مقالۀ مهم مرجع - De la société du texte à la société du référent
مقالۀ مهم مرجع - De la société du texte à la société du référent
مقالۀ مهم مرجع - De la société du texte à la société du référent
Ebrahim SALIMIKOUCHI
Maître-assistant, Université d'Ispahan
[email protected]
Sousan ASHRAFI
MA ès Lettres, Université d'Ispahan
[email protected]
Résumé
Née dans les années soixante, la sociocritique cherche à faire sortir le réel
social à travers le texte littéraire. De nombreuses perspectives ont été
ouvertes par des sociocritiques, parmi lesquelles, celle de Duchet semble
la plus textuelle. Pour lui, la sociocritique est plutôt une analyse socio-
sémiotique du texte littéraire.
La littérature contemporaine d’Iran, influencée par les changements
sociaux multiples, est le produit de la plume des écrivains qui ont
toujours tenté de rédiger des œuvres inspirées, dans la plupart du temps,
du réel social. Gholamhossein Sâédi est l’un des écrivains contemporains
dont les œuvres sont considérablement influencées par les conditions
socio-politiques de l’époque. Cet article a mis à contribution la méthode
sociocritique de Claude Duchet afin de traiter les infrastructures socio-
textuelles de Peur et Tremblement de Gholamhossein Sâédi. Nous
chercherons donc, dans cette optique, à dégager dans le texte les traces de
la société réelle de l’écrivain dans le but de mieux justifier ses stratégies
esthétique, thématique et formelle. En effet, en pénétrant dans l’univers
du texte, nous étudierons cette re-présentation du réel social. Pour ce
faire, nous avons étudié le texte selon les concepts analytiques de Duchet
tels société du texte, société du référent et sociogramme.
Introduction
La littérature en tant qu'une production de la pensée créatrice de
l’homme, doit son existence aux différentes conditions de la vie qui
enrichissent l'esprit et l'imagination des êtres humains. De ce fait,
l'évolution de la littérature est dépendante des changements que subit la
société humaine. Par conséquent, il y a une relation étroite entre la
littérature et la société qui la produit. Il y a des liens solides entre les
formes et les structures sociales et les formes et les structures du texte
littéraire. La littérature sert à juger la société et la société sert à expliquer
la littérature. De ce point de vue, il est impossible d'analyser l'œuvre
littéraire sans considérer la société dans laquelle, le texte littéraire est
produit.
L'approche sociocritique étudie la littérature comme un fait social et
démontre que chaque expression artistique ou littéraire relève, plus ou
moins, du réel social de son époque (Goldmann, 1964, 23). Les
théoriciens de la sociocritique tentent d'étudier les particularités des
sociétés humaines et d’analyser les représentations du réel social dans le
texte.
En Iran, l'évolution de la littérature contemporaine est influencée par
plusieurs changements socio-politiques. La complexité de ces
événements politiques et ces situations sociales majoritairement instables
ont touché les mouvements et les produits de l'espace littéraire. Dès la
Révolution Constitutionnelle, la littérature devient la source principale
des idées issues des différents mouvements sociaux. Les œuvres
littéraires de cette époque ont le mérite d'être la re-présentation des
réflexions des intellectuels qui se trouvent au sein de ces mouvements et
qui tentent de renouveler la sphère de la pensée publique.
Dans les générations cadettes de l’époque constitutionnelle,
Gholamhossein Sâédi est l'un des écrivains qui, par sa plume et son
talent, a pu présenter dans ses œuvres, l’image du réel social de son
époque. La désespérance et la déception générale poussent Sâédi à écrire
des œuvres racontant la confusion et la désillusion qui dominent la
société et surtout l’élite de son temps. Dans ses œuvres, il décrit un
espace vague et illusoire dans lequel la plupart des personnages sont en
lutte permanente contre les aventures terribles de la vie.
Il faut souligner que Peur et Tremblement, comme la plupart des
œuvres de Sâédi, s’inscrit dans le cadre du réalisme magique et la société
conçue dans l’analyse de cet article est une petite société villageoise du
Sud d’Iran qui peut être considéré comme une micro-société renvoyant à
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De la société du texte à la société du référent… 69
1. La Sociocritique duchétienne
La sociocritique s'appuie sur les études sociologiques du début du
vingtième siècle et surtout sur les travaux de Lukács et Goldmann qui ont
innové la sociologie dialectique de la littérature. Selon Duchet, la
sociocritique ne peut que souligner sa dette à l'égard de leurs travaux
(Duchet, 1979, 5).
La sociocritique est basée sur un vaste concept qui considère la
littérature et la société comme deux parties indissociables et définit
l'œuvre comme le résultat des conditions sociales de l'époque de l'auteur.
La littérature reflète les réalités socio-historiques et dessine la société du
dehors dans le cadre d’un univers fictif. Chaque œuvre littéraire cache et
englobe l’ombre d’une société et le propre de la sociocritique est de faire
sortir cette société en ouvrant et analysant les différentes parties de
l'œuvre. En fait, «effectuer une lecture sociocritique revient, en quelques
sortes à ouvrir l'œuvre du dedans, à reconnaître ou à produire un espace
conflictuel où le projet créateur se heurte à des résistances, à l'épaisseur
d'un déjà là, aux contraintes d'un déjà fait, aux codes et modèles
socioculturels, aux exigences de la demande sociale, aux dispositifs
institutionnels» (Ibid., 4).
Or, l'analyse sociocritique étudie le texte sous une perspective
particulièrement sociale et vise à chercher les marques de la société dans
la littérature. Le but premier de cette approche est donc la recherche
d'une «socialité du texte». Cette socialité se révèle comme «la façon dont
le roman s'y prend pour lire le social, pour inscrire du social tout en
produisant par sa pratique, du texte littéraire, une production esthétique»
(Robin, 1993, 3). C’est pourquoi, elle est tout ce qui se manifeste dans le
texte comme la présence d'une société de référence et d'une pratique
sociale. Ce par quoi chaque texte littéraire s'affirme dépendant d'une
réalité sociohistorique antérieure et extérieure à lui (Duchet, 1973, 449).
Il est bien évident que la socialité de l'œuvre est à la fois le résultat
d'une expérience personnelle et le produit d'un groupe social. Aussi, la
sociocritique s'intéresse à étudier et à mettre en relief les éléments de la
société dans la production littéraire et à découvrir «ce par quoi le roman
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réalités propres aux communautés humaines. Ces discours qui portent sur
plusieurs thèmes, sont considérés comme l'expression de la socialité du
texte. Dans la sociocritique de Duchet, discours social est avant tout «le
on du texte, et sa rumeur, le déjà-dit d'une évidence préexistante au
roman et par lui rendre manifeste» (Duchet, 1973, 453). Par conséquent,
les discours sociaux montrent l'opinion dominante de la société du roman
et représente de différentes modes de penser, des pratiques sociaux, des
idéologies et des visions du monde.
La société du texte permet d'étudier le fait social à travers le texte.
Elle est un monde fictif qui re-présente la société réelle. Elle manifeste
des lois, pratiques, valeurs, structures sociales, économiques, politiques
et tout ce qui se trouve dans l'univers réel de l'écrivain. Les personnages
de cette société sont semblables aux hommes de la société réelle. La
société du texte constitue un univers fictif reflétant les réalités humaines.
Il est à noter que la présentation de la société réelle est généralement la
particularité du texte réaliste qui reconstitue la réalité d'une façon
explicite et reproduit la société aussi fidèlement que possible. Selon
Duchet «l'existence (de la société du roman) est postulée par toute
l'écriture qui obéit aux règles de la vraisemblance» (Ibid., 450).
La société du roman n'existe pas dans le texte et elle est seulement
l'image d'une organisation sociale à laquelle elle s'inspire. Ainsi, «le
roman, réaliste ou non, ne contient pas ce qu'il nomme» (Duchet, 1979,
4). C’est pourquoi, pour une démarche sociocritique, «il ne s'agit pas
d'appliquer des normes et des étiquettes, mais d'interroger les pratiques
romanesques en tant que productrices d'un espace social, que j'ai proposé
d'appeler société du roman» (Duchet, 1973, 448). Alors, la société du
texte renvoie donc à un espace social qui est à l'extérieure du texte et que
Duchet désigne sous le nom de «société de référence».
La littérature est un univers de papier qui représente l'univers réel de
la société. Pour que le texte littéraire soit lisible et compréhensible par
ses lecteurs, il faut qu'il se réfère à leurs réalités sociales et indique, d'une
manière explicite ou implicite, leurs pratiques et leurs dogmes. La société
de référence aide à mieux comprendre la société du texte, parce que dans
le texte, il existe des éléments qui renvoient à une société hors du texte.
Lorsque Duchet parle de la société de référence, il veut arriver à la
lisibilité de la société dans le texte. La société de référence est donc ce
que Duchet désigne par «la présence hors du roman d'une société de
72 Études de langue et littérature françaises
Société du roman
Société du référent
Hors-texte
1.3 Sociogramme
Le sociogramme constitue une nouvelle conception théorique de la
sociocritique mise au point par Duchet. Le sociogramme peut être défini
comme un motif englobant et exhaustif de la situation générale de la
société réelle. Ainsi, on peut dire que le sociogramme naît dans l'univers
des références. Autrement dit, le sociogramme est un ensemble des
questions sociales décrites dans l'œuvre littéraire et qui se présentent
généralement sous forme de conflit. Il faut préciser que le sociogramme
n'est pas seulement un thème, il est un motif général ayant un caractère
problématique et qui se forme à partir d'un noyau conflictuel dans le
texte. Selon Duchet, le sociogramme est un «ensemble flou, instable,
conflictuel de représentations partielles, en interaction les unes avec les
autres, gravitant autour d'un noyau, lui-même conflictuel» (Tournier,
1993, 49). Pour Régine Robin le sociogramme est «cet ensemble de
représentations qui se constitue, se configure autour d'un noyau, d'un
énoncé nucléaire conflictuel qui peut se présenter sous les formes
variées: un stéréotype, une maxime, un sociolecte lexicalisé, un cliché
culturel, une devise, un énoncé emblématique un personnage
emblématique, une notion abstraire, un objet, une image» (Robin, 1993,
14).
2. Société du texte de Peur et Tremblement
Dramaturge et nouvelliste contemporain d'Iran, Gholamhossein Sâédi
tient essentiellement un style exclusif qui constitue un amalgame du
réalisme et de l'illusion. Dans ses nouvelles, l'auteur de Les Endeuillés de
Bayal décèle les réalités de la vie en les mêlant avec des éléments
magiques et imaginaires. On constate que même dans les structures de
ses écrits les plus réels, il existe encore les traces de l'imagination. La
raison fondamentale de cette tendance est peut-être les situations sociales
74 Études de langue et littérature françaises
ce faire, ils vont chaque jour, près des tentes des étrangers pour les
contempler. A la suite, nous voyons que la vie des villageois perd son
ordre naturel. Ils ne vont plus à la mer pour pêcher, car les étrangers leur
donnent quelque chose à manger et ils n'ont pas besoin de travailler pour
subsister. Peu à peu, les habitants du village s'habituent à cette situation.
Ils n'ont pas envie de travailler et tous deviennent très gros et paresseux.
A la fin du récit, lorsque les étrangers quittent le village, les habitants qui
ne voulaient aller à la mer et pêcher, s'inquiètent: «Qu'est-ce qu'il faut
faire, s'ils ne retourneront pas? Dit Mohammad Ahmad Ali» (Ibid., 202).
Enfin, sous l'influence des étrangers, les villageois qui, au début,
vivaient honnêtement et travaillaient rigoureusement, commencent à
voler pour substituer.
3. Société du référent de Peur et Tremblement
C'est la société du référant qui crée la société du texte et pour
comprendre le texte littéraire, il faut étudier les particularités de la société
du référant. Ainsi, pour mieux comprendre la société du texte dans Peur
et Tremblement, il est nécessaire de connaître la société de l'époque de
Saédi et de vérifier les influences qu'exerce cette société sur l'écriture de
l'écrivain.
L'histoire contemporaine d'Iran, a supporté plusieurs changements
principaux qui ont influencé la littérature et ont renouvelé la thématique
et la structure des œuvres littéraires. Parmi ces changements, on peut
citer la Révolution Constitutionnelle qui donne naissance aux nouveaux
genres littéraires influencés par la littérature occidentale et qui présente
une nouvelle phase dans l'évolution de la littérature contemporaine
d’Iran. Dans cette époque, les écrivains créent une littérature qui penche
surtout vers la critique de la société et par là, le roman socio-réaliste
occupe une place très particulière dans leurs produits littéraires.
Avec la monarchie Rézâ Chah en 1925, l'Iran entre dans une nouvelle
ère et se reconstitue politiquement, socialement, culturellement et
économiquement. Sous la botte du nouveau monarque, le pays perd une
partie de son originalité culturelle et identitaire. Dans cette époque, on
voit un ralentissement dans la création des romans influencés par
l’idéologie de la mashroutiyat et le régime totalitaire de Pahlavi détruit
l’espoir créé par la révolution constitutionnelle. En 1942 et après la chute
de Rézâ Chah, les mouvements sociaux se développent et la censure
donne sa place à la liberté d'expression. Les auteurs et les intellectuels
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Conclusion
Basée sur les concepts analytiques comme société du texte, société du
référant, hors texte, discours social et sociogramme, l'approche
sociocritique de Duchet vise à analyser les conflits sociaux posés dans
l'œuvre. D’après Ruth Amossy, les travaux de Duchet, dans leur
ensemble, se portent sur « les structures internes, les contraintes
génériques, les réseaux thématiques, les diverses figures et métaphores
par le maniement desquels le texte littéraire parle de la société de son
temps » (Amossy, 1992, 29). La sociocritique de Duchet nous a semblé la
plus appropriée pour analyser Peur et Tremblement. La réalité décrite
dans cette œuvre de Sâédi est re-présentée sous forme d'une imagination
mêlée à la frayeur et aux aventures surnaturelles.
Peur et Tremblement est le produit culturel d'une société dans
laquelle l'oppression exercée engendre la misère morale et la confusion
de pensée. Dans une telle société, la violence et la crainte font entrer les
hommes dans un monde de désordre et d'illusion. Ces caractéristiques de
la vie illusoire dans le village renforcent le caractère fantastique de
l'œuvre de Sâédi dans laquelle une harmonie remarquable se montre entre
la structure de la société du référent et la structure de la société du texte.
Peur et Tremblement représente ainsi une entité socio-historique du
réel. Le récit qui décrit la situation de la société de l’époque tisse
effectivement un grand lien avec les infrastructures discursives comme la
crainte, l’incommunication, la violence, la solitude, la nervosité et le
désespoir. Sâédi nous a, encore une fois, démontré que «dans l’œuvre
littéraire quelle qu’elle soit, qu’on la produise ou qu’on la consomme, on
se lit d’abord soi-même» (Jean Bellemin-Noël, 1978, 63).
BIBLIOGRAPHIE
AMOSSY, Ruth, « Sociocritique et Argumentation: l'exemple du
discours sur le déracinement culturel », in: La politique du texte, Enjeux
sociocritiques, Lille, Presses universitaires de Lille, 1992.
ANGENOT, Marc, Un état du discours social, Montréal, Le Préambule,
1889.
BELLEMIN-NOËL, Jean, Psychanalyse et littérature, Paris, PUF, 1978.
DUCHET, Claude, Sociocritique, Paris, Nathan, 1979.
DUCHET, Claude, «Une écriture de la socialité», in: poétique, n° 16, p.
446-454, Paris, Seuil, 1973.
GOLDMANN, Lucien, Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard,
1964.
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