Willa Cather - La Nièce de Flaubert
Willa Cather - La Nièce de Flaubert
Willa Cather - La Nièce de Flaubert
La nièce
de Flaubert
Traduction de l’anglais et préface
d’Anne-Sylvie Homassel
© The Willa Cather Literary Trust
© Les Éditions du Sonneur, 2012 pour la présente édition
ISBN : 978-2-916136-48-6
Dépôt légal : avril 2012
Conception graphique de la couverture : Sandrine Duvillier
Conception graphique de l’intérieur : Anne Brézès
Relecture typographique : Nathalie Barthès
Les Éditions du Sonneur
5, rue Saint-Romain, 75006 Paris
www.editionsdusontieur.com
Préface
LORSQU’EN 1930, WILLA CATHER s’installe pour quelques jours
au Grand-Hôtel, à Aix-les-Bains, elle est déjà considérée par
certains critiques comme un auteur du passé, un Henry James
en jupons dont l’étoile pâlit devant celles d’Hemingway, de
Steinbeck et de Faulkner.
Née en 1873 en Virginie, fille de riches fermiers, elle a
passé ses premières années dans un Sud encore dévasté par la
guerre de Sécession. L’année de ses dix ans, ses parents
décident de partir dans le Nebraska, terre encore quasi
vierge – du moins pour les pionniers et les émigrants. La jeune
Willa y rencontre nombre de familles suédoises, bohémiennes
ou allemandes, tout juste arrivées d’Europe – le matériau
humain de nombre de ses futurs romans. Bientôt, les Cather
quittent les rudes plaines et la ferme pour s’installer en ville, à
Red Cloud. Adolescente douée, Willa s’inscrit à l’université de
Lincoln, la capitale de l’État, et paie ses études en rédigeant
critiques et recensions pour le Nebraska State Journal. Son
diplôme de lettres obtenu, elle quitte le Nebraska pour
Pittsburgh (Pennsylvanie), écrit pour le Pittsburgh Daily
Leader, enseigne le latin et l’anglais, et vit pendant quelques
années chez son amie et première muse, Isabelle McClung.
C’est avec elle qu’elle visite pour la première fois l’Europe, en
1902. Cather publie en 1903 un recueil de poèmes, April
Twilights, suivi en 1905 d’un recueil de nouvelles, The Troll
Garden. Ce qui, sans doute, décide l’éditeur Sam McClure à
lui proposer de contribuer à son magazine, McClure’s, qui
publie notamment Henry James, Joseph Conrad, W. B. Yeats ;
elle en devient la directrice en 1909. Puis Cather s’installe à
New York avec une autre amie d’université, Edith Lewis.
Autre rencontre décisive, l’écrivain Sarah Orne Jewett,
grande figure littéraire de Boston, qui ne cesse de lui
conseiller de trouver sa voie et de se libérer de l’influence,
selon elle négative, de ses trop nombreux travaux
journalistiques. Ce n’est qu’après le succès de ses deux
premiers romans, Alexander’s Bridge (paru en 1912) et
Pionniers (O Pioneers !, 1913)(1), que Cather peut enfin songer
à suivre le conseil de Jewett. Suivront Mon Ántonia (My
Ántonia, 1918) et un autre recueil de nouvelles, Youth and the
Bright Medusa (1920).
Un nouveau voyage en Europe l’emmène en 1920 sur les
champs de bataille de la Première Guerre mondiale, source
d’inspiration de L’Un des nôtres (One of Ours), roman qui lui
vaudra le prix Pulitzer en 1923. Elle est la deuxième femme à
l’obtenir, après Edith Wharton, qui l’avait reçu en 1920 pour
Le Temps de l’innocence. « Le monde se cassa en deux vers
l’année 1922 », écrit Cather dans la préface à Not Under
Forty (1936), dont La Nièce de Flaubert est extrait. Séquelles
de la guerre mondiale, deuils personnels, approche de son
propre demi-siècle… Cather, cependant, après cette
irréparable fracture, continue d’écrire nombre d’œuvres qui
allient modernité de la langue, sèche intimité du ton et
expériences narratives portées par son seul désir. Une dame
perdue (A Lost Lady, 1923), La Maison du professeur (The
Professor’s House, 1925), Mon ennemi mortel (My Mortal
Enemy, 1926), La Mort et l’Archevêque (Death Comes for the
Archbishop, 1927), Des ombres sur le rocher (Shadows on the
Rock, 1931) lui apportent un lectorat nombreux – mais une
réception critique parfois acide. Elle est, disent certains, un
auteur du passé, qui ne veut ou ne peut affronter la crise
économique et politique dont souffre le monde.
C’est cette singulière femme de lettres, traduite en français
dès 1924 par Victor Llona (Mon Ántonia paraît cette année-là
chez Payot), grande lectrice de Flaubert, de Maupassant, de
Balzac, qui a la bonne fortune de rencontrer à l’été 1930
Caroline Franklin-Grout, née Hamard, veuve Commanville,
nièce de ce même Flaubert – et sans nul doute, aux yeux de
Cather que les destins individuels fascinent, admirable
survivante de la grande cassure temporelle évoquée dans Not
Under Forty. Caroline a pu écrire d’elle-même qu’elle était
« née dans les larmes ». Fille de la sœur de Gustave Flaubert,
morte en couches en 1846, la petite Caro est rapidement
retirée à son père, devenu fou ; la grand-mère et l’oncle,
écrivain et célibataire, l’élèvent à Croisset, dans la maison
familiale, et ont la curieuse idée de la marier, dès ses dix-huit
ans, à un affairiste qui manque bien de ruiner l’auteur de
Salammbô. Caroline ne quittera jamais l’ombre de son oncle,
dont elle éditera – en plus d’un sens – la correspondance, ce
qui la fera détester d’un certain nombre de flaubertiens. Grâce
à lui, elle croisera Maupassant, compagnon de jeux,
Tourgueniev, George Sand, Heredia et les chers amis de « mon
oncle », Louis Bouilhet et Maxime Du Camp. Les
représentants d’un « âge d’or » que Cather a fait presque sien
dès l’adolescence, découvrant par le biais de l’essai d’Henry
James, French Poets and Novelists (1878) et par ses propres
lectures, le plus souvent dans le français d’origine, des
écrivains dont elle se sentira toujours particulièrement proche.
« En toute chose artistique, les Français ont plus de patine et
de sensibilité ; leurs traditions sont plus pures, plus
anciennes ; ils ont une connaissance instinctive de l’art de
vivre, un don qui manque encore aux Anglais et aux
Américains », juge-t-elle notamment, selon les propos
rapportés par la chercheuse américaine Stéphanie Durrans
dans sa monographie consacrée à l’influence de la culture
française sur Willa Cather(2). Une proximité, estime Durrans,
qui tient de l’influence « en creux » : c’est vitalisée par cet art
de vivre que Cather peut se replonger, avec ses grands
romans, dans le matériau de son enfance, la terre américaine,
et ceux et celles, infiniment divers, qui l’habitent et la
travaillent. On ne pourra cependant s’empêcher de distinguer,
dans l’extrême précision de Cather, dans son art de l’ellipse,
« un réalisme, dit une autre de ses exégètes, Helen Dennis(3),
qui ne s’ancre pas dans le matérialisme, mais dans un regard
attentif et une restitution exacte […] qui ne cèdent jamais à
l’explication » – l’influence du modèle flaubertien.
« [Flaubert], rappelle sobrement Caroline Grout dans ses
mémoires(4), jugeait qu’aucun livre n’est dangereux s’il est
bien écrit ; cette opinion venait chez lui de l’union intime qu’il
faisait du fond et de la forme. »
ANNE-SYLVIE HOMASSEL
LA NIÈCE DE FLAUBERT
I