Grauwin 2015

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 4

Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique 101 (2015) 84–87

Disponible en ligne sur

ScienceDirect
www.sciencedirect.com

Techniques opératoires

Double transfert tendineux pour pied tombant夽


Double tendon transfer for correction of drop-foot
M.Y. Grauwin a,∗ , G. Wavreille a,b , C. Fontaine a,b
a
Service d’orthopédie B, Clinique d’orthopédie, pôle des neurosciences et de l’appareil locomoteur, CHRU de Lille, hôpital Roger-Salengro, rue du
Professeur-Emile-Laine, 59037 Lille cedex, France
b
Institut d’anatomie, Faculté de médecine Henri-Warembourg, université de Lille 2, PRES Lille–Nord de France, 59045 Lille cedex, France

i n f o a r t i c l e r é s u m é

Historique de l’article : De nombreuses affections sont responsables d’un pied tombant, qui gêne considérablement la marche, le
Accepté le 6 décembre 2014 pied butant facilement sur un obstacle, ou le genou devant être plus fléchi que normalement au cours de la
phase oscillante du pas, notamment lors de la montée des escaliers. Plusieurs techniques ont été décrites
Mots clés : afin d’y remédier, faisant appel à des gestes osseux ou à des transferts tendineux, plus ou moins à fixation
Pied tombant osseuse. Les auteurs décrivent une technique simple, très pratiquée en zone d’endémie lépreuse, et qui
Transfert tendineux donne des résultats durables ; elle fait appel à un double transfert tendineux à travers la membrane
interosseuse crurale, utilisant le tibial postérieur et le long fléchisseur des orteils qui sont suturés en
amont du rétinaculum des extenseurs, respectivement au tibial antérieur et aux longs extenseurs de
l’hallux et des orteils.
© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

1. Introduction chirurgiens qui en ont eu l’expérience au fil du temps, expérience


acquise pour la plupart en zone d’endémie lépreuse après névrite
Plusieurs techniques ont été décrites pour traiter le pied tom- aiguë non guérie du nerf péronier commun ou après injection dans
bant paralytique [1–4]. Si toutes corrigent le pied tombant, soit elles la fesse d’antipaludéens [5,12–15].
sont limitées par la complexité du geste [1], soit elles font appel à un
geste osseux [2,5] qui peut donner lieu à des complications. Nous
2. Technique opératoire
proposons la technique de Carayon, qui présente comme avantages
d’être un geste simple, ce qui lui permet d’être utilisée dans les pays
Le malade est installé en décubitus dorsal avec un coussin sous
en voie de développement en zone d’endémie lépreuse, et faisant
la fesse pour mettre la patella au zénith, mais surtout pas en rota-
appel uniquement à des tendons dont elle modifie peu les axes de
tion médiale ; la jambe opposée est effacée sur un appui sous la
travail.
cuisse, jambe pendante. L’intervention est réalisée sous hémostase
Les premiers transferts tendineux ont été évoqués par Codivilla
préventive par garrot sans bande d’Esmarch. L’installation doit pré-
en 1899 [6]. Puis, en 1933, Ober [7] décrivit un transfert du tibial
voir de pouvoir maintenir le genou en flexion pour le dernier temps,
postérieur sur le tarse antérieur. Brand et Fritschi [8,9] ont repris
soit par une aide, soit par un support ou un coussin.
la technique en 1957, ainsi que Watkins [10]. Cependant, le temps
Le premier temps est l’allongement du tendon calcanéen, qui
osseux sur le tarse antérieur a été source d’échecs et de mauvais
est obligatoire si l’on n’obtient pas naturellement 10◦ de flexion
résultats et ce sont Carayon et al. [11] à la même époque qui ont
dorsale passive (80◦ , si on considère que la position normale du
décrit une suture tendineuse en amont de la cheville. C’est celle que
pied représente 90◦ ) en extension de hanche et de genou. Il est
nous décrivons ici, avec les modifications apportées par tous les
réalisé par deux courtes incisions, séparées de 6 à 7 centimètres
(Fig. 1) selon la technique décrite par Piriou et al. [16], l’aide tenant
la hanche fléchie en rotation latérale, le genou fléchi et le pied en
DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.otsr.2014.12.005. contre-équin maximal. La première incision est basse, à quelques
夽 Ne pas utiliser, pour citation, la référence française de cet article, mais celle
centimètres de l’insertion calcanéenne du tendon, et légèrement
de l’article original paru dans Orthopaedics & Traumatology: Surgery & Research, en
utilisant le DOI ci-dessus.
décalée en médial, ce qui permet, après dégagement du tendon,
∗ Auteur correspondant. d’en sectionner un peu plus de la moitié du côté médial, ni de sec-
Adresse e-mail : [email protected] (M.Y. Grauwin). tionner dans le même temps le tendon du muscle plantaire, s’il n’est

http://dx.doi.org/10.1016/j.rcot.2014.12.007
1877-0517/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
M.Y. Grauwin et al. / Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique 101 (2015) 84–87 85

Fig. 2. Le prélèvement des deux transferts.

Fig. 1. Les deux incisions postérieures pour l’allongement du tendon calcanéen.

En flexion dorsale du pied à 80◦ , le tendon du tibial antérieur et


pas déjà fusionné au tendon calcanéen. La deuxième incision proxi- celui du long extenseur des orteils, qui est souvent à ce niveau déjà
male est médiane ; il faut éviter de blesser le nerf sural et la veine divisé en deux tendons, sont dégagés circulairement de leur gaine
petite saphène. La section du tendon, déjà plus étalé, est latérale et synoviale. Les trois tendons sont incisés longitudinalement au ras
sur un peu plus de la moitié. Dans les deux cas, il faut bien voir les de la partie proximale du rétinaculum sur 10–12 mm, le pied étant
deux bords du tendon et ce que l’on coupe. Ensuite, l’allongement toujours maintenu en flexion dorsale maximale. Un point d’arrêt
est réalisé en force en flexion dorsale jusqu’à 80◦ au moins. Les inversant est nécessaire, pour éviter que la traction sur la brèche
incisions cutanées sont fermées au fur et à mesure en un plan sans ainsi créée ne poursuive la division du tendon proximalement ; les
drainage. bords libres du nœud doivent être enfouis (Fig. 3).
Le deuxième temps se déroule en extension du genou et en rota- Les muscles de la loge antérieure et le paquet vasculaire tibial
tion latérale du membre. L’incision de 5 à 6 centimètres est située antérieur sont réclinés avec des écarteurs de Farabeuf profonds,
en arrière de la malléole médiale et sur le relief présumé du tendon jusqu’à dégager la membrane interosseuse sur toute la longueur
tibial postérieur qui est régulièrement palpable, entre la malléole de la cicatrice ; un ou deux fins écarteurs contre-coudés peuvent
tibiale et le tubercule du naviculaire. La gaine est ouverte et, après s’appuyer sur la fibula, pour obtenir la meilleure exposition de la
l’ouverture du rétinaculum des fléchisseurs, le tendon du tibial pos- membrane interosseuse (Fig. 4). Celle-ci est complètement exci-
térieur est saisi par un petit dissecteur et coupé en distal au-delà sée entre tibia et fibula avec un bistouri no 3 à long manche. Il
de la malléole médiale en varus équin forcé de la cheville, et immé- est plus important de la réséquer en proximal qu’en distal, où
diatement attaché correctement par plusieurs passages dans deux
plans avec un fil tressé de calibre 2 ou 3 ; il n’est jamais saisi direc-
tement par une pince, avec ou sans griffes. Derrière ce gros tendon
et dans une autre gaine qu’il faut ouvrir, on saisit et on ficèle de
la même façon le tendon long fléchisseur des orteils (Fig. 2). Les
deux tendons sont tractés par leurs attaches. Une paire de ciseaux
courbes et longs de Metzenbaum est introduite sous le fascia crural
en amont et le sectionne en sous-cutané le plus loin possible sur
une dizaine de centimètres, pour faciliter la récupération des bouts
distaux par l’incision antérieure. Les tendons sont emballés dans
une compresse humide car ils supportent mal la dessiccation.
En rotation indifférente du membre, l’incision suivante est réali-
sée sur la loge antérieure un centimètre en dehors de la crête tibiale.
Elle s’étend sur 10–12 cm, proximalement au bord supérieur du
rétinaculum supérieur des extenseurs, qui doit être respecté afin
que les transferts ne prennent pas la corde de l’arc. Le fascia crural
est partiellement réséqué sur la longueur de la cicatrice et sur 1 cm
en largeur. La limite entre le fascia crural et le rétinaculum supé-
rieur des extenseurs est bien visible. La suture du transfert palliatif
doit être réalisée en amont de ce rétinaculum. L’expérience montre
que les fixations en aval, sur la capsule ou par des trajets intra-
osseux, sont difficiles. De plus, le transfert a tendance à coller dans
les passages étroits ou les canaux. Une règle importante des trans-
ferts tendineux est que le transfert soit le plus direct possible et ne
passe pas dans une zone étroite [17]. Fig. 3. Le point d’arrêt intra-tendineux.
86 M.Y. Grauwin et al. / Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique 101 (2015) 84–87

Fig. 4. Excision de la membrane interosseuse. Fig. 6. Les transferts dans la loge antérolatérale.

l’espace devient très étroit. Il faut qu’au sommet de la cicatrice, la


musculo-tendineuse. L’incision médiale est fermée, habituellement
membrane soit enlevée en totalité et il est même possible de pas-
sans drainage.
ser une paire de ciseaux de Metzenbaum pour l’ouvrir encore plus
Le bout libre du tibial postérieur est passé de la profondeur vers
proximalement à ciel fermé.
la superficie à travers l’orifice pratiqué dans le tibial antérieur. La
Les deux tendons préparés doivent changer de loge et passer
même technique est réalisée pour le passage du long fléchisseur des
à travers l’espace soit en les récupérant dans l’espace inter-tibio-
orteils à travers les deux tendons extenseurs. Le genou est maintenu
fibulaire, soit en allant les chercher avec une pince de Bengoléa
en légère flexion ainsi que le pied en flexion dorsale par une aide
glissée dans l’espace interosseux, derrière le tibia, et qui doit sor-
qui ne fait que cela, et le transfert est suturé à lui-même en bonne
tir au ras de la malléole médiale pour récupérer les deux fils
tension par des points inversants résorbables, 2 à 3 de chaque côté
repères (Fig. 5). Cette dernière manœuvre est dangereuse. Il faut
(Fig. 7).
faire attention à ne pas cravater le paquet vasculo-nerveux tibial
Le drainage n’est pas obligatoire, car il n’y a pas beaucoup de
postérieur, car les tendons ne se laisseraient plus attirer dans
place pour le drain. Une botte en plâtre ou en résine, circulaire
la plaie antérieure. Une traction sur les 2 fils permet de faire
et fendue le jour même, est confectionnée par l’opérateur à 80◦
« monter » les tendons et leur jonction musculo-tendineuse dans
de flexion dorsale. Il faut 4 semaines d’immobilisation. Le patient
l’espace interosseux et au-dessus du niveau de la cicatrice (Fig. 6).
déambule en décharge stricte avec des cannes ou sous couvert
Il est souvent nécessaire à ce stade d’ébarber un peu la jonction

Fig. 5. Passage des transferts. Fig. 7. Les transferts avant la suture.


M.Y. Grauwin et al. / Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique 101 (2015) 84–87 87

d’une botte de décharge, mais il faut alors avoir fait une botte très Déclaration d’intérêts
courte et ajustée.
À la fin de la quatrième semaine, la résine est bivalvée, afin de Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-
vérifier la cicatrisation, et la rééducation commence en décharge, en tion avec cet article.
gardant la valve postérieure pendant une dizaine de jours en dehors
des séances de rééducation. L’appui complet est permis à la sixième Références
semaine. Les auteurs n’ont pas l’expérience d’une mobilisation et
d’une remise en charge précoce comme proposée par Piriou et Rath [1] Tomeno B, Anract P, Vinh TS. Transfert du muscle tibial postérieur au dos
du pied : un procédé original de fixation du transplant. Rev Chir Orthop
[15,16], mais celle-ci ne concerne que l’allongement isolé du tendon 1998;84:194–6.
calcanéen et pas des transferts tendineux associés. [2] Vigasio A, Marcoccio I, Patelli A, Mattiuzzo V, Prestini G. New tendon transfer
for correction of drop-foot in common peroneal nerve palsy. Clin Orthop Relat
Res 2008;466:1454–66.
3. Discussion [3] Ozkan T, Tuncer S, Ozturk K, Aydin A, Ozkan S. Tibialis posterior tendon trans-
fer for persistent drop foot after peroneal nerve repair. J Reconstr Microsurg
Cette technique est simple, avec une courbe d’apprentissage 2009;25:157–64.
[4] Yeap JS, Birch R, Singh D. Long-term results of tibialis posterior tendon transfer
rapide pour le chirurgien. Les axes des tendons transférés sont for drop-foot. Int Orthop 2001;25:114–8.
directs et laissent en place le tibial antérieur afin d’éviter des inci- [5] Onimus M, Brunet L, Gaudeuille A, Mapouka AI. Le traitement des séquelles
sions sur le pied, ce qui se pratique avec la technique de Tomeno d’injections intramusculaires de sels de quinine en milieu africain. Med Trop
2007;67:267–73.
et al. [1], plus complexe, qui décroche le tendon du tibial anté-
[6] Codivilla A. Sui trapianti tendinei nella pratica orthopedica. Arch Di Orthop
rieur jusqu’à son insertion pour le rerouter à travers le squelette 1899;16:225–50.
de l’avant-pied et lui donner un meilleur axe de travail. La tech- [7] Ober FR. Tendon transplantation in the lower extremity. N Engl J Med
nique que les auteurs décrivent, avec un double transfert, qui 1933;209:52–9.
[8] Brand PW. Transposition of the tibialis posterior in foot drop deformities. Indian
agit à la manière des rênes d’un cheval, stabilise bien le pied en J Surg 1960;21:157–60.
inversion-éversion, sans varus à la marche, même au pas oscillant [9] Fritschi EP, Brand PW. The place of reconstructive surgery in prevention of the
[13]. D’autres techniques font appel à des fixations osseuses des foot ulceration in leprosy. Int J Leprol 1957;25:1–8.
[10] Watkins MB, Jones JB, Ryder CT, Brown TN. Transplantation of the posterior
transferts [2] ou à des arthrodèses complémentaires [5], ce qui peut tibial tendon. J Bone Joint Surg Am 1954;36:1181.
faire l’objet de complications, de non-fixation et donc de lâchage [11] Carayon A, Bourrel P, Languillon J. Traitement chirurgical des griffes et des pieds
de suture. Par ailleurs, une fixation osseuse terminale du transfert équins lépreux paralytiques. J Chir 1961;82(6):673–93.
[12] Bari MM, Islam AK, Haque AK. Surgical reconstruction of leprotic foot-drop.
ne permet pas de bien mesurer la tension du muscle, ce qui peut Lepr Rev 1996;67:200–2.
avoir des conséquences dans l’amplitude du futur mouvement, car, [13] Grauwin MY, Hirzel C, Badiane C. Devenir des malades ayant bénéficié d’une
rappelons-le, c’est un transfert actif. On peut faire le même reproche intervention de chirurgie palliative pour une paralysie du nerf péronier com-
mun d’origine lépreuse ; à propos d’une série de 73 cas revus. Bull Assoc
à la suture selon Pulvertaft [1,2]. D’autres techniques enfin utilisent Léprol Langue Française 2007;20:17–9 [en ligne : http://www.sfdermato.org/
la voie de transfert circumtibiale [3,12] qui risque de provoquer un allf/index.html].
varus résiduel du pied si le transfert du tibial postérieur est isolé. [14] Shah RK. Tibialis posterior transfer by interosseous route for the correction of
foot drop in leprosy. Int Orthop 2009;33:1637–40.
Les indications principales de ce transfert sont les pieds tom-
[15] Rath S, Schreuders TA, Stam HJ, Hovius SE, Selles RW. Early active motion versus
bants par paralysie post-traumatique haute ou basse du nerf immobilization after tendon transfer for foot drop deformity: a randomized
ischiatique (grand sciatique), après séquelles de hernie discale ou clinical trial. Clin Orthop Relat Res 2010;468:2477–84.
syndrome de loges. L’indication est meilleure si le contingent sensi- [16] Piriou P, Tremoulet J, Garreau De Loubresse C, Judet T. Ténotomie d’Achille
percutanée dans les raideurs de cheville de l’adulte. À propos de 80 cas. Rev
tif est préservé, avec une bonne sensibilité de la sole plantaire, mais Chir Orthop 2000;86:38–45.
il est quand même possible en cas d’atteinte nerveuse complète, en [17] Fontaine C, Wavreille G, Grauwin MY, Chantelot C. Principes généraux des
prévenant les troubles trophiques au moyen d’une semelle adaptée, transferts musculo-tendineux. In: Alnot JY, Chammas M, editors. « Lésions
traumatiques des nerfs périphériques, de la réparation nerveuse directe aux
d’une auto-surveillance et d’une hygiène quotidienne ; il est aussi interventions palliatives ». Cahiers d’enseignement de la SOFCOT. Paris: Else-
possible en ne recherchant qu’un effet ténodèse, dans les paralysies vier; 2007. p. 162–72.
complètes.

Vous aimerez peut-être aussi