Notes Sur La Pensee Religieuse Des Minyanka Du Mal

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Notes sur la pensée religieuse des Minyanka du Mali

Article in Systèmes de pensée en Afrique noire · July 1975


DOI: 10.4000/span.112

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Jean Paul Colleyn


Ecole des Hautes études en sciences sociales
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Systèmes de pensée en Afrique noire
1 | 1975
Cahier 1 (Varia)

Notes sur la pensée religieuse des Minyanka du


Mali
Notes on the religious conceptions of the Minyanka of Mali

Jean-Paul Colleyn

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/span/112
DOI : 10.4000/span.112
ISSN : 2268-1558

Éditeur
École pratique des hautes études. Sciences humaines

Édition imprimée
Date de publication : 1 septembre 1975
Pagination : 19-34
ISSN : 0294-7080

Référence électronique
Jean-Paul Colleyn, « Notes sur la pensée religieuse des Minyanka du Mali », Systèmes de pensée en
Afrique noire [En ligne], 1 | 1975, mis en ligne le 02 juillet 2013, consulté le 23 avril 2019. URL : http://
journals.openedition.org/span/112 ; DOI : 10.4000/span.112

© École pratique des hautes études


- 19 -

NOTES SUR LA PENSEE RELIGIEUSE DES MINYANKA DU MALI


par Jean-Paul COLLEYN

PROPOS : Ces notes, ainsi que l'article de D. Jonckers consacré aux


rites funéraires, sont le résultat d'une première approche de la
vie religieuse des Minyanka. Le concept de religion appauvrit
d'ailleurs quelque peu une pensée qui n'est pas seulement réfé-
rence au sacré, mais surtout une logique du symbole. C'est à ce
titre que la pensée religieuse prend dans ses filets toutes les
manifestations naturelles et culturelles, et assigne à chaque
élément sa place. L'initiation religieuse étant basée sur le
secret et l'apprentissage progressif, ces notes doivent être
considérées à leur juste dimension : comme une étape de la re-
cherche. N'ont été envisagés ici que les cultes (quelle que soit
leur origine) considérés par les intéressés comme proprement
minyanka, à l'exclusion des usages qu'ils déclarent empruntés à
d'autres ensembles culturels.

RESUME

Malgré une grande affinité culturelle avec les civilisations


mandé, l'origine des Minyanka demeure incertaine. Deux types
d'institutions structurent l'idéologie religieuse des Minyan-
ka : les cultes généraux, qui garantissent l'articulation har-
monieuse du groupe et de son environnement et les sociétés
d'initiation auxquelles on accède pour renforcer son statut,
social et parfaire ses connaissances. Dans le cadre des cultes
initiatiques, la possession apparait comme un élément primor-
dial de la communication avec le sacré : la "sortie" des autels
nécessite l'intervention du ou des possédés qui, transmettant
la parole des dieux qu'ils incarnent, jouent véritablement le
rôle de médiums. Les principales figures du panthéon minyanka
sont : Kl?, Dieu créateur distant du monde des hommes, le Nya,
gardien des valeurs, dieu de la fécondité et "tueur de sorciers",
la hyène Sand?ng?, patronne de l'agriculture et monitrice du
monde, le Many?, "mère" de tous les cultes de possession au ma-
tériel rituel imposant.
- 20 -

A.INTRODUCTION.

La tradition mandé rend compte d'une parenté mythique entre


un grand nombre de peuples d'Afrique Occidentale (1). Les M i -
nyanka sont rattachés à une des familles alliées à la famille
de Soundiata Keita.

L'origine mandé des Minyanka demeure cependant incertaine


tant que l'histoire du peuplement n'aura pas été reconstituée.

Il est d'ores et déjà hors de doute que certaines familles


dominantes du nord du pays Minyanka,sont d'origine malinké et
marka.

Sur le plan linguistique, alors que du Sénégal au Bani une


langue à peu près unique est parlée, on se heurte en territoi-
re minyanka et senoufo à un ensemble souvent rattaché aux lan-
gues voltaïques. (2)

En dépit d'une parenté linguistique certaine entre les lan-


gues minyanka et senoufo, il faut remarquer que le poro, insti-
tution religieuse centrale du monde sénoufo, n'existe pas chez
les Minyanka alors que le kor?, société d'initiation bambara,
se retrouve dans de nombreux villages minyanka.

En outre, de nombreuses institutions religieuses minyanka


mettent en oeuvre des principes très proches de ceux de la
philosophie religieuse bambara telle qu'elle a été décrite
par G. Dieterlen, D. Zahan et Y. Cissé.

La religion minyanka est absolument monothéiste. Le Dieu


suprême, Kl? domine toute la création qui procède de la vibra-
tion qu'il met en oeuvre kl?ty?l?m?

La cosmogonie constitue actuellement un vaste patrimoine


éparpillé, que l'on ne peut reconstituer que par bribes. Elle
met cependant en oeuvre des classifications "vécues quotidien-
nement" par l'ensemble de la population. Kl? est une figure

(1) Voir surtout G. Dieterlen - Mythe et Organisation sociale


en Afrique Occidentale, Journal de la Soc. des Afric.,
T.XXV, 1-2, 1955, p. 119 et T.XXIX, 1, 1959, p. 119 et D.
Zahan, Aperçus sur la pensée théogonique des Dogon, Cahiers
Internationaux de Sociologie, Paris, vol. V I , 1949, p.113.
(2) Voir Baumann et Westermann, Les Peuples et les Religions
d'Afrique ; De Lavergne de Tressan, Inventaire linguistique
de l'A.O.F., et du Togo, mém. IFAN n° 30, 1953.
- 21 -

lointaine, distante du monde des hommes, il est invoqué à l'oc-


casion de toutes les prières, sauf lors des pratiques de sor-
cellerie sikama, mais c'est généralement à des puissances inter-
médiaires entre Dieu et les hommes et sur lesquelles on a prise,
que l'on s'adresse.

Il existe cependant dans chaque village, dans l'axe de la


plus ancienne porte, un autel en pisé portant le nom de Kl?
et renfermant des fragments de l'environnement naturel et des
premières installations humaines. Le descendant du fondateur y
fait, chaque année, au nom de tout le village, des sacrifices
de poulets blancs ; le blanc étant la couleur divine.

En construisant l'autel Kl? les fondateurs d'un village


demandent à Dieu que, de la même façon qu'il a créé le monde,
il permette aux hommes de créer le village. A ce titre, il
constitue le premier des cultes généraux.

B. LES CULTES GENERAUX.

Deux types d'institutions structurent l'idéologie religieu-


se des minyanka.

La première catégorie est constituée par des cultes dont au


moins un existe dans toute agglomération et qui imprègnent
la vie villageoise. Ces institutions témoignent de l'articula-
tion harmonieuse du groupe humain et de l'environnement naturel.

Puissants facteurs de cohésion au niveau villageois, elles


sont également garantes de l'ordre social. C'est sur leurs au-
tels que seront offerts les sacrifices de réparation en cas de
violations d'interdits remettant en cause l'ordre social: inces-
te, rixe mortelle au sein du village et autres actes considérés
comme une "souillure de la terre".

1) L'enclume tumpungo

L'enclume du forgeron est considérée comme le réceptable de


la plus grande et de la plus ancienne force, nyama. Elle est
associée à l'aube de l'humanité et tous les principes sacrés
s'inclinent devant elle, comme en témoignent les paroles de
cette chanson à l'enclume recueillies à Kassorola :
- 22 -

"Si personne ne peut plus rien, tumpungo le peut.


Le feu des sorciers est une simple trace à côté de celui
de tumpungo.
C'est le tumpungo qui connait les remèdes de la pleine nuit.
Ceux qui connaissent le mieux le secret des eaux n'ont qu'à
aller chez les Somono, ceux qui cherchent le yap?r?(autel
portatif) le plus fort n'ont qu'à aller chez la tête de
tous les yap?r?, le tumpungo".
L'enclume porte le nom du vautour tumpungo.
Selon les récits mythiques, c'est le vautour, symbole de
la plus vieille connaissance, celle de "l'homme au crâne
pelé", qui.a donné l'enclume aux hommes par l'intermédiaire
du gb?ngo (cynocéphale), le premier forgeron.

2) Le k?chy? (littéralement la "jarre du village").

Le к?chy? est inséparable du rituel de fondation du quartier


ou du village.
Souvent appelé "vieille mère", il témoigne des rapports har-
monieux qui se sont établis entre les hommes comme entre les
hommes et le milieu, lors de la fondation de l'agglomération.

Son culte, qui intéresse toute la communauté, garantit la per-


pétuation de ces rapports.

L'élément principal de l'autel est une jarre, qui contient


notamment des parcelles de l'environnement naturel auxquel-
les ont été jointes des reliques des ancêtres. Les rites
cycliques sont annuels, mais tous les sept ans les cérémonies
revêtent une solennité particulière.

Les récits mythiques rendent compte d'une origine préhumaine


du k?chy? , institution donnée elle aussi aux hommes par le
singe gb?ngo.

3) l
еуТ ? (littéralement "vieille femme".)

Le thème de la "Vieille mère" est très important chez les


Minyanka, il s'exprime surtout par un culte rendu à la pre-
mière femme de la création.

Ce culte, parfois confondu avec le k?chy? est empreint d'une


grande solennité, mais dans la littérature orale, Tyel? ou
- 23 -

Tyel?r?se présente comme une petite vieille, rusée, qui


symbolise la connaissance ambiguë, à la fois bonne et mau-
vaise ; "sa connaissance, dit-on, est celle des sorciers"
sik?fo.

Le sanctuaire de Tyel? se présente sous la forme d'une


hutte circulaire dont le mur est constitué de rondins plan-
tés verticalement dans le sol. Ces pièces de bois, qui sou-
tiennent le toit de chaume, symbolisent les hommes du vil-
lage qui soutiennent Tyel? . L'animal sacrificiel par
excellence est aujourd'hui le chien, mais selon les vieux
d'Ourikela, le sacrifice à Tyel? était jadis un sacrifice
humain.

4) Kachik?. (1)

Pour chaque village, il y a, sans compter les bosquets des


cultes initiatiques, un bois sacré particulièrement touffu
qui abrite les forces associées à la terre.

Les abords du bois sont soigneusement entretenus par les


jeunes gens, groupés en société de culture, car si un feu
de brousse venait à gagner le bois, les villageois n'auraient
plus qu'à émigrer.

Le prêtre du kachik? est le chef de la terre, ningef?l?, l'ainé


des descendants vivants de l'ancêtre qui noua un premier lien
sacré avec le sol sur lequel réside le groupe.

Le chef de terre est souvent distinct du chef politique,


dont le pouvoir, plus étendu mais plus fragile, est toujours
contestable. Dans le domaine religieux, l'expression kuluf?l?,
chef de village, désigne toujours le chef de terre.

Seuls, les chefs des familles très anciennes dans le village


ont le droit de pénétrer dans le bois sacré à l'occasion
d'un rite de réparation ou des sacrifices annuels. Ceux-ci
ont lieu avant l'hivernage et aucun chef de famille ne m a n -
querait d'offrir un poulet, puis un bouc ou u n mouton au
Kachik? avant la nouvelle saison agricole.

(1) Nous n'avons pu établir avec certitude 1'éthymologie de


ce terme, que la plupart de nos informateurs traduisent
par "bois sacré".
- 24

La viande des animaux sacrificiels ne peut être consommée


que par les habitants du village, leurs tilles mariées et les
enfants de celle-ci. Elle ne sera -jamais offerte à an étranger.

5) Le Dasiri.

Cette expression bambara, que les Minyanka ont largement adop-


tée, signifie littéralement "attacher la bouche". Elle s'emploie
pour désigner n'importe quelle pratique "magique" destinée à
nuire à quelqu'un ou à en prendre le contrôle. L'expression
s'applique donc également aux rites souvent liés à la fondation
du village et qui visent à en assurer la protection et la per-
pétuation. Il s'agit "d'attacher la bouche des ennemis du vil-
lage ".

A ce titre, un animal auquel il ne sera fait aucun m a l , gui


sera nourri et jouira d'une liberté totale, symbolisera la
permanence et la sérénité du village.

L'animal dasiri est le correspondant animal du kuluf?l?, au sens


de représentant de l'ancêtre fondateur. Lors du rituel de fon-
dation d'un quartier de Kimparana, le médium d'une société
d'initiation, le Nya, possédé par la k?chy? est venu déclarer :

"Koduba ! (déformation de Kor?duga, "vautour du kor?, excla-


mation q u i , chez les Minyanka, signale la manifestation d'une
divinité) ninya na ty? l? djo na ye
aujourd'hui ma vieille dire vous

yat?g? yala ye kere ya kayi le kuluf?l?"


animal chercher le laisser quartier chef de village

"Koduba! ma vieille mère (le k?chy? est "mère" de tous les


yap?r? du village) m'a dit que vous deviez chercher un animal
et le laisser au village comme chef de village".

Il y a une grande variété d'animaux dasiri : un bouc à Nam-


possela, un âne à Ourikela et Yorosso, un chien noir à Sangue-
la, un caïman à Ntiesso, des tortues à Somasso et M'petiona,
des serpents à M'pessoba e t c . .

Au contraire du rite bambara, le kuludasiri (dasiri du village)


ne sera jamais sacrifié.
- 25 -

A la mort de l'animal, un "héritier" sera désigné par le devin


ty?mfo (littéralement : maître de la connaissance), consulté
par le chef de village.

6) Fari.

Faro, le génie de l'eau est bien connu des auteurs qui ont
étudié l'"univers" religieux bambara (1).

Chez les Minyanka, un culte régulier n'est rendu à Fari, qui


apparaît sous la forme du lamantin, qu'aux lieux d'épiphanie :
il n'existe que dans les villages sur le territoire desquels
se trouvent des rivières ou des marigots. Le descendant du
fondateur y fait des offrandes annuelles de crème de mil et
de lait, mais jamais de dolo ("dont Fari a horreur") ni de
sacrifice sanglant. La colère de Fari est extrêmement redoutée
et la récente sécheresse dont a souffert la région, a déterminé
une recrudescence des rites liés au génie de l'eau.

Fari est également un thème mythique important et le fleuve


Niger représente le corps de Nyadj?pimak?r? "l'homme à la
barbe en forme de pirogue", avatar de Fari qui s'est métamor-
phosé à l'issue d'une lutte avec Tyel?r?, la première femme
du monde.

(1) voir notamment G. Dieterlen, Essai sur la Religion bambara,


Bibl. de sociologie contemporaine, Paris, PUF, 1951;
S. de Ganay, notes sur la Théodicée bambara in Revue de
l'Histoire, des Religions , Paris t. CXXXV, n° 2-3, avril-
juin 1949, p. 187 ; Tauxier, La Religion bambara, Paris,
Librairie Orientaliste P. Geuthner, 1941 ; D. Zahan,
Société d'initiation bambara, Mouton et Co, Paris-La Haye,
1960.
- 26 -

C. LES SOCIETES D'INITIATION.

Parallèlement aux cultes généraux qui participent à l'articulation


du village avec le milieu environnant (forge, jarre du village,
arbres sacrés, dasiri, Fari), existent des institutions qui trempent
davantage dans l'organisation sociale au sens empirique du terme
et que l'on regroupe sous le terme de dyo. Ce terme désigne à la
fois l'initiation, les formules de consécration, le culte et la
société à laquelle on accède pour renforcer son statut social et
parfaire ses connaissances. Quoique les dyo soient dépositaires
d'un savoir ésotérique accessible aux seuls initiés, ils concer-
nent toute la communauté et apparaissent comme les gardiens de
l'ordre social. Ces cultes - à l'exception du kori, dont nous ne
pouvons rendre compte ici - comportent un certain nombre d'éléments
invariants :

1 - Un sanctuaire gba, situé soit à l'intérieur, soit à l'extérieur


du village.
2 - Les autels fixes et portatifs yap?r?. Le yap?r?. est un objet
complexe, dont on dit qu'il est "dur" et chargé de forces
d'autant plus redoutables qu'il est ancien et a reçu de nom-
breux sacrifices sanglants. Par extension, le terme yap?r?
désigne la puissance à laquelle le culte est rendu.
3 - Des instruments de musique qui sont spécifiques à chaque
société.
4 - Un bois sacré ou plus souvent un enclos sacrificiel tu
situé à l'extérieur du village.
5 - Les sociétaires, parmi lesquels on distingue :

a) les "maîtres" du culte (yap?r?fo)


b) les possédés (yap?r? tutumo, littéralement "envoyé du
yap?r? ") ,
c) les bouffons (yap?r? koduba) , initiés dont la grande
connaissance leur permet de tourner toutes choses en
dérision. Quoique le terme soit une déformation du bam-
bara . kor?duga , "vautour du kor? ", étymologie que de
nombreux Minyanka ignorent, chez les Minyanka, il existe,
indépendemment de cette catégorie d'initiés du kori, des
koduba qui n'entretiennent aucune relation particulière
avec le kori et constituent une catégorie spécifique
d'initiés au sein de chaque confrérie religieuse.
- 27 -

d) les musiciens et chanteurs (yap?r? ty?li) : quoique le


terme dérive du bambara d y e l i , qui désigne les membres
d'une caste particulière, il désigne, chez les Minyanka,
des spécialistes non castés dont le statut n'est pas dif-
férent de celui des autres membres de la société.
e) le sacrificateur, (mufo, littéralement, le "maître du
couteau").
f) la y a p ? r ? l? kachy : la femme donneuse d'eau. Elle ra-
fraîchit les possédés et se charge des travaux ménagers
en rapport avec l'exercice du culte.
g) les initiés (yap?r? kude).

Pour la plupart des sociétés d'initiation, il y a deux manifesta-


tions annuelles importantes (yap?r? kachi ) qui se déroulent l'une
avant les semailles, entre le début du mois de mars et la fin m a i ,
l'autre après les récoltes, à la fin du mois de novembre, début
décembre. La plus importante de ces cérémonies comporte une réfec-
tion rituelle du sanctuaire.

Ces deux manifestations annuelles se déroulent selon le schéma sui-


vant :

Vers la fin de la matinée, le yap?r? s'empare du possédé.


Celui-ci entre en transe et sort les autels portatifs du sanctuaire,
en marchant à reculons, à l'instar des morts dans le monde desquels
il se trouve de par la possession.

Il est assisté et encouragé par les koduba et les ty?li. La foule


se fait de plus en plus nombreuse, tout le monde danse et reprend
en choeur les chansons des ty?li. Bientôt, un cortège se forme et
entame une progession très lente vers l'enclos artificiel ; les
koduba s'efforcent par leurs facéties de freiner la marche pour ne
pas "fatiguer le possédé".

Celui-ci s'arrête à chaque lieu d'épiphanie : devant le sanctuaire


d'un autre culte important, devant l'enclume des forgerons, devant
la plus vieille porte du village, qu'il franchit en marche arrière,
enfin à l'extérieur du village, au premier carrefour. De temps en
temps la yap?r? l?kachy lui donne de l'eau à boire et lui rafraîchit
le visage.
- 28 -

Au cours de cette procession, le possédé communique les conseils,


les remontrances et les menaces de la divinité. Très souvent, celle-
ci se livre à une démonstration de force et quelqu'un, dans la
foule, tombe victime d'une crise de courte durée mais très violente.
Il reçoit aussitôt l'assistance des koduba.

Enfin, le cortège arrive à l'enclos sacrificiel, à proximité duquel


la foule s'arrête.

Le possédé dépose les yap?r? à l'intérieur de l'enclos et les ri-


tes sacrificiels sont effectués en secret par les grands initiés.
Les autels recevront ensuite, pendant l'après-midi, le sang des
sacrifices propitiatoires effectués par le m?fo au nom des habitants
du village.

A la tombée de la nuit, le yap?r? "s'empare" à nouveau de son tutu­


mo et la procession se forme dans l'autre sens, du yap?r?t? vers le
sanctuaire où le possédé doit ramener les autels portatifs.

A l'entrée du sanctuaire, il pose son fardeau e t , jouant véritable-


ment le rôle de médium, il réaffirme avec force la validité des
coutumes traditionnelles et rappelle à chacun "son chemin", c'est-
à-dire son devoir et ses obligations vis-à-vis de la communauté.
Après quoi, ont lieu les rites de rentrée des autels qui précèdent
les réjouissances.

1. Le (Nya) ou (Wara).

Les deux appelations sont interchangeables, mais l'emploi du


terme Wara domine chez les Minyanka du cercle de San, alors que le
terme Nya est préféré dans le reste du minyankala.

Quoique le Nya soit souvent considéré comme un culte spécifique-


ment minyanka, il n'est pas exclu qu'il ait une origine mandé.

Chaque Nya a un nom qu'il tient généralement d'une autre société


initiatique qui a présidé à sa consécration.

C'est ainsi que dans le cercle de Koutiala, les chefs de Nya


T?k?rmanya affirment que les anciens du village de Tokorla ont
apporté les objets du culte du mandé.

Viviane Paques ( 1 ) , mentionne le Nya parmi les cultes Bambara.

(1) V. Paques. Les Bambara, Paris PUF, 1954


- 29 -

Sanctuaire du Nya du village de Gouantara (Mali)


- 30 -

Les autres cultes qu'elle évoque (Komo, Kworθ, Nama, Kono, Nago)
sont d'ailleurs également connus des Minyanka.

Ailleurs ( 1 ) , le même auteur nous livre une très brève descrip-


tion du Wara, autel propre aux cultivateurs sur lequel on sacri-
fie spécifiquement des chiens, et qui correspond à celle du Wara
minyanka.

Le terme bambara Wara signifie fauve, bête sauvage, animal


griffu.

Selon une tradition recueillie en deux villages fort distants


l'un des l'autre, Kimparana et Nkontina près de Koutiala, l'appela-
tion Wara désigne le singe rouge Wara ble, (en minyanka : k?tun?)
qui a donné le Nya aux hommes.

Le Nya protège le village ou le quartier ; il est le garant de


la moralité publique et plus particulièrement de celle des socié-
taires, lesquels sont unis par une grande solidarité. Il sanc-
tionne la violation des lois ancestrales. Jadis, le trésor accu-
mulé par les sociétaires permettait de s'assurer la protection
d'un "chef de guerre" puissant, de venir en aide aux villageois
en difficulté et éventuellement, de racheter un membre de la
société emmené en captivité à la suite d'une expédition ennemie.

Les autels du Nya, répartis eh trois sacs de toile de coton, se


composent d'éléments divers q u i , dans leur ensemble, constituent un
véritable microcosme, siège de "toutes les forces du monde". Ces
éléments renvoient, soit par métaphore, soit par métonymie à des
créatures et des objets, eux-mêmes considérés comme des symboles
des grandes forces cosmiques. Ils peuvent faire l'objet d'une
interprétation dont la complexité est à la mesure des connais-
sances de l'initié.

Les éléments constitutifs des autels admettent un classement en


deux grandes catégories : celle des éléments marqués du signe
positif, qui ont une influence favorable, et celle des éléments
marqués négativement, qui sont destinés à attaquer, à détruire.
Cependant, selon les informateurs, cette classification est trop
simple car certains principes - qui sont loin d'être les moins
importants - se situent dans l'ambiguité, S commencer par les

(1) V. Paques. Bouffons sacrés du Cercle de Bougouni. Journal de


la Société des Africanistes , t. XXXIV, 1, 1964, 63.
symboles de la connaissance elle-même.
Voici quelques éléments constitutifs des yap?r? du Nya que nous
avons pu identifier ( 1 ) .
- griffe de lion tch?ga : symbole de puissance, de colère agres-
sive.

- bec de vautour tumpungo: symbole de la "vieille connaissance".


Le vautour est un animal très vieux, au crâne dégarni. Il est
également immortel car, dit-on, il fait son nid et y entre
pour y rester de longues semaines, avant d'en ressortir rajeuni,
sous forme de ses jeunes déjà adultes.
- tête de grue couronnée gani : la grue couronnée est le symbole
de la parole, de la connaissance humaine. C'est un oiseau d i -
vin, évoquant la fierté et l'orgueil bien placé.
- tête de cigogne masag?g? , littéralement "à côté de Dieu" : la
cigogne est l'envoyé de Dieu; elle annonce la pluie, l'hiver-
nage, la prospérité et l'abondance des récoltes. Elle est dou-
blement bénéfique- du fait qu'elle mange les sauterelles dévas-
tatrices.
- tête de coq de brousse sekituntun, littéralement "le forgeron
de brousse" : associé, comme son nom l'indique, à la forge et
aux secrets de la technique métallurgique. Le Nya contient d'ail-
leurs une enclume miniature, rappel du yap?r? tumpungo que nous
avons déjà évoqué. L'enclume, dit-on peut "monter jusqu'à Dieu
en traversant les flammes".

- tête de calao s?gbaga ou tugbaga, en bambara, dyug?.Le calao


est symbole de malheur. Quand on se promène en brousse et qu'on
aperçoit un calao immobile, il faut lui jeter une pierre, le
faire voler pour qu'on voie le bout de ses ailes blanc. Dans
les incantations au Nya, on dit : "Faites que la tête de mon
ennemi se courbe, comme la tête de calao". Il faut noter qu'une
autre sorte de calao, (Kl?t?g?), est considéré comme un oiseau
divin.

(1) cette présentation n'implique pas de notre part l'affirmation


que les éléments peuvent avoir une signification intrinsèque:
elle correspond à l'ordre d'exposition adopté par les infor-
mateurs qui ont bien voulu prendre en charge notre initiation
religieuse.
Le Nya comporte également des armes miniatures qui sont le
symbole de la guerre victorieuse, celle qu'il mène contre les
sorciers : "le Nya est comme un arc tendu et comme la flèche
qui pénètre, il tranche comme le sabre". Ses autels contien-
nent également une chaîne en cuivre qui permet "d'attacher" les
principes du mal. Parmi les yap?r? ou comme parties constitu-
tives de ceux-ci, on trouve également les nombreuses racines ou
autres éléments végétaux, qui font partie de la pharmacopée
traditionnelle. Ces racines n'ont pas seulement des vertus
curatives, elles sont toujours codées, s'intégrant dans le
système symbolique.

Le caïlcédrat, par exemple, est amer, comme est amer le Nya


quand on enfreint les règles de bonne conduite qu'il préconise.
Le coton, sous forme d'une boule de fil, c'est-à-dire sous sa
forme terminale, est le symbole de la perfection, du travail
achevé, de la patience.

Le ficus n'toro, associé à la résurrection, à la survie, est un


élément important du Nya : des branches de ficus garnissent le
toit du Nyagba, le sanctuaire du Nya. Les racines du k?gw?,
en bambara n'k?dye, le premier arbre de la création selon les
récits mythiques, symbolise la durée, la vieillesse du Nya,
qui renforce ses pouvoirs. Le s?s?n, fruit aux grains abondants,
symbolise la fécondité de la femme, la progéniture nombreuse.
Le "noyau" du yap?r? est constitué d'une boule d'or, métal
inoxydable considéré comme le symbole de l'intangibilité, de la
puissance du Nya. Vendeix mentionne également l'existence d'un
aérolythe dans cette partie de l'autel (1).

Un disque de bois représente la terre, que l'on dit située


entre sept ciels du haut et sept ciels du bas.

Il ne nous est pas possible d'étudier ici la littérature orale


qui se rapporte aux fêtes annuelles du Nya ; voici cependant
quelques expressions désignant le Nya qui permettent déjà de
préciser l'idée que s'en font les Minyanka.

(1) Vendeix, Note sur la principale divinité chez les Sénoufo


et les Bambara, in Bull. Com. Etudes Historiques et Scien­
tifiques de l'A.O.F., t. X V I , n° 1, 1933.
- 33 -

Parmi les noms donnés au Nya dans les chants et les prières,
c'est le terme M?gala, qui désigne chez les Bambara le Dieu
suprême, qui revient le plus souvent. Les louanges du Nya
proclament : "Dieu (Kl?) t'a donné le nom le plus célèbre :
M?gala. Le Nya apparaît comme un principe suprême, redoutable,
agressif, "bourdonnant", dont l'âge vénérable force le respect.
Pour ceux qui "prendraient le mauvais chemin" (de la sorcelle-
rie) , il est l'ennemi suprême, le b?ndjugu ou le b?ndjugu ble,
le b?ndjugu rouge, le rouge étant associé à la violence, à la
mort. Il est aussi le bama, le bama djugu ou le korof? bamadju­
gu : le "caïman", le "caïman redoutable" ou le "redoutable
caïman de l'Est", c'est-à-dire de Dieu. "Chose redoutable"
(f?djugu), il est aussi "chose redoutable et chose bonne"
( f?djugu­f?nyuma) ; selon que l'on respecte ou non les lois
ancestrales.

On l'appelle également "colline qui procure les chiens" (tegele


pu ta pu we)j la colline symbolisant la mort et le chien (asso-
cié souvent à la terre et à la mort) symbolisant le sorcier ;
ou encore "bonne colline de chiens de minuit tués". Pour les
sorciers, les chiens de minuit, le Nya signifie la mort. On
dit du Nya qu'il est un "voleur de morts" car il dépeuple les
maisons des sorciers.

Certaines dénominations du Nya mettent l'accent sur son ancien-


neté, son âge vénérable : l?go "vénérable", "vétéran"; ny?re,
nom donné à la première fille d'une femme. Cela signifie non
seulement que la société initiatique est la fille d'une société
"mère" mais aussi qu'elle est l'ainée, qu'elle a le droit
d'ainesse. Ba dye signifie "mère blanche" : le Nya est la mère
de tous et sa couleur est le blanc, la couleur divine.Plusieurs
noms renvoient à la notion de connaissance : on appelle le Nya
"notre Bozo", le pêcheur bozo étant le symbole du guide, qui
fait passer le fleuve ; "notre chasseur", car les chasseurs con-
naissent les "choses de la brousse" et c'est de la brousse que
les ancêtres ont rapporté les "bonnes vieilles choses", les
yap?r? et les remèdes w?r?. On l'appelle enfin ty?chal?g?,
"vieille femme experte en amour", la jouissance sexuelle étant
symboliquement associée, chez les Minyanka comme chez les
Bambara ( 1 ) , à l'accession à la connaissance.

Sandongo ou Santungu

Sandongo est la hyène, patronne de l'agriculture. Selon les-


récits mythiques, elle connaît les secrets de la terre et a
enseigné les techniques de production aux hommes. Parmi les
autels portatifs du culte figurent la houe (daba) du culti-
vateur, le harpon (ny?ki) du pêcheur, la navette du tisserand
ainsi qu'une corne, la "voix de la hyène", qui sert à appeler
les cultivateurs au travail. En effet, la confrérie constitue
également une société de culture et une société d'entraide.
Avant la généralisation de la culture attelée, il y avait en
pays minyanka, de véritables "championnats" de culture entre
les différentes sociétés, à l'issue desquels les vainqueurs
emportaient la corne sacrée des vaincus. Ceux-ci n'avaient
alors d'autres recours que de "racheter" la corne, très cher,
ou de la reconquérir. Il s'agissait d'être vif comme la hyène
afin d'être comparé à elle par les joueurs et les chanteurs
qui faisaient les louanges des cultivateurs.

Le Many?.

Le culte rendu au Many? est assez rare en pays minyanka. Les


autels du Many? se distinguent par leurs dimensions peu com-
munes : ils peuvent dépasser la taille humaine. Le Many? est
réputé être la "mère" de tous les cultes de possession. Dans
la "tête" de ses yap?r?, se trouve la racine de la datura
kordya, solanacée hallucinogène qui intervient dans le déclen-
chement des scènes du "théâtre sacré" de toutes les grandes
sociétés d'initiation minyanka et dont, à l'origine, seul le
Many? avait le secret.

(1) Voir D. Zahan, Sociétés d'initiation bambara , Mouton, 1960.

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