Afrique Et Les Armes Nucléaires

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INTERNATIONALE
Volume 97 Sélection française 2015 / 3 de la Croix-Rouge

R EVUE
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de la Croix-Rouge

Une contribution
africaine au débat
sur les armes nucléaires
Sarah J. Swart*
Sarah Jean Swart, est conseillère juridique régionale du CICR à Pretoria. Elle travaille auprès
de 12 gouvernements africains et les accompagne dans la mise en œuvre du droit international
humanitaire. Avant de rejoindre le CICR, elle a obtenu un master en droits humains et
démocratisation en Afrique à l’Université de Pretoria.

Résumé
L’initiative actuelle relative aux conséquences humanitaires des armes nucléaires
a offert aux États l’opportunité de raviver le débat sur le désarmement. Alors que
l’Afrique a saisi cette opportunité pour s’engager sur la voie du désarmement nucléaire,
l’impact de ses efforts reste encore à voir. L’objet de cet article est de rappeler la valeur
de l’engagement africain et d’identifier le rôle important que l’Afrique du Sud pourrait
jouer en entrainant le continent africain à ses côtés dans son appel pour un monde
sans armes nucléaires.
Mots clés : Afrique, armes nucléaires, désarmement, Afrique du sud, Traité de Pelindaba.

:::::::
Introduction

La communauté internationale n’a jamais été aussi proche d’une interdiction totale
de l’utilisation des armes nucléaires. Le passage d’un discours aux accents purement
sécuritaires à un discours centré sur les conséquences humanitaires de ces armes a
permis à de nombreux États d’entrer dans un débat, qui pendant des décennies, appa-
raissait réservé aux gouvernements riches et puissants. Forte de cinquante-quatre
États et de sa position morale en tant que continent libre d’armes nucléaires, l’Afrique
* Nous remercions Mutsa Mangezi pour son apport précieux. Cet article a été écrit à titre personnel et ne
reflète pas nécessairement les points de vue du CICR.

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est bien placée pour contribuer au débat relatif aux conséquences humanitaires et pour
avoir un impact significatif sur la promotion du désarmement nucléaire. Cependant,
si les États africains ont depuis longtemps répondu à l’appel pour un monde sans
armes nucléaires et s’ils ont participé activement aux discussions lors de multiples
fora multilatéraux, le pouvoir de la parole de l’Afrique pour influencer et faire avancer
ce débat est resté limité. Étant donné la nature inclusive du processus relatif aux
conséquences humanitaires et l’intérêt que l’Afrique a exprimé sur cette question,
l’influence limitée du continent pourrait être attribuée à un manque de leadership.
Ni l’Union africaine (UA), ni les gouvernements des États africains, n’ont démontré
un véritable intérêt pour coordonner une position ou une stratégie africaine. Si, pour
la plupart des États, cela n’est guère surprenant, ceci est plutôt étonnant venant de
l’Afrique du Sud, le pays ayant la plus haute autorité morale dans le monde pour
parler du désarmement nucléaire. En effet, l’Afrique du Sud est bien connue pour être
le premier et le seul pays à avoir volontairement démantelé son propre programme
d’armes nucléaires vers la fin du régime d’apartheid. Ce mérite lui revient et cela
a joué un rôle important dans la promotion d’une zone africaine exempte d’armes
nucléaires. Son engagement en faveur du désarmement nucléaire a été clairement
exprimé dans le cadre de sa « diplomatie Ubuntu1 » (Ubuntu diplomacy) et par la voix
de son autorité morale, l’Archevêque Desmond Tutu, qui fut l’avocat de toujours en
faveur de l’abolition du nucléaire. Cela place l’Afrique du Sud dans une position de
force pour se poser en leader africain et se présenter comme un rassembleur dans le
processus actuellement en cours visant à un monde sans armes nucléaires. Cet article
considère que tout est en place pour renforcer l’engagement africain dans le débat
sur le désarmement nucléaire et présente la position de premier plan que l’Afrique
du Sud pourrait jouer à cet égard.

Le rôle de l’Afrique dans le débat

La contribution que l’Afrique peut apporter dans le débat sur le désarmement


nucléaire ne doit pas être vue comme un idéal trop ambitieux, mais plutôt comme un
objectif atteignable qui s’inscrit dans la lignée de la mobilisation de nombreux États
africains dans les discussions relatives au contrôle des armes et à la non-prolifération.
Les États africains participèrent très activement aux négociations qui aboutirent, en
1997, à la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du
transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, car il s’agissait là d’une ques-
tion qui affectait directement plusieurs des pays du continent2. Bien que le continent

1 L’expression « Diplomatie Ubuntu » peut être traduite grosso modo par diplomatie humanitaire. Voir
« 2011 White Paper on South Africa’s Foreign Policy: Building a Better World, the Diplomacy of
Ubuntu », 13 mai 2011, disponible sur : www.gov.za/documents/white-paper-south-african-foreign-
policy-building-better-world-diplomacy-ubuntu (toutes les références internet ont été vérifiées en mai
2018). Un livre blanc est un document de réflexion qui sert de déclaration générale sur la politique
d’un gouvernement. Voir « How a Law is Made », disponible sur : www.parliament.gov.za/live/content.
php?Item_ID=1843. Pour en savoir plus sur le principe d’Ubuntu, voir plus bas.
2 Sarah J. Swart, « A New Dawn in the Nuclear Weapons Debate: A Role for Africa? », African Yearbook
on International Humanitarian Law, 2013, p. 17.

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n’avait pas été particulièrement concerné par ces armes, un certain nombre d’États
africains3, la Zambie en particulier, se manifestèrent également lors des négociations
qui aboutirent, en 2008, à la Convention sur les armes à sous-munitions, démontrant
ainsi sa volonté de s’impliquer dans les actions conduites pour l’interdiction de
certaines armes, en raison sur leur caractère inhumain4. La récente négociation du
Traité sur le commerce des armes (TCA) qui réglemente le commerce international
des armes conventionnelles, atteste de cet engagement des États africains qui ont
démontré leur soutien indéfectible en faveur d’un traité robuste, par des positions
communes régionales de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest
(CÉDÉAO) et de l’Afrique centrale, de nombreux ateliers et événements nationaux
et sous-régionaux, ainsi que par une position commune au sein de l’UA. En effet,
l’Afrique joua un rôle crucial pour garantir que les armes légères et de petit calibre,
ainsi que les munitions, soient couvertes par les dispositions du TCA. Étant donné
l’engagement ancien du continent sur les questions liées au contrôle des armes et le
poids qu’il représente dans le débat sur le désarmement, il n’est pas surprenant que
les États africains aient manifesté leur intérêt pour des initiatives plus récentes afin
de progresser vers un total désarmement nucléaire.
Comme le déclarait Kwame Nkrumah en 1967, « nous, en Afrique, désirons
vivre et nous développer. […] Nous ne nous libérons pas de plusieurs siècles d’impé-
rialisme et de colonialisme pour être mutilés et détruits par des armes nucléaires
[traduction CICR]5 ». Le même argument que celui avancé par Nkrumah il y a
environ cinquante ans, est toujours d’actualité : l’Afrique fait partie intégrante du
débat sur les armes nucléaires. Le fait que des essais nucléaires aient eu lieu par le
passé sur le territoire africain6 et que l’Afrique du Sud soit le seul pays au monde à
avoir volontairement démantelé son programme d’armes nucléaires fondent histori-
quement l’intérêt du continent pour cette question. La présence d’importantes exploi-
tations minières d’uranium à travers le continent montre la réalité contemporaine
des enjeux liés aux armes nucléaires pour l’Afrique. En 2012, le Niger, la Namibie,
le Malawi et l’Afrique du Sud figuraient parmi les vingt plus grands exportateurs
mondiaux d’uranium et des dépôts d’uranium existeraient en Algérie, au Botswana,

3 Par exemple, 21 États africains ont assisté à la Conférence de Wellington en février 2008 ; 31 États
africains ont assisté à la Conférence de Vienne en décembre 2007 ; sept États africains ont assisté à la
Conférence de Belgrade en octobre 2007 ; et 14 États africains ont assisté à la Conférence de Lima en
mai 2007. Gugu Dube, Negotiating the Convention on Cluster Munitions: The Role of African States, ISS
Paper n° 187, Institute for Security Studies, juin 2009, disponible sur : www.issafrica.org/acpst/papers/
negotiating-the-convention-on-cluster-munitions-the-role-of-african-states.
4 Sheila N. Mweemba, « The Role of African States », in Arielle Denis (dir.), Banning Nuclear Weapons:
An African Perspective, International Campaign to Abolish Nuclear Weapons (ICAN), octobre 2014,
p. 8.
5 « Wider Impact and Longer-Term Consequences », International Conference on the Humanitarian
Impact of Nuclear Weapons, propos introductifs de l’ambassadeur Mxakato-Diseko pour la session II,
4 et 5 février 2013, disponible sur : www.regjeringen.no/en/topics/foreign-affairs/humanitarian-
efforts/statements_humimpact/id715939/.
6 La France a procédé à des essais nucléaires souterrains et atmosphériques dans le Sahara au début des
années 1960 et ont eu pour résultat des « retombées radioactives significatives dans plusieurs pays
africains ». Helle Winge Laursen, Africa and Nuclear Weapons: An Introduction to the Issue of Nuclear
Weapons in Africa, International Law and Policy Institute (ILPI) Background Paper n° 1/2012, février
2012, pp. 5-11, disponible sur : http://nwp.ilpi.org/?p=1489#more-1489.

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en République centrafricaine, en République démocratique du Congo (RDC), au


Gabon, en Guinée, en Guinée équatoriale, au Mali, en Mauritanie, au Maroc, au
Nigeria, en Tanzanie en Zambie et au Zimbabwe7. La réalité contemporaine du débat
pour l’Afrique est également évidente compte tenu du souhait d’un certain nombre
d’États africains de mettre en place des programmes d’énergie nucléaire8. Même si
l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire est reconnue comme un droit en vertu du
Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (Traité de non-prolifération, TNP),
il faut s’assurer que ce droit est exercé de façon à ce qu’il n’augmente pas le risque
de détournement de matériaux au profit de programmes d’armement nucléaire. De
plus, il est peu probable que le continent serait complètement épargné si une bombe
nucléaire explosait dans une autre partie du monde9. L’utilisation d’armes nucléaires,
où que ce soit, aurait une incidence sur l’avenir du continent africain.
Compte tenu de ce qui précède, mais aussi de la consécration du continent
africain comme zone libre d’armes nucléaires, par le Traité sur les Zones Exemptes
d’Armes nucléaires de 1996 (Traité de Pelindaba), il est clair que les États africains
sont impliqués dans le débat sur le désarmement nucléaire. En raison des expériences
antérieures de l’Afrique, de son manque d’intérêts économiques et politiques directs
dans la préservation du statu quo et de la vulnérabilité continentale à une explosion
nucléaire, la société civile appelle maintenant l’Afrique à « éveiller la conscience
morale du monde [traduction CICR]10 ». Il ne s’agit pas d’un appel nouveau, des
groupes de réflexion comme l’Institut d’Etudes de sécurité (ISS) basé en Afrique du
Sud, encouragent depuis longtemps l’Afrique à avoir un rôle actif dans les activités
liées à la sécurité nucléaire internationale, aux débats relatifs au désarmement total
et aux mesures destinées à éviter la prolifération de dispositifs nucléaires à des fins
militaires11. C’est par ailleurs l’initiative actuelle relative aux conséquences humani-
taires de l’utilisation d’armes nucléaires qui a offert à l’Afrique une occasion idéale
de répondre à cet appel.

7 Voir Association nucléaire mondiale, « Uranium in Africa », février 2015, disponible sur : www.world-
nuclear.org/info/Country-Profiles/Others/Uranium-in-Africa/#.UjrkjKymjQI ; Amelia Broodryk et
Shaun Edge, « International Nuclear Security: Why Africa Must Make Its Voice Heard », ISS Today,
24 mars 2013, disponible sur : www.issafrica.org/iss-today/international-nuclear-security-why-africa-
must-make-its-voice-heard. Voir aussi Amelia Broodryk et Noël Stott (dir.), Progress Towards Securing
Africa’s Nuclear Resources, ISS, 2011, p. 31.
8 Alors qu’il n’y a actuellement qu’une seule centrale nucléaire opérationnelle en Afrique (c’est-à-dire
deux réacteurs nucléaires à la Koeberg Nuclear Power Station en Afrique du Sud), plusieurs États
africains ont manifesté leur intérêt à produire de l’énergie nucléaire, tels l’Algérie, la RDC, l’Égypte,
le Ghana, la Libye, le Maroc et le Nigeria. Voir Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA),
Research Reactors in Africa, novembre 2011, disponible sur : www.iaea.org/OurWork/ST/NE/NEFW/
Technical_Areas/RRS/documents/RR_in_Africa.pdf.
9 Selon la Cour internationale de justice (C.I.J.), le pouvoir destructeur des armes nucléaires ne peut être
endigué ni dans l’espace, ni dans le temps. Voir C.I.J., Licéité de la menace ou de l’emploi des armes
nucléaires, avis consultatif, 8 juillet 1996, C.I.J. recueil 1996, par. 35.
10 S. N. Mweemba, op. cit. note 4.
11 On ne peut pas en dire autant des institutions gouvernementales sud-africaines : alors que le Comité
sud africain pour la non prolifération des armes de destruction massive (South African Council for the
Non-Proliferation of Weapons of Mass Destruction) est bien établi, il a probablement joué, du moins
publiquement, un rôle secondaire pour influencer la position gouvernementale et promouvoir le
désarmement.

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L’initiative en cours sur l’impact humanitaire


Malgré les craintes, persistantes et légitimes, suscitées par le fait que plusieurs États
accroissent leur arsenal nucléaire ou expriment le désir de le faire, la conjoncture poli-
tique sans précédent en faveur d’un désarmement nucléaire a généré enthousiasme
et optimisme au sein des partisans du désarmement. Ce momentum a sans doute
pris de l’ampleur avec l’échec de la récente conférence de suivi du TNP, qui a eu lieu
à New York en avril et mai 2015. Malgré des années de négociations et de réunions
préparatoires et quatre semaines de délibérations intenses, la conférence n’est pas
parvenue à un accord sur le document final qui proposait des recommandations pour
les cinq prochaines années, dans l’attente de la Conférence de révision de 202012.
Selon le UNU Centre for Policy Research basé à Tokyo, le TNP de 2015 symbolise
« une occasion manquée [traduction CICR] » – bien qu’il demeure la meilleure
plateforme multilatérale de négociations entre États, l’échec de ceux-ci à trouver un
accord sur la façon de mettre en œuvre le TNP montre que « les désaccords à propos
du désarmement nucléaire ne sont pas prêts de se dissiper [traduction CICR])13 ».
Alors que la plupart des dissensions sont indubitablement liées à la question d’une
conférence pour les États du Moyen-Orient visant à établir une zone exempte d’armes
nucléaires, une autre raison possible ayant conduit à l’échec de la conférence réside
dans le caractère sensible des discussions sur le désarmement, qui ne cesse de croître
depuis le lancement de l’initiative sur les conséquences humanitaires. Il est probable
que cet échec renforce cette initiative et lui donne un nouveau souffle.
Jusqu’à une période récente, les discussions sur les armes nucléaires étaient
limitées aux fora multilatéraux classiques, dans lesquels les négociations étaient
souvent essentiellement consacrées aux effets dissuasif et sécuritaire de ces armes
et l’exception consentie à seulement quelques États de maintenir des programmes
d’armement nucléaire avait tendance à prendre le pas sur les efforts de désarme-
ment. Toutefois, un récent recadrage du débat sur les armes nucléaires a suscité
un enthousiasme prudent de la part de la société civile, des universitaires comme
des gouvernements. Pour la première fois depuis plusieurs années, les États ne
possédant pas l’arme nucléaire sentent qu’ils peuvent contribuer légitimement au
débat en cours sur l’utilité de ces armes, ce qui est conforme à l’article VI du TNP
qui appelle tous les États parties à poursuivre des négociations sur le désarmement
nucléaire. Dans une déclaration devant le corps diplomatique de Genève en 2010,
Jacob Kellenberger, alors président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR),
se dit convaincu de la nécessité de ne pas conduire le débat en se référant uniquement
aux doctrines militaires et à la politique de la force14. Kellenberger affirmait que : « Ce

12 Andrey Baklitskiy, « The 2015 NPT Review Conference and the Future of the Nonproliferation Regime »,
Arms Control Today, 8 juillet 2015, disponible sur : https://www.armscontrol.org/ACT/2015_0708/
Features/The-2015-NPT-Review-Conference-and-the-Future-of-The-Nonproliferation-Regime.
13 Wilfred Wan, « Why the 2015 NPT Review Conference Fell Apart », United Nations University
Centre for Policy Research, 28 mai 2015, disponible sur : http://cpr.unu.edu/why-the-2015-npt-review-
conference-fell-apart.html.
14 Voir Jakob Kellenberger, « Mettre fin à l’ère nucléaire », déclaration devant le corps diplomatique
de Genève, 20 avril 2010, disponible sur : https://www.icrc.org/fre/resources/documents/statement/
nuclear-weapons-statement-200410.htm. Ce discours est également reproduit dans le présent numéro
de la Sélection française de la Revue, dans la partie « rapports et documents ».

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sont les êtres humains, les règles fondamentales du droit international humanitaire
et l’avenir collectif de l’humanité qui doivent être au cœur du débat actuel sur les
armes nucléaires15 ». Et les États ont tenu compte de cet appel. Les développements
qui suivent présentent l’initiative sur les conséquences humanitaires à ce jour, en
soulignant son importance pour l’engagement et le leadership africains.
En mars 2013, le ministre des affaires étrangères norvégien convoqua une
conférence internationale de deux jours à Oslo, spécifiquement consacrée à l’impact
humanitaire des armes nucléaires. Lors de cette rencontre, des débats furent organisés
sur l’absence de réponse humanitaire dans la plupart des pays et au niveau interna-
tional en cas d’explosion nucléaire, sur les leçons à tirer des essais et de l’utilisation
des armes nucléaires, ainsi que sur les effets géographiquement étendus qu’aurait une
explosion16. Le nombre d’États représentés à la conférence était relativement élevé,
surtout si l’on considère que c’était la première fois que des États se réunissaient
dans un forum multilatéral pour examiner les effets des armes nucléaires sous un
angle humanitaire. En effet, les représentants de 128 États, y compris ceux dont on
sait qu’ils possèdent des armes nucléaires, et plus de 150 représentants d’acteurs
concernés (parmi lesquels l’Organisation des Nations Unies (ONU), le Mouvement
international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ainsi que la Campagne
internationale pour l’abolition des Armes nucléaires) assistèrent à la conférence.
Cette large participation fut soulignée par le ministre norvégien des Affaires étran-
gères de l’époque, M. Barth Eide, lors de la séance de clôture de la conférence, qui
releva « ceci révèle la préoccupation mondiale croissante à propos des effets des
armes nucléaires et marque l’affirmation selon laquelle il s’agit d’un problème d’une
importance majeure pour nous tous [traduction CICR]17 ». Il est toutefois important
de souligner qu’aucun des cinq pays détenteurs de l’arme nucléaire parties au TNP
n’a participé à cette conférence, malgré (ou plutôt à cause de) leur statut d’États
détenteurs de l’arme nucléaire.
Lors de la clôture de la conférence norvégienne, le gouvernement du Mexique
a annoncé qu’il accueillerait une rencontre de suivi les 13 et 14 février 2014, à Nayarit.
Cette annonce fut perçue comme un moyen de s’assurer que la question allait rester
à l’ordre du jour de la communauté internationale. La conférence de Nayarit s’est
concentrée sur les conséquences humanitaires à long terme de l’utilisation des
armes nucléaires, en s’appuyant sur les nouvelles recherches et les nouveaux outils
technologiques qui permettent d’anticiper et de mieux comprendre les effets à long
terme des armes nucléaires sur la santé publique mondiale, sur les déplacements de
populations et sur l’économie mondiale18. Les États furent encore plus nombreux
à participer à cette seconde conférence : des délégations représentant 146 pays y
participèrent, soit 18 gouvernements de plus que lors de la conférence en Norvège.

15 Ibid.
16 « Conférence sur l’impact des armes nucléaires », 4-5 mars 2013, disponible sur : www.regjeringen.no/
en/topics/foreign-affairs/humanitarian-efforts/humimpact_2013/id708603/.
17 Ibid.
18 Christine Beerli, « Les armes nucléaires doivent être éliminées et interdites une fois pour toutes »,
déclaration lors de la deuxième conférence sur l’impact des armes nucléaires, 13-14 février 2014,
disponible sur : https://www.icrc.org/fre/resources/documents/statement/2014/02-13-nuclear-weapons-
statement.htm.

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La présidence de la conférence déclara que « la forte et large participation des États


et de la société civile révèle la préoccupation mondiale vis-à-vis des effets des armes
nucléaires, tout comme la reconnaissance croissante qu’il s’agit là d’une question de la
plus haute importance pour tous les citoyens du monde [traduction CICR]19 ». L’ONU,
le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ainsi que les
organisations de la société civile étaient également présents. Bien qu’aucun des cinq
membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU ne fut présent à Mexico, le
président de la conférence affirma que la prise de conscience de l’impact humanitaire
de l’utilisation des armes nucléaires marquait déjà, partout dans le monde, les cœurs
et les esprits de ceux qui prennent part au débat sur les armes nucléaires20.
L’Autriche fut le troisième pays à prendre le relais et fut l’hôte de la Troisième
conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires (Conférence de Vienne)
les 8 et 9 décembre 2014 au palais Hofbourg, à Vienne. La conférence de Vienne a
permis d’approfondir encore davantage les conséquences humanitaires des armes
nucléaires en abordant les « effets sur la santé, l’environnement, l’agriculture et la
sécurité alimentaire, les migrations et l’économie ainsi que les risques liés à l’uti-
lisation autorisée ou non autorisée des armes nucléaires, les capacités de réaction
internationale et le cadre normatif applicable [traduction CICR])21 ». La participa-
tion des États à cette conférence s’accrut encore avec 158 gouvernements présents,
soit 12 États de plus qu’à la conférence de Mexico. Il est intéressant de souligner
que l’invitation aux États parties au TNP et détenteurs de l’arme nucléaire ainsi
qu’aux États non parties au TNP, a été réitérée par le gouvernement autrichien à
l’approche de la conférence. Il s’avère que ce fut utile, puisque les États-Unis et le
Royaume-Uni assistèrent à la conférence, participant ainsi pour la première fois aux
discussions sur les conséquences humanitaires. Par un engagement pris au cours de
la conférence, le gouvernement autrichien s’est engagé à poursuivre la coopération
avec toutes les parties prenantes, dans l’espoir de « stigmatiser, interdire et éliminer
les armes nucléaires, compte tenu de leurs conséquences humanitaires inacceptables
et des risques qui y sont associés [traduction CICR]22 ». Bien que 122 États aient
déjà souscrit à l’engagement autrichien23, aucun n’a encore confirmé son intention
d’organiser une conférence de suivi.

19 ICAN, Nayarit – A Point of No Return: Mexico Conference 2014, avril 2014, p. 7, disponible sur : http://
www.icanw.org/wp-content/uploads/2014/04/NayaritReport-email.pdf. Voir aussi ce communiqué :
http://icanfrance.org/la-conference-du-mexique-marque-un-tournant-vers-linterdiction-des-armes-
nucleaires/.
20 Ibid.
21 Conférence de Vienne sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, 8-9 décembre 1994, « Report and
Summary of Findings of the Conference », disponible sur : www.bmeia.gv.at/fileadmin/user_upload/
Zentrale/Aussenpolitik/Abruestung/HINW14/HINW14_Chair_s_Summary.pdf. Voir aussi : https://
www.bmeia.gv.at/europa-aussenpolitik/abruestung/massenvernichtungswaffen/nukleare-waffen/
conference-de-vienne-sur-limpact-humanitaire-des-armes-nucleaires/.
22 Engagement présenté à la Conférence de Vienne sur l’impact humanitaire des armes nucléaires par le
ministre autrichien délégué aux affaires étrangères, Michael Linhart (Austrian pledge), disponible sur :
www.bmeia.gv.at/fileadmin/user_upload/Zentrale/Aussenpolitik/Abruestung/HINW14/HINW14_
Austrian_Pledge.pdf.
23 ICAN, « Humanitarian Pledge: Stigmatize, Prohibit and Eliminate Nuclear Weapons », 10 février 2016,
disponible sur : www.icanw.org/pledge/.

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La participation africaine dans les conférences mentionnées ci-dessus fut


impressionnante. Trente-cinq États africains furent présents à Oslo, 46 à Nayarit et
45 à Vienne. Il convient de souligner qu’au total, cinquante-trois États africains ont
participé à ces différentes conférences24. Même si ces chiffres sont encourageants,
la seule participation n’est clairement pas suffisante ; une contribution active et
substantielle des États africains marque plus clairement leur intérêt et leur soutien.
Lors de la troisième et plus récente conférence à Vienne, les États africains firent
circuler une déclaration conjointe exprimant leur vive préoccupation face à l’absence
de progrès significatifs eu égard à l’objectif d’un monde sans arme nucléaire et
appelant la conférence à poursuivre ses travaux pour une meilleure compréhension
des conséquences humanitaires des armes nucléaires. La déclaration mentionnait
également le gaspillage des ressources dans l’entretien et la mise au point de ces
armes, lesquelles pourraient être mieux utilisées afin d’atteindre les Objectifs du
Millénaire pour le développement. La déclaration conclut en proposant que « l’état
actuel du débat sur le désarmement nucléaire demeure [...] intenable et totalement
inacceptable [traduction CICR]25 ». Il est intéressant de noter que cette déclaration
fut l’une de seulement quatre déclarations conjointes de pays qui furent distribuées à
Vienne26. Il s’agit aussi de la première déclaration conjointe élaborée par le continent
africain lors du processus sur les conséquences humanitaires.
En plus de la déclaration conjointe, de nombreux États africains27 firent
des déclarations, ce qui représenta au total plus d’un cinquième de l’ensemble des
déclarations faites lors de la conférence. La plupart de ces déclarations appelaient une
action urgente. Le Malawi, en particulier, appela la communauté internationale à agir
afin d’élaborer « cet instrument juridique attendu depuis longtemps afin d’interdire
les armes nucléaires et de vivre dans un monde sans armes nucléaires [traduction
CICR]28 ». Le Kenya indiqua que « les conséquences humanitaires absolument
néfastes des armes nucléaires peuvent aider à délégitimer les armes nucléaires […]
aussi, nous redisons que le temps est venu pour les États de commencer à travailler
dans l’objectif d’une abolition juridique des armes nucléaires [traduction CICR]29 ».
Dans son discours, le gouvernement du Zimbabwe nota : « il ne sera jamais possible
d’avancer une justification morale à la détention d’un arsenal nucléaire qui menace
l’humanité alors que l’on doit la préserver et la protéger [traduction CICR] » et appela

24 Seuls la Mauritanie et le Sahara occidental n’y ont pas participé, alors que le Maroc a assisté aux trois
conférences.
25 Voir « #HINW14vienna Statements », disponible sur : www.bmeia.gv.at/en/european-foreign-policy/
disarmament/weapons-of-mass-destruction/nuclear-weapons-and-nuclear-terrorism/vienna-
conference-on-the-humanitarian-impact-of-nuclear-weapons/statements/.
26 D’autres déclarations communes des États furent présentées par l’Agency for the Prohibition of Nuclear
Weapons in Latin America and the Caribbean, par le Mouvement des non-alignés et par l’Association
des nations de l’Asie du Sud-est. Voir ibid.
27 Niger, Ouganda, Djibouti, Lesotho, Zambie, Libye, Malawi, Guinée-Bissau, Sénégal, Ghana, Kenya,
Congo, Togo, Algérie, Mali, Afrique du Sud, Nigeria, Zimbabwe, Tchad et Comores. Voir ibid.
28 Déclaration, pour le Malawi, d’Aubrey Kabisala, délégué, Bureau des affaires étrangères (affaires
politiques), ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Vienne, 9 décembre
2014. Voir ibid.
29 Déclaration de Michael A. O. Oyugi lors de la Conférence de Vienne sur l’impact humanitaire des
armes nucléaires, 8-9 décembre 2014. Voir ibid.

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à l’élaboration de « mesures concrètes sur la façon dont des instruments interna-


tionaux juridiquement contraignants rendant illicites l’utilisation, la production, le
déploiement, le stockage et le transfert des armes nucléaires pourraient être prises
[traduction CICR]30.
Selon Patricia Lewis, de la Chatham House à Londres, abandonner la
question du désarmement nucléaire aux « experts » n’a, jusqu’à présent, pas mené
la communauté internationale très loin et le mythe selon lequel les profanes n’ont
pas le droit de parler des armes nucléaires est en voie d’être dissipé31. En lançant le
processus sur les conséquences humanitaires, il semble qu’un espace ait été créé pour
que l’Afrique renforce son engagement. Il est cependant important de constater que
l’initiative sur les conséquences humanitaires n’a pas conduit au renforcement de la
position africaine sur le désarmement nucléaire ; elle a, tout au plus, offert à l’Afrique
une plateforme internationale par laquelle le continent peut faire entendre sa voix et
exercer son influence. Si, par le passé, le rôle que les pays africains pouvaient jouer
dans les discussions sur l’avenir des armes nucléaires était remis en question, il est
aujourd’hui plus clair, grâce à l’initiative sur les conséquences humanitaires, que ce
n’est pas uniquement la détention d’armes nucléaires qui donne à un État la crédibilité
nécessaire pour participer au débat. L’ISS a redit que compte tenu de l’implication des
États africains dans diverses initiatives internationales relatives au désarmement, le
continent africain est bien placé et dispose de l’expérience nécessaire pour tenter de
convaincre les États détenteurs de l’arme nucléaire à prendre part aux discussions
sous un angle humanitaire32. Cet article va maintenant s’attacher à examiner dans
quelle mesure les États africains sont impliqués dans ce débat et, notamment l’impact
que l’Afrique du Sud peut avoir sur la progression vers un désarmement nucléaire
mondial.

L’engagement africain et son impact

Tel que démontré précédemment, les pays africains sont concernés par les consé-
quences humanitaires des armes nucléaires et plusieurs d’entre eux participent
activement à ce processus. Si cet article se concentre sur l’initiative actuelle sur les
conséquences humanitaires, ce serait une erreur de ne pas mentionner les efforts
que les États africains ont fait, en dehors du cadre du processus sur les conséquences
humanitaires, pour exprimer leur position sur le désarmement nucléaire. L’une des
plateformes pour le débat sur le désarmement est la Première Commission sur le
désarmement et la sécurité internationale de l’Assemblée générale des Nations Unies

30 Déclaration de l’ambassadeur et représentant permanent de la République du Zimbabwe, son Excellence


G.T. Mutandiro, à l’occasion de la Conférence de Vienne sur l’impact humanitaire des armes nucléaires,
8-9 décembre 2014. Voir ibid.
31 Patricia Lewis, « The Humanitarian Impact of Nuclear Weapons: A Workshop for Humanitarian
Organizations », Institute for Security Studies and Chatham House London in South Africa workshop,
document non publié en possession de l’auteur, octobre 2013.
32 Noël Stott, « 2014: The Year to Negotiate an International Ban on Nuclear Weapons? », ISS Today,
22 janvier 2014, disponible sur : www.issafrica.org/iss-today/2014-the-year-to-negotiate-an-
international-ban-on-nuclear-weapons.

163
Sarah J. Swart – Une contribution africaine au débat sur les armes nucléaires

(Première commission). La Première commission traite des menaces à la paix qui


pèsent sur la communauté internationale et qui défient la sécurité internationale. Le
Kenya et l’Algérie ont tous les deux saisi l’occasion offerte par le débat général de la
Première commission, lors de sa 69e session en 2014, pour partager leurs positions.
Le Kenya déclara :
Les gens sont en train de se mettre debout. Très bientôt ils diront « c’est assez ».
Chaque citoyen de la communauté mondiale a le droit et le devoir de s’opposer
à l’existence des armes nucléaires. Il va de soi que le débat sur l’abolition des
armes nucléaires constitue logiquement la prochaine étape. Cela ne devrait pas
être source d’inquiétude [traduction CICR]33 .
Pour sa part, l’Algérie releva que « le désarmement nucléaire demeure sa plus haute
priorité et exprim[a] ses vives préoccupations sur le danger que l’existence des armes
nucléaires, leur possible utilisation ou de la menace de leur utilisation, faisaient courir
à l’humanité [traduction CICR]34 ». Les États africains contribuèrent également aux
débats de la Première commission par des déclarations de groupe. Depuis 2012, un
certain nombre d’États ont adhéré à une déclaration conjointe sur les conséquences
humanitaires des armes nucléaires. Alors que celle-ci fut initialement lancée avec
une déclaration faite au nom de seize États exprimant leurs vives préoccupations sur
les conséquences humanitaires catastrophiques des armes nucléaires, la Nouvelle-
Zélande prononça, en 2014, une déclaration conjointe au nom de 150 pays35. Lors
des débats au sein de la Première commission en 2015, l’Afrique du Sud présenta
une résolution intitulée « Ethical Imperatives for a Nuclear-Weapon-Free World »,
qui fut adoptée par 124 votes pour et 35 contre36.
Une autre plateforme pour le débat relatif au désarmement est la Conférence
du désarmement (CD) qui est considérée comme le seul forum de négociations multi-
latéral sur le désarmement. Elle tient trois sessions chaque année et fonctionne avec
un agenda permanent. Le nombre de ses membres est limité à soixante-cinq États,
dont douze États africains : Afrique du Sud, Algérie, Cameroun, Égypte, Éthiopie,

33 Anthony Andanje, représentant permanent adjoint de la République du Kenya aux Nations Unies à
Genève, déclaration lors de la séance plénière de la Première Commission sur le désarmement et la
sécurité internationale, ordre du jour (points 87-104), 69e session de l’Assemblée générale des Nations
Unies sur le désarmement et la sécurité internationale, 13 octobre 2014, disponible sur : https://
unoda-web.s3.amazonaws.com/wp-content/uploads/assets/special/meetings/firstcommittee/69/pdfs/
GD_13_Oct_Kenya.pdf.
34 Sabri Boukadoum, ambassadeur, représentant permanent de l’Algérie, déclaration à l’ONU lors du débat
thématique de la Première commission sur les armes nucléaires, 69e session de l’Assemblée générale
de l’ONU sur le désarmement et la sécurité internationale, 20 octobre 2014, disponible sur : https://
unoda-web.s3.amazonaws.com/wp-content/uploads/assets/special/meetings/firstcommittee/69/pdfs/
TD_NW_21_Oct_Algeria.pdf.
35 « Rejecting Calls for “Wholesale” Approaches to Disarmament, United States Speaker Tells First
Committee Achievable Results Will Not Be Realized Overnight », Couverture médiatique de
l’Assemblée générale de l’ONU, 20 octobre 2014, disponible sur : www.un.org/press/en/2014/gadis3506.
doc.htm.
36 ICAN, « UNGA First Committee Adopts Resolutions Demanding Action on Humanitarian and Ethical
Concerns about Nuclear Weapons », 11 novembre 2015, disponible sur : www.icanw.org/campaign-
news/unga-first-committee-adopts-resolutions-demanding-action-on-humanitarian-and-ethical-
concerns-about-nuclear-weapons/.

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Volume 97 Sélection française 2015 / 3 de la Croix-Rouge

Kenya, Maroc, Nigeria, RDC, Sénégal, Tunisie et Zimbabwe. L’Afrique représente


ainsi moins d’un cinquième des membres de la CD. Conformément à ses règles de
procédures, les États membres de l’ONU ont la possibilité de participer aux travaux de
la CD en qualité d’observateurs et, depuis 2011, les États africains suivants y ont pris
part en tant qu’observateurs : Ghana, Libye, Mauritanie, Mozambique et Soudan37.
La CD a toutefois été critiquée pour ne pas avoir élargi davantage sa composition.
Par le passé, le Ghana et la Libye avaient demandé à en devenir membres, mais
leurs requêtes furent rejetées et la Tanzanie prit le soin d’exprimer sa frustration à
la Première commission de l’ONU :
P]eut-être que la sérénité que ma délégation apporte à ces fora pourrait être un
élément positif au sein de la Conférence sur le désarmement. À cet égard, il est
particulièrement opportun que nous considérions aussi l’élargissement de ce
machin afin de lui donner une apparence plus multilatérale [Traduction CICR]38.
Alors que depuis plusieurs années la CD se trouve dans une impasse en ce qui
concerne son programme d’action 39, il est important de souligner l’intérêt de
l’Afrique à y participer et sa volonté d’y maintenir une représentation.
En outre, en dépit d’une apparente indifférence de la plupart des pays afri-
cains, pour lesquels les questions liées aux armes de destruction massive ne semblent
pas être une priorité, certains pays puissants et vocaux contribuent à la promotion
du désarmement nucléaire, en particulier l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Nigeria et
l’Algérie40. L’Égypte, en sa qualité de chef de file au sein de la Ligue des États arabes
et en tant que membre éloquent tant du Mouvement des Non-alignés (MNA) que
de la « New Agenda Coalition » (NAC), a joué un rôle particulièrement important
dans les discussions sur le désarmement nucléaire41. Cela a en outre permis de faire
émerger une position commune entre le monde arabe et l’Afrique. Bien que le traité
de Pelindaba ait été adopté en Afrique du Sud, la cérémonie de signature a eu lieu
au Caire. Selon l’International Law and Policy Institute, l’Égypte joue également un
rôle majeur pour parvenir à la création d’une zone sans armes de destruction massive
au Moyen-Orient42. Le Nigeria fut fortement impliqué dans le développement d’une
zone sans armes nucléaires en Afrique, puisqu’il était membre du groupe d’experts
chargé de rédiger le Traité de Pelindaba. Le Nigéria est aussi membre du Groupe de
sortie de l’état d’alerte qui, depuis 2007, réclame une réduction du nombre d’armes
nucléaires en état de haute alerte43.

37 H. W. Laursen, op. cit. note 6


38 Ibid.
39 Nuclear Threat Initiative, « Conference on Disarmament (CD), 23 octobre 2015, disponible sur : www.
nti.org/treaties-and-regimes/conference-on-disarmament/.
40 H. W. Laursen, op. cit. note 6.
41 Ibid.
42 Ibid.
43 Georgina te Heuheu, « De-alerting Group General Debate Statement: 2010 Review Conference of the
Parties to the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons, 3-28 May 2010 », in New Zealand
Ministry of Foreign Affairs and Trade, Statements and Speeches 2010, 4 mai 2010, disponible sur :
https://www.mfat.govt.nz/assets/Peace-Rights-and-Security/De-alerting-Group-General-Debate-
Statement-2010-NPT-Review-Conference.pdf.

165
Sarah J. Swart – Une contribution africaine au débat sur les armes nucléaires

En dépit de cet engagement soutenu, la parole africaine est perçue comme


ayant un impact limité. Alors que l’UA, via sa Commission, a réaffirmé son
engagement constant pour parvenir à un monde sans armes nucléaires et qu’en
sa qualité de dépositaire du Traité de Pelindaba, elle appelle les États africains à
être les précurseurs de normes nucléaires internationales, sa participation lors
du processus relatif aux conséquences humanitaires fut limitée44. Les raisons qui
expliquent une participation aussi timide ne sont pas claires, mais pourraient, encore
une fois, être liées à un problème de concurrence des priorités. Alors que plusieurs
États africains ont participé à de multiples conférences de suivi du TNP, la plupart
d’entre eux, à l’exception de l’Afrique du Sud, ne se sont pas vraiment impliqué dans
le mouvement appelant à de nouvelles politiques45. Si la plupart des États africains
ont assisté aux différentes conférences sur les conséquences humanitaires des armes
nucléaires et y ont délivré de précieuses déclarations, il conviendrait d’élaborer
une position continentale mieux coordonnée et mieux ciblée. L’une des raisons de
cette influence limitée pourrait être due à l’absence d’une position commune sur
l’impact des armes nucléaires, laquelle pourrait jouer un rôle important dans les
négociations en cours sur le désarmement nucléaire. Par le passé, l’importance d’une
position africaine coordonnée ou commune fut manifeste. Bien que le projet de
position commune relatif au traité sur le commerce des armes proposé par l’UA
n’ait pas été approuvé avant la négociation finale du TCA, ce document fut un outil
précieux pour harmoniser la voix de l’Afrique. Une position africaine commune sur
le désarmement nucléaire pourrait servir à la fois à renforcer le soutien africain au
processus sur les conséquences humanitaires et à préparer le terrain pour de possibles
négociations sur un traité d’abolition du nucléaire. En effet, dans sa déclaration lors
de la Conférence de Vienne de 2014, le Malawi affirmait que : « nous devons inclure
ceci dans l’agenda des fora politiques au plus haut niveau, afin que nos organisations
multilatérales régionales telles que l’Union africaine soient prêtes pour un processus
de négociation diplomatique menant à un instrument juridiquement contraignant
[traduction CICR]46 ».
Pourtant, en dépit de l’effet incitatif qu’une telle position commune pourrait
avoir, aucun document de la sorte n’a été, jusqu’à présent, élaboré. L’une des raisons
pourrait simplement être que le moment opportun pour une telle position commune
n’est pas encore arrivé. Il est possible que les États africains attendaient de mesurer les
résultats de la Conférence de suivi du TNP de 2015 avant de décider si une telle posi-
tion africaine commune serait utile et significative. Cependant, il n’y a aucun signe
attestant que des actions auraient été menées pour élaborer une position commune
à la suite de l’échec visible de la conférence de suivi. Une deuxième explication, plus
pessimiste, pourrait être une question de priorité : la Commission de l’UA a, sans

44 Noël Stott, « Africa and the Humanitarian Consequences of Nuclear Weapons », ISS Today, 1 mars 2013,
disponible sur : www.issafrica.org/iss-today/africa-and-the-humanitarian-consequences-of-nuclear-
weapons ; Noël Stott, « Nuclear Weapons and their Consequences: The Relevance of International
Humanitarian Law, ISS Today, 24 mai 2012, disponible sur : www.issafrica.org/iss-today/nuclear-
weapons-and-their-consequences-the-relevance-of-international-humanitarian-law.
45 H. W. Laursen, op. cit. note 6.
46 A. Kabisala, op. cit. note 28.

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nul doute, un grand nombre de priorités et le sujet des armes nucléaires ne fait tout
simplement peut-être pas partie de celles-ci. Cependant, la troisième raison, sans
doute la plus probable, est qu’aucun État africain n’a démontré sa volonté de mener
le processus au sein de l’UA. Identifier un interlocuteur référent afin de coordonner
la participation africaine durant les négociations multilatérales est souvent une étape
cruciale et déterminante47. Dans les succès africains précédents sur le désarmement,
il y eut, le plus souvent un État qui défendait la cause et qui dirigeait la réponse
africaine. La Zambie joua ce rôle lors de l’élaboration de la Convention sur les
armes à sous-munitions48 et le Nigeria a probablement joué un rôle similaire lors
des négociations plus récentes du TCA49. Le rôle d’un État défenseur de la cause
pourrait consister à présenter le sujet à l’occasion d’un sommet de l’UA, à élaborer
les principales dispositions d’une position commune à partager avec la Commission
de l’UA, ou à accueillir des rencontres d’experts régionaux et sous-régionaux en
préparation de négociations multilatérales.
Aussi, certaines questions se posent : quel État africain serait le mieux placé
pour jouer un tel rôle ? Quel État africain a démontré son soutien diplomatique et
financier pour les affaires multilatérales et les négociations africaines, a souligné
que le désarmement nucléaire est en adéquation avec ses aspirations de politique
étrangère et dispose d’une expérience dans l’introduction de discussions thématiques
au niveau continental ? Compte tenu de tous ces éléments, l’attention se tourne
inévitablement vers l’Afrique du Sud.

Attentes de l’Afrique du Sud

Nous devons poser la question, qui peut sembler naïve à ceux qui ont développé
des arguments sophistiqués pour justifier leur refus d’éliminer ces armes de
destruction massive terribles et terrifiantes : pourquoi en ont-ils besoin de toute
façon ! [Traduction CICR]50
Nelson Mandela, 21 septembre 1998
Nous avons préalablement observé que si on peut attendre de l’Afrique qu’elle
s’implique davantage sur ce sujet, le candidat le plus influent pour jouer un rôle

47 S. N. Mweemba, op. cit. note 4.


48 En 2008, la Zambie accueillit une conférence continentale en vue d’élaborer une déclaration commune
dans la perspective de futures négociations d’un traité. Borrie considère le bloc africain comme un
groupe fort lors des négociations de Dublin grâce à la coordination de ces pays par la Zambie ainsi
qu’à leur unité à la suite de la conférence continentale de 2008. Voir John Borrie, Unacceptable
Harm: A History of How the Treaty to Ban Cluster Munitions Was Won, United Nations Institute for
Disarmament Research (UNIDIR), New York et Genève, 2009, p. 258.
49 Le Nigeria fut salué pour avoir coordonné le groupe africain lors du processus de négociation du traité
ainsi que pour avoir été le premier pays africain à ratifier le traité. Voir « Nigeria Becomes First African
Country to Ratify Arms Trade Treaty », Premium Times, 13 août 2013, disponible sur : http://www.
premiumtimesng.com/news/142705-nigeria-becomes-first-african-country-to-ratify-arms-trade-
treaty.html.
50 Cité par ICAN, « Celebrating 20 years of South African Democracy and Nuclear Disarmament: South
Africa Considers Follow-Up to the Vienna Conference », 20 mai 2014, disponible sur : www.icanw.org/
campaign-news/south-africa-considers-follow-up-to-the-vienna-conference/.

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Sarah J. Swart – Une contribution africaine au débat sur les armes nucléaires

de leader est probablement l’Afrique du Sud. Les raisons de cette affirmation sont
nombreuses et relativement évidentes. Premièrement, l’Afrique du Sud demeure le
seul pays à avoir volontairement renoncé à son statut de puissance nucléaire51. Selon
l’ancien président de l’Afrique du Sud, F. W. De Klerk, « l’Afrique du Sud a démontré
que la sécurité à long terme peut être assurée de bien meilleure façon par l’abolition
des armes nucléaires que par leur conservation. [...] La communauté internationale
doit prendre des mesures concrètes pour contrôler, et in fine éliminer, les armes
nucléaires [traduction CICR]52 ». Deuxièmement, l’Afrique du Sud fait partie de la
zone continentale sans armes nucléaires et a vivement encouragé à son adhésion,
ce qui lui donne un motif légitime d’appeler à un désarmement nucléaire mondial.
Troisièmement, l’Afrique du Sud est un acteur clé et dispose d’une voix forte tant au
niveau sous-régional que continental. En effet, en raison de sa position unique, mais
aussi de son rôle reconnu de chef de file, « l’Afrique du Sud a l’opportunité d’orienter
de manière positive la direction de l’industrie nucléaire ainsi que le régime mondial
de non-prolifération. Elle devrait la saisir [traduction CICR]53 ».
Cependant, ce n’est pas seulement le rôle que l’Afrique du Sud peut jouer
en qualité de leader qui la pousse sous les projecteurs, mais c’est aussi son rôle de
rassembleur :
Prenant appui sur une histoire nucléaire peu commune, tirant parti d’une
industrie nucléaire locale innovante et de liens forts avec d’autres pays straté-
giques, l’Afrique du Sud apparaît comme une passerelle cruciale entre les pays
développés et les pays en développement sur les questions nucléaires. Le franc
soutien de l’Afrique du Sud au droit de « tous » (sic) les pays à développer des
technologies nucléaires à des fins pacifiques, ainsi que son intérêt renouvelé
pour le développement de son propre cycle de combustible nucléaire, la place au
centre du débat sur la non-prolifération. Du même coup, sa réputation de seul
pays à avoir développé son propre programme d’armes nucléaires pour ensuite
y renoncer, lui a permis de mettre au défi les pays détenteurs de l’arme nucléaire
de respecter leurs engagements inscrits dans le traité sur la non-prolifération
[Traduction CICR]54.
Reste à savoir si l’Afrique du Sud tirera profit, ou pas, de sa position unique. Cette
partie tente d’examiner les raisons mentionnées précédemment, pour lesquelles il
est attendu beaucoup de ce pays et de déterminer si ces attentes sont réalistes.

51 Alors que certains autres États ont démantelé leurs programmes nucléaires, l’Afrique du Sud demeure le
seul État à avoir volontairement démantelé l’entièreté de son arsenal nucléaire. Pour plus d’information
sur le processus de démantèlement en Afrique du Sud, voir Nic von Wielligh, The Bomb: South Africa’s
Nuclear Weapons Programme, Litera Publications, Pretoria, 2015.
52 S. J. Swart, op. cit. note 2, p. 22.
53 Jack Boureston et Jennifer Lacey, « Shoring Up a Crucial Bridge: South Africa’s Pressing Nuclear
Choices », Arms Control Today, 1 janvier 2007, disponible sur : www.armscontrol.org/print/2293.
54 Ibid.

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Le démantèlement du programme d’armes nucléaires à l’époque


de l’apartheid

Bien que l’Afrique du Sud ait longtemps été soupçonnée d’avoir développé un arsenal
nucléaire, ce n’est qu’avec l’annonce de l’ancien président F.W. De Klerk, le 24 mars
1994, lors d’une séance mixte extraordinaire du Parlement, que ces craintes furent
confirmées. De Klerk admit alors que l’Afrique du Sud avait mis au point six dispo-
sitifs à fission nucléaire et qu’un autre était en cours d’élaboration, mais il déclara
qu’au début des années 1990, la décision avait finalement été prise, de détruire ces
armes. Selon Adams, cette annonce « stupéfia le monde55 ». L’Afrique du Sud devint
le premier pays au monde à démanteler volontairement son programme d’armement
nucléaire et à détruire ses armes nucléaires56. Par la même occasion, elle fournit à la
communauté internationale un manuel expliquant étape par étape comment réussir
le désarmement nucléaire. Il est utile d’examiner rapidement les raisons ayant motivé
ce programme, ainsi que la stratégie nucléaire adoptée par le régime d’apartheid,
afin de mieux comprendre les raisons de ce démantèlement57.
Le programme nucléaire sud-africain débuta avec la découverte de gisements
d’uranium dans le pays dans les années 1940 et atteignit son apogée à la fin des années
1980 avec le développement de six dispositifs nucléaires et suffisamment d’uranium
enrichi pour en produire un septième. L’ancien président De Klerk a fortement insisté
sur le fait que le régime d’apartheid n’avait jamais eu l’intention de faire exploser
ces dispositifs et qu’il avait toujours vu son arsenal nucléaire comme ayant une
valeur strictement dissuasive58. Cela s’explique en partie par la pression que subissait
le régime à l’époque, en particulier l’instabilité en Angola et au Mozambique, la
présence de forces cubaines dans la région, la menace d’une « révolte noire » et,
selon De Klerk, « l’isolement international croissant de l’Afrique du Sud et le fait
qu’elle n’aurait pas pu compter sur une aide extérieure en cas d’attaque [traduction
CICR]59 ». La stratégie nucléaire de l’Afrique du Sud semble confirmer les affirmations
de De Klerck. Albright souligne que la stratégie nucléaire du pays s’est déclinée en
trois phases : d’abord entretenir une incertitude stratégique à l’égard de l’arsenal
nucléaire du pays ; ensuite, si nécessaire, reconnaitre secrètement l’existence de son
propre programme nucléaire auprès de certaines puissances occidentales dans le
but de les forcer à intervenir ; et finalement, démontrer sa puissance nucléaire par
une annonce publique ou même par un essai60. Cette stratégie, conjuguée avec le

55 Isaac Adams, « Limited Capability: A History and Review of South Africa’s Nuclear Weapons
Programme », The Monitor: Journal of International Studies, vol. 8, n° 1, 2001.
56 Il convient de rappeler que d’autres pays ont abandonné leur programme d’armes nucléaires, mais à
l’instar de l’Afrique du Sud, ils l’ont fait avant d’avoir développé un potentiel d’armes nucléaires. Ce
sont l’Argentine et la Corée du Sud. Voir David Albright, « South Africa’s Nuclear Weapons Program »,
Institute for Science and International Security, 14 mars 2001, disponible sur : http://web.mit.edu/SSP/
seminars/wed_archives01spring/albright.htm.
57 Ibid.
58 I. Adams, op. cit. note 55.
59 F. W. De Klerk « South Africa, the Nation that Gave Up Its Nukes », Los Angeles Times, 22 décembre
2013, disponible sur : www.latimes.com/opinion/op-ed/la-oe-deklerk-south-africa-nukes-20131222-
story.html.
60 D. Albright, op. cit. note 56.

169
Sarah J. Swart – Une contribution africaine au débat sur les armes nucléaires

nombre limité de dispositifs nucléaires dans son arsenal, semble montrer que le
programme d’armes nucléaires de l’Afrique du Sud fut élaboré dans un réel objectif
de dissuasion. Quelle que fut la véritable finalité du programme d’armement nucléaire
sous le régime d’apartheid, la position actuelle du gouvernement sud-africain est que
la détention d’armes nucléaires ne conférera à aucun État une plus grande sécurité ;
que les armes nucléaires représentent un risque pour l’humanité ; et que la dissuasion
n’est pas une raison suffisante pour fabriquer des armes nucléaires61. Il s’agit là d’une
position partagée par de nombreux États de par le monde.
Tout comme plusieurs raisons avaient été avancées pour expliquer pourquoi
l’Afrique du Sud avait établi un programme d’armes nucléaires, plusieurs raisons
expliquèrent le démantèlement de ce programme. Parmi celles-ci, on peut mentionner
le départ des forces cubaines d’Angola, l’indépendance de la Namibie, le déclin de
l’Union soviétique et le désir exprimé par le pays de recouvrer un certain rang sur la
scène internationale62. Adams ajoute que les menaces sud-africaines de procéder à
des essais de ses armes nucléaires étaient insignifiantes, dans la mesure où des essais
nucléaires auraient tendu davantage encore ses relations avec les États-Unis et que
la perspective qu’un gouvernement noir puisse, dans le futur, avoir accès à l’arme
nucléaire constituaient des motifs suffisants pour démanteler le programme63. Encore
une fois, il est important de noter qu’en dépit de toutes les raisons en faveur du désar-
mement et malgré les critiques contre le régime d’apartheid qui aurait agi ainsi pour
ses propres intérêts, le fait demeure que le gouvernement sud-africain a bien choisi de
démanteler son programme, qu’il a bien adhéré au régime du TNP, qu’il a bien permis
à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) un accès sans précédent à
des fins de vérifications et qu’il continue d’appeler à la non-prolifération nucléaire
et au désarmement. Indépendamment des motifs qui l’ont conduit à démanteler son
programme, le gouvernement d’Afrique du Sud considère son pays comme plus sûr
aujourd’hui qu’à l’époque où il détenait l’arme nucléaire. L’engagement robuste du
gouvernement actuel d’Afrique du Sud pour le désarmement nucléaire illustre bien
sa conviction que la détention d’armes nucléaires conduit un État à être une menace
à la paix et à la sécurité internationales et non un citoyen du monde responsable64.
Même si l’Afrique du Sud possède toujours suffisamment d’uranium enrichi pour
fabriquer des armes nucléaires, le pays n’est pas revenu sur sa décision de procéder
au démantèlement. Van Wyk avance que ceci démontre l’ambition plus générale de
l’Afrique du Sud de se placer en haut défenseur de la morale et ce, tout spécialement
dans le domaine du désarmement nucléaire65.
Il est intéressant de souligner la déclaration de l’Afrique du Sud lors de la
Conférence de Vienne, dans laquelle elle a lié le démantèlement de son programme

61 Voir, par exemple, « Media Statement by Deputy Minister Ebrahim on International Relations Issues »,
9 avril 2013, disponible sur : http://www.dfa.gov.za/docs/speeches/2013/ebra0409.html.
62 D. Albright, op. cit. note 56.
63 I. Adams, op. cit. note 55
64 Ambassadeur Abdul Samad Minty, Représentant permanent de la République d’Afrique du Sud à la
Conférence sur le désarmement, déclaration, 1er septembre 2001, disponible sur : www.dfa.gov.za/docs/
speeches/2011/mint0901.html.
65 Jo-Ansie van Wyk, « South Africa’s Nuclear Diplomacy since the Termination of the Nuclear Weapons
Programme », South African Journal of Military Studies, vol. 42, n° 1, 2014, p. 84.

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d’armes nucléaires avec la responsabilité morale à laquelle elle doit désormais se


conformer :
En tant que seul pays à avoir développé puis ensuite volontairement détruit ses
armes nucléaires, l’Afrique du Sud a toujours mis les impératifs humanitaires
au cœur de son action. Notre position a été façonnée et a évolué grâce à notre
expérience de la lutte de l’Afrique du Sud pour la liberté. Nous connaissons tous
trop bien les ravages causés par les essais nucléaires réalisés à l’intérieur et à
proximité du continent africain et le danger permanent représenté par les armes
nucléaires du régime de l’apartheid, qui a grandement menacé nos vies et celles
de nos voisins. Nous avons pris note des appels de certains États pour des mesures
concrètes et réalistes ; pourtant, par nos propres actions, nous avons montré ce
qui peut et doit être effectivement fait. Aussi, nous n’avons pas seulement une
obligation juridique, mais également une responsabilité morale de contribuer à
l’initiative humanitaire [traduction CICR]66.

Le Traité de Pelindaba

Le Traité sur la zone exempte d’armes nucléaires en Afrique de 1996, mieux connu sous
le nom de Traité de Pelindaba, interdit aux États africains de mettre au point, fabri-
quer, stocker, ou acquérir, posséder ou exercer un contrôle sur tout dispositif explosif
nucléaire. Le Traité, qui fut adopté en juin 1995 lors de la 31e session ordinaire de
l’Organisation de l’unité africaine (OUA), est assorti de deux protocoles à l’attention des
cinq États dotés de l’arme nucléaire, lesquels exigent que ceux-ci s’engagent à respecter
le statut de la zone, à ne pas utiliser ou menacer d’utiliser des armes nucléaires contre
quelque pays africain que ce soit. Le Traité de Pelindaba est entré en vigueur en 2009
et, à ce jour, avec la récente ratification de l’Angola en juin 2014, 40 États l’ont ratifié
ou y ont adhéré67. La zone continentale exempte d’armes nucléaires créée par le Traité
de Pelindaba rejoint ainsi d’autres zones exemptes d’armes nucléaires analogues qui
furent précédemment instaurées dans le Pacifique Sud, en Asie centrale, en Amérique
latine, en Asie du Sud-est et dans les Caraïbes68. Selon Stott :
le traité [...] joue un rôle important dans la prévention de la prolifération nucléaire,
en réduisant le rôle des armes nucléaires dans une région, en garantissant que
l’arme nucléaire ne sera pas utilisée contre des États de la région et en établissant
des mécanismes de coopération pour la sécurité qui aideront à la réalisation d’un
monde exempt d’armes nucléaire [traduction CICR]69.

66 Déclaration de l’Afrique du Sud lors de la Troisième conférence internationale sur l’impact humanitaire
des armes nucléaires, Vienne, 9 décembre 2014, disponible sur : www.bmeia.gv.at/fileadmin/user_upload/
Zentrale/Aussenpolitik/Abruestung/HINW14/Statements/HINW14_Statement_South_Africa.pdf.
67 Union Africaine, « List of Countries which Have Signed, Ratified/Acceded to the African Nuclear-Weapon-
Free Zone Treaty (The Treaty of Pelindaba) », 28 janvier 2014, disponible sur : www.au.int/en/treaties/.
68 Bureau des affaires de désarmement des Nations Unies, « Nuclear-Weapon-Free-Zones », disponible
sur : http://www.un.org/disarmament/WMD/Nuclear/NWFZ.shtml.
69 Noël Stott, « Nuclear Weapons: The Treaty of Pelindaba and Current Debates », non publié en possession
de l’auteur, 16 août 2012.

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Sarah J. Swart – Une contribution africaine au débat sur les armes nucléaires

Stott défend l’idée que le Traité de Pelindaba renforce les objectifs du TNP et qu’il
s’agit d’une initiative africaine importante, conduite par et pour les Africains70.
Si l’adoption du Traité de Pelindaba est un succès dont l’Afrique peut être
fière, il est important de rappeler que la position de l’Afrique du Sud a retardé
l’élaboration du Traité pendant plusieurs années. En 1961, l’Assemblée générale de
l’ONU a adopté une résolution qui appelait à une zone africaine exempte d’armes
nucléaires, mais ce n’est qu’en 1991, l’année même où l’Afrique du Sud a rejoint le
TNP, que l’OUA (aujourd’hui l’Union africaine) a créé un groupe conjoint d’experts
chargé de travailler à l’élaboration d’un traité. Certains disent que l’Afrique du Sud
a « pour ainsi dire retenu le continent en otage jusqu’en 1991 [traduction CICR]71 ».
D’un autre côté, on peut penser que la décision de l’Afrique du Sud de renoncer à
son programme d’armes nucléaires et de le démanteler complètement peut être vue
comme ayant été un réel catalyseur dans les négociations du Traité de Pelindaba : avec
sa décision de démanteler son programme, l’Afrique du Sud démontra qu’une zone
exempte d’armes nucléaires en Afrique pouvait effectivement exister. Selon Adenji :
« une fois la Guerre froide terminée et après avoir constaté que le gouvernement sud-
africain avait commencé à démanteler le régime d’apartheid et qu’il adhérait au TNP,
il fut alors possible d’aller de l’avant avec la dénucléarisation de l’Afrique [traduction
CICR]72 ». Le soutien de l’Afrique du Sud à l’élaboration du Traité de Pelindaba
est devenu clair dans les années qui suivirent : le Traité fut finalement adopté à
Pelindaba, près de Pretoria, là où était alors installé le site de l’agence sud-africaine de
l’énergie atomique (Atomic Energy Corporation of South Africa), symbolisant ainsi
un changement clair dans la politique intérieure de l’Afrique du Sud et marquant
aussi son soutien à une position africaine robuste sur le désarmement nucléaire.
Depuis l’adoption du Traité de Pelindaba, l’Afrique du Sud a continué de
montrer l’intérêt qu’elle accorde à une zone exempte d’armes nucléaires en Afrique.
Tout d’abord, lors de la première conférence des parties en 2010, l’Afrique du Sud fut
désignée comme hôte de la Commission africaine de l’énergie nucléaire (CAEN),
un organe prévu par les dispositions du Traité73. La CAEN fonctionne comme un
mécanisme de contrôle et est chargée de veiller à la mise en œuvre du Traité sur le
continent. Deuxièmement, un Sud-Africain éminent et expérimenté, l’ambassadeur
Minty, fut l’un des premiers commissaires de la CAEN à être nommé et il en fut
le premier président. L’élection de l’ambassadeur Minty illustre non seulement le
succès des efforts diplomatiques de l’Afrique du Sud au niveau continental, mais
démontre aussi un véritable engagement du gouvernement sud-africain en faveur

70 Noël Stott, « Le traité de Pelindaba : vers une application intégrale du Traité sur une zone exempte
d’armes nucléaires en Afrique », ISS Guide, 2011, disponible sur : https://bibliomines.org/wp-content/
uploads/pdf-art3092.pdf.
71 Jo-Ansie van Wyk, « No Nukes in Africa: South Africa, the Denuclearisation of Africa and the Pelindaba
Treaty », Historia, Vol. 57, n° 2, 2012.
72 Oluyemi Adeniji, The Treaty of Pelindaba on the African Nuclear Weapons-Free Zone, UNIDIR/2002/16,
UNIDIR, 2002.
73 African Nuclear-Weapon-Free-Zone (ANWFZ) Treaty (Traité de Pelindaba), 20 octobre 2015 (entré en
vigueur le 15 juillet 2009), disponible sur : www.nti.org/treaties-and-regimes/african-nuclear-weapon-
free-zone-anwfz-treaty-pelindaba-treaty/. Pour une version en français de ce traité, voir rapport du
GRIP 2009/3, pp. 26-30 : http://archive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2009/2009-3.pdf.

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de la progression du désarmement nucléaire et de la mise en œuvre du Traité de


Pelindaba. Troisièmement, la société civile sud-africaine a emboîté le pas des actions
gouvernementales pour promouvoir ce traité : des groupes de réflexion tels que
l’ISS ont résolument encouragé l’adhésion de l’Afrique au Traité par l’organisation
d’événements ainsi qu’en apportant des avis d’experts et en proposant des séances
de sensibilisation à l’intention des gouvernements africains74.
Alors que la politique d’apartheid a empêché le pays de soutenir les premières
initiatives visant à élaborer un traité qui assurerait une zone continentale exempte
d’armes nucléaires, les efforts diplomatiques et financiers de l’Afrique du Sud pour
promouvoir et mettre en œuvre le Traité de Pelindaba depuis son accession à un
nouveau régime politique, ont révélé un intérêt réel et puissant en faveur du désar-
mement nucléaire.

La position de l’Afrique du Sud sur le contrôle des armements

L’Afrique du Sud a souvent démontré sa volonté de prendre position en faveur du


désarmement nucléaire, tant au niveau national qu’international. Au niveau national,
l’Afrique du Sud a reconnu la nécessité d’interdire les armes nucléaires en adoptant la
Non-Proliferation of Weapons of Mass Destruction Act, une loi qui instaure un régime
de contrôle pour les armes de destruction massive, y compris les armes nucléaires.
La loi crée aussi le South African Council for the Non-Proliferation of Weapons of
Mass Destruction, un organe qui contrôle et qui gère les questions relatives à la
prolifération des armes de destruction massive75. C’est sur le fondement de cette loi
que des poursuites furent engagées en 2007 contre un ingénieur allemand établi en
Afrique du Sud, pour sa participation à un marché noir mondial de technologies
des armes nucléaires76. Selon les faits de l’espèce, l’ingénieur Gerhard Wisser a pris
part aux activités de l’infâme réseau d’Abdul Qadeer Khan, impliqué dans le partage
irresponsable de technologies nucléaires. L’ambassadeur Minty, alors envoyé spécial
de l’Afrique du Sud auprès de l’AIEA, se félicita de la condamnation de Wisser et
souligna que ces poursuites engagées au plan interne étaient essentielles afin d’éra-
diquer le commerce illicite de technologies nucléaires77.
Au niveau international, l’Afrique du Sud exprime fréquemment son plein et
entier soutien pour le désarmement nucléaire. Les préoccupations et la déception de
l’Afrique du Sud face au manque de travaux de fond et à l’absence d’un accord sur un
programme d’action au sein de la CD78, tout comme ses positions claires sur le fait

74 Voir, par exemple, N. Stott, op. cit. note 70.


75 Non-Proliferation of Weapons of Mass Destruction Act n° 87, 1993, disponible sur : www.thedti.gov.za/
nonproliferation/legislation.htm.
76 Voir South Africa Transvaal Provincial Division, The State v. Daniel Geiges and Gerhard Wisser, Case
n° CC332/2005, Indictment, juillet 2006, disponible sur : www.isis-online.org/peddlingperil/southafrica.
77 South African Government, «A Minty Welcomes Conviction of G Wisser », communiqué de presse,
5 septembre 2007, disponible sur : www.gov.za/minty-welcomes-conviction-g-wisser.
78 Office des NU à Genève, « Conference on Disarmament Considers Issues relating to Rules of Procedure:
Considers Proposal on Civil Society Participation », 4 février 2015, disponible sur : www.unog.
ch/80256EDD006B9C2E/%28http://NewsByYear_en%29/2B4FCBBF5CCFE069C1257DE2006163C4?
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que les armes nucléaires sont source d’insécurité plutôt que de sécurité79, illustrent
ce soutien. Lorsqu’en 2014, la République populaire démocratique de Corée a procédé
à un essai nucléaire, l’Afrique du Sud a riposté en qualifiant l’essai de menace à la
paix, à la stabilité et à la sécurité80. Les déclarations de l’Afrique du Sud à l’échelle
internationale sont cohérentes avec la position nationale forte du pays, qu’il s’agisse
de discours internes comme de déclarations au sein d’entités comme le MNA ou le
groupe des six États de la NAC. L’Afrique du Sud a également fait des déclarations
fermes dans le cadre du processus sur les conséquences humanitaires comme lors
de la plus récente conférence, à Vienne, où l’Afrique du Sud souligna :
la seule façon de garantir la sécurité que nous recherchons passe par l’élimination
totale des armes nucléaires et par leur interdiction. C’est en effet une anomalie
que les armes nucléaires restent les seules armes de destruction massive qui
n’ont toujours pas fait l’objet d’une interdiction complète au niveau mondial.
L’Afrique du Sud est convaincue que des conférences comme celles-ci offrent à
la communauté internationale une plateforme inclusive et qu’elles contribueront
à l’élaboration de normes plus hautes contre les armes nucléaires [traduction
CICR]81.
Il est également important de souligner que la politique étrangère de l’Afrique du Sud
repose sur la diplomatie d’Ubuntu. Ubuntu reprend le concept d’humanité et renvoie
à l’idée que nous affirmons notre humanité lorsque nous affirmons l’humanité des
autres82 . L’Afrique du Sud perçoit l’interconnexion et l’interdépendance comme
des aspects importants de sa diplomatie et aspire à se comporter en modèle pour la
collaboration, la coopération et le partenariat, plutôt qu’en générateur de conflits.
Cet intérêt et cet engagement en faveur du progrès des questions multilatérales se
manifestent par le fait que l’Afrique du Sud accueille sur son territoire un grand
nombre d’organes multilatéraux – à savoir le Nouveau partenariat pour le dévelop-
pement de l’Afrique, le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs, la CAEN et le
Parlement panafricain, ou encore par la nomination de Nkosazana Dlamini-Zuma
comme présidente de la Commission de l’UA83 ou, plus récemment, la nomination
de Dumisani Dladla comme directrice par intérim du secrétariat du TCA84. C’est
dans le cadre de ces ambitions en matière de politique étrangère que s’enracine
l’engagement de l’Afrique du Sud pour le désarmement, la non-prolifération et le

79 Déclaration de l’Afrique du Sud lors de la plénière thématique sur les armes nucléaires, 69e session
de l’Assemblée générale de l’ONU sur le désarmement et la sécurité internationale, 20 octobre 2014,
voir : https://unoda-web.s3-accelerate.amazonaws.com/wp-content/uploads/assets/special/meetings/
firstcommittee/69/pdfs/TD_NW_20_Oct_SouthAfrica.pdf.
80 « SA, Russia Condemn DPRK Nuclear Test », South African Government News Agency, 12 février 2013,
disponible sur : https://www.news24.com/SouthAfrica/Politics/SA-condemns-North-Korea-nuclear-
test-20130212?cpid=1.
81 Déclaration de l’Afrique du Sud, op. cit. note 66.
82 « 2011 White Paper on South Africa’s Foreign Policy », op. cit. note 1.
83 Elissa Jobson, « African Union chooses first female leader », The Guardian, 16 juillet 2012, disponible
sur : http://www.theguardian.com/world/2012/jul/16/african-union-first-female-leader.
84 Jefferson Morley, « ATT Parties Hold First Conference », Arms Control Today, 3 septembre 2015,
disponible sur : https://www.armscontrol.org/ACT/2015_09/News/ATT-Parties-Hold-First-Conference.

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contrôle des armes, tout comme son soutien constant pour une Afrique exempte
d’armes nucléaires85.

Des attentes fondées

Compte tenu de ce qui précède, il est compréhensible qu’il y ait des attentes à
l’égard de l’Afrique du Sud afin qu’elle renforce son rôle de leader sur les questions
de désarmement nucléaire. Par le passé, l’Afrique du Sud ne s’est jamais opposée à
jouer un tel rôle : avant la réunion de la commission préparatoire du TNP de 2013,
l’Afrique du Sud a invité toutes les parties au traité à soutenir une déclaration de deux
pages exprimant de profondes préoccupations sur les conséquences humanitaires
catastrophiques des armes nucléaires. 80 États ont soutenu la déclaration coordonnée
et conduite par l’Afrique du Sud. Si l’Australie n’a pas soutenu la déclaration, un
câble diplomatique envoyé par la Mission permanente australienne à Genève à des
représentants officiels à Canberra relevait que « l’Afrique du Sud a travaillé de bonne
foi ici [pour rédiger une déclaration qui serait acceptable pour un grand nombre
d’États] et nous considérons que si ce n’est la référence à la résolution du Conseil des
délégués du CICR de 2011[sic] […], nous pourrions recommander de nous y joindre
[traduction CICR]86 ». Il semble que l’Afrique du Sud avait intentionnellement choisi
des mots propres à obtenir un large soutien à la déclaration et même un pays qui
décidait de ne pas appuyer la déclaration reconnaissait le rôle que l’Afrique du Sud
avait joué afin de recueillir ces soutiens. Ce n’est cependant pas uniquement par
la coordination de déclarations que l’Afrique du Sud a démontré sa volonté de se
positionner comme un État leader au sein de l’arène nucléaire mondiale ; même la
récente campagne en faveur de l’élection de l’Ambassadeur Minty comme directeur
général de l’AIEA, l’a également montré87. Sa nomination illustre le respect que
le gouvernement sud-africain éprouve pour l’AIEA, tout comme elle montre son
engagement à contribuer à l’objectif de l’AIEA de ne promouvoir que l’utilisation
pacifique des matières nucléaires.
L’Afrique du Sud se retrouve également à tenir un rôle délicat, mais potentiel-
lement puissant, de passerelle capable de rapprocher Nord et le Sud, de représenter
le nombre croissant d’États de « puissance moyenne » et d’interagir à la fois avec
des États détenteurs de l’arme nucléaire et des membres de zones exemptes d’armes
nucléaires. Sur certains aspects, l’Afrique du Sud a déjà joué ce rôle. Par exemple, elle
a été acclamée pour ses « efforts diplomatiques ayant permis de sortir de certaines
impasses lors de la Conférence de suivi du TNP de 1995 [traduction CICR] », à
laquelle elle participait pour la première fois en tant qu’État partie. L’appartenance de
l’Afrique du Sud au groupe du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud),
au MNA et au NAC lui offre très certainement l’assise nécessaire pour s’engager dans
la voie de la médiation et pour jouer un rôle de passerelle. Par exemple, les liens forts

85 « 2011 White Paper on South Africa’s Foreign Policy », op. cit. note 1.
86 Tim Wright, « Australia’s Opposition to a Ban on Nuclear Weapons », ICAN Briefing Paper, 28 août
2013.
87 J. A. van Wyk, op. cit. note 65, p. 95.

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tissés entre l’Afrique du Sud et l’Inde dans le cadre du BRICS, ont permis à ces deux
pays d’acquérir un pouvoir considérable dans les débats portant sur les questions
liées au nucléaire, en tant que membres du Conseil des Gouverneurs de l’AIEA88.
Compte tenu de l’importance de ce débat pour l’Afrique du Sud et des preuves
attestant de l’ambition de ce pays à se tailler une place dans les progrès en vue du
désarmement nucléaire, il semble n’y avoir aucun obstacle à ce que l’Afrique du Sud
joue un rôle de leader plus grand encore dans le futur. Dans sa déclaration lors de la
Conférence de Vienne, l’Afrique du Sud a indiqué qu’elle « était en train d’examiner
certaines possibilités, y compris [son] rôle dans toutes les activités et les réunions de
suivi [traduction CICR]89 ». Lors d’un événement en marge de la conférence d’Oslo
en Norvège, les 12 et 13 mai 2014, la directrice en chef du ministère sud-africain des
relations internationales et de la coopération, Mme Titi Molaba, ministre conseiller
à la mission permanente de l’Afrique du Sud à l’ONU, déclara que l’Afrique du Sud
« examinait la possibilité d’accueillir une quatrième conférence [traduction CICR] »
pour effectuer un suivi de la Conférence de Vienne sur l’impact humanitaire des
armes nucléaires90. Avec des déclarations comme celle-ci, les attentes visant à ce que
l’Afrique du Sud endosse rapidement un rôle de tout premier plan sur le continent,
ne peuvent qu’être grandes.

Conclusion

L’archevêque Desmond Tutu a appelé à l’abolition des armes nucléaires prenant appui
sur « un raz-de-marée irrépressible d’opposition populaire nationale […] et une
pression intense et soutenue de la part de la communauté internationale [traduction
CICR]91 ». Compte tenu d’un espace accru, des succès passés et d’un environnement
favorable, l’Afrique offre le cadre idéal pour que l’appel de Tutu soit entendu92. Tel
que démontré ci-dessus, les efforts passés en vue du désarmement ont démontré que
l’impact de l’engagement africain est plus fort lorsqu’il est mené par un État ou par un
groupe d’États. Dans le cadre du désarmement nucléaire, l’Afrique du Sud se présente
elle-même comme un choix logique pour exercer un tel leadership. Non seulement
l’Afrique du Sud est le seul État à avoir démantelé son programme d’armement
nucléaire de son plein gré, surtout à une époque où la sécurité était instable, mais,
depuis, elle a fait plusieurs déclarations robustes en faveur du désarmement nucléaire
mondial et de la non-prolifération. L’Afrique du Sud s’est positionnée elle-même en
tant qu’autorité morale sur le sujet et nombreux sont ceux à la considérer comme
l’État le plus idéalement placé pour diriger les initiatives africaines dans la perspective
d’un désarmement nucléaire complet. Jusqu’à présent l’Afrique du Sud semble encou-
rager le continent grâce aux fora multilatéraux africains existants, comme par son
implication directe, dans les limites imposées par le processus diplomatique. Savoir

88 J. Boureston and J. Lacey, op. cit. note 53.


89 Déclaration de l’Afrique du Sud, op. cit. note 50.
90 ICAN, op. cit. note 50.
91 S. N. Mweemba, op. cit. note 4, p. 4.
92 Ibid., p. 2.

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si l’Afrique du Sud jouera un rôle plus actif et ostensible dans le futur reste à vérifier,
mais si le pays annonçait son intention d’accueillir une conférence internationale ou
à l’échelle du continent, cela constituerait une étape évidente vers une position de
leader plus affirmée sur les questions liées aux conséquences humanitaires des armes
nucléaires. Sans leadership d’un État ou d’un groupe d’États africains, les intérêts et
les préoccupations exprimés jusqu’à présent par le continent africain pourraient se
résumer à peu de choses. Espérons que l’Afrique du Sud assumera la position dans
laquelle elle se trouve afin d’aider à faire progresser l’appel africain pour un monde
sans armes nucléaires.

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