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Études Carmélitaines - : Satan

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SATAN

Ouvrage collectif des

- ÉTUDES
CARMÉLITAINES -
TABLE DES MATIÈRES
Avertissement
EXISTENCE
A. LEFÈVRE, S. J. Ange où bête?
HENRI-IRÉNÉE MARROU. Un ange déchu, un ange
pourtant.

P. LUCIEN-MARIE DE SAINT-JOSEPH, O. C. D. Le
démon dans l'oeuvre de saint Jean de la Croix.
MARCEL LÉPÉE. Sainte Thérèse de Jésus et le
démon.

HISTOIRE
P. JOSEPH HENNINGER, S. V. D. L'Adversaire du Dieu
bon chez les primitifs.
P. LAURENT KILGER, O. S. B. Le diable et la
conversion des païens.
P. DE MENASCE, O. P. Note sur le dualisme Mazdéen.
HENRI-CHARLES PUECH. Le prince des ténèbres en
son royaume.
LOUIS MASSIGNON. Les Yezidis du Mont Sindjar
« adorateurs d'Iblis ».

ASPECTS
ALBERT FRANK-DUQUESNE. Réflexions sur Satan en
marge de la tradition Judéo-Chrétienne.

RÉPRESSION
MGR F. M. CATHERINTET. Les démoniaques dans
l'Évangile.
F. X. MAQUART. L'exorciste devant les manifestations
diaboliques.
ÉMILE BROUETTE. La civilisation chrétienne du XVIè
siècle devant le problème satanique.
APPENDICE - PROCÈS D'ANNE DE CHANTRAINE
(1620-1625)
PIERRE DEBONGNIE, C. SS. R. Les confessions d'une
possédée, Jeanne Fery (1584-1585).
P. BRUNE DE J.-M. La confession de Boullan.
SUZANNE BRESARD. Étude graphologique.
DR JEAN VINCHON. Étude psychiatrique.

THÉRAPEUTIQUE
DR FRANÇOISE DOLTO. Le diable chez l'enfant.
MARYSE CHOISY. L'Archétype des trois S. : Satan,
Serpent, Scorpion.
DR JOLANDE JACOBI. Les démons du rêve.
DR JEAN VINCHON. Les aspects du diable à travers
les divers états de possession.
PROF. JEAN LHERMITTE. Les pseudo-possessions
diaboliques.
JOSEPH DE TONQUÉDEC, S. J. Quelques aspects de
l'action de Satan en ce monde.

FORMES
GERMAIN BAZIN. Formes démoniaques.
AUGUSTE VALENSIN, S. J. Le diable dans la Divine
Comédie.
PIERRE MESSIAEN. Satan dans le Paradis perdu.
ALBERT BÉGUIN. Balzac et la fin de Satan.
PAUL ZUMTHOR. Le Tournant romantique (1850-
1870).
JACQUES MADAULE. Le diable chez Gogol et chez
Dostoïevski.
CLAUDE-EDMONDE MAGNY. La part du diable dans
la littérature contemporaine.

DÉICIDE
PAULUS LENZ-MEDOC. La mort de Dieu.
DOM ALOÏS MAGER. Satan de nos jours.

BIBLIOGRAPHIE
ROLAND VILLENEUVE. Bibliographie démoniaque.

ont collaboré à cet ouvrage des

ÉTUDES
CARMÉLITAINES :
GERMAIN BAZIN
ALBERT BÉGUIN
SUZANNE BRESARD
ÉMILE BROUETTE
P. BRUNO DE JÉSUS-MARIE
MGR R. M. CATHERINET
MARYSE CHOISY
P. PIERRE DEBONGNIE
Dr FRANÇOISE DOLTO
ALBERT FRANCK-DUQUESNE
P. JOSEPH HENNINGER
Dr YOLANDE JACOBI
DOM LAURENT KILGER
P. ANDRÉ LEFÈVRE
PAUL LENTZ-MÉDOC
MARCEL LÉPÉE
PROF. JEAN LHERMITTE
P. LUCIEN-MARIE DE SAINT-JOSEPH
JACQUES MADAULE
DOM ALOÏS MAGER
CLAUDE-EDMONDE MAGNY
HENRI-IRENÉE MARROU
LOUIS MASSIGNON
FRANÇOIS-XAVIER MAQUART
P. PIERRE DE MÉNASCE
PIERRE MESSIAEN
HENRI-CHARLES PUECH
JOSEPH D ETONQUÉDEC
AUGUSTE VALENSIN
ROLAND VILLENEUVE
Dr JEAN VINCHON
PAUL ZUMTHOR

haut de la page

Avertissement
Que Satan existe , la question est résolue de
manière affirmative par la foi chrétienne. Que la
croyance au démon soit un fait d' histoire , afin de s'en
assurer il suffit de jeter un coup d'oeil, même rapide,
sur les civilisations. Pour peu que l'on s'enhardisse, par
méditation et confrontation, des aspects inattendus
apparaissent. Le Malin aide merveilleusement la malice
humaine, aussi la répression ne fut-elle pas toujours
accomplie à la manière divine de Jésus. Il ne s'agit ici
que d'exposer loyalement les faits et les intentions.

Il est arrivé que, dans le but de faire cesser une


épidémie d'offrande de soi à Satan, qui infestait à leur
époque la Bretagne et la Normandie, Marie des Vallées
et Catherine Daniélou s'offrirent à porter elles-mêmes
les souffrances des possédés qui s'étaient ainsi livrés
au diable en vue d'exercer la sorcellerie. Ce genre de
« répression » pour être plus charitable que d'autres,
nous semble périlleux du point de vue psychologique,
aussi ne nous arrêterons-nous pas à recommander cet
état victimal. Par ailleurs, le Père Surin ne sera traité
qu'accidentellement dans ce volume, puisqu'il a fait
l'objet de plusieurs études lors de notre Congrès
international de Psychologie religieuse de 1938,
lesquelles ont paru dans Nuit mystique et dans Le
Risque chrétien.

Le développement de l'esprit critique et


l'avènement de la psychiatrie ont provoqué une
indulgence nécessaire. L'homme pervers est-il
vraiment coupable de son intensité maléfique? Peut-on
toujours se dépasser? Le sacrifice est une nécessité
vitale; celui qui s'arrête devient névrosé et la névrose
se met à penser pour lui, mais alors de façon
diabolique. Et C. G. Jung de conclure: le démon était
jadis projeté au dehors; aujourd'hui grâce à son
intelligence l'homme n'y croit plus et il le recèle en lui-
même. Après la présentation de la thérapeutique elle-
même, une sorte de psychanalyse du diable à travers
les formes sera pratiquée. On trouvera au cours de
l'ouvrage l'illustration de l'étude de M. G. Bazin. Enfin,
la métaphysique étant le domaine angélique par
excellence, c'est dans la sphère orgueilleuse de l'esprit
que va s'accomplir le déicide . Pourtant celui qui
triomphe ainsi par le truchement de l'homme reste un
vaincu. « Le démon, dit Ruysbroek, voit comme à
travers une cloison de diamant qu'il ne rompra jamais
sa beauté d'archange éternellement subsistante dans
la pensée divine; l'unité de son être est à jamais brisée
et il sait que cette splendeur de lui-même, il ne la
rejoindra plus. ».

Ce vaincu sert aux desseins de Dieu. « Le diable


porte pierre ».

« Je suis l'Esprit qui toujours nie...


A cette Force j'appartiens
Qui toujours fait le Mal, mais n'aboutit qu'au Bien ».
(GOETHE, Faust. Prologue).

1. EXISTENCE
haut de la page

Ange ou bête?
La puissance du mal dans
l'Ancien Testament
Jésus, au désert, tenté par le Satan, était avec les
bêtes (Mc. 1, 12). A Jésus, que servent les anges,
s'oppose le chef des forces mauvaises, le Satan ou le
Diable; l'homme, sauvé ou perdu, est l'enjeu de la
lutte. Le prince des démons, prince de ce monde, tient
l'empire de la mort; le prince de la vie vient lui ravir la
primauté qu'il a usurpée sur les rois de la terre (Mt. 9,
34; Jn 12, 31; Hbr. 2, 14; Act. 3, 15; Apc. 1, 5).

Il est difficile de croire au Christ Rédempteur sans


croire en même temps à son antagoniste, le Diable.
Nous cherchons cependant des subterfuges. Ne
pourrait-on reléguer parmi les masques de théâtre ce
personnage encombrant? La poésie sémitique et
l'imagination populaire se plaisent à personnifier les
forces de la nature, y compris les forces psychiques;
c'est une convention du langage dramatique. Quelle
réalité, dira-t-on, se cache sous ces images? Jésus et
ses Apôtres ont emprunté à l'Ancien Testament, et
même aux apocryphes ou à la gnose, ce bric-à-brac
littéraire; ils étaient bien obligés de parler la langue de
leurs compatriotes. A nous de transposer aujourd'hui;
garder ce langage désuet en s'adressant à des esprits
modernes ce serait trahir la pensée du Maître.

Or Jésus parlait la langue religieuse de son peuple,


que nous a conservée la Bible; un rappel des textes de
l'Ancien Testament nous fera mieux comprendre la
portée de ces images et de ce vocabulaire.

LA BÊTE
Les bêtes du désert.

La fière citadelle du péché est réduite en désert:

Babylonne, la perle des royaumes,


l'orgueilleuse parure des Chalédéens,
sera comme Sodome et gomorrhe que Dieu
ruina.
Elle ne sera plus jamais habitée,
ni peuplée dans les siècles futurs.
L'Arabe n'y dressera point sa tente;
les pasteurs n'y parqueront pas leurs troupeaux.
Mais les bêtes sauvages s'y parqueront,
et les hiboux rempliront ses maisons;
Les autruches y habiteront,
et les satyres y feront leurs danses.
Les chacals hurleront dans ses palais,
et les loups dans ses maisons de plaisance.
(Is. 13, 19-22, Condamin).

Ce genre de description est classique chez les


prophètes. Isaïe (23, 13), Sophonie (2, 14) voyaient les
ruines de Ninive hantées par l'une ou l'autre de ces
bêtes. Babylone dévastée en abrite une demi-douzine
(Is. 13, 21s; Jer. 50, 39). plus tard, en Édom, type des
nations liguées contre Israël, le nombre sera doublé.
Chiens et chats sauvages, chouettes et corbeaux,
d'autres plus difficiles à identifier, mènent un sabbat
démoniaque sur la terre d'Édom déserte, brûlée,
retournée au tohu-bohu primitif (Is. 34).

Que signifie cette accumulation d'horreurs?


Corbeaux et vautours sont bien à leur place sur un
champ de carnage. Le chacal et l'autruche, réputés
pour la tristesse de leurs gémissements, évoquent une
lamentation funèbre (Mi. 1, 8; Job. 30, 29). Bon
nombre de ces animaux sont choisis sur la liste des
bêtes impures, interdites, abominables à Iahvé (Lev.
11, 14-18; Dt. 14, 13-17). Tristesse et désolation,
souillure et péché, tel est le tableau.

Deux bêtes sont plus étranges: Lilit et les satyres.


Lilit est le nom d'un démon femelle bien connu à
Babylone. Les satyres ( ceïrîm, velus, boucs) sont
bonnement traduits démons par la vulgate; nous
savons par ailleurs qu'on leur offrait des sacrifices
idolâtriques (Lev. 17, 7). Ainsi cette troupe funèbre,
abominable, que l'imagination populaire grossit
d'éléments plus hideux encore, évoque une sarabande
de démons dansant dans les ruines, emplissant la nuit
de pleurs et de grincements de dents.

C'est que le désert est le refuge du péché.


Assistant à la purification de Jérusalem restaurée,
Zacharie voyait l'impiété emportée à Babylone, où on
lui bâtirait un trône. Le rituel lévitique chasse ainsi au
désert l'oiseau chargé de l'impureté du lépreux, le
bouc qui porte le péché du peuple (Lev. 14, 7; 16, 10.
21s). Les monstres réels ou fabuleux qui peuplent le
désert, sont dans la Bible le signe du péché, triste et
laid.

Morsures de la maladie.

Une autre classe d'êtres démoniaques s'attaque à


l'homme dans sa chair. Ici, plus de bêtes visibles, mais
leur morsure est sensible, et il faut bien leur prêter un
corps.

Les figurines babyloniennes à destination magique


nous apprennent comment l'Orient ancien représentait
les maladies: tel Pazouzou, le vent du sud-ouest, qui
apporte la malaria. Son corps nu, d'une maigreur
extrême, porte une tête monstrueuse, aux cornes de
chèvre plaquées sur le front; quatre ailes, des pattes
de rapace, soulignent la rapidité avec laquelle il fond
sur sa proie, lui enfonçant dans la chair ses doigts
armés de griffes. « Je suis Pazouzou, fils de Hanpa, dit
l'inscription; le roi des mauvais esprits de l'air qui sort
violemment des montagnes en faisant rage, c'est
moi. » Crabes et scorpions, lions et panthère, reptiles
et rapaces fournissent les éléments du bestiaire
démoniaque représenté sur les plaques talismans. (G.
CONTENAU, Manuel d'Archéologie orientale, fig. 826, p. 1310ss; voir fig.

152s, p. 1306-1310; fig. 829, p. 1316; fig. 830, p. 1320; fig 1038, p. 1913s.).

La Bible utilise un langage analogue. l'auteur du


Ps. 91 exhorte l'Israélite à mettre sa confiance dans la
protection du Très-Haut; ainsi passera-t-il indemne à
travers les plus redoutables épidémies:

Tu ne redouteras ni la terreur nocturne,


ni la flèche qui vole le jour,
Ni la peste qui chemine dans les ténèbres,
ni l'épidémie qui sévit à midi.
(Ps. 91, 5s, Clès).

'ancienne version latine disait « le démon de midi ».


« On peut penser, dit à ce propos le P. Calès, que la
peste (débér) qui chemine la nuit et la contagion
(qétéb) qui sévit à midi font allusion, par réminiscence,
à deux démons, l'un de nuit, l'autre de jour, auxquels la
foi populaire d'ancien Orient attribuait la responsabilité
de ces êtres malfaisants; protégé par les anges, il
foulera aux pieds aspic et basilic, lion et dragon. Nous
retrouvons ici les animaux figurés sur les amulettes
babyloniennes.

Mais en Israël la magie n'est pas tolérée. Les


fléaux sont dans la main de Dieu; on les voit dans sa
garde du corps quand il paraît pour juger la terre (Hab.
3, 5), ce sont les exécuteurs de ses hautes oeuvres:

J'accumulerai sur eux les fléaux,


contre eux j'épuiserai mes flèches;
Exténués par la faim, dévorés par la fièvre
et la contagion funeste,
J'enverrai contre eux la dent des bêtes,
le venin de ceux qui rampent dans la poussière.
(Dt. 32, 23s).

La théologie tardive exalte ces instruments de la


justice divine:

Feu et grèle, fléau et peste,


eux aussi sont créés pour le jugement;
Dent des bêtes, scorpion et aspic
et l'épée vengeresse qui extermine les impies,
Tous ont été créés pour servir à cette fin,
ils sont en réserve pour le jour de la visite.
(Ecli. 39, 29s hébreu).

Ces créatures terribles sont-elles des démons


méchants ou de simples personnifications? Réservons
la question; notons seulement ici que dans les prières
du psautier le malheureux qui crie justice, décrit ses
persécuteurs trop réels sous les traits de bêtes
démoniaques:

Ils ont du venin, venin de serpent,


comme l'aspic qui se bouche les oreilles...,
O Dieu, casse-leur les dents dans la gueule;
leurs crocs de lion, brise-les, Iahvé.
(Ps. 58, 5. 7).

Le spectre de la Mort.

Plus terrible que les épidémies aux dards


empoisonnés est leur père, le roi des terreurs, la Mort.
Le poète de Job décrit l'agonie de l'impie:

De tous côtés des terreurs l'épouvantent


et poursuivent ses pas;
Le malheur qui le frappe est affamé,
la calamité se tient à son côté;
Sa peau est dévorée par la maladie;
le premier-né de la Mort dévore ses membres.
Il est arraché de sa tente où il dévorait en sécurité,
on le traîne au roi des frayeurs.
(Job. 18,11-14).

« Ce personnage, note Mgr Weber, rappelle le Dieu


des enfers mythologiques... la poésie peut se
permettre de ces réminiscences sans aucun danger
pour la foi des lecteurs. » Il n'y a rien de plus ici qu'une
personnification littéraire, comme dans la lamentation
des pleureuses:

La mort est montée par nos fenêtres,


elle a pénétré dans nos palais.
(Jer. 9, 20).

Le Cheol (Hadès, Enfer), royaume de la Mort et


séjour des morts, est lui aussi personnifié. Une gueule
insatiable, c'est tout ce qu'on voit de lui:

Le Cheol a redoublé d'activité,


il a ouvert sa gueule sans mesure.
(Is. 5, 14, Condamin).

Il avale, il engloutit. C'est lui qui dévore vivants Dantan,


Coré et Abiron, lui qui avale l'armée de Pharaon,
quand la terre ouvre sa gueule (Nb. 16, 30-34; Ex. 15,
12).

Monstre non moins avide, l'Abîme (tehom),


l'élément liquide qui est sous la terre et tout autour, a
bien des traits communs avec le Cheol. Il est lui aussi
une puissance de mort. Dans sa détresse le
malheureux crie vers Dieu:

Délivre-moi du bourbier, que je ne m'enlise pas.


Que je sois délivré des eaux profondes.
Que le courant des eaux ne m'entraîne pas;
que le gouffre ne m'engloutisse pas;
que le puits béant ne se ferme pas sur moi.
(Ps. 69, 15s, Calès).

Le gouffre, le puits béant, c'est le Cheol.


L'association de l'Abîme avec le Cheol est fréquente:

Les vagues de la Mort m'avaient environné;


les torrents de Bélial m'avaient épouvanté;
Les chaînes du Cheol m'avaient enveloppé;
les filets de la Mort m'avaient surpris.
(Ps. 18, 5s, Calès).

Sous terre le Cheol est comme la poche stomacale de


cette pieuvre gigantesque dont les courants des eaux
seraient les tentacules:

Ils se sont enfoncés comme du plomb dans les


eaux profondes...
ils ont été engloutis par la terre.
(Ex. 15, 10. 12).

Ces tentacules sont assez puissantes pour


entraîner un vaisseau de haut bord de la taille du
rocher de Tyr:

L'Abîme montera à l'assaut contre toi,


les grandes eaux t'envelopperont;
Tu descendras avec ceux qui descendent dans la
fosse.
(Ez. 26, 19s).

Bien plus, les eaux de l'Abîme ont pu recouvrir la terre


entière, et les ténèbres formaient autour comme une
carapace (Gen. 1, 2; Ps. 104, 6).

Ce monstre vorace, qu'on le nomme Mort, Cheol,


Abîme, Abaddon (perdition), Bélial (vaurien, néant) ou
de tout autre nom, ce monstre a-t-il quelque rapport
avec les êtres démoniaques relevés précédemment?

Tout naturellement les maladies sont au service de


la Mort; le texte de Job cité plus haut montrait le roi
des frayeurs lançant sa meute. La peste ( débér) et la
contagion ( qétéb) sont dans Osée les armes de la
mort (Os. 13, 14). Ainsi la Mort centralise les
puissances mauvaises, elle en fait un empire organisé.
On traite avec elle comme avec une personne; les
impies font un pacte avec la Mort, avec l'Enfer (Is. 28,
15. 18; Sag. 1, 16); ne sont-ils pas insatiables comme
elle pour dévorer les malheureux (Hab. 1, 13; 2, 5;
Prov. 1, 12)?

La puissance infernale acquiert ainsi un caractère


moral et religieux: elle s'oppose à Dieu. Contre l'Abîme
l'activité créatrice est une lutte. Une parole suffit pour
le mettre en déroute; un cri de Iahvé réduit l'adversaire
au silence. Le verbe gaar (et son équivalent grec
epitimân) est spécialisé comme cri de guerre et de
victoire contre les puissances du mal. Ce cri met en
fuite l'Abîme, les grandes eaux, aussi bien que les
armées ennemies (Is. 17, 13; 50, 2); il refoule Satan en
personne: Imperet tibi Dominus (Zac. 3, 2) (Dans le Nouveau
Testament, c'est ainsi que Jésus commande à la mer, aux démons, et à saint

Pierre, qualifié de Satan (Mc. 1, 25; 4, 39; 8, 33; 9, 25). Sur ce mot: P.

JOUON, Biblica 6 (1925), 318-321). Ailleurs la lutte est décrite


plus en détail:

De la fumée montait de ses narines,


et de sa bouche sortait un feu dévorant;
des charbons de feu y brûlaient.
Il abaissa les cieux et descendit.
Sous ses pieds était une nuée sombre.
Porté sur un chérub, il volait;
il planait sur les ailes des vents.
Il se fit des ténèbres un voile;
autour de lui, formant sa tente,
des eaux ténébreuses et d'épais nuages.
Devant l'éclat de sa face, les nuages
s'en allèrent en grêle et en charbons de feu.
Et Iahvé tonna dans les cieux,
et le Très-Haut fit entendre sa voix.
Il décrocha ses traits et les dispersa,
lança ses éclairs et les poussa en avant.
Et les lits des océans apparurent,
et les fondements de la terre furent mis à nu.
Devant ta menace, Iahvé,
au souffle du vent de ta colère.
(Ps. 18, 9-16, Calès).

On pense spontanément à la lutte de Mardouk


contre Tiamat (R. LABAT, Le poème babylonien
de la création, Paris, 1935, tablette IV et p. 52-
56). En fait Tiamat n'est pas mentionné dans la
Bible, et le rapprochement verbal avec tehom
ne suffit pas pour affirmer un contact littéraire
avec le mythe babylonien. D'autres monstres de
l'élément liquide sont désignés nommément,
Rahab et Léviathan; leurs noms, retrouvés à
Ras-chamra, suggèrent une origine cananéenne
ou phénicienne.

Ces vieux dragons mythiques servent à désigner


les grands empires. A propos de la sortie d'Égypte,
Isaïe 51 rappelle l'antique victoire de Iahvé contre
Rahab. Il peut y avoir allusion à la mer fendue pour
livrer passage aux Hébreux; mais la Basse-Égypte,
toute en marais et en canaux, était une puissance de la
mer: le crocodile du Nil fournira à Job le portrait de
Léviathan, et Rahab est un nom poétique de l'Égypte
(Ps. 87). Ailleurs le dragon de Bel (G. CONTENEAU, O. C., FIG.
137), qui engloutit le peuple d'Israël, n'est autre que

Nabuchodonosor (Jer. 51, 34-44; compt. Jonas 2).

Ces assimilations sont anciennes. Déjà Isaïe (28,


15. 18) appelait alliance avec la Mort, pacte avec le
Cheol, l'alliance que les conseillers d'Ézéchias
négociaient avec l'Égypte; et il décrivait l'invasion
assyrienne comme un déluge des grandes eaux (Is. 8,
7; 28, 15. 18; comp. Ps. 46).

La Mort, l'Abîme, le Néant sont les ennemis de


Dieu et de son peuple. Ils restent cependant eux aussi
dans la main du Créateur: c'est Dieu lui-même qui
avait enveloppé la terre dans l'abîme, et il a
emmaillotté la mer dans les ténèbres au jour de sa
naissance (Job. 38, 8s; Ps. 104, 6); il a créé Léviathan
pour en faire le jouet de ses enfants (Ps. 104, 26; Job.
40, 29). Dieu fait descendre qui il veut au ventre du
Cheol et il en ramène quand il lui plaît (Jonas 2; Ps. 88;
1 Sam. 2, 6), de même qu'il a fait descendre son
peuple d'Égypte et dans les profondeurs de la mer
pour l'en tirer au jour du salut.

Les bêtes démoniaques.

A quel ordre de réalité appartiennent toutes ces


bêtes? Le chacal au hurlement lugubre, le scorpion qui
blesse sournoisement, la mer avec ses dangers et ses
monstres sont des créatures bien réelles. Cachent-
elles aussi sous leurs traits repoussants des êtres
invisibles qui seraient démons impurs, démons de la
fièvre ou de la mort? Quelle était sur ce point la pensée
des auteurs sacrés?

Lorsque, vers le deuxième siècle, les Juifs


traduisirent en grec leurs livres saints, ils appelèrent
démoniaques, daimonia, soit les idoles et divinités
païennes, soit quelques-uns des animaux fantastiques
rappelés plus haut. (Il est remarquable que les LXX aient préféré
l'adjectif neutre daimonia, êtres démoniaques, au nom masculin usuel

daimôn, démon. Le NT emploie une fois daimones (Mt. 8, 31) en parallèle

avec daimonia (Luc. 8, 31ss) et esprits impurs (Mc. 5, 10-13); les démons y

ont un caractère personnel plus accentué. Pour l'usage du grec profane, voir

les encyclopédies, DARREMBERG-SAGLIO, PAULY-WISSOWA, suppl. III, et

G. SOURY, La démonologie de Plutarque, Paris, 1932.)

Faut-il en conclure que la Mort, la Peste, le Péché,


avaient aux yeux des Juifs une sorte d'existence
séparée? Sont-ils, sinon des êtres personnels doués
d'une volonté mauvaise, du moins des énergies
malfaisantes analogues à l'animal poussé par son
instinct? Le vivant saisi par ces bêtes de proie tombe
dans le péché, la maladie, la mort; mais on peut aussi
chasser ces vilaines bêtes loin de la demeure des
hommes, au désert ou au Cheol.

Pour la pensée moderne, le péché, la maladie, la


mort, ne sont rien hors d'un pécheur, d'un malade ou
d'un mort. L'Orient ancien n'avait pas nos manières de
voir. Il n'est pas douteux qu'à Babylone par exemple,
Pazouzou, Labartou, les Sept mauvais et autres
monstres funestes, avaient une existence réelle; on ne
peut comprendre autrement les textes magiques. En
est-il de même à Jérusalem?

La religion populaire était mêlée de pratiques


superstitieuses; les Prophètes et la Loi en témoignent.
Spontanément les Israélites partageaient la croyance
commune aux forces du mal; ils ne devaient d'ailleurs
pas avoir sur leur nature des idées bien nettes. Mais la
pure religion que reflètent les textes bibliques - et qui
est seule porteuse de révélation - pouvait-elle s'en
accommoder? La magie était proscrite à l'égal de
l'idolâtrie. Le monothéisme refusait l'existence à tout
être qui n'aurait pas été créé par Dieu; et toute oeuvre
de Dieu était bonne. La Sagesse dira explicitement:

Dieu n'est pas l'auteur de la Mort,


il ne veut pas la perte des vivants;
Il a tout créé pour être,
tout ce qu'engendre le monde est salutaire.
(Sag. 1, 13s).

C'est un écho fidèle du premier chapitre de la Genèse.

Faut-il donc reléguer la Mort avec les maladies ses


filles dans le monde de rêve qu'utilise le langage
symbolique? Les textes nous imposent un jugement
plus nuancé. La Mort n'est qu'une personnification
littéraire; la Bible, soucieuse d'éviter le dualisme, s'est
gardée de camper en face de Dieu un personnage réel
qui eût incarné la puissance du mal. Pour les monstres
mythiques, Rahab et Léviathan, on peut déjà hésiter
davantage. Le P. Lagrange estimait que « ce sont bien,
pour les écrivains sacrés, des êtres réels et
redoutables. Ils ont lutté contre Dieu à l'origine; c'est
une première esquisse de la lutte des anges
réprouvés. » (Rev. Bibl., 1916, p. 598). Quant à la fièvre et
autres êtres malfaisants, la religion officielle n'avait pas
à réagir contre eux avec la même énergie; ils ne
présentaient pas un grand danger, pourvu qu'au lieu
de les combattre par la magie, on recourût à Dieu dans
la prière en se frappant la poitrine et en criant
miséricorde. Pourtant sous leurs peaux de bêtes on
aura de plus en plus tendance à découvrir, non une
force aveugle instinctive, mais une volonté bonne ou
mauvaise, un esprit, un ange.

L'ANGE
Puissances célestes.

Passant au monde angélique, nous retrouvons les


grandes forces de la nature; mais au lieu des
puissances chthoniennes et abyssales ce sont les
puissances célestes.

Au jour de la création, dit le poète de Job:

Les astres du matin chantaient en choeur


et les fils de Dieu poussaient des cris
d'allégresse.
(Job. 38, 7).

L'armée des cieux combattait pour Israël contre


Jéricho (Jos. 5, 14) ou contre Sisara:

Des cieux combattirent les étoiles,

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