence effective du
défendeur fonderait la compétence des tribunaux, et à défaut d’une telle résidence, c’est le domicile qui
justifierait la compétence internationale française. Une autre solution pourrait consister à considérer le
domicile et la résidence comme chefs alternatifs de compétence.

109
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

règles dérogatoires fondées sur la résidence sont le plus souvent envisagées116, d’autre
part, le domicile retenu est parfois expressément défini par la résidence habituelle117. Le
rôle et la place accordés à la résidence en tant qu’élément de rattachement autonome
sont importants dans la mesure où elle est la plus à même de traduire une proximité
géographique entre le litige ou les parties et le juge et de garantir la bonne
administration et le respect de la justice procédurale lorsque ce sont des considérations
d’intérêt privé qui inspirent les règles de compétence internationale. En effet, les
problèmes posés relèvent essentiellement de l’ordre pratique et obéissent à des
considérations plus matérielles dans la mesure où il s’agit avant tout de satisfaire un
objectif procédural orienté vers l’organisation concrète, pragmatique, du contentieux.

148. D’une part, les parties doivent pouvoir saisir un for géographiquement
proche. Il est normal de faire en sorte que des étrangers installés dans un pays, qui ne
s’y trouvent pas pour la seule raison qu’ils y sont de passage, puissent régler un litige
sans avoir à retourner dans leur pays d’origine118. Les déplacements et leur coût doivent
toujours être réduits à leur minimum. Les difficultés qu’il y a à plaider devant une
juridiction qui n’est pas celle de son pays de résidence peuvent également tenir à la
différence des pratiques judiciaires119.

149. D’autre part, les juges géographiquement proches des faits litigieux sont les
plus à même d’apprécier la situation et de prendre les mesures adéquates, puis de les
faire appliquer ; ils accomplissent leur mission dans des conditions optimum. Il est en
effet des autorités qui interviennent plus rapidement que d’autres, qui peuvent ordonner
des mesures urgentes, provisoires ou conservatoires, qui sont, de façon générale, plus en
mesure de se rendre compte des dispositions qui s’imposent. Lorsque les tribunaux

116
Cf. infra n° 151 s.
117
V. l’article 2 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 ou l’article 1er de la convention
franco-polonaise du 5 avril 1967. Sur ce point, cf. supra n° 88.
118
C’est d’autant plus vrai lorsque les deux parties ne sont pas originaires d’un même pays. M. Audit
(Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 320) souligne le fait que
renvoyer le demandeur aux tribunaux dont la loi est estimée applicable au fond pourrait constituer un déni
de justice ou inciter le demandeur à se faire justice lui-même. C’est pourquoi, dès lors qu’une situation
présente un lien raisonnable avec le for, c'est-à-dire des rattachements suffisants avec le territoire du juge
saisi, l’État offre la compétence de ses tribunaux, dans un souci de paix publique, afin qu’un tel litige
puisse y recevoir immédiatement une solution. – V. également H. GAUDEMET-TALLON, Nationalisme et
compétence judiciaire : déclin ou renouveau ?: TCFDIP 1987-1988, p. 171 s., spéc. p. 173.
119
V. B. AUDIT , Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 321 et
G. A. L. DROZ, Les droits de la demande dans les relations privées internationales : TCFDIP 1993-1994,
p. 97 s.

110
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

saisis sont proches, il est plus facile d’établir des faits contestés car les investigations,
auditions, enquêtes, expertises sont plus aisément réalisables, les éléments
d’information plus largement accessibles120. Certes, ces considérations fondent déjà la
compétence territoriale en droit interne, mais elles gardent toute leur valeur sur le plan
international. Il faut d’ailleurs, dans les rapports internationaux, tenir également compte
du fait qu’il est particulièrement important d’avoir des décisions localement
exécutoires121.

150. Les contentieux relatifs au divorce (1.) et à la protection des personnes,


qu’elles soient créancières d’aliments (2.) ou qu’il s’agisse de mineurs ou d’adultes
incapables (3.), relèvent ainsi, dans une large majorité des hypothèses, de la compétence
des juridictions de la résidence des intéressés.

1. La compétence des juridictions fondée sur la résidence en matière de désunion

151. Le règlement communautaire n° 1347/2000, dit « Bruxelles II », relatif à la


compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et
en matière de responsabilité parentale des enfants communs122, qui constitue le droit
commun du contentieux de la « désunion »123, fait de la résidence habituelle un élément
de rattachement essentiel124. Selon l’article 1er du règlement, sont compétentes les
juridictions de l’État membre sur le territoire duquel se trouvent : la résidence habituelle

120
A. HUET, Compétence des tribunaux français à l’égard des litiges internationaux : J.-Cl. Droit int. pr.,
Fasc. 581-10, n° 9. V. également P. LEREBOURS-PIGEONNIÈRE , Précis de droit international privé :
Dalloz, 6e éd., 1954, n° 281.
121
Lorsqu’il apparaît qu’il sera certainement nécessaire de recourir à une exécution forcée de la décision
pour qu’elle porte ses fruits, il vaut mieux qu’elle soit rendue par les tribunaux du lieu où elle doit être
exécutée.
122
Règlement (CE) n° 1347/2000 du Conseil du 29 mai 2000 : JOCE L 160, 30 juin 2000, p. 19. – Ce
texte est abrogé et remplacé par le nouveau règlement (CE) n° 2201/2003 (JOUE L 338, 23 déc. 2003,
p. 1), dit « Bruxelles II bis », qui entrera en vigueur le 1er août 2004 (mais le règlement ne s’appliquera
qu’à compter du 1er mars 2005). Le nouveau texte communautaire n’a pas été modifié sur la question du
divorce ; il reprend les mêmes chefs de compétence.
123
Mme Gaudemet-Tallon (Le Règlement n° 1347/2000 du Conseil du 29 mai 2000 : « Compétence,
reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité
parentale des enfants communs » : JDI 2001, 381 s., spéc. 385) utilise cette expression qui englobe la
question du divorce, de la séparation de corps et de l’annulation du mariage. V. également du même
auteur, La convention dite « Bruxelles II ». Convention concernant la compétence, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière matrimoniale : TCFDIP 1998-2000, p. 83 s., spéc. p. 85.
124
V. P. DE V AREILLES-SOMMIÈRES, La libre circulation des jugements rendus en matière matrimoniale
en Europe : Gaz. Pal. 1999. doctr. 2018 s., spéc. 2024. L’auteur souligne que le choix de la résidence
habituelle plutôt que du domicile est conforme à la tendance contemporaine du droit conventionnel et que
la résidence habituelle est considérée comme « plus significative d’un lien effectif entre l’intéressé et le

111
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

des époux ; la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l’un d’eux y
réside encore ; la résidence habituelle du défendeur ; la résidence habituelle de l’un ou
l’autre époux si la demande est conjointe ; la résidence habituelle du demandeur s’il y a
résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande (le
délai est réduit à six mois s’il est le ressortissant de l’État membre en question125 ou,
dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, s’il y a son domicile). Sont également
compétentes les juridictions de l’État dont les deux époux ont la nationalité (il s’agit du
domicile commun pour le Royaume-Uni et l’Irlande). Ces critères sont alternatifs, non
hiérarchisés126. La compétence juridictionnelle est donc largement fondée sur la
proximité territoriale et procédurale127. On verra cependant que la résidence habituelle a
également été retenue comme élément de rattachement car elle traduit l’effectivité d’un
lien entre l’intéressé et le milieu social dans lequel il est établi128.

152. Le règlement, qui pose des règles de compétence directe, prévoit, en son
article 8, que ce n’est que lorsque aucune juridiction d’un État membre n’est
compétente que la compétence est, dans chaque État, réglée par la loi de cet État. Les
principes de compétence du droit français, qui résultent de l’article 1070 du Nouveau
Code de procédure civile, ne sont donc applicables en France qu’à titre subsidiaire,
lorsque aucun des très nombreux chefs de compétence réglementaires ne trouve à
s’appliquer129, mais la résidence est le seul élément de rattachement territorial envisagé
par le législateur français.

milieu social, là où le domicile peut ne correspondre qu’à un lien relâché voire artificiel, spécialement en
cas de domicile légal ».
125
V. pour une application jurisprudentielle de ce cas de figure, Colmar, 2 sept. 2002 : AJ fam 2002. 415,
obs. D-B. S. ; Procédures 2003, comm. n° 137, note C. Nourissat.
126
V. le commentaire de C. NOURISSAT , note sous Colmar, 2 sept. 2002 : Procédures 2003, comm.
n° 137. V. également H. GAUDEMET-TALLON, La convention dite « Bruxelles II ». Convention concernant
la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale : TCFDIP 1998-
2000, p. 83 s., spéc. p. 85. L’auteur approuve la souplesse qu’induisent les chefs de compétence
alternatifs, mais en souligne certains inconvénients.
127
V. B. ANCEL et H. MUIR-WATT, (La désunion européenne : le Règlement dit « Bruxelles II » : Rev.
crit. 2001. 403 s., spéc. 416) qui soulignent que « le choix entre les divers fors proposés est parfaitement
libre pour le demandeur, à qui il ne saurait être reproché de saisir le tribunal qui, des points de vue de la
géographie, des coûts de procédure ou du fond, lui paraît le mieux à même de le décharger des chaînes
d’un mariage éteint ».
128
Sur ce point, cf. infra 2e partie, titre 1.
129
Cet article conserve encore une utilité pour déterminer le ressort territorial de la juridiction française
spécialement compétente car le règlement ne fixe que la compétence générale des tribunaux des États
membres. V. H. GAUDEMET -T ALLON , Le Règlement n° 1347/2000 du Conseil du 29 mai 2000 :
« Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de
responsabilité parentale des enfants communs » : JDI 2001, 381 s., spéc. 391, n° 24. Selon l’auteur, « le

112
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

2. La compétence des juridictions fondée sur la résidence de la personne à protéger

153. Lorsque le domicile est retenu à titre de principe, une option de compétence
en faveur de la personne à protéger peut être envisagée (a.), mais, dans la plupart des
situations, la résidence fonde directement la compétence juridictionnelle (b.).

a. Les options de compétence en faveur de la personne à protéger

154. La convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, le règlement de


Bruxelles du 22 décembre 2000, la convention de Lugano130, applicables dès lors que le
défendeur est domicilié sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne ou de
l’Association européenne de libre échange, envisagent pour les questions alimentaires, à
côté de la compétence de principe du tribunal du domicile du défendeur prévue à
l’article 2, un chef de compétence optionnel fondé sur le tribunal du domicile ou de la
résidence habituelle du créancier d’aliments131. La protection du créancier vient donc de
ce que les textes posent le principe d’un for en sa faveur132, mais également de ce que ce
for peut, s’il est demandeur, être fondé sur sa résidence habituelle. En matière
d’aliments, le juge du lieu où le créancier a sa résidence habituelle est a priori celui le
mieux à même de constater et d’évaluer l’existence et l’étendue de ses besoins : « les
autorités du pays où [l’enfant créancier d’aliments] vit et grandit seront les plus
qualifiées pour édicter, eu égard aux conditions économiques et sociales existantes, des

texte désigne "les" juridictions de tel ou tel État membre. Ce sera donc au droit de chaque État de fixer
ensuite "le" tribunal spécialement compétent ».
130
Références précitées.
131
Art. 5, par. 2 du règlement : « une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être
attraite, dans un autre État membre : […] 2) en matière d’obligations alimentaires, devant le tribunal du
lieu où le créancier d’aliments a son domicile ou sa résidence habituelle ou, s’il s’agit d’une demande
accessoire à une action relative à l’état de personnes, devant le tribunal compétent pour en connaître, sauf
si cette compétence est uniquement fondée sur la nationalité d’une des parties ». – Le terme
d’« obligations alimentaires » s’applique, notamment, au devoir de secours, d’entretien, de contribution
aux charges du mariage ou à la prestation compensatoire du droit français. V. B. AUDIT , Droit
international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3 e éd., 2000, n° 515. – Le créancier d’aliments peut être
déjà reconnu titulaire d’une créance ou peut simplement revendiquer un droit aux aliments. CJCE 20 mars
1997, aff. C 225/95, Farell c/ Long (Rec., p. I-1683, spéc. pnts 8, 12-14, disp. ; Rev. crit. 1997. 594, note
G. A. L. Droz ; JDI 1998. 568, obs. A. Huet) : la notion de « créancier d’aliments » mentionnée à l’article
5, par. 2, doit « être interprétée comme visant tout demandeur d’aliments, y compris celui qui intente pour
la première fois une action en matière d’aliments ».
132
Le débiteur d’aliments ne peut ainsi trouver dans son déplacement un moyen d’échapper à son
obligation alimentaire, dans la mesure où il ne peut « émigrer pour se soustraire à sa dette ». M. SIMON-
DEPITRE, Les aliments en droit international privé : TCFDIP 1973-1975, p. 39 s., spéc. p. 42.

113
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

règles sur le point de savoir dans quels cas, dans quelle mesure et jusqu’à quel âge
l’enfant a besoin d’une pension alimentaire »133.

155. L’option en faveur du lieu où le créancier d’aliments a son domicile ou sa


résidence habituelle permet à celui-ci, en tant que demandeur, de n’avoir pas à se
déplacer pour plaider devant des juridictions d’un autre État membre, déplacement qui
serait susceptible de le dissuader d’agir pour défendre ses droits134 alors qu’il est réputé
plus faible135. Dans l’hypothèse où le domicile et la résidence habituelle du créancier ne
coïncideraient pas, si son domicile est dans un État et sa résidence habituelle dans un
autre, le « créancier-demandeur » a le choix de la juridiction. Il augmente ainsi ses
chances de récupérer sa créance dans la mesure où on multiplie les chefs de compétence
et où la décision est ensuite reconnue de plein droit dans les autres États membres. En
pratique, il saisit le plus souvent les tribunaux du lieu où il a sa résidence habituelle136.

156. Lorsque le défendeur n’a pas son domicile sur le territoire d’un État membre
de l’Union européenne ou de l’Association européenne de libre échange, les textes
mentionnés ne sont pas applicables ; il convient de se référer alors aux dispositions du
droit commun. Les articles 42 et 43 du Nouveau Code de procédure civile sont en
théorie applicables, mais la saisine des tribunaux français sur ce fondement ne peut être
qu’exceptionnelle137. En revanche, l’article 46 in fine du Nouveau Code de procédure
civile, étendu à l’ordre international, peut être plus utilement invoqué. Il permet au
créancier de saisir, en matière d’aliments ou de contribution aux charges du mariage, la

133
Actes et documents de la VIIIe Session de la Conférence de La Haye, 1956, t. II, p. 127.
134
V. Droit et pratique de la procédure civile, ss dir. S. G UINCHARD : Dalloz, Coll. Dalloz Action,
2001/2002, n° 756 s.
135
Il pourrait, bien entendu, décider de plaider tout de même devant les juridictions du lieu où le
« défendeur-débiteur » a son domicile, sur le fondement de l’article 2.
136
Cependant, dans un deuxième cas de figure, le créancier peut être défendeur. Le « demandeur-
débiteur » peut alors décider de ne pas utiliser l’option de compétence offerte aux deux parties par
l’article 5, par. 2 – soit le tribunal du lieu où le créancier a son domicile ou sa résidence habituelle –, et
assigner le « défendeur-créancier » devant les juridictions du lieu où celui-ci a son domicile, sur le
fondement de la compétence de principe de l’article 2 du règlement, lequel se définit au regard de l’article
59 du même texte (article 52 de la convention). Dans cette hypothèse, le créancier qui n’aurait pas sa
résidence habituelle au lieu où il a son domicile serait malgré tout peut-être obligé de se déplacer.
137
Par hypothèse, le défendeur n’a pas de domicile en France, sinon les textes de Bruxelles ou de Lugano
auraient été appliqués. De plus, il faudrait rapporter la preuve que le défendeur est sans domicile connu à
l’étranger pour que les juridictions françaises soient compétentes sur ce fondement (sur la question de la
hiérarchie imposée par les articles 42 et 43 du Nouveau Code de procédure civile, cf. supra n° 146). Dès
lors que cette preuve n’est pas rapportée, les juridictions françaises sont incompétentes.

114
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

juridiction du lieu où il demeure138. Cet article est en quelque sorte le pendant des textes
internationaux précités. Enfin, les chefs de compétence fondés sur les privilèges de
juridiction peuvent, en dernier recours, fonder la compétence des juridictions
françaises ; ils sont également d’application exceptionnelle139. Les juridictions sont le
plus souvent saisies sur le fondement du critère de la résidence habituelle, que cette
compétence relève de la pratique lorsqu'une option de compétence est offerte, ou qu’elle
relève de considérations nettement plus techniques.

b. La résidence directement retenue pour fonder la compétence juridictionnelle

157. Les différents textes internationaux relatifs à la protection des personnes ont
tous envisagé une compétence de principe fondée sur la résidence habituelle de la
personne à protéger. Ainsi, la convention de La Haye de 1961 sur la protection des
mineurs prévoit que les autorités de l’État de la résidence habituelle du mineur sont en
premier lieu compétentes ; en pratique, elles seront d’ailleurs les premières saisies140.
Elles sont généralement les mieux à même d’apprécier la situation dans laquelle se
trouve le mineur, ainsi que les mesures de protection concrètement nécessaires141. Il est
également présumé dans la convention de La Haye de 1996 sur la protection des enfants

138
La formulation de l’article 46 du Code civil est plus alambiquée : « le demandeur peut saisir, à son
choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, […] en matière d’aliments ou de contribution
aux charges du mariage, la juridiction du lieu où demeure le créancier ». Si le demandeur était débiteur
et qu’il choisissait l’option de l’article 46, il devrait saisir le tribunal du lieu où le créancier demeure. Il
n’y aurait alors aucune différence avec l’article 42. Dans l’hypothèse de l’article 46, l’interprétation
fonctionnelle par les magistrats de la notion de domicile devrait, de fait, correspondre au lieu où le
créancier vit de manière habituelle, faute de quoi le recours à cette option perdrait tout son intérêt :
l’option est offerte au créancier parce qu’il est présumé être partie faible et que le juge du lieu où il vit est,
on l’a vu, censé être celui le mieux à même d’apprécier la situation et d’évaluer les besoins. Il aurait été
plus simple d’envisager à l’article 46 la compétence des juridictions du lieu où le créancier a sa
« résidence habituelle », au lieu de prévoir le lieu où il « demeure », coupant ainsi court à toute
discussion, même si cette discussion relève du débat de cénacle.
139
Si le défendeur réside sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne ou de l’Association
européenne de libre échange, le demandeur ne peut invoquer l’article 15 du Code civil car les textes de
Bruxelles ou de Lugano prévalent. Il n’y a que si le demandeur, également débiteur, veut assigner un
défendeur domicilié hors de ces États membre de l’Union européenne ou de l’Association européenne de
libre échange que l’on peut faire application de l’article 15 (si le demandeur est créancier, il doit agir sur
le fondement de l’article 46 du Nouveau Code de procédure civile pour saisir les juridictions françaises).
Si le défendeur n’a pas son domicile sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne ou de
l’Association européenne de libre échange, le demandeur qui est débiteur peut agir sur le fondement de
l’article 14 du Code civil (s’il est créancier, il doit agir sur le fondement de l’article 46 du Nouveau Code
de procédure civile). Les articles 14 et 15 du Code civil ne peuvent intervenir que dans des hypothèses
particulièrement limitées.
140
M. SIMON -D EPITRE, La protection des mineurs en droit international privé après l’arrêt Boll de la
Cour internationale de justice : TCFDIP 1958-1962, p. 109 s., spéc. p. 125.

115
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

que les autorités de la résidence habituelle sont le plus souvent les plus aptes à évaluer
sa situation et ses besoins142. La même compétence de principe des autorités de la
résidence habituelle est adoptée par la convention de La Haye de 2000 sur la protection
des adultes143. Par ailleurs, le nouveau règlement n° 2201/2003 prévoit que seront
compétentes pour statuer en matière de responsabilité parentale144 les juridictions de
l’État membre sur le territoire duquel l’enfant a sa résidence habituelle au moment de la
saisine de la juridiction145. Pour l’instant, le règlement n° 1347/2000 – qui reste en
vigueur jusqu’au 1er mars 2005 – n’envisage la question de la responsabilité parentale
que si la juridiction d’un État membre se trouve déjà saisie d’une demande en divorce,
séparation de corps ou annulation du mariage et si l’enfant est commun aux deux
époux ; la question de la responsabilité parentale est liée à une action en désunion146.

158. La compétence des autorités du pays de la résidence habituelle de la


personne à protéger est logique puisque ce sont elles qui connaissent le milieu social
dans lequel vit la personne aussi bien que les personnes appelées à la prendre en
charge147. Von Steiger148 précisait, dans son rapport explicatif de la convention de 1961,
que grâce à « l’appareil d’investigations (assistances sociales, etc.) qui est de plus en
plus fréquemment mis à la disposition des autorités chargées de la protection de
l’enfance, celles-ci pourront se faire une image précise de la situation et entendre
personnellement les principaux intéressés » ; qu’au contraire, « une telle enquête serait
très longue et difficile à effectuer pour les autorités d’un pays autre que celui où résident
le mineur et sa famille » et que, dans la plupart des cas, les autorités qui ne sont pas
celles de l’État de résidence se limitent à des « renseignements écrits […] longs à
obtenir et fréquemment incomplets ». La compétence des autorités de l’État sur le
territoire duquel l’enfant a sa résidence habituelle est, quel que soit le texte applicable,

141
V. W. VON STEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents de la IXe Session de la Conférence de La
Haye, t. IV, Protection des mineurs, 1960, p. 219 s., spéc. p. 221. V. également Y. LEQUETTE : Rép.
intern. Dalloz, V° Mineur, 1998, n° 21.
142
V. P. LAGARDE, Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIIIe Session de la Conférence de La
Haye, 1996, t. II, Protection des enfants, n° 5.
143
Article 5 de la convention.
144
Le règlement concerne notamment l’attribution, l’exercice, la délégation et le retrait total ou partiel de
la responsabilité parentale (art. 1, par. 1, pnt b). Les matières visées sont précisées à l’article 1, par. 2.
145
Article 8 du règlement n° 2201/2003.
146
Cf. infra n° 163.
147
V. W. VON STEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents de la IXe Session de la Conférence de La
Haye, t. IV, Protection des mineurs, 1960, p. 221. V. également Y. LEQUETTE : Rép. intern. Dalloz,
V° Mineur, 1998, n° 21.

116
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

fondée sur « la proximité de ces autorités avec le milieu dans lequel se trouve
l’enfant »149.

159. Si la résidence habituelle est le critère de rattachement de principe, des chefs


de compétence dérogatoires sont parfois envisagés. Ainsi, dans la mesure où l’on
recherche toujours « la proximité la plus immédiate »150, dans les cas d’urgence, la
lenteur étant généralement incompatible avec la protection, les autorités compétentes
sont celles sur le territoire duquel se trouvent l’enfant ou des biens lui appartenant151.
D’ailleurs, un mineur étranger qui se trouve en France alors qu’il n’a pas sa résidence
habituelle sur le territoire d’un État contractant, par exemple un enfant de passage, ou
encore un mineur étranger résidant dans un État non contractant propriétaire de biens,
spécialement immobiliers, situés en France, sera soumis, non pas aux règles énoncées
par la convention de 1961152, mais au droit commun, quant à la protection de sa
personne ou des biens lui appartenant. Dans cette hypothèse, sur le fondement de
l’urgence ou du danger, les autorités françaises prendront également les mesures
nécessaires qui s’imposent et qui sont par principe provisoires. L’article 1181 du
Nouveau Code de procédure civile, relatif à l’assistance éducative, n’est pas simplement
transposé, mais adapté aux nécessités internationales153. Le juge des enfants compétent
ne peut évidemment pas se trouver saisi d’une mesure de placement en milieu ouvert si

148
W. VON STEIGER, op. et loc. cit..
149
P. LAGARDE, La nouvelle convention de La Haye sur la protection des mineurs : Rev. crit. 1997. 217 s,
spéc. 224.
150
P. LAGARDE , La nouvelle convention de La Haye sur la protection des mineurs : Rev. crit. 1997.
217 s., spéc. 225.
151
Art. 9 de la convention de 1961 et art. 11 de la convention de 1996. Les mesures cessent d’avoir effet
après une intervention des autorités normalement compétentes. Le terme d’urgence doit être interprété
assez strictement. V. Les rapports explicatifs de W. V O N STEIGER (Rapport explicatif : Actes et
documents de la IXe Session de la Conférence de La Haye, t. IV, Protection des mineurs, 1960, p. 235) et
P. LAGARDE (Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIIIe Session de la Conférence de La Haye,
1996, t. II, Protection des enfants, n° 67 s. et La nouvelle convention de La Haye sur la protection des
mineurs : Rev. crit. 1997. 217 s., spéc. 225-226). – Un chef de compétence fondé sur l’urgence est
également envisagé dans les règlements communautaires n° 1347/2000 (art. 12) et n° 2201/2003 (art. 20).
V., pour le commentaire de l’article 12 du règlement « Bruxelles II », B. ANCEL et H. MUIR-WATT, L a
désunion européenne : le Règlement dit « Bruxelles II » : Rev. crit. 2001. 403 s., spéc. 426-427.
152
La convention de 1961 ne s’applique que si le mineur a sa résidence habituelle sur le territoire d’un
État contractant.
153
Dans sa thèse, M. Lequette a d’ailleurs proposé de considérer qu’il existe « une véritable règle de
compétence judiciaire internationale directe propre aux lois de police et plus précisément […] aux
mesures d’assistance éducative » (Protection familiale et protection étatique des incapables : Dalloz,
Bibliothèque de droit international privé, vol. XX, 1976, n° 340).

117
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

le mineur fait une fugue et qu’il n’est que de passage en France154. En revanche, il peut
être requis, dans cette hypothèse, pour organiser le retour de l’enfant et pour prendre
toute autre mesure de protection qui s’impose. Si les dispositions relatives à l’assistance
éducative sont applicables dans leur ensemble aux mineurs qui se trouvent sur le
territoire français155, toutes ne sont pas adaptées : il s’agit d’appliquer la mesure
adéquate aux circonstances. Le simple fait que le mineur se trouve sur le territoire
français rend le juge des enfants compétent, mais le choix dans l’éventail des mesures
mises à sa disposition par la loi française dépend nécessairement de la combinaison de
deux éléments : durée de la présence du mineur sur le territoire français et dangerosité
qu’il représente, à la fois pour lui-même et vis-à-vis de la société156. Il doit exister une
proportion entre le caractère durable de la présence sur le territoire français et la mesure
adoptée157.

160. La convention de 1996 et le règlement n° 2201/2003 prévoient également,


en des termes identiques, la situation des « enfants réfugiés » et des « enfants qui, par
suite de troubles prévalant dans leurs pays, sont internationalement déplacés »158 : ces
enfants ont souvent besoin que leur protection soit organisée de façon durable, en
dehors des cas d’urgence. Sont compétentes les « autorités de l’État contractant sur
lequel ces enfants sont présents du fait de leur déplacement »159. M. Lagarde précise que
la compétence normale des autorités de la résidence habituelle est « inopérante, puisque
ces enfants ont par hypothèse rompu tout lien avec l’État de leur résidence habituelle

154
V. sur l’ensemble de la question Y. LEQUETTE : Rép. intern. Dalloz, V° Mineur, 1998, n° 120. ;
Protection familiale et étatique des incapables : Dalloz, Bibliothèque de droit international privé,
vol. XX, 1976, n° 329 et E. GALLANT, Autorité parentale et protection des mineurs en droit international
privé : Thèse Paris 1, 2000, n° 360 s.
155
Civ. 1re, 27 oct. 1964, Maro : JCP 1964. II. 13911bis ; D. 1965. 81 ; Rev. crit. 1965. 81. V. Jacques
FOYER, Les mesures d’assistance éducative en droit international privé : Rev. crit. 1965. 39 s.
156
Le juge compétent qui ordonne une mesure d’assistance éducative sur le fondement des articles 375 et
suivants du Code civil peut en pratique également tenir compte dans sa décision de la différence culturelle
qui peut exister entre le milieu social français et le milieu social étranger dont est issu le mineur. V. sur la
question H. FULCHIRON, L’éducation de l’enfant étranger, in Le droit de la famille à l’épreuve des
migrations transnationales : L.G.D.J., Actes des Journées d’Études des 3 et 4 décembre 1992, Colloque
organisé par le Laboratoire d’études et de recherches appliquées au droit privé, Université de Lille II,
1993, p. 197 s., spéc. p. 212 s.
157
V. Y. LEQUETTE, Protection familiale et protection étatique des incapables : Dalloz, Bibliothèque de
droit international privé, vol. XX, 1976, n° 329 s.
158
Article 6 de la convention de 1996 et article 13 du règlement n° 2201/2003.
159
Art. 6 de la convention. V. également l’article 13 du règlement.

118
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

antérieure et que la précarité de leur séjour dans l’État où ils ont trouvé provisoirement
refuge ne permet pas de considérer qu’ils y ont acquis une résidence habituelle »160.

161. La convention de 1996 prévoit en outre que le for de la résidence habituelle


peut ne pas être le plus approprié dans certaines situations, d’autres autorités pouvant
être mieux à même d’apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans cette hypothèse, les
autorités de la résidence habituelle peuvent saisir, ou inviter les parties à saisir, les
autorités d’un autre État contractant qui se chargent de prendre les mesures
nécessaires161 ; à l’inverse, d’autres autorités que celles de la résidence habituelle
peuvent saisir ces dernières, ou inviter les parties à les saisir, et leur demander
l’autorisation d’exercer la compétence protectrice qui leur revient en principe162. Les
autorités de la résidence habituelle conservent donc un contrôle de la situation. Le
règlement n° 2201/2003 envisage également le « renvoi à une juridiction mieux placée
pour connaître de l’affaire »163. Ce renvoi, qui n’est possible que s’il est dans l’intérêt
supérieur de l’enfant, se fait vers la juridiction d’un autre État membre avec lequel
l’enfant a un « lien particulier »164. Il intervient à la demande de l’une des parties ou à
l’initiative de la juridiction saisie, ou encore à la demande d’un autre État membre avec
lequel l’enfant a un lien particulier165. Les modalités du renvoi sont strictement
encadrées, notamment en ce qui concerne le délai pendant lequel il doit intervenir166.

160
P. LAGARDE, Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIIIe Session de la Conférence de
La Haye, 1996, t. II, Protection des enfants, n° 44. L’auteur souligne également que le for de l’urgence
qui aurait pu leur être appliqué, quitte à être élargi pour la cause, a été écarté car une telle solution « aurait
affaibli la convention en créant une incitation à utiliser le for de l’urgence en toute circonstance ». La
Conférence a préféré attribuer « aux autorités de l’État sur le territoire duquel ces enfants sont présents la
compétence générale attribuée aux autorités de l’État de la résidence habituelle de l’enfant ».
161
Art. 8 de la convention. Le transfert de compétence n’a lieu que si les autorités requises d’un autre État
contractant acceptent leur compétence. V. P. LAGARDE , Rapport explicatif : Actes et documents de la
XVIIIe Session de la Conférence de La Haye, 1996, t. II, Protection des enfants, n° 53 s.
162
Art. 9 de la convention. P. LAGARDE, Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIIIe Session de
la Conférence de La Haye, 1996, t. II, Protection des enfants, n° 57 s.
163
Art. 15 du règlement.
164
Le règlement prévoit que l’enfant a un « lien particulier » avec un État membre dans différentes
hypothèses : si l’enfant a acquis une résidence habituelle dans cet État après la saisine de la juridiction
compétente ; s’il y a eu sa résidence habituelle ; s’il en est le ressortissant ; si l’un des titulaires au moins
y a sa résidence habituelle ; enfin, lorsque le litige est relatif à des biens qui se trouvent sur le territoire de
cet État membre (art. 15, par. 3).
165
Dans ces deux dernières hypothèses, l’une des parties au moins doit avoir accepté ce renvoi (art. 15,
par. 2, in fine).
166
Les juridictions initialement désignées pour connaître du fond impartissent un délai durant lequel les
juridictions de l’État membre qui devraient connaître de l’affaire doivent être saisies ; si elles ne le sont
pas, la juridiction saisie continue d’exercer sa compétence (art. 15, par. 4). Les juridictions de l’État
membre qui ont été saisies dans le délai imparti ont alors six semaines pour se déclarer compétentes ; la

119
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

162. La convention de La Haye de 2000 sur la protection des adultes a également


envisagé la compétence d’autres autorités que celles de la résidence habituelle167. Ces
autorités ont une compétence non seulement concurrente, mais également autonome, car
« non subordonnée à l’autorisation des autorités de la résidence habituelle », mais qui
reste subsidiaire à celles de la résidence habituelle168. Là encore, le principe d’une
nécessaire approbation des autorités de la résidence habituelle est requise, que ce soit
par un consentement tendant à transférer l’exercice de la compétence à une autorité dans
un autre État contractant169 ou par le fait que les autorités de la résidence habituelle
s’abstiennent de prendre des mesures qui pourraient se substituer à celles prises par une
telle autorité170.

163. Enfin, il convient de signaler que le règlement n° 1347/2000 prévoit que les
autorités saisies d’une action en désunion171 conservent leur compétence pour statuer
sur la question de la responsabilité parentale liée à cette demande lorsque l’enfant est
commun aux deux époux et qu’il a sa résidence habituelle sur le territoire de l’État
membre en question172. En revanche, lorsque l’enfant a sa résidence habituelle sur le
territoire d’un autre État membre, la prorogation de compétence ne joue que si l’un au
moins des époux exerce la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant, que cette
prorogation de compétence a été acceptée par les époux et qu’elle est dans l’intérêt
supérieur de l’enfant173. Avec le nouveau règlement n° 2201/2003, le juge de la

juridiction première saisie décline alors sa compétence. Si le délai n’est pas respecté, là encore la
juridiction première saisie continue d’exercer sa compétence (art. 15, par. 5).
167
V. A. BUCHER, La Convention de La Haye sur la protection internationale des adultes : RSDIE 2000.
37 s., spéc. 44-49 ; P. LAGARDE, Rapport explicatif : Actes et documents de la Conférence de La Haye,
2000, La protection internationale des adultes, n° 47 s. et P. LAGARDE , La convention de La Haye du
13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes : Rev. crit. 2000. 159 s., spéc. 167 s.
168
P. LAGARDE, La convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des
adultes : Rev. crit. 2000. 159 s., spéc. 168 s.
169
Art. 8 de la convention.
170
Art. 7, 9 et 10 de la convention.
171
Cf. supra n° 151 s.
172
Art. 3, par. 1 du règlement. V. H. GAUDEMET -T ALLON , Le Règlement n° 1347/2000 du Conseil du
29 mai 2000 : « Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en
matière de responsabilité parentale des enfants communs » : JDI 2001. 381 s, spéc. 394. Selon l’auteur,
« la solution retenue par l’article 3, paragraphe 1 se justifie […] dans la mesure où, pour les mineurs, la
tendance du droit international privé en général, et plus particulièrement de la convention de La Haye du
19 octobre 1996 sur la protection des mineurs, est de vouloir centraliser les contentieux intéressant le
mineur au lieu de la résidence de celui-ci : seul le tribunal de la résidence du mineur présenterait des
garanties de proximité nécessaires pour espérer la meilleure justice possible à son égard ».
173
Art. 3, par. 2 du règlement. – Ces dispositions sont similaires à celles adoptées dans la convention de
La Haye de 1996 (v. l’art. 10 de la convention). Selon M. de Vareilles-Sommières (La libre circulation

120
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

désunion reste compétent, quel que soit le lieu de la résidence habituelle du mineur174
(alors même qu’elle serait établie en dehors du territoire d’un État membre), dès lors
qu’un époux exerce l’autorité parentale à l’égard de l’enfant, que la compétence a été
acceptée par les époux et qu’elle est dans l’intérêt supérieur de l’enfant175. Il n’est plus
fait de distinction ni entre les enfants communs ou non des deux époux, ni selon le lieu
de leur résidence habituelle. Par ailleurs, ce texte envisage une dérogation à la
compétence de principe des juridictions de l’État de la résidence habituelle du mineur
au profit des juridictions d’un autre État membre lorsque l’enfant a un lien étroit avec
cet État « du fait, en particulier, que l’un des titulaires de la responsabilité parentale y a
sa résidence habituelle ou que l’enfant est le ressortissant de cet État membre » et que la
compétence a été acceptée par les parties et qu’elle est dans l’intérêt supérieur de
l’enfant. Cette dérogation à la compétence de principe visée par l’article 8 du règlement
est applicable en toute hypothèse (en dehors même d’une éventuelle procédure liée à la
désunion) ; elle est justifiée au regard de l’intérêt de l’enfant et l’accord des parties est
toujours requis.

164. Certes, dans l’intérêt de la personne à protéger, des dérogations finalement


assez nombreuses sont envisagées à la compétence de principe des autorités de la
résidence habituelle, mais, en pratique, si les conditions dans lesquelles elles
interviennent sont strictement interprétées, on peut considérer qu’en matière de

des jugements rendus en matière matrimoniale en Europe : Gaz. Pal. 1999. doctr. 2018 s., spéc. 2025), les
auteurs ont opté pour une « solution de compromis ».
174
V. A. BUCHER, L’enfant en droit international privé : Helbing & Lichtenhahn, L.G.D.J., 2003, n° 537.
L’auteur considère que si la compétence du juge du divorce évite aux parents d’être impliqués dans deux
procédures, le juge du divorce peut néanmoins se trouver trop éloigné du pays de la résidence habituelle
de l’enfant, « de sorte qu’il ne peut connaître les besoins de celui-ci qu’indirectement, par le biais de la
collaboration avec les autorités de ce pays. Une telle manière de procéder est non seulement lente et
compliquée, mais elle risque de priver le juge de tout contact spontané avec l’enfant et d’une
connaissance suffisante des conditions de la vie locale de l’enfant ». Ce constat, fait à propos de l’article
10 de la convention de La Haye de 1996 qui prévoit la compétence du for du divorce lorsque l’enfant a sa
résidence habituelle sur le territoire d’un État contractant, conserve sa valeur pour les dispositions
réglementaires. – V. également A. BIGOT, Le nouveau règlement communautaire du 27 novembre 2003
en matière matrimoniale et de responsabilité parentale : Dr. fam. 2004, n° 8.
175
Selon l’art. 12, par. 4, l’intérêt de l’enfant est présumé lorsque l’enfant a sa résidence habituelle en
dehors d’un État partie à la convention de La Haye de 1996, notamment lorsqu’une procédure « s’avère
impossible dans l’État tiers concerné. – L’intérêt supérieur de l’enfant est une condition que le juge doit
pourtant interpréter suffisamment strictement, si l’on considère que, par définition, les autorités les plus
proches de l’enfant sont a priori les plus compétentes pour statuer sur la question de sa protection. Les
avantages procéduraux liés à la concentration du contentieux (v. sur ce point B. A NCEL et H. MUIR-
WATT, La désunion européenne : le Règlement dit « Bruxelles II » : Rev. crit. 2001. 403 s., spéc. 429) ne
doivent en aucun cas nuire aux intérêts de l’enfant.

121
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

compétence juridictionnelle, quel que soit le texte envisagé, la résidence habituelle est
un critère-pivot, à défaut d’être un critère exclusif.

B. La résidence, élément de détermination de la loi applicable

165. Les raisons du choix de la résidence habituelle comme élément de


désignation de la loi applicable apparaissent beaucoup plus nettement dans les travaux
de la Conférence de La Haye relatifs aux créanciers d’aliments que dans ceux
concernant les conventions liées à la protection des mineurs, enfants ou adultes
incapables.

166. Ainsi, selon les dispositions de l’article 1er de la convention de La Haye du


24 octobre 1956176 sur la loi applicable envers les enfants, c’est la loi de la résidence
habituelle de l’enfant qui détermine « si, dans quelle mesure et à qui l’enfant peut
réclamer des aliments »177. Cette compétence est de principe178. Le choix du critère de
la résidence habituelle comme élément de rattachement à titre de principe procède de
divers éléments. Les commentateurs s’accordent sur le fait que la loi de la résidence
habituelle du créancier d’aliments ne lui est pas forcément la plus favorable, mais
qu’elle est celle qu’il connaît le mieux179 et qui régit son cadre de vie180.

167. L’application de la loi de la résidence habituelle de l’enfant repose « en tout


premier lieu sur l’argument tiré du fait qu’elle se ramène à l’application du régime
alimentaire en vigueur dans le pays sur le territoire duquel l’enfant sera élevé […] ;
normalement, les intérêts de l’enfant seront garantis au maximum par l’application de la
loi du pays de sa résidence et le but envisagé par le projet, à savoir la protection de
l’enfant mineur, sera réalisé de la façon la plus concrète par l’adoption du principe sus-
énoncé »181. Il s’agit de pourvoir « aux intérêts immédiats de l’intéressé »182. Par

176
Elle ne s’applique plus aujourd’hui que si la loi de la résidence habituelle de l’enfant est autrichienne,
grecque ou norvégienne.
177
Art. 1, al. 1, de la convention.
178
Elle peut être écartée dans les hypothèses prévues à l’article 2 de la convention, au profit de la lex fori,
de la loi nationale commune du débiteur et du créancier ou de la loi de la résidence habituelle du débiteur.
179
Il s’agit en effet de la « loi interne » de sa résidence habituelle.
180
V., par exemple, P. BE L L E T , Les nouvelles conventions de La Haye en matière d’obligations
alimentaires : JDI 1974. 5 s., spéc. 10.
181
Actes et documents de la VIIIe Session de la Conférence de La Haye, 1956, t. II, p. 127. V. également
J.-M. BISCHOFF, Les Conventions de La Haye en matière d’obligations alimentaires : JDI 1964. 759 s.,
spéc. 770 : il faut, selon l’auteur, « prendre l’enfant dans la réalité de sa vie quotidienne et non pas dans
les attributs purement juridiques de sa personnalité, puisque c’est pour vivre qu’il utilisera sa pension

122
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

ailleurs, d’un point de vue un peu plus technique, en appliquant la loi de la résidence
habituelle de l’enfant, on évite que la personne qui doit entretenir l’enfant « ne puisse se
soustraire à l’obligation alimentaire en s’établissant dans un pays où cette obligation est,
soit inconnue, soit reconnue seulement dans une mesure très restreinte »183. Les experts
de la Conférence de La Haye ont constaté que, en général, c’est le débiteur qui aura
transféré son domicile à l’étranger et que « l’enfant mineur – qui d’ailleurs le plus
souvent ne dispose pas de ressources financières – sera resté dans le pays dans lequel il
se trouvait »184. Un autre argument est tiré du fait que si l’enfant ne peut obtenir
d’aliments, il est à la charge du pays dans lequel il réside, ce qui milite également en
faveur de l’application des dispositions légales de ce pays185. Ce système présente
encore des avantages en cas de pluralité de débiteurs. Enfin, il a été souligné que retenir
la loi de la résidence habituelle permet « d’aboutir à une certaine harmonisation au sein
de chaque État : tous les créanciers alimentaires vivant dans ce pays seront mis sur le
même pied »186.

168. Avec la convention de La Haye de 1973187, la solution de principe reste


celle de la résidence habituelle du créancier188, pour les raisons qui étaient déjà celles de
1956, mais d’autres chefs de compétence prennent le relais dans l’hypothèse où une

alimentaire. Or, de ce point de vue, ce sont certainement les autorités du pays où il se trouve en fait, où il
réside, qui seront les plus qualifiées, eu égard au contexte économique et social local, pour déterminer
dans quels cas et dans quelle mesure l’enfant aura droit aux aliments ».
182
B. AUDIT, Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 723.
183
Actes et documents de la VIIIe Session de la Conférence de La Haye, 1956, t. II, p. 127.
184
Actes et documents de la VIIIe Session de la Conférence de La Haye, 1956, t. II, p. 127.
185
Actes et documents de la VIIIe Session de la Conférence de La Haye, 1956, t. II, p. 127. V. également
J.-M. BISCHOFF, Les Conventions de La Haye en matière d’obligations alimentaires : JDI 1964. 759 s.,
spéc. 770.
186
M. VERWILGHEN , Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIe Session, t. IV, Obligations
alimentaires, p. 441. V., en ce sens, J.-M. BISCHOFF , Les Conventions de La Haye en matière
d’obligations alimentaires : JDI 1964. 759 s., spéc. 771.
187
Cette convention est appelée à se substituer à celle de 1956 au fur et à mesure de ses ratifications. En
pratique, la première convention, de 1956, qui ne concerne que les enfants, s’applique uniquement si la
loi de la résidence habituelle de l’enfant est la loi autrichienne, grecque ou norvégienne, issue de la
Région administrative spéciale de Macao et du Liechtenstein (États parties à la convention de 1956 qui
n’ont pas encore ratifié celle de 1973). La seconde convention, de 1973, a un champ d’application
beaucoup plus étendu puisqu’elle s’applique en dehors de toute condition de réciprocité, même si la loi
qu’elle désigne est celle d’un État non contractant (art. 3 de la convention ; elle est en vigueur en France
depuis le 1er octobre 1977) et pour les obligations alimentaires versées tant aux enfants qu’aux adultes
(selon l’article 1er de la convention, elle s’applique aux obligations alimentaires « découlant de relations
de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance, y compris les obligations alimentaires envers un enfant
non légitime »).
188
L’article 8, al. 1, de la convention prévoit une dérogation : « la loi appliquée au divorce régit, dans
l’État contractant où celui-ci est prononcé ou reconnu, les obligations alimentaires entre époux divorcés et
la révision des décisions relatives à ces obligations ».

123
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

telle loi ne permettrait pas au créancier d’obtenir des aliments : loi nationale commune
du débiteur ou du créancier189 et, si le créancier ne peut encore pas obtenir d’aliments,
loi interne de l’autorité saisie190. La convention de 1956 prévoit également un chef de
compétence subsidiaire à la loi de la résidence habituelle191. La règle de conflit a une
finalité matérielle qui est le droit aux aliments. Pour atteindre cet objectif, la résidence
habituelle se voit reconnaître une place, sinon exclusive, du moins prépondérante.

169. En ce qui concerne la protection du mineur, la loi de la résidence habituelle


est également « la plus adéquate » car elle correspond à la loi de la société dans laquelle
vit le mineur192. Les conventions de La Haye de 1961 sur la protection des mineurs, de
1996 sur celle des enfants, ou de 2000 sur la protection internationale des adultes, ont
ainsi toutes trois adopté le critère de la résidence habituelle comme élément de
désignation de la loi applicable. Cependant, on peut constater un certain laconisme dans
les rapports explicatifs en ce qui concerne les raisons exactes de ce choix. La loi
nationale se voit d’ailleurs, dans les conventions de 1961 et de 2000, reconnaître un rôle
certain193 ; la loi de la résidence habituelle n’est pas exclusivement compétente dans la
mesure où le choix d’une autre loi peut se révéler approprié. De fait, si la loi de la
résidence habituelle est retenue, c’est avant tout parce qu’il existe une corrélation, une
coïncidence entre les deux compétences juridictionnelle et législative, que cette

189
Art. 5 de la convention.
190
Art. 6 de la convention. En pratique, ce sera souvent la loi interne des tribunaux du débiteur ; v.
P. BELLET, Les nouvelles conventions de La Haye en matière d’obligations alimentaires : JDI 1974. 5 s.,
spéc. 11.
191
Si la loi de la résidence habituelle refuse « tout droit aux aliments », la loi désignée par les règles
nationales de conflit de l’autorité saisie est appliquée (article 3 de la convention). Sur les circonstances de
mise en œuvre de l’article 3 de la convention de 1956 et des articles 5 et 6 de celle de 1973 sur la loi
applicable à titre subsidiaire, v. P. BELLET , Les nouvelles conventions de La Haye en matière
d’obligations alimentaires : JDI 1974. 5 s., spéc. 11. La condition de « refus de tout droit aux aliments »
du premier texte est très restrictive ; dans la convention de 1973, il suffit que le créancier ne puisse, en
pratique, rien obtenir pour que les articles 5, voire 6, jouent.
192
V. W. VON STEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents IXe Session, t. IV, 1960, Protection des
mineurs, p. 219 s., spéc. p. 226.
193
C’est ainsi que la convention de 1961 laisse intervenir les autorités et la loi de l’État dont le mineur est
le ressortissant dans tous les cas « où le besoin s’en fait sentir » (V. W. VON STEIGER, Rapport explicatif :
Actes et documents IXe Session, t. IV, 1960, Protection des mineurs, p. 219 s., spéc. p. 221-222) ; il
fallait tenir compte de la situation des États attachés au principe de nationalité et de « leur souci de
maintenir dans la mesure du possible les liens qui rattachent leurs ressortissants vivant à l’étranger à leur
patrie et à leurs familles » (W. VON STEIGER, op. cit., p. 221). La loi de la résidence habituelle s’applique
également sous réserve du respect des rapports ex lege prévus par la loi nationale du mineur (Cf. infra
n° 184 s.). La convention de 2000 sur la protection des adultes prend également en considération, à titre
subsidiaire, la compétence des autorités de l’État national de l’adulte (V. P. LAGARDE , Rapport
explicatif : Actes et documents de la Conférence de La Haye, 2000, La protection internationale des

124
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

corrélation induit une simplicité et un pragmatisme sur lesquels tous les auteurs
s’accordent.

§ 2. L’avantage de la coïncidence des compétences juridictionnelle et


législative

170. Au-delà des avantages que présente la résidence comme critère de


désignation de la juridiction compétente ou de la loi applicable, c’est également le fait
de l’identité des rattachements retenus qui présente un intérêt. Après avoir constaté la
coïncidence des compétences juridictionnelle et législative (A.), on examinera le
réalisme de la méthode (B.).

A. Le constat de la coïncidence des compétences

171. La coïncidence des compétences juridictionnelle et législative résulte


parfois d’un « couplage »194 des textes (1.), alors que dans d’autres hypothèses on résout
les questions de conflits d’autorités et de conflits de lois en les réunissant dans un seul
et même document (2.).

1. Un couplage des textes internationaux

172. En un domaine considéré, certains textes se répondent : les uns identifient la


juridiction compétente, les autres décident de la loi applicable ; il apparaît naturel que
les conditions de reconnaissance des décisions prises soient pareillement envisagées.
C’est le cas en matière d’obligations alimentaires. Afin d’homogénéiser le contentieux,
de le simplifier, tous les textes retiennent un même critère de rattachement, celui de la
résidence habituelle qui, sans être exclusif, est en pratique le plus fréquemment retenu.
L’objectif, avoué, est de faire coïncider les compétences. C’est ainsi qu’en matière
d’obligations alimentaires, l’option de compétence en faveur du créancier d’aliments
fondée sur le lieu de sa résidence habituelle a également été justifiée parce que ce critère
de rattachement était déjà celui retenu par la convention de La Haye du 15 avril 1958

adultes, n° 56 s.). Dans ces deux conventions, les autorités de l’État de la résidence habituelle doivent
tout de même être avisées des mesures prises par celles de l’État dont l’intéressé a la nationalité.

125
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

concernant la reconnaissance et l’exécution des décisions alimentaires envers les


enfants195 et celle de New-York du 20 juin 1956 sur le recouvrement des aliments à
l’étranger, dont la convention de Bruxelles constituait les prolongements196.

173. La loi applicable par principe, celle de la résidence habituelle, sera la lex
fori si la juridiction saisie est également celle de la résidence habituelle du créancier
d’aliments, ce qui est le cas en pratique dans la grande majorité des situations. La
simplicité pour le juge qu’il y a à appliquer sa propre loi197 est évidente. Or, dans la
mesure où la jurisprudence a considéré que la notion d’obligations alimentaires
englobait notamment pensions alimentaires, prestations compensatoires, contributions
aux charges du mariage198, dommages et intérêts, l’interprétation très large de la notion
d’obligations alimentaires étend en conséquence le champ d’application de la
convention de 1973 à la loi applicable et donc, par principe, à la loi de la résidence
habituelle.

174. Cependant, il est une hypothèse où la compétence des juridictions et la loi


applicable ne coïncident pas forcément : c’est le cas du divorce. La convention de
La Haye de 1973 sur la loi applicable prévoit en effet des dispositions particulières entre
époux divorcés : selon les dispositions de l’article 8 de la convention, « la loi appliquée
au divorce régit, dans l’État contractant où il est prononcé ou reconnu, les obligations
alimentaires entre époux divorcés et la révision des décisions relatives à ces
obligations ». Selon les dispositions des textes de Bruxelles et de Lugano199, le juge
compétent pour prononcer le divorce peut l’être aussi pour statuer sur ses conséquences

194
Le terme est utilisé par I. BARRIÈRE-BROUSSE, L’enfant et les conventions internationales : JDI 1996.
843 s., spéc. 847.
195
Sur l’importance de cette convention, v. notamment M. MEZGER, Les conventions de La Haye sur la
loi applicable et sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière d’obligations alimentaires
envers les enfants : TCFDIP 1958-1959, p. 123 s. La convention de La Haye du 2 octobre 1973
concernant la reconnaissance et l’exécution de décisions relatives aux obligations alimentaires, qui
remplace celle de 1958 et fixe les règles de compétence indirecte permettant au juge requis de conférer
une force exécutoire à une décision rendue par une juridiction étrangère, maintient la compétence fondée
sur la résidence habituelle du créancier.
196
V. le rapport de P. JENARD sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence
judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale : JOCE C 59, 5 mars 1979, p. 1-
65, spéc. p. 24-25.
197
Sur ce point, cf. infra n° 196 s.
198
V. par exemple Civ. 1re, 6 nov. 1990 : Rev. crit. 1991. 348, note M. Simon-Depitre ; Gaz. Pal. 1991,
n° 211, p. 11, note J.-P. Remery.
199
Art. 5, par. 2 in fine.

126
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

pécuniaires200. La compétence des juridictions françaises peut être fondée sur


l’application des dispositions du règlement communautaire n° 1347/2000 , à défaut, sur
les règles de droit commun. Si les juridictions françaises sont saisies, elles appliquent
alors l’article 310 du Code civil relatif au divorce201, y compris pour ce qui est de
statuer sur les obligations alimentaires entre époux (sur le fondement de l’article 8 de la
convention de La Haye de 1973 sur la loi applicable). Les enfants créanciers restent
soumis à la loi de leur résidence habituelle (sur le fondement de l’article 1 de la
convention de La Haye de 1956 ou de l’article 4 de celle de 1973 sur la loi applicable).
Si la loi applicable est une loi étrangère qui ne permet pas aux époux d’obtenir
d’aliments, cette loi sera écartée sur le fondement de l’article 11 de la convention de
La Haye de 1973 comme étant « manifestement incompatible » avec l’ordre public202.

175. On l’a vu, le champ d’application de la convention de 1973 sur la loi


applicable aux obligations alimentaires est large. Il l’est d’autant plus que, par ce biais,
les juridictions françaises vident d’une partie de leur substance certaines conventions
bilatérales, en limitent en tout cas considérablement la portée. Ainsi, sur le fondement
de la convention franco-marocaine, le juge français peut être saisi d’une demande en
divorce si les deux époux sont marocains, ou si l’un des époux a la nationalité française

200
Sauf si la compétence est fondée uniquement sur la nationalité des parties. Ce chef de compétence qui
permet d’assigner le défendeur devant le tribunal compétent selon la loi du for pour connaître du divorce
a été rajouté en 1978. Lorsqu'il s’agit simplement d’une révision de pension alimentaire après divorce,
dans la mesure où l’existence de la créance a été constatée, que les rôles de créancier et de débiteur ont
été attribués, il peut à nouveau être fait application des dispositions des textes de Bruxelles et de Lugano.
L’intérêt de ces dispositions est de faire bénéficier les décisions rendues en application de ces textes du
régime simplifié de reconnaissance et d’exécution qu’ils prévoient. Cf. H. GAUDEMET-TALLON, Divorce :
J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 547-40, n° 7 et Les Conventions de Bruxelles et de Lugano. Compétence
internationale, reconnaissance et exécution des jugements en Europe : L.G.D.J., 2e éd., 1996, p. 133-134,
n° 178. V. également L. CÉLÉRIEN, Aliments : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 549-50, n° 29. Sur la question de
la demande principale en divorce et d’une demande accessoire de pension alimentaire, v. P. LAGARDE,
Observations sur l’articulation des questions de statut personnel et des questions alimentaires dans
l’application des conventions de droit international privé, in Conflits et harmonisation : Mélanges en
l’honneur d’Alfred E. von Overbeck, Éditions universitaires de Fribourg Suisse, 1990, p. 511 s., spéc.
p. 513 s.
201
L’ article 310 du Code civil dispose que « le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi
française : lorsque l’un et l’autre époux sont de nationalité française ; lorsque les époux ont, l’un et
l’autre, leur domicile sur le territoire français ; lorsque aucune loi étrangère ne se reconnaît compétente
alors que les tribunaux français sont compétents pour connaître du divorce ou de la séparation de corps ».
– M. Déprez (note sous Civ. 1re, 16 juill. 1992 : JCP 1993. II. 22138, spéc. n° 6.) souligne qu’en pratique,
la loi est le plus souvent la loi française car la plupart des divorces qui sont prononcés en France entre
étrangers concernent des conjoints domiciliés en France, qu’ils relèvent par conséquent des dispositions
de l’article 310, tiret 2, du Code civil et sont traités comme des « divorces français ».
202
L’article 11 ajoute, dans un deuxième alinéa, que « même si la loi applicable en dispose autrement, il
doit être tenu compte des besoins du créancier et des ressources du débiteur dans la détermination du
montant de la pension alimentaire ».

127
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

et l’autre marocaine, qu’ils sont domiciliés en France, ou y ont eu leur dernier domicile
commun203. La loi applicable est la loi marocaine si les deux époux sont marocains ;
c’est la loi française si l’un des époux est français et l’autre marocain et qu’ils ont leur
domicile en France ou y ont eu leur dernier domicile commun. Rappelons que le
domicile d’une personne s’entend, au sens de la convention, du lieu où elle a sa
« résidence habituelle »204. La Cour de cassation considère que la convention franco-
marocaine est applicable au prononcé du divorce, et que, sur le fondement de l’article 8
de la convention de La Haye de 1973 relative à la loi applicable aux obligations
alimentaires, cette loi applicable au divorce régit également les conséquences
pécuniaires de la rupture du mariage. Or, la loi marocaine privant la femme de tout
secours pécuniaire, même lorsque le divorce n’est pas prononcé à ses torts, elle est alors
écartée, sur le fondement de la convention de La Haye, au profit de la loi française car
considérée comme « manifestement incompatible avec l’ordre public international
français »205. M. Déprez206 souligne que l’on aboutit « à un dénouement identique à
celui qui serait résulté d’un recours direct au droit français », mais que l’on reste « dans
la ligne d’une démarche conflictualiste rigoureuse consistant à désigner la loi
compétente dans le respect des règles de conflit en vigueur, quitte à l’écarter
immédiatement en raison de son contenu ».

176. Dans cette hypothèse du divorce, des conséquences qui lui sont attachées
sur le plan des obligations alimentaires, il n’y a certes pas de coïncidence initiale entre
juridiction compétente et loi applicable sur le fondement de la résidence habituelle.
Néanmoins, par le biais de la convention de La Haye de 1973, on aboutit indirectement
à une corrélation entre compétence juridictionnelle et loi applicable puisque le juge
français est saisi sur le fondement de la résidence habituelle, et qu’il applique sa propre
loi dès lors que la loi étrangère compétente refuse au créancier l’obtention d’aliments.

203
Art. 11 et 9 de la convention.
204
Art. 2 de la convention.
205
V., par exemple, Civ. 1re, 16 juill. 1992 : Petites Affiches, 1993. n° 40, p. 16, note J. Massip ; D. 1993.
476, note K. Saidi ; Rev. crit. 1993. 269, note P. Courbe ; JCP 1993. II. 22138, note J. Déprez. V.
également Civ. 1re, 7 nov. 1995 : Bull. civ. I, n° 391 ; D. 1996. somm. 170, obs. B. Audit et Toulouse, 6
févr. 2001, n° de décision 1999/05831 : inédit (consultable sur le site de Légifrance :
http://www.legifrance.gouv.fr).
206
Note sous Civ. 1re, 16 juill. 1992 : JCP 1993. II. 22138, spéc. n° 7.

128
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

2. Une réunion des compétences au sein d’un texte unique

177. Batiffol a souligné la tendance qui s’est manifestée dans les conventions de
La Haye à admettre la solution qui consiste à absorber la désignation de la loi applicable
dans celle de l’autorité compétente, qui a, « entre autres, l’avantage de ne pas prendre
parti sur les problèmes de conflits de lois qui divisent les États membres »207. Il s’agit,
en effet, moins d’une coïncidence que d’une absorption des compétences. Les
juridictions ou autorités chargées du litige appliquent leur propre loi interne pour le
résoudre. Saisies sur le fondement de la résidence habituelle, elles appliquent
directement la lex fori, par hypothèse celle de la résidence habituelle.

178. Ainsi, la convention de La Haye du 15 octobre 1965 concernant la


compétence des autorités, la loi applicable et la reconnaissance des décisions en matière
d’adoption a, selon les termes de M. Loussouarn, fait « preuve d’un très grand
réalisme »208 lorsqu'elle a admis que les « autorités visées à l’article 3, al. 1er,
appliquent, sous réserve de l’article 5, al. 1er, leur loi interne aux conditions de
l’adoption »209. L’auteur souligne en effet qu’il est plus commode pour le juge
d’appliquer sa propre loi et qu’il est « toujours bénéfique pour cette raison de faire
coïncider compétence juridictionnelle et compétence législative »210. De même, la
convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur l’administration internationale des
successions prévoit que les États contractants instituent un certificat international
désignant la ou les personnes habilitées à administrer la succession immobilière et
indiquant ses ou leurs pouvoirs. Selon les articles 2 et 3 de la convention, le certificat
doit être établi par l’autorité compétente dans l’État de la résidence habituelle du défunt,
laquelle applique « sa loi interne » pour désigner le titulaire et indiquer ses pouvoirs211.
La France n’a pas signé le texte.

207
H. BATIFFOL, La douzième session de la conférence de La Haye de droit international privé : Rev. crit.
1972. 243 s., spéc. 246.
208
Y. LOUSSOUARN, La Xe Session de la Conférence de La Haye de droit international privé : JDI 1965.
5 s., spéc. 9.
209
Article 4, al. 1er.
210
Y. LOUSSOUARN, La Xe Session de la Conférence de La Haye de droit international privé : JDI 1965.
5 s., spéc. 9-10. Deux exceptions sont prévues au fait que l’autorité saisie applique sa propre loi, mais ne
seront pas développées dans la mesure où la France n’a finalement pas ratifié le texte ; elles sont de plus
très techniques.
211
Sauf deux cas prévus par le texte de l’article 3, dans lesquels l’autorité compétente de la résidence
habituelle du défunt doit établir le certificat par application de la loi nationale et une faculté d’option

129
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

179. L’accent est donc mis sur la compétence des autorités, ce qui est un trait
caractéristique de l’évolution moderne du droit international privé212. En matière de
protection des personnes, ce n’est pas tellement « la loi applicable qui importe, mais le
souci qu’une autorité bien informée puisse agir rapidement et avec efficacité »213, a
souligné von Overbeck. C’est pourquoi les conventions de La Haye de 1961 sur la
protection du mineur, de 1996 sur celle de l’enfant et de 2000 sur la protection des
adultes ont adopté ce système. À travers l’exemple de la protection des mineurs, après
avoir fait le constat de la coïncidence des compétences (a.), on examinera les problèmes
auxquels ont été confrontés les tribunaux et quelles sont les solutions qui ont été
adoptées (b.). On verra qu’avec l’adoption des règlements communautaires
« Bruxelles II » et « Bruxelles II bis », ce principe de la coïncidence des compétences
est, dans une certaine mesure, remis en cause (c.).

a. Le principe de la coïncidence des compétences en matière de protection des


mineurs

180. La convention de La Haye du 5 octobre 1961 concerne à la fois « la


compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs ».
L’article premier, relatif aux autorités compétentes pour statuer, prévoit que « les
autorités, tant judiciaires qu’administratives, de l’État de la résidence habituelle d’un
mineur sont […] compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa
personne ou de ses biens ». L’article 2 détermine la loi applicable aux mesures de
protection : « Les autorités compétentes aux termes de l’article premier prennent les
mesures prévues par leur loi interne »214. L’autorité de la résidence habituelle qui est
saisie applique sa propre loi interne. Il n’y a pas à se référer à une règle de conflit de
droit international privé, la loi du juge saisi s’applique automatiquement. Avec cette
convention, la compétence juridictionnelle supplante la compétence législative, elle
l’absorbe. L’esprit de cette convention n’est pas, selon les termes de M. Batiffol,
« d’introduire un nouveau règlement des conflits de lois en matière de tutelle, mais

offerte au testateur (article 4). V. H. BATIFFOL, La douzième session de la conférence de La Haye de droit
international privé : Rev. crit. 1972. 243 s., spéc. 246-248.
212
A. E. VON OVERBECK, L’intérêt de l’enfant et l’évolution du droit international privé de la filiation :
Liber amicorum Adolf F. Schnitzer, Genève, Librairie de l’Université, 1979, p. 361 s., spéc. p. 369.
213
A. E. VON OVERBECK, L’intérêt de l’enfant et l’évolution du droit international privé de la filiation :
Liber amicorum Adolf F. Schnitzer, Genève, Librairie de l’Université, 1979, p. 361 s., spéc. p. 369.
214
Art. 2, alinéa 1er de la convention.

130
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

d’affirmer la compétence des autorités judiciaires et administratives effectivement en


mesure d’organiser la protection du mineur »215.

181. La coïncidence entre la solution du conflit des autorités et la solution du


conflit de lois introduit, selon les termes de M. Loussouarn216, « une simplification
particulièrement précieuse dans une convention dont l’application sera le fait non pas
seulement d’autorités judiciaires, mais souvent d’autorités administratives et même
parfois d’organisations semi-officielles ou privées. Dans ces conditions, il fallait une
règle de conflit qui fût simple. Nulle ne pouvait l’être d’avantage que celle prescrivant à
chaque autorité d’appliquer les mesures prévues par sa propre loi interne ». À côté de la
simplicité qui résulte de l’unité entre le for et le droit appliqué, le « grand avantage » de
l’unité de forum et de jus, selon les termes de von Steiger, il existe donc une autre
raison, plus technique, tenant à la nature de l’autorité qui peut se trouver saisie en
matière de protection des mineurs. De fait, s’il est déjà difficile pour les tribunaux
d’appliquer une loi étrangère, cette difficulté est encore plus grande lorsqu'il s’agit
d’autorités qui ne sont pas juristes. Considérer l’inverse relèverait de l’utopie217.
D’ailleurs, allant encore plus loin, Mme Simon-Depitre parle, non pas de l’« avantage »
qu’il y a pour une autorité à appliquer sa propre loi, mais de la « nécessité » lorsque
l’autorité saisie est une autorité administrative218.

182. La convention a prévu un chef de compétence dérogatoire à celui fondé sur


la résidence habituelle du mineur : les autorités de l’État dont le mineur est ressortissant
peuvent, si elles considèrent que l’intérêt de cet enfant l’exige et après en avoir avisé les
autorités de l’État de sa résidence habituelle, prendre « selon leur loi interne, des
mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens »219. Il y a également une
dépendance de la compétence législative par rapport à celle des autorités de l’État dont

215
H. BATIFFOL, La IXe session de la Conférence de La Haye de droit international privé : Rev. crit.
1961. 461, spéc. 471.
216
Y. LOUSSOUARN, La IXe Session de la Conférence de La Haye de droit international privé : JDI 1961.
654 s., spéc. 687-688.
217
V. V O N STEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents IXe Session, t. IV, 1960, Protection des
mineurs, p. 219 s., spéc. p. 226.
218
M. SIMON -D EPITRE, La protection des mineurs en droit international privé : TCFDIP, 1958-1962,
p. 109, spéc. p. 124.
219
Art. 4 de la convention. V. sur les difficultés causées lorsque l’enfant a une double nationalité,
P. LAGARDE, La protection du mineur double-national, tallon d’Achille de la convention de La Haye du 5
octobre 1961, in L’unificazione del diritto internazionale privato et procesuale : Studi in memoria di
Mario Giuliano, CEDAM, Padova, 1989, p. 529 s.

131
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

le mineur a la nationalité ; elle est expressément prévue par le texte. La compétence des
autorités dont le mineur est le ressortissant est éventuelle, mais prééminente220. Si le
mineur est « menacé d’un danger sérieux dans sa personne ou ses biens », les autorités
de la résidence habituelle peuvent prendre les mesures de protection adéquates221 qui
s’imposeront, alors même que les autorités nationales auraient déjà pris des mesures de
protection. Le texte ne prévoit pas quelle est la loi applicable aux mesures de protection,
mais il semble évident, et il est d’ailleurs incontesté, qu’elle sera celle de la résidence
habituelle.

183. Par ailleurs, la convention prévoit qu’« un rapport d’autorité résultant de


plein droit de la loi interne de l’État dont le mineur est ressortissant est reconnu dans
tous les États contractants »222. Cette « césure »223 entre rapports d’autorité et mesures
de protection qu’impose le texte est la source de difficultés d’application de la
convention224.

b. Les difficultés de mise en œuvre et les solutions adoptées

184. Selon les dispositions de l’article 3 de la convention, chaque État


contractant doit respecter les rapports d’autorité ex lege envisagés par la loi nationale du
mineur. M. Lequette précise qu’il y a un rapport d’autorité « lorsque celui-ci dérive
directement de la loi, sans que l’intervention d’une autorité soit nécessaire à son
institution »225 et qu’il s’agit d’une mesure de protection au sens de l’article 1er de la
convention dès qu’une « décision judiciaire ou administrative est requise pour la mise
en place des organes de protection ». Si la distinction entre rapport ex lege et mesures de

220
V. Y. LEQUETTE : Rép. intern. Dalloz, V° Mineur, 1998, n° 21.
221
Art. 8 de la convention.
222
Art. 3 de la convention.
223
V. Y. LEQUETTE : Rép. intern. Dalloz, V° Mineur, 1998, n° 42 s.
224
V., sur l’ensemble des difficultés, Y. LEQUETTE, Le droit international privé de la famille à l’épreuve
des conventions internationales : RCADI 1994-II, t. 246, p. 59 s.
225
Y. LEQUETTE : Rép. intern. Dalloz, V° Mineur, 1998, n° 44. V. également n° 18 : l’auteur constate que
« la protection de la grande majorité des enfants est, en effet, assurée par leurs parents sans que la saisine
d’un juge soit jamais nécessaire ». De fait, la règle énoncée dans l’article 3 semble correspondre à la
nécessité d’édicter « une règle de conflit propre à répondre aux besoins de la majorité silencieuse des
familles sans problèmes » (I. BARRIÈRE-BROUSSE, L’enfant et les conventions internationales : JDI 1996.
843 s., spéc. 853), et à la volonté d’assurer la continuité du statut personnel du mineur (v. E. GALLANT,
Autorité parentale et protection des mineurs en droit international privé : Thèse Paris 1, 2000, p. 275).
M. Lequette (op. et loc. cit.) considère également que soumettre les rapports ex lege à la loi nationale du
mineur, qui est « l’instrument par excellence de la permanence du statut personnel », tout « en prévoyant
que ces rapports sont reconnus de plein droit dans tous les États contractants », assure à la protection du
mineur « une nécessaire continuité ».

132
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

protection paraît théoriquement aisée, elle est particulièrement difficile à mettre en


œuvre226.

185. L’article 3 a été interprété comme donnant compétence à la loi nationale du


mineur. Les rapports d’autorité ex lege sont donc soumis en droit français à la loi
nationale du mineur qui a sa résidence habituelle en France. Ainsi, selon la loi anglaise,
dans la famille naturelle, seule la mère exerce l’autorité parentale, sauf si le père en a
obtenu l’exercice. Lorsque l’enfant anglais a sa résidence habituelle en France, le juge
français reconnaît ce rapport ex lege, mais peut-il le modifier, décider par exemple de
confier l’exercice de l’autorité parentale au père naturel, et sur le fondement de quelle
loi peut-il agir ? Aucune position ferme ne semble se dégager de la jurisprudence
française.

186. Affirmer la possibilité de modification des règles ex lege par le juge de la


résidence habituelle en dehors d’une situation d’urgence visée par l’article 8 de la
convention de 1961, c’est, pour certains, rendre l’article 3 de la convention « lettre
morte »227. Mais ce système, qui tend à exclure la compétence des autorités de la
résidence habituelle sur le fondement de l’article 1er de la convention en présence d’un
rapport ex lege, a été rejeté228. Les compétences judiciaire et législative doivent
coïncider : considérer alors que les autorités de la résidence habituelle peuvent, par
principe, modifier un rapport ex lege en application de la loi nationale est une solution
qui doit également être écartée229. Plusieurs solutions ont été proposées230. L’une repose

226
V., sur la notion de rapport ex lege, la portée de l’article 3 de la convention, et sur les hésitations de la
jurisprudence, D. ALEXANDRE, note sous Paris 27 mai 1986 : JDI 1987. 335 s. ; Y. LEQUETTE : Rép.
intern. Dalloz, V° Mineur, 1998, n° 44 s. ; H. Gaudemet-Tallon, note sous Dijon, 29 sept. 1988 : JDI
1989. 707 s.
227
A. HUET, note sous TGI Créteil, 18 juin 1981 : JDI 1982. 452, spéc. 458.
228
V. E. GALLANT, Autorité parentale et protection des mineurs en droit international privé : Thèse Paris
1, 2000, p. 152-153 et p. 277.
229
E. GALLANT, Autorité parentale et protection des mineurs en droit international privé : Thèse Paris 1,
2000, p. 277. V. TGI Grenoble, 18 mars 1985 (JDI 1986. 1014, note G. Legier) où il est fait application
de la théorie consistant à appliquer la loi nationale de l’enfant résidant en France pour modifier le rapport
ex lege. Le commentateur de l’arrêt approuve une telle solution, à l’instar de M. Lequette qui considère
que « l’idéal serait […] que les autorités de la résidence habituelle puissent appliquer la loi nationale de
l’enfant » (note sous Dijon, 29 sept. 1988 : Rev. crit. 1989. 741, spéc. 745).
230
V., pour un bilan des difficultés et des diverses options possibles, Y. L EQUETTE, note sous Civ. 1re,
3 juin 1982 : Rev. crit. 1984. 127, spéc. 129 s. Certains auteurs proposent également de supprimer toute
restriction à l’intervention des autorités de la résidence habituelle, lesquelles pourraient prendre les
mesures de protection prévues par leur loi interne « même dans le cas où un rapport d’autorité résulterait
de plein droit de la loi nationale du mineur » (voir le compte-rendu de la thèse de Mme Boelck par
M. Lagarde : Rev. crit. 1984. 230).

133
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

sur « l’aménagement » du rapport ex lege, non sur sa « modification » : les autorités de


la résidence habituelle peuvent prendre, en application de leur loi, les mesures qui ne
vont pas à l’encontre du rapport ex lege tel qu’il résulte de la loi nationale231. Une autre
solution consiste à admettre que les autorités de la résidence habituelle sont
compétentes, mais uniquement pour prendre des mesures dont le principe est prévu par
la loi personnelle du mineur : les autorités de la résidence habituelle peuvent modifier
les règles relatives à l’autorité parentale, mais dans les limites, aux conditions de la loi
nationale du mineur232. Ces solutions impliquent que les juridictions du lieu de
résidence habituelle du mineur saisies connaissent le contenu de la loi nationale de ce
mineur et la comparent avec la leur, l’appliquent en quelque sorte « distributivement »
ou retiennent « le dénominateur commun ».

187. Toutes ces difficultés devraient être gommées avec l’entrée en vigueur de la
convention de La Haye de 1996 sur la protection des enfants. Cette convention pose le
principe de la compétence des autorités de l’État contractant de la résidence habituelle
de l’enfant233. On l’a vu, il existe certaines dérogations au chef de compétence fondé sur
la résidence habituelle de l’enfant234. Mais que les autorités saisies soient celles de la
résidence habituelle de l’enfant ou d’autres autorités à titre dérogatoire, le principe,
exprimé dans l’article 15, par. 1, de la convention, est que, dans l’exercice de leur

231
V. E. GALLANT, Autorité parentale et protection des mineurs en droit international privé : Thèse Paris
1, 2000, p. 278.
232
V. Y. LEQUETTE : Rép. intern. Dalloz, V° Mineur, n° 52 ; note sous Dijon, 29 sept. 1988 : Rev. crit.
1989. 744, spéc. 745 ; Le droit international privé de la famille à l’épreuve des conventions
internationales : RCADI 1994-II, t. 246, n° 86 ; P. M AYER et V. HEUZÉ , Droit international privé :
Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd., 2001, n° 544 (« les autorités du pays de la résidence
habituelle du mineur sont compétentes, en application de l’article 1er de la Convention [pour aménager un
rapport d’autorité ex lege] ; il est souhaitable toutefois qu’elles respectent les exigences de la loi
nationale ») ; E. GALLANT, Autorité parentale et protection des mineurs en droit international privé :
Thèse Paris 1, 2000, p. 278-279.
233
Art. 5 de la convention.
234
Ces dérogations ont déjà été évoquées (cf. supra n° 159), mais on peut rapidement rappeler les
diverses hypothèses. Lorsque l’enfant est réfugié ou qu’il a été internationalement déplacé par suite de
troubles prévalant dans son pays, les autorités de l’État contractant sur le territoire duquel il est
« présent » sont compétentes (art. 6). Les autorités de la résidence habituelle de l’enfant peuvent, s’il en
va de l’intérêt supérieur de l’enfant, déléguer leur compétence (art. 8) ; à l’inverse, d’autres autorités que
celles de la résidence habituelle peuvent leur demander l’autorisation d’exercer la compétence protectrice
qui revient par principe aux autorités de la résidence habituelle (art. 9). Dans tous les cas d’urgence, les
autorités d’un État contractant sur le territoire duquel l’enfant ou des biens lui appartenant se trouvent
sont compétentes (art. 11). En outre, les autorités d’un État contractant compétentes pour statuer sur le
divorce ou la séparation de corps d’un enfant résidant dans un autre État contractant peuvent prendre des
mesures de protection de la personne ou des biens de l’enfant (art. 10).

134
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

compétence, elles appliquent leur propre loi, celle qu’elles connaissent le mieux235. La
confusion des compétences juridictionnelle et législative est donc le principe.

188. Néanmoins, elle est assortie de deux exceptions. La première est générale,
elle s’applique quelle que soit l’autorité saisie. Les autorités saisies au titre de la
résidence habituelle ou sur un autre fondement peuvent ne pas appliquer leur loi : « dans
la mesure où la protection de la personne ou de l’enfant le requiert, elles peuvent
exceptionnellement appliquer ou prendre en considération la loi d’un autre État avec
lequel la situation présente un lien étroit »236. M. Lagarde, rapporteur de la convention,
souligne qu’il s’agit là d’une clause d’exception, fondée non pas sur « le principe de
proximité (liens les plus étroits), mais sur l’intérêt supérieur de l’enfant »237. Si « un »
lien simplement étroit suffit, l’article devra tout de même être interprété suffisamment
strictement, il devra rester d’utilisation exceptionnelle238. La seconde exception à la
coïncidence des compétences correspond à l’hypothèse d’un changement de résidence
habituelle239 : les mesures prises par l’ancienne résidence habituelle du mineur, en
application de la loi de l’État de cette ancienne résidence habituelle, subsistent240. Mais,
selon les dispositions de l’article 15, par. 3, c’est la loi de la nouvelle résidence
habituelle qui régira les « conditions d’application » des mesures prises dans l’État de
l’ancienne résidence habituelle241. Des entorses au parallélisme des compétences
juridictionnelle et législative existent donc, elles répondent à un soucis de souplesse et
d’efficacité, mais sont envisagées dans des cas très limitatifs qui répondent à l’intérêt du
mineur. En revanche, avec les règlements communautaires n° 1347/2000 et
n° 2201/2003, cette coïncidence des compétences pourrait être remise en question.

235
D’ailleurs, les mesures prises « s’exécuteront pour l’essentiel dans l’État de l’autorité qui les aura
prises. Leur mise en œuvre sera donc plus facile si elles sont conformes à la loi de cet État » (P.
LAGARDE, Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIIIe Session de la Conférence de La Haye,
1996, t. II, Protection des enfants, n° 86).
236
Art. 15 §2 de la convention. Mais, sur le fondement de l’article 17 de la convention, seule la loi de la
résidence habituelle de l’enfant s’applique en ce qui concerne l’exercice de l’autorité parentale.
237
P. LAGARDE , Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIIIe Session de la Conférence de
La Haye, 1996, t. II, Protection des enfants, n° 89.
238
À la fois pour assurer la prévisibilité des solutions (V. B. AU D I T , Droit international privé :
Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 103) et pour ne pas ruiner le nouveau système. V.
E. GALLANT, Autorité parentale et protection des mineurs en droit international privé : Thèse Paris 1,
2000, p. 292.
239
Sur ce point, cf. infra n° 358.
240
Art. 14 de la convention.
241
P. LAGARDE , La nouvelle convention de La Haye sur la protection des mineurs : Rev. crit.
1997. 217 s., spéc. 230-231.

135
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

c. La remise en cause de la coïncidence des compétences

189. Les règlements « Bruxelles II » et « Bruxelles II bis » ne visent que la


compétence des autorités en matière de désunion et de responsabilité parentale, la
reconnaissance et l’exécution de ces décisions. Ils l’emportent sur d’autres textes
conventionnels, notamment la convention de La Haye de 1961242 et celle de 1996243.
Ces textes communautaires ne concernent pas la loi applicable. Si le contentieux de la
désunion relève en droit français des dispositions de l’article 310 du Code civil, la
question de la loi applicable en matière de responsabilité parentale semble plus délicate.

190. Avant l’adoption du règlement n° 1347/2000 qui envisage une prorogation


de compétence en matière de responsabilité parentale au profit des juridictions saisies
d’une action en désunion, le juge français qui était compétent sur le fondement de
l’article 1070 du Nouveau Code de procédure civile ne pouvait statuer sur la question de
l’autorité parentale que si l’enfant avait sa résidence habituelle en France244 ou si
l’enfant avait la nationalité française245 (dans les autres cas, deux actions devant deux
pays différents devaient être engagées : l’une relative à la question du divorce ; l’autre
relative à la question de l’autorité parentale et, notamment, des modalités concernant
l’exercice du droit de visite).

191. Aujourd’hui, avec le règlement « Bruxelles II », les juridictions saisies du


contentieux de la désunion conservent leur compétence pour la question de la
responsabilité parentale dans deux cas de figure. Le premier cas concerne l’enfant qui a
sa résidence habituelle sur le territoire de cet État. Si les juridictions françaises sont
saisies sur ce fondement, le règlement ne heurte pas la convention de La Haye de 1961 :
les autorités de la résidence habituelle désignées par le règlement sont les mêmes que
celles désignées par la convention qui prévoit que les autorités saisies appliquent leur
propre loi246. Le second cas est relatif à l’enfant qui a sa résidence habituelle sur le

242
Art. 37 du règlement n° 1347/2000 et art. 60, pnt a) du règlement 2201/2003.
243
Art. 37 du règlement n° 1347/2000 et art. 61 du règlement 2201/2003.
244
Sur le fondement des articles 1 et 2 de la convention de La Haye de 1961.
245
Sur le fondement de l’article 4 de la convention de La Haye de 1961 et aux conditions envisagées par
cet article.
246
Cependant, le caractère obligatoire du règlement a pour conséquence que ce sont les juridictions de
l’État de la résidence habituelle de l’enfant qui doivent statuer sur la question de la responsabilité
parentale si elles sont saisies d’une question de désunion. Or, si l’enfant a sa résidence habituelle en
France et qu’il est, par exemple, italien ou suisse, et que les juridictions françaises sont saisies du divorce,
l’Italie ou la Suisse ne peuvent statuer sur la responsabilité parentale sur le fondement de l’article 4 (qui

136
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

territoire d’un État membre. L’État de la résidence habituelle de l’enfant est lié par le
règlement : ses juridictions ne peuvent alors pas statuer sur le fondement de la
convention de La Haye de 1961 et doivent reconnaître la compétence de la juridiction
de la désunion (il est donc dérogé à la convention de La Haye). La compétence du juge
de la désunion n’étant pas fondée sur la convention, le texte conventionnel ne peut alors
fonder la loi applicable et le juge saisi (celui de la désunion) ne peut que se référer à ses
règles de droit commun pour statuer sur la question de la responsabilité parentale247. Or,
en droit français, la doctrine hésite sur la question de la loi applicable à l’autorité
parentale : faut-il appliquer à tous les enfants leur loi nationale ? convient-il de
distinguer entre l’enfant naturel qui serait soumis à sa loi nationale et l’enfant légitime
qui serait assujetti à la loi des effets du mariage248 ? On considérait en droit français que
ce débat était devenu essentiellement théorique depuis l’entrée en vigueur de la
convention de La Haye de 1961 puisque la quasi-totalité des situations soumises aux
juridictions françaises relevaient de ce texte ; en fait, la question présente à nouveau tout
son intérêt depuis l’entrée en vigueur du règlement. Par conséquent, lorsque le juge
français est saisi d’une action en désunion, il doit, si l’enfant a sa résidence habituelle
sur le territoire d’un autre État membre, opter pour l’une des solutions évoquées en ce
qui concerne la loi applicable à la responsabilité parentale.

192. Par ailleurs, le règlement « Bruxelles II bis » prévoit que, quel que soit le
lieu de résidence habituelle du mineur, les autorités compétentes pour une question de
désunion pourront statuer sur l’autorité parentale. Faudra-t-il, notamment, distinguer
divers cas de figure, selon que l’enfant a ou n’a pas sa résidence habituelle sur le
territoire d’un État membre de l’Union européenne, d’un État ayant ratifié la convention
de La Haye de 1961 ou de 1996, ou sur le territoire d’un État n’ayant ratifié aucun de
ces deux textes ? L’article 10 de la convention de 1996 prévoit que les autorités d’un
État contractant conservent leur compétence pour statuer sur la question de la
responsabilité parentale d’un enfant « résidant habituellement dans un autre État

envisage la compétence des autorités de l’État dont le mineur est ressortissant) de la convention de
La Haye de 1961.
247
V., en ce sens, P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit
privé, 7e éd., 2001, n° 622. – Le juge compétent pour statuer sur la désunion doit également se référer à
ses règles de droit commun lorsque l’enfant a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre
qui n’a pas ratifié la convention.
248
On peut se demander si la distinction n’est pas désormais en contradiction avec la loi du 4 mars 2002
sur l’autorité parentale qui, sur cette question, ne distingue plus entre la nature des filiations.

137
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

contractant » ; elles appliquent alors leur propre loi249. Sauf dans cette hypothèse, la
France, faute d’être compétente sur le fondement d’une convention qui envisage la loi
applicable à la question de la responsabilité parentale devra, semble-t-il, à nouveau se
tourner vers ses règles de droit commun.

193. Les mêmes difficultés se poseront lorsque l’on se trouvera dans une
hypothèse de dérogation à la compétence de principe des autorités de la résidence
habituelle du mineur250. Si les conditions de l’article 12, par. 3, du règlement sont
remplies251, le juge français pourra se trouver saisi alors que, par hypothèse, l’enfant
aura sa résidence habituelle hors du territoire français, peut-être même sur le territoire
d’un État tiers qui n’est pas partie contractante à la convention de 1996. Même si
l’enfant a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État partie à la convention de
La Haye de 1996, on ne voit pas très bien sur quel article de la convention le juge
pourrait se fonder pour la question de la loi applicable puisque ce texte pose le principe
de la compétence des autorités de la résidence habituelle de l’enfant.

194. En d’autres termes, si les autorités désignées par le règlement sont les
mêmes que celles qui auraient été compétentes en application de la convention de
La Haye de 1996252, on peut considérer que la loi désignée par le second texte (i.e. la loi
de la résidence habituelle) est susceptible de s’appliquer. Mais dans la mesure où le
règlement prévoit que les autorités qui ne sont pas celles de la résidence habituelle de
l’enfant peuvent être compétentes, il convient de se référer aux règles de droit commun
français pour ce qui concerne la loi applicable. Alors probablement faudra-t-il
réaménager ces règles. En effet, en dehors même du fait que le droit commun distingue
entre natures de filiation différentes, il n’y a plus forcément de coïncidence entre les
compétences juridictionnelle et législative, ce qui, pour les juridictions françaises,
n’irait sans doute pas sans poser problème.

249
Selon l’article 15 de la convention. – Une disposition en ce sens a également été adoptée dans la
convention de La Haye de 1961 (art. 15), mais l’État contractant est libre de souscrire à cette réserve. Le
28 février 1984, la France a levé la réserve à laquelle elle avait souscrit. V. A. BIGOT , L’autorité
parentale dans la famille désunie en droit international privé : PUAM, 2003, n° 205-208 ; L a
responsabilité parentale après désunion du couple en Europe. Étude de droit international privé : Rev.
Marché commun 2003, n° 465, p. 111 s., spéc. p. 115.
250
La compétence de principe résulte de l’article 8 du règlement.
251
I.e. si l’enfant a un lien étroit avec un État membre du fait, en particulier, que l’un des titulaires de la
responsabilité parentale y a sa résidence habituelle ou que l’enfant a la nationalité de cet État, que la
compétence de cet État a été acceptée par les parties et que cette compétence est dans l’intérêt de l’enfant.
252
Ou de la convention de 1961.

138
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

B. Le pragmatisme de la coïncidence des compétences

195. La confusion des compétences aboutit dans la quasi-totalité des litiges à


l’application de la loi du for, évidemment la plus simple pour le juge (1.), mais quant
aux conséquences de cette coïncidence, quelques réserves peuvent être faites (2.).

1. L’application de la loi du for

196. On sait les difficultés qu’ont les juridictions à appliquer non seulement une
loi étrangère, mais les règles de droit international privé en général253. Une enquête254
réalisée en 1999 montre que la nationalité des plaideurs ne fait pas, en pratique, l’objet
d’un contrôle de la part des praticiens du droit255 et qu’elle n’est que rarement prise en
compte dans la résolution des litiges. Cette mise à l’écart de la nationalité des plaideurs
peut s’expliquer, entre autres, par le fait que les intéressés ignorent parfois eux-mêmes
leur nationalité ; elle peut également résulter des difficultés de preuve en la matière. De
fait, l’élément d’extranéité n’apparaît pas toujours dans l’acte introductif d’instance256 et
les magistrats ne poussent pas toujours très loin les investigations en la matière. Par
ailleurs, même si le juge saisi sait que le litige relève de l’ordre international, qu’il doit
appliquer une convention ou une loi étrangère, il ne le fait pas forcément, en particulier
lorsque les parties n’en demandent pas l’application257.

197. On connaît le rôle du juge face aux textes internationaux, l’étendue de son
obligation d’appliquer, au besoin d’office, la règle de conflit et la loi étrangère

253
V. J.-P. NIBOYET, Le rôle de la justice internationale en droit international privé : conflit de lois :
RCADI 1932-II, t. 40, p. 153 s., spéc. n° 23 s.
254
L’étranger en France, face et au regard du droit, ss dir. H. FULCHIRON : Centre de droit de la famille,
Université Jean-Moulin, Lyon 3, Ministère de la Justice, Mission de recherche « Droit et Justice »,
avril 1999.
255
À Lyon tout au moins.
256
V., sur l’obligation pour le juge de relever les éléments d’extranéité, H. FULCHIRON , Le juge de la
famille et la loi étrangère (à propos de Cass. 1re civ., 26 mai 1999) : Dr. fam. 2000. p. 6-7.
257
À titre d’exemple, on sait que, sur le fondement de la convention franco-marocaine, le juge français
saisi doit appliquer au divorce de deux époux marocains résidant en France la loi marocaine. Les
magistrats lyonnais, interrogés au cours de l’enquête, n’appliquent pourtant ce texte que lorsqu'il est
invoqué par l’un des deux époux marocains, ou les deux. Ils n’ignorent pas qu’ils devraient l’appliquer
d’office, mais ne souhaitent pas le faire : pourquoi appliquer une loi étrangère, alors que les deux époux
résidant en France demandent l’application de la loi française, et, dans l’hypothèse où ils le feraient, quel
« type » de divorce prononceraient-ils ? De plus, une fois la loi étrangère compétente désignée, elle risque
d’être évincée sur le fondement de l’ordre public international. Le souci de simplifier le contentieux
lorsque cela est possible (les époux satisfaits n’interjetteront pas appel) et les difficultés qu’il y a à faire
application du droit étranger, ont semblé guider ces réponses.

139
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

compétente258. On ne peut ignorer la lourdeur de la tâche qui lui incombe, quant à la


détermination ou à l’interprétation du texte applicable à l’espèce. De fait, les entrelacs,
les méandres que forment tous les textes, qu’ils soient de source internationale ou
communautaire, les rendent quasiment hermétiques à toute compréhension.
Prolifération et empiétements des textes259 semblent en effet régner en droit
international privé et, là où le non-initié se perd tout à fait, le juriste hésite encore trop
souvent. Le problème de l’application d’une loi étrangère se pose sous un aspect
technique et matériel : si certaines règles de droit international privé sont
particulièrement difficiles à comprendre (l’articulation entre les différents textes de
droit international privé l’est assurément), il se peut également que les magistrats
manquent de temps et de moyens, ou ne reçoivent pas en la matière de formation
adéquate. S’il apparaît nécessaire de tenir compte de ce constat, il est également
possible de remédier à des types de difficultés matérielles qui ne semblent pas
insurmontables. En revanche, une autre difficulté vient de ce que, lorsque la loi
étrangère est désignée, se pose la question de savoir ce que les juges doivent prendre
dans cette loi étrangère (droit matériel seulement ? ou application d’un éventuel
renvoi ?) ; ils leur appartient également de déterminer le contenu exact de la loi
étrangère260 en question.

198. « J’aime mieux la loi française que la loi étrangère… »261. Le Conseiller
Denis ne pouvait être plus clair. De fait, l’application de la loi étrangère doit être
« exceptionnelle »262. Choisir un chef de compétence fondé sur la résidence habituelle et
recourir au même critère pour résoudre le conflit de lois, ou encore absorber le conflit
de lois en retenant que les autorités, saisies sur le fondement de la résidence,
appliqueront leur propre loi entraîne une application exceptionnelle de la loi étrangère.
Dans tous les textes étudiés, c’est bien leur « loi » interne, et non leur « droit », que les

258
Voir l’arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 1999 (Rev. crit. 1999, 2e esp., 707, note H. Muir-Watt ;
Defrénois 1999. 1261, note J. Massip ; JCP 1999. II. 10243, note F. Melin) et l’article de M. FULCHIRON,
Le juge de la famille et la loi étrangère (à propos de Cass. 1re civ., 26 mai 1999) : Dr. fam. 2000. p. 4 s.
259
V. à titre d’exemple la thèse de A. MALAN, La concurrence des conventions d’unification des règles
de conflits de lois : PUAM, 2002.
260
V. par exemple J.-P. NIBOYET, Le rôle de la justice internationale en droit international privé : conflit
de lois : RCADI 1932-II, t. 40, p. 153 s., spéc. p. 175 s.
261
Cité par B. A NCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit
international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, p. 159, n° 6.
262
P. MALAURIE, La législation de droit international privé en matière de statut personnel : TCFDIP
1975-1977, p. 177 s., spéc. p. 183.

140
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

autorités saisies appliquent et les règles de droit international privé se trouvent par
conséquent évincées263, toute règle de conflit autre que celle posée par la convention
étant en effet écartée264. Ce système a l’avantage de la clarté et de la simplicité, il
facilite grandement l’application des conventions265. Il est d’autant plus avantageux que
la question d’un éventuel renvoi semble exclue266, puisque c’est de la loi « interne »
qu’il s’agit267. Un autre avantage tient à ce que si la loi de la résidence habituelle est
celle du for, que les compétences juridictionnelle et législative coïncident alors que la
résidence habituelle constitue le facteur de rattachement, le juge, en la circonstance, n’a
pas à écarter une loi étrangère sur le fondement de l’ordre public international ; or, la
doctrine s’accorde à considérer qu’il convient de limiter au maximum le recours à
l’ordre public268.

199. L’avantage que procure la confusion des compétences n’est fondé que s’il se
justifie sur le plan des principes de droit international privé. Cette confusion ne saurait
résulter de la seule nécessité de faciliter le travail des magistrats.

2. Des réserves quant à la coïncidence des compétences

200. La convention de 1902 sur la tutelle des mineurs269 ne réglait pas le


problème de la compétence judiciaire, mais, selon Mme Simon-Depitre, « dans l’esprit
de ses auteurs, la compétence judiciaire était certainement liée à la compétence
législative »270. Aujourd’hui, le mouvement est inversé. La question de la compétence

263
V., par exemple, Actes et documents de la VIIIe Session de la Conférence de La Haye, 1956, t. II,
p. 127.
264
V. P. BELLET, Les nouvelles conventions de La Haye en matière d’obligations alimentaires : JDI 1974.
5 s., spéc. 10.
265
V. W. VON STEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents de la IXe Session, t. IV, Protection des
mineurs, 1960, p. 119 s., spéc. p. 226.
266
Sur la soumission de l’obligation alimentaire à la loi interne de la résidence habituelle du créancier et
son incompatibilité avec un renvoi, v. P. BELLET , Les nouvelles conventions de La Haye en matière
d’obligations alimentaires : JDI 1974. 5 s., spéc. 9.
267
Le procédé est courant au sein des conventions de La Haye (cf. M. VERWILGHEN, Rapport explicatif
sur le projet de Convention adopté par la Douzième session : Actes et documents de la XIIe session,
1972, t. IV, Obligations alimentaires, n° 168). V. pourtant la convention de La Haye de 1980 sur les
aspects civils de l’enlèvement international d'enfants qui se réfère au « droit » de l’État dans lequel
l’enfant avait sa résidence habituelle avant son déplacement ou son non-retour.
268
Sur la question de l’ordre public international, cf. infra 2e partie, titre 2.
269
Convention du 12 juin 1902.
270
M. SIMON -D EPITRE, La protection des mineurs en droit international privé : TCFDIP 1958-1962,
p. 109 s., spéc. p. 114.

141
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

législative est absorbée par celle de la compétence juridictionnelle271 ; il y a « un


déplacement du centre de gravité du droit international privé vers le règlement des
compétences »272. Mme Mayer a constaté cette tendance à mettre l’accent non plus sur
une règle générale et abstraite, mais sur la décision concrète prise par l’autorité
compétente, qui s’inscrit dans un mouvement de concrétisation du droit de la famille.
Les « circonstances de fait paraissent souvent plus importantes que les considérations de
pur droit »273.

201. Les vertus accordées à la confusion des compétences sont multiples, mais
certains la regrettent. Ainsi, Batiffol a estimé qu’elle aboutissait à une négation des
bases du droit international privé et que « lier la compétence législative à la compétence
judiciaire nous ramènerait […] au douzième siècle »274. De fait, cette confusion
contrecarre l’un des principes les mieux établis en droit international privé : celui de la
séparation des conflits de lois et de juridictions qui « constitue l’une des assises les plus
solides du droit international privé »275. On connait la position de M. Lequette276
dénonçant l’utilitarisme dans les conventions de La Haye : ces conventions, cherchant à
atteindre à tout prix un résultat matériel précis, prennent des libertés importantes avec
les principes fondateurs du droit international privé. Les fins poursuivies sont justes,
mais le moyen choisi peut se révéler inadapté.

202. L’objectif d’une règle de compétence est judiciaire : on recherche si « le for


saisi présente au moins un lien étroit avec litige »277 ; les motifs relèvent essentiellement
de l’ordre pratique et obéissent à des considérations plus matérielles dans la mesure où
il s’agit avant tout de satisfaire un objectif procédural orienté vers l’organisation
concrète, pragmatique du litige. L’objectif d’une règle de conflit de lois est juridique :

271
V. I. BARRIÈRE-BROUSSE, L’enfant et les conventions internationales : JDI 1996. 843 s., spéc. 846.
Selon auteur, « la part des règles de conflit de lois dans les conventions se réduit comme une peau de
chagrin ».
272
A. E. VON OVERBECK, Divers aspects de l’unification du droit international privé, spécialement en
matière de successions : RCADI 1961-III, t. 104, p. 529 s., spéc. p. 551.
273
D. MAYER, Évolution du statut de la famille en droit international privé : JDI 1977. 447 s., spéc. 466.
274
H. BATIFFOL, Une évolution possible de la conception du statut personnel dans l’Europe continentale,
in Choix d’articles rassemblés par ses amis : L.G.D.J. 1976, p. 213 s., spéc. p. 223.
275
Y. LEQUETTE, Le droit international privé de la famille à l’épreuve des conventions internationales :
RCADI 1994-II, t. 246, p. 9 s., spéc. p. 57.
276
Y. LEQUETTE, Le droit international privé de la famille à l’épreuve des conventions internationales :
RCADI 1994-II, t. 246, p. 9 s. ; De l’utilitarisme en droit international privé conventionnel de la famille,
in L’internationalisation du droit : Mélanges en l’honneur d’Y. Loussouarn, Dalloz, 1994, p. 245 s.

142
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

on recherche cette fois « les liens les plus étroits »278 permettant de désigner la loi la
plus apte à régir le litige en raison des relations significatives qu’elle entretient avec
lui279. La préoccupation essentielle est de « désigner le droit qui présente les liens les
plus nombreux ou les plus significatifs avec le cas d’espèce et qui, en raison de ces
liens, est présumé assurer la solution appropriée du litige »280. Pour choisir le critère de
rattachement, on s’interroge sur la question de droit posée pour en déduire « quel
élément la localise, c'est-à-dire quel élément détermine l’ordre juridique avec lequel elle
présente objectivement les liens les plus significatifs281.

203. Il se peut, il est même certain, que le for de la résidence habituelle présente
généralement des liens suffisamment étroits avec le litige pour justifier la compétence
juridictionnelle ; il se peut également qu’on la retienne comme élément de rattachement
des conflits de lois parce que la loi de la résidence habituelle présente objectivement les
liens les plus étroits avec un système juridique. Si tel est le cas, la coïncidence des
compétences ne peut souffrir aucune critique. Mais, considérer le principe de
l’alignement des compétences de manière absolue, le justifier en particulier parce que la
solution à laquelle elle aboutit est indéniablement la plus simple pour le juge282, ne peut
suffire. De fait, elle mettrait à mal les fondements des règles de droit international privé,
les mécanismes de base283. Ainsi, M. Lequette, très critique quant à la systématisation
de l’alignement des compétences, admet qu’elle est « une bonne chose lorsqu'elle est le
résultat d’un parallélisme des rattachements utilisés par les règles de conflits de lois et
de conflits de juridictions cherchant à répondre aux préoccupations qui leurs sont
propres, [mais qu’elle] ne doit jamais être érigée comme une fin en soi. Autant dire que
si, lors de l’élaboration de la règle de conflit de lois, la possibilité d’une éventuelle

277
P. LAGARDE, Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain : RCADI 1986-
I, t. 196, p. 9 s., spéc. p. 131.
278
P. LAGARDE, Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain : RCADI 1986-
I, t. 196, p. 9 s., spéc. p. 27.
279
V. É. PATAUT, Principe de souveraineté et conflits de juridictions (Étude de droit international privé) :
L.G.D.J., Bibliothèque de droit privé, t. 298, 1999.
280
É. VASSILAKAKIS, Orientations méthodologiques dans les codifications récentes du droit international
privé en Europe : L.G.D.J., Bibliothèque de droit privé, t. 195, 1987, n° 65.
281
P. M AYER et V. H EUZÉ , Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 114.
282
Cet argument est le plus fréquemment énoncé.
283
V. H. B ATIFFOL , Observations sur les liens de la compétence judiciaire et de la compétence
législative, in De conflictu legum : Mélanges offerts à Roeland Duco Kollewijn et Johannes Offerhaus à
l’occasion de leurs soixante-dixième anniversaires, A. W. Sijthoff, Leyde, 1962, p. 55 s.

143
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

coïncidence doit être prise en compte, la préoccupation première doit rester la


satisfaction de l’objectif juridique »284.

204. On peut, face à cette analyse, faire valoir la position de M. von Steiger qui
souligne que, même si on déplore l’unité de forum et de jus, cette évolution est une
réalité et qu’elle est due à des nécessités pratiques. Il a constaté que « dans certains
domaines du droit, et notamment en matière de protection des mineurs où l’intervention
des autorités est au centre de toute chose, la répartition des compétences et, partant, des
responsabilités est la question primordiale. Le postulat de l’unité de forum et de jus
appartient au même ordre d’idée »285. Quoi qu’il en soit, on peut s’interroger, comme l’a
fait Mme Simon-Depitre286, sur le risque qu’il y a, par le biais de la confusion des
compétences juridictionnelle et législative, de l’absorption de la seconde par la
première, à voir toute la catégorie du statut personnel être soustraite aux règles de
compétence législative : « on a fait remarquer que la protection des mineurs touchait à
la capacité, qu’elle touchait aussi à l’organisation de la famille et on s’est demandé si,
de proche en proche, ce n’était pas tout le statut personnel qui allait, ainsi, être soustrait
aux règles de conflits de lois ». M. Lequette s’est également inquiété de l’absorption du
statut personnel, mais par la loi régissant les aliments287. Alors qu’il était de tradition de
considérer que la loi qui régissait le lien de famille devait déterminer également les
conséquences découlant de ce lien, avec les conventions relatives aux obligations
alimentaires, la détermination de la loi applicable aux aliments découle de règles de
conflit spéciales, autonomes. Dès lors se pose le problème de leur articulation avec le
statut personnel : quelle loi appliquer à la question de l’existence d’un lien de famille,
par exemple, lorsque la question se pose à l’occasion d’une demande principale en
aliments ? Une majorité d’auteurs estime que la question accessoire du lien de famille
doit être résolue sur le fondement de la loi applicable aux aliments. Encore une fois,
cette solution est présentée comme adéquate car la plus simple : elle conduit à
l’application de la loi du for dans la quasi-totalité des hypothèses, puisque, le plus

284
Y. LEQUETTE, Le droit international privé de la famille à l’épreuve des conventions internationales :
RCADI 1994-II, t. 246, p. 99.
285
W. E. VON STEIGER, La protection des mineurs en droit international privé : RCADI 1964-II, t. 112,
p. 469 s., spéc. p. 485.
286
M. SIMON -D EPITRE, La protection des mineurs en droit international privé : TCFDIP, 1958-1962,
p. 109, spéc. p. 124.
287
Y. LEQUETTE, Le droit international privé de la famille à l’épreuve des conventions internationales :
RCADI 1994-II, t. 246, p. 102 s.

144
CHAPITRE 2. LES AVANTAGES DE LA RÉSIDENCE

souvent, les tribunaux sont saisis sur le fondement de la résidence habituelle, qu’ils
appliquent également à titre de principe la loi de la résidence habituelle. Cette
interprétation vient de ce qu’une dissociation de la loi applicable à la filiation et de la loi
applicable aux aliments serait jugée inopportune. La loi de la résidence habituelle,
appliquée à l’établissement de la filiation, est-elle pour autant la loi qui entretient les
liens objectivement les plus étroits avec le litige ? M. Lequette ne semble pas le penser :
« le renversement de perspective est complet. Alors qu’auparavant on s’attachait
d’abord à fixer fermement le statut familial de l’individu et qu’on déduisait ensuite de
celui-ci les conséquences qui y étaient attachées, on appréhende désormais ce statut à
travers la loi qui régit l’effet recherché. En bref, le principal est désormais mis à la
remorque de l’accessoire »288.

288
Y. LEQUETTE, Le droit international privé de la famille à l’épreuve des conventions internationales :
RCADI 1994-II, t. 246, p. 108.

145
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

146
CONCLUSION DU CHAPITRE 2.

205. Le pragmatisme de la notion de résidence est sa caractéristique essentielle, il


est incontesté. Dégagée de toute contingence nationale, il n’y a pas à se référer à un
quelconque ordre juridique pour la déterminer, il n’y a pas à définir la loi qui lui est
applicable. Exprimant une proximité purement matérielle, elle est au lieu où la personne
visée vit effectivement, elle implique une localisation authentique. C’est d’ailleurs
pourquoi elle est un élément de rattachement idoine, retenu en particulier dans les
conventions internationales ayant pour objectif la protection des personnes.

206. Le seul élément qui prête à discussion est l’assertion selon laquelle elle est
une « notion de fait », qui semble justifier tous les avantages, toutes les caractéristiques
qu’on lui reconnaît. En dehors du fait qu’il est difficile de comprendre à quoi cette
expression correspond exactement, on ne peut que conclure, en l’analysant, qu’elle est
une notion juridique, composée d’éléments de fait. Ce qualificatif n’empêche pas
qu’une définition ne puisse, et surtout ne doive, être énoncée, particulièrement en des
termes généraux et abstraits, faute de quoi elle perdrait une grande part de son intérêt
qui est de rester une notion simple, proche de son sens courant. La définir reviendrait à
introduire des possibilités de spéculations sur son contenu et aboutirait fatalement à des
divergences nationales, alors même qu’elle sert de critère de rattachement en droit
international privé et qu’en substituant ce critère à celui de domicile, c’est ce que l’on a
cherché à éviter. Par ailleurs, qualifier un concept « de fait » et « de droit » ne semble
pas être essentiel dans la mesure où l’étendue du contrôle de la Cour de cassation ne
dépend pas en pratique d’une telle qualification, mais semble plutôt obéir à une
politique jurisprudentielle. Quoi qu’il en soit, avoir une notion non définie n’est pas un
défaut en soi ; au contraire, l’imprécision permet une appréciation in concreto qui est
essentielle en ce qui concerne la résidence.

207. Le critère de résidence est souple, il a l’avantage de la simplicité. Il a été


choisi pour déterminer les règles de compétence juridictionnelle. Il sert également de
facteur de rattachement dans les conflits de lois. Les objectifs de ces deux règles de
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

compétence étant différents, il est normal que les avantages qu’il y a à retenir la
résidence dans ces deux hypothèses le soient également. Le choix est fondé en matière
de compétence judiciaire essentiellement sur le fait d’une proximité matérielle,
géographique entre le for et le litige ; or, non seulement la résidence constitue un lien
suffisamment étroit pour justifier qu’on le retienne, mais le plus souvent elle est le
critère le plus adéquat. En matière de compétence législative, elle s’est également
imposée à plus d’un titre, elle est particulièrement protectrice des personnes considérées
par la situation.

208. Les avantages qu’il y a à la retenir en matière de compétence


juridictionnelle ou législative sont encore plus importants si l’on considère qu’elle sert
dans le même temps à fonder les deux compétences. La coïncidence des compétences a
été envisagée comme un élément essentiel. Elle est parfois liée au fait que les
conventions, ayant des objets différents mais traitant de la même matière, se répondent
(c’est le cas pour la protection des créanciers d’aliments). Dans d’autres hypothèses,
c’est au sein d’un texte unique que sont réunies les compétences. La simplicité qu’il y a
à associer les compétences, les avantages qui en résultent sont nombreux. Qu’il soit
expressément indiqué que l’autorité saisie, par principe sur le fondement de sa
résidence, applique sa propre loi, ou qu’elle applique la loi de la résidence habituelle de
l’intéressé revient en pratique au même : la lex fori s’impose. Or, quoi de plus simple
pour un juge que d’appliquer la loi du for ? La confusion des compétences a pourtant
été parfois critiquée en ce sens que la compétence judiciaire a parfois totalement
supplanté le problème de la loi applicable, alors que ces deux questions de compétence
ont des objectifs distincts qui doivent être respectés. La confusion des règles de
compétence en une seule question est un avantage si, de fait, ces règles correspondent
simplement à une réalité ; elle ne devrait cependant pas s’imposer par principe. Il est
évident que, sous cette réserve du respect des objectifs de chaque règle de conflit, elle
est une clé de répartition des compétences qui s’impose à de nombreux titres en droit
international privé.

148
CONCLUSION DU TITRE 1.

209. Le choix du critère de la résidence comme élément de rattachement dans les


conflits de juridictions et de lois va bien au-delà des raisons traditionnellement
invoquées qui seraient liées aux limites du domicile dans les rapports internationaux.
Certes, le domicile peut révéler des insuffisances. « C’est un caméléon qui change de
couleur de pays à pays » déclara un expert1. Sur le plan national, le domicile est une
notion difficile à appréhender lorsqu'il s’agit en particulier de l’appliquer dans les
rapports internationaux. Des définitions autonomes, révélatrices d’une approche
fonctionnelle de la notion, sont nombreuses. Par ailleurs, il est indéniable que son
caractère parfois fictif ou artificiel ne peut être compatible avec les objectifs de la règle
de conflit lorsqu’une proximité géographique et matérielle entre le for et le litige ou les
parties est recherchée.

210. Lorsque l’on juge nécessaire de déterminer, dans l’intérêt du bon


fonctionnement de la justice, les juridictions les plus proches des personnes concernées,
celles qui auront le moins de difficultés pour prendre connaissance des faits exacts de la
cause, pour adopter la mesure adéquate et la faire ensuite exécuter, ou lorsque que l’on
souhaite appliquer aux intéressés les lois du pays dans lequel ils sont effectivement
établis, on ne peut qu’opter pour un critère de rattachement fondé sur la réalité de la
présence en un lieu de ces personnes. Or, la résidence, simple ou qualifiée d’habituelle,
est une notion purement objective, composée d’éléments de fait. Elle est le critère le
plus susceptible d’exprimer cette proximité immédiate et matérielle, et de traduire
l’effectivité d’une situation. Si la résidence n’est pas retenue de manière exclusive,
l’importance de la place qui lui est concédée et celle du rôle qui lui est attribué en font
un élément nettement prépondérant de répartition des compétences dans l’ordre
international.

1
M. BÖHMER, Actes et documents de la Xe session de la Conférence de La Haye, 1964, t. I., Séances
plénières. Divorce, p. 294.
P.!1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T.!1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

211. Le caractère pragmatique de la notion de résidence justifie pleinement le fait


qu’on la retienne aussi fréquemment. Éminemment concrète, elle est située au lieu où
l’intéressé vit de manière suffisamment stable et effective ; elle paraît donc également
relativement aisée à déterminer. Cependant, au-delà de cette apparente simplicité, et
justement en raison de ce caractère concret, il n’est pas toujours facile de la localiser. En
effet, la mise en œuvre du critère de la résidence peut dépendre de la finalité de la règle
de conflit qui le retient.

150
TITRE 2.
LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA
RÉSIDENCE

212. S’il n’existe pas de définition formulée en des termes généraux et abstraits
de la notion de résidence, en revanche, en analysant sa mise en œuvre, en étudiant en
particulier les difficultés auxquelles peuvent être confrontés les juges chargés de
l’appliquer, il est possible de se faire une idée juste et finalement assez précise de la
notion.

213. La résidence se distingue de la simple présence en un lieu par la stabilité de


l’établissement de l’intéressé dans un pays donné. Si la notion est exclusivement
composée d’éléments de fait – elle est purement objective –, on doit se demander quels
sont ses éléments constitutifs, ceux qui peuvent être considérés comme suffisamment
révélateurs de cette stabilité, caractéristique essentielle de la notion. Si une durée de
présence physique en un lieu est nécessaire, peut-on dire à partir de quand cette simple
présence peut être révélatrice de l’existence d’une résidence, et au bout de combien de
temps cette résidence se transformera à son tour en résidence dite « habituelle » ? Ainsi,
lorsqu’une personne arrive en France pour y passer des vacances, on sait pertinemment
qu’elle n’y a pas sa résidence. On peut cependant imaginer le cas de figure suivant. La
date de retour initialement prévue approchant, la personne en question décide
finalement de prolonger son séjour, qu’afin de ne pas déranger les amis qui
l’hébergeaient, elle décide de louer un studio meublé. On lui propose un emploi
saisonnier qu’elle accepte. Une fois la saison terminée, elle souhaite reprendre ses
études, déménage pour s’installer à Paris, loue un nouvel appartement, s’achète
quelques meubles et s’inscrit dans diverses associations. L’année scolaire terminée, elle
décide de suivre une formation complémentaire et de rester en France une année de
plus. Outre qu’elle est fréquemment retournée dans son pays d’origine pour de courts
séjours afin de rendre visite à sa famille, elle est en France depuis déjà plus de deux ans
lorsqu'elle décide de se marier ; le mariage a lieu dans le sud de la France. Imaginons
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

enfin que l’année suivante, elle soit embauchée dans une entreprise parisienne (son
contrat est à durée indéterminée) et que le couple ait un enfant. Au final, il ne fait aucun
doute que cette personne a bien sa résidence habituelle en France. Pour autant, peut-on
dire à quel moment précis elle y a acquis sa résidence et à partir de quand celle-ci est
devenue habituelle ? Y a-t-il d’ailleurs une corrélation entre l’acquisition de la nouvelle
résidence et la perte de l’ancienne ?

214. Pour déterminer l’existence d’une résidence, il faut tenir compte de


l’ensemble des faits de la cause, y compris des conditions dans lesquelles ont lieu les
déplacements des intéressés. Au-delà de la question de savoir à quel moment on peut
considérer qu’une résidence s’est constituée en un lieu, il convient également d’analyser
les conséquences du changement de la résidence. Lorsque la résidence est un élément de
rattachement retenu par la règle de conflit, le déplacement des personnes peut engendrer
un conflit mobile qu’il faut alors résoudre au regard des objectifs de la règle visée et des
conditions dans lesquelles ont eu lieu le déplacement ; en particulier, le déplacement
est-il licite ou trouve-t-il, au contraire, son origine dans une voie de fait ? doit-on en ce
cas considérer le changement de résidence comme effectif ?

215. La mise en œuvre de la notion de résidence est complexe. Il convient, dans


un premier temps, de voir comment elle se détermine (Chapitre 1.) ; la question du
changement de la résidence sera ensuite évoquée (Chapitre 2).

152
CHAPITRE 1.
LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

216. On peut difficilement émettre une affirmation sur la résidence sans aussitôt
devoir nuancer le propos. On ne peut indiquer, par exemple, que pour avoir sa résidence
en un lieu, il faut y être présent depuis suffisamment longtemps, sans préciser que
« dans certains cas » on peut n’y être présent que depuis peu et néanmoins y avoir sa
résidence. De même, on ne peut dire qu’il faut être physiquement présent sur un
territoire pour y avoir sa résidence, sans indiquer que « dans certains cas » on peut être
absent de ce lieu et y conserver malgré tout sa résidence. Chaque assertion qui serait
énoncée de manière générale devrait partiellement être reconsidérée. C’est notamment
ce qui justifie l’absence de formulation de la notion en des termes abstraits. Il apparaît,
en effet, essentiel de se placer dans un contexte particulier relativement précis, propre à
chaque situation, pour déterminer l’existence ou non de la résidence d’une personne en
un lieu.

217. Si les éléments de fait constitutifs de la notion doivent être appréciés de


manière concrète et en considération de l’ensemble des circonstances de la cause, il
convient également de les interpréter au regard de la finalité des règles juridiques qui
s’y réfèrent. La notion est en effet fonctionnelle et ses éléments constitutifs doivent être
analysés au regard des objectifs de la règle de droit qui retient la résidence comme
facteur de rattachement.

218. La résidence est traditionnellement présentée comme purement objective car


elle n’est constituée que d’éléments de faits matériels, révélant une présence stable et
effective en un lieu (Section 1.) ; elle ferait, contrairement au domicile, abstraction
d’éléments psychologiques, volitifs. Pourtant, si l’on examine la doctrine et la
jurisprudence, on s’aperçoit qu’il peut être fait référence à un élément intentionnel en
cas de doute sur la réalité, sur l’effectivité de la résidence, mais que cet élément
intentionnel s’analyse assez différemment de celui requis pour constituer le domicile. Il
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

n’est pas un élément constitutif à proprement parler de la notion de résidence en ce sens


qu’il n’est pas toujours nécessaire de s’y référer. L’élément intentionnel ne fait que
combler certaines défaillances, il est seulement révélateur de l’existence ou non de la
résidence (Section 2.).

SECTION 1. LE FAIT MATÉRIEL ET OBJECTIF, ÉLÉMENT CONSTITUTIF DE LA RÉSIDENCE

219. Que l’expression de résidence apparaisse isolément, c’est-à-dire sans


adjectif pour en compléter ou en souligner le sens et les caractères, ou qu’elle soit au
contraire qualifiée de « simple », « instantanée » ou « habituelle », « permanente »,
« continue » ou « discontinue », « régulière » ou « irrégulière », en toute hypothèse, on
doit admettre que la résidence implique nécessairement une présence et que cette
présence est caractérisée par une certaine durée.

220. Une autre remarque relative au champ lexical de la notion de résidence


s’impose. La durée de la présence en France de l’étranger est révélatrice notamment de
« stabilité », d’« habitude », de « permanence », de « réalité » et d’« effectivité »,
termes très souvent employés par la jurisprudence ou la doctrine pour la qualifier.
Essayer de comprendre en quoi ils diffèrent exactement les uns des autres est
particulièrement difficile dans la mesure où ces termes indiquent, peu ou prou, la même
idée avec des nuances. La stabilité comme l’habitude supposent une certaine
permanence, une continuité, une routine ou une répétition, une installation. Dire que la
résidence doit être réelle ou effective implique à la fois un élément de durée et de
consistance matérielle – une présence physique –, et une absence de caractère fictif.
Certains de ces qualificatifs sont plus fréquemment retenus que d’autres selon le
domaine du droit considéré.

221. La résidence doit donc avoir une consistance dans le temps, elle doit
traduire une habitude et ne peut se résumer en une présence courte et fortuite1. Elle se

1
De manière générale, la doctrine considère souvent la résidence comme le lieu où la personne séjourne
de façon suffisamment stable, habituelle, alors que la simple habitation serait le lieu d’un bref séjour (par
exemple, une personne habite une chambre d’hôtel, mais n’y a pas sa résidence).

154
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

caractérise par une double approche. L’une quantitative : l’intéressé a sa résidence en un


lieu s’il y est présent depuis suffisamment longtemps ; c’est le temps écoulé de la
présence en France (§ 1.). L’autre qualitative : l’intéressé a une résidence stable et
effective en France lorsqu’il fait de ce pays son cadre de vie ordinaire, lorsqu'il s’y est
créé une habitude de vie (§ 2.).

§. 1. Une durée de présence en un lieu

222. Si la résidence requiert une présence suffisamment durable, par principe


cette présence en un lieu ne peut être éphémère ; elle exclut donc un bref séjour (A.).
Mais par ailleurs, si le terme « quantitatif » implique « la quantité, appartient au
domaine de la quantité et des valeurs numériques »2, pour déterminer la résidence, il
n’existe aucun quantum (B.) quant à une durée minimum nécessaire permettant de
constater son existence.

A. L’exclusion d’un bref séjour

223. La résidence se distingue d’une simple présence sur le territoire français3.


Qu’elle soit « simple » ou qualifiée d’« habituelle », dans les deux hypothèses, elle
exclut un bref séjour en France, une présence momentanée. L’étranger de passage dans
ce pays pour ses affaires ou pour ses vacances4 n’y a pas sa résidence5. La Cour d’appel
de Paris, dans un arrêt de 1923, énonçait que « le mot "résidence" doit s’entendre non
pas d’un déplacement momentané, d’un passage dans un pays, d’un voyage de plaisir,
d’affaires ou de commerce, d’une opération isolée, mais bien d’un séjour soit équivalent
à un domicile, soit temporaire, mais prolongé, étranger aux circonstances
accidentelles »6.

224. En droit international privé, la référence au terme de résidence utilisé sans le


qualificatif d’« habituelle » est relativement rare et en général les auteurs s’étendent en

2
Selon la définition du dictionnaire Le Robert de la langue française, V° Quantitatif.
3
V. E. M. CLIVE, The concept of habitual residence : The juridical review, 1997. 137 s., spéc. p. 139.
4
Encore que la jurisprudence a pu considérer qu’une personne en vacances chez des amis y avait sa
résidence. Sur ce point, cf. infra n° 227.
5
V. par exemple A. BUCHER , Personnes physiques et protection de la personnalité : Helbing &
Lichtenhahn, 4e éd., 1999, p. 86, n° 361.

155
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

général peu sur la question de savoir si ce sont deux notions différentes et, lorsque le
problème est abordé, les réponses ne sont pas toujours très claires ni très précises. Il
semblerait cependant que l’expression de « résidence habituelle » implique à la fois une
durée de présence supérieure à celle requise pour la simple résidence, et surtout
l’existence d’un lien traduisant un certain enracinement en France7 ; l’accent est alors
mis sur cet aspect plus qualitatif des liens qui unissent l’individu au milieu dans lequel il
vit8. Si on ne peut établir avec fermeté de distinction entre les deux notions, quelques
pistes de réflexions peuvent être données.

225. Ainsi, le règlement communautaire n° 1408/71, relatif à l'application des


régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à
l'intérieur de la Communauté9, indique que « le terme résidence signifie séjour
habituel »10. La résidence se distingue du « séjour », expression également retenue dans
ce même règlement : « le terme séjour signifie le séjour temporaire »11. C’est finalement
sur le caractère habituel auquel il est fait référence, et qui n’est pas défini, que
l’interprète doit s’interroger12. En ce sens, M. Bucher constate que « le mot "habituelle"
soulève fréquemment des interrogations et des controverses. Les tentatives répétées de

6
Paris, 10 mars 1923 : Rev. crit. 1924. 375-376.
7
D. MASMEJAN (La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse Lausanne,
1995, p. 112) rapporte qu’en droit anglais, les termes de residence, ordinary residence et de habitual
residence ont également posé des difficultés. La résidence simple revêt des sens différents dans les
diverses branches du droit et, sans jamais se confondre avec la simple présence physique, elle implique
une certaine durée. V. également sur ce point P. ROGERSON, Habitual residence : the new domicile ? :
International and Comparative Law Quarterly, Janv. 2000, p. 87 s., spéc. p. 96-97. La jurisprudence a
parfois considéré que l’habitual residence était plus durable que l’ordinary residence, que si la résidence
habituelle doit se définir en fonction des faits et circonstances propres à chaque affaire, il existe une
différence importante entre la « résidence habituelle » qui renvoie à une résidence « accoutumée,
constante et continue » et la « résidence ordinaire » (V. HC/E/NZ 30, High Court at Wellington
(Nouvelle-Zélande, 2e instance), 12 avr. 1995, H. c/ H. [1995] 12 FRNZ 498). Mais d’autres décisions
semblent assimiler les deux notions. Pour des exemples de décisions qui considèrent les notions comme
« très similaires », v. HC/E/UKe 45, High Court (Angleterre, 1re instance), 28 juin 1995, Re V.
(Abduction : Habitual Residence) [1995] 2 FLR 992, [1996] Fam Law 7. – HC/E/Uks 71, Inner House of
the Court of Session (Écosse, 2e instance), 24 oct. 1995, Cameron c. Cameron, 1996 SC 17, 1996 SLT
306, 1996 SCLR 25. – HC/E/USf 130, United Court of Appeals for the Eighth Circuit (États-Unis, 2e
instance), 13 févr. 1995, Rydder c/ Rydder, 49 F.3d 369. V. la base de données INCADAT :
http://212.206.44.26/.
8
Cf. infra n° 233.
9
Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité
sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté.
JO L 149 du 5 juill. 1971, p. 2.
10
Article 1, pnt h du règlement n° 1408/71.
11
Article 1, pnt i du règlement n° 1408/71.
12
V. les conclusions de M. Saggio, Avocat général, rendues à propos de l’affaire Robin Swaddling et
Adjudication Officer (conclusions présentées le 29 sept. 1998, Affaire C-90/97, spéc. n° 16 ; arrêt rendu le
25 févr. 1999).

156
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

définir cette notion dans les Conventions de La Haye ont régulièrement échoué, alors
que l’utilité de disposer de quelques précisions complémentaires n’est pas contestée »13,
mais on sait la position des rédacteurs quant au refus de définir le terme14.

226. Pour M. Audit15, la résidence habituelle fait prévaloir un élément objectif,


c’est « la résidence "majoritaire", l’établissement dont on ne peut nier l’effectivité parce
qu’il repose sur un "factum" dont le domicile est parfois dépourvu ». La résidence
habituelle est déterminée par « un critère objectif, celui de la durée des séjours au cours
d’une période donnée ». Ce critère peut éventuellement être corrigé par des éléments
plus qualitatifs, mais « l’approche quantitative est soulignée par l’adjonction de
l’adjectif "habituel", qui constitue un pléonasme si l’on considère que la résidence
implique nécessairement l’habitude »16. L’ajout du qualificatif « habituelle » n’est
pourtant pas superflu si on estime que la résidence habituelle d’une personne est au lieu
où elle séjourne le plus fréquemment, par rapport à d’autres lieux de séjour. De même
qu’une personne peut avoir plusieurs centres d’intérêts, plusieurs établissements, un
seul est cependant considéré comme le principal en matière de domicile : le domicile est
au lieu du principal établissement et il est unique. La résidence devient habituelle si elle
a duré déjà un certain temps, si des habitudes se sont établies, mais elle peut également
être habituelle simplement par rapport à un autre lieu de résidence plus accessoire17. En
ce sens, Mme Muir-Watt indique que « le qualificatif "habituelle" est fréquemment
utilisé afin de départager des séjours successifs voire simultanés mais discontinus dans
différents pays »18.

227. On doit nuancer l’affirmation selon laquelle toute résidence implique une
durée de séjour suffisamment conséquente pour exister. En effet, il se peut que
l’intéressé soit en France depuis peu et qu’il y ait déjà sa résidence, même habituelle. Il
est souvent fait référence, dans cette hypothèse où la durée de séjour est encore courte, à
un élément intentionnel, objectivement apprécié : on estime que l’intéressé peut déjà

13
A. BUCHER, La famille en droit international privé : RCADI 2000, t. 283, n° 17.
14
Cf. supra n° 113 s.
15
B. AUDIT, note sous Civ. 1re, 16 déc. 1975 : Rev. crit. 1976. p. 551-559, spéc. p. 558.
16
B. AUDIT, op. et loc. cit.
17
Sur ce point et la question de savoir si la résidence habituelle est nécessairement unique, cf. infra
n° 289 s.
18
H. MUIR-WATT, Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10, n° 7.

157
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

avoir acquis une résidence, parce qu’a priori il va y rester19. Il est pourtant une
hypothèse où la jurisprudence a estimé qu’une personne, en visite chez des amis en
France, y avait sa résidence, alors qu’il ne ressort pas des éléments de la décision
qu’elle comptait s’y installer pour une durée de séjour supérieure à celle de ses
vacances. Ainsi, dans l’arrêt Buschman et autres c/ Steiner rendu par la Cour de
cassation en 198420, la résidence du défendeur en France a fondé la compétence du juge
français à titre subsidiaire, faute d’un domicile en France et à l’étranger. La Cour
d’appel de Montpellier a estimé que la résidence en France du défendeur correspondait
aux exigences de l’article 43 du Nouveau Code de procédure civile et que les
juridictions françaises étaient compétentes. La Cour de cassation ne s’est pas prononcée
sur la question de savoir si un simple séjour temporaire chez des amis pouvait valoir
résidence en France, elle a simplement souligné que la Cour d’appel a « dans l’exercice
souverain de son pouvoir d’appréciation, […] estimé que la résidence de M. Buschman
à Clara, où il avait été assigné à personne, correspondait aux exigences de l’article 43 du
Nouveau Code de procédure civile ». Il n’y a eu, on peut d’ailleurs le regretter, aucun
contrôle de sa part sur la qualification retenue21. Elle se réfère à l’appréciation
souveraine des juges du fond, mais souligne malgré tout le fait que le défendeur avait
été « assigné à personne ». Cet élément semble avoir eu son importance pour la Cour de
cassation, c’est en tout cas ce qu’a indiqué un commentateur de l’arrêt22. La Cour ne
discute pas de l’interprétation de la notion de résidence, mais prend note du fait que
l’assignation a été faite à personne : ou bien l’ajout relatif à l’assignation est
superfétatoire, et ce fait n’a aucune incidence ; ou bien ce fait a effectivement joué sur
sa décision, ce qui est alors contestable. En effet, pourrait-on admettre que si une
assignation est faite à personne alors que l’intéressé descend de son avion, arrive en
France pour une semaine, celui-ci y a sa résidence ? L’assignation a certes été faite à
personne, mais peut-être non sans raison, l’intéressé n’ayant en France ni domicile, ni
résidence où lui faire parvenir l’acte.

19
Sur ce point, cf. infra n° 267 s.
20
Civ. 1re, 4 janv. 1984 : D. 1985. IR. 177, obs. B. Audit. ; Rev. crit. 1986. 123, note P. Courbe.
21
Sur l’étendue du contrôle de la Cour de cassation, cf. supra n° 130 s. La volonté de considérer les
juridictions françaises comme compétentes afin d’éviter un conflit négatif de compétence en est peut-être
la raison.
22
M. Courbe, commentateur de l’arrêt (Rev. crit 1986. 123 s., spéc. 127), le pense : « observation
certainement décisive, quand on sait l’importance particulière que la Cour de cassation attache à la
signification à personne ».

158
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

228. À l’inverse, il est de nombreuses hypothèses où l’on a considéré qu’une


personne, en l’occurrence un mineur, n’avait pas acquis de résidence habituelle en un
lieu, bien que ce mineur y ait été présent depuis des mois. Ainsi, un séjour d’un mois a
pu être jugé suffisant pour établir une résidence habituelle, mais, un autre, de onze mois,
n’a pas été considéré comme de nature à la constituer. C’est que, dans cette dernière
hypothèse, il a été tenu compte du fait que le déplacement avait été initié par un parent
sans le consentement de l’autre23. Le contexte est donc particulier, chaque cas doit être
examiné concrètement. Si une présence durable est nécessaire par principe, aucun
quantum n’est cependant prévu par les textes.

B. L’absence de quantum

229. La résidence, qu’elle soit simple ou habituelle, implique une certaine durée
de présence, mais cette durée n’est, par principe, pas quantifiée. Il s’agit là d’un point
essentiel. En effet, toute résidence implique nécessairement une durée de présence en un
lieu24. Et s’il faut une durée suffisante, on ne peut cependant pas dire a priori de
combien de temps. Une présence de quelques mois pourrait suffire à constituer une
résidence si elle sert de fondement à la compétence juridictionnelle en matière de
divorce ; en revanche, elle serait peut-être jugée insuffisante pour établir une résidence
habituelle justifiant la compétence des autorités en matière de protection des mineurs. Et
même dans ces deux hypothèses, il se pourrait que la durée soit déclarée insuffisante
dans le premier cas et suffisante dans le second. C’est en ce sens que la notion est
fonctionnelle : quelques mois suffisent parfois, parce que l’on recherche simplement
une proximité matérielle et géographique entre le juge saisi et les parties (il n’est pas
nécessaire de retourner dans son pays d’origine pour aller y plaider) ; parfois quelques
mois ne suffisent pas, parce l’on cherche, en retenant la résidence habituelle, un critère
qui traduise un certain enracinement en un lieu (donc une durée de présence supérieure
et une continuité), et parce que la résidence désigne la loi du milieu dans lequel vit
effectivement le mineur. La durée requise varie donc selon la matière concernée, selon
la fonction de la règle de droit qui l’utilise, selon les contextes particuliers liés à chaque

23
Dans l’hypothèse où le déplacement est illicite, le retour de l’enfant dans le pays d’où il vient doit en
principe être ordonné ; dès lors, même si le séjour a déjà duré quelque temps, il apparaît comme précaire.
Sur l’influence de l’illicéité d’un déplacement quant à la constitution d’une résidence, cf. infra n° 361 s.
24
Laquelle, on le verra, peut être complétée en cas de défaillance par une intention de s’établir
durablement. Sur ce point, cf. infra n° 257 s.

159
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

situation concrète donnée. On verra qu’il n’en résulte pas forcément une quelconque
insécurité juridique.

230. La Résolution (72) 1 du Conseil de l’Europe25 adoptée le 18 janvier 1972 a


cherché à unifier, tout en les différenciant, les concepts de domicile et de résidence.
Même si cette Résolution est dépourvue d’effets contraignants, et qu’elle n’a jamais été
suivie d’effets, c'est-à-dire d’une adaptation des législations européennes26, la lire aide à
mieux comprendre les notions de domicile et de résidence, à mieux les distinguer. Selon
sa règle n° 8, « une personne a une résidence dans un pays où s’applique un système
juridique déterminé ou dans un lieu situé dans un tel pays lorsqu’elle y habite pendant
un certain laps de temps. Le séjour ne doit pas être nécessairement continu ». C’est de
manière délibérée que les rédacteurs de la Résolution se sont abstenus de fixer le laps de
temps qui fait qu’un simple séjour se transforme en une résidence, « pour ne pas figer la
notion en une condition stricte et immuable »27 et, de fait, aucun texte du droit français
ne pose de condition de délai qui convertirait à son tour la résidence simple en résidence
habituelle. Aucune ligne nette de rupture, ou plutôt de passage, de la résidence à la
résidence habituelle n’est formellement exprimée. Loin d’être un inconvénient, cette
position permet aux magistrats chargés d’appliquer la notion d’avoir une plus grande
marge de manœuvre, ce qu’apprécie Mme Martin-Serf qui relève que la résidence et la
résidence habituelle « dépendent toutes deux de l’appréciation cas par cas de faits
nuancés ; […] si l’on veut garder un instrument souple et maniable, il est préférable de
ne pas imposer aux juges du fond une ligne de démarcation trop nette entre [ces deux
notions] »28.

25
Unification des concepts juridiques de « domicile » et de « résidence » : Résolution (72) 1 et annexe
adoptées par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 18 janvier 1972 et exposé des motifs,
Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1972.
26
D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse Lausanne,
1995, p. 44. La Résolution a tout de même peut-être eu une influence en droit français sur la réforme de
1975 qui consacre l’autonomie de la femme mariée quant à la possibilité d’avoir un domicile distinct de
son mari et une référence désormais systématique à la résidence familiale au lieu et place de l’ancien
domicile conjugal.
27
Unification des concepts juridiques de « domicile » et de « résidence » : Résolution (72) 1 et annexe
adoptées par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 18 janvier 1972 et exposé des motifs,
Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1972, § 53, p. 28.
28
A. MARTIN-SERF, Du domicile à la résidence : RTD civ. 1978. 541. V. également Unification des
concepts juridiques de « domicile » et de « résidence » : Résolution (72) 1 et annexe adoptées par le
Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 18 janvier 1972 et exposé des motifs, Strasbourg, Conseil
de l’Europe, 1972, § 46.

160
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

231. Il est pourtant des pays où une durée de présence minimum est envisagée
pour qu’une résidence ou une résidence habituelle puisse se constituer. Ainsi, en
Allemagne, en Autriche, en Suisse29, aux États-Unis par exemple, la jurisprudence
retient qu’une résidence devient habituelle après écoulement d’un délai de six mois ; il
s’agit là d’une présomption. Ainsi, Mme Sumampouw30 cite la décision d’une
juridiction allemande indiquant que « pour l’établissement de la résidence habituelle, au
minimum six mois de résidence sont requis, lorsqu’au départ l’intention d’un séjour
d’une certaine durée fait défaut ». L’intention de séjourner durablement31 permet de
suppléer la carence du délai minimum de six mois nécessaire pour que l’intéressé
acquière sa résidence habituelle en un lieu32. À défaut d’élément intentionnel, six mois
de présence vaudraient résidence habituelle. Avec le temps, la présence se transforme en
une résidence, laquelle devient à son tour habituelle au bout de six mois. Toutes les
circonstances de fait sont à prendre en considération33. Ce délai peut paraître quelque
peu arbitraire si l’on considère que l’acquisition de la résidence habituelle, qui suppose
une certaine intégration dans un cadre de vie, dépend du contexte dans lequel vit une
personne, de la langue parlée, de son âge également, toutes les personnes ne s’intégrant
pas au même rythme34.

29
V. A. BUCHER, L’enfant en droit international privé : Helbing & Lichtenhahn, L.G.D.J., 2003, n° 64.
30
M. SUMAMPOUW, Les nouvelles Conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux :
Institut Interuniversitaire de Droit International, T.M.C. Asser Institut, Sijtoff et Noordhoff, Maarter
Kluwe, t. 2, 1980, p. 111. V. également A. BUCHER , La famille en droit international privé : RCADI
2000, t. 283, n° 17 et F. BOULANGER, De la Convention de La Haye de 1961 à celle de 1996 sur la loi
applicable à la responsabilité parentale et la protection des enfants. Requiem pour la loi nationale ? :
Mélanges Fritz Sturm, vol. 2, Éd. juridiques de l’Université de Liège, 1999, p. 1399 s., spéc. p. 1407.
31
Sur ce point, cf. infra n° 279.
32
V. pour un autre exemple Obergericht du canton de Lucerne, 28 juin 1993 : ZBJV 131 (1995), p. 50 ;
LGVE 1993 I n° 13, p. 17 ; RSDIE 1996. 201 : un séjour de quatre mois en Espagne ne peut suffire à
constituer une résidence habituelle. V. cependant Kantonsgericht du canton de St. Gall, 10 févr. 1993 :
GVP-SPG 1993 n° 43, p. 94 ; RSDIE 1996. 203 : l’enfant est fixé en Allemagne depuis un an, mais n’y a
pas sa résidence habituelle.
33
Sur les positions jurisprudentielles contradictoires quant à la question de savoir si l’illicéité du
déplacement d’un enfant doit être considéré comme un obstacle à l’acquisition d’une résidence habituelle,
cf. infra n° 373 s.
34
V. pour l’idée de proportion qu’il peut exister entre la durée d’établissement et l’âge, par exemple,
HC/E/USf 83, Court of Appeals for the Third Circuit (États-Unis, 2e instance) 8 août 1995, Feder c/
Evans-Feder, 63 F.3d 217. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/. – V. également KG
17 févr. 1976 – 1 W 1273, 1274-75 : IPRspr 1976 Nr. 59 (cité par M. Sumampouw, Les nouvelles
conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux : Institut universitaire de droit
international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 2, 1980, p. 111-112) : « la durée du séjour n’est
importante que lorsqu'on peut en tirer des conclusions concernant l’intensité d’intégration dans le nouvel
entourage. La durée du séjour n’est donc que l’indication de l’intégration. En outre les circonstances
particulières au cas afférent sont importantes. Dans le cas présent, il ne faut pas donner trop d’importance
à l’élément temps, étant donné que l’intégration des enfants a lieu de manière accélérée, vu leur

161
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

232. Cependant, si la résidence ou la résidence habituelle impliquent a priori une


durée non quantifiée dans les textes quant à leur constitution, il n’en demeure pas moins
que le législateur peut poser une condition de durée. Par exemple, en matière de
nationalité française, une résidence de cinq années peut être exigée pour pouvoir
acquérir la nationalité française35. En matière de désunion, le règlement « Bruxelles II »
prévoit que la résidence habituelle est un chef de compétence mais qu’elle ne peut
fonder la compétence des juridictions de l’État membre où le demandeur a sa résidence
habituelle que si elle a duré six mois ou un an, selon la situation36. Dans ces hypothèses,
le délai n’est pas un critère qui détermine en soi l’existence de la résidence ou de la
résidence habituelle, qui peut être acquise en dépit d’une durée inférieure, mais ce
quantum conditionne les conséquences juridiques particulières attachées à cette
résidence et à sa durée. L’étranger qui est en France depuis moins de cinq années peut
donc avoir une résidence ou une résidence habituelle dans ce pays, tout comme le
demandeur à l’action en désunion peut avoir acquis une résidence habituelle dans le
pays dans lequel il est établi avant l’issue de ce délai, mais les effets de la résidence
étant subordonnés à une durée minimum fixée, ils dépendent de l’écoulement de ce laps
de temps37.

§ 2. Une habitude de vie en un lieu

233. « La résidence ne traduit pas seulement l’habitation avec un caractère de


permanence ou d’habitude ; elle traduit également l’idée que c’est au lieu où il réside

connaissance de la langue allemande […]. De plus les enfants allaient à l’école allemande en Iran et ont
habité plusieurs années à Berlin […]. La culture allemande n’est donc pas étrangère aux enfants ».
35
V. par exemple l’article 21-17 du Code civil qui prévoit que la naturalisation ne peut être accordée qu’à
l’étranger « justifiant d’une résidence habituelle en France pendant les cinq années qui précèdent le dépôt
de la demande ». V. également les articles 21-7 ou 21-11 du Code civil (acquisition de la nationalité
française par la naissance et la résidence en France).
36
V. L’art. 3, par. 1, pnt a in fine. Les mêmes dispositions se retrouvent dans le règlement
« Bruxelles II bis ».
37
V. cependant les nuances que l’on peut apporter à l’affirmation selon laquelle la résidence ne peut être
réduite à un décompte mathématique du nombre de jours passés en France. Dans certaines branches du
droit, par exemple parfois en droit fiscal communautaire, une « résidence normale » est requise. Ainsi la
Directive 83/182/CEE du Conseil du 28 mars 1983 relative aux franchises fiscales applicables à
l’intérieur de la Communauté en matière d’importation temporaire de certains moyens de transport
prévoit dans son article 7 diverses règles générales d’établissement de la résidence, parmi lesquelles on
entend par « résidence normale » le « lieu où la personne demeure habituellement, c'est-à-dire pendant au
moins 185 jours par année civile […] ».

162
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

que l’individu a ses relations de famille et d’amitié et se crée, non du point de vue des
affaires, mais du point de vue familial, affectif, sentimental, un centre d’intérêts,
d’occupations, que nous pouvons qualifier de mondains, c'est-à-dire qui concernent ses
relations avec d’autres personnes qui résident au même endroit ». Barbosa de
Magalhaes mettait déjà en 1928 l’accent sur la dimension qualitative de la notion de
résidence. Même si aujourd’hui la jurisprudence ne semble pas écarter le centre des
affaires et se cantonner aux seules relations personnelles ou familiales, ce sont des
éléments dont elle tient compte pour déterminer la résidence d’une personne, en
particulier lorsqu'elle est qualifiée d’« habituelle ».

234. Le § 56 de l’exposé des motifs de la Résolution (72) 1 précitée38 précise que


« l’adjectif "habituel" doit […] être compris littéralement, c'est-à-dire dans le sens d’une
plus grande stabilité du lien de rattachement territorial ». La résidence habituelle semble
induire, par rapport à la simple résidence, un composant supplémentaire : la règle n° 9
de la Résolution indique que « pour déterminer si une résidence est habituelle, il sera
tenu compte de la durée et de la continuité de la résidence ainsi que d’autres faits de
nature personnelle ou professionnelle qui révèlent des liens durables entre une personne
et sa résidence ». Cette règle met en évidence les deux approches de la notion de
résidence : quantitative par sa référence à la durée et à la continuité de la présence,
qualitative par son renvoi à d’autres faits révélateurs de liens entre l’intéressé et sa
résidence. Un lien s’établit entre une personne et un territoire dès son arrivée, mais la
nature de ce lien va évoluer avec le temps et sera de plus en plus révélatrice d’une
qualité d’établissement dans la mesure où des liens se tissent avec le milieu dans lequel
elle vit. On verra que cette approche qualitative de la notion de résidence sert également
souvent à révéler une intention. Néanmoins, dans un premier temps, on essaiera de
laisser de côté cet élément intentionnel pour y revenir ensuite39.

235. Ce lien qui s’établit entre l’intéressé et le milieu dans lequel il vit est
constitué par tout un ensemble d’éléments de faits ; on pourrait parler d’un « faisceau de
faits », comme on envisage le « faisceau d’indices ». En tant que tel, un seul élément ne
signifie rien, mais associé à d’autres, il est révélateur d’un état de fait, d’une situation ;

38
Unification des concepts juridiques de « domicile » et de « résidence » : Résolution (72) 1 et annexe
adoptées par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 18 janvier 1972 et exposé des motifs,
Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1972.

163
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

c’est leur réunion et leur concordance qui importent. S’ils sont nombreux ou
qualitativement significatifs, l’intéressé a en France le centre de ses intérêts et par
conséquent sa résidence, en particulier sa résidence habituelle.

236. Il est par ailleurs des domaines où la jurisprudence met plus l’accent sur les
liens qualitatifs de cette résidence que dans d’autres et l’importance des liens requis
pour constituer la notion dépend, là encore, de l’objectif de la règle de droit qui l’utilise,
de la matière envisagée. Ainsi, on peut distinguer les hypothèses où la résidence est
utilisée uniquement en tant que facteur de rattachement des conflits de juridictions (A.),
de celles où la résidence, alors toujours qualifiée d’habituelle, sert également à résoudre
les conflits de lois (B.).

A. La résidence, fondement de la seule compétence juridictionnelle

237. En matière de compétence juridictionnelle, plusieurs juridictions peuvent


éventuellement avoir vocation à être compétentes40. Lorsque la résidence justifie la
compétence internationale, on a vu que l’on recherchait une proximité immédiate,
géographique, entre le for et le litige ou les parties et qu’il s’agit avant tout de satisfaire
un objectif d’ordre procédural41. L’accent éventuellement mis sur l’habitude de vie en
un lieu sert alors essentiellement à écarter un séjour précaire.

238. Depuis le 1er mars 2001, date d’entrée en vigueur du règlement dit
« Bruxelles II », les règles de compétence territoriale pour les actions en divorce
relèvent du droit communautaire42. Les principes de compétence posés à l’article 1070
du nouveau Code de procédure civile ne sont applicables en France, d’une part qu’à titre
subsidiaire, d’autre part que de manière parcellaire car certains des chefs de compétence
de l’article 1070 sont déjà retenus par le règlement et deviennent par conséquent inutiles
puisqu’en quelque sorte absorbés par le texte communautaire. Cet article conserve

39
Cf. infra n° 265 s.
40
Le demandeur peut avoir le choix entre plusieurs tribunaux. V. E. VASSILAKAKIS , Orientations
méthodologiques dans les codifications récentes du droit international privé en Europe (préf. de
P. Lagarde) : L.G.D.J., Coll. Bibliothèque de droit privé, t. 195, 1987, n° 66. L’auteur insiste sur le fait
qu’il s’agit de déterminer le tribunal qui ait « de par l’intensité des attaches du litige avec le pays du for,
des liens avec le cas d’espèce. Il ne s’agit donc pas de déterminer le tribunal compétent, mais de
permettre la saisine d’un tribunal qui soit suffisamment lié avec le cas d’espèce ».
41
Cf. supra n° 146.

164
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

cependant encore une utilité pour déterminer le ressort territorial de la juridiction


française spécialement compétente car le règlement ne fixe que la compétence générale
des tribunaux des États membres43. Alors que le texte du Nouveau Code de procédure
civile envisage une compétence fondée sur la « simple » résidence, le texte
communautaire se réfère à une résidence qualifiée d’« habituelle ». On peut notamment
se poser la question de savoir si les deux notions doivent être interprétées de manière
distincte.

1. La résidence « simple »

239. L’article 1070 du Nouveau Code de procédure civile44, transposable aux


rapports internationaux, prévoit des chefs de compétence fondés sur le critère de
résidence45. Elle est « simple » puisqu’aucun adjectif ne la précise. Mais, même si elle
n’est pas qualifiée d’habituelle, elle ne peut être réduite à une simple présence physique
– élément purement matériel et objectif – en France des époux ou de l’un d’eux. La
résidence est traditionnellement envisagée comme le lieu où une personne habite
effectivement durant un certain temps, même si aucun délai minimum n’est inscrit dans
la loi.

240. Il est des situations qui ne posent aucun problème particulier : ainsi du
couple ou de l’époux dont la résidence en France fonde la compétence judiciaire et qui y
vit depuis un certain temps déjà lorsque la procédure de divorce est introduite ; l’un des
conjoints a quitté la France, mais celui qui y demeure encore s’y trouve avec les enfants
mineurs du couple. Certaines situations deviennent plus délicates lorsque le couple
vivait à l’étranger jusqu’au jour où l’un des époux (ou même le couple) arrive en France
et demande aussitôt le divorce : on peut se poser la question de savoir au bout de
combien de temps on peut considérer qu’il a acquis une résidence permettant de fonder
la compétence internationale des tribunaux français, ou encore quels sont les éléments

42
Le règlement « Bruxelles II bis », qui entrera en vigueur le 1er août 2004, s’appliquera à compter du 1er
mars 2005, mais, on l’a vu, les règles relatives au contentieux de la désunions sont identiques à celles du
précédent règlement.
43
Sur la question, cf. supra n° 151 s.
44
Sur son champ d’application, cf. supra n° 152.
45
Selon l’article 1070, « Le tribunal territorialement compétent dans les affaires de divorce est le tribunal
du lieu où se trouve la résidence de la famille ; si les époux ont des résidences distinctes, le tribunal du
lieu où réside celui des époux avec lequel habitent les enfants mineurs ; dans les autres cas, le tribunal du

165
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

de fait qui permettent de considérer qu’il a sa résidence en France. Ces situations


litigieuses existent certes en droit interne, elles prennent cependant dans les rapports
internationaux un relief particulier dans la mesure où, d’une part, les enjeux sont plus
importants puisque si les juridictions françaises sont compétentes, le conflit de lois est
résolu selon les règles françaises sur le fondement des dispositions de l’article 310 du
Code civil ; où, d’autre part, le risque de fraude existe, est parfois sous-jacent, et que
l’on ne doit pas cautionner d’éventuelles manœuvres consistant à fixer une compétence
factice.

241. C’est la raison pour laquelle la position des magistrats dans l’appréciation
de leur compétence peut être plus stricte, ce pourquoi ils peuvent parfois se montrer
circonspects, mettre en doute l’effectivité de la résidence et rechercher une plus grande
stabilité de la résidence. Pourtant, il est toujours vrai qu’en matière de divorce, « dans
l’atmosphère tourmentée, passionnelle quelquefois, inhérente d’un début de procédure,
la notion de résidence apparaît plus instantanée »46. Un équilibre doit être trouvé entre
une sévérité contraire à la lettre de l’article 1070 qui ne requiert qu’une résidence – qui
n’est même pas qualifiée d’habituelle par le texte – et non un domicile en France, et une
trop grande souplesse qui pourrait entraîner une confusion entre résidence et simple
présence sur le territoire français47.

242. La jurisprudence a pu estimer qu’un « séjour occasionnel de trois ou quatre


jours […] ne caractérise pas, faute de stabilité et d’habitude, une résidence au sens de
l’article 5 du décret du 5 décembre 1975[48] relatif à la procédure de divorce »49, que « la
résidence visée […] ne doit pas s’analyser en un séjour instantané et précis, mais
implique des notions de durée et de stabilité, ce qu’une résidence de quinze jours
caractérise mal »50. Dans une autre décision, un tribunal a affirmé dans un attendu très
clair que « la résidence est le lieu où la personne demeure de manière assez stable et
habituelle »51. Le fait de ne retenir qu’une résidence stable ou habituelle a pu être

lieu où réside l’époux qui n’a pas pris l’initiative de la demande. En cas de demande conjointe, le tribunal
compétent est, selon le choix des époux, celui du lieu où réside l’un ou l’autre ».
46
M. BRAZIER, note sous TGI Toulouse, 8 sept. 1976 : Gaz. Pal. 1976. 2. 721.
47
V. la chronique de Jean M AURY, La compétence territoriale en matière de demande en divorce (Art.
1070 Nouv. c. pr. cic) : D. 1983. chron. V. 27 s.
48
Article 1070 du nouveau Code de procédure civile.
49
TGI Arras, 4 oct. 1977 : D. 1978. IR. 266, obs. J.-C. Groslière.
50
Besançon, 23 mars 1977 : Gaz. Pal. 1977. 2. 406, note M. Brazier
51
TGI Laval, 29 juin 1976 : Gaz. Pal. 1976. 2. 720, note M. Brazier.

166
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

critiqué52, mais il se conçoit s’il ne vise qu’à écarter une présence éphémère comme
fondement de la compétence territoriale, et davantage encore dans les litiges
internationaux. En revanche, la recherche de durabilité semble tout à fait contraire à
l’esprit de la loi : on ne doit pas déterminer si la résidence en un lieu est envisagée de
manière permanente. C’est ainsi que la Cour d’appel de Toulouse a infirmé la décision
qui retenait qu’il « manque à ce fait nouveau [se trouver à Toulouse depuis huit jours]
l’habitude et la permanence qui caractérisent […] la séparation de fait ou la résidence
distincte »53. La Cour a ainsi précisé que « le législateur n’a pas voulu donner à la
résidence un caractère d’habitude et de permanence, mais a seulement exigé que
l’époux habite réellement la ville où il présente sa requête »54.

243. On recherche donc une résidence effective, réelle. Il est certain que lorsque
la durée fait encore défaut, il faut pallier cette carence par d’autres éléments. Un séjour
de quelques jours seulement pouvant paraître assez peu probant, il faut donc le
compléter. Certaines décisions se réfèrent à un élément intentionnel : s’il ne s’agit pas
de prouver que l’on souhaite s’établir pour très longtemps, encore moins indéfiniment,
encore faut-il établir que la présence n’est pas purement fortuite55. L’élément
intentionnel est déduit du comportement des intéressés et de leurs raisons de s’établir en
ce nouveau lieu56 ; il est finalement le seul que les tribunaux recherchent.

244. En effet, par principe, les intéressés n’ont pas à justifier d’avoir le centre de
leurs intérêts en France pour que les juridictions françaises soient compétentes. La
résidence n’est pas appréciée dans sa dimension qualitative. Cette position
jurisprudentielle est très logique. En effet, on l’a vu, lorsque la résidence sert de critère
de rattachement en matière de compétence juridictionnelle, c’est parce qu’on estime que
le for fondé sur ce critère traduit un lien suffisamment étroit avec le litige, et que les
motifs relèvent essentiellement de l’ordre pratique puisqu’il s’agit avant tout de
satisfaire un objectif procédural orienté vers l’organisation concrète du litige. En
matière de procédure civile, les parties doivent pouvoir saisir un for géographiquement

52
V. par exemple M. Lindon, note sous Amiens, 16 janv. 1979 : JCP 1979. II. 19196. Il est certain,
comme le souligne M. Groslière (obs. sous TGI Arras, 4 oct. 1977 : D. 1978. IR. 266), que lorsque « la
situation est telle qu’elle fait naître un besoin impérieux de s’enfuir, il ne paraît guère nécessaire d’exiger
d’attendre plusieurs semaines ou plusieurs mois pour engager une instance en divorce ».
53
TGI Toulouse, 8 sept. 1976 : Gaz. Pal. 1976. 2. 721, note M. Brazier.
54
Toulouse, 18 avr. 1977 : D. 1978. IR. 266, note J.-C. Groslière.
55
Ou au contraire recherchée, cf. infra n° 369 s.

167
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

proche et, si la saisine de la juridiction n’est pas frauduleuse ou ne trouve pas son
origine dans une voie de fait57, une simple résidence suffisamment stable doit suffire à
fonder la compétence des tribunaux ; il n’est pas besoin de considérer que les intéressés
doivent avoir tissé d’autres liens avec le territoire en question.

2. La résidence « habituelle »

245. Dans le règlement n° 1347/2000, c’est la résidence « habituelle » qui doit


fonder la compétence juridictionnelle. Mme Borrás58, dans son rapport explicatif de la
convention qui devait être adoptée avant que les autorités européennes ne décident,
après l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam, de l’adoption du règlement précité59,
a précisé que les critères retenus « se fondent sur le principe qu’il doit exister un lien de
rattachement réel entre la personne et l’État membre ». Elle fait référence à la
jurisprudence de la Cour de Justice des communautés européennes qui a déjà eu à
interpréter la notion de résidence habituelle présente dans d’autres textes
communautaires, et qui a défini la notion comme « le lieu où l’intéressé a fixé avec la
volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses
intérêts, étant entendu qu’à fin de détermination de cette résidence, il importe de tenir
compte de tous les éléments de faits constitutifs de celle-ci ».

246. Mme Borrás semble s’être référée à un arrêt du 15 septembre 1994, Pedro
Magdalena Fernández c/ Commission des Communautés européennes60. En l’espèce,
l’intéressé estimait avoir droit à une indemnité de dépaysement destinée à « compenser
les charges et désavantages particuliers résultant de la prise de fonction auprès des
Communautés pour les fonctionnaires qui sont de ce fait obligés de transférer leur
résidence du pays de leur domicile au pays d’affectation et de s’intégrer dans le
nouveau milieu. […] La notion de dépaysement dépend […] de la situation subjective

56
Sur l’élément intentionnel, cf. infra n° 265.
57
Sur ce point, cf. infra n° 361.
58
A. BORRÁS, Rapport explicatif relatif à la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur
l’Union européenne concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière
matrimoniale (Texte approuvé par le Conseil le 28 mai 1998) : JOCE C 221, 16 juill. 1998, p. 27 s., spéc.
n° 32.
59
Sur les raisons liées à la substitution du règlement à la convention initialement prévue, v.
C. NOURISSAT et A. DEVERS, Étude n° 15. Les règles de compétence internationales en matière
matrimoniale et de responsabilité parentale, in Lamy, Procédures communautaires, ss dir G. Canivet, L.
Idot, D. Simon, à paraître, 2004.

168
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

du fonctionnaire, à savoir de son intégration dans son nouveau milieu résultant, par
exemple, de sa résidence habituelle ou de l’exercice d’une activité professionnelle
principale »61. L’intéressé avait vécu huit mois en Espagne, ce qui ne suffisait pas pour
établir qu’il avait déplacé le centre permanent de ses intérêts dans ce pays, car la Cour a
rappelé la finalité de l’indemnité de dépaysement et interprété la notion de résidence
habituelle au regard de cet objectif. De nombreux arrêts de la Cour de Justice des
communautés européennes interprètent la notion, et sa jurisprudence est homogène ;
elle s’attache à prendre en considération « l’objectif » du texte communautaire qui est
soumis à son interprétation ; les notions utilisées dans un texte communautaire sont
considérées comme autonomes. Ainsi, pour prendre un autre exemple, la notion de
« résidence normale », au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 83/182
relative aux franchises fiscales62, s’entend du « lieu où la personne demeure
habituellement, c'est-à-dire pendant au moins 185 jours par année civile, en raison
d’attaches personnelles ou professionnelles, ou, dans le cas d’une personne sans
attaches professionnelles, en raison d’attaches personnelles révélant des liens étroits
entre elle-même et l’endroit où elle habite »63. La Cour a estimé qu’une personne avait,
au sens de cet article, sa résidence normale au lieu où elle a établi « le centre permanent
de ses intérêts »64 et que si une personne a ses attaches à la fois professionnelles et
familiales dans deux États membres, qu’une appréciation globale du centre permanent
des intérêts était impossible, il fallait donner la primauté aux attaches personnelles65.

247. D’autres définitions de la notion de résidence au sens des textes


communautaires pourraient être relevées. Il ne semble pas certain que si une personne

60
CJCE, 15 sept. 1994, Pedro Magdalena Fernández c/ Commission des Communautés européennes,
Aff. C-452/93, Rec. p. I-4295, pnt 22.
61
CJCE, 15 sept. 1994, Pedro Magdalena Fernández c/ Commission des Communautés européennes,
Aff. C-452/93, Rec. p. I-4295, v. spéc. point 20. V. également arrêt du 10 oct. 1989, Atala-Palmerini c/
Commission, 201/88 : Rec. p. 3109, pnt 9.
62
Directive 83/182/CEE du Conseil du 28 mars 1983 relative aux franchises fiscales applicables à
l’intérieur de la Communauté en matière d’importation temporaire de moyens de transport : JO L 105, 24
avr. 1983, p. 59.
63
CJCE 23 avr. 1991, Rigsadvokaten c/ Nicolai Christian Ryborg, Aff. C-297/89 : Rec. p. I-1943.
64
CJCE 23 avr. 1991, Rigsadvokaten c/ Nicolai Christian Ryborg, Aff. C-297/89 : Rec. p. I-1943, pnt 19.
65
CJCE 12 juill. 2001, Paraskevas Louloudakis, Aff. C-262/99 : Rec. p. I-5547, spéc. pnt 60. Tous les
éléments de fait doivent être pris en considération pour déterminer le centre permanent des intérêts d’une
personne, « à savoir, notamment, la présence physique de celle-ci, celle des membres de sa famille, la
disposition d’un lieu d’habitation, le lieu de scolarité effective des enfants, le lieu d’exercice des activités
professionnelles, le lieu de situation des intérêts patrimoniaux, celui des liens effectifs avec les autorités
publiques et les organismes sociaux, dans la mesure où lesdits éléments traduisent la volonté de cette
personne de conférer une certaine stabilité au lieu de rattachement » (pnt 55).

169
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

vit depuis huit mois en France, elle ne puisse valablement saisir les juridictions
françaises d’une demande en divorce au motif qu’elle n’y aurait pas sa résidence
habituelle ; de même, aucune durée minimum de présence décomptée en jours n’est
requise pour pouvoir saisir les juridictions françaises d’une demande en divorce.
L’extrait de l’arrêt cité par Mme Borrás n’a donc qu’une valeur indicative ; il n’a pas
valeur de définition. La référence à la volonté66 ne semble pas indispensable (elle
pourrait d’ailleurs être source d’une interprétation stricte contraire à l’esprit de la
notion) et, quoi qu’il en soit, il ne pourrait s’agir que d’une volonté déduite des éléments
de fait, d’une volonté objectivée, uniquement révélatrice de l’existence de la
résidence67. Le caractère permanent semble également quelque peu excessif au regard
de l’objectif procédural du règlement communautaire. Mais il est vrai que, dans toutes
ses décisions, la Cour de Justice des communautés européennes souligne que tous les
éléments de fait doivent servir à la détermination de la notion de résidence, et c’est
effectivement un point incontesté, quel que soit le texte applicable et l’adjectif qui vient
la qualifier. La notion est, on l’a déjà souligné, éminemment concrète.

248. On peut se demander si, en pratique, l’interprétation de la notion de


résidence « habituelle » visée par le règlement diffère de celle de la résidence « simple »
retenue dans le cadre de l’article 1070 du Nouveau Code de procédure civile. Il semble
qu’il faille répondre par la négative. D’une part, il n’est pas certain que les magistrats
fassent vraiment en pratique la différence entre la notion de résidence lorsqu'elle fonde
leur compétence et celle de domicile qui est l’un des critères de désignation de la loi
applicable en matière de divorce. De fait, si les deux critères, résidence et domicile,
devraient théoriquement faire l’objet d’une étude séparée par les magistrats68, en

66
La résidence habituelle est, selon l’auteur du rapport, « le lieu où l’intéressé a fixé avec la volonté de
lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts […] ». Cf. supra n° 245.
67
Sur ce point, cf. infra n° 257 s.
68
Comme l’a souligné Mme Muir-Watt (note sous Metz, 28 janv. 1992 : Rev. crit. 1993, 29 s., spéc. 33),
« le seul fait objectif d’une présence matérielle même prolongée, suffisant sans doute à constituer une
résidence », en l’occurrence fondement de la compétence juridictionnelle, « ne saurait fonder un domicile
en l’absence de l’intention de l’intéressé de faire du lieu où il séjourne le centre de ses attaches ». Si le
domicile est interprété de manière fonctionnelle (cf. supra n° 58), il est vrai qu’en matière de divorce, « la
seule présence de la famille pourrait témoigner d’une intégration suffisante au milieu social pour les
besoins de la loi applicable ». L’exigence est moindre quant à l’élément intentionnel « dès lors que le
législateur [s’est fixé] pour but de faire bénéficier de la loi française [des] communautés étrangères » (cf.
infra n° 449).

170
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

pratique tel ne semble pas vraiment être le cas69. D’autre part, l’interprétation de la
notion de « résidence habituelle » visée dans le règlement communautaire ne devrait pas
différer de celle de la résidence « simple » retenue par le législateur dans l’article 1070
parce que la résidence, même non qualifiée d’habituelle, correspond déjà, on l’a dit, à
une habitude, et que seul le respect des règles de justice procédurale compte.
L’approche quantitative de la notion de résidence semble amplement suffisante aux
vues de ces objectifs. L’ajout de l’adjectif n’est peut-être pas superflu dans la mesure où
il s’agit d’un texte communautaire, qui doit être interprété par tous les États membres de
manière identique, que des effets importants y sont attachés, mais ne devrait pas
modifier l’interprétation des dispositions relatives à la compétence des tribunaux
français.

249. Il est une décision qui peut pourtant sembler contestable dans
l’interprétation faite de la notion de résidence habituelle ; elle émane de la Cour
suprême polonaise70. Un jugement, passé en force de chose jugée, a fait l’objet d’un
pourvoi en révision extraordinaire du Ministère de la Justice qui invoquait l’article 9 de
la convention franco-polonaise du 5 avril 196771 : des conjoints avaient eu leur dernier
domicile commun en France, les circonstances de l’affaire ne pouvaient relever de la
compétence des juridictions polonaises. La question était de savoir si le demandeur,
pendant son emploi en France, y était domicilié au sens de l’article 1er de la convention,
c'est-à-dire y avait sa résidence habituelle72. La Cour a déduit d’un certain nombre
d’éléments que le demandeur n’avait pas sa résidence habituelle en France : il résultait
de l’attestation d’un ministère polonais que le séjour du demandeur en France n’avait
pas un caractère de résidence « habituelle » car celui-ci avait été délégué par le
ministère en question en tant que « lecteur de la langue polonaise à l’Université de Paris
pour une période d’un an » ; la délégation avait été prolongée ensuite de deux autres
années ; il n’avait pas de « passeport consulaire délivré aux personnes ayant une
résidence habituelle à l’étranger, mais profitait d’un passeport de service avec des visas
français de séjour ». Il payait toujours, au cours de cette période à l’étranger, le loyer de

69
V. L’étranger en France, face et au regard du droit, ss dir. de H. Fulchiron : Centre de droit de la
famille, Université Jean-Moulin, Lyon 3, Ministère de la Justice, Mission de recherche « droit et
Justice », avril 1999.
70
Cour suprême (Pologne), 25 nov. 1975, III CRN 53/75 Jan T. c/ Marie W. – OSNC 1976, fasc. 10,
texte 218 et NP 1976, n° 6, p. 975, note J. Jodlowski : rapporté au JDI 1989. 125-126.
71
Références précitées.

171
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

son appartement de Varsovie et il y était retourné. Il n’avait pas définitivement


abandonné son poste à l’Université de Varsovie : il y était employé avant son départ, il
avait bénéficié d’un congé sans solde durant son absence et récupéré son poste à son
retour. La Cour a rejeté le pourvoi en estimant que ces éléments avaient un caractère
temporaire et que le demandeur avait conservé sa résidence habituelle en Pologne
pendant son absence : le demandeur n’avait pas sa résidence habituelle en France car
« une résidence peut être appréciée comme "habituelle" lorsqu'un séjour d’une personne
dans un pays a un caractère durable et non temporaire seulement et lorsqu'on peut
reconnaître qu’elle y a établi le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux ».
L’accent étant entièrement mis sur la dimension qualitative de la notion de résidence, la
cour a déduit du fait que l’intéressé avait pu conserver certains liens avec son pays que
la résidence en France avait un caractère précaire. Cette position semble cependant
contestable. Certes, il s’agit là d’une décision étrangère, mais on pourrait objecter que la
notion de résidence est censée être identique dans les différents pays qui s’y réfèrent73.
Par ailleurs, il s’agit également d’une décision qui interprète la convention franco-
polonaise et il semblerait malvenu que les juges français appliquent la convention en
prenant modèle sur leurs homologues polonais, ou que, désormais saisis sur le
fondement de la résidence habituelle et non plus de la simple résidence, ils interprètent
la notion comme a pu le faire la Cour polonaise.

B. La résidence habituelle, fondement de la compétence juridictionnelle et


législative

250. La résidence dite « simple » n’est pas un critère de rattachement retenu à


titre principal dans les conflits de lois. Elle est en effet, dans ces hypothèses, toujours
qualifiée d’« habituelle »74. C’est également le cas dans les conventions qui impliquent
une coïncidence des compétences juridictionnelle et législative. On a vu, par exemple,
qu’en matière de protection des personnes ou de leurs biens, la résidence, ainsi
qualifiée, servait à la fois à déterminer la juridiction compétente et la loi applicable. Une
résidence habituelle est requise, même pour déterminer l’autorité compétente, celle-ci
appliquant sa propre loi. Dans ces hypothèses, une simple résidence ne pourrait pas non

72
Cf. supra n° 88.
73
Cf. supra n° 107 s.

172
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

plus servir de critère de rattachement car les liens seraient insuffisamment étroits entre
le litige et la loi applicable. De fait, la résidence habituelle est choisie parce qu’elle est
le lieu où l’on peut le mieux apprécier les besoins de l’intéressé, prendre les mesures
adéquates qui s’imposent et exécuter la décision prise ; elle requiert une certaine
continuité. La loi de la résidence habituelle correspond à celle qui régit le cadre de vie
de la personne. Dès lors, il est apparu naturel de se référer au lieu où celle-ci vit
quotidiennement pour la déterminer et il est également apparu nécessaire de prendre en
considération un certain nombre d’éléments de fait qui vont servir à révéler une
habitude de vie et à distinguer la résidence habituelle d’une présence plus précaire. Ce
n’est pas l’intention subjective de l’intéressé de faire de ce lieu son cadre de vie
quotidien qui compte, mais uniquement le fait que ce lieu le soit réellement.

251. La résidence habituelle implique donc une plus grande stabilité que la
résidence dite simple. On va alors tenir compte pour constater son existence de tous les
faits, qu’ils soient de nature personnelle ou professionnelle, révélateurs des liens
durables entre l’intéressé et le milieu dans lequel il vit : pour la localiser, on va
fréquemment rechercher où se trouve le centre de ses intérêts. Dès lors, l’accent peut
davantage être mis sur l’aspect qualitatif que sur celui quantitatif de la notion. Il est
certain que ces deux approches sont malgré tout liées : plus l’intéressé passe de temps
en un lieu, plus ses attaches avec ce lieu sont importantes. Mais le facteur temps n’est
pas le seul pris en considération. Pour caractériser la résidence habituelle, un certain
degré d’intensité, de continuité, est également nécessaire. Ce degré d’intensité requis
diffère selon la règle de droit qui utilise le critère, selon chacun des objectifs qu’elle doit
satisfaire. Les conditions permettant de conclure en l’existence de ce critère localisateur
sont plus ou moins strictes selon les conséquences liées au rattachement retenu. On doit
en effet prendre en considération l’objectif de la règle de droit qui se réfère à la notion
de résidence. Il convient de se demander si les circonstances de faits justifient
l’application de la règle de conflit en question et si elles permettent de conclure à
l’existence de la résidence habituelle75. Si l’on souhaite mettre en place une mesure de
tutelle, on sait que la mesure doit être durable pour protéger efficacement le mineur ;

74
V. par exemple, en droit français, les articles 311-15 ou 370-3 du Code civil. Sur la question cf. infra
n° 444 s. et 478 s.
75
M. H. VAN H OOGSTRATEN, La codification par traité en droit international privé dans le cadre de la
Conférence de La Haye de droit international privé : RCADI 1967-III, t. 122, p. 363.

173
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

qu’elle ne peut valablement être exécutée que si l’intéressé est amené à demeurer sur le
territoire de l’État qui l’édicte. Si les modalités relatives à l’exercice de l’autorité
parentale doivent être aménagées, elles n’ont aucun intérêt si le mineur n’est que de
passage en un lieu. Mettre en place un régime alimentaire protecteur du créancier
d’aliments n’est utile que s’il l’est dans le pays sur le territoire duquel le créancier se
trouve pour un temps. Pour déterminer la résidence habituelle du mineur ou du
créancier d’aliments, le temps passé en un lieu est évidemment essentiel, et l’approche
quantitative suffit souvent à révéler la résidence habituelle lorsque la présence est
durable et continue ; mais on cherche parfois également à localiser « le centre de
gravité »76 des intérêts de la personne concernée pour qualifier cette présence.

252. Mme Sumampouw77 a ainsi relevé un certain nombre de décisions


révélatrices de l’approche qualitative de la notion. Il est difficile de trouver des
décisions du fond lorsqu'elles ne font pas l’objet d’une étude particulière, qu’elles ne
sont pas recensées à une fin précise. Mme Sumampouw s’est attachée à collecter les
décisions rendues par les juges nationaux en application des nouvelles conventions de
La Haye ; la Conférence de La Haye a également constitué une importante banque de
données des décisions (« INCADAT ») rendues par les États en application de la
Convention de La Haye de 1980 relative aux enlèvements internationaux d'enfants78.
Les décisions sont la plupart du temps des décisions étrangères, mais, on l’a vu, la
notion ne devrait pas en théorie différer suivant les pays qui l’appliquent. Elles
permettent, quoi qu’il en soit, de prendre la dimension de la notion.

253. Lorsque la notion de résidence habituelle est interprétée au regard des


conventions sur les obligations alimentaires, la jurisprudence précise que « la résidence
habituelle est le lieu où se concentre la vie d’une personne »79 ; « pour qu’il y ait
"résidence habituelle", il ne suffit pas d’une résidence de courte durée, ni d’un trop bref
séjour. D’autres rapports avec le lieu de résidence sont requis, en particulier des

76
L’expression est fréquemment utilisée.
77
M. SUMAMPOUW, Les nouvelles conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux :
Institut universitaire de droit international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 1, 1976 ; t. 2, 1980 ; t. 3,
1984 ; t. 4 1994 ; t. 5, 1996.
78
Ces décisions sont consultables par internet (http://212.206.44.26/).
79
OLG Koblenz 17 déc. 1974 – 6 W 553/74 ; IPRspr. 1974 Nr. 119 ; DA Vorm 1975, 559 (somm.) ;
FamRZ 1975, 230 ; NJW 1975, 1085 ; Das Standesamt 1975, 340 (cité par M. Sumampouw, Les
nouvelles conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux : Institut universitaire de
droit international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 2, 1980, p. 37).

174
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

rapports de famille ou de profession, révélant le centre de gravité des liens de la


personne en question avec ce lieu »80. La résidence habituelle est considérée comme
« une résidence qui n’est pas de nature passagère et où se situe le centre de gravité des
relations, aussi bien en ce qui concerne la famille que la profession, de la personne
concernée »81.

254. De même, pour M. Lequette82, le mineur aurait une résidence habituelle


lorsqu’il s’est établi en un lieu « de façon stable, avec ses parents ou qu’il y réside seul,
rien ne permettant de prévoir son départ du territoire national. Il possède en [ce lieu] un
centre de vie que l’on peut considérer comme unique ». Lorsque la résidence habituelle
est interprétée au regard de l’article 1er de la Convention de La Haye de 1961 sur la
protection des mineurs, il est fait référence au « centre de gravité effectif » du mineur.
La résidence habituelle est « le lieu où les autorités peuvent le mieux apprécier [les]
besoins [du mineur] ; cela veut dire le centre de gravité de sa vie »83. La notion de
résidence habituelle vise « le lieu où se trouve le centre de gravité effectif de la vie de
l’enfant ; […] il doit être déterminé de manière autonome. Un certain degré
d’intégration dans le milieu est inhérent à la résidence habituelle. Des liens sérieux
doivent unir le mineur à ce lieu. Des liens provisoires et relâchés ne suffisent pas »84. La
résidence habituelle « consiste en plus qu’un séjour réel et requiert une certaine
intégration du mineur dans son entourage. Cette intégration nécessite un certain temps.
Une autre condition importante est qu’il existe des liens entre la résidence, considérée
comme le centre de gravité de la vie de la personne en question et la famille ou la
profession. La volonté de faire de la résidence le centre de gravité de sa vie n’est pas

80
BGH 5 févr. 1975 – IV ZR 103/73 ; DAvorm 1975, 413 ; FamRZ 1975, 272 ; IPRspr. 1975 Nr. 83 ;
MDR 1975, 477 ; NJW 1975, 1068 ; ZBIJR 1975, 436 (cité par M. Sumampouw, Les nouvelles
conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux : Institut universitaire de droit
international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 2, 1980, p. 37).
81
OLG Karlsruhe 2 oct. 1991 – 2A UF 35/91 ; FamRZ 1992, 316 (cité par M. Sumampouw, Les
nouvelles conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux : Institut universitaire de
droit international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 5, 1996, p. 38).
82
Y. LEQUETTE, Protection familiale et protection étatique des incapables : Dalloz, Bibliothèque de droit
international privé, vol. XX, 1976, p. 253.
83
LG Zweibrücken, 26 juill. 1973 – 5 T 92/73 ; FamRZ 1974, 140 (cité par M. SUMAMPOUW, Les
nouvelles conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux : Institut universitaire de
droit international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 1, 1976, p. 17).
84
OLG Hamm, 12 déc. 1973 – 15 W 190/73 ; FamRZ ; NJW 1974, 1053 ; ZBIJR 1974, 441.
V. également AG Iserlohn 17 déc. 1973 – X 677/73 : FamRZ 1974, 141, note K. Siehr (cités par
M. Sumampouw, Les nouvelles conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux :
Institut universitaire de droit international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 1, 1976, p. 18).

175
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

décisive »85. Une résidence habituelle s’est créée si « l’enfant est intégré du point de vue
social à sa nouvelle résidence et s’il est créé ainsi un déplacement matériel du centre de
gravité de son existence »86. Pour déterminer la résidence habituelle d’un enfant, « il
faut partir du centre de son existence, du centre de gravité de ses liens sociaux »87.

255. En application de la Convention de La Haye de 1980 sur les aspects civils


de l’enlèvement international d'enfants88, il est également fait référence pour déterminer
la résidence habituelle des enfants au centre de gravité de leur vie89 : « l’enfant avait sa
résidence habituelle en Allemagne au motif que sa résidence principale et le centre de
gravité de sa vie se trouvaient à Munich »90. La résidence habituelle d’un enfant est « le
lieu où il a vécu physiquement pendant une durée suffisante pour qu’il s’y acclimate et
qui constitue pour lui un lieu de vie stable »91 ; la notion « dépend de données objectives
telles que la durée de résidence, l’existence de relations sociales et d’autres facteurs
indiquant l’existence de contacts permanents »92. De même, la jurisprudence a estimé

85
KG 17 févr. 1976 – 1 W 1273, 1274-75 : IPRspr 1976 Nr. 59 (cité par M. Sumampouw, Les nouvelles
conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux : Institut universitaire de droit
international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 2, 1980, p. 111-112).
86
BGH 29 oct. 1980 – IV 6 ZB 586/80 ; IPRspr. 1980 Nr. 94 ; DA Vorm 1981, 44 ; FamRZ 1981, 135,
obs. S. Schlosshauer-Selbach p. 536-538 ; IPRax 1981, 139, obs. D. Henrich p. 125-126 ; MDR 1981,
215 ; NJW 1981, 520 (cité par M. Sumampouw, Les nouvelles conventions de La Haye. Leur application
par les juges nationaux : Institut universitaire de droit international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 3,
1984, p. 85-86).
87
OLG Hamm 16 mai 1991 – 4 UF 8/91 ; FamRZ 1991, 1466, note D. Henrich ; NJW 1992, 636 (cité par
M. Sumampouw, Les nouvelles conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux :
Institut universitaire de droit international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 5, 1996, p. 57).
88
La question de savoir si un mineur qui fait l’objet d’un déplacement ou d’une rétention illicite de la part
d’un de ses parents peut, malgré la voie de fait, acquérir une résidence habituelle dans le pays vers lequel
il est déplacé ou retenu n’est pas développée ici. Sur ce point, cf. infra n° 373 s.
89
HC/E/UKe 204 : High Court (Angleterre), 20 mai 1992 ; RE F. (Minors) [1992] 2 CR 595, [1993]
Famille Law 199. – HC/E/USs 320 : Cour d’appel du Kentucky (États-Unis), 19 mars 1999, Janakakis-
Kostun c/ Janakakis, 6 S.W. 3d 843 (Ky. Ct. App. 1999), pet. for cert. filed, 68 U.S.L.W. (Mar. 8, 2000).
V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
90
HC/E/DE 322 : Cour cantonale de Munich (Amstgericht), 23 oct. 1998. V. la base de données
INCADAT : http://212.206.44.26/.
91
HC/E/USf 221 : United States District Court for the Northern District of Florida (États-Unis ; 1re
instance), 27 oct. 1999, Villalta c/ Massie, No. 4 : 99cv312-RH (N.D. Fla. Oct. 27, 1999). V. également
HC/E/USs 99, United States District Court of Ohio (États-Unis, 2e instance), 12 mars 1997, Ciotola c/
Fiocca, 86 Ohio Misc. 2d 24, 684 N.E.2d 763 (Ohio Com. Pl. 1997) : « le juge doit se demander si
l’enfant a été physiquement présent dans un lieu particulier pour une durée suffisamment longue pour
donner l’impression de s’y acclimater et de s’y établir ». – V. pourtant la décision selon laquelle il serait
possible de prendre part à toutes les activités quotidiennes en un lieu, sans que l’on y ait pour autant une
résidence habituelle, HC/E/USf 224, United States District Court for the Central District of Califormia
(États-Unis, 1re instance), 11 août 1998, Mozes c/ Mozes, 19 F. Supp. 2d 1108 (C.D. Cal. 1998) : « on
peut être "acclimaté" en ce sens que l’on peut s’être adapté à son milieu actuel, tout en ne considérant pas
ce milieu comme sa résidence habituelle ». V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
92
HC/E/SE 331 : Cour Administrative d’appel Stockholm (Suède, 2e instance), 18 déc. 1998, C. c/ M. V.
la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.

176
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

que la résidence habituelle était une question qui se résolvait « essentiellement au


travers de l’évaluation de certaines conditions objectives vérifiables » telles que « la
durée de la résidence, l’existence de liens sociaux et d’autres circonstances de caractère
personnel ou professionnel de nature à manifester une attache plus permanente à un
pays ou à un autre »93.

256. Il est inutile de faire la liste de tous les éléments de fait qui peuvent avoir été
retenus en tant que révélateurs du centre des intérêts d’une personne, n’importe lequel
pouvant être pris en considération pour constituer l’habitude requise par la loi.
Cependant, on peut, lorsqu’il est fait référence à l’approche qualitative de la résidence,
aux faits qui sont le reflet des liens qui se sont tissés entre l’intéressé et son milieu de
vie, se demander ce qui la distingue du domicile, dès lors qu’il est fait référence à un
domicile effectif. Le domicile est « au lieu du principal établissement » ; la résidence
habituelle correspond au « centre des intérêts » : quelle est au fond la différence entre
ces deux notions localisatrices ? Il n’est que de lire ce qu’écrit M. Bucher à propos du
domicile volontaire, notamment en ce qui concerne « le centre de vie », la recherche de
« la nature et de l’intensité des liens de l’intéressé avec un certain endroit » pour être
convaincu que les notions peuvent être semblables. Par exemple, selon l’auteur, « poser
la question du domicile volontaire revient à se demander où l’intéressé a le centre de ses
relations personnelles et professionnelles » ; « la notion de centre de vie doit être
entendue dans un sens large, comprenant l’ensemble de l’activité d’un individu.
Lorsqu’un séjour a lieu dans un but spécial, il n’est pas constitutif de domicile, même
s’il est d’une durée assez longue, tant que la personne n’y a pas transféré le centre de
son existence ». De fait, selon Mme Muir-Watt, la résidence « est réputée exprimer une
réalité analogue au domicile chaque fois que l’objectif de la règle applicable ne peut être
utilement atteint sans tenir compte des liens d’intégration effective qui peuvent entourer
le simple fait de l’établissement matériel d’un individu dans un lieu donné.
L’application même des Conventions de La Haye en matière de conflits de lois
témoigne de la difficulté de faire abstraction d’un élément qualitatif dans la mise en
œuvre du concept de résidence habituelle »94. Une différence essentielle entre les deux

93
HC/E/SE 80, Supreme Administrative Court of Sweden at Regeringsratten (Suède, Juridiction
suprême), 9 mai 1996, J. c/ J., RÅ 1996 ref 52, No. 7505-1995. V. la base de données INCADAT :
http://212.206.44.26/.
94
H. MUIR-WATT, Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10, n° 62.

177
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

notions de résidence et de domicile pourrait tenir à l’élément intentionnel : la volonté de


faire d’un lieu sa résidence n’est en principe pas un élément constitutif de la notion.
Pourtant la résidence implique souvent, là encore comme pour le domicile, une
référence aux intentions de l’intéressé.

SECTION 2. L’INTENTION, ÉLÉMENT RÉVÉLATEUR DE LA RÉSIDENCE

257. Ce qui distinguerait la résidence du domicile serait l’élément intentionnel


nécessaire à l’établissement du domicile, élément dont serait dépourvue la résidence.
Or, comme l’indique M. Malaurie95, « ce serait une illusion de croire [que la résidence]
est une notion purement objective, faisant abstraction de tout élément intentionnel ». Il
est vrai que, en pratique, il est souvent fait référence, pour déterminer l’existence ou non
d’une résidence, à un élément intentionnel. Indiquer que la résidence est une notion
purement objective et qu’un élément intentionnel, par définition subjectif, peut être pris
en compte peut paraître antinomique. Cependant, cet élément intentionnel diffère de
celui exigé en matière de domicile dans la mesure où il ne sert qu’à révéler ou confirmer
l’élément de stabilité qui est au cœur de la résidence, permettant de la distinguer d’une
simple habitation ou d’un simple séjour en France. Il n’intervient en pratique qu’en cas
de doute sur l’effectivité de la résidence, au contraire du domicile qui exige la présence
de cet élément.

258. Après avoir fait une brève analyse comparée de l’élément intentionnel
constitutif de domicile et de celui qui est révélateur de la résidence (§ 1.), on étudiera
quelles sont les principales hypothèses dans lesquelles la jurisprudence se réfère à
l’élément intentionnel (§ 2.).

95
P. MALAURIE, note sous Civ. 2e, 24 nov. 1964 et Civ. 2e, 24 juin 1965 : JDI 1966, 89 s., spéc. 90.

178
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

§ 1. L’analyse comparée de l’élément intentionnel constitutif de domicile


et révélateur de résidence

259. Le domicile est au lieu du principal établissement. Il est constitué d’un


élément matériel objectif (une habitation réelle en un lieu donné) et d’un élément
intentionnel subjectif (la volonté de faire de ce lieu celui de son principal
établissement). L’intention vient qualifier la présence sur le territoire d’un État, « en
obligeant à vérifier [que cette présence] s’accompagne d’un élément affectif, afin
d’écarter le séjour précaire, accidentel ou forcé »96. Si une personne maintient des liens
qualitativement importants avec son pays d’origine, où tout autre pays qui n’est pas
celui sur le territoire duquel elle est présente ou réside, elle ne peut acquérir de domicile
en ce nouveau lieu dans lequel elle vit. Les « liens qualitativement importants » sont la
« caractéristique d’un véritable centre d’intérêts »97. Mme Muir-Watt précise que « la
composante matérielle du domicile n’a ainsi de véritable signification qu’au bénéfice de
l’éclairage que lui apporte l’élément subjectif »98.

260. On sait qu’une approche fonctionnelle caractérise le domicile. En matière de


régimes matrimoniaux, par exemple, le premier domicile matrimonial peut avoir une
coloration patrimoniale marquée, notamment lorsque la jurisprudence considère que le
domicile matrimonial n’est qu’un simple indice parmi d’autres de la volonté des époux
qui n’ont pas expressément choisi la loi applicable à leur régime matrimonial. Mais
lorsque le premier domicile est envisagé comme un indice prépondérant de leur volonté,
les tribunaux le localisent au lieu où les époux sont physiquement établis au moment de
leur mariage. Or, la convention de La Haye de 1978 sur la loi applicable aux régimes
matrimoniaux99 se réfère, non pas au domicile des époux, mais à leur première
résidence habituelle100. Il est certain que l’esprit des deux systèmes, celui français

96
H. MUIR-WATT, Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10, n° 66.
97
H. MUIR-WATT, op. et loc. cit.
98
H. MUIR-WATT, op. et loc. cit.
99
Le texte s’applique aux époux mariés après le 1er septembre 1992.
100
L’effectivité de l’établissement doit se déduire dans chaque hypothèse de la seule analyse concrète des
faits ; selon M. Droz (G. A. L. DROZ : Rép. intern. Dalloz, V° Régimes matrimoniaux, 1998, n° 38), « il
n’existe pratiquement aucune jurisprudence illustrant de réelles difficultés soulevées par l’utilisation de la
notion [de résidence habituelle] ». L’auteur indique que dans la pratique notariale, il suffit « de
rapprocher la date de mariage des innombrables documents administratifs qui s’abattent sur un couple qui
s’installe (taxe d’habitation, taxe de télévision, abonnements aux services de l’eau, de l’électricité ou du

179
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

d’origine jurisprudentielle et celui conventionnel, est identique ; il y a un rapprochement


inéluctable des deux notions de domicile et de résidence habituelle. En matière de
successions, le dernier domicile du défunt se déduit de la localisation de ses intérêts
patrimoniaux, mais la jurisprudence retient parfois également en ce domaine des liens
plus affectifs101, ou de la perte de l’esprit de retour dans son pays d’origine. En matière
de divorce, depuis les jurisprudences « Rivière – Lewandowski – Tarwid »102, on prend
en considération le domicile effectif des époux, leur habitation commune en France, le
lieu dans lequel ils sont intégrés et, dans ce cas, toutes sortes de liens, professionnels ou
familiaux, sont examinés. Dans cette dernière hypothèse, lorsque le domicile correspond
au milieu dans lequel vivent les intéressés, il est également difficile de faire la
différence entre le domicile effectif et la résidence habituelle103. Dès lors, on comprend
mieux pourquoi les deux notions de domicile et de résidence sont source de confusion
ou d’assimilation, particulièrement dans les rapports internationaux où l’on doit
considérer le domicile de manière autonome et réaliste.

261. L’élément intentionnel du domicile « correspond à la volonté de s’intégrer


durablement dans le milieu dans lequel on vit, en y fixant le centre de ses intérêts »104.
Les intérêts en question sont eux-mêmes pris en considération en fonction de l’objectif
de la règle de droit qui l’utilise. Finalement, l’élément intentionnel se déduit des
éléments de fait requis pour constituer le domicile. Il est objectivé. Mais tout en étant
objectivé, l’élément intentionnel doit permettre de conclure à une véritable intention de
s’intégrer et de demeurer, d’établir son centre des intérêts, son principal établissement
en un lieu. C’est ce qui le différencierait peut-être alors de la résidence habituelle.

téléphone, enregistrement dans le cadre des assurances sociales dont le tracé est aisément retrouvé trente
ou quarante ans après, etc.) ».
101
Ainsi, par exemple, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 3 juillet 1946 (Paris, 3 juillet 1946 :
Rev. crit. 1947. 137, note H. B.), a retenu qu’une personne décédée en France alors qu’elle habitait Paris
depuis plusieurs années, qui a pu donner, selon les termes de l’arrêt, « l’apparence d’un étranger devenu
parisien d’adoption », qui avait acquis des terrains en France pour y édifier des constructions affectées à
des recherches médicales et scientifiques n’avait pas de domicile en France au jour de son décès car
l’essentiel de sa succession mobilière et immobilière se trouvait en Égypte où son corps a été rapatrié
pour y être inhumé (les funérailles dans ce pays ont eu un caractère quasi officiel). La Cour retient
également que « ses attaches profondes, ses intérêts primordiaux et la fidélité de son culte à ses
institutions d’origine permettent de considérer qu’il avait conservé en Égypte son principal établissement
et qu’il est mort résidant en France, mais domicilié en Égypte ».
102
Cf. supra n° 68.
103
On peut même se poser la question de savoir s’il existe vraiment une différence entre le domicile
effectif commun des époux et le lieu de leur résidence habituelle. Sur la question, cf. infra n° 449.
104
H. MUIR-WATT , Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10,
n° 74.

180
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

262. La résidence est une notion qui doit pouvoir « se définir à partir d’éléments
exclusivement matériels, faciles à constater »105. Mais en présence de certaines
situations particulières, on ne peut faire totalement abstraction d’un élément
intentionnel ; la jurisprudence y fait appel le plus souvent de manière indirecte.
L’élément intentionnel ne sert pas, en principe, à constituer la résidence, il ne peut que
la révéler, la prouver en cas de doute sur son existence. Ainsi, la Résolution (72) 1 du
Conseil de l’Europe106, précitée, indique dans sa règle n° 10 que « l’établissement
volontaire d’une résidence et l’intention de la personne de maintenir cette résidence ne
constituent pas des conditions pour l’existence d’une résidence ou d’une résidence
habituelle, mais les intentions de la personne peuvent être prises en considération pour
déterminer si elle possède une résidence ou quel est le caractère de cette résidence ». On
ne cherche pas, comme c’est le cas pour le domicile, l’intention de l’intéressé, au sens
d’animus manendi, de faire d’un lieu donné celui de son principal établissement, mais
simplement à savoir, à l’aide d’éléments extérieurs à la volonté interne de l’individu, si
sa présence, son séjour, sont suffisamment stables pour constituer la résidence ou la
résidence habituelle107. Selon les termes de M. Audit, « l’intention quant au maintien de
la résidence n’entre pas dans la qualification de la résidence habituelle, car ce critère
prête à la discussion et à la fraude »108.

263. M. Malaurie résume la différence entre l’élément intentionnel du domicile et


celui de la résidence en ces termes : « le domicile suppose l’intention de demeurer
tandis que la résidence suppose l’intention de rester »109. La distinction peut sembler
ténue si l’on considère que « demeurer » et « rester » sont souvent donnés comme

105
V. P. LAGARDE, La nationalité française : Dalloz, 3e éd., 1997, n° 146.
106
Unification des concepts juridiques de « domicile » et de « résidence » : Résolution (72) 1 et annexe
adoptées par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 18 janvier 1972 et exposé des motifs,
Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1972.
107
V. D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse
Lausanne, 1995, p. 99. Mais parfois la doctrine et la jurisprudence reconnaissent que si une personne est
privée de sa liberté de mouvement, elle ne peut se constituer une résidence habituelle ; sur cette question
et l’analyse d’opinions divergentes, cf. infra n° 285.
108
B. AUDIT, Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 145 bis. – Ce
constat pourrait également s’appliquer au domicile, mais il est vrai que l’on change plus aisément de
résidence que de domicile.
109
P. MALAURIE , Civ. 2e, 24 nov. 1964 et Civ. 2e, 24 juin 1965 : JDI 1966. 89 s., spéc. 90.
V. J. Carbonnier (Droit civil. 1. Les personnes : PUF, Coll. Thémis, droit privé, 21e éd., 2000, n° 53) qui
indique que la vie d’une personne peut se partager en plusieurs lieux, mais que « seules peuvent entrer en
compétition des localisations suffisamment durables, […] solidifiées en installation, en structures, pour
mériter le nom d’établissement dont se servent les a. 102 et 103. Ce n’est pas assez de séjourner, il faut
s’établir ».

181
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

synonymes. Néanmoins, on perçoit clairement l’idée de l’auteur qui donne au domicile


une assise plus durable. De fait, l’intention de demeurer, c’est celle de s’établir, de
fonder, de construire, de s’organiser une vie durable en France. La résidence semble
plus éphémère, même si elle n’est pas fortuite : rester c’est s’attarder, se maintenir en un
lieu. On comprend que c’est simplement une différence de degré, plus que de nature qui
différencie les deux termes. Par élément intentionnel constitutif de domicile, il faut
entendre, selon M. Simond110, « l’intention de rester d’une manière durable en un
endroit », et celui qui n’a l’intention que de rester passagèrement en un lieu ne s’y crée
pas de domicile. Or, l’auteur constate qu’il n’y a « entre intention de rester d’une façon
durable et celle de ne rester que passagèrement qu’une différence quantitative ».
M. Waters111 estime également que l’intention « semble jouer un rôle plus discret
comme élément de la résidence habituelle qu’elle ne le fait traditionnellement à propos
du domicile ». Quoi qu’il en soit, ce n’est en aucun cas l’intention « intérieure », ce que
souhaite cette personne, qui est prise en compte dans la notion de résidence, mais
l’intention telle que révélée par un comportement. L’élément intentionnel, qui est en
principe écarté en matière de résidence, est finalement apprécié en tant qu’élément de
fait parmi d’autres, il est de nature purement objective112. Il n’est nécessaire de se
référer à cet élément qu’en cas de doute sur l’existence d’une résidence ou d’une
résidence habituelle en un lieu. En tant que tel, il n’est pas constitutif de la notion.

264. Selon un auteur de droit pénal, la jurisprudence « ne voit pas dans


l’intention une notion scientifique qu’il faut s’appliquer à définir rationnellement, et
d’où il faut déduire des conséquences rigoureuses et implacables ». « L’intention prise
en soi n’est rien ; elle n’a de valeur qu’en tant qu’instrument qui assume une fonction.
La jurisprudence n’a pas une théorie de l’intention, elle a une politique criminelle de
l’intention ». La jurisprudence a une « attitude strictement pragmatique : elle arrête ses

110
W. SIMOND, L’élément intentionnel du domicile : Thèse Lausanne, 1923, n° 35-36.
111
D. W. M. WATERS, Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIe Session de la Conférence de La
Haye, t. II, Succession – loi applicable, 1988, n° 51.
112
On peut souligner que même lorsqu'il s’agit de déterminer l’élément intentionnel du domicile, c’est
grâce à des éléments objectifs qu’il est possible de l’établir. V. en ce sens W. SIMOND , (L’élément
intentionnel du domicile : Thèse Lausanne, 1923, n° 38). Selon l’auteur, « puisqu'il est matériellement
impossible aux intelligences de communiquer entre elles directement, la preuve de l’élément intentionnel
[du domicile] devra nécessairement être recherchée dans les manifestations extérieures de cette
intention ».

182
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

positions sur l’intention seulement en fonction de l’appréciation des résultats pratiques


qu’elle souhaite obtenir »113. Ces propos peuvent aisément être transposés ici.

§ 2. La résidence et les principales hypothèses de recours à l’élément


intentionnel

265. La durée de la présence en un lieu est encore assez courte, le juge hésite sur
la qualification à retenir : résidence ou simple séjour ? résidence simple ou résidence
habituelle ? La présence a déjà duré un certain temps, mais la personne vit en partageant
son temps entre plusieurs endroits : où a-t-elle sa résidence ? La personne s’est absentée
d’un pays : y a-t-elle encore sa résidence ? La personne vit en un lieu depuis un certain
laps de temps, mais a-t-elle dans ce pays le centre de ses intérêts permettant de conclure
qu’elle y a sa résidence, au sens du droit de la nationalité ou au sens du règlement
communautaire n° 1408/71 par exemple ? Pour répondre à ces questions, il est
traditionnel de se référer à l’intention de l’intéressé objectivement appréciée, telle
qu’elle résulte des faits. Le problème de la résidence a été abordé selon deux approches,
quantitative et qualitative. Lorsque la durée de la présence est insuffisante, l’existence
d’une intention correspondant à la perspective de s’installer pour un certain temps, voire
un temps dont le terme est déjà prévu, peut suffire à révéler la résidence. Et le fait de
mettre l’accent sur la dimension qualitative de la résidence suppose, induit déjà
naturellement, une recherche des intentions de l’intéressé.

266. De fait, la recherche d’un élément intentionnel intervient principalement


dans trois hypothèses : lorsque la durée écoulée de la présence en France est insuffisante
pour constituer à elle seule une résidence ou une résidence habituelle (A.) ; lorsque
l’intéressé est absent du territoire français quand se pose la question de savoir s’il a dans
ce pays sa résidence (B.) ; enfin, lorsque l’intéressé partage son temps ou ses intérêts
entre plusieurs lieux (C.).

113
B. MERCADAL, Recherches sur l’intention en droit pénal : RSC 1967. 1 s., spéc. 7-8.

183
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

A. La durée de séjour insuffisante

267. On s’est éloigné de l’hypothèse la plus simple consistant à considérer que la


résidence de l’intéressé existe lorsque sa présence a duré un certain temps en un lieu. La
présence en un lieu pouvant n’être pas suffisante pour constituer pleinement une
résidence, simple ou habituelle, l’élément intentionnel sert alors à qualifier la présence,
à confirmer l’existence de la résidence (1.). Le caractère durable d’un séjour, révélateur
de cet élément intentionnel, vient renforcer un élément quantitatif encore précaire :
l’élément intentionnel correspond à une perspective de s’installer suffisamment
longtemps pour considérer la résidence comme finalement déjà établie (2.).

1. La confirmation de l’existence de la résidence en un lieu

268. On sait que, par principe, pour qu’une personne ait une résidence simple ou
habituelle en un lieu, elle doit y être présente depuis un certain temps, sans qu’aucune
durée minimum ne soit fixée, et que pour qu’elle y ait sa résidence habituelle, elle doit
plus particulièrement acquérir une habitude de vie en ce lieu, avoir noué des liens avec
un milieu environnant. La stabilité de la résidence, inhérente à la notion, n’apparaît pas
toujours nettement et, si ce facteur « temps écoulé » fait encore défaut, qu’il y a doute
sur l’existence d’une résidence, il y aura lieu de tenir compte de la perspective d’un
établissement suffisamment durable.

269. On considère en effet que la résidence peut se constituer ou bien par


l’écoulement du temps passé, ou bien par le fait qu’elle est projetée pour une période
d’une certaine durée. La jurisprudence indique ainsi que la résidence « doit soit avoir
déjà duré quelque temps, soit être établie pour une certaine durée »114. Le facteur temps
est donc nécessaire pour constituer la résidence, mais, même s’il est encore court, on ne
doit pas en déduire ipso facto qu’il n’y a pas résidence. Il convient alors de poursuivre
et d’analyser les circonstances, les faits objectifs qui entourent la présence en un lieu.
De même, la jurisprudence indique que pour qu’il y ait une résidence « habituelle », on

114
OLG Hamm, 12 déc. 1973 – 15 W 190/73 ; FamRZ ; NJW 1974, 1053 ; ZBIJR 1974, 441 (cité par
M. Sumampouw, Les nouvelles conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux :
Institut universitaire de droit international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 1, 1976, p. 18).
V. également OLG Stuttgart 23 juin 1975 – 8 W 181/75 ; FamRZ 1975, 644 ; IPRspr. 1975 Nr. 74 ; NJW
1976, 483 (cité par M. Sumampouw, Les nouvelles conventions de La Haye. Leur application par les
juges nationaux : Institut universitaire de droit international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 2, 1980,
111).

184
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

doit être « en présence d’une intention ferme de s’installer pour une durée
substantielle »115 ; toute recherche d’intention est en revanche inutile si la résidence peut
déjà être qualifiée d’habituelle du fait d’un écoulement du temps suffisant. On recherche
donc une « durabilité » de la résidence en se référant à des circonstances de fait qui
entourent la présence encore quantitativement précaire en un lieu. Elle se déduit de la
volonté, objectivement appréciée, de l’intéressé de rester en un lieu suffisamment
longtemps pour que l’on puisse considérer qu’il y a une résidence. Dans ce contexte, la
durabilité peut être considérée comme une notion abstraite. M. Simond116 l’a définie
comme « la propriété qu’a un fait quelconque de remplir les conditions ou de posséder
les qualités nécessaires pour durer un certain temps » ; c’est « en outre une notion
abstraite relative, au même titre que la largeur, ou la longueur, par exemple […]. En
effet, de même qu’il n’est pas possible de dire combien il faut de graines pour faire un
tas de blé, de même on ne peut préciser complètement et a priori la notion de
durabilité ».

270. C’est à juste titre que M. Maury a souligné qu’il n’y a « nulle contradiction
à admettre qu’on [puisse] s’installer dans un endroit de manière relativement
temporaire, en attendant mieux, tout en reconnaissant qu’au moment considéré cet
endroit était celui où le demandeur entendait situer le centre de ses intérêts »117. De fait,
en matière de divorce par exemple, la résidence ne peut, par hypothèse, « se définir par
rapport au passé dans le cas d’une séparation récente ; de même le juge ne peut que
difficilement le faire dans une projection à l’avenir incertain »118. Il faut simplement
être certain que la saisine des juridictions sur le fondement de la résidence ne repose pas
sur une présence purement fortuite ou que la compétence internationale des juridictions
françaises n’est pas arbitrairement recherchée, mais qu’elle est fondée sur une situation
réelle, malgré une durée de présence encore quantitativement faible. Les tribunaux
recherchent souvent un élément intentionnel : non pas la volonté de s’installer en tant
qu’élément psychologique et subjectif, interne et purement volitif, mais celle qui doit se
déduire d’éléments objectifs, qui est révélée par le comportement de la personne dont la

115
V. HC/E/NZ 30, High Court at Wellington (Nouvelle-Zélande, 2e instance), 12 avr. 1995, H. c/
H. [1995] 12 FRNZ 498. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
116
W. SIMOND, L’élément intentionnel du domicile : Thèse Lausanne, 1923, n° 50.
117
Jean MAURY , La compétence territoriale en matière de demande de divorce (Art. 1070 Nouv. c. pr.
civ.) : D. 1983. V. 27 s., spéc. 29.
118
M. Brazier, note sous TGI Toulouse, 8 sept. 1976 : Gaz. Pal. 1976. 2. 721.

185
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

résidence est alléguée. La perspective de demeurer un certain temps en un lieu devrait


suffire pour considérer que la résidence est acquise.

271. On a vu que certains pays se référaient à une durée minimum de six mois,
au terme de laquelle la résidence était considérée comme habituelle, mais qu’en
présence d’une intention de s’installer en un lieu, ce délai pouvait être réduit119 s’il
apparaissait au vu des éléments de fait qu’il existe une perspective de séjour durable120.
Tous les États n’ont pas adopté ce critère de six mois, mais les tribunaux semblent
admettre dans leur ensemble que, lorsqu’une présence sur un territoire paraît encore
précaire, que l’élément quantitatif fait défaut, on peut pallier cette carence par une
référence aux intentions de l’intéressé121. L’intention permet de distinguer la simple
présence d’une résidence, et la simple résidence d’une résidence habituelle, et de
suppléer une durée jugée encore trop courte pour être à elle seule révélatrice de stabilité
et d’effectivité.

272. Une personne peut ainsi n’être présente en France que depuis quelques
semaines et néanmoins y avoir sa résidence, même habituelle. Ainsi lorsqu’elle a par
exemple loué ou acquis en France un logement, qu’elle y a obtenu un emploi, qu’elle a
ouvert un compte en banque, qu’elle s’est inscrite à l’année dans un club de sport, que
ses enfants ont été scolarisés sur place, que la famille s’est inscrite à des activités
sociales, culturelles ou religieuses locales – et ce, dans le courant des quelques semaines
écoulées depuis son arrivée dans le pays. Les titres de séjour, demandés ou obtenus, leur
nature, peuvent également être un indice retenu de la durée de présence envisagée.
Manifestement, toutes ces circonstances, objectives, suffisent à révéler l’intention de la
personne de s’installer en France pour un certain laps de temps ; elles ont valeur
d’éléments révélateurs. La résidence est habituelle si on peut montrer l’existence d’une
installation qui se veut stable et continue pendant une certaine durée122. La « recherche

119
Voir sur cette question P. R. BEAUMONT et P. E. MCELEAVY, The Hague Convention on International
Child Abduction : Oxford University Press, 1999, p. 106 s.
120
OLG Hamm 5 avr. 1974 – 15 W 209/73 ; IPRspr. 1974, Nr. 83 (cité par M. Sumampouw, Les
nouvelles conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux : Institut universitaire de
droit international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 2, 1980, 111).
121
Dans certains cas, la jurisprudence semble indiquer qu’il faut nécessairement une résidence et une
intention pour constituer la résidence habituelle : v. par exemple HC/E/AU 279, Family Court of
Australia at Melbourne (Australie, 1re instance), 21 déc. 1994, State Authority and McCall (1995) FLC
92-552. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
122
V. P. R. BEAUMONT et P. E. MCE LEAVY, The Hague Convention on International Child Abduction :
Oxford University Press, 1999, p. 102 s.

186
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

présumée de l’intention est inutile : il suffit que le juge prenne du recul et ait une vue
générale de la situation. La volonté de s’établir n’a pas à être recherchée au microscope.
Si elle existe, elle résulte clairement de l’impression générale »123.

273. À l’inverse, lorsque, dès le départ, la résidence a un caractère provisoire,


qu’« il manque ce minimum de stabilité pendant une certaine période qui est inhérent à
la notion de résidence habituelle »124, celle-ci ne pourra être considérée comme
existante. C’est pourquoi en matière de déplacements illicites d’enfants, par exemple,
on considère traditionnellement qu’une présence de l’enfant dans un lieu où il est retenu
en violation d’un droit de garde ne permet pas l’établissement en ce lieu d’une résidence
habituelle. Dans la mesure où le déplacement est illicite, un retour dans le pays d’où
vient l’enfant doit, en principe, être ordonné ; le séjour étant alors par hypothèse
précaire, l’enfant ne peut acquérir de résidence habituelle en dépit d’une présence en un
lieu de plusieurs mois, alors même qu’il serait inscrit à l’école ou participerait à d’autres
activités. Il ne peut en principe avoir le centre de ses intérêts en ce lieu, donc y avoir
une résidence habituelle. La résidence ne peut être acquise qu’une fois que l’on est
certain qu’il restera en un lieu, malgré la voie de fait, que l’on se trouve face à une
situation de non-retour125.

274. Étant établi que l’élément intentionnel peut suppléer une durée
quantitativement faible, on peut alors se demander si, en présence d’une intention de
s’établir durablement, on peut se passer totalement d’un élément minimum de durée : la
résidence ou la résidence habituelle peut-elle se constituer dès l’arrivée d’une personne
en un lieu, si cette personne a l’intention de faire de ce lieu sa résidence ou sa résidence
habituelle ? Cette question concerne plus particulièrement le changement de résidence
et sera développée ultérieurement ; néanmoins on peut d’ores et déjà dire que la réponse
est loin de faire l’unanimité126.

123
HC/E/UKe 173, High Court (Angleterre, 1re instance), 21 août 1992, Re B. (Minors) (No. 2) [1993] 1
FLR 993, [1993] Fam Law 450. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
124
BayObLG 25 mars 1974 – BReg. 1 Z 15/74 ; DAVorm 1974, 281 (somm.) ; FamRZ 1974, 326 ; NJW
1974, 1052 ; Das Standesamt 1974, 206 ; ZBIJR 1974, 448 (somm.) 441 (cité par M. Sumampouw, Les
nouvelles conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux : Institut universitaire de
droit international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 1, 1976, p. 19).
125
Sur l’ensemble de la question relative aux déplacements internationaux d’enfants, cf. infra n° 389.
126
Sur l’ensemble de cette question, cf. infra n° 309.

187
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

275. Ainsi, dans l’arrêt Re J. rendu par la Chambre des Lords le 26 juillet
1990127, Lord Brandon of Oakbrook a considéré que l’expression « résidence
habituelle » ne devait pas être traitée comme une expression technique, avec un sens
particulier, mais devait plutôt être comprise selon le sens ordinaire et naturel des deux
mots qui la composent ; que la question de savoir si une personne a sa résidence
habituelle ou pas dans un pays particulier était une question de fait qui devait être
résolue par référence à l’ensemble des circonstances de chaque cas particulier. Il a
également indiqué qu’une personne pouvait, en un seul jour, cesser d’avoir sa résidence
habituelle en un pays A si elle le quittait avec la ferme intention de ne pas y retourner ;
qu’en revanche cette personne ne pouvait avoir, en un seul jour, de résidence habituelle
dans un pays B, un certain laps de temps devant s’écouler au préalable. Lord Brandon of
Oakbrook considère donc qu’une résidence implique une durée minimum, même en
présence d’une intention de s’établir en un lieu128. Le délai minimum devrait résulter à
la fois de l’objectif de la règle de conflit qui utilise le critère et des circonstances de fait
révélées dans chaque espèce. Les délais retenus en pratique par la jurisprudence sont
divers ; une juridiction a pu considérer qu’en présence d’une « intention de s’installer
dans un pays, un mois [pouvait] constituer une période suffisant à l’établissement d’une
résidence habituelle »129. Le plus souvent, elle indique simplement que la présence en
un lieu doit déjà avoir duré un moment et qu’il faut avoir l’intention de s’installer en ce
lieu130, sans donner de durée précise.

276. À l’inverse, d’autres auteurs ou magistrats estiment que la résidence peut se


constituer en un jour131 : « il est constant que la résidence habituelle existe dès le début
de la présence physique, c'est-à-dire dès l’arrivée de la personne en un lieu, lorsque les

127
HC/E/UKe 2, House of Lords (Angleterre), 26 juill. 1990, Re J. (A minor) [1990] 2 AC 562, [1990] A
All ER 961, [1990] 2 FLR 450, sub nom C. v. S. (A Minor). V. la base de données INCADAT :
http://212.206.44.26/.
128
V. également HC/E/USs 149, Family Court, New York County (États-Unis, 1re instance), 8 mars 1995,
David B. c/ Helon O., 164 Misc. 2d 566, 625 N.Y.S.2d 436 (Fam. Ct 1995). La résidence habituelle ne
peut changer qu’avec un écoulement du temps ; l’intention de s’installer en un lieu ne suffit pas à établir
la nouvelle résidence habituelle. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/. V. enfin, en ce
sens, J. G. COLLIER (Conflicts of Laws : Cambridge University Press, 3rd ed., 2001, p. 56), mais avec une
nuance : la résidence ordinaire peut être acquise en un seul jour, mais la résidence habituelle requiert
l’écoulement d’un certain temps.
129
HC/E/UKe 40, Court of Appeal (Angleterre, 2e instance), 31 juill. 1991, Re F. (A minor), [1992] 1
FLR 548, [1992] Fam Law 195. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
130
HC/E/UKe 201, Court of Appeal (Angleterre, 2e instance), 10 août 1995, Re M. (A Minor). V. la base
de données INCADAT : http://212.206.44.26/.

188
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

circonstances permettent de conclure à un séjour durable »132 ; « lorsqu'il existe une


perspective sérieuse d’un séjour durable, une personne peut se créer une résidence
habituelle au premier jour de son arrivée dans le pays dans lequel elle compte
s’établir »133. Selon la jurisprudence, il est « déjà question de résidence habituelle si l’on
fixe, dès le commencement, un séjour prolongé »134. Une « nouvelle résidence
habituelle s’établit déjà lorsque les circonstances permettent de dire que le séjour sera
prolongé pour longtemps et que cette nouvelle résidence devra devenir le nouveau
centre de gravité de l’existence à la place du précédent »135. Une autre décision, de
manière quelque peu curieuse, tout en soulignant que la résidence habituelle se
détermine par un état de fait davantage que par l’écoulement d’un délai spécifique,
indique que la résidence habituelle peut être établie « après un jour seulement pourvu
qu’il soit établi que l’enfant s’est intégré à cet endroit »136. Pareil délai d’intégration
peut surprendre : il paraît en effet assez difficile d’admettre que l’on puisse s’intégrer en
un jour. Un autre cas apparaît également discutable137 : le père avait sa résidence
habituelle en Australie depuis des années et les magistrats ont considéré que, « dans ces
circonstances, il n’était pas nécessaire qu’une "durée suffisante" se soit écoulée pour
que l’enfant y acquière sa résidence habituelle » ; l’acquisition de la résidence habituelle
a été considérée comme immédiate. On peut contester le fait que l’on se soit référé à la
résidence habituelle du père pour dire que celle de l’enfant ne requérait aucun
écoulement de durée, dans la mesure où la résidence d’une personne ne se déduit pas de
celle d’une autre138. Mais il est vrai que ces décisions ont été rendues en application de
la Convention de La Haye sur les déplacements illicites d’enfants, que le contexte est un

131
V. par exemple E. M. CLIVE, The concept of habitual residence : The juridical review, 1997. 137 s.,
spéc. p. 145-146.
132
D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse lausanne,
1995, p. 100.
133
A. BUCHER, La famille en droit international privé : RCADI 2000, t. 283, n° 17.
134
LG Berlin, 7 juill. 1978 – 83 T 256/78 ; DAVorm 1978, 679 (cité par M. Sumampouw, Les nouvelles
conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux : Institut universitaire de droit
international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 2, 1980, 114).
135
BGH 29 oct. 1980 – IV 6 ZB 586/80 ; IPRspr. 1980 Nr. 94 ; DA Vorm 1981, 44 ; FamRZ 1981, 135,
obs. S. Schlosshauer-Selbach p. 536-538 ; IPRax 1981, 139, obs. D. Henrich p. 125-126 ; MDR 1981,
215 ; NJW 1981, 520 (cité par M. Sumampouw, Les nouvelles conventions de La Haye. Leur application
par les juges nationaux : Institut universitaire de droit international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 3,
1984, p. 85-86).
136
HC/E/USf 147, United States District Court for the Southern District of New York (États-Unis, 1re
instance), 2 août 1995, Brooke c/ Willis, 907 F. Supp. 57 (S.D.N.Y. 1995). V. la base de données
INCADAT : http://212.206.44.26/.
137
HC/E/NZ 250, District Court at Hamilton (Nouvelle-Zélande, 1re instance), 15 févr. 1995, S. c/ O.D.
[1995] NZFLR 151. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.

189
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

peu particulier en ce domaine139. Enfin, une dernière décision peut-être rapportée : les
magistrats ont relevé que les intéressés « avaient bien l’intention de s’installer dans cette
région un certain temps et y avaient vécu pendant une durée non négligeable » ; or la
durée en question n’était que de quelques jours140. Cependant, cette fois, la solution se
conçoit au regard des circonstances de fait : les époux habitaient en Allemagne, puis ont
déménagé pour la Suisse ; en réalité, ils vivent toujours dans la même région puisqu’ils
s’établissent à quelques kilomètres seulement de leur ancienne demeure, de l’autre côté
de la frontière. Quelques jours sont effectivement suffisants, dans cette hypothèse, pour
constituer la résidence habituelle en un lieu qui leur est familier, avec lequel ils ont déjà
tissé des liens, en présence d’une intention d’y rester pour un temps, l’élément
intentionnel venant compenser l’aspect quantitatif certainement encore déficient.

277. De manière plus générale, il semble difficile d’admettre cette position qui
consiste à considérer qu’une résidence peut s’établir sans écoulement d’un délai
minimum, par les seules intentions révélées que l’intéressé a de s’établir en un lieu. La
notion de résidence, en particulier de résidence habituelle, implique une présence stable.
Si l’on retient que l’intention suffit entièrement à établir la résidence, c’est dénaturer la
notion, même si on nuance ce propos en reconnaissant qu’il convient toujours de se
placer dans un cas particulier, qu’il faut se garder de trop généraliser et qu’il y a lieu de
se référer aux objectifs de chaque règle de droit. Il est vrai que si, dès son arrivée sur un
territoire, une personne requiert que des mesures de protection soient prises à l’égard de
sa personne ou de ses biens, elles le seront, au titre de l’urgence par exemple, mais
certainement pas sur le fondement de la résidence habituelle. En pratique, cependant, il
est rare qu’une personne ait besoin « dès le lendemain de son arrivée » que l’on prenne
de telles mesures.

278. Enfin, on peut se poser la question de savoir si, en présence d’une intention
de s’établir révélée par les circonstances, il est nécessaire de « quantifier » cet élément
intentionnel. Il est certes révélateur d’une intention de s’établir en un lieu, mais cette
intention doit-elle être assortie d’une indication de durée minimum ?

138
Cf. supra n° 119 sur le caractère personnel de la notion et l’absence de « résidence habituelle légale ».
139
Cf. infra n° 389.
140
HC/E/UKs 350, Outer House of the Court of Session (Écosse, 1re instance), 4 mai 2001, D. c/ D.
[2001] ScotCS 103. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.

190
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

2. Une perspective de résider pour un laps de temps suffisant

279. La durée de résidence envisagée doit-elle être quantifiée ? Doit-on vouloir


s’établir pour longtemps ? On pourrait faire un parallèle entre les éléments matériel et
intentionnel de la notion de résidence : une présence momentanée est exclue, mais
aucun quantum n’est exigé pour constituer la résidence ; une intention de s’établir de
façon durable est requise, mais là encore aucune durée minimum n’est envisagée. La
durabilité requise pour révéler l’existence d’une résidence ou d’une résidence habituelle
dépend de chaque situation concrète.

280. Il faut, en effet, vouloir s’établir « de manière stable »141. La résidence


habituelle « se dit d’une résidence qui a été choisie pour le moment avec l’intention d’y
demeurer pour une certaine durée »142, pour « un certain temps »143. La « quantité » de
présence envisagée, recherchée pour « compléter » la durée de présence déjà écoulée,
n’est jamais précisée. Cela paraît normal. On cherche à établir l’existence d’une notion
qui implique stabilité, continuité ou habitude en un lieu. Ces caractères ne résultant pas
directement de la durée de présence encore insuffisante, on les recherche alors à travers
l’élément intentionnel. On ne cherche pas à établir autre chose que l’effectivité d’une
situation, sa réalité. Plus la durée déjà écoulée est courte, plus il faut l’assortir d’une
intention révélatrice de stabilité. À l’inverse, si une présence en un lieu présente déjà
une certaine durée, par hypothèse, il est permis d’estimer que des liens se sont établis
entre l’intéressé et le milieu dans lequel il vit, et la preuve de ses intentions d’y
demeurer est plus facile à établir. D’ailleurs, passé un certain temps, on ne se réfère plus
à l’élément intentionnel et, si la jurisprudence y fait encore allusion, c’est pour constater
que, de toute façon, la résidence est établie.

281. Il n’est donc pas nécessaire, pour établir la résidence, de constater une
intention de résider au même endroit indéfiniment ou de manière permanente144 ; il
suffit qu’il y ait une intention d’y résider pour une durée appréciable, suffisamment

141
HC/E/UKe 181, High Court (Angleterre, 1re instance), 20 août 1996, Re S. (A Minor). V. la base de
données INCADAT : http://212.206.44.26/.
142
HC/E/Uks 73, Inner House of the Court of Session (Écosse, Extra Division, 2e instance), 8 juin 1990,
Dickson c/ Dickson 1990 SCLR 692. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
143
HC/E/UKs 350, Outer House of the Court of Session (Écosse, 1re instance), 4 mai 2001, D. c/ D.
[2001] ScotCS 103. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
144
Même si dans les décisions rapportées il est souvent indiqué que l’intéressé a l’intention de s’établir de
manière permanente. Cette condition n’est pas nécessaire.

191
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

longue, même si elle est limitée145. Le fait qu’une personne souhaite demeurer de
manière indéfinie en un lieu « peut être un élément qui vient au soutien de l’idée que cet
endroit représente le lieu de résidence habituelle […], mais ce n’est pas une condition
nécessaire à l’établissement de la résidence habituelle »146. Peu importe donc que la
durée soit indéfinie, ou au contraire prédéfinie. D’ailleurs il se peut que la durée initiale
de résidence habituelle envisagée soit finalement différente de la réalité.

282. Une projection dans l’avenir peut d’ailleurs ultérieurement se confirmer ou


s’infirmer. On peut imaginer qu’une personne soit présente sur le territoire français
depuis relativement peu de temps ; on sait, d’après les circonstances de fait qui
entourent ce séjour, qu’elle n’a pas l’intention de retourner tout de suite dans son pays
d’origine ; elle ignore d’ailleurs quand elle quittera la France. On peut considérer
qu’elle y a sa résidence ou sa résidence habituelle si la question se pose à ce moment-
là147. Mais si le juge doit apprécier la résidence à une date précise, par exemple, en
matière de divorce, au jour de la requête, et qu’après l’avoir déposée, la personne décide
finalement de quitter la France, est-il permis d’affirmer qu’elle y a bien eu sa résidence
(auquel cas les juridictions françaises sont compétentes) ou, à l’inverse, est-elle censée
n’avoir jamais eu sa résidence en ce lieu ? Si le juge doit apprécier la résidence au jour
de l’introduction de la demande et qu’à cette date, la personne en question avait bien
l’intention de rester en France, on peut pourtant penser que le juge considèrera qu’elle
n’y avait pas sa résidence si elle est partie après le dépôt de la requête et avant qu’il ne
statue. Ce faisant, le juge aura pris en compte des circonstances de fait et un
comportement postérieurs à la date de référence, mais il ne s’agira là que d’une question
de preuve de la résidence au jour de la requête. Rien ne lui interdit en revanche de
fonder son appréciation sur des éléments de preuve postérieurs. En ce sens, la Cour
d’appel d’Amiens148 a retenu que les juges devaient apprécier concrètement la
résidence, en la distinguant notamment du simple déplacement ou du voyage149, tout en

145
HC/E/Uks 71, Inner House of the Court of Session (Écosse, 2e instance), 24 oct. 1995, Cameron c.
C a m e r o n , 1996 SC 17, 1996 SLT 306, 1996 SCLR 25. V. la base de données INCADAT :
http://212.206.44.26/.
146
HC/E/USf 224, United States District Court for the Central District of Califormia (États-Unis, 1re
instance), 11 août 1998, Mozes c/ Mozes, 19 F. Supp. 2d 1108 (C.D. Cal. 1998). V. la base de données
INCADAT : http://212.206.44.26/.
147
Si, alors que le temps écoulé depuis son arrivée est court, on sait qu’il le restera, elle n’a évidemment
pas sa résidence en France.
148
Amiens, 16 janv. 1979 : JCP 1979. II. 19196, note R. Lindon.
149
La Cour statue alors sur le problème de la durée de la résidence.

192
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

invoquant la volonté de résider en un lieu donné et l’absence de fraude à la loi. La Cour


a indiqué que si la condition de résidence devait effectivement s’apprécier au jour de la
requête, « rien n’interdisait aux juges […] d’asseoir sur le comportement postérieur à la
requête leur opinion relative à la réalité d’une résidence à cette date ». Dans cette
espèce, relative à un problème de divorce, les intentions de la femme, au moment de son
départ du foyer conjugal, n’apparaissaient pas très clairement, mais les circonstances
postérieures à la demande ont révélé dans quelle mesure son installation s’est
poursuivie. La Cour de cassation, dans un arrêt de 1980150, a approuvé cette position de
la Cour d’Amiens151. L’un des moyens du pourvoi faisait valoir que l’épouse
n’établissait pas avoir eu l’intention durable, en raison de l’incertitude de ses projets, de
s’installer dans le ressort du tribunal saisi de la demande en divorce et n’avait pas une
résidence stable et habituelle dans une ville où elle ne demeurait que depuis quelques
jours. La Cour de cassation a estimé que l’intéressée avait bien sa résidence dans une
ville dans laquelle « elle était résolue à demeurer avec sa fille un certain temps ». Dans
cette espèce, la présence apparaissait comme encore précaire et elle s’est ensuite
consolidée ; les faits étaient donc inversés par rapport à ceux de l’exemple donné, mais
le raisonnement est identique.

B. Les absences du territoire français

283. Selon la règle n° 8 de la Résolution (72) 1 du Conseil de l’Europe152


précitée, « une personne a une résidence dans un pays […] lorsqu’elle y habite pendant
un certain laps de temps. Le séjour ne doit pas être nécessairement continu ».
Effectivement, si la résidence ne se résume pas à une présence fortuite sur le territoire
français, elle n’est cependant pas incompatible avec une absence temporaire. Il n’est pas
nécessaire qu’elle soit forcément ininterrompue. Le fait de s’absenter du territoire
français pour rendre visite à sa famille ou de passer des vacances à l’étranger n’ôte pas,
en principe, à la résidence son caractère d’habitude, sa stabilité. Pour autant, lorsque la
jurisprudence indique que la résidence doit être « permanente » et qu’elle implique une

150
Civ. 2e, 25 juin 1980 : Bull. civ. II. n° 159 ; D.S. 1981. IR. 379, obs. J.-C. Groslière.
151
V. cependant, pour un refus de tenir compte des éléments postérieurs à la requête (à propos de la
détermination, non pas de la résidence, mais du domicile, critère de détermination de la loi applicable) :
TGI Paris, 16 oct. 1970 : Rev. crit. 1971. 532, note A. P.
152
Unification des concepts juridiques de « domicile » et de « résidence » : Résolution (72) 1 et annexe
adoptées par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 18 janvier 1972 et exposé des motifs,
Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1972.

193
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

« continuité », il n’y a pas contradiction, à moins de prendre tous ces termes à la


lettre153. L’idée est que la résidence induit une habitude de vie, une routine, laquelle ne
saurait être remise en cause par une absence temporaire et circonstanciée154.

284. On peut illustrer le problème de la compatibilité de la résidence avec des


absences du territoire français par un exemple emprunté au droit de la nationalité155. Un
enfant qui est né en France de parents étrangers nés à l’étranger est lui-même étranger.
Il va pouvoir acquérir la nationalité française dans différents cas. L’un d’eux est visé par
l’article 21-7 du Code civil qui permet à ce jeune étranger de devenir français à sa
majorité, s’il réside en France à cette date et s’il justifie d’une résidence habituelle dans
ce pays de cinq années. Avant la réforme de la nationalité du 16 mars 1998156, selon les
dispositions de l’ancien article 21-7157, l’étranger qui manifestait la volonté d’être
français entre seize et vingt et un ans, qui résidait en France à la date de cette
manifestation de volonté, et qui avait une résidence habituelle en France durant les cinq
années la précédant, acquérait la nationalité française. Aujourd’hui, l’acquisition de la
nationalité française n’est plus soumise à une manifestation de volonté, elle est
automatique au jour des dix-huit ans de l’intéressé s’il a sa résidence habituelle en
France à cette date, et s’il apporte la preuve qu’il a eu « sa résidence habituelle en
France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge
de onze ans ». On peut affirmer que la loi n’a pas franchement innové quant à la
condition de résidence habituelle de cinq années, mais qu’elle a surtout apporté des
précisions qui étaient nécessaires. En effet, si depuis la loi de 1998 la résidence peut être
« continue ou discontinue », est-ce à dire qu’a contrario la résidence devait auparavant
être nécessairement continue ? Il est certain que, même en l’absence de telles
indications, la notion devait déjà pouvoir s’accommoder de certaines absences de courte
durée, par exemple liées à des vacances à l’étranger158. Mais la pratique a vu se
développer des interprétations beaucoup plus strictes de la part des personnes habilitées

153
Cf. supra (n° 223 s.) sur les difficultés qu’il y a à distinguer ces termes les uns des autres.
154
Il est d’ailleurs précisé dans l’exposé des motifs du texte qu’« une personne ne doit pas être considérée
comme ayant perdu sa résidence par une absence même quelque peu prolongée (voyage, vacances,
études) » (Unification des concepts juridiques de « domicile » et de « résidence » : Résolution (72) 1 et
annexe adoptées par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 18 janvier 1972 et exposé des
motifs, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1972, § 54).
155
Même si, on l’a dit, le domaine de la nationalité sera par principe étudié à part.
156
L. n° 98-170 du 16 mars 1998 : JO, 17 mars 1998.
157
Rédaction L. n° 93-933 du 22 juill. 1993 : JO, 23 juill. 1993.
158
Sauf si cette absence s’accompagnait par exemple d’un acte d’allégeance envers un pays étranger.

194
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

à procéder à l’enregistrement de la manifestation de volonté, qui devaient apprécier si


les conditions requises par la loi étaient remplies et qui considéraient parfois que la
résidence habituelle devait être entendue au sens d’ininterrompue159. Si aujourd’hui
l’étranger doit rapporter la preuve qu’il a eu une résidence habituelle de cinq années sur
une période s’étalant sur sept ans160, la circulaire du 20 août 1998161 prévoit qu’« un
véritable transfert de la résidence habituelle (retour dans la famille restée au pays,
volonté de s’installer à l’étranger par exemple) est susceptible d’interrompre le stage. Il
ne s’agit pas de se limiter à un décompte simplement arithmétique de la période de cinq
ans. L’accomplissement du stage de cinq ans à l’intérieur de la fourchette de sept ans
doit être apprécié au cas par cas, en fonction du comportement de chaque personne
mineure au cours de la période considérée établissant ou non sa volonté de poursuivre
son intégration dans la communauté française ». On peut imaginer la situation d’une
personne qui aurait quitté le territoire français entre seize et dix-huit ans et qui
reviendrait dans ce pays à la veille de sa majorité. Pourrait-elle acquérir la nationalité
française sur le fondement de l’article 21-7 du Code civil ? Il conviendrait dans ce cas
de voir quels sont les motifs de son absence. Il semble qu’il faille rechercher pourquoi
cette personne a, d’une part, quitté le territoire français et pourquoi, d’autre part, elle est
revenue en France.

285. L’effectivité de la résidence étant toujours requise, un examen des motifs


des absences, et donc des intentions de l’intéressé, apparaît comme nécessaire. Un autre
cas de figure peut se présenter, celui de l’absence prolongée mais involontaire. Par
exemple, une personne est déportée, prisonnière, malade, des circonstances de guerre
l’obligent à quitter un territoire, etc. Tous ces faits sont-ils de nature à mettre un terme à
une résidence en France ou la notion est-elle compatible avec une absence,
éventuellement durable, qui n’est pas voulue ?162 La jurisprudence considère
traditionnellement qu’une interruption née de circonstances particulières ne peut enlever

159
V. L’application de l’article 21-7 du Code civil relatif à l’acquisition de la nationalité française à
raison de la naissance et de la résidence en France. Bilan de deux années d’application du système de
manifestations de volonté (1994-1995), ss dir. de H. Fulchiron : Centre de droit de la famille, Université
Jean-Moulin, Lyon 3, Ministère de la Justice, Mission de recherche « droit et Justice », mars 1997.
160
Le stage de cinq ans est décompté à partir de l’âge de onze ans.
161
Circulaire n° 98/14 du Ministère de la justice sur les modalités d'entrée en vigueur de la loi du 16 mars
1998 : JUS/C/98/20514/C ; JO, 21 août 1998).
162
Ce problème est plus particulièrement celui de la perte de la résidence, qui sera envisagée avec le
changement de résidence ; il est néanmoins difficile de ne pas l’aborder ici, dans la mesure où, en cas
d’absence, il est tenu compte des intentions de l’intéressé.

195
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

à la résidence son efficacité163. Dans ce cas, la pratique s’est instituée, après le retour de
l’intéressé, d’examiner si l’interruption n’est pas purement fortuite et, comme telle,
dénuée d’effets. L’appréciation de la résidence se fait a posteriori, c'est-à-dire à l’aide
d’éléments postérieurs à la période litigieuse. L’exemple de l’interruption due à un
ordre d’évacuation est le cas type de l’événement fortuit. Plus que la durée de l’absence,
ce sont les conditions dans lesquelles cette absence s’est produite qui doivent être
analysées pour déterminer si elle est vraiment occasionnelle. Parfois, les faits semblent
en tous points identiques, mais ils sont interprétés de manière opposée par les tribunaux.
Ainsi, M. Masmejan rapporte la décision du BGH qui avait admis, en application de la
loi sur les indemnisations pour les dommages causés par la guerre, qu’un Polonais
arrêté dans son pays en 1940 puis déporté à Buchenwald et à Dachau avait acquis une
résidence habituelle en Allemagne164. À l’inverse, en matière de nationalité française,
lorsque l’acquisition de la nationalité est subordonnée à une condition de résidence en
France, la jurisprudence a pu considérer que l’intéressé déporté avait conservé sa
résidence habituelle en France : « un éloignement forcé du territoire ne [fait] pas
obstacle [à l’acquisition de la nationalité française], si du moins un retour rapide en
France de l’intéressé, après que la contrainte eut cessé, [est] venu confirmer son
attachement durable à la France »165. Les juges étaient-ils guidés uniquement par la
recherche d’une solution opportune, « juste », ou est-ce la manière d’appréhender la
notion qui varie d’un pays à l’autre ?

286. En général, la jurisprudence a tendance, en cas d’absence de la personne, à


prendre en considération les motifs invoqués, ses intentions telles que révélées par les
circonstances. Néanmoins, si la durée de l’absence est trop longue, et alors même
qu’elle est parfaitement légitime lorsqu’elle n’est pas voulue, il semble difficile
d’admettre que l’intention de revenir suffise à maintenir la résidence. L’élément
matériel qui sert à la constituer disparaît alors totalement. Si l’intention de rester en un
lieu peut suffire à compenser la défaillance de l’élément matériel de présence physique,

163
V. la décision HC/E/USf 481, United States District Court for the District of Minnesota (États-Unis,
1re instance, 9 mai 2002, Silverman c/ Silverman, 2002 U.S. Dist. LEXIS 8313. V. la base de données
INCADAT : http://212.206.44.26/. La cour considéra que « lorsque la résidence était forcée, il ne pouvait
y avoir de décision de s’installer dans le pays, condition nécessaire à l’acquisition de la résidence
habituelle ».
164
D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse Lausanne,
1995, p. 95.
165
P. LAGARDE, La nationalité française : Dalloz, 3e éd., 1997, n° 147.

196
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

si l’intention de revenir en ce lieu en cas d’absence forcée est évidente, lorsque


l’absence dure trop, l’élément intentionnel devient inopérant ; il ne peut, en quelque
sorte, compenser quelque chose qui n’existe pas, ou qui n’existe plus166. Comme l’a fait
remarquer un magistrat écossais dans une décision de 1995167, quand bien même
Robinson Crusoe n’a jamais pu quitter son île déserte, il n’en a pas moins eu, sur l’île en
question, sa résidence habituelle. Il prend également l’exemple de Nelson Mandela et
autres prisonniers politiques longuement détenus à Robben Island : leur résidence
habituelle était bien au lieu de leur détention.

287. Nelson Mandela a passé dix-huit de ses vingt-sept années de détention à


Robben Island. Il est évident que, dans ces conditions, on ne peut envisager de retenir
son intention de quitter l’île, ou de ne pas avoir voulu y aller, pour admettre que
l’absence prolongée est compatible avec une résidence. S’il importe, en cas d’absence,
que l’intéressé « revienne effectivement après ses divers déplacements »168, cela ne
suffit pas. La notion de résidence est incompatible avec toute idée de fiction, elle doit
avoir une assise matérielle effective minimum et l’intention ne peut que « rééquilibrer »,
« réparer » un élément matériel défaillant, non le remplacer. C’est certainement
d’ailleurs aussi en cela que la résidence se distingue du domicile ; l’élément intentionnel
au sens de « volitif » pourrait jouer dans ce dernier cas, mais pas pour la résidence169.
Selon un auteur, la notion de résidence habituelle se distingue en effet du domicile « par
la prédominance de l’élément objectif du séjour en un lieu donné sur l’élément
subjectif, c'est-à-dire l’intention de s’y établir »170.

288. Il est un autre cas, celui des absences qui sont répétées. Pour prendre un
exemple un peu caricatural, la personne va et vient entre plusieurs pays, travaille dans

166
D’ailleurs, dans l’hypothèse d’un enlèvement international d’enfant, l’absence du territoire peut s’être
prolongée de manière involontaire et pourtant la résidence habituelle de l’enfant peut s’être constituée
dans un nouveau pays, contre sa volonté ou contre la volonté de celui qui a le pouvoir de décider du lieu
de la résidence habituelle de l’enfant, et ceci malgré le caractère illicite du déplacement. Sur ce point,
cf. infra n° 403.
167
HC/E/Uks 71, Inner House of the Court of Session (Écosse, 2e instance), 24 oct. 1995, Cameron c.
C a m e r o n , 1996 SC 17, 1996 SLT 306, 1996 SCLR 25. V. la base de données INCADAT :
http://212.206.44.26/.
168
Unification des concepts juridiques de « domicile » et de « résidence » : Résolution (72) 1 et annexe
adoptées par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 18 janvier 1972 et exposé des motifs,
Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1972, § 54.
169
V. par exemple A. BUCHER , Personnes physiques et protection de la personnalité : Helbing &
Lichtenhahn, 4e éd., 1999, p. 89.

197
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

l’un, passe son temps libre dans l’autre, a sa famille dans son pays d’origine où elle
revient systématiquement passer ses vacances. C’est là en fait plus un problème de
pluralité que d’absence ou d’interruption de résidence.

C. La pluralité de résidences

289. Selon MM. Bellet et Goldman171, la résidence habituelle ne devrait être


définie qu’en fonction de deux éléments de pur fait : « l’habitation sur le territoire, et
une certaine permanence de cette habitation ». Cependant, ils ne se dissimulent pas que
« dans le cas de pluralité de résidences en divers pays, la détermination de la résidence
habituelle ne pourra pas toujours être exempte d’une certaine recherche d’intention
destinée à désigner parmi elles la résidence habituelle ou la plus habituelle ».

290. Il semble évident qu’une personne puisse avoir plusieurs résidences172 et


l’intention objectivement appréciée, jointe à la durée des résidences respectives,
permettra de désigner laquelle présente le caractère d’habitude. La question de savoir si
une personne est susceptible d’avoir plusieurs résidences habituelles a en revanche
davantage divisé la doctrine173. La résidence habituelle est, d’après M. Audit, le lieu où
la personne « séjourne le plus fréquemment : toute personne aura nécessairement une
résidence habituelle dans l’ordre international, et à moins d’une répartition de ses

170
V. A. K. SCHNYDER , cité dans la décision Tribunal cantonal du Canton de Vaud, 29 déc. 1993 :
Schweizerische Juristen-Zeitung 90 (1994) n° 14, p. 390 ; RSDIE 2/1996. 200.
171
P. BELLET et B. GOLDMAN, La Convention de La Haye sur la reconnaissance des divorces et des
séparations de corps : JDI 1969. 843 s., spéc. 852 ; Rapport explicatif : Actes et documents de la XIe
Session de la Conférence de La Haye, 1968, t. II, Divorce, n° 26.
172
En droit français, on se réfère souvent à l’expression de « résidence principale » par opposition à une
« résidence secondaire ». Dans les questions posées aux gouvernements devant le Comité européen de
coopération juridique (Réponses des gouvernements au questionnaire relatif à la notion de « résidence »
et à la notion de « domicile », Conseil de l’Europe, 1975, spéc. p. 18-19), l’une était relative à la
possibilité d’avoir en même temps deux ou plusieurs résidences. Les gouvernements ont pratiquement
tous répondu par l’affirmative. Mais l’Italie a en revanche indiqué que « dès lors que la résidence exprime
un fait, une situation objective intégrale, qui est de demeurer habituellement en un lieu, il n’est pas
possible d’avoir deux ou plusieurs résidences ». – V. également D. W. M. WATERS, Rapport explicatif :
Actes et documents de la XVIe Session de la Conférence de La Haye, 1988, t. II, Succession – loi
applicable, n° 51. Selon l’auteur, « la résidence habituelle est une présence physique régulière, d’une
certaine durée, et une association nettement plus forte que la résidence "ordinaire" dont le de cujus peut
posséder une ou plusieurs ».
173
V. les auteurs cités par D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international
privé : Thèse Lausanne, 1995, p. 99. On peut noter qu’en Belgique, il est possible d’avoir plusieurs
résidences habituelles : une où l’on « habite une partie de l’année » et une qui correspond « à l’endroit où
l’on est inscrit dans les registres de la population ». En Autriche ou en Allemagne, par exemple, la
possibilité d’avoir plusieurs résidences habituelles est également admise (v. Réponses des gouvernements
au questionnaire relatif à la notion de « résidence » et à la notion de « domicile », Conseil de l’Europe,
1975, spéc. p. 2 pour la Belgique, p. 18 pour l’Autriche et l’Allemagne).

198
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

activités entre deux ou plusieurs pays si égale qu’elle en devient théorique, elle n’aura
qu’une résidence habituelle »174. Dans le même sens, Niboyet, dans une communication
de 1951 devant le Comité français de droit international privé, faisait remarquer que, si
certains admettent qu’il y a des personnes qui ont habituellement plusieurs résidences,
« il y aura nécessairement une résidence qui sera plus importante que les autres », qu’il
y aura certes parfois des difficultés, mais que « l’immense majorité des individus n’ont
pas plusieurs résidences »175. Mettant l’accent sur la dimension qualitative de la notion,
M. Waters a jugé qu’une personne ne pouvait avoir qu’une seule résidence habituelle
car « c’est le centre de sa vie, le lieu auquel elle est le plus intimement associée par son
style de vie. Pour déterminer quel est ce lieu, sa famille et ses liens personnels sont des
éléments particulièrement importants »176. La jurisprudence a pu estimer que la
résidence habituelle était unique : « un individu ne peut avoir qu’une seule résidence
habituelle à un moment donné »177. À l’inverse elle a pu considérer qu’un enfant qui fait
l’objet d’une garde alternée, partageant ses semaines entre l’Irlande du Nord et la
République d’Irlande, avait une résidence habituelle dans chaque État dans lequel il
vivait178. Il est vrai que l’hypothèse d’une pluralité de résidences habituelles pourrait, on
le verra179, rendre certaines conventions inapplicables180.

174
B. AUDIT , note sous Civ. 1re, 16 déc. 1975 : Rev. crit. 1976. 551-559, spéc. 558. V. également
J. G. COLLIER (Conflicts of Laws : Cambridge University Press, 3rd ed., 2001, p. 56), qui considère qu’il
peut y voir plusieurs « résidences ordinaires », mais une seule « résidence habituelle ».
175
J.-P. NIBOYET, Le domicile dans le projet de la Commission de réforme du Code civil : TCFDIP 1938-
1952, p. 70-71. – Pour MM. BELLET et GOLDMAN (Rapport explicatif : Actes et documents de la XIe
Session de la Conférence de La Haye, 1968, t. II, Divorce, n° 26), si l’intention permet de distinguer,
parmi les résidences, laquelle est la plus habituelle, « on peut cependant avancer que si les caractères
matériels et les durées respectives, au cours d’une période de référence, de plusieurs résidences ne
permettent pas un tel choix, il serait légitime de considérer que chacune d’elles est une "résidence
habituelle", pour peu que l’intéressé y fasse plus que des séjours occasionnels et de courte durée ».
176
D. W. M. WATERS, Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIe Session de la Conférence de La
Haye, 1988, t. II, Succession – loi applicable, n° 51.
177
HC/E/Uks 73, Inner House of the Court of Session (Écosse, Extra Division, 2e instance), 8 juin 1990,
Dickson c/ Dickson 1990 SCLR 692. – V. également HC/E/USf 142, United States Court of Appeals for
the Sixth Circuit (États-Unis, 2e instance), 22 janv. 1993, Friedrich c/ Friedrich, 983 F.2d 1396 (6th Cir.
1993). – HC/E/Uks 71, Inner House of the Court of Session (Écosse, 2e instance), 24 oct. 1995, Cameron
c. Cameron, 1996 SC 17, 1996 SLT 306, 1996 SCLR 25. V. la base de données INCADAT :
http://212.206.44.26/.
178
HC/E/UKn 390, High Court of Northern Ireland (Irlande du nord, 1re instance), 25 août 1998, J.S. c/
C.L., In re C.L. (A Minor). V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
179
Cf. infra n° 313 s.
180
V. P. R. BEAUMONT et P. E. MCELEAVY (The Hague Convention on International Child Abduction :
Oxford University Press, 1999, p. 91 et 113) qui estiment que dans le contexte de la Convention de
La Haye de 1980, il n’est pas obligatoire qu’un enfant n’ait qu’une seule résidence habituelle ; mais qu’en
pratique cette analyse peut causer des difficultés d’application du texte de la convention. – La
jurisprudence a, en ce sens, retenu que « la possibilité de résidences habituelles concurrentes s’harmonise

199
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

291. On peut également envisager, comme M. Masmejan181, que dans la mesure


où il existe une « tendance à interpréter la notion de résidence habituelle en fonction du
contexte de son utilisation », l’hypothèse d’une double résidence habituelle n’est pas si
théorique que l’indique M. Audit. Dans ce cas, l’élément intentionnel va être interprété
selon le contexte dans lequel la notion de résidence, plus particulièrement de résidence
habituelle, est utilisée. En ce sens, le Royaume-Uni considère qu’une personne peut
avoir « plusieurs résidences pour des buts différents eu égard aux diverses règles de
droit considérées par les tribunaux. Mais elle ne peut avoir plusieurs résidences dans un
même but. Par exemple, on peut avoir une résidence au Royaume-Uni pour des buts
fiscaux et une autre résidence pour des buts matrimoniaux »182. On retrouve l’idée d’une
interprétation circonstanciée de la notion de résidence et de l’appréciation de son
élément intentionnel par les juges qui serait faite en fonction de la règle de droit qui se
réfère à la notion.

difficilement avec les objectifs poursuivis par la convention de La Haye de 1980 » (HC/E/UKe 45, High
Court (Angleterre, 1re instance), 28 juin 1995, Re V. (Abduction : Habitual Residence) [1995] 2 FLR 992,
[1996] Fam Law 7. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
181
D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse Lausanne,
1995, p. 99-100.
182
Réponses des gouvernements au questionnaire relatif à la notion de « résidence » et à la notion de
« domicile », Conseil de l’Europe, 1975, spéc. p. 19.

200
CONCLUSION DU CHAPITRE 1.

292. « On donne le sens général de la notion en indiquant qu’elle est plus réaliste
que le domicile. La résidence est le lieu où la personne demeure effectivement, pourvu
que ce soit d’une manière assez stable et habituelle »1. Ces quelques mots sur la
résidence sont révélateurs de la notion, et les termes utilisés par M. Carbonnier selon
lesquels « on donne le sens général de la notion en indiquant que […] » sont éloquents.
En effet, on ne peut trouver en droit de définition générale de la résidence, car vouloir
appréhender la notion de résidence, c’est se pencher sur des cas d’espèce. L’analyse de
la résidence ne peut être conceptuelle dans la mesure où elle n’est constituée que
d’éléments de fait qui vont être appréciés au cas par cas.

293. La résidence implique une présence physique suffisamment stable en un


lieu, ce qui permet d’écarter une présence momentanée. La résidence qualifiée
d’habituelle implique une stabilité plus grande : elle est au lieu où l’intéressé s’est créé
une « habitude » de vie ; elle n’existe que si des liens ont déjà pu se tisser entre
l’intéressé et le milieu dans lequel il vit (ces liens se nouent peut-être en fonction de
chaque individu, mais surtout au fil du temps écoulé). C’est pourquoi on considère
qu’une double approche caractérise la notion. Un élément matériel (présence) et
purement quantitatif (durée suffisante) suffit à constituer la résidence dite simple. La
résidence habituelle requiert également une présence d’une durée suffisante, mais
comme elle traduit également une assise plus durable, on considère qu’une approche
qualitative la caractérise : elle est constituée dès que l’intéressé a en un lieu un centre
suffisant de ses intérêts.

294. On devrait pouvoir en rester là. Le problème vient de ce que, dans certains
cas, la durée de présence peut se révéler encore incertaine, précaire, qu’une personne
peut être amenée en vivre en plusieurs endroits ou encore s’absenter du lieu où elle vit
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

en temps ordinaire. Dès lors, on se pose la question de savoir si sa résidence, simple ou


habituelle, se trouve réellement au lieu supposé. Le fait matériel et objectif de la
présence stable est insuffisant à la révéler. On cherche alors à le conforter ou à le
compléter en se référant à un élément intentionnel.

295. L’élément intentionnel peut être ce que veut une personne, ou ce qu’elle
souhaite. C’est ainsi qu’en matière de domicile, on considère que l’intéressé doit avoir
fait volontairement du lieu dans lequel il vit son principal établissement. Bien que
souvent déduit d’éléments de fait par la jurisprudence, donc objectivé, cet élément n’en
est pas moins subjectif : il dépend d’un élément psychologique, « interne », volitif.
L’intention de l’intéressé est déduite d’un certain nombre de faits, mais ceux-ci doivent
révéler qu’il a la volonté de demeurer en un lieu et de faire de ce lieu celui de son
domicile. En matière de résidence, l’élément intentionnel sert uniquement à révéler la
résidence. Cet élément n’est pas constitutif de résidence dans la mesure où, si la
résidence est suffisamment durable, on n’a pas à se poser la question de savoir si le lieu
de résidence d’une personne correspond à son souhait. De même, il ne peut pas
remplacer l’élément matériel qui est le cœur de la notion de résidence. Il ne peut que
compenser en quelque sorte une durée de présence défaillante, non la suppléer
totalement. Sans présence matérielle, il n’y a pas de résidence. C’est pourquoi, bien que
doctrine ou jurisprudence soient divisées sur la question, on doit considérer que la
résidence, en particulier habituelle, ne peut exister sans un minimum de durée. À
l’inverse, mais en raisonnant à l’identique, on doit considérer que l’absence physique
d’une personne pendant un certain temps, alors même que l’absence n’est pas de son
fait, ne permet pas de considérer qu’elle a perdu sa résidence en un lieu. Vouloir sa
résidence en un lieu et l’avoir effectivement sont deux choses radicalement différentes.

296. L’élément intentionnel est constitué d’éléments de fait qui permettent de


qualifier la présence. Ceux retenus en pratique sont de même nature que les éléments
pris en considération pour savoir si une personne a en un lieu le centre de ses intérêts,
lequel caractérise l’approche qualitative de la notion de résidence, en particulier
habituelle. Cette approche qualitative de la notion renvoie à des éléments de fait
révélateurs de liens entre une personne et sa résidence, laquelle correspond au milieu

1
J. CARBONNIER, Droit civil, 1. Les personnes : PUF, Coll. Thémis, droit privé, 21e éd., 2000, n° 55.

202
CHAPITRE 1. LA DÉTERMINATION DE LA RÉSIDENCE

social dans lequel elle vit. Mais, on l’a compris, les deux éléments qualitatif et
intentionnel sont différents. Ainsi, lorsque la durée de présence en un lieu est encore
précaire et que l’on se réfère à un élément intentionnel pour savoir si la personne y a
simplement sa résidence (prise sous son aspect simplement quantitatif), il n’est pas utile
de chercher à déterminer si elle a déjà tissé des liens qui traduisent une habitude de vie
en ce lieu, si elle y a son centre des intérêts ; on doit juste déterminer si la durée de
présence envisagée est suffisante pour permettre de conclure à l’existence ou non de la
résidence. En revanche cette recherche des liens qui traduisent l’habitude s’impose pour
savoir si elle y a sa résidence habituelle, envisagée sous un aspect qualitatif.

297. La dissociation que l’on fait entre les éléments matériel et intentionnel est
très artificielle dans la mesure où ils sont souvent imbriqués, où ils se combinent. La
notion de résidence est un tout, elle doit être prise dans sa globalité, mais elle participe
de chacun de ces éléments, même si, en pratique, l’accent est mis tantôt sur l’un, tantôt
sur l’autre. La résidence apparaît finalement comme un compromis entre le provisoire et
le perpétuel. Savoir quels sont les éléments de fait requis pour constituer la résidence ou
la résidence habituelle dépend, on l’a vu, de l’objectif de la règle de conflit qui utilise ce
critère localisateur.

298. La marge de manœuvre laissée à la disposition des magistrats pour apprécier


si la résidence en un lieu existe ou n’existe pas paraît grande, mais elle ne l’est pas à ce
point si l’on se réfère justement à l’objectif de la règle de droit et à l’esprit de la notion.
Les mêmes principes doivent être appliqués en matière de changement de résidence.

203
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

204
CHAPITRE 2.
LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

299. Une partie de la question relative au changement de la résidence a déjà été


étudiée dans le chapitre qui précède : en examinant les critères qui déterminent la
résidence, on en a présenté les circonstances d’acquisition. Le fait d’acquérir une
résidence implique nécessairement qu’il y ait eu changement de résidence – la question
de la détermination de la résidence ne se pose effectivement pas pour celui qui n’a
jamais quitté son lieu de vie. Néanmoins, l’accent a beaucoup plus été mis sur les
éléments constitutifs de la notion que sur le changement en tant que tel.

300. À l’origine de tout changement de résidence, il y a un déplacement


géographique de la personne concernée. On peut vouloir changer de résidence pour de
multiples raisons. Les premières sont légitimes : on change de cadre de vie – tout au
moins dans l’hypothèse du changement de la résidence qualifiée d’habituelle – pour des
motifs qui peuvent être liés à l’exercice d’une activité professionnelle, ou pour des
raisons purement personnelles ; une personne peut également se trouver contrainte de
quitter le pays dans lequel elle vivait pour une durée indéfinie ou pour un laps de temps
déterminé. Ce déplacement, s’il n’est pas simplement passager ou temporaire, entraîne
par principe un changement de résidence. Les seules questions qui se posent alors sont
de savoir à quel moment ce changement a lieu et quelles en sont les conséquences
juridiques.

301. Dans une seconde série d’hypothèses, l’objet du déplacement est totalement
étranger aux raisons qui viennent d’être évoquées. Une personne peut vouloir se
constituer une résidence en un lieu uniquement pour échapper aux conséquences légales
attachées à son ancienne résidence ou pour que celles de sa nouvelle résidence lui soient
appliquées. Le déplacement de la personne concernée peut également trouver son
origine dans une voie de fait, un acte illicite (un mineur peut, par exemple, avoir été
enlevé par l’un de ses parents). Dans ces hypothèses, l’objet du déplacement, son but ou
la manière dont il a été effectué, apparaissent comme entachés d’illicéité et l’on doit se
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

demander si un tel déplacement géographique peut constituer un changement de


résidence. Deux types de sanctions à ce comportement sont en effet envisageables : le
refus de considérer le changement de résidence comme effectif (il n’y a pas acquisition
d’une nouvelle résidence) ou le refus de tenir compte des conséquences juridiques qui
en découlent.

302. Il y a donc lieu d’envisager dans un premier temps l’hypothèse du


changement licite de la résidence (Section1.) ; celle du déplacement illicite sera ensuite
étudiée (Section 2.).

SECTION 1. LE CHANGEMENT LICITE DE LA RÉSIDENCE

303. Lorsque la résidence est un critère de rattachement qui fonde la compétence


juridictionnelle ou qui est retenu pour désigner la loi applicable, que le juge saisi doit se
référer à ce facteur, il est essentiel pour le juge suivi qui s’y réfère de savoir à quel
moment ce changement intervient, de s’assurer qu’il est effectif, de voir comment il se
concrétise (§ 1.). Du fait de la mobilité des personnes, le changement de résidence doit
également être prévu et organisé dans la mesure où des conséquences juridiques
importantes en découlent (§ 2.).

§ 1. L’effectivité du changement de la résidence

304. Selon M. Lagarde1, « le changement de résidence habituelle implique à la


fois la perte de l’ancienne résidence habituelle et l’acquisition d’une nouvelle résidence
habituelle ». Ce point étant admis à la fois par la doctrine et la jurisprudence, sa
traduction dans les faits se révèle en revanche plus délicate. Il convient d’étudier dans
son ensemble la question de la corrélation qui peut exister entre la perte de l’ancienne

1
P. LAGARDE, Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIIIe Session de la Conférence de
La Haye, 1996, t. II, Protection des enfants, n° 41 ; Rapport explicatif : Actes et documents de la
Conférence de La Haye, 2000, La protection internationale des adultes, n° 50.

206
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

résidence et l’acquisition de la nouvelle (A.) avant d’examiner certaines hypothèses un


peu plus particulières (B.).

A. La corrélation entre la perte de l’ancienne résidence et l’acquisition de la


nouvelle résidence

305. On a vu qu’une personne peut avoir plusieurs résidences dites


« simples »2. En principe, il est donc possible d’acquérir une résidence simple sans
avoir perdu l’ancienne. La seule question que l’on puisse alors se poser est celle de
savoir à partir de quel moment on doit reconnaître l’existence de la résidence
nouvellement acquise, comment elle se détermine. Cette question a déjà été abordée. En
revanche, si l’on considère traditionnellement qu’une personne ne peut avoir qu’une
seule résidence qualifiée d’habituelle, c’est qu’il existe une corrélation entre la perte de
l’ancienne et l’acquisition de la nouvelle en cas de changement. On peut se demander si
perte et acquisition ont lieu dans le même temps et à quel moment intervient le
changement. C’est donc à la seule résidence qualifiée d’habituelle qu’il convient ici de
s’intéresser. Il ne s’agit pas d’envisager tous les cas de perte ou d’acquisition de la
notion, mais d’étudier les cas de figure les plus courants.

306. Il est des hypothèses où le changement de résidence habituelle est évident,


mais où l’on peut tout de même se poser la question de savoir à partir de quand il peut
être considéré comme effectué. Ainsi, lorsque l’intéressé vit dans un pays dont il n’est
pas originaire, mais qui, au fil du temps, est devenu son « pays d’adoption » ; il y est
bien installé, il a acheté une maison dans laquelle vit sa famille, il a sa résidence
habituelle dans ce pays. Peut-on toujours dire à quel moment une personne change de
lieu de résidence lorsqu’elle arrive en France pour y passer quelque temps, qu’elle y
reste parce qu’elle a trouvé du travail, au départ pour une durée non déterminée, et que
finalement la situation perdure ? Sait-elle combien de temps elle va encore rester ? Pour
constater un changement de résidence habituelle, deux éléments doivent être pris en
considération : la perte de l’ancienne résidence et l’acquisition de la nouvelle. Dans
l’exemple précédent, on peut affirmer que le changement de résidence s’est fait de
manière progressive, à mesure que se tissaient des liens avec le nouveau milieu, que se
déplaçait le centre des intérêts. La perte de l’ancienne résidence et l’acquisition de la

207
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

nouvelle ont alors eu lieu dans le même temps. Il n’y pas de date précise à laquelle on
est passé d’une résidence à une autre. Dans le cas présent, si le juge français doit
localiser la résidence, il se posera seulement la question de savoir si la présence est
suffisamment stable et, éventuellement, si elle est amenée à se poursuivre pour prendre
en considération le changement. Si le juge de l’État d’où vient l’intéressé est également
amené à statuer sur la question de la résidence, il devra tenir compte de la durée de
l’absence, de son caractère temporaire ou durable, des éventuelles intentions de retour
de l’intéressé pour la considérer comme perdue ou maintenue3. Une fois que le juge a
constaté la perte ou l’acquisition de la nouvelle résidence, on devrait considérer que la
date du départ correspond à celle de la perte, et la date d’arrivée à celle de l’acquisition
de la résidence. Il n’était pas possible d’aboutir à ce constat dès le jour du départ ou de
l’arrivée, c’est le temps écoulé depuis qui a permis d’établir l’effectivité du
changement.

307. Il se peut également que le changement soit constaté beaucoup plus


rapidement, que la rupture soit au départ plus nette entre l’ancienne résidence et la
nouvelle. Ainsi, la jurisprudence a énoncé à plusieurs reprises qu’une résidence peut
être « perdue en un jour » si l’intéressé déménage4 avec l’intention de s’installer
durablement dans un autre pays5. L’intéressé quitte par exemple un pays A dans lequel
il a sa résidence habituelle parce qu’il y a toujours vécu, ou parce qu’il y a vécu
suffisamment longtemps pour qu’il n’y ait aucun doute sur cette résidence, pour
s’installer a priori de manière stable dans un pays B. Mais pour une raison ou pour une
autre, il décide peu après de retourner dans le pays qu’il venait de quitter : doit-on
considérer qu’il a perdu sa résidence en A ? Le juge du pays A considérera certainement
l’absence comme trop temporaire pour que la résidence en ce lieu ait été perdue.
D’ailleurs, si le juge du pays B se trouvait avoir été saisi sur le fondement du critère de
la résidence avant le retour dans le pays A, il considérerait très certainement que la

2
Cf. supra n° 289.
3
Cf. supra n° 283 s.
4
V. par exemple HC/E/UKs 351, First Division, Inner House of the Court of Session (Écosse, 2e
instance), 19 juin 2001, D. c/ D. : « l’État de résidence habituelle a changé du fait du déménagement qui
fut techniquement un déménagement international ». V. la base de données INCADAT :
http://212.206.44.26/.
5
HC/E/UKe 2, House of Lords (Angleterre), 26 juill. 1990, Re J. (A Minor) [1990] 2 AVEC 562, [1990]
A All ER 961, [1990] 2 FLR 450, sub nom C. v. S. (A Minor). – HC/E/UKs 184, Inner House of the
Court of Session (Écosse, 2e instance), 13 oct. 1993, Findlay c/ Findlay, 1994 SLT 709. V. la base de
données INCADAT : http://212.206.44.26/.

208
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

résidence n’a jamais été acquise, même en présence d’une intention de s’installer, si au
jour où il doit statuer l’intéressé a déjà quitté le pays ; il tient compte d’un fait postérieur
à sa saisine pour en déduire que, à la date où la résidence doit être appréciée, l’intéressé
n’avait pas encore établi sa résidence dans le pays B. Même si l’intéressé avait la ferme
intention de s’établir dans ce pays, cette intention s’est trouvée infirmée par les faits.
L’élément intentionnel qui sert à révéler la résidence, à la confirmer, ne correspond à
rien de tangible dans cette hypothèse ; seul l’élément matériel est à prendre en
considération.

308. On peut donc dire qu’une personne peut perdre sa résidence en un jour
lorsqu'elle déménage pour s’établir pour un certain laps de temps6, d’une durée
déterminée suffisamment conséquente ou d’une durée indéterminée, dans un autre pays,
et que l’intention de rester en ce lieu se vérifie par une matérialisation dans les faits. Si
le départ d’un pays A, qui devait être durable, ne l’a finalement pas été, la résidence n’a
jamais été acquise à l’étranger dans le pays B, et ce que l’on a pris pour une perte de
résidence n’était en fait qu’une absence passagère qui n’entraînait pas un changement de
la résidence. C’est pourquoi il est permis d’affirmer que l’intention ne résiste pas aux
faits qui la contredisent.

309. De la même façon, certains considèrent que l’acquisition de la résidence,


même habituelle, peut être instantanée en présence d’une intention ferme de s’établir7.
Cette position peut, elle aussi, prêter à discussion. Si l’on considère que, par définition,
la résidence implique une présence matérielle stable et effective, cette condition ne peut,
on l’a vu, se trouver remplie en un jour : pour qu’une résidence, en particulier
habituelle, puisse s’établir, une certaine période de temps doit s’écouler8. Si une
personne arrive en France, elle peut, bien entendu, saisir aussitôt les juridictions d’une
mesure de protection quelconque, mais cette mesure sera dans un premier temps très
certainement fondée sur l’urgence et sera nécessairement provisoire. Lorsque, dans un
deuxième temps, le juge doit statuer sur le fond, eu égard à la durée ordinaire des

6
La jurisprudence a déjà considéré que la résidence ne peut changer qu’en cas de déménagement et
d’écoulement du temps : HC/E/USs 149, Family Court, New York County (États-Unis, 1re instance),
8 mars 1995, David B. c/ Helon O., 164 Misc. 2d 56, 625 N.Y.S.2d 436 (Fam. Ct. 1995). V. la base de
données INCADAT : http://212.206.44.26/.
7
Cf. supra n° 274 s.

209
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

procédures, on peut raisonnablement supposer qu’un laps de temps se sera déjà écoulé
depuis l’arrivée et que la présence matérielle se trouvera alors confirmée dans sa
stabilité. Si la durée de présence est encore courte, le juge tiendra compte de l’intention
de rester de l’intéressé, objectivement révélée par des faits. On peut donc en déduire que
la résidence ne s’acquiert pas en un jour, puisque l’on prend en considération une durée
de présence et un comportement qui sont postérieurs à l’arrivée. Néanmoins, si le juge,
amené à statuer sur le fond, doit apprécier la résidence « à la date de l’introduction de la
requête » et si cette requête a été introduite au lendemain de l’arrivée de l’intéressé, on
devra finalement considérer, qu’à ce jour, celui-ci avait déjà sa résidence en France.

310. La résidence peut donc bien être acquise en un jour, mais il est important de
souligner que cette conclusion s’impose uniquement parce que la résidence a perduré.
La question de l’existence de la résidence est, en effet, appréciée après l’écoulement
d’un certain temps et, à défaut d’une matérialité suffisante à cette date, elle ne serait pas
considérée comme établie. On peut même dire, dans ce cas, qu’elle ne s’acquiert pas dès
« le lendemain de l’arrivée », mais déjà « dès l’arrivée », lorsque la présence est ensuite
confirmée. La résidence n’est donc pas acquise parce que l’intéressé avait l’intention de
rester à cette date, i.e. celle de l’arrivée, mais parce que les faits postérieurs ont
confirmé l’existence de la résidence. On ne peut pas énoncer que, de manière générale
et abstraite, en présence d’une ferme intention de s’établir, il y a une acquisition
instantanée ou un changement immédiat de la résidence ; son existence doit toujours se
vérifier dans le temps.

311. Il est difficile de dire que la résidence s’acquiert rétroactivement, mais peut-
être pourrait-on plutôt envisager l’acquisition comme soumise à une condition
suspensive qui est levée lorsque la présence a suffisamment duré, lorsque l’intention de
rester est déjà partiellement confirmée par des faits. S’il n’y a pas encore de présence
suffisamment durable à elle seule pour que l’on ne puisse pas mettre en doute
l’acquisition de la résidence, il faut, en tenant compte de l’élément intentionnel de
s’établir en un lieu, se projeter dans un avenir que l’on doit pouvoir considérer comme
plausible. Les faits viendront confirmer ou contredire cette projection dans le futur.

8
HC/E/UKe 2, House of Lords (Angleterre, Juridiction suprême), 26 juill. 1990, Re J. (A Minor)
(Abduction : Custody Rights) [1990] 2 AC 562, [1990] A All ER 961, [1990] 2 FLR 450, sub nom
C. v. S. (A Minor) (Abduction). V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.

210
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

312. On sait que la résidence habituelle ne doit pas être confondue avec la
résidence permanente. Elle est susceptible de changer périodiquement, en fonction du
mode de vie des individus concernés9. La perte de l’ancienne résidence et l’acquisition
de la nouvelle s’effectuent en principe dans le même temps, au gré des déménagements.
On peut d’ailleurs noter que, de manière générale, le changement de résidence
habituelle est beaucoup plus rapide à constater si une personne déménage pour revenir
dans son pays d’origine ou dans un pays dans lequel elle a déjà vécu longtemps. En
principe, elle n’a pas à tisser de nouveaux liens avec un milieu qui lui sera étranger, elle
n’a pas à s’intégrer dans un nouveau cadre de vie, elle doit simplement renouer des liens
avec celui qu’elle connaît déjà.

313. On peut enfin se poser la question de savoir, d’une part, si une personne
peut acquérir une nouvelle résidence sans avoir perdu l’ancienne et, d’autre part, si toute
personne possède obligatoirement une résidence. En d’autres termes, la résidence est-
elle unique et nécessaire ? La question de l’unité de la résidence a déjà été abordée10.
Même si la doctrine est divisée sur la question, on considère généralement que si une
personne est susceptible d’avoir plusieurs résidences, une seule est en principe
habituelle. Cependant, en pratique, il peut arriver qu’une personne saisisse les
juridictions d’un pays dans lequel elle s’est installée sur le fondement de la résidence
habituelle, que le juge estime cette résidence comme effectivement acquise, alors même
que cette personne est également assignée devant les juridictions du pays dans lequel
elle vivait jusqu’alors, toujours sur le fondement de la résidence habituelle, et que le
juge de l’État dans lequel elle vivait estime également qu’elle a toujours, malgré une
absence, sa résidence habituelle en ce lieu. Cette situation est d’autant plus plausible
que le changement de résidence est encore récent11. Les magistrats des deux pays
interprètent les faits qui leur sont rapportés et en tirent les conclusions qui s’imposent,
l’un raisonnant plus en termes d’acquisition et l’autre en termes de perte pour constater
le changement.

9
HC/E/HK 235, High Court (Hong Kong Special Administrative Region, 1re instance), 23 oct. 1998, N. c/
O., [1999] 1 HKLRD 68. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
10
Cf. supra n° 289 s.
11
Si le litige a le même objet et qu’il intervient entre les mêmes parties, il convient de se référer aux
règles relatives à la litispendance.

211
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

314. Il a été dit que la doctrine et la jurisprudence considéraient que le


changement de résidence implique à la fois la perte de l’ancienne résidence et
l’acquisition de la nouvelle. S’il faut réunir les deux éléments pour constater le
changement, cela pourrait vouloir dire, non seulement qu’une personne n’a qu’une seule
résidence habituelle, mais également qu’elle en a obligatoirement une, puisqu’elle ne
peut changer de résidence sans, à la fois, perdre l’ancienne et acquérir la nouvelle.
Pourtant, les conventions de La Haye de 1996 et de 2000, relatives à la protection des
enfants et des adultes, envisagent (en des termes identiques) que, lorsque la résidence
habituelle de l’enfant ou de l’adulte « ne peut être établie »12, les mesures de protection
sont prises par les autorités sur le territoire duquel ils sont « présents », par dérogation
au principe selon lequel sont compétentes les autorités de la résidence habituelle des
intéressés. M. Lagarde, rapporteur des deux textes, précise que le for de la présence
« joue le rôle d’un for de nécessité. Sa compétence devra cesser lorsqu'il aura été établi
que [l’intéressé] a une résidence habituelle quelque part »13. Ces conventions semblent
donc admettre qu’une personne puisse ne pas avoir de résidence habituelle en un lieu.
Le règlement « Bruxelles II bis » a adopté une position similaire14.

315. À propos de la question de savoir si une personne a obligatoirement une


résidence, la jurisprudence a pu estimer qu’« une résidence habituelle existe jusqu’à ce
qu’une nouvelle résidence soit acquise »15, ce qui impliquerait qu’elle existe
nécessairement, que toute personne a une résidence habituelle16. La doctrine n’est pas
très diserte sur le sujet, mais les auteurs qui se sont prononcés semblent penser le
contraire. Ainsi, M. Masmejan17, tout en admettant qu’il est certes difficile d’« imaginer
qu’une personne manque à ce point de stabilité dans son existence qu’on ne puisse lui
attribuer de résidence habituelle », souligne qu’il ne s’agit là que d’une « constatation

12
Article 6, dans les deux conventions.
13
P. LAGARDE, Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIIIe Session de la Conférence de
La Haye, 1996, t. II, Protection des enfants, n° 45.
14
V. l’art. 13 du règlement n° 2201/2003. Sur la question cf. supra n° 160.
15
HC/E/USs 145, Supreme Court of the State of New York, Kings County (États-Unis, 1re instance),
10 août 1993, Cohen c/ Cohen, 158 Misc. 2d 1018, 602 N.Y.S.2d 994 (Sup. Ct. 1993). V. la base de
données INCADAT : http://212.206.44.26/.
16
Dans une autre décision, les juges ont souligné que la pratique qui « consiste à décider que l’enfant n’a
pas de résidence habituelle pourrait mettre à néant l’objectif de la convention [de La Haye de 1980] et
laisser l’enfant sans protection contre les enlèvements multiples de la part des deux parents » [HC/E/AU
104, Full Court of the Family Court of Australia at Melbourne (Australie, 2e instance), 16 janv. 1995,
Cooper c/ Casey (1995) FLC 92-575. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/].

212
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

de fait » et qu’il ne « semble pas approprié de créer une nécessité de droit de la


résidence habituelle. Cela équivaudrait en effet à introduire une fiction dans la
détermination de ce rattachement ». Dans le même sens, M. Schneider18 a également
considéré qu’il convenait, dans un souci de réalisme, d’abandonner en matière de
résidence habituelle « les principes fictifs de la nécessité et de l’unité ». Enfin, selon
Mme Martin-Serf19, « la résidence habituelle n’est pas obligatoire ; c’est là une règle
plus difficile à admettre, mais très logique : comment imposer à une personne d’habiter,
en fait, pendant un laps de temps suffisamment long, à un endroit déterminé ? ».
L’auteur souligne que « seuls l’emprisonnement ou l’assignation à résidence peuvent
obliger une personne à un séjour de longue durée dans un lieu précis. Autrement, un
individu libre d’aller et venir peut très bien ne faire que de courts séjours dans des lieux
différents, et même s’il a des résidences, n’en avoir aucune qui soit principale ». Elle
constate, à juste titre, que « si la sécurité juridique n’y trouve guère son compte, […]
c’est la rançon du réalisme ». La situation de celui qui n’a pas de résidence habituelle
est donc rare, mais n’est effectivement pas impossible. On peut noter que l’une des
questions posées aux gouvernements devant le Comité européen de coopération
juridique était relative à la possibilité de ne pas avoir de résidence. Les réponses ont été
très partagées20 : certains gouvernements ont répondu simplement par l’affirmative ou la
négative ; d’autres ont estimé qu’une personne pouvait ne pas avoir de résidence
habituelle, mais avait en revanche nécessairement une résidence simple ; d’autres
encore ont considéré qu’une personne pouvait en théorie ne pas avoir de résidence, tout
en reconnaissant qu’en pratique cela ne paraissait guère possible.

B. Des hypothèses particulières de changement de la résidence

316. Il est des hypothèses où l’on sait que l’absence d’une personne du lieu où
elle a sa résidence habituelle est circonstanciée, courte, et qu’elle le restera a priori ; il
n’y a donc à l’évidence, on l’a vu21, aucun changement de résidence. C’est le cas
lorsque le déplacement est lié par exemple à un voyage, à un stage de courte durée, au

17
D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse Lausanne,
1995, p. 100.
18
B. SCHNEIDER, Le domicile international : Thèse Neuchâtel, 1973, n° 246.
19
A. MARTIN-SERF, Du domicile à la résidence : RTD civ. 1978. 541, n° 9.
20
Réponses des gouvernements au questionnaire relatif à la notion de « résidence » et à la notion de
« domicile », Conseil de l’Europe, 1975, spéc. p. 20-21.
21
Cf. supra n° 283.

213
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

traitement d’une maladie. Mais certaines situations sont plus délicates à apprécier, ainsi
lorsque le déplacement est circonstancié, a priori temporaire, sans être nécessairement
court. C’est le cas des personnes scolarisées à l’étranger (1.), mais quelques autres
situations particulières seront envisagées (2.).

1. Les personnes scolarisées à l’étranger

317. La scolarisation dans un pays étranger peut concerner aussi bien les mineurs
(a.) que les étudiants (b.).

a. Les mineurs

318. Si, comme le souligne M. Schneider22, la diversité des réponses à la


question de savoir si un enfant placé par ses parents dans un internat à l’étranger y a sa
résidence habituelle « trahit l’embarras des auteurs et la difficulté du problème », on
peut d’ores et déjà indiquer que la jurisprudence et la doctrine considèrent que le fait
qu’un mineur soit scolarisé dans un établissement à l’étranger n’entraîne généralement
pas un changement de son lieu de résidence, lequel reste fixé auprès de ceux qui
exercent l’autorité parentale. On peut d’ailleurs faire un parallèle avec la jurisprudence
relative à l’article 1384, alinéa 4, du Code civil23 relatif à la responsabilité des parents
du fait de leurs enfants, liée à la cohabitation des enfants avec eux. En effet, la Cour de
cassation a pu considérer que le fait pour des parents de confier temporairement un
enfant à un centre médico-pédagogique24 ou à un organisme de vacances25 ne faisait pas
cesser la cohabitation de l’enfant avec ses parents ; qu’il en est de même lorsque
l’enfant est présent « dans un établissement scolaire, même en régime d’internat »26.

22
B. SCHNEIDER, Le domicile international : Thèse Neuchâtel, 1973, n° 314.
23
Selon l’alinéa 4 de l’article 1384 du Code civil, « le père et la mère, en tant qu'ils exercent l’autorité
parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec
eux » (la loi du 2 mars 2002 a substitué l’expression d’« autorité parentale » à celle du « droit de garde »).
24
Civ. 2e, 9 mars 2000 : D. 2000. IR. 109 ; JCP 2000. II. 10374, note. A. Gouttenoire-Cornut.
25
Crim., 29 oct. 2002 : Bull. crim, n° 197.
26
Civ. 2e, 29 mars 2001 : RTD civ. 2001. 603, obs. P. Jourdain ; JCP 2002. II. 10071, note S. Prigent –
V. également Crim. 25 sept. 2002 : inédit (v. le site de Légifrance : http://www.legifrance.gouv.fr). – En
revanche, il semble que cette cohabitation cesse lorsque l’enfant a une autre résidence habituelle que celle
de ses parents, ainsi lorsque militaire, il vit ailleurs qu’au domicile parental (Civ. 4 juill. 1951 : D. 1951.
587) ou qu’il a été placé par le juge des enfants dans un foyer. V., pour cette dernière hypothèse, Civ. 2e,
6 juin 2002 (2 arrêts) : JCP 2003. II. 10068, note A. Gouttenoire et N. Roget. Selon les termes de la
décision, « une association chargée par décision d'un juge des enfants d'organiser et de contrôler à titre
permanent le mode de vie d'un mineur demeure, en application de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil,
responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur, même lorsque celui-ci habite avec
ses parents, dès lors qu'aucune décision judiciaire n'a suspendu ou interrompu cette mission éducative ».

214
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

Cette interprétation de la condition de cohabitation est donc juridique et non factuelle,


puisque le fait pour les parents de confier matériellement et temporairement27 leurs
enfants à un tiers est sans influence sur leur responsabilité.

319. M. von Steiger28, dans son rapport explicatif sur la convention de La Haye
de 1961 sur la protection des mineurs, a précisé qu’« un séjour, même prolongé dans un
établissement d’éducation ou un sanatorium ne constituera pas une résidence habituelle,
si l’on peut constater que le mineur a encore des attaches sérieuses à un autre lieu ». En
ce sens, une décision du BGH29 a estimé qu’une enfant placée par sa mère dans un
internat en Italie avait sa résidence habituelle auprès de sa mère en Allemagne, alors
qu’elle passait neuf mois par an dans cet établissement scolaire. Il s’agissait, en
l’espèce, de localiser la résidence habituelle de l’enfant pour déterminer la loi applicable
en matière d’obligations alimentaires. Les magistrats ont considéré qu’il ne suffit pas
d’une résidence de courte durée ou d’un bref séjour pour qu’il y ait une résidence
habituelle, que d’autres rapports avec le lieu de résidence sont requis, en particulier
« des rapports de famille ou de profession, révélant le centre de gravité de la personne
en question avec ce lieu » ; qu’en l’espèce, la résidence habituelle de l’enfant ne pouvait
se trouver qu’auprès de sa mère qui n’avait entendu la placer dans un internat que
temporairement ; le domicile de la mère constituait d’autant plus le centre de gravité de
la vie de sa fille que celle-ci n’était âgée que de cinq ans et que sa mère était le seul
parent chez qui elle passait ses vacances, trois mois en été. La résidence est abordée
sous une approche beaucoup plus qualitative que quantitative.

– V. également Civ. 2e, 20 janv. 2000 : Bull. civ. II, n° 15 ; Crim. 10 oct. 1996 : inédit titré (v. le site de
Légifrance : http://www.legifrance.gouv.fr). V. cependant Crim. 25 mars 1998 : JCP 1998. II. 10162, note
M. Huyette.
27
V. A. GOUTTENOIRE-CORNUT, note sous Civ. 2e, 20 janv. 2000 et 9 mars 2000 : JCP 2000. II. 10374.
Selon l’auteur, il est possible de considérer que le terme « temporairement » peut être opposé « à
l’adverbe "définitivement" et qu’il implique que le parent reste responsable tant qu’une décision judiciaire
n’a pas modifié la résidence de l’enfant. Le temps pendant lequel l’enfant est séparé de son parent ne
paraît pas avoir d’influence sur le maintien de la cohabitation dès lors que l’enfant ne voit pas sa
résidence définitivement transférée dans un autre lieu ». Le défaut de cohabitation matérielle ne peut être
interprété comme une cause d’exonération de la responsabilité.
28
W. VON S TEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents IXe Session, 1960, t. IV, Protection des
mineurs, p. 219 s., spéc. p. 226.
29
BGH 5 févr. 1975 – IV ZR 103/73 ; DAVorm 1975, 413 ; FamRZ 1975, 272 ; IPRspr. 1975 Nr. 83 ;
MDR 1975, 477 ; NJW 1975, 1068 ; ZB1JR 1975, 436 (cité par M. Sumampouw, Les nouvelles
conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux : Institut universitaire de droit
international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 2, 1980, p. 37).

215
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

320. On peut noter que, si la résidence est personnelle30 et ne dépend pas de celle
d’une autre personne, il n’en reste pas moins qu’une personne peut être obligée, d’un
point de vue matériel, de vivre en un lieu pour une certaine durée, du fait de la volonté
d’une autre personne. Si un mineur a une résidence qui lui est propre, les titulaires de
l’exercice de l’autorité parentale sont à même de le contraindre à habiter, à résider en un
lieu qu’ils ont eux-mêmes choisi. Lorsque, en vertu de la convention de La Haye de
1961 sur la protection des mineurs, les autorités compétentes sont celles de la résidence
habituelle du mineur, peu importe le fait que cette résidence lui ait été imposée, elle ne
doit jamais se déduire du domicile ou de la résidence habituelle des parents, elle doit
être déterminée de façon autonome. Déterminer la résidence d’un mineur, c’est d’abord
observer que le choix de la résidence, de son transfert également, résulte souvent du
choix des parents eux-mêmes (en tant que prérogative attachée aux règles relatives à
l’exercice de l’autorité parentale) ou de la décision du juge (parfois dans l’hypothèse
d’une séparation des parents ou plus généralement en cas de désaccord parental ou si le
lieu choisi est contraire aux intérêts de l’enfant). Ensuite, il convient de considérer, non
plus la situation légale, mais le lieu où, en fait, le mineur a sa résidence habituelle.

321. D’après le rapport explicatif de la convention de 196131, « la durée de la


résidence en un lieu déterminé peut avoir son importance, mais elle ne sera pas en elle-
même décisive. […] Ce qui importe avant tout, c’est de déterminer les compétences de
telle manière que les intérêts du mineur trouvent leur meilleure protection ». La
compétence des autorités, et par conséquent la loi applicable puisqu’il y a une confusion
de principe des compétences32, sont fondées sur la résidence habituelle car on estime
que c’est en ce lieu que les autorités peuvent le mieux apprécier les besoins des
personnes concernées. Dès lors, il apparaît qu’il ne faut pas généraliser. La situation du
mineur qui revient chaque week-end et pour toutes les vacances scolaires chez ses
parents est différente de celle du mineur qui demeure pendant l’année scolaire dans un
internat, passe simplement un mois de vacances chez sa mère dans un pays A et un autre
mois chez son père dans un pays B. Ces deux hypothèses ne relèvent pas de cas
anecdotiques. Dans le dernier exemple, si les deux parents exercent l’autorité parentale

30
Cf. supra n° 119.
31
W. VON S TEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents IXe Session, 1960, t. IV, Protection des
mineurs, p. 219 s., spéc. p. 226.
32
Cf. supra n° 145 s.

216
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

à son égard, où l’enfant a-t-il sa résidence habituelle ? S’il est scolarisé dans le même
établissement depuis un certain temps, qu’il doit encore y rester pour terminer sa
scolarité, ce lieu devrait pouvoir être considéré comme celui de son cadre de vie normal,
comme celui de sa résidence habituelle, celui où l’on peut le mieux apprécier ses
besoins33. Quant aux absences de ce lieu, elles correspondent généralement à celles des
vacances ; or, on sait que des absences du territoire pour ce motif n’entraînent pas une
perte de la résidence habituelle. La résidence majoritaire serait alors envisagée sous une
approche à la fois quantitative et qualitative.

322. Il est un autre domaine du droit que celui de la protection des mineurs qui
peut illustrer les difficultés relatives au séjour à l’étranger des mineurs, c’est celui du
versement des prestations familiales qui sont versées aux personnes qui ont des enfants
à charge sous une condition de résidence. L’ancien article L. 511 du Code de la sécurité
sociale disposait que « toute personne, française ou étrangère résidant en France, ayant à
sa charge […] un ou plusieurs enfants y résidant bénéficie pour ces enfants des
prestations familiales ». Dans un premier temps, la jurisprudence semble avoir, de
manière constante, considéré que lorsque l’enfant séjournait à l’étranger pour ses
études, il ne perdait pas sa résidence habituelle en France. Les tribunaux ont ainsi
estimé que « la présence de l’enfant, à l’étranger pendant la durée de la scolarité,
constituait un séjour temporaire et discontinu qui ne lui faisait nullement perdre sa
résidence familiale en France, où il retournait à chaque interruption d’études »34. La
Cour de cassation, quant à elle, a systématiquement considéré que l’appréciation de la
résidence échappait à son contrôle35. Elle n’a jamais censuré pour défaut de base légale
les décisions qui se bornaient à constater que le mineur poursuivant ses études dans un
établissement d’enseignement à l’étranger, sa résidence n’avait pas été transférée hors
de France, alors même que certains moyens de pourvoi soulignaient que « la poursuite
d’études régulières à l’étranger supposerait nécessairement une résidence à
l’étranger »36. Mais la Cour a ainsi statué en particulier, semble-t-il, pour les décisions
qui ont retenu que la résidence en France n’était pas perdue du fait du séjour à

33
D’ailleurs, dans l’hypothèse où la protection de la personne ou des biens du mineur ne se révèlerait pas
adéquate, les autorités dont il a la nationalité pourraient prendre des mesures qui s’imposent sur le
fondement de l’article 2 de la convention de La Haye de 1961.
34
Civ. 2e, 24 nov. 1964 : Bull. civ. II, n° 759 ; JDI 1966. 89, note P. Malaurie.
35
V. par exemple, Civ. 2e, 2 juin 1961 : Bull. civ. II, n° 415 ; Civ. 2e, 8 févr. 1962 : Bull. civ. II, n° 183 ;
Civ. 2e, 11 juill. 1962 : Bull. civ. II, n° 579 ; Civ. 2e, 24 nov. 1964 : Bull. civ. II, n° 759.

217
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

l’étranger. Elle a en effet, par exemple, cassé l’arrêt qui retenait que la résidence
« résultait du fait matériel de l’habitation et que la présence des enfants […] dans [un
collège de Belgique] en 1954-1955-1956 et 1958 suffisait à fixer la résidence des
enfants en Belgique, malgré leur retour en France, chaque année, pendant les périodes
de vacances et les jours de congé » sur le fondement de ce motif du défaut de base
légale car la Cour d’appel aurait dû « préciser les raisons pour lesquelles les enfants qui
ne vivaient à l’étranger qu’au cours des mois de scolarité, avaient cessé de résider en
France au lieu où leur père avait son domicile »37. L’interprétation de ce texte était donc
souple quant à la condition de résidence requise, puisque le séjour hors de France
n’entraînait généralement pas un changement de la résidence. Cette interprétation a
d’ailleurs pu être approuvée par la doctrine : « il peut être pédagogiquement et
nationalement utile que [des] enfants aillent faire des études à l’étranger »38, ce fait ne
devant pas les pénaliser en leur faisant perdre le bénéfice de prestations familiales.
Cependant, le texte relatif au versement des prestations a fait l’objet de plusieurs
modifications.

323. Selon les dispositions de l’article L. 512-1 du Code de la sécurité sociale,


désormais applicable en matière de prestations familiales, toute personne, française ou
étrangère résidant en France, ayant à sa charge un ou plusieurs enfants résidant en
France, bénéficie pour ces enfants des prestations familiales. L’article R. 512-1 du
même code précise que :

« Pour l'application de l'article L. 512-1, est considéré comme résidant en France tout
enfant qui vit de façon permanente en France métropolitaine.
Est également réputé résider en France l'enfant qui, tout en conservant ses attaches
familiales sur le territoire métropolitain où il vivait jusque-là de façon permanente,
accomplit, hors de ce territoire :
1º) soit un ou plusieurs séjours provisoires dont la durée n'excède pas trois mois au cours
de l'année civile ;
2º) soit un séjour de plus longue durée lorsqu'il est justifié, dans les conditions prévues
par arrêté […] que le séjour est nécessaire pour lui permettre soit de poursuivre ses
études, soit d'apprendre une langue étrangère, soit de parfaire sa formation
professionnelle ;
3º) soit un ou plusieurs séjours de durée au plus égale à celle de l'année scolaire lorsqu'il
est établi, […] que la famille a sa résidence principale en France dans une zone
frontalière, que l'enfant fréquente dans le pays voisin à proximité de la frontière un

36
V. par exemple Civ. 2e, 8 févr. 1962 : Bull. civ. II, n° 183.
37
Civ. 2e, 25 mai 1962 : Bull. civ. II, n° 473. V. également, pour un défaut de base légale, Civ. 2e, 29
janv. 1964 : Bull. civ. II, n° 104.
38
V. P. MALAURIE, note sous Civ. 2e, 24 nov. 1964 : JDI 1966. 89 s., spéc. 91.

218
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

établissement de soins ou un établissement d'enseignement et qu'il rejoint sa famille à


intervalles rapprochés ».

324. Si l’article L. 512-1 du Code de la sécurité sociale se semble pas très


différent quant au fond de l’ancien article L. 511, le décret qui le complète et en précise
le sens opère une modification radicale quant à la condition essentielle de la résidence
de l’enfant. Pour percevoir des prestations familiales en France, il faut y avoir sa
résidence « permanente », mais, à titre de dérogation, certaines absences du territoire
n’entraînent pas de perte de la résidence en France (les exceptions sont toutes assorties
de la condition que l’enfant conserve ses attaches familiales sur le territoire français).
C’est le cas lorsque le ou les séjours à l’étranger de l’enfant sont d’une durée inférieure
à trois mois par an, quels que soient les motifs de ces absences du territoire français. La
condition de résidence est donc appréciée quantitativement, elle est assortie d’un délai :
il faut au minimum neuf mois de présence en France par an pour y avoir sa résidence au
sens de l’article L. 512-1.

325. Une deuxième hypothèse d’absence qui n’a pas pour conséquence de faire
perdre au mineur sa résidence en France est celle du séjour à l’étranger d’une durée
supérieure à trois mois, lorsque ce séjour est nécessaire « pour lui permettre de
poursuivre des études, […] d’apprendre une langue étrangère, […] de parfaire sa
formation professionnelle ». Le texte ne semble pas très différent, sur ce point, de ce qui
résultait de l’interprétation de l’ancien article L. 511, mais les juridictions françaises se
montrent désormais très strictes quant à l’interprétation de l’article R. 512-1. Ainsi, en
ce qui concerne la condition relative au fait que le séjour d’études doit être
« nécessaire », la Cour de cassation a considéré qu’était « légalement justifié l’arrêt qui,
pour refuser l’octroi du chef d’un enfant de 18 ans, relève que celui-ci a été envoyé dans
une institution étrangère en raison de son instabilité caractérielle afin d’apprendre les
techniques commerciales, et que son père ne justifie pas que de telles études ne
pouvaient s’effectuer en France dans des conditions sinon identiques, du moins
équivalentes »39. Dans le même sens, elle a approuvé la décision du tribunal qui a rejeté
la demande de versement de prestations familiales pour une enfant qui résidait à
l’étranger d’octobre 1998 à mai 1999, où « elle avait entrepris des études qui pouvaient

39
Soc., 24 oct. 1968 (arrêt n° 2) : Bull. civ. V, n° 467. V., sur la charge de la preuve de la condition de
résidence, par exemple, Soc., 15 oct. 1998 : inédit (v. le site de Légifrance :
http://www.legifrance.gouv.fr).

219
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

être suivies en France » ; elle était revenue en France de juin à septembre 1999, mais ne
poursuivait pas d’études. La Cour a considéré que le tribunal avait « exactement décidé
[que l’enfant] ne remplissait ni la condition de résidence en France […], ni la condition
relative à la nécessité des études à l’étranger jusqu’en mai 1999 »40.

326. En ce qui concerne le séjour à l’étranger rendu nécessaire pour « apprendre


une langue étrangère », une décision du tribunal des affaires de sécurité sociale de
Nantes a en 1999 estimé que « M. et Mme X… étant originaires d’Algérie, leurs enfants
sont partis approfondir la langue et la culture qui sont les leurs et que ce séjour ne peut
être assimilé à l’apprentissage par un jeune enfant ou un jeune français d’une langue qui
lui est par nature totalement étrangère ». Selon le moyen du pourvoi, « est
nécessairement étrangère, au sens du texte, toute autre langue que le français, langue
officielle de la République » ; les enfants étant français, la langue arabe leur était
nécessairement étrangère. La Cour de cassation s’est bornée à constater qu’il relevait du
pouvoir souverain du tribunal d’apprécier si la preuve de la nécessité d’un séjour
effectué pour l’apprentissage d’une langue étrangère était rapportée, au vu de
l’ensemble des pièces qui lui étaient soumises41. En revanche, la jurisprudence a
considéré que la condition de résidence est remplie pour l’enfant qui se rend
quotidiennement en Suisse pour y suivre ses cours et revient chaque soir en France42.
On est en droit de se poser la question de savoir si la jurisprudence s’est contentée d’une
stricte interprétation du texte visé, ou si elle n’a y pas finalement ajouté des conditions
qui n’y figuraient pas, dénaturant ainsi la notion de résidence.

327. On ne peut que constater, d’une part, comme cela a déjà été souligné, que la
notion de résidence est fonctionnelle, les éléments retenus par la jurisprudence comme
constitutifs du critère variant selon le domaine dans lequel il intervient, mais surtout,
d’autre part, que son interprétation semble parfois obéir à des politiques
gouvernementales (de contrôle, afin de limiter les abus, ou peut-être parfois de
restriction du bénéfice des prestations familiales).

40
Soc., 11 mars 2003 : inédit titré (v. le site de Légifrance : http://www.legifrance.gouv.fr). V. également,
pour un refus de reconnaître le maintien de la résidence en France lorsque l’enfant n’est pas soumis à
l’obligation scolaire Soc., 27 janv. 1972 : Bull. civ. V, n° 70 ; Droit social, 1972, p. 530, note Bonnet.
41
Soc., 21 nov. 2002 : inédit titré (v. le site de Légifrance : http://www.legifrance.gouv.fr).
42
Soc., 13 janv. 1988 : inédit titré (v. le site de Légifrance : http://www.legifrance.gouv.fr). La cour
d’appel avait considéré que l’enfant « qui se rendait chaque jour à Genève pour y suivre, dans un

220
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

b. Les étudiants

328. L’hypothèse envisagée ici est celle de l’étudiant majeur qui part faire des
études à l’étranger, celle du mineur scolarisé venant d’être analysée. La jurisprudence
considère souvent que les études ayant nécessairement une durée provisoire, le
déplacement n’implique pas la perte de la résidence habituelle. Si l’interprétation résulte
d’une analyse précise des faits, elle ne peut être critiquée. Il faut, en effet, se garder de
trop généraliser et de considérer que toute présence en un lieu pour des études est par
principe précaire, instable et discontinue et qu’elle n’admet pas le changement de la
résidence. Cette position qui consiste à considérer que l’absence étant par nature
provisoire, elle n’entraîne aucun changement de résidence, se conçoit s’il s’agit, par
exemple, d’une formation assez courte, d’un séjour à l’étranger dans le cadre d’un
échange universitaire, d’une année d’assistanat pour celui qui étudie une langue
étrangère, d’une année dans une ville étrangère pour l’étudiant en architecture. La
situation de celui qui vient faire la totalité de ses études, de médecine par exemple, ou
encore de celui qui prépare une thèse en France semble tout autre, puisque la durée de
ses études implique nécessairement un long temps de présence dans ce pays.

329. Quoi qu’il en soit, quelle que soit la situation particulière dans laquelle
l’étudiant se trouve, il convient d’examiner tous les éléments d’appréciation utiles. Par
exemple, quel est son âge ? Étudie-t-il dans un pays limitrophe ou au contraire lointain ?
Revient-il tous les week-ends chez ses parents ? Est-il marié, parent d’un enfant, et dans
cette hypothèse, où se trouve la famille ? Le séjour à l’étranger fait-il partie de son
cursus scolaire normal ? Les réponses permettent de déterminer où se trouve le centre
des intérêts de l’étudiant, et donc sa résidence habituelle. Si ce qui permet de distinguer
la résidence d’une personne ordinaire de celle de l’étudiant ne tient qu’au motif de la
présence en France, il paraît cependant impossible de le retenir comme un élément
constitutif ou non de la notion, laquelle est avant tout fondée sur une présence matérielle
(approche quantitative) dans un cadre de vie donné (approche qualitative). L’étudiant,
comme toute autre personne, a la possibilité d’établir en France le centre de ses
activités, il peut y tisser des liens sociaux et/ou familiaux et doit pouvoir acquérir de ce
fait une résidence habituelle en France. Nier ce fait reviendrait à introduire dans la

établissement scolaire, des cours débutant à 8 heures et se terminant à 18 heures, ne pouvait être
considérée comme vivant de façon permanente en France ».

221
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

notion de résidence une idée de fiction, laquelle, on l’a vu, est inconciliable avec la
résidence qui repose sur des éléments concrets. Cependant, il apparaît que, selon les
conséquences qui découlent de la résidence en France, les juridictions se montrent plus
ou moins strictes dans leur interprétation. Ainsi, en matière d’acquisition de la
nationalité française par naturalisation, soumise à une condition de résidence en France,
la jurisprudence considère, dans la quasi-totalité des hypothèses, que l’étudiant étranger
ne peut acquérir une résidence en ce lieu, même s’il y fait des études longues43.

2. Autres situations particulières

330. Certaines situations ont déjà été étudiées avec le problème des absences du
territoire. On considère ainsi généralement qu’une absence liée à un traitement médical
à l’étranger ne fait pas perdre à l’intéressé sa résidence en un lieu44. C’est également le
cas lorsque la personne est déplacée contre sa volonté, à la suite d’une circonstance
particulière, par exemple pendant une période de guerre ; on examine alors le
comportement de l’intéressé lorsque la contrainte a cessé. Mais, quelle que soit
l’hypothèse envisagée, le changement de la résidence semble s’imposer malgré tout
lorsque l’absence devient trop durable car l’élément matériel de la résidence finit par
disparaître totalement et l’on sait que le lieu de résidence ne peut être analysé comme le
lieu où l’on est censé être45.

331. Une personne qui requiert l’asile politique change-t-elle de résidence,


acquiert-elle une résidence dans le pays de refuge ? La perte de la résidence antérieure
se fait au moment où elle quitte le pays qu’elle fuit ; même si elle formule l’espoir de
retourner un jour dans ce pays, ce retour n’est pas du tout certain, et l’absence risque de
se prolonger encore longtemps. Si elle s’installe en France et y fait une demande de
statut de réfugié, elle n’aura pas dans l’immédiat sa résidence en France, mais elle
pourra en acquérir une, laquelle deviendra habituelle avec le temps. Certaines décisions,

43
Cf. supra n° 547.
44
V., par exemple, Civ. 2e, 24 juin 1965 : JDI 1966. 89, note P. Malaurie. Dans cet arrêt, une personne
âgée de 93 ans a effectué un voyage à l’étranger. La Cour a approuvé la décision du fond qui a admis
qu’« en raison de son grand âge et de son état de santé, il ne lui avait pas été possible d’effectuer seule le
trajet de retour ; que cette visite, prolongée pendant quelques mois, en raison des circonstances, ne
permettait pas de considérer que demoiselle Vangrevelinghe avait transféré sa résidence hors de France ».
V. le commentaire de l’article 11 de la convention de La Haye de 2000 sur la protection des adultes par
P. LAGARDE, Rapport explicatif : Actes et documents de la Conférence de La Haye, 2000, La protection
internationale des adultes, n° 83 s.

222
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

rapportées par M. Masmejan46, ont d’abord considéré qu’un requérant ne pouvait avoir
de résidence habituelle en Allemagne avant l’octroi du statut de réfugié, mais il semble
que, désormais, le seul fait qu’un requérant n’ait pas encore obtenu l’asile n’empêche
pas la création d’une résidence habituelle.

332. La convention de La Haye de 1996 sur la protection des enfants prévoit que,
par principe, les autorités compétentes sont celles de la résidence habituelle de
l’enfant47, mais qu’à titre dérogatoire, « pour les enfants réfugiés et les enfants qui, par
suite de troubles prévalant dans leur pays, sont internationalement déplacés », sont
compétentes « les autorités de l’État contractant sur le territoire duquel ces enfants sont
présents du fait de leur déplacement »48. M. Lagarde49, rapporteur de ce texte, a
souligné que ces enfants arrivent souvent non accompagnés, « en tout cas privés
temporairement ou définitivement de leurs parents », qu’ils ont alors « souvent besoin
en dehors même des situations d’urgence, que soit organisée de façon durable leur
protection. Ils peuvent en effet, par exemple être amenés à demander l’asile ou être
l’objet d’une demande d’adoption. Il faut alors leur désigner un représentant légal et la
compétence normalement attribuée par la Convention aux autorités de l’État de la
résidence habituelle est ici inopérante, puisque ces enfants ont, par hypothèse, rompu
tout lien avec l’État de leur résidence habituelle antérieure et que la précarité de leur
séjour dans l’État où ils ont trouvé provisoirement refuge ne permet pas de considérer
qu’ils y ont acquis une résidence habituelle ». Le même article a été repris dans la
convention de La Haye de 2000 sur la protection des adultes50 et dans le règlement
« Bruxelles II bis »51.

45
Sur l’ensemble de la question relative à l’absence, cf. supra n° 283.
46
D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé : Thèse Lausanne,
1995, p. 104.
47
Article 5 de la convention.
48
Article 6 de la convention.
49
P. LAGARDE, Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIIIe Session de la Conférence de
La Haye, 1996, t. II, Protection des enfants, n° 44.
50
Article 6 de la convention. V. P. LAGARDE, Rapport explicatif : Actes et documents de la Conférence
de La Haye, 2000, La protection internationale des adultes, n° 54.
51
Article 13 du règlement n° 2201/2003.

223
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

§ 2. Les conséquences du changement de la résidence

333. La résidence habituelle est un facteur de rattachement adéquat qui permet de


donner compétence aux autorités géographiquement proches des intéressés et de la
situation visée, et/ou de déterminer la loi applicable lorsque ce critère est présumé
exprimer les liens les plus étroits avec la situation. Elle présente pourtant un
inconvénient : celui d’être un critère de rattachement « relativement fragile »52 car le
déplacement de la résidence dans un autre État, qui est assez aisé, peut notamment
provoquer des conflits mobiles (A.). Si l’on veut pallier les difficultés découlant d’un
critère « éminemment mouvant »53, il convient de résoudre la question du changement
de résidence et de ses conséquences, que ce soit de manière anticipée par les rédacteurs
du texte, ou par l’établissement de règles jurisprudentielles. Les solutions retenues
semblent toutes dictées par le pragmatisme (B.).

A. Le problème de la mobilité du facteur de rattachement

334. Par définition,, lorsqu’une personne change de lieu de résidence, il y a eu, à


l’origine de ce changement, un déplacement géographique, le passage d’une frontière.
Si une question de droit se pose et qu’elle doit trouver sa solution dans un recours à la
notion de résidence, on peut parfois se demander, de l’ancienne ou de la nouvelle
résidence, à laquelle on se réfère. De même, lorsque, sur le fondement de l’ancienne
résidence, une décision a été rendue, est-elle remise en cause par l’acquisition de la
nouvelle ? Se référer à l’ancienne ou à la nouvelle résidence implique que l’on se situe
également dans le temps : avant et après le changement de l’élément de rattachement.

335. M. Rigaux54 s’est attaché à démontrer que toute situation juridique


internationale est issue d’un mouvement, d’un déplacement55. Si « c’est en termes de
mouvement que le temps prend position en droit international privé », il convient de
s’interroger sur « ce qui peut changer » dans le temps. L’auteur indique que certains
changements concernent le contenu de la règle de droit ; d’autres, la loi applicable à la

52
Y. LEQUETTE : Rép. intern. Dalloz, V° Mineur, 1998, n° 26.
53
M. VERWILGHEN, Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIe Session de la Conférence de La
Haye, 1972, t. IV, obligations alimentaires, p. 384 s., spéc. n° 140.
54
F. RIGAUX, Le conflit mobile en droit international privé : RCADI 1966-I, t. 117, p. 329 s.

224
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

détermination du facteur de rattachement ; enfin, d’autres encore peuvent affecter la


concrétisation du facteur de rattachement. Dans cette dernière hypothèse, il s’agit du
déplacement volontaire de la circonstance de fait par l’intermédiaire de laquelle la
situation est rattachée à la loi compétente. Ce déplacement donne lieu à un « conflit
mobile », selon la terminologie de Bartin56. Il y a, selon MM. Batiffol et Lagarde57,
conflit mobile quand, « par le changement d’un élément de rattachement, une situation
donnée est successivement soumise à deux systèmes différents » ; il convient alors de
« déterminer les domaines respectifs de la loi ancienne et de la loi nouvelle dans la
succession de rapports juridiques qu’engendre cette situation ». Seules les circonstances
de rattachement variables sont susceptibles de donner lieu à un conflit mobile58. Or, la
résidence habituelle de l’intéressé est assurément un critère variable. M. Ancel59 a
souligné qu’il ne suffisait pas que l’élément de la situation corresponde à un facteur de
rattachement qui se déplace d’un ordre juridique à un autre pour que naisse un conflit
mobile : « il faut encore […] que le rapport litigieux repose sur des faits qui l’enracinent
dans la période antérieure au changement de désignation. Il n’y a pas de conflit mobile
en l’absence de contact entre les faits et la période antérieure ». Dans un conflit mobile,
on ne se trouve pas, en effet, « en présence de deux lois successives, mais de deux lois
concurrentes successivement traversées par le rapport de droit, supposé mobile »60. On
évoque le conflit qui peut exister entre deux « lois » éventuellement applicables car les
conflits mobiles ne peuvent, par principe, concerner que les conflits de lois61.

55
F. RIGAUX , Le conflit mobile en droit international privé : RCADI 1966-I, t. 117, p. 329 s., spéc.
p. 344 s., n° 15 s.
56
É. BARTIN, Principes de droit international privé : Domat-Montchrestien, Paris, 1930, § 78, p. 193.
57
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 1, L.G.D.J., 8e éd., 1993, n° 318.
58
V., sur la distinction des « circonstances de rattachement constantes » de celles qui sont « variables »,
H. LEWALD , Règles générales des conflits de lois (Contribution à la technique du droit international
privé) : RCADI, 1939-III, t. 69, p. 1 s., spéc. p. 40. Selon l’auteur, « la nationalité, le domicile, la
résidence d’une personne, sont des points d’attaches qui peuvent changer, de sorte que, dans le cas d’un
changement, il est indispensable d’attribuer à la circonstance de rattachement une valeur fixe afin que la
règle de conflit puisse fonctionner ».
59
B. ANCEL : Rép. intern. Dalloz, V° Conflits de lois dans le temps, 2000, n° 59.
60
F. RIGAUX , Le conflit mobile en droit international privé : RCADI 1966-I, t. 117, p. 329 s., spéc.
p. 364, n° 44.
61
V. P. COURBE, Divorce et conflit mobile : Mélanges dédiés à Dominique Holleaux, Litec, 1990, p. 69 s.,
spéc. p. 71. On peut toutefois hésiter sur le moment auquel l’autorité saisie doit prendre en compte la
résidence lorsqu'elle fonde sa compétence. Que se passe-t-il, par exemple, si la résidence qui sert de
critère de rattachement est modifiée entre le moment de sa saisine et le jour où elle doit rendre sa
décision ? Les solutions semblent devoir être trouvées dans les règles de compétence juridictionnelle. Sur
la question de la litispendance, dans le règlement « Bruxelles II bis », v., par exemple, C. NOURISSAT et
A. DEVERS, Étude n° 15. Les règles de compétence internationales en matière matrimoniale et de

225
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

336. Le conflit mobile peut donc être envisagé comme « la conjonction d’un
conflit dans l’espace et d’un conflit dans le temps quand une situation juridique est
successivement soumise à deux lois simultanément en vigueur dans deux pays
différents »62. Le conflit mobile apparaît alors « comme un conflit original, à la fois
dans l’espace et le temps »63. Louis-Lucas64 a clairement exposé les similitudes qu’il
peut exister entre conflits de lois dans le temps et conflits de lois dans l’espace : « ce
que l’on recherche dans le conflit dans le temps, c’est le champ d’application de chaque
loi au sein de la durée. Ce que l’on recherche, dans le cas de conflit dans l’espace, c’est
le champ d’application de chaque loi à travers les régions qui constituent le monde. Ce
que l’on recherche, dans les deux cas, c’est la loi qu’il faut appliquer préférablement à
celles qui possèdent cependant des titres, antérieurs ou contemporains, à la
concurrencer. […] Conflit vertical, dans le cas de conflit dans le temps, conflit
horizontal dans l’espace ; conflit dans l’absolu qu’est la durée ou conflit dans le relatif
qu’est le découpage territorial constitutif des États ; tout cela semble secondaire et ne
réclame pas encore de différenciation juridique entre les deux sortes de conflit ».

337. Plusieurs solutions ont été envisagées par la doctrine pour résoudre ces
conflits65. Certains auteurs66 ont considéré que le conflit mobile étant apparenté à un
conflit de lois dans le temps, on devait se référer aux principes généraux du droit
transitoire interne67 – à la théorie des droits acquis, laquelle a révélé ses insuffisances et
a dû céder68 devant les conceptions de Roubier69 – et les transposer au conflit mobile, en

responsabilité parentale, in Lamy, Procédures communautaires, ss dir G. Canivet, L. Idot, D. Simon, à


paraître, 2004.
62
H. BATIFFOL, Conflits de lois dans l’espace et conflits de lois dans le temps, in Le droit privé français
au milieu du XXe siècle : Études offertes à Georges Ripert, L.G.D.J., 1950, t. 1, p. 291 s., spéc. p. 293.
63
Jacques FOYER et P. COURBE, Conflits de lois dans le temps – Conflits mobiles : J.-Cl. Droit int. pr.,
Fasc. 533-2, n° 75.
64
P. L OUIS -L UCAS , Traits distinctifs des conflits de lois dans le temps et des conflits de lois dans
l’espace : Mélanges en l’honneur de Paul Roubier, t. 1, Théorie générale du droit et droit transitoire,
Dalloz-Sirey, 1961, p. 323 s., spéc. p. 324.
65
V., pour une synthèse de ces méthodes, Jacques FOYER et P. COURBE, Conflits de lois dans le temps –
Conflits mobiles : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 533-2, n° 41 s. ; Y. LOUSSOUARN et P. BOUREL , Droit
international privé : Dalloz, Coll. Précis, Droit privé, 7e éd., 2001, n° 225-1 s.
66
V. Jacques FOYER et P. COURBE, Conflits de lois dans le temps – Conflits mobiles : J.-Cl. Droit int. pr.,
Fasc. 533-2, n° 42-62 et les références doctrinales citées par ces auteurs.
67
V. P. LAGARDE, Le droit transitoire des règles de conflit après les réformes récentes du droit de la
famille : TCFDIP 1977-1979, p. 89 s.
68
V., sur le sort de la théorie des droits acquis, S. CIGOJ, Les droits acquis, les conflits mobiles et la
rétroactivité à la lumière des Conventions de La Haye : Rev. crit. 1978. p. 1 s., spéc. n° 3-5.
69
Il convient alors notamment de distinguer entre la formation des situations juridiques ou l’acquisition
des droits et les effets des situations juridiques ou le contenu des droits. V. sur l’ensemble de la question
B. ANCEL : Rép. intern. Dalloz, V° Conflits de lois dans le temps, 2000, n° 61 s.

226
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

les adaptant aux nécessités de l’ordre international. D’autres auteurs70 ont refusé
l’assimilation aux conflits de lois dans le temps : le conflit mobile est spécifiquement
international, ce qui justifie que l’on retienne des solutions propres au problème.
M. Cigoj71 indique d’ailleurs que « de nombreux auteurs modernes en droit international
privé (surtout anglais) estiment qu’il est vain de prétendre découvrir des règles
générales pour la solution des conflits mobiles »72.

338. M. Rigaux a considéré que le conflit mobile étant un « incident » qui


survient lors « de la mise en œuvre de la règle de rattachement du for »73, il convient
alors de résoudre ce conflit dans le cadre de chaque règle de conflit, à partir des
objectifs dans le choix du rattachement74. MM. Mayer et Heuzé75 expriment un point de
vue similaire : « le rôle de la règle de conflit est de désigner la loi applicable à une
question de droit. Si le rattachement spatial adopté est susceptible de variations dans le
temps, et ne parvient donc pas à remplir sa fonction, il faut lui adjoindre une précision
temporelle. Lorsque la précision n’est pas donnée expressément ou explicitement, elle
doit être déduite des impératifs qui ont dicté le choix du rattachement, ou des nécessités
pratiques ».

339. C’est en ce sens qu’il n’existerait pas de « solution générale du conflit


mobile, mais des situations particulières adaptées à chaque règle de conflit de lois »76.
La résolution des conflits mobiles apparaît comme à la fois fonctionnelle et
pragmatique.

B. Le pragmatisme des solutions retenues

340. L’indifférence aux principes généraux du droit transitoire et l’approche


fonctionnelle en matière de résolution de conflits mobiles se manifestent lorsqu'il s’agit

70
V. les références citées par Jacques FOYER et P. C OURBE, Conflits de lois dans le temps – Conflits
mobiles : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 533-2, n° 63-92.
71
S. CIGOJ, Les droits acquis, les conflits mobiles et la rétroactivité à la lumière des Conventions de
La Haye : Rev. crit. 1978. 1 s., spéc. 7. V. les notes 24 et 25 pour les auteurs cités.
72
L’auteur préconise la recherche de solutions au cas par cas, « fondées sur l’expérience et sur l’équité et
non sur la logique ou la théorie juridique ».
73
« Le conflit mobile, incident de la mise en œuvre de la règle de rattachement du for » est l’intitulé du
chapitre 2 de son cours de La Haye Le conflit mobile en droit international privé : RCADI 1966-I, t. 117,
p. 329 s., spéc. p. 357 s.
74
Cf. notamment P. COURBE, Droit international privé : Armand Colin, Coll. Compact, 2000, p. 71.
75
P. MAYER et V. H EUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 252.

227
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

d’interpréter certaines dispositions internes du droit français qui n’ont pas envisagé
expressément le moment auquel on doit apprécier la condition de résidence qui sert de
critère d’application de la règle de conflit ; l’établissement de la filiation par possession
d'état en est un exemple (1.), mais elles sont encore plus flagrantes dans certains textes
internationaux, notamment dans les conventions de La Haye, qui anticipent les
éventuelles difficultés qu’un changement de résidence pourrait occasionner lorsque la
résidence est le facteur de rattachement retenu (2.).

1. L’absence de référence textuelle relative au moment où l’on doit apprécier la


résidence

341. Il résulte des dispositions de l’article 311-15 du Code civil que si un enfant
et ses parents ont une résidence habituelle en France, l’établissement de sa filiation par
possession d’état et les conséquences qui en découlent obéissent aux règles françaises77.
Cet article ne fournit aucune précision quant au moment où l’on doit apprécier la
condition de résidence78. La question qui se pose est de savoir quelle loi doit être
appliquée dans l’hypothèse où la résidence des parties visées par l’article changerait
entre le jour de la naissance et la date à laquelle le juge doit statuer sur la question de
l’établissement de la filiation79.

342. La date de la naissance de l’enfant ayant été logiquement écartée80, il a été


proposé de tenir compte de la résidence des intéressés « au moment où le juge est

76
P. MAYER et V. HEUZÉ, op. et loc. cit.
77
Art. 311-15 du Code civil : « Toutefois, si l’enfant légitime et ses père et mère, l’enfant naturel et l’un
de ses père et mère ont en France leur résidence habituelle, commune ou séparée, la possession d’état
produit toutes les conséquences qui en découlent selon la loi française, lors même que les autres éléments
de la filiation auraient pu dépendre d’une loi étrangère ».
78
Au contraire par exemple de l’article 311-14 du Code civil qui prévoit que la filiation de l’enfant est
régie par loi nationale de la mère au jour de la naissance de l’enfant. Certains auteurs considèrent
d’ailleurs que si la règle de conflit prévoit le moment auquel il faut apprécier l’élément de rattachement
applicable à la situation, le fige à un moment donné du temps, il n’y a pas de conflit mobile. V., pour une
conception stricte des conflits mobiles, H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé :
t. 1, L.G.D.J., 8e éd., 1993, n° 318.
79
V. P. BOUREL et H. MUIR-WATT, Filiation : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 548-10, 1999, n° 178.
80
Mme Simon-Depitre et M. Jacques Foyer (La loi du 3 janvier 1972 et le droit international privé : JCP
1973. I. 2566, spéc. n° 87) en ont souligné les raisons : « la possession d’état est comme son nom
l’indique un état qui se constitue lentement par la réunion de toute une série de faits concordants.
L’existence ou non de ces indices […] ne peut donc par hypothèse être appréciée au jour de la naissance
qui n’en constitue que le point de départ ». V. également H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit
international privé : t. 2, L.G.D.J., 7e éd., 1983, n° 469.

228
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

appelé à statuer »81. La jurisprudence a pu considérer qu’il fallait prendre en


considération la date de l’introduction de l’instance. Ainsi, dans une affaire soumise à la
Cour d’appel de Lyon82, la mère et l’enfant, après avoir résidé en France
postérieurement à la naissance, étaient reparties en Belgique ; la mère (décédée) n’ayant
pas à la date de l’assignation sa résidence habituelle en France, les conditions de
l’article 311-15 ne se trouvaient pas remplies. Si cette date a, notamment, le mérite de la
« simplicité »83, la doctrine s’accorde en général à considérer qu’il est également
possible de retenir, dans l’hypothèse où la résidence habituelle viendrait à être modifiée
entre la date de l’introduction de l’instance et celle où le juge statue, la résidence à la
date de la décision définitive car « la procédure peut être fort longue et […] la résidence
est une notion de fait, comportant en particulier un élément intentionnel, qui peut se
manifester en cours d’instance »84. Les parents de l’enfant qui ont leur résidence
habituelle à l’étranger au jour de l’introduction de la demande et qui acquièrent par la
suite leur résidence habituelle en France remplissent la condition de résidence prévue
par le texte.

343. Il semble que dans l’hypothèse inverse, où les parents et l’enfant, après
avoir eu leur résidence habituelle ensemble en France, n’y résident plus le jour où
l’enfant invoque sa possession d’état, il faille également considérer la condition de
résidence comme remplie85, même si la condition de résidence de toutes les parties n’est
plus réalisée au jour de l’introduction de la demande ou au jour où le juge statue86. Le

81
M. SIMON-DEPITRE et Jacques F OYER , La loi du 3 janvier 1972 et le droit international privé : JCP
1973. I. 2566, spéc. n° 87. V. également, par exemple, H. B ATIFFOL et P. LAGARDE , Traité de droit
international privé : t. 2, L.G.D.J., 7e éd., 1983, n° 469.
82
Lyon, 31 oct. 1979 : Rev. crit. 1980. 558, note B. Ancel ; D. 1980. IR. 322, obs. B. Audit ; JDI 1981.
54, note Jacques Foyer.
83
M. SIMON-DEPITRE et Jacques F OYER , La loi du 3 janvier 1972 et le droit international privé : JCP
1973. I. 2566, spéc. n° 87. Les auteurs invoquent un autre argument : « le lien étroit sinon nécessaire entre
la résidence considérée au titre de la compétence judiciaire et au titre de la compétence législative ».
84
M. SIMON-DEPITRE et Jacques F OYER , La loi du 3 janvier 1972 et le droit international privé : JCP
1973. I. 2566, spéc. n° 89. Les auteurs donnent d’autres arguments. Cf. cependant supra n° 121 s. sur la
contestation de la qualification « de fait » de la notion.
85
Contrairement donc à ce qu’a considéré la Cour d’appel de Lyon, dans l’arrêt précité du 31 octobre
1979. – V. P. BOUREL et H. MUIR-WATT, Filiation : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 548-10, 1999, n° 180.
86
MM. Batiffol et Lagarde (L’improvisation de nouvelles règles de conflit de lois en matière de filiation :
Rev. crit. 1972. 1-26, spéc. p. 13) ont ainsi pris l’exemple d’un « enfant de mère étrangère qui a la
possession d’état d’enfant légitime. Le mari, la mère et l’enfant résident en France, puis le couple se
sépare et le mari va résider à l’étranger. Si c’est après le départ de son père que l’enfant doit prouver sa
légitimité, il semble difficile de lui refuser le bénéfice de l’article 320 du Code civil pour le motif qu’au
moment où il invoque sa possession d’état, les conditions de résidence de l’article 311-15 du Code civil
ne sont plus réunies ». V. également P. MAYER et V. HEUZÉ, (Droit international privé : Montchrestien,
Coll. Domat, droit privé, 7e éd., 2001, n° 617, n. 20), selon lesquels « on peut douter […] qu’il soit

229
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

sens du texte paraît être, selon MM Batiffol et Lagarde87, de « retenir toute résidence
habituelle en France depuis le jour où la possession d’état est constituée jusqu’à celui où
les conséquences en sont invoquées en France, même si cette résidence de tous les
intéressés n’a pas duré pendant toute la période qui sépare ces deux dates ». Rien ne
semble non plus interdire que l’on applique l’article 311-15 si les intéressés ont, au
moment du litige, leur résidence habituelle en France « alors que les faits constitutifs de
la possession d’état se sont produits à l’étranger »88.

344. La loi française semble devoir s’appliquer « dès lors que la condition de
résidence en France a été remplie, quel que soit le moment où elle l’a été »89 ; peu
importe alors finalement le changement de la résidence des intéressés. Jusqu’à la
réforme du 3 janvier 1972 relative à la filiation, la jurisprudence s’inscrivait clairement
dans une politique de faveur faite à l’établissement de la filiation. « La doctrine de la loi
la plus favorable avait été expressément consacrée par la Cour de cassation dans l’arrêt
Verdier »90 : « dans la poursuite de l’établissement de la filiation, l’enfant peut se
prévaloir des dispositions qui lui sont les plus favorables »91. Avec la réforme, le
législateur a essayé « de mettre fin aux controverses et d’assurer aux plaideurs une plus
grande certitude », prolongeant la plupart des règles de conflit dans l’espace qu’il a
édictées d’une règle de conflit mobile92, mais l’article 311-15 a pourtant révélé des
lacunes et les positions doctrinales évoquées démontrent qu’en l’absence de référence
textuelle quant au moment où l’on doit apprécier la condition de résidence habituelle,
l’idée de loi la plus favorable à l’établissement de la filiation réapparaît naturellement.

conforme à l’intention du législateur d’écarter l’article 311-15, si enfant et parents ont vécu vingt ans
ensemble, et que l’un d’eux vient de partir pour l’étranger ».
87
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 2, L.G.D.J., 7e éd., 1983, n° 469 ;
L’improvisation de nouvelles règles de conflit de lois en matière de filiation : Rev. crit. 1972. 1 s., spéc.
p. 13.
88
Jacques F OYER : Rép. intern. Dalloz, V° Filiation, 1998, n° 185 ; J ACQUES FOYER et P. COURBE,
Conflits de lois dans le temps – Conflits mobiles : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 533-2, n° 136.
89
P. M AYER et V. HEUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 617. Les auteurs en déduisent d’ailleurs que l’article 311-15 « ne donne pas naissance à un
conflit mobile, car il contient une loi d’application nécessaire ».
90
P. BO U R E L et H. MUIR -W ATT , Filiation : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 548-10, 1999, n° 169.
MM. Loussouarn et Bourel (Droit international privé : Dalloz, Coll. Précis, Droit privé, 7e éd., 2001,
n° 233) ont évoqué la « manipulation du conflit mobile aux fins d’application de la loi la plus favorable ».
91
Civ. 5 déc. 1949 : JCP 1950. II. 5287, note Delaume ; JDI 1950. 280, note Goldman ; Rev. crit. 1950.
65, note Motulsky ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit
international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 21.
92
P. BOUREL et H. MUIR-WATT, Filiation : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 548-10, 1999, n° 168.

230
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

2. Le changement de la résidence expressément envisagé dans les textes


internationaux

345. Le règlement dit « Bruxelles II bis » ne vise que la compétence, la


reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de responsabilité parentale. En
matière de responsabilité parentale, les juridictions compétentes sont, par principe,
celles de l’État membre sur le territoire duquel l’enfant a sa résidence habituelle93. En
vertu de quoi, si l’enfant change de résidence habituelle, les autorités de son ancienne
résidence habituelle ne sont plus compétentes, même si, on l’a vu, le texte
communautaire prévoit des dérogations à ce principe94. Il est une hypothèse qui n’a pas
encore été envisagée : celle visée par l’article 9 relatif au maintien de la compétence des
juridictions de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant. Ainsi, lorsque le déplacement
de l’enfant a lieu de manière licite95, que sa nouvelle résidence habituelle est située dans
un autre État membre, les autorités de son ancienne résidence habituelle restent
compétentes « durant une période de trois mois suivant le déménagement, pour modifier
une décision concernant le droit de visite rendue dans cet État membre »96. Il faut donc
que l’État membre de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant ait déjà statué sur la
question du droit de visite ; en outre, il faut que « le titulaire du droit de visite en vertu
de la décision concernant le droit de visite continue à résider habituellement dans l’État
membre de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant »97. Les conditions posées par ce
texte sont telles qu’en pratique, ces dispositions dérogatoires ne devraient jouer que
dans des circonstances assez exceptionnelles98. La question de la loi applicable n’étant

93
Art. 8, par. 1, du règlement n° 2201/2003.
94
Sur la prorogation de compétence au profit du for de la désunion, cf. supra n° 163. Il existe également
une dérogation plus générale au principe énoncé par l’article 8 : les juridictions de l’État avec lequel
l’enfant entretient un lien étroit peuvent, sous certaines conditions (cf. supra) être compétentes pour
statuer sur la question de la responsabilité parentale (art. 12, par. 3, et art. 12, par. 4). Mais aucune
condition n’est liée au fait que l’enfant doit avoir eu à un moment donné sa résidence habituelle sur le
territoire de l’État ainsi compétent.
95
Sur l’hypothèse où le déplacement a lieu en violation d’un droit de garde, cf. infra n° 389 s.
96
Art. 9, par. 1, du règlement. – Au moment de l’élaboration de la convention de La Haye de 1996, la
délégation américaine avait fait une proposition qui prévoyait également le maintien de la compétence des
autorités de l’ancienne résidence habituelle. Sur ce point, cf. infra note 121 et, notamment, les remarques
de M. Lagarde.
97
Art. 9, par. 1, du règlement. Le paragraphe 2 du même article précise que le titulaire du droit de visite
visé peut cependant accepter la compétence des autorités de la nouvelle résidence habituelle de l’enfant.
98
V. C. NOURISSAT et A. DEVERS , Étude n° 15. Les règles de compétence internationales en matière
matrimoniale et de responsabilité parentale, in Lamy, Procédures communautaires, ss dir G. Canivet, L.
Idot, D. Simon, à paraître, 2004.

231
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

pas envisagée par le règlement, il conviendra, selon les circonstances, de se référer aux
dispositions des conventions de La Haye de 1961 ou de 1996, voire au droit commun99.

346. En revanche, lorsque le texte international prévoit quelle doit être la loi
applicable à la situation visée, c’est de manière très précise que les conséquences liées
au changement de la résidence, en particulier celles relatives à la corrélation entre les
compétences juridictionnelle et législative, sont envisagées. Ne pouvant que constater
les difficultés liées à la mobilité du facteur de rattachement, les rédacteurs des
conventions de La Haye ont parfois décidé d’introduire clairement des dispositions
relatives au changement de la résidence et d’anticiper de la sorte les éventuels
problèmes en précisant ses conséquences. Ainsi certains rapports ont-ils exprimé
clairement que « l’adoption, dans une règle de conflit de lois principale, d’un facteur de
rattachement dépourvu de fixité […] a obligé la Commission spéciale à résoudre, dans
une clause particulière, les conflits mobiles, engendrés par le déplacement, opéré par le
créancier d’aliments, de sa résidence habituelle d’un pays à un autre »100.

347. La diversité des systèmes nationaux, la recherche d’efficacité, de sécurité


juridique, sont à l’origine du règlement des implications de ce fait juridique que
constitue le changement. C’est ainsi qu’en matière d’obligations alimentaires, a été
énoncé le principe de l’application immédiate de la loi de la nouvelle résidence
habituelle (a.), alors que celui de la survie des mesures prises selon la loi de l’ancienne
résidence habituelle a été adopté en matière de protection des mineurs (b.).

a. Le principe de l’application immédiate de la loi de la nouvelle résidence


habituelle. L’hypothèse des obligations alimentaires

348. Si, par principe, la loi de la nouvelle résidence habituelle est applicable au
créancier d’aliments (a .), il existe une exception à cette règle (b .).

a . Le principe

349. La Commission spéciale qui a présidé à l’élaboration de la convention de


La Haye de 1956 sur la loi applicable aux obligations alimentaires envers les enfants a

99
Sur la question , cf. supra n° 189 s.
100
M. VERWILGHEN, Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIe Session de la Conférence de
La Haye, 1972, t. IV, Obligations alimentaires, p. 384 s., spéc. p. 442, n° 140.

232
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

cherché les diverses solutions possibles au problème que pouvait causer le changement
de résidence habituelle de l’enfant. Elle en a recensé trois101 :

« a. On peut donner à l’enfant un statut alimentaire immuable en ce sens que la loi


de la résidence habituelle de l’enfant d’après laquelle l’obligation alimentaire a
été déterminée régira toute instance subséquente en modification de la décision
intervenue.
b. Un système mixte. Une décision rendue d’après la loi de la résidence habituelle
aura autorité de chose jugée quant au fondement de la dette alimentaire. Elle sera
révisable quant au montant selon la loi d’une nouvelle résidence habituelle.
c. Un statut variable. Au cas où un changement de la résidence habituelle de
l’enfant intervient, la loi de la nouvelle résidence habituelle sera applicable à
partir du moment où le changement s’est effectué. »

350. La troisième solution a emporté l’adhésion car les deux premières auraient
fait disparaître le principal avantage de la loi de la résidence habituelle qui est
l’application du droit local par le juge saisi102. Elle est reprise dans l’article 1er, alinéa 2,
de la convention de 1956 qui indique que « en cas de changement de la résidence
habituelle de l’enfant, la loi de la nouvelle résidence habituelle est applicable à partir du
moment où le changement est effectué ». La convention de La Haye de 1973 sur la loi
applicable aux obligations alimentaires prévoit les mêmes dispositions dans son
article 4, alinéa 2103. Le réalisme implique que l’on tienne compte d’une situation
actuelle. On doit en déduire que le statut alimentaire est mobile et varie en fonction des
déplacements de l’intéressé dès lors qu’ils sont constitutifs d’un changement de
résidence habituelle.

351. En cas de changement de ce critère de rattachement, la loi de la nouvelle


résidence habituelle ne s’applique pas rétroactivement, mais uniquement pour la période
postérieure au changement. La loi de l’ancienne résidence reste en effet compétente
pour la partie de la réclamation qui concerne la période antérieure104, ce qui peut
finalement avoir pour conséquence que le juge saisi sur le fondement de la résidence
habituelle actuelle n’applique pas dans ce cas sa propre loi, mais celle de l’ancienne

101
L. I. DE WINTER, Rapport de la Commission spéciale : Actes et documents de la VIIIe Session de la
Conférence de La Haye, 1956, II, p. 124 s., spéc. p. 128.
102
Sur ce point, cf. supra n° 196 s.
103
Art. 4, al. 2, de la convention de La Haye de 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires :
« en cas de changement de la résidence habituelle du créancier, la loi interne de la nouvelle résidence
habituelle s’applique à partir du moment où le changement est devenu effectif ».

233
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

résidence habituelle. M. Bischoff a ainsi pris note de ce que si des aliments sont
réclamés pour une période écoulée, il faut alors appliquer les lois correspondantes aux
différentes résidences successives de l’enfant pendant la période considérée105.

352. La naissance d’un rapport juridique est soumise à la loi de la résidence


habituelle actuelle de l’intéressé, mais, dans la mesure où les décisions rendues en
matière d’aliments dans un État contractant sont reconnues et déclarées exécutoires dans
les autres États contractants, il faut à nouveau saisir les juridictions compétentes pour
faire modifier les mesures antérieures ; on doit reconsidérer le rapport juridique. En
effet, M. Verwilghen, rapporteur du second texte, a précisé que le conflit mobile « n’est
jamais résolu d’office par le simple fait de la modification du facteur de rattachement ».
Tant que l’une des parties ne réclame pas devant l’autorité compétente une révision de
la décision préalablement prise, la situation des parties ne change pas.

353. M. Courbe106 a souligné que ces deux conventions sur la loi applicable aux
obligations alimentaires n’ont pas précisé l’effet du changement de résidence en cours
d’instance. Ce point n’a pas été réglé « au motif qu’il s’agissait d’une question en
relation étroite avec le droit de la procédure en vigueur dans chaque pays ». Selon
l’auteur, « l’esprit de la convention permet sans doute, dans le silence du texte,
d’adopter alors la solution la plus favorable au créancier d’aliments ».

b . L’exception

354. Alors qu’une « actualisation systématique »107 de la loi applicable au


créancier d’aliments semble tout à fait justifiée si l’on considère que la résidence est un
rattachement motivé par l’idée selon laquelle ce sont les autorités et la loi du milieu
dans lequel vit le créancier qui lui assurent la meilleure protection, à l’inverse, une
« cristallisation »108 de la situation est essentielle en ce qui concerne les époux divorcés.

104
V. P. BELLET, Les nouvelles conventions de La Haye en matière d’obligations alimentaires : JDI 1974.
5-31, spéc. 10.
105
J.-M. BISCHOFF, Les Conventions de La Haye en matière d’obligations alimentaires : JDI 1964, 759-
788, spéc. 771-772.
106
P. COURBE, Divorce et conflit mobile : Mélanges dédiés à Dominique Holleaux, Litec, 1990, p. 69 s.,
spéc. p. 80.
107
P. COURBE, op. et loc. cit.
108
V. P. M AYER et V. HEUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 601 et P. COURBE, Divorce et conflit mobile : Mélanges dédiés à Dominique Holleaux, Litec,
1990, p. 69 s., spéc. p. 79.

234
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

Ainsi, selon l’article 8, alinéa 1er, de la convention de La Haye de 1973 sur la loi
applicable aux obligations alimentaires, la loi appliquée au divorce109 régit les
obligations alimentaires entre époux divorcés, y compris en ce qui concerne « la
révision des décisions relatives à ces obligations ». Peu importe les changements de
résidence habituelle des ex-époux : la loi du divorce continuera à régir les obligations
alimentaires. Figer la loi applicable paraît en effet nécessaire si l’on souhaite un
« règlement homogène » des relations pécuniaires entre les ex-époux : « on ne peut
passer, sous prétexte d’un changement [de l’élément de rattachement], d’un régime de
prestation forfaitaire à un régime de pension révisable, sans ruiner toute cohérence »110.

b. Le principe de la survie des mesures prises selon la loi de l’ancienne résidence


habituelle. L’exemple de la protection des mineurs

355. Le changement de la résidence habituelle du mineur, tout en opérant une


modification de la compétence des autorités chargées de prendre les mesures adéquates
à sa protection, ne provoque pas ipso facto un changement de son statut111. La solution
posée par la convention de La Haye de 1961 sur la protection des mineurs (a ) est
reprise, mais se trouve également réaménagée, par celle de 1996 sur la protection des
enfants (b ).

a . Le changement de la résidence et la convention de La Haye de 1961 sur la


protection des mineurs

356. M. Steiger112, dans son rapport sur la convention de La Haye de 1961 sur la
protection des mineurs, souligne qu’« il est logique que, si la résidence habituelle d’un
mineur est déplacée dans un autre État, les autorités de ce dernier deviennent
compétentes pour régler, selon leur loi interne (article 2), le sort du mineur (alinéa
premier) ». Mais l’auteur ajoute qu’il est également essentiel, dans l’intérêt de ce

109
Ou à la séparation de corps (art. 8, alinéa 2 de la convention).
110
P. COURBE, Divorce et conflit mobile : Mélanges dédiés à Dominique Holleaux, Litec, 1990, p. 69 s.,
spéc. p. 79.
111
V. par exemple G. A.-L. DROZ, La protection des mineurs en droit international privé français depuis
l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 : JDI 1973. 603 s., spéc. 624.
112
W. VON S TEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents IXe Session, 1960, t. IV, Protection des
mineurs, p. 219 s., spéc. p. 231.

235
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

mineur, qu’il ne se crée pas « à la suite du déplacement de la résidence habituelle, un


"vide juridique" qui [le] laisserait […] sans protection »113.

357. Lorsque la résidence habituelle du mineur est modifiée, les autorités de la


nouvelle résidence deviennent compétentes pour prendre toutes les mesures nécessaires
pour assurer sa protection114 ; elles statueront alors en appliquant leur propre loi115.
Mais cette solution, réaliste, doit s’articuler avec une autre considération : celle de la
continuité de la protection du mineur, le régime juridique de protection ne devant être
modifié « que pour autant que les intérêts du mineur le justifient »116. C’est pourquoi,
selon les dispositions de l’article 5 de la convention117, si des mesures ont déjà été prises
par les autorités de l’État de l’ancienne résidence habituelle, elles demeurent
applicables, d’une part tant que les autorités de l’État de la nouvelle résidence habituelle
n’ont pas été saisies d’une demande de modification ; d’autre part, même lorsque ces
autorités ont été saisies, tant que l’avis des autorités de l’ancienne résidence habituelle
n’a pas été pris concernant ces anciennes mesures118. Dans l’hypothèse où la protection

113
W. VON S TEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents IXe Session, 1960, t. IV, Protection des
mineurs, p. 219 s., spéc. p. 231. – V. également L. MARMO, Rapport de la commission spéciale : Actes et
documents de la IXe Session de la Conférence de La Haye, 1960, t. IV, Protection des mineurs, p. 26.
114
En principe, le changement de résidence habituelle lorsqu’une procédure relative à la garde est en
cours aboutit à la modification de la compétence internationale. Le moment où la décision est prononcée
détermine la compétence internationale en vertu de l’article 1er de la convention : OLG Stuttgart 18 nov.
1977 – 15 UF 40/77 EG ; IPRspr. 1977 No. 79 ; NJW 1978, 1746 ; OLG Stuttgart 20 déc. 1979 – 15 UF
323/79 EG ; NJW 1980, 1227 (cités par M. Sumampouw, Les nouvelles conventions de La Haye. Leur
application par les juges nationaux : Institut universitaire de droit international, T.M.C. Asser Institut,
La Haye, t. 2, 1980, p. 119-120).
115
Art. 1 et 2 de la convention de La Haye de 1961. Sur ce point, cf. supra n° 180 s.
116
W. VON S TEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents IXe Session, 1960, t. IV, Protection des
mineurs, p. 219 s., spéc. p. 231.
117
Art. 5 alinéa 1er : « Au cas de déplacement de la résidence habituelle d’un mineur dans un État
contractant dans un autre, les mesures prises par les autorités de l’État de l’ancienne résidence habituelle
restent en vigueur tant que les autorités de la nouvelle résidence habituelle ne les ont pas levées ou
remplacées ». Art. 5, alinéa 2 : « Les mesures prises par les autorités de l’État de l’ancienne résidence
habituelle ne sont levées ou remplacées qu’après avis préalable auxdites autorités ».
118
L’« avis » requis ne signifie pas l’« assentiment ». L’objectif de cette disposition est d’obliger les
autorités de la nouvelle résidence habituelle à prendre auprès des autorités de l’ancienne résidence,
présumées les mieux renseignées sur la question, toutes les informations utiles pour statuer ensuite « en
toute connaissance de cause » (W. VON S TEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents IXe Session,
1960, t. IV, Protection des mineurs, p. 219 s., spéc. p. 231). M. Steiger (op. et loc. cit.) a précisé que cela
impliquait qu’un délai raisonnable soit laissé aux autorités de l’ancienne résidence pour « exposer les
circonstances du cas, […] et […] justifier les mesures jusqu’alors prises » et qu’il est alors possible que
les explications fournies amènent les autorités de la nouvelle résidence habituelle à maintenir, au moins
partiellement, les anciennes mesures prises. Il existe un parallèle avec les dispositions de l’article 4 de la
convention, selon lequel les autorités de l’État dont le mineur est le ressortissant, qui considèrent que
l’intérêt du mineur l’exige, peuvent, « après avoir avisé les autorités de l’État de sa résidence habituelle »,
prendre les mesures de protection adéquate selon leur loi interne (v. sur ce point le rapport précité,
p. 229).

236
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

du mineur aurait été assurée par les autorités dont il a la nationalité119, « les mesures
prises par elles suivant leur loi interne restent en vigueur dans l’État de la nouvelle
résidence habituelle »120 ; la modification du lieu de résidence n’emporte en effet
logiquement aucune modification des mesures antérieures prises au regard de la loi
nationale de l’intéressé.

b . Le changement de la résidence et la convention de La Haye de 1996 sur la


protection des enfants

358. Selon les dispositions de l’article 5, alinéa 2 de la convention, « en cas de


changement de la résidence habituelle dans un autre État contractant, sont compétentes
les autorités de l’État de la nouvelle résidence habituelle »121. Mais il résulte de
l’interprétation de l’article 14 que les anciennes mesures doivent rester en vigueur,
même si l’élément qui a fondé la compétence disparaît, tant que les nouvelles autorités
compétentes sur le fondement de la convention ne les ont pas « modifiées, remplacées
ou levées »122. La solution est similaire à celle de l’article 5 de la convention de
La Haye de 1961 précité. La convention de La Haye de 1996 a cependant innové sur un
point : si les mesures prises avant le changement de résidence habituelle perdurent tant

119
Sur le fondement de l’article 4 de la convention.
120
Art. 5, alinéa 3 de la convention.
121
La délégation américaine avait proposé que les autorités de l’ancienne résidence habituelle, dans
l’hypothèse précise où elles auraient pris une mesure concernant le droit de garde ou de visite de l’enfant
avant son départ, pourraient conserver une compétence exclusive sur ce point pendant deux ans, si l’un au
moins des parents continuait à résider dans cet État de l’ancienne résidence habituelle du mineur et à
entretenir une relation suivie avec l’enfant. Cette disposition a été envisagée devant « la crainte de voir les
autorités de la nouvelle résidence habituelle, supposées plus favorables à l’autre parent, remettre en cause
les mesures prises par les autorités de la précédente résidence habituelle ». Mais, comme l’a souligné
M. Lagarde (Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIIIe Session de la Conférence de La Haye,
1996, t. II, Protection des enfants, n° 41), cela aurait « entraîné un partage des compétences difficilement
praticable entre les autorités de la première résidence pour les droits de garde et de visite et les autorités
de la nouvelle résidence pour les autres aspects de la responsabilité parentale ». Il faut donc, dans ce cas,
avoir confiance en la sagesse des autorités nouvellement compétentes, qui devront (en particulier si ce
sont celles dont l’enfant ou le parent demandeur des modifications ont la nationalité) se souvenir que tout
changement dans les décisions relatives à l’enfant doit être motivé dans l’intérêt exclusif du mineur ; le
changement de résidence ne saurait servir de prétexte à l’obtention de mesures plus favorables pour le
parent avec lequel l’enfant mineur réside habituellement. – Sur la question de savoir si les autorités de
l’ancienne résidence habituelle restent compétentes alors que le changement de résidence intervient
lorsqu'elles sont saisies, mais n’ont pas encore pris de mesures, v. P. LAGARDE, op. cit., n° 42.
122
Une proposition allemande et néerlandaise envisageait de préciser que « le changement de résidence
habituelle n’est pas un changement de circonstance justifiant une modification des mesures de protection
prises par un État contractant ». Cette proposition est un peu différente du texte finalement retenu en ce
sens qu’elle paraît limiter la modification des mesures à une autre circonstance que le changement à lui
seul. À ce sujet, M. Lagarde (Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIIIe Session de la
Conférence de La Haye, 1996, t. II, Protection des enfants, n° 43) a fait remarquer que cette disposition
envisagée aurait risqué de lier les mains de l’autorité nouvellement compétente.

237
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

qu’une nouvelle décision n’est pas rendue par les autorités de la nouvelle résidence
habituelle, leurs « conditions d’application » sont en revanche, dès le changement,
régies par la loi de la nouvelle résidence habituelle. En effet, selon l’article 15 § 3, dans
l’hypothèse d’un « changement de la résidence habituelle de l’enfant dans un autre État
contractant, la loi de cet autre État régit, à partir du moment où le changement est
intervenu, les conditions d’application des mesures prises dans l’ancien État de
résidence habituelle ». On peut résumer ces dispositions en prenant un exemple : si un
enfant change de résidence habituelle alors que les autorités de son ancienne résidence
habituelle avaient décidé de son placement sous tutelle, le tuteur ainsi désigné reste
titulaire de sa charge tant que les autorités de la nouvelle résidence habituelle du mineur
n’estiment pas que sa protection requiert que soient prises de nouvelles mesures. En
revanche, les conditions d’application de la tutelle sont, dès le changement de la
résidence habituelle, régies par la loi de la nouvelle résidence.

359. Pour ce qui concerne les rapports d’autorité parentale123 ex lege, alors qu’ils
sont régis dans la convention de La Haye de 1961, par la loi interne de l’État dont le
mineur est le ressortissant124, la convention de 1996 a supprimé toute référence à la loi
nationale : « l’attribution ou l’extinction de plein droit d’une responsabilité parentale,
sans intervention d’une autorité judiciaire ou administrative, est régie par la loi de l’État
de la résidence habituelle de l’enfant »125. L’innovation est importante, et, dans la
mesure où la résidence habituelle est susceptible d’être modifiée, le conflit mobile a été
très précisément envisagé. Il a fallu trouver un compromis entre, d’une part, un système
prenant en compte chaque changement de résidence et lui faisant produire un
changement de loi applicable à la responsabilité parentale et, d’autre part, un système de
continuité de la protection. M. Lagarde a ainsi exposé trois situations qui doivent être
distinguées. Dans la première, la loi de la nouvelle résidence habituelle est la seule à
prévoir une responsabilité parentale de plein droit : « le système de mutabilité s’impose

123
Ou de « responsabilité parentale » selon la terminologie adoptée dans le texte de 1996 et dans les
règlements communautaires « Bruxelles II » et « Buxelles II bis ».
124
Sur le fondement de l’article 3 de la convention.
125
Art. 16 § 1 de la convention. On aboutira ainsi à une concordance, dans la très grande majorité des
hypothèses, entre la loi applicable à la responsabilité parentale et celle applicable pour prendre les
mesures de protection. V. P. LAGARDE, La nouvelle convention de La Haye sur la protection des
mineurs : Rev. crit. 1997. 217 s., spéc. 231.

238
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

et seule cette loi a vocation à s’appliquer » (article 16, § 1)126. Dans la deuxième, la loi
de l’ancienne résidence habituelle est la seule à prévoir une responsabilité parentale de
plein droit : le système de continuité s’applique et celui qui est investi par la loi de cette
responsabilité parentale conserve ses fonctions, de plein droit (art. 16, § 3). Enfin, dans
la troisième situation, les lois des résidences habituelles successives prévoient toutes
deux une responsabilité parentale de plein droit, mais ne l’attribuent pas aux mêmes
personnes : « la convention applique […] la théorie des wagons. La responsabilité
parentale résultant de la première loi subsiste (art. 16, § 3), mais on lui accroche le
wagon supplémentaire résultant de la seconde loi (art. 16, § 4) ».

360. Ces rapports ex lege pourront toujours être retirés ou modifiés en application
des diverses dispositions de la convention127. L’article 16 est complété par l’article 17,
relatif à l’exercice de la responsabilité parentale, qui dispose que « l’exercice de la
responsabilité parentale est régi par la loi de la résidence habituelle de l’enfant. En cas
de changement de la résidence habituelle de l’enfant, il est régi par la loi de l’État de la
nouvelle résidence habituelle ». La convention de 1996 envisage donc également une
continuité dans les règles régissant la protection du mineur, même si le système exposé
peut paraître plus complexe sur certains points.

SECTION 2. LE DÉPLACEMENT ILLICITE DE LA RÉSIDENCE

361. Il y a parfois à l’origine du déplacement un comportement répréhensible. La


résidence étant un facteur de rattachement mobile, un individu peut se déplacer à travers
les frontières de manière que les effets qui sont attachés à la notion puissent jouer ; la
compétence, ou au contraire l’éviction, des juridictions ou de la loi normalement
applicables sont artificiellement recherchées. On crée un conflit mobile, mais il est en

126
Si l’attribution ou l’extinction de la responsabilité découle d’un accord ou d’un acte unilatéral (tel le
testament par exemple), alors qu’il n’y a toujours pas d’intervention de l’autorité judiciaire ou
administrative, l’article 16, § 2 fait référence à la « loi de l’État de la résidence habituelle de l’enfant au
moment où l’accord ou l’acte unilatéral prend effet ».
127
Art. 18 de la convention : « la responsabilité parentale prévue à l’article 16 pourra être retirée ou ses
conditions d’exercice modifiées par les mesures prises en application de la convention ». La question de

239
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

quelque sorte faussé par des objectifs condamnables. Il se peut également qu’une voie
de fait soit à l’origine du déplacement de la personne considérée. Par exemple, un
parent peut retenir ses enfants à l’issue d’un droit de visite, que ce soit, là encore, pour
fonder ou évincer une règle de conflit, ou simplement parce qu’il refuse de respecter les
modalités relatives à l’exercice de l’autorité parentale. Lorsque la présence de
l’intéressé en un lieu est de la sorte établie, doit-on considérer que cette présence est
susceptible de constituer une résidence, auquel cas la sanction peut être trouvée dans le
refus de tenir compte des conséquences de la situation ainsi créée ou doit-on au
contraire retenir qu’une résidence ne peut se constituer dans ces conditions ? Ces deux
types de sanction, retenir l’inopposabilité du changement de résidence (§ 1.), ou
considérer que le comportement de l’intéressé est un obstacle à la constitution d’une
résidence (§ 2.) sont envisageables, la seconde étant nettement la plus souvent retenue.

§ 1. L’inopposabilité du changement de la résidence

362. Lorsque la législation d’un État est plus clémente que celle d’un autre État,
la tentation est évidemment grande de vouloir faire en sorte d’être soumis aux
dispositions les plus favorables. Dans l’hypothèse où le critère de rattachement d’une
règle de conflit, de loi ou de juridiction, dépend pour sa concrétisation de la volonté des
parties, une fraude est alors possible. Il y a en effet à l’origine de la fraude un
changement délibéré du facteur de rattachement.

363. Dans son rapport explicatif sur la convention de La Haye de 1961 sur la
protection des mineurs, M. Steiger128 a indiqué que la Commission spéciale avait
envisagé d’introduire dans le texte de la convention une disposition traitant du
« déplacement de la résidence habituelle du mineur intervenu dans l’intention
d’échapper aux autorités compétentes, donc du déplacement frauduleux ». Il a
finalement été décidé d’abandonner la question au droit commun des États contractants
car il s’est révélé impossible de trouver, « aux fins de la convention, un critère (subjectif

savoir si le juge de la résidence habituelle peut modifier des règles ex lege, qui a divisé la doctrine (sur ce
point cf. supra n° 184 s.), ne se pose donc plus.
128
W. VON S TEIGER, Rapport explicatif : Actes et documents IXe Session, 1960, t. IV, Protection des
mineurs, p. 219 s., spéc. p. 231-232.

240
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

ou objectif) de la fraude donnant entière satisfaction »129. L’auteur souligne que « si la


Convention passe sous silence le déplacement frauduleux de la résidence habituelle,
cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas »130.

364. On distingue traditionnellement deux types de fraude : la fraude au


jugement et la fraude à la loi131. La première est réalisée lorsqu’une personne cherche à
éluder le prononcé d’un jugement que pourrait rendre le for dont elle relève
normalement. Le plus souvent, l’intéressé recherche par ce biais une loi qui le
favorisera ; le changement de juge est, en effet, généralement intéressant parce qu’il
s’accompagne d’un changement de loi132. Ce qui constitue la fraude au jugement,
« c’est le fait d’aller plaider à l’étranger dans le but principal d’invoquer le jugement
dans le pays où l’on vit, qui aurait refusé de le prononcer si ses juges avaient été saisis
directement ; la fraude consiste dans le fait de chercher à obtenir indirectement ce que
l’on n’aurait pas obtenu directement »133.

365. La seconde, la fraude à la loi, suppose que l’intéressé connaisse « la règle de


conflit qui déterminera la compétence législative » et « manœuvre de façon à lui faire
désigner l’ordre juridique dont les règles favorisent son projet »134. Il s’agit le plus
souvent d’« un détournement du facteur de rattachement »135 : « l’élément
caractéristique de la fraude est l’intention de tourner la loi : l’intéressé a utilisé les
règles de conflit "dans le seul but" de se soustraire à la loi normalement
compétente »136. La fraude comporte donc, par définition, un élément volitif, subjectif
et, si « l’acte est intrinsèquement licite », il se trouve « vicié par sa fin illicite »137.

129
V. également sur ce point L. MARMO, Rapport de la commission spéciale : Actes et documents de la
IXe Session de la Conférence de La Haye, 1960, t. IV, Protection des mineurs, p. 26. Le terme de
déplacement « frauduleux » avait été retenu par la commission qui avait hésité sur le choix du qualificatif
adéquat : il s’agissait de trouver un critère qui constitue l’élément « inadmissible », « illégitime »,
« frauduleux » ou « irrégulier » du changement de résidence effectué « aux fins de se soustraire aux
mesures protectrices prises par les autorités d’un État et aux lois qu’elles appliquent ».
130
V. également M. SIMON-DEPITRE, La protection des mineurs en droit international privé : TCFDIP,
1958-1962, p 109 s., spéc. p. 123.
131
Ces deux types de fraude peuvent évidemment être combinés.
132
P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 393.
133
P. MAYER et V. HEUZÉ, op. et loc. cit.
134
P. MAYER et V. HEUZÉ, op. cit. n° 268.
135
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 1, L.G.D.J., 8e éd., 1993, n° 371.
136
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 1, L.G.D.J., 8e éd., 1993, n° 372.
V. l’arrêt Princesse de Beauffremont : Civ. 18 mars 1878 : S. 1878. 1. 193, note Labbé ; B. ANCEL, et

241
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

366. On pourrait croire que la résidence d’une personne pouvant aisément être
déplacée d’un pays à un autre, il en résulte de nombreuses fraudes. Pourtant, l’étude de
la jurisprudence montre que l’exception de fraude est rarement mise en œuvre : est-ce
parce qu’il n’existerait tout simplement pas de fraudes ? ou bien parce que les juges ne
peuvent que les pressentir et non les prouver ? Peut-être encore trouvent-ils un moyen
de les prévenir. La question qui se pose est de savoir comment le juge peut
concrètement faire échec à une fraude ou à une tentative de fraude.

367. Les obligations alimentaires envers un mineur dépendent, par principe, de la


loi de leur résidence habituelle138. Comme ont pu le souligner les commentateurs de la
convention de La Haye de 1973139, des hypothèses de fraude sont envisageables.
Cependant, divers éléments laissent à penser que le risque de fraude reste tout de même
limité. D’abord, même si certaines dispositions législatives sont plus favorables au
créancier que d’autres, il n’est pas possible qu’il n’obtienne pas du tout d’aliments. En
effet, la règle de conflit est à finalité matérielle : les conventions de 1956 ou de 1973 sur
la loi applicable aux obligations alimentaires prévoient un recours subsidiaire à d’autres
lois que celle de la résidence habituelle lorsque, en application de cette loi, le créancier
ne peut obtenir d’aliments. Il reste, certes, que l’intéressé peut vouloir être soumis au
régime qui lui est « le plus » favorable, mais on peut également supposer qu’un
créancier d’aliments « ne dispose pas des ressources nécessaires à de pareils
déplacements »140 : « sauf cas extrêmes et fort rares, peut-on aisément concevoir qu’un
créancier alimentaire change de résidence au gré de sa fantaisie et guidé par ses
connaissances du droit comparé des obligations alimentaires ? »141. Par ailleurs, si une
décision est rendue sur le fondement de la résidence habituelle du créancier d’aliments,
on a vu que la mesure pouvait être révisée lorsque ce créancier change de résidence

Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll.
Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 6.
137
P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 269. V. également, par exemple, Y. LOUSSOUARN (Les conflits de lois et les conflits de
juridictions en droit international privé français : Institut des hautes études internationales, Paris II, 1971,
p. 124) : « si toutes ces modifications n’ont en soi rien d’illégitime, elles peuvent devenir frauduleuses à
partir du moment où le but essentiel poursuivi par l’individu est d’échapper à l’empire de la loi
française ».
138
Les autorités de la résidence habituelle du mineur créancier d’aliments sont également compétentes.
139
V., par exemple, P. BELLET , Les nouvelles conventions de La Haye en matière d’obligations
alimentaires : JDI 1974. 5 s., spéc. 11.
140
P. BELLET, op. et loc. cit..

242
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

habituelle142 ; d’autres juridictions seront alors compétentes, lesquelles appliqueront


leur propre loi. Le créancier n’a donc aucun intérêt à se constituer une résidence
habituelle en un lieu pour obtenir une décision qui lui soit favorable s’il a prévu de
revenir ensuite dans le pays dans lequel il vivait jusque-là. S’il décidait toutefois
d’établir durablement sa résidence habituelle en un lieu pour bénéficier des mesures les
plus favorables, la fraude serait particulièrement difficile à prouver et l’on pourrait
même en fin de compte s’interroger sur l’existence même de la fraude. Il y aurait donc
un risque de fraude très limité en la matière, ce qui justifierait que l’on ne trouve pas de
décisions mettant en œuvre l’exception de fraude.

368. En matière de protection des mineurs, on a vu que le changement de


résidence habituelle du mineur ne provoquait pas ipso facto un changement de son statut
dans la mesure où les autorités de l’État dans lequel le mineur a sa nouvelle résidence
habituelle ne peuvent modifier les mesures prises par les autorités de l’ancienne
résidence habituelle que si leur avis sur la question a été préalablement pris143. Outre
qu’il offre l’avantage de la continuité dans le statut du mineur déjà décrit144, cet avis
peut également « décourager les déplacements frauduleux de résidence habituelle »145.
La fraude est donc là encore envisageable, mais en fait, certaines dispositions
conventionnelles paraissent pouvoir la limiter.

369. En matière de divorce, où les enjeux sont, de fait, très importants, on peut
relever des décisions dans lesquelles la fraude a été retenue146. La résidence est un
élément qui permet de saisir les juridictions françaises d’une demande en divorce,
lesquelles appliqueront les dispositions de l’article 310 du Code civil. Cette loi du
divorce s’étend également à ses effets, notamment aux obligations alimentaires entre
époux divorcés qui en découlent, lesquelles ne peuvent être remises en cause qu’en
application de cette même loi du divorce147. Le juge du divorce peut également se

141
M. VERWILGHEN, Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIe Session de la Conférence de La
Haye, 1972, t. IV, Obligations alimentaires, p. 384 s., spéc. p. 443.
142
Cf. supra n° 349 s.
143
Art. 5, al. 2, de la convention de 1961.
144
Cf. supra n° n° 356.
145
G. A.-L. DROZ, La protection des mineurs en droit international privé français depuis l’entrée en
vigueur de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 : JDI 1973. 603 s., spéc. 624.
146
Cf. infra lorsqu’il s’agit en particulier de répudiation n° 636 s.
147
Rappelons que l’article 8 de la convention de La Haye de 1973 dispose que « la loi appliquée au
divorce régit, dans l’État où il est prononcé ou reconnu, les obligations alimentaires entre époux divorcés
et la révision des décisions relatives à ces obligations ». Sur ce point, cf. supra n° 354.

243
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

trouver compétent pour statuer sur les mesures de protection concernant la personne ou
les biens du mineur148. Jusqu’au 1er mars 2001, date d’entrée en vigueur du règlement
communautaire n° 1347/2000 du 29 mai 2000, la compétence juridictionnelle était
fondée sur le seul article 1070 du Nouveau Code de procédure civile. La jurisprudence
se montrait assez stricte lorsque la durée de présence en France était encore brève au
jour de l’introduction de la demande, se référant à un élément intentionnel révélateur de
la résidence pour juger de son existence, ceci afin de faire échec au « divorce
migratoire », selon la formule consacrée149. De deux choses l’une, ou bien le ou les
conjoints recherche(nt) la compétence des juridictions françaises ; ou bien il(s)
souhaite(nt) échapper à cette compétence. Selon les dispositions de l’article 1070,
transposées en matière internationale, les tribunaux français sont compétents : si la
résidence de la famille se trouve sur le territoire français ; si l’un des époux réside à
l’étranger et que l’autre réside en France avec les enfants mineurs qui habitent avec lui ;
si la France n’est pas le pays de la résidence de la famille, ni celui où vit l’époux avec
lequel les enfants mineurs habitent, mais que l’époux qui n’a pas pris l’initiative de la
demande réside en France ; en cas de demande conjointe, si l’un des deux époux au
moins réside en France, et que les deux ont choisi de saisir les tribunaux français150. Les
juridictions françaises ne sont compétentes, sur le fondement du deuxième cas envisagé
par l’article 1070, que si le parent avec lequel habitent les enfants mineurs réside en
France151. Cette notion d’habitation peut être discutée, mais, en principe, elle ne peut
être qu’une notion de pur fait et la doctrine s’accorde en général pour considérer que
l’habitation est un lieu de séjour temporaire, passager, qui peut être éphémère, elle est là
où on se trouve à un moment considéré ; dès lors, le simple fait d’habiter, au jour précis
de l’introduction de la demande, avec l’un ou l’autre parent devrait suffire à fixer la

148
V. H. GAUDEMET-TALLON, Divorce : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 547-10, n° 53 s. ; v. la convention de
La Haye de 1961 sur la protection des mineurs, article 15 ; la convention de La Haye de 1996, article 10,
et le rapport explicatif de la convention de M. Lagarde (Rapport explicatif : Actes et documents de la
XVIIIe Session de la Conférence de La Haye, 1996, t. II, Protection des enfants, n° 61 s.) ; V. enfin le
règlement communautaire n° 1347/2000, article 3.
149
Sur ce point, cf. supra n° 239 s.
150
H. GAUDEMET-TALLON, Divorce : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 547-10, n° 48. La Cour de cassation a
estimé que la hiérarchie entre les chefs de compétence retenus, énoncée dans l’article 1070 du nouveau
Code de procédure civile, devait également être transposée dans l’ordre international, et qu’ils n’étaient
pas concurrents (V. Civ. 1re, 13 janv. 1981, De Bendern : JDI 1981, 360, note A. Huet ; Rev. crit. 1981.
331, note H. Gaudemet-Tallon).
151
Cette disposition peut encore, malgré l’entrée en vigueur du règlement communautaire n° 1347/2000,
trouver à s’appliquer à titre subsidiaire, lorsqu'aucun des chefs de compétence du règlement ne se réalise.

244
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

compétence territoriale152. Soit des parents qui résident l’un en France, l’autre à
l’étranger : au jour de l’introduction de la requête, si l’enfant est avec celui qui réside en
France, les juridictions françaises sont compétentes ; si l’enfant se trouve avec celui qui
réside à l’étranger, les juridictions françaises sont incompétentes. C’est pour empêcher
de telles situations que la jurisprudence a décidé que la condition d’habitation ne
pouvait être retenue dès lors que les enfants sont emmenés, ou gardés à l’issue de
vacances par exemple, par un parent sans l’accord de l’autre153. La Cour d’appel de
Paris, dans un arrêt de 1999154, a clairement indiqué que le juge devait apprécier
concrètement la résidence « après avoir vérifié que [l’époux] n’a pas agi en fraude à la
loi, ce qui est le cas en général, lorsque l’un des époux prend avec lui les enfants contre
le gré de l’autre ».

370. Lorsque la preuve de la fraude est rapportée, elle est sanctionnée par une
inopposabilité de la manœuvre liée au changement de la résidence, facteur de
rattachement : « l’acte vicié par son but étant illicite ne peut produire aucun effet »155.
Le juge doit faire abstraction de la compétence artificiellement créée, il prive d’effets le
déplacement frauduleux : il y a bien un changement de résidence, mais qui ne produit
pas les conséquences juridiques qui lui sont normalement attachées. Or, il est des
hypothèses où les magistrats retiennent qu’il y a à l’origine du déplacement une fraude
et qu’elle empêche la formation d’une résidence : ils déduisent de ces manœuvres
qu’elles ne peuvent permettre de considérer qu’il y a eu un changement de résidence et
qu’une nouvelle résidence fondant la compétence juridictionnelle ou législative a pu
être acquise. Dans l’arrêt de 1999 précité, la fraude que constitue le fait de retenir ou
d’enlever ses enfants, a pu être considérée comme un obstacle à la constitution d’une
résidence, fondement de la compétence territoriale des juridictions françaises. La
sanction retenue de la fraude est donc différente de ce qu’elle devrait être en théorie156.

152
Selon l’article 1071 du Nouveau Code de procédure civile, « la compétence territoriale est déterminée
par la résidence au jour où la requête initiale est présentée ».
153
V. sur l’ensemble de cette question Jean MAURY, La compétence territoriale en matière de demande
de divorce (Art. 1070 Nouv. c. pr. civ.) : D. 1983. Chron. V. 27 s., spéc. 31. « Il faut éviter que les enfants
mineurs ne servent d’instrument de localisation de la résidence et ne soient l’objet, à cette fin, de
véritables voies de fait ».
154
Paris, 1er juill. 1999 : D. 1999. IR. 224.
155
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 1, L.G.D.J., 8e éd., 1993, n° 375.
156
Dans l’arrêt Dujaque (Civ. 1re, 22 juill. 1987 : Bull. civ. I, n° 253 ; Rev. crit. 1988. 29, note
P. Lagarde), il était, notamment, reproché à la cour d’appel de « n’avoir pas répondu aux conclusions de
M. Dujaque qui soutenait que l’enfant, dont la garde lui avait été confiée, avait été emmené en Pologne

245
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

371. Les magistrats n’entendent pas tenir compte du rapport artificiellement


créé ; or, réunir les conditions de l’exception de fraude est toujours particulièrement
difficile. Il faudrait, notamment, arriver à prouver que l’intéressé a utilisé les règles de
conflit dans le seul dessein de se soustraire à la juridiction ou à la loi par principe
compétentes. Cet élément intentionnel de la fraude se révèle souvent malaisé à établir,
même si la preuve de l’intention se fait par tous moyens, sur la base d’éléments
objectifs157. Dès lors, plutôt que de retenir la fraude, il paraît beaucoup plus simple de
vérifier que la résidence qui sert de facteur de rattachement est bien constituée, qu’elle
est stable et effective, en particulier lorsqu'elle est qualifiée d’habituelle. Ainsi,
M. Bellet158 a fait remarquer, à propos de la convention de La Haye sur les obligations
alimentaires, qu’« en exigeant que la résidence soit habituelle », le texte restreint déjà
l’abus que commettrait une personne qui se déplacerait pour bénéficier de la loi la plus
avantageuse. Mais on sait que, de toute façon, toute résidence implique une habitude et
une certaine continuité.

372. C’est en effet sur ce point que réside, semble-t-il, la meilleure parade à la
fraude ou, de manière plus générale, à un comportement illicite. Si l’on admet la
possibilité que l’intéressé ne puisse chercher à établir sa résidence en un lieu que dans

par sa mère à la suite d’une voie de fait de sorte qu’aucune conséquence de droit ne pouvait être attachée
à la résidence de l’enfant en raison de la fraude dont elle était entachée ». La Cour de cassation n’a pas
accueilli ce moyen car M. Dujaque s’était borné à affirmer que son épouse avait enlevé l’enfant et n’avait
pas soutenu devant la cour d’appel « que la résidence actuelle de l’enfant en Pologne ne pouvait être prise
en considération parce qu’elle avait été obtenue par fraude » ; la cour d’appel n’avait pas « à répondre à
une question qui ne lui avait pas été posée ». Il est dommage que cet argument invoqué par M. Dujaque
devant la Cour de cassation ne l’ait pas été devant les juges du fond. – V. une décision allemande (OLG
Stuttgart 18 nov. 1977 – 15 UF 40/77 EG ; IPRspr. 1977 No. 79 ; NJW 1978, 1746 – cité par
M. Sumampouw, Les nouvelles conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux :
Institut universitaire de droit international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 2, 1980, 119) dans laquelle
ce n’est pas la fraude mais le dol qui a été retenu ; la sanction retenue est l’inopposabilité du changement
de la résidence. Au moment de l’introduction de la procédure relative à un droit de visite du père, les
tribunaux allemands étaient internationalement compétents. Cependant, « le changement de résidence
habituelle du mineur de l’Allemagne fédérale au Portugal alors que la procédure était en cours aboutit à la
modification de la compétence internationale conformément à l’article premier de la convention [de 1961
concernant la protection des mineurs], sauf si cette modification a été obtenue par un "enlèvement". Dans
ce dernier cas, la compétence internationale existante demeure afin d’empêcher que la compétence
internationale basée sur la résidence habituelle ne soit établie par dol ». Le changement de résidence est
donc admis, mais il est déclaré inopposable, ne produit aucun effet.
157
V. B. AUDIT, Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 234. – V.
également R. VANDER E LST, La fraude à la loi en droit international privé : Mélanges en hommage au
professeur Jean Baugniet, Faculté de droit, Université Libre de Bruxelles, Revue du notariat belge, 1973,
p. 789 s. L’auteur propose une théorie de la fraude à la loi fondée uniquement sur un critère objectif :
« c’est la dissimulation de l’élément d’extranéité que doit sanctionner la théorie de la fraude à la loi, non
le mobile de se soustraire à une loi ».

246
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

l’unique dessein de se voir appliquer les règles qui lui conviennent le mieux, il est
essentiel pour le juge de déterminer si l’intéressé a bien établi sa résidence en ce lieu,
qu’il n’y est pas simplement de passage159. Ainsi, une personne pourrait arriver en
France, prétendre avoir dans ce pays sa résidence ou sa résidence habituelle pour se voir
appliquer, sur le fondement de ce critère, des dispositions plus favorables. Ou bien, dans
une première hypothèse, l’intéressé est présent en France depuis longtemps, il n’y a
aucune raison de suspecter une fraude. Dans ce cas, même si le changement de
résidence n’a eu comme but que d’être soumis à un système français plus avantageux, il
paraît difficile, voire impossible d’établir la fraude, en particulier son élément
intentionnel. Comment, en effet, prouver qu’une personne qui vit en France depuis
longtemps n’a visé, en s’installant dans ce pays, que les conséquences légales liées à
cette résidence ? Ou bien, dans un deuxième cas de figure, la présence est encore
récente et il convient de se déterminer sur l’existence d’une résidence dans ce pays en se
référant aux intentions de l’intéressé, telles que déduites des éléments objectifs soumis
au juge et révélant sa volonté de rester pour un certain temps, ou pour un temps indéfini
en France. Si le juge n’est pas convaincu par les éléments de fait fournis, il estimera
peut-être simplement que l’intéressé n’a pas en ce lieu sa résidence ; il n’aura alors pas
à prouver la fraude, et en particulier l’élément intentionnel. Dans l’hypothèse inverse où
l’intéressé, pour échapper à la compétence des juridictions françaises, déciderait
d’établir sa résidence habituelle dans un autre lieu, le juge français saisi doit tenir
compte de la durée de l’absence et de ses motifs pour constater que la résidence
habituelle est réellement perdue. En cas de doute, il pourrait estimer que l’intéressé n’a
pas perdu sa résidence habituelle. Le meilleur moyen de sanctionner ce type de
comportements est donc de considérer que les conditions du changement de la résidence
ne sont pas réunies, même s’il faut bien évidemment se garder, pour ce faire, de
dénaturer la notion de résidence.

158
P. BELLET, Les nouvelles conventions de La Haye en matière d’obligations alimentaires : JDI 1974.
5 s., spéc. 11.
159
Par exemple, Mme Gaudemet-Tallon (note sous TGI Paris, 20 janv. 1977 : Rev. crit. 1977. 335) s’est
posé la question de savoir s’il ne faudrait pas, pour éviter que la France « devienne à son tour un paradis
du divorce […], apprécier de façon plus rigoureuse les diverses résidences prévues par l’article 5 du
décret du 5 décembre 1975 [article 1070 du nouveau Code de procédure civile] lorsqu’elles fondent la
compétence judiciaire internationale française » (dans cette décision, le tribunal a considéré que le mari,
pourtant à peine installé en France, y avait sa résidence : il était défendeur, et considérer qu’il avait sa
résidence permettait de fonder la compétence des juridictions françaises sur la troisième hypothèse de
l’article 1070 du Nouveau Code de procédure civile).

247
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

§ 2. L’obstacle au changement de la résidence

373. Il peut y avoir, à l’origine d’un déplacement ou au contraire d’un maintien


en un lieu, une voie de fait, un acte illicite, peut-être même de violence. Une personne
est prise en otage, on lui confisque son passeport, elle est déportée et elle ne peut
revenir dans le pays dans lequel elle vivait jusqu’alors. On a vu que la jurisprudence
considérait traditionnellement qu’en principe, une interruption née de circonstances
particulières n’enlevait pas à la résidence son efficacité et que la pratique s’est
notamment instituée, après le retour de l’intéressé, d’examiner si l’interruption n’est pas
purement fortuite et, comme telle, dénuée d’effets160. Bien que la résidence soit une
notion concrète théoriquement constituée dès lors que la présence d’une personne en un
lieu a suffisamment duré, la volonté de ne pas cautionner de telles voies de fait conduit
parfois les tribunaux à considérer que le changement de résidence ne peut être considéré
comme effectif.

374. Dans une affaire161, une femme turque affirmait que son mari l’avait laissée
seule en Turquie à l’issue d’une période de vacances et qu’il était retourné vivre en
Allemagne où ils habitaient ensemble jusque là. Elle estimait que dans la mesure où son
mari avait emporté son passeport, elle n’avait pas pu retourner en Allemagne comme
elle le voulait. Elle a demandé au juge allemand une pension alimentaire, lequel a
estimé qu’en vertu de l’article 4 de la convention de La Haye de 1973 sur la loi
applicable aux obligations alimentaires162, le droit turc était applicable en tant que droit
de la résidence habituelle de la femme, créancière d’aliments : « même si la femme
n’était pas restée en Turquie de sa propre volonté, mais uniquement parce que le mari
avait pris son passeport, on ne peut plus affirmer maintenant après trois ans que la
femme est forcée de séjourner en Turquie. Le fait qu’elle n’a pris aucune initiative pour
retrouver ses papiers démontre qu’elle est prête à s’intégrer en Turquie ; on peut en tout
cas en déduire qu’elle a sa résidence habituelle en Turquie ». Étant donné cette
motivation, on peut raisonnablement supposer que si la femme avait pu prouver qu’au

160
Pour le cas où l’absence deviendrait malgré tout trop durable, cf. supra n° 283.
161
OLG Hamm 3 juill. 1992 – 5 UF 1/92, FamRZ 1993, 69 (cité par M. Sumampouw, Les nouvelles
conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux : Institut universitaire de droit
international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. V, 1996, p. 39-40).

248
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

cours de ces trois années écoulées, elle n’avait eu de cesse de vouloir « s’échapper » de
Turquie, le juge aurait peut-être statué en un sens différent.

375. Dans une autre espèce, des époux avaient vendu leur résidence du
Minnesota, leur installation en Israël était censée être permanente, la famille y louait
une maison et les enfants y étaient scolarisé. Cependant, la juridiction saisie a considéré
que la résidence habituelle avait été maintenue aux États-Unis car la femme avait été
maltraitée par son mari après l’arrivée de la famille en Israël et qu’elle serait retournée
aux États-Unis si son mari ne l’en avait empêchée163. De même, dans une autre
affaire164, la famille vivait en Grèce depuis vingt-sept mois et la femme prétendait ne
jamais avoir eu l’intention d’y acquérir une résidence habituelle ; elle avait été victime
de violences de la part de son mari qui prenait seul toutes les décisions importantes et
contrôlait le budget familial ; en outre, la famille avait conservé des liens avec les États-
Unis. La juridiction américaine a considéré que la résidence habituelle avait été
conservée aux États-Unis. Enfin, M. Huet, à propos de l’arrêt de Bendern165 qui a retenu
que les juridictions françaises étaient incompétentes pour statuer sur le divorce d’un
couple dont la femme demanderesse était établie à l’étranger avec ses enfants mineurs, a
souligné que les juridictions françaises se seraient certainement reconnues compétentes
si elle avait été « contrainte par son mari à s’exiler (par des menaces, des brutalités,
voire manu militari) et si elle n’avait pas tardé à présenter sa requête en divorce,
l’existence d’une "résidence de la famille" [en France] et du même coup la compétence
des tribunaux français aurait été reconnue ». Même après le départ, la résidence
familiale peut donc continuer à exister, pendant un certain temps du moins, si ce départ
s’accompagne de voies de fait.

376. Si de telles situations, dans lesquelles une personne est contrainte par une
autre à demeurer en un lieu contre sa volonté, ne sont pas rares, celles qui concernent le

162
Art. 4, al. 1er, de la convention : « La loi interne de la résidence habituelle du créancier d’aliments régit
les obligations alimentaires visées à l’article premier ».
163
HC/E/USf 483, United States Court of Appeals for the Eighth Circuit (États-Unis, 2e instance),
11 décembre 2002, Silverman c/ Silverman 312 F.3d 914 (8th Cir. 2002). V. la base de données
INCADAT : http://212.206.44.26/.
164
HC/E/USf, United States District Court for the Eastern District of Washington (États-Unis, 1re
instance), 19 nov. 2001, Tsarbopoulos c/ Tsarbopoulos, 176 F. Supp. 2d 1045 (E.D. Wash. 2001. V. la
base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
165
Note, sous Civ. 1re, 13 janv. 1981 : JDI 1981. 361, spéc. 365.

249
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

déplacement d’un mineur sont encore plus fréquentes166. Les déplacements illicites
d'enfants peuvent avoir des causes diverses167. En étudiant la jurisprudence, on
s’aperçoit que les tribunaux sont divisés sur la question de savoir si l’enfant peut
acquérir une résidence en un lieu lorsque le déplacement est illicite. Refuser de
considérer que la résidence habituelle puisse s’acquérir serait incompatible avec la
notion purement factuelle de résidence habituelle (A.) ; à l’inverse, on peut également
estimer que la force ne doit en aucun cas prendre le pas sur le droit et considérer dès
lors que l’on ne peut reconnaître l’existence d’une résidence en un lieu lorsque le
déplacement trouve son origine dans une voie de fait (B.).

A. La voie de fait n’est pas un obstacle de principe au changement de la résidence

377. Le déplacement d’un mineur est illicite lorsqu'il a lieu en violation d’un
droit de garde168. Il peut s’agir d’un enlèvement « pur et simple » ou d’une rétention de
l’enfant à l’issue d’un droit de visite transfrontière.

378. C’est, dans la quasi-totalité des hypothèses, en application de la convention


de La Haye de 1961, au regard de l’objectif de protection de ce texte, que la doctrine et
la jurisprudence169 ont pu considérer que même si le déplacement du mineur est illicite,
il convient de reconnaître l’existence d’une résidence dès lors qu’elle est suffisamment
caractérisée dans les faits ; en effet, les autorités du lieu dans lequel vit le mineur sont
malgré tout celles qui lui sont le plus étroitement liées et, partant, sont d’autant plus
compétentes qu’elles peuvent notamment « aider ce dernier d’une manière rapide,
pondérée et efficace »170, ce qui correspond aux objectifs de la convention. Il y a
acquisition de la résidence habituelle dès lors que l’enfant a dans un pays le centre de

166
V. Conflit familial, déplacements d’enfants et coopération judiciaire internationale en Europe, ss dir.
de Hugues Fulchiron, Rapport de recherche réalisé avec le soutien de la Commission des Communautés
européennes et du G.I.P. Mission de recherche Droit et Justice, Centre de droit de la famille, Université
Jean-Moulin, Déc. 2002.
167
V., par exemple, Conflit familial, déplacements d’enfants et coopération judiciaire internationale en
Europe, ss dir. de Hugues Fulchiron, Rapport de recherche réalisé avec le soutien de la Commission des
Communautés européennes et du G.I.P. Mission de recherche Droit et Justice, Centre de droit de la
famille, Université Jean-Moulin, Déc. 2002, spéc. 491 s.
168
L’expression de « droit de garde » a été supprimée par le législateur français (cf. infra n° 393), mais
elle est retenue par les textes internationaux. Sur le contenu de la notion dans ces textes, cf. infra n° 390.
169
En particulier allemandes (v. D. MASMEJAN , La localisation des personnes physiques en droit
international privé : Thèse Lausanne, 1995, p. 105 s.).
170
OLG Düsseldorf 18 mai 1979 – 5 UF 63/79 ; FamRZ 1979, 1066 ; DA Vorm 1980. 20 somm. (cité par
M. Sumampouw, Les nouvelles conventions de La Haye. Leur application par les juges nationaux :
Institut universitaire de droit international, T.M.C. Asser Institut, La Haye, t. 2, 1980, p. 120-121).

250
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

gravité de sa vie. On ne peut tout simplement pas ne pas tenir compte de cette réalité, et
il y aurait une fiction juridique à considérer que la présence durable du mineur n’est pas
constitutive de résidence.

379. M. Bucher estime ainsi qu’à lui seul, le caractère illicite du déplacement ne
constitue pas un motif empêchant l’enfant d’acquérir une résidence habituelle dans le
nouveau pays de séjour : une pareille interprétation serait incompatible avec la notion de
résidence habituelle, qui est factuelle. Selon l’auteur, « lorsque le séjour dans le pays de
l’enlèvement se prolonge au point d’aboutir à une certaine intégration dans un nouveau
milieu familial et social, il n’est plus possible de considérer l’enfant comme résidant
habituellement auprès du parent dont le droit de garde a été violé »171. Dans cette
hypothèse, les autorités du nouveau pays de résidence sont souvent « plus proches de
l’enfant pour examiner et mettre en œuvre les mesures de protection nécessaires »172. Il
est dès lors préférable d’admettre, « sous l’angle objectif de la protection », que la
résidence habituelle de l’enfant se trouve « dans son nouveau lieu de séjour, malgré un
déplacement illégal ou frauduleux, s’il s’y est déjà intégré dans une certaine
mesure »173. Depuis la réforme du droit international privé en Allemagne de
juillet 1986, l’article 5, alinéa 3, EGBGB (nouv.) généralise d’ailleurs le principe selon
lequel un acte d’enlèvement peut être créateur d’une résidence, ou d’une résidence
habituelle de l’enfant, « si, après l’enlèvement, la simple présence de l’enfant a été
suivie de son intégration sociale dans son nouveau cadre de vie »174.

380. Une décision récente175 illustre l’interprétation selon laquelle si une voie de
fait ne suffit pas pour empêcher un changement de résidence, un séjour dans un lieu
reste cependant précaire tant qu’il existe encore une perspective de retour. S’il n’en
existe pas, le changement de résidence peut être admis. En l’espèce, l’enfant avait été
emmené par sa mère au Portugal alors qu’il avait été placé dans un établissement par le
tribunal tutélaire suisse ; une curatelle avait été mise en place, la mère conservant un

171
A. BUCHER, RSDIE 1996, p. 203.
172
A. BUCHER, op. et loc. cit.
173
A. BUCHER, Droit international privé suisse. Tome II : Personnes, Famille, Successions : Éd. Helbing
& Lichtenhahn, Bâle et Francfort-sur-le main, n° 848, p. 277.
174
H.-J. SONNENBERGER , Introduction générale à la réforme du droit international privé dans la
République fédérale d’Allemagne selon la loi du 25 juillet 1986 : Rev. crit. 1987. 1 s., spéc. 20.
175
Tribunal fédéral, IIe Cour civile, 29 avr. 1999, C. c/ dame X. – ATF 125 III 301, JdT 147 (1999) I,
p. 500 ; Sem.jud. 121 (1999) I, p. 396 ; RDT 55 (2000), p. 32 ; FamPra.ch 1 (2000), p. 328 ; Praxis 1999,
n° 150 ; RSDIE 2001, p. 242-245.

251
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

simple droit de visite. Dans la mesure où l’enfant vivait désormais au Portugal (il y
avait d’ailleurs déjà passé les six premières années de sa vie), où il y était scolarisé, où
sa mère était d’accord pour que son fils soit suivi par un thérapeute, et où l’enfant
n’avait plus aucun lien familial en Suisse, le tribunal a considéré qu’on ne se trouvait
plus en présence d’une « situation passagère ou incertaine quant à la résidence de
l’enfant, mais d’un changement effectif et, selon toute prévision, durable ». C’est
finalement la perspective de retour qui permet le maintien de la résidence habituelle
dans le pays dans lequel un enfant vivait avant d’être emmené ou retenu en violation
d’un droit de garde. Dans une autre affaire176, une enfant vivait également en Espagne
où elle avait été emmenée de manière illicite par son père en juillet 1993. Lorsque le
tribunal suisse a statué en décembre 1993 sur l’existence d’une résidence habituelle en
Espagne, le séjour a été interprété par les magistrats comme étant à durée indéterminée,
le père ayant pris des dispositions sur le plan familial, scolaire et judiciaire à cette fin.
Les magistrats ont estimé que la résidence habituelle de l’enfant se trouvait en Espagne
et que, tant que cette situation durerait, les autorités suisses ne seraient plus compétentes
et ne pourraient plus prendre de mesures de protection prévues par le droit suisse.

381. Le principe selon lequel un acte illicite ne saurait normalement empêcher


l’acquisition d’une résidence habituelle dans un nouveau pays ne semble pas contraire à
l’esprit de la notion de résidence : pour pouvoir être constatée, la résidence doit avoir
duré (au-delà d’un certain temps, la résidence habituelle est acquise, même si elle trouve
son origine dans une voie de fait) ou, à défaut, doit avoir été envisagée pour un certain
temps (l’absence de perspective sérieuse de retour doit être constatée177).

382. S’il est dans l’intérêt du mineur d’être protégé par les autorités du lieu où il
a sa résidence habituelle effective, l’enlèvement d’un enfant, ou sa rétention à l’issue
d’un droit de visite, ne doit pas être cautionné par une reconnaissance trop aisée ou
systématique de l’existence d’une résidence au lieu où il est maintenu. Même si
l’objectif de la convention de La Haye de 1961 n’est pas de sanctionner le
comportement des titulaires de l’exercice de l’autorité parentale, il faut que les autorités
saisies se montrent suffisamment strictes dans leur interprétation du changement de

176
Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des tutelles, 29 déc. 1993 : Schweizerische Juristen-
Zeitung (SJZ) 90 (1994) n° 14, p. 390 ; RSDIE 1996, p. 200.

252
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

résidence et dans leur appréciation de la durabilité du séjour dans l’État dans lequel
l’enfant est retenu. Il est relativement fréquent que le parent qui commet l’acte illicite
aille sur le territoire de l’État dont il a la nationalité et qu’il tente alors de faire modifier
les conditions d’exercice de l’autorité parentale à son profit. Si les autorités saisies
considèrent qu’une résidence habituelle a été acquise malgré la voie de fait et estiment
être compétentes, elles peuvent modifier les mesures prises par les autorités de
l’ancienne résidence habituelle après avoir pris leur avis178. Mais, cet avis n’étant que
purement consultatif, elles ont le choix des mesures, qui ne doit être dicté que par
l’intérêt de l’enfant179, toute décision « nationaliste » devant être écartée180. Si ce n’était
pas le cas et si le déplacement devait se trouver systématiquement conforté par une
décision favorable, cela pourrait constituer un encouragement aux voies de fait.

383. Plusieurs textes internationaux limitent cependant assez largement le risque


de modification des modalités relatives à l’exercice de l’autorité parentale lorsqu’un
enfant a été déplacé ou retenu de manière illicite par l’un de ses parents. En effet, la
convention de La Haye de 1980, qui vise à assurer le retour des enfants illicitement
déplacés, prévoit en son article 16 qu’une fois informées de la voie de fait, les autorités
« de l’État contractant où l’enfant a été déplacé ou retenu ne pourront statuer sur le fond
du droit de garde jusqu’à ce qu’il soit établi que les conditions de la […] Convention
pour un retour de l’enfant ne sont pas réunies, ou jusqu’à ce qu’une période raisonnable
ne se soit écoulée sans qu’une demande en application de la convention n’ait été
faite »181. Le règlement « Bruxelles II » du 29 mai 2000 retient également l’hypothèse
du déplacement illicite en prévoyant dans son article 4 que les juridictions compétentes
pour statuer, en cas de divorce, séparation de corps ou annulation du mariage, sur la

177
Ce qui n’est pas le cas lorsqu’une action en retour de l’enfant déplacé en violation d’un droit de garde
a été engagée.
178
Art. 5, alinéa 2 de la convention de 1961.
179
Elles peuvent d’ailleurs éventuellement tenir compte du fait de l’enlèvement pour statuer.
180
De telles hypothèses dans lesquelles un nationalisme transparaît dans les décisions rendues se
rencontrent pourtant parfois. V. Conflit familial, déplacements d’enfants et coopération judiciaire
internationale en Europe, ss dir. de Hugues Fulchiron, Rapport de recherche réalisé avec le soutien de la
Commission des Communautés européennes et du G.I.P. Mission de recherche Droit et Justice, Centre de
droit de la famille, Université Jean-Moulin, Déc. 2002.
181
D’ailleurs, l’article 17 de la convention prévoit que même si une décision relative au droit de garde a
été rendue dans l’État où il a été déplacé ou retenu, elle n’empêche aucunement le mécanisme de retour
de l’enfant prévu par la convention.

253
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

responsabilité parentale ne peuvent exercer leur compétence que conformément à cet


article 16 de la convention de 1980182.

384. La convention de La Haye de 1996 sur la protection des enfants et le


nouveau règlement communautaire « Bruxelles II bis » du 23 décembre 2003
envisagent également des règles particulièrement strictes en ce qui concerne la
compétence des autorités chargées de statuer sur la question de la responsabilité
parentale lorsque l’enfant a fait l’objet d’un déplacement illicite. Les dispositions
adoptées dans ces deux textes sont quasiment similaires183. Il résulte des dispositions de
l’article 7 du premier texte et de l’article 10 du second qu’en cas de déplacement ou de
non-retour illicites de l’enfant, les autorités de l’État contractant (ou de l’État membre)
dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement
restent compétentes. Par principe, le déplacement ou le non-retour de l’enfant sont sans
incidence sur leur compétence ; il ne peut y avoir de transfert de compétence au profit
de la juridiction de l’État où se trouve l’enfant enlevé ou illicitement retenu. C’est
uniquement une fois qu’il est établi que le titulaire du droit de garde a acquiescé au non-
retour de l’enfant ou lorsque l’enfant a résidé pendant au moins une année dans l’État de
refuge après que le titulaire du droit de garde a eu connaissance du lieu où vit l’enfant,
qu’aucune demande en retour n’a été formulée et n’est en cours d’examen184 et que
l’enfant est « intégré dans son nouveau milieu »185 que l’on doit pouvoir considérer
qu’il a changé de résidence et que les autorités peuvent alors statuer et prendre des
mesures relatives, notamment, à l’exercice de l’autorité parentale186.

182
V. A. BORRÁS, Rapport explicatif relatif à la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité
sur l’Union européenne concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en
matière matrimoniale (Texte approuvé par le Conseil le 28 mai 1998) : JOCE C 221, 16 juill. 1998,
p. 27 s., spéc. n° 40-41.
183
L’esprit des deux textes est donc identique. Pour une analyse précise des nouvelles dispositions
réglementaires, v. C. NOURISSAT et A. DEVERS, Étude n° 15. Les règles de compétence internationales en
matière matrimoniale et de responsabilité parentale, in Lamy, Procédures communautaires, ss dir G.
Canivet, L. Idot, D. Simon, à paraître, 2004.
184
Art. 7, par. 1, pnt b de la convention. Pour le règlement communautaire, v. l’art. 10, par. 5 et 6.
185
Dans son « nouvel environnement » selon le texte communautaire. Sur ce point, cf. infra n° 409.
186
Le règlement se sépare de la convention sur le point particulier des conditions dans lesquelles a lieu le
transfert de compétences. V. C. NOURISSAT et A. DEVERS , Étude n° 15. Les règles de compétence
internationales en matière matrimoniale et de responsabilité parentale, in Lamy, Procédures
communautaires, ss dir G. Canivet, L. Idot, D. Simon, à paraître, 2004. Selon les auteurs, le règlement
« n’autorise le transfert de compétence qu’en fonction d’une décision, ou d’une absence de décision, de la
juridiction de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant le
déplacement ou le non-retour illicite », alors que dans la convention, « le transfert de compétence est

254
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

385. M. Lagarde a souligné que, par ces dispositions, le texte conventionnel, loin
de présumer que « l’enfant a conservé, plus ou moins fictivement, sa résidence
habituelle dans l’État où il a été illicitement déplacé, accepte au contraire l’éventualité
d’une perte de résidence habituelle dans cet État »187, mais les dispositions de l’article 7
de la convention et de l’article 10 du règlement ont pour conséquence essentielle que la
compétence de protection reste aux autorités de l’État dans lequel l’enfant avait sa
résidence habituelle avant le déplacement illicite. Cependant, dans la mesure où « cette
compétence ne peut durer indéfiniment, sinon elle ne correspond[rait] plus à aucune
réalité »188, elle prend fin lorsqu’un certain nombre de conditions sont remplies. Ces
deux dispositions ont le grand avantage de limiter considérablement les pouvoirs des
autorités de l’État dans lequel l’enfant est retenu, qui, ainsi, ne peuvent plus
« légaliser » en quelque sorte un déplacement illicite par la modification des modalités
relatives à l’exercice de l’autorité parentale, ce que la convention de La Haye de 1961
peut difficilement empêcher.

386. Enfin, la convention de Luxembourg du 20 mai 1980 sur la reconnaissance


et l’exécution des décisions en matière de garde189 prévoit également que lorsqu'une
demande en restitution de l’enfant a été formée dans les six mois depuis le déplacement
illicite et que la décision dont on demande l’exécution a été rendue par les autorités d’un
État dans lequel l’enfant ne réside pas habituellement, la décision ne peut être
reconnue190. Ce texte limite donc également le risque de déplacements illicites.

autorisé sur la base d’une décision rendue par la juridiction de l’État membre où se trouve l’enfant
enlevé ».
187
V. P. LAGARDE , Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIIIe Session de la Conférence de
La Haye, 1996, t. II, Protection des enfants, n° 47. L’auteur souligne la différence entre les deux textes :
alors que dans l’article 12 de la Convention de La Haye de 1980, le délai d’un an part du déplacement ou
du non-retour, dans l’article 7 de celle de 1996, il est retardé et dépend de la réunion des différentes
conditions posées. Ces dispositions ont pour but de prévoir la situation des États qui ratifieraient la
Convention de La Haye de 1996, sans être parties à celle de 1980 (n° 49).
188
P. LAGARDE, La nouvelle convention de La Haye sur la protection des mineurs : Rev. crit. 1997.
217 s., spéc. 223-224.
189
Convention de Luxembourg du 20 mai 1980 sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en
matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants, élaborée dans le cadre du
Conseil de l’Europe, adoptée à l’occasion de la 12e Conférence des ministres européens de la justice : JO
6 août 1983, p. 2567.
190
V. articles 8 et 9 de la convention. V. également E. G ALLANT, Autorité parentale et protection des
mineurs en droit international privé : Thèse Paris 1, 2000, n° 446.

255
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

B. La voie de fait est parfois un obstacle au changement de la résidence

387. Les motifs pour justifier le refus de prendre en considération l’existence


d’une résidence en un lieu pour l’enfant qui a fait l’objet d’un déplacement illicite
peuvent être divers191. Dans la quasi-totalité des situations, c’est tout simplement le
caractère illicite du déplacement qui suffit à motiver le refus. Ainsi, dans une affaire
relative à la compétence internationale des juridictions françaises en matière de
divorce192, les époux avaient des résidences distinctes et l’enfant habitait à Madrid avec
son père. Toutefois, selon le juge saisi, « ces seules constatations ne sauraient justifier
l’incompétence du Tribunal de grande instance de Toulouse ». Le père avait déclaré
partir pour une quinzaine de jours ; or, à l’insu et contre le gré de son épouse, il s’est
installé en Espagne avec son fils. Le Tribunal de grande instance de Toulouse s’est
reconnu valablement saisi par la mère car « une telle attitude ne peut fonder une
compétence judiciaire et modifier le lieu de résidence de la famille qui est resté à
Toulouse où demeurait également l’enfant ».193. La résidence ne peut donc fonder la
compétence des juridictions que si elle est établie sincèrement, de bonne foi.

388. C’est dans les hypothèses où un retour de l’enfant illicitement déplacé ou


retenu est demandé par le titulaire du droit de garde, en application de la convention de
La Haye de 1980, qu’un refus de considérer un changement de la résidence est le plus
fréquemment retenu. Dès lors qu’il est établi que l’intéressé a sa résidence habituelle en
un lieu immédiatement avant le déplacement dont l’illicéité est constatée, il ne peut plus
y avoir par principe de changement de résidence habituelle (1.). C’est dans des

191
Dans un arrêt, c’est la notion d’ « abus de droit » qui a été retenue par la Cour d’appel de Montpellier
(10 nov. 1981 : D. 1983. 56). Les parents étaient d’accord pour que les enfants vivent avec leur mère à
Montpellier, lorsqu’à la fin des vacances le père les garde avec lui, à Paris. La mère a demandé le divorce
devant le tribunal de Montpellier. L’exception d’incompétence soulevée par le père a été rejetée en
première instance et la décision confirmée en appel : la Cour a considéré comme abusif « le fait pour le
père de profiter de ce que les enfants étaient auprès de lui, en exécution de la convention, pour refuser
d’exécuter cette dernière » et de rendre les enfants. V. Jean M AURY , La compétence territoriale en
matière de demande de divorce (Art. 1070 Nouv. c. pr. Civ.) : D. 1983. chron. V. 27 s., spéc. 31.
192
TGI Toulouse, 11 avr. 1989 : non publié.
193
La compétence du tribunal a été établie sur le premier chef de compétence envisagé par l’article 1070
du nouveau Code de procédure civile, le lieu de la résidence de la famille, alors que, dans les faits, le juge
énonçait pourtant que le père « résid[ait] à Madrid avec son fils ». En l’occurrence, la mère était
française ; par conséquent, si les chefs de compétence de l’article 1070 n’avaient pas trouvé à s’appliquer,
les juridictions françaises auraient tout de même pu retenir leur compétence subsidiaire sur le fondement
de l’article 14 du Code civil. Ils ne l’ont pas fait, préférant se fonder sur le droit commun, applicable
selon eux à l’espèce. Cependant, on peut penser qu’ils auraient raisonné différemment si le père avait eu
une raison valable pour emmener son fils avec lui.

256
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

situations particulières que le lieu de la résidence habituelle peut finalement tout de


même être modifié (2.).

1. L’obstacle de principe au changement de la résidence en cas de violation d’un


droit de garde

389. Le déplacement est illicite lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde
(a.) ; aucun changement de la résidence ne peut alors être considéré comme effectif au
regard des objectifs de la convention (b.).

a. L’hypothèse du déplacement illicite : la violation du droit de garde

390. L’article 3 de la convention de La Haye de 1980 sur les aspects de


l’enlèvement international d'enfants indique que le déplacement ou le non-retour d’un
enfant est considéré comme illicite lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde
attribué par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle
« immédiatement avant son déplacement ou non-retour » et que ce droit était exercé
« de façon effective ou l’eût été si de tels évènements n’étaient pas survenus »194.

391. Pour savoir qui exerce le droit de garde, il convient donc avant tout de
déterminer le lieu de résidence habituelle de l’enfant immédiatement avant le
déplacement195. Bien qu’il ne s’agisse pas de déterminer le lieu de résidence des parents
mais celui de l’enfant (un grand nombre de décisions rappellent ce principe), en
pratique la résidence habituelle du mineur est la même que celle de ses parents, en
particulier lorsqu’il s’agit d’un jeune enfant, puisque c’est celle qu’ils lui ont choisie196.
Il convient ensuite de se référer au droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence

194
Des dispositions similaires ont été inscrites dans le règlement « Bruxelles II bis » (art. 2, par. 11) et
dans la convention de La Haye de 1996 (art. 7, par. 2, pnt b).
195
On se réfère « à la date » du déplacement (HC/E/IL 215, Tel Aviv District Court (Israël, 1re instance),
26 mai 1994, L. c/ L.) – Cependant, « la résidence habituelle ne peut être assimilée à la dernière résidence
à laquelle les enfants ont vécu » : HC/E/USs 124, Court of Appeals of Michigan (Etats-Unis, 2e instance),
30 janv. 1998, Harkness c/ Harkness, 227 Mich. App. 581, 577 N.W. 2d 116. V. la base de données
INCADAT : http://212.206.44.26/.
196
V., par exemple, HC/E/Uks 73, Inner House of the Court of Session (Écosse, Extra Division,
2e instance), 8 juin 1990, Dickson c/ Dickson 1990 SCLR 692. – HC/E/UKe 38, High Court (Angleterre,
1re instance), 31 juill. 1995, Re. A. (Minors) (Abduction : Habitual Residence), [1996] 1 WLR 25. –
HC/E/USs 99, United States District Court of Ohio (États-Unis, 2e instance), 12 mars 1997, Ciotola c/
Fiocca, 86 Ohio Misc. 2d 24, 684 N.E.2d 763 (Ohio Com. Pl. 1997). V. la base de données INCADAT :
http://212.206.44.26/.

257
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

habituelle – et non pas à la loi interne de l’État de la résidence habituelle du mineur197,


le droit de garde pouvant être déterminé en application d’une loi désignée par une règle
de conflit198 – et de vérifier, au regard de ce droit, la licéité du déplacement. Un
changement géographique de résidence est possible tant qu’il a lieu avant le
déplacement dont l’illicéité est alléguée199, puisque c’est seulement dans l’hypothèse
d’un déplacement en violation d’un droit de garde que le retour de l’enfant peut être
demandé et prononcé. Selon les termes de l’article 5 de la Convention, le droit de garde
comprend « en particulier » le droit de décider du lieu de résidence de l’enfant200 et
l’article 3 de la Convention précise, in fine, que « le droit de garde peut notamment
résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision administrative ou judiciaire, ou
d’un accord en vigueur selon le droit de cet État »201.

392. Selon la jurisprudence rendue en application de la convention de La Haye


de 1980, « le consentement de toutes les personnes investies du droit de garde au regard
d’un enfant est nécessaire pour tout changement de résidence habituelle de l’enfant » et
il appartient au gardien qui emmène ou retient l’enfant et qui prétend que le changement

197
Alors que dans les autres conventions de La Haye, il est souvent fait référence à la « loi interne », ce
qui exclut de se référer à d’éventuelles règles de conflit (v. A. BORRÁS , Rapport explicatif relatif à la
convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne concernant la
compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale (Texte approuvé par
le Conseil le 28 mai 1998) : JOCE C 221, 16 juill. 1998, p. 27 s., spéc. n° 66). Dans le cas de la
convention de 1980, le renvoi est donc implicitement admis (V. B. STURLÈSE, Autorité parentale : J.-Cl.
Droit int. pr., Fasc. 549, 1994, n° 50). – V. l’art. 2, par. 11, pnt a, du règlement qui se réfère également au
« droit de l’État membre ».
198
Les rapports d’autorité ex lege, au nombre desquels ceux relatifs à l’attribution de l’autorité parentale,
sont donc soumis en droit français à la loi nationale du mineur qui a sa résidence habituelle en France.
199
V. HC/E/USf 142, United States Court of Appeals for the Sixth Circuit (États-Unis, 2e instance), 22
janv. 1993, Friedrich c/ Friedrich, 983 F.2d 1396 (6th Cir. 1993). – V. cependant HC/E/UKe 41, High
Court (Angleterre, 1re instance), 30 oct. 1992, Re B.-M. (Wardship : Jurisdiction) [1993] 1 FLR 979. Dans
cette affaire, l’enfant était naturel, sa mère allemande ; dans la mesure où les parents n’étaient pas mariés,
selon le droit allemand alors applicable, le père n’était pas titulaire du droit de garde. En août, il entama
une procédure pour acquérir l’autorité parentale ; le 3 septembre, l’enfant fut emmené par sa mère en
Allemagne ; le 4 septembre, l’enfant fut placé par les autorités anglaises sous tutelle judiciaire. Le père
formula une demande tendant à voir attesté que le non-retour d’Allemagne était illicite. Le tribunal
anglais estima que l’enfant, « bien que déplacé hors du territoire par la personne investie du droit de garde
exclusif, n’avait pas perdu sa résidence habituelle en Angleterre le 4 septembre » ; qu’une fois la décision
de mise sous tutelle notifiée à la mère, son inaction « rendait illicite le non-retour de l’enfant ». Cette
décision semble condamnable dans la mesure où le jour du déplacement, la mère avait le droit d’emmener
son enfant. Un acte ultérieur ne saurait le rendre rétroactivement illicite. À la limite, le comportement de
la mère pourrait être analysé comme une tentative de fraude (elle quitte l’Angleterre pour éviter que le
partage de l’autorité parentale soit prononcé), laquelle serait très certainement impossible à prouver
(surtout qu’une même demande peut être présentée devant les autorités allemandes du lieu de résidence
habituelle du mineur). V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
200
Le règlement n° 2201/2003 reprend une définition identique du droit de garde. V. l’art.2, par. 9.
201
V. en ce sens les dispositions de l’art. 2, par. 11, pnt a du règlement n° 2201/2003.

258
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

de résidence habituelle est valable de prouver que l’autre a consenti au changement de


résidence202. Lorsque les deux parents ont des droits de garde équivalents, aucun parent
ne peut changer la résidence habituelle de l’enfant « sans le consentement exprès ou
tacite de l’autre parent ou sans autorisation judiciaire »203. La décision unilatérale de
modifier le lieu de résidence habituelle de l’enfant est illicite204.

393. En droit français, par principe, les deux parents sont titulaires et exercent
une autorité parentale sur leur enfant qui correspond à un ensemble de droits et de
devoirs ayant pour finalité son intérêt205 ; la séparation du couple est sans incidence sur
les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale206. Jusqu’à l’adoption par le
législateur français de la loi du 4 mars 2002207, les parents avaient conjointement un
droit et un devoir, notamment, « de garde, de surveillance, d’éducation » sur leur
enfant208. Le droit de garde était défini comme le droit de fixer la résidence habituelle
de l’enfant et d’exiger qu’il y demeure effectivement209. La définition du droit de garde
était donc similaire en droit français à celle de la Convention de 1980210 et, lorsque les
deux parents étaient titulaires et exerçaient conjointement leur droit de garde, ils
devaient décider ensemble du lieu de résidence habituelle du mineur. Le législateur a
certes définitivement fait disparaître la notion de garde pour ne plus retenir que celle
d’autorité parentale211, mais il convient, dans la mesure où les textes internationaux se
réfèrent à un droit de garde qui comprend « en particulier » le droit de décider du lieu de
résidence de l’enfant, de rechercher qui peut en droit français décider de ce lieu de
résidence. Si les parents ont par principe les mêmes droits sur leurs enfants et les mêmes
devoirs envers eux, dans l’hypothèse d’une séparation, la question se pose de savoir qui

202
HC/E/UKs 194, Inner House of the Court of Session (Écosse, 2e instance), 7 mai 1997, Robertson c/
R o b e r t s o n 1998 SLT 468 ; 1997 GWD 21-1000. V. la base de données INCADAT :
http://212.206.44.26/.
203
HC/E/HK 235, High Court (Hong Kong Special Administrative Region, 1re instance), 23 oct. 1998, N.
c/ O., [1999] 1 HKLRD 68. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
204
HC/E/AU 252, Family Court at Dandenong (Australie, 1re instance), 20 mars 1991, Artso c/ Artso
(1995) FLC 92-566. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
205
Art. 371-1, al. 1, du Code civil (rédaction L. n° 2002-305 du 4 mars 2002).
206
Art. 373-2 du Code civil (rédaction L. n° 2002-305 du 4 mars 2002). Cette « vocation à la continuité »
était déjà prévue par les réformes de 1987 et de 1993 relatives à l’autorité parentale (v. J. CARBONNIER,
Droit civil. 2/ La famille. L’enfant, le couple : PUF, Coll. Thémis, Droit privé, 21e éd., 2001, p. 601).
207
Loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale : JO n° 54 du 5 mars 2002, p. 4161.
208
Ancien article 371-2 du Code civil.
209
V. Droit de la famille, sous la direction de Mme Rubellin-Devichi : Dalloz, Coll. Dalloz Action,
n° 1849.
210
Ainsi que du règlement « Bruxelle II bis ».

259
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

peut décider d’un changement du lieu de résidence habituelle du mineur ; en particulier,


les deux parents doivent-ils être d’accord pour que ce changement soit considéré
comme licite alors que la résidence habituelle du mineur se trouve auprès d’un parent et
que l’autre s’est vu attribuer un droit de visite et d'hébergement ?212 La réponse doit en
principe être affirmative.

394. Selon les dispositions du nouvel article 373-2 du Code civil, tel qu’issu de la
réforme relative à l’autorité parentale de 2002, il est désormais expressément prévu que
« chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et
respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent »213 et que « tout changement de
résidence de l’un des parents, dès lors qu’il modifie les modalités d’exercice de
l’autorité parentale, doit faire l’objet d’une information préalable et en temps utile de
l’autre parent. En cas de désaccord, le parent le plus diligent saisit le juge aux affaires
familiales qui statue selon ce qu’exige l’intérêt de l’enfant […] »214.

395. Le groupe de travail présidé par Mme Dekeuwer-Défossez, chargé par le


ministre de la Justice de faire des propositions pour la réforme relative à l’autorité
parentale, avait envisagé que le déménagement soit subordonné à l’accord de l’autre
parent. Le rapport suggérait que soit posé le principe selon lequel : « Tout changement
de résidence de l’enfant qui entraîne un réaménagement des relations entre l’enfant et
l’un de ses parents, nécessite l’accord des père et mère. En cas de conflit, le parent le
plus diligent saisit le juge aux affaires familiales qui statuera selon ce qu’exige l’intérêt
de l’enfant »215. Finalement, la solution ne fut pas retenue car elle a semblé trop rigide
et il semblait qu’elle aurait pu porter atteinte à la liberté d’aller et venir216.

396. Pourtant, si on écarte la nécessité d’un accord, et en particulier si le


déplacement doit se faire vers un pays étranger, cela revient, dans les faits, à donner au

211
V. sur ce point I. CARBONNIER, Autorité parentale. Exercice de l’autorité parentale : J.-Cl. Droit civ.,
Fasc. 10, n° 14 s.
212
On peut souligner que depuis la loi du 4 mars 2002, la résidence de l’enfant peut être fixée en
alternance au domicile de chacun des parents ou au seul domicile de l’un d’eux (article 373-2-9 du Code
civil).
213
Art. 373-2, al. 2, du Code civil (rédaction L. n° 2002-305 du 4 mars 2002).
214
Ibid.
215
F. DEKEUWER-DÉFOSSEZ, Rénover le droit de la famille. Propositions pour un droit adapté aux
réalités et aux aspirations de notre temps : La Documentation française, Coll. Rapports officiels, 1999,
p. 86-87. V. également H. FULCHIRON , L’autorité parentale à l’épreuve du pluralisme familial, in
Perspectives de réformes en droit de la famille : Dr. fam. 2000, hors série, n° 8, p. 43 s., spéc. p. 45.

260
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

parent qui s’est vu confier la résidence habituelle de l’enfant le droit de décider seul du
départ vers l’étranger. Dès lors, les deux parents, bien que titulaires des mêmes droits et
des mêmes devoirs (l’affirmation du « principe de coparentalité » constituant l’élément
pivot de la réforme), n’ont finalement pas exactement les mêmes pouvoirs. Il est certain
que lorsqu’un couple, marié ou non, vivant en un lieu donné, se sépare de fait et que
l’un des deux parents décide unilatéralement d’emmener aussitôt l’enfant dans un autre
pays, le déplacement doit être considéré comme illicite et le retour de l’enfant doit, sauf
exception217, être ordonné. Doit-on considérer que la solution pourrait être différente si
les parents vivaient séparés depuis quelque temps déjà, et que la résidence habituelle ait
été fixée, par un accord entre les parents (homologué par le juge)218 ou par une décision
judiciaire, chez l’un des parents ? Ceci l’autorise-t-il à emmener l’enfant où il le
souhaite ? Répondre par l’affirmative reviendrait à considérer que, finalement, celui
seul qui s’est vu attribuer la résidence habituelle bénéficierait du droit de déterminer le
lieu de cette résidence habituelle du mineur.

397. L’information « préalable et en temps utile » du changement de résidence


habituelle prévue par le nouveau texte paraît très nettement insuffisante dans les
relations internationales219. Le rapport de M. Dolez indique qu’« il ne s'agit en aucun
cas d'interdire à un parent de déménager, mais simplement de permettre aux deux

216
Rapport de L. BÉTEILLE, au nom de la Commission des lois du Sénat, doc. Sénat, n° 209 (2001-2002).
217
Cf. infra n° 403.
218
La résidence habituelle de l’enfant peut se trouver auprès d’un parent sans que le juge n’ait homologué
un quelconque accord entre les parents (dans les faits, l’enfant vit habituellement avec un parent et l’autre
y a consenti tacitement puisqu'il ne s’y est pas opposé). Mais, dans l’hypothèse d’une demande en retour
sur le fondement de la convention de La Haye de 1980, le droit de garde qui peut résulter d’un accord en
vigueur selon le droit de la résidence habituelle doit, en droit français, avoir été homologué par le juge.
– Selon le nouvel article 373-237 du Code civil, « Les parents peuvent saisir le juge aux affaires
familiales afin de faire homologuer la convention par laquelle ils organisent les modalités d’exercice de
l’autorité parentale et fixent la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant [al. 1]. Le juge
homologue la convention sauf s’il constate qu’elle ne préserve pas suffisamment l’intérêt de l’enfant ou
que la consentement du parent n’a pas été donné librement [al. 2]. – Selon H. FULCHIRON (L’autorité
parentale rénovée : Defrénois 2002, art. 37580, p. 959 s., spéc. p. 971), « désormais, la convention
homologuée devient un mode général d’organisation des relations entre l’enfant et ses parents séparés,
indépendamment de toute procédure tendant à dissoudre le mariage où à régler les conséquences de la
séparation du couple proprement dite ». Les conventions seront en principe mieux respectées si elles
relèvent d’une élaboration commune des époux. Le texte privilégie les accords parentaux.
219
Même si on peut tout de même noter que, selon les dispositions de l’article 373-2-6 du Code civil, « le
juge peut prendre les mesures permettant de garantir la continuité et l'effectivité du maintien des liens de
l'enfant avec chacun de ses parents. Il peut notamment ordonner l'inscription sur le passeport des parents
de l'interdiction de sortie de l'enfant du territoire français sans l'autorisation des deux parents ».
L’introduction de cette disposition préventive est destinée à protéger l’enfant contre les enlèvements
internationaux. V. sur ce point, H. FULCHIRON, L’autorité parentale rénovée : Defrénois 2002, art. 37580,
p. 959 s., spéc. p. 993-995.

261
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

parents d'en discuter, afin de trouver des solutions adaptées »220. Le rapport établi sous
la direction de Mme Dekeuwer-Défossez a souligné qu’« en pratique, le juge pourrait se
servir d'un tel fondement textuel pour sanctionner les coups de force de l'un des
parents »221 et, toujours selon le rapport de M. Dolez, « l'inexécution de cette obligation
d'information serait, en cas de litige, susceptible d'être sanctionnée, le juge pouvant par
exemple fixer la résidence chez l'autre parent »222. On peut se demander si cette sanction
est adéquate lorsqu'il s’agit d’un déplacement transfrontière. Comment sanctionner en
pratique le déplacement s’il n’a pas fait l’objet de l’information « préalable et en temps
utile » ? Il aurait sans doute été préférable de requérir expressément le consentement de
celui qui ne s’est pas vu confier la résidence habituelle (au moins dans l’hypothèse du
déplacement vers l’étranger) ; à défaut d’accord, ce serait au juge de statuer au regard de
l’intérêt de l’enfant et d’autoriser éventuellement le déplacement transfrontière, alors
licite par définition.

398. Une enquête, réalisée en 2002 sous la direction de M. Fulchiron223 et


relative aux déplacements internationaux d’enfants, révèle ces difficultés. Elle fait en
effet apparaître qu’il arrive relativement fréquemment qu’un parent attende que le juge
statue, à l’occasion d’un divorce ou d’une séparation, sur le lieu de résidence habituelle
de l’enfant, sans mentionner son intention de retourner dans son pays d’origine ; une
fois qu’elle lui est attribuée, parfois même aussitôt rendue la décision qui lui est
favorable, celui-ci part s’installer à l’étranger avec l’enfant, et ceci, sans l’assentiment
de l’autre parent. Dans les faits, l’action en retour peut alors se trouver paralysée car, la
convention de La Haye de 1980 écartant l’action en retour dès lors qu’il ne s’agit que de
faire respecter un droit de visite et d'hébergement224, les autorités centrales compétentes

220
Rapport de M. DOLEZ , au nom de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, doc. Ass. nat.,
n° 3117, p. 38.
221
F. DEKEUWER-DÉFOSSEZ, Rénover le droit de la famille. Propositions pour un droit adapté aux
réalités et aux aspirations de notre temps : La Documentation française, Coll. Rapports officiels, 1999,
p. 86.
222
Rapport de M. DOLEZ , au nom de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, doc. Ass. nat.,
n° 3117, p. 39.
223
Conflit familial, déplacements d’enfants et coopération judiciaire internationale en Europe, sous la
direction de Hugues Fulchiron, Rapport de recherche réalisé avec le soutien de la Commission des
Communautés européennes et du G.I.P. Mission de recherche Droit et Justice, Centre de droit de la
famille, Université Jean-Moulin, déc. 2002, spéc. 496.
224
L’article 21 de la convention de La Haye de 1980 ne prévoit qu’une « coopération des Autorités
centrales en ce qui concerne, soit son organisation, soit la protection de l’exercice effectif » (É. PEREZ-
VERA, Rapport explicatif de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d'enfants :

262
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

estiment parfois que le déplacement est licite, au motif que celui qui emmène l’enfant
s’est vu légalement confier sa résidence habituelle. Si le parent qui n’a pas la résidence
habituelle demande un retour de l’enfant, estimant – à juste titre – qu’il y a eu violation
de l’article 3 de la convention dans la mesure où il n’a pas consenti au déplacement,
cette demande se transforme fréquemment en simple demande relative à l’exécution
d’un droit de visite et d'hébergement, ce qui semble en contradiction avec la lettre et
l’esprit de la convention ou alors cela revient à consacrer la solution selon laquelle seul
celui qui s’est vu confier la résidence habituelle de l’enfant peut décider de son lieu de
résidence habituelle, sauf opposition de l’autre parent devant le juge aux affaires
familiales faite avant le départ de l’enfant225. Dès lors, l’égalité proclamée, réaffirmée
par la réforme de 2002, entre les parents qui exercent conjointement l’autorité parentale
sur leurs enfants peut parfois, et sur certains points, sembler encore fort éloignée dans
les faits lorsqu’il s’agit d’apprécier les modalités d’exercice de l’autorité parentale sur le
plan international. En définitive, la seule hypothèse relativement simple est celle où les
deux parents sont titulaires de l’autorité parentale mais qu’un seul en a l’exercice
puisque celui qui en est privé n’a qu’un droit et devoir limité de surveillance226. Mais
s’il ne peut décider du lieu de résidence de l’enfant, il doit tout de même être informé
préalablement de tout changement de résidence et peut également saisir le juge aux
affaires familiales en cas de contestation, les dispositions de l’article 373-2 semblant en
effet s’appliquer également dans cette hypothèse d’exercice unilatéral de l’autorité
parentale227.

399. En ce qui concerne le non-respect de l’obligation d’information de l’autre


parent en temps utile, il était indiqué dans le rapport de M. Béteille228 que la seule
sanction possible serait la modification par le juge des conditions de l'exercice de

Tirage à part des Actes et Documents de la Quatorzième session (1980), Tome III, Édité par le Bureau
Permanent de Conférence, La Haye, 1982).
225
Cette interprétation consistant à dire que seul celui qui s’est vu confier l’enfant peut décider de son
lieu de résidence pourrait poser d’autres problèmes dans l’hypothèse où la résidence de l’enfant serait
fixée en alternance chez chacun des parents. Cf. infra n° 400.
226
Il n’a pas le droit d’agir, non plus que celui d’interdire et d’autoriser, il a juste le droit d’être informé
des décisions importantes (v. Droit de la famille, sous la direction de Mme RUBELLIN-DEVICHI : Dalloz,
Coll. Dalloz Action, n° 1896).
227
V. Rapport de M. DOLEZ, au nom de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, doc. Ass. nat.,
n° 3117, p. 37 : la règle « s'impose non seulement au parent avec lequel réside l'enfant, lequel doit
respecter les droits de l'autre parent, mais aussi au parent qui ne vit pas avec l'enfant ou qui n'exerce pas
l'autorité parentale ».

263
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

l'autorité parentale au détriment du parent ayant manqué à son obligation


d'information229 et il était proposé que « le juge de l’ancien domicile de l’enfant reste
compétent », permettant ainsi au juge d’intervenir « avant que l'enfant ne se soit adapté
à son nouveau milieu de vie ». La proposition n’a pas été retenue. Néanmoins, on
retrouve dans le règlement « Bruxelles II bis » des dispositions similaires à celles qui
étaient alors envisagées. En effet, on a vu230 que les autorités de l’État dans lequel
l’enfant avait son ancienne résidence habituelle resteront compétentes durant trois mois
pour « modifier » une décision relative au droit de visite si « l’enfant déménage
légalement » vers un autre État membre. Ou bien l’on considère que malgré le défaut
d’information préalable et en temps utile, le déplacement n’est pas illicite (« l’enfant
déménage légalement ») et la juridiction de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant
peut éventuellement modifier les conditions relatives au droit de visite – sous réserve
que l’on se trouve dans les conditions d’application du texte réglementaire – ; ou bien
l’on considère que le déplacement est illicite et le règlement ou la convention de
La Haye de 1980 sont applicables et doivent ordonner le retour de l’enfant.

400. Enfin, un dernier cas de figure peut présenter des difficultés : la convention
de 1980 prévoit que le droit de garde peut également résulter « d’un accord en vigueur »
selon le droit de l’État de la résidence habituelle du mineur231 ; or, la portée et les
conséquences d’un tel accord sont parfois sources de litiges232. Les parents peuvent
s’entendre sur le lieu de résidence habituelle de manière générale ou prévoir que
l’enfant résidera alternativement avec l’un puis avec l’autre233. Or, dans cette dernière
hypothèse, lorsque vient le moment du changement de lieu de vie initialement prévu, un
parent peut refuser de tenir son engagement. S’il convient d’examiner « le caractère, le

228
V. le rapport de L. B ÉTEILLE , au nom de la Commission des lois, doc. Sénat (2001-2002), n° 71
(examen de l’article 5).
229
Il était ajouté dans le rapport précité : « encore faudrait-il que les juges ne valident pas les coups de
force, ce qu'ils sont souvent tentés de faire pour ne pas provoquer l'instabilité des conditions de vie de
l'enfant ».
230
Cf. supra n° 345.
231
V. également l’art. 2, par. 11, pnt a, du règlement n° 2001/2003.
232
Selon Mlle Perez-Vera (Rapport explicatif de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement
international d'enfants : Actes et Documents de la Quatorzième session, tome III, Enlèvements d’enfants,
n° 70), on doit inclure sous cette appellation « tout accord qui n’est pas interdit par [le droit de l’État de la
résidence habituelle] et qui puisse servir de base à une prétention juridique devant les autorités
compétentes ». En droit français, il semblerait que ce type d’accord est valable lorsqu’il a été homologué
par un juge ; il a alors force obligatoire (v. B. STURLÈSE, Autorité parentale : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc.
549, n° 52 et les références citées par l’auteur).

264
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

but et la durée de l’accord »234, les situations sont complexes. Il semble notamment qu’il
puisse apparaître parfois impossible d’appliquer la convention de La Haye dans
l’hypothèse de la violation d’un accord concernant la garde alternée. Ainsi, à titre
d’exemple, on peut citer une affaire235 dans laquelle les parents de deux enfants, de 10
et 12 ans au moment du non-retour, étaient séparés et avaient une garde partagée ; les
enfants avaient vécu en Nouvelle-Zélande de décembre 1987 à décembre 1994 avec leur
mère, puis étaient allées vivre en Écosse avec leur père. Elles n’étaient censées n’y
rester que deux ans, puis devaient rentrer en Nouvelle-Zélande pour passer les deux
années suivantes avec leur mère. Mais en août 1996, le père informa la mère qu’il ne
renverrait pas comme convenu ses enfants en décembre 1996 ; elle demanda alors leur
retour immédiat. Il lui fut refusé car les enfants avaient perdu leur résidence habituelle
en Nouvelle-Zélande et avaient acquis une résidence habituelle en Écosse : « elles
s’étaient installées en Écosse pour y vivre pendant une période de deux ans, nonobstant
le fait qu’elles devaient ensuite rentrer en Nouvelle-Zélande ». L’objectif de la
convention est d’assurer le retour de l’enfant illicitement déplacé ou retenu dans un État
contractant. Au moment de l’acte illicite, i.e. la violation de l’accord, les enfants avaient
leur résidence habituelle licite en Écosse236 ; or, on ne pouvait ordonner, en application
du texte, le retour vers ce même pays, la Nouvelle-Zélande n’étant pas le pays dans
lequel elles avaient leur résidence habituelle. Dans une autre affaire237, le tribunal a
également considéré que le retour devait être refusé : « peu importe qu’il n’ait pas été
prévu que les États-Unis deviendraient le lieu de résidence permanente des enfants ni
qu’ils étaient censés rentrer en Israël en l’an 2000. Ce qui doit se passer à l’avenir a
généralement peu d’importance, si cela en a jamais, au regard de la question de savoir si
les enfants se sont intégrés dans leur nouveau milieu de telle sorte qu’il peut être
qualifié de lieu de résidence habituelle »238. D’autres décisions sont révélatrices des

233
La loi de 2002 prévoit expressément que le juge peut fixer la résidence de l’enfant en alternance au
domicile de chacun des parents ; mais il peut également entériner un accord en ce sens entre les parents.
234
HC/E/UKs 185, Outer House of the Court of Session (Écosse, 1re instance), 10 janv. 1994, Findlay c/
Findlay, 1995 SLT 492, 1994 SCLR 523. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
235
HC/E/UKs 75, Outer House of the Court of Session (Écosse, 1re instance), 6 déc. 1996, Watson c/
Jamieson, 1998 SLT 180. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
236
La mère allégua que la présence en Écosse ne devant être que temporaire, les enfants n’avaient pu y
acquérir une résidence habituelle. Mais l’argument, irréaliste, ne pouvait évidemment être retenu.
237
HC/E/USf 225, United States District Court for the District of Massachusetts (États-Unis, 1re instance),
21 oct. 1998, Toren c/ Toren, 26 F. Supp. 2d 240 (D. Mass. 1998). V. la base de données INCADAT :
http://212.206.44.26/.
238
V., pour d’autres références relatives au fait qu’il faille s’attacher aux circonstances du passé et non à
l’avenir, HC/E/USf 142, United States Court of Appeals for the Sixth Circuit (États-Unis, 2e instance), 22

265
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

problèmes posés par de tels accords sur le lieu de résidence habituelle qui sont, de fait,
finalement dépourvus de valeur s’ils ne sont pas spontanément respectés, et ce, dans la
mesure où leur non-respect peut difficilement être sanctionné, en tout cas en application
de la convention de 1980239.

b. Les conséquences du déplacement illicite

401. On a vu240 qu’en application de la convention de La Haye de 1961, la


jurisprudence et la doctrine ont pu estimer que le caractère illicite du déplacement ne
saurait empêcher ipso facto la constitution d’une résidence habituelle, qu’il fallait
s’attacher aux circonstances de fait et déterminer dans chaque cas concret où se trouvait
le centre de gravité de la vie du mineur. À l’inverse, sur le fondement de celle de 1980,
un déplacement ou un non-retour de l’enfant doivent être considérés comme un obstacle
en tant que tel à tout changement de résidence habituelle du mineur qui conserve sa
résidence habituelle dans l’État dans lequel il vivait avant la voie de fait. Ainsi, selon la
jurisprudence, « une résidence habituelle forcée n’est pas une résidence habituelle au
sens de la convention » de 1980241 ; « alors que les enfants pouvaient sembler installés
en Angleterre, leur résidence se révéla être le résultat du fait qu’ils s’y trouvaient
illicitement en violation d’une décision judiciaire. Cette résidence ne pouvait par
conséquent pas être analysée en une résidence habituelle »242.

402. Si cette analyse rapide de l’appréciation du changement de la résidence


habituelle semble opposer les deux interprétations, elles se rejoignent pourtant. En effet,

janv. 1993, Friedrich c/ Friedrich, 983 F.2d 1396 (6th Cir. 1993). – HC/E/USs 131, Court of Appeals of
Kentucky (États-Unis, 2e instance), 11 oct. 1996, Harsacky c/ Harsacky, 930, S.W.2d 410 (Ky. App.
1996). – HC/E/USs 97, Superior Court of Connecticut, Judicial District of Hartford (États-Unis, 1re
instance), 24 sept. 1997, Panazatou c/ Panazatos, No. FA 960713571S (Conn. Super. Ct. Sept. 24, 1997).
V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
239
Les analyses jurisprudentielles de ces situations ne semblent d’ailleurs pas toujours concordantes. V.,
par exemple, HC/E/UKs 74, Outer House of the Court of Session (Écosse, 1re instance), 25 août 1995,
Moran c/ Moran, 1997 SLT 541. – HC/E/USs 135, Supreme Court of New York, Appellate Division,
Fourth Department (États-Unis, 2e instance), 31 mai 1996, Brennan c/ Cibault, 643 N.Y.S.2d, 227 A.2d
965 (N.Y. App. Divorce. 1996). – HC/E/Uks 71, Inner House of the Court of Session (Écosse, 2e
instance), 24 oct. 1995, Cameron c. Cameron, 1996 SC 17, 1996 SLT 306, 1996 SCLR 25. V. la base de
données INCADAT : http://212.206.44.26/.
240
Cf. supra n° 378 s.
241
HC/E/USf 144, United States District Court for the District of Utah, Central Division (États-Unis, 1re
instance), 17 août 1993, In re Ponath, 829 F. Supp. 363 (D. Utah 1993). V. la base de données
INCADAT : http://212.206.44.26/.
242
HC/E/UKe 39, High Court (Angleterre, 1re instance), 21 oct. 1997, Re B. (Abduction : Children’s
Objections) [1998] 1 FLR 667. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.

266
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

les tempéraments apportés dans chaque cas aboutissent finalement à une interprétation
identique de la notion et des conditions de changement car, au-delà des affirmations de
principe, on tient toujours compte, dans les faits, de la précarité ou au contraire du
caractère durable de la présence du mineur. Alors que l’on admet, en application de la
première convention, qu’il ne saurait y avoir de changement lorsque le déplacement
illicite apparaît précaire, non durable243, en revanche, lorsque le déplacement est illicite
et que l’on agit sur le fondement de la convention de La Haye de 1980 pour demander le
retour du mineur, ce retour doit (sauf exception) être prononcé (c’est l’objectif même de
la convention) et le séjour apparaît alors comme a priori temporaire244 ; cela revient à
présumer en quelque sorte la précarité de la présence au lieu où le mineur est retenu. Or,
l’on sait que l’absence temporaire ne fait pas perdre une résidence habituelle en un lieu
et que, à l’inverse, la durabilité de la présence permet l’acquisition d’une nouvelle
résidence habituelle. Ne pas reconnaître, en application de la convention de 1980, la
constitution d’une résidence dans un pays dans lequel l’enfant est retenu n’a donc pas
pour objectif de protéger le parent dont le droit de garde a été violé ; il ne s’agit pas de
poser une règle absolue : tout simplement les conditions du changement de la résidence
ne se trouvent pas réunies. D’ailleurs, il est des situations particulières où, malgré la
violation du droit de garde et le déplacement illicite, on doit finalement reconnaître
qu’une résidence habituelle a finalement pu se constituer dans l’État où vit le mineur :
« il serait contraire au bon sens de prétendre que la résidence habituelle d’origine était
maintenue »245.

2. Des possibilités exceptionnelles de changement de la résidence

403. L’un des principaux objectifs de la convention de La Haye de 1980


contenus dans le Préambule et les articles 1 et 2 vise à assurer, aussi vite que

243
Cf. supra n° 380 s.
244
Le séjour doit être d’autant plus temporaire que le règlement communautaire n° 2201/2003 prévoit que
le retour de l’enfant doit être organisé dans des délais particulièrement stricts. Ainsi, la juridiction de
l’État membre saisie d’une demande en retour doit agir rapidement « en utilisant les procédures les plus
rapides prévues par le droit national » (art. 11, par. 3, al. 1) ; elle doit rendre sa décision « sauf si cela
s’avère impossible en raison de circonstances exceptionnelles, six semaines au plus tard après sa saisine »
(art. 11, par. 3, al. 2). V., sur l’ensemble de la question, C. NOURISSAT et A. DEVERS, Étude n° 15. Les
règles de compétence internationales en matière matrimoniale et de responsabilité parentale, in Lamy,
Procédures communautaires, ss dir G. Canivet, L. Idot, D. Simon, à paraître, 2004.
245
HC/E/UKe 39, High Court (Angleterre, 1re instance), 21 oct. 1997, Re B. (Abduction : Children’s
Objections) [1998] 1 FLR 667. V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.

267
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

possible246, le retour dans l’État de leur résidence habituelle247 des enfants de moins de
seize ans illicitement déplacés, à rétablir la situation de l’enfant telle qu’elle existait
avant le non-retour ou le déplacement, à préserver la continuité de ses conditions de vie.
Il s’agit simplement de rétablir le statu quo ante par un replacement de l’enfant aussi
rapide que possible dans son milieu de vie tel qu’il existait avant la voie de fait. Il ne
s’agit donc pas de savoir si, au fond, l’exercice de l’autorité parentale pourrait être
modifié, amélioré, ou si ses conditions actuelles reflètent l’intérêt de l’enfant, car ce
sont les autorités du lieu de sa résidence habituelle qui sont présumées être les mieux à
même de les apprécier. Même s’il est des hypothèses où l’on sait que l’acte illicite est
peut-être « légitime », en ce sens qu’il peut apparaître comme le seul moyen pour un
parent d’entretenir des relations personnelles avec son enfant248, le retour doit être
ordonné. L’action en retour repose sur une confiance qui doit être faite aux autorités
compétentes de l’État de la résidence habituelle du mineur.

404. Si le but de la convention est donc assurément de décourager les


enlèvements internationaux d'enfants par une action en retour, elle n’a cependant pas
pour objet de sanctionner les parents auteurs de déplacements ou de rétention illicites249.
C’est pourquoi il existe quelques hypothèses d’exceptions au retour lorsqu’il apparaît
qu’il est dans l’intérêt supérieur du mineur de ne pas être renvoyé dans l’État de son
ancienne résidence habituelle. Ces hypothèses correspondent à des situations très
particulières qui sont toutes interprétées strictement250. Ainsi, le retour « peut » ne pas
être ordonné lorsque celui qui s’oppose au retour de l’enfant établit, par exemple,
qu’« il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique
ou psychique, ou de toute autre manière, ne le place dans une situation intolérable »251 ;

246
La procédure en retour a d’ailleurs pu être assimilée à une sorte de « référé international ». V.
A. BODARD-HERMANT, La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de
l’enlèvement international d'enfants : Gaz. Pal. 2000. doctr. 194.
247
Art. 4 de la convention.
248
V., par exemple, Conflit familial, déplacements d’enfants et coopération judiciaire internationale en
Europe, ss dir. de Hugues Fulchiron, Rapport de recherche réalisé avec le soutien de la Commission des
Communautés européennes et du G.I.P. Mission de recherche Droit et Justice, Centre de droit de la
famille, Université Jean-Moulin, Déc. 2002, p. 491 s.
249
Même ceux n’ayant pas les motifs « légitimes » évoqués.
250
Ou devraient l’être si ce n’est pas le cas.
251
Art. 13, pnt b, de la convention. V. les limitations apportées à cet article dans le règlement
n° 2201/2003, art. 11, par. 4.

268
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

qu’il y a eu un acquiescement postérieur au départ ou au non-retour252, ou encore


lorsque l’enfant s’oppose à son retour et qu'il a une maturité suffisante pour qu’il soit
approprié de tenir compte de cette opinion253 ; le retour peut également se révéler
incompatible avec les principes fondamentaux de l’État requis sur la sauvegarde et des
droits de l’homme et des libertés fondamentales254.

405. Une fois le refus de retour prononcé, il n’existe plus aucun obstacle au
changement de résidence habituelle puisque le mineur est amené à demeurer dans le
pays dans lequel il était jusque là retenu en violation d’un droit de garde.
L’impossibilité de reconnaître le changement de résidence venait de ce que le mineur
était par principe destiné à rentrer dans le pays dans lequel il vivait immédiatement
avant son déplacement illicite ; son séjour était par définition précaire. Dès lors que
l’élément de précarité disparaît, il peut, comme n’importe qui, acquérir une résidence
habituelle au lieu où il vit depuis un certain temps ou pour une durée suffisante.

406. Hormis dans ces situations particulières, les autorités saisies d’une demande
en retour sont en principe tenues de l’ordonner. L’article 12 de la convention indique
que :

« Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une


période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou non-retour au moment
de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État
contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat.
L’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un
an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne
soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu ».

407. Cet article 12 peut être interprété de la manière suivante : si un parent retient
son enfant en un lieu en violation d’un droit de garde, l’autre parent est en droit d’exiger
son retour s’il en fait la demande devant l’autorité compétente dans l’année qui suit le
déplacement ou la rétention illicites. Le juge est tenu d’ordonner le retour du mineur
dans l’État de sa résidence habituelle. La résidence habituelle n’a donc pas pu se
constituer dans le pays où il est retenu, puisque, par hypothèse, pendant cette période, le
séjour apparaît comme temporaire. Aucun changement de résidence habituelle pendant
ce laps de temps d’un an n’est donc possible. Le délai d’une année court à partir du

252
Art. 13, pnt a, de la convention. V. les précisions adoptées par le règlement n° 2201/2003, art. 11,
par. 5.
253
Art. 13 de la convention.

269
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

déplacement ou non-retour illicite ; il se trouve interrompu à partir du moment où la


demande en retour est déposée devant les autorités compétentes pour ordonner le retour
(le mineur peut donc être renvoyé dans son pays d’origine après l’écoulement d’un an si
la procédure en retour dure un certain temps).

408. En revanche, si le parent dont le droit de garde a été violé introduit une
demande de retour après le délai prévu, le juge doit tout de même en principe ordonner
le retour, à moins qu’il ne soit établi que le mineur s’est intégré dans son nouveau
milieu. S’il s’est intégré dans son nouveau milieu, il a alors acquis sa résidence
habituelle en ce lieu et le retour ne doit plus en principe être ordonné255.

409. Il est donc présumé que l’enfant « peut » acquérir une résidence habituelle
dès lors qu’il a vécu dans un nouveau pays pendant une période suffisante et qu’il s’est
intégré à son nouveau milieu256. Le fait que l’enfant ait vécu dans un pays pendant plus
d’un an ne suffit pas à lui seul à faire présumer de l’intégration de l’enfant dans son
nouveau milieu257 : « l’écoulement du temps ne suffit pas à lui seul à établir
l’intégration. L’obligation de rentrer avec l’enfant est maintenue indéfiniment et ne
prend pas fin à l’expiration du délai de 12 mois »258. Cette interprétation stricte de la
notion d’intégration de l’enfant dans son nouveau milieu, visée par l’article 12 de la
convention, a été suivie par de nombreuses autres décisions. En effet, il faut que, dans
les faits, l’intérêt qu’a l’enfant à rester dans son nouveau milieu soit si fort qu’il dépasse
finalement l’objectif premier de la convention qui est d’ordonner le retour dans
l’hypothèse d’un déplacement illicite259. On a vu que, sur le fondement de la convention
de La Haye de 1996 ou du règlement « Bruxelles II bis », dans l’hypothèse d’un
déplacement ou d’un non-retour illicites, les juridictions de l’État membre de l’ancienne

254
Art. 20 de la convention.
255
La question de savoir si l’autorité compétente dispose d’un pouvoir souverain sur l’opportunité
d’ordonner le retour a cependant divisé la doctrine et la jurisprudence. Le juge pourrait ainsi décider, dans
le cadre de son pouvoir global d’appréciation de l’article 18, d’ordonner ou non le retour immédiat.
256
HC/E/SE 448, Cour Administrative Suprême de Suède (Regeringsrätten, Juridiction suprême), 20 déc.
1995, RÅ 1995 ref 99, Cour Administrative Suprême de Suède (Regeringsrätten), Affaire N° 4936-1995.
V. la base de données INCADAT : http://212.206.44.26/.
257
Comp. avec la condition d’intégration de l’enfant « dans son nouvel environnement » requise dans le
règlement « Bruxelles II bis » (art. 10, par. 3). Cf. supra n° 384.
258
HC/E/AU 259, Full Court of the Family Court of Australia at Launceston (Australie, 2e instance),
15 mars 1991, Graziano c/ Daniels, (1991) 14 Famille. LR 697. V. la base de données INCADAT :
http://212.206.44.26/.

270
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

résidence habituelle de l’enfant restaient par principe compétentes pour statuer sur la
question de la responsabilité parentale, mais que ce maintien des compétences était
soumis à certaines conditions. Or, on peut relever qu’au nombre de celles-ci figure
également celle de l’intégration de l’enfant « dans son nouvel environnement »260.

259
V., par exemple, HC/E/UKs 107, Inner House of the Court of Session, Extra Division (Écosse, 2e
instance), 16 nov. 1994, Soucie c/ Soucie, 1995 SC 134, 1995 SLT 4148, 1995, SCLR 203. V. la base de
données INCADAT : http://212.206.44.26/.
260
Art. 10, par. 3, du règlement. L’art. 7 de la convention de La Haye de 1996 se réfère, comme dans la
convention de 1980, à l’intégration dans « son nouveau milieu ».

271
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

272
CONCLUSION DU CHAPITRE 2.

410. Les personnes peuvent vouloir s’établir dans un nouveau pays pour de
multiples raisons. Mais, lorsque la résidence, facteur de rattachement concret, souple,
mais également par définition éminemment mobile, est retenue par une règle de conflit,
il convient avant tout de dissocier les changements qui trouvent leur origine dans un
acte licite de ceux qui relèvent d’une voie de fait.

411. Dans le premier cas, lorsque le déplacement se justifie par des motifs
professionnels ou personnels, l’envie ou la nécessité de vivre dans un nouveau milieu,
tout déplacement qui n’est pas simplement passager doit être pris en considération. Le
changement de résidence, en particulier de résidence habituelle, implique la perte de
l’ancienne résidence et l’acquisition de la nouvelle. Ce point est largement admis et ne
pose pas de réelles difficultés, même s’il existe quelques divergences doctrinales ou
jurisprudentielles relatives à la question de savoir si ce constat implique que toute
personne a nécessairement une, et une seule, résidence habituelle. Il est cependant
important d’anticiper les problèmes qu’un tel déplacement peut provoquer dans la
mesure où la résidence est un facteur de rattachement fondé sur une proximité
matérielle et géographique, lequel se trouve parfois fragilisé du fait que la résidence est
susceptible d’être aisément transposée en un lieu nouveau.

412. Le conflit mobile engendré par le changement du lieu de la résidence se


caractérise par un pragmatisme des solutions retenues qui se manifeste aussi bien en
l’absence de référence textuelle quant au moment où l’on doit apprécier le changement
de la résidence qu’en ce qui concerne la détermination, de manière anticipée, des
conséquences de ce changement. Les objectifs de chaque règle de conflit servent de
référence et justifient les solutions ponctuellement arrêtées. Ainsi, par exemple, dès que
le créancier d’aliments change de résidence habituelle, les autorités où il est désormais
établi deviennent compétentes ; elles appliquent la loi de la nouvelle résidence
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

habituelle (sauf pour une éventuelle réclamation qui concernerait la période antérieure
au changement). Ces dispositions trouvent un fondement dans le souci de réalisme qui
implique que l’on tienne compte de la situation actuelle de l’intéressé et dans le fait que
la meilleure loi applicable est celle du milieu où il vit effectivement. À l’inverse, pour
les obligations alimentaires entre époux divorcés, figer la loi applicable est apparu
nécessaire et une « actualisation » de la loi applicable a dès lors été écartée. En ce qui
concerne la protection des mineurs, si le changement du lieu de résidence entraîne un
changement de compétence de principe des autorités devant être saisies, les anciennes
mesures prises continuent pourtant à s’appliquer tant qu’elles n’ont pas été levées ou
modifiées par les autorités de la nouvelle résidence habituelle, lesquelles n’appliqueront
leur propre loi qu’après avoir pris l’avis des anciennes autorités compétentes. Cette fois,
c’est la continuité dans la protection du mineur qui impose ces solutions ; des règles
temporaires, un passage progressif d’une loi à une autre, des solutions de coordinations
sont adoptés. La prééminence de la loi de la nouvelle résidence habituelle est donc
tantôt affirmée, tantôt écartée, selon les objectifs à atteindre.

413. En revanche, dans un deuxième cas de figure, le déplacement peut trouver


son origine dans un comportement répréhensible. Il peut ainsi être dicté uniquement par
la recherche des effets attachés au changement de résidence, i.e. la compétence ou au
contraire l’éviction des juridictions ou de la loi applicable ; le critère qui sert de
rattachement est artificiellement créé. Cette attitude pourrait être constitutive d’une
fraude et, dès lors, le changement de la résidence pourrait être inopposable. Cependant,
dans la mesure où une telle attitude est particulièrement difficile à sanctionner, les
autorités saisies considèrent le plus souvent que le déplacement est dépourvu
d’effectivité, qu’il ne peut être assimilé à un changement de la résidence. La notion de
résidence est alors interprétée strictement.

414. Une personne peut également être déplacée ou retenue en un lieu de manière
illicite, par exemple, pour le mineur, en violation d’un droit de garde. Deux points de
vue peuvent être confrontés : doit-on admettre, sur le fondement du réalisme que,
quelles qu’en soient les conditions, le changement de résidence est toujours possible, ou
doit-on au contraire considérer que la résidence habituelle ne peut par principe se
constituer, et refuser d’entériner le changement, la force ne devant en aucun cas prendre
le pas sur le droit ? Les textes internationaux ont envisagé ces situations et la

274
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA RÉSIDENCE

jurisprudence interprète, là encore, strictement les conditions du changement de la


résidence. Dès lors que la présence en un lieu est précaire, qu’un retour reste encore
envisageable, elle refuse de considérer qu’une résidence est acquise. Cette interprétation
ne dénature pas la notion concrète de résidence habituelle puisque ce qui la distingue de
la simple présence en un lieu est le fait qu’elle a déjà assez duré ou qu’elle est envisagée
pour un laps de temps suffisamment conséquent. C’est alors très justement que les
autorités saisies considèrent que, par principe, un déplacement illicite est temporaire (un
retour dans le pays où l’enfant a sa résidence habituelle devant par principe être
ordonné) et qu’il ne permet l’acquisition d’une résidence habituelle que s’il est établi
que l’enfant restera dans le pays vers lequel il a été déplacé ou retenu. Le souci de
protection du mineur au lieu où il vit, où il a de fait le centre de ses intérêts, est à
l’origine de cette analyse ; le principe qui consisterait à ne pas vouloir reconnaître a
priori de conséquences au déplacement illicite cède devant la réalité de la situation.

415. L’interprétation des circonstances qui permettent de considérer un


changement de résidence comme effectif et de lui faire produire des effets est donc
éminemment fonctionnelle, mais la définition de la résidence, la manière de
l’appréhender, ne changent pas pour autant sur le fond.

275
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

276
CONCLUSION DU TITRE 2.

416. Alors que la notion de résidence peut paraître simple lorsqu'on la résume en
tant que présence suffisamment stable et effective de la personne en un lieu, à l’inverse,
dès lors que l’on étudie la notion de manière plus détaillée, elle tend à se révéler
éminemment complexe.

417. De fait, déterminer la résidence d’une personne suppose que l’on prenne en
considération un ensemble de faits, lesquels diffèrent selon chaque situation particulière
– ce qui justifie alors pleinement l’affirmation selon laquelle il est impossible de la
définir en des termes généraux et abstraits qui seraient valables, quelle que soit la
situation donnée. Il existe, en effet, divers cas de figure dans lesquels il n’est pas aisé de
déterminer l’existence ou non d’une résidence. C’est en particulier le cas lorsque la
durée du séjour de l’intéressé en un lieu est encore courte ou qu’il s’est absenté du lieu
en question. L’hypothèse des déplacements illicites, des déplacements forcés, n’est pas
non plus sans soulever des difficultés.

418. Néanmoins, il convient de relativiser l’importance de ces difficultés liées à


la détermination ou au changement de la résidence. Le juge saisi doit toujours examiner
les faits qui lui sont soumis au regard de l’objectif de la règle de conflit qui utilise la
notion. Ainsi, la question de savoir si la durée de présence, non quantifiée par un texte,
est suffisante pour être révélatrice de la stabilité et de l’effectivité constitutives de la
notion doit être étudiée au regard de la finalité de la règle de droit qui s’y réfère. La
souplesse de la méthode est évidente et il n’en résulte pas pour autant une insécurité
juridique.

419. Certes, il existe de nombreuses décisions relatives à la mise en œuvre de la


notion de résidence (le nombre de décisions rapportées étant le résultat de collectes de
données internationales, il convient toutefois de le relativiser), particulièrement en ce
qui concerne le contentieux lié à la détermination de la résidence habituelle des mineurs
en général ou de ceux qui ont fait l’objet d’un déplacement illicite. Néanmoins, ces
décisions ne se contredisent pas ; elles permettent plutôt de préciser la notion sur divers
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
T. 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE

points particuliers (ce qui tendrait également à établir qu’il n’existe effectivement pas
de notion de résidence propre à un pays en particulier ; la notion serait donc bien
« universelle »1). Or, le fait que la jurisprudence paraisse homogène est un élément
essentiel si l’on considère l’importance du rôle de la résidence comme élément de
rattachement et celle des conséquences qui s’attachent à la notion. Il est toujours
possible de localiser la résidence d’une personne ; la notion, loin d’être impraticable, est
éminemment pragmatique.

1
Cf. supra n° 106 s.

278
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

420. La résidence est un élément de localisation. Dans son acception juridique, le


terme de localisation signifie « le lien avec un système » et, dès lors, « ce lien n’est pas
nécessairement spatial »1 ou matériel, car « la localisation réside, malgré sa connotation
géographique, dans un lien avec l’État »2. Des liens suffisamment étroits avec le for
suffisent pour fonder la compétence juridictionnelle (en la matière, le choix du critère
relève essentiellement de l’ordre pratique et obéit à des considérations matérielles dans
la mesure où il s’agit avant tout de satisfaire un objectif procédural orienté vers
l’organisation concrète, pragmatique du litige). En revanche, l’élément localisateur en
matière de conflits de lois est celui qui détermine l’ordre juridique avec lequel la
situation présente objectivement les liens les plus significatifs, les plus étroits. La
résidence, en particulier qualifiée d’« habituelle », est fréquemment retenue comme
élément localisateur en matière de compétence à la fois juridictionnelle et législative ;
elle est donc un élément localisateur au sens juridique, mais également au sens spatial.
C’est d’ailleurs en raison de la proximité matérielle et géographique que la notion induit
qu’elle a été adoptée dans de nombreux textes, en particuliers dans les conventions
internationales et dans les règlements communautaires.

421. Si la notion de résidence, composée uniquement d’éléments de fait, est


éminemment concrète et réaliste, pour autant, il n’est pas toujours aisé de la déterminer.
Elle ne doit pas être confondue avec d’autres notions qui supposent également une
localisation de l’individu dans l’espace. Ainsi, elle se dissocie notamment de
l’habitation ou de la simple présence car elle implique une stabilité d’établissement en
un lieu supérieure à ces notions. Elle se distingue également du domicile parce qu’elle
induit une localisation effective et ne peut correspondre au lieu où la personne est
censée être. S’il peut être fait référence à un élément intentionnel, celui-ci ne peut être

1
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 1, L.G.D.J., 1993, 8e éd., n° 265.
2
P. M. PATOCCHI , Règles de rattachement localisatrices et règles de rattachement à caractère
substantiel. De quelques aspects récents de la diversification de la méthode conflictuelle en Europe :
Librairie de l’Université, Genève, 1985, n° 471.
P. 1. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE

que révélateur, confirmatif, de l’existence de la résidence d’une personne en un lieu et


ne peut être considéré comme un élément constitutif de la notion. Cet élément
intentionnel doit alors se déduire de l’ensemble des éléments de la cause, il est
également objectif. Au-delà du fait qu’elle pourrait se confondre avec d’autres éléments
de rattachement territoriaux, la résidence peut également susciter des difficultés dans la
mesure où les individus se déplacent aisément et fréquemment. À partir de quand et
dans quelles circonstances peut-on considérer qu’une personne établie en un lieu y a
acquis une résidence, ou une résidence habituelle ? De fait, aucun élément précis,
général, ne peut servir de paramètre indicateur. C’est un faisceau d’éléments propres à
chaque situation qui permet de répondre à la question.

422. La résidence se caractérise par une double approche : quantitative (il faut
être présent en un lieu depuis un laps de temps suffisant pour y avoir sa résidence) et
qualitative (l’intéressé qui a fait d’un lieu son cadre de vie ordinaire y a une résidence
que l’on peut alors qualifier d’habituelle). Fondée sur des éléments concrets et objectifs,
la notion est l’expression d’une proximité matérielle et géographique puisqu’elle permet
de situer une personne dans l’espace. La résidence est alors avant tout un lieu : celui où
la personne est effectivement présente de manière stable. La durée et la stabilité de la
résidence, éléments essentiels et caractéristiques de la notion, dépendent alors de la
finalité de la règle de droit qui l’utilise, du contexte dans lequel elle doit être appréciée.

423. Mais on peut se demander, en particulier lorsque la résidence est habituelle


et qu’elle est appréciée dans sa dimension qualitative, si elle ne traduit pas également un
lien. Le lien est, selon l’un des sens du langage courant, ce qui relie, ce qui unit. La
résidence relie certes une personne à un territoire, mais ne peut-elle également
représenter un lien d’appartenance : celui qui unirait l’intéressé à un milieu social ?

280
DEUXIÈME PARTIE.
LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE
APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL

424. La résidence n’est en principe qu’une notion localisatrice et elle ne peut,


selon les termes de M. Bucher, « être compatible avec le sentiment d’appartenance à
une communauté d’origine ethnique ou familiale, qui constitue l’élément clé du principe
de la nationalité »1. La nationalité est traditionnellement définie comme
« l’appartenance politique et juridique à la population constitutive d’un État »2. Si l’on
considère que seule la nationalité fait du national le membre d’une communauté qui
correspond à la population constitutive de l’État, on ne peut déduire du fait qu’un
étranger ait sa résidence en France qu’il « appartient » ou qu’il a le sentiment
d’appartenir à cette population, à cette communauté, constitutive de l’État. Mme Muir-
Watt considère également que la résidence simple ou habituelle, qui correspond à une
présence d’une certaine durée dans un ressort déterminé, « n’a en revanche aucune
vocation à mesurer la qualité de l’intégration à la communauté locale »3, alors que le
domicile, qui implique une intention de s’établir, de faire d’un lieu son principal
établissement, le centre de ses intérêts, est envisagé comme « le résultat d’une
intégration dans la communauté locale qui justifie l’effet juridique visé par la loi »4.

425. La nationalité et le domicile seraient donc deux notions susceptibles de


traduire « un sentiment d’appartenance » ou de mesurer « une qualité de l’intégration »,
alors que la résidence, même qualifiée d’habituelle, ne le pourrait pas. L’appartenance
est « le sentiment d’appartenir à une collectivité »5. L’intégration est traditionnellement
définie comme l’« opération par laquelle un individu ou un groupe s’incorpore à une
collectivité, à un milieu »6 ; en matière d’immigration, donc dans un sens plus

1
A. BUCHER, La famille en droit international privé : RCADI 2000, t. 283, n° 17.
2
P. LAGARDE, La nationalité française : Dalloz, 3e éd., 1997, n° 1.
3
H. MUIR-WATT, Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10, n° 6.
4
H. MUIR-WATT, op. cit., n° 2.
5
Dictionnaire Le Robert de la langue française, V° Appartenance.
6
Selon l’une des définitions du dictionnaire Le Robert de la langue française, V° Intégration.
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL

technique, Mme Costa-Lascoux, essayant de distinguer les termes d’intégration,


d’assimilation et d’insertion, retient que l’intégration repose sur plusieurs postulats :
« une interdépendance étroite entre les membres d’une même société dans une
dynamique d’échange ; une participation active à l’ensemble des activités de la société
et non pas seulement à son économie ou à certains avantages ; l’adhésion aux règles de
fonctionnement et aux valeurs de la communauté d’accueil ; le respect de ce qui fait
l’unité et l’intégrité de la communauté dont on devient partie intégrante »7.

426. Si l’on se fonde sur la seule proximité matérielle et géographique de la


résidence, la notion ne peut effectivement pas traduire l’intégration de l’étranger à la
communauté locale française puisque celui-ci peut, tout en vivant de manière stable en
France, demeurer attaché à son milieu social d’origine. Il est également vrai que la
simple résidence de l’étranger en France, même si elle se distingue d’une présence
éphémère en un lieu, ne permet pas d’affirmer que l’intéressé a tissé avec la
communauté dans laquelle il vit des liens suffisants pour que l’on puisse affirmer que la
résidence traduit une certaine forme d’intégration dans la communauté française ou une
appartenance au milieu social français. Cependant, si l’on se réfère à une résidence
qualifiée d’habituelle, d’un point de vue pragmatique, il semble évident qu’avec le
temps passé en France, des liens se créent entre l’étranger et le pays d’accueil dans
lequel il vit de manière habituelle et il est dès lors possible de se référer, en ce sens, à
une forme d’appartenance de l’étranger à un milieu de vie, à un environnement.
L’appartenance pourrait notamment être considérée comme liée à l’écoulement d’un
laps de temps suffisant de présence en un lieu pour que l’on puisse en déduire que
l’étranger s’intègre finalement d’une certaine façon au milieu social dans lequel il vit,
qu’il a déplacé le centre de ses intérêts de son pays d’origine vers son milieu de vie, et
que de cette intégration peut naître un certain sentiment d’attachement à un milieu
social. De fait, on ne pourra que constater que la résidence habituelle « répond
fréquemment à l’idée d’une intégration effective dans un milieu local »8.

427. C’est sur le fondement de cette forme d’appartenance objective qui


résulterait des faits que le droit peut décider que les intéressés doivent être soumis à la
loi qui correspond à leur milieu de vie. La résidence habituelle peut alors se révéler à la

7
J. CO S T A-LASCOUX, De l’immigré au citoyen : La Documentation française, Notes et études
documentaires, 1989, p. 12.
8
H. MUIR-WATT, Le domicile dans les rapports internationaux : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 543-10, n° 8.

282
INTRODUCTION

fois un critère de désignation de la loi applicable (Titre 1.) et un critère d’éviction de la


loi normalement compétente (Titre 2.).

283
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL

284
TITRE 1.
LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE
DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

428. On sait que lorsqu'il s’agit de déterminer les juridictions internationalement


compétentes, la résidence simple ou habituelle, est un élément de rattachement
considéré comme approprié pour garantir une bonne administration et le respect de la
justice procédurale1. La résidence peut également être un critère permettant d’assurer la
protection des intéressés dans la réalité de leur vie quotidienne. Ainsi, les juridictions
proches des personnes à protéger sont celles qui peuvent le mieux évaluer la situation et
faire exécuter la décision adoptée ; le plus souvent, la loi de la résidence habituelle
semble également la plus adaptée, certes en ce qu’elle régit leur cadre de vie, mais
surtout parce qu’il en résulte une coïncidence des compétences judiciaires et
législatives. Il paraît logique et évident, en quelque sorte naturel, de choisir la résidence
habituelle comme élément concret de rattachement ; une proximité géographique et
matérielle immédiate est recherchée dont cette notion est l’expression idoine. En
revanche, il est d’autres domaines du droit où la résidence habituelle s’impose a priori
peut-être moins comme critère de rattachement, mais dans lesquels elle joue un rôle
certain. La résidence habituelle suppose toujours une présence stable et effective de
l’intéressé en un lieu, mais ce n’est pas pour les raisons précédemment évoquées, liées à
la proximité spatiale, qu’elle est retenue. La désignation de la résidence habituelle
comme critère de rattachement peut s’inspirer d’autres considérations liées aux objectifs
de la règle de conflit.

429. Ainsi, le statut personnel est considéré en droit français comme l’ensemble
des règles qui visent la personne elle-même ainsi que ses relations de famille2, et la loi

1
Cf. supra 1re partie, titre 1, chapitre 2.
2
V., sur la notion de statut personnel dans d’autres pays, G. VAN H ECKE , Principes et méthodes de
solution des conflits de lois : RCADI 1969-I, t. 126, p. 399 s., spéc. p. 539 ; J. DÉ P R E Z , Droit
international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations entre systèmes
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

personnelle qui permet de le déterminer est définie comme « une loi qui présente un lien
direct avec la personne »3. Trois critères peuvent fonder l’existence de ce lien
personnel : la nationalité, le domicile ou la résidence habituelle des intéressés. Le
législateur français a clairement opté, dans l’article 3 du Code civil, pour un
rattachement fondé sur la nationalité. Il a ainsi privilégié l’application de la loi du pays
d’origine des intéressés (français ou étrangers) qui continue à s’appliquer au-delà des
frontières, en dépit de leurs déplacements. Néanmoins, on ne pourra que constater
l’influence grandissante de la place et du rôle reconnu à la loi du milieu de vie en
certains domaines du statut personnel. L’une des données du problème consiste
aujourd’hui à se demander quel est au fond le meilleur critère de rattachement pour la
personne qui vit dans un pays qui n’est pas celui dont elle a la nationalité. En
particulier, se sent-elle plus fortement liée à la communauté qui est celle de son pays
d’origine ou à celle du pays dans lequel elle est établie de manière suffisamment
durable ?

430. Deux situations peuvent être distinguées. D’abord, le législateur peut


estimer qu’il convient de soumettre à la loi française de leur milieu de vie actuel les
intéressés qui se sont établis de manière stable et effective en France ; il considère que
c’est avec le milieu social français que les intéressés entretiennent nécessairement les
liens les plus étroits dans la mesure où ils ont fait de ce pays leur cadre de vie quotidien
et où ils sont, de ce fait, intégrés d’une certaine manière dans la communauté française.
À ce titre, la résidence habituelle peut être envisagée comme l’élément de désignation
de la loi applicable. On verra que l’application de la loi de la résidence habituelle
semble également motivée par la volonté du législateur français d’étendre sa loi à ceux
qui sont durablement installés en France. La loi du milieu de vie s’applique
immédiatement, dès lors que l’on considère que les intéressés y ont leur résidence
habituelle. Ensuite, le droit peut décider qu’un changement de la loi applicable est
nécessaire au-delà d’un certain délai de présence en un lieu. On peut en effet admettre
que la résidence habituelle ayant duré un certain temps, elle traduit cette fois une
certaine forme d’enracinement dans le milieu de vie qui justifie une dérogation à

d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI 1988-IV, t. 211,
p. 9 s., spéc. p. 143 s. ; C. ROCHAT , La dislocation du statut personnel. Étude de droit international
privé : Thèse Lausanne, 1986. V. également Dictionnaire permanent, Droit des étrangers, V° Statut
personnel, n° 3-4.
3
P. M AYER et V. HEUZÉ , Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 507.

286
INTRODUCTION

l’application de principe de la loi initialement retenue ; le changement de la loi


applicable permet d’ajuster le droit aux faits.

431. Ces deux situations, la première dans laquelle on applique directement la loi
du milieu de vie des intéressés (Chapitre 1), la seconde où l’on décide d’un changement
de loi applicable lorsqu'il est lié à une forme d’enracinement dans la communauté de vie
(Chapitre 2), seront successivement étudiées.

287
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

288
CHAPITRE 1.
L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE
HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE ACTUEL

432. La France a opté en matière de statut personnel pour un rattachement fondé


sur la nationalité. L’état, la capacité des personnes, les relations de famille sont soumis à
une loi qui suit l’individu au-delà des frontières. Deux séries d’arguments en faveur de
la loi nationale ont tour à tour été envisagées. Mancini concevait la nationalité comme
« une entité ethnique (caractérisée par des éléments tels que race, tempérament, religion,
langue, lois, coutumes) »1 et son principal argument était que la loi nationale est faite
par mais surtout pour les nationaux et qu’elle est par conséquent adaptée à leur
mentalité nationale, qu’elle s’impose à ce titre et doit avoir un rayonnement extra-
territorial2. C’est uniquement à travers la nationalité qu’était déterminée l’appartenance
à la nation3 et le statut personnel n’avait pas d’autre fonction que de « rattacher la
personne à sa nation »4. Si de nombreux systèmes juridiques, à l’instar de la France,
sont demeurés fidèles à un rattachement de principe à la loi nationale, cela ne signifie
pourtant pas que cette compétence puisse encore être interprétée comme une adhésion à
la doctrine de Mancini5. L’affirmation de la personnalité du droit, « du lien entre la loi

1
W. E. VON STEIGER, La protection des mineurs en droit international privé : RCADI 1964-II, t. 112,
p. 469 s., spéc. p. 488.
2
V. R. CASSIN, La nouvelle conception du domicile dans le règlement des conflits de lois : RCADI 1930-
IV, t. 34, p. 655 s., spéc. p. 715.
3
V., sur le renouveau du concept de loi personnelle dans la doctrine de Mancini et l’idée selon laquelle la
loi est faite, politiquement, pour les individus dont le cercle est en l’occurrence défini par la nation,
C. ROCHAT, La dislocation du statut personnel. Étude de droit international privé : Thèse Lausanne,
1986, p. 199.
4
A. BUCHER , La famille en droit international privé : RCADI 2000, t. 283, p. 9 s., spéc. p. 25-26.
L’auteur indique que l’acquisition de la nationalité était essentiellement fondée sur des faits relevant de
rapports de famille (mariage et filiation) et ces rapports devaient, par conséquent, nécessairement être
déterminés par le droit dont la nationalité était en cause.
5
V. J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les
relations entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel :
RCADI 1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 200-201. L’auteur souligne le fait que la compétence de principe
reconnue à la loi nationale par les ordres juridiques européens ne peut être interprétée comme « une
adhésion convaincue à la conception personnaliste du statut ».
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

et ses mœurs, le tempérament national, l’idée d’adaptation des solutions à la culture


d’origine, l’exaltation de l’identité nationale dans le respect des autres »6, qui sont les
données de cette doctrine, a été abandonnée par la plupart des États7. On a estimé, en
France notamment, que le raisonnement qui consiste à considérer que la loi est faite
pour un tempérament national révélait certaines failles. Ainsi, comme l’ont souligné
MM. Batiffol et Lagarde8, « que la loi soit faite pour les personnes et non pour les
choses, rien n’est plus sûr. […] Mais il ne faut pas oublier que la loi est faite pour les
personnes vivant en société, elle est faite pour la collectivité ». On peut en effet se poser
la question, avec les auteurs, de savoir si la communauté pour laquelle la loi est faite est
celle « des personnes juridiquement liées par le lien de la nationalité » ou celle des
personnes « matériellement liées par la vie en commun sur un même territoire ». De fait,
si la loi tient compte du tempérament des nationaux, « c’est parce qu’elle le prend en
considération dans la collectivité où il s’exprime, qui est normalement celle de son pays
d’origine »9. Or, lorsque des étrangers s’installent durablement dans un pays qui n’est
pas celui dont ils sont originaires, ils échappent en partie à la mentalité nationale pour
s’adapter à celle de leur milieu de vie. Dès lors, d’autres arguments, plus techniques, ont
été développés par les partisans de l’application de la loi nationale10 : certitude11 et

6
J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations
entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI
1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 201.
7
M. Déprez (Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations
entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI
1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 201) souligne que l’on retrouve cependant l’idée de la personnalité du
droit dans la conception islamique, « à ceci près que cette dernière est moins centrée sur l’idée de nation
que sur celle de religion ». Les systèmes juridiques musulmans sont en effet éminemment respectueux des
statuts personnels étrangers dans toutes les hypothèses où l’Islam n’est pas directement concerné.
V. l’analyse faite par l’auteur concernant la réception des statuts étrangers en Islam (op. cit., p. 40 s.).
8
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 1, L.G.D.J., 8e éd., 1993, n° 232.
9
Y. LOUSSOUARN, La dualité des principes de nationalité et de domicile en droit international privé.
Rapport définitif et projet de résolution : Annales de l’IDI, 1987, t. 1, p. 295 s., spéc. p. 318. – V.
également R. CASSIN, La nouvelle conception du domicile dans le règlement des conflits de lois : RCADI
1930-IV, t. 34, p. 655 s., spéc. p. 740. Selon l’auteur, le droit est fait pour régir les êtres humains « vivant
matériellement en société » – V. également, en ce sens, H. BATIFFOL et P. LAGARDE , Traité de droit
international privé : t. 1, L.G.D.J., 8e éd., 1993, n° 232. Ils indiquent que « Mancini abuse en prétendant
que la loi italienne est seule faite pour la psychologie des Italiens. Elle tient en effet moins compte de la
mentalité italienne individuelle, que de celle du milieu constitué par la population italienne ».
10
V. notamment Y. L OUSSOUARN, La dualité des principes de nationalité et de domicile en droit
international privé. Rapport définitif et projet de résolution : Annales de l’IDI, 1987, t. 1, p. 295 s., spéc.
p. 316 s ; B. AUDIT, Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 131 s. ;
H. BATIFFOL, Principes de droit international privé : RCADI 1959-II, t. 97, p. 431 s., spéc. p. 503 s.
11
Il est relativement aisé de déterminer la nationalité d’une personne, beaucoup plus que son domicile.
Néanmoins, MM. Ancel et Lequette (Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit
international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 1, § 5) indiquent qu’il ne faut pas

290
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

stabilité du critère12 de la nationalité, permanence de la loi personnelle13. C’est donc


plus à une analyse comparée et pragmatique des avantages que peut présenter chaque
critère (nationalité, domicile, voire résidence habituelle) qu’il a fallu se livrer pour
justifier ce choix de la nationalité.

433. Le législateur français n’a pas renoncé, à titre de principe, à l’application de


la loi nationale en matière de statut personnel, mais on ne pourra que constater la
concurrence faite à cette loi par l’adoption de critères territoriaux (le domicile envisagé
sous une forme concrète ou la résidence habituelle). Comme l’a démontré M. Déprez, la
« dualité de rattachement » est devenue l’une des données permanentes des systèmes
nationalitaires partagés entre personnalisme et territorialisme. Le choix d’un critère de
rattachement territorial peut trouver son origine à la fois dans la volonté de tenir compte
du fait que les étrangers doivent être soumis à une loi qui soit le reflet de leur
appartenance – non pas juridique, mais qui résulterait des faits – à la communauté de
vie dans laquelle ils se sont établis, mais également dans celle de soumettre les
nombreux étrangers qui ont leur résidence habituelle sur le sol français à la loi française.
Cette volonté d’assurer la primauté de la loi locale du milieu de vie sur la loi
personnelle résulte en effet essentiellement du contexte migratoire de la France qui se
trouve confrontée à un phénomène d’immigration durable. Elle apparaît assez nettement
si l’on considère que, tout en conservant un critère de rattachement bilatéral fondé sur la
nationalité en matière d’état et de capacité des personnes, le droit français a, d’une part,
adopté des critères de rattachement territoriaux unilatéraux dans certains domaines du
statut personnel, d’autre part, estimé qu’en certaines hypothèses, les étrangers devaient
être directement soumis à la loi française considérée comme d’application immédiate.

exagérer la portée de l’argument dans la mesure où la certitude inhérente à la nationalité est « aujourd’hui
partiellement ruinée par la multiplication des cas de double nationalité ».
12
Il est de fait généralement plus aisé de changer de domicile, au sens continental du terme, que de
nationalité.
13
La loi doit suivre l’individu au-delà des frontières. Or, « la nationalité, parce qu’elle est stable, assure la
continuité du traitement juridique de la personne mieux qu’aucun autre rattachement » (B. A NCEL et
Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll.
Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 1, § 5). – V. aussi Y. LOUSSOUARN, La dualité des principes de nationalité
et de domicile en droit international privé. Rapport définitif et projet de résolution : Annales de l’IDI,
1987, t. 1, p. 295 s., spéc. p. 320-322. L’auteur souligne que la permanence serait, pour beaucoup
d’auteurs, « la raison d’être de la loi personnelle » ; il nuance également la supériorité de la loi nationale
quant à la permanence de la loi applicable car s’il y a surtout une différence de degré entre les deux
critères de nationalité et de domicile, le second apparaît également apte à assurer cette permanence.

291
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

434. Ces deux cas de figure dans lesquels apparaissent à la fois la nécessité
d’appliquer la loi française du milieu de vie et la volonté de prendre en considération
l’intégration effective des étrangers durablement installés dans la communauté
française, qui se traduisent à la fois par l’adoption de critères de rattachement
territoriaux dans la règle de conflit (Section 1) et par la soumission immédiate des
étrangers à la loi locale en dehors même de la règle de conflit (Section 2), seront
analysés.

SECTION 1. LA DÉSIGNATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DU MILIEU DE


VIE PAR LA RÈGLE DE CONFLIT

435. L’introduction de critères de rattachement territoriaux en matière de statut


personnel résulte principalement de deux arguments. L’un est purement technique et
résulte des défaillances du critère de la nationalité, impropre à résoudre certains conflits.
L’autre est plus politique et procède d’une volonté du droit français d’appliquer aux
étrangers qui vivent quotidiennement en France la loi de leur milieu de vie. Après avoir
constaté l’infléchissement de la règle de conflit en faveur de la loi du milieu de
vie (§ 1.), on étudiera les motifs de ce choix et les enjeux liés au contexte migratoire
français (§ 2.).

§ 1. L’infléchissement de la règle de conflit au profit de la loi du milieu de


vie

436. Il est des hypothèses où le critère de la nationalité, désigné comme élément


de rattachement par la règle de conflit, ne peut à l’évidence être appliqué à la situation
litigieuse. L’impossibilité est matérielle. La solution a été trouvée dans le choix d’un
critère de rattachement subsidiaire de nature territoriale. Mais on s’aperçoit, lorsqu'on se
réfère à la jurisprudence et à la doctrine, que l’on est progressivement passé d’un critère
de rattachement subsidiaire à l’élaboration d’une nouvelle règle de conflit (A.). Le

292
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

législateur français a ensuite clairement opté pour un critère territorial autonome


désignant la loi du milieu de vie (B.).

A. De la nécessité d’adopter un critère de rattachement territorial subsidiaire à la


volonté de retenir un critère de rattachement territorial autonome

437. Les premières dérogations à l’application de la loi nationale relèvent de


contingences purement techniques. Elles seront brièvement rapportées afin de mieux
souligner l’infléchissement de la règle de conflit en faveur d’un critère de rattachement
fondé sur la loi du milieu de vie.

438. Après le développement international de la doctrine de Mancini consistant à


considérer la catégorie du statut personnel le plus largement possible et à la soumettre
dans son ensemble à la loi nationale, et postérieurement à la Première Guerre mondiale,
un regain d’intérêt s’est manifesté en faveur de la loi du domicile14. Mais, initialement,
cette ferveur était probablement moins due à un engouement pour la loi du domicile que
parce que la loi nationale se révélait inapte à régir un certain nombre de situations15. En
effet, il y eut à cette époque une multiplication des mouvements de populations, la
France devint une terre d’immigration et dut accorder une plus large place à la loi du
domicile. L’abandon du système de la loi nationale au profit de la loi du domicile était
alors devenue une nécessité dans la mesure où le nombre de réfugiés et d’apatrides16 en
France s’était considérablement accru et où le rattachement à la loi nationale s’avérait
nécessairement inadéquat. Il convenait de leur attribuer un rattachement différent et
subsidiaire à défaut de nationalité. La convention des Nations Unies du 28 septembre
1954 décida que le statut personnel de l’apatride devait être régi par la loi de son
domicile ou, à défaut de domicile, par celle du pays de sa résidence17. La même solution

14
En faveur de la loi du domicile, v. les auteurs cités par H. B ATIFFOL, Traité élémentaire de droit
international privé : L.G.D.J., 3e éd., 1959, n° 381, n. 2.
15
Solution d’autant plus acceptée qu’elle conduit le plus souvent à la loi française si on considère que
l’immigrant est domicilié en France. Or, c’est l’application de la lex fori qui est alors recherchée, plus que
la loi nationale ou du domicile. Cette conception est nettement plus pragmatique qu’idéologique.
16
L’apatride peut n’avoir jamais reçu de nationalité à sa naissance ou l’avoir perdue à la suite du mariage
(ainsi, lorsque son mariage avec un étranger lui a fait perdre sa nationalité et ne lui a pas permis
d’acquérir celle de son conjoint), ou encore avoir été déchu de sa nationalité d’origine (V. B. AUDIT,
Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 1106).
17
Article 12, alinéa premier, de la convention (publiée par le décret n° 60-1066 du 4 octobre 1960).

293
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

fut retenue pour les étrangers réfugiés18, même ayant légalement conservé leur
nationalité, car ils ne bénéficient d’aucune protection de la part de leurs autorités
nationales, ce qui « caractérise assez bien le défaut d’effectivité in casu de la
nationalité »19. On peut noter que si la résidence n’est retenue qu’à défaut de domicile20,
la jurisprudence française ne semble pas y avoir eu recours21. En effet, la cour d'appel
de Paris a, dans deux décisions22, constaté l’existence du domicile en France d’un
apatride et considéré qu’elle supposait un établissement dans ce pays et une intégration
dans le milieu ambiant de vie. La Cour de cassation n’a jamais statué sur la question de
la loi applicable au statut personnel de l’apatride et n’a rendu qu’un seul arrêt sur celle
des réfugiés23.

18
Solution retenue par les conventions de Genève des 28 octobre 1933 (article 4) et 28 juillet 1951
(article 12).
19
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 2, L.G.D.J., 7e éd., 1983, n° 387.
20
En 1928, la Conférence de La Haye avait envisagé d’aborder la révision des conventions du 12 juin
1902 (pour régler les conflits de lois en matière de mariage ; pour régler les conflits de lois et de
juridictions en matière de divorce et de séparation de corps ; pour régler la tutelle des mineurs) et de deux
des trois conventions du 17 juillet 1905 (concernant les conflits de lois relatifs aux effets du mariage sur
les droits et les devoirs des époux dans leurs rapports personnels et sur les biens des époux ; concernant
l’interdiction et les mesures analogues) en ce qui concerne notamment la question de l’apatridie. Ces
travaux n’ont finalement pas eu de suite juridique, mais on peut souligner que les experts (en particulier
Neumeyer pour l’Allemagne) avaient décidé de soumettre les apatrides non à la loi de leur domicile, mais
à celle de leur résidence habituelle et, à défaut, à la simple résidence qu’ils possèdent. V. Actes de la VIe
session de la Conférence de La Haye de droit international privé, 1928, p. 110 s. – L’Allemagne a
d’ailleurs consacré ce principe dans l’article 5, alinéa 2 EGBGB : en matière de statut personnel, « dans le
cas d’une personne apatride ou dont la nationalité ne peut être déterminée, le droit applicable est celui de
l’état dans lequel se trouve sa résidence habituelle ou, à défaut, celui de l’état dans lequel elle réside ».
21
On peut noter que le premier projet de codification du droit international privé de 1950 et rédigé par
Niboyet prévoyait dans son article 28 que « La loi qui tient lieu pour un apatride de sa loi nationale est
celle du lieu de sa résidence habituelle ». V. Projet de droit international privé élaboré par la
Commission de réforme du Code civil : Rev. crit. 1950. 111 s., spéc. 114. – Le deuxième projet rédigé par
MM. Ancel, Batiffol et Georges Holleaux abandonna la critère de la résidence habituelle au profit du
domicile. Selon l’article II, alinéa 2 du projet, « Les apatrides et réfugiés sont soumis à leur loi du
domicile, et s’il est inconnu à la loi française ». V. le Deuxième projet de codification (1959) : Rev. crit.
1970. 832.
22
Paris, 7 juin 1947 : Rev. crit. 1948 527 ; Paris, 23 nov. 1954 : Rev. crit. 1956. 63, note Y. L. (dans cet
arrêt, la Cour a précisé que « des époux bénéficiant du statut de réfugiés et apatrides de fait sont soumis,
comme les apatrides de droit, pour tout ce qui concerne leur état et leur capacité à la législation du pays
où ils ont leur domicile, ou à défaut leur résidence habituelle, et au milieu social duquel ils sont désormais
intégrés »). V. également Orléans, 29 févr. 1928 : S. 1929. 2. 33, note E. Audinet ; Trib. civ. Seine,
24 mai 1932 : D. 1934. 2. 5, note M. Nast et les références citées par H. BATIFFOL, Traité élémentaire de
droit international privé : L.G.D.J., 3e éd., 1959, n° 387, n. 17.
23
Civ. 1re, 25 juin 1974 : Rev. crit. 1974. 678, note Ponsard ; JDI 1975. 330, obs. Deby-Gérard (pour la
décision d’appel, cf. Paris, 10 juin 1972 : D. 1973. 196, concl. Cabannes ; JDI 1974. 150, obs. Deby-
Gérard). Dans cette affaire, la Cour de cassation a estimé que la cour d'appel pouvait, sans faire état de la
convention de Genève de 1951, sur le seul fondement du droit commun, décider que l’intéressé avait la
qualité de réfugié domicilié en France et en déduire que son statut personnel se trouvait dès lors régi par
la loi française, quelle que fût sa nationalité.

294
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

439. La multiplication des déplacements de populations a engendré un autre


problème, plus délicat : celui du conflit des lois personnelles au sein d’une même
famille24. Lorsque la nationalité est le rattachement retenu pour régler les litiges en
matière de statut familial, comment statuer lorsque les différentes personnes concernées
par le rapport de droit ont des nationalités différentes ? Quelle loi appliquer pour
résoudre ce conflit positif ? Il était possible d’envisager une application cumulative ou
alternative des lois nationales en présence, ou encore distributive25, chacune des parties
étant régie par sa propre loi (système retenu par la Cour de cassation dans l’arrêt
Ferrari26, mais qui entraînait des « divorces boiteux »). L’application de la loi nationale
du mari fut également envisagée27. Une solution, dégagée par étapes, fut finalement
trouvée, à propos du divorce, par la Cour de cassation dans l’arrêt Rivière28 : si la loi
nationale commune régit en principe le divorce, à défaut de nationalité commune, « la
loi du domicile commun » doit s’appliquer. La substitution du domicile à la nationalité
en tant que facteur de rattachement pour les divorces d’époux de nationalités différentes
fut confirmée avec l’arrêt Lewandowski29. Dans l’arrêt Tarwid30, la Cour indiqua qu’à
défaut d’un établissement effectif des époux dans un même pays, il fallait appliquer la
loi du for, « en vertu de sa vocation subsidiaire générale »31. Par différents arrêts32, elle

24
La loi du 10 août 1927 (JO du 14 août 1927) ayant permis à la femme de conserver sa nationalité après
son mariage avec un étranger, le nombre de ménages composés d’époux de nationalités différentes a donc
beaucoup augmenté à cette époque. Il est certain, pour reprendre les termes de Batiffol (H. BATIFFOL,
note sous Civ. 1re, 17 avril 1953 : Rev. crit. 1953. 412, spéc. 421), que les mariages mixtes constituaient
« une vraie pierre d’achoppement à l’application de la loi nationale ».
25
V. sur ces trois applications possibles H. B ATIFFOL et P. LAGARDE, Droit international privé : t. 2,
L.G.D.J., 7e éd., 1983, n° 388.
26
Civ. 6 juill. 1922 : DP 1922. 1. 137 ; S. 1923. 1. 5, note Lyon-Caen ; Rev. crit. 1922. 244, rapport Colin
et note Pillet ; B. A NCEL et Y. LEQUETTE , Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit
international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 12 ; JDI 1922. 714.
27
V., par exemple, pour ces différentes possibilités qui s’offraient aux juges, B. ANCEL et Y. LEQUETTE,
Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts,
4e éd., 2001, n° 26, § 4.
28
Civ. 1re, 17 avril 1953 : Rev. crit. 1953. 412, note Batiffol ; JDI 1953. 860, note Plaisant ; JCP 1953. II.
7863, note J. Buchet.
29
Civ. 1re, 15 mars 1955 : Rev. crit. 1955. 320, note Batiffol ; JDI 1956. 146, note Goldman ; D. 1955.
540, note Chavrier ; JCP 1955. II. 8771, note Ponsard. La compétence de la loi du domicile commun est
affirmée par l’arrêt Rivière pour des époux domiciliés à l’étranger ; avec cet arrêt, on sait que la règle vaut
pour des époux domiciliés en France.
30
Civ. 1re, 15 mai 1961, 2e esp., Tarwid c. dame Wirtensohn : D. 1961. 437, note G. Holleaux ; Rev. crit.
1961. 547, note H. Batiffol ; JDI 1961. 734, note Goldman.
31
Dans l’arrêt Tarwid, les époux habitaient séparément dans des pays différents ; on leur a appliqué la loi
française du for. – Lorsque les époux de nationalités différentes vivent séparés mais dans le même pays,
on leur applique la loi de ce pays. Le recours à la lex fori était déjà proposé comme solution subsidiaire
par Batiffol dès 1959 (Principes de droit international privé : RCADI 1959-II, t. 97, p. 431 s., spéc.
p. 548). – V. également Civ. 1re, 30 oct. 1967, Yechilzuke c. dame Sesquin : Rev. crit. 1969. 479, note

295
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

précisa que c’était à une notion très concrète du domicile qu’il convenait de se référer.
Cette construction jurisprudentielle relative au divorce, faite de règles hiérarchisées, a
eu une importance exceptionnelle. Elle a été étendue à d’autres matières concernant les
relations entre époux33 : aux effets du mariage, notamment à l’obligation alimentaire34,
et aux donations mobilières entre époux35. On s’y est également référé, dans la mesure
où les différents membres de la famille n’avaient pas tous la même nationalité, en
matière de filiation légitime36, puis de légitimation37. Par ailleurs, de nombreux
systèmes juridiques étrangers se sont inspirés de la jurisprudence Rivière pour modifier
leurs règles de conflit ; des conventions bilatérales se référant à ce système ont
également été élaborées38. Pourtant, on verra39 que le législateur français s’est écarté de
cette construction jurisprudentielle sur plusieurs points précis.

Jacques Foyer. On peut noter que si la femme était légalement domiciliée chez son mari en ce qui
concerne les règles de compétence judiciaire, pour ce qui est de la loi applicable au divorce les
juridictions se sont référées à une notion très concrète du domicile, s’écartant à la fois de la notion de
domicile légal, et de celle de l’article 102 du Code civil. Sur ce point, cf. supra n° 68 s.
32
V. en particulier Civ. 1re, 22 févr. 1961, Dame Corcos c. son mari : D. 1961. 437, note G. Holleaux ;
Rev. crit. 1961. 382, note H. Batiffol ; JDI 1961. 734, note Goldman. – Civ. 1re, 15 mai 1961, 1re esp.,
Dame Ortiz c. son mari : D. 1961. 437, note G. Holleaux ; Rev. crit. 1961. 545, note H. B. – Civ. 1re,
15 mai 1961, 2e esp., Tarwid c. dame Wirtensohn : D. 1961. 437, note G. Holleaux ; Rev. crit. 1961. 547,
note H. Batiffol ; JDI 1961. 734, note Goldman. – Civ. 1re, 12 juin 1961, Garaccione : D. 1961. 437, note
G. Holleaux.
33
V., sur le principe de l’extension et les difficultés qui peuvent en résulter, P. LAGARDE, Destinées de
l’arrêt Rivière : JDI 1971. 241 s. et P. FRANCESCAKIS , Une extension discutable de la jurisprudence
Rivière. L’application de la loi du domicile commun à la filiation légitime : JDI 1956. 254 s.
34
Par le second arrêt Chemouni (Civ. 1re, 19 févr. 1963 : Rev. crit. 1963. 559, note G. H. ; JDI 1963. 568,
note Ponsard) : « la loi française régissait les effets du mariage d’époux de nationalité différente
domiciliés tous deux en France ».
35
Civ. 1re, 15 févr. 1966, Campbell-Johnston : D. 1966. 370, note P. Malaurie ; Rev. crit. 1966. 273, note
H. Batiffol ; JDI 1967. 95, note Goldman ; Rec. gén. des lois, 1966. 637, obs. G. Droz. Selon l’arrêt,
« une donation d’objets mobiliers entre époux de nationalité différente […] est soumise à la loi française,
loi du domicile commun, régissant les effets personnels du mariage ».
36
Paris, 21 juin 1955, Sobreviela : Rev. crit. 1955. 529, note Batiffol ; Civ. 1re, 4 nov. 1958, Moens : Rev.
crit. 1959. 309, note Francescakis. La loi des effets du mariage est appliquée à la filiation légitime.
37
Civ. 1re, 8 juill. 1969, Weyrich-Laroche : D. 1970. 1, note P. Malaurie ; JDI 1970. 303, note B. G ; JCP
1971. II. 16650, note H. Gaudemet-Tallon ; Rev. crit. 1971. 255, note A. Weill. – Civ. 1re, 3 mars 1970,
Bonomo : Gaz. Pal. 1970. I. 308 ; JCP 1971. II. 16650, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1970. 911, note
Goldman ; Rev. crit. 1971. 255, note A. Weill. Dans l’arrêt Bonomo, la Cour indique que « la légitimation
est, indépendamment de la reconnaissance, régie par la loi de la nationalité commune des époux ou, s’ils
sont de nationalités différentes, par celle du pays où ils ont ensemble ou séparément leur domicile effectif,
ou encore, à défaut d’un tel domicile, par la loi du for saisi ».
38
V. la convention franco-polonaise du 5 avril 1967 relative à la loi applicable, la compétence et
l’exequatur dans le droit des personnes et de la famille (D. du 13 févr. 1969 : JO du 22 févr. 1969,
p. 1969), article 8, et la convention franco-yougoslave du 18 mai 1971 relative à la loi applicable et à la
compétence en matière de droit des personnes et de la famille (D. du 15 mai 1973 : JO du 24 mai 1973,
p. 5640), article 8.
39
Cf. infra n° 446 s.

296
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

440. On pourrait simplement analyser le recours au critère du domicile comme ce


qu’il a sans doute été au départ : un facteur destiné à pallier une défaillance technique
du rattachement fondé sur la nationalité, impraticable dans certaines hypothèses. Certes,
la loi du domicile était sans doute en soi satisfaisante40, mais un examen plus détaillé
des solutions dégagées par la jurisprudence en ce qui concerne les conflits de lois
personnelles permet d’affirmer que le recours au critère de domicile n’a rapidement plus
été considéré comme un simple critère palliatif, un « remède »41 en cas de défaillance
du critère de la nationalité. Progressivement, les tribunaux ont en effet élaboré une
véritable règle de conflit, fondée sur le fait que des personnes installées en France de
manière suffisamment stable ont vocation à se voir appliquer la loi française. On peut
ainsi citer deux exemples de concessions faites par la jurisprudence à la loi du milieu de
vie effectif, qui sont venues restreindre le champ d’application de la loi nationale et
atténuer l’affirmation de principe du critère de la nationalité.

441. Le premier exemple s’est indirectement manifesté et résulte d’une


indulgence des tribunaux français à l’égard des époux domiciliés en France dont la loi
nationale commune interdisait le divorce. Ainsi, dans l’arrêt Bisbal de 195942, les
époux, tous deux espagnols, demandaient aux tribunaux français la conversion d’une
séparation de corps en divorce, à un moment où l’Espagne interdisait encore le divorce.
Le divorce fut prononcé sur le fondement de la loi interne française car les parties
n’avaient pas demandé aux juges du fond l’application de leur loi nationale étrangère
commune qui interdisait le divorce et qui était applicable selon la règle de conflit de lois
française. La soumission du divorce à la loi personnelle ne subsistait donc que si
l’époux défendeur l’invoquait43. Cette solution fut critiquée, et à juste titre, en
particulier par Batiffol : « beaucoup de tribunaux […] trouveront expédient de

40
C’est, de fait, l’élément commun aux intéressés de nationalités différentes.
41
V. P. LAGARDE, Destinées de l’arrêt Rivière : JDI 1971. 241, spéc. 245. – V. également H. BATIFFOL,
Le droit international privé français est-il fidèle à la loi nationale ? : Hommage d’une génération de
juristes au Président Basdevant, Éd. A. Pédone, 1960, p. 22 s, spéc. p. 34. Selon l’auteur, le domicile dans
la jurisprudence Rivière n’avait qu’une mission subsidiaire, celle d’un « rattachement de secours quand la
nationalité est inutilisable ».
42
Civ. 1re, 12 mai 1959 : Rev. crit. 1960. 62, note H. Batiffol ; JDI 1960. 810, note Sialelli ; D. 1960. 610,
note P. Malaurie ; JCP 1960. II. 11733, note Motulsky ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de
la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 32.
43
Ou si les juges du fond décident d’eux-mêmes de procéder à l’application des dispositions étrangères.
V. Civ. 1re, 2 mars 1960 : Rev. crit. 1960. 97, note H. Batiffol ; JDI 1961. 408, note B. Goldman ; JCP
1960. II. 11734, note H. Moltulsky ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence
française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 32-34.

297
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

prononcer le divorce entre époux étrangers établis en France conformément à la loi


française »44. Or, estime encore l’auteur, la jurisprudence « méconnaît que la position
légale est parfaitement cohérente : si deux époux espagnols domiciliés en France
trouvent la loi française plus convenable que la loi espagnole, qu’ils se fassent
naturaliser. Tant qu’ils restent espagnols, la règle de conflit les soumettant à leur loi
nationale ne devrait pas être ignorée volontairement par les juges »45. Cette opinion ne
laisse peut-être place à aucune concession, mais il y a effectivement dans cette
jurisprudence Bisbal une discordance certaine entre l’affirmation du principe de
rattachement à la loi nationale et l’application qui en est faite. Ce qui tend à prouver que
la jurisprudence ne souhaitait déjà plus simplement trouver une solution ponctuelle à un
conflit de lois personnelles ou pallier les défaillances techniques du rattachement de
principe à la nationalité, qu’elle affaiblissait ainsi le principe du rattachement à la loi
nationale au profit de la loi du milieu de vie dont bénéficiaient les époux étrangers
installés en France.

442. Le second exemple d’empiétement sur la loi nationale est plus flagrant et
tient à la solution adoptée pour répondre à la question de savoir quelle loi devait être
appliquée aux époux de nationalités différentes alors que leurs deux lois nationales
interdisaient le divorce. Cette question a divisé la doctrine. Certains auteurs, partisans
de la loi nationale et d’une application stricte de la règle, estimaient que si les deux lois
nationales prohibent le divorce, « celui-ci ne saurait être prononcé par l’application de
la loi du domicile commun »46 : « préférer la loi du domicile quand les deux lois
nationales sont concordantes est un abandon du principe de la loi nationale »47. Pour
d’autres, ne pas faire application de la loi du domicile commun au motif que l’une et
l’autre lois nationales prohibent le divorce, c’est méconnaître « que ces foyers, où

44
H. BATIFFOL, Une évolution possible de la conception du statut personnel dans l’Europe continentale,
in X Xth century comparative and conflicts law : Mélanges en l’honneur de Hessel E. Yntema,
A. W. Sythoff, Leyden, 1961, p. 295 s, spéc. p. 301.
45
H. BATIFFOL, Une évolution possible de la conception du statut personnel dans l’Europe continentale,
in X Xth century comparative and conflicts law : Mélanges en l’honneur de Hessel E. Yntema,
A. W. Sythoff, Leyden, 1961, p. 295 s, spéc. p. 305.
46
B. GOLDMAN , note sous Civ. 1re, 15 mars 1955 : JDI 1956. 146, spéc. 148. – V., pour les difficultés
pratiques que ne peut qu’occasionner une telle interprétation, G. A. L. D R O Z , Une construction
prétorienne exemplaire : la loi applicable au divorce d’époux de nationalités différentes en droit
international privé français, in De conflictu legum : Mélanges offerts à Roeland Duco Kollewijn et
Johannes Offerhaus à l’occasion de leurs soixante-dixième anniversaires, A. W. Sijthoff, Leyde, 1962,
p. 125 s., spéc. p. 130-132.

298
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

n’existent pas les traditions d’une formation et d’une langue commune, se rattachent en
fait de manière prépondérante aux mœurs, donc à la loi du lieu où ils sont établis »48. La
Cour de cassation a clairement pris position dans l’arrêt Corcos49. Dans cette affaire, la
femme était espagnole et le mari ne l’était pas ; il était peut-être apatride, mais la cour
d'appel a considéré qu’il n’était de toute façon « certainement pas de nationalité
espagnole » et que la loi française du domicile effectif commun aux deux époux devait
être appliquée. La Cour de cassation confirma cette interprétation : « le divorce d’époux
de nationalités différentes est, quelles que soient les dispositions des lois régissant leurs
statuts personnels respectifs, soumis à la seule loi de leur domicile effectif commun ».
Elle fit de même dans l’arrêt Garaccione50 alors que l’un des époux était français. Or,
faire abstraction du contenu de deux lois nationales qui concordent pour interdire le
divorce, alors que le rattachement de principe est la loi nationale, et le prononcer en
application de la loi du domicile, revient à considérer ce dernier critère comme
autonome : on doit « estimer que le rattachement au domicile est un rattachement
principal, qui trouve sa base dans la seule différence de nationalité des époux, et qui
coexiste avec le rattachement à la loi nationale, applicable lorsque les époux ont une
nationalité commune »51. Ainsi, « imperceptiblement, la loi nationale régressait »52, au
profit de la loi du domicile envisagé sous une forme très concrète53. Un mouvement
doctrinal en faveur d’un critère de rattachement désignant la loi du milieu de vie se
dessina et, lorsque le législateur français décida de réformer le droit de la filiation et

47
H. BATIFFOL, note sous Civ. 1re, 15 mars 1955, Lewandowski : Rev. crit. 1955. 320, spéc. 322. L’auteur
n’exprimait pas ici son opinion, mais reprenait simplement la thèse des partisans de la loi nationale.
48
H. BATIFFOL , note sous Civ. 1re, 22 févr. 1961 : Rev. crit. 1961. 383, spéc. 385. – V. également P.
Malaurie (note sous Civ. 1re, 17 nov. 1958 : D. 1959. 80, spéc. 81). Selon l’auteur, « il est bon que la loi
nationale continue à gouverner le mariage homogène, quel que soit l’endroit où il demeure, car ce foyer
porte en lui sa patrie ; lorsque les deux époux sont de nationalités différentes, le foyer est écartelé entre
elles, et il n’est plus marqué d’une empreinte nationale, il est en quelque sorte apatride, car avoir deux
nationalités c’est pour un couple n’en avoir aucune ; ainsi – comme pour les mariages d’apatrides – il est
convenable que la loi du domicile s’applique au mariage mixte […] qui s’intègre au milieu où on vit ».
49
Civ. 1re, 22 févr. 1961 : D. 1961. 437, note G. Holleaux ; Rev. crit. 1961. 382, note H. Batiffol ; JDI
1961. 734, note Goldman.
50
Civ. 1re, 12 juin 1961 : D. 1961. 437, note G. Holleaux. – V. les critiques de Francescakis sur les
conséquences de cette interprétation qui conduisent à l’impossibilité pour un Français d’obtenir le divorce
si le couple est domicilié à l’étranger dans un pays qui l’interdit : Une extension discutable de la
jurisprudence Rivière. L’application de la loi du domicile commun à la filiation légitime : JDI 1956.
254 s., spéc. 264 s.
51
G. A. L. D ROZ , Une construction prétorienne exemplaire : la loi applicable au divorce d’époux de
nationalités différentes en droit international privé français, in De conflictu legum : Mélanges offerts à
Roeland Duco Kollewijn et Johannes Offerhaus à l’occasion de leurs soixante-dixième anniversaires,
A. W. Sijthoff, Leyde, 1962, p. 125 s., spéc. p. 130-131.
52
D. MAYER, Évolution du statut de la famille en droit international privé : JDI 1977. 447 s., spéc. 450.
53
Sur ce point, cf. infra n° 77 s.

299
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

celui du divorce, il introduisit de nouvelles règles de conflit fondées sur des critères de
rattachement territoriaux.

B. Le choix d’un critère de rattachement territorial désignant la loi du milieu de


vie par le législateur français

443. À l’occasion de ses deux réformes sur la filiation et sur le divorce, le


législateur français a introduit un critère de rattachement territorial comme élément de
rattachement de la règle de conflit, limitant ainsi le principe de l’application de la loi
nationale en matière de statut personnel ; il a décidé d’opter pour la résidence habituelle
dans le premier cas, pour le domicile dans le second. Dans les deux hypothèses, c’est la
loi française du milieu de vie actuel des intéressés qui est désignée.

444. Jusqu’en 1972, l’établissement de la filiation et ses effets étaient régis, en ce


qui concerne la filiation légitime et la légitimation, par la loi des effets du mariage54, et
par la loi nationale de l’enfant pour la filiation naturelle. Depuis, il n’est plus fait de
différences entre les deux types de filiation, mais l’établissement de la filiation est
dissocié de ses effets55. Le critère de rattachement de principe en matière
d’établissement de la filiation est la loi nationale56. Cependant, un important
tempérament est apporté à ce principe par l’article 311-15 du Code civil : « Toutefois, si
l’enfant légitime et ses père et mère ont en France leur résidence habituelle, commune
ou séparée, la possession d'état produit toutes les conséquences qui en découlent selon
la loi française, lors même que les autres éléments de la filiation auraient pu dépendre
d’une loi étrangère ». La résidence habituelle s’entend « du lieu où vivent
habituellement et effectivement le père et/ou la mère avec l’enfant »57. Il est également

54
Par la loi nationale commune des époux, à défaut par la loi de leur domicile effectif commun, et à
défaut encore par la lex fori. Cf. supra n° 439.
55
Sur la loi applicable aux effets de la filiation, v. notamment H. B ATIFFOL et P. LAGARDE,
L’improvisation de nouvelles règles de conflit de lois en matière de filiation : Rev. crit. 1972. 1 s, spéc. 2.
56
Selon l’article 311-14 du Code civil, la loi nationale de la mère au jour de la naissance ; si la mère n’est
pas connue, la loi nationale de l’enfant.
57
Jacques FOYER : Rép. intern. Dalloz, V° Filiation, 1998, n° 57. – Mme Simon-Depitre et M. Jacques
Foyer (La loi du 3 janvier 1972 et le droit international privé : JCP 1973. I. 2566, n° 31-32) ont souligné
qu’il était caractéristique de l’évolution selon laquelle on remplace en droit international privé, dans les
législations internes ou dans les conventions, le concept de domicile par celui de la résidence habituelle et
que la jurisprudence française suivait déjà cette voie dans sa jurisprudence sur le divorce, en particulier
avec les arrêts Lewandowski, Corcos et Tarwid. On peut donc supposer que, selon les auteurs, la
jurisprudence relative au divorce et à la notion de domicile effectif commun et l’article 311-15 du Code
civil qui retient la résidence habituelle font appel à une même notion, en utilisant deux vocables
différents.

300
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

fait référence à la résidence habituelle dans l’article 311-18 du Code civil, relatif à
l’action à fin de subsides : « L’action à fin de subsides est régie, au choix de l’enfant,
soit par la loi de sa résidence habituelle, soit par la loi de la résidence habituelle du
débiteur ». Mais dans la mesure où cette règle de conflit à finalité matérielle s’est
révélée contraire aux dispositions des conventions de La Haye de 1956 et 1973 sur la loi
applicable en matière d’aliments, il a perdu tout intérêt, le second texte conventionnel,
d’application universelle, l’ayant même « rendu caduc »58. Cependant, l’utilisation du
critère de la résidence habituelle prouve la volonté de se référer, en droit français, à la
loi du milieu de vie de l’intéressé.

445. L’un des souhaits des rédacteurs de l’article 311-15 du Code civil était de
faire profiter, le plus largement possible, les enfants étrangers des nouvelles dispositions
de la loi française relatives à la possession d'état59, de protéger l’enfant qui vit en France
et, selon certains commentateurs, ce résultat apparaissait « d’autant plus souhaitable que
la France est un pays d’immigration où sont installées de nombreuses familles
étrangères »60. Le caractère unilatéral du texte démontre clairement la volonté du
législateur d’étendre le domaine d’application de la loi française au détriment des lois
étrangères qui seraient compétentes en application de l’article 311-14 du Code civil
lorsque la résidence habituelle des parties se trouve en France. La qualification de loi de
police a d’ailleurs pu être évoquée pour ce texte61, mais elle a également été contestée62.
L’article 311-15 du Code civil fut pourtant critiqué par la doctrine et dans la pratique, il
n’a d’ailleurs pas eu le succès escompté63. Sa rareté d’application peut surprendre dans
la mesure où il permet effectivement aux enfants étrangers qui vivent habituellement en
France de faire établir leur lien de filiation, et, de ce fait, il aurait pu faire l’objet d’une
application beaucoup plus fréquente, en particulier aux enfants naturels dont la loi
nationale de la mère (ou la leur) interdit l’établissement de la filiation64 ; mais il est

58
P. BOUREL et H. MUIR-WATT, Filiation : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 548-10, 1999, n° 138.
59
M. SIMON-DEPITRE et JACQUES FOYER, La loi du 3 janvier 1972 et le droit international privé : JCP
1973. I. 2566, n° 38.
60
P. BOUREL et H. MUIR-WATT, Filiation : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 548-10, 1999, n° 71.
61
V., en ce sens, Jacques F OYER : Rép. intern. Dalloz, V° Filiation, 1998, n° 52. Sur ce point, cf. infra
n° 486.
62
V. H. BATIFFOL, et P. LAGARDE, L’improvisation de nouvelles règles de conflit de lois en matière de
filiation : Rev. crit. 1972. 1 s., spéc. 9 s.
63
V. Jacques FOYER, Vingt ans d’application des articles 311-14 à 311-18 du Code civil : Mélanges à la
mémoire de Danièle Huet-Weiller, L.G.D.J., 1994, p. 127 s., spéc. p. 129-130.
64
La loi n° 82-536 du 25 juin 1982 a permis l’établissement de la filiation par possession d'état. On verra
que se référer à ce texte a perdu, aujourd’hui, une grande partie de son intérêt dans la mesure où la

301
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

également vrai que la preuve de la possession d'état se révèle particulièrement difficile à


établir lorsque le père supposé n’a entretenu aucune relation avec l’enfant et sa mère65.

446. Trois ans après la réforme de la filiation, celle du divorce devait également
retenir un facteur de rattachement de nature territoriale, mais c’est au domicile que le
législateur français s’est référé. En 1967, alors que la jurisprudence Rivière faisait
l’unanimité, M. Jean Foyer réunit un groupe de travail visant à la codification des règles
de droit international privé66. L’article 2295 du Code civil envisagé prévoyait que : « le
divorce et la séparation de corps sont régis par la loi nationale des époux lorsqu'elle est
commune, sinon par la loi du pays où ils ont leur domicile et à défaut par celle du
tribunal saisi »67. Qualifié d’« improvisé »68, l’article 310 du Code civil, issu de la
réforme de 1975 sur le divorce, ne reprit absolument pas ces dispositions. Il est, de fait,
en totale rupture avec le droit antérieur, tel qu’élaboré par la jurisprudence puisque,
selon le texte finalement adopté, « le divorce et la séparation de corps sont régis par la
loi française : 1. lorsque l’un et l’autre des époux sont de nationalité française ; 2.
lorsque les époux ont, l’un et l’autre, leur domicile sur le territoire français ; 3. lorsque
aucune loi étrangère ne se reconnaît compétence, alors que les tribunaux français sont
compétents pour connaître du divorce ou de la séparation de corps ».

447. La règle de conflit jurisprudentielle soumettait jusqu’alors les époux de


même nationalité à leur loi nationale commune, ce qui permettait notamment d’assurer
une continuité du statut personnel des époux à travers les frontières69 ; or, ce chef
d’application de la loi nationale disparaît. Désormais, on ne distingue plus entre époux
de même nationalité et époux de nationalités différentes : les époux domiciliés en
France sont tous soumis à la loi française (mais les époux français domiciliés à

jurisprudence considère désormais que la loi étrangère qui prohibe l’établissement de la filiation de
l’enfant qui a sa résidence en France doit être écartée sur le fondement de l’ordre public de proximité. Sur
ce point, cf. infra n° 605 s.
65
V. A. HUET, La filiation en droit international, in Statut et protection de l’enfant : La Documentation
française, Coll. Les études du Conseil d’État, 1991, p.179 s., spéc. p. 180.
66
Ce fut le troisième projet de codification (cf. le texte du projet Rev. crit. 1970. 835), après celui de
Niboyet de 1948 (cf. Rev. crit. 1950. 111), de Batiffol de 1959 (cf. Rev. crit. 1970. 832).
67
Rev. crit. 1970. 843.
68
P. FRANCESCAKIS, Le surprenant article 310 nouveau du Code civil sur le divorce international : Rev.
crit. 1975. 553 s., spéc. 554. – Le même qualificatif avait déjà été retenu par la doctrine pour les règles
adoptées en 1972 à propos de la filiation. V. H. BATIFFOL et P. LAGARDE, L’improvisation de nouvelles
règles de conflit de lois en matière de filiation : Rev. crit. 1972. 1 s.
69
V. P. FRANCESCAKIS, Le surprenant article 310 nouveau du Code civil sur le divorce international :
Rev. crit. 1975. 553 s., spéc. 578.

302
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

l’étranger sont également soumis à leur loi nationale française). L’article 310 assujettit
en effet à la loi française non seulement les deux époux étrangers de nationalités
différentes (le couple pouvant être franco-étranger), mais également de même
nationalité, s’ils sont domiciliés en France70.

448. Pour justifier l’application aux époux étrangers de la loi française, on fit
particulièrement valoir comme arguments à la fois ce contexte de l’immigration, déjà
invoqué en 1972 pour l’article 311-15 du Code civil, et l’idée d’intégration des
étrangers installés en France. M. Jean Foyer a estimé, en effet, que si la règle
jurisprudentielle sur le divorce apportait une solution satisfaisante au divorce d’époux
de nationalités différentes (application de la loi du domicile si les deux époux étaient
domiciliés en France ; à défaut, de la loi du for), elle « méconnaissait l’existence sur le
territoire français de plusieurs centaines de milliers de ménages dont les deux époux,
étrangers, sont de même nationalité ». Il précisa que « nombre d’entre eux, et sans doute
la très grande majorité, a perdu l’esprit de retour. […] Les maintenir sous l’empire de
leur loi nationale commune revient à les traiter en droit comme les membres d’une
communauté nationale dont ils sont sortis en fait, les assujettit à une loi qui est le reflet
et de principes et de mœurs qui ne sont plus ceux de leur actuel environnement »71. On
se fonde donc sur le fait que les étrangers domiciliés en France sont appelés à y résider
longtemps, voire « à un moment ou à un autre de leur existence » à devenir français72
pour justifier l’option du critère domiciliaire. La volonté de faire bénéficier des
dispositions françaises les étrangers installés en France apparaît nettement. Il y a là un
abandon de la loi nationale au profit de la loi du domicile – mais seulement pour les
étrangers – qui s’induit de la nature de l’immigration, d’un contexte sociologique, et qui
traduit une véritable politique d’intégration.

70
Si le couple est franco-étranger, que les époux sont domiciliés dans deux États différents et que les
juridictions françaises sont compétentes, la situation relève désormais de la troisième hypothèse visée par
l’article et il convient de rechercher la loi étrangère qui se reconnaît compétence. – Certains auteurs, dont
Francescakis (Le surprenant article 310 nouveau du Code civil sur le divorce international : Rev. crit.
1975. 553 s., spéc. 585), se sont montrés particulièrement critiques sur ce point, estimant que le
législateur avait tout simplement oublié ce cas de figure. – Contra : M. SIMON-DEPITRE, Le nouvel
article 310 du Code civil : JDI 1976. 823 s., spéc. 826.
71
Jean FOYER, Tournant et retour aux sources en droit international privé ? (l’article 310 nouveau du
Code civil) : JCP 1976. I. 2762, n° 12.
72
Jean FOYER, cité par H. GAUDEMET-TALLON, Divorce : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 547-10, 1996, n° 13.

303
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

449. La question s’est posée de savoir ce qu’il convient d’entendre par


« domicile en France ». On a vu qu’il peut être plus difficile en droit international qu’en
droit interne de déterminer si l’étranger a acquis un domicile en France et que la
jurisprudence avait consacré des définitions autonomes de la notion, diversement
interprétées selon l’objectif de la règle de conflit73. Elle s’est ainsi très nettement écarté
du domicile tel que déterminé par les articles 102 et suivants du Code civil en se
référant à un « domicile effectif commun »74, à une « habitation commune en France » ;
elle considérait que « le divorce d’époux de nationalité différente est soumis à la loi du
pays où tous deux sont intégrés par un établissement effectif, alors même qu’ils y vivent
séparés »75. L’ensemble de la jurisprudence relative au divorce reflétait, pour reprendre
les termes de Georges Holleaux76, « le parti pris de soumettre délibérément les effets
personnels du divorce […] d’un ménage mixte au droit du milieu social et juridique où
il vit ». C’est une « solution qui répond à la réalité des choses ». Or, alors que le
législateur français adoptait la notion de résidence dans de multiples branches du droit
français77, ce qui traduisait une nette volonté de tenir compte de critères réalistes, on
peut s’interroger sur les raisons du choix du critère de domicile en matière de divorce,
alors que les notions de domicile en matière de divorce et de résidence habituelle
paraissent avoir le même sens.

450. Selon M. Jean Foyer78, qui fut à l’origine de ce texte, « la pensée du


législateur n’a pas été de transformer la France en un autre Nevada. La condition de la
compétence de la loi française est celle du domicile de l’un et l’autre époux sur le
territoire français ». C’est de manière volontaire que la formulation est en retrait par
rapport à la jurisprudence relative au divorce précédemment évoquée qui se référait au

73
Cf. supra n° 62 s.
74
V. Civ. 1re, 22 févr. 1961, Dame Corcos c. son mari : D. 1961. 437, note G. Holleaux ; Rev. crit. 1961.
383, note Henri Batiffol. – Civ. 1re, 15 mai 1961, 1re esp., Dame Ortiz c. son mari : D. 1961. 437, note
G. Holleaux ; Rev. crit. 1961. 545, note H. B. – Civ. 1re, 15 mai 1961, 2e esp., Tarwid c. dame
Wirtensohn : D. 1961. 437, note G. Holleaux ; Rev. crit. 1961. 547, note H. Batiffol. – Civ. 1re, 12 juin
1961 : D. 1961. 437, note G. Holleaux.
75
Civ. 1re, 30 oct. 1967, Yechilzuke c. dame Sesquin : Rev. crit. 1969. 479, note Jacques Foyer. V. déjà
Civ. 1re, 15 mai 1961 : Rev. crit. 1961. 547, note H. Batiffol ; D. 1961. 437, 3e esp., note G. Holleaux ;
JDI 1961. 734, note B. Goldman.
76
G. HOLLEAUX, note sous Civ. 1re, 22 févr., 15 mai (2 arrêts) et 12 juin 1961 : D. 1961. 437, spéc. 440.
77
Cf. supra n° 5 s.
78
Jean FOYER, Tournant et retour aux sources en droit international privé ? (l’article 310 nouveau du
Code civil) : JCP 1976. I. 2762, n° 15.

304
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

« domicile effectif commun »79. Il s’en est expliqué : la réforme de 1975 a fait
disparaître le domicile légal de la femme mariée chez son mari ; dès lors, il n’était plus
nécessaire de parler « d’établissement effectif » : « le terme de domicile ferait
l’économie d’une notion nouvelle ». C’est à la notion de domicile de l’article 102 du
Code civil, en tant que lieu du principal établissement, qu’il convient, selon l’auteur, de
se rapporter pour voir si les époux sont tous deux domiciliés en France. La perspective
de réécriture du titre du domicile au livre Ier du Code civil (laquelle était espérée pour le
printemps 1976, mais n’a jamais vu le jour) était l’autre considération déterminante du
fait que l’on retienne le domicile80.

451. Cependant, même si une conception stricte de la notion de domicile est


préconisée, c’est par une formulation identique à celle des décisions précitées sur le
divorce81 que la cour d’appel de Metz82, dans un arrêt rendu le 28 janvier 1992, a
précisé que le divorce est régi par la loi française « notamment lorsque les époux ont
l’un et l’autre leur domicile sur le territoire français. […] Cette notion de domicile
commun est interprétée par la Cour de cassation comme signifiant l’établissement
effectif dans un même pays […]. La durée et l’implantation des époux N. en France et
le fait qu’ils y demeurent encore montrent qu’ils y ont leur établissement effectif, et

79
V. pourtant le Rapport de Jean Gaudeffroy au nom de la commission des lois, n° 368 (1974-1975) qui
évoque « la loi du domicile commun, cette notion étant interprétée par la Cour de cassation comme
signifiant "établissement effectif dans le même pays" ».
80
Jean FOYER, Tournant et retour aux sources en droit international privé ? (l’article 310 nouveau du
Code civil) : JCP 1976. I. 2762, n° 16.
81
V. Civ. 1re, 22 févr. 1961, Dame Corcos c. son mari : D. 1961. 437, note G. Holleaux ; Rev. crit. 1961.
382, note H. Batiffol et Civ. 1re, 12 juin 1961 : D. 1961. 437, note G. Holleaux. Dans cet arrêt, la Cour de
cassation entend par « domicile effectif commun » une « habitation commune en France ». – Civ. 1re,
15 mai 1961, 2e esp., Tarwid c. dame Wirtensohn : D. 1961. 437, note G. Holleaux ; Rev. crit. 1961. 547,
note H. Batiffol ; JDI 1961. 734, note Goldman. L’application de la loi du domicile commun est
clairement liée dans l’arrêt Tarwid au fait que les époux sont « tous deux intégrés au milieu local par un
établissement effectif dans le même pays ». Les époux habitaient « séparément dans des pays
différents » ; la loi française a été appliquée, mais en tant que loi du for : « toute intégration effective dans
un milieu défini ayant disparu, la loi du for s’applique en vertu de sa vocation subsidiaire générale ». – V.
également B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit
international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 26, § 5. – V. G. A. L. DROZ , Une
construction prétorienne exemplaire : la loi applicable au divorce d’époux de nationalités différentes en
droit international privé français, in De conflictu legum : Mélanges offerts à Roeland Duco Kollewijn et
Johannes Offerhaus à l’occasion de leurs soixante-dixième anniversaires, A. W. Sijthoff, Leyde, 1962,
p. 125 s., spéc. p. 136. L’auteur approuve la solution de l’arrêt Tarwid : « puisque les époux ne
s’entendent pas, il n’y a aucun sens à attacher de l’importance à leur improbable cohabitation ; ce qui
compte, c’est que les époux restent tous deux intégrés dans le pays aux mœurs duquel ils se sont ralliés ».
82
Metz, 28 janv. 1992 : Rev. crit. 1993. 29, note H. Muir-Watt.

305
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

donc leur domicile au sens de l’article 310 du Code civil »83. Il s’agit donc bien de
désigner la loi du milieu dans lequel les époux, même séparés, vivent84 et sont intégrés.
Il suffit d’établir que le couple est installé de manière suffisamment stable sur le
territoire français pour que la loi française soit appliquée à leur divorce ; c’est donc à
une notion très concrète que la jurisprudence se réfère et la composante intentionnelle
du domicile n’est, comme l’a souligné Mme Muir-Watt, autre chose que la condition
d’effectivité du lien considéré85. On peut dès lors considérer que les notions de domicile
en matière de divorce et de résidence habituelle, toutes deux représentatives d’un
établissement suffisamment stable des époux en un lieu, se confondent. En pratique, il
ne peut être établi de distinctions entre les deux éléments localisateurs.

452. Cette volonté d’appliquer la loi française aux étrangers installés sur le sol
français, qui apparaît nettement dans la présentation de la réforme sur le divorce faite
par M. Jean Foyer86 et se traduit par le choix d’un critère de rattachement unilatéral
désignant la loi du milieu de vie des intéressés, est également exprimée de manière plus
générale par une partie de la doctrine qui estime que la France pourrait réduire un peu
plus le champ d’application de la loi du pays d’origine en matière de statut personnel au
profit de la loi du pays d’établissement. Diverses justifications, toutes liées au contexte
migratoire de la France, doivent être analysées.

83
V. H. MUIR-WATT, note sous Metz, 28 janv. 1992 : Rev. crit. 1993. 29. Selon l’auteur (op. cit, p. 31), la
définition du domicile posée par les arrêts Corcos-Tarwid-Ortiz « avait acquis une fermeté suffisante pour
résister aux turbulences qui devaient affecter, quelque quinze années plus tard, la formulation de la règle
de conflit qu’elle desservait ».
84
V. L. I. DE W INTER , Le principe de la nationalité s’effrite-t-il peu à peu ?, in De conflictu legum :
Mélanges offerts à Roeland Duco Kollewijn et Johannes Offerhaus à l’occasion de leurs soixante-dixième
anniversaires, A. W. Sijthoff, Leyde, 1962, p. 514 s., spéc. p. 520. La loi de la résidence habituelle des
époux est celle du pays où ils vivent.
85
H. MUIR-WATT, note sous Metz, 28 janv. 1992 : Rev. crit. 1993. 29 s., spéc. 34. Selon l’auteur, la durée
du séjour des étrangers « n’est pas seulement retenue en tant qu’elle confirme la présence de la
composante matérielle du domicile ; elle est considérée comme étant révélatrice de l’intention des époux
de rester en France de façon durable » (op. cit. p. 33).
86
Jean FOYER, Tournant et retour aux sources en droit international privé ? (l’article 310 nouveau du
Code civil) : JCP 1976. I. 2762.

306
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

§ 2. La désignation de la loi du milieu de vie et les enjeux liés au contexte


migratoire

453. Les chiffres établis d’après le dernier recensement de 1999 indiquent qu’il y
aurait 4,3 millions d’immigrés87 présents sur le territoire français, et 3,2 millions
d’étrangers88. Selon le Haut Conseil à l’intégration89, l’immigration en France apparaît
comme durable90 et se caractérise également par le fait qu’elle est familiale91 et
diversifiée quant à l’origine des migrants92. La France peut donc être considérée comme

87
Selon la définition du Haut Conseil à l’intégration (Liens culturels et intégration : La Documentation
française, juin 1995, p. 14), les immigrés sont des personnes nées étrangères à l’étranger et qui vivent en
France ; elles peuvent être restées étrangères ou avoir acquis la nationalité française. Le lieu de naissance
de l’étranger est la caractéristique invariable.
88
A. LEBON , Immigration et présence étrangère en France en 1999. Premiers enseignements du
recensement : La Documentation française, 2001, p. 10 et J. BOËLDIEU et C. BORREL, Recensement de la
population 1999, la population d’immigrés stable depuis 25 ans : Insee Première, n° 748, nov. 2000. La
population totale en France à cette date est de plus de 60 millions d’habitants. En France métropolitaine,
90,4 % des personnes recensées sont françaises de naissance ; 4 % françaises par acquisition ; 5,6 % des
personnes sont étrangères. – La population étrangère est composée des personnes ayant déclaré une
nationalité autre que la nationalité française ; seul le critère juridique de la nationalité compte (ces
étrangers peuvent être nés en France ou à l’étranger ; dans cette dernière hypothèse, ils sont également
immigrés).
89
Haut Conseil à l’intégration, Conditions juridiques et culturelles de l’intégration : La documentation
française, Coll. des Rapports officiels, Rapport au Premier ministre, mars 1992, p. 13 s.
90
Le Haut Conseil à l’intégration (Conditions juridiques et culturelles de l’intégration : La
documentation française, Coll. des Rapports officiels, Rapport au Premier ministre, mars 1992, p. 13)
précise en effet que « tout donne à penser que les personnes entrées en France […] s’y installeront
définitivement » et qu’à terme, elles « contribueront au peuplement français » (op. cit., p. 13). – Comp.
avec l’intervention de Mme Labrusse de 1976 (La compétence et l’application des lois nationales face au
phénomène de l’immigration étrangère : TCFDIP 1975-1977, p. 111 s., spéc. p. 116) qui indiquait qu’il
était très difficile d’apprécier la durée du séjour des étrangers en France. Elle a distingué trois groupes
d’étrangers : pour nombre d’étrangers, la durée de trois ans serait un seuil important à l’issue duquel il y a
un retour ou une prolongation du séjour ; dans le deuxième groupe, majoritaire, les étrangers n’ont pas
perdu d’esprit de retour, mais le séjour se prolonge sans que l’on puisse affirmer qu’il s’agit de véritables
migrants. Certains étrangers, représentants du troisième groupe et minoritaires, restent finalement de
manière définitive. – Comp. également avec les derniers chiffres de l’immigration, de 2001, publiés dans
le rapport de A. LEBON, Migrations et nationalité en France en 2001 : La Documentation française, 2003,
p. 7 et 9. Le volume total de l’immigration « à caractère permanent » qui correspond au nombre de
personnes qui ont acquis pour la première fois un titre de séjour d’une durée au moins égale à un an a été
évalué à 140 953 personnes, dont 33 490 ressortissants de l’Espace économique européen et 107 463
étrangers des pays tiers.
91
Les chiffres de 2001 relatifs à l’immigration à caractère permanent indiquent que le caractère familial
de l’immigration s’applique en particulier aux ressortissants des pays hors Espace économique européen.
Le motif familial de l’immigration (i.e. regroupement familial, membres de familles de Français,
membres de familles de réfugiés et apatrides, les étrangers détenteurs d’un titre de séjour « vie privée et
familiale ») concerne 33 % des ressortissants de l’Espace économique européen et 70 % des ressortissants
de pays tiers. V. A. LEBON , Migrations et nationalité en France en 2001 : La Documentation française,
2003, p. 10.
92
A. LEBON , Immigration et présence étrangère en France en 1999. Premiers enseignements du
recensement : La Documentation française, 2001, p. 10. Le rapport indique que 43,5 % des étrangers
seraient originaires d’Afrique (dont 34,8 % du Maghreb), 41,4 % d’Europe au sens large (dont 36,6 % de

307
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

un pays d’immigration, même si le nombre d’émigrants, qui est en augmentation, est de


l’ordre de 1,5 à 2 millions de Français93.

454. On a souvent placé le débat relatif à l’opposition entre la loi nationale et la


loi du domicile sur le terrain des phénomènes migratoires : les États dont la population
émigre, soucieux de maintenir leur souveraineté, retiendraient le principe de la
nationalité pour pouvoir conserver des liens juridiques étroits avec leurs
ressortissants94 ; les États confrontés à une forte immigration choisiraient d’appliquer le
principe du domicile, notamment parce qu’il favoriserait l’assimilation des étrangers.
Pour certains auteurs, cette présentation très tranchée du problème ne correspondrait
plus vraiment à la réalité95 et l’on sait que, de fait, la France, pays d’immigration, n’a
pas renoncé au principe d’application de la loi nationale en matière de statut personnel96
même si, dans le même temps, la portée du principe de la nationalité se trouve
amoindrie du fait de l’adoption, notamment dans les textes internationaux, de critères de
rattachement de nature territoriale. On doit considérer que la concurrence ainsi faite à la
loi nationale par le développement de critères territoriaux – résidence habituelle ou
domicile – est devenue, comme le souligne M. Déprez97, l’« une des données
permanentes des systèmes nationalitaires, désormais partagés en leur sein même par une
dualité de rattachement ». Si finalement rien ne permet d’affirmer, comme l’a indiqué

l’Union européenne), 12,5 % d’Asie (dont 6,4 % de Turquie) et 2,5 % d’Amérique. La répartition en
pourcentage par continent d’origine est assez similaire à celle du précédent recensement de 1990, mais
des changements intra-continentaux se sont produits (op. et loc. cit.). Parmi la centaine de nationalités
étudiées, il suffit de trois (les Portugais, Marocains et Algériens) pour former 47 % de la population
étrangère. Avec quatre nationalités supplémentaires (les Turcs, les Italiens, les Espagnols et les
Tunisiens), la proportion atteint plus de 69 % (op. cit., p. 11).
93
V. B. GENTIL, La population française immatriculée à l’étranger est en forte hausse : Insee Première,
n° 919, août 2003. – Sur la question des Français de l’étranger, cf. infra n° 570.
94
V. J. COSTA-LASCOUX, De l’immigré au citoyen : La Documentation française, Coll. Notes et études
documentaires, 1989, p. 137. Selon l’auteur, pour ces États, « la nationalité a valeur de symbole ».
95
Ainsi, selon M. Bucher (La famille en droit international privé : RCADI 2000, t. 283, p. 9 s., spéc.
p. 31), la double expression "émigration/immigration" est « caractéristique des mouvements migratoires
homogènes, fréquents au XIXe siècle, impliquant le transfert de population en grand nombre, quittant leur
terre d’origine à la recherche d’un avenir meilleur dans un pays souvent lointain. La même expression est
en revanche inappropriée pour les déplacements de réfugiés ou de demandeurs d’asile au XXe siècle. Elle
ne peut caractériser non plus les migrations de travailleurs ». L’image de l’émigration et de l’immigration
« sous-entend l’existence d’un mouvement collectif et en principe irréversible », alors qu’aujourd’hui les
mouvements migratoires se présentent généralement comme « la somme de migrations individuelles ».
96
D’ailleurs la France était déjà un pays d’immigration au X I Xe siècle. Dans les années vingt,
l’immigration étrangère est massive ; elle est devenue le second pays d’immigration après les États-Unis
et le premier par rapport au nombre d’habitants. V. F. DAGUET et S. THAVE, La population immigrée. Le
résultat d’une longue histoire : Insee Première, n° 458, juin 1996.

308
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

Mme Labrusse98, « qu’il existe un lien de causalité, ni même de corrélation entre le fait
de l’immigration et le contenu des règles de droit international privé », il apparaît que
les règles de conflit de lois évoquées, relatives à la filiation ou au divorce, sont des
exemples qui révèlent notamment « la volonté du législateur de prendre en
considération les phénomènes migratoires pour induire de leurs caractères prétendus le
contenu des règles de conflit de lois ». Le fait de tenir compte du contexte migratoire
n’est donc pas seulement l’apanage du droit de la nationalité ou de la condition des
étrangers.

455. Quel lien y a-t-il entre le phénomène de l’immigration et le contenu de la


règle de conflit de lois ? Le droit doit-il opter pour un critère de rattachement territorial
parce que l’on estime que les étrangers se sont déjà intégrés par leur présence durable à
la communauté et au système juridique français (on consacre alors juridiquement une
situation de fait : on appliquerait à ces étrangers la loi française de leur milieu de vie
parce qu’ils entretiennent les liens les plus étroits avec le système juridique français), ou
parce qu’appliquer le droit local permet de réaliser cette intégration (auquel cas on se
place dans le cadre d’une politique plus volontariste ; appliquer la loi locale ferait partie
du processus d’intégration) ? Les deux points de vue, le premier selon lequel les
étrangers ont vocation à se voir appliquer la loi locale car ils sont déjà intégrés à la
communauté française (A.), le second selon lequel on leur applique cette loi dans un
objectif d’intégration provoquée (B.), qui ne sont d’ailleurs pas exclusifs l’un de l’autre,
doivent être étudiés.

A. La désignation de la loi du milieu de vie justifiée par l’idée d’une intégration


réalisée des étrangers dans la communauté française

456. Il est difficile de mesurer l’intégration des étrangers à la communauté


française car, pour ce faire, il faut se fonder sur des considérations non seulement
juridiques, mais également sociologiques et anthropologiques99. Une enquête nationale,

97
J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations
entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI
1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 153.
98
C. LABRUSSE, La compétence et l’application des lois nationales face au phénomène de l’immigration
étrangère : TCFDIP 1975-1977, p. 111 s., spéc. p. 113.
99
Il convient de trouver des paramètres indicateurs d’intégration pour quantifier le degré d’intégration. Ils
peuvent être très divers. V. par exemple le Rapport au Premier ministre, La connaissance de

309
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

initiée par la mission de recherche « Droit et justice » ayant pour thème « L’étranger
face et au regard du droit », avait pour objectif de déterminer quels sont les rapports que
les communautés étrangères présentes sur le territoire français entretiennent avec le
droit, en particulier le droit de la famille100. Les différents rapports nationaux et le
rapport de synthèse mettent en évidence le pluralisme, l’hétérogénéité des situations
décrites. La diversité dans l’origine géographique des populations concernées, la
diversité dans les situations personnelles (première ou seconde génération de migrants,
circonstances de l’immigration, durée de la présence en France, origine socioculturelle
et âge des intéressés, etc.), la diversité dans les domaines du droit concernés sont autant
d’éléments dont il convient de tenir compte. Les rapports soulignent une acculturation
juridique graduée, nuancée101, des populations étrangères102 : les pratiques et usages qui
ont cours dans les pays d’origine peuvent subsister dans la société d’accueil103, mais ne
sont pas incompatibles en tant que tels avec un respect des normes françaises104.

457. Il semble difficile d’affirmer que le droit français doit retenir un critère de
rattachement territorial pour résoudre les conflits de lois en matière de statut personnel
au motif que les étrangers installés en France sont intégrés à la population française et
qu’ils souhaitent qu’on leur applique à ce titre la loi française. M. Jean Foyer a argué, au
moment de l’adoption de la réforme du divorce, du fait que maintenir les étrangers

l’immigration et de l’intégration : La Documentation française, Coll. des Rapports officiels,


décembre 1992 (spéc. le chapitre 3, Peut-on mesurer l’intégration ?, p. 55 s.).
100
V. le rapport remis par le Centre de droit de la famille de Lyon, L’étranger face et au regard du droit,
sous la direction de Hugues Fulchiron : Ministère de la Justice, Mission de recherche « Droit et Justice »,
avril 1999 et le rapport national de synthèse L’étranger et le droit de la famille. Pluralisme ethnique,
pluralisme juridique, sous la direction de P. Kahn : La Documentation française, Mission de recherche
« Droit et Justice », 2001.
101
E. RUDE-ANTOINE, La coexistence des systèmes juridiques différents en France : l’exemple du droit
familial, in L’étranger et le droit de la famille. Pluralisme ethnique, pluralisme juridique, sous la
direction de P. Kahn : La Documentation française, Mission de recherche « Droit et Justice », 2001,
p. 147 s, spéc. p. 161. L’auteur souligne l’acculturation juridique « limitée » des étrangers et définit
également l’expression. – V. également M. SIMONET , L’étranger entre deux droits : les facteurs
d’adhésion des populations étrangères aux systèmes judiciaire et juridique français, in L’étranger et le
droit de la famille. Pluralisme ethnique, pluralisme juridique, sous la direction de P. Kahn : La
Documentation française, Mission de recherche « Droit et Justice », 2001, p. 115 s.
102
Le Haut Conseil à l’intégration a rappelé à diverses reprises que tout étranger établi en France voit
nécessairement sa culture évoluer au contact de la société française, mais que l’intégration suppose que,
même si l’étranger conserve ses particularismes, il « se joigne à la communauté nationale dans l’égalité
de ses droits et de ses devoirs ». V. le Rapport au Premier ministre, Liens culturels et intégration : La
Documentation française, Coll. des Rapports officiels, juin 1995, spéc. p. 13 s.
103
En ce qui concerne en particulier le mariage, largement influencé par la culture du pays d’origine.
104
V. H. BATIFFOL, Principes de droit international privé : RCADI 1959-II, t. 97, p. 431 s., spéc. p. 501.
L’auteur constate que l’émigré s’adapte sans doute plus facilement aux règles juridiques du pays
d’accueil qu’à ses mœurs et qu’il ne connaît souvent pas les lois correspondantes de son pays d’origine.

310
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

« sous l’empire de leur loi nationale commune revient à les traiter en droit comme les
membres d’une communauté nationale dont ils sont sortis en fait, les assujettit à une loi
qui est le reflet et de principes et de mœurs qui ne sont plus ceux de leur actuel
environnement »105. Cette analyse a pu être contestée, ainsi par M. Courbe qui considère
que « si l’immigration est plus que jamais au cœur de l’actualité, c’est par les signes qui
manifestent que nombre d’étrangers restent attachés aux principes fondamentaux de leur
identité nationale »106 ou encore par M. Gutmann pour qui « à n’en pas douter,
l’immigration stabilisée aujourd’hui demeure, au moins en partie, attachée à son pays
d’origine »107.

458. Il est vrai qu’un certain nombre d’étrangers souhaitent se voir appliquer la
loi française, loi de leur milieu de vie, et saisissent volontiers les juridictions françaises ;
parfois même, les parties dissimuleraient au juge un élément d’extranéité, faisant
comme si elles étaient de nationalité française108. Ces faits pourraient être la
manifestation d’une intégration réalisée. Mais il est également moins coûteux et plus
pratique de saisir des juridictions géographiquement proches109 ; l’exécution de la
décision sera plus aisée ; les règles françaises sont également parfois plus protectrices,
en particulier pour les femmes de statut personnel musulman. La saisine des juridictions
françaises peut résulter de contingences pragmatiques et ne signifie pas nécessairement
que les intéressés estiment finalement légitime de se voir appliquer la loi française.

459. La convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des


personnes et de la famille et à la coopération judiciaire110 fournit un autre exemple des
difficultés qu’il y a à essayer de mesurer le degré d’intégration des étrangers installés en
France. La convention constate en son préambule « la nécessité de conserver aux

105
Jean FOYER, Tournant et retour aux sources en droit international privé ? (l’article 310 nouveau du
Code civil) : JCP 1976. I. 2762, n° 12.
106
P. COURBE , Le divorce international : premier bilan d’application de l’article 310 du Code civil :
TCFDIP 1989-1990, p. 123 s., spéc. p. 124.
107
D. GUTMANN, Le sentiment d’identité. Études de droit des personnes et de la famille : L.G.D.J.,
Bibliothèque de droit privé, t. 327, 2000, n° 456.
108
V. E. RUDE-ANTOINE, La coexistence des systèmes juridiques différents en France : l’exemple du droit
familial, in L’étranger et le droit de la famille. Pluralisme ethnique, pluralisme juridique, sous la
direction de P. Kahn : La Documentation française, Mission de recherche « Droit et Justice », 2001,
p. 147 s, spéc. p. 159. Si la nationalité n’apparaît pas dans les éléments du dossier, le juge présume alors
que les parties sont françaises.
109
Il est également fréquemment souligné que la loi du lieu où l’étranger est établi est en principe celle
qu’il connaît le mieux, ou en tout cas celle qu’il « connaîtra le plus facilement » (V. H. BATIFFOL,
Principes de droit international privé : RCADI 1959-II, t. 97, p. 431 s., spéc. p. 507).

311
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

personnes les principes fondamentaux de leur identité nationale » et prévoit que « la


dissolution du mariage est prononcée selon la loi de celui des deux États dont les époux
ont tous deux la nationalité à la date de la présentation de la demande »111. Or, il est des
situations où les juges aux affaires familiales ont appliqué la loi française pour
prononcer le divorce de deux époux marocains (contrairement aux dispositions
impératives de la convention) qui souhaitaient divorcer selon la loi française, par
consentement mutuel par exemple112. On peut supposer que certains Marocains auraient
préféré être soumis aux dispositions de l’article 310, alinéa 2, du Code civil, alors que le
texte conventionnel a été adopté justement pour y déroger. Pour autant, on ne peut
affirmer de ce constat que tous le souhaitent. Selon la convention, les juridictions
compétentes sont celles du domicile commun des époux113 et, s’ils ont « tous deux la
nationalité de l’un des deux États, les juridictions de cet État peuvent être également
compétentes, quel que soit le domicile des époux au moment de la demande »114. Alors
que les juridictions françaises ont compétence lorsque le couple est mixte ou que les
époux sont tous les deux marocains et qu’ils ont leur domicile en France115, de
nombreux Marocains installés dans ce pays n’hésitent pas à se tourner vers leurs juges
nationaux, préférant cette option de compétence que leur offre le texte.

460. M. Déprez souligne que s’agissant en particulier « des Africains,


Maghrébins et d’autres musulmans immigrés, tout concourt à prouver qu’un grand
nombre ont gardé l’esprit de retour et une identité culturelle très affirmée »116. Les

110
D. n° 83-435 du 27 mai 1983 : JO 1er juin, p. 1643.
111
Article 9 de la convention. – En revanche si l’un des époux est français et l’autre marocain, les
juridictions saisies doivent appliquer la loi de leur domicile commun, à défaut, la loi de leur dernier
domicile commun (art. 9, alinéa 2 de la convention). Rappelons qu’au sens de la convention, le domicile
d’une personne est le lieu où elle a sa résidence habituelle (art. 2 de la convention).
112
V. l’enquête menée par le Centre de droit de la famille de Lyon L’étranger face et au regard du droit,
sous la direction de Hugues Fulchiron : Ministère de la Justice, Mission de recherche « Droit et Justice »,
avril 1999. Pourquoi vouloir appliquer une loi étrangère à des époux domiciliés en France qui
revendiquent l’application d’une loi française, laquelle constitue par ailleurs le droit commun des époux
qui ne sont pas marocains ? pourquoi leur refuser ce que l’on impose à des Algériens ou des Tunisiens ?
Tel a pu être le raisonnement tenu par les magistrats dans certaines affaires. – Par ailleurs, il est certain
que si le juge français doit appliquer le droit marocain au couple marocain, cette convention s’est révélée
d’application délicate.
113
Ou de leur dernier domicile commun (article 11, alinéa 1er de la convention).
114
Article 11, alinéa 2 de la convention.
115
Le domicile d’une personne, au sens de la convention, est « le lieu où elle a sa résidence habituelle »
(selon l’article 2 de la convention).
116
J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations
entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI
1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 213.

312
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

tribunaux français sont régulièrement saisis de litiges relatifs à la polygamie ou à la


répudiation117, alors même que ces litiges concernent des personnes établies en France
depuis un certain temps, voire des nouveaux Français. En ce qui concerne la
répudiation, sans doute y a-t-il parfois, de la part du mari, une volonté de faire échec à
une action engagée par la femme (action en divorce ou en contribution aux charges du
mariage) ; celui-ci retourne alors dans son pays d’origine pour échapper aux règles
françaises qui lui seraient défavorables, ou simplement pour être soumis à des règles
beaucoup moins strictes que celles du droit français. Ce comportement obéit en quelque
sorte à un stratagème, à une forme d’instrumentalisation du droit. Néanmoins, les
musulmans demeureraient particulièrement fidèles à l’identité de l’Islam118. Il peut, en
effet, paraître normal et légitime à l’étranger musulman, mais également au musulman
qui vient d’acquérir la nationalité française (il ne perd d’ailleurs généralement pas de ce
fait sa nationalité d’origine), de retourner dans son pays d’origine uniquement pour y
répudier son épouse. En effet, toujours selon M. Déprez119, acquérir la nationalité
française n’effacerait en rien la « qualité indélébile de musulman, la seule qui compte
vraiment pour tout authentique musulman qui, en ces matières, raisonne en termes de
culture et de civilisation plus qu’en termes de droit » ; l’auteur ajoute que « pour un
Marocain, devenir français, ce n’est pas cesser d’être Marocain ni, à coup sûr,
musulman non seulement de religion, mais de culture ». Il est certain qu’au fil du temps,
lorsque naissent les deuxième, puis troisième générations d’immigrés, le sentiment
d’appartenance évolue. Cependant, on souligne fréquemment le fait que ces immigrés,
généralement Français, se trouvent confrontés à des problèmes d’identité et qu’ils sont
divisés entre deux cultures ; le poids de la culture et des valeurs d’origines, l’existence
d’une identité communautaire, demeureraient donc, malgré un établissement de longue
durée, voire de toute une vie, dans le milieu social français, des éléments d’importance.

461. On peut donc difficilement justifier de manière générale l’application de la


loi locale française au nom de l’intégration réalisée dans la communauté française et de

117
Sur ce point, cf. infra 2e partie, titre 2, chapitre 2.
118
Toute personne de confession musulmane, quelle que soit sa nationalité, est d’ailleurs soumise
automatiquement au statut musulman de l’État islamique du for, « la logique de l’Islam étant de
considérer les hommes en fonction de leur religion et non de leur nationalité ». V. J. DÉPREZ, Droit
international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations entre systèmes
d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI 1988-IV, t. 211,
p. 9 s., spéc. p. 131 s.
119
J. DÉPREZ, note sous Civ. 1re, 17 mai 1993 : JCP 1993. II. 22172, spéc. p. 486.

313
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

la volonté supposée des étrangers de se voir appliquer cette loi plutôt que la loi de leur
pays d’origine. D’ailleurs, le législateur français n’a pas décidé qu’il fallait,
réciproquement, soumettre les Français installés à l’étranger à la loi de leur milieu de
vie. Alors qu’il a fait le choix du domicile en matière de divorce en se fondant sur l’idée
selon laquelle les étrangers présents dans la société française ont vocation à se voir
appliquer la loi locale parce qu’ils ont leur établissement en France et qu’ils s’y sont
intégrés, il n’est pourtant pas allé jusqu’au terme de son raisonnement : si la loi du
domicile est considérée comme plus qualifiée en soi, pourquoi ne pas l’appliquer aux
Français domiciliés dans un pays étranger ? Une solution bilatérale aurait consisté à
retenir simplement la loi du domicile commun à titre principal pour tous, y compris
pour les Français. Or, M. Jean Foyer120, tout en admettant la logique de la solution, l’a
considérée comme « impossible politiquement » car « il est quelque deux millions de
Français établis à l’étranger pour un séjour plus ou moins durable », que « la plupart
d’entre eux n’a pas perdu l’esprit de retour, et beaucoup assument dans la Nation
française un rôle capital car ils sont les agents du rayonnement de la pensée, de l’art, de
la langue, de la technique française, en un mot de la civilisation française dans le
monde ». Enfin, « le changement du rattachement de leur statut personnel à la loi
française risquait d’être interprété comme une semi-dénaturalisation, et ressenti par les
intéressés comme une injustice et plus encore comme une injure. On ne pouvait y
songer ». Selon l’auteur, la loi française s’imposait donc pour les deux époux français,
quel que soit leur domicile121. La solution unilatéraliste de l’article 310 a été fortement
contestée et l’on peut, de fait, se demander pourquoi les arguments invoqués pour le
maintien de l’application de la loi française aux Français ne pourraient valoir pour les
étrangers ou, à l’inverse, pourquoi les « avantages habituellement reconnus à la loi du
domicile dispara[îtraient] […] soudain lorsque ce domicile est à l’étranger et que ce sont
des Français qui y demeurent »122. Il semble en effet qu’un État qui estime nécessaire
d’appliquer la loi locale aux étrangers domiciliés sur son territoire ne devrait pas exiger
que sa loi soit appliquée à ses nationaux domiciliés à l’étranger123. Certes, il est toujours
des hypothèses où des exceptions à l’application de la règle de principe doivent être

120
Jean FOYER, Tournant et retour aux sources en droit international privé ? (l’article 310 nouveau du
Code civil) : JCP 1976. I. 2762, n° 11.
121
Article 310, première hypothèse.
122
M. SIMON-DEPITRE, Le nouvel article 310 du Code civil : JDI 1976. 823 s., spéc. 826.

314
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

envisagées, mais il convient alors qu’il existe un respect du principe de l’égalité entre la
loi du for et la loi étrangère.

462. L’argument qui consiste à dire que l’étranger qui est établi en France est
présumé s’être intégré à la communauté française ; qu’à ce titre, il souhaite être soumis
à la loi française, ou accepte de l’être de manière implicite – il aurait la volonté tacite
d’être soumis à la loi de son milieu de vie – semble très discutable car trop arbitraire et,
quoi qu’il en soit, difficile à justifier, au moins en matière de statut personnel. Le fait est
que le législateur français semble vouloir avant tout appliquer aux étrangers la loi
française, ce que le caractère unilatéral des diverses dispositions analysées (possession
d'état ou divorce) tend à confirmer. En effet, imposer aux étrangers la loi française de
leur milieu de vie peut également être envisagé, non pas comme le résultat d’une
intégration, mais comme un moyen permettant ou favorisant leur intégration.

B. La volonté de désigner la loi du milieu de vie, instrument de l’intégration

463. On a vu que le législateur français avait adopté la résidence habituelle ou le


domicile (lequel doit être compris en tant que lieu de vie effectif en matière de divorce)
comme éléments de rattachement de certaines règles de conflit françaises qui sont
formulées de manière unilatérale ; le champ d’application de la loi française s’en trouve
donc étendu. Appliquer aux étrangers présents sur le territoire français la loi française
de leur milieu de vie peut s’inscrire à la fois dans le cadre d’un processus général
d’intégration (l’argument selon lequel on favoriserait l’intégration des étrangers à la
communauté française en leur appliquant la loi de leur milieu de vie est fréquemment
invoqué) et dans le cadre d’une politique d’intégration qui serait alors liée non
seulement aux intérêts individuels, mais également à l’intérêt national et collectif (ainsi,
les pays d’immigration adoptent fréquemment des critères de rattachement territoriaux).
Choisir un élément de rattachement territorial dans la règle de conflit apparaît alors
comme une double nécessité (1.).

464. On verra que si le droit français ne soumet que partiellement le statut


personnel des étrangers à la loi française, il élargit parfois de manière plus indirecte le
champ d’application de cette loi à certains domaines précis de la matière (2.). En

123
V. G. VAN H ECKE , Principes et méthodes de solution des conflits de lois : RCADI 1969-I, t. 126,

315
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

revanche, il est d’autres hypothèses où la résidence habituelle pourrait éventuellement


être adoptée comme élément de rattachement de la règle de conflit, mais où le
législateur a pourtant maintenu des solutions fondées sur une application de la loi
nationale des intéressés. Ainsi, la récente loi de 2001124 sur l’adoption internationale a
opté pour une solution personnaliste alors qu’un critère de rattachement fondé sur l’idée
d’appartenance des personnes concernées à leur milieu de vie était tout à fait
concevable. Le droit français est donc parfois un peu en retrait, ou peut-être sélectif,
dans sa politique d’intégration (3.).

1. Les nécessités de la désignation de la loi du milieu de vie

465. Les systèmes fidèles dans leur principe à l’application de la loi nationale ont
souvent fait état de la présence dans leur pays de nombreux immigrés et de la nécessité
de les intégrer à la communauté locale pour justifier le choix d’un critère territorial.
M. Gutmann a ainsi évoqué la « vocation intégrative de la règle de conflit »125 : le droit
international privé pourrait avoir un « intérêt à tenir compte de paramètres
sociologiques » car « en soumettant le statut personnel à la loi du milieu effectif de
l’étranger on contribuerait à favoriser son immersion plus harmonieuse dans la société
d’accueil »126. L’idée est d’appliquer aux étrangers la loi française de leur milieu de vie,
loi qui progressivement deviendra le reflet de leur appartenance réelle à la société
d’accueil. On peut admettre, en définitive, que le droit puisse avoir un rôle actif dans un
processus d’intégration des nombreux étrangers présents en France, en particulier s’ils
sont amenés à y demeurer.

466. Il faut souligner que cette politique volontariste d’intégration, qui se trouve
fréquemment au cœur des débats, n’est pas nouvelle. Ainsi, M. Audit a indiqué que dès
l’Entre-deux-guerres, avec les déplacements massifs de populations, l’accroissement de
l’immigration, les difficultés économiques, s’est développée l’idée selon laquelle les
conflits de lois devaient être résolus en tenant compte d’un « intérêt national ». Or,

p. 399 s., spéc. p. 534.


124
L. n° 2001-111 du 6 févr. 2001 relative à l’adoption internationale : JO 8 févr. 2000, p. 2136. La loi a
complété le Titre VIII du Livre 1er du Code civil par un troisième chapitre intitulé « Du conflit des lois
relatives à la filiation adoptive et de l’effet en France des adoptions prononcées à l’étranger ».
125
V. D. GUTMANN, Le sentiment d’identité. Études de droit des personnes et de la famille : L.G.D.J.,
Bibliothèque de droit privé, t. 327, 2000, n° 455 s.
126
V. D. GUTMANN, Le sentiment d’identité. Études de droit des personnes et de la famille : L.G.D.J.,
Bibliothèque de droit privé, t. 327, 2000, n° 455.

316
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

retenir l’application de la loi nationale conduisant trop fréquemment à la désignation de


la loi étrangère et affaiblissant corrélativement l’autorité des lois internes, « on en vint à
préconiser l’application de la loi française aux étrangers installés en France dans un but
d’assimilation, sans pour autant que les nationaux expatriés cessent d’être soumis à la
loi française »127. Niboyet considérait ainsi que « permettre à des individus de dérouler
leur existence d’après leur propre loi, c’est tout faire pour coaguler leur extranéité sur
notre sol et les maintenir toujours éloignés de nous. La soumission à nos lois les
obligera, en passant par une sorte de conformateur national, à abandonner certains des
liens susceptibles de les maintenir étrangers par rapport à nous. L’État du domicile doit
absolument assurer l’application de ses lois à tous les groupes fixés en France »128.
L’auteur prônait le choix d’un critère de rattachement territorial pour les étrangers
établis en France, mais considérait qu’il n’était pas nécessaire pour autant de soumettre
les Français établis à l’étranger à la loi française. Cette solution était dictée par l’intérêt
national de la France129.

467. M. Déprez130 fait observer que, de manière générale, les pays d’immigration
adoptent aisément des solutions de territorialité qui semblent plus à même de « satisfaire
les objectifs d’intégration et d’assimilation des étrangers, alors que de ce point de vue le
rattachement à une nationalité présente l’inconvénient de soumettre l’étranger à une loi
qui n’est plus celle du milieu où il vit, et aussi celui d’entretenir par la survivance du
statut national une certaine psychologie d’extranéité incompatible avec la politique
recherchée ». Lorsque l’État français adopte un critère de rattachement territorial, il
soumet les étrangers qui sont installés sur son territoire à la loi française sans que ce
changement de loi applicable soit soumis à un changement de nationalité ; et donc,
comme le souligne l’auteur, sans qu’ils aient à acquérir la nationalité française par
naturalisation : « le passage automatique au statut personnel local, indépendamment de
toute acquisition de la nationalité, figure ainsi au nombre des instruments de la politique

127
B. AUDIT, Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 93.
128
Sur l’interprétation par l’auteur de la notion de domicile, cf. supra n° 53. Par ailleurs, l’auteur évoquait
la « société des domiciliés », l’étranger faisant partie du milieu social de son pays d’établissement. Sur la
question cf. infra n° 533.
129
V. P. FRANCESCAKIS, La pensée des autres en droit international privé : Université Thessalonique,
1987, p. 443 s.
130
J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations
entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI
1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 204.

317
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

d’assimilation suivie par les pays d’immigration ». L’auteur131 se prononce en faveur


d’un critère de rattachement territorial dès lors que, par le jeu des conflits de lois,
l’application d’un statut personnel étranger n’est plus l’exception et que s’instaure sur
un territoire « un pluralisme juridique de fait » : « alors que l’application des lois
étrangères de statut personnel est un phénomène politiquement et sociologiquement
sans importance tant qu’il demeure isolé et ignoré du public, l’application fréquente du
statut musulman apparaîtra à certains comme le signe d’une forte présence islamique en
France, précisément refusée par le corps social. Le législateur n’a certes pas à se faire
l’interprète des frayeurs collectives, ni à opérer un revirement spectaculaire vers le
critère du domicile dans le seul but d’ôter aux lois étrangères, donc au droit musulman,
toute chance d’application. Mais cette dimension du débat ne peut être ignorée ».

468. Dans le même sens, le Haut Conseil à l’intégration132 a également constaté


que le maintien du principe de rattachement du statut personnel à la nationalité,
combiné avec les caractéristiques de l’immigration actuelle, avait créé une situation
nouvelle. Si les litiges privés ont toujours donné lieu à des conflits de lois, lorsque le
nombre des personnes « pouvant légitimement se réclamer, en France, de systèmes
juridiques d’inspiration profondément différente du droit français » s’accroît de manière
importante, le risque est que les conflits de lois quittent « la sphère purement privée des
litiges entre personnes pour faire irruption sur la scène publique ». Pourtant, si le constat
du Haut Conseil est comparable à celui de M. Déprez, la modification du facteur de
rattachement en matière de statut personnel ne paraît pas faire partie des solutions qu’il
préconise133. Il estime qu’il faut notamment donner plein effet aux conventions
internationales, affirmer la prééminence de certains principes fondamentaux que toute
personne établie en France doit respecter, et affiner le contenu de la conception
française de l’ordre public ; mais on retrouve l’idée selon laquelle modifier le critère de
rattachement au profit d’un critère territorial aurait pour contrepartie néfaste
d’abandonner aux lois étrangères le statut personnel des Français de l’étranger. C’est

131
J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations
entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI
1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 205-206.
132
Rapport au Premier ministre, Conditions juridiques et culturelles de l’intégration : La Documentation
française, Coll. des Rapports officiels, mars 1992, p. 16.
133
V., pour les orientations préconisées, le Rapport au Premier ministre, Conditions juridiques et
culturelles de l’intégration : La Documentation française, Coll. des Rapports officiels, mars 1992, p. 27 s.

318
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

également parfois de manière plus indirecte que la droit français étend le champ
d’application de la loi française aux étrangers installés en France.

2. Des manifestations indirectes de la volonté d’appliquer la loi du milieu de vie

469. Certaines juridictions du fond françaises ont parfois contesté que l’on puisse
imposer aux étrangers l’application de la loi française de leur domicile en matière de
divorce. C’est ainsi que le tribunal de grande instance d’Orléans134 a estimé qu’il
« apparaît évident que le législateur n’a pas voulu soustraire deux époux étrangers de
même nationalité à leur loi nationale en leur imposant la loi française en raison de leur
domicile en France et que l’art. 310, al. 2, est destiné à permettre essentiellement le
règlement de difficultés pratiques pouvant se poser à des époux étrangers résidant en
France, mais n’a pas pour objet de résoudre des conflits de lois »135. De même, dans un
arrêt de 1988136, la cour d'appel de Toulouse a déclaré que « par application de l’article
310, al. 2, la loi française doit régir le divorce d’époux de nationalité étrangère qui ont
leur domicile sur le territoire français, à moins que les deux époux demandent
l’application de leur loi nationale »137. En fait, les magistrats ont fait une application
erronée des dispositions impératives de l’article 310 du Code civil puisqu'en matière de
compétence directe, il ne peut en aucun cas être dérogé aux règles de l’article 310 du
Code civil. On sait que la loi française est obligatoirement appliquée au divorce des
époux établis en France lorsqu'ils ont saisi les juridictions françaises (sauf dans
l’hypothèse où les deux époux sont marocains puisque la convention franco-marocaine
réserve l’application de leur loi nationale138). Cependant, lorsque les juridictions
françaises ne sont pas saisies de la demande en divorce parce qu’une autre juridiction
est également compétente, celle-ci pourra appliquer aux époux une autre loi que celle de
leur domicile effectif commun ; en principe, le droit français reconnaît la décision
étrangère, sous certaines conditions. Cependant, on peut se demander aujourd’hui s’il

134
TGI Orléans, 17 mai 1984 : Rev. crit. 1986. 307, note F. Monéger.
135
Dans ce jugement, le tribunal est finalement revenu à l’application de la loi française, estimant, de
manière là encore contestable, que « la convention franco-marocaine », et non pas la loi marocaine
applicable, devait être écartée sur le fondement de l’ordre public.
136
Toulouse, 27 avr. 1988 : décision rapportée par P. COURBE, Le divorce international : premier bilan
d’application de l’article 310 du Code civil : TCFDIP 1989-1990, p. 123 s., spéc. p. 132.
137
V. également, pour un refus d’application de la loi française compétente pour prononcer le divorce
d’époux polygames domiciliés en France, TGI Bordeaux, 20 sept. 1990 : JCP 1991. II. 21718, note
F. Monéger.
138
Cf. supra n° 459.

319
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

n’y a pas une remise en cause du principe de cette reconnaissance qui aurait finalement
pour conséquence d’élargir le champ d’application de la loi française du milieu de vie.

470. Le droit français considère en effet que les juridictions françaises ne sont
pas exclusivement compétentes pour prononcer le divorce d’époux domiciliés en France
et que, dès lors, il convient de reconnaître le divorce que des juridictions étrangères ont
pu prononcer en application de leur règle de conflit et, par conséquent, selon une autre
loi que la loi française désignée par l’article 310 du Code civil. L’arrêt Simitch, rendu
par la Cour de cassation en 1985139, précise en effet que « toutes les fois que la règle
française de solution des conflits de juridictions n’attribue pas compétence exclusive
aux tribunaux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent dès lors que le
litige se rattache d’une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi, et si le
choix de la juridiction n’a pas été frauduleux »140. Les juridictions étrangères doivent
donc être reconnues compétentes dès lors qu’il existe un « lien caractérisé », un lien
suffisant, qui s’apprécie objectivement, au regard de tous les faits de l’espèce141.

139
Civ. 1re, 6 févr. 1985, Mme Fairhurst c. Simitch : JDI 1985. 460, note A. Huet ; D. 1985. 469, note
J. Massip et I.R. 497, obs. B. Audit ; Chron. P. Francescakis : Rev. crit. 1985. 243 ; B. A NCEL et
Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll.
Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 70. – Les juridictions françaises sont exclusivement compétentes sur le
fondement subsidiaire des articles 14 et 15 du Code civil si les parties n’y ont pas renoncé (v.
H. GAUDEMET-TALLON, Divorce : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 547-10, 1996, n° 29).
140
V., pour des applications antérieures à l’arrêt Simitch : Paris, 10 nov. 1971, Mack Trucks : RTD com
1972. 239, obs. Y. Loussouarn ; JDI 1973. 239, note A. Huet (il fallait que « le litige se rattache d’une
manière suffisante au pays dont le juge a été saisi, c'est-à-dire que le choix de la juridiction ne soit ni
arbitraire, ni artificiel, ni frauduleux » ; Paris, 5 mars 1976 : JDI 1977. 880, note A. H. ; Rev. crit. 1978.
149, note B. Audit ; Paris, 27 nov. 1981 : D. 1983. 142, note G. Paire.
141
La Cour de cassation contrôle ce lien caractérisé. Pour M. Huet (note sous Civ. 1re, 6 févr. 1985,
Mme Fairhurst c. Simitch : JDI 1985. 460, spéc. 467), il ne fait pas de doute que la Cour vise « un lien
effectif, réel et substantiel ». – En principe, le contrôle de la compétence indirecte se fonde sur le principe
de proximité (sur la méthode du « groupement des points de contact » ou du « cumul des indices »). V.
B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé :
Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 70, § 15. Selon M. Lagarde (Le principe de proximité dans le
droit international privé contemporain : RCADI 1986-I, t. 196, n° 182), « sera reconnue la compétence
de l’autorité d’origine lorsque le for de reconnaissance constatera l’existence d’un lien qu’il estimera
suffisant entre cette autorité et le litige. Toute la question est alors de savoir comment apprécier ce lien de
proximité ». Il est évident que les juridictions françaises ne recherchent pas le lien le plus étroit en matière
de compétence juridictionnelle, mais un lien suffisamment étroit. L’auteur souligne que « la pratique
devrait établir, peu à peu, matière par matière, un catalogue des chefs de compétence indirecte qui seront
en tout cas considérés comme suffisamment caractérisés pour faire reconnaître la compétence d’origine.
Ce catalogue, non exhaustif, concrétisera progressivement le principe de proximité et servira la
prévisibilité des solutions » (op. cit., n° 186) ; il est par ailleurs normal de reconnaître que « certains chefs
de compétence indirecte sont plus "forts" que d’autres » (op. cit., n° 188) et l’on pourrait d’ailleurs
reconnaître qu’éventuellement un seul indice pourrait être « jugé particulièrement significatif eu égard à
la matière litigieuse » (B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de
droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 70, § 16). – V. également

320
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

471. Les juridictions du fond ont eu parfois tendance à considérer que la


nationalité des époux ne pouvait constituer ce « lien caractérisé », alors que l’on se
situait dans une matière qui relève du statut personnel. La jurisprudence a ainsi refusé
de reconnaître la compétence des juridictions étrangères bulgares pour statuer sur le
divorce de deux époux de nationalités différentes (l’un français, l’autre bulgare) car le
couple était domicilié à Paris142. La cour d'appel de Paris a également rendu plusieurs
décisions en ce sens dans des situations où les époux étaient de même nationalité. Ainsi,
dans un arrêt de 1988143, elle a estimé que « le lien de rattachement du litige avec
l’ordre juridique du juge algérien étant la nationalité commune des époux », ce
rattachement « ne suffi[sait] pas en la matière, alors qu’il s’agit de prononcer la
dissolution du lien matrimonial et de statuer sur ses conséquences à l’égard des époux et
des enfants, pour constituer le lien caractérisé avec le pays du juge saisi »144. Dans un
autre arrêt de 1990145, la cour d'appel a indiqué que, « malgré la force théorique » du
rattachement à la loi nationale « dans une matière relevant au fond du statut personnel,
la nationalité des époux ne constitu[ait] pas un critère général de détermination de la
compétence internationale » ; qu’en l’espèce, les questions d’ordre personnel ou
patrimonial étaient localisées en France « où demeur[aient] les époux et ceux de leurs
enfants concernés par le divorce » ; que par conséquent, « le litige présent[ait] ainsi des
liens de rattachement prépondérants avec la juridiction française qui est donc
compétente, à l’exclusion du juge algérien saisi par le mari »146. Il faut donc déduire de
cette jurisprudence que la résidence des époux en France est considérée comme plus
significative que leur nationalité au regard des éléments de la situation.

A. PONSARD, Le contrôle de la compétence des juridictions étrangères : TCFDIP 1985-1986, p. 47 s.,


spéc. p. 59.
142
Versailles, 18 nov. 1986 : D. 1987. Somm. 346, obs. B. Audit.
143
Paris, 15 nov. 1988 : D. 1989. Somm. 257, obs. B. Audit.
144
En l’espèce, le choix par le mari d’un tribunal algérien paraissait également frauduleux, mais il doit
être précisé que la fraude ne peut évidemment pas venir du simple fait de la saisine du tribunal de l’État
dont on a la nationalité. – Comme l’a noté M. Audit (obs. sous Paris, 15 nov. 1988 : D. 1989. Somm.
257), dans la mesure où les enfants avaient leur résidence habituelle en France, les autorités françaises
ayant compétence pour statuer, selon leur propre loi, sur les mesures de protection des mineurs sur le
fondement de la convention La Haye de 1961, il paraissait « particulièrement souhaitable de faire
coïncider cette compétence avec celle du tribunal appelé à statuer sur les difficultés entre époux ».
145
Paris, 15 mars 1990 : D. 1990. Somm. 263, obs. B. Audit.
146
Il faut souligner que, dans cet arrêt, le divorce était plus exactement une répudiation. Or, par le fait de
cette répudiation, la femme, qui demeurait en France, se trouvait exposée à être à la charge de la
collectivité, ce qui a indéniablement eu son importance. V. B. AUDIT, obs. sous Paris, 15 mars 1990 : D.
1990. Somm. 263. Sur ce point, cf. infra n° 650.

321
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

472. Par deux décisions de 1987147 et de 1994148, la Cour de cassation a, dans un


premier temps, censuré cette interprétation stricte du lien caractérisé. Ainsi, dans l’arrêt
de 1994, alors que la cour d'appel de Paris avait, dans une décision de 1992, estimé que
« si aucune fraude ne peut être établie à l’encontre de M. X…, il reste que la seule
nationalité commune des parties est insuffisante à justifier la compétence du juge
algérien alors que les époux ont tous deux leur domicile en France depuis 1983 », la
Cour de cassation a considéré que « la nationalité algérienne commune constituait un
rattachement caractérisé avec l’Algérie ». Sur le fondement de cette interprétation,
même lorsque les époux sont domiciliés en France depuis de longues années, il leur est
possible de faire échec à la règle de l’article 310 du Code civil149.

473. Cependant, la Cour de cassation a opéré, dans un arrêt du 17 février 2004150,


un revirement de jurisprudence. Elle a en effet considéré que « les deux époux étaient
domiciliés en France de sorte que leur nationalité algérienne commune ne suffisait pas à
rattacher le litige d’une manière caractérisée à l’Algérie et que le juge algérien n’était
pas compétent pour en connaître ». Dans cette affaire, les époux étaient algériens et
s’étaient mariés en Algérie. En 1998, le tribunal d’Oran avait prononcé le divorce entre
les deux époux. Le mari avait, en 2000, demandé l’exequatur en France de cette
décision, lequel lui avait été accordé par le tribunal de grande instance de Versailles ; la
décision fut ensuite confirmée par la cour d'appel de Versailles. La femme arguait
devant la cour d'appel de ce que les conditions d’exequatur n’étaient pas réunies ; elle
considérait que le tribunal d’Oran n’était pas compétent, que le jugement était contraire
à l’ordre public français151 et que le jugement de divorce avait pour but de faire échec à
la condamnation en février 1997 de son mari à lui payer une contribution aux charges
du mariage. La cour d'appel a rejeté toutes ces allégations, estimant qu’il est de principe
qu’en matière de divorce l’article 1070 du Nouveau Code de procédure civile ne donne
pas compétence exclusive aux juridictions françaises, de sorte que le juge étranger doit
être reconnu compétent si le litige se rattache d’une manière caractérisée au pays dont le

147
Civ. 1re, 6 janv. 1987 : D. 1987. 467, note J. Massip ; Rev. crit. 1988. 337, note Y. Lequette ; JDI
1988. 435, note J.-M. Jacquet.
148
Civ. 1re, 15 juin 1994 : Rev. crit. 1996. 127, note B. Ancel ; D. 1994. Somm. 352, obs. B. Audit ; Les
Petites Affiches, févr. 1995, n° 23, p. 21, note J. Massip.
149
Sauf évidemment à rapporter la preuve de la fraude d’un ou des époux. Comp. avec Civ. 1re, 1er mars
1988 : Rev. 1989. 721, note A. Sinay-Cytermann.
150
Civ. 1re, 17 févr. 2004 : Bull. civ. I, n° 260.
151
Les droits de la défense n’auraient pas été respectés.

322
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

juge a été saisi et si le choix de ce juge n’a pas été frauduleux, que la nationalité
algérienne des deux époux constituait un rattachement suffisant à l’Algérie et que rien
ne venait corroborer l’allégation de fraude ; elle a également considéré que la décision
algérienne n’était pas contraire à l’ordre public international français152 et que les deux
fondements des décisions de contribution aux charges du mariage et de divorce étaient
différents153. C’est sur la seule question de la compétence du tribunal algérien que la
Cour de cassation s’est fondée pour casser l’arrêt et c’est de manière très curieuse
qu’elle a non seulement considéré l’absence de liens suffisants, mais encore motivé sa
décision.

474. La Cour de cassation a, en effet, indiqué que selon l’article 1er a ) de la


convention franco-algérienne du 27 août 1964154 (lequel prévoit que les décisions
rendues dans un État contractant ont de plein droit autorité de la chose jugée sur le
territoire de l’autre, notamment si « la décision émane d’une juridiction compétente
selon les règles concernant les conflits de compétence admises dans l’État où la décision
doit être exécutée »), « les décisions rendues par les juridictions algériennes produisent
effet en France, à condition qu’elles émanent d’une juridiction compétente selon les
règles françaises posées [par l’article 1070 du Nouveau Code de procédure civile] ». Or,
on ne peut, semble-t-il, considérer que les juridictions algériennes auraient dû statuer
selon les règles de compétence directe visées par l’article 1070 ; c’est uniquement aux
règles de compétence indirectes, à des règles françaises spéciales, posées par l’arrêt
Simitch155, à la seule existence du lien caractérisé, qu’il convenait alors de se référer.
Cette formulation de la règle diffère nettement de celles utilisées jusque là156. Mais la

152
Sur ce point, cf. infra n° 642 s.
153
Que, par conséquent, le jugement statuant sur la contribution aux charges du mariage ne faisait pas
obstacle à l’introduction d’une demande en divorce.
154
Convention du 27 août 1964 relative à l’exequatur et à l’extradition. Décret n° 65-679 du 11 août 1965
portant publication de la convention entre la France et l’Algérie, signée le 27 août 1964 : JO du 17 août
1965, p. 7269.
155
Précité, cf. supra n° 470.
156
Comp. avec les formulations utilisées dans les arrêts précités du 6 janvier 1987 (« aux termes de
l’article 1er de la convention précitée la compétence de la juridiction saisie doit être appréciée selon les
règles concernant les conflits de compétence admises dans l’État où la décision doit être exécutée ; que
toutes les fois que la règle française de solution des conflits de juridictions n’attribue pas compétence
exclusive aux juridictions françaises le tribunal étranger doit être reconnu compétent si le litige se rattache
d’une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n’a pas été
frauduleux ») et du 15 juin 1994 (« Vu l’article 1er a, de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964,
ensemble les principes qui régissent la compétence judiciaire internationale »). – Selon Mme Niboyet
[obs. sous Civ. 1re, 17 févr. 2004 (pourvoi n° 02-17.479) : Gaz. Pal. 25-26 févr. 2004. 33], la convention
se référant aux « règles concernant la compétence admises dans l’État où la décision doit être exécutée »,

323
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

Cour a ensuite malgré tout apprécié l’existence de ce lien caractérisé. Le tribunal


étranger doit, selon l’arrêt Simitch, être reconnu compétent « si le litige se rattache de
manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi ». Il ne s’agit pas de déterminer
avec quel tribunal les parties entretiennent les liens « les plus étroits », mais simplement
de voir si le tribunal choisi par les parties constitue un lien suffisamment étroit avec le
for pour qu’il puisse être considéré comme valablement saisi. Or, si l’on interprète la
décision de la Cour de cassation, il semblerait que le domicile commun des époux en
France implique une absence de lien caractérisé avec l’Algérie, en dépit du fait qu’ils
avaient tous deux la nationalité du juge saisi. On recherche moins les liens caractérisés
avec le juge algérien que l’on ne met l’accent sur les liens entretenus avec la France qui
constituent un obstacle à sa compétence ; en effet, selon les termes de l’arrêt, « les deux
époux étaient domiciliés en France, de sorte que leur nationalité commune ne suffisait
pas à rattacher le litige d’une manière caractérisée à l’Algérie ». Pour reprendre les
termes de M. Courbe157, « la logique de l’arrêt Simitch était la concurrence des
compétences, celle du présent arrêt est la prépondérance de la compétence du for ».

475. La solution adoptée par la Cour de cassation doit également être analysée au
regard des textes internationaux. Depuis l’entrée en vigueur le 1er mars 2001 du
règlement communautaire dit « Bruxelles II »158, les décisions rendues par les
juridictions d’un État membre en application du règlement doivent être reconnues de
plein droit dans les autres États membres159. Les décisions de divorce rendues par les
juridictions des États membres compétentes sur le fondement de la résidence habituelle,
voire de la nationalité commune des parties160, sont donc soustraites à cette

ces règles incluent l’article 1070 du nouveau Code de procédure civile lorsque l’exequatur est demandé
en France. Cette solution se peut s’appliquer, selon l’auteur, que « lorsqu’une convention internationale
prescrit au juge français de l’exequatur d’apprécier la compétence du juge étranger au regard des règles
de compétence du droit français ». Elle souligne le paradoxe qui en résulte : le régime conventionnel, dont
l’objet est de favoriser la reconnaissance des jugements des États signataires, est moins libéral que le droit
commun. Or, les conventions sont nombreuses en la matière.
157
P. COURBE, Le rejet des répudiations musulmanes : D. 2004. Chron. 815 s., spéc. 819.
158
Règlement (CE) n° 1347/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif à la compétence, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants
communs : JOCE L 160, 30 juin 2000.
159
V. l’article 14 du règlement. – Rappelons que ce texte concerne les États membres de l’Union
européenne, à l’exception du Danemark. – Le nouveau règlement de Bruxelles II bis (règlement (CE)
n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution
des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement
(CE) n° 1347/2000 : JOCE L 138, 23 décembre 2003), qui entrera en vigueur le 1er juin 2005, reprend sur
ce point les principes du règlement de Bruxelles II (v. l’article 21 du règlement).
160
Ou du domicile pour le Royaume-Uni et l’Irlande. V. l’article 2. 1. b) du règlement.

324
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

interprétation jurisprudentielle. C’est ainsi que deux époux espagnols, par exemple,
peuvent se tourner vers leurs juges nationaux, obtenir une décision de divorce, laquelle
est automatiquement reconnue en France. À côté du texte communautaire, il faut
également tenir compte de la convention franco-marocaine du 10 août 1981161
puisqu’elle prévoit expressément une option de compétence au profit des juridictions
dont les époux ont tous deux la nationalité162. Deux époux marocains peuvent donc
également saisir leurs juges nationaux sans que puisse être invoqué, à leur encontre, le
défaut de lien caractérisé. La solution stricte adoptée par la Cour de cassation dans son
arrêt de 2004 ne s’applique donc qu’à une catégorie particulière de personnes
étrangères.

476. Même si, comme le souligne M. Courbe, cette solution nouvelle « permet de
résoudre les difficultés rencontrées par les juges lorsqu'ils exercent le contrôle des
comportements procéduraux abusifs », cette interprétation qui est faite des règles de
compétences internationales indirectes dégagées par la jurisprudence Simitch peut être
regrettée. Elle peut l’être non seulement parce qu’elle introduit des différences fondées
sur la nationalité des personnes concernées, mais également en ce qu’elle ne paraît pas
conforme avec la règle selon laquelle, en matière de compétence juridictionnelle,
plusieurs juridictions peuvent avoir compétence et qu’il ne s’agit pas de retenir celle qui
présente les liens les plus étroits avec le litige. Or, la nationalité commune des deux
époux est assurément un élément révélateur de liens suffisamment étroits ; le fait qu’elle
soit désignée par les textes internationaux comme critère de détermination des
juridictions compétentes atteste de son importance (il est curieux par conséquent de lui
reconnaître des effets en matière de compétence directe qu’on lui refuse lorsqu'il s’agit
de compétence indirecte). Le droit français considérait déjà que le divorce de deux
Français établis à l’étranger peut relever, sur le fondement des articles 14 et 15 du Code
civil, de sa compétence exclusive163, laquelle a par ailleurs été parfois contestée164 ;
aujourd’hui il va bien au-delà dans ses restrictions.

161
Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la
coopération judiciaire : D. n° 83-435 du 27 mai 1983 : JO du 1er juin 1983, p. 1643.
162
V. l’article 11, alinéa 2, de la convention.
163
Sous réserve aujourd’hui du règlement communautaire. V. l’article 8 du règlement (inchangé sur ce
point dans le nouvel article 7 du règlement « Bruxelles II bis »). Ainsi, un Français ne peut agir sur le
fondement de l’article 14 du Code civil devant les juridictions françaises contre un ressortissant d’un État
membre. En revanche, l’époux allemand qui a sa résidence habituelle pourra se prévaloir de l’article 14

325
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

477. M. Courbe165 s’était posé la question de savoir si la possibilité d’obtenir à


l’étranger un divorce reconnu en France n’était pas « le signal que l’article 310 [était]
dépassé ». En refusant de considérer que la compétence française est exclusive en
matière de divorce, on réserve aux époux étrangers qui vivent en France une véritable
option non seulement de compétence juridictionnelle, mais aussi législative166. Avec
l’interprétation qui est faite par la Cour de cassation du lien caractérisé, le refus de le
considérer comme suffisant lorsque les époux établis en France – qui ne sont pas
ressortissants de l’Union européenne ou marocains – se tournent vers leurs juges,
revient à donner une compétence beaucoup plus importante aux dispositions unilatérales
françaises sur la loi applicable aux divorces : ces étrangers n’auront, de fait, d’autre
solution que de saisir les juridictions françaises s’ils ont leur résidence habituelle en
France, lesquelles statueront en application de la loi française. On ne peut que constater
que cette jurisprudence s’inscrit bien dans le courant d’une politique volontariste
d’intégration qui passe par la désignation de la loi française du milieu de vie.

3. Une politique d’intégration parfois sélective. L’exemple de l’adoption


internationale

478. Il résulte des nouvelles dispositions relatives à l’adoption internationale167,


en particulier de l’article 370-3, alinéa 1, du Code civil, que les conditions de
l’adoption168 sont soumises à la loi nationale de l’adoptant ou, en cas d’adoption par
deux époux, par la loi qui régit les effets de leur union169. L’adoption ne peut toutefois

du Code civil, comme un Français, contre un ressortissant qui n’a pas sa résidence habituelle dans un État
membre et qui n’a pas la nationalité d’un État membre. V. C. NOURISSAT , note sous Colmar, 2 sept.
2002 : Procédures 2003, comm. n° 137.
164
V. B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international
privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 70, spéc. § 12.
165
P. COURBE , Le divorce international : premier bilan d’application de l’article 310 du Code civil :
TCFDIP 1989-1990, p. 123 s., spéc. p. 124.
166
V. en ce sens A. SINAY-CYTERMANN, note sous Civ. 1re, 1er mars 1988 : Rev. crit. 1989. 721 s., spéc.
725. L’auteur précise ainsi que les juges doivent se montrer particulièrement vigilants et « exercer en
contrepartie un strict contrôle de la fraude ».
167
Loi n° 2001-111 du 6 févr. 2001.
168
Les conditions de l’adoption sont désormais dissociées de ses effets. V., pour les effets de l’adoption,
P. LAGARDE, La loi du 6 février 2001 relative à l’adoption : une opportune clarification : Rev. crit. 2001.
275 s., spéc. 290 s.
169
Soit par leur loi nationale commune ou, à défaut, par la loi de leur domicile effectif commun ou, à
défaut, par la loi du for (on peut néanmoins penser que les tribunaux risquent de ne pas user fréquemment
de ce dernier rattachement dans la mesure où les adoptions par deux époux vivant séparés doivent relever
de l’hypothèse d’école).

326
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

être prononcée si la loi nationale de l’un et l’autre époux la prohibe170. Par ces
dispositions, la loi reprend, pour l’essentiel, les solutions traditionnelles françaises171.
Par ailleurs, selon l’article 370-3, alinéa 2, du Code civil, « l’adoption d’un mineur
étranger ne peut être prononcée si la loi personnelle de l’adopté prohibe cette institution,
sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France »172. Or, il aurait été possible
de soumettre les conditions de l’adoption à la loi du milieu de vie des intéressés.

479. L’adoption est possible si la loi nationale de l’adoptant ou la loi de


nationalité commune des adoptants l’autorise ; elle l’est également si les époux sont de
nationalités différentes et que la loi du domicile effectif commun permet l’adoption, à
moins que les deux lois nationales se trouvent être prohibitives. Dans la mesure où, par
principe, l’enfant adopté vit avec ses parents adoptifs, retenir la loi de la résidence
habituelle de l’adoptant ou de la résidence habituelle commune des deux adoptants
aurait été parfaitement envisageable, voire préférable, si l’on considère que la loi de la
résidence habituelle est celle du milieu social auquel l’enfant va vraisemblablement se

170
Si les deux époux sont marocains, l’adoption n’est pas possible puisque leur loi nationale ne permet
pas l’adoption ; s’ils sont, l’un algérien, l’autre marocain, l’adoption ne sera pas non plus autorisée (si les
époux sont établis en France, la loi des effets du mariage est la loi française qui autorise l’adoption ; mais
le statut personnel prohibitif des deux époux y fait obstacle) ; s’ils sont, l’un anglais, l’autre marocain,
l’adoption peut, en revanche, être envisagée.
171
V., par exemple, H. MUIR-WATT, L’adoption d’enfants étrangers, in Le droit de la famille à l’épreuve
des migrations transnationales : Colloque du Laboratoire d’études et de recherches appliquées au droit
privé, Université de Lille II, L.G.D.J., 1993, p. 147 s. – V. les arrêts Torlet (Civ. 1re, 7 nov. 1984 : Rev.
crit. 1985. 533, note M. Simon-Depitre ; JDI 1985. 434, note H. Gaudemet-Tallon ; D. 1985. 459, note
É. Poisson-Drocourt ; Defrénois 1985, p. 1006, obs. J. Massip ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands
arrêts de la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd.,
2001, n° 67-69), pour l’adoption par une seule personne, et Pistre (Civ. 1re, 31 janv. 1990 : Rev. crit.
1990. 519, note É. Poisson-Drocourt ; JCP 1991. II. 21635, note H. Muir-Watt ; D. 1991. 105, note
F. Boulanger ; Defrénois 1990, p. 961, obs. J. Massip ; Gaz. Pal. 1990. 2. 481, note B. Sturlèse ;
B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé :
Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 67-69), pour une adoption par deux époux.
172
Cette interdiction était édictée par la circulaire très controversée du 16 février 1999 (Circ. 16 févr.
1999, § 1.2.1.2 : JO du 2 avr. 1999, p. 4933) ; le texte de 2001 l’assortit d’une exception consentie
lorsque l’enfant est né en France et qu’il y a sa résidence habituelle. – Dans l’arrêt Fanthou (Civ. 1re, 10
mai 1995 : Rev. crit. 1995. 548, note H. Muir-Watt ; JDI 1995. 625, note F. Monéger ; D. 1995. 544, note
V. Larribau-Terneyre ; Defrénois, 1991. 331, note J. Massip ; B. ANCEL et Y. L EQUETTE, Les grands
arrêts de la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd.,
2001, n° 67-69), la Cour de cassation avait considéré que deux époux français pouvaient adopter un
enfant dont la loi nationale prohibe l’institution si son représentant a consenti en pleine connaissance de
cause des effets attachés par la loi française à l’adoption. L’arrêt Lorre (Civ. 1re, 1er juill. 1997 : Dr. fam.
1997, n° 119, obs. P. Murat ; JCP 1997. II. 22916, note T. Garé ; JCP 1998. I. 101, n° 4, obs. Y. Favier ;
D. 1998. 187, note É. Poisson-Drocourt ; Somm. 292, obs. C. Bridge ; Defrénois 1998. 723, obs.
J. Massip) en avait restreint la portée, en précisant qu’une autorité publique étrangère n’avait pas le
pouvoir de consentir à l’adoption en tant que représentant légal – La circulaire précitée est venu
contredire cette jurisprudence Fanthou, laquelle s’était pourtant maintenue (v. Civ. 1re, 3 oct. 2000 : Bull.

327
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

trouver intégré173. La solution n’a pas été retenue car on a souligné que ce rattachement
à la résidence habituelle risquait d’entraîner des adoptions « boiteuses », i.e. non
reconnues à l’étranger, dans l’hypothèse où les ressortissants d’États prohibant
l’adoption décideraient de retourner vivre dans leur pays d’origine174. Le législateur ne
considère donc pas que les époux durablement établis en France ont vocation à y
demeurer. Au contraire, en retenant un critère de rattachement fondé sur la loi nationale
ou en écartant la loi du domicile effectif lorsque les époux de nationalités différentes
relèvent tous deux d’un statut personnel prohibitif, le législateur estime la probabilité
d’un retour des étrangers suffisamment forte pour écarter l’application de la loi de la
résidence habituelle. Le postulat est donc inversé par rapport à celui qui prévaut en
matière de divorce où, on l’a vu, l’idée d’appliquer aux époux souhaitant divorcer la loi
française de leur domicile commun est fondée sur une présomption d’intégration et d’un
établissement durable dans la communauté française, voire d’une perte de l’esprit de
retour dans leur patrie d’origine175. Mais, il est également vrai, comme le souligne
M. Lagarde176, qu’en matière de divorce, le risque d’une situation boiteuse n’affecte que
les époux, alors que le risque d’une adoption boiteuse peut être jugé intolérable lorsqu'il
s’agit d’un enfant qui en subit les conséquences.

480. Par ailleurs, la loi française prévoit que l’adoption d’un mineur de statut
personnel prohibitif est impossible177 (le critère de rattachement est donc la loi nationale
du mineur), sauf s’il est né et réside habituellement en France. Par ces dispositions, le

civ. I, n° 229 ; Defrénois 2001, 96, obs. J. Massip ; Dr. fam. 2001, n° 38, obs. P. Murat ; D. 2000. IR.
265).
173
V. Y. LOUSSOUARN et P. BOUREL, Droit international privé : Dalloz, Coll. Précis, Droit privé, 7e éd.,
2001, n° 359-1, p. 432. – V. également B. AUDIT, Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil,
3e éd., 2000, n° 731. Selon l’auteur, l’influence de la loi locale est peut-être même « plus forte, face à
celle de la nationalité commune des parents, qu’en matière de filiation par le sang, et cela quand bien
même l’adopté serait de la même origine que les adoptants ». – M. Lagarde (La loi du 6 février 2001
relative à l’adoption internationale : une opportune clarification : Rev. crit. 2001. 275 s., spéc. 282)
indique également que cette solution aurait rapproché le prononcé de l’adoption des mesures de
protection des enfants au sens de la convention de La Haye de 1996 sur la compétence des autorités et la
loi applicable en matière de protection des enfants.
174
V. P. LAGARDE , La loi du 6 février 2001 relative à l’adoption internationale : une opportune
clarification : Rev. crit. 2001. 275 s., spéc. 282.
175
Cf. supra n° 457 s.
176
P. LAGARDE , La loi du 6 février 2001 relative à l’adoption internationale : une opportune
clarification : Rev. crit. 2001. 275 s., spéc. 283.
177
La convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfant et la coopération internationale,
qui ne s’applique qu’entre États contractants et uniquement aux déplacements transfrontières, ce qui
suppose que l’enfant de l’État d’origine est déplacé vers un État d’accueil (article 2 de la convention),
prévoit également que les adoptions visées par le texte ne peuvent avoir lieu que si les autorités
compétentes de l’État d’origine ont établi que l’enfant est adoptable (article 4 a de la convention).

328
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

législateur ne consacre pas la loi du milieu de vie, mais anticipe simplement le fait que
l’enfant qui remplit ces deux conditions est amené à devenir français178 ; il a refusé
d’aller plus loin et d’envisager que la loi nationale de l’enfant soit écartée s’il a
uniquement sa résidence habituelle en France. Cette exception en faveur de l’adoption
uniquement lorsque l’enfant est né et réside habituellement en France est regrettable à
de nombreux points de vue. Il ne s’agit pas d’envisager purement et simplement
l’adoption du mineur de statut personnel prohibitif, mais de voir pourquoi sa résidence
habituelle en France aurait pu suffire à écarter la loi étrangère et constituer l’exception,
au lieu et place de la condition posée par la naissance et la résidence habituelle en
France. Mme Muir-Watt a, en ce sens, démontré en quoi la référence à la loi nationale
de l’adopté n’est pas forcément adaptée dans l’hypothèse où, au moment où se pose la
question de l’adoption179, la rupture de l’enfant avec son milieu d’origine est déjà
consommée180. Le législateur n’a pas souhaité faire céder la loi personnelle prohibitive
de l’enfant sur le fondement de sa résidence habituelle en France pour plusieurs raisons.
D’abord, il fut argué, là encore, de ce que retenir la seule résidence habituelle du mineur
à titre dérogatoire risquait de créer des situations juridiques boiteuses. Si, dans un
certain nombre de cas, le risque existe effectivement, lorsque les enfants peuvent être
amenés à retourner vivre dans leur pays d’origine181, il est beaucoup plus limité
lorsqu’ils sont « recueillis et intégrés dans un environnement étranger, dont la rupture
affective s’est consommée indépendamment de la césure juridique qu’implique

178
Il résulte des dispositions de l’article 21-7 du Code civil que l’enfant né en France de parents nés à
l’étranger et qui justifie d’une résidence habituelle en France de cinq années devient automatiquement
français le jour de ses dix-huit ans. Il peut également devenir français de manière anticipée à partir de
treize ans (sur le fondement de l’article 21-11 du Code civil).
179
H. MUIR -W ATT , La loi nationale de l’enfant comme métaphore : le nouveau régime législatif de
l’adoption internationale : JDI 2001. 995 s., spéc. 1004 s. L’auteur dénonce la « mystification de la loi
nationale prohibitive » (op. cit., p. 1004) et le fait qu’elle soit « présumée avoir un intérêt systématique à
empêcher la formation du lien adoptif, indépendamment de la qualité et de l’intensité des attaches qui
relient l’enfant à son milieu d’origine » (op. cit., p. 1009). Si la loi nationale incarne le lien de l’enfant
avec son passé, il lui semble « difficile de voir pourquoi [ce lien] revêtirait un caractère plus impérieux en
raison de la teneur prohibitive de [la] loi personnelle [de l’enfant] » (op. cit., p. 1005). Lorsque l’enfant a
été déplacé de son pays de naissance, le sentiment d’appartenance, qu’il est important de protéger, est
déterminé « au moins autant par le milieu dans lequel il se trouve désormais intégré que par ses origines
nationales » (op. cit., p. 1006-100-76) ; « les titres de la loi nationale s’affaiblissent à mesure que les
attaches affectives de l’enfant avec son milieu d’origine se diluent et que ses liens géographiques avec
son pays de naissance s’amenuisent, pour se reconstituer progressivement au profit de son milieu
d’accueil » (op. cit., p. 1007).
180
V. H. MUIR-WATT, Vers l’inadoptabilité de l’enfant étranger de statut personnel prohibitif ? À propos
de la circulaire du 16 février 1999 relative à l’adoption internationale : Rev. crit. 1999. 489 s., spéc.
486 s.
181
Le même risque existe si le couple bi-national s’installe après l’adoption dans le pays d’origine de
l’époux qui prohibe l’adoption (alors même que la loi nationale du mineur l’autorise).

329
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

l’adoption »182. On présume en quelque sorte qu’il est de l’intérêt de l’enfant de ne pas
être adopté lorsque son statut personnel n’autorise pas une telle adoption, sans tenir
compte du fait que l’adoption n’est pas forcément l’instrument de la rupture d’avec le
milieu de naissance, mais peut au contraire d’avantage « être un remède à la coupure
préalablement intervenue entre le mineur et le milieu régi par sa loi nationale [qu’] un
obstacle dressé entre l’enfant et ses origines »183. Il est évident que si l’on retient la
dérogation dans l’hypothèse où l’enfant n’est pas né en France, un risque de fraude
existe, laquelle consisterait à amener un enfant en France et, lorsque son statut
personnel est prohibitif, à attendre un délai raisonnable avant de demander son
adoption184. Cette crainte de la fraude et de voir naître un contentieux lié aux conditions
de la venue des enfants aurait effectivement pesé sur le choix du législateur185 et il est,
de fait, difficile de contrôler le comportement des adoptants186. Il serait cependant
possible d’envisager une vérification de la qualité et de l’intensité « des attaches que
l’enfant a respectivement conservées avec son milieu familial et culturel d’origine et
acquises avec son environnement d’accueil »187 afin d’évaluer l’intérêt de l’enfant et de
parer à un éventuel détournement des règles de conflit en matière d’adoption.

481. Si l’on considère le cas d’un enfant orphelin, maltraité ou abandonné, dont
les parents ont fait l’objet d’un retrait total de leurs droits parentaux, il est difficile de
dire qu’il a encore des liens avec sa famille ou son pays d’origine, d’autant qu’il est
alors en principe amené à demeurer sur le territoire français. Or, même dans cette
hypothèse, s’il n’est pas né en France, il ne peut être adopté si sa loi nationale est
prohibitive. Et, partant, les pupilles de l’État confiés à l’Aide sociale à l’enfance qui
sont dans ce cas ne sont pas adoptables. Certains avaient envisagé une acquisition

182
H. MUIR -W ATT , La loi nationale de l’enfant comme métaphore : le nouveau régime législatif de
l’adoption internationale : JDI 2001. 995 s., spéc. 1021.
183
H. MUIR-WATT, Vers l’inadoptabilité de l’enfant étranger de statut personnel prohibitif ? À propos de
la circulaire du 16 février 1999 relative à l’adoption internationale : Rev. crit. 1999. 489 s., spéc. 490.
184
V. H. MUIR-W ATT, La loi nationale de l’enfant comme métaphore : le nouveau régime législatif de
l’adoption internationale : JDI 2001. 995 s., spéc. 1015.
185
V. P. LAGARDE, La loi du 6 février 2001 relative à l’adoption : une opportune clarification : Rev. crit.
2001. 275 s., spéc. 287.
186
Ce qu’admet Mme Muir-Watt (La loi nationale de l’enfant comme métaphore : le nouveau régime
législatif de l’adoption internationale : JDI 2001. 995 s., spéc. 1015). Selon l’auteur, il conviendrait de
vérifier que « ce n’est pas la décision d’adoption elle-même qui est à l’origine de la césure entre l’enfant
et son milieu d’origine », mais une telle appréciation est « d’autant plus délicate que le passage du temps
a généralement pour effet d’effacer la fraude initiale ».
187
H. MUIR -W ATT , La loi nationale de l’enfant comme métaphore : le nouveau régime législatif de
l’adoption internationale : JDI 2001. 995 s., spéc. 1015.

330
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

automatique de la nationalité des enfants remis définitivement à l’Aide sociale à


l’enfance188. La loi 26 novembre 2003189 a au contraire introduit une condition de délai
pour que le mineur puisse acquérir la nationalité française190. Mais, même si la loi a
introduit de nouveaux délais, le mineur qui a sa résidence habituelle en France et qui est
soit recueilli et élevé par un Français, soit confié à l’Aide sociale à l’enfance, a la
possibilité d’acquérir la nationalité française191. Son nouveau statut personnel français
lui permet alors d’être adopté, dans l’hypothèse où les conditions de l’article 370-3,
alinéa 1er du Code civil se trouveraient remplies. Il faut désormais que l’enfant attende
entre trois et cinq ans selon les cas ; il peut ensuite réclamer la nationalité française192.
À partir du moment où il acquiert cette nouvelle nationalité, l’enfant change en quelque
sorte de « catégorie » : alors qu’il était placé dans une famille d’accueil ou un
organisme sans pouvoir faire l’objet d’un projet d’adoption si son statut personnel était
prohibitif, il devient, dans l’hypothèse où il a acquis la nationalité française,
« adoptable ». Ces dispositions ne font donc que retarder une éventuelle adoption193, et
compromettant ainsi les chances pour l’enfant d’être adopté.

188
V. l’amendement de Mme Borvo (Sénat, Déb., séance du 10 janv. 2001, p. 66).
189
L. n° 2003-1119 du 26 nov. 2003 (art. 67) : JO du 27 nov. 2003, p. 20136. Le nouvel article 21-12 du
Code civil est entré en vigueur le 1er janvier 2004.
190
Selon l’article 21-12, alinéa 3, du Code civil :
« Peut, dans les mêmes conditions, réclamer la nationalité française :
1°L'enfant recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française ou confié au service de
l'aide sociale à l'enfance ; (L. n° 2003-1119 du 26 nov. 2003) 1º L'enfant qui, depuis au moins cinq
années, est recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française ou qui, depuis au moins
trois années, est confié au service de l'aide sociale à l'enfance ;
2° L'enfant recueilli en France et élevé dans des conditions lui ayant permis de recevoir, pendant cinq
années au moins, une formation française, soit par un organisme public, soit par un organisme privé
présentant les caractères déterminés par un décret en Conseil d'État. »
191
Il en va de même pour l’enfant qui est recueilli en France et élevé dans des conditions lui ayant permis
de recevoir, pendant cinq années au moins, une formation française, soit par un organisme public, soit par
un organisme privé.
192
En ce qui concerne l’enfant « recueilli et élevé par un Français » : il suffit que l’enfant ait été
matériellement et moralement recueilli sans que l’on puisse exiger une rupture totale des liens légaux
unissant l’enfant à sa famille d’origine ; l’enfant doit être détaché de son milieu familial étranger, ne plus
en subir aucune influence. Or, dans la mesure où l’on n’exige pas de rupture juridique du lien familial, la
représentation de l’enfant de moins de seize ans par ses père et mère est en principe nécessaire, lesquels
se sont, par définition, désintéressés de l’enfant ; c’est pourquoi le juge se prononce le plus souvent sur
une délégation de l’autorité parentale ou sur l’ouverture d’une tutelle. L’enfant confié au Service l’aide
sociale à l’enfance peut également réclamer la nationalité française et, là encore, aucune rupture juridique
du lien familial n’est nécessaire. La loi n’exigeait pas de délai de prise en charge pour que l’enfant puisse
réclamer la nationalité française car on présumait que l’enfant recueilli et élevé par un Français ou pris en
charge par un service public français était intégré dans le milieu social français. Seul un délai raisonnable
était requis.
193
Ce qui pourrait contredire l’article L. 225-1 du Code de l’action sociale et des familles qui prévoient
que « les enfants admis en qualité de pupilles de l’État doivent faire l’objet d’une adoption dans les
meilleurs délais ».

331
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

482. Cet exemple relatif à l’adoption internationale permet de mettre en évidence


le fait que le droit français ne semble finalement user d’arguments liés à la présence
durable des étrangers en France et à leur intégration dans la communauté française que
lorsqu'il considère nécessaire d’assujettir les intéressés à la loi française ; pour ce faire,
il soumet les étrangers à la loi française en recourant à un critère territorial qui désigne
la loi de leur milieu de vie (la formulation unilatérale de la règle de conflit atteste
d’ailleurs de cette volonté). Dans les autres situations où il apparaît moins essentiel
d’appliquer les normes françaises, la loi d’origine des intéressés sert encore de référence
à titre de principe. L’idée qu’il convient parfois d’appliquer aux étrangers installés en
France la loi française de leur milieu de vie, de les assimiler en quelque sorte aux
Français, peut également se traduire par une application immédiate de la loi française,
en dehors d’une règle de conflit.

SECTION 2. L’APPLICATION IMMÉDIATE DE LA LOI FRANÇAISE DE LA RÉSIDENCE


HABITUELLE AUX ÉTRANGERS INSTALLÉS EN FRANCE

483. La loi nationale régit en principe les effets du mariage. À défaut de


nationalité commune des époux, c’est la loi de leur domicile commun (entendu selon la
jurisprudence Rivière194 au sens d’un « établissement effectif dans le même pays ») qui
est applicable et, à défaut encore, c’est la loi du for195. C’est à cette loi de définir en
principe les effets personnels du mariage, les droits et devoirs qui incombent à chaque
époux, ainsi que les effets pécuniaires qui découlent de l’union. Pourtant, le fait que les
époux vivent en France, y ont leur résidence habituelle, a pour conséquence qu’ils ne
peuvent échapper à certaines règles qui sont applicables à tous les ménages qui y sont
installés. La loi française, en tant que loi de police ou d’application immédiate, régit
directement leurs rapports personnels ou pécuniaires ; en effet, la Cour de cassation a
estimé, dans l’arrêt Cressot du 20 octobre 1987196, que l’ensemble du régime
matrimonial primaire était d’application territoriale. Cependant, on verra qu’une loi de

194
Précitée, cf. supra n° 439.
195
Selon la jurisprudence Tarwid également précitée. Cf supra n° 439.
196
Civ. 1re, 20 oct. 1987, Cressot : Rev. crit. 1988. 541, note Y. Lequette ; JDI 1998. 447, note A. Huet.

332
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

police ne peut être appliquée en tant que telle « que s’il existe un élément de
rattachement qui justifie l’application de celle-ci »197 et qu’en la matière, l’élément de
rattachement retenu ne peut être que la résidence habituelle en France des époux (§ 1.).
La soumission directe, en dehors de toute règle de conflit, des étrangers installés en
France à la loi française s’inspire de considérations liées à l’intégration des ménages
étrangers dans le milieu social français ; cependant, la doctrine a pu considérer que la
jurisprudence aurait dû dissocier les différentes règles du régime primaire, lesquelles ne
devraient pas toutes être interprétées comme d’application territoriale (§ 2.).

§ 1. L’application immédiate de la loi française de la résidence habituelle


aux effets du mariage

484. Certaines lois sont qualifiées de « lois de police », de lois ou de règles


« d’application immédiate » ou « nécessaire ». Ces différentes expressions sont le plus
souvent données comme synonymes198 et l’idée générale, exprimée par Francescakis,
est qu’il existe certaines lois ou certaines règles « dont l’intérêt pour la société étatique
française est trop grand pour entrer en concurrence avec les lois étrangères »199. Selon la
formulation de l’auteur, « les lois de police sont des lois dont l’observation est
nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du
pays »200 ; sont donc pris en compte à la fois le but et le caractère nécessaires de telles
lois201. Toutes les hypothèses ont en commun de déroger à la méthode traditionnelle des
conflits de lois puisque des dispositions légales sont appliquées « directement », sans
« détour », par une règle de conflit qui aurait pu être applicable202. Au nom de la

197
P. LAGARDE, Recherches sur l’ordre public en droit international privé : Thèse Paris, 1956, n° 95.
198
V. cependant, pour des distinctions entre les différentes expressions, D. HOLLEAUX, J. FOYER, G. DE
G EOUFFRE DE LA P RADELLE , Droit international privé : Masson, 1987, n° 640 s. V. également
P. MAYER : Rép. intern. Dalloz, V° Lois de police, 1998, n° 6.
199
P. FRANCESCAKIS : Rép. intern. Dalloz, V° Conflits de lois. Principes généraux, n° 124 (cité par
Y. LEQUETTE, Protection familiale et protection étatique des incapables : Dalloz, Bibliothèque de droit
international privé, vol. XX, 1976, n° 265).
200
P. FRANCESCAKIS, Y a-t-il du renouveau en matière d’ordre public ? : TCFDIP 1966-1969. p. 149 s.
spéc. p. 165.
201
Cependant, même en dehors de toute question « d’organisation politique, sociale ou économique », il
existe des règles dont l’application s’impose au juge. C’est pourquoi certains auteurs considèrent que la
catégorie des lois d'application immédiate est plus large que celle des lois de police. V. D. HOLLEAUX,
J. FOYER, G. DE GEOUFFRE DE LA PRADELLE, Droit international privé : Masson, 1987, n° 640 s.
202
C’est en cela que Francescakis a pu parler de lois « d’application immédiate » : « tout se passe comme
s’il existait des lois françaises applicables immédiatement, en ce sens qu’elles se passent de

333
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

qualification de loi de police, on ne recherche pas une éventuelle loi étrangère


applicable. « Au lieu de commencer par retenir une relation humaine pour se demander
quelle loi lui est applicable », on commence par « retenir une loi pour se demander à
quelles relations humaines elle s’applique »203 ; le raisonnement des juges est donc
inversé par rapport au procédé classique de la règle de conflit de lois204.

485. Si la méthode des lois de police est acquise, les critères propres à permettre
l’identification de ces lois ne font pas l’unanimité et, de fait, aucune solution générale
ne semble pouvoir se dégager205. Des critères formalistes, techniques et finalistes ont
tour à tour été envisagés206. Tous ont été partiellement remis en cause207. Dans la

l’intermédiaire du procédé des conflits de lois » (Quelques précisions sur les "lois d'application
immédiate" et leurs rapports avec les règles de conflits de lois : Rev. crit. 1966. 1 s., spéc. p. 3). Selon
l’auteur, « si […] certaines lois doivent toujours être appliquées parce qu’elles sont particulièrement
impérieuses, pourquoi ne pas faire en ce qui les concerne l’économie d’un raisonnement – en l’espèce le
laborieux raisonnement de la règle de conflit ? Pourquoi ne pas dire que ces lois s’appliquent
"immédiatement" et que ce qui appartient au domaine du procédé des règles de conflit du type Savigny
est ce qui reste en dehors du champ d’application de ces lois ? » (op. cit., p. 8).
203
P. FRANCESCAKIS, Quelques précisions sur les "lois d'application immédiate" et leurs rapports avec
les règles de conflits de lois : Rev. crit. 1966. 1 s., spéc. p. 5.
204
Pour M. Graulich (Règles de conflit et règles d’application immédiate : Mélanges en l’honneur de Jean
Dabin, Bruylant, Sirey, 1963, t. II Droit positif, p. 629 s., spéc. 641.), les lois d'application immédiate
seraient non seulement distinctes et indépendantes des règles de rattachement, mais auraient également la
« préséance sur les règles de conflit dont elles délimitent le domaine ». Pour une critique de cette analyse,
v. P. LALIVE , Tendances et méthodes en droit international privé (Cours général) : RCADI 1977-II,
t. 155, spéc. p. 129. – Ces lois de police ou d’application immédiate se distinguent également de l’ordre
public international car si, dans les deux situations, on écarte une loi étrangère compétente, la
comparaison doit s’arrêter là puisque l’ordre public international n’intervient à l’encontre d’une loi
étrangère que parce que la règle de conflit a déterminé que la loi étrangère était applicable, alors que par
définition une loi d'application immédiate intervient en dehors de toute règle de conflit (v. sur le
rapprochement entre les deux mécanismes des lois d'application immédiate et de l’exception d’ordre
public, lorsqu'il s’agit d’écarter une loi comme contraire à l’ordre public lorsque certains liens précisés
sont réalisés (nationalité française ou résidence habituelle en France), P. MAYER et V. HEUZÉ , Droit
international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd., 2001, n° 209-1). C’est pourquoi, si
l’expression de lois « d’ordre public » est également parfois retenue, comme l’ont souligné
MM. Holleaux, Foyer et Geouffre de la Pradelle (Droit international privé : Masson, 1987, n° 640 s.), « il
s’agit alors d’un ordre public positif, provoquant d’emblée l’application de la règle considérée, qu’il ne
faut pas confondre avec l’ordre public négatif évinçant la loi étrangère normalement applicable en raison
du contenu de celle-ci ».
205
Sur les difficultés, v. Y. LOUSSOUARN, Cours général de droit international privé : RCADI 1973-II,
t. 139, p. 269 s., spéc. p. 321 s. et B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence
française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, sous l’arrêt n° 53, Cie
internationale des wagons-lits, spéc. § 12-13, p. 514.
206
V. Y. LOUSSOUARN, Cours général de droit international privé : RCADI 1973-II, t. 139, p. 269 s.,
spéc. p. 321 s.
207
Selon M. Loussouarn (Cours général de droit international privé : RCADI 1973-II, t. 139, p. 269 s.,
spéc. p. 329), « faute d’un critère de portée générale, il est impossible de considérer qu’il existe une
catégorie, un bloc homogène des lois de police. Tout effort de systématisation est nécessairement voué à
l’échec ». L’auteur (op. cit., spéc. 328), a démontré que les contours des lois de police étaient impossibles
à définir de manière nette car « il n’y a pas de différence de nature entre les lois de police et les autres

334
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

majorité des hypothèses, ce n’est pas le législateur qui détermine le champ d’application
de la loi de police, mais le juge, à propos d’une situation concrète. Dès lors, le juge doit
trouver un critère d’application pour fonder sa décision et il n’y aurait alors pas d’autre
procédé possible que celui du « rattachement » : lorsque la loi ne dit rien et que les
tribunaux « eux-mêmes estiment devoir appliquer la loi comme loi de police, il leur faut
alors dégager les facteurs de rattachement comme dans les règles de conflit de lois »208.
Il apparaît en effet incontournable de se référer à un élément de rattachement car « s’il y
a lieu d’appliquer la loi de police locale, c’est parce qu’il existe un lien entre le rapport
de droit envisagé et le pays du for »209. Le critère adopté est en général unilatéral210 et,
si l’assimilation des lois de police aux lois territoriales est aujourd’hui écartée, de fait,
les critères de rattachement retenus pour délimiter le domaine d’application des lois de
police sont pratiquement toujours d’ordre territorial211. Le critère retenu traduit en effet
le plus souvent « un lien particulier de rattachement avec le territoire »212. On peut alors
se poser la question de savoir quelle est la nature du critère qui justifie que l’on
assujettisse des personnes à des lois considérées comme territoriales. Sont-elles
applicables à toute personne qui est présente sur le territoire français ? à toute personne
qui y a sa résidence ? ou encore à toute personne qui y est domiciliée ? Si l’article 3,
alinéa 1er, du Code civil dispose que « les lois de police et de sûreté obligent tous ceux
qui habitent sur le territoire », le terme d’habitation paraît trop vague et ne semble pas
interprété de la même manière selon le domaine du droit envisagé. En effet, il ne faut

lois. […] En réalité, il existe [entre ces lois] une simple différence de degré, ce qui rend le clivage
beaucoup plus difficile. C’est en effet une question de mesure ».
208
H. BATIFFOL, Le pluralisme des méthodes en droit international privé : RCADI 1973-II, t. 139, p. 75 s,
spéc. p. 136. – M. Loussouarn (Cours général de droit international privé : RCADI 1973-II, t. 139,
p. 269 s., spéc. p. 331) a souligné que le rattachement est « l’expression même de la méthode
conflictuelle » et rapporte l’opinion de Maury selon laquelle les lois de police sont « des règles de conflit
exceptionnelles, d’une part dans leur contenu (parce qu’elles donnent une solution différente de celle de
la règle de conflit normale), d’autre part dans leur domaine (à raison de leur caractère unilatéral) ».
209
Y. LOUSSOUARN, Cours général de droit international privé : RCADI 1973-II, t. 139, p. 269 s., spéc.
p. 330.
210
En effet, « chaque État détermine à l’aide de ce critère le domaine spatial d’application de ses propres
lois de police » (P. MAYER, Rép. intern. Dalloz, V° Lois de police, 1998, n° 5). – On a également employé
l’expression de « lois matérielles autolimitées ». V. P. L ALIVE , Tendances et méthodes en droit
international privé (Cours général) : RCADI 1977-II, t. 155, spéc. p. 120 s.
211
V. Y. LOUSSOUARN, Cours général de droit international privé : RCADI 1973-II, t. 139, p. 269 s.,
spéc. p. 332. V. également P. MAYER, Lois de police : Rép. internat. Dalloz, 1998, n° 3. M. Mayer
indique ainsi qu’« une loi de police n’est […] rendue applicable qu’aux situations présentant un certain
lien spatial – il est normalement de nature territoriale – avec le pays dont elle émane. Le juge doit recourir
à un critère de rattachement pour déterminer si une certaine loi de police est ou non applicable à la
situation qui lui est soumise ».
212
B. AUDIT, Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 116.

335
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

pas perdre de vue que si l’application des lois de police s’impose, « c’est en raison de
leur teneur ou de leur but, et que leur domaine d’application dans l’espace se déduit de
cette teneur ou de ce but 213 ».

486. On considère ainsi que lorsqu’il s’agit de la protection des mineurs, il


convient de prendre les mesures qui s’imposent à l’égard d’un mineur s’il est en danger,
ou s’il représente un danger pour la société, dès lors qu’il est sur le territoire français.
Les règles qui concernent la protection des mineurs en danger, en particulier les textes
sur l’assistance éducative ou le retrait de l’autorité parentale, sont considérées comme
des lois de police et sont, par principe, applicables à tous ceux qui se trouvent en
France. Le simple fait que le mineur soit présent sur le territoire français est susceptible
d’entraîner la compétence du juge des enfants214, même si celui-ci doit toujours choisir,
parmi les diverses mesures mises à sa disposition, celles qui lui permettront de
combiner la durée plausible de la présence en France et le degré de dangerosité que
représente cette présence, à la fois pour le mineur ou pour la société ; il doit atteindre, ce
faisant, le résultat recherché par l’État français qui a édicté la mesure215. Il existe donc
une proportion entre la durée de présence du mineur sur le territoire français et les
mesures adoptées par le juge, mais la durée du séjour n’a d’importance qu’au stade du
choix des mesures qui doivent être ordonnées, elle n’entraîne pas, en tant que telle, la
qualification de lois de police. On peut noter que depuis l’entrée en vigueur de la
convention de La Haye de 1961, la quasi-totalité des situations entrent dans le champ
d’application conventionnel puisque le texte s’applique dès lors que le mineur a sa

213
P. MAYER, Les lois de police : TCFDIP 1985, Journées commémoratives du Cinquantenaire, p. 105 s.,
spéc. p. 107.
214
L’article 1181 du Nouveau Code de procédure civile n’est pas simplement transposé, mais adapté aux
nécessités de l’ordre international. M. Lequette a d’ailleurs proposé, dans sa thèse (Protection familiale et
protection étatique des incapables : Dalloz, Bibliothèque de droit international privé, vol. XX, 1976,
n° 340), de considérer qu’il existe « une véritable règle de compétence judiciaire internationale directe
propre aux lois de police et plus précisément […] aux mesures d’assistance éducative ».
215
Le juge compétent qui ordonne une mesure d’assistance éducative sur le fondement des articles 375 et
suivants du Code civil peut en pratique également tenir compte de la différence culturelle qui peut exister
entre le milieu social français et le milieu social étranger dont est issu le mineur dans sa décision. V. sur
la question H. FULCHIRON , L’éducation de l’enfant étranger, in Le droit de la famille à l’épreuve des
migrations transnationales : L.G.D.J., Actes des Journées d’Études des 3 et 4 décembre 1992, Colloque
organisé par le Laboratoire d’études et de recherches appliquées au droit privé, Université de Lille II,
1993, p. 197 s., spéc. p. 212 s.

336
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

résidence habituelle en France216, ce qui réduit d’autant le champ d’application de la loi


française217.

487. En ce qui concerne la loi applicable aux effets du mariage, la jurisprudence


a considéré que « les règles relatives aux devoirs et droits respectifs des époux énoncés
par les articles 212 et suivants du Code civil sont d’application territoriale »218 ; le
régime matrimonial primaire est considéré comme une loi de police. On peut dès lors se
poser la question de savoir quelle est la nature du critère territorial de rattachement
retenu qui permet d’appliquer directement aux époux les dispositions françaises.

488. Il est possible de raisonner à partir de la compétence internationale des


juridictions françaises ; il faut en effet, en toute logique, que les juridictions françaises
puissent être saisies, faute de quoi une telle qualification de loi de police est dénuée
d’intérêt. En matière de protection des mineurs, l’article 1181 du Nouveau Code de
procédure civile a été adapté à l’ordre international, ce qui permet de saisir le juge des
enfants du lieu où se trouve le mineur. Or, il n’existe pas de règles de compétence
dérogatoires pour appliquer les dispositions du régime primaire ; les règles de droit
commun sont simplement étendues à l’ordre international. Les articles 42 et 43 du
Nouveau Code de procédure civile donnent compétence à la juridiction du lieu où
demeure le défendeur, i.e. lieu où il a son domicile ou, à défaut, sa résidence. Si les
juridictions françaises sont compétentes dans une question liée à l’application des
dispositions du régime primaire, c’est que, par définition, les époux ont un
établissement suffisamment stable en France. Par ailleurs, la doctrine et la jurisprudence
s’accordent pour considérer que la contribution aux charges du mariage visée par

216
On peut remarquer qu’une règle interne, même de police, s’efface devant des dispositions
conventionnelles lorsque les situations entrent dans son champ d’application, alors que la loi de police est
censée s’appliquer directement en dehors de toute règle de conflit.
217
Avec l’entrée en vigueur de la convention de La Haye de 1996 sur la protection des enfants, le
domaine conventionnel se trouvera encore élargi puisque le texte vise non seulement les enfants qui ont
leur résidence habituelle en France, mais également ceux réfugiés ou internationalement déplacés ou dont
la résidence habituelle ne peut être établie (v. l’article 6 de la convention). Les articles 11 et 12 de la
convention attribuent également aux « autorités de chaque État contractant sur le territoire duquel se
trouve l’enfant ou des biens lui appartenant » une compétence pour prendre des mesures dictées par
l’« urgence » ou des mesures provisoires à efficacité territoriale limitée. Le domaine d’application de ces
deux articles comprend tous les enfants présents ou ayant des biens dans un État contractant, même si leur
résidence habituelle se trouve dans un État non contractant (v. P. LAGARDE, Rapport explicatif de la
convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération
en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants : Actes et documents de la
e
XVIII Session de la Conférence de La Haye, t. II, 1996, n° 67 s.).

337
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

l’article 214 du Code civil n’a plus lieu d’être appliquée en tant que loi de police car le
texte s’efface devant la convention de La Haye de 1973 sur la loi applicable aux
obligations alimentaires219 ; par principe, on doit considérer que leur champ
d’application est identique. Or, on a vu220 qu’en pratique, dans la quasi-totalité des
hypothèses, le tribunal compétent est saisi sur le fondement de la résidence habituelle
du créancier d’aliments221.

489. Le terme d’« habitation » retenu par l’article 3, alinéa 1, du Code civil paraît
inadéquat s’il se limite au séjour précaire ; lorsque la jurisprudence envisage le régime
matrimonial primaire comme « d’application territoriale », il ne peut s’agir au minimum
que de la résidence en France du ménage. La loi française s’applique au titre de loi de
police aux époux qui non seulement habitent, mais ont leur résidence, qui plus est
habituelle, sur le territoire français. En effet, indépendamment cette fois du problème lié
à la compétence internationale des juridictions françaises, si l’on examine le contenu
des règles déclarées d’application territoriale, on voit mal en pratique comment on
pourrait appliquer des dispositions relatives aux effets du mariage si le couple se trouve
en France pour ses vacances. Le respect du régime primaire doit être assuré : cela
implique que la vie du ménage se déroule en France, que les époux, au moins celui qui
réclame le respect ou l’application des obligations visées par les textes, y habitent de
manière suffisamment stable pour avoir un logement familial (qui plus est principal
puisque l’article 215, alinéa 3, ne protège pas la résidence secondaire de la famille),
ouvrir un compte bancaire, contracter des dettes (y compris des emprunts) pour
l’entretien du ménage, solliciter l’intervention du juge aux affaires familiales en cas de
mise en péril des intérêts de la famille, lequel, d’ailleurs, ne pourrait d’ailleurs
éventuellement prescrire certains actes conservatoires que sur des biens situés en
France.

490. Ces exemples indiquent que, par définition, les époux ont leur vie
quotidienne en France ; si ce n’était pas le cas, l’application du régime primaire à des

218
Selon les termes de l’arrêt Cressot précité (Civ. 1re, 20 oct. 1987 : Rev. crit. 1988. 541, note
Y. Lequette ; JDI 1988. 447, note A. Huet).
219
Sur ce point, cf. supra n° 168.
220
Cf. supra n° 154 s.
221
Lorsque le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne ou de
l’Association européenne de libre échange, par application du règlement « Bruxelles I » (ou de la

338
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

étrangers relèverait de l’incohérence. M. von Overbeck222, dans son rapport relatif à la


convention de La Haye de 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, indique
d’ailleurs que toutes les questions d’ordre patrimonial entre époux n’entrent pas dans le
domaine de la loi applicable au régime matrimonial : « il en est ainsi en particulier de ce
que la doctrine française appelle, depuis la loi du 13 juillet 1965, le "régime primaire"
fixé aux articles 214 à 226 du Code civil français »223. L’auteur souligne que « les
dispositions sur la participation des époux aux charges du ménage, le logement familial,
les pouvoirs de représentation affectant le crédit public, etc., ont dans certains pays un
caractère d’ordre public, ou […] de loi d’application immédiate », mais que quel que
soit le point de vue doctrinal adopté, « elles semblent devoir régir tous les époux
intégrés dans une certaine société, peu importe la loi que ceux-ci ont pu choisir pour
leur régime matrimonial ».

491. Ces dispositions s’appliquent à tous les ménages durablement installés en


France, quelle que soit la nationalité des époux, et que les obligations soient
personnelles ou pécuniaires. Les arguments invoqués sont liés à la notion d’intégration
des étrangers en France ; cependant, certains auteurs estiment qu’il faudrait dissocier les
différentes règles du régime primaire et ne pas toutes les interpréter comme étant
d’application territoriale.

§ 2. Les conséquences de l’application immédiate de la loi française aux


effets du mariage

492. Certains auteurs ont vu dans la qualification de lois de police pour les
dispositions du régime matrimonial primaire l’application aux époux d’« un formidable
instrument d’intégration de la population immigrée non naturalisée » et estimé qu’il
« ne faut pas sous-estimer cet aspect à partir du moment où on soumet au régime

Convention de Bruxelles de 1968) et de la convention de Lugano ; dans les autres cas, par application de
l’article 46 in fine du Nouveau Code de procédure civile.
222
A. E. VON OVERBECK, Rapport de la Commission spéciale : Actes et documents de la XIIIe session de
la Conférence de La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, n° 68, p. 153.
223
On peut souligner que l’auteur n’a pas repris les dispositions des articles 212 et 213 du Code civil.

339
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

primaire français tous les ménages résidant en France »224. On retrouve donc les
arguments évoqués quant à la nécessité de recourir à un critère de rattachement de
nature territoriale en matière de statut personnel : assujettir les ménages étrangers à la
loi française est peut-être lié au fait d’une intégration déjà réalisée dans le milieu social
français ; à défaut, imposer la loi française constitue un facteur d’intégration, c’est un
moyen d’intégrer les étrangers à la vie française.

493. Il est, par ailleurs évident que développer le champ d’application des lois
d'application immédiate permet d’assurer la primauté de la loi française locale sur une
éventuelle loi personnelle. Le mécanisme des lois d'application immédiate permet
d’éviter le recours à l’exception d’ordre public dans l’hypothèse où la loi étrangère
désignée par la règle de conflit heurterait les conceptions du for, mais ôte parallèlement
à la loi étrangère toute vocation à s’appliquer. Il est certain, comme l’a constaté M.
Déprez225, qu’il suffit que la loi du for soit déclarée d’application territoriale dans
quelques domaines clés pour faire basculer hors du champ de la loi nationale une grande
partie du statut des étrangers résidant en France, et « l’orientation actuelle de la
jurisprudence française conduit à refouler toute application de la loi personnelle en
matière des effets du mariage ». L’auteur évoque la « territorialité envahissante de la loi
locale », mais considère qu’ouvertement avouée, cette territorialité, qui concerne tous
les étrangers installés en France indépendamment de leur nationalité, est « moins
suspecte de discrimination ou de xénophobie que le procédé de l’ordre public » en ce
qui concerne les personnes de statut musulman.

494. Ce n’est d’ailleurs pas tant la méthode des lois de police qui a pu être
critiquée par la doctrine, que le fait que ce soit l’ensemble du régime matrimonial
primaire qui se trouve ainsi visé. Dans l’arrêt Cressot précité226, la Cour de cassation a
en effet énoncé que « les règles relatives aux devoirs et droits respectifs des époux
énoncées par les articles 212 et suivants du Code civil sont d’application territoriale ».
Dans cette espèce, une femme franco-syrienne avait assigné son mari franco-libanais en
contribution aux charges du mariage sur le fondement de l’article 214 du Code civil ; le

224
I. FADLALLAH, v. les débats sous la communication de M. Wiederkehr, Problèmes d’actualité en
matière de droit international privé des régimes matrimoniaux : TCFDIP 1987-1988, p. 223 s., spéc. 241.
225
J. DÉPREZ , Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. (Les
relations entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel) :
RCADI 1988-IV, p. 9 s., spéc. p. 179.

340
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

couple et les enfants vivaient en France depuis huit ans au moment de la demande. Le
mari s’y était opposé en arguant notamment du fait que, cet article renvoyant aux
conventions matrimoniales, la demande de son épouse devait être réglée selon la loi
applicable au régime matrimonial des époux. La Cour a rejeté le pourvoi au motif que
les dispositions des articles 212 et suivants sont d’application territoriale227. C’est donc
tout le régime matrimonial primaire qui est déclaré d’application territoriale228. La Cour
s’en est tenue au droit commun ; on peut raisonnablement supposer qu’aujourd’hui elle
aurait fait application des dispositions de la convention de La Haye de 1973 sur la loi
applicable aux obligations alimentaires et estimé que la loi applicable est la loi interne
de la résidence habituelle du créancier d’aliments229 ; en l’occurrence, la loi française
aurait pu être appliquée. Elle a clairement soustrait la contribution aux charges du
mariage de la loi du régime matrimonial230, mais c’est par un attendu très général, non
exclusivement fondé sur les dispositions de l’article 214 du Code civil, que la Cour s’est
prononcée.

226
Précité.
227
On aurait pu envisager qu’en l’espèce, la loi française ait pu être appliquée en tant que loi nationale
commune des deux époux « franco-étrangers », solution d’ailleurs retenue par la décision d’appel
attaquée. Mais la motivation de la Cour de cassation, par sa généralité, laisse penser que la solution
rendue aurait été identique en présence de deux époux étrangers.
228
Les « devoirs et les droits respectifs des époux » contenus dans le chapitre 6 du titre V du Code civil
relatif au mariage sont visés aux articles 212 à 226. En droit français, toutes ces dispositions sont
applicables, quel que soit le régime matrimonial des époux, par le seul effet du mariage (art. 226).
229
Selon l’article 4 de la convention. La Cour a estimé que la contribution aux charges du mariage ne
relevait pas du domaine d’application de cette convention. Cette question a été discutée. V., sur ce point,
les références citées par MM. Huet (note sous Civ. 1re, 20 oct. 1987 : JDI 1988. 447 s., spéc. p. 451) et
Lequette (note sous le même arrêt, Rev. crit. 1988, p. 541, spéc. p. 545). Désormais, la jurisprudence
semble admettre que le terme d’obligation alimentaire doit être pris dans un sens large. V. B. AUDIT ,
Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 515 : le terme d’obligation
alimentaire doit être pris dans un « sens générique, c'est-à-dire qu’il est susceptible de s’appliquer à des
institutions différemment dénommées : devoir de secours, d’entretien, contribution aux charges du
mariage ». – V. Civ. 1re, 6 nov. 1990 : Rev. crit. 1991. 348, note M. Simon-Depitre ; Gaz. Pal. 30 juill.
1991, n° 211, p. 11, note J.-P. Rémery. Dans cet arrêt, la femme avait fait une demande de contribution
aux charges du mariage ; la Cour a considéré que la résidence en France de la femme justifiait la
compétence du droit français en vertu de l’article 4 de la convention de La Haye de 1973. V. déjà, en ce
sens, TGI Dunkerque, 17 avr. 1985 : D. 1985. 551, note Rémery ; Douai, 10 juill. 1981 : JDI 1984. 320,
note P. Courbe (« la contribution relève indubitablement de la Convention de La Haye »).
230
V., pour une analyse critique, par exemple, M. SIMON-DEPITRE, Les aliments en droit international
privé : TCFDIP 1973-1975, p. 39 s, spéc. p. 54. Selon l’auteur, « en fixant le principe de la contribution
aux charges du mariage, l’article 214 du Code civil réserve lui-même le cas des conventions
matrimoniales. Par conséquent on pourrait donner compétence à la loi du contrat de mariage lorsque
celui-ci prévoit la contribution aux charges du ménage, et donner compétence à une loi différente en
l’absence de contrat de mariage ».

341
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

495. Les termes de l’arrêt Cressot, par leur généralité, ont laissé les auteurs
« perplexes »231 ou les ont « surpris »232. Si l’on doit reconnaître à de nombreuses règles
du régime primaire le caractère de lois de police, toute systématisation devrait, selon
une large majorité de la doctrine233, être écartée234. Le « caractère hétérogène »235 ou
« hétéroclite »236 du régime primaire, des matières qu’il régit, se prêterait en effet
difficilement à la compétence d’une loi unique.

496. Ainsi, c’est de manière incontestée que l’article 215, alinéa 3, du Code civil
qui interdit à chaque époux de disposer seul des droits par lesquels est assuré le
logement de la famille et des meubles meublants dont il est garni est considéré comme
devant s’appliquer à tous les ménages résidant en France. Cet article a notamment pour
but d’éviter « de mettre à la charge de la collectivité la tâche d’assurer [le] relogement
[des époux] »237 qui pourrait être à la charge de l’État quelle que soit la nationalité des
époux238. La cotitularité du bail relatif au local d’habitation envisagée dans l’article
1751 du Code civil, applicable à tous les époux quel que soit leur régime matrimonial,
est d’ailleurs également envisagée comme une loi de police239. De même, l’article 220
du Code civil, visant les pouvoirs ménagers des époux, et les articles 221 et 222, qui

231
Y. LEQUETTE, note sous Civ. 1re, 20 oct. 1987 : Rev. crit. 1988. 541, spéc. 542.
232
A. HUET, note sous Civ. 1re, 20 oct. 1987 : JDI 1988. 447, spéc. 454.
233
V., par exemple, G. WIEDERKEHR, note sous Civ. 1re, 22 oct. 1985 : JDI 1986. 1005 s., spéc. 1010 ;
Y. LOUSSOUARN et P. BOUREL, Droit international privé : Dalloz, Coll. Précis, Droit privé, 7e éd., 2001,
n° 314 ; D. HOLLEAUX, J. FOYER, G. DE GEOUFFRE DE LA PRADELLE, Droit international privé : Masson,
1987, n° 640 s. V. également P. MAYER (Rép. intern. Dalloz, V° Lois de police, 1998, n° 1296) pour qui
« les règles en cause ne méritent pas toutes le caractère de lois de police ».
234
La Cour de cassation avait déjà, en 1985 (Civ. 1re, 22 oct. 1985 : D. 1986. 241, note A. Breton ; JDI
1986. 1005, note G. Wiederkehr), considéré le régime primaire comme un ensemble indissociable, mais
en retenant une solution différente de celle de l’arrêt Cressot puisqu’elle avait en effet rattaché le régime
matrimonial de base à la loi des effets du mariage. – La décision de 1985 est différente de celle de 1987,
mais elles ne sont pas forcément incompatibles si l’on considère que la référence à la loi territoriale de
l’arrêt Cressot correspond à la notion de loi de police : « le fait que le régime primaire, en tant que tel,
relève de la loi personnelle des effets personnels n’empêchant pas que les règles françaises puisssent être
d’application immédiate » (G. WIEDERKEHR , Problèmes d’actualité en matière de droit international
privé des régimes matrimoniaux : TCFDIP 1987-1988, p. 223 s., spéc. p. 233). V. également
Y. LEQUETTE, note sous Civ. 1re, 20 oct. 1987 : Rev. crit. 1988. 541, spéc. 544.
235
M. R EVILLARD , Droit international privé et pratique notariale : Éd. du Répertoire du notariat
Defrénois, 5e éd., 2001, n° 100.
236
Y. LOUSSOUARN et P. BOUREL, Droit international privé : Dalloz, Coll. Précis, Droit privé, 7e éd.,
2001, n° 314. Selon les auteurs, « le caractère hétéroclite des matières régies par les articles 212 à 226
permet de douter de la possibilité de leur appliquer une loi unique ».
237
P. M AYER et V. HEUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 783.
238
Une décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 1995 attribue d’ailleurs à « la possibilité pour
toute personne de posséder un logement décent » « un objectif de valeur constitutionnelle » (v. F. ZITOUI,
Le Conseil constitutionnel et le logement des plus démunis : Petites Affiches, 12 janv. 1996, n° 6, p. 14).
239
V. Aix-en-Provence, 16 nov. 1977 : Rev. crit. 1979. 747, note I. Fadlallah.

342
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

réglementent les présomptions de pouvoirs concernant l’ouverture d’un compte bancaire


et l’accomplissement d’un acte sur un bien meuble détenu individuellement par un
époux, qui concernent directement le crédit public, l’intérêt des tiers et leur protection,
ont également été considérés comme des lois de police240. Ces textes « requièrent une
application territoriale sous peine de remettre en cause de façon générale le crédit des
ménages installés en France, en obligeant les tiers à se renseigner sur la nationalité des
époux »241. Il paraît en effet impossible pour un commerçant ou pour un banquier, de
demander à ses clients quelle est la loi applicable aux effets de leur mariage ou de
connaître le contenu de cette loi. En ce qui concerne l’article 214 du Code civil relatif à
la contribution aux charges du mariage, on a vu242 que l’on considère que cette matière
entre dans le champ d’application de la convention de La Haye de 1973 sur la loi
applicable aux obligations alimentaires ; on applique alors au créancier d’aliments, par
principe, la loi de sa résidence habituelle243.

497. La doctrine apparaît plus divisée en ce qui concerne d’autres règles du


régime matrimonial primaire244. Ainsi, certains considèrent les articles 217, 218 et 219
du Code civil comme des lois de police245, d’autres les envisagent au titre de
l’urgence246, et d’autres encore comme lois du régime matrimonial247. Les mêmes
hésitations caractérisent les articles 220-1, 220-2 et 220-3 : l’urgence, le caractère de loi
de police ou l’ordre public ont également pu être retenus pour justifier leur champ

240
V. H. BATIFFOL, La treizième session de la Conférence de La Haye de droit international privé : Rev.
crit. 1977. 451 s., spéc. 460. L’auteur souligne que le régime matrimonial, « s’il concerne certes les
relations de famille, a aussi des effets à l’égard des tiers, c'est-à-dire dans le milieu dans lequel vivent les
époux ».
241
P. M AYER et V. HEUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 783.
242
Sur ce point cf. supra n° 154, n. 131.
243
On peut à nouveau remarquer (cf. supra n° 486, n. 216) que la loi de police s’efface devant des
dispositions conventionnelles lorsque les situations entrent dans son champ d’application.
244
V., sur l’ensemble de la question, A. H UET, note sous Civ. 1re, 20 oct. 1987 : JDI 1988. 447 s., spéc.
p. 455 et les références citées.
245
V. Y. L EQUETTE, note sous TGI Paris 25 juin 1976 : JDI 1978. 325. Le tribunal a d’ailleurs dans ce
jugement considéré l’article 219 comme une loi de police.
246
Selon MM. Batiffol et Lagarde (Traité de droit international privé : t. 2, L.G.D.J., 7e éd., 1983,
n° 631-1), ces articles correspondant à des « situations de crise », « l’urgence justifierait donc le recours à
ces textes par les époux justiciables des tribunaux français ».
247
V. K ARAQUILLO , Études de quelques manifestations des lois d'application immédiate dans la
jurisprudence française de droit international privé : 1977, n° 330 (cité par A. Huet, note sous Civ. 1re,
20 oct. 1987 : JDI 1988. 447 s., spéc. 455).

343
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

d’application territorial248. Enfin, l’article 223 a été envisagé comme une loi de police,
un effet du mariage, ou encore un élément du statut personnel des époux.

498. En revanche, les auteurs rejettent franchement l’idée de qualification de loi


de police pour les dispositions visées à l’article 212, qui concerne l’obligation de
fidélité, de secours et d’assistance, et à l’article 213, qui dispose que les époux doivent
assurer ensemble la direction morale et matérielle de la famille et pourvoir à l’éducation
des enfants et à la préparation de leur avenir. La loi des effets du mariage est en effet la
seule qui devrait pouvoir être appliquée pour ces relations strictement personnelles entre
les époux. D’ailleurs, le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 25 juin
1976249, souvent cité comme exemple de décision ayant interprété les dispositions
relatives au régime primaire comme étant, dans leur ensemble, des lois de police, n’était
pourtant pas, contrairement à l’arrêt Cressot, allé jusqu’à viser ces deux articles250. Le
fait que l’arrêt Cressot ait assimilé aux lois de police les dispositions des articles 212 et
213 est apparu comme « franchement excessif » à certains251. Pour une raison similaire,
i.e. le caractère strictement personnel des relations entre époux, les alinéas 1 et 2 de
l’article 215 du Code civil relatifs à la communauté de vie et au choix de la résidence de
la famille ne doivent pas être interprétés comme des lois de police252. Depuis 1987, la
jurisprudence n’a jamais réaffirmé le caractère territorial de ces articles mais il est vrai
que le contentieux est pour ainsi dire inexistant non seulement dans les rapports
internationaux mais également en droit interne, du fait du caractère moral de leur

248
V. par exemple, P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit
privé, 7e éd., 2001, n° 783.
249
TGI Paris, 25 juin 1976 : Rev. crit. 1977. 708, note É. Poisson-Drocourt ; JDI 1978. 325, note
Y. Lequette.
250
« Les dispositions des articles 214 à 226 du Code civil […] doivent être comprises au nombre des lois
de police au sens de l’article 3, alinéa premier, du Code précité ».
251
P. M AYER et V. HEUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 783. V. également Y. LEQUETTE (note sous Civ. 1re, 20 oct. 1997 : Rev. crit. 1988. 541, spéc.
544) ; pour l’auteur, « vouloir faire de la fidélité "à la française" une règle d’application territoriale, ce
serait par exemple imposer une chasteté absolue aux époux polygames établis en France ainsi qu’à leurs
multiples épouses ».
252
V. cependant l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris (30 mars 1995 : RTD civ. 1995. 95, obs.
J. Hauser ; Rev. crit. 1996. 639, note B. Bourdelois) et les observations de Mme Bourdelois qui considère
que « en visant l’obligation de communauté de vie et en citant l’article 215 du Code civil dont elle affirme
l’application sans d’ailleurs la justifier sur le terrain des conflits de lois, la décision semble se situer dans
la ligne droite de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation qui considère que les dispositions
françaises du régime primaire, qui relèvent des effets du mariage lorsque les époux sont tous deux de
nationalité française, sont en outre applicable à tous les époux résidant en France ». V., pour une analyse
différente, M. F ARGE , Le statut familial des étrangers en France : de la loi nationale à la loi de la
résidence habituelle : L’Harmattan, 2003, n° 317.

344
CHAPITRE 1. L’APPLICATION DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LOI DU MILIEU DE VIE
ACTUEL

contenu. La sanction d’une violation de tels droits étant difficilement envisageable en


dehors d’une action en divorce, laquelle est soumise aux dispositions de l’article 310 du
Code civil en ce qui concerne la loi applicable253, la question est d’ordre plus théorique
que pratique.

499. Que les effets du mariage soient tous soumis à la loi française en tant que loi
de police, ou que seuls quelques uns le soient, il est incontestable qu’une autre partie du
statut personnel se trouve ainsi soustraite à la loi personnelle des intéressés au profit de
la loi du milieu de vie, ce qui est conforme à la tendance actuelle du droit international
privé.

253
Selon M. Farge (Le statut familial des étrangers en France : de la loi nationale à la loi de la résidence
habituelle : L’Harmattan, 2003, n° 308 s.), la référence dans l’arrêt Cressot aux effets personnel du
mariage pourrait peut-être servir à justifier le prononcé du divorce (l’analyse de l’article 212 du Code
civil en tant que loi de police permettrait, par exemple, à la femme résidant avec son mari en France
d’obtenir un « divorce à la française », en évitant le détour par la loi nationale commune des époux pour
apprécier la faute du mari), mais les tribunaux français n’ont jamais étendu cette jurisprudence au droit
des causes du divorce.

345
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

346
CONCLUSION DU CHAPITRE 1.

500. La France a opté, à titre de principe, pour la nationalité comme élément de


rattachement dans les matières relevant du statut personnel. Pourtant, dès l’Entre-deux-
guerres, faire appel à un critère territorial s’est révélé nécessaire pour pallier certaines
défaillances techniques du critère de la nationalité liées à des questions d’apatridie ou au
contraire de plurinationalités. Le choix d’un critère territorial aurait pu rester ce qu’il
était alors : un simple remède ; il n’en fut rien. Progressivement se dessina en effet un
mouvement doctrinal et jurisprudentiel en faveur de la loi du domicile, envisagé sous
une forme très concrète. On estimait que les étrangers devaient être soumis à la loi qui
correspond à leur milieu de vie. À l’occasion des deux réformes sur la filiation de 1972
et du divorce de 1975, le législateur français décida de soumettre tout ou partie de ces
matières à la loi française, loi du milieu social dans lequel les étrangers sont intégrés. La
résidence habituelle et le domicile furent retenus comme critères de désignation de la loi
applicable, mais peu importe le terme utilisé car, dans les deux cas, la loi française du
milieu de vie quotidien est désignée. Lorsque la jurisprudence se réfère au « domicile
effectif commun » des intéressés, elle déduit la composante intentionnelle du domicile
de l’effectivité de l’établissement en un lieu ; le domicile est donc assimilé à la
résidence habituelle, il se comprend comme tel.

501. L’infléchissement de la règle de conflit française au profit de la loi du


milieu de vie répond à des nécessités liées au contexte migratoire de la France. En 1999,
le dernier recensement fait état de la présence de 4,3 millions d’immigrés en France et
de 3,2 millions d’étrangers. L’immigration apparaît comme durable, familiale et
diversifiée quant à l’origine des migrants. Le fait que les étrangers s’établissent
durablement en France pourrait laisser supposer qu’ils appartiennent de fait à la
communauté française, qu’ils s’y sont intégrés ; leur appliquer la loi française serait la
consécration juridique de cette intégration. Il semble pourtant difficile de corroborer
cette idée, en particulier en matière de statut personnel, dans la mesure où certains
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

immigrés restent profondément attachés à leur identité culturelle. En revanche, la


doctrine est plus unanime pour considérer qu’appliquer aux étrangers la loi française de
leur milieu de vie peut faire partie d’un processus d’intégration ; la politique serait alors
plus volontariste. Cette volonté d’appliquer aux étrangers la loi française s’est
directement traduite par l’adoption de critères de rattachement territoriaux formulés de
manière unilatérale ; elle s’est également traduite de manière plus indirecte, la Cour de
cassation ayant récemment affirmé que la nationalité commune de deux époux ne peut
constituer un lien suffisamment caractérisé avec leur juge national lorsqu’ils sont tous
les deux établis en France. Par ailleurs, en dehors même d’une règle de conflit fondée
sur l’établissement des étrangers dans le milieu social français, un certain nombre de
dispositions du statut personnel, en particulier celles relatives aux effets du mariage,
sont également soustraites du champ d’application de la loi nationale : la loi française
s’applique en la matière en tant que loi de police à toute personne qui a sa résidence
habituelle en France.

502. On peut finalement se poser la question de savoir s’il s’agit uniquement


pour le droit français de questions liées à l’intégration, réalisée ou provoquée, des
étrangers. Le choix des méthodes utilisées (règles de conflit unilatérales, lois
d'application immédiate) laisse à penser qu’il s’agit surtout d’élargir le champ
d’application de la loi française de manière qu’elle soit appliquée aux étrangers qui se
trouvent établis en France, sans que soit remis en cause le principe de l’application de la
loi nationale (les Français installés à l’étranger restant alors soumis à la loi française).
En matière d’adoption internationale, le législateur français a ainsi décidé d’un
rattachement fondé sur la loi nationale des intéressés pour ce qui concerne les
conditions de l’adoption ; le fait que les étrangers de statut personnel prohibitif puissent
retourner dans leur pays d’origine a été pris en compte. On ne peut que constater que les
arguments liés à l’intégration des étrangers, au fait qu’ils sont amenés à demeurer
durablement sur le sol français, sont diversement appréciés selon la matière considérée.
Quelles qu’en soient les raisons, c’est peut être finalement la multiplication des
exceptions apportées au principe de l’application de la loi nationale, loi d’origine des
intéressés, qui lui permet aujourd’hui de subsister.

348
CHAPITRE 2.
LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU
PROFIT DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE
HABITUELLE EN RAISON D’UN ENRACINEMENT
DANS LE MILIEU DE VIE

503. Les situations envisagées dans ce développement concernent la question de


la mutabilité de la loi applicable. Les intéressés sont successivement soumis à deux lois
différentes et le changement de la loi applicable, prévu par le législateur, se fait au profit
de la loi de la résidence habituelle. Par définition, si l’on change de loi applicable au
profit de la loi de la résidence habituelle, c’est que, au départ, la résidence habituelle ne
peut être considérée comme le critère qui exprime les liens les plus étroits, les plus
significatifs, de la situation juridique considérée, mais qu’elle le devient ensuite. On
peut dès lors se poser la question de savoir ce qui a changé entre-temps pour que la
résidence habituelle devienne l’élément de rattachement adéquat, pour que la situation
se trouve, de ce fait, soumise à une nouvelle loi.

504. La résidence, en particulier qualifiée d’habituelle, est toujours l’expression


d’une habitude de vie en un lieu, d’un établissement stable et effectif. Ainsi, les
rédacteurs des conventions de La Haye ont cherché, en retenant la résidence habituelle,
à désigner un critère qui soit révélateur d’une proximité géographique et matérielle des
intéressés ; de même, lorsque le droit français soumet les étrangers installés en France à
la loi française, par exemple en matière de divorce ou pour le régime matrimonial
primaire, on estime qu’ils doivent directement être soumis à la loi de leur milieu de vie
actuel1. On applique la loi de la résidence habituelle tout en sachant que les intéressés
peuvent être encore attachés à leur pays d’origine, qu’ils peuvent avoir conservé des

1
Cf. supra, chapitre précédent.
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

intérêts à l’étranger2. La résidence habituelle est un critère qui suffit à remplir les
objectifs de la règle de conflit.

505. Lorsque le législateur souhaite, en revanche, retenir un critère de


rattachement qui traduise non pas simplement une habitude de vie en un lieu, un
établissement stable, mais, au-delà, un déplacement réel du centre des intérêts, voire une
intégration ou un enracinement dans le milieu de vie, on peut mettre en doute le fait que
la notion de résidence habituelle puisse, à elle seule, exprimer tout cela. Peut-on, en
effet, déduire de l’établissement de la résidence habituelle en un lieu donné un
déplacement avéré du centre des intérêts de la personne concernée ou son intégration
dans la communauté locale ? Il faudrait soumettre chaque situation à un examen
particulier, en tenant compte de toutes les circonstances de fait telles que la durée
écoulée de son établissement dans la société d’accueil, les raisons de son déplacement,
son intention de retourner à plus ou moins long terme dans son pays d’origine ; or, il est
illusoire d’envisager d’abandonner la solution de la règle de conflit à un examen au cas
par cas qui serait difficilement praticable et dont il résulterait une grave insécurité
juridique3.

506. Les rédacteurs des conventions de La Haye ont pourtant parfois retenu la
résidence habituelle comme élément révélateur du centre de vie des intéressés et d’une
appartenance à la communauté locale, mais en la combinant alors avec un autre
élément, en particulier un facteur de durée. L’adoption du critère de la résidence
habituelle repose en ce cas sur une présomption : celle selon laquelle, avec le temps, les
intéressés déplacent nécessairement le centre de leurs intérêts. La présomption est une
conséquence que l’on tire d’un fait connu (la résidence habituelle, présence matérielle
stable en un lieu de la personne concernée) à un fait inconnu (le déplacement du centre
des intérêts, l’intégration dans un milieu de vie), dont l’existence est rendue
vraisemblable par le premier4 ; du fait de cette présomption, il n’y a pas à prouver le fait
inconnu, difficile ou impossible à établir directement, à charge pour l’intéressé de

2
On a d’ailleurs vu (cf. supra n° 463 s.) qu’appliquer la loi de la résidence habituelle aux étrangers
pouvait être envisagé non comme le résultat d’une intégration difficile à mesurer, mais plutôt comme un
moyen de la provoquer.
3
V. G. V A N HECKE , Principes et méthodes de solution des conflits de lois : RCADI 1969-I, t. 126,
p. 399 s., spéc. p. 533-534.
4
Cette définition reprend celle de G. CORNU, Vocabulaire juridique. Association Henri Capitant : PUF,
1998, V° Présomption.

350
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

rapporter la preuve du fait connu. Dans la mesure où le centre des intérêts des personnes
se déplace progressivement, où il faut généralement attendre un certain temps pour que
se tissent des liens effectifs entre l’intéressé et la communauté locale, on peut
logiquement décider qu’un délai de résidence habituelle doit s’être écoulé pour rendre
vraisemblable ce déplacement du centre des intérêts5. La résidence habituelle n’est alors
pas dénaturée, elle reste un élément de rattachement purement objectif mais qualifié
dans sa durée, elle peut servir à établir un élément plus subjectif, le déplacement du
centre des intérêts de la personne de son milieu d’origine vers son milieu
d’établissement, son milieu de vie. Si les liens les plus étroits de la situation juridique
sont alors au lieu de la résidence habituelle, un changement de loi applicable peut être
envisagé ; la résidence habituelle peut être substituée comme critère de rattachement à
celui initialement choisi pour régir la situation donnée. Reste alors à déterminer le seuil
temporel sur lequel repose la présomption ; il doit logiquement dépendre des objectifs
de la règle de conflit.

507. Après avoir constaté la consécration par la Conférence de La Haye de la


résidence habituelle comme élément de rattachement traduisant un déplacement du
centre des intérêts et justifiant, en certains cas, le changement de la loi
applicable (Section 1.), on se posera la question de savoir si le droit français ne pourrait
pas envisager une telle solution, en particulier en matière de statut personnel, et prévoir
un changement de la loi applicable au profit de la loi de la résidence habituelle au-delà
d’un certain temps de résidence habituelle en un lieu (Section 2).

SECTION 1. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA LOI DE LA


RÉSIDENCE HABITUELLE CONSACRÉ PAR LA CONFÉRENCE DE LA HAYE

508. Les rédacteurs de la convention de La Haye sur la loi applicable aux


régimes matrimoniaux ont adopté un mécanisme de changement de loi applicable au

5
Il faut souligner que l’idée de présomption ne repose pas sur une fiction, laquelle exprime un fait
contraire à la réalité. V. F. GÉNY, Science et technique en droit privé positif : nouvelle contribution à la
critique de la méthode juridique. Élaboration technique du droit positif : t. 3, Sirey, 1921, n° 240.
L’auteur définit la fiction comme une altération voulue du réel.

351
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

profit de la loi de la résidence habituelle des époux. Après avoir détaillé ce


mécanisme (§ 1.), on analysera les diverses conditions requises pour que la résidence
habituelle induise un déplacement du centre des intérêts, un enracinement dans un
milieu de vie (§ 2.).

§ 1. Le principe du changement de loi applicable. L’exemple des régimes


matrimoniaux

509. La loi applicable au régime matrimonial relève de l’autonomie de la volonté


des époux qui peuvent exprimer leur choix non seulement au moment du mariage, mais
également au cours de celui-ci, les époux pouvant en effet décider d’un changement de
loi applicable. Alors que dans le système jurisprudentiel français la loi applicable en la
matière est déterminée de manière définitive à la date du mariage des époux6, la
convention de La Haye de 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, loin de
consacrer la permanence du rattachement, a au contraire adopté un double système de
mutabilité : mutabilité volontaire ou mutabilité automatique7. Dans ces deux
hypothèses, le critère de résidence habituelle joue un rôle important, l’objectif de ce
système étant de faire correspondre les intérêts pécuniaires des époux avec leur situation
actuelle.

510. En ce qui concerne la mutabilité volontaire du régime matrimonial, les


rédacteurs de la convention relative aux régimes matrimoniaux sont partis du principe
que si les époux sont libres de désigner la loi applicable à leur régime matrimonial au
moment du mariage, ils doivent également pouvoir choisir une nouvelle loi au cours de
ce mariage. Si le choix par les époux d’une loi au moment du mariage est limité, celui
qui intervient après l’union doit également l’être et pour les mêmes raisons : seules les

6
V. Civ. 1re, 19 déc. 1973 : Rev. crit. 1975. 247, note G. Wiederkehr ; JCP 1975. II. 18116, note
M. Simon-Depitre ; Rép. Commaille 1975. 613, note G. A. L. Droz. Selon la Cour de cassation, « le
rattachement du régime matrimonial ou conventionnel à la loi choisie par les époux à la date de leur union
est permanent ». Sur les inconvénients du système et les atténuations qui ont été envisagées, v.
G. A. L. DROZ : Rép. intern. Dalloz, V° Régimes matrimoniaux, 1998, n° 56 s.
7
Cependant, la possibilité d’opter pour une nouvelle loi s’applique à tous les époux, même mariés avant
le 1er septembre 1992, date d’entrée en vigueur de la convention, alors que la mutabilité automatique du
rattachement ne vise que les époux mariés après cette date.

352
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

lois qui ont un lien concret avec les époux peuvent être désignées8. Selon l’article 6,
alinéa 2, de la convention, ils ne peuvent opter que pour « 1. La loi dont l’un des époux
a la nationalité au moment de cette désignation ; 2. la loi sur le territoire duquel l’un des
époux a sa résidence habituelle au moment de cette désignation ». Les époux peuvent
ainsi décider que la loi applicable à leur régime matrimonial est la loi de leur nouvelle
résidence habituelle9, loi de leur milieu de vie actuel avec lequel ils entretiennent des
attaches, alors qu’ils étaient assujettis à une autre loi10. Le changement de loi applicable
est alors par principe rétroactif11, sous réserve que « l’exercice de cette faculté ne porte
pas atteinte aux droits des tiers »12.

511. Le système élaboré dans la convention de 1978 relatif à la mutabilité


automatique du régime matrimonial est beaucoup plus original13. Lorsque les époux
expriment formellement un choix quant à la loi applicable, quel qu’en soit le moment,
ce choix empêche toute mutabilité automatique du régime matrimonial ; leur volonté est
respectée, les époux restant maîtres du choix de la loi désignée. En revanche, à défaut
de volonté exprimée, un déplacement de la résidence habituelle des époux peut entraîner
un changement automatique de la loi applicable ; le principe de permanence ne prévaut
plus dans cette hypothèse et le changement intervient de manière non rétroactive. En
effet, alors que l’alinéa 1er de l’article 7 de la convention prévoit le principe de la

8
G. A. L. DROZ, Régimes matrimoniaux : Rép. intern. Dalloz, 1998, n° 61. V. également M. Revillard,
L’article 6 de la convention de La Haye sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux : la mutabilité
volontaire du rattachement et ses applications concrètes : JCP 2002, éd. N., 1104.
9
De leur résidence habituelle commune ou de celle de l’un des époux.
10
Laquelle était désignée par le texte conventionnel ou par les époux s’ils avaient choisi expressément la
loi applicable à leur régime matrimonial au moment du mariage.
11
Le principe résulte de l’interprétation de l’article 8 de la convention. V. A. E. VON OVERBECK, Rapport
explicatif : Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence de La Haye, 1976, t. 2, Régimes
matrimoniaux, p. 329 s., spéc. p. 345, n° 72. Selon l’auteur, « puisque les époux prennent soin de désigner
une loi nouvelle, on en conclut qu’ils ont voulu mettre fin au régime antérieurement applicable. Ils
peuvent, soit liquider ce régime, solution la plus satisfaisante, soit accepter que leurs relations pécuniaires
soient régies par la loi nouvelle à partir du moment du mariage. Une proposition tendant à permettre de ne
soumettre à la loi nouvelle que les biens futurs a été rejetée à une faible majorité ». – Sur les difficultés
liées à l’articulation de ces dispositions avec la loi n° 97-987 du 28 octobre 1997 relative aux régimes
matrimoniaux (« loi modifiant le code civil pour l'adapter aux stipulations de la convention de La Haye
sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux et organiser la publicité du changement de régime
matrimonial obtenu par application d'une loi étrangère » : JO du 29 oct. 1987, p. 15684), en particulier
l’article 1397-4 du Code civil (introduit par la loi) selon lequel « Lorsque la désignation de la loi
applicable est faite au cours du mariage, cette désignation prend effet entre les parties à compter de
l’établissement de l’acte de désignation et, à l’égard des tiers, trois mois après que les formalités de
publicités prévues à l’article 1397-3 auront été accomplies », v. G. A. L. DROZ : Rép. intern. Dalloz, V°
Régimes matrimoniaux, 1998, n° 64 s. ; G. KHAIRALLAH , La loi du 28 octobre 1997 : questions de
méthode : Rev. crit. 1998. 249.
12
Selon l’article 8 de la convention.

353
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

permanence de la loi applicable tant que les époux n’en ont pas désigné une autre14,
l’alinéa 2 de ce texte y apporte une dérogation en prévoyant une mutabilité automatique
de la loi applicable lorsque certaines conditions se trouvent réunies. Ainsi, quelle que
soit la loi applicable depuis leur mariage, « la loi interne de l’État où ils ont tous deux
leur résidence habituelle devient applicable, aux lieux et place de celle à laquelle leur
régime matrimonial était antérieurement soumis : 1. à partir du moment où ils y fixent
leur résidence habituelle, si la nationalité de cet État est leur nationalité commune, ou
dès qu’ils acquièrent cette nationalité ou, 2. lorsque, après le mariage, cette résidence
habituelle a duré plus de dix ans ou, 3. à partir du moment où ils fixent leur résidence
habituelle, si le régime matrimonial était soumis à la loi de l’État de la nationalité
commune uniquement en vertu de l’article 4, alinéa 2, chiffre 3 », i.e. lorsque les époux
qui n’ont pas choisi de loi applicable n’établissent pas sur le territoire du même État leur
première résidence habituelle après le mariage15. On considère, dans ces trois situations
envisagées, que la loi applicable au régime matrimonial, déterminée par des critères de
rattachement objectifs16, doit céder devant la loi de la résidence habituelle ; il ne semble
pourtant pas que toutes relèvent des mêmes considérations.

512. Ainsi, la troisième hypothèse de l’article 7, paraît directement s’inspirer du


principe énoncé dans l’article 4, alinéa 1er, de la convention selon lequel, lorsque les
époux n’ont pas expressément choisi de loi applicable à leur régime matrimonial au
moment du mariage, ils sont soumis à la loi de l’État sur le territoire duquel ils
établissent leur première résidence habituelle après le mariage. À défaut de première
résidence habituelle commune, en cas de défaillance pure et simple de ce critère de
rattachement, les époux sont soumis à la loi de leur nationalité commune (c’est le cas,
par exemple, lorsqu’après le mariage l’un des époux est installé en France, l’autre étant
resté dans son pays d’origine). Il est dès lors apparu logique de prévoir que lorsque les
époux se rejoignent par la suite et acquièrent une résidence habituelle commune (par le
biais du regroupement familial, par exemple, le second époux venant à son tour
s’installer en France), on en revienne finalement au principe de l’application de la loi de

13
Ce système a également, on le verra, pu faire l’objet d’un certain nombre de critiques.
14
Alors même que les époux pourraient changer de nationalité ou de résidence habituelle.
15
Il faut cependant que les époux ne soient pas ressortissants d’un État ayant fait la déclaration en faveur
de la loi nationale prévue par l’article 5 de la convention.
16
Soit la première résidence habituelle des époux ou leur nationalité commune (v. l’article 4 de la
convention).

354
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

la résidence habituelle des époux, à défaut de choix exprès quant à la loi applicable à
leur régime matrimonial, puisque ce qui était la cause de la dérogation a disparu17. Dans
cette hypothèse de mutabilité automatique, bien que deux régimes matrimoniaux se
succèdent puisque le changement n’a d’effets que pour l’avenir, il s’agit bien finalement
d’un retour à la solution de principe consistant à appliquer la loi de la première
résidence habituelle commune des deux époux qui, jusque-là, vivaient séparément dans
deux pays différents.

513. Les première et deuxième situations envisagées par l’article 7, alinéa 2, de


la convention paraissent relever d’autres justifications. Dans la première, le changement
de la loi applicable au profit de la loi de la résidence habituelle résulte d’une
convergence de deux éléments : la nationalité et la résidence habituelle des époux (A.) ;
dans la deuxième situation, ce changement découle de la durée de la résidence
habituelle en un lieu (B.). Ces deux hypothèses seront tour à tour étudiées.

A. La coïncidence de la nationalité et de la résidence habituelle commune des


époux

514. Il est prévu à l’article 7, alinéa 2. 1., de la convention que le droit interne de
l’État dans lequel les époux ont leur résidence habituelle devient applicable « à partir du
moment où ils y fixent leur résidence habituelle, si la nationalité de cet État est leur
nationalité commune, ou dès qu’ils acquièrent une nationalité commune ». Il est encore
possible de distinguer entre deux situations.

515. Dans la première, le texte conventionnel envisage le retour des intéressés


dans leur pays d’origine. Ainsi, deux époux français, mariés sans contrat de mariage, et
qui ont établi leur première résidence habituelle en Autriche sont soumis à la loi
autrichienne de séparation de biens, mais, dès qu’ils reviennent s’installer en France, ils
se trouvent automatiquement soumis au régime légal français de communauté

17
La référence à la première résidence habituelle commune, à défaut de choix clairement exprimé quant à
la loi applicable, répond à l’idée selon laquelle les époux sont présumés avoir la volonté tacite d’être
soumis à la loi de leur milieu de vie (c’est à cette loi qu’ils songeraient au moment du mariage), il
apparaît surtout que la convention a souhaité retenir un critère de rattachement purement objectif (établir
la matérialité de la résidence habituelle en un lieu permet de fixer directement la loi applicable). On ne
cherche pas, au moyen d’autres indices, à savoir si les époux avaient la volonté réelle d’adopter la loi de
leur première résidence habituelle pour réglementer leurs rapports pécuniaires ; les époux ne peuvent
d’ailleurs pas établir qu’ils avaient en réalité l’intention de choisir une autre loi. Cf. supra n° 260.

355
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

d’acquêts. De même, deux époux anglais ayant établi leur première résidence habituelle
en France et qui retournent dans leur pays d’origine se trouvent ipso facto régis par le
régime légal anglais de séparation de biens.

516. La seconde situation concerne les époux installés dans un milieu de vie et
qui acquièrent la nationalité de ce pays d’accueil. Ainsi, lorsque des époux étrangers
sont installés en France, qu’ils se trouvent soumis à une autre loi que la loi française en
ce qui concerne leur régime matrimonial et qu’ils acquièrent une nationalité française
commune (les deux époux se font naturaliser18 ou le second époux acquiert par
déclaration la nationalité française de son conjoint), la convention prévoit un
changement automatique de la loi applicable au profit de la loi de leur résidence
habituelle commune19. Inversement, lorsque deux époux français (soumis, par exemple,
à la loi française de leur première résidence habituelle) quittent la France pour
s’installer à l’étranger et acquièrent la nationalité commune de leur pays
d’établissement, ils sont soumis à la loi interne de ce pays.

517. La solution adoptée repose sur la présomption selon laquelle, lorsque


nationalité et résidence habituelle coïncident, les intéressés ont au lieu de cette résidence
habituelle leurs intérêts. S’ils sont français, les époux rapatrient ces intérêts vers la
France en revenant s’y établir. Si les étrangers deviennent français alors qu’ils résident
déjà en France, c’est qu’ils sont intégrés dans ce pays et y ont établi leurs intérêts. Peu
importe alors que les époux possèdent éventuellement des intérêts patrimoniaux à
l’étranger car ils sont présumés avoir le centre de leur vie dans le pays dont ils sont
ressortissants et où est située leur résidence habituelle. Comme l’a souligné M. Droz20,
« les éléments d’extranéité qui caractérisaient les relations entre époux ont disparu car
tout est réuni » ; il a dès lors « semblé naturel de les soumettre immédiatement à la loi
avec laquelle ils sont désormais entièrement reliés ». La présomption de convergence
des intérêts vers le milieu de vie dont les époux ont la nationalité est d’ailleurs
suffisamment forte pour justifier le changement de la loi applicable, alors même que les
époux auraient, par ailleurs, plus d’une nationalité commune. En effet, alors que

18
Ils peuvent acquérir la nationalité française ensemble ou successivement. V. A. E. VON OVERBECK ,
Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence de La Haye, 1976, t. 2,
Régimes matrimoniaux, p. 329 s., spéc. p. 366, n° 165.
19
Le changement de loi applicable prendra effet à compter du moment où les époux sont tous deux
français.

356
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

l’article 15 de la convention prévoit que les dispositions se référant à la nationalité


commune ne sont pas applicables lorsque les époux ont plus d’une nationalité
commune, il est dérogé au principe dans les cas visés à l’article 7, alinéa 2. 1., du texte.
Ainsi des époux, tous deux double nationaux franco-anglais, qui vivent en Angleterre et
s’installent ensuite en France, seront soumis successivement à la loi interne anglaise
puis française21. M. von Overbeck22 a précisé que l’intensité du rattachement manifesté
à un pays par le cumul de la nationalité commune et de la résidence habituelle des deux
époux doit l’emporter sur le principe selon lequel on ne doit pas tenir compte de la loi
nationale ; la solution est particulièrement opportune « lorsque les époux ont manifesté
leur volonté de s’intégrer dans l’État de leur résidence habituelle en acquérant la
nationalité de celui-ci, mais ne peuvent pas renoncer à la nationalité de leur ancienne
nationalité commune ».

518. Alors qu’aucun des deux critères retenus (résidence habituelle commune des
époux ou nationalité commune) ne peut, à lui seul, représenter une localisation objective
des intérêts des époux, la conjonction des deux entraîne une mutabilité automatique de
loi applicable au profit de la loi de la résidence habituelle. En revanche, il est une
hypothèse où la seule résidence habituelle en un lieu peut justifier le changement de loi
applicable, mais elle est alors soumise à une condition de durée.

B. L’établissement de la résidence habituelle en un lieu pendant plus de dix ans

519. Il résulte de l’article 7, alinéa 2. 2., de la convention que la loi interne de


l’État où les époux ont tous deux leur résidence habituelle devient automatiquement
applicable « lorsque, après le mariage, cette résidence habituelle a duré plus de dix
ans ». C’est uniquement l’écoulement d’un délai de dix années de résidence habituelle
en un lieu, après le mariage, qui se trouve à l’origine de la mutabilité du rattachement au
profit de la loi de la résidence habituelle23. Ce changement de la loi applicable est

20
G. A. L. DROZ : Rép. intern. Dalloz, V° Régimes matrimoniaux, 1998, n° 75.
21
Ils ont déplacé leur résidence habituelle du pays d’une des nationalités communes vers le pays de
l’autre nationalité commune. V. A. E. VON OVERBECK, Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIIe
session de la Conférence de La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, p. 329 s., spéc. p. 366, n° 165.
22
A. E. VON OVERBECK, Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence de
La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, p. 329 s., spéc. p. 366, n° 166.
23
On s’est posé la question de savoir si le changement de la loi applicable après une résidence habituelle
de dix ans se justifie lorsque l’État dont les étrangers ont la nationalité commune et l’État de la résidence
habituelle appliquent tous deux le principe de la nationalité. Finalement, la solution retenue par l’article 7,

357
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

justifié par une idée d’intégration et de proximité : c’est avec la loi du pays sur le
territoire duquel les époux ont établi leur résidence habituelle commune que la situation
est censée entretenir, après un certain temps de résidence habituelle, les liens les plus
étroits. Le fait que cette résidence habituelle ait duré dix ans est présumé traduire une
intégration des époux dans un milieu social, une certaine forme d’enracinement : il
« dénote d’une intégration suffisante pour que la loi applicable puisse se modifier »24.
La solution adoptée est nettement révélatrice de l’idée selon laquelle on estime qu’il est
dans l’intérêt des époux d’être soumis à la loi de leur résidence habituelle, loi de leur
milieu de vie, et que l’écoulement d’un certain laps de temps permet de considérer que
le centre des intérêts des époux s’est déplacé pour se situer au lieu où ils vivent.

520. Ce cas de changement de la loi applicable au profit de la loi de la résidence


habituelle après écoulement d’un délai fut l’élément le plus discuté au cours de la
Treizième session de la Conférence de La Haye. Certains pays s’opposaient totalement
à un changement de loi applicable, mais le principe de la permanence absolue du régime
matrimonial fut néanmoins rejeté. Une autre proposition qui, à l’inverse, prévoyait un
changement de la loi applicable sans exigence de délai « dès lors que les époux auraient
le droit de s’établir de façon permanente dans le pays de leur résidence habituelle »25 le
fut pareillement. Il fut également souligné, au cours de ces travaux préparatoires, que la
fixation d’un délai avait « quelque chose d’arbitraire, la véritable intégration qui
justifi[e] un changement de loi applicable étant essentiellement variable selon les
espèces », mais on estima que le problème perdait finalement de son importance si l’on
considérait que les époux ont toujours la possibilité de manifester, par un choix de la loi
applicable, leur degré d’intégration à une société donnée26.

alinéa 2. 2., de la convention s’applique en toute hypothèse. V. A. E. VON OVERBECK, Rapport explicatif :
Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence de La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux,
p. 329 s., spéc. p. 347, n° 84. Selon l’auteur du rapport, le rattachement à la loi nationale commune des
époux perd de sa force avec l’écoulement du temps passé par les époux hors de leur pays d’origine, « à
mesure que les époux s’intègrent plus fortement dans un autre pays ».
24
A. E. VON OVERBECK, Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence de
La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, p. 329 s., spéc. p. 347, n° 84.
25
V. A. E. VON OVERBECK, Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence
de La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, p. 329 s., spéc. p. 346, n° 77. La proposition fut rejetée
car on estima qu’elle introduisait une notion de police des étrangers et que les solutions différaient de
manière importante selon les pays et les catégories d’étrangers visées.
26
A. E. VON OVERBECK, Rapport de la Commission spéciale : Actes et documents de la XIIIe session de la
Conférence de La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, p. 138 s., spéc. p. 161, n° 104.

358
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

521. Après s’être ainsi finalement accordés sur le principe du délai, les experts
ont ensuite été divisés sur sa durée, certains préconisant des seuils relativement courts,
de trois ou de cinq ans27. Le délai de cinq ans de résidence habituelle en un lieu ayant
été jugé suffisant pour constituer un obstacle à l’application de la loi nationale
commune (au profit de la loi de la première résidence habituelle envisagée à titre de
principe pour les époux qui n’ont pas expressément choisi la loi applicable à leur régime
matrimonial) dans l’hypothèse où les époux avaient la nationalité d’un État qui a fait la
déclaration en faveur de la loi nationale prévue par l’article 5 de la convention, on s’est
demandé si l’on ne pouvait pas également le retenir pour la mutabilité automatique. Il
résulte en effet de l’article 5, alinéa 2, de la convention que les époux qui sont
ressortissants d’un État qui a fait cette déclaration en faveur de la loi nationale mais qui
ont, au moment de leur mariage, cinq années de résidence habituelle commune dans un
État qui n’a pas fait la déclaration (ou qui n’est pas partie à la convention mais dont le
droit international privé prescrit l’application de la loi nationale) et qui conservent par la
suite leur résidence habituelle dans ce pays se voient appliquer la loi de leur résidence
habituelle. On peut, en effet, supposer que les époux sont suffisamment intégrés dans le
pays de leur résidence habituelle pour que le régime matrimonial, à défaut d’un choix
exprès des époux, soit soumis à la loi de ce pays qui l’emporte sur leur loi nationale. En
ce sens, la Commission spéciale a estimé qu’un État « ne devait pas pouvoir imposer
l’application de sa loi à des personnes déjà fortement intégrées dans un autre État par
leur résidence habituelle et qui restent dans ledit État après le mariage »28. La
commission spéciale a pourtant refusé l’assimilation du délai de l’article 7, alinéa 2. 2.,
de la convention à celui de l’article 5, alinéa 2, estimant que, s’agissant d’une condition
relative à une loi à appliquer pour la première fois, le délai pouvait être plus court que
celui nécessaire pour modifier la loi déjà applicable29. En faveur d’un délai plus long,
on fit alors valoir que la durée devait être suffisamment importante pour que les
travailleurs qui se rendent dans un pays pour un temps limité à la durée de leur contrat

27
V. A. E. VON OVERBECK, Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence
de La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, p. 329 s., spéc. p. 346, n° 79.
28
A. E. VON OVERBECK, Rapport de la Commission spéciale : Actes et documents de la XIIIe session de la
Conférence de La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, p. 138 s., spéc. p. 157, n° 86.
29
A. E. VON OVERBECK, Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence de
La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, p. 329 s., spéc. p. 346, n° 79.

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P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

se soient pas soumis à un changement de régime matrimonial30. Comme l’a souligné la


Commission spéciale31, la mutabilité automatique semble souhaitable dans le cas
d’émigrants qui ont « l’intention de s’établir définitivement dans un nouveau pays » ;
elle paraît moins adéquate « pour des travailleurs étrangers résidant dans les pays
européens et qui finissent généralement par retourner dans leur patrie ». Un délai de dix
ans a été jugé suffisamment important pour être retenu.

522. En ce qui concerne le point de départ du délai, l’avant-projet se référait à la


simple résidence des époux au motif qu’« il est plus facile de déterminer le moment
auquel une résidence a commencé, sans avoir à rechercher à partir de quel moment elle
est devenue habituelle »32, mais finalement le point de départ est celui de leur résidence
habituelle puisque c’est cette notion qui a été retenue33. Il semble pourtant que l’on
pourrait prendre en considération le jour où les époux se sont installés en France comme
point de départ ; certes, des époux n’établissent une résidence habituelle qu’après un
certain temps révélateur d’effectivité et de stabilité de la résidence, mais on a vu34 qu’il
était possible de considérer que la résidence habituelle était établie en un lieu dès
l’installation des intéressés, dans la mesure où elle s’est ensuite poursuivie. Cette
solution constituerait surtout le meilleur moyen d’assurer une certaine certitude
juridique quant à la date exacte du changement de régime matrimonial. Par ailleurs, la
notion de résidence habituelle est bien entendu compatible avec des absences
temporaires35, mais celles-ci doivent être assez courtes pour que l’on ne puisse pas
considérer que l’on se trouve dans la situation d’un changement de résidence habituelle.

30
Le délai le plus fréquent du contrat serait de trois ans, renouvelable une fois. A. E. VON OVERBECK,
Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence de La Haye, 1976, t. 2,
Régimes matrimoniaux, p. 329 s., spéc. p. 347, n° 80. Si les étrangers souhaitent être soumis plus
rapidement, voire immédiatement, à la loi de leur résidence habituelle, ils ont toujours loisir de le faire sur
le fondement de l’article 6 de la convention.
31
A. E. VON OVERBECK, Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence de
La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, p. 329 s., spéc. p. 345, n° 75.
32
V. A. E. VON OVERBECK, Rapport de la Commission spéciale : Actes et documents de la XIIIe session
de la Conférence de La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, p. 138 s., spéc. p. 162, n° 106.
33
V. A. E. VON OVERBECK, Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence
de La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, p. 329 s., spéc. p. 346, n° 76.
34
Cf. supra n° 309 s.
35
V. A. E. VON OVERBECK, Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence
de La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, p. 329 s., spéc. p. 346, n° 78. Selon l’auteur, la simple
résidence « pouvait être comprise dans le sens qu’aucune interruption de la résidence ne serait admissible,
alors que la résidence habituelle est maintenue en cas d’interruptions occasionnelles ».

360
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

On peut enfin souligner que la résidence habituelle prise en compte est celle qui a duré
plus de dix ans « après le mariage »36.

523. En résumé, la résidence habituelle est un critère objectif de localisation des


intérêts patrimoniaux qui peut être expressément choisi par les époux ou qui peut leur
être imposé à défaut de choix exprès. Une fois le régime matrimonial déterminé (au
moment du mariage), il peut encore se trouver changé sur le fondement du principe de
l’autonomie de la volonté (la mutabilité peut être volontaire) ou sur celui de proximité
(la mutabilité est automatique)37 : les liens les plus étroits ne sont plus ceux qui
existaient au moment du mariage et, si l’on estime que le régime matrimonial doit
toujours être régi par les liens les plus étroits, par la loi qui coïncide avec les intérêts des
époux, on doit tenir compte du changement de ce centre des intérêts, ajuster en quelque
sorte la situation juridique aux faits dans un souci de réalisme. D’ailleurs, comme l’a
souligné Batiffol38, si la question du régime matrimonial « concerne certes les relations
de famille, elle a aussi des effets à l’égard des tiers, c'est-à-dire dans le milieu dans
lequel vivent les époux ». L’auteur ajoute que cette considération a assurément joué
pour le problème de la mutabilité de la loi applicable au régime matrimonial.
Néanmoins, le changement automatique de loi applicable a été largement critiqué
comme étant peu intelligible pour les intéressés, voire pour les praticiens39. Si la loi

36
Mais si les époux ont déjà leur résidence habituelle commune dans un pays avant le mariage, ils seront
le plus souvent soumis à la loi interne de ce pays en tant que celle de leur première résidence habituelle.
S’ils sont ressortissants d’un État ayant fait la déclaration en faveur de la loi nationale, ils ne seront pas
soumis à leur loi nationale commune mais à celle de leur résidence habituelle si elle est établie depuis
plus de cinq ans au moment du mariage (sauf si cette résidence habituelle est située dans un autre État qui
a fait la déclaration – l’hypothèse est pour l’instant théorique dans la mesure où seul un État contractant a
fait cette déclaration – ou dans un État dont le droit international privé prescrit l’application de la loi
nationale).
37
Sur l’articulation entre les principes d’autonomie de la volonté et de proximité en matière de régimes
matrimoniaux, v. P. LAGARDE, Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain :
RCADI 1986-I, t. 196, p. 9 s., spéc. p. 46-48.
38
H. BATIFFOL, La treizième session de la Conférence de La Haye de droit international privé : Rev. crit.
1977. 451 s., spéc. 460.
39
V. M. REVILLARD, Régimes matrimoniaux : J.-Cl., Droit int. pr., Fasc. 556, 1999, n° 82 s. ; Premier
bilan de l’application de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes
matrimoniaux, in Sur l’unification progressive du droit international privé : E Pluribus unum. Liber
amicorum Georges A. L. Droz, Martinus Nijhoff Publishers, 1996, p. 369 s., spéc. p. 385 ; Y. LEQUETTE,
Le droit international privé de la famille à l’épreuve des conventions internationales : RCADI 1994-II,
t. 246, p. 9 s., spéc. p. 167 s. ; G. A. L. DROZ, Régimes matrimoniaux : Rép. internat. Dalloz, 1998, n° 78.
– Liquider le régime matrimonial des époux peut se révéler particulièrement délicat dans la mesure où
« les époux traînent […] derrière eux un train comportant autant de wagons qu’il y a de lois
successivement applicables à leur régime matrimonial » (A. E. VON OVERBECK , Rapport de la
Commission spéciale : Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence de La Haye, 1976, t. 2,
Régimes matrimoniaux, p. 138 s., spéc. p. 147, n° 42).

361
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

désignée par la règle de conflit est celle qui exprime les liens les plus étroits, donc à
laquelle les époux doivent naturellement songer40, on peut se demander si tel est
réellement le cas lorsque c’est de manière unanime que les auteurs soulignent que la
règle de conflit ne peut que surprendre les époux non informés des effets de la
convention. Le caractère occulte du changement de loi applicable a ainsi souvent été
dénoncé, en particulier lorsque le changement se produit par l’écoulement d’un délai qui
n’est pas signalé à l’attention des époux par une modification quelconque, tel un
changement de nationalité ou de résidence habituelle41.

524. Pour autant, nul ne semble invoquer le fait que la résidence habituelle ne
traduirait pas les liens les plus étroits de la relation juridique puisque seule la
complexité qui résulte en pratique de ces dispositions semble décriée. Cependant, si, à
elle seule, la résidence habituelle peut être un critère de rattachement objectif permettant
de désigner la loi applicable au moment du mariage (lorsque les époux ne l’ont pas
choisie expressément), si elle peut également être un élément de rattachement pour
lequel les époux peuvent librement opter (au moment du mariage ou par la suite), elle
ne suffit pas pour représenter les liens les plus étroits de la relation juridique lorsqu'il
s’agit du changement automatique de la loi applicable ; elle doit en effet, dans ce
dernier cas de figure, être complétée par un autre élément. Ce n’est que lorsque la
résidence habituelle est associée avec le critère de la nationalité ou avec un élément de
durée que l’on présume que les époux ont déplacé le centre de leurs intérêts pour
l’établir au lieu où ils vivent ; si les conditions sont réunies, la loi de la résidence
habituelle s’applique aux biens des époux, à leurs intérêts pécuniaires, même s’ils
peuvent, en réalité, être situés hors du pays d’établissement.

40
Selon M. Audit (Le caractère fonctionnel de la règle de conflit : RCADI 1984-III, t. 186, p. 219 s.,
spéc. p. 275), la solution d’un conflit de lois doit être « intelligible » pour les particuliers et « la loi qui
satisfait à cette exigence est normalement celle qui présente les liens les plus étroits avec leurs intérêts
permanents ».
41
V. A. E. VON OVERBECK, Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence
de La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, p. 329 s., spéc. p. 346-347, n° 76 et 82.

362
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

§ 2. Les conditions du changement de la loi applicable

525. La résidence habituelle n’est, par principe, qu’un élément objectif révélateur
d’une présence stable et effective de l’intéressé en un lieu ; on se sert d’éléments de fait
pour constater qu’elle est établie. La jurisprudence a pu, en certains cas, se référer au
« centre des intérêts » de la personne considérée, au « centre de gravité de sa vie » pour
révéler ou confirmer le caractère d’habitude qu’implique la notion de résidence, en
particulier qualifiée d’habituelle42. Ainsi, celui qui a un titre de séjour, travaille en
France, y habite (sauf pendant ses vacances), a passé des contrats avec diverses
entreprises pour l’eau, l’électricité et le téléphone, a bien, d’une certaine façon, un
centre d’intérêts dans ce pays où il est établi de manière stable ; on peut admettre qu’il a
une résidence habituelle en France (sa présence n’est pas précaire, quand bien même
elle serait temporaire, c'est-à-dire fixée pour une durée déterminée). Mais il se peut
également que cette personne soit mariée, que son conjoint et ses enfants soient restés
dans leur pays d’origine, qu’elle ait des biens à l’étranger, que son contrat de travail en
France soit limité à trois ans. Bien que ces éléments ne changent rien au fait que
l’intéressé ait sa résidence habituelle en France, peut-on pour autant en déduire qu’il est
intégré dans le milieu social français, qu’il y a son centre de vie et que s’y trouve
localisé le centre de ses intérêts ? Sauf à dénaturer la notion43, on ne saurait affirmer
qu’une personne ne peut avoir sa résidence habituelle en France que si elle y détient
l’ensemble de ses intérêts, qu’ils soient personnels, familiaux ou pécuniaires ;
logiquement, on ne peut, à l’inverse, présumer qu’une personne qui a sa résidence
habituelle en France y centralise, de ce seul fait, l’ensemble de ses intérêts.

526. En revanche, il ne semble pas antinomique de considérer que celui qui a


déjà vécu un certain nombre d’années en un lieu déplace nécessairement ses intérêts,
son centre de vie. Considérer qu’au fil du temps, le centre des intérêts se déplace et que
les intéressés s’intègrent dans leur milieu de vie ne présente pas de caractère fictif. Pour
reprendre l’exemple précédent, si l’étranger est encore en France après douze ans, alors
même que sa femme et ses enfants ne l’ont pas rejoint et qu’il a toujours des biens à
l’étranger, on peut considérer qu’il a son centre de vie en France et qu’il s’est intégré

42
Cf. supra n° 252 s.
43
Sur ce point, cf. infra 550.

363
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

dans la communauté locale même s’il entretient encore des liens affectifs ou culturels
avec son pays d’origine. Ses intérêts personnels sont localisés en France, d’autres
intérêts (familiaux ou pécuniaires) sont peut-être encore situés à l’étranger, mais, dans
l’ensemble, son centre de vie est bien en France. Ce n’est pas le fait d’avoir l’ensemble
de ses intérêts en un lieu qui sert à établir l’existence ou pas d’une résidence habituelle,
mais au contraire la résidence habituelle qui, lorsqu'elle a duré un laps de temps
suffisant, permet de présumer un transfert du centre des intérêts. La question reste alors
de déterminer le seuil temporel sur lequel repose la présomption de déplacement du
centre des intérêts. Par ailleurs, il semble assez évident que lorsqu'une personne revient
dans son pays d’origine, elle y déplace beaucoup plus rapidement ses intérêts qu’elle
n’a mis de temps à les établir dans son pays d’accueil ; lorsque l’intéressé a sa résidence
habituelle dans l’État dont il a la nationalité, tout porte en effet à croire qu’il a son
centre d’intérêt en ce lieu (ce qui justifie le choix de la résidence habituelle comme
élément de rattachement lorsque nationalité et résidence habituelle convergent).

527. En matière de régimes matrimoniaux, on a vu que la résidence habituelle


pouvait à la fois être un critère de rattachement objectif subsidiaire, retenu en cas de
défaillance de volonté clairement exprimée, mais également le lieu où l’on présume que
les époux ont le centre de leurs intérêts, ce qui justifie le changement de la loi applicable
lorsqu'il s’est déplacé. Les époux sont présumés avoir leurs intérêts au lieu où ils vivent
s’ils ont la nationalité de l’État sur le territoire duquel ils se sont installés ou encore au
lieu où ils se sont installés depuis un laps de temps quantifié. On peut donc avoir la
nationalité d’un pays sans avoir forcément dans ce pays le centre de ses intérêts.
Inversement, établir sa résidence habituelle en un lieu ne suffit pas pour que l’on
considère que la personne a en ce lieu l’ensemble de ses intérêts. La règle de conflit ne
retient dans ce cas ni le critère de la nationalité ni celui de la résidence habituelle
comme éléments de rattachement révélateurs de liens les plus étroits. L’idée selon
laquelle il faut une conjonction de la résidence habituelle avec ou bien la nationalité ou
bien une durée minimum de présence pour que l’on considère que l’étranger a en un lieu
son centre de vie se retrouve dans d’autres conventions internationales.

528. Ainsi, la convention de La Haye sur la loi applicable aux successions à


cause de mort du 1er août 1989 prévoit, comme en matière de régimes matrimoniaux,
qu’une personne peut désigner la loi applicable à sa succession (le texte précise que « la

364
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

désignation ne prend effet que si cette personne, au moment de la désignation ou au


moment du décès, possédait la nationalité de cet État ou y avait sa résidence
habituelle »44) et qu’à défaut, il convient de se fonder sur un élément de rattachement
objectif. Trois éléments de rattachement sont utilisés dans le texte : la nationalité, la
résidence habituelle, les « liens les plus étroits » ; ils sont combinés. En principe, la loi
de l’État qui est à la fois celui de la nationalité et celui de la résidence habituelle du de
cujus doit régir sa succession45. Ces dispositions s’appliquent aussi bien lorsque le de
cujus est toujours demeuré dans l’État dont il possède la nationalité que lorsqu'il n’est
revenu dans son pays d’origine que vers la fin de sa vie (il doit cependant avoir une
résidence habituelle en ce pays). On ne prend pas en considération le fait qu’il possédait
éventuellement des biens dans un autre État. Lorsque la nationalité et la résidence
habituelle du de cujus ne correspondent pas, « la succession est également régie par la
loi de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès,
s’il avait résidé dans cet État pendant une période d’au moins cinq ans précédant
immédiatement son décès »46. M. Waters47 indique, dans le rapport explicatif de la
convention, que « aux fins de cet article, les cinq années de résidence habituelle
débutent au moment où la résidence sans restriction […] commence »48.

529. Par ces dispositions, la convention a certes envisagé une solution de


« compromis entre la loi nationale et la loi du domicile », l’article 3 cherchant à
« réaliser le point d’équilibre entre loi nationale et loi du domicile »49, mais

44
Article 5. 1. de la convention. Les deux éléments, nationalité et résidence habituelle, sont des éléments
qui représentent un lien concret avec la personne du défunt.
45
Article 3, alinéa 1, de la convention.
46
Article 3, alinéa 2, de la convention qui prévoit également que « dans des circonstances
exceptionnelles, si le défunt avait, au moment de son décès, des liens manifestement plus étroits avec
l’État dont il possédait alors la nationalité, la loi de cet État est applicable ». Enfin, selon le dernier alinéa
du texte, « dans les autres cas, la succession est régie par la loi de l’État dont le défunt possédait la
nationalité au moment de son décès, à moins que le défunt n’ait eu, à ce moment, des liens plus étroits
avec un autre État, auquel cas la loi de cet autre État est applicable ».
47
D. W. M. WATERS, Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIe session de la Conférence de
La Haye, 1988, t. 2, Successions, loi applicable, p. 526 s., spéc. p. 548, n° 53.
48
Le rapport indique également que la résidence habituelle doit être « ininterrompue »
(D. W. M. WATERS, Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIe session de la Conférence de
La Haye, 1988, t. 2, Successions, loi applicable, p. 526 s., spéc. p. 548, n° 53), mais on doit pouvoir
malgré ce terme admettre que de courts séjours à l’étranger (des déplacements liés à des vacances par
exemple) ne font pas perdre à la résidence habituelle la stabilité et l’habitude qui la caractérisent.
49
P. LAGARDE, La nouvelle Convention de La Haye sur la loi applicable aux successions : Rev. crit.
1989. 249 s., spéc. 253.

365
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

M. Lagarde50 a indiqué que « si la loi ainsi désignée est retenue, ce n’est ni parce qu’elle
est la loi nationale, ni parce qu’elle est celle du domicile, mais parce qu’elle est la loi du
"centre-vie" du de cujus ». L’auteur51 souligne que c’est cette notion de « centre-vie »
qu’il convient de chercher à définir « dans les hypothèses où il n’y a plus concordance
entre la nationalité et la résidence habituelle du de cujus » et qu’aucun de ces deux
rattachements ne pouvant prétendre à lui seul exprimer ce centre-vie, « pour les
départager, la Conférence a fait intervenir la dimension temporelle […]. Il est apparu
assez vite qu’une résidence habituelle de cinq années dans un État autre que celui de la
nationalité était le révélateur de l’acquisition d’un véritable centre-vie dans l’État de la
résidence et que ce rattachement devait l’emporter sur celui de la nationalité ». Dans
cette convention, la seule résidence habituelle n’est présumée être le centre-vie que si
elle est combinée avec la nationalité ou avec un facteur « durée écoulée » quantifié par
le texte52. On peut souligner que les rédacteurs ont, par ailleurs, envisagé le fait que,
malgré une résidence habituelle de plus de cinq années dans un pays immédiatement
avant son décès, le défunt ait pu tout de même entretenir « des liens manifestement plus
étroits avec l’État dont il possédait alors la nationalité », et qu’alors la loi de cet autre
État est applicable. L’article se réfère à des « circonstances exceptionnelles ». Le
rapport explicatif53 insiste sur l’idée selon laquelle cette clause permettant de déroger à
l’application de la loi de la résidence habituelle ne doit jouer que dans des circonstances
« véritablement exceptionnelles ». Ce pourrait être le cas lorsque le défunt a vécu six
ans dans un État en raison d’une activité professionnelle, qu’il n’avait aucun lien
culturel avec cet État, conservant au contraire des relations d’affaires dans l’État dont il
avait la nationalité, dans lequel ses enfants sont scolarisés, et vers lequel il avait prévu
de revenir aussitôt son contrat de travail terminé : il ne pourrait « aucunement être
considéré comme étant intégré dans [l’État de sa résidence habituelle] ». On ne remet
évidemment pas en cause le fait que l’intéressé ait eu, dans l’exemple précité, sa
résidence habituelle dans le pays où il était établi ; mais le critère de la résidence
habituelle n’est pas celui qui désigne la loi de l’État avec lequel la situation entretient

50
P. LAGARDE, La nouvelle Convention de La Haye sur la loi applicable aux successions : Rev. crit.
1989. 249 s., spéc. 254-255.
51
P. LAGARDE, op. et loc. cit.
52
V. G. A. L. DROZ , La codification du droit international des successions. Perspectives nouvelles :
TCFDIP 1966-1969, p. 319 s., spéc. p. 326 s.
53
D. W. M. WATERS, Rapport explicatif : Actes et documents de la XVIe session de la Conférence de
La Haye, 1988, t. 2, Successions, loi applicable, p. 526 s., spéc. p. 548, n° 53.

366
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

les liens les plus étroits. On doit logiquement en déduire que la personne concernée est
présumée être intégrée dans l’État de sa résidence habituelle lorsque celle-ci a duré au
moins cinq ans, mais qu’il est des situations plus exceptionnelles où, malgré la durée
écoulée, l’intégration peut ne pas avoir eu lieu.

530. L’idée d’une loi qui coïncide avec le centre des intérêts et de vie des
intéressés apparaît également dans la convention de La Haye du 1er juin 1970 sur la
reconnaissance des divorces et des séparations de corps. M. Anton, délégué du
Royaume-Uni, avait essayé lors des travaux préparatoires d’introduire un nouveau
concept qui aurait pu tenir la place « à la fois du domicile et de la nationalité »54 : le
« juriscentre », qui se serait trouvé dans le pays « auquel les parties sont le plus
étroitement rattachées par des liens sentimentaux et des circonstances telles que le
foyer, la famille, la religion et la nationalité »55. Selon cet expert, c’est en effet le pays
dans lequel « les époux ont le véritable centre de leur vie qui doit être attributif de
compétence législative » ; donner « compétence au tribunal et à la loi de l’État dans
lequel les époux ont leur centre de vie concilierait à la fois les intérêts des époux, ceux
de leur État d’origine et ceux de l’État de séjour »56. Mais ce concept de « juriscentre »
ne fut finalement pas retenu car jugé trop vague et complexe à mettre en œuvre dans la
pratique ; celui de résidence habituelle, devenu traditionnel pour la Conférence de
La Haye, emporta l’adhésion57, mais assorti d’une durée minimum dans certaines
hypothèses, afin de « décourager les fraudeurs » et d’acquérir la certitude que « le
rattachement qui a été créé par le demandeur devienne sérieux »58. Un délai d’un an
avant la date de la demande a été jugé suffisant.

54
V. P. BELLET , Rapport de la Commission spéciale : Actes et documents de la XIe session de la
Conférence de La Haye, 1968, t. II, Divorce, p. 61.
55
Actes et documents de la Xe session de la Conférence de La Haye, 1964, t. I, Divorce, p. 287. – Selon
M. Anton (Actes et documents de la Xe session de la Conférence de La Haye, 1964, t. I, Divorce, p. 269),
il faudrait trouver « un critère unique dans lequel le point de rattachement serait déterminé par la prise en
considération des liens personnels, familiaux et patrimoniaux », ce qui présenterait l’avantage,
notamment, « de jeter un pont entre les pays de Common law et les pays de droit civil ».
56
A. E. ANTON , Actes et documents de la Xe session de la Conférence de La Haye, 1964, t. I, Divorce,
p. 294-295.
57
Le for de la nationalité est également retenu ; la nationalité doit être commune aux deux époux, ou doit
coïncider avec la résidence habituelle. V. l’article 2 de la convention.
58
V. P. BELLET, Rapport de la Commission spéciale : Actes et documents de la Conférence de La Haye,
e
XI session, t. 2, Divorce, p. 60.

367
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

531. Van Hoogstraten59 a estimé que lorsque la Conférence de La Haye a décidé


de retenir la résidence habituelle comme critère de rattachement, elle a cherché à
traduire une « situation de fait », à désigner le « centre-vie » de l’intéressé60. « Centre de
gravité », « centre des intérêts », « centre-vie », « juriscentre » : ces expressions ou
néologismes ont tous été utilisés par la doctrine, par les rédacteurs de conventions ou
par la jurisprudence pour traduire l’idée selon laquelle on doit désigner la loi du milieu
de vie quotidien des intéressés. Or, pour reprendre les termes de M. Jayme61, « le critère
qui exprime le mieux le centre de vie d’une personne est, aujourd’hui, sa résidence
habituelle »62. Mais lorsque l’on cherche un critère de rattachement qui exprime une
plus forte intensité des liens avec le milieu de vie, pour répondre à d’autres objectifs de
la règle de conflit, il convient d’assortir la résidence habituelle d’une condition de durée
minimum dans la mesure où il semble impossible d’évaluer le degré d’intégration de la
personne concernée et de vérifier au cas par cas si elle se sent plus étroitement liée à la
communauté qui est celle de son pays d’origine ou à celle de son pays d’établissement.
La durée fixée dépend nécessairement des objectifs de la règle de conflit et du degré
d’intégration requis.

532. Le changement de loi applicable au profit de la loi de la résidence habituelle


est un mécanisme exceptionnel qui permet d’ajuster le droit aux faits. On remplace la
loi jusque-là compétente par une autre loi dans un souci de réalisme, pour tenir compte
d’un déplacement du centre des intérêts révélé en particulier par une dimension
temporelle. La loi désignée est celle de l’État avec lequel la situation juridique est
présumée entretenir les liens les plus étroits. Si, au départ, la résidence habituelle ne
suffit pas, confortée dans la durée, elle devient un élément révélateur de liens
suffisamment intenses pour justifier le changement. Le seul inconvénient majeur reste
celui des difficultés pratiques liées au changement de loi applicable et au fait que les

59
H. VAN H OOGSTRATEN , La codification par traités en droit international privé dans le cadre de la
Conférence de La Haye : RCADI 1967-III, t. 122, p. 337 s., spéc. p. 359.
60
Voir le chapitre 2 de son cours, intitulé « Le rattachement "centre-vie" ».
61
E. JAYME, Identité culturelle et intégration : le droit international privé postmoderne : RCADI 1995-I,
t. 251, p. 9 s., spéc. p. 206.
62
V. également A. E. VON OVERBECK, La professio juris comme moyen de rapprocher les principes de
domicile et de la nationalité en droit international privé : Liber amicorum Baron Louis Fredericq, t. 2.,
1965, p. 1085 s., spéc. p. 1094. Selon l’auteur, la résidence habituelle est l’expression du milieu dans
lequel vit une personne.

368
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

intéressés ignorent le plus souvent qu’ils sont soumis à une nouvelle loi63. Si ce
problème de la clandestinité ou de la complexité matérielle du changement de loi était
surmonté, dans la mesure où, sur le fond, la doctrine ne critique pas le principe même
du changement de loi applicable, on peut se poser la question de savoir si l’on ne
pourrait pas étendre ce mécanisme de changement de loi au profit de la résidence
habituelle à d’autres domaines du droit, en particulier au statut personnel.

SECTION 2. VERS UN CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA LOI DE LA


RÉSIDENCE HABITUELLE EN MATIÈRE DE STATUT PERSONNEL

533. L’idée de soumettre le statut personnel à la loi du milieu de vie, loi du


domicile ou de la résidence habituelle, n’est pas nouvelle. Après la Seconde Guerre
mondiale, Niboyet64 considérait déjà comme indéniable que « l’individu, non pas
résidant, mais établi, c'est-à-dire domicilié, fasse partie du milieu social de son État
d’établissement » et qu’il convenait, à ce titre, de soumettre son statut personnel à la loi
de ce domicile : l’étranger appartient à la « société des domiciliés », entendue comme
une « sorte de véritable société politique » formée par les individus établis dans un
pays65. L’auteur illustrait son propos en prenant l’exemple de l’apatride, lequel fait
indiscutablement partie, pour ses intérêts privés, de la société des individus établis dans
un pays déterminé. Or, s’il en est ainsi, « ce n’est pas tant parce qu’il est apatride, que

63
Consciente de ces difficultés pratiques, la Conférence de La Haye a émis le vœu (inséré dans l’Acte
final de la convention de La Haye de 1978 et adressé aux États) « que les États Parties à la Convention sur
la loi applicable aux régimes matrimoniaux prennent les mesures appropriées pour informer le public, en
particulier les personnes qui se marient sur leur territoire, qui viennent y établir leur résidence habituelle
ou le quittent : a) de la possibilité qui est ouverte à des époux de désigner dans certaines limites et en
observant certaines formes, la loi applicable à leur régime matrimonial dans son ensemble, ou seulement
en ce qui concerne les immeubles ; b) de la loi applicable au régime matrimonial à défaut de choix par les
époux et du fait que cette loi peut changer dans certaines circonstances ; c) de la faculté qu’ont les époux,
en cas de changement de loi applicable, de soumettre tous leurs biens à la nouvelle loi ». V. sur ce point,
A. E. VON OVERBECK , Rapport explicatif : Actes et documents de la XIIIe session de la Conférence de
La Haye, 1976, t. 2, Régimes matrimoniaux, p. 329 s., spéc. p. 353-354, n° 107-108.
64
J.-P. NIBOYET, Traité de droit international privé. « Conflits de lois, d’autorités et de juridictions » :
t. III, Librairie du Recueil Sirey, 1944, p. 214, n° 924.
65
Selon l’auteur (J.-P. NIBOYET, Traité de droit international privé. « Conflits de lois, d’autorités et de
juridictions » : t. III, Librairie du Recueil Sirey, 1944, p. 214, n° 924), « le domicilié s’est incorporé à un
groupe dont il doit, dès lors, suivre les règles, et vis-à-vis duquel aussi il peut, une fois qu’on l’y admet,

369
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

parce qu’il s’est fixé dans le pays » ; il est considéré comme membre de la société du
pays de son domicile et doit, en tant que tel, être soumis à la loi de son domicile.
Niboyet proposait d’étendre cette analyse aux autres étrangers : la nationalité « est un
véritable écran qui, pour les autres individus, cache le domicile » et empêche de se
rendre compte du fait qu’ils font également partie de la société des étrangers établis
dans un pays. Rappelons que l’auteur envisageait le domicile dans les rapports
internationaux comme différent de celui du droit interne, comme un concept plus
politique (une « vice-nationalité ») mais fondé uniquement sur des éléments matériels ;
ce domicile devait également être beaucoup plus stable que dans l’ordre interne66. Sa
conception de l’intérêt national le conduisait à préconiser un système de rattachement
unilatéral : les Français devaient demeurer soumis à la loi française ; les étrangers
installés en France devaient être régis par la loi de leur domicile67.

534. Aujourd’hui, une partie de la doctrine se montre également favorable au


choix d’un critère de rattachement territorial en matière de statut personnel. Certains
arguments reposent sur le contexte migratoire de la France, sur la présence durable de
nombreux étrangers68 sur le sol français. Pour reprendre les termes de Batiffol69, le
statut personnel est « le principal véhicule d’importation de lois étrangères » ; or,
l’application de la loi nationale étrangère présente divers inconvénients. Lorsque
l’application d’un statut personnel étranger n’est plus l’exception, s’instaure, par le jeu
des conflits de lois, un « pluralisme juridique de fait » sur le territoire de l’État

invoquer des droits. En général, on tend à méconnaître le caractère et l’existence de ce groupe politique
formé par les individus établis ».
66
Le premier projet de réforme du Code civil de 1950, initié par Niboyet, envisageait que « Le domicile
de toute personne est au lieu où elle a, en fait, sa résidence habituelle ». Cette disposition relative au
domicile du droit interne valait pour les rapports internationaux (v. J.-P. NIBOYET, Le domicile dans le
projet de la Commission de réforme du Code civil : TCFDIP 1938-1952, p. 65 s., spéc. p. 70). – En ce qui
concerne le droit international, le projet (v. Projet de droit international privé élaboré par la Commission
de Réforme du Code civil : Rev. crit. 1950. 111) précisait que « L’étranger qui n’a pas sa résidence
habituelle en France ne peut y acquérir un domicile. L’étranger qui cesse de résider de façon habituelle en
France y perd son domicile » (art. 14) et que, sauf exception (prévue par le texte), « l’étranger qui réside
régulièrement et de façon habituelle en France depuis cinq ans y acquiert de plein droit son domicile »
(art. 15 du projet). Ces dépositions furent modifiées ; dans sa seconde rédaction, la référence à la durée de
résidence habituelle disparut : « Est domicilié en France l’étranger qui y possède sa résidence principale
ou qui, à défaut, y exerce une activité professionnelle principale » (art. 14, al. 1 ; v. Rev. crit. 1952. 179).
– Sur la question, cf. supra n° 53.
67
V. P. FRANCESCAKIS, La pensée des autres en droit international privé : Université Thessalonique,
1987, p. 443 s.
68
Cf. supra n° 453 s.
69
H. BATIFFOL, Une évolution possible de la conception du statut personnel dans l’Europe continentale,
in XXth century comparative and conflicts law : Mélanges en l’honneur de Hessel E. Yntema,
A. W. Sythoff, Leyden, 1961, p. 295 s, spéc. p. 306.

370
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

d’accueil, pluralisme qui peut alors faire l’objet d’un rejet par le corps social70. De
même, la multiplication du contentieux international qui caractérise le droit
international privé actuel exacerbe les difficultés liées à l’application de la loi nationale
par les juridictions locales ; on est en droit de se demander si les tribunaux ont les
moyens, en pratique, d’assurer l’application du statut personnel étranger lorsqu'il ne
s’agit plus d’interpréter exceptionnellement une loi étrangère71. Par ailleurs, le droit
étranger, une fois désigné par la règle de conflit, est encore assez souvent évincé au
profit de la loi française du for par le biais du mécanisme de l’ordre public
international72. Or, si l’on considère que l’ordre public international ne doit intervenir
que de manière assez exceptionnelle, ce constat est également un argument dont le
législateur doit tenir compte lorsqu'il choisit un critère de rattachement ; le
développement d’un critère territorial en matière de statut personnel permettrait de
limiter un peu plus le recours à cette méthode. Enfin, en matière de statut personnel, les
dérogations à l’application de la loi nationale se sont multipliées, au profit
particulièrement de la résidence habituelle le plus souvent retenue comme élément de
rattachement par les textes internationaux. La loi personnelle n’est pas une loi unique et
le statut personnel aurait perdu toute cohérence d’ensemble du fait en particulier de la
multiplication des règles applicables et de la diversité de leurs sources. De nombreux
auteurs ont ainsi dénoncé l’« éclatement »73, le « morcellement »74, l’« émiettement »75

70
V. J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les
relations entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel :
RCADI 1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 205-206. – Sur la question, cf. supra n° 467.
71
Ce problème purement matériel que constitue l’aptitude des tribunaux français à appliquer un statut
personnel étranger aux quelques millions d’étrangers établis sur le territoire français ne doit pas être sous-
estimé (selon le Haut conseil à l’intégration, quelque cent cinquante nationalités seraient représentées sur
le sol français. V. Rapport au Premier ministre, Liens culturels et intégration : La Documentation
française, Coll. des Rapports officiels, juin 1995, spéc. p. 15). On sait, d’une part, que l’application de la
loi étrangère par les tribunaux doit rester l’exception, d’autre part, que l’application du contenu du droit
étranger, de son interprétation, ne fait l’objet que d’un contrôle restreint par la Cour de cassation (cf.
supra n° 130). – Cet argument lié au risque de dénaturation de la loi étrangère, nettement pragmatique, ne
doit pas être négligé. Il peut même être considéré comme encore plus pertinent que celui lié à
l’intégration des étrangers habituellement invoqué (v. J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de
civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes
islamiques en matière de statut personnel : RCADI 1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 206 s.).
72
Sur ce point, cf. infra 2e partie, titre 2.
73
A. BUCHER , La famille en droit international privé : RCADI 2000, t. 283, p. 9 s., spéc. p. 27. – V.
également Y. LOUSSOUARN et P. BOUREL, Droit international privé : Dalloz, Coll. Précis, Droit privé,
3e éd., 2000, n° 165.
74
B. AUDIT, Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 590. L’auteur a émis
le constat selon lequel « les catégories de statut individuel et statut familial ont été morcelées » ; le statut
personnel serait devenu en droit positif français une « nébuleuse ou une mosaïque, de laquelle toute
perspective d’ensemble a disparu ». – V. également P. GANNAGÉ, La pénétration de l’autonomie de la

371
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

ou encore la « dislocation »76 du statut personnel, d’où l’idée de soumettre à une loi
unique, désignée par un élément de rattachement territorial, l’ensemble de la matière
pour lui redonner une certaine homogénéité, une certaine cohérence. C’est pour
l’ensemble de ces raisons que le principe même du rattachement à la loi nationale est
parfois remis en cause, au profit d’un critère de rattachement territorial.

535. Si l’on décidait d’opter, à titre de principe, pour un rattachement territorial


en matière de statut personnel, certains estiment qu’il ne pourrait en aucun cas s’agir de
la notion de résidence et que seul le domicile aurait éventuellement vocation à devenir
ce critère77 ; d’autres, au contraire, admettent qu’elle pourrait tout à fait satisfaire les
objectifs du législateur78, à condition néanmoins d’être qualifiée d’« habituelle ». Il
convient, pour se prononcer en faveur de l’un ou l’autre critère, de tenir compte des
exigences du statut personnel. La matière requiert une certitude, une stabilité, voire une
certaine permanence de la loi applicable, le statut individuel ou familial ne devant pas
changer au gré des intéressés, de leurs déplacements. Par ailleurs, il est essentiel de

volonté dans le droit international privé de la famille : Rev. crit. 1992. 425 s., spéc. 428 ; Y. LEQUETTE,
Rapport français, in Aspects de l’évolution récente du droit de la famille (Journées turques) : Travaux de
l’association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, t. XXXIX, 1988, Économica,
1990, p. 467 s., spéc. p. 473 s. ; M. FARGE, Le statut familial des étrangers en France : de la loi nationale
à la loi de la résidence habituelle : L’Harmattan, 2003, n° 150.
75
J. E. J. T. D EELEN , Nationalité et milieu, in De conflictu legum : Mélanges offerts à Roeland Duco
Kollewijn et Johannes Offerhaus à l’occasion de leurs soixante-dixième anniversaires, A. W. Sijthoff,
Leyde, 1962, p. 103 s., spéc. p. 105.
76
C. RO C H AT , La dislocation du statut personnel : Thèse, Lausanne, Imprimerie Vaudoise, 1986.
L’auteur évoque l’« atomisation » de la loi personnelle (op. cit., p. 303). Il conclut sa thèse en considérant
que « nous en sommes arrivés à un point où l’expression [de statut personnel] doit être abandonnée » (op.
cit., p. 376). – M. Carlier (Autonomie de la volonté et statut personnel : Thèse, Faculté de droit de
l’Université catholique de Louvain, Bruylant, 1992, spéc. p. 229-230) se montre plus nuancé : il ne
s’agirait plutôt que d’une « segmentation » du statut personnel, ce qui laisserait entendre qu’il peut être
« restructuré ».
77
L’Institut de droit international a adopté en 1987 une résolution relative aux principes de la nationalité
et du domicile (V. Y. LOUSSOUARN, La dualité des principes de nationalité et de domicile en droit
international privé. Rapport définitif et projet de résolution : Annales de l’IDI, 1987, t. 1, p. 295 s.). Le
choix de la résidence habituelle comme critère de rattachement en matière de statut personnel n’a pas
emporté l’adhésion et la notion a été finalement peu discutée par les membres de la Commission. Le
rapporteur, M. Loussouarn, signale en effet que « de nombreuses réserves ont été émises […] quant aux
vertus dont est souvent parée la résidence habituelle. En dépit des succès qu’elle a remportés dans les
conventions internationales élaborées sous l’égide de la Conférence de La Haye de droit international
privé, on s’accorde à reconnaître qu’elle est loin d’être une panacée (op. cit. p. 299) – V. les réponses de
MM. Batiffol (op. cit., p. 322), Capotorti (op. cit., p. 358), Carillo-Salcero (op. cit., p. 361) et Gannagé
(op. cit., p. 365) au questionnaire posé. – V. également A. PHILIPP (op. cit. p. 339 et 376) ; l’auteur,
invoquant la substitution du critère de domicile à celui de la nationalité, « signale que le danger est, bien
entendu, que le critère du domicile tend à être remplacé par un critère de pure résidence ».
78
V. Les thèses récentes de M. FARGE, Le statut familial des étrangers en France : de la loi nationale à
la loi de la résidence habituelle : L’Harmattan, 2003 et de M. HUNTER-HENIN, Pour une redéfinition du
statut personnel : Thèse Paris I, 2001.

372
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

désigner une loi qui présente des liens suffisamment étroits et intenses avec la personne.
Les liens personnels ne sont pas obligatoirement constitués par la nationalité, lien
politique et juridique, ils peuvent l’être par un lieu, mais pas n’importe lequel : celui
dans lequel l’intéressé est intégré, a installé son centre de vie, vers lequel il a déplacé
ses intérêts. Seul le lieu qui désigne le pays dans lequel l’intéressé est suffisamment
enraciné est susceptible de traduire un lien personnel.

536. On a vu79 que la résidence habituelle pouvait représenter le centre de vie des
personnes, mais que c’était au fil du temps passé que les intérêts se déplacent. Dès lors,
on peut se poser la question de savoir si l’on ne pourrait pas envisager un système de
mutabilité s’inspirant de celui élaboré dans la convention de La Haye de 1978 sur la loi
applicable aux régimes matrimoniaux et prévoir, en matière de statut personnel, un
changement de la loi applicable au profit de la loi de la résidence habituelle après
l’écoulement d’un certain laps de temps traduisant le déplacement du centre de vie.
D’un établissement particulièrement stable, on peut présumer une intégration à la
communauté française qui pourrait motiver le changement de la loi applicable : dans un
premier temps, les personnes concernées resteraient soumises à leur loi nationale et, au-
delà d’une durée préétablie, à la loi de leur résidence habituelle. La possibilité d’opter
pour une substitution de la loi de la résidence habituelle à la loi nationale au-delà d’un
délai sera d’abord étudiée de manière plus générale, en son principe (§ 1.) ; les
implications du changement de la loi applicable seront ensuite envisagées (§ 2.).

§. 1. Proposition pour un changement de la loi applicable au profit de la loi


de la résidence habituelle au-delà d’un délai

537. Plusieurs solutions sont concevables en ce qui concerne un éventuel


changement de loi applicable en matière de statut personnel. Après avoir démontré en
quoi la meilleure solution paraît être celle qui consiste à retenir le changement de la loi
applicable au profit de la loi de la résidence habituelle au-delà d’un certain délai de
présence en un lieu (A.), il conviendra d’étudier les modalités de mise en œuvre d’un tel

79
Cf. supra n° 508 s.

373
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

changement, en particulier en ce qui concerne la détermination du seuil temporel


requis (B.).

A. La nécessité de recourir à la résidence habituelle qualifiée par un délai

538. On peut envisager trois possibilités applicables au changement du critère de


rattachement de principe en matière de statut personnel. La première consiste à offrir
aux étrangers installés en France une option de législation ; la deuxième repose sur la
substitution pure et simple de la loi du milieu de vie à la loi nationale. La dernière
solution se traduirait par un changement de loi applicable au-delà d’un certain délai de
présence en France. Reprendre brièvement les deux premières options (1.) permet de
mettre en évidence le fait que seule la troisième pourrait être admise (2.).

1. Les solutions écartées

539. Deux solutions ont pu être envisagées pour ce qui concerne le changement
de la loi applicable en matière de statut personnel : la première est fondée sur une option
de législation qui serait limitée aux seules lois qui présentent un lien concret avec la
situation (a.) ; la seconde envisageant un changement de l’élément de rattachement au
profit de la loi du milieu de vie, il convient alors de choisir entre le critère du domicile
et celui de la résidence habituelle (b.).

a. L’option de législation

540. Le changement de la loi applicable résultant de la volonté des intéressés est


une possibilité que certains auteurs ont envisagée80 : seuls les étrangers qui se
sentiraient suffisamment intégrés dans la société d’accueil décideraient de ne plus être
soumis à leur loi nationale au profit de la loi locale. L’option de droit est définie comme
le choix entre deux ou plusieurs législations désignées par des rattachements

80
V. notamment J.-Y. CARLIER, Autonomie de la volonté et statut personnel : Thèse, Faculté de droit de
l’Université catholique de Louvain, Bruylant, 1992. L’auteur est parti du constat selon lequel la loi
régissant le statut personnel est imposée au migrant « qui tantôt doit renoncer à sa loi nationale tout en
restant attaché à sa culture d’origine, tantôt demeure régi par un droit national qui ne correspond plus aux
réalités de sa vie ». Il démontre que l’option de législation peut constituer « un moyen terme entre la loi
nationale sauvegardant la culture d’origine mais accentuant le choc des différences et la loi de la
résidence habituelle forçant l’intégration en niant toute identité autre » (op. cit. p. 13).

374
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

objectifs81 ; en matière de statut personnel, le choix pourrait se faire entre la loi


nationale et la loi du domicile82, ou entre la loi nationale et celle de la résidence
habituelle83. Mais, si choisir entre des lois présentant des liens concrets avec la situation
est concevable dans des matières qui relèvent du droit patrimonial de la famille (l’option
est, on l’a vu, consacrée par la convention de La Haye sur la loi applicable aux régimes
matrimoniaux84), il est difficile de généraliser un tel procédé et de l’étendre aux
relations extrapatrimoniales, alors même que la volonté d’être soumis à la loi locale
pourrait effectivement être révélatrice d’une intégration à la communauté locale.
M. Gannagé85 a, en ce sens, démontré que la pénétration de l’autonomie de la volonté
dans le domaine des relations familiales est tout à fait concevable dans les États où le
pluralisme des statuts personnels s’applique dans l’ordre interne, mais qu’il faut se
montrer plus réservé lorsque le système juridique est unifié car les conceptions et les
intérêts ne sont pas les mêmes. L’idée du changement de la loi applicable qui résulterait
du choix des intéressés peut sembler séduisante, elle n’en est pas moins difficilement
praticable86.

b. Le changement pur et simple du critère de rattachement

541. Dans la mesure où les étrangers ne peuvent établir directement leur intention
d’être soumis à la loi de leur pays d’établissement, que le changement de loi applicable
en matière de statut personnel ne peut dépendre d’une volonté individuelle, on peut se
demander si l’établissement des étrangers en France, le fait qu’il y ont leur domicile ou
leur résidence habituelle, peut être un élément retenu comme révélateur de leur
intégration, ce qui justifierait qu’on leur applique directement la loi de leur milieu de
vie. Dès lors, on peut se poser la question de savoir si le domicile ou la résidence
habituelle peuvent être retenus comme élément objectif de rattachement, si l’on peut

81
V. A. E. VON O VERBECK, La professio juris comme moyen de rapprocher les principes du domicile et
de la nationalité en droit international privé : Liber amicorum Baron Louis Fredericq, t. 2., 1965,
p. 1085 s.
82
V. C. LABRUSSE , La compétence et l’application des lois nationales face au phénomène de
l’immigration étrangère : TCFDIP 1975-1977, p. 111 s., spéc. p. 131-132.
83
J.-Y. CARLIER, Autonomie de la volonté et statut personnel : Thèse, Faculté de droit de l’Université
catholique de Louvain, Bruylant, 1992, spéc. p. 267, n° 254.
84
Cf. supra n° 510.
85
V. P. G ANNAGÉ , La pénétration de l’autonomie de la volonté dans le droit international privé de la
famille : Rev. crit. 1992. 425 s.
86
V. F. JAULT -SESEKE , Le regroupement familial en droit comparé français et allemand : L.G.D.J.,
Bibliothèque de droit privé, t. 265, 1996, spéc. p. 359 s.

375
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

déduire de ces critères des liens suffisamment intenses avec le milieu de vie pour
justifier la substitution d’un critère de rattachement territorial à celui de la nationalité.

542. On sait que le domicile peut être à la fois un lieu et une fiction juridique
dans la mesure où il implique une présomption de présence. Si c’est à un domicile réel,
effectif et personnel que l’on souhaite se référer, qu’on le détache de toute idée de
fiction, on lui retire une part de ce qui le caractérise. On pourrait néanmoins soumettre
l’étranger à la loi de son domicile en mettant l’accent sur l’élément intentionnel,
estimant que si l’étranger établit son domicile en un lieu, il a la volonté de s’intégrer
dans le milieu social français, d’y concentrer ses intérêts, en faisant de ce lieu celui de
son principal établissement. Sans préconiser de ne retenir l’existence du domicile que
s’il y a perte de l’esprit de retour de l’étranger dans son pays d’origine87, critère
quasiment impossible à mettre en œuvre (outre les difficultés liées à la preuve d’un fait
négatif, bon nombre d’étrangers ne savent pas eux-mêmes s’ils ont ou non perdu tout
esprit de retour88), il serait possible de considérer que le domicile implique de manière
positive la volonté psychologique de s’installer durablement, de demeurer dans le
milieu de vie de leur pays d’établissement. Mais cet élément intentionnel, qui doit se
déduire de faits appréciés au regard des objectifs de la règle de droit qui l’utilise, ne
peut consister, en matière de statut personnel, qu’en une analyse concrète des
circonstances de vie, individuelles ou familiales, en un lieu. Si l’on optait pour le
domicile, il conviendrait d’interpréter la notion au sens de la jurisprudence relative au
divorce précédemment évoquée89 et l’on sait qu’elle ne se différencie pas de la notion
de résidence habituelle puisque l’élément intentionnel est objectivé et résulte
uniquement de l’effectivité et de la stabilité de l’établissement en un lieu90. C’est pour
ces diverses raisons qu’il ne paraît pas utile de se référer à la notion de domicile qui

87
Selon certains auteurs, l’existence ou non d’une volonté de retourner dans sa patrie serait pourtant le
seul critère qui puisse emporter un changement du critère de rattachement au profit de la loi du pays
d’établissement. V., en ce sens, G. VAN HECKE, Principes et méthodes de solution des conflits de lois :
RCADI 1969-I, t. 126, p. 399 s., spéc. p. 536. – V. également P. FRANCESCAKIS, Les avatars du concept
de domicile dans le droit international privé actuel : TCFDIP, 1962-1964, p. 291 s., spéc. p. 312-313.
Selon l’auteur, « sans […] pousser à l’extrême [la vieille idée d’esprit de retour], ce qui reviendrait à
exiger que le nouveau domicile ait été acquis à titre perpétuel, on pourrait faire signifier à cette idée que
l’intéressé s’est effectivement détaché de son milieu social d’origine et y voir une condition d’acquisition
du nouveau domicile ».
88
Considérer que le domicile implique la perte de l’esprit de retour en matière de statut personnel
rapprocherait également la notion de celle du domicile du droit anglais, qui s’apparente finalement au
concept de nationalité auquel on souhaiterait déroger en retenant un critère territorial.
89
Cf. supra n° 451.

376
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

poserait plus de problèmes qu’elle n’apporterait de réelle solution. Dans la mesure où la


notion de résidence habituelle, à laquelle on assimile celle de domicile dans les rapports
personnels et familiaux, est déjà largement retenue comme élément de rattachement
dans les textes internationaux, en particulier dans les conventions de La Haye et les
règlements communautaires, il paraît inutile d’envisager de substituer le critère du
domicile à celui de la nationalité en matière de statut personnel.

543. On a vu91 que l’on ne pouvait a priori déduire du seul fait de la résidence
habituelle une intégration des intéressés dans leur milieu de vie, ou en tout cas la
mesurer, alors même que la notion implique, par définition, un établissement stable en
un lieu. On pourrait en revanche envisager de ne retenir en matière de statut personnel
l’existence d’une résidence habituelle en un lieu que si elle coïncide avec le centre des
intérêts et considérer que la résidence habituelle n’est acquise qu’une fois qu’il est établi
que l’étranger a bien en France son centre de vie, qu’il est intégré dans le milieu social
français. L’idée n’est pas nouvelle. En effet, en matière de nationalité française, la
jurisprudence considère que l’intéressé qui n’a pas le centre de ses intérêts en France
n’y a pas sa résidence. Ce faisant, les jurisprudences civile et administrative ont élaboré
une définition du domicile et de la résidence propre à la matière. Après avoir évoqué
cette possibilité consistant à définir pour les besoins de la matière les termes retenus par
les textes, on verra qu’elle a pour principal défaut celui de dénaturer la notion de
résidence.

544. En matière de nationalité, alors que le domicile a d’abord été apprécié au


sens des articles 102 et suivants du Code civil, la jurisprudence a peu à peu considéré
cette notion de manière autonome92. Selon la Cour de cassation, « le domicile s’entend,
au sens du droit de la nationalité, d’une résidence effective présentant un caractère
stable et permanent et coïncidant avec le centre des attaches familiales et des
occupations professionnelles »93. En ce qui concerne la résidence, la Cour a également
indiqué que « la résidence exigée pour l’acquisition de la nationalité française s’entend

90
Cf. supra n° 259 s. et 451.
91
Cf. supra la section précédente.
92
Cf. supra n° 63 s. Dans un arrêt de 1955 (Civ. 1ère, 20 déc. 1955 : JCP 1956. II . 9173, note
P. Aymond), la Cour de cassation fit pour la première fois directement référence à un « domicile en
matière de nationalité ». La formule fut ensuite reprise de manière constante.
93
Civ. 1re, 29 juin 1983, Khiari : Rev. crit. 1984. 77, note P. Lagarde. La définition de la Cour de
cassation n’a pas évolué depuis, les termes utilisés par la jurisprudence demeurent strictement identiques.

377
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

d’une résidence effective et habituelle de l’intéressé, coïncidant avec le centre de ses


attaches et de ses occupations »94. Aujourd’hui, la jurisprudence ne fait aucune
distinction selon que le texte légal utilise le terme de domicile ou celui de résidence,
leur définition est identique95. Le Conseil d’État, qui s’est progressivement attaché à
donner une définition propre à la juridiction administrative de la notion de résidence, a
posé la règle d’irrecevabilité de la demande de naturalisation « lorsque l’intéressé n’a
pas fixé en France de manière stable le centre de ses intérêts »96 ; a contrario lorsque
l’intéressé a fixé en France de manière stable le centre de ses intérêts, il a sa résidence
habituelle en France97.

545. La définition de la notion de résidence donnée par la Cour de cassation


pourrait paraître a priori plus souple que celle adoptée par le Conseil d'État : pour la
première, la résidence doit coïncider avec le centre des attaches familiales et des
occupations professionnelles ; la seconde envisage la résidence comme le lieu où
l’intéressé a établi « le centre de ses intérêts ». Or, il n’en est rien dans la mesure où ces
deux définitions sont considérées comme identiques98. En revanche, il apparaît
clairement que la condition de résidence n’est pas interprétée de la même manière selon

94
Civ. 1re, 21 mai 1990 : Bull. civ. I, n° 118. La Cour a usé plusieurs fois de la même formule. V., par
exemple, Civ. 1re, 10 avr. 1996 : D. 1997. 105, note P. Guiho. La Cour a considéré que « la résidence
habituelle au sens de l’article 54 du Code de la nationalité s’entend d’une résidence présentant un
caractère effectif et stable, coïncidant avec le centre des attaches familiales et des occupations de
l’intéressé ».
95
Sur l’assimilation des termes, v. P. LAGARDE, La nationalité française : Dalloz, 3e éd., 1997, n° 144 ;
Rép. intern. Dalloz, V° Nationalité, 1998, n° 348 ; H. FULCHIRON, N ationalité, naturalisation : J.-Cl.
Droit int. pr., Fasc. 502-70, 1996, n° 62. – L’ordonnance du 19 octobre 1945 instituant le Code de la
nationalité a par ailleurs substitué la condition de résidence à celle du domicile ; le terme de domicile ne
subsiste plus que dans les articles relatifs aux effets sur la nationalité française des transferts de
souveraineté de certains territoires (v. les articles 32 s. du Code civil).
96
CE, 28 févr. 1986, Bouhanna et Akhras : Rev. crit. 1986. 457, concl. Denoix de Saint-Marc, note P. L. ;
Rec. CE, p. 53-54 ; D. 1986. IR. 208 ; AJDA 1986. 320. Ce n’est qu’à partir de 1985 que le Conseil d'État
a commencé à donner une définition de la notion de résidence ; auparavant l’Administration s’appuyait
sur la définition donnée par la Cour de cassation en matière de domicile.
97
La définition donnée par le Conseil d'État est également particulièrement constante.
98
La volonté d’assimiler ces deux notions a été très clairement exprimée par M. Denoix de Saint-Marc
dans ses conclusions rendues sur les arrêts Bouhanna et Akhras. Selon le commissaire du gouvernement,
l’acception de la notion de résidence au sens du Code de la nationalité, telle que formulée par le Cour de
cassation dans l’arrêt Khiari, « peut être adoptée par le juge administratif. D’abord parce qu’elle a le
mérite d’exister et d’avoir été sanctionnée par une jurisprudence constante et abondante ; ensuite parce
qu’il serait fâcheux que pour l’application du Code de la nationalité, deux acceptions différentes soient
données à un même terme ; enfin, parce que cette conception nous paraît juste et pertinente parce que
raisonnable et réaliste ». – V. la circulaire DPM n° 95-09 du 27 avril 1995 relative aux naturalisations,
réintégrations dans la nationalité française et pertes de la nationalité française (BO MAASVI n° 23 du 31
juill. 1995) qui précisait que « pour que la demande soit recevable, il faut que la résidence du postulant
soit stable, effective et permanente c'est-à-dire qu’elle coïncide avec le centre des attaches familiales et
des intérêts matériels » (la circulaire a depuis été modifiée, sur ce point, cf. infra n° 547, n. 106).

378
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

qu’il s’agit, par exemple, d’une acquisition de la nationalité française par la naissance et
la résidence en France ou d’une acquisition par naturalisation ou réintégration.

546. En ce qui concerne l’hypothèse où l’acquisition de la nationalité française


est fondée sur la double condition de la naissance et de la résidence en France, il résulte
de l’article 21-7, alinéa 1, du Code civil que « Tout enfant né en France de parents
étrangers nés à l’étranger acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il
a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une
période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans »99. La
jurisprudence se satisfait d’une résidence personnelle100, stable et effective, appréciée au
jour de la majorité101 ou pour la période des cinq années requises102. La coïncidence de
la résidence avec le centre des attaches familiales et des préoccupations professionnelles
est particulière s’agissant du mineur. Ses attaches familiales sont généralement
constituées de ses parents, frères ou sœurs ; il serait difficile de lui opposer un refus
d’acquisition de la nationalité au motif que l’un d’eux est, par exemple, reparti à
l’étranger au moment de sa majorité. Il en irait peut-être autrement si le mineur avait
lui-même fondé une famille et que celle-ci demeure à l’étranger103. La notion
d’« occupations professionnelles » doit également être interprétée avec souplesse :
« travail, études, recherche d’emploi, stage de formation, activités en général devraient
pouvoir être pris en compte »104. La notion de résidence habituelle est interprétée tout à
fait normalement pour ce qui concerne l’acquisition de la nationalité française sur le

99
L’article 21-11 du Code civil prévoit également que ces enfants nés en France de parents nés à
l’étranger peuvent acquérir la nationalité française de manière anticipée (dès l’âge de treize ans), sous
réserve également d’une condition de résidence en France.
100
Ce point ne fait l’objet d’aucune discussion. V. Civ. 1ère, 9 janv. 1957 : Rev. crit. 1957. 447, note
H. B. ; JCP 1958. II. 10414, note P. Aymond.
101
Ou au jour de la réclamation anticipée de la nationalité française par déclaration sur le fondement de
l’article 21-11 du Code civil.
102
Avant la réforme de la nationalité de 1998 (L. n° 98-170 du 16 mars 1998 relative à la nationalité : JO
du 17 mars 1998, p. 3935), la loi ne précisait pas que la résidence pouvait être « continue ou discontinue »
et que le délai de cinq années pouvait être étalé sur sept ans. Il était pourtant évident que la résidence
pouvait malgré tout s’accommoder d’absences de courte durée. Sur le problème des absences et de la
nécessité de recourir à un élément intentionnel, cf. supra n° 283 s.).
103
L’intéressé ne pourrait par ailleurs pas acquérir la nationalité française s’il repartait dans son pays
d’origine, de manière a priori définitive, avant la date de sa majorité (quand bien même il justifierait
avoir eu sa résidence habituelle en France entre l’âge de onze et seize ans) ; on ne pourrait considérer
qu’il a, au jour de sa majorité, sa résidence habituelle en France.
104
H. FULCHIRON, Nationalité, naturalisation : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 502-50, 2001, n° 124. – V. la
circulaire n° 98-14 du 20 août 1998 du Ministère de la justice sur les modalités d’entrée en vigueur de la
loi du 16 mars 1998 (NOR JUS/C/98/20514/C ; JO du 21 août 1998) qui prévoit qu’en pratique, « la
preuve de la résidence résultera de la production de certificats de scolarité, contrats d’apprentissage,
attestations de stage, certificats de travail, etc. ».

379
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

fondement de la naissance et de la résidence en France. Il en va différemment quant à la


condition de résidence requise en matière de naturalisation ou de réintégration.

547. La résidence est aussi une condition d’acquisition de la nationalité française


par naturalisation105 ou par réintégration. En ce domaine du droit de la nationalité, la
jurisprudence se montre particulièrement stricte quant aux conditions requises pour
considérer que l’intéressé a en France sa résidence. Ainsi, en matière de naturalisation,
même si la demande est individuelle, l’intéressé ne peut être considéré comme ayant
une résidence en France si l’ensemble de ses attaches familiales proches (notamment
son conjoint et ses enfants) ne sont pas également établies sur le territoire français106. Le
centre des intérêts matériels doit également être localisé en France pour que l’étranger
puisse avoir une résidence habituelle en France. La circulaire du 12 mai 2000107 précise
qu’il convient de vérifier « l’origine et la nature des revenus du demandeur » et que le
demandeur n’est considéré comme ayant sa résidence en France que « si la plus grande
part de ses revenus a son origine dans notre pays, cette localisation des intérêts matériels
sera notamment attestée par la production de justificatifs de ressources sur notre
territoire pour les trois années précédant sa demande ». Ne sont pas considérés comme
ayant leur résidence en France les étrangers dont les ressources financières paraissent

105
La condition de résidence est d’ailleurs en ce cas double : l’intéressé doit avoir sa résidence en France
non seulement au moment de la signature du décret de naturalisation (article 21-16 du Code civil), mais
également (sauf dérogation) pendant les cinq ans qui précèdent le dépôt de la demande (v. l’article 21-17
du Code civil et les articles 21-18 s. du Code civil pour les dérogations).
106
Alors que le conjoint ne résidait pas en France, ont néanmoins pu acquérir la nationalité française :
l’étranger justifiant d’une procédure de divorce (CE, 13 juin 1986, M. Grzeszczak : req. n° 57689, inédit ;
CE, 27 févr. 1987, Mme Tadros : req. n° 63816, inédit ; contra CE, 17 juin 1996, M. Koyuncu : req.
n° 155817, inédit) ; l’étranger qui a rapporté la preuve du caractère temporaire de la séparation liée à des
raisons de santé (CE, 8 janv. 1997, M. Rahoua : req. n° 168468, inédit) ou à des raisons professionnelles
(CE, 10 déc. 1993, Mme Brache : req. n° 11861 ; mais dans cet arrêt l’intéressée disposait elle-même en
France d’une autonomie financière) ; l’étranger ancien combattant algérien de l’armée française et
percevant à ce titre une retraite d’invalidité qui avait sollicité le regroupement familial (CE, 12 oct. 1994,
M. Labdi : req. n° 142522, inédit). – La circulaire DPM n° 2000-254 du 12 mai 2000 du Ministère de
l’emploi et de la solidarité relative aux naturalisations, réintégrations dans la nationalité française et perte
de la nationalité française (NOR/MES/N/00/30272/C : BO Aff. Soc. N° 2000-27 du 3 juill. 2000)
précise : « dans l’hypothèse où le conjoint du postulant ou l’un de ses enfants mineurs […] demeure à
l’étranger, vous [les préfets] demanderez au postulant d’en exposer les motifs par écrit » ; « le fait que le
conjoint s’associe à la demande est un élément favorable au postulant. Dans le cas contraire, vous
demanderez au postulant si son conjoint peut indiquer les motifs de son abstention. Le cas échéant vous
indiquerez la nature du titre de séjour détenu par le conjoint ainsi que sa date d’entrée en France ».
107
Circulaire DPM n° 2000-254 du 12 mai 2000 du Ministère de l’emploi et de la solidarité relative aux
naturalisations, réintégrations dans la nationalité française et perte de la nationalité française :
NOR/MES/N/00/30272/C : BO Aff. Soc. N° 2000-27 du 3 juill. 2000.

380
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

insuffisantes à l’Administration108 ou proviennent de l’étranger109 ; les demandes


formulées par les étudiants se trouvent de ce fait généralement rejetées110. Si la nature et
la durée du titre de séjour du requérant sont un indice de la stabilité de son
établissement111, il est des cas où l’acquisition de la nationalité française lui a été
refusée parce que son conjoint ne disposait pas d’un titre de séjour régulier112.

548. Alors que la réintégration dans la nationalité est « le mode d’acquisition de


la nationalité française réservé aux anciens Français »113, on pourrait penser qu’il est
plus aisé de redevenir français puisqu’on l’a déjà été. Mais en étudiant la jurisprudence,
on s’aperçoit qu’elle est particulièrement stricte pour apprécier les conditions requises,
surtout lorsqu'il s’agit de la condition de domicile. Le contentieux le plus important a
concerné celui de la réintégration par déclaration liée aux effets sur la nationalité
française des transferts de souveraineté relatifs à certains territoires, anciennement régi

108
V. CAA Nantes, 25 avr. 2003, M. et Mme X. : n° 01NT01757, inédit. Selon la cour, pour savoir si
l’intéressé a fixé en France de manière stable le centre de ses intérêts, « l’administration peut notamment
prendre en compte, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, la durée de la présence du demandeur
en France, sa situation familiale et le caractère suffisant et durable des ressources lui permettant de
demeurer en France ».
109
Lorsque les revenus proviennent de biens immobiliers et de sociétés situés à l’étranger, le requérant ne
peut être considéré comme ayant transféré le centre de ses intérêts en France (CE, 25 sept. 1996,
M. Darwiche : req. n° 135085, inédit – En l’espèce le requérant était propriétaire avec son épouse d’une
villa en France ; le couple et les quatre enfants, dont deux étaient de nationalité française, étaient installés
en France depuis plus de dix ans). Il en est de même lorsque les ressources du requérant proviennent de
capitaux placés à l’étranger (CE, 15 mars 1996, M. Ahmadi : req. n° 156517, inédit).
110
Il en est ainsi de l’étudiant en thèse allocataire de recherche dont les revenus sont jugés insuffisants
(CE, 20 nov. 1991, M. Bautzer : req. 106287, inédit), des étudiants boursiers, que l’aide soit versée par le
gouvernement étranger (CE, 8 janv. 1997, M. Rouabhi : req. n° 153569, inédit) ou le gouvernement
français (CE, 8 janv. 1997, M. Vi : req. n° 162395, inédit), de l’étudiant pris en charge par la DDASS
(CE, 18 oct. 1996, M. Chehaita : req. n° 156058, inédit) ou par sa famille (CE, 6 mai 1994, M. Bakthar :
req. 121049, inédit). – Les étudiants qui perçoivent des revenus jugés insuffisants sont également
considérés comme n’ayant pas transféré en France de manière stable le centre de leurs intérêts (CE, 20
nov. 1995, M. Stiti : req. n° 147254, inédit) ; les activités professionnelles sont considérées comme
« l’accessoire de l’activité d’étudiant » (CE, 20 nov. 1995, M. Hermi : req. n° 149379, inédit). – Certaines
décisions admettent que l’étudiant interne en médecine qui justifie de ressources suffisantes grâce à des
gardes peut avoir fixé en France le centre de ses intérêts (V., par exemple, CE, 12 avr. 1995, M. Sandouk :
Req. n° 150416, inédit. Contra CE, 22 juin 1994, M. Ahmad : req. n° 128757, inédit).
111
Il n’est apprécié qu’à la date du dépôt de la requête. Peu importe que l’intéressé puisse ensuite se
prévaloir d’un titre de séjour d’une durée de dix ans s’il a été obtenu après. V., par exemple, CAA Nantes,
30 déc. 1997, Mme Belmeliani : n° 96NT01406, inédit.
112
V. par exemple deux arrêts rendus par la cour d'appel de Nantes le 5 mars 1997, M. Ferraoun
(n° 95NT01473, inédit) et M. Laksi (n° 96NT00022, inédit). Selon la cour, « dans ces conditions, à la date
de la décision attaquée, [le requérant] ne pouvait être regardé comme ayant fixé en France de manière
stable le centre de ses intérêts ». Dans le second arrêt, au moment du prononcé de la décision, l’épouse de
l’intéressé était à nouveau en situation régulière et l’un de ses enfants était né en France.
113
D. HOLLEAUX, Jacques FOYER, G. DE GEOUFFRE DE LA PRADELLE, Droit international privé : Masson,
1987, n° 99.

381
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

par l’article 153 du Code de la nationalité114 qui a été abrogé par la loi du 22 juillet
1993115. C’est en application de ce texte que la Cour de cassation rendit son arrêt
Khiari116, à l’origine de la définition de la notion de « domicile en matière de
nationalité ». Or, pour établir la condition de domicile requise, les intéressés devaient
finalement justifier avoir rompu complètement et définitivement avec leur pays
d’origine, faute de quoi le domicile ne pouvait généralement être considéré comme
acquis. Aujourd’hui les hypothèses de réintégration par déclaration sont très limitées
puisqu’elles ne visent que les anciens membres du Parlement de la République, de
l’Assemblée de l’Union française et du Conseil économique117. Se référant à la
définition du domicile en matière de nationalité, la circulaire du 27 juin 1994118 précise
que « dans cette définition, l’élément essentiel, plus que le fait précis de la résidence est
la fixité, la permanence de cette résidence caractérisée par sa coïncidence avec le centre
des attaches familiales et les occupations. Ceci implique une certaine rupture avec le
territoire d’origine »119.

114
Selon les dispositions de l’ancien article 153, alinéa 1er, du Code de la nationalité : « Les personnes de
nationalité française qui étaient domiciliées au jour de son accession à l’indépendance sur le territoire
d’un État qui avait eu antérieurement le statut de territoire d’outre-mer de la République française et qui
ne peuvent invoquer les dispositions de l’article précédent [relatives aux Français originaires du territoire
de la République française, tel que constitué au 28 juillet 1960, qui étaient domiciliés au jour de son
accession à l’indépendance sur un ancien territoire d’outre-mer et qui ont conservé la nationalité française
de plein droit] peuvent, à la condition d’avoir établi au préalable leur domicile en France, être réintégrées,
moyennant une déclaration souscrite après autorisation du ministre chargé des naturalisations ».
115
L. n° 93-933 du 22 juill. 1993 réformant le droit de la nationalité : JO du 23 juill. 1993.
116
Précité, cf. supra n° 544, n. 93.
117
Seuls les articles 32-4 et 32-5 du Code civil envisagent désormais l’hypothèse de la réintégration par
déclaration. Ils prévoient que « Les anciens membres du Parlement de la République, de l’Assemblée de
l’Union française et du Conseil économique qui ont perdu la nationalité française et acquis une nationalité
étrangère par l’effet d’une disposition générale peuvent être réintégrés dans la nationalité française par
simple déclaration, lorsqu’ils ont établi leur domicile en France. La même faculté est ouverte à leur
conjoint, veuf ou veuve et à leurs enfants » (article 32-4).
118
Circulaire n° 94/16 du 27 juin 1994 du Ministère de la justice relative à l’enregistrement des
déclarations de nationalité par les juges d’instance : NOR/JUS/C/94/20582/C.
119
La circulaire ajoute que pour savoir si cette condition est satisfaite, il convient de rechercher « très
concrètement quelle est la durée de la présence en France de la personne concernée, la nature de ses
occupations et de ses activités professionnelles et surtout où sont fixées ses attaches familiales, son ou ses
conjoints, ses enfants ». Le déclarant doit « faire connaître sa situation familiale et produire, en plus des
justificatifs d’adresse, tous documents utiles le concernant et, le cas échéant, son ou ses conjoints et
enfants, tels que titre de séjour ou de travail, certificat de travail, bulletins de salaire, inscription au
registre des métiers ou du commerce ». – Si les articles 32-4 et 32-5 du Code civil sont, comme le
souligne M. Fulchiron (Nationalité, naturalisation : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 502-81, 1997, n° 73), des
textes « d’application tout à fait exceptionnelle dont le maintien ne se justifie guère que par une sorte de
reconnaissance de la France envers ceux qui ont participé aux institutions essentielles de la République »,
on peut néanmoins considérer que la gratitude de l’Administration se manifeste de manière quelque peu
suspicieuse si l’on considère le texte de la circulaire.

382
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

549. L’acquisition de la nationalité française est liée à l’intégration des étrangers


dans le milieu social français ; elle est la traduction juridique d’une appartenance de fait.
Pour reprendre les termes de M. Lagarde, lorsque le législateur définit son droit de la
nationalité, il s’efforce d’exprimer juridiquement « un fait social de rattachement »120.
Lorsque la naissance et la résidence en France121 justifient l’accès à la nationalité
française, on peut considérer la combinaison de ces deux éléments comme un « indice
d’acquisition du mode de vie et de l’identité nationale »122 ; l’acquisition a lieu de plein
droit123. Lorsque les liens sont moins étroits, il peut être fait appel à la volonté positive
des intéressés, laquelle doit être combinée avec un élément objectif, le domicile ou la
résidence en France, qui traduit l’élément subjectif qu’est l’intégration dans la
communauté locale. S’il est parfaitement légitime de considérer strictement les éléments
requis pour exprimer une intégration, un enracinement de fait dans la société française,
l’interprétation donnée à la notion de résidence peut sembler plus regrettable dans la
mesure où les exigences dont font preuve les tribunaux dépassent largement la notion :
derrière le terme se dissimulent d’autres conditions, notamment de ressources ou de
résidence en France des autres membres de la famille. On peut alors considérer que la
définition de la résidence, qui est certes propre à la nationalité, s’en trouve malgré tout
dénaturée.

550. En résumé, si l’on devait considérer, en matière de statut personnel, que


l’intéressé n’a en France sa résidence que s’il y a le centre de ses intérêts, on risquerait
de devoir consacrer une nouvelle définition de la résidence « en matière de statut
personnel ». Sans doute, en ce cas, la résidence habituelle pourrait-elle être établie plus
aisément puisque la matière requiert un degré d’intégration dans la communauté

120
P. LAGARDE, audition du 18 septembre 1987, in Être français aujourd’hui et demain. Rapport remis
au Premier ministre par Marceau Long président de la commission de la nationalité : t. 1, La
Documentation française, 1988, p. 116 s. L’auteur se réfère à l’arrêt Nottebohm, rendu par la Cour
internationale de justice (CIJ, 6 avr. 1955 : CIJ Rec. 1955, p. 4). Selon les termes de l’arrêt, « la
nationalité est l'expression juridique du fait qu'un individu est plus étroitement rattaché à la population
d'un État déterminé ».
121
Laquelle résidence est renforcée par l’écoulement du temps.
122
Être français aujourd’hui et demain. Rapport remis au Premier ministre par Marceau Long président
de la commission de la nationalité : t. 2, La Documentation française, 1988, p. 93.
123
Les liens sont très forts et la nationalité est alors acquise par l’intéressé sans que sa volonté
individuelle ne joue. – L’acquisition de plein droit de la nationalité par la naissance et la résidence en
France repose sur la présomption selon laquelle les enfants qui sont nés en France et qui y ont résidé au
moins cinq années à leur majorité ont également résidé en France dans l’intervalle et y ont été scolarisés.
La scolarisation en France a permis l’intégration de ces enfants qui peuvent donc acquérir la nationalité
française.

383
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

française moins intense qu’en matière d’acquisition de la nationalité française, mais le


risque de voir naître un nouveau contentieux, lié à une nouvelle définition, ne peut être
sous-estimé. C’est pourquoi la proposition de Mme Jault-Seseke124, consistant à
s’inspirer de la définition de la résidence retenue par le droit de la nationalité pour
s’assurer en matière de statut personnel que l’intégration de l’étranger dans la
communauté du pays d’accueil est réalisée peut ne pas emporter totalement l’adhésion.

551. Or, si l’on ne souhaite pas adopter en matière de statut personnel une
définition de la notion propre à la matière et que l’on entende conserver une notion de
résidence uniquement qualifiée par sa stabilité et son effectivité, la résidence habituelle
peut ne pas apparaître comme suffisante pour traduire l’intégration des étrangers dans la
communauté locale française. C’est pourquoi il ne semble pas judicieux de considérer
que les étrangers qui ont leur résidence habituelle en France doivent être, de ce seul fait,
soumis à la loi de leur résidence habituelle en matière de statut personnel : l’intensité
des liens entre l’intéressé et la communauté locale n’est pas suffisante pour répondre à
l’objectif de la règle de conflit. En revanche, si l’on suppose qu’avec le temps, les
étrangers déplacent le centre de leurs intérêts de leur milieu d’origine vers leur milieu
de vie, on peut logiquement envisager un changement de la loi applicable au-delà d’un
certain temps de présence en France. Cette option ne peut reposer que sur une
présomption du déplacement du centre des intérêts et d’intégration125.

124
F. JAULT-SESEKE, Le regroupement familial en droit comparé français et allemand : L.G.D.J., Coll.
Bibliothèque de droit privé, t. 265, 1996, spéc. p. 372-373.
125
Mais il ne s’agit en aucun cas de présumer l’intention des personnes concernées en ce sens qu’elles
auraient la volonté tacite d’être soumises à la loi de leur lieu d’établissement. – Dans un arrêt de 1959, la
cour d'appel de Paris (Paris, 26 juin 1959 : Rev. crit. 1959. 700 ; JDI 1960. 1054) avait repris l’idée selon
laquelle l’application de la loi du domicile commun des époux, à défaut de nationalité commune, se fonde
sur la présomption selon laquelle le couple est censé avoir voulu se soumettre à la loi de son milieu de
vie. Elle décidait, en effet, que « la solution du domicile commun apparaît éminemment pratique et
juridiquement satisfaisante, les conjoints devant être naturellement présumés avoir voulu, en se fixant
dans un pays déterminé, se conformer en ce qui concerne les effets du mariage dont le divorce constitue le
terme, à la législation de ce pays comme loi du lien conjugal ». Un pourvoi fut formé : si la volonté des
conjoints quant au choix de la loi applicable est présumée, il est possible de contredire cette présomption
au moyen de tout élément pertinent. Dans l’arrêt Ortiz du 15 mai 1961 (Civ. 1re, 15 mai 1961, 1re esp.,
Dame Ortiz c. son mari : D. 1961. 437, note G. Holleaux ; Rev. crit. 1961. 545, note H. B.), la Cour de
cassation rejeta le pourvoi, considérant que les époux devaient impérativement être soumis à la loi de leur
domicile effectif commun et que la règle de conflit « ne se rédui[sait] nullement à une présomption
d’élection par les conjoints, susceptible d’être combattue par la preuve d’une intention contraire ».

384
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

2. La solution envisagée

552. Subordonner le changement du critère de rattachement en matière de statut


personnel à l’écoulement d’un délai n’est pas une idée nouvelle. Ainsi, Frankenstein
avait proposé, dans son projet d’un Code européen de droit international privé, de
soumettre le statut personnel à la « loi du domicile à partir du jour où l’intéressé a eu
dans un pays autre que sa patrie trois ans de résidence permanente »126. De même, le
premier des trois projets de codification du droit international privé, adopté en 1950
sous l’égide de Niboyet, prévoyait que « L’État et la capacité des individus sont soumis
à leurs lois nationales. Sont néanmoins régis par les lois françaises, les nationaux des
États étrangers qui y résident régulièrement depuis plus de cinq ans »127. Les
conventions nordiques retiennent le critère de domicile en matière de statut personnel
lorsqu'il a été établi depuis deux ou cinq ans selon les cas128, et la loi gabonaise a décidé
que les étrangers domiciliés au Gabon depuis plus de cinq ans sont régis par la loi de ce
pays129.

553. Soumettre les étrangers à la loi de leur résidence habituelle au-delà d’une
certaine durée a pour principal mérite de tenir compte de la diversité des situations des
étrangers, certains ayant leur résidence habituelle en un lieu pour une période
relativement brève, de quelques mois ou quelques années, alors que d’autres se sont
installés dans la communauté locale depuis de nombreuses années, s’y sont
progressivement intégrés. Il paraît dès lors légitime à la fois que les premiers restent
soumis à leur statut personnel d’origine (si les étrangers ne sont en France que de

126
E. FRANKENSTEIN, Projet d’un Code européen de droit international privé : Leiden, 1950. V. les
articles 56 et 58 du projet. (Cité par G. VAN H ECKE, Principes et méthodes de solution des conflits de
lois : RCADI 1969-I, t. 126, p. 399 s., spéc. p. 535).
127
Projet de droit international privé élaboré par la Commission de réforme du Code civil : Rev. crit.
1950. 111 s., spéc. 114 (article 27). – L’article fut ensuite quelque peu modifié : « L’État et la capacité
des individus sont soumis à leurs lois nationales. Sont néanmoins régis par la loi française les nationaux
des États étrangers qui y ont leur domicile depuis plus de cinq ans » (article 59). V. Comité français de
droit international privé, La codification du droit international privé : Paris, Dalloz, 1956, p. 23.
128
V. H. BATIFFOL, Principes de droit international privé : RCADI 1959-II, t. 97, p. 431 s., spéc. p. 515
et G. VAN HECKE, Principes et méthodes de solution des conflits de lois : RCADI 1969-I, t. 126, p. 399 s.,
spéc. p. 535. – Dans la convention sur le mariage, les conditions de fond du mariage sont soumises à la loi
du for si l’intéressé y est domicilié depuis deux ans, sinon, elles sont soumises à loi nationale. Dans la
convention sur les successions, la loi applicable à la succession ab intestat et aux conditions de fond du
testament est la loi du dernier domicile du défunt, mais un héritier ou légataire peut demander
l’application de la loi nationale de ce défunt s’il n’avait pas été domicilié depuis cinq ans dans le pays où
il avait son domicile lors de son décès (v. G. VAN HECKE, op. et loc. cit.).
129
Loi du 29 juill. 1972 portant adoption de la première partie du Code civil : Rev. crit. 1974. 844. V.
spéc. l’article 32.

385
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

manière temporaire, la permanence de leur statut personnel doit primer sur les
inconvénients liés à l’application de la loi nationale) et que les seconds se trouvent régis
par la loi de leur milieu d’intégration. Il ne s’agit donc pas de présumer que l’étranger
qui a établi sa résidence habituelle pendant une certaine durée dans un pays donné
s’identifie entièrement aux nationaux, que toute spécificité culturelle a disparu, auquel
cas il s’agirait d’une présomption d’assimilation130.

554. L’idée de soumettre les étrangers à un changement de loi applicable au


profit de la loi de la résidence habituelle au terme d’un certain délai a pourtant soulevé
de nombreuses critiques. Ce n’est pas le fait que les étrangers s’intègrent au fil du temps
dans un milieu de vie et qu’ils y concentrent leurs intérêts qui a été remis en cause par
certains auteurs, mais celui de concevoir un délai en tant que tel. Ainsi Batiffol a, dans
un premier temps, semblé convaincu par l’introduction d’un délai au terme duquel les
étrangers seraient soumis à la loi de leur milieu de vie. Cette solution aurait eu, selon
l’auteur, « l’avantage, si la durée fixée était suffisamment longue, de répondre à la
situation des étrangers fixés sans esprit de retour pour lesquels la loi nationale […] n’a
plus grand sens »131. Il est pourtant ensuite revenu sur son analyse132, considérant que
« les fixations de délais ont toujours un caractère artificiel qui conduit à des résultats
choquants, et qu’il vaut mieux [les] éviter quand la nécessité ne s’en impose pas ». Il y
aurait quelque chose de « choquant à voir l’état d’une personne changer subitement

130
J. COSTA-LASCOUX, De l’immigré au citoyen : La Documentation française, Coll. Notes et études
documentaires, 1989, p. 11-12. Selon l’auteur, l’assimilation suppose « une adhésion complète de
l’étranger par une conversion des mentalités et des comportements aux normes et modes de vie de la
société d’accueil […] ; l’abandon du particularisme pour se fondre dans la société d’accueil ».
L’assimilation est un « processus par lequel un être vivant en transforme un autre en sa propre substance.
Assimiler devient alors synonyme d’absorber, d’ingérer ; la fusion s’opère jusqu’à la disparition de
l’élément étranger qui vit une conversion dans la substance de l’organisme assimilateur. Ainsi, la notion
de naturalisation indique une identification totale et une égalité concrètement réalisée : l’étranger sera au
lieu et place du "naturel". […] Par ailleurs, l’assimilation conduit inévitablement à une disparition du
caractère d’extranéité » (op. cit. p. 10). – Comp. avec la définition de l’intégration qui repose sur
plusieurs postulats : « une interdépendance étroite entre les membres d’une même société dans une
dynamique d’échange ; une participation active à l’ensemble des activités de la société et non pas
seulement à son économie ou à certains avantages ; l’adhésion aux règles de fonctionnement et aux
valeurs de la communauté d’accueil ; le respect de ce qui fait l’unité et l’intégrité de la communauté dont
on devient partie intégrante » (op. cit. p. 12).
131
H. BATIFFOL, Traité élémentaire de droit international privé : L.G.D.J., 3e éd., 1959, n° 382, p. 442.
132
H. BATIFFOL, Principes de droit international privé : RCADI 1959-II, t. 97, p. 431 s., spéc. 516 s.
– Sur les raisons de cette rétractation, v. également l’intervention de l’auteur, in Comité français de droit
international privé, La codification du droit international privé : Paris, Dalloz, 1956, p. 168. L’auteur a
notamment estimé que la désignation par la jurisprudence Rivière-Lewandowski de la loi du domicile
commun aux époux de nationalité différente faisait perdre une partie de son intérêt au changement de la
loi applicable.

386
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

alors que l’exigence fondamentale du droit des personnes est précisément la


permanence » et ce d’autant plus que, si l’étranger « s’assimile peu à peu aux mœurs et
habitudes de la collectivité dans laquelle il est établi, […] cette assimilation est
précisément progressive, et la rigueur du délai, qu’il soit de deux ans ou de cinq ans,
l’exprime mal ». L’auteur poursuit en considérant que l’issue normale de l’assimilation
est une demande de naturalisation ; or, s’il est vrai qu’à partir du moment où le
naturalisé acquiert la nationalité française, il voit tout aussi brutalement son statut
personnel soumis à une autre loi ; mais cet acte de naturalisation est également la
« constatation que le processus d’assimilation est arrivé à son terme, il n’aura donc pas
le caractère artificiel de l’écoulement d’un délai uniformément fixé pour toute personne,
quelle qu’elle soit ».

555. Si l’on ne peut que se rallier à l’argument lié au caractère artificiel d’un
délai lorsqu'il s’agit d’établir, en particulier, un élément subjectif (l’intégration dans le
milieu social local et le déplacement du centre de vie qui dépendent de chaque
individu), il paraît cependant difficile de s’en passer lorsque l’on présume que le
déplacement du centre des intérêts dépend dans une large mesure de l’écoulement du
temps. Il s’agit de fixer un seuil temporel au-delà duquel l’étranger ne peut plus être
considéré comme ayant maintenu son centre de vie à l’étranger. Avant l’issue de ce
délai, l’étranger peut tout à fait avoir acquis sa résidence habituelle en un lieu, laquelle
peut déjà produire des effets juridiques ; après l’écoulement de ce délai, il est présumé y
avoir établi son centre des intérêts, et d’autres effets sont attachés à cette présomption.
Le délai permet en outre de gagner en certitude et en prévisibilité quant à la loi
applicable régissant l’état et la capacité des personnes.

556. D’autres auteurs ont manifesté leur hostilité à la fixation d’un seuil temporel
et au changement de la loi applicable au profit de celle du milieu de vie. Ainsi
M. Capotorti133 a-t-il jugé inutile de recourir à un délai dans la mesure où « l’immigré
qui veut se soustraire à l’empire de sa loi nationale après beaucoup d’années passées
dans son pays d’accueil profite généralement du mécanisme de la naturalisation et

133
Observations de F. CAPOTORTI , in La dualité des principes de nationalité et de domicile en droit
international privé. Rapport définitif et projet de résolution : Annales de l’IDI, 1987, t. 1, p. 359.

387
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

change donc de nationalité ». M. Jayme134, mettant davantage l’accent sur le caractère


injustifié du changement de la loi, a fait observer que « si un étranger, après avoir vécu
un certain nombre d’années dans le pays d’accueil, n’acquiert pas la nationalité de ce
pays, c’est un facteur qui indique que le lien avec le pays d’origine est encore plus fort
que le lien avec le pays du domicile ». Plusieurs arguments peuvent contredire ces
points de vue. D’une part, l’idée qui consiste à considérer que l’étranger va devenir le
national du pays de son établissement et qu’il est par conséquent superflu d’anticiper le
changement de la loi applicable est sans doute avérée dans la plupart des situations,
mais on a vu que nombre d’étrangers se voient refuser une naturalisation ou une
réintégration dans la nationalité française alors même qu’ils sont établis depuis de
nombreuses années en France. D’autre part, s’il est également vrai que l’étranger qui ne
demande pas l’acquisition de la nationalité française manifeste un attachement
identitaire à sa patrie d’origine, on peut cependant objecter qu’il peut demeurer
sentimentalement lié à son pays d’origine tout en ayant le centre de ses intérêts dans son
pays d’établissement, en s’y étant enraciné d’une certaine façon. D’ailleurs, si la loi
française ne prévoit pas de perte automatique de la nationalité française en cas
d’acquisition d’une nationalité étrangère, ce n’est pas le cas dans d’autres pays, en
particulier lorsque l’acquisition de la nationalité est volontaire ; aussi certains étrangers
peuvent-ils hésiter à adopter la nationalité du pays dans lequel ils sont établis. Mais,
surtout, il convient d’insister sur le fait que le degré d’intégration requis pour être
soumis à la loi du milieu de vie en matière de statut personnel n’est pas le même qu’en
ce qui concerne l’acquisition de la nationalité française. Dans le premier cas, on soumet
simplement l’étranger qui a ses intérêts dans un milieu de vie à la loi de ce milieu ; dans
le second, tout ce qui fait l’identité nationale disparaît avec l’élément d’extranéité. Faire
le parallèle entre l’acquisition de la nationalité française et la soumission des étrangers à
la loi de leur milieu de vie en matière de statut personnel repose certes, dans les deux
cas, sur un postulat d’intégration, mais leur intensité diffère et les objectifs du
législateur ne sont pas les mêmes.

557. En résumé, on souligne fréquemment le fait que l’immigration a un


caractère familial et durable, mais on met également l’accent sur la facilité et le nombre

134
Observations de E. JAYME, La dualité des principes de nationalité et de domicile en droit international
privé. Rapport définitif et projet de résolution : Annales de l’IDI, 1987, t. 1, p. 375.

388
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

des déplacements transfrontières ; il faut tenter de concilier ces deux éléments. Or,
distinguer entre la soumission de l’étranger à la loi de son milieu de vie et l’acquisition
de la nationalité française paraît être un moyen de le faire. Parmi les étrangers qui ont
leur résidence habituelle dans un pays, on pourrait distinguer deux situations. D’abord,
celle de l’étranger qui ne s’y est installé que de manière temporaire : il resterait soumis
à sa loi nationale pour son statut personnel. Ensuite, celle de l’étranger qui vit en un lieu
depuis un certain laps de temps quantifié : présumé intégré dans la communauté locale
(en ce sens qu’il a déplacé ses intérêts vers le pays d’accueil), il verrait son statut
personnel soumis à une nouvelle loi, celle de son milieu de vie135.

558. Si l’on admet que, sur le principe, rien n’empêche réellement de retenir un
délai au terme duquel les étrangers seraient soumis à la loi de leur résidence habituelle,
il convient d’envisager les modalités pratiques relatives à ce délai.

B. La détermination du délai

559. Niboyet indiquait en 1944 que beaucoup d’individus ne changent pas plus
de domicile qu’ils ne changent de nationalité, et que lorsqu’ils se sont fixés à l’étranger,
ils y demeurent toute une vie136. En 1975, Mme Labrusse137, tout en soulignant la
difficulté qu’il y a à apprécier la durée du séjour (et ce, d’autant que les retours
définitifs des étrangers dans leur pays d’origine ne sont pas comptabilisés), a distingué
trois groupes d’étrangers : ceux pour lesquels « le séjour de trois mois semble constituer
un seuil au terme duquel il y a soit retour, soit prolongation du séjour » (cette catégorie
serait quantitativement importante) ; ceux qui n’ont « nullement perdu l’esprit de retour,
mais dont le séjour en France se prolonge sans que l’on puisse affirmer qu’il s’agit
véritablement d’immigrants » (cette catégorie serait la plus importante) ; ceux qui
auraient quitté leur pays à titre définitif (le nombre d’étrangers appartenant à cette
catégorie dépend du nombre des incertains ; ils seraient néanmoins les moins
nombreux). Selon le Haut Conseil à l’intégration, l’immigration est aujourd’hui durable

135
On peut d’ailleurs souligner qu’en appliquant la loi de leur milieu de vie aux étrangers en ce qui
concerne leur statut personnel, on accélèrerait d’autant plus leur intégration dans le milieu social français
(la vocation « intégrative » de l’application de la loi du milieu de vie aux étrangers a déjà été évoquée ; cf.
supra n° 463 s.).
136
J.-P. NIBOYET, Traité de droit international privé. « Conflits de lois, d’autorités et de juridictions » :
t. III, Librairie du Recueil Sirey, 1944, p. 214, p. 217, n° 925.
137
C. LABRUSSE, La compétence et l’application des lois nationales face au phénomène de l’immigration
étrangère : TCFDIP 1975-1977, p. 111 s., spéc. p. 116.

389
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

et familiale138, et la population étrangère se serait sédentarisée. Il paraît


malheureusement difficile de préciser si un nombre important d’étrangers repartent dans
leur pays d’origine au-delà d’un certain laps de temps de présence en France, lequel
servirait de point de repère pour choisir le délai marquant le changement de la loi
applicable. On peut juste indiquer que si l’immigration est durable, on souligne
également l’importance du nombre et de la facilité des déplacements internationaux.

560. Lorsque l’immigration peut être considérée comme définitive, il est possible
de retenir un délai assez court139. On a vu140 que la Commission de réforme du Code
civil envisageait en 1950 un délai de cinq ans. Retenir un seuil plus court que celui des
cinq années en matière de statut personnel serait totalement inapproprié eu égard à la
stabilité requise par la matière. La question est alors de savoir si l’on pourrait admettre
ce délai minimum de cinq ans ou s’il est nécessaire d’envisager un délai plus long. Si la
Convention de La Haye sur la loi applicable aux successions à cause de mort a opté
pour un délai de cinq années, une clause d’exception permet cependant de désigner la
loi de l’État dont le défunt possédait la nationalité s’il avait au moment de son décès des
liens manifestement plus étroits avec son État d’origine. Le texte présume le
déplacement du centre des intérêts au-delà de cinq ans, mais réserve l’exception. En
matière de nationalité, cinq années de résidence sont également requises pour présumer
de l’intégration dans la société française. Si les étrangers peuvent être intégrés au terme
de cinq années de résidence en France, il est pourtant difficile d’aller plus loin dans la
comparaison dans la mesure où la condition de résidence est combinée avec la naissance
sur le territoire français lorsque la nationalité est acquise de plein droit, et où
l’acquisition de la nationalité résulte à la fois d’une volonté individuelle du requérant et
de la prérogative de l’État lorsque elle relève, par exemple, d’une naturalisation (avant
de se prononcer, l’Administration vérifie la condition d’intégration et d’assimilation
dans la communauté française de l’intéressé). Or, en matière de statut personnel, seule
la résidence habituelle fonderait le changement de la loi applicable, et la condition

138
Cf. supra n° 453.
139
La stabilité du statut personnel est alors assurée par le caractère définitif de l’installation.
140
Cf. supra n° 552.

390
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

d’intégration, qui est présumée, n’est soumise à aucun contrôle ; c’est pourquoi le délai
de cinq années peut sembler trop court141.

561. Si une résidence habituelle de cinq ans constitue le seuil minimum, il est
possible de fixer le délai maximum à dix ans ; ce délai est suffisamment étendu et il
paraît inutile d’aller au-delà, faute de quoi le changement de la loi n’aurait plus
beaucoup d’intérêt ni de sens. La Conférence de La Haye a opté pour ce délai de dix ans
en matière de régimes matrimoniaux en considérant que, d’une part, le seuil devait être
suffisamment long pour que les travailleurs qui s’installent dans un pays uniquement
pour une durée limitée à celle de leur contrat de travail ne se trouvent pas soumis à un
changement de régime matrimonial, et que, d’autre part, la durée la plus fréquemment
retenue dans les contrats était de trois ans renouvelable une fois142. Si l’étranger
souhaite retourner dans son pays d’origine au terme de son contrat, il ne doit pas,
toujours au nom de la stabilité du statut personnel, être soumis à un changement de loi
au terme de cinq années. Le quantum minimum du délai devrait alors être d’au moins
six ans et, afin de prévenir d’éventuelles difficultés quant à la question du point de
départ du délai de la résidence habituelle143, on pourrait décider de retenir un délai de
sept années. Par ailleurs, on peut noter que, sauf exception, ce n’est qu’après avoir
justifié d’une résidence non interrompue d’au moins cinq années en France que
l’étranger peut requérir la délivrance d’une carte de résident valable dix ans144 : on
retrouve, là encore, les seuils des cinq et dix années145.

562. On peut finalement décider de s’aligner sur le délai choisi en matière de


régimes matrimoniaux, ce qui semble approprié au regard de l’objectif de la règle de
conflit en matière de statut personnel et qui permettrait aux étrangers d’être soumis aux

141
Lorsque le projet de réforme du Code civil a été discuté par le Comité français de droit international
privé, certains de ses membres ont estimé que le délai de cinq ans envisagé pour le changement de la loi
applicable était « parfois trop peu » (v. l’intervention de M. MEZGER, in Comité français de droit
international privé, La codification du droit international privé : Paris, Dalloz, 1956, p. 169).
142
Cf. supra n° 522, n. 30.
143
Sur ce point, cf. infra n° 563.
144
V. l’article 14 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des
étrangers en France, récemment modifiée par la loi n° 2003-1119 du 26 nov. 2003 relative à la maîtrise de
l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité : JO du 27 nov. 2003, p. 20136.
145
La délivrance de la carte de résident est également subordonnée « à l’intégration républicaine de
l’étranger dans la société française » (v. l’article 14 de l’ordonnance du 2 novembre 1945). Il s’agit, par
ces dispositions, de constater à travers différents indices l’existence d’une « volonté de la part de
l’étranger de s’intégrer dans la société française ». La signature d’un contrat d’accueil et d’intégration,

391
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

règles d’un seul pays, celui sur le territoire duquel ils ont établis leur résidence
habituelle, à la fois pour leurs intérêts personnels, familiaux et patrimoniaux.
L’information quant au changement de la loi applicable en matière de statut personnel
pourrait se faire dès l’arrivée des étrangers sur le territoire français, lorsqu’ils sollicitent
par exemple la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour ou qu’ils demandent
une carte de résident. Il convient de souligner que l’étranger en situation irrégulière
quant aux conditions d’entrée et de séjour sur le territoire français devrait être soumis
aux mêmes règles dès lors que l’on admet que seule l’effectivité de la résidence est à
prendre en compte.

563. En ce qui concerne le point de départ du délai146, on devrait logiquement


considérer qu’il commence à courir à compter du moment où la résidence devient
habituelle, mais le temps écoulé depuis l’arrivée de l’intéressé peut permettre de
considérer la résidence comme habituelle dès le jour où l’étranger s’est installé dans son
pays d’accueil. Dans la mesure où c’est à un délai quantitativement important qu’il est
fait référence, où la résidence habituelle est appréciée bien après l’établissement des
personnes concernées, on peut, sans dénaturer la notion, retenir la date d’arrivée de
l’étranger ; c’est d’ailleurs la solution préconisée dans le rapport explicatif de la
convention de La Haye relative aux successions à cause de mort147.

564. Il convient également d’envisager la question des éventuelles absences du


pays d’établissement. Selon certains auteurs, retenir un délai aurait pour principal mérite
celui de la simplicité148 puisque l’on se limiterait finalement à un décompte
arithmétique pour décider qu’un étranger change de statut. On doit pourtant nuancer cet
argument de la simplicité dans la mesure où, lorsque l’étranger quitte pour un certain
laps de temps le territoire, il y a lieu d’examiner si l’absence entraîne ou non une perte
de la résidence habituelle. Pour autant, la difficulté n’est pas insurmontable puisque, on

encore en cours d’expérimentation dans différents départements, est également proposée aux primo
arrivants.
146
La difficulté de fixer avec précision la date du changement de la loi applicable a été évoquée comme
argument à l’encontre du système envisagé dans le premier projet de réforme du Code civil.
V. l’intervention de M. L EPAULLE, in Comité français de droit international privé, La codification du
droit international privé : Paris, Dalloz, 1956, p. 169.
147
Cf. supra, n° 528.
148
F. M ONÉGER, Les musulmans devant le juge français : JDI 1994. 345 s., spéc. 374. « L’énoncé d’un
principe selon lequel les étrangers résidant en France seront soumis au droit français au bout d’un certain
nombre d’années de résidence nous paraît être une solution plus simple et plus acceptable ».

392
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

l’a vu149, la résidence habituelle n’est pas incompatible avec des absences du pays
d’établissement ; la résidence habituelle ne doit pas être nécessairement continue au
sens d’ininterrompue. Une analyse des motifs de l’absence, et donc des intentions de la
personne concernée se révèle, en ce cas, nécessaire. Si le législateur français a introduit,
dans l’article 21-7 du Code civil relatif à l’acquisition de la nationalité française par la
naissance et la résidence en France, la possibilité de justifier de cinq années de
résidence habituelle sur une période de sept ans150, il ne paraît pourtant pas utile de
procéder de la sorte en matière de statut personnel dans la mesure où se référer aux
règles ordinaires d’établissement ou de perte de la résidence habituelle devrait pouvoir
suffire. En revanche, il convient d’apprécier avec une certaine souplesse d’éventuelles
absences du territoire ; il s’agit de prendre en considération le lieu de vie quotidien,
ordinaire, de l’intéressé.

565. Le seuil temporel requis pour le changement de la loi applicable en matière


de statut personnel au profit de la loi de la résidence habituelle pourrait donc être de dix
années. Par ailleurs, aucun argument relatif à la détermination et à la durée de la
résidence habituelle ne semble, en pratique, constituer un obstacle au principe du
changement de la loi applicable. Il convient alors d’envisager les conséquences d’un tel
changement.

§ 2. Les implications du changement de la loi applicable

566. Si le législateur français décidait de modifier la règle de conflit en matière


de statut personnel et de renoncer à titre de principe à l’application de la loi nationale, la
question préalable qui se poserait serait de savoir s’il doit opter pour un critère de
rattachement unilatéral ou bilatéral (A.). Les règles de conflit actuelles se trouveraient
modifiées, aussi convient-il d’envisager quelles pourraient en être les conséquences
techniques sur les règles de conflit (B.).

149
Cf. supra n° 283 s.
150
Cf. supra n° 284 et n° 546.

393
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

A. Le caractère bilatéral de la règle de conflit

567. Si l’on adoptait en matière de statut personnel la solution du changement de


la loi applicable au profit de celle de la résidence habituelle, il serait légitime d’admettre
que la règle de conflit doit être bilatérale, ce qui aurait pour conséquence une
soumission à la loi française de leur résidence habituelle des étrangers installés en
France depuis dix années et, réciproquement, une soumission à la loi étrangère de leur
milieu de vie des Français établis dans un pays étranger pendant le même laps de temps.

568. La Commission de réforme du Code civil ne prévoyait pas, dans le projet de


1950, une telle solution objective puisqu’elle avait décidé que le statut personnel était
régi par la loi nationale, sauf en ce qui concernait « les nationaux des États étrangers »
établis en France depuis plus de cinq années qui étaient alors soumis à la loi française.
La « société des domiciliés » de Niboyet151 ne se concevait finalement que pour les
étrangers établis en France, non pour les Français de l’étranger. Certes, un État doit
pouvoir, lorsque ses intérêts l’exigent, établir des règles dérogatoires, contraires au
principe international d’égalité entre la loi du for et la loi étrangère152. Or, si le projet de
réforme fut abandonné, ce fut, entre autres, relativement à cette question du changement
de la loi applicable, parce qu’il n’apparaissait pas que les intérêts généraux français
exigeaient « de manière impérieuse une dissociation entre la règle applicable au statut
personnel des Français et celle qui [était] prévue pour le statut des étrangers »153.
Aujourd’hui, pas plus qu’en 1950, on ne peut, semble-t-il, considérer que l’intérêt de la
France soit à ce point impérieux qu’il permette de déroger au caractère bilatéral de la
règle de conflit154.

151
Sur cette expression, Cf. supra n° 533.
152
En ce sens, Niboyet (Traité de droit international privé : t. 4, 1948, n° 1467) percevait la solution
unilatérale comme une nécessité liée au contexte migratoire français : « il serait, au fond, parfaitement
logique pour la France de continuer à soumettre les Français à leur loi nationale, cependant que les
étrangers seraient régis par la loi du domicile. Chacune de ces compétences correspondrait, en effet, aux
exigences du problème à raison, d’une part, de l’opportunité de conserver l’allégeance juridique aux
Français de l’étranger, et d’assurer l’extension du statut juridique français à tous ceux qui font partie de la
société des individus établis en France, et dont le nombre serait une source possible d’atteinte à l’intégrité
nationale si une rupture rapide n’était pas établie dans leur pays d’origine. Une solution unique ne
s’impose nullement ; aucune obligation internationale n’existe en ce sens. Le droit, comme l’opportunité,
laisse à la France l’entière liberté ». – V. P. GOTHOT, Le renouveau de la tendance unilatéraliste en droit
international privé : Rev. crit. 1971. 1 s., spéc. 16.
153
H. BATIFFOL, Principes de droit international privé : RCADI 1959-II, t. 97, p. 431 s., spéc. p. 517. –
154
V. sur le caractère par principe bilatéral de la règle de conflit, G. VAN HECKE, Principes et méthodes
de solution des conflits de lois : RCADI 1969-I, t. 126, p. 399 s., spéc. p. 534. – V., sur la question du

394
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

569. M. Jean Foyer155, tout en soulignant qu’en matière de divorce, la logique


aurait voulu que l’on adoptât un critère de rattachement bilatéral (les Français comme
les étrangers auraient dû être soumis à la loi de leur domicile commun), a considéré la
solution comme « politiquement impossible » eu égard aux « quelque deux millions de
Français établis à l’étranger » qui auraient perçu la solution comme « une semi-
dénaturalisation ». Une partie de la doctrine refuse toujours l’idée selon laquelle les
Français pourraient ne plus être soumis à la loi nationale, mais elle semble admettre que
si un changement du critère de rattachement devait être consacré au profit de la loi de la
résidence habituelle156, la règle de conflit ne pourrait être que bilatérale157. Les
appréhensions liées aux conséquences qu’entraînerait la bilatéralisation de la règle de
conflit pour les Français de l’étranger doivent être ramenées à une juste mesure. Si l’on
admet le changement de la loi applicable au profit de la loi de la résidence habituelle
uniquement lorsque l’étranger est établi en France depuis dix ans (de manière positive,
c’est l’intégration dans le milieu de vie français, le déplacement du centre des intérêts
vers ce pays qui justifie la règle), seraient alors régis par la loi étrangère de leur
résidence habituelle uniquement les Français établis depuis dix années dans le même
pays (le Français établi six années dans un pays étranger A et cinq années dans un autre
pays étranger B demeurerait assujetti à sa loi nationale). On peut également envisager
que l’intéressé qui revient s’établir dans son pays d’origine, qui y acquiert à nouveau sa
résidence habituelle, soit aussitôt soumis à la loi de cette résidence habituelle. La
solution est logique si l’on considère que l’élément d’extranéité a disparu et que le
centre de vie est à nouveau localisé dans le pays dont l’intéressé a la nationalité et où il
vit ; l’application de la loi étrangère ne se justifie plus158.

caractère bilatéral de la règle de conflit, M. FARGE, Le statut familial des étrangers en France : de la loi
nationale à la loi de la résidence habituelle : L’Harmattan, 2003, n° 876 s.
155
Jean FOYER, Tournant et retour aux sources en droit international privé ? (l’article 310 nouveau du
Code civil) : JCP 1976. I. 2762, n° 11.
156
Ou du domicile, selon les auteurs.
157
V., par exemple, P. LAGARDE, La théorie de l’ordre public international face à la polygamie et à la
répudiation. L’expérience française, in Nouveaux itinéraires en droit : Hommage à François Rigaux,
Bruxelles, 1993, 263 s., spéc. 278. Selon l’auteur, la proposition consistant à abandonner le rattachement
du statut personnel à la loi nationale « est réaliste, mais elle présenterait tout de même l’inconvénient pour
les Français de l’étranger d’être désormais soumis, même aux yeux du droit français, à la loi étrangère de
leur domicile ».
158
Nul ne songerait à soumettre l’étranger qui est reparti dans son pays d’origine à la loi française de son
ancien pays d’établissement. – Cette solution qui consiste à admettre que le centre des intérêts est localisé
dans le pays dont l’intéressé est le national lorsqu'il y a également une résidence habituelle se retrouve
dans les conventions de La Haye de 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux et sur les
successions à cause de mort. Cf. supra n° 514 et 528 s.

395
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

570. Par ailleurs, si un Français émigre vers un pays culturellement proche du


sien, les difficultés liées à l’application de la loi étrangère de son milieu d’établissement
ne sont pas insurmontables. Alors que certains envisagent un Code civil européen159,
qu’inexorablement « le droit communautaire aborde les rivages de la personne et de la
famille »160, la soumission d’un Français au droit d’un État membre de l’Union
européenne ne constitue pas un obstacle rédhibitoire. Adopter un critère de rattachement
territorial au sein d’une règle de conflit bilatérale pourrait d’ailleurs être considéré
comme « l’anticipation d’un mouvement inéluctable du processus de construction
européenne »161. L’émigration peut se faire également vers un pays de droit musulman,
mais, là encore, l’inconvénient d’être soumis à la loi étrangère du milieu de vie est
limité dans la mesure où le renvoi à la loi nationale est presque systématiquement admis
dans ces pays162. De manière plus générale, il restera toujours des situations dans
lesquelles la loi étrangère normalement compétente pourra se révéler profondément
différente des règles françaises, mais si d’aventure elle devait heurter la conception
française de l’ordre public international, elle pourrait toujours être évincée163,

159
V., par exemple, C. VON BAR, Le groupe d'études sur un code civil européen : RID comp. 2001. 127.
160
C. NOURISSAT, Droit civil de l’Union européenne : D. 2003. Chron. 2450.
161
M. FARGE , Le statut familial des étrangers en France : de la loi nationale à la loi de la résidence
habituelle : L’Harmattan, 2003, n° 801. – Cassin faisait, en 1964 (intervention dans la discussion qui a
suivi la communication de P. Francescakis, Les avatars du concept de domicile dans le droit international
privé actuel : TCFDIP 1962-1964, p. 291 s., spéc. p. 318-319), les remarques suivantes : « si une Europe
est fondée, soit l’Europe des six, soit une Europe plus large, malgré la profond attachement de certains
pays à la loi nationale […], les Européens continueront-ils à garder le critère de la loi nationale dans un
État d’organisation régionale intime qui serait la préface, je ne dis pas à un nouvel État, mais au moins à
une confédération d’États. C’est là un problème […] que les jeunes générations auront à résoudre. […]
Qu’adviendra-t-il au moment où il pourrait se créer, je ne dis pas une unité, mais une certaine
coordination, soit entre les États, soit entre des groupes régionaux différents ? À ce moment-là, le
domicile ne sera-t-il pas amené à retrouver une certaine vigueur du fait qu’il y aura un mélange beaucoup
plus important de gens de pays différents ? […] Sur le plan européen, je crois que la marche vers le
domicile est inévitable ».
162
V. P. LAGARDE , La théorie de l’ordre public international face à la polygamie et à la répudiation.
L’expérience française, in Nouveaux itinéraires en droit : Hommage à François Rigaux, Bruxelles, 1993,
263 s., spéc. 278. – M. Déprez (Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects
méthodologiques. Les relations entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de
statut personnel : RCADI 1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 181-182) a également souligné que « par leur
philosophie et leur histoire, leur tradition même, les systèmes de l’Islam sont plus accueillants envers la
loi étrangère, au moins lorsque aucun musulman n’est en cause ». Mais l’auteur ajoute néanmoins que
l’on ne saurait affirmer « qu’à l’avenir cette tradition se perpétuera intégralement et que les systèmes
islamiques resteront définitivement à l’abri de la territorialité ». M. Déprez (op. cit. p. 182) indique
également que la réaction de rejet contre la loi étrangère se limite aujourd’hui à deux cas : lorsque
l’étranger est lié à un musulman par un mariage mixte et une relation de filiation (ce qui ne concerne
qu’une minorité d’Européens), lorsqu'il est de confession musulmane (ce qui est encore plus rare).
163
Sur ce point, cf. infra 2e partie, titre 2. Le fait qu’un Français se trouve concerné par une règle
étrangère jugée contraire à la conception française de l’ordre public international peut être un élément qui
déclenche le mécanisme d’éviction.

396
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

directement par les tribunaux français saisis sur le fondement des articles 14 ou 15 du
Code civil, ou indirectement au moment où se pose la question de la reconnaissance de
la décision étrangère en France. Il faudrait cependant se garder d’écarter, au nom de la
conception française de l’ordre public, toute loi étrangère différente de la règle
française, faute de quoi il y aurait un détournement de la règle de conflit. Enfin, selon
des estimations, il y aurait aujourd’hui entre un et demi et deux millions de Français
établis à l’étranger164, mais la moitié d’entre eux auraient une double nationalité,
généralement celle de leur pays de résidence165. Or, dans la mesure où les États font
traditionnellement primer la nationalité du for, les doubles nationaux établis dans le
pays dont ils ont la nationalité sont déjà soumis à une autre loi que la loi française pour
leur statut personnel. L’émigration française serait par ailleurs durable, et nombreux
seraient les Français établis à l’étranger qui couperaient finalement tout lien avec la
France166. Le caractère bilatéral de la règle de conflit pourrait donc être retenu.

B. Les conséquences techniques sur les règles de conflit

571. Adopter un système de changement de loi au profit de la loi de la résidence


habituelle au-delà d’un certain délai peut provoquer des conflits de lois personnelles
entre personnes régies par un statut différent. Ainsi, l’une des personnes concernée par
la relation juridique visée pourrait se trouver régie par sa loi personnelle nationale,
tandis que l’autre pourrait être soumise à la loi personnelle de sa résidence habituelle,
alors même que ces deux personnes pourraient avoir une nationalité commune. Quelle
loi appliquer, par exemple, si ces personnes se marient, ont des enfants ou encore
divorcent ?

164
V. B. GENTIL, La population française immatriculée à l’étranger est en forte hausse : Insee Première,
n° 919, août 2003. Les chiffres sont difficiles à déterminer car ils font l’objet d’une estimation
approximative par les consulats à partir des taux d’immatriculation des Français à l’étranger (pour être
immatriculé, il est nécessaire d’être en situation régulière dans le pays d’accueil et il faut y résider plus de
six mois. Beaucoup de Français de l’étranger ne s’immatriculent pas, en particulier s’ils s’installent au
sein de l’Union européenne ; à l’inverse, certains Français rentrent en France sans le signaler au consulat).
165
Selon B. Gentil (La population française immatriculée à l’étranger est en forte hausse : Insee
Première, n° 919, août 2003), le nombre des étrangers ayant une double nationalité s’est accru de 85 %
entre 1984 et 2002.
166
L’émigration française apparaît comme d’autant plus durable lorsque le Français s’installe en Europe
ou en Amérique du Nord. Les Français couperaient finalement tout lien avec la France lorsque le pays
d’accueil leur offre des conditions de vie favorables (B. GENTIL, La population française immatriculée à
l’étranger est en forte hausse : Insee Première, n° 919, août 2003).

397
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

572. Le premier projet de codification du droit international privé prévoyait,


notamment, que « Les effets du mariage, le divorce et la séparation de corps sont
soumis, à l’égard des deux époux, à la loi française lorsque l’état de l’un des époux est
régi par cette loi »167 ou que « la filiation légitime ou naturelle est régie par la loi
française dès l’instant où l’état de l’un des auteurs ou de l’enfant est soumis à cette
loi »168. Rappelons que, dans ce projet, les Français établis à l’étranger restaient soumis
à leur loi nationale tandis que les étrangers installés en France depuis plus de cinq ans
étaient soumis à la loi française169. La loi française aurait donc été compétente, par
exemple en ce qui concerne les effets du mariage, dès lors qu’un Français ou un
étranger établi depuis plus de cinq années en France aurait été marié avec un étranger
soumis à sa loi nationale.

573. Or, si l’on envisageait le changement de la loi applicable au profit de celle


de la résidence habituelle à l’issue d’un délai (de dix ans)170, et l’adoption de la règle
sous une forme bilatérale, il n’y aurait pas à distinguer entre le Français et l’étranger,
mais entre les personnes assujetties à leur loi nationale et celles soumises à la loi de leur
résidence habituelle. Dès lors, il ne semble pas que la solution qui consisterait à
appliquer la loi française du seul fait que serait soumise à cette loi l’une des parties
(française ou étrangère installée en France depuis plus de dix années) soit opportune. La
règle de principe pourrait être formulée de la manière suivante : « L’état et la capacité
des personnes sont régis par leur loi nationale. Toutefois, si une personne a établi dans
un pays sa résidence habituelle pendant plus de dix années, elle est soumise à la loi du
pays de sa résidence habituelle »171. On pourrait ajouter que « Lorsqu’une personne fixe
sa résidence habituelle dans un État dont elle a la nationalité, la loi de sa résidence
habituelle devient immédiatement compétente ».

167
Article 64 du Code civil tel qu’envisagé dans le projet : Comité français de droit international privé, La
codification du droit international privé : Paris, Dalloz, 1956, p. 24.
168
Article 66 du Code civil tel qu’envisagé dans le projet : Comité français de droit international privé,
op. et loc. cit.
169
Cf. supra n° 552.
170
Sur le choix de la durée du délai, cf. supra n° 559 s.
171
On pourrait envisager d’autres formulations : « L’état et la capacité des personnes sont régis par leur
loi nationale. Toutefois, si une personne a établi dans un pays sa résidence habituelle pendant plus de dix
années, la loi du pays de sa résidence habituelle devient compétente, aux lieux et place de sa loi
nationale » ; « L’état et la capacité des personnes sont régis par leur loi nationale. Sont néanmoins régies
par la loi du pays où elles ont établies leur résidence habituelle, les personnes qui y ont établi leur
résidence habituelle depuis plus de dix années ».

398
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

574. Il semble que les conditions de fond du mariage ne poseraient pas vraiment
de difficultés, chaque futur époux étant soumis à la loi qui régit son état. En ce qui
concerne la loi des effets du mariage et le divorce ou la séparation de corps, la règle de
conflit dégagée par la Cour de cassation à propos du divorce et actuellement retenue
pour les effets du mariage172 (la règle de conflit désigne la loi nationale commune des
époux ; à défaut, la loi de leur domicile effectif commun ; à défaut, la loi du for)
pourrait être simplement transposée au regard des nouvelles dispositions. Les époux
pourraient ainsi être soumis à leur loi commune (française ou étrangère) désignée par la
règle de conflit principale173 ; à défaut, à la loi de leur résidence habituelle
commune174 ; à défaut, à la loi du for. En matière de filiation, la règle de l’article 311-14
serait également adaptée : la filiation serait régie par la loi personnelle de la mère (sa loi
nationale ou la loi de sa résidence habituelle) au jour de la naissance de l’enfant et par la
loi personnelle de l’enfant si la mère n’est pas connue175. La filiation adoptive ne
poserait pas non plus de problèmes particuliers176. En résumé, les personnes se
trouveraient soumises à deux lois personnelles successives : leur loi nationale dans un
premier temps ; la loi de leur résidence habituelle au-delà de dix années de résidence
dans le même pays. Les autres règles de conflit seraient simplement adaptées, mais elles
ne nécessiteraient aucune réforme de fond.

575. D’autres difficultés pourraient apparaître ; aucune cependant ne semble


propre au système du changement de loi applicable au profit de la résidence habituelle
au-delà d’un délai. Ainsi, celles suscitées par les conflits mobiles semblent inéluctables
(il est fréquemment souligné que l’on change plus aisément de résidence habituelle que
de nationalité), mais elles ne seraient finalement pas plus importantes si l’on retenait un

172
Cf. supra n° 439.
173
En pratique, les époux auraient une loi commune dans les situations suivantes : lorsque 1. aucun des
deux époux n’est établi depuis plus de dix années dans le même pays, mais qu’ils ont une nationalité
commune (leur loi commune est la loi nationale) ; 2. les époux sont tous deux établis depuis plus de dix
années dans le même pays (leur loi commune est celle de la résidence habituelle) ; 3. l’un des époux a la
nationalité du pays dans lequel l’autre époux est établi depuis plus de dix ans (l’un est par exemple
français et il est établi en France ; l’autre est étranger, mais il a sa résidence habituelle en France depuis
plus de dix années).
174
Sans que l’on tienne compte d’un délai.
175
Si l’enfant était français et qu’il ne puisse, en application de la règle de conflit, faire établir sa filiation,
la conception française de l’ordre public pourrait justifier l’éviction de la loi étrangère compétente. Sur ce
point, cf. infra n° 615 s.
176
L’article 370-3, alinéa 1, du Code civil serait ainsi rédigé : « Les conditions de l’adoption sont
soumises à la loi personnelle de l’adoptant ou, en cas d’adoption par deux époux, par la loi qui régit les

399
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

changement de la loi applicable au profit de la résidence habituelle au-delà d’un délai


que lorsque la résidence habituelle est un critère de rattachement directement retenu, à
titre de principe, par la règle de conflit ; or, on a vu que des solutions existaient177. Par
ailleurs, se posera la question de la reconnaissance à l’étranger d’une décision rendue en
application d’une loi qui n’est pas celle du pays dont l’intéressé a la nationalité178. Là
encore, il ne semble pas que l’adoption d’un tel critère puisse poser plus de problèmes
que ceux liés à l’application des règles de droit international privé telles qu’elles
existent aujourd’hui ; le risque des situations juridiques boiteuses, i.e. non reconnues à
l’étranger, en particulier dans le pays d’origine, est inhérent aux relations
internationales. En outre, le risque de telles situations est relativement limité si l’on
considère le caractère durable de l’immigration ; surtout, certains auteurs considèrent
qu’« une territorialité ouvertement avouée » est, en définitive, mieux acceptée à
l’étranger que d’autres mécanismes, tel celui du recours à l’exception d’ordre public,
qui permettent d’écarter une loi étrangère jugée inappropriée179. Enfin, l’argument de la
fraude a pu être évoqué180 à l’encontre d’un changement de la loi applicable au profit de
celle du milieu de vie à l’issue d’un délai de résidence habituelle. Or, il semble difficile
de concevoir qu’une personne établisse sa résidence habituelle dans un pays pendant dix
ans dans l’unique dessein de se soustraire à une autre loi compétente ou pour être
soumise au système juridique plus avantageux de son milieu de vie. Quand bien même
le ferait-elle, il n’est pas certain qu’il s’agisse d’une fraude dans la mesure où la
résidence habituelle est un fait matériel et objectif ; si l’étranger l’établit, il n’y a pas
vraiment de raisons de suspecter une fraude. Si, à l’inverse, une personne décidait de

effets de leur union. L’adoption ne peut toutefois être prononcée si la loi personnelle de l’un et l’autre
époux la prohibe ».
177
Cf. supra n° 333.
178
Pour certains, ce point pourrait constituer un obstacle à une modification de la règle de conflit en
faveur d’un critère de rattachement territorial en matière de statut personnel. V., par exemple,
P. LAGARDE, La théorie de l’ordre public international face à la polygamie et à la répudiation.
L’expérience française, in Nouveaux itinéraires en droit : Hommage à François Rigaux, Bruxelles, 1993,
263 s., spéc. 282. Selon l’auteur, « la substitution du domicile à la nationalité comme facteur de
rattachement du statut personnel, ou la possibilité d’une option entre la loi nationale et la loi du domicile
sont des solutions imparfaites, génératrices de situations boiteuses, tant que les États de droit musulman
continueront de rattacher à leur loi le statut personnel de leurs nationaux à l’étranger ».
179
V. J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les
relations entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel :
RCADI 1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 180. Sur ce point, cf. infra 2e partie, titre 2.
180
V. l’intervention de M. Vincent, in Comité français de droit international privé, La codification du
droit international privé : Paris, Dalloz, 1956, p. 169. L’auteur redoutait la fraude dans le changement de
la loi applicable à l’issue d’un délai : « c’est le problème, par exemple, de tous les Italiens ; ils attendront
cinq ans et puis ils sauront qu’au bout de cinq ans on peut divorcer ».

400
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE
EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS LE MILIEU DE VIE

quitter la France, son pays d’établissement, pour échapper à la loi de sa résidence


habituelle, il conviendrait d’étudier la durée de l’absence et ses motifs avant de
constater qu’elle est réellement perdue181.

576. On pourrait, enfin, se poser la question de savoir si les étrangers présents en


France pourraient invoquer devant les tribunaux un droit au respect de leur identité
culturelle, un droit au respect de leur différence, et une violation de la Convention
européenne des droits de l'homme, en particulier lorsque la référence à la loi nationale
est écartée à titre de principe182. Il convient de répondre par la négative et de considérer
que le changement de la loi applicable ne peut être interprété comme contraire à la
Convention européenne des droits de l'homme183. M. Déprez indique en effet clairement
qu’il n’existe « aucune obligation pour un État de garantir aux étrangers l’application de
leur loi d’origine »184 et qu’un État « ne manque donc pas à ses obligations
internationales en édictant des règles qui ne respectent pas intégralement le statut
personnel d’origine »185. Le législateur peut librement opter pour un critère de
rattachement qui corresponde au milieu d’origine ou à celui de l’établissement, en

181
Sur ce point, cf. supra n° 283.
182
V. M. FARGE, Le statut familial des étrangers en France : de la loi nationale à la loi de la résidence
habituelle : L’Harmattan, 2003, n° 48 s. – V. également l’intervention de Pettiti dans la discussion qui a
suivi l’intervention de Mme Labrusse devant le Comité français de droit international privé (L a
compétence et l’application des lois nationales face au phénomène de l’immigration étrangère : TCFDIP
1975-1977, p. 111 s., spéc. p. 136). L’auteur s’était ainsi demandé si, « au cas où la législation nationale
d’un des États imposerait soit la loi du domicile, soit la loi nationale, il n’y aurait pas alors une atteinte
aux droits fondamentaux, qui tomberait sous le coup de l’application de la Convention européenne des
droits de l'homme, en ce sens que le contenu du droit à la vie privée, du droit à la vie familiale comporte
par définition le droit pour le ressortissant étranger à la protection de ses lois nationales ».
183
D’ailleurs, si appliquer aux étrangers la loi de leur milieu de vie était jugé contraire au texte
conventionnel, on pourrait considérer qu’à l’inverse, maintenir les étrangers sous l’empire de leur loi
nationale pourrait également être interprété comme une violation de la Convention puisque l’application
de la loi nationale pourrait finalement conduire à une discrimination, sur un même État entre nationaux et
étrangers. – V. P. LAGARDE , Rapport de synthèse, in L’étranger : Travaux de l’association Henri
Capitant, Journées luxembourgeoises du 26 au 29 mai 1997, t. XLXIII, L.G.D.J., 2000, p. 23 s., spéc.
p. 34.
184
J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations
entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI
1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 196.
185
J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations
entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI
1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 197. L’auteur poursuit : « On reproche aux systèmes d’Europe
continentale de n’être pas assez respectueux des lois personnelles, de ne les appliquer que très
partiellement et sans conviction. Mais les systèmes de domicile vont encore beaucoup plus loin dans cette
négation de l’étranger. Qui s’est jamais offusqué du fait que les pays d’immigration appliquent d’office le
statut personnel local aux immigrés et que le critère du domicile est fort répandu dans le monde même en
dehors des terres d’immigration stricto sensu ? » Pour les rapports avec l’Islam, « parler de situation à
connotation coloniale ou d’atteinte à l’identité culturelle et à la dignité des personnes est pure
polémique ».

401
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, CRITÈRE DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

fonction de ce qu’exige l’intérêt de l’État, y compris celui d’intégrer l’étranger présent


en France, à plus forte raison s’il conçoit le changement de la loi applicable au profit de
la loi de la résidence habituelle comme la conséquence de cette intégration et du
déplacement du centre de vie des personnes concernées.

402
CONCLUSION DU CHAPITRE 2.

577. Le changement de la loi applicable au profit de la loi de la résidence


habituelle implique de considérer que la résidence habituelle n’est pas initialement
l’élément qui représente les liens les plus étroits de la relation juridique envisagée, mais
qu’elle les traduit ultérieurement. Le changement de la loi applicable est un mécanisme
assez exceptionnel mis en œuvre dans la convention de La Haye de 1978 sur la loi
applicable aux régimes matrimoniaux. Le postulat suppose que les personnes qui
établissent leur résidence habituelle en un lieu déplacent au fil du temps le centre de
leurs intérêts vers leur milieu de vie, qu’elles s’intègrent non seulement de manière
progressive, mais également de façon inéluctable à leur pays d’accueil. Si l’on ne retient
pas, au départ, la résidence habituelle comme critère de rattachement, c’est parce que la
seule présence stable et effective des intéressés en un lieu ne suffit pas à exprimer
l’intégration de ceux-ci dans leur milieu de vie requise par la règle de conflit. En
revanche, on peut présumer qu’après l’écoulement d’un certain temps de résidence
habituelle en un lieu, les personnes ont concentré leurs intérêts dans le pays dans lequel
elles se sont établies, qu’elles ont fait de ce lieu le centre de leur vie. Le législateur
pourrait ignorer cette réalité, mais il peut également décider d’ajuster le droit aux faits et
d’envisager un changement de la loi.

578. En matière de statut personnel, la règle de conflit française désigne la loi


nationale des intéressés, mais, pour diverses raisons, une partie de la doctrine estime
que le législateur devrait adopter un critère de rattachement territorial. Plusieurs options
sont possibles. À moins d’envisager que les personnes puissent choisir la loi applicable
à leur statut personnel1, on ne peut se fonder sur leur volonté d’être soumis à la loi de
leur pays d’établissement ou de leur pays d’origine. Il convient alors de retenir un
critère de rattachement objectif, suffisamment stable eu égard à la matière et révélateur

1
Mais la solution ne convainc pas.
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

d’un lien direct entre la personne et son lieu de vie. Le domicile pourrait être retenu si
l’on considère qu’il suppose une intention de s’établir en un lieu ; or, l’élément
intentionnel étant systématiquement objectivé et résultant uniquement de l’effectivité et
de la stabilité de l’établissement de l’intéressé en un lieu, on lui retire une part de ce qui
le caractérise. Il reste alors le critère de la résidence habituelle. Cependant, une personne
peut, tout en ayant sa résidence habituelle en un lieu, avoir conservé le centre de ses
intérêts dans son pays d’origine, n’être pas encore intégrée dans son milieu de vie. Le
lien avec le territoire n’est alors pas suffisant pour justifier l’adoption de la notion
comme critère de rattachement en matière de statut personnel. Pour autant, la résidence
habituelle est un élément qui peut justifier l’acquisition de la nationalité française (elle
peut donc supposer l’intégration de l’étranger dans le milieu de vie français), mais la
jurisprudence a dû envisager une définition stricte, propre à la matière2. En matière de
statut personnel, le degré d’intégration dans la communauté locale requis est moindre
qu’en matière de nationalité ; aussi faudrait-il sans doute se référer à une définition de la
résidence habituelle « en matière de statut personnel ». Outre les inconvénients liés à
l’élaboration d’une nouvelle définition, il semble que ce soit dénaturer la notion que de
considérer que la résidence habituelle n’est acquise qu’une fois l’étranger intégré dans
son milieu de vie.

579. Si une personne qui a établi en un lieu sa résidence habituelle n’y a pas
forcément le centre de ses intérêts, mais qu’au-delà d’un certain temps on peut présumer
que ce centre des intérêts est localisé dans son pays d’établissement, on peut décider
d’un changement de loi applicable au profit de la loi de la résidence habituelle au-delà
d’un laps de temps préétabli. La règle de conflit s’exprimerait en deux temps : la loi
applicable en matière de statut personnel serait la loi nationale des intéressés ; après un
certain nombre d’années de résidence habituelle dans le pays d’accueil présomptives
d’une intégration, les étrangers seraient assujettis à la loi de ce pays. Afin d’assurer une
stabilité suffisante au statut personnel, ce délai pourrait être de dix années ; la règle de
conflit pourrait, par ailleurs, être bilatérale. Si l’idée du changement de la loi applicable
au-delà d’un délai donné n’est pas nouvelle, elle ne semble pas avoir eu d’écho
favorable dans la doctrine. Pourtant, aucun élément technique ne semble pouvoir

2
L’étranger n’a sa résidence habituelle en France que si elle coïncide avec le centre de ses attaches
familiales et de ses occupations professionnelles, qu’après y avoir fixé le centre de ses intérêts.

404
CHAPITRE 2. LE CHANGEMENT DE LA LOI APPLICABLE AU PROFIT DE LA LOI DE LA RÉSIDENCE
HABITUELLE EN RAISON D’UN ENRACINEMENT DANS UN MILIEU DE VIE

constituer un obstacle à une telle solution et, si l’on considère que la résidence
habituelle traduit après une certaine durée d’établissement en un lieu le fait que les
intéressés y ont le centre de leurs intérêts, qu’ils se sont enracinés dans la communauté
locale, le mécanisme du changement de la loi applicable au profit de la loi de la
résidence habituelle se justifie pleinement. Dans la mesure où la convention de La Haye
de 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux a déjà adopté une telle solution
de mutabilité de la loi applicable au profit de la loi de la résidence habituelle à l’issue de
dix années de résidence habituelle en un lieu, l’extension du mécanisme au statut
personnel aurait pour avantage que les étrangers se trouveraient soumis à une loi unique
pour ce qui concerne leurs intérêts à la fois patrimoniaux, personnels et familiaux.

580. Ce système aurait également pour mérite de consacrer juridiquement le fait


que des étrangers peuvent être intégrés dans un milieu social, y avoir le centre de leur
vie tout en demeurant sentimentalement attachés à leur pays d’origine, tout en
conservant leur identité nationale. On peut tout à fait être intégré dans un milieu de vie
de manière suffisante pour y être assujetti à ses lois, tout en demeurant attaché à sa
patrie. Si la nationalité est le lien juridique qui relie l’individu à l’État dont il est le
national, la résidence habituelle, particulièrement stable parce que qualifiée dans sa
durée, peut être un lien qui témoigne du fait que l’individu est intégré (de fait, si ce n’est
juridiquement) dans la communauté au sein de laquelle il est établi. Pareille solution
n’est pas sans rappeler le précepte biblique « Vous traiterez l’étranger qui est au milieu
de vous comme un homme du pays »3. L’étranger qui est enraciné dans la communauté
locale est soumis aux mêmes règles que le national, tout en conservant sa spécificité
culturelle et des liens sentimentaux avec son pays d’origine.

3
Lévitique, 19.34.

405
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

406
CONCLUSION DU TITRE 1.

581. Que le droit français considère qu’il est nécessaire de soumettre les
étrangers installés en France à la loi française de leur résidence habituelle pour des
raisons liées à un contexte migratoire, à une volonté d’intégrer les étrangers qui s’y sont
durablement établis, ou qu’il estime simplement légitime de consacrer juridiquement
une appartenance de fait des étrangers à leur milieu social de vie, il a été démontré que
la résidence habituelle pouvait tout à fait être un critère de rattachement qui satisfasse
les objectifs de chaque règle de conflit envisagée.

582. Même sans être particulièrement qualifiée dans sa durée, la résidence


habituelle suppose parfois plus qu’une simple présence stable et effective des intéressés
en un lieu. D’aucuns ont pu considérer qu’appliquer la loi étrangère de leur milieu de
vie aux Français de l’étranger pourrait être perçu par ces Français comme une « semi-
dénaturalisation ». Que l’on adhère ou pas à cette idée, il est possible d’établir un
parallèle et d’admettre que les étrangers durablement installés en France pourraient être
envisagés comme des « quasi-nationaux ». En effet, s’ils conservent leur spécificité
culturelle, leur identité nationale, ils sont néanmoins soumis, dans une large majorité de
situations, comme les Français, à la loi française, celle de leur résidence habituelle, celle
de leur milieu de vie. L’application de la loi française à des personnes qui sont établies
en France est peut-être d’ailleurs un passage, sinon obligé, du moins intermédiaire, vers
la qualité, non plus de quasi-national, mais de national à part entière.
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI APPLICABLE

408
TITRE 2.
LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE
NORMALEMENT COMPÉTENTE

583. La règle de conflit est traditionnellement présentée comme ayant, entre


autres, un caractère neutre dans la mesure où elle se désintéresse du fond du droit, du
contenu de la loi qu’elle désigne et du résultat auquel conduit sa mise en œuvre. Il est
pourtant évident que le droit ne peut être appliqué de manière rigide, sans tenir compte
d’un certain nombre de considérations liées notamment au résultat auquel conduit son
application mécanique. La règle de conflit peut, de fait, se trouver inadaptée lorsqu'il
s’agit de l’appliquer à une situation juridique précise et, dès lors, il convient de la
corriger. Le recours à l’ordre public est un moyen d’écarter la loi étrangère désignée par
la règle de conflit lorsque son application conduit à un résultat qui heurte la conception
française de l’ordre public international. L’ordre public « justifie une dérogation à des
règles établies »1 et, par conséquent, limite le champ d’application de la règle de conflit.
Le juge saisi peut ainsi refuser d’appliquer la loi désignée parce qu’il considère que le
résultat auquel conduit son application est choquant au vu des circonstances et il
substitue en principe à la loi étrangère désignée sa propre loi qu’il estime meilleure.

584. Au nombre de ces circonstances révélatrices d’une atteinte portée à l’ordre


public du for peut figurer la résidence habituelle des personnes intégrées dans un milieu
de vie. La doctrine et la jurisprudence admettent aujourd’hui que la résidence habituelle
peut être un élément suffisant pour révéler une atteinte à l’ordre public du for et
constituer un obstacle à l’application de la loi étrangère désignée par la règle de conflit :
c’est parce que les étrangers sont installés en France, qu’ils ont fait de ce lieu leur cadre

1
P. LAGARDE, Recherches sur l’ordre public en droit international privé : Paris, L.G.D.J., 1959, n° 1.
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL

de vie, que leur appliquer la loi étrangère normalement compétente, désignée de


manière abstraite par la règle de conflit, peut se révéler finalement choquant.

585. Seront analysés le rôle et la place progressivement reconnus à la résidence


habituelle dans le déclenchement du mécanisme d’éviction que constitue l’ordre
public (Chapitre 1.). On verra que l’importance de cet élément dans le processus
d’éviction de la loi étrangère pourrait avoir vocation à se développer dans d’autres
domaines que ceux dans lesquels il intervient déjà (Chapitre 2.).

410
CHAPITRE 1.
LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT
AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

586. Le rôle et la place reconnus à la résidence habituelle dans le processus


d’éviction que constitue l’ordre public se sont précisés progressivement. Il fallait déjà
admettre, en son principe, que le déclenchement de l’ordre public puisse dépendre d’un
certain nombre de circonstances de fait, avant de savoir quelles pouvaient être
concrètement les circonstances que l’on estimait suffisantes pour justifier le mécanisme
d’éviction de la loi étrangère désignée par la règle de conflit. Francescakis se posait, en
1968, la question de savoir s’il y avait « du nouveau en matière d’ordre public »1.
Aujourd’hui, des auteurs évoquent la « transformation des modes d’intervention de
l’ordre public »2. De fait, la matière évolue. Si le droit français a aisément souscrit au
fait que l’intensité de l’ordre public peut varier selon que la situation juridique est déjà
constituée à l’étranger ou qu’elle doit être créée en France, c’est de manière graduelle
qu’est apparue l’idée selon laquelle l’ordre public peut également varier en fonction de
la plus ou moins grande proximité que la situation entretient avec le for. Si l’ordre
public réagit avec plus ou moins de force selon l’intensité des liens qui unissent la
situation au for, il peut être admis que la résidence habituelle des intéressés sur le
territoire français constitue un lien suffisamment étroit avec le système juridique
français pour justifier l’éviction de la loi étrangère normalement compétente.

587. Après avoir analysé comment le droit français a été amené à considérer que
l’ordre public pouvait varier en fonction de la proximité spatiale qu’entretient la
situation avec le for (Section 1.), on verra que la jurisprudence a reconnu que la

1
P. FRANCESCAKIS, Y a-t-il du nouveau en matière d’ordre public ?: TCFDIP 1966-1969, p. 149 s.
2
V., par exemple, R. LIBCHABER , L’exception d’ordre public en droit international privé, in L’ordre
public à la fin du XXe siècle : Dalloz, 1996, p. 65 s., spéc. p. 72.
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

résidence habituelle pouvait être un lien suffisant avec le système juridique français
pour justifier l’éviction de la loi étrangère (Section 2.).

SECTION 1. LA PROXIMITÉ AVEC LE FOR, UNE CIRCONSTANCE JUSTIFIANT L’ÉVICTION


DE LA LOI ÉTRANGÈRE

588. L’ordre public est traditionnellement envisagé comme un correctif de la


règle de conflit, une dérogation à son application, l’un des contrepoids de sa neutralité3.
Ainsi, lorsque la loi étrangère désignée par la règle de conflit de lois du tribunal saisi
contient des « dispositions qui heurtent les conceptions sociales ou juridiques de l’État
du for », le juge saisi peut se refuser à les appliquer : il écarte la loi étrangère qu’il
estime contraire à l’ordre public4 et lui substitue en principe une norme empruntée à la
loi du for. La plupart des conventions internationales, en particulier celles de La Haye,
prévoient d’ailleurs expressément la possibilité d’évincer la loi désignée par le texte
lorsque son application est « manifestement incompatible » avec l’ordre public du for.
Par ailleurs, il est également possible que ce soit un jugement étranger qui, en raison de
son contenu ou de son mode d’élaboration, soit déclaré non conforme à l’ordre public
par le juge saisi. Dans cette hypothèse, la décision étrangère considérée comme
choquante ne peut qu’être évincée ; en effet, « aucun jugement ne lui est substitué, ni
aucune loi à la loi qu’il a appliquée, même si celle-ci est elle-même contraire à l’ordre
public »5.

3
V. P. GANNAGÉ, Vers un ordre public personnel dans le droit international privé de la famille (solutions
françaises et proches-orientales) : Mélanges dédiés à Louis Boyer, Presses de l’Université des Sciences
Sociales de Toulouse, 1996, p. 209, spéc. n° 1. – B. Audit (Le caractère fonctionnel de la règle de conflit
(sur la « crise » des conflits de lois) : RCADI 1984-III, t. 186, p. 219 s., spéc. p. 345) évoque la « soupape
de sûreté » que constitue l’exception d’ordre public lorsque la loi étrangère désignée a un contenu
inacceptable pour l’ordre juridique du for ; « toute méthode indirecte de solution des conflits de lois
comporte une part de ce que Raape appelait un "saut dans l’inconnu" et, par conséquent […] doit être
assortie d’un mécanisme de protection ». – Selon Raape (cité par Jacques MAURY, L’ordre public en droit
international privé français et en droit international privé allemand. Convergences et divergences : Rev.
crit. 1954. 7 s., spéc. 9), « à la porte qui conduit à l’étranger » en application de la règle de conflit, « il y a
le verrou qui, en cas de nécessité, la ferme ».
4
P. LAGARDE, Rép. intern. Dalloz, V° Ordre public, 1998, n° 1.
5
P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd., 2001,
n° 382.

412
CHAPITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

589. S’il y a éviction d’une loi ou d’une décision étrangère, c’est parce que son
application conduirait à un résultat incompatible avec l’ordre public qui sert de
référence. Le contenu de cet ordre public de référence, spécifique du droit international,
est particulièrement difficile à définir et c’est à chaque État qu’il revient de le
déterminer de manière autonome6 – on se réfère en France, selon la formule consacrée
par la jurisprudence, à la « conception française de l’ordre public international ». Dans
l’arrêt Lautour, la Cour de cassation a considéré qu’une disposition étrangère doit être
évincée lorsqu'elle heurte les « principes de justice universelle considérés dans l’opinion
française comme doués de valeur internationale absolue »7, mais on a reproché à cette
formule de limiter de manière excessive le domaine d’intervention de l’ordre public8.
C’est pourquoi, comme l’ont souligné MM. Batiffol et Lagarde, la doctrine a préféré
établir une présentation descriptive du domaine de l’ordre public international : « ce
domaine couvrirait, d’une part, le défaut de communauté juridique, d’autre part, la
sauvegarde de certaines politiques législatives »9. MM. Mayer et Heuzé ont constaté
que la nature des fonctions remplies par l’ordre public excluait qu’une liste exhaustive
des règles françaises dont l’application s’imposerait absolument puisse finalement être
établie : « ce sont des principes généraux, voire des sentiments, plus souvent que des
règles, qui appellent l’éviction de la loi étrangère »10. Dans le même sens, Jacques
Maury a estimé que le contenu de l’ordre public est et doit rester imprécis, et que « la
notion est et doit rester ouverte à des développements et à des changements possibles : il

6
V., sur le caractère national de l’ordre public international et de ses conséquences, Jacques M AURY,
L’éviction de la loi normalement compétente : l’ordre public international et la fraude à la loi :
Valladolid, 1952, spéc. 125 s.
7
Civ. 25 mai 1948, Lautour : D. 1948. 357, note P. L.-P. ; JCP 1948. II. 4532, note Vasseur ; S. 1949. 1.
21, note J.-P. Niboyet ; Rev. crit. 1949. 89, note H. Batiffol ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands
arrêts de la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd.,
2001, n° 19. – En l’espèce, la Cour n’a pas évincé la loi espagnole qui ne connaissait pas de responsabilité
civile délictuelle de plein droit.
8
V. H. BATIFFOL, note sous l’arrêt Lautour précité : Rev. crit. 1949. 93.
9
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé : t. 1, L.G.D.J., 8e éd., 1993, n° 363.
Cependant, selon ces auteurs, la distinction ne permet qu’un classement « a posteriori des cas dans
lesquels l’exception d’ordre public est intervenue, mais elle n’a pas de valeur explicative ou
prospective ». – V. également B. AUDIT, Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd.,
2000, n° 303. L’auteur indique que l’ordre public n’étant pas « une catégorie de rattachement », il n’y a
pas à dresser de « catalogue des domaines dans lesquels la loi du for va systématiquement s’appliquer : le
contenu de l’ordre public est indéterminé. Mais il est possible de préciser les circonstances dans
lesquelles on est amené à recourir au mécanisme ».
10
P. MAYER et V. HEUZÉ , Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 201.

413
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

s’agit de jugements de valeur qu’on ne peut, d’avance, enfermer dans des formules »11.
Cette analyse qui consiste à considérer que le contenu de l’ordre public international ne
peut être énuméré de manière exhaustive se vérifie d’autant plus qu’il évolue
constamment : « la définition de l’ordre public international » dépend « dans une large
mesure de l’opinion qui prévaut à chaque moment en France »12. L’ordre public a donc
une relativité temporelle13, mais la décision du juge saisi de faire jouer l’exception
d’ordre public dépend également d’un autre facteur, spatial, que constituent les liens de
la situation avec l’ordre juridique du for14.

590. Le contenu de la loi étrangère peut se révéler si choquant qu’il est


nécessairement exclu d’appliquer cette loi. Tel est le cas de la loi dont le contenu se
révélerait contraire au « droit naturel », par exemple qui priverait une personne de
certains droits pour des raisons d’ordre racial15. Il n’est même pas utile finalement pour
le juge d’envisager le résultat auquel pourrait conduire l’application de la loi étrangère

11
Jacques M AURY , L’ordre public en droit international privé français et en droit international privé
allemand. Convergences et divergences : Rev. crit. 1954. 7 s., spéc. 20. L’auteur indique cependant que
des directives sont malgré tout utiles, que l’on peut essayer de classifier et de préciser les groupes ou les
catégories de lois d’ordre public international. V. également, du même auteur, L’éviction de la loi
normalement compétente : l’ordre public international et la fraude à la loi : Valladolid, 1952, spéc.
p. 105 s. – Pour F. Rigaux (Les notions à contenu variable en droit international privé, in Les notions à
contenu variable en droit : Études publiées par C. Perelman et R. Vander Elst, Travaux du Centre
national de recherches de logique, Bruxelles, 1984, p. 237 s., spéc. p. 240), l’ordre public est l’une des
notions à contenu variable les plus typiques en ce qu’elle est variable à un double degré : « d’abord
comme notion fonctionnelle, dont les tentatives de définition sont vouées à l’échec, mais aussi […] parce
que l’ordre public […] occupe [en droit international privé] des registres très différents, dont la diversité
s’explique précisément par le pluralisme des ordres juridiques ».
12
Civ. 22 mars 1944, Chemins de fer portugais : D.C. 1944. J. 145, note P. L.-P. ; S. 1945. 1. 77, rapport
Lerebours-Pigeonnière, note Niboyet ; Rev. crit. 1946. 107, note Niboyet.
13
Il convient d’ailleurs pour le juge saisi de l’apprécier au regard de la conception en vigueur au moment
où il doit statuer : on parle du principe de l’« actualité de l’ordre public ». V. M. DE ANGULO RODRIGUEZ,
Du moment auquel il faut se placer pour apprécier l’ordre public international : Rev crit. 1972. 369 s.,
spéc. 374. – V. également P. LAGARDE, Recherches sur l’ordre public en droit international privé : Paris,
L.G.D.J., 1959, n° 163 s. ; Jacques M AURY, L’éviction de la loi normalement compétente : l’ordre public
international et la fraude à la loi : Valladolid, 1952, spéc. 120 s. Selon l’auteur, « s’il s’agit de défendre
des conceptions fondamentales du droit national, on ne comprendrait pas que le juge puisse le faire pour
des conceptions déjà abandonnées par son propre droit et on comprendrait mal, par contre, qu’il ne le
fasse pas pour celles qui y sont acceptées au moment même où il doit décider » (op. cit., p. 122).
14
V. B. AUDIT, Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 307.
15
V. P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 200. – L. Raape s’est posé la question de savoir « s’il y a des règles de droit étrangères dont
l’application soit choquante en toutes circonstances, quelle que soit l’espèce ». Il a répondu que c’était
« douteux, mais probablement pas à nier » (Internationales Privatrecht, cité par Jacques M AURY ,
L’éviction de la loi normalement compétente : l’ordre public international et la fraude à la loi :
Valladolid, 1952, spéc. 85). – Selon Batiffol (Traité élémentaire de droit international privé : L.G.D.J.
1956, 3e éd., n° 359, p. 413), l’une des fonctions de l’ordre public serait de constituer un moyen de
défense « contre les lois étrangères qu’un sentiment unanime déclare inadmissibles », par exemple les lois
organisant l’esclavage.

414
CHAPITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

puisque dans tous les cas son application heurterait l’ordre public international16. On
peut ainsi considérer la loi comme objectivement contraire à l’ordre public
international ; si c’est sur la seule constatation de la contrariété à l’ordre public que le
juge évince la loi étrangère, c’est qu’il la considère in abstracto. Pourtant, il est certain
que, dans de très nombreuses hypothèses, ce n’est pas le contenu en tant que tel de la loi
étrangère qui est à lui seul déterminant pour que soit déclenchée l’exception d’ordre
public. Comme l’a constaté Jacques Maury, « il ne semble pas douteux […] que, au
moins dans certaines hypothèses, le contenu de la loi étrangère ne soit pas, à lui seul,
déterminant pour mettre en branle l’ordre public international »17 ; il convient de
prendre en considération « les conditions d’application de la loi étrangère »18. Dans le
même sens, M. Lagarde estime que « c’est moins la loi étrangère en elle-même, dans
l’abstrait, qui doit heurter l’ordre juridique du for, que le résultat de son application
concrète dans le litige »19. L’auteur a fait le constat selon lequel il est possible de se
trouver en présence d’une loi étrangère qui, « suivant le cas, va se trouver écartée ou

16
V. Jacques M AURY, L’ordre public en droit international privé français et en droit international privé
allemand. Convergences et divergences : Rev. crit. 1954. 7 s., spéc. 22. V. également P. LAGARDE :
Recherches sur l’ordre public en droit international privé : Paris, L.G.D.J., 1959, n° 38, p. 44). L’auteur
estime que lorsque l’ordre public intervient pour une raison de droit naturel, il doit intervenir aussi bien
contre l’acquisition d’un droit en France que contre l’effet en France d’un droit acquis à l’étranger. Mais
il souligne également (op. cit, n° 39 s.) les difficultés qu’il y a à préciser dans quels cas l’ordre public
intervient pour une raison de droit naturel ou pour une raison politique ; toutes les contestations
demeurent possibles. – V. P. M AYER et V. HEUZÉ , Droit international privé : Montchrestien, Coll.
Domat, droit privé, 7e éd., 2001, n° 206.
17
Jacques M AURY , L’éviction de la loi normalement compétente : l’ordre public international et la
fraude à la loi : Valladolid, 1952, spéc. 78.
18
Jacques M AURY , L’éviction de la loi normalement compétente : l’ordre public international et la
fraude à la loi : Valladolid, 1952, spéc. 82.
19
P. LAGARDE , Rép. internat. Dalloz, V° Ordre public, 1998, n° 23 ; Recherches sur l’ordre public en
droit international privé : Paris, L.G.D.J., 1959, n° 139. – L’auteur souligne qu’il peut par ailleurs arriver,
mais l’hypothèse est plus exceptionnelle, qu’une loi qui, dans l’abstrait, ne présente aucune contrariété
avec l’ordre public du for se révèle finalement, dans certaines circonstances, incompatible avec cet ordre
public et doive alors être malgré tout évincée (Rép. internat. Dalloz, V° Ordre public, 1998, n° 24). Le
premier arrêt Patiño (Civ. 1re, 15 mai 1963 : JDI 1963. 1016, note P. Malaurie ; JCP 1963. II. 13365, note
H. Motulsky ; Rev. crit. 1964. 532, note P. Lagarde ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la
jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 38-39)
illustre une telle situation : le couple, de nationalité bolivienne, s’était marié en Espagne ; la femme
demanda au juge français le prononcé d’une séparation de corps. La règle de conflit française désignait la
loi bolivienne des époux, laquelle n’admettait pas la séparation de corps, mais autorisait le divorce tout en
le subordonnant à son admission par la loi du lieu de célébration du mariage ; or, la loi espagnole
prohibait le divorce (en admettant à l’inverse la séparation de corps). La Cour de cassation a approuvé les
juges du fond qui ont prononcé la séparation de corps au motif que si les deux lois étrangères compétentes
n’étaient pas en soi incompatibles avec l’ordre public français, la combinaison des lois empêchait tout
relâchement du lien conjugal ; cette combinaison « avait pour résultat l’impossibilité à la fois du divorce
et de la séparation de corps ; qu’en présence de semblable situation, contraire à l’ordre public
international français, l’arrêt attaqué a pu prononcer la séparation de corps, par substitution de la loi du
for aux droits étrangers normalement compétents ».

415
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

entérinée par le juge français » et en déduit que « le facteur déterminant n’est pas le
contenu de cette loi étrangère, car c’est toujours de la même chose qu’il s’agit »20.

591. En effet, dès lors que l’on s’écarte des hypothèses où le contenu de la loi
étrangère serait intrinsèquement intolérable pour l’ordre juridique du for, même si une
loi étrangère apparaît comme contraire à l’ordre public de référence, cela ne suffit pas
pour que le juge saisi refuse de l’appliquer. Tout dépend en effet de l’intensité des liens
que la situation entretient avec l’ordre juridique concerné. On ne peut condamner une
loi étrangère, qui reflète par définition des valeurs sociales pouvant être très différentes
de celles du for, sans avoir préalablement déterminé en quoi son application aurait « un
impact sur l’ordre juridique du for »21. Pour que cette loi soit écartée, la situation doit
présenter un lien spatial avec le for et l’on considère que l’ordre juridique du for n’est
finalement réellement menacé que si la situation concerne la société française – la
menace de perturbation qui pèse sur l’ordre juridique du for étant le seul justificatif du
mécanisme d’éviction de la norme étrangère et de la dérogation apportée à la règle de
conflit. Il convient alors de se demander dans quels cas la situation concerne la société
française.

592. En droit français, la relativité de l’ordre public international s’est exprimée à


travers la théorie dite de « l’effet atténué » de l’ordre public, élaborée de manière
progressive par la jurisprudence française. Elle consiste à considérer que l’ordre public
ne peut s’opposer à l’effet en France de situations juridiques valablement créées à
l’étranger alors qu’il s’opposerait à la création de ces situations en France. Dans l’arrêt
Rivière22, traditionnellement considéré comme marquant l’aboutissement de cette
évolution23, la Cour de cassation a ainsi clairement énoncé que « la réaction à l’encontre
d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant qu’elle met

20
P. LAGARDE, Recherches sur l’ordre public en droit international privé : Paris, L.G.D.J., 1959, n° 9,
p. 12.
21
P. MAYER et V. HEUZÉ , Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 260.
22
Civ. 1re, 17 avril 1953 : Rev. crit. 1953. 412, note Batiffol ; JDI 1953. 860, note Plaisant ; JCP 1953. II.
7863, note J. Buchet. ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de
droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 26.
23
Sur cette évolution, v. Civ. 28 févr. 1860, Bulkley : D.P. 1860. 1. 57 ; S. 1860. 1. 210, concl. Dupin ;
B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé :
Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 4 – Civ. 11 avr. 1945, Bach et Civ., 1er mai 1945, Schabel :
D. 1945. 245, note P. L.-P ; JCP 1945. II. 2895, note R. Savatier ; S. 1945. 1. 121, note H. Batiffol. – V.

416
CHAPITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

obstacle à l’acquisition d’un droit en France ou suivant qu’il s’agit de laisser se produire
en France les effets d’un droit acquis, sans fraude, à l’étranger et en conformité de la loi
ayant compétence en vertu du droit international privé français ». L’atteinte à l’ordre
public français doit, selon la Cour, « être appréciée de façon différente suivant que le
divorce litigieux a été ou non acquis à l’étranger par application de la loi compétente en
vertu du règlement français des conflits » : alors que l’ordre public français se serait
opposé au prononcé d’un divorce par consentement mutuel en France, il ne fait pas
obstacle à ce qu’un tel divorce prononcé à l’étranger puisse y produire ses effets. S’il
s’agit de créer des droits dans l’État du for, l’effet de l’éviction jouera « pleinement » ;
s’il s’agit de reconnaître en France des droits régulièrement nés et acquis à l’étranger,
l’effet de l’éviction ne jouera que de manière « atténuée », ce qui signifie que l’ordre
public reste apprécié, mais de manière moins rigoureuse car l’intensité des liens de la
situation avec le for, qui conditionne le déclenchement de l’exception d’ordre public, est
plus faible que lorsqu’il s’agit de la création de droits24. Le seuil de tolérance face à une
loi étrangère qui heurterait l’ordre juridique du for est d’autant plus important que la
situation est éloignée du territoire du for. Mais, qu’il s’agisse de la création d’une
situation en France ou de la reconnaissance d’une situation créée à l’étranger,
l’exception de l’ordre public a toujours le même effet qui est l’éviction de la norme
étrangère25.

593. Cette conception de l’effet atténué de l’ordre public est encore appliquée par
les tribunaux français ; néanmoins elle a également révélé ses limites et de nombreux
inconvénients car elle ne se justifie vraiment, comme l’a démontré M. Lagarde26, que

également, sur cette évolution, P. LAGARDE, Rép. internat. Dalloz, V° Ordre public, 1998, n° 36 s. et
B. AUDIT, Droit international privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 308.
24
V. P. HAMMJE, L’effet atténué de l’ordre public, in L’extranéité ou le dépassement de l’ordre juridique
étatique : Actes du colloque des 27 et 28 novembre 1997 organisé par l’Institut d’étude de droit
international de la Faculté de droit de l’Université de Lausanne, Éd. Pédone, Paris, 1999, p. 87 s., spéc.
p. 90. L’auteur précise que « l’ordre public n’est pas nul, il est en sommeil, susceptible de se réveiller si
nécessaire ».
25
L’expression d’« effet atténué » a été critiquée car jugée trompeuse : v. B. AUDIT, Droit international
privé : Économica, Coll. Droit civil, 3e éd., 2000, n° 308 ; P. M AYER et V. HEUZÉ , Droit international
privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd., 2001, n° 207 ; M.-N. JOBARD-BACHELLIER, Ordre
public international : J.-Cl., Droit int. pr., Fasc. 534-4, n° 47-48 s ; B. A NCEL et Y. LEQUETTE , Les
grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e
éd., 2001, n° 26, spéc. § 12 ; A. BUCHER, L’ordre public et le but social des lois en droit international
privé : RCADI 1993-II, t. 239, p. 9 s., spéc. p. 48.
26
P. LAGARDE , Recherches sur l’ordre public en droit international privé : Paris, L.G.D.J., 1959,
n° 28 s., spéc. n° 29 s. pour les critiques d’ordre théoriques et n° 37 S. pour celles d’ordre pratique ; et La

417
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

« pour les situations acquises à l’étranger et entièrement localisées à l’étranger » ; que


vienne en effet « à se déchirer ce paramètre qu’est l’espace-temps, l’immunité de la
situation acquise à l’étranger ne se justifie plus »27. Or, cette « corrélation espace-
temps » qui fonde la théorie, a perdu, comme l’ont souligné MM. Ancel et Lequette28,
une bonne part de sa pertinence depuis que les déplacements à l’étranger sont devenus
particulièrement aisés, cette facilité à se déplacer conférant aux individus une « quasi-
ubiquité ». M. Déprez a également dénoncé la conception de l’ordre public français, qui
lui semble « abstraite et illusoire », en raison, notamment, de « la facilité avec laquelle
des situations peuvent être créées à l’étranger, puis importées en France »29. Il apparaît
effectivement parfois peu satisfaisant que l’on refuse de créer en France des situations
juridiques alors que l’on accepte d’en tirer des conséquences à la seule condition
qu’elles aient été constituées à l’étranger, dans la mesure où le lieu de conclusion peut
être accidentel, voire artificiellement ou frauduleusement choisi30. Si l’on fonde le
recours à l’effet atténué de l’ordre public sur le fait que l’ordre juridique du for est
moins directement concerné lorsque la situation est créée à l’étranger – elle est alors
supposée n’entretenir que des liens ténus avec l’ordre juridique du for –, le postulat ne
signifie plus rien si cette situation entretient malgré tout des liens étroits avec le for,

théorie de l’ordre public international face à la polygamie et à la répudiation. L’expérience française, in


Nouveaux itinéraires en droit : Hommage à François Rigaux, Bruxelles, 1993, p. 263 s., spéc. p. 266-270.
27
P. LAGARDE , La théorie de l’ordre public international face à la polygamie et à la répudiation.
L’expérience française, in Nouveaux itinéraires en droit : Hommage à François Rigaux, Bruxelles, 1993,
p. 263 s., spéc. p. 270.
28
B. ANCEL et Y. L EQUETTE , Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international
privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 26, § 13. – V. également R. LIBCHABER, L’exception
d’ordre public en droit international privé, in L’ordre public à la fin du XXe siècle : Dalloz, 1996, p. 65 s.,
spéc. p. 72, n° 9.
29
J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations
entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI
1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 160. L’auteur remarque aussi que les effets que ces situations créées à
l’étranger produisent en France n’ont cessé depuis quelques années de s’élargir. – Mme Gaudemet-Tallon
(note sous Paris, 15 juin 1990 : JDI 1990. 982 s., spéc. 992) estime quant à elle parfois « hypocrite » la
distinction entre « effet plein » et « effet atténué » de l’ordre public. Elle donnerait ainsi, selon l’auteur,
un avantage injustifié aux parties disposant des moyens financiers suffisants pour effectuer des
déplacements à l’étranger (op. et loc. cit.) ; « à une époque où l’on peut en quelques heures d’avion se
retrouver aux antipodes, bénéficier d’une "situation juridique régulièrement acquise à l’étranger" n’est
bien souvent qu’une question de moyens financiers. […] Si le voyage à l’étranger n’a lieu que pour éviter
l’ordre juridique français plus contraignant, ordre dans lequel les intéressés vivent, bien loin de dire que
cet ordre juridique français est moins concerné, on pourrait soutenir qu’il devrait réagir d’autant plus
sévèrement que l’on a voulu échapper frauduleusement à sa compétence normale » (op. cit., p. 993). – V.
également H. GAUDEMET-TALLON, La désunion du couple en droit international privé : RCADI 1961-I,
t. 226, p. 9 s., spéc. p. 239. – Sur la question de la fraude en matière d’ordre public, cf. infra n° 636.
30
P. GANNAGÉ, Vers un ordre public personnel dans le droit international privé de la famille (solutions
françaises et proches-orientales) : Mélanges dédiés à Louis Boyer, Presses de l’Université des Sciences
Sociales de Toulouse, 1996, p. 209 s., spéc. n° 5, p. 213.

418
CHAPITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

suffisamment intenses pour que l’exception d’ordre public ait finalement vocation à
jouer. Ainsi que l’a constaté Mme Jobard-Bachellier31, « plus que la distinction entre
création des droits et effets de droits […], il semble que ce soit la localisation du rapport
juridique en France ou à l’étranger qui permette de mesurer l’importance de la réaction
du for au regard du droit étranger ».

594. L’intensité des liens que la situation entretient avec le for pourrait dépendre
d’autres critères que celui du lieu de la création des droits, d’autres éléments de
rattachement pouvant en effet être désignés comme pertinents pour révéler l’atteinte
portée à l’ordre juridique du for. Cette analyse qui consiste à considérer que le lien avec
le territoire est suffisant pour justifier l’intervention de l’ordre public32, que l’ordre
public du for a vocation à intervenir dès lors qu’il existe un lien étroit entre la situation
visée et l’État du for, est celle de la doctrine allemande. Le droit allemand33 considère
en effet que la relativité de l’ordre public se manifeste en ce que « l’éviction de la loi
étrangère est en relation avec la plus ou moins grande proximité spatiale de la situation
avec le for »34 ; plus les liens avec le for sont importants, plus le contrôle du juge au
nom de l’ordre public est exigeant35 ; le lien avec le territoire « devient donc une des
composantes de la relativité de l’exception d’ordre public »36. L’Inlandsbeziehung,
traduit en français par « liens suffisants avec un territoire », ou encore par « liens
suffisants avec l’ordre juridique »37, sert donc à justifier le jeu de l’exception d’ordre
public38. M. Lagarde39 a rappelé que cette notion, conçue par Franz Kahn comme « un

31
M.-N. JOBARD-BACHELLIER, Ordre public international : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 534-4, 1992, n° 34.
32
P. LAGARDE , La théorie de l’ordre public international face à la polygamie et à la répudiation.
L’expérience française, in Nouveaux itinéraires en droit : Hommage à François Rigaux, Bruxelles, 1993,
p. 263 s., spéc. p. 270.
33
C’est également le cas des droits suisse et autrichien, mais la théorie trouve son origine dans la doctrine
allemande.
34
P. LAGARDE, Rép. internat. Dalloz, V° Ordre public, 1998, n° 26.
35
V. A. BUCHER, L’ordre public et le but social des lois en droit international privé : RCADI 1993-II,
t. 239, p. 9 s., spéc. p. 52. Selon l’auteur, en droit suisse, « examinant si une solution prévue dans le droit
étranger applicable heurte l’ordre public, le juge tient compte du fait que l’atteinte portée au sentiment du
droit est de moindre intensité, voire inexistante, si la cause ne présente que des liens de peu d’importance
avec l’État du for ».
36
P. LAGARDE, Rép. internat. Dalloz, V° Ordre public, 1998, n° 26.
37
V. N. JOUBERT , La notion de liens suffisants avec l’ordre juridique (Inlandsbeziehung) en droit
international privé : Thèse Paris I, 2002. – En Suisse, le terme utilisé est Binnenbeziehung.
38
La notion d’Inlandsbeziehung sert également à limiter l’exercice d’une compétence juridictionnelle.
V. N. JOUBERT , La notion de liens suffisants avec l’ordre juridique (Inlandsbeziehung) en droit
international privé : Thèse Paris I, 2002.

419
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

rattachement subsidiaire conditionnant l’application de certaines règles matérielles du


for et corrigeant dans cette mesure l’insuffisance de la règle de conflit positive », est
désormais perçue de manière beaucoup plus pragmatique : c’est « un ensemble de
circonstances, appréciées au cas par cas, qui contribuent à rattacher au territoire du for
une situation normalement régie par une loi étrangère, et à révéler ainsi l’atteinte à
l’ordre public du for provoquée par l’application de cette loi étrangère ».
L’Inlandsbeziehung est parois érigée en condition expresse par le législateur étranger40 ;
dans les autres hypothèses, c’est au seul juge qu’il incombe de rechercher, dans chaque
cas, en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce41, si celles-ci peuvent être
suffisantes pour établir les liens suffisants qui provoqueront, le cas échéant, une éviction
de la norme étrangère contraire à l’ordre public du for. Cet ordre public a été qualifié
d’« ordre public de proximité ».

595. Si l’on ne peut affirmer que le droit français applique aujourd’hui de


manière systématique la théorie de l’Inlandsbeziehung, la doctrine s’accorde pour
constater que la jurisprudence tient désormais compte dans un certain nombre
d’hypothèses de la proximité que la situation entretient avec l’ordre juridique français
pour faire varier l’intensité de la réaction de l’ordre public. Ce raisonnement a
l’avantage de pallier les insuffisances de la théorie de l’effet atténué de l’ordre public42.
Dans la mesure où l’Inlandsbeziehung implique une analyse in concreto des liens que le
litige entretient avec l’ordre juridique du for, il paraît impossible de formuler de
manière générale et abstraite quels sont ces liens requis. Cependant, comme l’a souligné
M. Gannagé43, en particulier dans les matières du droit de la famille, les attaches
personnelles comme « la nationalité, le centre de vie révélé par le domicile et la
résidence habituelle », sont des éléments que l’on peut considérer comme importants

39
P. LAGARDE , La théorie de l’ordre public international face à la polygamie et à la répudiation.
L’expérience française, in Nouveaux itinéraires en droit : Hommage à François Rigaux, Bruxelles, 1993,
p. 263 s., spéc. p. 270.
40
Sur ces « clauses spéciales d’ordre public », v. P. LAGARDE, Rép. internat. Dalloz, V° Ordre public,
1998, n° 27 s.
41
V. N. JOUBERT , La notion de liens suffisants avec l’ordre juridique (Inlandsbeziehung) en droit
international privé : Thèse Paris I, 2002, n° 176. Selon l’auteur, « il s’agit de prendre en compte
exclusivement le résultat obtenu par l’application de la loi étrangère au cas d’espèce et de vérifier sa
conformité à l’ordre public ».
42
V. H. FULCHIRON, Vers la fin de la prohibition de la répudiation musulmane ?, note sous Civ. 2e,
14 mars 2002 : JCP 2002. II. 10095.

420
CHAPITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

puisque « la règle de conflit, dans ces matières, se fonde sur ces éléments pour
déterminer la loi applicable. Et la force d’intervention de l’ordre public doit en
dépendre, si on estime que cette intervention est subordonnée à un rattachement
suffisant de la situation juridique à l’État du for ». Si la nationalité française peut
effectivement représenter ce lien avec le territoire qui déclenche le mécanisme
d’éviction de la loi étrangère, le critère territorial que constitue la résidence habituelle
des intéressés a également une vocation certaine à jouer un rôle – la notion est en effet
déjà considérée comme un élément de rattachement de la règle de conflit, comme
l’expression des liens les plus étroits entre la situation juridique et le for. Si c’est en
France que les parties ont le centre de leurs intérêts, de leur vie, parce qu’ils y ont leur
résidence habituelle, le système juridique français peut se trouver concerné par
l’application de la loi étrangère et son seuil de tolérance envers une loi contraire à la
conception française de l’ordre public peut être plus faible. La résidence habituelle en
France peut être envisagée, dans un certain nombre d’hypothèses, sinon comme
révélatrice des liens les plus étroits, du moins comme un lien suffisamment pertinent
pour constituer l’Inlandsbeziehung.

SECTION 2. LA RECONNAISSANCE PAR LA JURISPRUDENCE DE LA RÉSIDENCE

HABITUELLE COMME LIEN RÉVÉLATEUR D’UNE PROXIMITÉ SUFFISANTE AVEC LE FOR

596. Sans reprendre de manière exhaustive les décisions qui se réfèrent à l’ordre
public international, même celles qui feraient référence à un lien de proximité entre la
situation et le for pourraient constituer l’équivalent de la théorie de l’Inlandsbeziehung,
on peut démontrer, à travers quelques exemples empruntés au droit international privé
de la famille, quelle place est concédée à la notion de résidence habituelle des intéressés
et quel rôle lui est désormais imparti dans le mécanisme d’éviction de la loi étrangère en
principe compétente.

43
P. GANNAGÉ, Vers un ordre public personnel dans le droit international privé de la famille (solutions
françaises et proches-orientales) : Mélanges dédiés à Louis Boyer, Presses de l’Université des Sciences
Sociales de Toulouse, 1996, p. 209, spéc. n° 5.

421
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

597. Le divorce et la filiation sont deux domaines du droit international privé de


la famille qui démontrent que la jurisprudence tient désormais compte des liens
suffisamment étroits que la situation entretient avec le for pour justifier que l’on déroge
à la règle de conflit en écartant la loi étrangère compétente au nom de l’ordre public
international. Pourtant, alors qu’en matière de divorce la jurisprudence a considéré que
c’est la nationalité française du demandeur qui, jointe à un domicile en France, pouvait
justifier l’éviction de la loi applicable, en matière de filiation, la résidence habituelle en
France de l’enfant suffit désormais, au même titre que sa nationalité française, pour
déclencher le mécanisme de l’ordre public. L’établissement stable des intéressés en
France (et l’intégration dans le milieu social français qui en résulte) constitue donc un
élément tantôt nécessaire mais insuffisant (§ 1.), tantôt pleinement suffisant pour
corriger la règle de conflit française (§ 2.).

§ 1. Le lien territorial avec la France, un critère nécessaire mais


insuffisant. L’exemple du divorce

598. Si l’on veut retracer les grandes lignes de la jurisprudence française fondée
sur l’ordre public avant que n’intervienne la réforme du 11 juillet 1975 sur le divorce,
on peut considérer que, de manière générale, elle n’estimait pas que les lois étrangères
plus restrictives ou qui ignoraient le divorce étaient contraires à l’ordre public
international, sauf lorsqu'elles interdisaient toute forme de relâchement du lien conjugal,
séparation de corps ou divorce ; en revanche, les lois plus libérales que la loi française
étaient le plus souvent évincées au nom de l’ordre public44 : « le divorce paraissait ainsi
pouvoir en France être prononcé en deçà mais non au-delà des limites de la loi interne
française. Et la raison de cette prépondérance de la loi la plus restrictive n’était autre
que la conception restrictive que le droit interne français avait alors du divorce »45.
Après la réforme du divorce, la jurisprudence a continué à considérer, conformément à

44
Cf. par exemple l’arrêt Rivière (Civ. 1re, 17 avril 1953 : Rev. crit. 1953. 412, note Batiffol ; JDI 1953.
860, note Plaisant ; JCP 1953. II. 7863, note J. Buchet.) : la Cour de cassation a indiqué que la dissolution
du mariage doit produire ses effets en France, « bien qu’elle n’aurait pu être prononcée, pour la même
cause, par une juridiction française, notre ordre public s’opposant, en ce cas, au divorce par consentement
mutuel ». – Pour un aperçu sur ce point de la jurisprudence française en matière d’ordre public, v.
H. GAUDEMET-TALLON, J.-Cl., Droit int. pr., Fasc. 547-20, 1996, n° 75 s. et H. BATIFFOL et P. LAGARDE,
Traité de droit international privé : t. 2, L.G.D.J., 7e éd., 1983, n° 445.

422
CHAPITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

la jurisprudence Patiño46, que dès lors que la loi étrangère désignée connaît au moins
l’une des deux institutions qui permet un relâchement du lien conjugal, elle n’est pas
contraire à la conception française de l’ordre public. Pourtant, dans un arrêt de Pedro,
du 1er avril 198147, la Cour de cassation a approuvé l’arrêt rendu par la cour d'appel de
Paris qui a estimé que la loi espagnole compétente était « contraire à la conception
française actuelle de l’ordre public international qui impose la faculté, pour un Français
domicilié en France, de demander le divorce ». Dans cet arrêt, le mari était espagnol et
la femme franco-espagnole (elle a donc été considérée comme française par le juge
français saisi de la demande) ; ils s’étaient mariés en Espagne. Le mari était diplomate
et les époux avaient vécu dans divers pays ; ils s’étaient établis à Paris ; en 1977,
lorsque le mari retourna en Espagne, sa femme resta en France. L’année suivante, elle
introduisit une demande en divorce devant les juridictions françaises. En reconnaissant
le droit pour un Français domicilié en France de divorcer, la Cour sembla opérer un
revirement de jurisprudence – de fait, la décision a pu être qualifiée de telle –, mais,
avant d’analyser les implications de cette décision, il convient de la replacer dans un
contexte. L’arrêt de Pedro paraît en effet se trouver en contradiction avec trois décisions
fréquemment citées, lesquelles maintenaient la position jurisprudentielle consistant à
considérer que seule l’impossibilité totale de mettre fin à la vie commune pouvait
s’opposer à la conception française de l’ordre public.

599. Ainsi, dans l’arrêt, Assous du 3 novembre 197748, la femme, tunisienne,


demandait le prononcé d’une séparation de corps contre son mari également tunisien ; le
couple vivait en France. La loi tunisienne applicable n’admettait que le divorce : la Cour
de cassation n’a pas considéré que la loi étrangère qui prohibe la séparation de corps

45
H. GAUDEMET-TALLON, J.-Cl., Droit int. pr., Fasc. 547-20, 1996, n° 79.
46
Civ. 1re, 15 mai 1963 : JDI 1963. 1016, note P. Malaurie ; JCP 1963. II. 13365, note H. Motulsky ; Rev.
crit. 1964. 532, note P. Lagarde ; B. A NCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence
française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 38-39. – V. cependant
Paris, 10 avr. 1973 (Rev. crit. 1974. 502, note J. F. ; JCP 1974. II. 17680, note M. Simon-Depitre) : la
Cour a décidé que la loi étrangère polonaise qui ne connaît que le divorce et non la séparation de corps est
écartée car « l’ordre public français s’oppose à ce qu’en France la solution à de graves dissensions
conjugales soit recherchée exclusivement dans la rupture du lien matrimonial, la séparation de corps
devant être également admise pour tenir compte des convictions des époux (ou de l’un d’eux) afin de leur
réserver un délai de réflexion propre à permettre une réconciliation ». V. les critiques des commentateurs
de l’arrêt (précités).
47
Civ. 1re, 1er avr. 1981, Sieur de Pedro c. Dame Moquet : JDI 1981. 812, note D. Alexandre ; Gaz. Pal.
1981. 2. 628, note J. Lisbonne ; Defrénois 1982, p. 248, obs. J. Massip.
48
Civ. 1re, 3 nov. 1977, Assous : JDI 1978. 587, note D. Alexandre ; Rev. crit. 1979. 395, note
Y. Loussouarn.

423
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

était contraire à l’ordre public international. Le seul lien avec le for résultait donc de ce
que les époux vivaient en France.

600. Dans le deuxième arrêt, rendu le 11 juillet 197849, la cour d'appel de Paris a
refusé la conversion en divorce d’une séparation de corps prononcée en Espagne,
indiquant qu’en matière de divorce, « la sauvegarde de la politique législative nationale
ne conduit pas à imposer le divorce au nom de l’ordre public au sens du droit
international privé français »50. En l’espèce, se posait la question de savoir si l’ordre
public français ne devait pas intervenir « en raison de la nationalité française de la
femme demanderesse »51, mais la Cour estima qu’il est « de principe que ce n’est pas la
qualité des parties en cause, mais exclusivement le contenu de la loi étrangère
normalement compétente qui justifie l’intervention de l’ordre public international »52.
Cette fois, le lien avec le for n’était constitué que par la seule nationalité française de la
femme53.

601. Enfin, dans le troisième arrêt, Van Der Plassche, du 10 juillet 197954, la
Cour de cassation a réitéré sa position consistant à considérer que la loi désignée qui
interdit le divorce n’était pas contraire à la conception française de l’ordre public
international dans la mesure où elle n’interdit pas tout moyen de mettre fin à la vie
commune. Dans cette affaire, le mari était belge et la femme française ; le couple vivait
en Espagne. La femme était déjà revenue vivre en France lorsqu'elle introduisit une
demande en divorce devant les juridictions françaises. Les faits de l’espèce ne sont pas
très détaillés, mais il semblerait que la femme soit venue « s’établir en France » et non
seulement y séjourner, ce qui pourrait faire douter de l’effectivité du domicile commun

49
Paris, 11 juill. 1978 : JDI 1979. 601, note D. Alexandre.
50
La Cour ajouta que « les exigences de notre ordre public sont respectées par le relâchement du lien
conjugal procuré aux époux qui pouvaient le trouver intolérable, par la séparation de corps espagnole,
dont les effets sont voisins de ceux de la séparation de corps française ».
51
C’est le ministère public qui formula la question, non les parties.
52
L’argument selon lequel c’est « exclusivement le contenu de la loi étrangère » qui peut être considéré
comme contraire à l’ordre public international est discutable ; sur ce point, cf. supra n° 590 s.
53
La femme était née à Madrid, y avait toujours vécu, avait épousé en Espagne son mari espagnol ; ils
avaient fixé à Madrid leur domicile conjugal, ce lieu constituant « l’établissement effectif commun des
deux époux et de leurs enfants à partir duquel s’est réalisée l’intégration totale de la famille à la vie
espagnole ». Après le prononcé de la séparation de corps, la femme avait conservé la jouissance de
l’appartement ; les enfants, dont certains étaient encore mineurs et faisaient des études à Madrid, vivaient
avec elle six mois par an par le jeu d’une garde alternée ; en 1976 (année de l’introduction de la requête)
la mère et les enfants avaient été recensés à Madrid.
54
Civ. 1re, 10 juill. 1979, Van Der Plassche c/ Dame Goderiaux : Rev. crit. 1980. 91, note H. Gaudemet-
Tallon ; JDI 1980. 310, note B. Audit.

424
CHAPITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

en Espagne qui a pourtant justifié que la loi espagnole ait été déclarée applicable55. À
défaut de domicile commun en Espagne, il convenait d’appliquer la loi française du for,
mais, comme l’a souligné l’un des commentateurs de l’arrêt56, la Cour de cassation était
sans doute liée sur ce point par l’arrêt de la cour d'appel qui avait dû justifier la
compétence de la loi espagnole par le domicile commun des époux en Espagne57. Quoi
qu’il en soit, la cour ayant considéré que les époux étaient tous deux domiciliés à
l’étranger, seule la nationalité française de la femme constituait un lien avec l’ordre
juridique français.

602. Dans ces trois arrêts, la Cour de cassation a refusé de faire droit à une
demande en séparation de corps, à une conversion en divorce de séparation de corps, à
une demande en divorce, à chaque fois au motif que la loi étrangère applicable qui les
interdit ne peut être considérée comme contraire à l’ordre public international dans la
mesure où cette loi prévoit un relâchement du lien conjugal. L’ordre juridique français
ne serait donc heurté que dans l’hypothèse où la loi étrangère prohiberait tout
relâchement de ce lien. Pourtant, la loi qui interdit le divorce est déclarée, dans l’arrêt
de Pedro, contraire à l’ordre public international. Mais la Cour précise que cette loi est
contraire à la conception française de l’ordre public international « qui impose la
faculté, pour un Français domicilié en France, de demander le divorce ». On ne peut
qu’en conclure qu’il existe un « droit au relâchement du lien conjugal » qui peut être
considéré comme le reflet d’une « valeur fondamentale »58 du for – toute loi contraire
apparaissant comme insupportable, peu importent la nationalité des parties qui le
requièrent et le lieu dans lequel elles sont établies –, mais qu’il n’existe pas de « droit au
divorce » en tant que tel, ce que beaucoup ont regretté59. En l’état actuel de la

55
V. en ce sens H. GAUDEMET-TALLON, note sous Civ. 1re, 10 juill. 1979, Van Der Plassche c/ Dame
Goderiaux : Rev. crit. 1980. 91 s., spéc. 93. La femme demeurait d’ailleurs toujours en France lorsque
l’affaire a été soumise à la Cour de cassation, quatre années plus tard.
56
H. GAUDEMET-TALLON, note sous Civ. 1re, 10 juill. 1979, Van Der Plassche c/ Dame Goderiaux : Rev.
crit. 1980. 91 s., spéc. 94.
57
Bien que les juges du fond aient un pouvoir souverain pour apprécier les éléments du domicile
conjugal, la Cour de cassation aurait pu, malgré tout, par le biais du contrôle des motifs, censurer la
décision si les éléments constitutifs retenus lui étaient apparus comme non probants.
58
V. R. LIBCHABER, L’exception d’ordre public en droit international privé, in L’ordre public à la fin du
e
XX siècle : Dalloz, 1996, p. 65 s., spéc. p. 75.
59
De nombreux auteurs étaient favorables à un tel « droit au divorce », au moins pour les couples dont
l’un des époux est français. V. les références citées par Y. LOUSSOUARN, note sous Civ. 1re, 8 nov. et 11
juill. 1977 : Rev. crit. 395 s., spéc. 400-401.– La Cour européenne des droits de l’homme a considéré que
« l’absence en droit irlandais de dispositions permettant le divorce et l’incapacité corrélative pour les
requérants de se marier entre eux n’enfreignent pas l’article 8 de la Convention ni l’article 12 » ; qu’il

425
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

jurisprudence, la loi étrangère qui prohibe le divorce n’est pas considérée comme
choquante en soi et, par conséquent, elle ne peut être écartée que dans certains cas. Cela
confirme que l’intensité des liens exigée est bien « proportionnellement inverse à la
gravité de l’atteinte portée aux principes du for par la mise en œuvre de la loi
étrangère »60. La loi étrangère qui interdit le divorce ne peut être écartée que si la
situation entretient des liens suffisamment intenses avec l’ordre juridique français. La
Cour retient que tel est le cas lorsque le demandeur français est domicilié en France.
Dans les trois espèces rapportées, ce n’était pas le cas61, et c’est pourquoi il est difficile
d’évoquer un revirement de jurisprudence62, même si l’arrêt de Pedro est novateur en ce
qu’il a intégré dans sa motivation la nécessité des liens que le litige doit entretenir avec
le for pour justifier l’éviction de la loi étrangère compétente ; elle justifie ainsi in
concreto cette éviction.

603. La Cour a considéré que les liens étaient suffisants avec le for lorsque,
d’une part, le demandeur est français, qu’il est, d’autre part, domicilié en France. En ce
qui concerne la nationalité française du demandeur, on sait l’importance accordée à la
nationalité des personnes concernées en matière de statut personnel. Pourtant, une partie
de la doctrine a considéré qu’aucune différence ne devait être faite selon la nationalité
des époux en cause63, que tout ordre public « nationaliste » devait être écarté, même
dans une matière relevant du statut personnel. Si l’on souhaite que l’époux français

n’existe pas de « droit au divorce ». CEDH 18 déc. 1986, Johnston : JDI 1987. 812, obs. P. R. – On peut
cependant considérer, depuis la récente réforme sur le divorce adoptée le 12 mai 2004, que le législateur
consacre finalement un tel « droit au divorce » en droit français lorsqu'il envisage que « Le divorce peut
être demandé par l’un des époux lorsque le lien conjugal est définitivement altéré ». Désormais, tout
époux qui relève du champ d’application de la loi française peut aisément mettre fin à son union.
Aujourd’hui, le contentieux international relatif au divorce s’est tari. De fait, seuls la République de Malte
et le Chili l’interdisent encore. Une réforme est d’ailleurs sur le point d’être adoptée au Chili, mais le
divorce ne devrait pouvoir être obtenu, si les deux conjoints sont d’accord, qu’après un délai de trois
années et, en cas de demande par un seul époux, après cinq ans ; l’Église souhaite également introduire
une clause offrant aux couples la possibilité de renoncer volontairement et définitivement à toute
possibilité de divorcer. On peut donc se poser la question de savoir si de telles dispositions étrangères ne
pourraient pas être considérées comme intrinsèquement contraires à la conception française de l’ordre
public international.
60
N. J O U B E R T , La notion de liens suffisants avec l’ordre juridique (Inlandsbeziehung) en droit
international privé : Thèse Paris I, 2002, p. 243.
61
Sauf peut-être dans l’arrêt Van Der Plassche, mais on a vu que les juges du fond avaient considéré que
la Française avait toujours un domicile en Espagne avec son mari.
62
V. en ce sens N. JOUBERT, La notion de liens suffisants avec l’ordre juridique (Inlandsbeziehung) en
droit international privé : Thèse Paris I, 2002, p. 193 s.
63
V. en ce sens D. ALEXANDRE , note sous Paris, 11 juill. 1978 : JDI 1979. 601 s. et H. GAUDEMET-
TALLON, note sous Civ. 1re, 10 juill. 1979, Van Der Plassche c/ Dame Goderiaux : Rev. crit. 1980. 91 s.,
spéc. 97 et les références citées par l’auteur.

426
CHAPITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

puisse divorcer, il convient alors de créer une nouvelle règle de conflit pour éviter tout
recours systématique à l’ordre public qui ne peut être qu’exceptionnel64. À l’inverse,
d’autres auteurs considèrent que dans les pays rattachant le statut personnel à la
nationalité, les différences fondées sur ce critère reflètent le droit commun : « si la
nationalité peut ainsi constituer le rattachement de principe en matière de statut
personnel, pourquoi ne pourrait-elle être prise en considération pour apprécier les liens
de la situation avec l’ordre juridique du for […] qui conditionnent la mise en jeu de
l’ordre public ? »65, et ceci d’autant plus qu’en matière de divorce, seuls des adultes sont
en cause : « ils sont plus ou moins responsables de la situation dans laquelle ils se
trouvent et la Cour de cassation peut juger bon de leur appliquer avec rigueur [avec trop
de rigueur selon l’auteur] la règle de conflit de l’article 310 »66. On peut certes regretter
que l’intégration d’un époux à la communauté française, quelle que soit sa nationalité,
ne suffise pas à elle seule, mais il est vrai que l’article 310 alinéa 2 du Code civil ne
permet le prononcé du divorce selon la loi française que si les deux époux sont intégrés
par leur domicile en France dans le milieu social français : seul le domicile commun en
France constitue le rattachement suffisant avec l’ordre juridique français pour que la loi
française soit appliquée ; cela peut expliquer que l’intégration en France d’un seul
époux ne soit pas jugée révélatrice de liens suffisants avec l’ordre juridique français
pour écarter la loi étrangère prohibitive du divorce dans la mesure où une loi
l’interdisant n’est pas considérée en soi comme contraire à la conception française de
l’ordre public. La nationalité française est donc requise, mais il faut encore un cumul de
cet élément avec le domicile en France de l’intéressé souhaitant divorcer67. La
jurisprudence ne s’est pas référée à la résidence habituelle en France, mais au domicile ;
on sait cependant qu’il ne peut s’agir que d’un domicile effectif, reflet d’un
établissement suffisamment stable en France que l’on peut, en la matière, assimiler à la

64
V. D. ALEXANDRE, note sous Paris, 11 juill. 1978 : JDI 1979. 601 s., spéc. 613. Selon l’auteur, « il ne
faut pas introduire de manière artificielle et injustifiée une notion d’ordre public qui n’aurait pour but que
d’établir une compétence indirecte de la loi française dans un cas où le législateur ne l’a pas voulu ».
65
P. LAGARDE, note sous TGI Paris, 23 avr. 1979 : Rev. crit. 1980. 83 s., spéc. 90.
66
P. LAGARDE, op. cit., spéc. 89. – Rappelons que sur le fondement de l’article 310 du Code civil, lorsque
les époux ne sont pas tous deux français ou domiciliés en France, la loi française ne régit le divorce des
époux que si aucune loi étrangère ne se reconnaît compétence alors que les tribunaux français sont
compétents pour connaître du litige.
67
On peut d’ailleurs noter qu’en 1975, le législateur français n’a pas considéré que la loi française devait
s’appliquer au divorce d’un époux français ; il faut que les deux le soient ou que le couple soit domicilié
en France.

427
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

notion de résidence habituelle68. On vient de voir que l’élément du domicile avait été
interprété strictement dans les arrêts précités de 1978 et 1979. Il n’y a donc pas une
volonté d’étendre le champ d’application de la loi française en tant que loi du for ; on
peut supposer qu’il en est de même lorsqu'il s’agit d’un élément qui conditionne le
mécanisme d’éviction de l’ordre public international dès lors qu’un Français est en
cause.

604. Enfin, on peut noter que Mme Alexandre, commentant l’arrêt de Pedro, a
fait valoir que l’application du système qui consiste à rechercher les liens suffisants
avec le for complique la tâche du juge69. Pourtant, il ne semble pas que le fait de vouloir
soumettre le déclenchement de l’ordre public à l’existence de liens suffisants avec le for
complique foncièrement son travail. En effet, si dans certains cas où le litige entretient
des liens avec plusieurs ordres juridiques, on peut se demander avec lequel il entretient
concrètement les liens « les plus étroits », en revanche, dans le mécanisme d’éviction
que constitue l’ordre public, il s’agit uniquement d’apprécier si la situation entretient
avec le for des liens « suffisants ». Il reste effectivement à déterminer ce seuil, ce qui ne
peut être fait de manière abstraite. C’est dans chaque situation que le juge doit
interpréter les faits pour voir si des liens suffisamment intenses existent, propres à
écarter la loi étrangère. Bien entendu, comme l’a rappelé M. Lagarde70, « la répétition
des cas peut sans doute créer des habitudes, qui ressemblent à des règles. […] Mais il
reste que l’ordre public se meut dans l’exceptionnel et qu’on ne généralise pas aisément
l’exceptionnel ». L’ordre public est « une exception apportée à la règle générale dans un
cas particulier, compte tenu des circonstances concrètes de l’espèce qui permettent de
mesurer les liens plus ou moins grands de la situation avec l’ordre juridique du for ».
Ainsi, alors qu’en matière de divorce les liens suffisants avec le for justifiant la
dérogation apportée à la règle de conflit résultent d’un cumul de la nationalité française
du demandeur avec son domicile en France, que l’intégration d’un étranger dans le
milieu social français ne peut suffire, il en est autrement en matière de filiation.

68
Cf. supra n° 451.
69
D. ALEXANDRE, note sous Civ. 1re, 1er avr. 1981, Sieur de Pedro c. Dame Moquet : JDI 1981. 812 s.,
spéc. 825. Selon l’auteur, le juge doit « non seulement se demander s’il est en présence d’une loi qui
heurte a priori les conceptions fondamentales du for, mais encore en cas de réponse affirmative, si elle est
suffisamment choquante pour être exclue dans tous les cas, ou s’il doit pour l’écarter rechercher un lien
de la situation litigieuse avec l’ordre juridique du for ».
70
P. LAGARDE, note sous TGI Paris, 23 avr. 1979. 83, spéc. 87-88.

428
CHAPITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

§ 2. La résidence habituelle, lien suffisant pour déclencher l’éviction de la


loi étrangère compétente. L’exemple de la filiation

605. C’est en matière de filiation que la relativité de l’ordre public, telle que
révélée par les liens de rattachement que la situation soumise au tribunal entretient avec
le for, est la plus marquée. L’existence ou non de liens suffisants avec l’ordre juridique
a été fréquemment soulignée pour motiver l’éviction de la loi étrangère ou au contraire
son application. La jurisprudence des juridictions parisiennes est révélatrice de la
méthode utilisée (A.) ; elle est aujourd’hui clairement confirmée par la Cour de
cassation (B.).

A. La jurisprudence des juridictions parisiennes

606. Alors que la loi relative à la filiation de 197271 préconise l’égalité des
filiations légitime et naturelle et le respect de la vérité biologique, que la faveur du
législateur pour la filiation naturelle s’est encore manifestée en 198272 (il a permis
l’établissement de la filiation naturelle par possession d'état) et en 199373 (il a facilité
l’établissement de la filiation judiciaire de la filiation naturelle en supprimant les cas
d’ouverture et les fins de non-recevoir), on pourrait se poser la question de savoir quelle
a été l’attitude de la jurisprudence face aux lois étrangères, en particulier plus
restrictives que les lois françaises en ce domaine. Alors que la loi française antérieure à
la réforme de 1972 se montrait relativement stricte dans l’établissement et les effets de
la filiation, on peut, comme en matière de divorce, dégager des tendances
jurisprudentielles quant à l’utilisation du mécanisme d’ordre public. Ainsi l’ordre public
était-il strict à l’encontre des lois étrangères plus libérales74 et libéral à l’égard des lois
étrangères plus strictes75. Les auteurs pressentaient qu’au lendemain de la réforme, la

71
Loi n° 72-3 du 3 janv. 1972.
72
Loi n° 82-536 du 25 juin 1982.
73
Loi n° 93-22 du 8 janv. 1993.
74
La loi libérale étant entendue par Mme Simon-Depitre et M. Jacques Foyer (La loi du 3 janvier 1972 et
le droit international privé : JCP 1973. I. 2566, n° 186, n. 321) comme celle qui facilite à l’enfant
légitime ou illégitime l’établissement de sa filiation et en tire des effets étendus pour tous les enfants,
quelle que soit la qualité de leur filiation.
75
V., par exemple, M. SIMON -D EPITRE et Jacques FOYER , La loi du 3 janvier 1972 et le droit
international privé : JCP 1973. I. 2566, n° 186. – V. également l’argumentation de la cour d'appel de
Reims, reprise dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 mai 1987 (JDI 1988. 101, note M.-
L. Niboyet-Hoegy ; Gaz. Pal. 1988, 1. 321, note. J. Massip ; Defrénois 1988, art. 34186, n° 6, obs.

429
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

tendance allait s’inverser. C’est effectivement ce qui arriva : les lois étrangères plus
libérales furent estimées non contraire à l’ordre public international76 ; celles plus
restrictives furent, à l’inverse, écartées car jugées contraires à l’ordre public77.

607. La première décision pouvant apparaître comme réellement significative en


ce qui concerne la prise en considération des circonstances concrètes de la situation et
de la nécessité de liens suffisants avec le for pour que joue l’exception d’ordre public
est celle qui a été rendue par le tribunal de grande instance de Paris le 23 avril 197978. Il
s’agissait d’une recherche de paternité naturelle. En 1976, la mère, algérienne, avait
donné naissance en France à un enfant qu’elle avait reconnu quelques jours auparavant.
Le défendeur était français et vivait en France, tout comme l’enfant. Selon les
dispositions de l’article 311-14 du Code civil, la filiation est régie par la loi de la mère
au jour de la naissance de l’enfant ; la loi algérienne était donc applicable, laquelle
ignore la filiation naturelle et prohibe la recherche judiciaire de paternité. Le recours à
l’article 311-15 fut envisagé par la mère, mais dut être écarté car si l’enfant naturel et
l’un de ses père et mère ont en France leur résidence habituelle, la possession d'état

J. Massip) : « seules les lois étrangères plus larges que la loi française [en matière de filiation] peuvent
être évincées au nom de l’ordre public mais non les lois plus libérales ».
76
V., par exemple, Civ. 1re, 9 oct. 1984 : Rev. crit. 1985. 643, note Jacques Foyer ; JDI 1985. 906, note
M. Simon-Depitre. Le défendeur français considérait que l’ordre public français s’opposait à ce qu’une
loi étrangère soit appliquée à une action en recherche de paternité naturelle en dehors des cas d’ouverture
énumérés par l’article 340 du Code civil. La Cour considéra que « la conception française de l’ordre
public international n’interdit pas la recherche en France de la paternité naturelle selon une loi étrangère
compétente qui ne prévoit pas les cas d’ouverture énumérés par l’article 340 du Code civil français, dès
lors que cette loi présente de sérieuses garanties en ce qui concerne le respect de la vérité biologique et
permet au père d’assurer efficacement sa défense ». – TGI Paris, 30 avr. 1985 : Rev. crit. 1986. 313, note
Y. Lequette. La loi belge qui permet de substituer le statut d’enfant légitimé à celui d’enfant légitime ne
heurte pas les principes fondamentaux du droit français ; il n’y a pas d’atteinte à l’ordre public
international. – Civ. 1re, 12 mars 1985 : Rev. crit. 1985. 677, note B. Ancel ; JCP 1985. II. 20449, concl.
Gulphe. – Civ. 1re, 6 mars 1984. : JDI 1984. 859, note J. Chappez ; Rev. crit. 1985. 108, note
G. A. L. Droz. La Cour a décidé que « n'est pas contraire à la conception française de l'ordre public
international le jugement qui déclare une paternité en se fondant sur la déclaration de la mère, fût-elle
faite sous serment, si celle-ci est corroborée par d'autres éléments de preuve ». On peut relever que la
Cour de cassation avait, dans un arrêt de 1973 (Civ. 1re, 19 déc. 1973 : D. 1974. 661, note Mezger),
estimé que l’on ne pouvait, sans porter atteinte à l'ordre public international français, accorder des
aliments à un enfant en se fondant pour ce faire sur la seule déclaration de la mère.
77
V., par exemple, Civ. 1re, 12 mai 1987 : JDI 1988. 101, note M.-L. Niboyet-Hoegy ; Gaz. Pal. 1988. 1.
321, note. J. Massip ; Defrénois 1988, art. 34186, n° 6, obs. J. Massip. La Cour a considéré que « le
principe de légitimation par mariage des enfants naturels, même d’origine adultérine, traduit une
conception fondamentale actuelle du droit français entraînant, par l’effet de l’ordre public, l’éviction de la
loi belge » interdisant la légitimation d’enfants adultérins. Jusqu’à la réforme relative à la filiation de
1972, l’exception d’ordre public était opposée aux lois étrangères qui autorisaient la légitimation
d’enfants adultérins ; après, au contraire, elle écarte la loi belge qui la prohibe. V. le commentaire
(précité) de Mme Niboyet-Hoegy.
78
TGI Paris, 23 avr. 1979 : Rev. crit. 1980. 83, note P. Lagarde.

430
CHAPITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

produit toutes les conséquences qui en découlent selon la loi française, mais ce n’est
qu’en 198279 que le législateur français permit l’établissement de la filiation naturelle
par la possession d'état80. Seul le recours au mécanisme de l’ordre public permettait
alors d’écarter la loi algérienne applicable. C’est ce que fit le tribunal, par une décision
qualifiée par son commentateur de « courageuse », notamment en ce qu’elle allait à
contre-courant de la tendance qui prévalait alors à la Cour de cassation81, et d’une
« audace sans précédent dans la jurisprudence française »82 en raison de sa motivation.

608. Ce que la décision a d’original et d’osé ne réside, en effet, pas tant dans le
recours à l’ordre public et dans la solution que le tribunal a adoptée (l’éviction de la loi
algérienne et l’établissement de la filiation naturelle) que dans la manière dont il a
procédé dans sa motivation. Le tribunal a indiqué qu’il convenait « d’examiner si, en
toute hypothèse, la loi algérienne n’est pas, en ce qu’elle interdit absolument tout mode
d’établissement d’une filiation naturelle, intrinsèquement contraire à l’ordre public
français » ; il se réfère à la réforme de 1972 relative à la filiation et à la volonté du
législateur de faciliter l’établissement de sa filiation réelle et à l’assimilation du sort de
l’enfant naturel à celui de l’enfant légitime, puis décide « qu’une disposition légale
étrangère déniant à un enfant, au motif qu’il est né hors mariage, tout droit d’établir sa
filiation, est fondamentalement opposée à la conception moderne de droits de l’enfant
et, comme telle, heurte l’ordre public français ». Mais, surtout, ce qui est sans conteste
essentiel, la juridiction a clairement souligné que l’on « ne peut s’empêcher d’observer
qu’ainsi, à la faveur de la loi personnelle de la mère demanderesse, le défendeur,
citoyen français, domicilié en France, serait en droit d’interdire à un enfant lui-même
français et résidant en France, de faire reconnaître sa filiation par une juridiction
française ». Le tribunal de grande instance de Paris a donc désigné la loi compétente au
regard de la règle française de conflit et analysé son contenu (loi algérienne qui prohibe
l’établissement de la filiation naturelle), puis examiné chaque circonstance concrète de
l’espèce (l’enfant et le défendeur sont français et vivent en France), les confrontant au

79
L. n° 82-536 du 25 juin 1982.
80
On peut d’ailleurs souligner qu’il est généralement difficile, même depuis que l’article 334-8 du Code
civil le prévoit, de faire établir la filiation par la possession d'état, notamment à l’égard du père : il faut
que le père prétendu et l’enfant aient leur résidence habituelle en France et que le père ait entretenu des
relations avec la mère et l’enfant. Ce ne sera généralement pas le cas s’il les a abandonnés avant la
naissance. Cf. supra n° 445.
81
P. LAGARDE, note sous TGI Paris, 23 avr. 1979 : Rev. crit. 1980. 83 s., spéc. 86.
82
P. LAGARDE, op. cit., spéc. 88.

431
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

résultat auquel conduirait l’application de la règle de l’article 311-14 du Code civil


(priver un enfant français qui a sa résidence habituelle en France du droit d’établir sa
filiation), avant de décider de la contrariété de la loi algérienne à l’ordre public français
et de recevoir la demande en déclaration de paternité formulée par la mère de cet
enfant83.

609. Dans cette décision, si le tribunal semble avoir posé de manière générale et
abstraite le principe selon lequel une loi étrangère qui dénie à un enfant, parce qu’il est
né hors mariage, le droit d’établir sa filiation est fondamentalement opposée à la
conception française moderne des droits de l’enfant et heurte de ce fait l’ordre public
français, il ne faut cependant pas sous-estimer le rôle des éléments de fait, et on peut
noter l’insistance avec laquelle le tribunal les a repris84. M. Lagarde85 estime que les
deux motifs, celui d’ordre général et l’autre, « bien plus concret et qui se scandalise de
voir un enfant français résidant en France privé du droit d’établir sa filiation naturelle à
l’égard d’un défendeur français domicilié en France », sont indissociables.

610. D’ailleurs, par la suite, le tribunal de grande instance de Paris a, à plusieurs


reprises, confirmé sa position consistant à analyser concrètement les éléments de la
situation litigieuse avant de décider de l’existence ou non d’une contrariété de la loi
étrangère avec la conception française de l’ordre public. Ainsi a-t-il estimé, en 198086,
que les liens avec le for étaient trop ténus pour justifier l’éviction de la loi sénégalaise
compétente. Il s’agissait d’une action en recherche de paternité, laquelle est prohibée
par le droit sénégalais qui était applicable. Le tribunal estima que « l’exception d’ordre
public par laquelle pourrait être paralysée la règle de conflit ne doit pas être envisagée
in abstracto, que c’est en considération des données concrètes de l’espèce et des
circonstances dans lesquelles serait, en fait, appliquée la loi étrangère que doivent être
appréciées les exigences de l’ordre public ». Il considéra qu’il résultait de ces faits que
« l’enfant est appelée à vivre et à s’intégrer dans le pays et le milieu culturel dont sa

83
Sur la nécessité pour les juges de raisonner en trois temps, v. P. LAGARDE , Rép. internat. Dalloz,
V° Ordre public, 1998, n° 7.
84
M. Lagarde (note sous TGI Paris, 23 avr. 1979 : Rev. crit. 1980. 83 s., spéc. 87) évoque « la juste
indignation du tribunal ».
85
P. LAGARDE, note sous TGI Paris, 23 avr. 1979 : Rev. crit. 1980. 83 s., spéc. 87.
86
TGI Paris, 3 juin 1980 : non publié ; cité par G. SUTTON, Les articles 311-14 et suivants du Code civil à
l’épreuve de la jurisprudence du tribunal de grande instance de Paris : TCFDIP 1982-83, p. 193 s., spéc.
p. 199.

432
CHAPITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

mère est originaire ; que dans ces conditions l’on ne saurait considérer que l’ordre
public français serait heurté par l’application de la loi personnelle de la mère »87.

611. En 198288, les liens avec le système juridique français furent également
jugés insuffisants par le tribunal parisien pour fonder l’éviction de la loi étrangère
compétente dans une affaire où la mère, Algérienne résidant en France avec son enfant,
souhaitait faire établir la paternité de cet enfant avec un Algérien également établi en
France. L’absence de liens avec la France pourrait a priori surprendre, mais, selon
Mme Sutton89, le tribunal s’était rendu compte, au cours de la comparution des parties,
que la mère et l’homme prétendument père de l’enfant s’étaient connus en Algérie où ils
retournaient à chaque vacance ; qu’ils n’avaient pas la nationalité française et que « sur
le plan psychologique ils n’avaient pas vraiment d’attaches avec la France ». Que les
liens puissent paraître suffisants ou ténus, – « on était à la limite », indique Mme Sutton,
présente aux cours de l’audition des parties –, il est certain que, quoi qu’il en soit, le
tribunal de grande instance de Paris a pris le soin, dans chacune des décisions
rapportées, d’analyser tous les faits concrets qui pouvaient constituer autant d’attaches
avec la France avant de faire jouer l’ordre public international.

612. De même, en 199190, la cour d'appel de Paris, après avoir énoncé que la loi
de l’État fédéré de Bosnie-Herzégovine devait être écartée au profit de la loi française
comme « heurtant la conception française de l’ordre public international en ce que cette
législation énonce un principe d’irrévocabilité de la reconnaissance d’enfant naturel,
disposition qui a pour effet d’interdire le rétablissement de la filiation véritable », a
également souligné que « la situation du litige présente les liens de rattachement les plus

87
En 1975, la mère sénégalaise introduisait une action en recherche de paternité pour son enfant franco-
sénégalais ; la mère et l’enfant vivaient en France. L’action fut interrompue par le décès de la mère et
reprise par la grand-mère de l’enfant qui, agissant en tant que tutrice, requit l’application de la loi
française en faisant valoir que la loi sénégalaise compétente « déniant à un enfant le droit d’établir sa
filiation est contraire à la conception moderne des droits de l’enfant et, comme telle, heurte l’ordre
public ». Après le décès de sa mère, l’enfant était partie vivre à Dakar pour y être élevée par sa grand-
mère sénégalaise ; le conseil de famille était composé des membres de la famille de la mère, également
tous sénégalais et résidant au Sénégal. On peut indiquer qu’en l’espèce, le tribunal fit donc application du
droit sénégalais qui, tout en prohibant l’établissement de la paternité naturelle contre la volonté du père,
prévoit une action en « indication de paternité » qui a pour fondement la paternité de fait constatée dans
une décision judiciaire et qui a pour objet de condamner le « père indiqué » à une obligation alimentaire.
88
TGI Paris, 9 févr. 1982 : non publié ; cité par G. SUTTON, Les articles 311-14 et suivants du Code civil
à l’épreuve de la jurisprudence du tribunal de grande instance de Paris : TCFDIP 1982-83, p. 193 s.,
spéc. p. 198 et p. 219.
89
G. SUTTON, op. cit., p. 219.
90
Paris, 5 déc. 1991 : D. 1992. 290, note F. Boulanger ; Somm. 170, obs. B. Audit.

433
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

étroits [avec la France], par la localisation en France de ses éléments de fait essentiels,
et par le fait que l’enfant concerné, né en France de parents étrangers, possède
virtuellement la nationalité française »91. Ce sont donc, là encore, les liens étroits avec
la France qui s’opposaient à l’application de la loi étrangère.

613. Enfin, dans un jugement du 23 novembre 199392, le tribunal de grande


instance de Paris, a encore clairement affirmé que « l’ordre public international français
n’est pas heurté par une loi étrangère restrictive en matière de contestation de
reconnaissance », mais il énonce aussitôt que « la situation juridique en cause ne
présent[ait] quasiment aucun lien de rattachement avec la France ». Les termes de
« liens de rattachement avec la France » sont éloquents : ce sont eux qui révèlent
l’intensité de l’atteinte portée à l’ordre juridique du for à laquelle conduirait
l’application de la loi étrangère et ce sont ces liens, plus que le contenu de la loi
étrangère, qui permettent le déclenchement de l’ordre public93.

614. Ces deux dernières décisions sont intéressantes dans la mesure où, dans les
deux cas, la loi étrangère visée prévoyait une irrévocabilité de la reconnaissance et où
les liens avec la France sont pareillement mis en exergue : dans le premier cas de figure,
ils font défaut, ou sont en tout cas considérés comme insuffisants, et l’on considère que
la loi étrangère ne heurte pas l’ordre public international français ; dans le second, ils
sont importants et l’on estime que la loi étrangère doit être évincée au nom de l’ordre

91
La mère yougoslave s’était mariée en France en 1979 avec un Saoudien ; ils avaient divorcé en France
et y vivaient encore avec l’enfant dont la paternité est en cause. – La Cour a également énoncé que
l’enfant possédait « virtuellement la nationalité française » ; si l’expression peut sembler contestable, elle
s’explique par le fait que l’enfant est en principe appelé à acquérir la nationalité française. On peut
également souligner qu’en l’espèce, le père justifiait ne pouvoir être le père biologique de l’enfant.
92
TGI Paris, 23 nov. 1993 : Rev. crit. 1995. 703 (1re esp.), note Jacques Foyer ; D. 1995. 306, note
S. Aubert.
93
En l’espèce, l’enfant, péruvienne, était née sur le territoire français ; la mère, de même nationalité, n’y
séjournait que temporairement en qualité d’étudiante et allait devoir retourner dans son pays d’origine où
l’enfant se trouvait déjà ; le père, allemand, vivait en Allemagne et exerçait au sein d’une société
internationale des fonctions de direction pour l’Amérique latine ; l’acte de reconnaissance de l’enfant,
reçu par les autorités consulaires allemandes à Paris, n’avait pas été mentionné sur les registres français
de l’État civil, en marge de l’acte de naissance. La loi péruvienne prévoit que la reconnaissance de
paternité ne peut être contestée de la part de son auteur (elle ne peut être contestée, dans les quatre-vingt-
dix jours de la reconnaissance, que par le parent qui n’est pas intervenu et par tous ceux qui y ont un
intérêt légitime, à l’exclusion de celui qui l’a souscrite). – Il est par ailleurs intéressant de souligner que,
dans cette affaire, le père agissait essentiellement afin de lever les doutes qu’il concevait quant à sa
paternité et il souhaitait que soit ordonnée une expertise sanguine ; or, le tribunal a relevé qu’il ne
produisait aucun document probant indiquant qu’il ne pouvait être le père. Cet élément a sans doute
également eu une influence sur la décision des juges (comp. avec la décision précédente, Paris, 5 déc.
1991 : D. 1992. 290, note F. Boulanger ; Somm. 170, obs. B. Audit).

434
CHAPITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

public. La relativité de l’ordre public est ainsi mise en évidence. Qu’il y ait des liens
suffisants avec le for, et l’ordre public joue – on l’a qualifié d’ordre public « de
proximité » –, ou qu’il n’y en ait pas, et la loi n’est pas évincée – on a évoqué l’ordre
public « d’éloignement » ou de « non-proximité »94. Même si parfois les juges du fond
ont pu émettre des attendus généraux sur la contrariété ou la non contrariété de la loi
étrangère avec la conception française de l’ordre public international, leurs décisions
dénotent tout de même largement leur volonté d’étudier chaque situation litigieuse dans
son contexte et la nécessité de constater l’existence d’attaches suffisantes avec le for
pour qu’il y ait l’ordre public international. On notera qu’il ne semble pas qu’il y ait un
critère en particulier, nationalité ou résidence habituelle de l’enfant en France, qui
permette ipso facto de considérer l’existence de tel liens avec le système juridique
français. Ces deux éléments ont pourtant été considérés comme suffisants par la Cour de
cassation.

B. La jurisprudence de la Cour de cassation

615. En 1988 et 1993, la Cour de cassation a rendu deux arrêts importants en ce


qui concerne le droit de la filiation et le déclenchement du mécanisme d’éviction que
constitue l’ordre public international. Les faits à l’origine du premier arrêt, rendu le
3 novembre 198895, tels qu’ils résultent de la décision, étaient les suivants : la mère,
algérienne, avait donné naissance à une enfant, née à Paris en 1982 ; elle décida d’agir
en déclaration judiciaire de paternité ; en 1986, la cour d'appel de Versailles la débouta
de sa demande au motif que la loi algérienne compétente en vertu de l’article 311-14 du
Code civil ne prévoyait pas la possibilité d’une telle action. La mère forma un pourvoi
en arguant de ce que la loi algérienne, interdisant de façon générale et absolue toute
recherche de paternité naturelle, devait être considérée comme contraire à l’ordre public
international. La Cour de cassation décida que « les lois étrangères qui prohibent
l’établissement de la filiation naturelle ne sont pas contraires à la conception française

94
V. Jacques FOYER, note sous TGI Paris, 23 nov. 1993 : Rev. crit. 1995. 703, spéc. 718 et note sous Civ.
1re, 10 févr. 1993 : Rev. crit. 1993. 621, spéc. 629. N. Joubert (La notion de liens suffisants avec l’ordre
juridique (Inlandsbeziehung) en droit international privé : Thèse Paris I, 2002, p. 221-222) considère
cependant qu’il est préférable de conserver « une version unique de l’ordre public dans laquelle l’une des
conditions de déclenchement de l’exception est l’existence de liens suffisamment intenses entre le litige et
le for ». L’absence de liens ne constituerait que « la non-réalisation d’une des conditions de
déclenchement de l’ordre public ».
95
Civ. 1re, 3 nov. 1988 : Rev. crit. 1989. 495, note Jacques Foyer ; JDI 1989. 703, note F. Monéger ;
Defrénois 1989, art. 34464, n° 5, obs. J. Massip.

435
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

de l’ordre public international dont la seule exigence est d’assurer à l’enfant les subsides
qui lui sont nécessaires ».

616. Dans le second arrêt, du 10 février 199396, la mère, tunisienne, avait donné
naissance à une enfant, née à Paris en 1984 et de nationalité française ; en 1986, elle
assigna un homme, algérien, avec lequel elle avait vécu en concubinage de 1981 à 1985,
en recherche de paternité et en paiement d’une pension alimentaire pour l’enfant. La
cour d'appel de Paris, en 1989, accueillit les demandes de la mère. Le prétendu père
forma un pourvoi, reprenant mot pour mot l’attendu de principe de l’arrêt rendu le
8 novembre 1988 ; il considérait donc que la loi tunisienne applicable devait être écartée
au nom de l’ordre public. La Cour de cassation rejeta le pourvoi en considérant que « si
les lois étrangères qui prohibent l’établissement de la filiation naturelle ne sont pas
contraires à la conception française de l’ordre public international, il en est autrement
lorsque ces lois ont pour effet de priver un enfant français ou résidant habituellement en
France du droit d’établir sa filiation ».

617. Ces deux décisions indiquent très clairement que le droit français ne
proclame pas un « droit à la filiation » en tant que tel, alors que certaines décisions
antérieures du fond ont pu le laisser supposer97. Or, dans ces deux arrêts de 1988
et 1993, la Cour suprême énonce au contraire, en des termes généraux, abstraits, sous la
forme d’un attendu de principe, que « les lois étrangères qui prohibent l’établissement
de la filiation naturelle ne sont pas contraires à la conception française de l’ordre public

96
Civ. 1re, 10 févr. 1993 : Rev. crit. 1993. 621, note Jacques Foyer ; JDI 1994. 124, note I. Barrière-
Brousse ; JCP 1993. I. 3688, n° 10, obs. H. Fulchiron ; D. 1994. 66, note J. Massip ; Somm. 32, obs.
E. Kerckhove ; Defrénois 1993, 982 s., spéc. 994, n° 86, obs. J. Massip.
97
Rappelons que le tribunal de grande instance de Paris, dans son jugement du 23 avril 1979 (TGI Paris,
23 avr. 1979 : Rev. crit. 1980. 83) avait en effet indiqué qu’il convenait d’examiner si, « en toute
hypothèse », la loi algérienne, en ce qu’elle interdit absolument tout mode d’établissement de la filiation
naturelle, est « intrinsèquement contraire à l’ordre public français » ; le tribunal a estimé qu’une
disposition qui interdit à un enfant, au motif qu’il est né hors mariage, tout droit d’établir sa filiation est
« fondamentalement opposée à la conception française moderne des droits de l’enfant et, comme telle,
heurte l’ordre public français ». Mais, cela a été souligné, la juridiction avait également très clairement
justifié l’éviction de la loi étrangère compétente en se fondant sur l’intensité des liens que la situation
entretenait en l’espèce avec le for. – En 1985 (TGI Paris, 30 avr. 1985 : Rev. crit. 1986. 313, note
Y. Lequette), la même juridiction avait pareillement estimé qu’une atteinte aux principes fondamentaux
du droit français existait « incontestablement lorsque la loi étrangère prohibe purement et simplement
l’établissement de la filiation hors mariage ». – En 1987 (Civ. 1re, 12 mai 1987 : JDI 1988. 101, note M.-
L. Niboyet-Hoegy ; Gaz. Pal. 1988, 1. 321, note. J. Massip ; Defrénois 1988, art. 34186, n° 6, obs.
J. Massip), la Cour de cassation avait également admis que le principe de la légitimation par le mariage
des enfants naturels traduisait « une conception actuelle fondamentale du droit français ».

436
CHAPITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

international »98. Les deux décisions diffèrent pourtant. En effet, dans l’arrêt de 1988, la
Cour de cassation ne se fonde pas, pour écarter la loi étrangère prohibitive, sur la
proximité ou l’éloignement de la situation juridique avec le for et estime que seule la loi
qui interdit tout subside à l’enfant est contraire à la conception française de l’ordre
public. L’allocation de subsides peut dès lors être considérée comme une valeur
fondamentale française99, mais non l’établissement du lien de filiation. Cet ordre public
« alimentaire » a été qualifié par M. Jacques Foyer d’« ordre public au rabais ». En
refusant de tenir compte, en l’espèce, de la proximité des liens entretenus avec la
France, la Cour semble en totale contradiction avec la jurisprudence des juridictions du
fond qui a été analysée. De fait, la Cour n’a repris les faits litigieux que de manière
parcimonieuse ; on peut se demander s’il n’y avait pas une certaine gêne à tous les
retenir pour finalement refuser d’écarter la loi étrangère prohibitive. En l’espèce, la
mère, devenue française après la naissance, n’a pu faire établir la filiation de son enfant,
française de naissance, contre le père prétendu, également français – semble-t-il100 –
alors que tous vivaient en France. « L’absurdité qu’il y a à soumettre une relation
entièrement française à une loi étrangère »101, largement dénoncée par la doctrine, fut
finalement corrigée. En effet, dans sa décision de 1993, tout en maintenant le même
principe, i.e. l’absence de contrariété avec l’ordre public de la loi étrangère interdisant
l’établissement de la filiation naturelle, la Cour en définit les limites : ce principe doit
être écarté lorsque l’enfant est français ou qu’il a sa résidence habituelle en France102.

618. Les liens concrets que constituent ces deux éléments de fait, la nationalité
française et la résidence habituelle en France du mineur, définissent le seuil de tolérance
du droit français face à une loi étrangère qui prohibe l’établissement de la filiation.
L’intensité est alors suffisante avec le for pour que, par le biais du mécanisme d’ordre
public, la loi étrangère soit écartée. La Cour n’a pas directement renié le principe posé
en 1988, mais elle lui apporte une exception qui est de taille, à tel point que, comme

98
On peut d’ailleurs souligner que dans l’arrêt de 1988, la Cour vise « l’établissement de la filiation » en
général et non simplement l’action en recherche de paternité.
99
On peut là encore faire un parallèle avec le divorce : seule la loi qui interdisait tout relâchement du lien
conjugal était intrinsèquement contraire à l’ordre public français.
100
V. Y. LEQUETTE, note sous Civ. 1re, 6 juill. 1988. 71, spéc. 75.
101
Y. LEQUETTE, note sous Civ. 1re, 6 juill. 1988. 71, spéc. 75.
102
Cet attendu est repris mot pour mot par la cour d'appel de Paris (v. 13 janv. 2000 : D. 2000. 898, note
S. Aubert). V. également TGI Paris ; 5 avr. 1994 : D. 1995. Somm. 118, obs. F. Granet-Lambrechts.

437
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

l’ont souligné certains auteurs103, le domaine de l’exception devrait en pratique


largement dépasser le principe énoncé. Alors que, dans l’arrêt du 1er avril 1981, la Cour
de cassation n’avait retenu la contrariété de la loi étrangère prohibitive du divorce avec
la conception française de l’ordre public international que dans l’hypothèse où le
demandeur français était domicilié en France, que le tribunal de grande instance de
Paris104 avait également requis une coïncidence de la nationalité française avec la
résidence habituelle du mineur en France en ce qui concerne l’établissement de sa
filiation, la Cour de cassation se contente désormais de critères alternatifs : l’enfant
français ou qui a sa résidence habituelle en France ne peut être privé par la loi étrangère
compétente de la faculté de faire établir son lien de filiation. Ainsi, il n’y a plus aucune
« coloration nationaliste » dans la jurisprudence105 qui place sur un pied d’égalité la
nationalité française et la résidence habituelle, ces deux éléments constituant un lien
avec le système juridique français suffisant pour provoquer l’éviction d’une loi
étrangère.

619. Les enfants qui ont en France leur résidence habituelle, qui y vivent et y
sont élevés, sont supposés intégrés du fait de leur établissement stable dans le milieu
social français. Ils ont donc désormais vocation à se voir reconnaître un droit à faire
établir leur filiation, au même titre que les Français. On avait d’ailleurs dénoncé les
conséquences pratiques de la décision du 3 novembre 1988 qui laissait alors de côté les
enfants issus de l’importante communauté maghrébine installée en France puisque le
droit musulman interdit toute action en recherche de paternité106. Une discrimination
entre enfants français et enfants étrangers aurait eu « quelque chose de choquant surtout
s’il s’agit d’enfants étrangers résidant en France »107. On doit considérer qu’il est
parfaitement normal que le for soit heurté par une loi étrangère qui interdit
l’établissement de la filiation lorsque l’enfant est français uniquement parce que sa mère
ne le serait pas108 ; il doit l’être également lorsque l’enfant est encore étranger, mais

103
V., par exemple, J. MASSIP, obs. sous Civ. 1re, 10 févr. 1993 : Defrénois 1993, art. 35611, n° 86, spéc.
p. 997 ; E. KERCKHOVE, obs. sous Civ. 1re, 10 févr. 1993 : D. 1994. Somm. 32.
104
Dans sa décision précitée du 23 avril 1979 (Rev. crit. 1980. 83).
105
Dénoncée en matière de divorce par certains auteurs.
106
V. Jacques F OYER , note sous Civ. 1re, 3 nov. 1988 : Rev. crit. 1989. 495, spéc. 500 ; P. GUIHO, La
conception française de l’ordre public international en matière de filiation : Mélanges en hommage à
André Breton et Fernand Derrida, Dalloz, 1991, p. 145 s., spéc. 151 s.
107
Jacques FOYER, note sous Civ. 1re, 3 nov. 1988 : Rev. crit. 1989. 495, spéc. 502.
108
Considérer qu’un enfant français peut désormais faire établir sa filiation, alors même que loi nationale
de la mère l’interdirait, a pour effet de corriger ce que la règle de conflit de l’article 311-14 du Code civil

438
CHAPITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE TERRITOIRE POUR JUSTIFIER
L’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

qu’il a vocation, dans une large majorité des hypothèses, à devenir français109. Mais, la
Cour va plus loin puisqu'elle pose le principe selon lequel la simple résidence habituelle
de l’enfant en France entraîne l’éviction de la loi étrangère désignée compétente (elle le
fait d’ailleurs alors qu’en l’espèce, l’enfant était français, ce qui confère à la décision
une large portée). Cette interprétation de la conception française de l’ordre public par la
Cour de cassation dans son arrêt du 10 février 1993, qui facilite le droit pour l’enfant de
faire établir sa filiation quelle que soit sa nationalité dans la mesure où il est installé en
France, mérite d’autant plus d’être approuvée qu’elle se trouve en conformité avec le
souci de protection de l’enfant visé dans les textes internationaux. Si les textes ne
consacrent pas en tant que tel un droit à la filiation, rien ne vient interdire à la
jurisprudence de s’en inspirer110. L’adjonction d’un critère territorial à un critère
personnel marque de manière certaine, comme le souligne M. Jacques Foyer111, « une
avancée de l’ordre public international à l’encontre des lois étrangères trop différentes
des conceptions françaises ». Le seuil de tolérance de l’ordre juridique du for est ainsi
diminué, que l’intéressé soit français ou intégré à la communauté française par le fait
qu’il y vit. Ce n’est que lorsque l’enfant est étranger et qu’il a sa résidence habituelle à
l’étranger qu’il peut se voir privé du droit d’établir sa filiation en application d’une loi
étrangère112. Dans cette hypothèse, les liens avec le for sont ténus et l’application de la
loi française à la situation serait sans effets : du fait que l’enfant a sa résidence
habituelle dans un pays qui prohibe l’établissement de sa filiation, la décision ne serait
pas reconnue (le recours à l’ordre public international serait dénué d’efficacité). Reste,
comme l’a souligné M. Massip, que la Cour de cassation vise les lois qui « prohibent »
l’établissement de la filiation, non celles qui seraient simplement plus strictes que la loi

« peut avoir de regrettable dans certains cas » (v. J. MASSIP, obs. sous Civ. 1re, 10 févr. 1993 : Defrénois
1993, art. 35611, n° 86, spéc. p. 997). – On peut d’ailleurs souligner que si l’article 311-14 du Code civil
fige le rattachement au jour de la naissance de l’enfant, la référence à la nationalité française du mineur
ou à sa résidence habituelle en France introduit un rattachement beaucoup plus souple ; il doit exister au
jour où le juge statue.
109
Au plus tard à sa majorité, lorsque né en France de parents étrangers nés à l’étranger, il justifie avoir
une résidence habituelle en France de cinq années.
110
V. Jacques FOYER , note sous Civ. 1re, 10 févr. 1993 : Rev. crit. 1993. 620, spéc. 626 ; I. BARRIÈRE-
BROUSSE, note sous Civ. 1re, 10 février 1993 : JDI 1994. 124, spéc. 129 ; H. FULCHIRON, obs. sous Civ.
1re, 10 févr. 1993 : JCP 1993. I. 3688, n° 10.
111
Jacques FOYER, note sous Civ. 1re, 10 févr. 1993 : Rev. crit. 1993. 620, spéc. 625.
112
Certains auteurs (v. par exemple Jacques FOYER, note sous Civ. 1re, 10 févr. 1993 : Rev. crit. 1993.
620, spéc. 631) étaient favorables à une éviction systématique des lois étrangères prohibant
l’établissement de la filiation naturelle. Même si la Cour de cassation n’est pas allée aussi loin, les
situations dans lesquelles un enfant étranger, résidant à l’étranger, saisirait les juridictions françaises
seront a priori exceptionnelles ; la solution de la Cour est donc tout à fait raisonnable dans ses limites.

439
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

française. On peut se demander si de telles lois seraient considérées comme contraires à


l’ordre public international français. Selon l’auteur, elles ne devraient pas être écartées
ipso facto sur ce fondement, même si l’enfant est français ou a sa résidence habituelle
en France, mais cela pose un « délicat problème de limites »113.

620. La résidence habituelle est donc révélatrice d’une intensité suffisante avec le
for pour déclencher l’éviction de la loi étrangère en principe compétente en matière de
filiation. Elle pourrait avoir vocation à jouer un rôle similaire dans d’autres domaines du
droit international privé de la famille.

113
De même, la Cour de cassation a estimé, dans une décision du 6 juillet 1999 (D. 1999. 483, concl.
J. Sainte-Rose ; D. 2000. Somm. 162, obs. A. Bottiau ; Dr. fam. 2000, n° 55, p. 24, note H. Fulchiron)
que la « loi allemande qui admet, comme la loi française, la contestation de reconnaissance, mais en
délimite plus strictement les conditions d’exercice, n’est pas contraire à la conception française de l’ordre
public international ». Comme l’a fait remarquer M. Fulchiron (note sous l’arrêt, spéc. p. 25), « il semble
qu’une loi qui prohibe toute contestation de la reconnaissance par son auteur, et ne permet pas non plus de
remettre en cause l’acte lui-même au titre de l’erreur, pourrait être considérée comme contraire à la
conception française de l’ordre public français en matière internationale en ce que [..] elle a pour
conséquence d’interdire à l’enfant toute possibilité d’établir sa véritable filiation, surtout s’il s’agit […]
d’un enfant français ou résidant habituellement en France ». – V. en ce sens les deux décisions précitées
rendues par la cour d'appel de Paris en 1991 (Paris, 5 déc. 1991 : D. 1992. 290, note F. Boulanger ;
Somm. 170, obs. B. Audit) et le tribunal de grande instance de Paris en 1993 (TGI Paris, 23 nov. 1993 :
Rev. crit. 1995. 703 (1re esp.), note Jacques Foyer ; D. 1995. 306, note S. Aubert).

440
CONCLUSION DU CHAPITRE 1.

621. Le principe selon lequel l’ordre public peut être fondé sur la proximité
territoriale avec le for est aujourd’hui admis ; ses manifestations jurisprudentielles en
matière de divorce et de filiation en sont la preuve. L’ordre public de proximité souligne
l’écart qui sépare certains droits jugés fondamentaux par le for, lesquels doivent être
reconnus quelle que soit l’intensité des liens de la situation avec celui-ci (la loi
étrangère désignée par la règle de conflit étant écartée car intrinsèquement contraire à la
conception française de l’ordre public), et les droits qui heurtent les valeurs du for en
certaines circonstances (ce n’est pas le contenu de la loi étrangère en tant que tel, mais
le fait qu’elle soit appliquée dans un contexte particulier, au vu de certaines
circonstances, qui révèle la contrariété à l’ordre public ; la loi étrangère est par principe
applicable, mais son application est subordonnée à certaines conditions).

622. En l’état actuel de la jurisprudence, le droit français estime que la loi


étrangère qui prohibe le divorce ne peut être considérée comme contraire à la
conception française de l’ordre public dans la mesure où cette loi prévoit un
relâchement du lien conjugal, sauf dans l’hypothèse où le demandeur français est établi
en France. La seule résidence habituelle d’un époux sur le territoire français ne peut
constituer un obstacle à l’application d’une loi étrangère prohibitive de divorce ; les
liens ne sont pas jugés suffisamment étroits avec le for pour justifier l’éviction de la loi
normalement compétente au regard de la règle de conflit. En revanche, en matière de
filiation, si la loi étrangère qui interdit l’établissement du lien de filiation n’est pas non
plus jugée en soi contraire à la conception française de l’ordre public international, il en
va autrement lorsque l’enfant est français ou qu’il a sa résidence habituelle en France.
Le droit français ne peut admettre qu’un enfant installé dans ce pays, qui est intégré
dans la communauté locale française, soit privé de toute possibilité d’établir son lien de
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPTÉTENTE

filiation1 ; la loi étrangère doit être écartée. Certes, la situation n’entretient pas, par
définition, les liens « les plus étroits » avec l’ordre juridique français, mais elle révèle
des liens suffisamment intenses, une proximité suffisante avec le territoire français, pour
légitimer une dérogation à la règle de conflit française et provoquer l’éviction de la loi
étrangère.

623. Au nom de la mise en œuvre de l’ordre public de proximité, chaque


situation est concrètement analysée par le juge avant que celui-ci ne décide de la
nécessité d’écarter la loi étrangère désignée de manière abstraite par la règle de conflit.
La place qu’occupe la résidence habituelle dans le mécanisme d’éviction de la loi
normalement applicable est importante ; elle pourrait néanmoins être étendue à d’autres
domaines du droit international privé de la famille où la relativité de l’ordre public
s’exprime encore parfois à travers la théorie dite de l’effet atténué de l’ordre public.

1
Le caractère international de la situation peut ainsi résulter de la seule nationalité étrangère de la mère
au jour de la naissance de l’enfant.

442
CHAPITRE 2.
L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE
HABITUELLE DANS LE PROCESSUS D’ÉVICTION
DE LA LOI ÉTRANGÈRE

624. Il est des « droits venus d’ailleurs » qui nous sont simplement étrangers ;
d’autres se trouvent en « opposition stridente avec [les] traditions culturelles ou
[l’]idéologie égalitaire [du droit français] »1. Tel est le cas de la polygamie ou de la
répudiation unilatérale prononcée par le mari. D’ailleurs, même dans certains pays de
conception islamique, ces deux formes d’union et de dissolution du mariage ne sont
plus acceptées de manière inconditionnelle, et des modifications y sont en effet
intervenues afin de rendre l’accès à ces institutions moins fréquent et pour garantir les
intérêts de la femme2. Ainsi, à l’initiative du roi du Maroc, Mohamed VI, une réforme
radicale du Code du statut personnel marocain a été adoptée en février 20043. Le
principe de l’égalité entre l’homme et la femme est pour la première fois consacré4 et, si
ces deux institutions n’ont pas disparu, elles se trouvent désormais étroitement
encadrées. Ainsi, en matière de polygamie, l’institution n’est plus envisagée comme un
droit que le mari exerce contre la volonté de la femme ; elle est soumise à des
conditions strictement définies et à l’autorisation du juge5. Il est par ailleurs envisagé

1
J. CARBONNIER, Droit et passion du droit sous la Ve République : Forum Flammarion, 1998, p. 44 et 45.
2
V. P. G A N N A G É , Le principe d’égalité et le pluralisme des statuts personnels dans les États
multicommunautaires, in L’avenir du droit : Mélanges en hommage à François Terré, Dalloz, PUF, Éd.
du Juris-Classeur, 1999, p. 431 s., spéc. p. 438.
3
Elle est entrée immédiatement en vigueur.
4
La famille est désormais placée sous la « direction des deux époux » (v. l’article 4 du nouveau Code
relatif à la définition du mariage). – Avec la réforme de la Moudawana, le Maroc est le second pays
arabo-musulman à officialiser une égalité entre les hommes et les femmes, après la Tunisie.
5
« La polygamie est interdite lorsqu'une injustice est à craindre entre les épouses » (nouv. art. 40 du Code
de la famille). Le tribunal ne l’autorise que si une « justification objective et exceptionnelle » est établie et
si le mari « dispose de ressources suffisantes pour entretenir les deux familles et garantir tous les droits,
dont la pension alimentaire, le logement et l’égalité dans tous les aspects de la vie » (nouv. art. 41). La
polygamie est strictement encadrée ; elle n’est accordée que de manière très exceptionnelle (v. les
articles 40 à 46 du nouveau Code), ce qui pourrait, dans les faits, la rendre presque impossible. Par
ailleurs, si une seconde union doit être célébrée, « le mariage avec la seconde épouse ne peut être conclu
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

que la femme conditionne son mariage à un engagement de son futur mari de ne pas
prendre d’autres épouses6. Avant de pouvoir se marier, les futurs époux doivent déposer
un dossier de mariage qui fera l’objet d’un contrôle systématique par le juge7. Si la
répudiation n’est pas non plus abolie, elle est désormais assujettie à certaines limites et
n’est plus un droit discrétionnaire du mari, lequel devra s’adresser au tribunal pour
demander l’autorisation de répudier son épouse8 ; le juge devra préalablement constater
que le mari s’est acquitté de tous les droits dus à la femme et aux enfants avant de
l’enregistrer9. Par ailleurs, la femme pourra divorcer plus aisément10. Ces nouvelles
dispositions devraient notamment permettre aux tribunaux français d’appliquer plus
aisément les dispositions de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au
statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire. Pour autant, les
problèmes causés par ces deux institutions, polygamie et répudiation, sont loin d’être
résolus ; en effet, d’autres pays se montrent beaucoup plus stricts sur la question que ne
peuvent l’être par exemple la Tunisie ou le Maroc.

625. Face à la conception patriarcale et inégalitaire du droit de la famille, les


tribunaux n’ont d’autre solution que de se fonder sur la contrariété de la loi étrangère
avec la conception française de l’ordre public. Alors que la doctrine a largement
dénoncé le fait que la théorie de l’effet atténué de l’ordre public est dépassée en raison
de la facilité avec laquelle les situations créées à l’étranger peuvent être importées en

qu’après que le juge l’ait informée que l’époux sollicitant est déjà marié et qu’elle ait donné son
consentement à ce sujet » (nouv. art. 46) – Dans la mesure où le droit français ne permet plus le
regroupement familial polygamique, il est possible que le juge marocain considère que la seconde épouse,
si la première vit en France, ne serait pas traitée comme la seconde et qu’il refuse alors la polygamie.
6
Selon l’article 40 du nouveau Code, la polygamie est interdite « lorsque l’épouse a exigé de son époux
qu’il s’engage à ne pas lui joindre une seconde épouse ». – En l’absence de cet engagement, la première
femme doit être avisée que son mari projette de prendre une deuxième épouse (v. le nouv. art. 43). De
plus, si l’épouse refuse le remariage de son conjoint, alors que le tribunal a autorisé celui-ci à prendre une
seconde épouse, elle peut désormais invoquer le mariage du mari pour demander le divorce pour
préjudice subi (v. le nouv. art. 45 in fine et les art. 99 s.).
7
Sur le « dossier de l’acte de mariage », v. les articles 65-69 de la nouvelle Moudawana. – Des
juridictions spécialisées, les «!tribunaux de la famille!», ont été créés.
8
La répudiation doit être précédée d’une autorisation du tribunal (nouv. art. 79), et celui-ci doit procéder
à une « tentative de réconciliation » (nouv. art. 81 s.).
9
V. les articles 83 s. du nouveau Code.
10
V. les nouv. art. 98 s. Un « divorce consensuel » est introduit (nouv. art. 114), permettant un divorce
par consentement mutuel. Les conditions du Khol’ qui permet à la femme de convenir avec son mari de la
répudier moyennant une compensation financière, sont modifiées : le juge peut intervenir et fixer la
compensation (nouv. art. 115 s.).

444
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

France11, cette conception de l’ordre public a parfois été retenue en matière de


polygamie et de répudiation – conception particulièrement inappropriée puisqu’il suffit
souvent de quelques heures passées dans son pays d’origine pour contracter une
seconde union ou faire constater un acte de répudiation. Désormais, le droit français
semble lui préférer un autre fondement, au moins en matière de répudiation :
l’institution serait contraire à l’ordre public et ne pourrait produire d’effets en France
car elle ne répondrait pas aux exigences de la Convention européenne des droits de
l'homme, en particulier à celle relative au principe d’égalité entre époux garanti par ce
texte. On verra que cette solution n’est pas dénuée d’ambiguïté et peut même paraître
contestable sur certains points, alors que l’on pourrait, semble-t-il, tout à fait retenir une
conception de l’ordre public fondée sur la proximité territoriale entretenue avec le for.
On pourrait en effet admettre « le même jeu de l’ordre public, que la situation soit
constituée dans ou hors du territoire du for, dès lors que cette situation présente des
liens étroits avec la France »12. Le fait que les intéressés aient leur résidence habituelle
en France devrait constituer un lien suffisant pour déclencher le mécanisme d’éviction
que constitue l’ordre public, que ce soit en matière de polygamie (Section 1.) ou en
matière de répudiation (Section 2.).

SECTION 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE FOR POUR ÉCARTER

UNE SECONDE UNION CONTRACTÉE À L’ÉTRANGER

626. Les conditions de fond du mariage sont soumises à la loi nationale de


chacun des futurs époux13. Il résulte des dispositions de l’article 147 du Code civil14 que
le droit français interdit la polygamie : un Français ne peut se marier une seconde fois,
tant que le premier mariage n’est pas dissous ; il ne peut pas non plus épouser une

11
V. J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les
relations entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel :
RCADI 1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 160. Sur la question de l’effet atténué de l’ordre public, cf. supra
n° 592.
12
H. GAUDEMET-TALLON, La désunion du couple en droit international privé : RCADI 1961-I, t. 226,
p. 9 s., spéc. p. 271.
13
La solution se fonde sur les articles 3, alinéa 3, et 170 du Code civil.
14
Selon l’article, « On ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier ».

445
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

personne déjà engagée dans les liens du mariage, quel que soit le lieu de célébration de
l’union. Par ailleurs, l’article 147 du Code civil empêche également la célébration de
tout mariage polygamique en France, alors même que la loi personnelle de chaque
époux le permettrait. En revanche, en application de la théorie de l’effet atténué de
l’ordre public, on reconnaît en France la validité du second mariage valablement
constitué à l’étranger, i.e. conformément à la loi nationale des deux époux et dans un
pays qui admet la polygamie. On doit alors logiquement considérer que si un tel
mariage peut être considéré comme valide, il peut produire ses effets en France.
Pourtant, c’est sur le terrain des effets que la jurisprudence s’est placée pour considérer
que certains sont conformes à l’ordre public international, alors que d’autres, considérés
comme inacceptables, ne le sont pas15. C’est en effet au cas par cas que la jurisprudence
a procédé16.

627. Ainsi, dans l’affaire Chemouni17, la seconde épouse d’un israélite tunisien
s’est vue « reconnaître en France une créance alimentaire découlant de sa qualité
d’épouse légitime, qualité acquise sans fraude, en Tunisie, en conformité de sa loi
nationale compétente ». Dans l’arrêt Bendeddouche18, la Cour de cassation a admis que
la seconde épouse peut invoquer, au même titre que la première, les droits successoraux
reconnus au conjoint survivant ; la cour d'appel de Paris19 a adopté la même solution
alors que la première épouse était française. La part de la seconde épouse dans la

15
V., sur l’ensemble de la question, I. FADLALLAH : Rép. intern. Dalloz, V° Polygamie, 1998, n° 28 s.
16
La jurisprudence évoque clairement « certains effets » qui peuvent ou ne peuvent être reconnus à une
deuxième union (v., par exemple, 21 juin 1991 : D. 1991. IR. 218 ; Paris, 14 juin 1995 : D. 1996. 156,
note F. Boulanger.
17
Civ. 1re, 28 janv. 1958, Chemouni (1er arrêt) : Rev. crit. 1958. 110, note Jambu-Merlin ; JDI 1958. 776,
note Ponsard ; D. 1958. 265, note Lenoan ; JCP 1958. II. 10488, note Louis-Lucas ; B. ANCEL et
Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll.
Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 30-31.
18
Civ. 1re, 3 janv. 1980, Dame Bendeddouche c/ Dame Boumaza : Rev. crit. 1980. 331, note H. Batiffol ;
JDI 1980. 327, note M. Simon-Depitre ; D. 1980. 549, note É. Poisson-Drocourt ; B. A NCEL et
Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll.
Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 61. Selon la Cour, « le second conjoint et ses enfants légitimes peuvent
prétendre, en ces qualités, concurremment avec le premier conjoint et ses propres enfants, exercer les
doits reconnus par la loi successorale française, soit au conjoint, soit aux enfants légitimes ».
19
Paris, 8 nov. 1983 : Rev. crit. 1984. 477, note Y. Lequette ; Defrénois 1984, art. 33284, p. 570, note
M. Revillard. Dans cet arrêt, il est précisé que l’épouse survivante d’un conjoint polygame est susceptible
d’exercer les droits successoraux reconnus par le droit français, même si « sa loi personnelle, ou son
régime matrimonial, ne lui confère pas de droits semblables ». L’arrêt indique également que l’ordre
public « ne met pas obstacle à l’efficacité en France du mariage polygamique célébré hors de France
conformément à son statut personnel par un étranger par ailleurs déjà marié à une Française ».

446
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

communauté fut également admise20. En revanche, en matière de sécurité sociale, les


assurances maladie et maternité ne sont accordées qu’à la première épouse qui en
demande le bénéfice21 ; lorsque l’épouse bénéficiaire ne réside plus en France, l’autre
épouse peut obtenir les prestations visées22. On doit noter que ces litiges liés au
versement de prestations sociales ne concernent plus que les épouses qui se sont établies
au titre du regroupement familial avant la loi du 24 août 1993 puisque, depuis cette date,
le regroupement familial polygamique n’est plus autorisé23. Dans le premier arrêt
Baaziz de 198224, la Cour de cassation a estimé que la conception française de l’ordre
public s’opposait à ce que le nom des deux épouses puisse être inscrit sur l’acte de
décès du mari polygame. L’obligation de cohabitation avec une seconde épouse a
également été déclarée contraire à la conception française de l’ordre public25. La
jurisprudence a, par ailleurs, eu à se prononcer à diverses reprises sur une demande en
divorce introduite par la première épouse d’un étranger polygame du seul fait de son
remariage. S’il ne s’agit pas exactement des effets de la polygamie en tant que tels sur le
second mariage, mais des conséquences que celui-ci peut avoir sur une action en
divorce, là encore les solutions divergent26.

20
Toulouse, 22 mars 1982 : RTD civ. 1983. 330, obs. J. Rubellin-Devichi et R. Nerson ; JCP 1984. II.
20185, note F. Boulanger.
21
Soc., 1er mars 1973 : Rev. crit. 1975. 54, note P. Graulich. La Cour de cassation a refusé à la seconde
épouse d’un Algérien la qualité d’ayant droit et le bénéfice des prestations d’assurance maladie et de
maternité car la loi française, n’admettant pas la polygamie, ne peut connaître qu’une seule épouse ; la
première avait déjà perçu de telles prestations.
22
Soc., 8 mars 1990 : Rev. crit. 1991. 694, note J. Déprez.
23
On peut également indiquer que le Conseil d’État avait considéré, dans un arrêt de 1980 (CE, 11 juill.
1980, Montcho : Rev. crit. 1981. 658, note J.-M. Bischoff), qu’un préfet ne pouvait refuser la délivrance
d’un titre de séjour à la seconde épouse d’un étranger polygame en invoquant que la présence en France
de cette épouse « est contraire, du seul fait de la polygamie, à l’ordre public ».
24
Civ. 1re, 17 févr. 1982 : Rev. crit. 1983. 275, note Y. Lequette ; JDI 1983. 606, obs. P. Kahn.
25
TGI Versailles, 31 mars 1965 : JDI 1966. 97, note A. Ponsard ; Gaz. Pal. 1965. 2. 278. V. G. LÉGIER,
Les rapports familiaux et l’ordre public au sens du droit international privé : RRJ 1999/2. 293 s., spéc.
306-307.
26
Dans une hypothèse où le second mariage avait été contracté en Algérie, le divorce fut accordé à la
première femme française qui « établie en France depuis son enfance, y épousant un Algérien, lui même
établi en France, était fondée à considérer cette union comme régie par la loi française » ; le second
mariage « constitue une injure », cause de divorce (TGI Versailles, 31 mars 1965 : JDI 1966. 97, note
A. Ponsard ; Gaz. Pal. 1965. 2. 278) ; il le fut également dans un cas où le mari et ses deux épouses
étaient domiciliées en France (Paris, 23 févr. 1987 : D. 1987. Somm. 349, obs. B. Audit). En des termes
plus généraux, le tribunal de grande instance de Orléans (17 mai 1984 : Rev. crit. 1986. 307, note
F. Monéger) considéra que constituaient une injure grave pour la femme les deux remariages de son
conjoint qui « en l’état actuel des mœurs et de la conception française de l’ordre public international sont
manifestement incompatibles avec la reconnaissance de la polygamie ; […] par ailleurs, l’égalité entre les
hommes et les femmes est un principe constitutionnel qui fait partie de l’ordre public français, […] dans
ces conditions, il convient d’écarter la convention [franco-marocaine] sur ce point et de constater que les
faits ainsi établis constituent bien des injures qui sont une violation grave des devoirs et obligations

447
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

628. D’autres exemples pourraient être fournis. Aussi la doctrine est-elle


unanime pour considérer que cet inventaire « à la Prévert »27 dégage une certaine
contradiction : ou bien la polygamie est reconnue et produit des effets qui doivent être
acceptés, ou bien elle est considérée comme non valide et ne peut en produire aucun.
C’est déjà la distinction qui est introduite entre la validité du second mariage et les
effets de la polygamie qui est, dans son principe même, décriée par les auteurs. Mais les
critiques portent également sur le choix des effets considérés comme contraires ou pas à
l’ordre public international. Ainsi, lorsque la jurisprudence décide que les prestations
sociales ne peuvent être versées aux deux épouses au nom de la conception française de
l’ordre public international, cette interprétation est assez difficile à assimiler lorsque
l’on sait que le droit français admet que les assurances sociales peuvent bénéficier en
même temps à un conjoint et à une personne vivant maritalement avec l’assuré social si
celle-ci se trouve à sa charge effective totale et permanente28. Il est également difficile
de soutenir que la loi étrangère heurte le système juridique français dès lors que celui-ci
envisage la possibilité que l’assuré ait deux ayants droits29. Enfin, il est curieux que le
droit s’oppose, par exemple, à l’inscription du nom de deux épouses sur un acte de
décès tout en reconnaissant que les deux épouses d’un polygame peuvent prétendre à
des droits sur sa succession30.

629. La théorie de l’ordre public atténué qui conduit à la reconnaissance des


seconds mariages n’est donc pas vraiment adaptée ; la jurisprudence relative aux effets
de la polygamie ne l’est assurément pas non plus. Un certain nombre de solutions
tendant à une redéfinition de la règle de conflit ont été proposées par la doctrine31. La
première proposition, la plus radicale, serait de modifier le principe du rattachement à la
loi nationale en matière de statut personnel et de lui substituer purement et simplement

résultant du mariage et rendent intolérable le maintien de la vie commune ». – Cependant, une autre
demande en divorce a été rejetée au motif que « la conception française de l’ordre public ne s’oppose pas
à la reconnaissance en France d’un statut personnel autorisant la bigamie, commun aux deux époux
concernés » (Paris, 5 avr. 1990 : D. 1990. 424, note F. Boulanger) ; en l’espèce, la seconde épouse
demandait le divorce et la première était restée au Maroc.
27
Selon l’expression de M. Bischoff (Le mariage polygamique en droit international privé : TCFDIP
1980-1981, t. 2, p. 91 s., spéc. p. 99.
28
Article L. 161-14 du Code de la sécurité sociale. – V., par exemple, pour les critiques de la doctrine,
J. DÉPREZ , note sous Soc., 8 mars 1990 : Rev. crit. 1991. 694 ; Y. LEQUETTE , note sous Paris 8 nov.
1983 : Rev. crit. 1984. 476, spéc. 480.
29
Même l’assurance maternité peut être versée à la fois à la femme et à la concubine de l’assuré.
30
V. Y. LEQUETTE, note sous Civ. 1re, 17 févr. 1982 : Rev. crit. 1983. 275 s., spéc. 280-281.

448
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

un critère de rattachement territorial32. Il serait également possible de permettre aux


époux d’opter entre leur loi nationale et la loi de leur résidence habituelle en matière de
statut personnel33. D’autres auteurs ont estimé que l’on pouvait apprécier la validité du
second mariage en faisant intervenir une troisième loi : « leur idée commune est que si
le premier mariage est monogame, on doit puiser dans ce caractère un empêchement au
second mariage »34. Cette loi pourrait être la loi personnelle de la première épouse :
M. Lequette35 a ainsi proposé que la validité du second mariage soit subordonnée à une
application cumulative des lois nationales de toutes les parties ; si la première épouse
est de statut monogamique, un second mariage ne peut alors valablement être célébré,
même à l'étranger36. Elle pourrait également être la loi des effets du premier mariage37
ou celle de son lieu de célébration38. Mme Bourdelois a, quant à elle, proposé de tenir

31
Ces diverses propositions ont été reprises par N. Joubert, La notion de liens suffisants avec l’ordre
juridique (Inlandsbeziehung) en droit international privé : Thèse Paris I, 2002, p. 200 s.
32
V., par exemple, J. DÉPREZ, note sous Soc., 8 mars 1990 : Rev. crit. 1991. 695 s., spéc. 711. – On a vu
que le changement de la loi applicable pourrait intervenir au profit de la loi de la résidence habituelle au-
delà d’un certain laps de temps (sur ce point, cf. supra 2e partie, titre 1, chapitre 2). Cette proposition n’a,
semble-t-il, pas été formulée, mais on verra que si le changement de la loi applicable ne résout certes pas
toutes les difficultés liées à la question de la polygamie, elle pourrait être utilement combinée avec le
mécanisme d’éviction que constitue l’ordre public, en particulier de proximité.
33
V. J.-Y. CARLIER , Autonomie de la volonté et statut personnel : Bruylant, 1992, spéc. n° 328 s. Cf.
supra n° 540.
34
H. GAUDEMET-TALLON, La désunion du couple en droit international privé : RCADI 1961-I, t. 226,
p. 9 s., spéc. p. 233.
35
Y. LEQUETTE, note sous Civ. 1re, 6 juill. 1988 : Rev. crit. 1989. 71 s., spéc. 78. Selon l’auteur, la règle
de conflit de lois peut être réaménagée par la soumission de la validité du second mariage à la fois à la loi
nationale du mari et de sa seconde épouse, mais également à la loi nationale de la première :
l’empêchement serait non plus « bilatéral mais trilatéral » ; la validité de l’union polygamique serait
« subordonnée à son admission par la loi personnelle de tous les intéressés ». – Mme Gaudemet-Tallon
adhère à cette analyse (La désunion du couple en droit international privé : RCADI 1961-I, t. 226, p. 9 s.,
spéc. p. 234). – On peut noter que le droit anglais est, pendant un temps, allé jusqu’à interdire les
mariages « potentiellement polygamiques », i.e. entre une Anglaise et une personne célibataire dont le
statut personnel autorise la polygamie (v. J.-M. BISCHOFF, Le mariage polygamique en droit international
privé : TCFDIP 1980-1981, t. 2, p. 91 s., spéc. p. 93).
36
Cependant, cela n’empêcherait pas l’époux de statut personnel polygamique de contracter un second
mariage à l’étranger si sa première épouse est également de statut personnel polygamique ; elle ne sera
pas protégée contre la seconde union, même si elle est établie en France et intégrée dans le milieu culturel
français.
37
V. I. FADLALLAH, La famille légitime en droit international privé : Dalloz, Bibliothèque de droit privé,
vol. XXIII, 1977, spéc. n° 198. Il serait possible de « puiser dans les effets d’un premier mariage
monogamique un empêchement à un second mariage », mais l’auteur a souligné (Rép. intern. Dalloz,
V° Polygamie, 1998, n° 20) que le droit positif actuel était réfractaire à une extension de la loi des effets
du premier mariage. – Cette solution ne permettrait pas d’atteindre le résultat recherché si la loi nationale
commune, ou celle du domicile commun si les époux ne sont pas de même nationalité, qui se trouve
applicable est celle d’un État qui admet la polygamie.
38
J.-M. BISCHOFF , Le mariage polygamique en droit international privé : TCFDIP 1980-1981, t. 2,
p. 91 s., spéc. p. 96. Ainsi, lorsque les époux se marieraient dans un pays qui interdit la polygamie, tout
mariage ultérieur avant dissolution du premier serait impossible car les époux auraient fait un mariage
monogamique (quand bien même la loi personnelle des époux admettrait une telle union). Mais la
doctrine n’est pas très favorable à un tel rattachement, notamment en ce que le lieu de célébration du

449
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

compte de la volonté des époux dans la détermination de la loi applicable au mariage


polygamique39.

630. Aucune de ces propositions n’a définitivement convaincu. Si une


redéfinition de la règle de conflit semble écartée, que la théorie classique de l’ordre
public international n’apporte pas de solutions toujours adéquates, il reste à envisager
les liens de proximité que la situation peut présenter avec l’ordre juridique français.
C’est ainsi que la Cour de cassation a considéré, dans le second arrêt Baaziz40, que la
conception française de l’ordre public international « s’oppose à ce que le mariage
polygamique contracté à l’étranger par celui qui est encore l’époux d’une Française
produise ses effets à l’encontre de celle-ci ». En l’espèce, M. Baaziz est décédé d’un
accident du travail et la cour d'appel a accordé la rente du conjoint survivant à ses deux
épouses, à parts égales, en application de la convention franco-algérienne de 1965 sur la
sécurité sociale41, mais sa décision a été censurée par la Cour de cassation. Le tribunal
saisi doit donc désormais, non seulement déterminer quels sont les effets qui doivent
être interprétés comme contraires à la conception française de l’ordre public, mais
également tenir compte du fait que la première épouse est française et voir si les effets
du remariage se produisent à son encontre. Comme l’a souligné le commentateur de
l’arrêt42, il existerait une contrariété à l’ordre public dès lors que l’attribution d’un droit
au second conjoint implique une diminution de celui alloué au premier. Par exemple, on
ne pourrait considérer qu’il y a une diminution des droits de la première épouse lorsque
la seconde a droit à une pension alimentaire ; de fait, la pension ne pèse pas directement
sur la première épouse, mais, « diminuant les ressources du mari, elle lui préjudicie
malgré tout indirectement ». Finalement, le seul effet qui ne soulèverait vraiment
aucune difficulté serait le droit au versement de prestations sociales ; or, on le sait43,

mariage pourrait ne présenter qu’un lien accidentel avec le mariage (v. les débats qui ont suivi
l’intervention précitée).
39
B. BOURDELOIS, Le mariage polygamique en droit international privé français : Thèse Paris II, 1991,
citée, notamment, par M. Lagarde (La théorie de l’ordre public international face à la polygamie et à la
répudiation. L’expérience française, in Nouveaux itinéraires en droit : Hommage à François Rigaux,
Bruxelles, 1993, p. 263 s., spéc. p. 275) qui résume l’analyse de l’auteur et sa formulation de la règle de
conflit « à plusieurs étages ».
40
Civ. 1re, 6 juill. 1988 : Rev. crit. 1989. 71, note Y. Lequette.
41
Selon son article 29, « en cas d’accident du travail suivi de mort et si, conformément à son statut civil,
la victime avait plusieurs épouses, la rente due au conjoint survivant est répartie également et
définitivement aux épouses ».
42
Y. LEQUETTE, note sous Civ. 1re, 6 juill. 1988 : Rev. crit. 1989. 71 s., spéc. 79-80.
43
Cf. supra n° 667.

450
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

elles sont justement refusées à deux épouses simultanément. Par ailleurs, on doit
souligner que l’arrêt Baaziz a également été critiqué par M. Lequette en ce que la Cour
de cassation a finalement écarté, au nom de l’ordre public international, « non une
disposition substantielle étrangère désignée par une règle de conflit d’origine
conventionnelle mais une règle matérielle française spécialement élaborée par voie
conventionnelle »44.

631. Cette solution de l’arrêt Baaziz, en dehors du fait qu’elle peut sembler
contestable sur certains points, ne suffit pas pour résoudre les problèmes de polygamie.
Qu’en est-il si la première épouse n’est pas française, mais de statut monogamique ?
D’ailleurs, même si elle est de statut personnel polygamique, dans la mesure où le
second mariage la place dans une situation inégalitaire face à son mari, où la
concurrence d’une seconde épouse lui est imposée, n’a-t-elle pas également droit à une
protection si elle est intégrée dans la société française ? Si l’on souhaite écarter le
second mariage au nom de la conception française de l’ordre public international – et
non seulement certains de ses effets – en se fondant sur la proximité que la situation
juridique entretient avec le for, il convient de déterminer quels sont les liens avec
l’ordre juridique du for, avec le territoire français, qui pourraient être tenus comme
suffisants pour constituer le seuil de tolérance du droit français à l’égard d’une
institution qui le heurte. La nationalité française de la première épouse ou le fait que,
quel que soit son statut personnel, monogamique ou polygamique, elle soit établie de
manière stable en France, que le couple s’y est marié et qu’il y a établi sa résidence
habituelle, sont des liens qui tous révèlent une proximité suffisante avec l’ordre
juridique français pour qu’un second mariage soit considéré comme contraire à la
conception française de l’ordre public international. Dans ces situations, il serait tout à
fait possible de refuser de reconnaître des unions polygamiques, « même célébrées à
l’étranger, dès lors que certaines personnes qui y sont impliquées avaient à l’époque où
elles ont été contractées, des liens étroits avec la France », quand bien même ce refus

44
Y. LEQUETTE, note sous Civ. 1re, 6 juill. 1988 : Rev. crit. 1989. 71 s., spéc. 76. L’auteur dénonce (op.
cit., p. 77) cette analyse de la Cour de cassation qui évince au nom de l’ordre public français « une règle
dont l’origine, bien loin de lui retirer son caractère français, lui confère au contraire une place de premier
plan dans la hiérarchie de nos normes ». Cette solution est d’autant plus regrettable que « le concours sur
une même pension de plusieurs épouses n’est nullement inconnu du droit interne français ».

451
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

donnerait lieu à des « situations boiteuses »45. M. Déprez46 a ainsi proposé de


reconnaître pleinement les situations de polygamie « créées à l’étranger avant
l’établissement de l’étranger en France et de tenir inopposables celles qui seraient
constituées alors que l’étranger est déjà établi en France avec sa famille »47. Le fait que
les étrangers soient installés en France, qu’ils y aient leur résidence habituelle, implique
une intégration minimum des étrangers dans ce pays, une adhésion à ses valeurs, et
constituerait alors un obstacle à toute nouvelle célébration d’un mariage qui pourrait
être considéré comme non valide car contraire à la conception française de l’ordre
public international. Par ailleurs, l’impossibilité pour les étrangers polygames établis en
France « d’y faire reconnaître toute légitimité matrimoniale au-delà de la première
union aurait un effet dissuasif certain »48 : si leur mariage n’est pas reconnu en France,
lieu de vie ordinaire dans lequel ils sont établis, on voit difficilement pourquoi les
étrangers de statut personnel polygamique installés en France iraient dans leur pays
pour qu’y soit célébrée une seconde union49. Il est vrai que, le droit français n’admettant
plus le regroupement familial que pour une seule épouse depuis la loi du 24 août 1993,
de telles situations se sont déjà raréfiées. M. Lagarde50 avait d’ailleurs envisagé que le
droit français puisse exiger des étrangers qui demandent un droit au séjour en France
qu’ils renoncent à leur statut polygamique51 ; l’auteur avait estimé qu’une telle
réglementation aurait pour conséquence d’exclure le regroupement familial

45
B. ANCEL et Y. L EQUETTE , Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international
privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 30-31, § 6.
46
J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations
entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI
1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 166.
47
Comme le souligne l’auteur (op. et loc. cit.), de telles solutions auraient notamment pour avantage de
rendre dissuasive la pratique qui consiste à contracter un second mariage à l’occasion d’un passage dans
le pays d’origine.
48
J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations
entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI
1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 165.
49
En ce qui concerne les Marocains, on a vu (cf. supra n° 624) qu’avec la réforme de la Moudawana, la
polygamie était désormais strictement encadrée et ne pouvait être autorisée que si la deuxième épouse et
ses enfants sont traités sur un pied d’égalité avec la première, si leur sont garanties les mêmes conditions
de vie ; il est possible de considérer que le juge estimera que de telles conditions ne peuvent être remplies
si la seconde épouse ne peut venir s’installer en France.
50
P. LAGARDE , La théorie de l’ordre public international face à la polygamie et à la répudiation.
L’expérience française, in Nouveaux itinéraires en droit : Hommage à François Rigaux, Bruxelles, 1993,
p. 263 s., spéc. p. 280-281.
51
L’auteur souligne que « cette exigence ne heurterait pas leur statut personnel, car une telle faculté de
renonciation est prévue par de nombreuses législations » (P. LAGARDE , La théorie de l’ordre public
international face à la polygamie et à la répudiation. L’expérience française, in Nouveaux itinéraires en
droit : Hommage à François Rigaux, Bruxelles, 1993, p. 263 s., spéc. p. 280).

452
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

polygamique. Or, dans la mesure où le droit français prévoit une telle interdiction, rien
ne semble alors s’opposer à ce que soit introduite dans la législation française cette
obligation de renoncer à un second mariage lorsque l’étranger s’installe en France,
quelles que soient la nationalité et la loi personnelle de son épouse. Cette solution est
tout à fait envisageable, même si elle diffère dans le recours à la méthode utilisée,
laquelle ne correspond plus à celle de l’ordre public international. Enfin, il est important
de préciser que, dans l’hypothèse où le second mariage serait déclaré non valide sur le
fondement de l’ordre public international, l’institution du mariage putatif permet de
sauvegarder les intérêts de la seconde épouse et des enfants issus de cette union52.

SECTION 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, LIEN SUFFISANT AVEC LE FOR POUR

CONSTITUER UN OBSTACLE À LA RÉPUDIATION

632. Il ne peut s’agir dans ce développement que de la question de la


reconnaissance d’une répudiation prononcée à l’étranger. Le droit français s’oppose en
effet au prononcé d’une répudiation par les juridictions françaises dans la mesure où
cette dissolution du lien matrimonial, en ce qu’elle a de profondément inégalitaire entre
l’homme et la femme, ne peut que heurter la conception française de l’ordre public
international53. S’il paraît inutile de reprendre tous les arrêts relatifs à l’évolution de la
jurisprudence française relative aux répudiations54, il convient malgré tout de signaler
les plus marquants afin de mettre en évidence les difficultés posées par l’institution et
de souligner les hésitations jurisprudentielles qui en ont résulté (§ 1.), avant d’analyser

52
V. sur l’ensemble de la question N. JOUBERT , La notion de liens suffisants avec l’ordre juridique
(Inlandsbeziehung) en droit international privé : Thèse Paris I, 2002, p. 209-210. V. également
Y. LEQUETTE, note sous Civ. 1re, 6 juill. 1988 : Rev. crit. 1989. 71 s., spéc. 80-81.
53
V. P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé : Montchrestien, Coll. Domat, droit privé, 7e éd.,
2001, n° 587. Par ailleurs, aucune répudiation prononcée en France par une autorité religieuse ou
consulaire n’a de valeur au regard du droit français : la dissolution du lien conjugal ne peut résulter que
d’une décision judiciaire (v., par exemple, D. ALEXANDRE , La protection de l’épouse contre la
répudiation, in Le droit de la famille à l’épreuve des migrations transnationales : Colloque du
Laboratoire d’études et de recherches appliquées au droit privé, Université de Lille II, L.G.D.J., 1993,
p. 125 s., spéc. p. 126).
54
V. H. GAUDEMET-TALLON, Divorce : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 547-30, 1996, n° 86 s. et les références
citées par l’auteur qui retrace cette évolution jurisprudentielle.

453
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

dans quelle mesure le recours à un ordre public de proximité pourrait apporter un


certain nombre de solutions plus nuancées (§ 2.).

§ 1. Les hésitations jurisprudentielles face à la répudiation

633. C’est d’abord en se plaçant sur le terrain de l’ordre public atténué que la
jurisprudence française s’est fondée pour reconnaître un certain nombre de décisions de
répudiation prononcées à l’étranger, sous réserve que certaines conditions se trouvent
remplies (A.). Aujourd’hui se dessine nettement une nouvelle tendance
jurisprudentielle : c’est en se référant aux droits de l’homme et au principe d’égalité
entre les époux que la répudiation peut être déclarée contraire à l’ordre public
international (B.).

A. La reconnaissance des répudiations en application de la théorie de l’ordre


public atténué

634. Les répudiations étrangères ont été largement admises en France dans les
années soixante-dix et quatre-vingt en application de la théorie de l’ordre public
atténué55. Néanmoins, cette conception de la relativité de l’ordre public a également
révélé ses insuffisances, la Cour de cassation se trouvant finalement « quelque peu
prisonnière du schéma de raisonnement de l’effet atténué de l’ordre public »56.

635. La Cour de cassation a ainsi admis en 1979, dans l’arrêt Dahar57, que le
droit français ne s’opposait pas à la reconnaissance d’une répudiation dès lors que
chaque partie avait pu faire valoir ses prétentions et ses défenses58. Cette exigence de
garantie procédurale (même purement formelle puisque ni la femme, ni même le juge,

55
V., par exemple, M. Kahn (note sous Civ. 1re, 11 mars 1997 : JDI. 1998. 110 s. spéc. 112) qui évoque la
phase libérale, « sinon laxiste », de la jurisprudence et l’effet « très atténué » de l’ordre public.
56
P. LAGARDE , La théorie de l’ordre public international face à la polygamie et à la répudiation.
L’expérience française, in Nouveaux itinéraires en droit : Hommage à François Rigaux, Bruxelles, 1993,
p. 263 s., spéc. p. 269.
57
Civ. 1re, 18 déc. 1979, Dahar c/ dame Benmaghni : D. 1980. 549, note É. Poisson-Drocourt ; JDI 1981.
597, note P. Kahn ; Rev. crit. 1981. 88 (2e esp.) ; v. également la chronique de M. Fadlallah, Vers la
reconnaissance de la répudiation musulmane par le juge français ? : Rev. crit. 1981. 17 s., spéc. 26-27.
58
Selon la Cour, « l'acte de répudiation reçu [par la juridiction algérienne] a ouvert une procédure à la
faveur de laquelle chaque partie a fait valoir ses prétentions et ses défenses ; [que] dès lors, la procédure
incriminée n'est pas contraire à la conception française de l'ordre public international ».

454
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

n’ont le pouvoir d’empêcher la répudiation59) n’est plus exigée par la Cour de cassation
dans l’arrêt Rohbi de 198360 : la répudiation est « un mode de dissolution du mariage
laissé à la discrétion du mari, […] tempéré par les garanties pécuniaires qu’il assure à la
femme ». Par cet arrêt, fit remarquer M. Fadlallah61, « la Cour de cassation vient de
franchir un pas décisif vers la reconnaissance inconditionnelle de la répudiation
musulmane ». Cette position libérale s’est confirmée par la suite, alors même que
l’épouse avait pu, par exemple, engager une instance en divorce ou en contribution aux
charges du mariage contre son mari avant que n’intervienne l’acte de répudiation62.

636. Face à ces « divorces migratoires »63, la jurisprudence commença à marquer


quelques réticences pour admettre les répudiations. Dans l’arrêt Akla de 199064, la Cour
de cassation invoqua la fraude : lorsque le tribunal étranger n’est saisi que pour faire
échec à une décision française déjà rendue ou qui doit l’être, il y a une « fraude au
jugement » et la décision étrangère ne peut produire d’effets en France65. Dans ce même

59
V. I. FADLALLAH, Vers la reconnaissance de la répudiation musulmane par le juge français ? : Rev.
crit. 1981. 17 s., spéc. 27.
60
Civ. 1re, 3 nov. 1983, Rohbi c/ Mme Kharkouch : Rev. crit. 1984. 325 (1re esp.), note I. Fadlallah ; JDI
1984. 329, note P. Kahn ; JCP 1984. II. 20131, concl. Gulphe.
61
I. FADLALLAH , note sous Civ. 1re, 3 nov. 1983, Rohbi c/ Mme Kharkouch : Rev. crit. 1984. 325 (1re
esp.), spéc. 331.
62
C’est en effet souvent au cours de l’instance intentée en France que les femmes apprenaient qu’elles
avaient été répudiées. – V Civ. 1re, 6 juill. 1988 : Rev. crit. 1989. 733 (2e esp.), note M.-L. Niboyet-
Hoegy ; JDI 1989. 63, note F. Monéger.
63
La formule est fréquemment reprise, v., par exemple, B. Audit, obs. sous Paris 15 mars 1990 : D. 1990.
Somm. 263.
64
Civ. 1re, 6 juin 1990 : D. 1990. Somm. 263, obs. B. Audit ; Rev. crit. 1991. 593 (1 re esp.), note
P. Courbe.
65
La cour d'appel aurait dû rechercher si la saisine du tribunal étranger qui avait homologué l’acte de
répudiation n’avait pas été faite « dans le seul but d’échapper aux conséquences du jugement français ».
– Avant l’arrêt Akla (précité), la Cour de cassation s’était déjà fondée sur la fraude. V., par exemple,
Civ. 1re, 1er mars 1988 : Rev. crit. 1989. 721, note A. Sinay-Citermann ; D. 1988. 486, note J. Massip. Le
mari avait été condamné en contribution aux charges du mariage ; il avait ensuite répudié sa femme et
demandait une main-levée des saisies-arrêts qui avaient été ordonnées ; la cour d'appel fit droit à sa
demande. La Cour de cassation reprocha à la cour d'appel de n’avoir pas recherché si « le choix de la
juridiction algérienne n'avait pas été frauduleux et n'avait pas été fait dans le seul but d'échapper aux
conséquences du jugement français »). V., pour d’autres décisions qui se sont référées à la notion de
fraude, les références citées par Mme Gaudemet-Tallon, Divorce : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 547-30,
1996, n° 108. – La doctrine a maintes fois souligné les multiples difficultés posées par un recours à la
fraude ; son particularisme en matière de répudiation vient, selon Mme Niboyet (note sous Civ. 1re, 8 déc.
1987 et 6 juill. 1988 : Rev. crit. 1989. 733, spéc. 738-739) « de ce que la décision obtenue émane d’une
autorité normalement compétente […] et qu’elle fait application de la loi normalement compétente » ;
« cette fraude – lorsqu’elle est ainsi détachée de toute source d’irrégularité – est assez insaisissable ». V.
sur l’ensemble de la question J. DÉPREZ, note sous Civ. 1re, 4 mai 1994 et 1er juin 1994 : Rev. crit. 1995.
103, spéc. 109 s.

455
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

arrêt, reprenant la motivation de l’arrêt Dahar66, la Cour exigea à nouveau un respect


des droits de la défense67. Après cet ordre public qualifié de « procédural », on se référa
ensuite à un ordre public dit « alimentaire » : la répudiation est inopposable en France
en l’absence de garanties pécuniaires pour la femme68. Face à ce durcissement de la
jurisprudence envers cette institution, on s’est demandé si l’on ne s’acheminait pas
« vers la fin de la reconnaissance des répudiations musulmanes »69. L’hostilité de la
jurisprudence envers la répudiation devait se poursuivre, mais avec une nouvelle
motivation, fondée sur le principe d’égalité entre époux.

B. Le refus de reconnaître les répudiations par la référence à un ordre public


fondé sur le respect du principe d’une égalité entre époux

637. Par différents arrêts successifs70, la Cour de cassation a considéré qu’une


répudiation était contraire à l’ordre public international car contraire à « l’égalité des
droits et responsabilités des époux lors de la dissolution du mariage », garantie par
l’article 5 du protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l'homme71. Alors
que le recours à la Convention européenne des droits de l'homme ne se révélait pourtant

66
Civ. 1re, 18 déc. 1979, Dahar c/ dame Benmaghni : D. 1980. 549, note É. Poisson-Drocourt ; JDI 1981.
597, note P. Kahn ; Rev. crit. 1981. 88 (2e esp.) ; v. également la chronique de M. Fadlallah, Vers la
reconnaissance de la répudiation musulmane par le juge français ? : Rev. crit. 1981. 17 s., spéc. 26-27.
67
La Cour reprocha à la cour d'appel de n’avoir pas recherché si la procédure suivie à l’étranger
« permettait à chaque partie de faire valoir ses prétentions ou ses défenses ».
68
Un certain nombre de répudiations furent écartées sur ce motif. V, par exemple, TGI, 9 oct. 1989 : D.
1990. Somm. 99, obs. J.-P. Groslière. La Cour considéra qu’une répudiation est inopposable comme
heurtant l’ordre public français, dès lors que le montant dérisoire des sommes allouées […] ne peut en
aucune façon constituer des garanties sérieuses, cette situation ayant pour effet d’obliger les organismes
sociaux français à se substituer à la carence du père qui, pourtant, exerce une profession ». La
compensation financière accordée à la femme ne peut en aucun cas être assimilée à une prestation
compensatoire (v. J. DÉ P R E Z , Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects
méthodologiques. Les relations entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de
statut personnel : RCADI 1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 170). V. également, pour une action en divorce
(mais la solution semble pouvoir s’appliquer à la question de la répudiation) Civ. 1re, 16 juill. 1992 : Rev.
crit. 1993. 269, note P. Courbe ; JCP 1993. II. 22138, note J. Déprez ; D. 1993. 538, note K. Saïdi.
L’ordre public international pourrait alors intervenir dès que la loi étrangère ne prévoit pas le versement
d’une somme minimum ; la dette du mari ne doit pas peser de manière automatique sur la société
d’accueil.
69
F. MONÉGER, Vers la fin de la reconnaissance des répudiations musulmanes : JDI 1992. 347.
70
V. Civ. 1re, 1er juin 1994 : Rev. crit. 1995. 103, note J. Déprez ; D. 1995. 263, note J. Massip. – Civ 1re,
31 janv. 1995 : Rev. crit. 1995. 569, note J. Déprez ; JDI 1995. 343 (2e esp.), note P. Kahn. – Civ. 1re,
19 déc. 1995 : Bull. civ. I, n° 469. – Civ. 1re, 11 mars 1997 : D. 1997. 400, note M.-L. Niboyet ; JCP
1998. I. 101, obs. H. Fulchiron ; JDI 1998. 110, note P. Kahn. – Ces quatre décisions écartent des
répudiations marocaines.
71
Protocole n° 7 du 22 novembre 1984, entré en vigueur le 1er novembre 1988 (décret n° 89-37 du
24 janv. 1989 : JO 27 janv., p. 1233). Selon la première phrase de l’article 5, « Les époux jouissent de
l’égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs
enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution ».

456
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

pas nécessaire dans toutes les hypothèses72, la Cour a refusé de reconnaître la


répudiation « sans avoir égard aux circonstances particulières qui auraient pu atténuer la
force de la réaction de l’ordre public »73. Il s’agissait là d’un rejet de principe : c’est en
tant que telle que la Cour a écarté l’institution de la répudiation unilatérale, par essence
inégalitaire en droit musulman. Seul un acquiescement de la femme à l’acte de
répudiation pourrait permettre sa reconnaissance : le consentement de la femme est
finalement « de nature à restaurer l’égalité des époux faisant défaut au moment où
l’initiative de la répudiation est prise »74.

638. Dans ces arrêts, la Cour de cassation a décidé de se référer aux droits de
l’homme pour arguer du caractère discriminatoire de la répudiation. Auparavant, la
jurisprudence avait pu considérer la répudiation islamique « contraire au Préambule de
la Constitution – qui déclare assurer à la femme, dans tous les domaines, des droits
égaux à ceux de l’homme – et aux principes fondamentaux de notre droit »75 ou avait pu
décider que « le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes est un principe
constitutionnel qui fait partie de l’ordre public français »76. Dans certaines décisions, le

72
V. par exemple Civ. 1re, 1er juin 1994, El Madani : Rev. crit. 1995. 103 (2e esp.), note J. Déprez ; D.
1995. 263, note J. Massip ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de
droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 63-64. La répudiation était
intervenue hors de la présence de l’épouse ; invoquer le non-respect des droits de la défense aurait pu
suffire pour écarter la répudiation. – V. également Civ. 1re, 31 janv. 1995, Kari : Rev. crit. 1995. 569, note
J. Déprez ; JDI 1995. 343 (2e esp.), note P. Kahn.
73
M.-L. N IBOYET, La contrariété des répudiations marocaines au principe d’égalité des époux (une
bonne illustration du règlement d’un conflit de conventions internationales, note sous Civ. 1re, 11 mars
1997 : D. 1997. 400. – V. l’arrêt du 11 mars 1997 (réf. précitées, cf. supra n° 637, n. 70). En l’espèce, la
femme avait été indemnisée et avait accepté les sommes allouées par le juge marocain en vertu d’une
décision postérieure à la répudiation. Il n’était pas établi que le mari ait agi dans un but frauduleux ;
aucune référence n’a été faite aux droits de la défense. – V. également Paris, 30 mai 2000 : D. 2000. IR.
231.
74
M.-L. N IBOYET, La contrariété des répudiations marocaines au principe d’égalité des époux (une
bonne illustration du règlement d’un conflit de conventions internationales), note sous Civ. 1re, 11 mars
1997 : D. 1997. 400 s., spéc. 402. – L’acquiescement est entendu strictement puisque, selon les termes de
l’arrêt précité du 11 mars 1997, « le fait, pour l’épouse, d’avoir accepté les pensions accordées par le juge
marocain ne constituait pas un acquiescement à la répudiation ». V. également Civ. 1re, 17 févr. 2004 :
Bull. civ. I, n° 259. – Lorsque l’épouse accepte la répudiation, une analogie avec le divorce par
consentement mutuel a pu être faite (v., par exemple TGI Paris, 5 déc. 1979 : Rev. crit. 1981. 88, note
P. Lagarde). Sur cette question, v., par exemple, H. GAUDEMET-TALLON, La désunion du couple en droit
international privé : RCADI 1961-I, t. 226, p. 9 s., spéc. p. 271 ; P. HAMMJE, Droits fondamentaux et
ordre public : Rev. crit. 1997, 1 s., spéc. 23 ; J. DÉPREZ , Droit international privé et conflits de
civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes
islamiques en matière de statut personnel : RCADI 1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 167-168 ;
I. FADLALLAH, Vers la reconnaissance de la répudiation musulmane par le juge français ? : Rev. crit.
1981. 17 s., spéc. 25.
75
Tribunal de la Seine, 26 mars 1956 : D.H. 1956. 654, note F. Luchaire ; JCP 1956. II. 9318, note
P. Guiho ; JDI 1957., note J.-B. Sialelli.
76
TGI Paris, 17 mai 1984 : Rev. crit. 1986. 307, note F. Monéger.

457
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

seul principe d’égalité entre l’homme et la femme a été invoqué, sans fondement
particulier77. Par la suite, toute référence au principe d’égalité entre les époux fut
abandonnée, jusqu’aux arrêts de 1994, 1995 et 199778. Dans ces décisions, la Cour de
cassation n’a pas estimé que la Convention européenne des droits de l'homme devait
s’appliquer directement79, ce que la doctrine a approuvé80. Ce texte est appliqué via le
mécanisme de l’ordre public international. En pratique, la Cour évite ainsi les éventuels
conflits de conventions81.

639. En effet, on peut souligner que ces quatre décisions concernaient la


reconnaissance de répudiations marocaines ; les conventions franco-marocaines du 10
août 198182 et du 5 octobre 195783 étaient donc visées. Or, au lieu de les opposer à la
Convention européenne des droits de l'homme, la Cour de cassation les combine dans sa
motivation. Les juges ont pris soin « d’articuler avec précisions les trois textes
invoqués. Il n’y a pas de "choc frontal" entre les conventions »84. La Cour indique, dans
l’arrêt du 11 mars 199785, que « si, aux termes [de la convention de 1981], les actes
constatant la dissolution du lien conjugal entre époux marocains […] produisent effet en

77
V., par exemple, Paris, 28 juin 1973 : Rev. crit. 1974. 505, note Jacques Foyer ; JDI 1974. 124, note
P. Kahn ; Poitiers, 24 juill. 1980 : JDI 1981. 570, note C. Labrusse). V. G. WIEDERKEHR, Le divorce en
droit international privé français, in Le divorce en droit international privé allemand, français et suisse :
Travaux de l’Institut de droit comparé, Actes du Colloque des 11-12 mai 1979, Annales de la faculté de
droit de Strasbourg, t. XXX, L.G.D.J., 1980, p. 15 s., spéc. p. 27.
78
Réf. précitées, cf. supra n° 637, n. 70. V. les remarques de M. Jacques Foyer (Droits internationaux de
l’homme et droit international privé : Mélanges Raymond Goy, publications de l’Université de Rouen,
1998, p. 333, spéc. p. 344) qui s’est posé la question de savoir si cet appel aux droits de l’homme était
vraiment nécessaire ; selon l’auteur, l’ordre public y aurait amplement suffi.
79
V. cependant, pour une application directe de la Convention européenne des droits de l'homme, Civ.
1re, 24 févr. 1998 : Rev. crit. 1998. 637, note G. A. L. Droz ; JDI 1998. 730, note Kerckhove ; JCP 1998.
ii.10175, note T. Vignal ; D. 1999. 309, note J. Thierry ; Somm. 290, obs. B. Audit. Selon l’arrêt, « en
statuant ainsi, par application des dispositions de la loi suisse alors applicable, en ce qu’elles imposaient
une discrimination à l’encontre de la seule épouse dans la liquidation et le partage des biens de l’union
conjugale, la cour d'appel a violé [l’article 5 du protocole du 22 novembre 1984, n° 7, à la Convention
européenne des droits de l'homme] qui s’impose directement au juge français à qui il appartient de rétablir
l’égalité des droits entre les époux ».
80
V., par exemple Jacques F OYER , Droits internationaux de l’homme et droit international privé :
Mélanges Raymond Goy, publications de l’Université de Rouen, 1998, p. 333 s., spéc. p. 345.
81
V. M.-L. NIBOYET, La mise en œuvre du droit international privé conventionnel (incidences du droit
des traités sur les pouvoirs du juge national), in Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ?: Mélanges en
l’honneur de Roger Perrot, Dalloz, 1996, p. 313, spéc. p. 325 s. – Sur les difficultés posées par les conflits
de conventions, v. L. GANNAGÉ, La hiérarchie des normes et les méthodes de droit international privé.
Étude de droit international privé de la famille : Thèse Paris II, 1998, p. 293 s.
82
Convention relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire (précitée).
83
Convention d’aide mutuelle judiciaire d’exequatur des jugements et d’extradition et protocole annexe
(Décr. n° 60-11 du 12 janv. 1960 : JO du 14 janv. 1960, p. 421).
84
H. FULCHIRON, obs. sous Civ. 1re, 11 mars 1997 : JCP 1998. I. 101.
85
Précité.

458
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

France dans les mêmes conditions que les jugements de divorce prononcés à l’étranger,
il résulte [de la convention de 1957] que ces conditions exigent, notamment, […] que sa
reconnaissance ne soit pas contraire à l’ordre public international ; qu’au titre de cette
[…] exigence figure l’égalité des droits et des responsabilités des époux lors de la
dissolution du mariage, droit reconnu par [la Convention européenne des droits de
l'homme] ». La Cour de cassation applique les textes franco-marocains, mais considère
que l’ordre public s’oppose à la reconnaissance des décisions de répudiation, quelles
qu’en soient les circonstances. Elle intègre les droits fondamentaux reconnus dans la
Convention européenne des droits de l'homme dans l’ordre public international86.

640. Les difficultés qu’il y a à articuler le principe du respect des droits de


l’homme, garanti par le texte conventionnel que la France s’est engagée à respecter,
avec les règles de conflit du droit international privé (qu’il s’agisse d’appliquer une loi
étrangère ou de reconnaître une décision étrangère), en particulier lorsque l’État dont
émane la règle ou la décision est un État tiers à la convention87, sont bien réelles. On
peut se poser la question de savoir s’il convient d’évincer automatiquement, au nom de
l’ordre public international, une règle ou une décision étrangère contraire à un principe
protégé par cette convention. Doit-on écarter ipso facto toute norme étrangère qui serait
le reflet de valeurs « étrangères au patrimoine commun européen »88 ?

641. Alors que certains auteurs ont largement approuvé la motivation adoptée par
la Cour de cassation89 – avant que ces quatre arrêts n’aient été rendus, Mme Gaudemet-

86
V. M.-L. NIBOYET-HOEGY, La mise en œuvre du droit international privé conventionnel (incidences du
droit des traités sur les pouvoirs du juge national), in Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ?: Mélanges en
l’honneur de Roger Perrot, Dalloz, 1996, p. 313 s., spéc. p. 323 s.
87
Dans l’arrêt Pistre rendu le 31 janvier 1990 (Rev. crit. 1990. 519, note É. Poisson-Drocourt ; JCP 1991.
II. 21635, note H. Muir-Watt ; D. 1991. 105, note F. Boulanger ; Gaz. Pal. 1990. 2. 481, note B. Sturlèse ;
Defrénois 1990. p. 961, obs. J. Massip) la Cour de cassation a estimé que le fait que la loi étrangère en
cause soit celle d’un État non partie à la Convention européenne des droits de l'homme ne constituait pas
un obstacle à l’application de la convention. – V. également l’arrêt Soering (CEDH 7 juill. 1989 : Série A
n° 161 ; v. notamment les commentaires de H. Labayle : JCP 1990. I. 3452 et de F. Sudre : RGDI publ.
1990. 103). La Cour européenne a notamment considéré que si « la Convention ne régit pas les actes d’un
État tiers, ni ne prétend exiger des Parties contractantes qu’elles imposent [leurs] normes à pareil État »
(§ 86), l’ordre public s’oppose à l’extradition d’un étranger par un État partie si un telle décision a pour
résultat direct d’exposer réellement l’individu à des traitements contraires à l’article 3 de la convention
dans son État de destination, fût-il un État tiers à la convention.
88
V. F. S UDRE , L’ordre public européen, in L’ordre public : Ordre public ou ordres publics. Ordre
public et droits fondamentaux : Actes du colloque de Caen des 11 et 12 mai 2000, ss dir. de M.-J. REDOR,
Nemesis, Bruylant, 2001, p. 109 s., spéc. p. 125 s.
89
V. M.-L. NIBOYET, La contrariété des répudiations marocaines au principe d’égalité des époux (une
bonne illustration du règlement d’un conflit de conventions internationales), note sous Civ. 1re, 11 mars
1997 : D. 1997. 400 ; L. FRANÇOIS, La Convention européenne des droits de l'homme est-elle supérieure

459
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

Tallon90 indiquait déjà clairement que le principe d’égalité entre mari et femme lui
paraissant « devoir l’emporter sur celui de tolérance à l’égard des cultures étrangères » ;
l’auteur était favorable à ce que l’on juge contraire à l’ordre public international les
répudiations unilatérales étrangères, mais elle n’indiquait par qu’il fallait écarter la
répudiation au nom des droits de l’homme –, d’autres, plus réservés, ont estimé que
cette interprétation de l’ordre public international n’était pas sans présenter certains
dangers91. Ainsi, selon M. Lequette92, il faut s’abstenir de contrôler de manière abstraite
la conformité d’une norme étrangère aux principes posés par une convention dans la
mesure où « on ne saurait imposer à l’auteur d’une norme le respect de principes qui lui
sont extérieurs » ; il convient uniquement de « vérifier si l’application de cette norme
dans l’ordre du for ne conduit pas à un résultat contraire aux conceptions de ce
dernier ». À défaut d’une telle démarche, les lois étrangères n’auraient plus lieu de
s’appliquer que « de manière résiduelle pour combler les rares interstices non encore
investis par les juges européens » et les effets ne pourraient qu’être « dévastateurs pour
le droit international privé » dans la mesure où ce sont, notamment, des pans entiers de
la matière qui seraient susceptibles d’être remis en cause93. De même, comme l’a
souligné M. Fulchiron, « l’ordre public ne constitue pas une arme tendant à imposer les
principes du for contre des règles étrangères, mais l’instrument d’une sorte de dialogue
entre les différentes lois en présence : son usage idéal suppose donc que l’on accepte de

aux conventions bilatérales reconnaissant les répudiations musulmanes ?: D. 2002. Chron. 2958 ;
P. KAHN, note sous Civ. 1re, 31 janv. 1995 : JDI 1995. 343 (2e esp.), spéc. 354 ; J.-P. MARGUÉNAUD, Le
droit civil français sous influence de la Convention européenne des droits de l'homme : RTD civ. 1996.
505 s., spéc. 514-515.
90
H. GAUDEMET-TALLON, La désunion du couple en droit international privé : RCADI 1961-I, t. 226,
p. 9 s., spéc. p. 270.
91
V., par exemple, R. EL -HUSSEINI, Le droit international privé français et la répudiation islamique :
Rev. crit. 1999. 427 ; H. FULCHIRON, obs. sous Civ. 1re, 11 mars 1997 : JCP 1998. I. 101 ; Droits
fondamentaux et règles de droit international privé : conflits de droits, conflits de logiques ? L’exemple
de l’égalité des droits et responsabilités des époux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa
dissolution, in Le droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention européenne des droits de
l'homme : Actes du Colloque de Montpellier, ss dir. F. SUDRE , Nemesis, Bruylant, 2002, p. 353 s. ;
P. HAMMJE, Droits fondamentaux et ordre public : Rev. crit. 1997. 1 s. ; L’effet atténué de l’ordre public,
in L’extranéité ou le dépassement de l’ordre juridique étatique : Actes du colloque des 27 et 28 novembre
1997 organisé par l’Institut d’étude de droit international de la Faculté de droit de l’Université de
Lausanne, Éd. Pédone, Paris, 1999, p. 87 s.
92
Y. LEQUETTE, note sous Paris, 14 juin 1994 : Rev. crit. 1995. 308 s., spéc. p. 314 s.
93
Ne serait-ce qu’en application du principe d’égalité entre les époux, les conséquences devraient encore
être étendues puisque ce principe vaut également, selon l’article 5, non seulement au moment de la
dissolution du mariage, mais également durant le mariage, entre les époux et dans leurs relations avec
leurs enfants. Or, le plus souvent, la femme est considérée comme totalement incapable dans les pays de
droit musulman. Ce sont de nombreuses autres dispositions du droit musulman qui pourraient ainsi être
jugées ipso facto contraires à la Convention européenne des droits de l'homme.

460
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

rentrer dans la logique du système étranger, que l’on tente d’en comprendre les
fondements, d’en exploiter loyalement toutes les possibilités »94 ; il convient, selon
l’auteur, de ne pas radicaliser les conséquences que l’on peut tirer de la mise en jeu des
droits fondamentaux95. En ce sens, Mme Hammje a également estimé qu’il ne peut
s’agir « d’imposer à tout prix et a priori notre conception abstraite de l’égalité entre
époux sans même procéder à une appréciation des circonstances concrètes de
l’espèce »96. Il convient, si l’on décide de se fonder sur les droits fondamentaux, de
continuer à apprécier la norme étrangère et son degré d’incompatibilité de manière
concrète et de ne pas exclure « en bloc » toute norme qui semble contraire à ces droits
protégés par la Convention européenne des droits de l'homme97.

642. Après cette série d’arrêts consistant à écarter de manière systématique la


répudiation au nom de l’ordre public et des droits de l’homme, la Cour de cassation est,

94
H. FULCHIRON, Droits fondamentaux et règles de droit international privé : conflits de droits, conflits
de logiques ? L’exemple de l’égalité des droits et responsabilités des époux au regard du mariage, durant
le mariage et lors de sa dissolution, in Le droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention
européenne des droits de l'homme : Actes du Colloque de Montpellier, ss dir. F. SUDRE, Nemesis,
Bruylant, 2002, p. 353 s., spéc. p. 362.
95
H. FULCHIRON, Droits fondamentaux et règles de droit international privé : conflits de droits, conflits
de logiques ? L’exemple de l’égalité des droits et responsabilités des époux au regard du mariage, durant
le mariage et lors de sa dissolution, in Le droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention
européenne des droits de l'homme : Actes du Colloque de Montpellier, ss dir. F. SUDRE, Nemesis,
Bruylant, 2002, p. 353 s., spéc. p. 367. – V. également les notes de l’auteur sous Civ. 2e, 14 mars 2002 :
JCP 2002. II. 10095 et Civ. 1re, 5 janv. 1999 : Dr. fam. 2000, n° 54. Dans ce dernier commentaire (spéc.
p. 23), l’auteur considère que la situation dans laquelle « l’utilisation de principes généraux et abstraits
permet de rejeter en bloc des législations construites sur des principes et selon une logique différents de
ceux du droit français ne peut satisfaire personne » et peut être dangereuse.
96
P. HAMMJE, Droits fondamentaux et ordre public : Rev. crit. 1997, 1 s., spéc. 23 s. L’auteur considère
qu’« une juste compréhension des exigences de la Convention européenne des droits de l'homme pourrait
permettre de limiter l’intervention de l’ordre public aux injustices les plus flagrantes ». – V. également
P. MAYER, (La Convention européenne des droits de l’homme et l’application des normes étrangères :
Rev. crit. 1991. 651 s., spéc. 662 s.) sur la question de l’intégration des droits garantis par la convention
dans l’ordre public international (il faut, selon l’auteur, prendre en considération l’extranéité de la
situation pour interpréter et appliquer les droits garantis par la convention) ; D. COHEN, La Convention
européenne des droits de l'homme et le droit international privé français : Rev. crit. 1989. 451 s., spéc.
479 s. Selon l’auteur, la répudiation ou les effets du mariage polygamique contracté à l’étranger
« heurtent en principe – autant dire pas toujours – notre ordre public » ; la Convention européenne des
droits de l'homme pourrait « contribuer à rendre notre ordre public international plus exigeant ». – V. les
précisions relatives à l’article 5 du protocole n° 7 de M. ENRICH MAS , in La Convention européenne des
droits de l'homme. Commentaire article par article, sous la dir. de L.-E. PETTITI , E. DECAUX et P . -
H. IMBERT : Économica, 1995, p. 452-453.
97
V. P. HAMMJE, L’effet atténué de l’ordre public, in L’extranéité ou le dépassement de l’ordre juridique
étatique : Actes du colloque des 27 et 28 novembre 1997 organisé par l’Institut d’étude de droit
international de la Faculté de droit de l’Université de Lausanne, Éd. Pédone, Paris, 1999, p. 87 s., spéc.
p. 108. Selon l’auteur, il est possible d’envisager une référence aux droits fondamentaux si l’on poursuit
une approche en termes d’ordre public et non en termes de lois de police. Si l’on maintient l’accent sur les
valeurs véritablement essentielles du for, que l’on entend préserver à tout prix, cela permet de limiter les
cas d’intervention aux incompatibilités fondamentales.

461
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

dans un arrêt de 200198, revenue sur sa jurisprudence99, exigeant à nouveau le respect


d’une procédure contradictoire, la garantie d’une compensation pécuniaire et l’absence
de fraude, et ce, sans se référer aucunement à l’égalité entre époux100. C’est donc de
manière très concrète qu’elle a statué. Cependant, en 2004101, la Cour a refusé par cinq
arrêts de donner effet à des répudiations ; dans deux d’entre eux, elle s’est à nouveau
fondée sur l’article 5 du protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de
l'homme pour décider que la répudiation ne pouvait être reconnue en France, mais avec
de nouvelles précisions.

643. Dans l’une de ces décisions de 2004102, il était reproché à l’arrêt attaqué
d’avoir dit que le jugement algérien ne pouvait être reconnu en France alors qu’il
résultait des constatations des juges du fond que le litige se rattachait de manière
caractérisée aux juridictions algériennes, que la procédure avait été loyale et
contradictoire (l’épouse avait obtenu des dommages et intérêts) et que le choix de la
juridiction n’avait pas été frauduleux103 ; la violation de l’article 1er d) de la convention
franco-algérienne du 27 août 1964 et des principes régissant l’ordre public international

98
Civ. 1re 3 juill. 2001 Douibi : Rev. crit. 2001. 704, note L. Gannagé ; D. 2001. 3378, note M.-
L. Niboyet ; JCP 2002. II. 10039, note T. Vignal ; JDI 2002. 181, note P. Kahn ; Dr. et patrimoine 2001,
n° 97, p. 116, obs. F. Monéger ; Petites Affiches, n° 108, mai 2002, p. 11 ; M. Farge, Les répudiations
musulmanes : le glas de l’ordre public fondé sur le principe d’égalité des sexes : Dr. fam. 2002, n° 17,
p. 13.
99
V. déjà Civ. 1re, 5 janv. 1999 (Dr. fam. 2000, n° 54, note H. Fulchiron ; D. 1999. 671, note É. Agostini)
qui, tout en visant la Convention européenne des droits de l'homme, avait écarté la répudiation au motif
qu’elle avait été « prononcée au Maroc à la demande du mari, hors la présence de l’épouse non appelée à
la procédure ». V. également Dijon, 15 sept. 1999 : JDI 2000. 997, note P. Kahn.
100
La Cour ne répond d’ailleurs pas au moyen du pourvoi qui invoquait une violation de l’article 5 du
protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l'homme. – V., pour les critiques des
commentateurs de la décision du 3juillet 2001 : M.-L. NIBOYET, La première Chambre civile répudie sa
propre jurisprudence sur les répudiations musulmanes : note sous Civ. 1re, 3 juill. 2001 : D. 2001. 3378 ;
L. GANNAGÉ, note sous l’arrêt : Rev. crit. 2001. 704 ; P. KAHN, note sous le même arrêt : JDI 2002. 181.
– M. VIGNAL (note sous l’arrêt, JCP 2002. II. 10039) et Mme M ONÉGER (obs. sous l’arrêt, Dr. et
patrimoine 2001, n° 97, p. 116) se montrent plus nuancés. – M. COURBE (La reconnaissance des
répudiations musulmanes, note sous l’arrêt : Petites Affiches, n° 108, mai 2002, p. 11 s., spéc. p. 14)
considère que la solution retenue est réaliste. La solution a également été approuvée par M. FULCHIRON,
Vers la fin de la prohibition de la répudiation musulmane ?, note sous Civ. 2e, 14 mars 2002 : JCP 2002.
II. 10095.
101
Civ. 1re, 17 févr. 2004 : Bull. civ. I, n° 256 ; Bull. civ. I, n° 257 ; Bull. civ. I, n° 258 ; Bull. civ. I,
n° 259 ; Bull. civ. I, n° 260. V. les conclusions de M. CAVARROC : D. 2004. 824 ; les commentaires de
P. COURBE , Le rejet des répudiations musulmanes : D. 2004. Chron. 815 ; M.-L. N IBOYET, obs. sous
Civ. 1re, 17 février 2004 (4 arrêts) : Gaz. Pal., 25-26 févr. 2004, p. 29 s. ; S. P RIGENT , Répudiations
musulmanes : effets des jugements étrangers en France (à propos de cinq arrêts rendus par la première
chambre civile de la Cour de cassation le 17 février 2004) : Dr. fam. 2004, n° 9.
102
Civ. 1re, 17 février 2004 : Bull. civ. I, n° 256.
103
La saisine de la juridiction algérienne ne visait pas à faire obstacle à la saisine préalable du juge
français puisque l’épouse n’avait saisi la juridiction française qu’après la mise en œuvre de la procédure
en Algérie.

462
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

était invoquée. La Cour de cassation a pourtant considéré que la cour d'appel avait
justement déduit que « même si elle résultait d'une procédure loyale et contradictoire »,
« la décision constatant une répudiation unilatérale du mari sans donner d'effet juridique
à l'opposition éventuelle de la femme, et en privant l'autorité compétente de tout pouvoir
autre que celui d'aménager les conséquences financières de cette rupture du lien
matrimonial, était contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du
mariage reconnu par l'article 5 du protocole du 22 novembre 1984, n° 7, additionnel à la
convention européenne des droits de l'homme, que la France s'est engagée à garantir à
toute personne relevant de sa juridiction, et donc à l'ordre public international réservé
par l'article 1er d) de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964, dès lors que,
comme en l'espèce, les deux époux étaient domiciliés sur le territoire français ». Par ces
arrêts, c’est bien le principe même de la répudiation qui est à nouveau remis en cause au
nom de l’égalité entre époux ; par hypothèse, la femme ne peut en effet s’opposer à un
acte de répudiation, discrétionnaire pour le mari, et le juge ne peut qu’en aménager les
conséquences pécuniaires. En l’espèce, la femme s’était effectivement opposée à la
répudiation ; ce n’était pas le cas dans le second arrêt évoqué104, mais cet élément
importe peu puisque, comme le souligne la Cour, une opposition « éventuelle » est, quoi
qu’il en soit, dénuée d’effet juridique. Cependant – et la précision semble importante –,
la Cour de cassation a considéré qu’une répudiation est contraire au principe d’égalité
des époux et donc à l’ordre public international « dès lors que, comme en l’espèce, les
deux époux étaient domiciliés sur le territoire français » ; dans l’autre décision105, elle a
constaté la contrariété « dès lors que, comme en l’espèce, la femme, sinon les deux
époux étaient domiciliés sur le territoire français ». Doit-on, par ces arrêts, considérer
que lorsque les époux ne sont pas domiciliés en France, qu’ils ne sont pas intégrés dans
le milieu social français, une répudiation pourrait être reconnue, mais que la présence
des époux en France est un obstacle à cette reconnaissance ? Dans l’affirmative, cela
signifierait que la Cour tient compte de la proximité de la situation avec l’ordre
juridique français avant de se prononcer sur l’existence d’une atteinte à l’ordre public
international. Elle semble partir du principe que toute répudiation est intrinsèquement
contraire à l’ordre public international et ne peut être reconnue en France dès lors que
les intéressés demeurent sur le territoire français, alors même que les juges du fond

104
Civ. 1re, 17 févr. 2004 : Bull. civ. I, n° 258.
105
Civ. 1re, 17 févr. 2004 : Bull. civ. I, n° 258.

463
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

auraient constaté que les juges algériens étaient compétents pour statuer, que la
procédure aurait été « loyale et contradictoire », que la femme aurait été indemnisée et
que le choix des juridictions algériennes n’aurait pas été frauduleux.

644. Le raisonnement de la Cour de cassation pourrait être interprété de la


manière suivante : pour être reconnue, la répudiation ne doit pas être contraire à l’ordre
public international, lequel est à nouveau apprécié aux regard des droits fondamentaux
et non simplement des principes du droit français ; ces droits garantissent une protection
qui doit être mise en œuvre de manière variable, selon l’intensité des liens entretenus
avec le for et au regard des objectifs de la Convention européenne des droits de
l'homme. La Cour puiserait dans les droits de l’homme la contrariété à l’ordre public106,
mais ne mettrait finalement en œuvre le mécanisme d’éviction que lorsque les liens avec
le for, concrètement appréciés, sont suffisants. S’ils sont suffisants, la répudiation est,
en tant que telle (en dehors de toute autre considération liée à un respect de la procédure
ou à l’existence de garanties financières), jugée contraire à l’ordre public car inégalitaire
entre les époux. Si tel est le raisonnement de la Cour, la solution paraît plus nuancée que
celles envisagées dans les quatre arrêts de 1994, 1995 et 1997107. La jurisprudence
pourrait pourtant aller plus loin dans le recours à une solution fondée sur la théorie de
l’ordre public de proximité et qu’il ne semble pas, au fond, vraiment utile en ce cas de
se référer à la Convention européenne des droits de l'homme.

§ 2. Des solutions plus nuancées fondées sur un ordre public de


proximité

645. En matière de répudiation, comme c’était déjà le cas pour la polygamie108,


aucune solution jurisprudentielle ne semble vraiment adaptée109, les multiples

106
Dans l’arrêt n° 256, la Cour a considéré que la répudiation est contraire au principe d’égalité des époux
reconnu par la Convention européenne des droits de l'homme « et donc à l’ordre public international »
(elle inclut le principe d’égalité visé par le texte conventionnel dans l’ordre public international) ; dans
l’arrêt n° 258, elle a estimé que la répudiation est contraire au principe d’égalité des époux reconnu par la
Convention européenne des droits de l'homme « et à l’ordre public international » (elle semble alors se
fonder sur deux éléments différents). V. P. C OURBE , Le rejet des répudiations musulmanes : D. 2004.
Chron. 815 s., spéc. 816. – Sur la question de l’intégration des droits de l’homme dans l’ordre public, cf.
supra n° 639.
107
Réf. précitées, cf. supra n° 637, n. 70.
108
Cf. supra n° 629 s.

464
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

revirements de jurisprudence étant là pour en attester. Entre une reconnaissance de


l’institution trop aisée et un refus systématique de lui reconnaître des effets, il apparaît,
de fait, difficile de trouver un juste équilibre. La théorie de l’effet atténué est largement
dépassée étant donné, notamment, la rapidité avec laquelle un homme peut retourner
dans son pays d’origine pour y répudier sa femme. Pour autant, on l’a vu, la
jurisprudence ne s’est pas vraiment tournée en matière de répudiation vers une
conception de l’ordre public fondée sur la proximité avec le for, comme elle avait pu le
faire dans d’autres domaines110 ; sans doute a-t-elle eu recours en certains cas à cette
forme d’éviction, mais de manière peut-être encore insuffisante. Ainsi, Mme Niboyet111
note que dans son arrêt du 11 mars 1997, la Cour de cassation ne fait aucune mention du
domicile des époux en France, et en déduit que « le déclenchement de l’intervention de
l’ordre public est indifférent à ce point de rattachement avec le territoire français » ;
l’auteur a d’ailleurs considéré que « la solution est parfaitement exacte dès lors qu’elle
est fondée sur la Convention européenne des droits de l'homme dont le champ
d’application est universel pour les États signataires ». Mme Gannagé112 a également
constaté que, dans son arrêt de 2001, « en accueillant le jugement algérien de
répudiation, en dépit de la résidence habituelle en France de chacun des intéressés, la
haute juridiction semble mettre de côté l’Inlandsbeziehung et renouer avec un ordre
public atténué qui avait servi de fondement à la jurisprudence Rohbi ».

646. Mais, comme le constate Mme Niboyet113, avec les nouveaux arrêts de 2004
et la référence faite au domicile de l’un ou des deux époux, la Cour de cassation
introduit « un doute » sur l’analyse qui consiste à considérer que toute répudiation doit
être déclarée contraire au principe d’égalité entre les époux garanti par les droit
fondamentaux. Il est donc possible que la Cour ait « conditionné le déclenchement de
l’exception de l’ordre public à cette circonstance ». S’il est vrai que le champ
d’application de la convention est universel, ne pourrait-on néanmoins admettre que la
référence au domicile du ou des époux puisse avoir une influence sur le déclenchement

109
V., pour les critiques des solutions jurisprudentielles, la synthèse qu’en a faite N. Joubert : La notion
de liens suffisants avec l’ordre juridique (Inlandsbeziehung) en droit international privé : Thèse Paris I,
2002, p. 237-238.
110
Cf. supra n° 598 s. pour le divorce et la filiation et n° 630 pour la polygamie).
111
M.-L. N IBOYET, La contrariété des répudiations marocaines au principe d’égalité des époux (une
bonne illustration du règlement d’un conflit de conventions internationales), note sous Civ. 1re, 11 mars
1997 : D. 1997. 400, spéc. 401.
112
L. GANNAGÉ, note sous Civ. 1re, 3 juill. 2001 : rev. crit. 2001. 704 s., spéc. 711.

465
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

et la mise en œuvre du mécanisme d’éviction et que les propositions se sont pas


antinomiques – sauf évidemment à considérer que raisonner en termes de droits
fondamentaux implique le rejet pur et simple d’une institution qui les contrarie.

647. La jurisprudence a pu considérer que la répudiation ne pouvait être opposée


à une Française ou prononcée par un Français ; la nationalité est donc un des liens
suffisamment étroits avec l’ordre juridique du for pour déclencher le mécanisme
d’éviction que constitue l’ordre public (A.). Le rôle que pourrait jouer la résidence
habituelle et le fait que les époux sont intégrés dans le milieu social français semble
avoir été sous-estimé (B.).

A. La nationalité française, élément justifiant le refus de la répudiation

648. La nationalité française de la femme peut être considérée comme étant un


lien suffisant pour justifier le refus de reconnaître une décision de répudiation114.
D’ailleurs, la convention franco-marocaine de 1981 envisage déjà une distinction
fondée sur la nationalité de la femme. Si la femme est marocaine, la répudiation produit
effet en France dans les mêmes conditions que les jugements de divorce prononcés à
l’étranger »115 ; autrement dit, la répudiation doit être reconnue. En revanche, si la
femme est française, elle doit avoir accepté cette répudiation pour que celle-ci puisse
être reconnue en France116 ; une répudiation ne peut donc être valablement opposée à
une Française sans qu’elle y ait acquiescé. Comme l’a fait remarquer M. Libchaber117,
« l’ordre public apparaît en filigrane dans ces distinctions ». Si l’on admet, de manière
générale, qu’une répudiation acceptée par une femme peut être reconnue en France118,
on peut également accepter cette solution lorsqu'elle est française.

113
Obs. sous Civ. 1re, 17 février 2004 (4 arrêts) : Gaz. Pal., 25-26 févr. 2004, p. 29, spéc. p. 31.
114
V. R. LIBCHABER, L’exception d’ordre public en droit international privé, in L’ordre public à la fin du
e
XX siècle : Dalloz, 1996, p. 65 s., spéc. p. 74. Selon l’auteur, « on peut gager que l’ordre public de
proximité français permettrait la protection de son national en déclarant contraire à l’ordre public une
répudiation dont une Française ferait l’objet ».
115
Selon l’article 13, alinéa 1er, de la convention.
116
Selon l’article 13, alinéa 2, de la convention, « Lorsqu'ils sont devenus irrévocables, les actes
constatant la dissolution du lien conjugal selon la loi marocaine entre un mari de nationalité marocaine et
son épouse de nationalité française, dressés et homologués par un juge au Maroc, produisent effets en
France à la demande de la femme dans les mêmes conditions que les jugements de divorce ».
117
R. LIBCHABER, L’exception d’ordre public en droit international privé, in L’ordre public à la fin du
e
XX siècle : Dalloz, 1996, p. 65 s., spéc. p. 74, n. 36.
118
V., par exemple, TGI Paris, 5 déc. 1979 (deux décisions : Dame Bonnereau c/ El Amrani et Dame
Vanquathem c/ Belarbi) : Rev. crit. 1981. 88. Dans ces deux jugements, le tribunal reconnaît la validité de

466
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

649. Par ailleurs, un mari devenu français ne peut répudier son épouse119. La
même interprétation devrait prévaloir dans l’hypothèse où l’époux aurait conservé sa
nationalité d’origine car en adoptant la nationalité française, l’intéressé se trouve soumis
au statut civil français120 ; il fait partie juridiquement de la communauté française. La
nationalité française des époux semble devoir toujours prévaloir, alors même qu’ils
auraient la nationalité d’un autre État121. Dans l’hypothèse où l’époux est français, toute
répudiation est donc à écarter.

la répudiation de la femme française car les deux époux ont comparu et « la répudiation dont il s’agit, qui
produit les effets équivalents à ceux d’un divorce par consentement mutuel, n’est pas contraire à l’ordre
public français » (la femme est, dans les deux cas, à l’origine de la demande d’exequatur de la décision de
répudiation). V. également TGI Paris, 26 févr. 1992 : Rev. crit. 1993. 58, note D. Alexandre ; TGI Paris
27 sept. 1990 : Rev. crit. 1992. 91, note Y. Lequette. – Sur l’acquiescement à la répudiation, cf. supra
n° 637. – La Cour de cassation, dans l’un des arrêts rendus le 17 févr. 2004 (Bull. civ. I, n° 259), souligne
qu’aucun « certificat de non-opposition, non-appel ou non pourvoi n’était produit ».
119
V. Civ. 1re, 22 avr. 1986 : D. 1986. IR. 270, obs. B. Audit ; Rev. crit. 1987. 374, note P. Courbe ; JDI
1987. 629, note P. Kahn. On a déduit de cet arrêt qu’en présence d’époux de nationalités différentes, si la
répudiation n’est connue que par la loi nationale d’un seul époux, elle ne peut produire d’effets en France
(v. H. GAUDEMET-TALLON, Divorce : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 547-30, 1996, n° 91. L’auteur a constaté
que « les répudiations reconnues en France concernent des époux de même nationalité dont la loi
nationale admet la répudiation »). – Civ. 1re, 17 mai 1993 : Rev. crit. 1993. 684, note P. Courbe ; JCP
1993. II. 22172, note J. Déprez ; D. 1993. Somm. 349, obs. B. Audit ; JDI 1994. 115 (1re esp.), note
Y. Lequette. En l’espèce, les deux époux étaient devenus français (la Cour ajoute, par ailleurs, qu’ils
étaient tous deux domiciliés en France. Sur ce point, cf. infra n° 650). – V. Civ. 2e, 14 mars 2002 : JCP
2002. II. 10095, note H. Fulchiron. Dans cette affaire, le mari a acquis la nationalité française en 1991 ;
en 1994, sa femme a introduit une requête en divorce qui est prononcé en 1997 ; le mari interjette appel
en concluant à l’irrecevabilité de la demande de sa femme qu’il a répudiée en 1992. La Cour de cassation
a considéré que le mari ayant acquis la nationalité française, le mariage « ne pouvait être dissous que par
l’application de la loi française et que la reconnaissance de la répudiation de la femme en dehors des cas
prévus à l’article 13 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 est contraire à l’ordre public de
l’État dont M. A. avait fait le choix de devenir le national » (il est par ailleurs précisé que « lors de la
présentation de la demande de divorce, les époux demeuraient en France »).
120
V. J. DÉPREZ, note sous Civ. 1re, 17 mai 1993 : JCP 1993. II. 22172.
121
Le tribunal de grande instance de Paris avait pourtant admis (dans un jugement du 27 sept. 1990 : Rev.
crit. 1992. 91) que, intervenue entre deux époux résidant en France et ayant « l’un et l’autre acquis la
nationalité française, sans pour autant, au plan de la nationalité, rompre le lien d’allégeance les unissant
au Royaume du Maroc », la répudiation prononcée au Maroc par le mari produisait effet en France, en
application de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 (mais il faut souligner que la femme ne
s’opposait pas à la reconnaissance de la décision en France). V. la note précitée de M. Lequette sous
l’arrêt, qui souligne les dangers auxquels peut conduire l’approche fonctionnelle. – On peut noter que la
Cour de cassation (Civ. 1re, 22 juill. 1987, Dujaque : Rev. crit. 1988. 85) a admis que la primauté de la
nationalité du for pouvait être écartée en matière d’exequatur lorsque le juge étranger a pris en
considération la nationalité de son for (la solution avait, en l’espèce été rendue en application de la
convention franco-polonaise du 5 avril 1967). V. le commentaire de M. LAGARDE, Vers une approche
fonctionnelle du conflit positif de nationalité (à propos notamment de l’arrêt Dujaque de la première
chambre civile du 22 juillet 1988) : Rev. crit. 1989. 29 s. (et spéc. 50 sur le problème de la double
nationalité au regard de la convention franco-marocaine). L’auteur considère que la convention pourrait
être déclarée applicable aux cas de double nationalité (il se fonde sur le préambule de la convention
franco-marocaine qui constate « l’importance des relations personnelles et familiales entre les
ressortissants des deux États » et « la nécessité de conserver aux personnes les principes fondamentaux de
leur identité nationale »). En ce cas, « l’autorité saisie de la reconnaissance d’une décision prise dans
l’autre État, devrait […] accepter la solution donnée par l’État d’origine au conflit de nationalités ». En

467
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

B. La résidence habituelle, lien suffisant avec le for pour justifier l’éviction de la


norme étrangère

650. La Cour de cassation a parfois souligné que les intéressés étaient domiciliés
en France122, alors même que, dans certains cas, la référence à cet élément était
parfaitement inutile pour écarter la répudiation dans la mesure où les intéressés étaient
français123. Dans ses deux arrêts de 2004 précités124, elle fait également directement
référence à cet élément territorial dans sa motivation. La résidence habituelle de
l’épouse étrangère en France, à plus forte raison celle des deux époux, pourrait
effectivement constituer également un lien avec le territoire qui justifie que l’on écarte
une répudiation au nom de la conception française de l’ordre public international. Leur
intégration dans la communauté française légitime l’intervention de l’ordre public. La
doctrine se montre favorable à une telle approche de l’ordre public international125. Les
effets de la répudiation sont dans cette hypothèse amenés à se dérouler sur le territoire
français et le système juridique français est directement concerné126.

651. Néanmoins, les liens avec le territoire sont-ils suffisants pour que l’on écarte
ipso facto toute répudiation ? La question est en effet de savoir si la résidence habituelle

revanche, « lorsque la convention réserve à un État des prérogatives concernant la compétence de ses
autorités à l’égard de l’un de ses nationaux ou renforce pour l’un de ses nationaux les conditions de
reconnaissance de décisions prises dans l’autre État [c’est le cas de l’article 13 de la convention], il est
clair qu’elle réserve à l’État ainsi "protégé" le soin d’apprécier d’après sa propre loi la nationalité de la
personne considérée, même en cas de double nationalité ». Néanmoins, cette analyse de M. Lagarde ne
semble pas s’être imposée en ce domaine du droit international privé. Elle semble, de fait, peut-être
difficile à mettre en œuvre. V. les critiques de M. Lequette (op. et loc. cit.) et de Mme Monéger (Les
musulmans devant le juge français : JDI 1994. 345).
122
On sait que la notion de domicile correspond à un établissement stable et effectif. Cf. supra n° 451.
123
Civ. 1re, 17 mai 1993 : Rev. crit. 1993. 684, note P. Courbe ; JCP 1993. II. 22172, note J. Déprez ; D.
1993. Somm. 349, obs. B. Audit ; JDI 1994. 115 (1re esp.), note Y. Lequette. En l’espèce, les deux époux
étaient devenus français, mais la Cour précise qu’ils étaient également tous deux domiciliés en France.
– Civ. 2e, 14 mars 2002 : JCP 2002. II. 10095, note H. Fulchiron. Dans cet arrêt, l’époux était également
français et la Cour a également relevé que « lors de la présentation de la demande de divorce, les époux
demeuraient en France ».
124
Civ. 1re, 17 févr. 2004 : Bull. civ. I, n° 256 ; Bull. civ. I, n° 258. Dans un cas, les deux époux sont
domiciliés en France (arrêt n° 258) ; dans l’autre, « la femme, sinon les deux époux, sont français » (arrêt
n° 256).
125
V., par exemple P. GANNAGÉ, Vers un ordre public personnel dans le droit international privé de la
famille (solutions françaises et proches-orientales) : Mélanges dédiés à Louis Boyer, Presses de
l’Université des Sciences Sociales de Toulouse, 1996, p. 209, spéc. n° 5 ; N. JOUBERT, La notion de liens
suffisants avec l’ordre juridique (Inlandsbeziehung) en droit international privé : Thèse Paris I, 2002,
p. 238 s. ; J.-M. JACQUET, note sous Toulouse, 10 déc. 1991 : JDI 1992. 945 s., spéc. 953 ; P. COURBE,
note sous Civ. 1re, 13 mai 1993 : Rev. crit. 1993. 685 s., spéc. 691 ; Jacques FOYER, note sous Civ. 1re,
10 févr. 1993 : Rev. crit. 1993. 621 s., spéc. 628.
126
On avait d’ailleurs fait valoir qu’en l’absence de garanties pécuniaires dans l’acte de répudiation, la
femme risquait de se trouver à la charge de la société française. Sur ce point, cf. supra n° 636.

468
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

de la femme ou des époux constitue, à elle seule, un lien suffisant – comme peut l’être
la nationalité – pour écarter toute répudiation au nom de l’ordre public international127.
Dans l’affirmative, il paraît alors inutile de se référer à un respect de la procédure ou au
fait que la femme doit avoir bénéficié de garanties financières suffisantes. Il semble
pourtant que l’on devrait admettre des solutions plus nuancées et qu’il serait possible de
distinguer entre diverses situations révélatrices de liens plus ou moins étroits avec le
système juridique français.

652. Certes, une femme ne peut, à l’égal de l’homme, mettre fin unilatéralement
et discrétionnairement au mariage, mais si cette inégalité justifie à elle seule le rejet de
la répudiation lorsqu’elle est prononcée en France, ou contre une Française qui n’a pas
acquiescé, il est permis de se demander si la répudiation doit être écartée
automatiquement lorsque la répudiation est prononcée à l’étranger, entre étrangers dont
le statut personnel le permet. Dans ses arrêts de 2004128, la Cour de cassation a
considéré la répudiation comme intrinsèquement contraire à l’ordre public
international ; les deux époux étaient algériens et s’étaient mariés en Algérie. Dans l’un
des arrêts129, ils étaient domiciliés en France ; la Cour a estimé que la répudiation ne
pouvait être reconnue, « même si elle résultait d’une procédure loyale et
contradictoire » (la cour d'appel avait également reconnu que la femme avait obtenu des
dommages-intérêts). Dans l’autre arrêt130, elle a retenu que « la femme, sinon même les
deux époux », étaient domiciliés en France ; la femme avait, semble-t-il, reçu une
compensation financière. Il est permis de se demander, comme l’a fait M. Fulchiron, s’il
est pour autant « raisonnable de refuser de laisser produire tout effet à une répudiation
valablement prononcée à l’étranger, sans esprit de fraude, au seul motif que la femme

127
On doit noter que si l’on considérait que la répudiation devait être écartée du simple fait de
l’établissement des étrangers en France, il conviendrait alors de reconsidérer la convention franco-
marocaine en particulier, car elle se trouverait définitivement dénuée d’intérêt en la matière. Le Haut
Conseil à l’intégration (Conditions juridiques et culturelles de l’intégration : La Documentation
française, Coll. Rapports officiels, Rapport au Premier ministre, mars 1992, p. 29) a ainsi estimé qu’il
convenait de « renégocier les conventions bilatérales lorsqu'elles comportent des dispositions
manifestement contraires à notre conception de l’ordre public, c'est-à-dire nos valeurs de société ». Ce
serait le cas si l’on devait écarter de manière systématique une répudiation lorsque les intéressés
demeurent en France.
128
Civ. 1re, 17 févr. 2004 : Bull. civ. I, n° 256 ; Bull. civ. I, n° 258.
129
Arrêt n° 256.
130
Arrêt n° 258.

469
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

n’aurait pu obtenir la dissolution du lien conjugal dans les mêmes conditions »131. Dans
l’hypothèse où l’on ne souhaiterait pas écarter de manière systématique une répudiation
prononcée à l’étranger entre étrangers dont le statut personnel le permet, il est possible
de situer le contrôle de la conformité à l’ordre public international au niveau de la prise
en charge des conséquences de la répudiation, plus que dans son prononcé132. Toutes les
conséquences jugées inadmissibles, tel l’abandon sans aucunes garanties financières de
la femme qui réside habituellement en France, seraient déclarées contraires à la
conception française de l’ordre public international. Il en serait de même en l’absence
de garanties procédurales minimales. Cette solution aurait également le mérite de
redonner un peu de valeur aux conventions bilatérales. Lorsque les liens avec le for sont
plus relâchés, l’ordre public ne devrait pas manifester des exigences aussi fortes que
lorsqu'il est, par exemple, amené à proscrire la répudiation dont la Française fait
l’objet133.

653. À cette sévérité s’ajoute celle adoptée par la Cour de cassation (dans un
autre arrêt rendu le 17 février 2004134) en ce qui concerne la reconnaissance des
décisions étrangères de divorce ou de répudiation lorsqu'elles sont prononcées à
l’étranger. On sait que l’arrêt Simitch135 a précisé que « toutes les fois que la règle
française de solution des conflits de juridictions n’attribue pas compétence exclusive
aux tribunaux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent dès lors que le
litige se rattache d’une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi, et si le
choix de la juridiction n’a pas été frauduleux »136. Or, il est important de souligner que

131
H. FULCHIRON, Droits fondamentaux et règles de droit international privé : conflits de droits, conflits
de logiques ? L’exemple de l’égalité des droits et responsabilités des époux au regard du mariage, durant
le mariage et lors de sa dissolution, in Le droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention
européenne des droits de l'homme : Actes du Colloque de Montpellier, ss dir. F. SUDRE, Nemesis,
Bruylant, 2002, p. 353 s., spéc. p. 377.
132
V. en ce sens H. FULCHIRON, ibid.
133
V. R. LIBCHABER, L’exception d’ordre public en droit international privé, in L’ordre public à la fin du
e
XX siècle : Dalloz, 1996, p. 65 s., spéc. p. 74. L’auteur indique que « l’ordre public de proximité tolèrera
l’institution, mais on l’assortira de garanties minimales qui lui permettent de retrouver dans la répudiation
une communauté d’institution avec le divorce ou la séparation française ».
134
Civ. 1re, 17 févr. 2004 : Bull. civ. I, n° 260.
135
Civ. 1re, 6 févr. 1985, Mme Fairhurst c. Simitch : JDI 1985. 460, note A. Huet ; D. 1985. 469, note
J. Massip et I.R. 497, obs. B. Audit ; Chron. P. Francescakis : Rev. crit. 1985. 243 ; B. A NCEL et
Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll.
Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 70. – Les juridictions françaises sont exclusivement compétentes sur le
fondement subsidiaire des articles 14 et 15 du Code civil si les parties n’y ont pas renoncé (v.
H. GAUDEMET-TALLON, Divorce : J.-Cl. Droit int. pr., Fasc. 547-10, 1996, n° 29).
136
V. pour des applications antérieures à l’arrêt Simitch : Paris, 10 nov. 1971, Mack Trucks : RTD com
1972. 239, obs. Y. Loussouarn ; JDI 1973. 239, note A. Huet (il fallait que « le litige se rattache d’une

470
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

la Cour de cassation a considéré que lorsque les deux époux sont domiciliés en France,
« leur nationalité algérienne commune ne suffisait pas à rattacher le litige d’une manière
caractérisée à l’Algérie et que le juge algérien n’était pas compétent pour en
connaître »137. Mme Hammje138 s’était inquiétée du fait que certains juges étaient tentés
de se placer sur le terrain du contrôle de la compétence indirecte du tribunal étranger
pour écarter des répudiations, mais soulignait que la Cour de cassation avait
« heureusement » censuré cette attitude dans un arrêt du 15 juin 1994139. L’auteur
ajoute : « on mesure combien il aurait été tentant, face à un ordre public défaillant, de
l’appliquer en cas de répudiation obtenue devant les autorités nationales par les couples
domiciliés en France ». On peut se demander si la Cour de cassation n’aurait pas cédé à
cette tentation140 alors même que l’ordre public était loin d’être défaillant si l’on en juge
par les autres décisions rendues à la même date. Si cette jurisprudence devait être
maintenue, la question de la reconnaissance des répudiations ne se poserait plus lorsque
les époux ont tous deux leur résidence habituelle en France. Cela aurait le mérite de
simplifier le problème, mais cette décision peut paraître discutable.

654. En revanche, si le statut personnel de l’un des deux époux ne permet pas la
répudiation, on pourrait considérer que sa résidence habituelle en France est, comme
dans l’hypothèse où il est français, un obstacle en tant que tel à la répudiation. Ainsi,
lorsque la femme est française, la répudiation ne peut lui être opposée ; il en irait de
même si elle était anglaise, mais établie en France de manière stable. L’Anglais double
national, ayant également la nationalité d’un État qui autorise la répudiation, ne pourrait
répudier valablement une femme dans son pays d’origine dans l’hypothèse où il vivrait
en France. Le cumul de la résidence habituelle en France et d’un statut personnel qui
interdit la répudiation serait révélateur d’une proximité plus importante avec l’ordre

manière suffisante au pays dont le juge a été saisi, c'est-à-dire que le choix de la juridiction ne soit ni
arbitraire, ni artificiel, ni frauduleux » ; Paris, 5 mars 1976 : JDI 1977. 880, note A. H. ; Rev. crit. 1978.
149, note B. Audit ; Paris, 27 nov. 1981 : D. 1983. 143.
137
Sur la question, cf. supra n° 473 s.
138
P. HAMMJE, L’effet atténué de l’ordre public, in L’extranéité ou le dépassement de l’ordre juridique
étatique : Actes du colloque des 27 et 28 novembre 1997 organisé par l’Institut d’étude de droit
international de la Faculté de droit de l’Université de Lausanne, Éd. Pédone, Paris, 1999, p. 87 s., spéc.
p. 98.
139
Civ. 1re, 15 juin 1994 : Rev. crit. 127, note B. Ancel.
140
Sauf à considérer, comme Mme Niboyet (obs. sous Civ. 1re, 17 février 2004 (4 arrêts) : Gaz. Pal., 25-
26 févr. 2004, p. 29 s., spéc. p. 33), que la décision ne concernerait que les hypothèses où « une
convention internationale prescrit au juge français de l’exequatur d’apprécier la compétence du juge
étranger au regard des règles de compétence du juge français ». Sur ce point, cf. supra n° 473.

471
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

juridique français, suffisante pour que toute répudiation puisse être écartée au nom de
l’ordre public. Le degré d’intensité de la réaction de l’ordre public est logiquement plus
important dans cette situation que lorsque le statut personnel des étrangers autorise la
répudiation.

655. Enfin, si la répudiation intervient alors que le statut personnel des époux
l’autorise et qu’ils sont établis à l’étranger au moment de l’acte, elle doit pouvoir être
reconnue en France, sans restriction. Les liens avec le territoire seraient à apprécier au
moment où l’acte de répudiation intervient. La situation serait alors trop éloignée du for
pour que l’on puisse se permettre de lui opposer la conception française de l’ordre
public si la situation devait être invoquée en France141. Dans un autre arrêt du 17 février
2004142, les faits étaient les suivants : deux époux marocains s’étaient mariés au Maroc
en 1981 ; en 1983, le mari avait répudié sa femme ; en 1986, il s’était remarié avec une
Française ; en 1990, il avait obtenu la nationalité française. Or, en 1998, le procureur de
la République a assigné les époux en annulation de leur mariage pour bigamie et pour
faire constater en conséquence la caducité de la déclaration de nationalité. La cour
d'appel a débouté le ministère public de sa demande, estimant que la décision de divorce
devait être reconnue de plein droit en France. La Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu
car les considérations générales de la cour d'appel ne lui permettaient pas d’exercer son
contrôle sur la régularité internationale de la décision marocaine. Si les époux sont
établis dans leur pays d’origine au moment de la répudiation (ce que les faits ne
précisent pas), la cour d'appel doit certes vérifier que les conditions de l’arrêt Simitch143
sur la reconnaissance des décisions sont bien remplies, mais il semble difficile
d’opposer une quelconque contrariété à la conception française de l’ordre public
international si les étrangers dont le statut personnel autorise la répudiation vivent au
moment des faits dans un pays qui l’autorise. Les liens avec le système juridictionnel
français sont trop lâches au moment de la répudiation pour que l’ordre public
intervienne avec une quelconque sévérité.

141
V. P. M AYER , La Convention européenne des droits de l’homme et l’application des normes
étrangères : Rev. crit. 1991. 651 s., spéc. 659-660. Selon l’auteur, « refuser de reconnaître une
répudiation prononcée, en dehors de tout lien avec la France, dans un pays qui la considère comme un
mode normal de dissolution du mariage, traduirait une prétention à conférer une portée universelle à des
valeurs reçues par une civilisation particulière ».
142
Civ. 1re, 17 févr. 2004 : Bull. civ. I, n° 257.
143
Précité, cf. supra n° 653, n. 135.

472
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

656. Avec la répudiation, la relativité de l’ordre public international est mise en


évidence ; la prise en considération des circonstances concrètes, propres à chaque
situation, est essentielle. L’ordre public international se décline puisqu’il est possible
d’envisager à la fois : un refus absolu du prononcé de toute répudiation sur le territoire
français ; une reconnaissance très restreinte lorsque l’un des époux est français (ce n’est
que lorsque la femme est française et qu’elle a accepté la répudiation que l’on peut
envisager de la reconnaître ; le Français, même double national, ne peut jamais répudier
son épouse ; il serait possible d’envisager la même solution si le statut personnel des
intéressés ignorait l’institution et qu’ils avaient leur résidence habituelle en France) ;
une reconnaissance plus large mais contrôlée si la femme ou les deux époux dont le
statut personnel permet la répudiation ont leur résidence habituelle en France (la
répudiation pourrait être acceptée lorsqu’assortie de garanties minimales) ; et une
reconnaissance quasiment inconditionnelle lorsqu'elle a été prononcée à l’étranger, entre
étrangers dont le statut personnel l’autorise, et vivant à l’étranger au moment de la
répudiation. Tout en nuances, éminemment concret et pragmatique, l’ordre public de
proximité permet en effet, pour reprendre les termes de M. Libchaber144, à la fois
d’identifier « le contenu essentiel de certains objectifs nationaux » et de « dessine[r]
d’un fin pinceau les contours des valeurs à usage international en considération
desquelles la réaction de l’ordre public se manifestera ».

144
R. LIBCHABER, L’exception d’ordre public en droit international privé, in L’ordre public à la fin du
e
XX siècle : Dalloz, 1996, p. 65 s., spéc. p. 75.

473
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

474
CONCLUSION DU CHAPITRE 2.

657. La polygamie et la répudiation sont deux institutions qui représentent


« probablement ce qu’il y a de plus inacceptables pour un ordre juridique européen »1.
La première question qui se pose est de savoir si, parce qu’elles consacrent l’inégalité et
l’infériorité de la femme par rapport à l’homme2, ces institutions heurtent le système
français au point de devoir être écartées de manière systématique ; dans la négative, il
convient de déterminer comment peut être mise en œuvre la relativité de l’ordre public.
La question de l’ordre public ne se pose qu’en termes de reconnaissance de ces
situations puisqu’il est fermement établi qu’aucune seconde union, non plus qu’aucune
répudiation, ne sauraient être prononcées sur le sol français.

658. En matière de polygamie, la jurisprudence a considéré que l’institution


n’était pas en soi contraire à la conception française de l’ordre public. La relativité de
l’ordre public se manifeste essentiellement à travers la théorie de l’ordre public atténué :
les seconds mariages sont reconnus en France, mais la jurisprudence a considéré que ses
effets pouvaient être limités. Tel est notamment le cas lorsque la première épouse est
française ; le second mariage ne peut produire d’effets à son encontre. Pour autant, les
problèmes liés à cette dissociation entre la reconnaissance de la polygamie et ses effets
demeurent. L’une des solutions pourrait consister à se placer, non pas sur le plan des
effets de la polygamie, mais en amont, et à considérer que le fait que la femme ou les
deux époux aient leur résidence habituelle en France est un lien suffisant pour constituer
un obstacle à la seconde union, que la première épouse soit française ou étrangère, de
statut personnel polygamique ou monogamique. La proximité spatiale avec le for,
révélée par un établissement effectif et stable sur le territoire français, paraît suffisante

1
J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations
entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI
1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 158.
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

pour justifier le refus de reconnaître toute nouvelle union. Dans l’hypothèse où le


mariage serait déclaré non valide en France, l’institution du mariage putatif permettrait
néanmoins de protéger la seconde épouse et ses enfants.

659. En ce qui concerne la répudiation, les insuffisances liées à la conception de


l’ordre public atténué ont été largement dénoncées par la doctrine ; il fallait trouver
d’autres solutions. Les répudiations ont ainsi été jugées contraires à l’ordre public car
contraires au principe d’égalité entre les époux garanti par l’article 5 du protocole n° 7
de la Convention européenne des droits de l'homme. Ce faisant, la Cour de cassation
intégrait les droits fondamentaux protégés par le texte dans la conception française de
l’ordre public3. Toute répudiation se trouvait alors ipso facto écartée, sauf
acquiescement de la femme à l’acte. Dans des arrêts rendus le 17 février 20044, la Cour
a ensuite considéré que la répudiation devait être déclarée contraire à l’ordre public
(toujours au nom des droits de l’homme et du principe de non-discrimination entre les
époux) dès lors que la femme, sinon les deux époux, étaient domiciliés en France. Le
lien territorial conditionne le déclenchement de l’ordre public, lequel permet alors
d’écarter la répudiation, même lorsqu’elle résulte d’une procédure loyale et
contradictoire et que la femme a obtenu des garanties financières. Au-delà de la
question de savoir s’il est vraiment utile de se fonder sur la Convention européenne des
droits de l'homme, on peut se demander si la jurisprudence ne pourrait pas affiner
encore sa conception de l’ordre public lorsque sa relativité est révélée par le degré
d’intensité des liens avec le for.

660. Dans la mesure où, par définition, l’ordre public de proximité suppose une
appréciation concrète des liens entretenus avec le for et où il convient d’examiner
l’ensemble des circonstances de la cause, plusieurs situations pourraient être
distinguées. Ainsi, la jurisprudence admet volontiers que la nationalité française de la
femme ou de l’homme est un lien suffisant pour constituer un obstacle à la répudiation ;
ce lien est assez fort pour que cette institution, jugée intolérable, soit écartée en tant que
telle. Le fait qu’un étranger ait sa résidence habituelle en France et qu’il ait un statut

2
J. DÉPREZ, Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations
entre systèmes d’Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel : RCADI
1988-IV, t. 211, p. 9 s., spéc. p. 165.
3
Cette solution a divisé la doctrine, les uns l’approuvant, les autres en soulignant les dangers.
4
Civ. 1re, 17 févr. 2004 : Bull. civ. I, n° 256 et 258.

476
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA RÉSIDENCE HABITUELLE DANS LE PROCESSUS
D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

personnel qui prohibe la répudiation paraît justifier que l’on adopte à son égard la même
solution. En revanche, alors même que l’un ou/et l’autre époux réside(nt)
habituellement en France, si leur statut personnel permet la répudiation, ne pourrait-on
considérer que les liens avec le for sont en ce cas moins étroits et que l’éviction doit
jouer de manière moins forte ? L’acte de répudiation pourrait être reconnu, mais sous
certaines conditions (par exemple sous réserve du respect des garanties procédurales ou
de l’obtention de garanties financières suffisantes pour la femme) ; le contrôle de la
conformité à l’ordre public international se situerait au niveau des conséquences de la
répudiation, plutôt que dans son prononcé. Enfin, il serait logique d’admettre que la
répudiation produise ses effets lorsqu’elle a été prononcée alors que les époux n’avaient
pas leur résidence habituelle en France et que leur statut personnel l’autorise, les liens
paraissant trop distendus pour révéler une atteinte à l’ordre juridique du for. Certes, la
force d’intervention de l’ordre public doit être importante lorsqu’il s’agit de garantir un
droit de l’homme, mais rien n’empêche de l’apprécier de manière plus circonstanciée.

477
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

478
CONCLUSION DU TITRE 2.

661. Sauf lorsqu’elle paraît intrinsèquement contraire à la conception française


de l’ordre public international, la loi étrangère désignée de manière abstraite par la règle
de conflit ne doit être évincée que lorsque le résultat concret auquel conduirait son
application heurte le système juridique du for. Plus la situation est proche, plus le
résultat auquel conduirait l’application de la loi étrangère peut se révéler choquant et il
paraît alors légitime que la norme désignée puisse être écartée. Ainsi, la situation peut
être jugée trop éloignée lorsqu'elle s’est déjà constituée à l’étranger et qu’il s’agit
uniquement de lui laisser produire des effets en France ; auquel cas, l’ordre public ne
pourra intervenir. À l’inverse, si elle doit se constituer sur le territoire français, le rejet
de la norme étrangère peut se justifier au nom de l’ordre public. Il est apparu que la
relativité de l’ordre public pouvait s’exprimer autrement que par cette théorie dite de
l’effet atténué de l’ordre public : on peut estimer que la proximité avec le système
juridique du for peut se déduire de l’ensemble des éléments de la cause et non
simplement du lieu de la création de la situation juridique. Ainsi, l’ordre public de
proximité peut justifier le mécanisme d’éviction de la norme étrangère dès lors que
l’examen de l’ensemble des circonstances révèle des liens suffisants avec le for. Plus les
liens avec le for seront étroits, plus l’ordre public réagira. De même, plus le principe
défendu par le for sera jugé essentiel, plus aisément la norme étrangère sera repoussée
(l’intensité des liens requis pouvant également varier en fonction de la valeur du for
qu’il s’agit de protéger).

662. Concrètement, les liens avec le for peuvent résulter de multiples éléments,
au nombre desquels peut figurer la nationalité du for. Il peut apparaître normal que le
juge français considère qu’appliquer une norme étrangère est d’autant plus choquant
qu’un Français est concerné par la situation. Que la résidence habituelle en France des
étrangers intégrés dans le milieu social français puisse constituer un lien suffisant avec
le for semble également légitime. Le rôle joué par la résidence habituelle dans le
P. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL
T. 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI ÉTRANGÈRE NORMALEMENT
COMPÉTENTE

déclenchement du mécanisme d’éviction de la loi étrangère normalement compétente


est reconnu. Cependant, on peut estimer que l’importance qui lui est accordée est encore
parfois insuffisante1. Si l’on décidait d’élargir la place de la résidence habituelle dans le
déclenchement du mécanisme de l’ordre public, il conviendrait de se garder de tomber
dans l’excès inverse qui consisterait à évincer une loi étrangère dès lors que les
intéressés sont installés, même durablement, sur le territoire français.

663. Le recours à l’ordre public est, et doit, rester un moyen exceptionnel


d’éviction de la loi étrangère désignée par la règle de conflit puisque, par définition, la
règle de conflit désigne la loi de l’État avec lequel la situation entretient les liens les
plus étroits. L’ordre public permet de corriger le résultat auquel conduit l’application
mécanique de la règle de conflit lorsqu'il paraît choquant au vu des circonstances ; en
revanche, il n’a pas pour objet de corriger ponctuellement la règle de conflit lorsque les
liens paraissent en réalité plus étroits avec une autre loi (celle du for) ou d’écarter la loi
étrangère simplement jugée inappropriée. Il ne faut pas glisser du mécanisme d’éviction
de la loi étrangère au nom d’une contrariété avec l’ordre public international vers une
correction de la règle de conflit au cas par cas.

1
D’ailleurs, le recours à la théorie de l’ordre public de proximité peut également être jugé trop limité.

480
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE

664. Des étrangers peuvent avoir leur résidence habituelle en un lieu sans y être
forcément intégrés. Ils peuvent, en effet, être établis dans un pays de manière
suffisamment stable et effective pour y avoir une résidence habituelle, tout en ayant
conservé le centre de leurs intérêts dans un autre pays. Pour autant, la résidence
habituelle peut déjà traduire les liens les plus étroits de la relation juridique au regard
des objectifs de la règle de conflit, ce qui justifie qu’elle soit directement retenue
comme élément de rattachement de la règle de conflit en question. La résidence
habituelle peut également constituer un élément qui justifie l’application immédiate de
la loi du pays d’installation.

665. Lorsque des étrangers s’établissent de manière stable dans un pays donné,
ils tissent des liens dans la communauté locale et c’est de manière progressive qu’ils
s’enracinent dans leur milieu de vie. Au fil du temps, les liens entretenus avec le pays
d’origine s’amenuisent et, corrélativement, s’affirment dans le pays d’accueil ; le centre
des intérêts se déplace et l’étranger, à terme, s’intègre dans son pays d’établissement. Le
phénomène est certes subjectif puisqu’il dépend de chaque individu, mais n’en semble
pas moins inéluctable. En matière de statut personnel, la nationalité est présumée être
l’élément le plus représentatif de la situation juridique, mais on peut se demander si,
lorsque l’installation des intéressés a déjà suffisamment perduré, on ne peut pas
admettre que leur résidence habituelle traduise alors les liens les plus étroits de la
relation juridique, auquel cas, la loi applicable, désignée par la règle de conflit, se
révélerait inadaptée.

666. Par ailleurs, lorsque la règle de conflit française désigne une loi étrangère,
cette loi peut être évincée notamment dans la mesure où les intéressés, ayant établi leur
résidence habituelle en France, sont suffisamment intégrés dans ce pays d’accueil pour
que le résultat auquel conduirait l’application de cette loi étrangère soit jugé choquant.
P. 2. LA RÉSIDENCE HABIUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL

La résidence habituelle est un lien suffisant pour déclencher l’éviction de la loi


étrangère au profit de la loi du for et justifier l’entorse faite à la règle de conflit. Une
norme étrangère peut choquer l’ordre juridique français parce qu’elle prohibe par
exemple le droit de faire établir sa filiation naturelle alors que la France a proclamé
l’égalité entre les filiations. Elle paraît également choquante lorsqu'elle autorise un
homme à prendre deux épouses et à les répudier alors que la France a fait de l’égalité
entre les hommes et les femmes l’un de ses principes fondamentaux. Si le contenu de
pareilles lois étrangères nous dérange déjà en tant que tel, il nous semble a fortiori
impossible de les appliquer, non seulement aux nationaux français, mais encore aux
étrangers installés dans le milieu social français. On considère que l’on ne peut imposer
aux étrangers installés en France certaines lois contraires aux valeurs françaises ;
l’étranger ne peut pas non plus en revendiquer l’application. On peut se demander si le
fait que les étrangers aient leur résidence habituelle en France n’est pas plus qu’un
simple lien suffisant à déclencher le mécanisme d’éviction, et s’il n’est pas finalement
considéré, dans certains cas, comme un élément qui justifie de manière positive la
substitution de loi et l’application de celle du for. L’ordre public serait détourné de sa
fonction s’il apparaissait que ce qui choque le juge, c’est d’appliquer aux étrangers une
autre loi que la loi française, loi de leur milieu de vie.

667. Dans les années soixante, des auteurs s’étaient posé la question de savoir si
le principe de la nationalité en matière de statut personnel ne « s’effritait » pas peu à
peu1, si le droit international privé était « fidèle »2 à la loi nationale, tant les dérogations
à l’application de cette loi se multipliaient. Les dérogations à la loi nationale,
initialement liées à des défaillances techniques de la règle de conflit, ont ensuite été
justifiées par divers arguments. Certains concernent l’individu en tant que tel : les
étrangers installés en France doivent être soumis à une loi qui soit le reflet de leur
appartenance de fait à la communauté française ; s’ils ont leur résidence habituelle en
France, il est juste de leur appliquer la loi française. D’autres sont plus orientés vers
l’intérêt collectif ou national et le contexte migratoire français a été invoqué : appliquer
aux étrangers la loi de leur milieu de vie accélère leur intégration dans la communauté

1
V. L. I. DE W INTER , Le principe de la nationalité s’effrite-t-il peu à peu ?, in De conflictu legum :
Mélanges offerts à Roeland Duco Kollewijn et Johannes Offerhaus à l’occasion de leurs soixante-dixième
anniversaires, A. W. Sijthoff, Leyde, 1962, p. 514 s.

482
CONCLUSION

française ; appliquer aux étrangers leur loi nationale, en dehors des difficultés
pragmatiques liées à l’application de la loi étrangère par les tribunaux lorsqu'elle ne
relève plus de l’exception, peut faire naître sur le territoire français un pluralisme
juridique de fait qui peut devenir l’objet d’un rejet par le corps social. Aujourd’hui, les
entorses à l’application de la loi nationale se manifestent également par le biais du
mécanisme d’éviction que constitue l’ordre public international. Tant qu’on lui demeure
vraiment attaché, les dérogations à un principe ne semblent pas vraiment graves, même
si elles sont quantitativement importantes. Mais aujourd’hui, on est en droit de se
demander si le principe de l’application de la loi nationale se justifie toujours tant il peut
paraître « naturel » que les personnes soient finalement régies par les lois de leur pays
d’accueil.

668. On a vu que, techniquement, rien ne s’opposait vraiment à ce que le droit


français envisage, en matière de statut personnel, un changement de la loi applicable au
profit de la loi de la résidence habituelle au-delà d’un certain délai (que ce soit pour les
Français ou pour les étrangers). On doit se demander si, au-delà de l’intérêt individuel
ou de l’intérêt collectif évoqués, celui éminemment concret du droit international privé,
des relations internationales, ne pourrait justifier une telle solution pragmatique. On a
longtemps opposé les avantages et les inconvénients respectifs des systèmes fondés sur
la loi nationale et sur la loi du domicile ; ne serait-il pas plus approprié de dépasser
finalement cette opposition et de combiner les deux systèmes ? L’articulation
permettrait sans doute une meilleure répartition des compétences dans l’ordre juridique
international. L’adoption plus franche d’un critère de rattachement territorial lorsqu’on
peut présumer qu’au terme d’un certain laps de temps, l’intéressé est intégré dans son
milieu de vie permettrait, par un système de bascule, de passer d’un rattachement fondé
sur l’appartenance juridique à un rattachement fondé sur l’appartenance de fait, de
mettre en adéquation le droit avec les faits. Lorsque l’intéressé sera intégré au point de
vouloir acquérir la nationalité de son État d’accueil, la loi de sa résidence habituelle et
celle de sa nouvelle nationalité ne feront qu’une ; l’élément d’extranéité aura disparu.

2
V. H. BATIFFOL, Le droit international privé français est-il fidèle à la loi nationale ? : Hommage d’une
génération de juristes au Président Basdevant, Éd. A. Pédone, 1960, p. 22 s.

483
P. 2. LA RÉSIDENCE HABIUELLE, MARQUE D’UNE APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL

484
CONCLUSION GÉNÉRALE

669. Dans sa communication devant le Comité français de droit international


privé de 1964 intitulée « Les avatars du concept de domicile dans le droit international
privé actuel », Francescakis1 considérait le domicile « comme le dieu Protée de [s]es
ancêtres qui changeait de forme quand on le pressait de questions ». Il expliquait ce
terme d’« avatars » en se référant à l’étymologie du mot : « incarnations successives
d’une divinité » ; il ajoutait « c’est bien de cela, je crois, qu’il s’agit, le dieu, la divinité,
est le même : le domicile ». La notion de domicile est, selon le contexte, appréciée de
manière différente en droit interne, dans les relations internationales, selon les systèmes
juridiques ; il a également subi des transformations selon les époques. Et le fait est qu’il
est parfois difficile de s’y retrouver dans les applications qui en sont faites. Si la
référence à la résidence supplante largement celle faite au domicile dans les rapports
internationaux, qu’une approche fonctionnelle la caractérise également d’une certaine
manière, on ne peut considérer qu’elle a subi des déformations. Certes, en matière de
nationalité, elle a un sens qui lui est propre : la résidence exigée pour l’acquisition de la
nationalité française « s’entend d’une résidence présentant un caractère effectif et stable
coïncidant avec le centre des attaches familiales et des occupations de l’intéressé »2 ; la
jurisprudence se montre particulièrement stricte dans ses interprétations de la notion,
exigeant parfois plus que ce que la résidence n’est censée représenter, i.e. une présence
suffisamment stable et effective. On peut considérer qu’il existe une résidence « en
matière de nationalité ». Néanmoins, c’est là, semble-t-il, l’exception pour l’instant. Il
ne faudrait d’ailleurs pas tomber dans le travers qui consisterait à définir la notion de
résidence au regard de l’objectif de chaque règle de conflit qui s’y réfère, auquel cas on
pourrait effectivement la considérer comme un avatar. Les définitions autonomes du
domicile étaient nécessaires si l’on voulait tenir compte de situations réalistes. Or, la
résidence n’a absolument pas besoin de définitions autonomes qui, fatalement,

1
P. FRANCESCAKIS , Les avatars du concept de domicile dans le droit international privé actuel :
TCFDIP, 1962-1964, p. 291 s., spéc. p. 308.
2
V. Civ. 1re, 10 avr. 1996 : D. 1997. 105, note P. Guiho.
CONCLUSION GÉNÉRALE

conduiraient à une dénaturation et, à terme, à un éclatement de la notion. Elle perdrait


toute cohérence d’ensemble. On pourrait ajouter que si l’avatar est chacune des
incarnations d’un dieu, c’est, au sens figuré, une métamorphose, une transformation et,
par contresens et dans son usage pluriel, une mésaventure, un malheur3. La résidence est
un critère éminemment pragmatique, concret, souple et réaliste. Elle doit le rester.

670. On a souvent dit que la résidence, simple ou qualifiée d’habituelle, s’entend


d’une présence suffisamment stable et effective de l’intéressé en un lieu. Elle est le
reflet de liens plus ou moins intenses que l’étranger entretient avec le pays dans lequel il
est établi. Selon la finalité de la règle de droit qui s’y réfère, cette durée de présence
révélatrice de stabilité doit être plus ou moins importante. C’est ce qui caractérise
l’approche fonctionnelle de la notion. L’approche fonctionnelle ne signifie alors pas que
la notion change de sens selon l’objectif de la règle de conflit et selon la matière
considérée, mais simplement qu’il s’agit d’apprécier l’existence des liens que l’intéressé
entretient avec le système juridique au regard de l’objectif dont il est question ; on doit
apprécier si l’intensité de ces liens est suffisante pour considérer que la résidence s’est
déjà ou non constituée en un lieu selon la finalité poursuivie par la règle de droit.

671. La résidence se constitue au fur et à mesure de l’écoulement du temps. Ce


laps de temps écoulé est progressivement significatif de l’intensité des liens que les
personnes établies dans un milieu social entretiennent avec la communauté locale. Au
fil du temps passé en un lieu, le centre des intérêts des personnes concernées se déplace
inéluctablement vers leur milieu de vie, même si l’on ne saurait dire a priori, de
manière générale, au bout de combien de temps exactement l’intéressé acquiert une
résidence en un lieu et à quel moment celle-ci devient habituelle. L’intégration dans un
milieu social est un élément subjectif qui dépend de chaque situation individuelle, du
motif du déplacement de l’intéressé, de son intention de retourner à plus ou moins long
terme dans son pays d’origine, d’une volonté et d’une faculté d’adaptation propres à
chacun. On ne peut considérer qu’une personne a acquis une résidence habituelle en un
lieu qu’en examinant l’ensemble des éléments de fait relatifs à chaque situation ; cet
examen est éminemment concret. Lorsqu’une durée de résidence minimum est fixée par
la loi, cette durée n’est pas un élément constitutif de la notion, elle en conditionne
seulement certains effets. Ainsi, celui qui veut acquérir la nationalité française doit

3
Selon le dictionnaire Le Robert de la langue française (V° Avatar).

486
CONCLUSION GÉNÉRALE

parfois justifier de cinq années de résidence habituelle en France. Au-delà de dix années
de résidence habituelle en un lieu, les époux qui n’ont pas expressément fixé la loi
applicable à leur régime matrimonial sont soumis, à l’issue de ce délai, à la loi de leur
résidence habituelle. On pourrait envisager qu’il en soit ainsi pour ce qui concerne la loi
applicable à leur statut personnel. Comme il est impossible de savoir au bout de
combien de temps une personne est réellement intégrée en un lieu, le délai fixé est
présomptif de cette intégration.

672. Si la composante intentionnelle est bien un élément constitutif du domicile,


il n’en est rien de la résidence. Cependant, il est fréquemment fait référence aux
intentions des intéressés, à leur perspective de séjour plus ou moins long dans le pays
d’accueil. Si la présence a déjà suffisamment duré, la stabilité et l’effectivité de la
résidence sont suffisamment caractérisées pour que l’on puisse conclure à son existence.
Une personne peut avoir sa résidence habituelle en un lieu parce qu’elle y est installée
depuis un temps suffisant alors même qu’elle envisage de le quitter à brève échéance.
En revanche, s’il existe un doute sur l’existence de la résidence, il est possible de se
référer à un élément intentionnel, objectivement apprécié, qui ne servira qu’à la révéler.

673. Aujourd’hui, alors qu’en matière de statut personnel la nationalité est encore
le critère de rattachement retenu par le législateur français, le nombre des dérogations
apportées au principe n’a cessé d’augmenter au profit de solutions plus territorialistes.
Mancini estimait que la loi était conçue pour les nationaux, qu’elle était adaptée à leur
tempérament national, que chacun avait le droit d’être soumis à la loi qui émane de la
collectivité dont il est issu et que la loi nationale devait donc avoir un rayonnement
extra territorial. En revanche, pour Niboyet, c’est l’intérêt national qui devait prévaloir
dans la résolution des conflits de lois. Or, la France étant un pays d’immigration, ce qui
répondait le mieux aux intérêts de la France, c’était une doctrine territorialiste. Il a donc
préféré la loi du domicile (qui permettait une assimilation de la population immigrée) à
la loi nationale en matière d’état et de capacité des personnes, mais sans renoncer pour
autant à l’application de la loi française pour les Français de l’étranger. Pour reprendre
les termes de Francescakis, « au nom de l’intérêt national, il [aura] jou[é], si l’on ose
dire, sur les deux tableaux. Il [aura fait] de l’argument politique le principe correcteur

487
CONCLUSION GÉNÉRALE

des résultats du territorialisme »4 ; « la loi française se taill[ait] malgré tout la part du


lion »5.

674. Aujourd’hui, bien que le droit français réserve encore une place de principe
à la loi nationale en matière de statut personnel, on admet aisément que l’immigré
échappe pour une grande part à la mentalité de son pays d’origine pour s’adapter à celle
de son milieu d’accueil ; la doctrine de Mancini est donc largement dépassée. On
considère également que le droit doit faire une plus large place à des critères de
rattachement territoriaux et que la résidence habituelle est un élément adéquat, mais
l’adoption de critères de rattachement unilatéraux engendre des critiques. Le
territorialisme envisagé n’est plus celui de Niboyet ; il doit être bilatéral. L’idéal est
donc d’arriver à concilier les deux éléments, nationalité et résidence habituelle, dans les
règles de conflit afin de préserver à la fois les intérêts individuels et privés6, l’intérêt
national (les règles de conflit doivent être adaptées au contexte migratoire français ; il
convient d’éviter de cultiver un pluralisme juridique de fait sur le territoire national) et
l’intérêt de l’ordre international (il est essentiel d’arriver à une répartition objective et
équilibrée des compétences internationales).

675. Dans cette perspective, ne pourrait-on, par exemple, envisager de s’inspirer


du droit communautaire qui combine les critères de rattachement et de dépasser ainsi les
oppositions nationales liées à chaque système juridique ? Ainsi, le règlement
« Bruxelles II »7 privilégie le critère de la résidence habituelle, mais reconnaît malgré
tout un rôle à la nationalité des personnes concernées. Si les époux ont tous deux la
nationalité d’un État membre8, ce critère est suffisamment représentatif de l’intensité
des liens entretenus avec le for de la nationalité pour fonder la compétence des
juridictions saisies. À défaut d’être commune, la nationalité doit être combinée avec une
résidence assortie d’une condition de durée9 ; si la résidence est celle du demandeur,

4
P. FRANCESCAKIS, La pensée des autres en droit international privé : Université Thessalonique, 1987,
spéc. p. 453.
5
P. FRANCESCAKIS, op. cit., p. 455.
6
La réalisation d’objectifs concrets ne doit pas se confondre avec l’utilitarisme ; il faut veiller à insérer
l’intérêt privé (celui des personnes, quelle que soit leur nationalité) dans l’intérêt général de la
collectivité. V. l’analyse de la pensée de BATTIFOL, par F RANCESCAKIS La pensée des autres en droit
international privé : Université Thessalonique, 1987, spéc. p. 163 s.
7
C’est également le cas pour le nouveau règlement « Bruxelles II bis ».
8
Ou un domicile commun s’il s’agit du Royaume-Uni ou de l’Irlande.
9
V. B. ANCEL et H. MUIR-WATT, La désunion européenne : le Règlement dit « Bruxelles II » : Rev. crit.
2001. 403 s., spéc. 414. « La nationalité n’est pas proscrite puisqu’elle réapparait sous une forme
qualifiante, commune ou conjuguée avec la résidence de l’époux demandeur ».

488
CONCLUSION GÉNÉRALE

elle est également assortie d’une durée minimum. Par ailleurs, les privilèges de
juridictions nationaux (ceux, pour la France, des articles 14 et 15 du Code civil) ne
peuvent être invoqués contre les ressortissants d’un État membre ; à l’inverse, les
personnes qui ont leur résidence habituelle sur le territoire d’un État membre peuvent,
comme les nationaux, s’en prévaloir contre un défendeur qui n’a pas sa résidence
habituelle dans un État membre ou qui n’a pas la nationalité d’un État membre. On ne
peut que constater les liens étroits qu’entretiennent la nationalité et la résidence
habituelle, aucun de ces deux éléments n’étant exclusif l’un de l’autre ; ils font, au
contraire l’objet d’un consensus et peuvent tous deux traduire une appartenance
juridique ou de fait au sein d’une communauté. Certes, pour l’instant, la construction
d’un droit international privé communautaire est encore essentiellement limitée aux
conflits de juridictions10 et à la reconnaissance des décisions, mais ne pourrait-on
s’inspirer de la méthode pour l’élargir aux conflits de lois ? Mme Muir-Watt11 a
souligné le mouvement cyclique du droit international privé, lié à des considérations
tenant soit à la protection d’intérêts étatiques, soit à la recherche d’une justice propre
aux intérêts privés. Peut-être pourrait-on admettre que la volonté de coordonner les
systèmes juridiques et que le choix de retenir des éléments de rattachement fondés à la
fois sur la nationalité et sur la résidence habituelle s’inscrivent dans un nouveau
mouvement, qui tiendrait compte à la fois des intérêts privés, étatiques, mais également
internationaux.

10
Cependant, le règlement n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité
(JOCE L 160, 30 juin 2000, p. 1), entré en vigueur le 1er mai 2002, prévoit des règles communes non
seulement en ce qui concerne la compétence des tribunaux et la reconnaissance des décisions, mais
également la loi applicable. La proposition de règlement sur la loi applicable aux obligations non
contractuelles (« Rome II ») envisage également le conflit de lois.
11
H. MUIR-WATT, Droit public et droit privé dans les rapports internationaux (Vers la publicisation des
conflits de lois ?), in Le privé et le public : Archives de philosophie du droit, Sirey, t. 41, p. 206 s.

489
CONCLUSION GÉNÉRALE

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- Req. 10 nov. 1847 : DP 1848 . 1. 38 ; S. 1848 . 1. 52.
- Req. 8 avril 1851 : S. 1851. 1. 335.
- Civ. 28 févr. 1860, Bulkley : DP 1860. 1. 57 ; S. 1860. 1. 210, concl. Dupin ;
B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit
international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 4.
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- Civ., 12 janv. 1869 (3 arrêts) : DP 1869 . 1. 294 ; S. 1869 . 1. 138.
- Req., 7 mars 1870 : S. 1872. 1. 361 ; DP 1872. 1. 326
- Req., 7 juill. 1874 : S. 1874. 1. 19 ; DP 1875. 1. 271.
- Civ., 5 mai 1875 : D. 1875. 1. 343 ; S. 1875. 1. 409.
- Civ. 18 mars 1878 : S. 1878. 1. 193, note Labbé ; B. Ancel, et Y. Lequette, Les
grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz,
Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 6.
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- Civ., 28 juill. 1902 : D. 1902. 1. 398 ; S. 1907. 1. 114.
- Req. 21 nov. 1905 : DP 1906. 1. 20.
- Paris, 18 nov. 1907 : JDI 1908. 502 ; DP 1908. 2. 358.
- Req. 29 juill. 1912 : Gaz. Pal. 1912. 2. 410.
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1. 305, note E. Audinet.
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- Orléans, 29 févr. 1928 : S. 1929. 2. 33, note E. Audinet.
- Req. 30 déc. 1930 : JCP 1931, p. 259 ; Rev. crit. 1932. 111.
- Trib. civ. Seine, 24 mai 1932 : D. 1934. 2. 5, note M. Nast.
- Req. 4 juin 1935, Zelcer : Rev. crit. 1936. 557, note Basdevant ; S. 1936. 1. 377,
rapp. Pilon, note J.-P. Niboyet ; DP 1936. 1. 7, rapp. Pilon, note Savatier ; B. ANCEL
et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit
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1945. 1. 77, rapport Lerebours-Pigeonnière, note Niboyet ; Rev. crit. 1946. 107,
note Niboyet.
- Civ. 11 avr. 1945, Bach : D. 1945. 245, note P. L.-P ; JCP 1945. II. 2895, note
R. Savatier ; S. 1945. 1. 121, note H. Batiffol.
- Civ., 1er mai 1945, Schabel : D. 1945. 245, note P. L.-P ; JCP 1945. II. 2895, note
R. Savatier ; S. 1945. 1. 121, note H. Batiffol.
- Paris, 3 juillet 1946 : Rev. crit. 1947. 137, note H. B.
- Paris, 7 juin 1947 : Rev. crit. 1948. 527.
- Civ. 25 mai 1948, Lautour : D. 1948. 357, note P. L.-P. ; S. 1949. 1. 21, note
Niboyet ; Rev. crit. 1949. 89, note Batiffol.
- Civ. 21 juin 1948, Patiño : JCP 1948. II. 4422, note P. Lerebours-Pigeonnière ; S.
1949. 1. 121, note Niboyet ; Rev. crit. 1949. 557, note Francescakis.
- Civ. 5 déc. 1949 : JCP 1950. II. 5287, note Delaume ; JDI 1950. 280, note
Goldman ; Rev. crit. 1950. 65, note Motulsky ; B. ANCEL et Y. Lequette, Les grands
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- Civ. 4 juill. 1951 : D. 1951. 587.
- Civ. 4 nov. 1952 : Rev. crit. 1953. 729, note P. Francescakis.
- Civ. 1re, 17 avril 1953, Rivière : Rev. crit. 1953. 412, note Batiffol ; JDI 1953. 860,
note Plaisant ; JCP 1953. II. 7863, note Buchet.
- Paris, 23 nov. 1954 : Rev. crit. 1956. 63, note Y. L.
- Civ. 1re, 15 mars 1955, Lewandowski : Rev. crit. 1955. 320, note Batiffol ; JDI 1956.
146, note Goldman ; D. 1955. 540, note Chavrier ; JCP 1955. II. 8771, note
A. Ponsard.
- Paris, 21 juin 1955, Sobreviela : Rev. crit. 1955. 529, note Batiffol.
- Civ. 1re, 20 déc. 1955 : JCP 1956. II. 9173, note P. Aymond.
- Tribunal de la Seine, 26 mars 1956 : D.H. 1956. 654, note F. Luchaire ; JCP 1956.
II. 9318, note P. Guiho ; JDI 1957.762, note J.-B. Sialelli.
- Civ. 1re, 9 janv. 1957 : Rev. crit. 1957. 447, note H. B. ; JCP 1958. II. 10414, note
P. Aymond.
- Civ. 1re, 28 janv. 1958, Chemouni (1er arrêt) : Rev. crit. 1958. 110, note Jambu-
Merlin ; JDI 1958. 776, note Ponsard ; D. 1958. 265, note Lenoan ; JCP 1958. II.
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- Civ. 1re, 12 mai 1959 : Rev. crit. 1960. 62, note H. Batiffol ; JDI 1960. 810, note
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- Civ., 19 oct. 1959 : D. 1960. 37, note G. Holleaux ; JDI 1960. 486, obs. Sialelli ;
Rev. crit. 1960. 215, note Y. L.
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G. Holleaux ; Rev. crit. 1961. 383, note H. Batiffol ; JDI 1961. 734 (1re esp.), note
B. Goldman.
- Civ. 1re, 15 mai 1961, 1re esp., Dame Ortiz c. son mari : D. 1961. 437, note
G. Holleaux ; Rev. crit. 1961. 545, note H. B.
- Civ. 1re, 15 mai 1961, 2e esp., Tarwid c. dame Wirtensohn : D. 1961. 437, note
G. Holleaux ; Rev. crit. 1961. 547, note Henri Batiffol ; JDI 1961. 734, note B.
Goldman.
- Civ. 1re, 12 juin 1961, Garaccione : D. 1961. 437, note G. Holleaux.
- Civ. 1re, 7 nov. 1961 : Bull. civ. I, n° 505 ; Rev. crit. 1962. 681, note H. Batiffol.
- Civ. 2e, 8 févr. 1962 : Bull. civ. II, n° 183.
- Civ. 2e, 25 mai 1962 : Bull. civ. II, n° 473.
- Civ. 2e, 11 juill. 1962 : Bull. civ. II, n° 579.
- Civ. 1re, 30 oct. 1962 : D. 1963. 109, note G. Holleaux.
- Civ. 1re, 19 févr. 1963 : Rev. crit. 1963. 559, note G. H. ; JDI 1963. 568, note
Ponsard.
- Civ. 1re, 15 mai 1963 : JDI 1963. 1016, note P. Malaurie ; JCP 1963. II. 13365, note
H. Motulsky ; Rev. crit. 1964. 532, note P. Lagarde ; B. Ancel et Y. Lequette, Les
grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz,
Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 38-39.
- Civ. 2e, 29 janv. 1964 : Bull. civ. II, n° 104.
- Civ. 2e, 3 juin 1964 : D. 1966. 4, note P. Malaurie.
- Civ. 1re, 27 oct. 1964, Maro : JCP 1964. II. 13911 bis ; D. 1965. 81 ; Rev. crit. 1965.
81.
- Civ. 2e, 24 nov. 1964 : Bull. civ. II, n° 759 ; JDI 1966. 89, note P. Malaurie.
- TGI Versailles, 31 mars 1965 : JDI 1966. 97, note A. Ponsard ; Gaz. Pal. 1965. 2.
278.
- Civ. 2e, 24 juin 1965 : JDI 1966. 89, note P. Malaurie.
- Civ. 1re, 15 févr. 1966, Campbell-Johnston : D. 1966. 370, note P. Malaurie ; Rev.
crit. 1966. 273, note H. Batiffol ; JDI 1967. 95, note B. Goldman ; Rec. gén. des
lois, 1966. 637, obs. G. Droz.

527
- Civ. 1re, 30 oct. 1967, Yechilzuke c. dame Sesquin : Rev. crit. 1969. 479, note
Jacques Foyer.
- Soc., 24 oct. 1968 (arrêt n° 2) : Bull. civ. V, n° 467.
- Civ. 1re, 8 juill. 1969, Weyrich-Laroche : D. 1970. 1, note P. Malaurie ; JDI 1970.
303, note B. G ; JCP 1971. II. 16650, note H. Gaudemet-Tallon ; Rev. crit. 1971.
255, note A. Weill.
- Civ. 1re, 3 mars 1970, Bonomo : Gaz. Pal. 1970. I. 308 ; JCP 1971. II. 16650, note
H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1970. 911, note Goldman ; Rev. crit. 1971. 255, note
A. Weill.
- TGI Paris, 16 oct. 1970 : Rev. crit. 1971. 532, note A. P.
- Paris, 10 nov. 1971, Mack Trucks : RTD com 1972. 239, obs. Y. Loussouarn ; JDI
1973. 239, note A. Huet.
- Soc., 27 janv. 1972 : Bull. civ. V, n° 70 ; Droit social, 1972, p. 530, note Bonnet.
- Paris, 10 juin 1972 : D. 1973. 196, concl. Cabannes ; JDI 1974. 150, obs. Deby-
Gérard.
- Soc., 1er mars 1973 : Rev. crit. 1975. 54, note P. Graulich.
- Paris, 10 avr. 1973 : Rev. crit. 1974. 502, note J. F. ; JCP 1974. II. 17680, note
M. Simon-Depitre.
- Paris, 28 juin 1973 : Rev. crit. 1974. 505, note Jacques Foyer ; JDI 1974. 121, note
P. Kahn.
- Civ. 1re, 19 déc. 1973 : Rev. crit. 1975. 247, note G. Wiederkehr ; JCP 1975. II.
18116, note M. Simon-Depitre ; Rép. Commaille 1975. 613, note G. A. L. Droz ; D.
1974. 661, note Mezger.
- Civ. 1re, 25 juin 1974 : Rev. crit. 1974. 678, note Ponsard ; JDI 1975. 330, obs.
Deby-Gérard.
- Civ. 1re, 16 déc. 1975 : Rev. crit. 1976. p. 551-559, note B. Audit.
- Paris, 5 mars 1976 : JDI 1977. 880, note A. H. ; Rev. crit. 1978. 149, note B. Audit.
- TGI Paris, 25 juin 1976 : Rev. crit. 1977. 708, note É. Poisson-Drocourt ; JDI 1978.
325, note Y. Lequette.
- TGI Laval, 29 juin 1976 : Gaz. Pal. 1976. 2. 720, note M. Brazier.
- TGI Toulouse, 8 sept. 1976 : Gaz. Pal. 1976. 2. 721, note M. Brazier.
- TGI Paris, 20 janv. 1977 : Rev. crit. 1977. 335, note Mme Gaudemet-Tallon.
- Civ. 1re, 11 juill. 1977 : Rev. crit. 1979. 395, note Y. Loussouarn.
- Toulouse, 18 avr. 1977 : D. 1978. IR. 266, note J.-C. Groslière.
- TGI Arras, 4 oct. 1977 : D. 1978. IR. 266, obs. J.-C. Groslière.
- Civ. 1re, 3 nov. 1977, Assous : JDI 1978. 587, note D. Alexandre ; Rev. crit. 1979.
395, note Y. Loussouarn.
- Aix-en-Provence, 16 nov. 1977 : Rev. crit. 1979. 747, note I. Fadlallah.
- Civ. 1re, 5 avr. 1978 : Bull. civ. I, n° 146.
- Paris, 11 juill. 1978 : JDI 1979. 601, note D. Alexandre.

528
- Amiens, 16 janv. 1979 : JCP 1979. II. 19196, note R. Lindon.
- TGI Paris, 23 avr. 1979 : Rev. crit. 1980. 83, note P. Lagarde.
- Civ. 1re, 10 juill. 1979, Van Der Plassche c/ Dame Goderiaux : Rev. crit. 1980. 91,
note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1980. 310, note B. Audit.
- Lyon, 31 oct. 1979 : Rev. crit. 1980. 558, note B. Ancel ; D. 1980. IR. 322, obs.
B. Audit ; JDI 1981. 54, note Jacques Foyer.
- TGI Paris, 5 déc. 1979 : Rev. crit. 1981. 88, note P. Lagarde.
- Civ. 1re, 18 déc. 1979, Dahar c/ dame Benmaghni : D. 1980. 549, note É. Poisson-
Drocourt ; JDI 1981. 597, note P. Kahn ; Rev. crit. 1981. 88 (2e esp.).
- Civ. 1re, 3 janv. 1980, Dame Bendeddouche c/ Dame Boumaza : Rev. crit. 1980.
331, note H. Batiffol ; JDI 1980. 327, note M. Simon-Depitre ; D. 1980. 549, note
É. Poisson-Drocourt ; B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts de la
jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e
éd., 2001, n° 61.
- Civ. 1re, 12 févr. 1980 : Bull. civ. I, n° 50.
- TGI Paris, 3 juin 1980 : inédit.
- Civ. 2e, 25 juin 1980 : Bull. civ. II. n° 159 ; D.S. 1981. IR. 379, obs. J.-C. Groslière.
- Poitiers, 24 juill. 1980 : JDI 1981. 567, note C. Labrusse.
- . Civ. 1re, 13 janv. 1981, De Bendern : JDI 1981, 360, note A. Huet ; Rev. crit. 1981.
331, note H. Gaudemet-Tallon.
- Civ. 1re, 1er avr. 1981, Sieur de Pedro c. Dame Moquet : JDI 1981. 812, note
D. Alexandre ; Gaz. Pal. 1981. 2. 628, note J. Lisbonne ; Defrénois 1982. 248, obs.
J. Massip.
- TGI Créteil, 18 juin 1981 : JDI 1982. 452, A. Huet.
- Montpellier 10 nov. 1981 : D. 1983. 56.
- Civ. 1re, 17 nov. 1981 : JDI 1982. 926, note G. Wiederkehr.
- Paris, 27 nov. 1981 : D. 1983. 142, note G. Paire.
- Civ. 1re, 12 janv. 1982 : Bull. civ. I, n° 13 ; JCP 1982. IV. 113 ; Defrénois 1984. art.
33224, note M. Revillard.
- TGI Paris, 9 févr. 1982 : inédit.
- Civ. 1re, 17 févr. 1982 : Rev. crit. 1983. 275, note Y. Lequette ; JDI 1983. 606, obs.
P. Kahn.
- Civ. 1re, 3 juin 1982 : Rev. crit. 1984. 127, Y. Lequette.
- Civ. 1re, 29 juin 1983, Khiari : Rev. crit. 1984. 77, note P. Lagarde.
- Civ. 1re, 3 nov. 1983, Rohbi c/ Mme Kharkouch : Rev. crit. 1984. 325 (1re esp.), note
I. Fadlallah ; JDI 1984. 329, note P. Kahn ; JCP 1984. II. 20131, concl. Gulphe.
- Paris, 8 nov. 1983 : Rev. crit. 1984. 477, note Y. Lequette ; Defrénois 1984. art.
33284, p. 570, note M. Revillard.
- Civ. 1re, 4 janv. 1984 : D. 1985. IR. 177, obs. B. Audit. ; Rev. crit. 1986. 123, note
P. Courbe.

529
- Civ. 1re, 6 mars 1984. : JDI 1984. 859, note J. Chappez ; Rev. crit. 1985. 108, note
G. A. L. Droz.
- TGI Orléans, 17 mai 1984 : Rev. crit. 1986. 307, note F. Monéger.
- Civ. 1re, 9 oct. 1984 : Rev. crit. 1985. 643, note Jacques Foyer ; JDI 1985. 906, note
M. Simon-Depitre.
- Civ. 1re, 7 nov. 1984, Torlet : Rev. crit. 1985. 533, note M. Simon-Depitre ; JDI
1985. 434, note H. Gaudemet-Tallon ; D. 1985. 459, note É. Poisson-Drocourt ;
Defrénois 1985. 1006, obs. J. Massip ; B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts de
la jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts,
4e éd., 2001, n° 67-69
- Civ. 1re, 6 févr. 1985, Mme Fairhurst c. Simitch : JDI 1985. 460, note A. Huet ; D.
1985. 469, note J. Massip et I.R. 497, obs. B. Audit ; Rev. crit. 1985. 243, Chron.
P. Francescakis ; B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence
française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001,
n° 70.
- Civ. 1re, 12 mars 1985 : Rev. crit. 1985. 677, note B. Ancel ; JCP 1985. II. 20449,
concl. Gulphe.
- TGI Grenoble, 18 mars 1985 : JDI 1986. 1014, note G. Legier.
- TGI Dunkerque, 17 avr. 1985 : D. 1985. 551, note Rémery ; Douai, 10 juill. 1981 :
JDI 1984. 320, note P. Courbe.
- TGI Paris, 30 avr. 1985 : Rev. crit. 1986. 313, note Y. Lequette.
- CE, 28 févr. 1986, Bouhanna et Akhras : Rev. crit. 1986. 457, concl. Denoix de
Saint-Marc, note P. L, Rec. CE, p. 53-54 ; D. 1986. IR. 208 ; AJDA 1986. 320.
- Civ. 1re, 22 oct. 1985 : JDI 1986. 1005, note G. Wiederkehr.
- Civ. 1re, 22 avr. 1986 : D. 1986. IR. 270, obs. B. Audit ; Rev. crit. 1987. 374, note
P. Courbe ; JDI 1987. 629, note P. Kahn.
- Paris, 18 nov. 1986 : D. 1987. Somm. 346, obs. B. Audit.
- Paris 27 mai 1986 : JDI 1987. 335, note D. Alexandre.
- CE, 13 juin 1986, M. Grzeszczak : req. n° 57689, inédit.
- Civ. 1re, 12 nov. 1986 (1re esp.) : Bull. civ. I, n° 256.
- Civ. 1re, 6 janv. 1987 : D. 1987. 467, note J. Massip ; Rev. crit. 1988. 337, note
Y. Lequette ; JDI 1988. 435, note J.-M. Jacquet.
- Paris, 23 févr. 1987 : D. 1987. Somm. 349, obs. B. Audit.
- Civ. 1re, 12 mai 1987 : JDI 1988. 101, note M.-L. Niboyet-Hoegy ; Gaz. Pal. 1988,
2. 321, note. J. Massip ; Defrénois 1988. art. 34186, obs. J. Massip.
- Civ. 1re, 22 juill. 1987, Dujaque : Bull. civ. I, n° 253 ; Rev. crit. 1988. 85 et p 29,
comm. P. Lagarde.
- Civ. 1re, 20 oct. 1987 : Rev. crit. 1988. 541, note Y. Lequette ; JDI 1988. 447, note
A. Huet.
- Civ. 1re, 8 déc. 1987 : Rev. crit. 1989. 733, note M.-L. Niboyet.
- Soc., 13 janv. 1988 : inédit titré.

530
- Civ. 1re, 1er mars 1988 : Rev. crit. 1989. 721, note A. Sinay-Citermann ; D. 1988.
486, note J. Massip.
- Civ. 1re, 6 juill. 1988 : Rev. crit. 1989. 71, note Y. Lequette.
- Civ. 1re, 6 juill. 1988 : Rev. crit. 1989. 733, note M.-L. Niboyet ; JDI 1989. 63, note
F. Monéger.
- Civ. 1re, 6 juill. 1988 : Rev. crit. 1989. 733 (2e esp.), note M.-L. Niboyet-Hoegy ;
JDI 1989. 63, note F. Monéger.
- Dijon, 29 sept. 1988 : JDI 1989. 707, note H. Gaudemet-Tallon ; Rev. crit. 1989.
741.
- TGI Toulouse, 11 avr. 1989 : inédit.
- Civ. 1re, 3 nov. 1988 : Rev. crit. 1989. 495, note Jacques Foyer ; JDI 1989. 703, note
F. Monéger ; Defrénois 1989. art. 34464, obs. J. Massip.
- Paris, 15 nov. 1988 : D. 1989. Somm. 257, obs. B. Audit.
- TGI, 9 oct. 1989 : D. 1990. Somm. 99, obs. J.-P. Groslière.
- Civ. 1re, 31 janv. 1990, Pistre : Rev. crit. 1990. 519, notre É. Poisson-Drocourt ; JCP
1991. II. 21635, note H. Muir-Watt ; D. 1991. 105, note F. Boulanger ; Defrénois
1990. 961, obs. J. Massip ; Gaz. Pal. 1990. 2. 481, note B. Sturlèse ; B. Ancel et
Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international
privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001, n° 67-69.
- Soc., 8 mars 1990 : Rev. crit. 1991. 694, note J. Déprez.
- Paris, 15 mars 1990 : D. 1990. Somm. 263, obs. B. Audit.
- Paris, 5 avr. 1990 : D. 1990. 424, note F. Boulanger.
- Civ. 1re, 21 mai 1990 : Bull. civ. I, n° 118.
- Civ. 1re, 6 juin 1990 : D. 1990. Somm. 263, obs. B. Audit ; Rev. crit. 1991. 593 (1re
esp.), note P. Courbe.
- Paris, 15 juin 1990 : JDI 1990. 982.
- TGI Bordeaux, 20 sept. 1990 : JCP 1991. II. 21718, note F. Monéger.
- TGI Paris 27 sept. 1990 : Rev. crit. 1992. 91, note Y. Lequette.
- Civ. 1re, 6 nov. 1990 : Rev. crit. 1991. 348, note M. Simon-Depitre ; Gaz. Pal. 1991,
n° 211, p. 11, note J.-P. Remery.
- Paris, 14 nov. 1990 : JDI 1992. 734, note H. Gaudemet-Tallon.
- Paris, 30 nov. 1990 : JDI 1992. 192, note A. Huet.
- Civ. 1re, 5 nov. 1991 : Bull. I, n° 295.
- CE, 20 nov. 1991, M. Bautzer : req. 106287, inédit.
- Paris, 5 déc. 1991 : D. 1992. 290, note F. Boulanger ; Somm. 170, obs. B. Audit.
- Toulouse, 10 déc. 1991 : JDI 1992. 945, note J.-M. Jacquet.
- Metz, 28 janv. 1992 : Rev. crit. 1993. 29, note H. Muir-Watt.
- TGI Paris, 26 févr. 1992 : Rev. crit. 1993. 58, note D. Alexandre.

531
- Civ. 1re, 16 juill. 1992 : JCP 1993. II. 22138, note J. Déprez ; Petites Affiches, 1993.
n° 40, p. 16, note J. Massip ; D. 1993. 476, note K. Saidi ; Rev. crit. 1993. 269, note
P. Courbe.
- Civ. 1re, 10 févr. 1993 : Rev. crit. 1993. 621, note J. Foyer ; JDI 1994. 124, note
I. Barrière-Brousse ; JCP 1993. I. 3688, n° 10, obs. H. Fulchiron ; D. 1994. 66, note
J. Massip ; Somm. 32, obs. E. Kerckhove ; Defrénois 1993. 982, obs. J. Massip.
- Civ. 1re, 13 mai 1993 : Rev. crit. 1993. 685, note P. Courbe.
- Civ. 1re, 17 mai 1993 : Rev. crit. 1993. 684, note P. Courbe ; JCP 1993. II. 22172,
note J. Déprez ; D. 1993. Somm. 349, obs. B. Audit ; JDI 1994. 115 (1re esp.), note
Y. Lequette.
- TGI Paris, 23 nov. 1993 : Rev. crit. 1995. 703 (1re esp.), note J. Foyer ; D. 1995.
306, note S. Aubert ; Rev. crit. 1995. 703.
- CE, 10 déc. 1993, Mme Brache : Rec. CE, p. 359.
- TGI Paris ; 5 avr. 1994 : D. 1995. Somm. 118, obs. F. Granet-Lambrechts.
- Civ. 1re, 4 mai 1994 : Rev. crit. 1995. 103, note J. Déprez.
- CE, 6 mai 1994, M. Bakthar : req. 121049, inédit.
- Civ. 1re, 1er juin 1994, El Madani : Rev. crit. 1995. 103 (2e esp.), note J. Déprez ; D.
1995. 263, note J. Massip ; B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts de la
jurisprudence française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e
éd., 2001, n° 63-64
- Paris, 14 juin 1994 : Rev. crit. 1995. 308, note Y. Lequette.
- Civ. 1re, 15 juin 1994 : Rev. crit. 1996. 127, note B. Ancel ; D. 1994. Somm. 352,
obs. B. Audit ; Les Petites Affiches, févr. 1995, n° 23, p. 21, note J. Massip.
- CE, 22 juin 1994, M. Ahmad : req. n° 128757, inédit.
- CE, 12 oct. 1994, M. Labdi : req. n° 142522, inédit.
- Civ. 1re, 13 déc. 1994 : Rev. crit. 1995. 319, note M. Revillard.
- Civ 1re, 31 janv. 1995 : Rev. crit. 1995. 569, note J. Déprez ; JDI 1995. 343 (2e esp.),
note P. Kahn.
- Paris 30 mars 1995 : RTD civ. 1995. 95, obs. J. Hauser ; Rev. crit. 1996. 639, note
B. Bourdelois.
- CE, 12 avr. 1995, M. Sandouk : Req. n° 150416, inédit.
- Civ. 1re, 10 mai 1995, Fanthou : Rev. crit. 1995. 548, note H. Muir-Watt ; JDI 1995.
625, note F. Monéger ; D. 1995. 544, note V. Larribau-Terneyre ; Defrénois 1991.
331, note J. Massip ; B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence
française de droit international privé : Dalloz, Coll. Grands arrêts, 4e éd., 2001,
n° 67-69.
- Civ. 1re, 11 mars 1997 : JDI 1998, 110, note P. Kahn.
- Paris, 14 juin 1995 : D. 1996. 156, note F. Boulanger.
- Civ. 1re, 7 nov. 1995 : Bull. civ. I, n° 391 ; D. 1996. somm. 170, obs. B. Audit.
- CE, 20 nov. 1995, M. Stiti : req. n° 147254, inédit.
- CE, 20 nov. 1995, M. Hermi : req. n° 149379, inédit.

532
- Civ. 1re, 19 déc. 1995 : Bull. civ. I, n° 469.
- Civ. 1re, 11 mars 1997 : D. 1997. 400, note M.-L. Niboyet ; JCP 1998. I. 101, obs.
H. Fulchiron ; JDI 1998. 110, note P. Kahn.
- CE, 15 mars 1996, M. Ahmadi : req. n° 156517, inédit.
- Civ. 1re, 10 avr. 1996 : D. 1997. 105, note P. Guiho.
- CE, 17 juin 1996, M. Koyuncu : req. n° 155817, inédit.
- CE, 25 sept. 1996, M. Darwiche : req. n° 135085, inédit.
- Crim. 10 oct. 1996 : inédit.
- CE, 18 oct. 1996, M. Chehaita : req. n° 156058, inédit.
- Civ. 1re, 5 nov. 1996 : Bull. civ. I, n° 371, JCP éd. N 1997. 1291, note
G. Wiederkehr ; Rev. crit. 1998. 596, note B. Bourdelois ; D. 1998. somm., 287,
obs. B. Audit.
- CE, 8 janv. 1997, M. Rahoua : req. n° 168468, inédit.
- CE, 8 janv. 1997, M. Vi : req. n° 162395, inédit.
- Nantes le 5 mars 1997, M. Ferraoun, n° 95NT01473, inédit.
- Nantes le 5 mars 1997, M. Laksi, n° 96NT00022, inédit.
- Civ. 1re, 11 mars 1997 : D. 1997. 400, note M.-L. Niboyet ; JCP 1998. I. 101, obs.
H. Fulchiron.
- Civ. 1re, 1er juill. 1997, Lorre : Dr. fam. 1997, n° 119, obs. P. Murat ; JCP 1997. II.
22916, note T. Garé ; JCP 1998. I. 101, n° 4, obs. Y. Favier ; D. 1998. 187, note
É. Poisson-Drocourt ; Somm. 292, obs. C. Bridge ; Defrénois 1998. 723, obs.
J. Massip.
- Civ. 1re, 20 oct. 1997 : Rev. crit. 1988. 541, note Y. Lequette.
- Civ. 1re, 2 déc. 1997 : Bull. civ. I, n° 338 ; D. 1998, IR, p. 20 ; JCP 1998. IV. 1124 ;
JCP éd. N 1998. 1303, note G. Wiederkehr.
- CAA Nantes, 30 déc. 1997, Mme Belmeliani : n° 96NT01406, inédit.
- Civ. 1re, 24 févr. 1998 : Rev. crit. 1998. 637, note G. A. L. Droz ; JDI 1998. 730,
note Kerckhove ; JCP 1998. II. 10175, note T. Vignal ; D. 1999. 309, note
J. Thierry ; Somm. 290, obs. B. Audit.
- Crim. 25 mars 1998 : JCP 1998. II. 10162, note M. Huyette.
- Soc., 15 oct. 1998 : inédit.
- Civ. 1re, 5 janv. 1999 : Dr. fam. 2000, n° 54, note. H. Fulchiron ; D. 1999. 671, note
É. Agostini.
- Civ. 1re, 26 mai 1999 : Rev. crit. 1999, 2e esp., 707, note H. Muir-Watt ; Defrénois
1999. 1261, note J. Massip ; JCP 1999. II. 10243, note F. Melin.
- Paris, 1er juill. 1999 : D. 1999. IR. 224.
- Dijon, 15 sept. 1999 : JDI 2000. 997, note P. Kahn.
- Paris, 13 janv. 2000 : D. 2000. 898, note S. Aubert.
- Civ. 2e, 9 mars 2000 : D. 2000. IR. 109 ; JCP 2000. II. 10374, note. A. Gouttenoire-
Cornut.

533
- Paris, 30 mai 2000 : D. 2000. IR. 231.
- Civ. 1re, 12 déc. 2000 : inédit.
- Civ. 1re, 20 déc. 2000 : inédit.
- Toulouse, 6 févr. 2001, n° de décision 1999/05831 : inédit.
- Civ. 2e, 29 mars 2001 : RTD civ. 2001. 603, obs. P. Jourdain ; JCP 2002. II. 10071,
note S. Prigent.
- Civ. 2e, 20 janv. 2000 : Bull. civ. II, n° 15.
- Civ. 1re, 3 oct. 2000 : Bull. civ. I, n° 229 ; Defrénois 2001. 96, obs. J. Massip ; Dr.
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- Civ. 1re 3 juill. 2001 Douibi : Rev. crit. 2001. 704, note L. Gannagé ; D. 2001. 3378,
note M.-L. Niboyet ; JCP 2002. II. 10039, note T. Vignal ; JDI 2002. 181, note
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- Civ. 2e, 14 mars 2002 : JCP 2002. II. 10095, note H. Fulchiron.
- Civ. 2e, 6 juin 2002 (2 arrêts) : JCP 2003. II. 10068, note A. Gouttenoire et
N. Roget.
- Colmar, 2 sept. 2002 : AJ fam. 2002. 415, obs. D.-B. S. ; Procédures 2003, comm.
n° 137, note C. Nourissat.
- Crim. 25 sept. 2002 : inédit.
- Crim., 29 oct. 2002 : Bull. crim, n° 197.
- Soc., 21 nov. 2002 : inédit titré
- Soc., 11 mars 2003 : inédit titré.
- CAA Nantes, 25 avr. 2003, M. et Mme X. : n° 01NT01757, inédit.
- Civ. 1re, 17 févr. 2004 (5 arrêts) : Bull. civ. I, n° 256 ; Bull. civ. I, n° 257 ; Bull. civ.
I, n° 258 ; Bull. civ. I, n° 259 ; Bull. civ. I, n° 260 ; D. 2004. 824, concl.
M. Cavarroc ; D. 2004. Chron. 815, comm. P. Courbe ; Gaz. Pal., 25-26 févr. 2004.
29, obs. M.-L. Niboyet.

JURISPRUDENCE ÉTRANGÈRE

- LG Zweibrücken, 26 juill. 1973 – 5 T 92/73 ; FamRZ 1974, 140.


- OLG Hamm, 12 déc. 1973 – 15 W 190/73 ; FamRZ ; NJW 1974, 1053 ; ZBIJR
1974, 441.
- AG Iserlohn, 17 déc. 1973 – X 677/73 : FamRZ 1974, 141, note K. Siehr.
- BayObLG, 25 mars 1974 – BReg. 1 Z 15/74 ; DAVorm 1974, 281 (somm.) ;
FamRZ 1974, 326 ; NJW 1974, 1052 ; Das Standesamt 1974, 206 ; ZBIJR 1974,
448 (somm.) 441.
- OLG Hamm, 5 avr. 1974 – 15 W 209/73 ; IPRspr. 1974, Nr. 83.
- OLG Koblenz, 17 déc. 1974 – 6 W 553/74 ; IPRspr. 1974 Nr. 119 ; DA Vorm 1975,
559 (somm.) ; FamRZ 1975, 230 ; NJW 1975, 1085 ; Das Standesamt 1975, 340.

534
- BGH, 5 févr. 1975 – IV ZR 103/73 ; DAvorm 1975, 413 ; FamRZ 1975, 272 ;
IPRspr. 1975 Nr. 83 ; MDR 1975, 477 ; NJW 1975, 1068 ; ZBIJR 1975, 436.
- OLG Stuttgart, 23 juin 1975 – 8 W 181/75 ; FamRZ 1975, 644 ; IPRspr. 1975 Nr.
74 ; NJW 1976, 483.
- Cour suprême (Pologne), 25nov. 1975, III CRN 53/75 Jan T. c/ Marie W. – OSNC
1976, fasc. 10, texte 218 et NP 1976, n°6, p. 975, note J. Jodlowski : rapporté au JDI
1989. 125-126.
- KG, 17 févr. 1976 – 1 W 1273, 1274-75 : IPRspr 1976 Nr. 59.
- OLG Stuttgart 18 nov. 1977 – 15 UF 40/77 EG ; IPRspr. 1977 No. 79 ; NJW 1978,
1746.
- LG Berlin, 7 juill. 1978 – 83 T 256/78 ; DAVorm 1978, 679.
- OLG Düsseldorf 18 mai 1979 – 5 UF 63/79 ; FamRZ 1979, 1066 ; DA Vorm 1980.
20 somm.
- OLG Stuttgart 20 déc. 1979 – 15 UF 323/79 EG ; NJW 1980, 1227.
- BGH, 29 oct. 1980 – IV 6 ZB 586/80 ; IPRspr. 1980 Nr. 94 ; DA Vorm 1981, 44 ;
FamRZ 1981, 135, obs. S. Schlosshauer-Selbach p. 536-538 ; IPRax 1981, 139, obs.
D. Henrich p. 125-126 ; MDR 1981, 215 ; NJW 1981, 520.
- Inner House of the Court of Session (Écosse, Extra Division, 2e instance), 8 juin
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- House of Lords (Angleterre), 26 juill. 1990, Re J. (A minor) [1990] 2 AC 562,
[1990] A All ER 961, [1990] 2 FLR 450, sub nom C. v. S. (A Minor). Réf.
INCADAT : HC/E/UKe 2.
- Full Court of the Family Court of Australia at Launceston (Australie, 2e instance),
15 mars 1991, Graziano c/ Daniels, (1991) 14 Famille. LR 697. Réf. INCADAT :
HC/E/AU 259.
- Family Court at Dandenong (Australie, 1re instance), 20 mars 1991, Artso c/ Artso
(1995) FLC 92-566. Réf. INCADAT : HC/E/AU 252.
- OLG Hamm, 16 mai 1991 – 4 UF 8/91 ; FamRZ 1991, 1466, note D. Henrich ; NJW
1992, 636.
- Court of Appeal (Angleterre, 2e instance), 31 juill. 1991, Re F. (A minor), [1992] 1
FLR 548, [1992] Fam Law 195. Réf. INCADAT : HC/E/UKe 40.
- OLG Karlsruhe, 2 oct. 1991 – 2A UF 35/91 ; FamRZ 1992, 316.
- High Court (Angleterre), 20 mai 1992 ; RE F. (Minors) [1992] 2 CR 595, [1993]
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- OLG Hamm 3 juill. 1992 – 5 UF 1/92, FamRZ 1993, 69.
- High Court (Angleterre, 1re instance), 21 août 1992, Re B. (Minors) (No. 2) [1993] 1
FLR 993, [1993] Fam Law 450. Réf. INCADAT : HC/E/UKe 173.
- High Court (Angleterre, 1re instance), 30 oct. 1992, Re B.-M. (Wardship :
Jurisdiction) [1993] 1 FLR 979. Réf. INCADAT : HC/E/UKe 41.
- United States Court of Appeals for the Sixth Circuit (États-Unis, 2e instance), 22
janv. 1993, Friedrich c/ Friedrich, 983 F.2d 1396 (6th Cir 1993). Réf. INCADAT :
HC/E/USf 142.
535
- Kantonsgericht du canton de St. Gall, 10 févr. 1993 : GVP-SPG 1993 n° 43, p. 94 ;
RSDIE 1996. 203.
- Obergericht du canton de Lucerne, 28 juin 1993 : ZBJV 131 (1995), p. 50 ; LGVE
1993 I n° 13, p. 17 ; RSDIE 1996. 201.
- Supreme Court of the State of New York, Kings County (États-Unis, 1re instance),
10 août 1993, Cohen c/ Cohen, 158 Misc. 2d 1018, 602 N.Y.S.2d 994 (Sup. Ct.
1993). Réf. INCADAT : HC/E/USs 145.
- United States District Court for the District of Utah, Central Division (États-Unis,
1re instance), 17 août 1993, In re Ponath, 829 F. Supp. 363 (D. Utah 1993). Ré.
INCADAT : HC/E/USf 144.
- Inner House of the Court of Session (Écosse, 2e instance), 13 oct. 1993, Findlay c/
Findlay, 1994 SLT 709. Réf. INCADAT : HC/E/UKs 184.
- Tribunal cantonal du Canton de Vaud, 29 déc. 1993 : Schweizerische Juristen-
Zeitung 90 (1994) n° 14, p. 390 ; RSDIE 2/1996. 200.
- Outer House of the Court of Session (Écosse, 1re instance), 10 janv. 1994, Findlay c/
Findlay, 1995 SLT 492, 1994 SCLR 523. Réf. INCADAT : HC/E/UKs 185.
- Tel Aviv District Court (Israël, 1re instance), 26 mai 1994, L. c/ L : Réf. INCADAT
HC/E/IL 215.
- Inner House of the Court of Session, Extra Division (Écosse, 2e instance), 16 nov.
1994, Soucie c/ Soucie, 1995 SC 134, 1995 SLT 4148, 1995, SCLR 203. Réf.
INCADAT : HC/E/UKs 107.
- Family Court of Australia at Melbourne (Australie, 1re instance), 21 déc. 1994, State
Authority and McCall (1995). Réf. INCADAT : FLC 92-552.
- Full Court of the Family Court of Australia at Melbourne (Australie, 2e instance), 16
janv. 1995, Cooper c/ Casey (1995) FLC 92-575. Réf. INCADAT : HC/E/AU 104.
- United Court of Appeals for the Eighth Circuit (États-Unis, 2e instance), 13 févr.
1995, Rydder c/ Rydder, 49 F.3d 369. Réf. INCADAT HC/E/USf 130.
- District Court at Hamilton (Nouvelle-Zélande, 1re instance), 15 févr. 1995, S. c/
O.D. [1995] NZFLR 151. Réf. INCADAT : HC/E/NZ 250.
- Family Court, New York County (États-Unis, 1re instance), 8 mars 1995, David B. c/
Helon O., 164 Misc. 2d 566, 625 N.Y.S.2d 436 (Fam. Ct 1995). Réf. INCADAT :
HC/E/USs 149.
- High Court at Wellington (Nouvelle-Zélande, 2e instance), 12 avr. 1995, H. c/
H. [1995] 12 FRNZ 498. Réf. INCADAT : HC/E/NZ 30.
- High Court (Angleterre, 1re instance), 28 juin 1995, Re V. (Abduction : Habitual
Residence) [1995] 2 FLR 992, [1996] Fam Law 7. Réf. INCADAT : HC/E/UKe 45.
- High Court (Angleterre, 1re instance), 31 juill. 1995, Re. A. (Minors) (Abduction :
Habitual Residence), [1996] 1 WLR 25. Réf. INCADAT : HC/E/UKe 38.
- United States District Court for the Southern District of New York (États-Unis, 1re
instance), 2 août 1995, Brooke c/ Willis, 907 F. Supp. 57 (S.D.N.Y. 1995). Réf.
INCADAT : HC/E/USf 147.

536
- Court of Appeals for the Third Circuit (États-Unis, 2e instance) 8 août 1995, Feder
c/ Evans-Feder, 63 F.3d 217. Réf. INCADAT : HC/E/USf 83.
- Court of Appeal (Angleterre, 2e instance), 10 août 1995, Re M. (A Minor). Réf.
INCADAT : HC/E/UKe 201.
- Outer House of the Court of Session (Écosse, 1re instance), 25 août 1995, Moran c/
Moran, 1997 SLT 541. Réf INCADAT : HC/E/UKs 74.
- Inner House of the Court of Session (Écosse, 2e instance), 24 oct. 1995, Cameron c.
Cameron, 1996 SC 17, 1996 SLT 306, 1996 SCLR 25. Réf. INCADAT : HC/E/Uks
71.
- Cour Administrative Suprême de Suède (Regeringsrätten, Juridiction suprême), 20
déc. 1995, RÅ 1995 ref 99, Cour Administrative Suprême de Suède
(Regeringsrätten), Affaire N° 4936-1995. Réf. INCADAT : HC/E/SE 448.
- Supreme Administrative Court of Sweden at Regeringsratten (Suède, Juridiction
suprême), 9 mai 1996, J. c/ J., RÅ 1996 ref. 52, No. 7505-1995. Réf. INCADAT :
HC/E/SE 80.
- Supreme Court of New York, Appellate Division, Fourth Department (États-Unis, 2e
instance), 31 mai 1996, Brennan c/ Cibault, 643 N.Y.S.2d, 227 A.2d 965 (N.Y.
App. Divorce. 1996). Réf. INCADAT : HC/E/USs 135.
- High Court (Angleterre, 1re instance), 20 août 1996, Re S. (A Minor). Réf.
INCADAT : HC/E/UKe 181.
- Court of Appeals of Kentucky (États-Unis, 2e instance), 11 oct. 1996, Harsacky c/
Harsacky, 930, S.W.2d 410 (Ky. App. 1996). Réf. INCADAT : HC/E/USs 131.
- Outer House of the Court of Session (Écosse, 1re instance), 6 déc. 1996, Watson c/
Jamieson, 1998 SLT 180. Réf. INCADAT : HC/E/UKs 75.
- United States District Court of Ohio (États-Unis, 2e instance), 12 mars 1997, Ciotola
c/ Fiocca, 86 Ohio Misc. 2d 24, 684 N.E.2d 763 (Ohio Com. Pl. 1997). Réf.
INCADAT : HC/E/USs 99.
- Inner House of the Court of Session (Écosse, 2e instance), 7 mai 1997, Robertson c/
Robertson 1998 SLT 468 ; 1997 GWD 21-1000. Réf. INCADAT : HC/E/UKs 194.
- Superior Court of Connecticut, Judicial District of Hartford (États-Unis, 1re
instance), 24 sept. 1997, Panazatou c/ Panazatos, No. FA 960713571S (Conn.
Super. Ct. Sept. 24, 1997). Réf. INCADAT : HC/E/USs 97.
- High Court (Angleterre, 1re instance), 21 oct. 1997, Re B. (Abduction : Children’s
Objections) [1998] 1 FLR 667. Réf. INCADAT : HC/E/UKe 39.
- Court of Appeals of Michigan (Etats-Unis, 2e instance), 30 janv. 1998, Harkness
c/Harkness, 227 Mich. App. 581, 577 N. W. 2d 116. Réf. INCADAT : HC/E/Uss
124,
- United States District Court for the Central District of Califormia (États-Unis, 1re
instance), 11 août 1998, Mozes c/ Mozes, 19 F. Supp. 2d 1108 (C.D. Cal. 1998). Réf.
INCADAT : HC/E/USf 224.
- High Court of Northern Ireland (Irlande du nord, 1re instance), 25 août 1998, J.S. c/
C.L., In re C.L. (A Minor). Réf. INCADAT : HC/E/UKn 390.

537
- Cour cantonale de Munich (Amstgericht), 23 oct. 1998. Réf. INCADAT : HC/E/DE
322.
- High Court (Hong Kong Special Administrative Region, 1re instance), 23 oct. 1998,
N. c/ O., [1999] 1 HKLRD 68. Réf. INCADAT : HC/E/HK 235.
- Cour Administrative d’appel Stockholm (Suède, 2e instance), 18 déc. 1998, C. c/ M.
V. Réf. INCADAT : HC/E/SE 331.
- Court of Appeals of Michigan (Etats-Unis, 2e instance), 30 janv. 1998, Harkness c/
Harkness, 227 Mich. App. 581, 577 N.W. 2d 116. Réf. INCADAT : HC/E/USs 124.
- United States District Court for the District of Massachusetts (États-Unis, 1re
instance), 21 oct. 1998, Toren c/ Toren, 26 F. Supp. 2d 240 (D. Mass 1998). Réf.
INCADAT : HC/E/USf 225.
- High Court (Hong Kong Special Administrative Region, 1re instance), 23 oct. 1998,
N. c/ O., [1999] 1 HKLRD 68. Réf. INCADAT : HC/E/HK 235.
- Cour d’appel du Kentucky (États-Unis), 19 mars 1999, Janakakis-Kostun c/
Janakakis, 6 S.W. 3d 843 (Ky. Ct. App. 1999), pet. for cert. filed, 68 U.S.L.W.
(Mar. 8, 2000). Réf. INCADAT : HC/E/USs 320.
- Tribunal fédéral, IIe Cour civile, 29 avr. 1999, C. c/ dame X. – ATF 125 III 301, JdT
147 (1999) I, p. 500 ; Sem.jud. 121 (1999) I, p. 396 ; RDT 55 (2000), p. 32 ;
FamPra.ch 1 (2000), p. 328 ; Praxis 1999, n° 150 ; RSDIE 2001, p. 242-245.
- United States District Court for the Northern District of Florida (États-Unis ; 1re
instance), 27 oct. 1999, Villalta c/ Massie, No. 4 : 99cv312-RH (N.D. Fla. Oct. 27,
1999). Réf. INCADAT : HC/E/USf 221.
- Outer House of the Court of Session (Écosse, 1re instance), 4 mai 2001, D. c/ D.
[2001] ScotCS 103. Réf. INCADAT : HC/E/UKs 350.
- First Division, Inner House of the Court of Session (Écosse, 2e instance), 19 juin
2001, D. c/ D. Réf. INCADAT : HC/E/UKs 351.
- United States District Court for the Eastern District of Washington (États-Unis, 1re
instance), 19 nov. 2001, Tsarbopoulos c/ Tsarbopoulos, 176 F. Supp. 2d 1045 (E.D.
Wash. 2001. Réf/ INCADAT : HC/E/Usf.
- United States District Court for the District of Minnesota (États-Unis, 1re instance, 9
mai 2002, Silverman c/ Silverman, 2002 U.S. Dist. LEXIS 8313. Réf. INCADAT :
HC/E/USf 481.
- United States Court of Appeals for the Eighth Circuit (États-Unis, 2e instance),
11 décembre 2002, Silverman c/ Silverman 312 F.3d 914 (8th Cir. 2002). Réf.
INCADAT : HC/E/USf 483.

JURISPRUDENCE INTERNATIONALE

- CEDH 18 déc. 1986, Johnston : JDI 1987. 812, obs. P. R.


- CEDH, 7 juill. 1989, Soering : Série A n° 161 ; v. notamment les commentaires de
H. Labayle : JCP 1990. I. 3452 et de F. Sudre : RGDI publ. 1990. 103.
538
- CJCE, 10 oct. 1989, Atala-Palmerini c/ Commission, aff. 201/88 : Rec., p. I-3109.
- CJCE 23 avr. 1991, Rigsadvokaten c/ Nicolai Christian Ryborg, Aff. C-297/89 :
Rec. p. I-1943.
- CJCE, 15 sept. 1994, Pedro Magdalena Fernández c/ Commission des
Communautés européennes, aff. C-452/93, Rec. p. I-4295.
- CJCE 20 mars 1997, Farell c/ Long, aff. C 225/95 : Rec., p. I-1683 ; Rev. crit. 1997.
594, note G. A. L. Droz ; JDI 1998. 568, obs. A. Huet.
- CJCE 13 juill. 2000, aff. C 412/98, Group Josi Reinsurance Company SA c/
Universal General Insurance Company : Rec., p. I-5925.
- CJCE 12 juill. 2001, Paraskevas Louloudakis, Aff. C-262/99 : Rec. p. I-5547.

539
540
INDEX
Nota!: les chiffres renvoient aux numéros de paragraphes, les chiffres en gras renvoient à un
ensemble de paragraphes.

A - du 1er juin 1970 (reconnaissance des


Actor sequitur forum rei!: 36, 41 divorces et séparation de corps)!: 530
Adoption internationale!: v. filiation - du 2 octobre 1973 (obligations
Aliments!: v. obligations alimentaires alimentaires, loi applicable)
Apatrides!: 83, 108, 438 - conflits mobiles!: 348
Assistance éducative!: 159 - fraude!: 367
Autorité parentale!: 393 - loi applicable!: 118, 168, 174
- du 14 mars 1978 (régimes
C matrimoniaux)!: 260, 509, 527, 536
Conflits de lois personnelles!: 439 - du 25 octobre 1980 (enlèvement
Conflits mobiles!: 334, 341, 412, 575 international d’enfants)!: 255, 388, 402
Contrôle Cour de cassation (étendue)!: - violation du droit de garde!: 390,
132 400
Convention de Bruxelles du 27 - du 1er août 1989 (successions à cause
septembre 1968!(compétence judiciaire de mort)!: 528
et exécution des décisions en matières - du 19 octobre 1996 (protection des
civile et commerciale) : enfants)
- domicile!: 91 - compétence de principe!: 157
- obligations alimentaires!: 154 - compétence dérogatoire!: 160, 314
Conventions de La Haye (Conférence de - conflits mobiles!: 358
La Haye de DIP)!: - déplacements illicites!: 384, 409
- du 15 juin 1955 (nationalité et - loi applicable!: 169, 187
domicile)!: - du 13 janvier 2000 (protection des
- domicile!: 88 adultes)!:
- du 24 octobre 1956 (obligations - compétence de principe!: 157
alimentaires envers les enfants, loi - compétence dérogatoire!: 162, 314
applicable)!: - loi applicable!: 169
- conflits mobiles!: 348 Convention de Lugano du 16 septembre
- fraude!: 367 1988 (compétence judiciaire et exécution
- loi applicable!: 118, 166 des décisions en matières civile et
- du 15 avril 1958 (id., reconnaissance commerciale)!: 154
des décisions)!: 172 Convention de Luxembourg du 20 mai
- du 5 octobre 1961 (forme des 1980 (reconnaissance et exécution des
testaments)!: décisions en matière de garde)!: 386
- domicile!: 90 Convention de New York du 20 juin
- du 5 octobre 1961 (protection des 1956!: 172
mineurs)!: 254, 321 Convention franco-algérienne du 27
- compétence de principe!: 157, 180 août 1964 (exequatur, extradition)!: 473,
- compétence dérogatoire!: 182 643
- conflits mobiles!: 356 Convention franco-marocaine du 10
- déplacements illicites!: 378, 401 août 1981 (statut des personnes et de la
- loi applicable!: 169, 180 famille et coopération judiciaire)
- du 15 octobre 1965 (adoption)!: 165 - domicile!: 88
- divorce!: 175, 459

541
Convention franco-polonaise du 5 avril H
1967 (loi applicable, compétence et Habitation!: 46, 57, 70, 124, 489
exequatur dans le droit des personnes et
de la famille) I
- domicile!: 47 Immigration (contexte)!: 433, 453, 465,
599, 667
D Interprétation des traités!: 130, 133
Domicile
- admission à domicile!: 34, 64, 77 L
- autonomie!: 544 Lois d’application immédiate!: 484
- divorce!: 68, 260 Lois des effets du mariage!: 439, 483, 487
- nationalité!: 63, 544 Loi nationale (principe)!: 429, 432, 454
- régimes matrimoniaux!: 71, 260
- successions!: 260
M
- changement!: 47, 85
Mineurs
- compétence juridictionnelle (droit
- détermination de la résidence!:
français)!: 146
- déplacements illicites!: 377
- détermination!: 45, 109, 259
- déplacements licites!: 318
- élément intentionnel!: 49, 58, 124,
- protection!: v. Conventions de La
261, 295, 542
Haye (1961-1996), Règlements
- principal établissement!: 46, 58,
«!Bruxelles!II!», «!Bruxelles!II!bis!»
137
- domicile «!de fait!»!: 40, 77
- d’origine!: 31, 85 N
- droit anglais!: 31, 85 Nationalité française (acquisition)!: 38,
- légal!: 47, 66, 69, (84), 119 546
- présomption de présence!: 117, 146, Nécessité (de la résidence)!: 315
542
- unité!: 46, 226 O
Divorce Obligations alimentaires!:
- autorité compétente!: 151, 238, 469, - convention de Bruxelles de 1968!: 154
653 - convention de La Haye de 1956!: 166
- fraude!: 369 - convention de La Haye de 1973!: 168
- loi applicable!: 174, 439, 446, 459, - convention de Lugano!de 1988 : 154
461, 569 - divorce!: 174
- obligations alimentaires!: 174 - règlement de «!Bruxelles I!»!: 154
- ordre public!: 598, 622 Ordre public international!: 534, 586
- effet atténué!: 592, 625, 634
E - Inlandsbeziehung!: 594
Etudiants!: 328 - v. divorce, filiation, polygamie,
répudiation
F
Filiation P
- adoption internationale!: 478 Polygamie!: 628, 658
- conflits mobiles!: 478 Présence (du mineur)!: 126
- ordre public!: 605, 622 Privilèges de juridiction!: 36
- possession d’état!: 341, 444
Fraude!: 362, 575, 636 R
Réfugiés!: 322, 160, 438

542
Régimes matrimoniaux!:
- changement de loi applicable!:
- mutabilité automatique!: 511, 561
- mutabilité volontaire!: 510
- régime primaire!: 487
Règlement n° 44/2001 du 22 décembre
2000 (concernant la compétence
judiciaire, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière
civile et commerciale)
- domicile!: 91
Règlement n° 1347/2000 du 29 mai 2000
(relatif à la compétence, la
reconnaissance et l’exécution des
décisions en matière matrimoniale et en
matière de responsabilité parentale des
enfants communs)
- déplacements illicites (enfants)!: 383
- divorce!: 151, 232, 475
- domicile!: 96
- responsabilité parentale!: 163, 191
Règlement n° 2201/2003 du 27
novembre 2003 (relatif à la compétence
et l’exécution des décisions en matière
matrimoniale et en matière de
responsabilité parentale)
- déplacements illicites (enfants)!: 384,
409
- divorce!: 151
- responsabilité parentale!:
- compétence de principe!: 157, 192
- compétence dérogatoire!: 160, 345
Règlement communautaire n° 1408/71
du 14 juin 1971 (relatif à l’application
des régimes de sécurité sociale aux
travailleurs salariés et à leur famille)!:
225
Répudiation!: 632, 659
Résolution (72)1 du Conseil de l’Europe
du 18 janvier 1972 sur l’unification des
concepts juridiques de «!domicile!» et de
«!résidence!»!: 230, 234, 262, 283

U
Unité ou pluralité de résidence(s)!: 289,
305, 313

543
TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION GÉNÉRALE.................................................................................................................................................9

PREMIÈRE PARTIE. LA RÉSIDENCE, EXPRESSION D’UNE PROXIMITÉ


MATÉRIELLE ET GÉOGRAPHIQUE........................................................................................................................ 21

TITRE 1. LE CHOIX DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE........................................................... 23

Chapitre 1. Les insuffisances du domicile .................................................................................... 25

Section 1. En droit français ............................................................................................................. 26


§ 1. Les difficultés liées à l’acquisition d’un domicile en France pour l’étranger ............... 28
A. La controverse sur l’admission à domicile de l’article 13 du Code civil ................ 29
B. Les concessions jurisprudentielles nécessaires......................................................... 33
§ 2. Les difficultés liées à la détermination du domicile....................................................... 38
A. Le domicile en droit interne français ........................................................................ 38
B. Le domicile dans les rapports internationaux ........................................................... 43
1. L’abandon d’une théorie du « domicile international » ......................................... 43
2. L’adoption de définitions autonomes du domicile ................................................. 47
a. Les conditions relatives à l’établissement du domicile .................................... 47
b. Des définitions jurisprudentielles de la notion .................................................. 51
a . En matière de nationalité.............................................................................. 51
b . En matière de divorce ................................................................................... 54
c . En matière de régimes matrimoniaux .......................................................... 57
c. Le réalisme de l’approche fonctionnelle............................................................ 60

Section 2. Dans l’ordre international.............................................................................................. 63


§ 1. Le domicile, facteur de rattachement en principe écarté................................................ 64
§ 2. Le domicile, facteur de rattachement exceptionnellement maintenu ............................ 71
A. La définition de la notion de domicile dans le texte................................................. 71
B. La désignation par le texte de la loi déterminant le domicile................................... 72
Conclusion du chapitre 1....................................................................................................................79

Chapitre 2. Les avantages de la résidence.....................................................................................81

Section 1. Les avantages de la notion ..............................................................................................81


§ 1.. La qualification de la résidence comme notion de fait ..................................................83
A. Une notion « universelle » .............................................................................................
1. L’absence de référence à un ordre juridique particulier..........................................83
2. L’absence de définition textuelle .............................................................................86
B. Une notion effective ...................................................................................................89
1. La résidence, lieu où la personne vit effectivement ................................................89
2. La résidence, lieu de vie personnel ..........................................................................91
§ 2. La contestation de la qualification de la notion...............................................................92
A. Discussion sur la qualification de fait ou de droit de la notion.................................93
1. Les arguments en présence.......................................................................................93
2. L’analyse sous l’angle de l’étendue du contrôle de la notion par la Cour de
cassation ........................................................................................................................97
B. La résidence, une notion de droit composée d’éléments de fait ............................ 104

Section 2. Les avantages de son application ................................................................................ 107


§ 1. Les avantages de la résidence pour déterminer la juridiction compétente et la loi
applicable .............................................................................................................................. 108
A. La résidence, élément de détermination de la juridiction compétente................. 108
1. La compétence des juridictions fondée sur la résidence en matière de
désunion .................................................................................................................... 111
2. La compétence des juridictions fondée sur la résidence de la personne à
protéger...................................................................................................................... 113
a. Les options de compétence en faveur de la personne à protéger.................... 113
b. La résidence directement retenue pour fonder la compétence
juridictionnelle .................................................................................................... 115
B. La résidence, élément de détermination de la loi applicable.................................. 122
§ 2. L’avantage de la coïncidence des compétences juridictionnelle et législative ........... 125
A. Le constat de la coïncidence des compétences....................................................... 125
1. Un couplage des textes internationaux ................................................................. 125

546
2. Une réunion des compétences au sein d’un texte unique..................................... 129
a. Le principe de la coïncidence des compétences en matière de protection des
mineurs.................................................................................................................. 130
b. Les difficultés de mise en œuvre et les solutions adoptées............................. 132
c. La remise en cause de la coïncidence des compétences.................................. 136
B. Le pragmatisme de la coïncidence des compétences.............................................. 139
1. L’application de la loi du for ................................................................................. 139
2. Des réserves quant à la coïncidence des compétences ......................................... 141

Conclusion du chapitre 2................................................................................................................ .147


Conclusion du titre 1. ...................................................................................................................... 149

TITRE 2. LA MISE EN ŒUVRE DU CRITÈRE DE LA RÉSIDENCE ..................................... 151

Chapitre 1. La détermination de la résidence............................................................................ 153

Section 1. Le fait matériel et objectif, élément constitutif de la résidence ................................. 154


§ 1. Une durée de présence en un lieu.................................................................................. 155
A. L’exclusion d’un bref séjour ................................................................................... 155
B. L’absence de quantum ............................................................................................. 159
§ 2. Une habitude de vie en un lieu...................................................................................... 162
A. La résidence, fondement de la seule compétence juridictionnelle......................... 164
1. La résidence « simple » ......................................................................................... 165
2. La résidence « habituelle » .................................................................................... 168
B. La résidence habituelle, fondement de la compétence juridictionnelle et
législative..................................................................................................................................172

Section 2. L’intention, élément révélateur de la résidence.......................................................... 178


§ 1. L’analyse comparée de l’élément intentionnel constitutif de domicile et révélateur de
résidence ................................................................................................................................ 179
§ 2. La résidence et les principales hypothèses de recours à l’élément intentionnel.......... 183
A. La durée de séjour insuffisante ............................................................................... 184
1. La confirmation de l’existence de la résidence en un lieu.................................... 184
2. Une perspective de résider pour un laps de temps suffisant................................. 191
B. Les absences du territoire français .......................................................................... 193

547
C. La pluralité de résidences ........................................................................................ 198

Conclusion du chapitre 1................................................................................................................. 201

Chapitre 2. Le changement de la résidence ............................................................................... 205

Section 1. Le changement licite de la résidence........................................................................... 206


§ 1.L’effectivité du changement de la résidence ................................................................. 206
A. La corrélation entre la perte de l’ancienne résidence et l’acquisition de la
nouvelle résidence ........................................................................................................ 207
B. Des hypothèses particulières de changement de la résidence ................................ 213
1. Les personnes scolarisées à l’étranger .................................................................. 214
a. Les mineurs....................................................................................................... 214
b. Les étudiants..................................................................................................... 221
2. Autres situations particulières ............................................................................... 222
§ 2. Les conséquences du changement de la résidence ....................................................... 224
A. Le problème de la mobilité du facteur de rattachement......................................... 224
B. Le pragmatisme des solutions retenues................................................................... 227
1. L’absence de référence textuelle relative au moment où l’on doit apprécier la
résidence..................................................................................................................... 228
2. Le changement de la résidence expressément envisagé dans les textes
internationaux ............................................................................................................ 231
a. Le principe de l’application immédiate de la loi de la nouvelle résidence
habituelle. L’hypothèse des obligations alimentaires ......................................... 232
a . Le principe .................................................................................................. 232
b . L’exception ................................................................................................. 234
b. Le principe de la survie des mesures prises selon la loi de l’ancienne
résidence habituelle. L’exemple de la protection des mineurs ........................... 235
a . Le changement de la résidence et la convention de La Haye de 1961 sur la
protection des mineurs .................................................................................... 235
b . Le changement de la résidence et la convention de La Haye de 1996 sur la
protection des enfants ..................................................................................... 237

Section 2. Le déplacement illicite de la résidence........................................................................ 239


§ 1. L’inopposabilité du changement de la résidence ......................................................... 240

548
§ 2. L’obstacle au changement de la résidence.................................................................... 248
A. La voie de fait n’est pas un obstacle de principe au changement de la résidence... 250
B. La voie de fait est parfois un obstacle au changement de la résidence.................. 256
1. L’obstacle de principe au changement de la résidence en cas de violation d’un
droit de garde ............................................................................................................. 257
a. L’hypothèse du déplacement illicite : la violation du droit de garde.............. 257
b. Les conséquences du déplacement illicite ....................................................... 266
2. Des possibilités exceptionnelles de changement de la résidence......................... 267

Conclusion du chapitre 2................................................................................................................. 273


Conclusion du titre 2. ...................................................................................................................... 277
Conclusion de la première partie .................................................................................................... 279

DEUXIÈME PARTIE. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, MARQUE D’UNE


APPARTENANCE À UN MILIEU SOCIAL............................................................................ 281

TITRE 1. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR DE DÉSIGNATION DE LA LOI


APPLICABLE................................................................................................................................. 285

Chapitre 1. L’application de la loi de la résidence habituelle, loi du milieu de vie actuel ... 289

Section 1. La désignation de la loi de la résidence habituelle du milieu de vie par la règle de


conflit............................................................................................................................................... 292
§ 1. L’infléchissement de la règle de conflit au profit de la loi du milieu de vie............... 292
A. De la nécessité d’adopter un critère de rattachement territorial subsidiaire à la
volonté de retenir un critère de rattachement territorial autonome............................. 293
B. Le choix d’un critère de rattachement territorial désignant la loi du milieu de vie
par le législateur français.............................................................................................. 300
§ 2. La désignation de la loi du milieu de vie et les enjeux liés au contexte migratoire.... 307
A. La désignation de la loi du milieu de vie justifiée par l’idée d’une intégration
réalisée des étrangers dans la communauté française ................................................. 309
B. La volonté de désigner la loi du milieu de vie, instrument de l’intégration .......... 315
1. Les nécessités de la désignation de la loi du milieu de vie ................................. 316
2. Des manifestations indirectes de la volonté d’appliquer la loi du milieu de vie......319

549
3. Une politique d’intégration parfois sélective. L’exemple de l’adoption
internationale.............................................................................................................. 326

Section 2. L’application immédiate de la loi française de la résidence habituelle aux


étrangers installés en France ........................................................................................................ 332
§ 1. L’application immédiate de la loi française de la résidence habituelle aux effets du
mariage................................................................................................................................. 333
§ 2. Les conséquences de l’application immédiate de la loi française aux effets du
mariage...............................................................................................................................................339
Conclusion du chapitre 1................................................................................................................. 347

Chapitre 2. Le changement de la loi applicable au profit de la loi de la résidence habituelle


en raison d’un enracinement dans le milieu de vie ................................................................... 349

Section 1. Le changement de la loi applicable au profit de la loi de la résidence habituelle


consacré par la Conférence de La Haye....................................................................................... 351
§ 1. Le principe du changement de loi applicable. L’exemple des régimes
matrimoniaux ...................................................................................................................................352
A. La coïncidence de la nationalité et de la résidence habituelle commune des
époux ............................................................................................................................ 355
B. L’établissement de la résidence habituelle en un lieu pendant plus de dix ans..... 357
§ 2. Les conditions du changement de la loi applicable...................................................... 363

Section 2. Vers un changement de la loi applicable au profit de la loi de la résidence


habituelle en matière de statut personnel ..................................................................................... 369
§ 1. Proposition pour un changement de la loi applicable au profit de la loi de la résidence
habituelle au-delà d’un délai ................................................................................................ 373
A. La nécessité de recourir à la résidence habituelle qualifiée par un délai............... 374
1. Les solutions écartées ............................................................................................ 374
a. L’option de législation...................................................................................... 374
b. le changement pur et simple du critère de rattachement................................. 375
2. La solution envisagée ............................................................................................ 385
B. La détermination du délai........................................................................................ 389
§ 2. Les implications du changement de la loi applicable................................................... 393
A. Le caractère bilatéral de la règle de conflit............................................................. 394
B. Les conséquences techniques sur les règles de conflit ........................................... 397

550
Conclusion du chapitre 2................................................................................................................. 403
Conclusion du titre 1. ..................................................................................................................... .407

TITRE 2. LA RÉSIDENCE HABITUELLE, FACTEUR D’ÉVICTION DE LA LOI


ÉTRANGÈRE NORMALEMENT COMPÉTENTE..................................................................... 409

Chapitre 1. La résidence habituelle, lien suffisant avec le territoire pour justifier l’éviction
de la loi étrangère .......................................................................................................................... 411

Section 1. La proximité avec le for, une circonstance justifiant l’éviction de la loi


étrangère......................................................................................................................................... 412

Section 2. La reconnaissance par la jurisprudence de la résidence habituelle comme lien


révélateur d’une proximité suffisante avec le for......................................................................... 421
§ 1. Le lien territorial avec la France, un critère nécessaire mais insuffisant.
L’exemple du divorce.......................................................................................................... 422
§ 2. La résidence habituelle, lien suffisant pour déclencher l’éviction de la loi étrangère
compétente. L’exemple de la filiation.................................................................................. 429
A. La jurisprudence des juridictions parisiennes......................................................... 429
B. La jurisprudence de la Cour de cassation................................................................ 435

Conclusion du chapitre 1................................................................................................................. 441

Chapitre 2. L’extension du rôle de la résidence habituelle dans le processus d’éviction de


la loi étrangère ............................................................................................................................... 443

Section 1. La résidence habituelle, lien suffisant avec le for pour écarter une seconde union
contractée à l’étranger ................................................................................................................... 445

Section 2. La résidence habituelle, lien suffisant avec le for pour constituer un obstacle à la
répudiation ...................................................................................................................................... 453
§ 1. Les hésitations jurisprudentielles face à la répudiation................................................ 454

551
A. La reconnaissance des répudiations en application de la théorie de l’ordre public
atténué........................................................................................................................... 454
B. Le refus de reconnaître les répudiations par la référence à un ordre public fondé
sur le respect du principe d’une égalité entre époux ................................................... 456
§ 2. Des solutions plus nuancées fondées sur un ordre public de proximité ...................... 464
A. La nationalité française, élément justifiant le refus de la répudiation ................... 466
B. La résidence habituelle, lien suffisant avec le for pour justifier l’éviction de la
norme étrangère ............................................................................................................ 468

Conclusion du chapitre 2................................................................................................................. 475


Conclusion du titre 2. ...................................................................................................................... 479
Conclusion de la deuxième partie................................................................................................... 481

CONCLUSION GÉNÉRALE......................................................................................................... 485

BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................................... 491


INDEX............................................................................................................................................. 541

552

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