0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
66 vues4 pages

Préternaturels (Dons) : 1. Définition

Télécharger au format doc, pdf ou txt
Télécharger au format doc, pdf ou txt
Télécharger au format doc, pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1/ 4

1 Préternaturels (dons), in Dictionnaire des miracles et de l’extraordinaire chrétiens, Ed.

Patrick
2 SBALCHIERO, Arthème Fayard, Paris 2002, pp. 636-638; traduzione italiana: Preternaturali (doni),
3 in Dizionario dei miracoli e dello straordinario cristiano, Dehoniane, Bologna 2008, t. II, pp. 1389-
4 1394
5
6 Préternaturels (dons)
7
8 1. Définition
9 Le surnaturel entendu comme la gratuite élévation de l’homme à l’ordre de la grâce est une
10 question-clef de la théologie. Henri de Lubac affirmait même il y a plus de cinquante ans : « L’idée
11 de surnaturel est aussi essentielle au christianisme que peut l’être par exemple l’idée de révélation,
12 ou celle d’incarnation, ou celle de sacrement » (Lubac, 1946, p. 325). Essentielle certes, pour
13 annoncer un message qui élève les regards au delà de la seule nature ; mais la pensée récente a aussi
14 relativisé le concept de surnaturel, en tâchant de le libérer du poids des écoles et des polémiques
15 passées.
16 La notion plus ample de ‘justice originelle’ a connu les mêmes aléas. Elle décrit la condition
17 privilégiée de l’homme avant le péché. Avec le paradis, le livre de la Genèse décrit cette situation
18 de perfection et d’amitié avec Dieu (« Ils entendirent les pas de Yahvé Dieu qui se promenait à la
19 brise du jour » : Gn 3,8). Outre la grâce sanctifiante – le surnaturel –, la bienveillance paternelle de
20 Dieu se traduisit par ce que la tradition théologique a appelé les dons préternaturels, accordés au
21 premier homme pour rectifier certains défauts naturels.
22 Pour les étudier, les théologies notamment scolastiques ont construit un système cohérent
23 mais maintenant critiqué. On en arrivait presque à « conclure, comme certains théologiens l’ont fait,
24 que le premier homme jouissait de toutes les perfections, qu’il possédait toutes les vertus, qu’il était
25 doté de toute la science possible et comblé de tous les biens extérieurs imaginables » (Seibel, 1971,
26 p. 302). Contre ces théories, au moins deux reproches de poids sont avancés. D’une part, « les
27 données solides de la Révélation sur l’humanité innocente sont trop réduites pour nourrir une
28 réflexion étendue » : par conséquent, « un certain nombre des spéculations [classiques] ne peut plus
29 avoir aujourd’hui l’intérêt qu’y trouvaient les théologiens d’antan » (Baciocchi, 1967, col. 1308).
30 D’autre part, la description d’un état primordial presque parfait semble contraire aux observations
31 de la paléoanthropologie : « Comment se fait-il que les descendants de ce couple parfait nous
32 apparaissent encore si proches de l’animal, comment se fait-il que l’évolution paraisse avoir réalisé
33 longtemps des formes bien frustes d’humanité avant d’atteindre sa forme actuelle ? » (Labourdette,
34 1953, p. 170).
35 Malgré ces incohérences et ces exagérations, traiter des dons préternaturels reste légitime :
36 « Les privilèges du premier état ne sont pas une invention des théologiens » mais une partie de la
37 Révélation. Néanmoins puisque « la théologie scolastique est allée plus loin, et, il faut le
38 reconnaître, sur des données beaucoup moins sûres » (Labourdette, 1953, pp. 173-174), on devra
39 faire la part des choses et distinguer la spéculation théologique de la Révélation stricto sensu1. La
40 scolastique avait choisi son chemin : « Dire que le péché a fait descendre l’homme d’une pleine
41 perfection originelle de ses facultés spirituelles, et de la science, et de la beauté, jusqu’aux confins
1
1 Le préternaturel est donc compris aussi au sens des dons préternaturels, et non pas selon les définitions néo-
2 scolastiques plus amples qui le comprenaient comme un surnaturel relatif « qui marque l’élévation d’une nature créée à
3 un ordre de vie ou d’activité supérieure à telle nature particulière : c’est donc par rapport à cette nature déterminée qu’il
4 mérite la qualification de surnaturel. Ce qui est naturel à l’ange devient relativement à l’homme quelque chose de
5 surnaturel. [...] C’est à ce surnaturel relatif qu’il faut rattacher le préternaturel, par exemple les dons de la justice
6 originelle, [...] par exemple encore le merveilleux diabolique » (Michel, 1939, col. 2852). Dans ce sens et plus
7 précisément, quatre types de phénomènes humains étaient à qualifier de préternaturels : 1. les dons de la justice
8 originelle ; 2. les charismes comme la prophétie, les miracles, le don des langues, le discernement des esprits, les
9 guérisons ; 3. les phénomènes mystiques comme l’extase, la lévitation, la stigmatisation ; 4. certaines influences
10 démoniaques (cf. DTC, Tables générales, 3 (1972), col. 3772-3773). Cette définition est surannée : elle est aussi peu
11 utile ici, puisqu’elle couvre presque l’intégralité de ce Dictionnaire.
12

13 1
1 de l’animalité. [...] Et que Dieu, comme s’il le faisait de nouveau, mais cette fois avec le concours
2 de la liberté créée, et comme avec le secours de la durée, a dû tout recommencer à partir de ces
3 frontières extrêmes et du péché » ; la réflexion actuelle préfère « penser que l’état d’innocence, si
4 grand qu’il fût en Adam par les dons gratuits et la sainteté, était celui d’une nature encore imparfaite
5 selon l’ordre du développement et de l’expérience, et qu’Adam gardait pour l’avenir, dans une sorte
6 de paix surélevée, des puissances de progrès, d’immenses virtualités non déployées encore »
7 (Raïssa Maritain, 1942, p. 602).
8 La tradition théologique recense habituellement quatre dons, qui n’ont pas tous le même
9 appui biblique ni n’ont été enseignés au même titre par l’Église, mais qui seront ici repris pour
10 préciser leur portée exacte : l’immortalité, l’intégrité ou parfaite soumission des appétits inférieurs à
11 la raison, la science et l’impassibilité.
12 2. Les dons préternaturels
13 « Grâce à ces dons divins, l’homme, qui se trouvait uni dans l’amitié et l’harmonie à son
14 Principe, possédait et gardait en lui-même l’équilibre intérieur, et n’était pas angoissé par la
15 perspective de la décadence et de la mort. La ‘maîtrise’ sur le monde, que Dieu avait donnée à
16 l’homme dès le commencement, se réalisait en premier lieu dans l’homme lui-même comme
17 possession de soi. Et par cette possession de soi et cet équilibre se réalisait ‘l’intégrité’ de
18 l’existence (integritas), en ce sens que l’homme était intact et ordonné en tout à son être, parce qu’il
19 était libre de la triple concupiscence qui le plie aux plaisirs des sens, à la convoitise des biens
20 terrestres et à l’affirmation de soi contre ce que commande la raison » (Jean-Paul II, 1986, p. 899).
21 2. 1. L’immortalité
22 L’Écriture témoigne que la mort est châtiment du péché : « Par un seul homme le péché est
23 entré dans le monde, et par le péché la mort » (Rm 5,12 ; cf. aussi Gn 2,17 ; 3,19 ; Sg 1,14). Et
24 l’Église a proposé cette vérité à la foi des croyants (par exemple : DH 222 et 1511). « Il en découle
25 implicitement que Dieu, dans son dessein initial, n’avait pas voulu la mort et qu’il destinait
26 l’homme à la vie véritable et éternelle » (Seibel, 1971, p. 305). Saint Augustin, dans un texte
27 classique, a précisé le sens de cette immortalité préternaturelle : « [L’homme] avant le péché était à
28 la fois mortel et immortel : mortel, parce qu’il pouvait mourir, immortel, parce qu’il pouvait ne pas
29 mourir. Une chose est ne pas pouvoir mourir (comme certaines natures que Dieu a créées
30 immortelles), une autre pouvoir ne pas mourir. C’est selon cette dernière acception que le premier
31 homme était immortel : [...] il était mortel selon sa condition de corps animal, il était immortel par
32 un bienfait du Créateur » (De Genesi ad litteram, VI, 36 : CSEL 28/1, 197, 7-16). Il s’agit donc
33 d’une immortalité relative ou conditionnelle, c’est-à-dire conditionnée par l’exercice de la liberté
34 humaine : l’homme ne serait pas mort s’il n’avait pas péché. C’est ce que symbolise l’arbre de vie
35 de la Genèse (Gn 2,9) : « L’homme sorti des mains de Dieu, porté par la vie de Dieu, ne peut être
36 viable que s’il se reconnaît comme tel, c’est-à-dire dépendant de Dieu. [...] L’homme peut aller vers
37 l’arbre de vie, se nourrir de son fruit, c’est-à-dire avancer dans cette vie que Dieu lui donne, en se
38 reconnaissant comme porté par Dieu qui l’aime » (Chazelle, 1967, p. 1063).
39 Mais le paradis de la Genèse est un paradis terrestre et provisoire, le lieu d’une mise à
40 l’épreuve de la liberté et non pas le paradis céleste et définitif : l’homme n’était pas destiné à y
41 vivre éternellement. Comment penser à la fois la possibilité de ne pas mourir et un état cependant
42 transitoire ? Que serait devenu l’homme s’il n’avait pas péché ? Comment aurait-il terminé son
43 séjour terrestre pour s’établir irrévocablement dans l’intimité du Dieu vivant ? La théologie actuelle
44 propose plusieurs solutions : notamment une explication psychologique, qui assimile le don
45 préternaturel de l’immortalité à une exemption de la peur de la mort, du passage d’une vie à l’autre
46 (Schmaus, 1965, p. 26) ; une explication plus ample qui ajoute à cette exemption de la peur la
47 promesse d’une transformation entièrement gratuite à la fin de l’existence (Scheffczyk, 1964, p.
48 53). La mort aurait été une joyeuse translation de l’homme dans la gloire. La mort en Jésus-Christ
49 des saints et particulièrement celle des martyrs donnerait assez une idée de ce processus : sans doute
50 parfois dramatique, elle est surtout un abandon confiant et filial ; l’assomption corps et âme de

1 2
1 Marie à la gloire céleste illustre spécialement ce point (Lumen Gentium, 68 ; Scola et alii, 2000, pp.
2 220-221 ; O’ Callaghan, 2000, p. 250).
3 2. 2. L’intégrité
4 Le second des dons préternaturels traditionnellement retenus est l’intégrité ou exemption de
5 la concupiscence. Marquée par la théologie des réalités terrestres et sa revalorisation du corps, la
6 réflexion contemporaine est sur ce point souvent réticente à entériner la pensée traditionnelle
7 (Michel, 1925, col. 2027), accusée de confondre la concupiscence et l’exercice désordonné de la
8 sexualité, une méprise qui serait due à l’exégèse de Gn 2,25 – prélapsaire – (« Tous deux étaient
9 nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre ») et de Gn 3,7, sur les
10 conséquences de la faute (« Leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus »).
11 Que faut-il donc comprendre par exemption de la concupiscence ?
12 Non pas que le premier homme ait été privé des passions et des sensations : elles sont la
13 conséquence naturelle de sa condition charnelle et ne sont pas mauvaises en soi, servant au contraire
14 de moteur à la vertu y compris dans l’état postlapsaire. Les passions sont bonnes ou mauvaises
15 selon que leur objet et leur mise en acte est ou non conforme à la droite raison (Thomas d’Aquin,
16 Somme Théologique, I-II, q. 24, a. 4, ad 2 ; Aubert, 1987, pp. 76-77). Le don préternaturel de
17 l’intégrité aurait justement eu comme effet de les soumettre parfaitement à la raison, pour qu’elles
18 encouragent ainsi l’homme sur le chemin du bien.
19 Ces vues semblent conformes à l’Écriture et aux définitions de l’Église. L’homme ignorait
20 la convoitise tant qu’il reconnaissait sa dépendance de créature face au Seigneur de la vie (cf. Rm
21 5,12-21). Quand la liberté du premier homme fut mise à l’épreuve, « la convoitise s’éveilla [...] et
22 elle donna naissance au péché et à la mort. Elle dépend donc étroitement du péché, sans être pour
23 autant le péché, c’est-à-dire une action coupable et libre » (Siebel, 1971, p. 303). Elle « vient du
24 péché et incline au péché » (DH 1515 ; cf. aussi les documents datant des controverses pélagiennes
25 qui traitent implicitement de l’exemption de la convoitise, et notamment : DH 239 ; 242 ; 371 ;
26 389).
27 2. 3. La science et l’impassibilité
28 Les deux derniers dons préternaturels énumérés par la tradition théologique sont moins
29 clairement caractérisés.
30 Quant au don de science, corrigeant en Adam l’ignorance naturelle, « [sa] nature, son
31 étendue, son objet sont difficiles à déterminer. Les témoignages scripturaires sont peu explicites ;
32 les Pères, tout en affirmant l’existence d’une sagesse communiquée par Dieu au premier homme
33 [...] ne précisent pas grand-chose sur la nature et l’objet de cette sagesse » (Michel, 1925, col.
34 2028). Les textes de l’Écriture en général proposés pour illustrer ce don paternel de Dieu sont Gn
35 2,19-20, sur l’imposition par Adam des noms aux animaux, et Si 17,7-11, sur les hommes dans la
36 création : « Il les remplit de science et d’intelligence et leur fit connaître le bien et le mal. Il mit sa
37 crainte dans leur cœur pour leur montrer la grandeur des ses œuvres. [...] Il leur accorda encore la
38 connaissance, il les gratifia de la loi de la vie. »
39 Il est pareillement malaisé de délimiter la portée du don de l’impassibilité. Avant le péché
40 originel, tous les dommages déclenchés par les fautes humaines sont certes à exclure, eux qui sont
41 le premier motif des souffrances individuelles et collectives. Mais le sens obvie de l’Écriture Sainte
42 et des définitions de l’Église tend à affirmer aussi l’existence de conséquences corporelles du péché,
43 et donc implicitement d’un état de l’homme prélapsaire physiquement plus parfait (Gn 3,16-19 :
44 « Dans la peine tu enfanteras des fils. [...] À la sueur de ton visage tu mangeras ton pain » ; DH
45 1512 : « Par l’offense que constituait [le péché originel] Adam tout entier, dans son corps et dans
46 son âme, a été changé en un état pire » ; cf. aussi DH 371).
47 2. 4. Les dons préternaturels et l’économie du salut
48 Une dernière chose à remarquer : le discours sur les dons préternaturels n’est pas à
49 comprendre comme une variante chrétienne du mythe de l’âge d’or. Plus que la considération
50 nostalgique de capacités disparues, la réflexion sur l’octroi paternel et gratuit de ces perfections aide
51 à les découvrir comme une prophétie et une anticipation de l’homme eschatologique racheté en

1 3
1 Jésus-Christ. « Commencés en nous par le baptême, cette restauration et ce dépassement de la
2 justice originelle progressent avec nous avec notre communion au Christ et s’achèveront lors de
3 notre pleine assimilation au Christ ressuscité » (Baciocchi, 1967, col. 1309).
4 3. Bibliographie
5 AUBERT Jean-Marie, Abrégé de la morale catholique : la foi vécue, Desclée, Paris 1987
6 BACIOCCHI Joseph de, Justice originelle, Catholicisme 6 (1967), col. 1306-1309
7 CHAZELLE Albert, Mortalité ou immortalité du premier homme ?, « Nouvelle Revue
8 Théologique », 89 (1967), pp. 1043-1068
9 Jean-Paul II, Le péché et l’état de justice originelle (Audience générale du 3 septembre 1986),
10 « Documentation Catholique », 83 (1986), pp. 898-899
11 LABOURDETTE Marie-Michel, Le péché originel et les origines de l’homme, (Sagesse et
12 Cultures) Alsatia, Paris 1953
13 LUBAC Henri de, Surnaturel : études historiques, (Théologie, 8) Aubier-Montaigne, Paris 1946
14 MARITAIN Raïssa, Histoire d’Abraham ou les premiers âges de la conscience morale [1942], in
15 Jacques et Raïssa Maritain, Œuvres complètes, t. XIV, Éditions Universitaires-Éditions Saint-Paul,
16 Fribourg-Paris 1993, pp. 567-617
17 MICHEL Albert, Justice originelle, DTC 8/2 (1925), col. 2020-2042
18 Id., Surnaturel, DTC 14 (1939), col. 2849-2859
19 O’ CALLAGHAN Paul, La metafisica cristiana : teologia della creazione, Università Pontificia
20 della Santa Croce, Roma 2000
21 SCHEFFCZYK Leo, Die Erbschuld zwischen Naturalismus und Existentialismus. Zur Frage nach
22 in der Anpassung des Erbsündendogmas an das moderne Denken, « Münchener Theologische
23 Zeitschrift », 15 (1964), pp. 17-57
24 SCHMAUS Michael, Das Paradies, (Münchener Universitätsreden, 38) Hueber, München 1965
25 SCOLA Angelo-MARENGO Gilfredo-PRADES LÓPEZ Javier, La persona umana : antropologia
26 teologica, (Amateca, 15) Jaca Book, Milano 2000
27 SEIBEL Wolfgang, L’état originel, in L’homme dans la création, par Jacob David et alii,
28 (Mysterium salutis : dogmatique de l’histoire du salut, 7) Cerf, Paris 1971, pp. 283-311
29
30 Laurent Touze
31 Faculté de théologie
32 Université pontificale de la Sainte-Croix (Rome)

1 4

Vous aimerez peut-être aussi