La Rage de L'expression COURS Général
La Rage de L'expression COURS Général
La Rage de L'expression COURS Général
I/ DEFINITION DE LA POESIE
Poésie vient de “poien” = créer, fabriquer en grec. Le poète est celui qui crée à partir des mots, celui
qui va donner forme au langage.
Le mythe d’Orphée illustre le pouvoir du chant et de la poésie. Ce personnage à la fois poète et
musicien a servi de référence à de nombreux auteurs contemporains comme Apollinaire.
Le Mythe d’Orphée
Orphée avait reçu de sa mère le don de la musique et les dieux lui avaient offert une lyre… Il
rencontra Eurydice, en tomba éperdument amoureux et l’épousa. Mais celle-ci fut mordue par un
serpent et mourut le jour même de ses noces. Orphée inconsolable décida de descendre aux Enfers
où Hadès régnait sur le Royaume des morts. Avec sa lyre, Orphée charma Cerbère le chien à trois
têtes qui gardait la porte des Enfers.
Charmés à leur tour par la lyre d’Orphée, Hadès et son épouse Perséphone consentirent à laisser
partir Eurydice. Mais ils y mirent une condition : tant qu'il serait dans le Royaume des morts, Orphée
ne chercherait pas à voir celle qu'il était venu chercher. Orphée accepta et se mit en marche, suivi de
sa jeune épouse.
Tandis qu'il songeait au bonheur qui les attendait, le jeune homme oublia sa promesse et se retourna
pour contempler sa bien-aimée… La jeune fille retomba aussitôt dans les abîmes. Le poète se retira
alors dans un lieu isolé où il chanta sa peine. Et il resta inconsolable…
Le lyrisme doit son nom à la lyre d’Orphée qui accompagnait ses chants. Capable de charmer les
profondeurs des enfers, il devient le modèle des poètes par son talent et son courage. Orphée illustre
non seulement le pouvoir du chant et de la poésie, mais aussi le devoir du poète. Car Orphée prit le
risque de descendre aux Enfers pour retrouver son amour Eurydice. Et telle est la situation du poète :
prendre le risque de regarder le monde autrement, en le nommant dans une langue qui défie la
parole commune, délivrée de tout projet de communication ou d'idéologie.
La poésie est donc un art qui fabrique quelque chose, mais en utilisant comme matériau le langage
(tous les moyens du langage), pour le faire connaître par le rythme, l'harmonie et l'image, créés par
le langage. La poésie a donc pour enjeu de transfigurer le réel grâce au pouvoir des mots, d’être
belle grâce au travail sur les mots et d’émouvoir grâce à son lyrisme.
1. L'ANTIQUITE
La poésie est la forme littéraire la plus ancienne, probablement aussi ancienne que les civilisations, et
propre, semble-t-il, à toutes les cultures humaines. Elle vient tout d'abord d'une transmission orale
des Anciens sur les mystères du monde notamment ( souvent des textes sacrés appris par coeur
comme la Bible, la Torah...etc) ou tout simplement pour fixer leur propre histoire ou relater le mythe
de leurs origines ( mythologies), car ils n'avaient pas encore la connaissance de l'Ecriture. Leur
particularité : les allégories (entre autres) propres à cette poésie orale et qui sont par elles-mêmes de
nature très poétique. Elles transmettent une conception particulière du monde, traduite grâce à
toutes les ressources connues du langage, et véhiculent aussi les faits essentiels, fondateurs de
l'histoire des peuples.
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
Dans l'Antiquité, l'art de la poésie apparaissait aux hommes comme un don divin : le poéte était
inspiré par les Muses, filles de Mnémosyne (La Mémoire), et de Zeus, et celles-ci lui permettaient de
manier le langage de telle façon qu'ils animaient les mots d'une beauté qui leur conférait un pouvoir
hors du commun.
Pour les grecs, la figure du poéte était incarnée par Orphée (cf. I/)
Les poètes grecs étaient souvent appelés des « aèdes » car ils chantaient leurs poèmes, comme le
feront plus tard les troubadours et les trouvères au Moyen Age.
Cette façon de concevoir la poésie comme un chant, permettait aux auditeurs de la retenir, ainsi se
développait peu à peu un rythme régulier par l’emploi de la versification ( rimes ) qui se scandait plus
facilement.
2. LE MOYEN AGE
Au Moyen Age, la poésie traitait toujours de sujets mythiques, et, sous la forme épique, célébrait les
hauts faits des héros et des rois, réels ou légendaires, des chevaliers et des courtisanes.
3. XVI° et Pléïade
Mais le XVIè marqua le début de changements décisifs : le langage poétique s’enrichit de formes
littéraires étrangères, comme des emprunts à l’Italie ( Ref : les poètes de la Pléiade comme Du Bellay
ou Ronsard) : nous avons comme exemple le sonnet. (forme poétique d’origine italienne qui se
compose de 14 vers de même mètre ( même nombre de syllabes) organisés en 2 quatrains à rimes
embrassées ( ABBA-ABBA) et de 2 tercets.)
5. LE XIXè s ET LE MODERNISME
Charles Baudelaire, avec ses Fleurs du mal en 1857 va encore plus loin et révolutionne définitivement
le langage poétique. Il veut alors que la poésie transforme la laideur du quotidien (le mal) en des
objets sublimes grâce à la force du langage (fleurs). Il développera également la prose poétique dans
son recueil Petits poèmes en prose, révolutionnant la définition même de ce genre : plus de vers,
mais des jeux sur les sons et les rythmes, le langage métaphorique étant au centre de la création.
A sa suite Rimbaud, Verlaine et Mallarmé s’attachèrent à donner à cette conception poétique toute
son ampleur, conscients que la poésie avait un certain « pouvoir » à transformer la réalité par les
mots.
6. AU XX°s
On devait peu à peu glisser vers nouvelle autre conception de la poésie, presque inéluctable peut
être : le surréalisme, la force de suggestion de l’image devenant le critère poétique par excellence, la
puissance de l’image née de l’association de l’esthétique et de l’émotion. Aragon le définissait-il pas le
surréalisme comme « l’emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image», la transfiguration de
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
l’image à outrance, liée à l’inconscient et au rêve, à tel point qu’au XXè siècle, un texte peut se définir
comme poétique par sa forte teneur en images.
La poésie se libère alors de toute règle et nait le vers libre.
Chez les Grecs, les poètes étaient inspirés par les Muses, l’inspiration était à l’origine de
l’écriture poétique, le reste étant donné par le travail : « les Dieux donnent un premier vers,
pour rien ; c’est à nous poètes de façonner le second qui ne doit jamais être indigne du don
fait par les Dieux ». Après des siècles de débats, de nouveaux élans et de nouvelles
pensées, il se trouve que les poètes contemporains réconcilient inspiration et travail, même
si la poésie désormais revêt les formes les plus diverses (prose, vers, vers libres ou versets),
jusqu’aux dispositions figuratives sur le papier (calligrammes d’Apollinaire).
Francis Ponge publie Le Parti pris des choses, un recueil de poèmes en prose, dédiés à la description
de ces « choses » qui peuplent le quotidien. Son choix n’est pas anodin : il souhaite rendre justice à la
beauté de ces éléments du quotidien qui se distinguent par leur apparente banalité. Pour ce faire, le
poète compte largement sur les qualités du mot, tant physique que linguistique. De plus, Francis
Ponge inclut délibérément « Parti pris » dans le titre de l’œuvre en vue d’annoncer préalablement son
positionnement. Il se détourne de la perspective humaine pour se focaliser sur l’objet. De ce fait,
l’œuvre du poète tranche avec la tendance lyrique surréaliste de l’époque. Francis Ponge semble
chercher à se détacher du lyrisme et de la poésie à travers ce recueil de poèmes en prose, proches
des définitions du dictionnaire.
Le Parti pris des choses de Francis Ponge s’apparente donc à un dictionnaire. Chaque poème qui y est
inscrit présente la définition d’un mot : un élément du quotidien. Pour chaque objet, le poète explore
deux facettes de l’analyse linguistique du mot. D’un côté, il étudie le signifiant à travers la sonorité ;
d’un autre côté, il explore le signifié, c’est-à-dire les sens que renferme le mot.
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
Ce recueil lancera le style Ponge : un poète inclassable qui cherche à créer son propre mode
d’écriture, d’où l’intitulé du parcours « dans l’atelier du poète ».
L’huitre
L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins
unie, brillamment blanchâtre. C’est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut
alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à
plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups
qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos.
A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement
parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former
qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une
dentelle noirâtre sur les bords Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on
trouve aussitôt à s'orner.
(F. Ponge, Le Parti pris des choses, 1942)
Le verre d'eau
Le mot VERRE D'EAU serait en quelque sorte adéquat à l'objet qu'il désigne... Commençant par un V,
finissant par un U, les deux seules lettres en forme de vase ou de verre. Par ailleurs, j'aime assez que
dans VERRE, après la forme (donnée par V), soit donnée la matière par les deux syllabes ER RE,
parfaitement symétriques comme si, placées de part et d'autre de la paroi du verre, l'une à l'intérieur,
l'autre à l'extérieur, elles se reflétaient l'une en l'autre [...]
(F. Ponge. Le grand recueil)
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
clore le travail de recherches préalablement présenté. Pourtant, le fait même que Ponge ait choisi de
publier les différentes étapes de ce processus de recherche laisse à penser que le poème est
l'ensemble de ces pages publiées ou qu'il reste à venir, comme dans « L'Œillet» ou « La Mounine ou
Note après coup sur un ciel de Provence » : « Un jour, dans quelques mois ou quelques années, cette
vérité aux profondeurs de notre esprit étant devenue habituelle, évidente [...] écrirai-je d'un trait
simple et aisé ce Poème après coup sur un ciel de Provence que promettait le titre de ce cahier, mais
que [...] nous n'avons pu encore nous offrir. » Il s'agit donc ici de penser le poème comme processus,
et processus inachevé, Ponge donnant au poème et à la poésie, une forme et une extension
nouvelles.
La rage de l’expression est une compilation de textes écrits entre 1938 et 1944, qui paraît
en 1952. Ce recueil révèle les dessous de la création poétique.
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
I/ L’intitulé fait référence à un tableau de Gustave Courbet. Dans l’atelier du peintre. (1855)
L'immense Atelier est sans doute la composition la plus mystérieuse de Courbet. Celui-ci donne
malgré tout quelques clefs de lecture : "C'est le monde qui vient se faire peindre chez moi" précise-t-il,
"à droite, tous les actionnaires, c'est à dire les amis, les travailleurs, les amateurs du monde de l'art. A
gauche, l'autre monde de la vie triviale, le peuple la misère, la pauvreté, la richesse, les exploités, les
exploiteurs, les gens qui vivent de la mort".
Parmi les premiers, dans la partie de droite, on reconnaît en effet le profil barbu du mécène Alfred
Bruyas et, derrière lui, de face, le philosophe Proudhon. Le critique Champfleury est assis sur un
tabouret tandis que Baudelaire est en train de lire. Le couple du premier plan vient personnifier les
amateurs d'art et, près de la fenêtre, deux amants représentent l'amour libre.
Du côté de la "vie triviale", on trouve, un prêtre, un marchand, un chasseur, qui pourrait avoir les
traits de Napoléon III, ou encore un ouvrier inactif et une mendiante qui symbolisent la pauvreté. On
remarque également la guitare, la dague et le chapeau qui avec le poseur masculin stigmatisent l'art
académique.
Dans cette vaste allégorie, véritable tableau-manifeste, chaque figure représente donc une valeur
distincte. Au milieu de tout cela, Courbet lui-même, accompagné de figures bienveillantes : une
femme-muse, nue comme la Vérité, un enfant et un chat. Au centre de tout, le peintre se pose
comme médiateur. Courbet affirme ainsi la fonction sociale de l'artiste dans une vaste scène aux
dimensions de la peinture d'histoire. Face au rejet de sa toile, destinée à l'Exposition Universelle de
1855, Courbet construit à ses frais un "Pavillon du réalisme". En marge de l'événement officiel, il y
organise sa propre exposition, dans laquelle figure également Un enterrement à Ornans, afin que
toute la société ait accès au travail de l'artiste.
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
1. Définition
L'art poétique est la conception que se font une personne ou un groupe de personnes de l'écriture
de la poésie, à une époque donnée. Dans une même culture, cette conception varie en fonction de
l'évolution historique et sociale.
L'art poétique est en général un ensemble de règles dont la finalité serait de produire la beauté, dans
une oeuvre d'art, principalement dans les ouvrages littéraires comme dans les poésies.
On appelle également, par métonymie, les ouvrages formulant de tels ensembles de règles des arts
poétiques : La Poétique d'Aristote, L'Art poétique d'Horace et L'Art poétique de Boileau, sont de
célèbres exemples d'arts poétiques.
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
COMPOSITION DU RECUEIL
La Rage de l'expression se compose de sept « poèmes », même si le terme exact est peut-être
« proèmes », un mot valise associant prose et poème, mais aussi une transcription d’un terme grec
désignant l’entrée en matière d’un discours. Terme d’autant plus convaincant que La Rage de
l’expression est en partie composée de textes déjà parus dans un ouvrage, en 1948, que Francis
Ponge avait justement intitulé Proêmes.
Les titres des sept chapitres sont les suivants :
« Berges de la Loire », Roanne le 24 mai 1941
« La Guêpe », Paris août 1939 – Fonville août 1943
« Notes prises pour un oiseau », Paris mars-spetembre 1938
« L’Œillet », Roanne 1941- Paris 1944
« Le Mimosa », Roanne 1941
« Le Carnet du Bois de pins »
- La plaisir des bois de pins 7-21 août 1940
- Formation d’un abcès poétique 22 août- 2 septembre 1940
- Tout cela n’est pas sérieux 3-9 septembre 1940
- Appendices août 1940 – juillet 1941
« La Mounine ou Note après coup sur un ciel de Provence », Roanne mai-août 1941.
On remarque d’emblée l’importance des lieux et des dates qui rapproche l’œuvre d’un journal intime
ou d’un carnet de voyage et en fait une œuvre poétique originale et variée. L’auteur va y décrire ses
tentatives, erreurs, échecs d’écriture = journal d’écriture.
On remarque également que le monde végétal occupe une place capitale dans La Rage de
l’expression quand Le Parti pris des choses s’attardait, lui, sur les objets principalement et quelques
animaux. Ce choix répond au besoin de Francis Ponge de donner la parole au monde muet, et
pourtant vivant, que l’homme a jusqu’alors toujours dédaigné en tant que sujet propre, ne le
considérant que par rapport à lui. « Nous ne devons pas céder à la tentation de croire que ce soit
seulement pour nous causer les tracas que je viens de décrire que l’œillet se comporte ainsi »
(« L’Œillet »). L’homme n’est pas au centre du monde, la nature ne passe pas son temps à le regarder,
même si la poésie le lui a fait croire.
« La guêpe »
Dédicace à Sartre et Beauvoir > couple de philosophes très influents durant la guerre ; Sartre a
beaucoup fait pour la notoriété du Parti pris des choses > poème leur est dédié, à l’instar de
nombreux poèmes du recueil = chacun renvoie à une perception du monde et de l’art
1° mot « Hyménoptère » renvoie à un registre scientifique > important travail autour du mot //
encyclopédie, dictionnaire
Guêpe comparée à un tramway, un syphon, un chaudron à confitures… > importance des métaphores
Recherche autour du champ sémantique (tout ce à quoi guêpe fait penser), des connotations >
essaim
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
Synesthésie = travail sur les sens mis en avant dans l’évocation de la guêpe
L’essaim de mots justes, ou guêpier = métaphore du poème abouti > guêpe devient symbole de
l’inspiration et le poème l’essaim dans lequel les « mots justes » ont trouvé leur place. Piqure de la
guêpe (« darder ») = métaphore de la fulgurance de l’inspiration.
Évoque errances, échec dans l’écriture : « je croyais pouvoir écrire mille pages sur n’importe quel
objet et voici qu’à moins de cinq je suis essoufflé » ; « lorsque j’aurai écrit plusieurs pages, en le
relisant j’aperçois l’endroit où se trouve ce nœud, où est l’essentiel, la qualité de l’oiseau » = processus
de création jusqu’à toucher l’essence/ essentiel.
« Le poète (est un moraliste qui) dissocie les qualités de l’objet, les recompose, comme le peintre
dissocie les couleurs, la lumière et les recompose dans sa toile » // intitulé du parcours et lien avec la
dédicace du poème à Ebiche = un peintre et ami de Ponge
Travail du poète // travail du peintre = décomposer l’objet pour en recréer artistiquement l’effet de
réel.
Dans fin du poème donne sa vision de la poésie et du rôle de l’objet = une vision politique (au sens
d’amélioration de la cité) : « nous ne ferons des pas merveilleux, l’homme fera des pas merveilleux s’il
redescend aux choses (…) et s’applique à les étudier et à les exprimer en faisant confiance à la fois à
son œil, à sa raison et à son intuition (…). Il aura accru non seulement ses lumières, mais son pouvoir
sur le monde. Il aura progressé vers la joie et le bonheur non seulement pour lui, mais pour tous ».
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
Texte 1 : L’œillet
L’extrait étudié est le début du poème, dédié à Limbour, un ami romancier mais aussi critique d’art et
notamment féru de peinture > rappelle le lien que Ponge fait entre le travail du poète et celui du
peintre.
D’ailleurs, un autre de ses amis a illustré le poème cf. Jean Dubuffet « L’homme à l’œillet »
Ce texte se présente à nouveau comme un art poétique (comme tout le recueil !) et est composé de 3
mouvements = les 3 premiers fragments du texte.
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
Par la comparaison (« quelque chose comme un œillet » ), le poète reconnaît qu'il ne peut que
s'approcher de la chose, et qu’il se refuse à la nommer ; c’est au lecteur de comprendre, entendre,
saisir l’essence de ce qui est décrit.
L'interrogation (« est-ce là poésie ?») est doublement intéressante : elle fonctionne comme une
prolepse rhétorique qui anticipe les questions du lecteur, et est formulée de manière syntaxiquement
incorrecte. En effet, ce n’est pas le déterminant « la » qui est utilisé devant « poésie » mais bien le
déictique, adverbe de lieu « là » : la question est donc de demander si ce recueil, cette page devant
nous, dans nos mains est « poésie ». La réponse proposée sonne aussitôt comme un aveu
provocateur : « Je n'en sais rien, et peu importe ».
Francis Ponge n'impose pas une définition dogmatique de la poésie mais rappelle, par une
énumération en gradation qui se clôt en pied de nez, ce qu'elle représente pour lui : « c'est un besoin,
un engagement, une colère, une affaire d'amour-propre et voilà tout ». Il est de plus en plus touché
par un sentiment fort, une obsession d’écriture = énumération qui justifie le titre du recueil « la rage
de l’expression ».
Ainsi, le lecteur comprend les racines de l'écriture pongienne, qui est l'engagement viscéral de tout
un être, quitte à ce qu'il relève de la « rage de l'expression »> colère // rage
Ce premier mouvement définit l’enjeu du recueil qui est de défier le langage afin de donner
les qualités essentielles d’un objet, sans jamais le nommer. Il souligne également
immédiatement le rôle du lecteur qui jugera de la qualité de la description en identifiant
l’objet et en décidant s’il s’agit réellement de poésie. L’auteur, lui, ne se fixe pas cela comme
objectif.
Nous sommes en pleine guerre quand Ponge écrit ce recueil (1941-1944 pour ce chapitre), et il
cherche à éveiller son lecteur, à lui donner une nouvelle vision du monde > enjeu philosophie et
politique du recueil détaillé dans « le carnet du bois de pins »
Cf « certainement, la rédemption des choses (dans l’esprit de l’homme) ne sera pleinement possible
que lorsque la rédemption de l’homme sera un fait accompli. (…) je travaille en même temps à
préparer l’une et l’autre » (p109)
Il compare son travail à celui d’un moraliste dans « la Mounine » et notamment à La Fontaine dans la
fable « le lion et le rat » où à propos de la morale « patience et longueur de temps/ font mieux que
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
force et que rage », il demande « n’y a-t-il pas là plutôt une perfection scientifique, une naissance de
formule ? (…) c’est à de pareils proverbes que j’aimerais aboutir »
Et un peu plus loin « ainsi de Théophraste et ses Caractères ».
Aux yeux de Ponge, il y a donc un échange, une communication entre le monde des choses et le
monde des hommes. Cette communication est généralement empêchée par la « routine ». Il veut
briser cette routine en ouvrant les yeux du lecteur sur le monde, en lui donnant un regard nouveau.
Ensuite, Francis Ponge expose les moyens pour y arriver, toujours avec précaution comme le souligne
l'emploi des modalisateurs « sans doute », « je pense » qui rappellent sa volonté de modestie.
Il avance aussitôt l'alliance nécessaire entre une grande part d'« esprit scientifique » et «beaucoup
d'art ». C'est donc l'alliance de la rigueur et de la technique & celle de l'esthétique qui mène une
poésie légitime selon lui = ce qui revient à l’essence même de l’art poétique, un art du langage, dont
les mots sont les outils mais qui répond à des techniques, des savoirs bien précis.
Les connecteurs logiques « Et c'est pourquoi » montrent la volonté de Ponge d'établir un discours
rationnel et convaincant. La conclusion à laquelle il aboutit « un jour une telle recherche pourra aussi
légitimement être appelée poésie » souligne que son travail est visionnaire et que ce n’est que plus
tard, « un jour », qu’il sera compris. Ce sera alors au public de dire qu’il s’agit de poésie d’où la
tournure passive « pourra être appelée » où le complément d’agent, sujet réel, « par le public » est
sous-entendu.
On note d’ailleurs que si Ponge minimise son côté « poète » dans le recueil, il affirme a contrario son
côté scientifique. Dans « le carnet du bois de pins », il affirme ainsi « je ne me veux pas poète »
Mais aussi « je suis farouchement imbu de technique (…) d’une technique par poète, et même, à la
limite, d’une technique par poème ». Idée reprise dans « mon affaire est plus scientifique que
poétique ».
D’où le lien qu’il établit entre lui et le mouvement des Lumières : « je me prétends combattant dans
les rangs du parti des lumières », en affirmant vouloir libérer l’esprit de ses contemporains en leur
ouvrant les yeux sur le monde qui les entoure.
Dans ce deuxième mouvement, Ponge justifie la forme de son travail qui n’est pas
« poétique » au sens traditionnel du terme. Il explique la dimension philosophique voire
politique de son ouvrage : éclairer l’esprit du lecteur en lui ouvrant les yeux sur ce qui
l’entoure, lui donnant un regard neuf, dans un contexte marqué par la seconde guerre
mondiale. Il faut lutter contre la routine pour s’engager dans un monde dont on ne voit plus la
réalité.
Les liens qui existent alors entre son travail et la poésie tiennent aux outils utilisés mais ne
sont pas un but pour lui, juste une conséquence de son travail.
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
(« au calembour, à la rime » déjà amené par l’insertion de « deux bouts de la lorgnette » dans
l’énumération précédente car un jeu de mots), des références à l’onirisme (« à l'oubli, à la
contemplation, au silence, au sommeil ») qui débouche sur « la rime ». En même temps, il joue sur
les antithèses pour montrer l’étendue de ce qui s’offre à lui = tout et son contraire.
Le paragraphe suivant commence de la même façon, en anaphore, par la tournure ancienne: « L'on
apercevra ». Il est fondé sur une métaphore filée maritime par laquelle Francis Ponge rapproche les
difficultés du poète de celle d'un marin : « écueils », « navigations », « bordées», « naufrages ».
Le lecteur est ainsi prévenu : la poésie pongienne n'est pas un long fleuve tranquille. Elle bouscule,
elle met en danger, elle fait sombrer des repères traditionnels.
L'expression finale « quels changements de points de vue » invite donc à lire et à voir autrement.
CONCLUSION
En définitive, cette pièce constitue presque une déclaration proleptique. L’auteur anticipe les
questions et les remarques de son lecteur pour le renvoyer au rôle qu’il lui assigne, celui de lecteur
qui comprend, saisit l’essence de l’objet que le poète cherche à peindre de son mieux celui qui jugera
s’il s’agit réellement de poésie ou non.
En effet, les questionnements soulevés sont essentiels : quels mots pour dire les choses ? quelle
position du poète quand il n'écrit pas de poésie ? comment dire la nature sans qu'elle soit le siège
d'émotions personnelles lénifiantes ? comment fuir un langage vulgaire ?
Ponge ne donne pas de réponse univoque mais dévoile au lecteur ses tâtonnements : dans la lignée
de l'étymologie grecque du terme « poésie » (poiein : faire, fabriquer), Francis Ponge fabrique une
langue nouvelle pour dire les choses.
Il joue avec les sonorités, avec les glissements de sens et introduit l'oralité dans son écriture, comme
pour être au plus près de ses objets d'étude.
En même temps, il redéfinit la notion de poésie et le rôle du poète qu’il veut philosophique et
politique.
Ouverture :
« L’huitre ». Le parti pris des choses
L'huître
L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins
unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut
alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à
plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups
qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos.
A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement
parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former
qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une
dentelle noirâtre sur les bords.
Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner.
Ecrit en prose, le poème se divise en trois paragraphes dont la taille se raccourcit au fur et à mesure :
le premier paragraphe est constitué de plusieurs phrases (cinq), le deuxième est une seule longue
phrase, et le troisième est une seule phrase courte. Tout cela offre un ensemble approximativement
égal en volume à celui du premier paragraphe, consacré à l’aspect extérieur.
La progression du poème suit un ordre, en procédant de l’extérieur vers l’intérieur et du général vers
le particulier : le premier paragraphe décrit l’huître close, son apparence, la façon de l’ouvrir, puis les
deuxième et troisième paragraphes sont consacrés à l’aspect intérieur de l’huître :« À l’intérieur l’on
trouve tout un monde... »). Le regard nous guide vers des éléments de plus en plus précis.
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
L’huître semble particulièrement adaptée à servir de symbole poétique : avec sa coquille qu’il faut
ouvrir pour découvrir le monde intérieur, elle se présente comme un univers clos, que le poète
assimile d’ailleurs à « tout un monde ». Explorer les secrets de l’huître, c’est donc se lancer dans une
quête qui conduit à redéfinir sa vision du réel et à découvrir la métaphore même d’un poème…
Il est difficile pour un lecteur qui n’a pas les bons outils d’ouvrir un poème et de voir le monde qui se
cache à l’intérieur. Et pourtant, s’est cachée que s’y trouve la beauté de la langue « une formule qui
perle »…
« Le Mimosa » est le 5° poème du recueil La rage de l’expression. Après s’être intéressé aux berges de
la Loire, à la faune ( la guêpe, notes pour un oiseau), l’auteur s’intéresse à la flore. Les fleurs, l’œillet
et le mimosa, deviennent pour lui l’objet d’une attention particulière ; l’œillet pour la complexité de
sa fleur que finalement il n’arrive pas à décrire (« Tout à partir de là coulera de source… une autre
fois./ Et je puis aussi bien me taire ») et le mimosa pour son parfum résultant d’une floraison
particulièrement abondante.
Il commence ce chapitre par une affirmation paradoxale :
« je ne choisis pas les sujets les plus faciles : voilà pourquoi je choisis le mimosa (…) tout d’abord il
faut noter que le mimosa ne m’inspire pas du tout ».
D’emblée, le travail qu’il s’impose apparaît comme une tâche difficile, que seule sa rage de trouver
l’expression juste va le pousser à mener à terme.
ET c’est au terme de nombreuses variantes en prose et en vers qu’il propose finalement 3 poèmes
versifiés pour clore cette description où Ponge spécifie « variantes incorporées », pour signaler qu’il
propose justement différentes versions de son résultat. On se rapproche ici du travail d’un musicien
qu’on appelle des « variations sur un même thème », où une phrase musicale fonctionne comme un
refrain, un motif qui ne bouge pas, et chaque réécriture part de là mais propose différents
arrangements.
Les trois textes se distinguent d’emblée par des typographies différentes = jeu d’écriture qui
rapproche ces tentatives de calligrammes.
Nous étudierons chaque poème à part, comme un mouvement.
Comment Ponge met-il en évidence les caractéristiques essentielles du mimosa dans cet extrait
composé de « variations sur un même thème » ?
V 1-10 : Poème 1
Il est composé de 3 strophes en alexandrins (2 quatrains et un distique) mais sans rimes = un mélange
entre tradition et modernité. Idée confirmée par l’absence de ponctuation = propose plusieurs
interprétations, selon coupures/respirations que l’on donne au texte.
On remarque deux principales qui fonctionnent comme un refrain : « piaillent, ils piaillent d’or les
glorieux poussins » v2 et 10 = une métaphore qui désigne les fleurs du mimosa, qui superposées,
peuvent ressembler à des poussins. On note l’assonance en (i) accentuée par la diérèse « piaillent, ils
piaillent d’or les glorieux poussins » qui imite le bruit du poussin et envoie de suite le lecteur dans un
univers sonore. D’ailleurs, la répétition du verbe « piailler » accentue cette dimension sonore qui va
être développée dans tout le texte grâce à « à tue-tête » v 1-5, « oracles » v3-8. On note également
des allitérations qui viennent accentuer cet aspect, notamment « tue-tête » v 1
Cette dimension sonore est immédiatement liée à l’odorat : « odorants à tue-tête » > ce qui crée une
synesthésie : ainsi le poème en même temps que l’ouïe, stimule la vue par la lecture et l’odorat par la
métaphore filée qui lie le parfum entêtant du mimosa à un discours.
En effet, si la première caractéristique essentielle du mimosa que Ponge veut mettre en lumière dans
son texte sont ses fleurs jaunes par la métaphore du poussin ; la deuxième caractéristique qu’il met
en lumière est son parfum au travers du champ lexical de l’odeur : « odorants à tue tête » qui donne
une correspondance parfum-ouïe et amène la dimension entêtante et forte du parfum ; « narine
14
Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
bées » v3-8 qui est une association de mots innovante, lie l’odorat à la bouche grande ouverte pour
montrer la puissante du parfum ; et le verbe « inspirer » v3 -8
On aboutit donc à une première équivalence, le parfum des fleurs = voix des poussins
Or, la voix/ oracles des poussins inspire l’Azur > polysémie inspire (respire / donne des idées) = une
troisième principale v 3. Le Ciel serait donc rempli par leurs voix alors que lui-même incarne une
« muette autorité ».
Ici, le mot « azur » renvoie au ciel qui domine l’arbuste en pleine floraison, d’un bleu parfait. Mais
c’est aussi un symbole poétique utilisé depuis le XIX°s par Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé,
Paul Valéry pour désigner la perfection poétique. Ainsi, la poésie s’inspire elle-même de l’odeur du
mimosa pour naître. On aboutit donc à un schéma qui correspond au but de Ponge :
Objet I texte
Mimosa parfum / I poussin/ voix
Poète / azur
La strophe 2 est plus sombre : elle met davantage en lumière l’échec avec l’austérité de l’inspiration
grâce au champ lexical de la déception mis en place à travers « décourage-plumes »v1-9 (métaphore
qui renvoie à la forme des branches de l’arbre qui ploient sous le poids des fleurs et où les feuilles =
plumes pour filer la métaphore du poussin- fleurs) ; « démentir » v5 qui ressemble à une variation
de « décourage » puisque lié à « plumes » v5/ « déplorant » v6/ « offusqué jusqu’au cœur »v6
Ainsi, les poussins sont découragés par l’austérité violente de l’azur = trop chaud, ils fanent
Les fleurs sont alors personnifiées grâce à la mise en place du sentiment de déception, accentué par
l’allitération en sifflantes qui imite leurs soupirs : « leur bosquet offusqué jusqu’au cœur/ par la
violente austérité de ta splendeur/ azur narine bées inspirant leurs-oracles »
Le dernier distique est donc la conclusion de cette strophe dont il comprend grammaticalement la
principale : les poussins piaillent car l’azur les décourage de sa splendeur > importance des participe
présents « déplorant », « inspirant », « odorants » qui montre la durée de l’action, qui épuise les
poussins.
En somme, cette première tentative de mise en forme poétique des caractéristiques du
mimosa aboutit à un texte qui joue sur les synesthésies, ici vue/ odorat/ ouïe. Le mimosa est
métaphorisé en poussins (fleurs) dont l’odeur est elle-même assimilée à des voix.
Le jeu grammatical mis en place et favorisé par l’absence de ponctuation aboutit quant à lui à
un effet miroir : le mimosa a inspiré l’azur par son parfum, embaumé l’air = inspiré le poète
et la page
L’austérité de la page (azur), son aridité ont eu raison du mimosa qui a fini par faner (fin du
texte)
V1-15 : poème 2
En italique, ce qui donne une impression de confidentialité, d’intimité. Un quintil en alexandrins, une
rime v12-13 + ponctuation rétablie
Reprend les vers 5 à 8 du poème 1 et la principale du v10 mais la ponctuation accentue idée que
l’auteur s’adresse à l’azur dans sa perfection par l’apostrophe lyrique v14 « Azur ! » qui met en
lumière la deuxième personne de « ta splendeur » : c’est donc bien l’azur qui décourage les poussins
et les fait piailler. C’est le caractère lourd, sombre, dense de l’arbuste en pleine floraison (« leur
bosquet offusqué jusqu’au cœur ») qui inspire l’azur (v14), et donc la création poétique dont le poète
se nourrit ; leur odeur = leurs cris qu’il exploite par des métaphores reprises du mouvement 1.
Ce deuxième mouvement permet de mieux comprendre comment procède Ponge dans le
choix de ses métaphores pour désigner les caractéristiques essentielles d’un objet et jouer
avec les mots, avec rage, jusqu’à trouver l’expression idéale pour faire naître l’émotion voulue
chez le lecteur afin que ce dernier ait l’essence même de l’objet décrit. Ici, c’est la fin de la
floraison qui est mise en évidence, plus que l’odeur en elle-même ; c’est la forme de l’arbuste
dans son intégralité et plus seulement les fleurs ou les rameaux.
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
De là se pose la question de savoir si ces deux mouvements doivent être pris séparément ou
comme une progression chronologique (le temps qui passe fait faner le mimosa), une
progression logique (dans l’esprit du poète) voire une progression esthétique (l’auteur
trouverait alors la forme idéale, l’expression idoine pour caractériser le Mimosa) : pas de
vraie réponse, ferme et définitive ; c’est au lecteur de décider… le troisième mouvement
offrant peut-être une réponse ?
Ouverture : jeu sur les graphies peut faire penser à un calligramme… d’autant que dans ce cahier sur
le mimosa, Ponge a déjà joué à faire un acrostiche :
« Miraculause
Momentanée
Satisfaction
Minute
Mousseuse
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
Safrannée »
On peut donc le rapprocher de textes tels que « la colombe poignardée par le jet d’eau » d’Apollinaire
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
Pas seulement un calligramme, mais un vrai poème ; Apollinaire l’a travaillé puis mis en forme
> la aussi une rage d’amplifier le texte par la mise en espace et en calligraphie des mots
Au XX°s, la poésie va au-delà des simples rimes ou de la versification ; elle prend appuie sur
les autres arts et notamment la peinture. Cf Ponge qui lui-même dédie ses textes à des amis
peintres.
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
Après la faune et la flore, Ponge s’attelle à la description de paysages plus complets, plus complexes.
Ainsi le « carnet du bois de pin » est un très long morceau du recueil, composé de manière lui-même
complexe, afin de mettre en lumière la difficulté qu’a le poète à saisir l’essence de cet endroit au
point d’en faire un « abcès poétique », c’est-à-dire une plaie purulente, métaphore de son échec.
De là, il tente de rationnaliser sa composition, de la transcrire sous forme d’équations, de la coder à
partir de 4 distiques et un monostiche qu’il essaye d’assembler de manières différentes, sans pour
autant parvenir à un résultat qui le satisfasse.
Il en arrive à « Tout cela n’est pas sérieux » : Ponge semble relativiser face à ses échecs poétiques :
l’auteur n’arrive visiblement pas à trouver les mots pour dire ce qu’il souhaite. Ponge décrit le temps
qu’il passe à réaliser ses poèmes qu’il considère comme des échecs.
Après cet échec, il ajoute « Appendice du Bois du pin » où il considère le poème comme la
«tentative» (bien loin d’être réussie), d’assassinat d’un poème par son objet. Trois parties se suivant
presque successivement. Le Carnet relate les circonstances de la rédaction du poème Le Bois du Pin
avec des extraits de correspondances dans lesquels il affirme notamment sa vision politique liée à la
poétique.
La correspondance est un moyen pour lui d’avancer également dans sa quête de l’expression juste
« de ces instants de notre conversation date un pas nouveau dans ma pensée »
« je commence à percevoir un peu clairement comment se rejoignent les deux éléments premiers de
ma personnalité : le poétique et le politique.
Certainement, la rédemption des choses ne sera pleinement possible que lorsque la rédemption de
l’homme sera un fait accompli. »
Il y affirme :
« un monde nouveau où les hommes et les choses connaîtront des rapports harmonieux : voilà mon
but poétique et politique », ainsi que sa foi en l’homme.
Pour « La Mounine – ou note après coup sur un ciel de Provence », il veut décrire
« la vision fugitive de la campagne de Provence au lieu dit « Les trois Pigeons » ou « la Mounine »,
pendant la montée en autocar de Marseille à Aix, entre huit heures et neuf heures du matin (sept
heures trente à huit heures au soleil). »
Son but est de garder ce paysage, de le fixer à la manière d’un peintre : « il faut que je fasse
conserve » ; « il faut que je le maintienne au jour » ; « il faut que je le saisisse, que je le lie en
bouquet » ; de « décrire le ciel tel qu’il m’apparut et m’impressionna si profondément ».
Ponge cherche ainsi à recréer une « impression » et non la réalité, ce qui recoupe le travail des
peintres de la deuxième moitié du XIX°s, les impressionnistes. Le lien qu’il établit entre le poète et la
peinture se retrouve dans son recueil à travers les dédicaces des cahiers qui sont souvent adressées à
des peintres cf Ebiche ou des critiques de peinture.
On peut ainsi penser à certaines toiles de Cézanne :
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
Paysage près d’Aix en Provence peint par Cézanne en 1904 ou Nuit étoilée de Van Gogh en 1888
C’est l’impression de vertige qui domine, d’un instant suspendu dont on veut donner l’intensité = une
épiphanie > moment où on se sent intensément en vie, au monde.
Comment Francis Ponge parvient-il à lier poétique et politique dans cet extrait.
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
Ce mouvement amène une autre caractéristique essentielle du paysage que Ponge essaie de figer
comme l’atteste l’adverbe « aussi » dans « un beau jour est aussi un météore ».
Le mot météore renvoie ici à un phénomène de corps célestes, à ce qui se passe dans l’atmosphère.
On dépasse dès lors le simple lever du soleil pour obtenir une fenêtre ouverte sur le ciel étoilé, le
firmament.
Le parallélisme lg8-9 personnifie le jour et lui donne une qualité d’autorité, violence accentuée par les
sons désagréables des allitérations en T et R qui montrent sa dureté :
« il tient toute la nature sous le charme (la terreur) de son autorité
Il tient toute la nature muette sous son autorité »
Le mot « charme » ici est polysémique : cela peut-être la séduction magique, comme la sentence de
loi (ce qui correspondrait à l’allusion à la terreur entre parenthèse), ou encore l’incantation poétique.
Ainsi, le « beau jour », « le jour bleu » est ce qui suspend le temps, envoute le spectateur et est
source de poésie = un résumé des étapes du processus de création que Ponge décrit dans son recueil.
Le mot « muette » donne une impression de silence et de temps suspendu repris par
« tout cœur/ s’arrête/ de battre »
1. 2. 1. 2. 1. 2
Le rythme binaire accentue cette suspension du temps suggérée par le sens de la phrase.
La parenthèse « (seuls les stupides hannetons et les autobus continuent à ronfler et à se cogner) »
isole des sons qui perturbent la beauté de l’instant, ils sont donc rejetés en annexe, dans une
parenthèse et présentés de manière péjorative : « stupides hannetons » et « autobus » : les
allitérations en S et T symbolisent les sons de ces gêneurs mais de manière atténuée car entre
parenthèses.
Le poète est donc « stupéfait », frappé de terreur, stupeur devant le paysage de ce lever de soleil qui
s’offre à lui et qui lui ouvre une fenêtre sur l’infini.
C’est ce que suggère la lg 12 « qui ne voit ici que le ciel est fermé » : la négation souligne que tout un
chacun doit voir que le ciel est bloqué, figé. A partir de là, on observe le champ lexical de l’espace :
« immensité intersidérale, transparence, infini, atmosphère, milieu éthéré ». L’auteur est subjugué,
dominé par cette découverte « grandiose », cette vue cf champ lexical de la vue : « voit, est vue,
aperçu, peuvent apercevoir, nous apercevons ». Ponge se rapproche ici de Blaise Pascal et de sa
célèbre pensée « le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ».
Il compare ce phénomène d’épiphanie (moment où il est ouvert au monde, où il prend conscience de
sa petitesse dans l’infini qui le domine, de la fragilité de sa vie et de la fermeture du ciel) à des
poissons qui découvriraient l’air au-dessus de l’eau lg 13-14 « comme à travers une eau claire, les
poissons au-dessus d’eux… ». Il crée ainsi un phénomène de concaténation :
« les poissons peuvent apercevoir l’atmosphère
Nous apercevons le milieu éthéré » > crée une impression de chaine infinie
dans laquelle l’homme s’inscrit et est renvoyé à sa fragilité, sa petitesse.
Toutefois, les « gaz irrespirables » créent une rupture avec le sentiment d’extase mis en valeur par
l’état d’enchantement du poète. Cette prise de conscience est donc aussi angoissante et nous renvoie
à la notion de guerre du mouvement 1.
Ainsi, ce deuxième mouvement élargit le champ de vision du poète en ouvrant une fenêtre
sur l’infini du ciel étoilé… ce moment hors du temps crée à la fois un phénomène d’épiphanie
mais également d’angoisse face au ciel bloqué, fermé…
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
Pour Ponge, ce paysage est la preuve que Dieu n’existe pas et que ce sont des Hommes qui s’en
servent pour se battre et créer des guerres (rappelons que la seconde guerre mondiale est aussi une
guerre de religion…). Le poète bascule donc de l’esthétique (propre à la poésie) au politique par le
biais d’une réflexion métaphysique (sur les cieux) : il condamne la religion, comme le prouve
l’accumulation de termes péjoratifs qui s’y rapportent : « invention ignoble, insinuation détestable,
proposition malhonnête, tentative d’effondrement des consciences humaines » où domine le champ
lexical du mensonge lié à l’idée que cette invention est humaine : « les hommes qui nous y inclinent »
eux-mêmes qualifiés péjorativement de « traitres et imposteurs », ce qui les met au rang de
menteurs.
Ce que Ponge essaye de faire est donc d’éveiller les consciences à partir de ce paysage, de fixer ce
qu’il a ressenti de la manière la plus juste possible, avec rage, pour trouver la bonne expression, afin
de provoquer la même prise de conscience chez son lecteur.
Il oppose ainsi la nature en Provence, en France « ici » à la nature « ailleurs » dans un parallélisme
antithétique :
« ailleurs la nature respire vers des cieux qui s’occupent d’autre chose, par exemple de voiturer les nuages »
est une métaphore où nature et cieux sont personnifiés et où ils sont innocents, font des actes légers
et gratuits « voiturer les nuages »…
« ici les cieux s’occupent décidément d’étouffer la nature » : ce n’est plus la nature le sujet de la
phrase, mais elle devient objet (COD), elle subit l’action, ce qui est confirmé par le passage de
« respire » à « étouffer ».
Les cieux = les hommes qui font croire qu’ils agissent au nom de Dieu et qui déséquilibrent
l’harmonie universelle par la guerre et ils le font « décidément » c’est-à-dire en toute conscience, de
manière délibérée.
« il est clair, ici, que la nature étouffe » restreint la phrase, la diminue et le passage au présent
accentue l’idée que la nature n’a plus la place de respirer. « ici » répété montre que c’est bien « ici et
maintenant », dans ce paysage, à cet instant, que cette évidence se fait jour.
On aboutit à un registre tragique avec « étouffer », « étouffe », « essaie pathétiquement de vivre »,
« supplication » où terreur et pitié se lient autour de la nature devenue muette « coite » comme un
écho au silence des cieux (dieux = paronomase) « aucune réponse » qui reste « fermé ». Le silence
qui règne alors est tragique > on retrouve le « stable sans mouvement » + « muette » des
mouvements précédents.
La dernière phrase « mais aucune réponse : c’est splendide » augmente la puissance de cet instant,
de cette épiphanie qui a lié l’esthétique, le poétique (« splendide ») au politique (« aucune
réponse »).
Dans cet extrait, Ponge dépasse le simple parti pris de choses pour nous mener vers une
véritable prise de conscience, un engagement.
Conclusion :
Cet extrait est celui où on comprend que la rage que Ponge met à trouver l’expression juste n’est pas
purement esthétique, gratuite mais qu’elle correspond à sa vision du monde qui vise à changer le
regard de ses contemporains sur les choses et les paysages afin de retrouver une harmonie, loin de
l’atmosphère de la guerre qui règne en 1941 :
« certainement, la rédemption des choses (dans l’esprit de l’homme) ne sera pleinement possible que
lorsque la rédemption de l’homme sera un fait accompli. (…) je travaille en même temps à préparer
l’une et l’autre » (p109)
Il veut « la naissance au monde humain des choses les plus simples, leur prise de possession par
l’esprit de l’homme l’acquisition des qualités correspondantes – un monde nouveau où les hommes, à
la fois, et les choses connaîtront des rapports harmonieux : voilà mon but poétique et politique »
(p109)
En dénonçant la religion qu’il considère comme à l’origine de la guerre, il se rapproche des Lumières,
ce qu’il affirme dans « Le carnet du bois de pins » : « c’est en ce sens que je me prétends combattant
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
dans le rang des lumières comme on disait au grand siècle (le XVIII°). Il s’agit, une fois de plus de
cueillir le fruit défendu, n’en déplaise aux puissances d’ombre, à Dieu l’ignoble en particulier.
Beaucoup à dire sur l’obscurantisme dont nous sommes menacés, de Kierkegaard à Bergson
et Rosenberg…
Ce n’est pas pour rien que la bourgeoisie dans son COMBAT au XX° siècle nous prône le retour
au Moyen-Âge.
Je n’ai pas assez de religiöses Gemut (en allemand, sentiment religieux) pour accepter
passivement cela » (p114-115)
Ouverture : Poésie et politique peuvent être liés, notamment au XIX°s avec Victor Hugo qui s’est
engagé contre Napoléon III, la peine de mort, etc.
Toutefois, Rimbaud a lui aussi essayé de dénoncer la guerre dans un sonnet célèbre « le dormeur du
val » dans lequel l’harmonie de la nature est elle-aussi brisée par un jeune soldat mort. Il raconte ici
ce qu’il a vu, adolescent fugueur, lors de la guerre de 1870.
Il a également dénoncé la religion face aux horreurs de la guerre dans son sonnet « le Mal »
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
L’œuvre en mouvement
Ponge procède ainsi à un déplacement : la poésie n’est plus dans le poème produit, mais dans la
production même. Ce déplacement n’est nullement oubli de la poésie ; il rejoint bien au contraire,
contre le « ronron poétique » (« Berges de la Loire »), l’origine du mot « poésie », du grec poièsis,
«acte de création», et c’est précisément à l’écriture de l’acte de création, pris dans son mouvement
dynamique et incertain, que s’attache Ponge, nous rappelant que l’œuvre est ce qui sans cesse fait
œuvre. Il confie ainsi dans un entretien de 1978 avec Jean Ristat pour la revue Digraphe : « la poésie
n’est pas dans les recueils de poésie, [...]elle est dans les brouillons acharnés », et le titre adopté, « La
rage de l’expression », fait écho à cet acharnement. L’œuvre poétique est placée du côté de
l’inachèvement, non par échec, mais par nécessité de se maintenir dans ce mouvement sans cran
d’arrêt qu’est la recherche du poème.
Performance et recherche
C’est aussi vers le modèle scientifique, ses hypothèses, ses méthodes et son enjeu
de connaissance, que se tourne le poète ; il se présente dans « Le Carnet du Bois de pins » « un peu
comme un savant à sa recherche particulière » (p. 160 | p. 106). Dans l’énumération des outils utiles
aux « importants déblais » qu’envisage le poète dans « L’Œillet » (p. 56 | p. 48), on trouve le «
télescope » et le « microscope ». C’est donc une fracture entre science et poésie qu’entend résorber
une telle approche, à condition de comprendre que Ponge y met du jeu (ainsi des « deux bouts de la
lorgnette » à propos des instruments d’observation scientifique, p. 57 | p. 48).
Le laboratoire du moraliste
Si La Rage de l’expression comporte de nombreux passages méta-poétiques (songeons à « l’essaim de
mots justes, ou guêpier » de « La Guêpe ») et si l’œuvre semble envahie par sa propre théorie, il ne
faudrait pas pour autant en déduire que le recueil offrirait une poésie repliée sur son seul geste
d’écriture, valant en lui-même et pour lui-même. Le poète bricoleur pongien est un « habitant du
monde », selon une formule empruntée à Hölderlin, et ici d’un monde en guerre pour la majeure
partie du recueil.
En installant dans le poème son établi d’écriture, le poète noue en effet une relation éthique au
monde: « La fonction de l’artiste est ainsi fort claire : il doit ouvrir un atelier et y prendre en
réparation le monde, par fragments, comme il lui vient. Non pour autant qu’il se tienne pour un
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
mage. Seulement un horloger», précise Ponge dans Méthodes. Comme dans ses recueils antérieurs, «
l’horloger » de La Rage de l’expression s’efforce de régler le mécanisme de son écriture sur les «
choses », sur leurs mouvements et propriétés, dans l’espoir de toucher à la qualité essentielle et
différentielle de chacune (« Notes prises pour un oiseau », p. 37 | p. 38), selon le principe d’une «
rhétorique par objet » et donc par texte (My creative method, 1948). Mais contre la tendance de
certains poèmes du Parti pris des choses à enfermer leurs objets dans une « formule » (« L’Huître »), il
fait ici du tâtonnement sa méthode et son devoir, celui de restaurer un rapport juste de l’homme au
monde, en le déblayant des représentations, des discours et des fausses certitudes qui le recouvrent.
Le chantier du poème est donc aussi un laboratoire moral, et le poète en son chantier n’hésite pas à
se définir comme un «moraliste » (p. 44 | p. 42).
Éthique et politique
Il en va pour Ponge non seulement de l’existence des « choses », « sans moi » écrit-il dans « Le
Mimosa » (p. 77 | p. 61), mais encore d’un possible et espéré progrès de l’humanité et de l’esprit
humain, visant dans un même mouvement « la rédemption des choses (dans l’esprit de l’homme) » et
« la rédemption de l’homme » (p. 161 | p. 109). Une telle affirmation relève moins d’un rapport
sacralisé au monde et à l’humanité que d’un désir de faire advenir « l’homme nouveau » par les seuls
moyens de la parole, du logos (p. 51 | p. 46). Chez Ponge, la poésie est tout à la fois une éthique et
une politique, par ses voies propres, loin de toute littérature qui se voudrait porte-parole d’une
position idéologique, mais sans refuser pour autant qu’il y ait là une forme d’« engagement »
(p. 55 | p. 47) : « La naissance au monde humain des choses les plus simples, leur prise de possession
par l’esprit de l’homme, l’acquisition des qualités correspondantes – un monde nouveau où les
hommes, à la fois, et les choses connaîtront des rapports harmonieux : voilà mon but poétique et
politique » (p. 161-162 | p. 109). Faire du chantier son poème, en accepter et en promouvoir le
désordre contre tous les mots d’ordre, c’est enfin, pour Ponge, littéralement faire « la révolution » «
en art » (p. 170 | p. 114) ; c’est une manière de « militer activement (modestement mais
efficacement) » pour les « lumières », contre « l’obscurantisme » qui menace (p. 201 | p. 132).
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
des conditions de sa production. Plus que le journal, cahier et carnet imposent la concrétude d’un
objet usuel et d’un format portatif ; ils revendiquent l’idée et affirment comme un fait que le texte
littéraire s’écrit et se réalise de manière très pratique, pragmatique.
Pratique et théorie
Les textes de La Rage de l’expression oscillent entre théorie et pratique. Si certains poèmes ou
passages se donnent l’allure d’un manifeste (« Berges de Loire » ou encore la « note » se faisant «
motion » dans « La Mounine », p. 199 | p. 131), le plus remarquable est sans doute la façon dont la
théorie se déduit de la pratique expérimentale de l’écriture, démarche scientifique là encore. Loin
d’être un propos surplombant, elle se cherche par tâtonnements et déplacements successifs, se
constitue dramatiquement au contact de l’écriture. Elle s’expose ainsi spectaculairement, rejoignant
par là son origine (théorie vient du grec theôría, contemplation, spéculation, regards sur les choses,
depuis theôréô, examiner, regarder, considérer). L’examen d’un tel agencement entre théorie et
pratique se voit sur la composition de « Notes prises pour un oiseau » et notamment s’attacher à la
mise en scène du discours dans sa dernière section (p. 50-52 | p. 45-46). On pourra aussi voir la façon
dont, dans l’«Appendice au “Carnet du Bois de pins”», s’élabore et se précise une théorie depuis
l’expérience de l’écriture et celle de sa réception, à partir de la correspondance entre Gabriel Audisio
et « l’auteur ». L’échange épistolaire se fait chantier théorique, et le débat se poursuit jusqu’au cœur
de « La Mounine » (p. 202-205 | p. 133-135).
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
un relevé précis pourra être établi par les élèves au fil du recueil). Pourtant, à chaque fois,
impuissance et échec sont féconds en ce qu’ils s’incorporent à la matière du poème.
Des « remodelages » de vers et de prose
Dans Comment une figue de paroles et pourquoi, Ponge emploie, pour caractériser son écriture, les
termes de « modelage » et de « remodelage » ainsi que celui d’« élasticité ». L’exercice poétique
auquel on assiste dans chacun des chantiers de La Rage de l’expression participe de cette plasticité, et
sa lecture est l’occasion d’y initier les élèves (voir aussi la fiche ressource « L’atelier d’arts plastiques
»). Un tel phénomène est bien entendu particulièrement sensible dans le remodelage de blocs de
prose en vers, principalement libres, sans qu’il faille donc pour autant parler de prosimètre (autre
chose est en jeu que le mélange du vers et de la prose) : « Notes prises pour un oiseau » bascule
ainsi, sous le même titre, de la prose au vers, réactivant la résonance plurielle du mot «notes»;
ailleurs, c’est la stricte partition de la prose et du vers qui se trouve bousculée, comme dans la section
3 de « L’Œillet » (p. 60 | p. 50), où il y a hésitation entre l’une et l’autre. D’ailleurs, Ponge qualifiera
parfois de « strophes » ses segments de prose. Mais chez Ponge, comme le souligne Jean-Marie
Gleize dans sa préface à Comment une figue de paroles et pourquoi (GF, 1997), c’est également la
prose qui
se révèle d’une étonnante plasticité (par exemple dans « Le Carnet du Bois de pins »,
p. 123-124 | p. 89) : reprises, fragmentation, choix de disposition, typographie en font surgir des
possibilités inattendues qui déjouent sa marche en avant. Le vers, quant à lui, s’ouvre à toutes les
manipulations : on pourra y être particulièrement attentif dans « Le Mimosa » (acrostiche,
réagencements successifs en quatrains et tercets) ou dans «Le Carnet du Bois de pins» (jeu de
disposition de «Leur assemblée» (p. 99 | p. 73), système « pas sérieux » de permutations d’«
éléments indéformables », p. 140-141 | p. 97- 98), sans compter les abandons de la majuscule en
début de vers et de la ponctuation (par exemple, p. 186-187 | p. 123-124). Ponge enfin opère parfois
aux limites du vers libre, réintroduisant, à l’exception d’un seul vers, la rime dans la suite des
variantes versifiées de « Formation d’un abcès poétique » (p. 125 | p. 89 et suivantes).
Variations et variantes
La Rage de l’expression offre ainsi à voir le texte dans tous ses états. Chaque poème
est constitué de la suite de ses propres variations, avec leurs réactions en chaîne,
sans que la certitude d’une version définitive ne soit jamais établie, y compris dans « L’Œillet », « Le
Mimosa » ou « La Mounine », dont le dernier essai se clôt sur un etc. désinvolte. Mais le plus notable
est sans doute la façon dont le recueil se fait exposition de variantes : non seulement celles-ci sont
données comme telles, induisant un état toujours nouveau et provisoire du texte, mais elles se
réalisent selon des procédés qui sont eux-mêmes d’une grande variété, au plan typographique
(italique, majuscules, parenthèses, crochets, etc.) comme à celui de la mise en page. Le phénomène
culmine dans « Formation d’un abcès poétique », produisant des effets de lecture tout à fait
singuliers. Ainsi, à la page 129 | p. 91, les trois variantes du groupe prépositionnel introduit par «
parmi » sont regroupées derrière un même crochet : cette opération conduit à lire simultanément
trois textes différents ; le texte ne se tient pas dans le choix de l’une de ces variantes ; il est
littéralement constitué des trois en même temps. Ponge dit que c’est chez Baudelaire qu’il a
découvert le potentiel poétique de la variante, comme il l’a confié très tôt dans un texte daté du 28
août 1923, « Baudelaire (leçon des variantes) », republié dans Pratiques d’écriture (Hermann, 1984).
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
Liens avec le parcours associé = la poésie qui réfléchit sur elle-même ; le poète qui donne à voir
comment il compose son texte
La poésie de Valéry, qu'on qualifie souvent de poésie intellectuelle, est étroitement liée à celle de
Stéphane Mallarmé. Comme lui, il pense que « nommer un objet est supprimer les trois quarts de la
jouissance esthétique du poème. Le suggérer, voilà le rêve ».
Ainsi sa poésie a-t-elle souvent été qualifiée d’hermétique, car elle laisse peu échapper de sens et
demande au lecteur un réel effort d’analyse des vers pour en extraire le fond.
Son recueil Charmes paraît en 1922. Le titre fait référence au mot latin « carmen » : textes
incantatoires, magiques et poétiques. Ainsi, chacun des poèmes du recueil est-il un « carmen », un
texte qui se veut enchanteur et dans lequel le poète se propose de décrire le processus de
maturation de la pensée humaine.
Le sonnet « Les grenades » correspond à l’éclosion de la pensée mûrie par l’inspiration, le moment où
elle éclate. Il suffit d'avoir regardé une grenade arrivée à maturité pour être sensible au double
aspect de ce fruit, que souligne tout le poème : c'est d'abord, dans sa structure, un fruit construit,
architectural, pourrait-on dire et donc la coupe peut faire penser à la coupe anatomique d’une crâne ;
c'est aussi, dans sa substance, un fruit gonflé de jus et fondant sous sa dure écorce. Ordre, netteté,
rigueur, d'une part ; force mystérieuse du mûrissement, d'autre part : tout le poème est construit sur
cette alliance et peut faire penser par ses couleurs à un tableau, une nature morte, comme celle de
Gustave Courbet intitulée Nature morte avec pommes et grenades qui représente justement une
grande au premier plan.
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
Les mots, par leur sens et par leurs sonorités, sont choisis et agencés de façon à rendre sensible, du
premier au dernier vers, la lutte de ces deux forces, qu'il nous faudra donc décrire avant de montrer
comment de cette description se dégage un symbole.
Ce sonnet est composé de deux quatrains et deux tercets en octosyllabes ; les rimes de la strophe A
sont embrassées mais non identiques de celles de la strophe B. Les vers 8-9 ont des rimes suivies,
puis on observe un regroupement de rimes croisées. Il s’agit donc d’un sonnet à la facture à la fois
classique, corsetée et en même temps éclatée, libérée… à l’image des grenades, coincées dans leur
écorce qui se fend.
Comment Paul Valéry parvient-il à décrire l’éclosion de la pensée à travers l’image de la grenade ?
Le poème peut être vu comme constitué de deux mouvements qui correspondent aux deux phrases
de qui le composent :
Mouvement 1 : strophe 1 > la mise en place de l’équivalence entre les grenades et un front
Mouvement 2 : v 5 à 14, les conditions nécessaires à l’éclosion de la grenade et de la pensée
Ainsi la strophe 2 amène la première condition nécessaire à l’éclosion de la pensée, « les soleils » qui
font « travailler d’orgueil » les grenades afin de faire « craquer les cloisons ».
En effet, le fruit est présenté comme dur à travers les mots « dures grenades » du v1 repris ici par
« cloisons » v8, aussi est-il difficile de la rompre. C’est l’action « des soleils » qui permet cette rupture.
Le pluriel renvoie à la répétition de l’action, jour après jour, et explique le « par vous subis » : les
grenades sont victimes de cette maturation, elles sont « travaillées » = une forme passive, c’est une
force extérieure qui les pousse à mûrir.
Si l’on reprend l’équivalence instaurée dans la strophe 1, on peut donc penser que c’est la multiplicité
des sources d’inspiration extérieures (les soleils), leur variété qui permet à la pensée de mûrir et à
l’inspiration de naître.
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Ponge. La rage de l’expression / Dans l’atelier du poète COURS
Ainsi les grenades sont-elles « entre-baillées » // avec v1 « entr’ouvertes » = c’est bien le moment de
la rupture, de l’éclosion qui fascine le poète et donc de l’éclosion de la pensée elle-même.
C’est ce qui explique son lyrisme en les observant, que l’on retrouve dans le « ô » et l’apostrophe
lyrique du v6.
Le v5 est dominée par des sifflantes (S), allitérations qui renvoient au soleil et à la chaleur, source
extérieure de la maturation du fruit ; puis par des (R) qui reprennent le motif de la rupture
commencé dans la strophe 1.
Si les soleils par vous subis,
O grenades entre-bâillées,
Vous ont fait d'orgueil travaillées
Craquer les cloisons de rubis,
L’écriture imite systématiquement le sens par les sons mis en jeu.
« Et que si » permet de coordonner, d’ajouter une nouvelle condition à la maturation de la pensée, ici
une nouvelle force, mais cette fois intérieure au fruit, les grains, métaphorisés v 11 en « gemme
rouges de jus » // « rubis » v8 qui sont cette « force » qui « crève » « l’or sec de l’écorce » : le chiasme
phonique « or sec/ ec orce » permet de renforcer le bruit de l’écorce qui se crève
Ce tercet est marqué par un jeu des couleurs entre l’or, v 9 et le rouge, v 11, qui reprend les « soleils »
v 5 et les « rubis » v8 = les couleurs d’un tableau, d’une nature morte qui représenterait des grenades
(cf tableau de Courbet). Ici, cela permet d’accentuer la rupture du jaune, dominé par le rouge, le jus
qui s’écoule du fruit une fois mur et que l’allitération en (G) souligne : « gemmes rouge de jus »,
mimant l’écoulement des idées, de la pensée, voire l’encre qui se met à couler une fois que le poète
écrit.
En effet, si l’on reprend l’équivalence grenade = front, c’est bien cette fois une force intérieure qui fait
éclore le fruit, le surplus des idées qui ont besoin de s’exprimer.
Le dernier tercet correspond donc à la principale qui découle des deux conditions qui précèdent :
L’éclosion de la grenade, métaphorisée par l’oxymore « lumineuse rupture » permet au poète de
« rêver » : cette fois, il ne s'agit plus de « voir », mais de « rêver ». Valéry passe donc du fruit à la tête
et de la tête à l'esprit, en transformant sa vision en méditation. Il y a intériorisation progressive. Le
spectacle prend une signification de plus en plus intérieure, de plus en plus humaine.
Ce spectacle – il est important de le noter – ne peut être compris que par « une âme que j'eus »
comme s'il s'agissait d'une autre âme que la sienne, c'est pour Valéry, un moyen de prendre du recul,
de dire «mon âme » au passé, en quelque sorte. Le temps, qui a fait mûrir la grenade, a donc aussi
changé l'âme du poète. Et la maturation du fruit devient devient alors pour lui une façon de
comprendre et d’exprimer sa propre évolution intérieure « sa secrète architecture ».
Et, en effet, dès lors que s'établit la distance de contemplation qui permet à la vision présente d'être
le signe de l'âme d'autrefois, la signification symbolique apparaît clairement : dans la disposition
régulière du fruit, Valéry voit l'image de sa « secrète architecture », de son propre cerveau, c'est-à-
dire l'ordre intelligible qui est celui de son esprit ; et dans la force qui fait éclater le fruit, il reconnaît
la poussée créatrice, l'élan mystérieux de l'inspiration. Sa poésie naîtra de l'affrontement et de
l'alliance de ces deux forces.
Conclusion
Au terme de cette analyse, deux aspects sont particulièrement à souligner.
Ce poème est une nature morte : le plus intellectuel de nos poètes est aussi le plus sensuel, le plus
sensible à l'aspect concret des choses. Par la netteté du contour, par l'éclat et la couleur, ce poème
peut être comparé aux plus beaux tableaux.
Mais ce poème est aussi un symbole : Valéry met l'accent à la fois sur l'évidence sensible de la force
créatrice et sur l'intelligibilité de la forme géométrique. Il y a là un double mystère qui s'offre à la
méditation du poète et où il lui plaît de reconnaître l'image de son mode de création : à la fois
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poussée instinctive et ordre souverain. La poésie aurait alors pour unique fonction de peindre son
propre fonctionnement, comme chez Ponge.
Ouverture de conclusion :
Blaise Cendrars. « Académie Medrano ». 1921
Un autre « art poétique » qui déconstruit le sonnet et interroge la page comme espace de
création, entre calligramme et art pictural = renouvellement de la poésie au début du XX°s.
Ici aussi le poète explique à un autre comment créer un texte poétique, mais il est davantage
dans les jeux avec le langage.
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