URBANISME

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URBANISME

1 PRÉSENTATION

Urbanisme, aménagement des villes et de leurs environs.

Le terme « urbanisme » est une création récente : il est apparu dans la langue
française au cours des années 1910 pour désigner un champ d’action
pluridisciplinaire nouveau, né des exigences spécifiques de la société
industrielle. Développant une pensée et une méthode de penser sur la ville,
l’urbanisme se présente comme la science de l’organisation spatiale et
comporte une double face théorique et appliquée. C’est l’art d’aménager et
d’organiser les agglomérations urbaines et, de façon plus précise, l’art de
disposer l’espace urbain ou rural (bâtiments d’habitation, de travail, de loisirs,
réseaux de circulation et d’échanges) pour obtenir son meilleur fonctionnement
et améliorer les rapports sociaux. Cette discipline s’est progressivement
imposée dans le monde entier. L’urbanisme comprend l’ensemble des règles
relatives à l’intervention des personnes publiques dans l’utilisation des sols et
l’organisation de l’espace. Il définit la disposition matérielle des structures
urbaines en fonction des critères de l’architecture et de la construction. Vers le
milieu du XXe siècle, l’urbanisme s’est élargi pour faire place à une réflexion sur
l’environnement économique et social des sociétés. Il s’est développé selon
deux grands courants issus des utopies du XIXe siècle : l’urbanisme progressiste,
dont les valeurs sont le progrès social et technique, l’efficacité et l’hygiène,
élabore un modèle d’espace classé, standardisé et éclaté ; l’urbanisme
culturaliste, dont les valeurs sont, à l’opposé, la richesse des relations humaines
et la permanence des traditions culturelles, élabore un modèle spatial
circonscrit, clos et différencié. Les éléments caractéristiques de l’urbanisme
moderne sont les plans généraux d’urbanisme, qui résument les objectifs et les
limites de l’aménagement des sols ; les contrôles du zonage et des subdivisions,
qui spécifient l’utilisation autorisée des sols, les densités, les conditions
requises pour les rues, les services publics et les autres aménagements ; les
plans de la circulation et des transports en commun, les stratégies de
revitalisation économique des zones urbaines et rurales en crise ; les stratégies
de soutien des groupes sociaux défavorisés et les principes de protection de
l’environnement et de préservation des ressources rares.

En tant que tissu de l’organisation humaine, la ville est aujourd’hui un système


complexe. À un premier niveau, l’urbanisme concerne l’aménagement des
quartiers selon des critères esthétiques et fonctionnels et la création des
services publics indispensables. À un second niveau, il concerne le milieu
socioculturel, l’éducation, le travail et les aspirations des résidents, le
fonctionnement général du système économique auquel ils appartiennent, la
position qu’ils occupent dans ce système et leur capacité à prendre ou à
influencer les décisions politiques qui affectent leur vie quotidienne.

2 HISTOIRE DE L’URBANISME

Les fouilles archéologiques ont révélé des traces d’urbanisme intentionnel dans
les cités anciennes : disposition de l’habitat en structures rectangulaires
régulières et emplacement bien en vue des bâtiments publics et religieux en
bordure des rues principales.

2.1 Le préurbanisme en Grèce et à Rome

L’importance de la planification s’intensifia durant les époques grecque et


romaine. L’architecte grec Hippodamos de Milet conçut les plans d’importantes
villes grecques, comme Priène et Le Pirée (échiquiers orthogonaux), accentuant
la disposition géométrique des villes. Les citadelles religieuses et
administratives étaient orientées de façon à donner une impression d’équilibre
esthétique : les acropoles étaient bâties sur les hauteurs, tandis que les agoras
étaient déployées dans la plaine, les monuments se découpant contre le ciel
sans risque de se superposer. Les rues étaient disposées en damier et l’habitat
intégré aux installations culturelles, commerciales et militaires.

Les Romains accentuèrent cette organisation réfléchie de l’espace public : les


plans de leurs temples, portiques, gymnases, thermes et forums sont autant
d’exemples de constructions qui tiennent rigoureusement compte de la
symétrie. Leurs cités coloniales, conçues comme des camps militaires appelés
« castra », possédaient de grandes avenues et un quadrillage de rues entourées
de murs d’enceinte rectangulaires ou carrés, canalisant ainsi la vision de la ville.
Après la chute de l’Empire romain, les villes déclinèrent en population et en
importance. Du Ve au XIVe siècle apr. J.-C., l’Europe médiévale disposa ses villes
autour des châteaux, des places fortes, des églises et des monastères, dont le
tracé ne correspondait à aucun plan.

2.2 L’urbanisme en Asie

La Chine et les régions incluses dans sa sphère d’influence développèrent une


haute culture urbaine, le gouvernement central chinois utilisant les villes
comme une arme administrative. Le style d’urbanisme fut déterminé par
Chang’an (aujourd’hui Xi'an), capitale des dynasties Han et Tang. Dès la fin du
VIe siècle, elle était disposée en damier et entourée par un mur de terre battue
d’une circonférence de 36,7 km avec de larges avenues (jusqu’à 155 m) allant
du nord au sud et d’est en ouest. Ce plan fut repris pour les villes de nombreux
autres pays influencés par la Chine, notamment pour la capitale impériale
japonaise Heiankyo (aujourd’hui Kyoto), fondée en 794 apr. J.-C. Le
développement du commerce et d’une économie monétaire en Chine sous la
dynastie Song favorisa l’essor des cités qui, pour la plupart, s’efforcèrent de
reprendre le même plan. D’autres pays d’Asie orientale (le Tibet, l’ancien empire
Mongol) se sont inspirés du modèle chinois tout en le modifiant afin de corriger
sa trop grande rigidité.

2.3 La ville médiévale

Le bas Moyen Âge, qui vit l’essor de nombreuses villes, se traduisit par une
oblitération des volumes purs. Les maisons étaient soudées entre elles et les
monuments perdirent leur autonomie pour s’enraciner dans le tissu urbain. À
un langage essentiellement temporel dans les dispositions urbaines (la ville est
le fait du prince) correspondait une architecture antispatiale. Les villes se
développèrent à la façon d’un palimpseste ; elles procédaient en effet d’une
accumulation sédimentaire, se reconstruisant en permanence sur elles-mêmes
à la suite des guerres qui les ravageaient périodiquement. La ville médiévale,
limitée par ses fortifications, progressait selon un modèle concentrique,
ajoutant à la première enceinte, historique, une deuxième enceinte de défense
militaire qui distinguait clairement l’espace ville de l’espace rural. Très dense,
close et souvent chaotique, elle opérait également une confusion totale entre
le travail et le logement, ignorant les voies de transport.

2.4 La Renaissance

L’émulation du classicisme gréco-romain durant la Renaissance relança les


efforts d’urbanisme dans le style classique, sans toutefois parvenir à détruire la
structure urbaine issue du Moyen Âge. L’exemple le plus célèbre fut celui de
Michel-Ange, qui détermina les centres fonctionnels de Rome : centre religieux
avec Saint-Pierre de Rome et l’immense place qui lui fait face, centre résidentiel
avec le palais Farnèse, centre municipal avec le Capitole, ainsi que l’axe
d’expansion vers l’est. Comme dans le cas de Venise et de la place Saint-Marc, il
modifia ainsi la ville sans en avoir préalablement dessiné le plan, la développant
par « pôles » et par des liens successifs capables de susciter un processus de
construction. Conçues sans plan régulateur, ces villes italiennes symbolisaient
leur idéal de grandeur dans les structures administratives et les places
publiques. En opposition aux rues étroites et irrégulières des villes médiévales,
l’urbanisme de la Renaissance accentuait les rues larges, régulières, en étoile ou
en circonférence (certaines rues formaient des cercles concentriques autour
d’un point central et d’autres étaient disposées en étoile à partir de ce point,
comme les rayons d’une roue), mettant en perspective l’espace urbain. Une
ville comme Ferrare, en Italie, souvent considérée comme la première ville
européenne moderne, présentait ainsi des rues droites et des angles droits,
mais intégrées dans des blocs de construction asymétriques liés à la dynamique
et à l’histoire ancienne de la cité. La « cité idéale » ne devint ainsi concrète que
dans de rares cas, comme par exemple Urbino en Italie ou les villes-forteresses
de Vauban. On trouve d’autres exemples d’une disposition néoclassique dans le
plan de Londres de l’architecte anglais sir Christopher Wren (1666) ainsi que
dans les villes de Mannheim et de Karlsruhe en Allemagne.

2.5 L’urbanisme du Nouveau Monde

Ces thèmes de l’urbanisme de la Renaissance et de la mise en perspective de la


ville ont été transposés dans le Nouveau Monde, dans les cités coloniales
anglaises et espagnoles fondées aux XVIe et XVIIe siècles, entre autres Savannah
dans l’État de Géorgie, Williamsburg en Virginie ou Mexico au Mexique et Lima
au Pérou. Disposant de larges espaces vierges pour y implanter des structures
urbaines, les bâtisseurs des villes américaines ont pu progressivement
expérimenter une ville moderne rompant avec le développement concentrique
et effaçant les défauts de la ville médiévale (croissance impossible en raison des
enceintes, problèmes de transport et de repérage dans la ville, etc.). Les plans
en damier (New York, Chicago, etc.) se démarquaient de la ville historique à
l’européenne mais créaient parallèlement de nouveaux problèmes comme la
monotonie des rues et l’hétérogénéité des volumes et des constructions.
L’urbanisme de la première période des États-Unis reflétait une prédilection
pour les bâtiments publics et les rues de grande dimension : la conception du
district de Columbia par l’architecte franco-américain Pierre Charles L’Enfant en
1791 en fut un exemple célèbre. Son plan prévoyait un réseau de larges
avenues convergeant vers d’importants parcs, allées et autres espaces libres et
sur des structures publiques comme le Capitole et la Maison-Blanche.

Dès la fin du XVIIIe siècle, les problèmes sociaux, économiques et politiques qui
surgissaient dans une société en pleine transformation favorisèrent la naissance
d’une réflexion critique et suscitèrent une vague de projets à grande échelle.
Les phalanstères de Fourier (petites villes miniatures), le « familistère »
construit par l’industriel Godin près de son usine à Guise (1859-1870) ou encore
le concept de ville idéale de Claude Nicolas Ledoux rompaient avec la ville
ancienne, s’efforçant de regrouper le travail et l’habitat et de développer les
voies de circulation.

2.6 La naissance d’un urbanisme appliqué

Vers le milieu du XIXe siècle, une partie des villes européennes apparaissaient
anachroniques, impropres à remplir les fonctions que leur imposaient
l’industrialisation et les concentrations démographiques. Pour survivre et
s’adapter, elles réclamaient des transformations globales de grande envergure.

La transformation la plus spectaculaire, sans équivalent ailleurs, fut accomplie


entre 1853 et 1869 par le baron et préfet de Paris Georges Eugène Haussmann.
À la différence de certains projets qui ne tenaient parfois aucun compte des
conditions matérielles et esthétiques les plus élémentaires, son plan
s’appliquait à une ville déjà existante et ne s’appuyait ni sur une critique sociale,
ni sur une théorie de l’aménagement : pour la première fois, il traitait
l’ensemble de l’espace parisien comme une totalité, de façon méthodique et
systématique. Il fit exécuter le premier plan global de Paris, avec des courbes de
niveaux, ce qui lui permit d’analyser de façon approfondie la topographie et la
morphologie parisiennes. Pour résoudre les problèmes d’une circulation
congestionnée et améliorer une hygiène souvent inexistante (Paris avait subi
deux graves épidémies de choléra dans la première moitié du siècle), la solution
radicale d’Haussmann fut le percement. Il donna une priorité à la création
d’axes nord-sud, à la construction du boulevard Sébastopol et à l’extension à
l’est de la rue de Rivoli (137 km de nouveaux boulevards). Concevant la ville en
termes de systèmes homologues, hiérarchisés et solidaires, il mit en relation
tous les points névralgiques de la ville. Grâce à un alignement sur rue très
réglementé, il contribua largement à l’aération et à une uniformisation
architecturale de la capitale. Cependant, les îlots du Paris haussmannien
présentaient plusieurs inconvénients, notamment celui d’empêcher une bonne
diffusion de la lumière (les pièces donnant sur cours étaient très sombres).
L’œuvre novatrice d’Haussmann inspira la transformation du réseau urbain
français et exerça une influence considérable en Europe (notamment à Vienne,
à Berlin et à Anvers) et aux États-Unis où elle fut à l’origine du remodelage de
Chicago par Daniel Burnham (1909).

2.7 L’urbanisme au XXe siècle

Les pays anglo-saxons réagirent de façon uniforme à la nécessité d’améliorer les


conditions de vie dans les cités. Ils commencèrent par réguler les conditions
sanitaires et la densité des immeubles. En France, des expériences d’habitat
amenèrent à la construction des premiers logements ouvriers, comme la
fondation Lebaudy, installée rue Gassendi à Paris. La cité-jardin créée par le
Britannique Ebenezer Howard en 1903 (modèle culturaliste) fut adoptée par
quantité d’urbanistes qui la généralisèrent dans de nombreux pays. La « ville-
jardin » communautaire de Welwyn (1920), construite d’après ses plans, avait
été conçue comme une cité indépendante, protégée de l’empiétement urbain
par une ceinture verte ou une zone agricole.

Un peu plus tard apparurent les premières habitations à bon marché (HBM)
que l'on retrouve dans l'actuelle ceinture parisienne des Maréchaux. Un
urbanisme social et quelque peu paternaliste vit ainsi le jour (modèle
hygiéniste), bientôt radicalisé par les premiers modèles urbanistes progressistes
(la cité linéaire de Soria, la cité industrielle de Tony Garnier, etc.). Ce
mouvement prônait une approche globale et à long terme de l’urbanisme,
impliquant l’abandon ou la destruction des centres anciens. Les idées
développées étaient d’abord des thérapies sociales afin d’éliminer le « cancer »
de la ville ancienne. Les programmes cherchaient à concilier technologie
moderne et justice sociale, s’efforçant de définir les différents facteurs affectant
les cités modernes (travail, logement, transport et loisirs).

D’importantes mesures visant à formaliser et à légaliser l’urbanisme furent


prises au début du XXe siècle : en 1909, la Grande-Bretagne vota une loi
d’urbanisation permettant aux autorités locales de préparer des plans de
contrôle du nouvel aménagement. En 1909, également, eut lieu aux États-Unis
la première Conférence nationale d’urbanisme.

Entre le premier après-guerre et la fin des années 1960, l’urbanisme


progressiste s’imposa, consacrant la figure de l’architecte français d’origine
suisse Le Corbusier. Il resta néanmoins cantonné dans la théorie et dans une
expérimentation limitée jusqu’en 1945, année après laquelle il trouva de
nombreuses applications sur le terrain. Cette période fut caractérisée par
l’effacement progressif du projet social, propre aux modèles de la première
génération. Les membres du Bauhaus et du mouvement De Stijl projetaient des
cités plantées sur des espaces verts, inondées de soleil, sillonnées de voies de
circulation pour drainer harmonieusement la population évoluant entre les
différents quartiers définis par leurs activités (habitat, travail, loisir). La doctrine
de l’urbanisme progressiste fut élaborée lors des Congrès internationaux
d’architecture moderne (CIAM), la charte d’Athènes définissant les critères de la
ville moderne. Le logement était privilégié, la rue « corridor » bannie et la
nature largement introduite dans les villes. Appliquant à la ville un
fonctionnalisme radical (à chaque quartier et à chaque bâtiment une fonction
unique : travail, habitat, loisir, etc.), ces urbanistes proposaient un zonage
séparé dans les villes où le développement des techniques de construction
(béton, immeubles de grande hauteur, ascenseurs) permettaient toutes les
audaces.

À partir de la grande dépression des années 1930, l’intervention des États en


matière d’urbanisme s’accentua. Pour stimuler le développement économique
dans les régions en déclin, la Grande-Bretagne autorisa la nomination de
commissaires spéciaux aux pouvoirs étendus. La Grande-Bretagne, la France, les
Pays-Bas et d’autres pays européens réalisèrent plusieurs programmes de
logements sociaux inspirés des théories progressistes et surtout hygiénistes.
Aux États-Unis, le président Franklin Roosevelt créa, dans le cadre du New Deal,
une Administration des travaux publics chargée de l’amélioration des
investissements, un Bureau national d’urbanisme destiné à coordonner
l’aménagement à long terme ainsi qu’un programme de création de trois
ceintures vertes.

2.8 Après la Seconde Guerre mondiale

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les grands travaux de


reconstruction des villes et l’urgence du logement entraînèrent une application
massive des principes de la charte d’Athènes. Ils inspirèrent d’abord la
rénovation des quartiers et des centres urbains anciens, c’est-à-dire leur
démolition au nom de l’hygiène et de la modernisation et leur reconstruction
selon les normes nouvelles. Ce type de rénovation débuta d’abord aux États-
Unis sous l’influence des anciens protagonistes du Bauhaus et gagna
progressivement l’Europe. Elle a permis en région parisienne plus de cent
opérations couvrant près de 600 hectares (à Paris les secteurs du Front de
Seine, des Halles-Beaubourg et de la place d’Italie). Les villes orientales ne
furent pas épargnées par cette chirurgie radicale, comme en témoignent
certaines opérations au Maroc et au Moyen-Orient. L’urbanisme progressiste
inspira également (et inspire toujours) l’aménagement des périphéries
urbaines, qu’il s’agisse de quartiers nouveaux (Stockholm, Amsterdam, etc.) ou
surtout de grands ensembles : tours et barres de logements identiques sur tous
les continents, dans lesquelles la rue a disparu (la cité des Quatre Mille de
Le Corbusier à La Courneuve, Sarcelles, etc.). Le mouvement progressiste fut
également à l’origine de la création ex nihilo de villes comme Brasilia au Brésil
(Oscar Niemeyer) ou Chandigarh en Inde (Le Corbusier), mais ne put mettre en
œuvre de colossaux projets utopiques (les cités lacustres de Kenzo Tange, les
villes entonnoirs de Walter Jonas, etc.).

Seule la Grande-Bretagne resta relativement fidèle au modèle culturaliste de


Howard dont les villes nouvelles, résultant du New Town Act (1946), portent la
marque. Bâties autour d’un noyau central, elles intégraient des activités
diversifiées, se distinguant du modèle progressiste par leur refus d’un
fonctionnalisme systématique. En raison de cette politique volontariste, de
nombreux ensembles d’habitations de ce type furent érigés dans les banlieues
de Londres mais aussi en France, où la construction de neuf villes nouvelles
(Melun-Senart, Saint-Quentin-en-Yvelines, etc.) fut lancée à l’occasion de la
publication du Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région
parisienne (1965).

2.9 L’urbanisme moderne

Après une phase d’euphorie, le triomphe de l’urbanisme progressiste suscita


une critique croissante sur ses réalisations et sa démarche à partir des années
1960. Les effets sociaux provoqués par le gigantisme et la pauvreté formelle et
sémantique de ces innombrables cités-dortoirs et déserts de béton d’une part
et le scientisme quelque peu dogmatique de ses théoriciens, d’autre part,
amenèrent à une remise en cause de sa suprématie. Parallèlement, on prit
conscience que, dans la « nouvelle ville », l’urbanisme dépassait la simple
dimension matérielle et qu’il englobait également les questions sociales,
économiques et politiques. Ces questions étaient trop importantes pour laisser
tout pouvoir aux urbanistes et à leurs rêves de cités radieuses. C’est ainsi qu’un
mouvement postmoderne vit le jour, caractérisé par son hostilité au
mouvement moderne et par une plus grande modestie et un plus grand
réalisme en matière d’urbanisme.

2.10 La ville de l’âge III

Selon le terme de l’architecte et urbaniste français Christian de Portzamparc,


lauréat du prix Pritzker 1994, nous serions aujourd’hui au troisième stade de la
ville : après la ville médiévale et la ville moderne, la ville de l’âge III opérerait en
quelque sorte un retour à une structure urbaine plus traditionnelle tout en
intégrant les acquis du mouvement moderne (la lumière, l’espace, les réseaux
de circulation, etc.). Avec la ville contemporaine, qui s’est affranchie des limites
de la vieille ville médiévale, les mégalopoles sont devenues infinies et ont donc
d’autant plus besoin de repères, à l’opposé des blocs et des objets urbains
isolés de la ville moderne, tramée et sans continuité. L’histoire de l’urbanisme a
ainsi montré que les « fonctions » de la ville étaient en interactivité
permanente, témoignant de l’hétérogénéité absolue du tissu urbain. Alors que
les progressistes cherchaient systématiquement à exprimer la fonction du
bâtiment (une usine doit ressembler à une usine), les postmodernes (Antonio
Rossi, Portzamparc, etc.) cherchent à faire ressortir l’hybridité de la ville et
refusent les formes figées. Parallèlement à la vogue du patrimoine qui a fini par
englober le tissu urbain ancien (loi Malraux sur les secteurs sauvegardés en
1962, charte d’Amsterdam en 1975), les urbanistes disposent aujourd’hui de
moyens accrus pour recycler, transformer et restituer les ensembles anciens
dans le processus d’urbanisation. Les villes, qui sont des formes complexes ou
imparfaites, deviennent ainsi des villes flexibles, plus soucieuses de cohésion
formelle que fonctionnelle. Pour autant, il ne faut pas supprimer les différences
entre les territoires, ni trop « coudre » les espaces urbains les uns aux autres
pour tout homogénéiser. La banlieue ne doit pas être comme le centre, sans
quoi les sens humains, qui lisent le dedans et le dehors d’une ville, peuvent se
perdre. Il convient de créer des sous-villes, offrant ainsi des échelles
d’appropriation plus petites aux mégapoles.

Le quartier Massena, dans l’Est parisien, se veut une illustration de ces théories,
un quartier-laboratoire de la ville de l’âge III : à l’opposé des îlots fermés
haussmanniens, il est composé d’une succession d’îlots ouverts, avec des fentes
pour permettre le passage de la lumière. En même temps, l’alignement sur rue
est respecté, tout comme une certaine homogénéité des constructions qui
donne sa cohérence à l’ensemble. La ville de reconversion, de modification et
de transformation du contexte se substitue ainsi à la ville moderne de la
rupture.

3 DROIT ET POLITIQUE DE L’URBANISME ET DE L’AMÉNAGEMENT

On distingue schématiquement quatre types d’urbanisme : l’urbanisme de


développement, l’urbanisme de gestion, l’urbanisme de réhabilitation et
l’urbanisme de participation. Ces différents types d’intervention correspondent
à des règles précises qui se sont affinées parallèlement au développement de
cette discipline et sont codifiées dans des lois et des règlements (code de
l’urbanisme). Ces règles expriment l’intérêt général face à la diversité des
intérêts particuliers des constructeurs et des aménageurs. Au régime des
contraintes inhérent au droit de l’urbanisme, le législateur a ajouté des règles
d’aménagement qui traduisent la volonté d’une réflexion globale pour une
organisation plus rationnelle et plus harmonieuse de l’espace (habitat, cadre de
vie, équipements collectifs, infrastructures). Le concept d’aménagement
permet notamment de concilier les préoccupations urbaines et
environnementales, parfois antagonistes.

3.1 L’évolution historique

Les nécessités de la reconstruction puis l’explosion démographique ont


progressivement justifié l’encadrement juridique de l’aménagement urbain et le
développement des contraintes juridiques liées à l’utilisation du sol. Après la
Première Guerre mondiale, le législateur créa au profit des communes les
premiers instruments de planification urbaine et les maires furent habilités à
délivrer des autorisations de construire en fonction des règlements de
construction qu’ils édictèrent. La loi du 14 mars 1919 donnait aux conseils
municipaux la compétence en matière de plans d’alignement et au maire la
compétence en matière de police d’urbanisme. Avec le régime de Vichy, la
volonté de centralisation l’emporta. La loi du 15 juin 1943 créa véritablement le
droit de l’urbanisme en généralisant le permis de construire. La planification
urbaine quant à elle continuait à ne concerner que les communes d’une
certaine importance. De la Libération au début des années 1960, l’urbanisation
se développa rapidement mais le droit de l’urbanisme, pourtant consacré par
un code de l’urbanisme, parut peu efficace pour permettre aux autorités
publiques de faire face aux problèmes fonciers et à la demande de logements et
d’équipements collectifs. La loi d’orientation foncière de 1967 s’attacha à
repenser entièrement l’encadrement juridique de l’aménagement urbain. Ce fut
l’époque de l’avènement des SDAU (schémas d’aménagement et d’urbanisme)
et des POS (plans d’occupation des sols). Le législateur s’attacha également à
créer un nouvel équilibre entre les compétences de l’État et celles des
collectivités locales, permettant ainsi aux élus locaux de pouvoir mieux
maîtriser le développement de la cité. Cette loi connut un succès mitigé. Les
POS ont été établis malgré les réticences, mais les SDAU ne furent élaborés
qu’en nombre réduit. Devant la persistance du problème foncier, le
gouvernement fit adopter la loi établissant le principe du PLD (plafond légal de
densité). En cas de dépassement du PLD autorisé, le constructeur était
redevable d’une participation financière assez dissuasive pour que le plafond
soit effectivement respecté. La loi de janvier 1983 relative à la répartition des
compétences entre l’État et les collectivités locales opéra ensuite une profonde
décentralisation de l’urbanisme au profit des communes (contrôle des POS).
L’État continuait toutefois à exercer ses pouvoirs de contrôle. La loi de juillet
1985 relative à l’urbanisme opérationnel (définition et mise en œuvre de
l’aménagement) modernisa encore le droit de l’urbanisme, accroissant les
responsabilités des communes et garantissant aux administrés une véritable
concertation. Enfin, la loi d’orientation pour la ville (LOV) de 1991 mit l’accent
sur la cohésion sociale dans les quartiers et les besoins de logements sociaux.
Elle correspondait à la mise en œuvre d’une politique globale de la ville,
conséquence du mal-être de certains quartiers constitués de grands ensembles
construits dans les années 1960.

3.2 L’administration de l’urbanisme

Selon l’évolution de l’organisation administrative de l’État, l’urbanisme est


administré au sein de structures ministérielles ou interministérielles et, le cas
échéant, par des structures organisées par les collectivités locales. Le
développement de l’urbanisme réglementaire a justifié l’organisation d’une
administration d’État à la fois centrale et déconcentrée. Celle-ci est aujourd’hui
rattachée à un grand ministère de l’Équipement ou à un ministère
spécifiquement chargé de l’urbanisme et du logement. L’administration de
l’aménagement et de l’urbanisme est relayée dans chaque département par
une Direction départementale de l’équipement (DDE). En l’état du processus de
décentralisation, les régions et les départements n’ont aucune compétence
décisoire en matière d’urbanisme. En revanche, ce sont aujourd’hui les
communes qui ont en charge l’essentiel de l’urbanisme décentralisé. La
réalisation des opérations d’urbanisme est souvent déléguée à un
établissement public désigné à cet effet, association ou société d’économie
mixte locale (SEML).

3.3 La planification urbaine

La planification urbaine est la méthode de prévision et d’organisation qui


permet aux autorités publiques d’orienter et de maîtriser le développement
urbain par l’élaboration et la mise en œuvre de documents d’urbanisme. Elle
s’exprime par les plans d’occupation des sols (POS) et les anciens SDAU, appelés
aujourd’hui schémas directeurs (SD). Les POS sont des documents qui
déterminent avec précision l’affectation des sols et les règles de leur utilisation ;
les SD définissent quant à eux les règles générales du développement urbain à
l’échelle d’une ou de plusieurs agglomérations. Le maillage de la planification
urbaine s’insère dans celui de la planification générale de l’espace et rejoint de
ce fait les préoccupations d’aménagement du territoire. Le régime du permis de
construire est aujourd’hui étroitement lié aux prescriptions du POS.
Les schémas directeurs sont des documents prévisionnels qui fixent les
orientations fondamentales de l’organisation des territoires intéressés en
tenant compte en principe des besoins de l’extension urbaine, de l’exercice des
activités agricoles, industrielles et tertiaires et de la préservation des sites et
des paysages. Documents d’orientation et non de prescription, les SD précisent
la destination des sols, le tracé des grands équipements d’infrastructure et la
localisation des services. En vertu de la loi de décentralisation de 1983, la
procédure d’élaboration des SD est très largement du ressort des communes.
Ces schémas ont peu à peu été abandonnés, puisque seulement dix-huit SD ont
été approuvés depuis 1983 — leur difficulté principale provenant du fait qu’ils
supposent une concertation au niveau intercommunal. Le SDRIF, schéma
directeur de la région Île-de-France élaboré entre 1990 et 1994, a permis aux
collectivités locales d’imposer leurs vues en matière d’aménagement du
territoire à l’État. Au lieu de s’inscrire dans des frontières administratives, les
communes ont opté pour un espace géologique, celui du Bassin parisien,
repoussant ainsi les frontières du développement à 150 ou à 200 km de la
capitale.

Le POS détermine les règles générales de l’utilisation et de la destination des


sols dans un périmètre qui est généralement celui de la commune. Le POS se
compose d’un document graphique et d’un règlement. Il comporte un zonage
et des prescriptions d’urbanisme, établissant pour chaque zone un coefficient
d’occupation des sols (COS). Il détermine au minimum l’affectation des sols et la
nature des activités qui peuvent y être exercées, prescrit le droit d’implantation
des constructions, leur destination et leur nature (un permis de construire doit
impérativement respecter le POS). Le POS doit se fonder sur les données
existantes pour prévoir, programmer et maîtriser l’urbanisation et l’équipement
de la commune à moyen terme. Le conseil municipal prend la décision
d’élaborer un POS ; les administrés ont alors la possibilité de le consulter et de
le contester le cas échéant. Susceptible d’évoluer, le POS peut par conséquent
être révisé. Il constitue un document de planification urbaine essentiel, placé
entre les mains des élus locaux qui peuvent ainsi gérer et maîtriser la croissance
de l’aménagement urbain. Dans certains lieux, l’utilisation de certains sols est
réglementé par la loi, qui spécifie les restrictions générales concernant la
hauteur, le volume et l’usage des bâtiments. D’autres règlements contiennent
les normes générales, beaucoup plus souples, concernant les usages multiples
ou l’architecture d’un bâtiment. Les règles de la construction et du logement
portent sur la qualité et la sécurité de la construction de nouveaux bâtiments
ainsi que sur leur entretien ultérieur. Dans la plupart des cas, les règles
spécifient les matériaux devant être utilisés, leur qualité minimale et les
éléments de construction nécessaires à une structure appropriée à l’occupation
humaine.

3.4 L’urbanisme opérationnel

L’urbanisme opérationnel désigne l’ensemble des actions dont l’objet est la


conception et la réalisation d’opérations de construction et d’équipements
menés ou contrôlés par les autorités publiques. C’est l’expression la plus forte
de l’interventionnisme public dans le domaine urbain. Une libéralisation
progressive des procédures a permis d’y associer plus largement les opérateurs
privés et les administrés. La loi d’aménagement de 1985 a voulu relancer
l’urbanisme opérationnel en donnant aux collectivités locales plus de pouvoir
en la matière et surtout plus de moyens pour en maîtriser la conception et la
mise en œuvre. Les opérations d’urbanisme les plus répandues sont les
lotissements et les zones d’aménagement concerté, les ZAC, qui ont remplacé
les ZUP (zones à urbaniser en priorité) et permettent la réalisation d’opérations
complexes, mêlant souvent la réalisation de constructions à usage d’habitation,
de commerces, d’entreprises, d’installations et d’équipements collectifs. Les
réalisations de ZAC engagent des établissements publics d’aménagement (EPA)
et éventuellement des sociétés d’économie mixte (SEC) lorsqu’une entreprise
privée participe à l’opération. La ville de Paris a actuellement trois projets de
ZAC en construction (Aubervilliers, Alésia-Montsouris, porte d’Asnières), mais
souhaite se réorienter vers des opérations plus légères.

3.5 Le développement économique

Le développement et la reconversion économiques de la ville font également


partie de l’urbanisme. Les plans de développement économique ont recours
aux primes, à l’assistance technique et au marketing pour créer des emplois,
établir de nouvelles industries et entreprises, aider les entreprises existantes à
s’épanouir, réhabiliter ce qui est récupérable et reconvertir ce qui ne peut être
conservé.

Le mouvement de renouveau urbain des années 1940 fut insensible aux


fluctuations des quartiers urbains. Des années 1940 aux années 1960, le credo
consistait, lors de l’échec d’un agent économique, à laisser affleurer le
« pourrissement » et à déblayer le terrain en vue de sa réutilisation. Dans bien
des cas, la reconversion n’avait jamais lieu. Les multiples facteurs qui ont
entraîné la mutation des quartiers furent ignorés ou mal analysés.
La programmation financière des investissements est l’instrument budgétaire
utilisé par les urbanistes pour établir le programme de construction et de
financement des travaux publics. Les projets d’investissements — comme
l’amélioration des routes, l’éclairage des rues, les parcs de stationnement
publics et l’achat de terrain pour les espaces libres — doivent être classés par
priorités. Un contrat d’objectifs annuel précise les projets prioritaires sur une
période de six ans, qui auront pour but de mettre en œuvre le plan général et
de remplacer l’infrastructure usagée. Dans les régions à forte croissance, les
urbanistes sont continuellement confrontés à des équipements collectifs qui ne
correspondent plus aux critères de l’aménagement futur. Dans les zones en
déclin, la reconversion économique est de première importance. Avant même
d’établir un programme financier d’investissement, il faut établir une estimation
du quartier, de sa viabilité et adopter des stratégies de redressement.

Les urbanistes ont maintenant compris qu’une ville est affectée par les
conditions économiques régionales, interrégionales, nationales et
internationales. Ils savent également que l’efficacité des plans dépend de la
qualité de l’analyse et de l’interprétation de ces conditions. Telles sont les
leçons qui ont été tirées des bouleversements qui ont marqué les structures
économiques suburbaines et interrégionales dans les années 1960 et 1970.

3.6 Le contentieux de l’urbanisme

Le droit de l’urbanisme alimente un important contentieux. Ce sont les


tribunaux administratifs qui sont compétents en première instance ; en appel, à
la suite de la réforme du contentieux instituée par la loi de 1987, ce sont les
cours administratives d’appel qui sont compétentes. Aujourd’hui, le contentieux
de l’urbanisme représente à lui seul entre 10 et 15 p. 100 des affaires traitées
par les tribunaux administratifs. Les litiges les plus nombreux tendent à
demander aux juges l’annulation d’une décision dont la légalité est contestée,
ou des indemnités pour des préjudices subis du fait d’une faute de
l’administration.

4 L'AVENIR DES VILLES ET DE L'URBANISME

Au cours des dernières décennies du XXe siècle, l’urbanisme a été de plus en


plus impliqué dans la définition et la réalisation de la politique des services
publics ainsi que dans la fourniture de ces services. Depuis qu’il est manifeste
que les ressources sont limitées et que les évolutions d’ensemble ont des
répercussions sur l’avenir de chaque communauté, l’urbanisme a dû s’intégrer
aux structures nationales et internationales de planification de l’aménagement.
Dans ce contexte, différents groupes urbains d’habitants ont appris à défendre
leurs intérêts. Mieux informés, ils connaissent les lois et les procédures et sont
à la fois plus militants et plus tenaces. Conscients que la planification permet de
structurer le changement, ils cherchent à influencer celle-ci. En retour, les
urbanistes cherchent à équilibrer les intérêts rivaux par un consensus
communautaire minimal permettant de prendre des décisions. D’autre part, les
réactions contre la centralisation de la planification et les appels au
développement privé dans les années 1980 et 1990 ont donné lieu à
d’ambitieuses expériences en matière de réduction des contrôles de
planification, parfois — comme dans le cas de la reconversion du quartier des
docks à Londres — avec des résultats mitigés.

À l’avenir, l’urbanisme continuera de faire face à l’insuffisance des ressources


économiques municipales tout en étant continuellement confronté à la
concurrence des priorités — des quartiers, des groupes d’intérêts, des
entreprises et des habitants. Le ciblage et la fourniture de services publics
appropriés posera de grands problèmes d’ici la fin du XXe siècle. Au fur et à
mesure que les villes cherchent à redéfinir leur rôle, elles font l’objet de
réajustements périodiques. Il revient à l’urbanisme de minimiser l’impact
qu’ont ces mutations cycliques sur la population et l’activité urbaines.

4.1 Une explosion urbaine

Dans les cinquante prochaines années en effet, les urbanistes seront confrontés
au défi d’une croissance urbaine qui va s’intensifier et dont le centre de gravité
se déplacera en Asie et dans le tiers-monde. En 2005, plus de la moitié de la
population mondiale sera concentrée dans les villes et 60 p. 100 en 2025,
perspective vertigineuse puisque la terre ne comptait que 10 p. 100 de citadins
au début du XXe siècle. Alors que Londres a mis cent trente ans pour passer de
1 à 8 millions d’habitants, Lagos au Nigeria, qui n’en avait que 290 000 en 1950,
en comptera 24,4 millions en 2015. Sur les 33 mégapoles annoncées par l’ONU
pour 2015, 27 seront situées dans les pays les moins développés, dont 19 en
Asie. Tokyo (28,7 millions d’habitants en 2015) sera la seule ville « riche » à
continuer de figurer sur la liste des dix plus grandes villes du monde. Paris,
classée au 4e rang des villes les plus peuplées en 1950, sera reléguée en
29e position en 2015. Bombay (Inde), Shanghai (Chine), Jakarta (Indonésie),
São Paulo (Brésil) et Karachi (Pakistan) dépasseront toutes les 20 millions
d’habitants. Devant de tels bouleversements, les avis des experts sont partagés
entre ceux qui croient aux « mégavilles » comme facteur d’émancipation de
l’humanité et ceux, plus sceptiques, qui considèrent que la poursuite de ce
processus mènera à une implosion urbaine.
4.2 L’espoir d’une ville nouvelle

Plusieurs phénomènes tendent en effet à démontrer que la croissance des villes


est un phénomène non seulement inéluctable mais porteur d’espoir. Le
mouvement d’urbanisation est déjà si profondément engagé que l’essentiel de
l’expansion des villes repose désormais non plus sur l’exode rural, en voie de
marginalisation, mais sur leur démographie interne galopante. Urbanisation et
développement vont de pair, plaide aujourd’hui l’ONU, dont un récent rapport
concluait que les citadins pauvres étaient trois à dix fois plus riches que les
ruraux pauvres.

Les villes, carrefours des compétences et des initiatives, supports stimulants


pour l’éducation et l’innovation, lieux d’ouverture au monde, favorisent non
seulement le décollage économique mais aussi la baisse de la fertilité. Déjà, les
rythmes de croissance s’essoufflent dans les vieux pays industrialisés :
l’urbanisation porterait en elle les remèdes à ses propres ravages. En
soulageant les campagnes, la croissance des villes permettrait une hausse de la
productivité agricole et une meilleure préservation des ressources naturelles.
Dans les pays riches, le fait urbain est non seulement une réalité
démographique ancienne (85 p. 100 des Français vivent dans une commune
comptant plus de 30 000 habitants ou jouxtant une telle commune), mais
l’unique référence en matière de mode de vie. Les agglomérations urbaines
modernes tendent de plus en plus à s’étendre sur un espace plus vaste. Les
urbanistes parlent désormais de conurbations, ces zones d’habitat humain
s’étendant sur plusieurs centaines de kilomètres, de Boston à Washington, de
Tokyo à Kobe, d’Amsterdam à la Ruhr.

4.3 Une menace pour la planète

Au rythme de croissance actuel de la population urbaine, soit


170 000 personnes de plus par jour dans le monde, les nouvelles mégalopoles
sont, selon l’avis de certains spécialistes, lourdes de menaces pour l’humanité.
La plupart d’entre elles ont atteint une taille critique au-delà de laquelle les
problèmes de la vie urbaine (pollution, embouteillages, prix élevé de
l’immobilier) en balaient les avantages, étouffant chaque jour un peu plus ses
habitants. Dix millions de citadins meurent chaque année du fait de la mauvaise
qualité des logements, de l’eau et de l’hygiène. Le déracinement et le chômage,
la violence, l’éclatement social et ethnique comptent parmi les plaies
consécutives à la prolifération des villes. Déjà en 1964, un grand historien du
monde urbain, Lewis Mumford, appelait Nécropolis la cité moderne : « ceux qui
prétendent que la prolifération des grandes métropoles est inévitable oublient
que celles-ci ont marqué, d’une manière constante, l’effondrement de toute
une période civilisatrice », écrivait-il dans la Cité à travers l’histoire. Dans de
nombreuses villes du tiers-monde — mais aussi des pays industrialisés —, la
croissance urbaine s’accompagne en effet aujourd’hui d’une misère profonde. À
l’échelle mondiale, la pauvreté touche jusqu’à 60 p. 100 de la population des
villes. Même dans les pays développés, qui se révèlent désormais incapables de
loger l’ensemble des ménages à faibles revenus, l’équilibre qui maintenait des
liens entre quartiers riches et quartiers pauvres s’est rompu. La ville, qui était le
lieu de la civilisation par excellence, l’endroit où l’on trouvait sécurité, bien-être
et liberté, est aujourd’hui cernée par une périphérie trouble et incertaine. Dans
les métropoles modernes, des quartiers entiers deviennent des lieux
d’enfermement et d’exclusion. De Lagos à Shanghai en passant par nombre de
villes américaines protéiformes comme Mexico, Los Angeles ou São Paulo, la
ville est devenue un espace urbain subi et cisaillé par les tribus sociales et
ethniques, des damiers où chaque case se fortifie et se durcit et dans lesquelles
l’individu ne joue plus qu’un second rôle. Une ville comme Atlanta, aux États-
Unis, est assez caractéristique du standard mondialisé en train de se mettre en
place : au centre, un quartier d’affaires dominé par les tours de Coca-Cola et de
la chaîne d’information en continu CNN ; légèrement décalé, le centre
administratif, beaucoup plus modeste ; tout autour se trouvent différents
quartiers, organisés de façon ethnico-sociale et qui ne sont reliés entre eux que
par un réseau autoroutier urbain ; les Blancs, plus aisés (20 p. 100 de la
population), ont fui le centre-ville pour aller vivre dans des banlieues
résidentielles. Ainsi, au nord comme au sud de la planète, la ville se structure
désormais comme un archipel de zones isolées les unes des autres, abritant des
groupes de population qui ne se côtoient plus. La mondialisation fait planer une
lourde menace sur les villes et l’État paraît dans de nombreux pays de plus en
plus incapable de gérer le développement urbain.

4.4 Habitat II

Pour rendre les villes plus viables et plus respirables et pour débattre de ces
questions, près de 9 000 spécialistes (urbanistes, maires de grandes villes,
architectes, etc.) se sont réunis de mai à juin 1996 à Istanbul, en Turquie, pour
un sommet de l’ONU consacré aux défis du développement urbain. Vingt ans
après Habitat I, organisé à Vancouver (Canada) en 1976, qui avait préconisé des
politiques centralisées et focalisées sur le logement peu suivies d’effets, le
sommet d’Istanbul a marqué une réorientation de la politique onusienne dans
ce domaine. Longtemps en effet, l’idée largement dominante dans les
organisations internationales était que le salut du tiers-monde passait par le
développement rural et l’agriculture. Cependant, devant la croissance urbaine
continue et l’accélération de la « tertiarisation » des économies nationales, les
enjeux urbains (3 p. 100 seulement des budgets de l’aide internationale vont
aux villes) sont devenus l’une des grandes priorités du III e millénaire. La
conférence, dont l’ambition finale était la mise en œuvre d’un plan mondial de
développement urbain pour les cinquante prochaines années, a insisté sur le
droit de tous au logement, l’importance des femmes dans l’accès à la ville et la
nécessité d’intensifier l’action urbaine comme moteur du développement,
particulièrement dans les domaines des infrastructures de transport et de la
lutte contre la pollution. Une ambition qui, d’une part, ouvre la porte à de
nouveaux modes de fonctionnement démocratique (décentralisation,
revalorisation des pouvoirs locaux avec un rôle accru donné aux élus locaux et
aux associations d’habitants) et, d’autre part, encourage une participation plus
active du secteur privé industriel (BTP notamment) dans les projets de
développement en coopération avec les collectivités locales, pour répondre aux
besoins d’équipements des nouvelles mégalopoles.

Entre deux mythes, celui de Babylone, mère de tous les vices et l’utopie de la
Jérusalem céleste, les urbanistes vont devoir trouver de nouvelles solutions.
L’urbanisme a changé d’échelle : intervenant à un niveau plus général, il s’est
rapproché de l’aménagement du territoire et doit prendre en compte des
phénomènes jouant à l’échelle régionale, nationale ou même planétaire.
Aménager des îlots entre deux ruelles, concevoir des liens de communication
entre deux espaces urbains ou encore réinventer des villages, comme au Brésil.
Reparcourir en quelques années le cycle pluriséculaire de l’invention urbaine,
afin, comme le disait Georges Perec dans Espèces d’espaces (1974), qu’il n’y ait
« rien d’inhumain dans une ville, sinon notre propre humanité ».

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