ITSBMath 2009

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ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE

DE STATISTIQUE ET D’ÉCONOMIE APPLIQUÉE


ENSEA–ABIDJAN

2009

CONCOURS INGÉNIEURS DES TRAVAUX STATISTIQUES

ITS Voie B Option Mathématiques

1ère Composition de Mathématiques


(Durée de l’épreuve : 4 heures)

1 Exercice :
On considère une fonction ϕ définie sur l’intervalle ]0, +∞[, continue, réelle, décroissante,
strictement positive.
R +∞
1. On suppose que l’intégrale 0 ϕ(x)dx est convergente.

(a) Montrer que la série +∞


P
n=1 hϕ(nh) est convergente pour tout h > 0.
(b) Déterminer la limite de sa somme lorsque h tend vers 0.

2. On suppose seulement que ϕ est intégrable sur ]0, 1]. On désigne par E(x) la partie
entière d’un réel x et on pose :

0 si x ∈ ]0, 1[



E(x)
s(x) = X

 ϕ(k) si x ∈ [1, +∞[
k=1

Z k
ck = ϕ(t)dt − ϕ(k), pour tout k de N∗
k−1
+∞
X
C= ck
k=1
Z x
ψ(x) = s(x) − ϕ(t)dt + C, pour tout x ≥ 0 .
0

(a) Démontrer que C existe effectivement.


(b) Montrer que |ψ(x)| ≤ |ϕ(x)|, pour x ∈ ]0, +∞[.
Indication : on pourra distinguer deux cas selon que x < 1 ou x ≥ 1.

1
2 Problème :
Soit (un )n∈N la suite de fonctions définie sur R par :
x2n
un (x) = .
(n!)2
!
X
On considère la série de fonctions un .
n∈N

1. Déterminer le domaine de convergence de cette série de fonctions, c’est-à-dire l’ensemble


( )
X
∆= x∈R : un (x) converge .
n∈N

2. Soit F la fonction définie sur R, dont la valeur en chaque réel x est donnée par la somme
de la série de terme général un (x). Cette fonction F est définie par la relation :

X x2n
F (x) = 2
.
n=0
(n!)

(a) Soit r > 0 un réel strictement positif, montrer que la série dérivée de terme général
2n−1
u′n (x) = 2nx
(n!)2
est normalement convergente sur [−r, r].
(b) Montrer que F est deux fois dérivable en tout point x ∈ R et exprimer en tout
point x ∈ R, les dérivées F ′ (x) et F ′′ (x) en sommes de séries.
(c) Étudier la convexité du graphe de F .

3. Soient (vn )n∈N et (wn )n∈N les suites réelles définies par les relations suivantes :
(n!)2 n (n!)2
vn = 4 ; wn = 4n , n = 0, 1, 2, . . .
(2n)! (2n + 1)!
avec 0! = 1.
On désigne par ch et sh les fonctions définies sur R par
ex + e−x ex − e−x
ch(x) = et sh(x) = .
2 2
(a) Démontrer que pour tout x ∈ R,
∞ ∞
X x2k X x2k+1
ch(x) = et sh(x) = .
(2k)! (2k + 1)!
k=0 k=0

(b) Démontrer que la suite (vn )n∈N est croissante. En déduire l’inégalité
1 4n
2
≤ , n = 0, 1, 2, . . .
(n!) (2n)!
puis une majoration, sur la demi-droite fermée [0, ∞[, de la fonction F à l’aide de
fonction x 7→ ch(2x).

2
(c) Démontrer de même une minoration, sur la demi-droite ouverte ]0, ∞[, de la fonc-
tion F à l’aide de fonction x 7→ sh(2x)
2x .
(d) Pour tout réel x strictement positif, soient G(x) et Φ(x) deux fonctions définies
par r
sh(2x) e2x
G(x) = ch(2x) , Φ(x) = √ , x ∈]0, ∞[ .
2x x
Comparer les deux fonctions G et Φ à l’infini.

4. Le but de cette partie est de calculer les transformées de Laplace des fonctions F et Φ.
Étant donnée une fonction f : t 7→ f (t) définie, continue sur la demi-droite ouverte ]0, ∞[
et intégrable sur tout intervalle semi-ouvert ]0, a], (a est un réel positif quelconque), la
transformée de Laplace de f notée L(f ), si elle existe, est définie par la relation suivante:
Z ∞
L(f )(x) = f (t)e−xt dt .
0

(a) Soit x ∈]0, ∞[ un réel strictement positif ; calculer pour tout entier k ∈ N,
l’intégrale Ik suivante : Z ∞
Ik = tk e−xt dt .
0

(b) Démontrer que la fonction t 7→ F (t)e−xt est intégrable sur [0, ∞[ dès que le réel x
est strictement supérieur à 2. Déterminer la fonction L(F ) en calculant L(F )(x)
au moyen de la somme d’une série.
(c) Soit g la somme d’une série entière définie par la relation suivante :

X (2n)!
g(t) = t2n .
(n!)2
n=0

Déterminer l’intervalle ouvert ] − R, R[ de définition de la fonction g. Déterminer


au moyen de fonctions élémentaires l’expression de g(t) en utilisant par exemple le
1
développement en série de la fonction u 7→ √1+u .
(d) En déduire l’expression, pour tout réel x supérieur strictement à 2, de la trans-
formée de Laplace de la fonction F .
(e) Déterminer, en précisant son ensemble de définition, la transformée de Laplace de
la fonction Φ. R +∞ √
On admettra que 0 e−u du = 2π .
2

3
ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE
DE STATISTIQUE ET D’ÉCONOMIE APPLIQUÉE
ENSEA – ABIDJAN

AVRIL 2009

CONCOURS INGÉNIEURS DES TRAVAUX STATISTIQUES

ITS Voie B Option Mathématiques

ORDRE GÉNÉRAL
(Durée de l’épreuve : 3 heures)

Les candidats traiteront au choix l’un des trois sujets suivants.

Sujet n° 1

En quoi certains pays africains peuvent-ils constituer un effet


d’entraînement pour tout le continent africain ? Vous prendrez des exemples comme
l’Afrique du Sud ou d’autres pays de votre choix.

Sujet n° 2

Que vous inspire l’élection de Barack Obama comme Président des Etats-
Unis ?

Sujet n° 3

Quels sont les aspects de la crise financière et économique mondiale


actuelle qui vous ont le plus frappé ?
ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE
DE STATISTIQUE ET D’ÉCONOMIE APPLIQUÉE
ENSEA – ABIDJAN

AVRIL 2009

CONCOURS INGÉNIEURS DES TRAVAUX STATISTIQUES

ITS Voie B Option Mathématiques

2ème COMPOSITION DE MATHÉMATIQUES


(Durée de l’épreuve : 3 heures)

Exercice n° 1

⎛−1 1 1 ⎞
⎜ ⎟
Soit la matrice M = ⎜ 1 − 1 1 ⎟
⎜ 1 1 − 1⎟
⎝ ⎠

1. Calculer M 2 et exprimer M 2 en fonction de M et I , I étant la matrice


identité.

2. Trouver un polynôme P du second degré tel que P ( M ) = 0 .

3. La matrice M est-elle diagonalisable ? Si oui, déterminer ses valeurs


propres.

4. Calculer le reste de la division euclidienne de X n par P ( X ) , où n ∈ N * , n > 2 .

5. En déduire M n .

⎛ xn ⎞
⎜ ⎟
6. Soit, pour n > 0 , U n = ⎜ y n ⎟ . Résoudre le système U n +1 = M U n de condition
⎜z ⎟
⎝ n⎠
⎛1⎞
⎜ ⎟
initiale U 1 = ⎜1⎟ .
⎜1⎟
⎝ ⎠
Exercice n° 2

Soit E un espace vectoriel réel normé de dimension finie n ( n ≥ 1) . On note


L ( E ) l’ensemble des applications linéaires de E dans E . Pour f ∈ L( E ) , on pose :

f ( x)
f = Sup
x ≠0 x

où . désigne la norme de E .

1. Vérifier que la notation précédente permet de définir une norme sur E .

2. Soient P et Q deux projections définies sur E et telles que P − Q < 1.


Montrer que I − ( P − Q ) est inversible.
Montrer que l’application P est une bijection de Im ( Q ) sur Im ( P ) ( Im désigne
l’image).

En déduire que dim Im ( P) = dim Im (Q) .

Exercice n° 3

Soit (u n ) une suite de nombres réels, n ∈ N . A cette suite, on associe deux


autres suites ( s n ) et (rn ) définies par :
n n uk
s n = ∑ u k et rn = ∑
k =1 k =1 k

sk n −1
s
1. Montrer que rn = ∑ + n pour tout entier n ≥ 2
k =1 k (k + 1) n
sn
2. On suppose que la série de terme général converge et que
n( n + 1)
s
Lim n = 0
n→∞ n

un
Montrer que la série de terme général converge.
n

3. On suppose que la série de terme général u n converge, montrer alors que


u
la série de terme général n est aussi convergente.
n
un
4. On pose u n = (−1) n . Montrer que la série de terme général converge.
n

5. Donner un exemple de suite ( s n ) telle que la série de terme général


sn s
converge, et Lim n ≠ 0 .
n( n + 1) n→∞ n

Exercice n° 4

Soit f l’application définie sur l’ensemble des nombres réels (désigné par R ) par :

⎧ 2
⎪ f ( x) = exp( x ) − 1 si x ≠ 0
⎨ x
⎪⎩ f (0) = 0

1. Montrer que f est impaire et continue.

2. Montrer que la dérivée f ' garde un signe constant sur R . On pourra


étudier la fonction u qui, à tout t réel positif, associe : u (t ) = ( 2t − 1) exp(t ) + 1 .
En déduire l’existence d’une application réciproque de f , impaire.

3. Justifier l’existence d’un développement limité de f en 0 à tout ordre n .

4. Ecrire un développement limité de f en 0 à l’ordre 5 ; donner également


un développement limité de f −1 en 0 à l’ordre 5.

Problème

Soit f un endomorphisme d’un espace vectoriel réel E vérifiant f o f = λf ,


où λ est un réel non nul.

On note Lλ = { f f o f = λf } .

1. Montrer que toute fonction de Lλ est la composée d’une projection et


d’une homothétie de rapport λ .

2. Montrer que pour toute fonction f de Lλ , le noyau de f et l’image de f


sont deux sous-espaces supplémentaires de E .
3. Soient f , g ∈ Lλ . Montrer que ( f + g ) ∈ Lλ si et seulement si
f o g = g o f = 0.

4. Soient f ∈ Lλ1 et g ∈ Lλ 2 telles que f o g = g o f . Montrer que g o f ∈ Lμ ,


où μ dépend de λ1 et λ2 .

5. Soit u un endomorphisme de E n’appartenant pas à une famille de Lλ et


vérifiant (u − a × Id ) o (u − b × Id ) = 0 , où a et b sont deux réels distincts et Id désigne
l’application identique.

Montrer que v = u − a × Id et w = u − b × Id appartiennent à des familles de Lλ .


Ecrire u sous la forme α v + β w et en déduire un .

⎛0 1 1⎞
⎜ ⎟
6. Soit A = ⎜ 1 0 1 ⎟ . Montrer que l’on peut trouver deux réels a et b tels
⎜1 1 0 ⎟⎠

que ( A − aI )( A − bI ) = 0 où I est la matrice unité. En déduire An .
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DE STATISTIQUE ET D’ÉCONOMIE APPLIQUÉE
ENSEA – ABIDJAN

AVRIL 2009

CONCOURS INGÉNIEURS DES TRAVAUX STATISTIQUES

ITS Voie B Option Mathématiques

CONTRACTION DE TEXTE
(Durée de l’épreuve : 3 heures)

Ce texte est tiré du livre de Mihaly Csikszentmihalyi dont le titre est « Mieux
vivre en maîtrisant votre énergie psychique » paru aux éditions Réponses
chez Robert Laffont en février 2005. Il doit être résumé en 250 mots, plus ou
moins 10%.

Il sera tenu compte de l’orthographe, de la ponctuation, et de la présentation


de votre écrit.

Bienfaits et risques des loisirs

Il semble un peu ridicule d’affirmer que le temps libre constitue un problème


parce que nous n’avons pas appris à l’employer intelligemment. C’est pourtant
une inquiétude fréquemment exprimée depuis le milieu du XXe siècle. Pour diverses
raisons, nous en sommes arrivés à dire que le temps libre était l’une des aspirations
les plus fortement ancrées dans l’homme. Le travail apparaît comme un
mal nécessaire et l’absence de toute activité comme la voie royale vers le
bonheur. On pense généralement que profiter de son temps libre ne nécessite aucun
savoir-faire, que tout le monde en est capable.

Or les faits prouvent le contraire : il est plus difficile de bien profiter de ses
loisirs que de son travail. En soi, le temps libre ne rend pas la vie plus belle, à moins
que l’on ne sache en tirer parti, et cela ne s’apprend pas tout seul.

A la fin du XIXe siècle, le psychanalyste hongrois Sàndor Ferenczi


remarquait déjà que le dimanche, ses patients avaient des crises d’hystérie et de
dépression plus nombreuses que les autres jours de la semaine. Il a appelé ce
syndrome « névrose dominicale ». Depuis, on a constaté que les troubles mentaux
se manifestent plus fréquemment pendant les vacances et les jours fériés. La retraite
pour ceux qui se sont fortement identifiés à leur travail annonce souvent une période
de dépression chronique.
Nos propres recherches avec la méthode ESM (1), nous ont permis de
constater que même la santé physique s’améliore dès que la personne est tendue
vers un but. Pendant les week-ends, la solitude et le désœuvrement révèlent plus de
symptômes qu’à l’ordinaire.

Tous ces éléments tendent à prouver que l’individu moyen est mal équipé
pour l’oisiveté. Sans but, sans la présence de ses semblables, il perd motivation et
concentration. Son esprit s’évade et la plupart du temps, il finit par ruminer des
problèmes insolubles, facteurs d’anxiété. Afin d’éviter d’en arriver là, la plupart des
gens recourent à des stimulations qui limitent l’entropie psychique (2). Sans en être
nécessairement conscients, ils recherchent tout ce qui est susceptible de faire
barrage à l’anxiété : regarder la télévision, s’adonner au jeu, multiplier les rencontres
sexuelles, se saouler ou se droguer. Ce type de stratégies qui apaise rapidement le
chaos de la conscience, ne laisse la plupart du temps qu’un vague sentiment
d’insatisfaction.

De toute évidence, l’évolution de notre système nerveux l’a rendu capable de


répondre aux signaux extérieurs, mais n’est pas allée jusqu’à l’adapter à de longs
intervalles de temps dénués d’obstacles ou de dangers.

Au cours de l’Histoire, peu de gens ont appris à structurer leur énergie


psychique par eux-mêmes, de l’intérieur. Dans ces bienheureuses sociétés où les
hommes avaient beaucoup de temps libre, des pratiques culturelles élaborées
étaient mises en place pour occuper l’esprit. Cycles complexes de rituels,
cérémonies, danses et tournois pouvaient durer plusieurs jours ou plusieurs
semaines – les Jeux Olympiques, notamment, qui commencèrent à l’aube de notre
Histoire. Et si tous les villages n’offraient pas des activités religieuses ou artistiques,
ils permettaient au moins de se livrer à de longues et joyeuses palabres ; assis sous
le plus bel arbre de la place du village, les hommes qui n’avaient rien d’autre à faire
fumaient la pipe, mâchonnaient des feuilles ou des fruits légèrement hallucinogènes
tout en discutant de sujets divers.

…/… Ces méthodes permettent effectivement de limiter le chaos dans la


conscience, mais jusqu’à un certain point seulement, mais elles contribuent rarement
à améliorer la qualité de l’expérience vécue. Comme nous l’avons vu plus haut,
les êtres humains se sentent mieux lorsqu’ils s’appliquent à relever un défi, résoudre
un problème ou découvrir quelque chose de nouveau.

La plupart des activités qui produisent le flux (3) se définissent par un but
clair, des règles précises et une rétroaction immédiate – données extérieures qui
concentrent l’attention et font appel au savoir-faire.

Or, dans le domaine des loisirs, ces conditions sont justement celles qui
manquent le plus souvent. Certes, les gens qui s’adonnent à un sport, à une activité
artistique ou à un violon d’Ingres y retrouvent les éléments indispensables au flux.
Mais la simple situation de liberté, quand rien de particulier ne sollicite l’attention,
provoque le contraire de l’expérience optimale : l’entropie psychique qui procure un
sentiment d’indifférence et d’apathie.
Toutes les activités de loisirs ne se ressemblent pas. On peut déjà établir
une différence entre les loisirs actifs et les loisirs passifs dont les effets
psychologiques ne sont pas les mêmes. Les adolescents américains par exemple,
ont des expériences-flux (définies comme des défis importants requérant un savoir-
faire maximal) environ 13% du temps où ils regardent la télévision, 34% du temps où
ils font quelque chose qu’ils aiment et 44% du temps où ils jouent ou font du sport.

Cela suggère que les violons d’Ingres ont deux fois et demie plus de chance
de provoquer un état de plaisir intense que la télévision, les jeux et les sports à peu
près trois fois plus. Pourtant, ces mêmes adolescents passent au moins quatre fois
plus de temps à regarder la télévision qu’à se livrer à leur activité favorite. Et la
proportion est la même chez les adultes.

Pourquoi passons-nous quatre fois plus de temps à faire quelque chose qui a
deux fois moins de chances de nous donner du plaisir ?

Quand nous posons la question aux participants à nos études,


une explication cohérente commence à se dessiner. L’adolescent type admet qu’il
est plus heureux en faisant de la bicyclette, une partie de basket-ball ou en jouant du
piano qu’en traînant avec ses copains ou en regardant la télévision.

Mais, organiser une partie de basket demande du temps – il faut se changer,


réunir l’équipe. Avant d’éprouver du plaisir en jouant du piano, il faut faire au moins
une demi-heure d’exercices ennuyeux. Autrement dit, chacune des activités
productrices de flux nécessite un investissement de départ avant d’être gratifiante.
Il faut commencer par s’échauffer avant de goûter au plaisir d’une activité complexe.
Quand on se sent trop fatigué, anxieux ou paresseux pour franchir l’obstacle
préliminaire, il faut se contenter d’activités moins agréables mais plus accessibles.

C’est là qu’interviennent les activités de loisirs passifs. Traîner avec des


copains, lire un livre facile ou allumer un téléviseur n’implique pas une dépense
d’énergie préalable importante et n’exige ni savoir-faire ni concentration. C’est
pourquoi la consommation de loisirs passifs devient trop souvent l’option principale
des adolescents, mais également des adultes.

Il apparaît dans nos études que les loisirs actifs ou sociaux – sports et jeux,
violons d’Ingres, fréquentation des amis – procurent plus d’expériences-flux que les
activités solitaires et moins structurées – réfléchir, écouter de la musique, regarder la
télévision.

On constate également que les activités productrices de flux, plus difficiles,


plus exigeantes, déclenchent parfois l’anxiété, alors que les trois activités passives la
provoquent rarement ; elles contribuent au contraire à un état de relaxation et
d’apathie.

En consacrant son temps libre à des loisirs passifs, on n’éprouvera pas de


grandes satisfactions, mais on évitera aussi de trop s’impliquer. C’est apparemment
la solution qui plaît au plus grand nombre.
Je ne prétends pas que la relaxation soit mauvaise en soi. Tout le monde a
besoin de se détendre, de lire n’importe quoi, de rester vautré sur un canapé les
yeux dans le vide ou fixés sur un écran de télévision. Comme pour tous les autres
aspects de l’existence, c’est une question de dosage.

Les loisirs passifs ne posent problème que s’ils constituent la principale – ou


l’unique – forme de loisir. Car avec le temps, ils finissent par avoir des conséquences
décisives sur la qualité de la vie dans son ensemble. Les gens qui passent leur
temps libre à jouer de l’argent, par exemple, peuvent se retrouver prisonniers d’une
habitude qui interfère avec leur métier, leur famille et finalement leur propre bien-
être. Ceux qui regardent la télévision plus souvent que la moyenne ont aussi
tendance à avoir des métiers moins intéressants et des relations médiocres.

Une vaste étude réalisée en Allemagne a montré que plus les individus
lisaient des livres, plus ils avaient d’expériences-flux, alors que ceux qui regardaient
la télévision disaient le contraire.

De telles corrélations n’impliquent pas, bien sûr, que l’habitude des loisirs
passifs détermine la médiocrité de l’emploi, des relations, etc. Il est plus probable
que le lien causal soit inverse : les solitaires exerçant des métiers sans intérêt
consacrent volontiers leur temps libre à des loisirs passifs. Ou bien : ceux qui ne
trouvent pas à vivre d’expérience optimale se tournent vers des activités faciles.

Mais, dans la vie, la causalité est généralement circulaire : ce qui a


commencé par être un effet devient finalement une cause. Un parent abusif peut
obliger son enfant à adopter un système de défense fondé sur l’agressivité
réprimée ; lorsque l’enfant a grandi, c’est ce style de défense qui risque de l’inciter à
devenir lui-même un parent abusif.

De la même façon, l’habitude des loisirs passifs n’est pas simplement l’effet
de problèmes préalables, mais devient à son tour une cause qui coupe l’individu des
choix qu’il aurait pu faire pour améliorer sa vie.

.../… Il n’est pas nécessaire d’avoir une personnalité extraordinaire pour


occuper son temps libre de façon créative. Tous les arts et artisanats traditionnels –
chansons, tissage, poterie, sculpture, qui confèrent à chaque culture son cachet
propre – sont nés grâce à la volonté de gens ordinaires d’exprimer leur savoir-faire
pendant les heures qui n’étaient pas consacrées au labeur.

On a du mal à imaginer ce que serait notre monde si nos ancêtres s’étaient


contentés de loisirs passifs au lieu de voir dans leur temps libre une occasion
d’explorer le savoir et la beauté.

Actuellement, environ 7% des énergies non renouvelables que nous utilisons


– électricité, essence, papier et produits métalliques – servent essentiellement aux
loisirs. Construction et entretien de terrains de golf, impression de magazines, trajets
en avion vers des destinations de vacances, production et distribution d’émissions de
télévision, fabrication et utilisation de hors-bord et de scooters des mers épuisent
une bonne partie des ressources de notre planète.
Et il semble ironiquement que le bonheur et la satisfaction que nous retirons
de nos loisirs n’aient aucune relation – ou alors une relation négative – avec la
quantité d’énergie matérielle consommée.

Les activités qui requièrent un savoir-faire, des connaissances ou des


émotions, c’est-à-dire notre énergie psychique, sont tout aussi gratifiantes que celles
qui nécessitent des équipements lourds et une source d’énergie extérieure.
S’entretenir avec quelqu’un, jardiner, lire de la poésie, travailler bénévolement ou
apprendre quelque chose de nouveau n’épuise aucune ressource naturelle et donne
au moins dix fois plus de plaisir que des activités qui consomment dix fois plus
d’énergie.

De même que la qualité d’une vie individuelle dépend dans une large mesure
de l’utilisation du temps libre, la qualité d’une société résulte de la manière dont ses
membres occupent leurs loisirs.

Les quartiers riches peuvent donner une impression de fadeur déprimante


parce qu’on se dit que derrière ces splendides façades dressées sur des pelouses
impeccables personne ne fait rien d’intéressant.

Dans certains pays, même en parlant avec l’élite de la société, on a


l’impression qu’en dehors de l’argent, de la famille, de la mode, des vacances et des
commérages, il n’y a pas grand-chose qui retienne l’attention des gens.

A l’inverse, dans d’autres régions du monde, on trouve encore des retraités


amoureux de la poésie classique qui collectionnent de vieux livres, des fermiers qui
jouent d’un instrument de musique ou écrivent l’histoire de leur village, préservant
ainsi les plus belles créations du passé et les enrichissant.

Nous avons vu que les habitudes de loisirs au niveau social et au niveau


personnel agissent autant comme causes que comme conséquences. Lorsque le
style de vie d’un groupe social devient obsolète, lorsque le travail se transforme en
une routine ennuyeuse et que les responsabilités de la communauté perdent leur
signification, on peut prévoir que les loisirs vont prendre une importance accrue.

Et si une société devient trop dépendante de ses distractions, on peut prévoir


qu’elle n’aura plus assez d’énergie psychique pour relever les défis technologiques et
économiques qui ne vont pas manquer de se présenter.

Il peut paraître contradictoire de signaler les dangers de l’industrie des loisirs


à une époque où elle est si florissante aux Etats-Unis. Musique, cinéma, mode et
télévision rapportent des masses de devises du monde entier. Les boutiques de
vidéo poussent comme des champignons à tous les coins de rue et réduisent le
nombre de chômeurs. Nos enfants prennent pour modèles des célébrités
médiatiques, et notre esprit déborde d’informations sur les faits et gestes des stars
du cinéma ou du sport.
Comment toutes ces belles choses pourraient-elles être nuisibles ? Si nous
les évaluons du seul point de vue financier, il n’y a rien à redire. Mais si nous tenons
compte des conséquences à long terme du consumérisme pratiqué par les jeunes
générations « accros » à des loisirs passifs, il y a effectivement lieu de s’inquiéter.

Comment éviter le danger que constitue la polarisation de nos vies autour


d’un travail dénué de signification parce que forcé et de loisirs dénués de signification
parce que inutiles ?

L’une des issues possibles nous est indiquée par l’exemple des individus
créatifs évoqués précédemment.

Pour eux, travail et loisirs sont indissociables, comme ils le sont pour les
membres de certaines communautés traditionnelles. Mais les individus créatifs ne
sont pas enfermés dans une époque révolue. Ils mettent à profit les connaissances
héritées du passé et celles du présent pour inventer une meilleure façon d’être dans
le futur.

Dans la mesure où nous pouvons nous inspirer de leur exemple, il n’y a rien
à craindre des loisirs. Le travail lui-même devient un plaisir et quand on a besoin de
s’arrêter, le temps libre peut être une véritable recréation au lieu d’un abrutissement
programmé.

Si le métier qu’on exerce ne peut être amélioré, il faut faire de son temps
libre une réelle occasion de vivre des expériences optimales – d’explorer son être et
tout ce qui l’entoure.

Par chance, le monde regorge de choses intéressantes à faire. Les seuls


obstacles sont le manque d’imagination ou d’énergie. Sans cela, chacun d’entre nous
est capable d’être poète, musicien, inventeur, explorateur, savant amateur, artiste ou
collectionneur.

(1) Experience Sampling Method qu’on peut traduire : « échantillons de vécu » est
la méthode scientifique utilisée par l’auteur sur un large échantillon de personnes
pour réaliser son étude.
(2) entropie : dégradation, perte de l’énergie
(3) flux : moments exceptionnels - plaisir intense

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