Rock Folk 2024 05 FR
Rock Folk 2024 05 FR
Rock Folk 2024 05 FR
COBAIN
La dernière
rock star
MARC TOBALY
FRANK DARCEL
FAT WHITE
FAMILY
DEEP PURPLE
THE LEMON TWIGS
SLOWDIVE
THE DANDY WARHOLS
LE KIOSQUE D’ORPHÉE
MES DISQUES A MOI
MARC VOINCHET
MENSUEL
BEL 7,80 €
ALLEMAGNE 9.90 €
LUX 7,80 €
SUISSE 11,70 CHF
PORTUGAL CONT 7,90 €
ITALIE 7,90 €
ESPAGNE 7,90 €
CAN 11,90 $ CAN
DOM 7,80 €
NCAL(S) 1030 XPF
ILE MAURICE 7,80 €
Edito
L’intranquille
5 avril 1994.
Il y a 30 ans.
Le jour où le rock est mort ?
Certes non.
Le jour où Kurt Cobain est mort.
La dernière rock star ?
Dans un sens, oui. Qui d’autre
depuis accepta d’endosser ce rôle ?
Donner son âme et puis son corps mais, dans son cas,
sans jamais être dupe que ce n’était que du business.
Etre intranquille. Sans doute pas fait pour le job.
Trop fragile. Trop de folie autour de lui. Et puis Courtney Love.
Son truc à lui, c’était la peinture. Le graphisme. Un truc de
solitaire. Personne ne peint devant des foules en sueur qui
hurlent votre nom. Pas même Dali. Peut-être se rêvait-il un
peu Basquiat, mort comme lui à 27 ans. Une coïncidence,
bien sûr. Noircissant des cahiers de poésies et de dessins de
cadavres démembrés, de pantins désarticulés, obsédé par le
corps d’un homme pendu découvert à l’adolescence. Enfant
troublé, chétif, avec des soucis d’estomac, qu’il tentera plus
tard de calmer à l’héroïne. Gosse maigrichon et peut-être moqué.
Empilant, comme une armure les couches de vêtements. Enfilant
deux jeans (troués la plupart du temps) l’un sur l’autre et deux
ou trois chemises (à carreaux souvent) ou T-shirts superposés,
parfois sous un pull et une veste, une paire de vieilles Converse
aux pieds. Censées faire illusion, ses tenues lancèrent une mode.
Au grand dam de ceux qui appréciaient l’élégance. Remettant
même en selle Neil Young davantage pour ses chemises de
bûcheron que pour sa musique, quasiment. Il relança à lui
seul et pour la première fois — la seconde viendra avec
les Strokes — les ventes déclinantes de la marque de baskets.
Dieu est gay, était son graffiti favori. Matière Fécale, son premier
groupe ! Krist Novoselic rencontré dans un Burger King…
Et puis le grunge, ce mot ! Mycose entre les doigts
de pied, voilà comment on peut traduire élégamment le
nom du fameux mouvement… En même temps, on respire
à l’idée qu’on a frôlé des trucs comme Furonculose, Purpura
ou Angiome tubéreux. Et puis Seattle, hein. Obligeant de se
fader tous les fâcheux de la ville. Et il n’en manquait pas.
Collectionneur frénétique. Comme Jack White, tiens. De boîtes
de médicaments, d’organes d’anatomie, de fœtus en plastique,
de vieilles poupées de porcelaine, de jouets... en particulier,
les singes musiciens. Son préféré, il l’avait baptisé Chim-Chim,
du nom d’un personnage de dessin animé obsédé par les bonbons.
On retrouve Chim-Chim au dos de la pochette de “Nevermind”,
au milieu d’un collage de photos de viande et de vulves. Il aimait
les hippocampes, sinon. “Raw Power” était son disque préféré.
Son groupe est désormais un T-shirt.
Même sa mort l’a fait entrer dans cette légende qu’il ne
souhaitait pas… Le FBI a enquêté. Suicide ou homicide ?
Bref. Malgré lui il était devenu cette star honnie par lui-même.
Bref, il n’était pas fait pour le job.
Bref, il en est mort.
Il y a 30 ans.
Il en avait 27.
Le 5 avril 1994.
VINCENT TANNIÈRES
Photo DR
Tête d’affiche
Isabelle Chelley DYNAMITE SHAKERS 16 32 The Lemon Twigs
FRUSTRATION 18
Jérôme Reijasse
RIDE 20
Romain Burrel
En vedette
SLOWDIVE 22
Léonard Haddad
Rock&Folk Espace Clichy - Immeuble Agena 12 rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 99 – Fax : 01 41 40 34 71 – e-mail : rock&[email protected]
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DIFFUSION : MLP – Rock&Folk est une publication des Editions Larivière, SAS au capital de 3 200 000 euros. Dépôt légal : 2ème trimestre 2024. Printed in France/ Imprimé en France.
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Courrier des lecteurs
AMEN DUNES
En attendant son concert au
Trabendo (Paris) le 1er juillet
prochain, le collectif emmené
par Damon McMahon publiera
un nouvel essai six ans après
“Freedom”. “Death Jokes”
verra le jour le 10 mai.
AQUASERGE
Après le simple “Le Saut
Du Tigre”, les Toulousains
annoncent la sortie de leur
septième album, “La Fin
De L’Economie”, le 24 mai.
ARAB STRAP
Aidan Moffat et Malcolm
Middleton, membres permanents
du combo écossais, viennent
de dévoiler “Bliss”, premier
single de leur huitième album
“I’m Totally Fine With It Don’t
Give A Fuck Anymore”
BEACH BOYS
Doté de nouvelles interviews
DIIV
de Brian Wilson, Mike Love et
Al Jardine, “The Beach Boys”,
documentaire sur les surfeurs CAGE THE ELEPHANT DIIV The Libertines, Morcheeba,
californiens sera disponible Précédé du très émouvant “Out Conçu dans le désert de Eddy de Pretto, Lou Doillon,
le 24 mai sur Disney+. Loud”, que les frères Shultz — Mojave, “Frog In Boiling Flavien Berger, François &
La BO officielle verra Matthew (libéré de ses déboires Water”, le successeur de The Atlas Mountains, Fat Dog
le jour en parallèle. En judiciaires) et Brad — dédient “Deceiver” (2019) du quatuor se succéderont sur scène.
amont, “Shut Down Vol.2”, à leur défunt père, le sextuor originaire de Brooklyn, sera Et du 14 au 26 mai, l’Espace
album de 1964, a bénéficié annonce “Neon Pill”, sa sixième dans les bacs le 24 mai. Public exposera les clichés
d’une réédition vinyle. livraison pour le 17 mai. de deux photographes
BRIAN ENO français, Richard Dumas
BLACK COUNTRY COMMUNION JOHN CALE Capté en août 1998, lors et Antoine Giacomoni.
Le super groupe réunissant Produit à Los Angeles en com- de la soirée d’ouverture
Glenn Hughes, Joe Bonamassa, pagnie de la fidèle Nita Scott, de l’expo “Shusi! Rôti! FESTIVAL ROOTS & ROSES
Jason Bonham et Derek “POPtical Illusion”, précédé du Reibekuchen!” qui proposait Le jour du muguet aura
Sherinian est de retour après single “How We See The Light”, des œuvres du Britannique lieu en Belgique, à Lessines
sept années d’absence avec “V” est annoncé pour le 14 juin. à Bonn, en Allemagne, (à la lisière de la Flandre),
qui sera en vente le 14 juin. la performance unique le Festival Roots & Roses.
ERIC CLAPTON exécutée en compagnie Dewolff, The Seatsniffers,
BLACK KEYS Le guitariste jouera les 26 et de Holger Czukay et Frankie And The Witch
Les 12 et 13 mai prochains, 27 mai à Paris (Accor Arena), J. Peter Schwalm fera Fingers, Michelle David
le duo d’Akron interprétera le 29 à Lyon-Décines (LDLC l’objet d’une sortie physique & The True-tones, The Cold
son dernier-né, “Ohio Players”, Arena) et le 31 au Festival le 26 avril, et sera précédée, Stares, Dirty Deep, Willy
au Zénith de Paris. de Nîmes (complet). le 20 avril, par un documentaire Masson, Jesse Redwing, Soror…
sur le musicien réalisé par se relayeront sur scène.
BLACK SABBATH MANU DIBANGO Gary Hustwit et accompagnée
Le coffret “Anno Domini A titre posthume, le saxopho- de la BO de 17 titres issus du FLEA
1989-1995”, couvre la période niste et chanteur camerounais back catalogue et trois inédits, Le bassiste des Red Hot
où Tony Martin officiait en tant décédé le 24 mars 2020 a été dont “All I Remember”. Chili Peppers cède sa demeure
que chanteur et il renferme distingué du titre de docteur californienne (La Crescenta)
les versions remastérisées honoris causa le 12 avril dernier CLINTON FEARON pour la modique somme de
des albums “Headless Cross”, (prix qu’il aurait dû recevoir Le guitariste et chanteur 6,9 millions de dollars.
“Tyr” et “Cross Purposes”, en 2020, annulé du fait de la jamaïcain des Gladiators
faces B, bonus inédits crise sanitaire) par l’Université soutiendra sa dernière ROBERT FRIPP
pour la version CD, livret Polytechnique Hauts-de-France. fournée “Survival Vibration” Pour Pâques, dans le cadre
photos… et sera à découvrir le 25 avril à Blois au Cahto’Do, de leur Sunday Lunch, le
le 31 mai prochain. DEF LEPPARD le 26 à Bergerac au Rocksane fondateur de King Crimson
Pour son quarantenaire, le et le 27 à Auch au Cri’Art. et son épouse Toyah Willcox
BURNING HEADS troisième opus des rockers se sont fendus d’une reprise
Les punks originaires britanniques s’offre une FESTIVAL ART ROCK de “Roadkill” des Starcrawler
d’Orléans fêteront la réédition : “Pyromania 40”. Pour sa 41ème édition le déguisés en lapins et en
parution de leur nouvel Sous forme de coffret Deluxe festival breton donne carte direct de leur cuisine.
opus, “Embers Of Protest”, 4 CD + Blu-ray…, de 2 CD ou blanche à Etienne Daho
au Petit Bain à Paris le 22 mai. digital à découvrir le 26 avril. (le 19). Du 17 au 19 mai,
JEAN-LOUIS MURAT
Pour commémorer la disparition
de l’Auvergnat survenue le
25 mai 2023, la Coopérative
de Mai lui rendra hommage le
jour J. Frédéric Lo, JP Nataf,
Jeanne Cherhal, The Delano
Orchestra et d’autres se produi-
ront dans la Grande Salle.
NANCY SINATRA
POKEY LAFARGE Le label Light In The Attic
Andrew Heissier à la ville propose la réédition de “How
reprend du service avec son Does That Grab You?” (1966).
onzième album “Rhumba Elle contient l’album original
Country” aux effluves remasterisé, faces B et inédits,
Photo DR
Condoléances
Casey Benjamin (saxophoniste et claviériste américain, Robert Glasper
Experiment), Debra Byrd (chanteuse américaine, Barry Manilow,
Bob Dylan, The Heartbreakers), Eric Carmen (chanteur américain,
Raspberries), Gerry Conway (batteur et percussionniste britannique,
Cat Stevens, Fairport Convention, Jethro Tull), Chris Cross (bassiste
britannique, Ultravox), Frank Darcel, Phil Delire (producteur
et réalisateur de musique belge, Alain Bashung, Renaud,
Noir Désir…), Steve Harley (chanteur et auteur-compositeur
anglais, Cockney Rebel), Albert “Tootie” Heath (batteur américain,
de jazz hard bop), Clarence “Frogman” Henry (chanteur américain
de rhythm’n’blues), Sylvain Luc (guitariste français de jazz,
William Sheller), Angela McCluskey (auteure-compositrice-
interprète écossaise, Wild Colonials), Pop The Fish (DJ français),
John Sinclair (poète américain, manager du MC5, leader du
White Panther Party), CJ Snare (chanteur américain, de hard
Photo Dean Chalkley-DR
“Pas de diktat”
MARC VOINCHET
Le directeur de France Musique, radio publique consacrée au jazz
et à la musique classique, défend l’ouverture et la pluralité musicale.
Une vision qui peut s’expliquer par un parcours musical singulier.
RECUEILLI PAR THOMAS E. FLORIN - PHOTOS WILLIAM BEAUCARDET
CE MATIN-LÀ, IL ARRIVE À RADIO FRANCE EN VESTE À comme les Quilapayùn qu’on entendait
RAYURES TENNIS, UN FOULARD NOUÉ SOUS LA GLOTTE, en allant manifester contre le camp
TRÈS GAINSBOURG OU MAFIOSI EN VACANCES, C’EST militaire du Larzac avec mes parents.
SELON. Marc Voinchet, homme de radio, a la voix de l’emploi : Puis, tout petit, mon père m’a offert
elle est basse et ronde, avec cette pointe d’accent du Sud-Est un grand 33 tours des musiques du
qui brise et fond toutes les glaces. Disparu des ondes après Cameroun car il voyait que j’aimais les
six ans de matinale à France Culture, cela fait bientôt dix ans percussions, et le disque est même arrivé
qu’il officie dans les bureaux en tant que directeur de France en même temps qu’un petit bongo. Puis
Musique, une antenne qui s’est grandement réchauffée à son j’écoutais les disques de mon grand-père
contact. Autour d’un million d’auditeurs quotidiens et une en cachette car il avait peur que je lui
action permanente dans les salles de concert et sur la Toile : en casse son truc. Je me souviens de la 5e Symphonie de Beethoven par
programmant de la musique classique, du jazz, de la comédie l’orchestre de Cleveland dirigé par George Szell. Pour moi, parce que
musicale, et tant d’autres choses encore, France Musique veut c’est la première que j’ai entendue, elle reste la version.
devenir la radio de tous les mélomanes.
R&F : Donc beaucoup de classique déjà ?
Marc Voinchet : Pas seulement, parce qu’avec mes autres grands-
Fasciné par le show parents, on regarde les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier et
ROCK&FOLK : Premier disque là, je suis fasciné par le show : Dalida, les paillettes, les Claudettes,
acheté ? Claude François donc j’achète “Le Lundi Au Soleil”. Il n’y avait pas
Marc Voinchet : La BO de “2001, de diktat, quelque chose contre lequel on se bat chez nous, à France
L’Odyssée De L’Espace”. Tout petit, ma Musique. Il y avait de la place pour tout : mon père jouait du trombone
mère m’a emmené le voir sur un immen- et de la trompette, alors on écoutait aussi beaucoup Miles Davis,
se écran, dans un cinéma de Toulouse : Oscar Peterson et Coltrane.
c’était à sa sortie, je devais avoir 5 ou
6 ans. Et la musique m’a fasciné, notam- R&F : Des concerts déjà ?
ment “Ainsi Parlait Zarathoustra” de Marc Voinchet : Tout petit, mon père m’emmène voir Dizzy Gillespie
Richard Strauss, qui a fait que long- à la Halle aux Grains. Je dois avoir 8 ans.
temps j’ai voulu jouer de la timbale. Quand j’ai fait connaissance de Et l’autre concert important, c’est ma
timbaliers en devenant directeur de France Musique, je leur ai dit que grand-mère qui m’emmène voir au cinéma
j’aimerais bien essayer leur instrument et ils ne m’ont jamais laissé faire. le “Don Giovanni” de Mozart par Joseph
Ils doivent avoir peur que je casse tout… Losey. Là, comme pour “2001…”, c’est
un choc et je veux le disque. A partir de
R&F : On écoutait de la musique chez vous ? là, j’achète des coffrets, au pif, chez le
Marc Voinchet : Oui. C’était un environnement très “de l’époque” : disquaire Martin Gauthier, rue Alsace-
Georges Brassens, Barbara, beaucoup de musiques sud-américaines Lorraine à Toulouse.
Hervé Bordier a produit les premiers 45 tours une autre. Il est ainsi devenu auteur de De Sade ou bien Moody De Sade, comme
de Marquis De Sade et, soudain, on était les livres et a été à l’origine de l’encyclopédie Moody Blues, j’en sais rien. On va lui orga-
rois de la rue Vasselot ! C’est aussi à cette “Rok”, en deux volumes, consacrée au rock niser une soirée, vous viendrez, j’espère…”
époque qu’on a rencontré Etienne Daho. breton : “Ça a été une vraie aventure car, Le temps prend une cigarette…
Dans le bar qu’on fréquentait, l’Epée, il évidemment, la Bretagne ne se limitait pas L’Ankou sort son briquet. H
y avait un juke-box et, surtout, un flipper. à Rennes. C’était un truc titanesque, mais JEROME SOLIGNY
DYNAMITE
SHAKERS
Le premier album des quatre Vendéens tient les promesses de son titre :
“Don’t Be Boring” ne dure que 33 minutes de rock’n’roll garageux qui ébouriffe.
LA PREMIÈRE FOIS QU’ON A CROISÉ chacun, remarque François, “apporte sa touche,
LEUR ROUTE, C’ÉTAIT AU POINT FMR
EN OCTOBRE 2021 où, en première
Diamond sa patte aux morceaux”. Et quand Lila prend un
jour une guitare, “c’est venu naturellement, j’ai
partie, ils ont volé la vedette aux Bobby et merveilles trouvé des accords”.
Lees, avec assez de passion et d’énergie Gourou de la fuzz et producteur apprécié
des groupes punk et garage pour son
en live pour alimenter une petite centrale approche brute de décoffrage, Jim
électrique. Quelques semaines plus tard, Diamond est connu pour avoir durant
une vingtaine d’années enregistré les
All right
ils rejoignaient les Fleshtones sur scène meilleurs groupes rock de sa ville natale C’est elle qui signe “Ridiculous”, portrait acide
au Petit Bain, achevant de convaincre les de Detroit. Son studio, Ghetto Recorders, d’une personne qui ne peut qu’exister tant elle
sceptiques : les Dynamite Shakers étaient construit dans une ancienne usine de est plus vraie que nature. “On a été interviewé
poulets, a vu passer des artistes tels que
un groupe à surveiller. Sur scène et disque. The White Stripes, The GO, par une journaliste pour une radio à Rennes,
Electric Six, Kim Fowley, raconte Lila. Le feeling est bien passé et elle nous
Wolfmother, The Mooney Suzuki
et, évidemment The Dirtbombs, avant a invités à un concert le soir. Mais dès qu’elle a
Génération Z sa fermeture en 2015, pour être détruit et
remplacé par des bureaux. Depuis, Diamond,
bu un peu trop, elle s’est révélée ne pas être sympa
A eux quatre, Lila-Rose (basse), Elouan (chant, qui fut un temps basé à Montpellier, est du tout. On avait prévu de dormir chez elle et à
guitare), François (batterie) et Calvin (guitare) un producteur itinérant qui prodigue ses la fin de soirée, elle a balancé nos affaires dans
ont l’âge de Keith Richards. Et des goûts soins à domicile, et sa présence aux crédits la rue.” Calvin précise : “A force de discuter, elle
d’un disque est toujours un bon indicateur.
musicaux qu’il ne renierait pas. “Je rencontre est devenue très méprisante, elle pensait avoir tout
François au conservatoire à La-Roche-Sur-Yon fait et a voulu nous donner une leçon de vie. Genre,
fin 2018, répond Elouan à la question des Shakers appartiennent à la Génération Z qui faites autre chose, ça va durer deux ans, et après
origines du quatuor. Ça matche parce qu’on aime a grandi avec des images autant que du son. on n’en parlera plus.” Cette histoire a eu lieu il
tous les deux les Stray Cats. Dans la classe, il y “Ma mère m’a acheté une guitare et, au lycée, y a deux ans. Désolé pour cette visionnaire, les
a un pianiste à qui on dit de se mettre à la basse quand j’ai découvert les Beatles sur YouTube. kids sont plus qu’all right. Ils s’apprêtent à tourner
et de nous rejoindre. On a monté un groupe de J’ai commencé à apprendre leurs morceaux.” partout en France, avec une halte au Supersonic
reprises fifties, Gene Vincent, Eddie Cochran, (Lila) “J’ai vu un live des Who, ça m’a donné à Paris le 29 avril. Leur release party au Quai M
Jerry Lee Lewis.” Cette version dure jusqu’à envie de faire de la batterie.” (François). “Je (La Roche-Sur-Yon) a attiré 900 personnes. Et
l’arrivée de Calvin en août 2020. Puis, quand prenais des cours, mais je faisais le minimum. ce titre, “Don’t Be Boring”, est une raison de
le bassiste s’éclipse, Lila (qui jouait dans un C’est cliché, mais j’ai vu un live de Nirvana et, plus de les aimer. “On déteste le rock progressif,
groupe de reprises des Beatles et des Rolling devant Kurt Cobain, j’ai trouvé ça stylé de jouer c’est une façon de dire qu’on n’en fera jamais,
Stones avec Calvin) le remplace. A l’exception de la guitare. Je me suis mis à en faire tous les explique Elouan. Parfois, on s’enflamme sur des
de Lila dont les parents n’écoutaient pas de rock, jours.” (Elouan). Pour Calvin, le live n’est pas arrangements un peu chelous et sur scène, ça ne
ils ont été biberonnés aux classiques du genre. sur écran. “Tous les mercredis soir, mon père marche pas et on change direct.” Une attitude
Le père d’Elouan écoutait Babyshambles, les m’emmenait voir Joss, un groupe qui répétait raccord avec celle du producteur du LP, Jim
Fleshtones, les Arctic Monkeys et Joy Division dans mon village. Je voulais jouer de la guitare Diamond (ex-Dirtbombs). “Il n’a touché à rien
en voiture. François a grandi au son des Who, depuis un moment, mais je ne m’étais pas trop en termes de structures des morceaux, poursuit
Led Zeppelin, Beatles et Rolling Stones avant bougé. Un des guitaristes m’a offert la gratte Elouan. Mais il a eu des idées de petites choses
qu’Elouan le branche sur les Sonics. Le grand- qu’il avait fabriquée. Et je n’ai plus eu le choix.” à ajouter parce qu’on ne pensait qu’au live.”
père de Calvin a tenu le rôle de passeur : “Il Au début, les Dynamite Shakers font surtout des Et a corrigé les fautes d’anglais des paroles, selon
m’a fait écouter les Stones, les Beatles dès mon reprises de morceaux fifties pas trop connus. Lila qui ajoute : “On mangeait avec lui tous les
Photo Adam Le Sommer-DR
plus jeune âge. Il était très fan de toute la période Jusqu’au moment où Elouan se retrousse midis et les soirs, on parlait musique”. La rumeur
sixties, Français inclus, comme Jacques Dutronc.” les manches et se met à composer. “Avant dit même qu’ils lui ont fait un gâteau pour son
En leur demandant ce qui les avait motivés à l’arrivée de Calvin et Lila, c’était galère. On anniversaire. H
prendre un instrument, on réalise que malgré essayait de faire un mélange d’Eddie Cochran, RECUEILLI PAR ISABELLE CHELLEY
la passion pour le rock vintage, les Dynamite Elvis Presley…” S’ils n’écrivent pas à quatre, Album “Don’t Be Boring” (Integral & LMP)
FRUSTRATION
Le quintette francilien égrène ses notes post-punk pour le meilleur depuis vingt ans
et des broutilles. Son nouvel album est vert, autant de rage que d’impuissance.
C’EST NICUS, LE GUITARISTE, QUI Je lui en veux encore d’ailleurs, on aurait Nicus : “A la place de cette décharge sur
A PRODUIT LA BÊTE depuis leur local dit Phil Spector ! Mais le résultat est bon. la pochette, ça aurait pu être un champ de
de répétition historique du côté de Saint- Quand je vois le son qu’on a là, j’ai envie de bataille, des monceaux de cadavres, des
Ouen, à Mains D’Œuvres. “On voulait réenregistrer 40% de nos morceaux d’avant.” singes de laboratoires… Ce disque aurait
vraiment retourner à un résultat plus Ultime album, baroud d’honneur classe et sans aussi pu s’appeler ‘On est des sales connards’ ”
simple, plus viscéral.” “A l’essentiel”, concession ? Non. On aurait même presque Frustration chante ça. Ça et l’impuissance
précise Fabrice, l’homme derrière le envie d’évoquer ici une forme de renaissance, individuelle. La frustration, bien sûr. Encore
micro. Ce nouvel album ressemble moins comme si Frustration avait déniché, au détour et toujours.
à un chant du cygne qu’à un wake-up call d’une date perdue, la fontaine de jouvence et
d’apocalypse. Retour aux racines, avec qu’il était prêt pour servir vingt ans de plus.
des chansons plus frontales, habitées, “Je voulais de l’intention dans ce disque. A Sans tricher
uppercut dans la tronche de la fatalité. tous les niveaux. Je voulais par exemple que Un groupe a-t-il déjà aussi bien porté son
Fabrice croie aux paroles. Je voulais y croire nom ? Et pourtant, malgré les ténèbres qui
quand il chantait. Pas de détachement, pas progressent inexorablement, il y a dans
Matière brute de pensées qui s’envolent.” Focus. Mission la musique de Frustration cette volonté
Dès la première écoute, on croirait même être accomplie. Résultat : un disque sombre où narquoise et sincère de faire chier malgré le
tombé sur un best of du groupe sorti par Born l’espoir ressemble de plus en plus à ce refuge constat déprimant. De bien faire les choses,
Bad sans prévenir. Il y a tout ce qui (a) fait d’imbéciles si cher à Louis-Ferdinand Céline. sans tricher. Un peu comme l’orchestre du
Frustration dans ce disque : l’aspect martial, “Je suis beaucoup plus désabusé. Je ne crois Titanic qui, devant la mort, préférât jouer
crépusculaire, les mélodies qui rongent le plus en grand-chose. Les paroles sont noires… jusqu’au bout. Dix chansons pour un sixième
cerveau, les charges sans drapeau blanc Jean-Pierre Bacri est mort et il y a la place album impeccable. “Il y a des équipes de
et les synthés virus, et puis l’énergie des pour moi maintenant (rires)” prévient Fabrice. troisième division qui se sont plus éclatées
concerts (plus de 900 au compteur !), qui a Rien que le titre, “Our Decisions”. Sont-ce là que des équipes de première division” conclut
largement contribué au succès de la formation les décisions prises par l’humanité qui nous Fabrice. C’est peut-être ça la morale de
banlieusarde. Nicus : “Sur nos derniers disques, condamnent au pire ou les décisions à prendre l’histoire de Frustration : un parcours jamais
je ne retrouvais pas notre saleté. Pour moi, cet dans l’urgence pour sauver ce qu’il est encore forcé, toujours choisi, où un certain esprit
album est moins artificiel. On avait envie de ça. possible de sauver ? “C’est la fin. Bien fait pour de camaraderie et un refus de se prendre
Il faut souligner l’importance du mix de Jonathan tous”, dit Fabrice, mi-goguenard mi-convaincu. pour un autre l’ont souvent emporté sur un
Lieffroy, qui a compris et adhéré à notre idée… Frustration chante l’époque. Regarde ce quelconque désir débile de gloire. Ils ne
J’ai bien cassé les couilles à tout le monde pendant que nous sommes devenus. Pas de gras ici, sont pas nombreux les groupes français qui
Photo Titouan Massé-DR
l’enregistrement (sourire).” “Le disque, il est pas de postures. Frustration a creusé jusqu’à peuvent regarder leur discographie dans le
comme la pochette en fait. Politique et intrinsèque. l’os. On ne s’attardera pas sur la pochette rétro sans rougir. H
Une espèce de matière brute, dit Fabrice. J’ai écolo-catastrophe du fidèle Baldo. Frustration
eu envie d’étrangler Nicus de nombreuses doit toujours moins à Dominique Voynet RECUEILLI PAR JÉRÔME REIJASSE
fois, c’est pas un pédagogue on va dire… qu’à un rapport au monde, oui, désabusé. Album “Our Decisions” (Born Bad Records)
RIDE
Fondé à la fin des eighties par les chanteurs et guitaristes Mark Gardener
et Andy Bell, Ride demeure l’une des plus belles enseignes du rock anglais.
Pour preuve, ce septième album plus pop et redoutablement bien troussé.
“SHOEGAZE”. VOILÀ UN MOT QU’ON R&F : De fait, “Sunrise Chaser” sonne com- R&F : Les fans de Ride ont tiré la langue
NE PENSAIT PLUS ÉCRIRE EN 2024. me du Pet Shop Boys et “Last Frontier” lorsque vous avez rejoint Oasis. La pers-
Et pourtant, Slowdive est en tournée, est un hommage évident à Joy Division… pective d’une réformation de leur groupe
The Jesus And Mary Chain en couverture Andy Bell : J’ai toujours adoré l’énergie fétiche s’éloignait…
de Rock&Folk et Ride sort un nouvel de Joy Division et New Order. Je trouve que Andy Bell : Ride s’est séparé en 1996, j’ai
album. Depuis son rabibochage en 2014, “Love Will Tear Us Apart” est une parfaite rejoint Oasis en 1999. Puis on a reformé Ride
le groupe a déjà publié deux disques à combinaison de rock et de synthés. Effecti- cinq ans après le split d’Oasis. A l’arrivée, tout
la hauteur de sa légende. Libérés des vement, ce n’est pas un accident si l’intro de le monde est heureux. Evidemment, jouer avec
vieilles rancœurs qui l’avaient mené à son “Last Frontier” y fait penser. Parfois, on a Oasis ça m’a changé. Avant de les rejoindre, je
implosion en 1996, les Oxfordiens font l’impression de jouer les gardiens du temple, ne jouais pas de basse. Je n’en possédais même
preuve d’une inspiration renouvelée. Sur que le son de Ride doit rester entre des fron- pas ! Ça a modifié mon approche de la guitare.
“Interplay”, ils prennent leurs distances tières bien précises. Mais on aime aussi L’année dernière, je me suis pété le petit doigt
avec les guitares brumeuses qui ont expérimenter. C’est agréable d’entendre en faisant le con en vacances. Ça a aussi affecté
fait leur réputation première au profit qu’une certaine liberté exsude de tout ça. ma façon de jouer. Je comprends pourquoi Dizzie
d’une énergie plus pop. Pas besoin d’autre Gillespie disait : “Ne joue pas autant de notes”.
prétexte pour s’asseoir avec Andy Bell,
quinqua filiforme flottant dans un t-shirt Comme Neil Young R&F : C’est vrai que Ride ne répète pas
noir bardé d’un immense “SOCIALISM”. et Crazy Horse avant de partir en tournée ?
Tiens, encore un mot que l’on croyait R&F : Ça fait quoi d’être toujours dans Andy Bell : Très peu. On revoit quelques
tombé en désuétude… le même groupe avec ces gars avec qui trucs techniques et c’est tout. J’aime ça. C’est
vous étiez à l’école à Oxford ? comme Neil Young et Crazy Horse : tout peut
Andy Bell : Ça vous garde jeune ! Quand on arriver, le pire comme le meilleur. Ride est
Gardiens du temple est ensemble avec Mark (Gardener), Laurence connu pour donner des concerts fabuleux et
ROCK&FOLK : Quel a été le moteur de (Colbert) et Steve (Queralt), on a les mêmes d’autres franchement bordéliques. C’est le
ce nouvel album ? discussions que lorsque nous étions ados. prix de la liberté.
Andy Bell : La frustration ! (rires) En 2020, le Les mêmes blagues aussi. L’atmosphère est
covid a bousillé la fin de notre tournée. En 2021, très légère même si on prend notre travail R&F : Vous êtes en paix avec l’étiquette
on a commencé à travailler sur ce disque sans très au sérieux. Parfois, on s’engueule et “Shoegaze” ?
savoir si on pourrait un jour tourner à nouveau. c’est normal. On a peu changé malgré les Andy Bell : Ça me va. Au début, quand la
Du coup, on a donné à nos compositions des noms années. Quand j’ai divorcé, j’ai entamé une presse anglaise nous décrivait comme des
de villes : Monaco, Berlin, Tokyo, Düsseldorf… psychothérapie. Je pensais que j’allais parler shoegazers, c’était pour se foutre de notre gueule.
C’était une façon de voyager dans nos têtes. des trucs merdiques avec mon ex-femme… Selon elle, on avait zéro charisme parce qu’on
Certains morceaux ont changé de titre. Berlin Pas du tout. J’ai passé le plus clair de mon passait nos concerts à mater le bout de nos
est devenu “Peace Sign”. L’idée de départ était temps sur le divan à évoquer les moments pompes. Quand les Américains se sont mis à
de travailler sur le disque uniquement lorsque heureux de ma vie : les années Ride. Mon psy parler de Shoegaze, c’est devenu un compliment.
nous étions tous réunis en studio. Eviter au m’avait filé un exercice : parler avec cette version Ils ont compris que c’était une attitude, une
maximum le travail par mail ou fichier. Avec plus jeune de moi-même. Je lui ai demandé démarche consciente et humble. Pour nous,
le morceau “Last Night I Went Somewhere To ce qu’il pensait de ma vie et ça va, lui et moi, baisser la tête, c’était une forme de rébellion
Dream”, une esthétique s’est dessinée. Dans on est cool. Je suis resté assez fidèle à ce jeune contre les gesticulations de Bono et de toutes
cette démo il y avait toutes les références à la mec. Sur scène, quand je joue des morceaux ces rockstars qui hurlaient : “Moi, moi, moi !”
Photo Cal Mcintyre-DR
pop des années quatre-vingt qu’on aime. Même comme “Seagull” ou “Nowhere”, j’ai l’impres- Mais en fait, quand je joue, je ne regarde ni mes
des trucs qu’on n’aurait jamais avoué apprécier sion d’avoir à nouveau vingt ans. pédales d’effet, ni mes chaussures : je rêve. H
à l’époque comme Tears For Fears, Depeche RECUEILLI PAR ROMAIN BURREL
Mode, Talk Talk ou U2… Album “Interplay” (Wichita/ Pias)
SLOWDIVE
Après trois albums et un gros pschitt au début des années
quatre-vingt-dix, Slowdive remonte lentement à la surface
depuis dix ans, dans le sillage d’un revival shoegaze que personne
n’avait vu venir. Paradoxe : cette résurrection inattendue a plongé
la merveilleuse carrière solo de son leader dans l’oubli.
Peut-on être et avoir été plusieurs choses différentes ?
Neil Halstead nous aide à y voir plus clair.
RECUEILLI PAR LÉONARD HADDAD
TRIANON, JANVIER 2024. Inutile de demander une place pour le concert.
La liste est déjà longue comme le bras, fallait se réveiller avant, mon coco.
Les scalpers du Boulevard de Rochechouart à Paris se frottent les mains. Partout
où joue Slowdive, c’est le même refrain. Scandinavie, Japon, US, UK, la tournée
mondiale ne tourne pas dans le vide mais devant des salles remplies à craquer.
Fans en transe recouverts par les nappes de guitare et de réverb, la génération
nineties est au rendez-vous de sa nostalgie mais elle ne le serait pas si les gamins
TikTok n’avaient pas sonné le rappel, les encore et le retour de flamme. C’est
l’histoire des cycles pop. Grand groupe resté petit par le nombre de disques
vendus, petit groupe devenu grand par la grâce d’une empreinte plus profonde
que prévu. Exemples fameux : Velvet Underground, Big Star, Zombies. Peut-on
sérieusement mettre “When The Sun Hits” dans la même phrase que “Candy Says”,
“Ballad Of El Goodo” et “Care Of Cell 44” ? A plus de 100 millions d’écoutes
Spotify et plus de 100 balles le ticket à la sortie du métro Pigalle, franchement,
il pourrait y avoir débat.
Napalm emo
1989. Alors que les années quatre-vingt s’apprêtent à rendre leur dernier soupir (de
soulagement général), personne de sérieux ne peut s’imaginer qu’on les évoquera un jour la
larme à l’œil. Personne, à part peut-être Neil Halstead et sa bande. Leur point de rencontre :
“Ride, Cure, Cocteau Twins, Jesus And Mary Chain, Sonic Youth, My Bloody Valentine”,
dit-il tranquillement trois décennies plus tard, certain de son bon goût comme de son bon
droit. Influences eighties, donc, mais pas n’importe lesquelles : les années quatre-vingt
atmosphériques, séparées de l’electro naissante par une feuille de Rizla+, celles qui se
chargent d’inventer la décennie suivante. Formé en 1989, Slowdive y contribuera par ses
murs de guitares, ses cheveux sur les yeux et sa réverb. Beaucoup de réverb, cet effet qui
permet de tout noyer : les mélodies (ou leur absence), les voix, les erreurs techniques sur
Photo Ingrid Pop-DR
scène, les problèmes personnels dans le public. Un écrasement au napalm emo. Trois bombes
de chantilly larguées sur les gariguettes : “Tu vois le minimalisme ? On faisait le contraire”,
sourit un Halstead capté en Zoom, juste avant un soundcheck à Cardiff.
Neal Halstead, 1991
Entre les deux ères Slowdive (soit ils accouchent en 2000 du délicieux “Sleeping accompagne parfois Sun Kill
entre 1995 et 2014), Halstead chef-d’œuvre “Excuses On Roads” (2001) avant Moon sur scène à l’époque,
n’aura pas chômé. Par ordre For Travellers”, porté le sublime “Oh! Mighty tandis qu’il réamorce la
d’apparition sur la platine, par les neilyoungeries douces Engine” (2008), doté d’un pompe électro-bruitiste avec le
Mojave 3 (formé en 1995) aligne “In Love With A View”, “When charme gracieux et d’une projet hybride Black Hearted
en onze ans cinq albums fabuleux, You’re Drifting” et une dérive profondeur simple que Brother en 2013, qui remplace
qui cherchent à envelopper planante à rendre Roger Waters Nick Drake ou Mark Kozelek les guitares par des synthés
l’auditeur dans un espace fou de jalousie, “Prayer For The ont cherchés toute leur vie. sans céder sur les mélodies
sonore rassurant plutôt que Paranoid”. Les deux disques Le suivant, “Palindrome (“Look Out Here They Come”).
de l’engloutir sous la lave en suivants sont plus pop, presque Hunches” (2012), est au Tout cela est aujourd’hui
fusion d’assauts sursaturés. radieux, avant le split. En solo, moins aussi beau, avec du entre stand-by, parenthèses
Après deux albums très Neil Halstead réussit d’abord piano pop en bonus. A propos et oubliettes. A suivre ?
nineties, presque léthargiques, un disque de néo-folk-prog de Kozelek, Halstead LH
SlOwDIVE
Quand Slowdive signe chez Creation en 1990, le label a sous contrat ça nous prive nous, les autres fans, toutes ces chansons douces qu’il
trois des influences précitées (Jesus And Mary Chain, Ride, My Bloody n’écrira plus, tous ces coins du feu orphelins de sa guitare acoustique ?
Valentine) et le mot shoegaze a déjà été inventé. Jetons un œil à ce que Là-dessus, Neil biaise. Affirme “je voulais apprendre à écrire des vraies
nous en dit le Wikipédia british : “Le shoegaze combine des vocaux éthérés chansons, des chansons country. Apprendre à projeter quelque chose
et tourbillonnants avec des couches de guitares distordues, déformées, seul avec ma guitare.” Mais il dit aussi “au fond, tout ça, c’est juste
difractées, générant un magma sonore dans lequel les instruments ne des histoires de production.” La vérité se trouve sans doute entre les
se distinguent plus les uns des autres.” Autrement dit “Berk”, mais ce deux, ainsi que le démontre un morceau comme “Andalucia Plays”,
n’est pas tout : “Les voix et les mélodies étaient rendues indiscernables, l’un des sommets du dernier Slowdive (“Everything Is Alive”, 2023)
perdues dans les murs de guitares.” Les mélodies indiscernables ? composé à l’époque guitare sèche, ressuscité ici en mille-feuilles
Difficile d’imaginer un descriptif plus repoussant. Pourtant, à l’époque, ambient. “C’est un mouvement de balancier, dit-il, comme si tout
les blancs montent en neige. La proposition esthétique, partagée avec un faisait partie d’un même flot, d’un même flux. Une chanson mène à
public ado en mal de vivre, de ressentir, de vibrer, de flotter, fait le trait une autre chanson. Un disque à un autre disque. C’est en faisant des
d’union entre les jam bands hippies adeptes de la fumette et de la transe trucs electro, avec plus d’espace, que je me suis rapproché des musiques
à venir des raves sous ecsta. Tout ce public qui cherche à s’oublier, à se acoustiques. ‘Pygmalion’ et le premier Mojave 3 ont été enregistrés quasi
noyer dans la masse (la fosse), submergé par une musique qui devient simultanément (tous deux sortis en 1995, ndr). Ils utilisent l’espace
un puissant courant amniotique fait de drones et de tremblements. Las, de la même façon. Mais plus récemment, j’ai fait le chemin inverse.”
le couple formé par Halstead et la bassiste chanteuse Rachel Goswell
ne durera qu’un temps, de même que leur fortune critique. Le second
disque, “Souvlaki” (1993) se prend l’une des claques retours les plus Asphyxie et oxygène
brutales de l’histoire pop. “Je déteste plus Slowdive qu’Adolf Hitler”, Etait-il conscient de ce qui se passait dans les universités US et sur
dira Richey Edwards de Manic Street Preachers, avant de disparaître les réseaux sociaux quand, tandis qu’il se laissait pousser la barbe
(pour de bon, lui). La phrase, qui a depuis été réimprimée dans tous pour jouer du folk sur les plages de surf de Hawaii, le culte souterrain
les articles sur le groupe, y compris celui-ci, a encore gagné en saveur de Slowdive grondait ? “Non. Quand on a reçu la proposition d’un
depuis que le disque a son macaron de serviette dans les Top 100 de tous festival (Primavera Sound, en 2014), je pensais que ce serait l’affaire
les temps. Haussement d’épaules 2024 de Halstead, qui relativise les d’une poignée de concerts, quelques semaines à tout casser, avant de
nouveaux hauts comme les anciens bas. Creation, eux, débranchent le revenir au cours normal de la vie. Mais quand on est monté sur scène,
groupe trois semaines après la parution du troisième album “Pygmalion” on a réalisé qu’on avait un public. Les vieux fans, mais surtout tous
Photo Martyn Goodacre/ Getty Images
en 1995, une expérimentation electro ces kids qui nous avaient trouvés par eux-
glaciale (et parfaitement minimaliste cette
fois), avec laquelle Halstead balance tout
par la fenêtre, les guitares, les copains,
L’échec originel mêmes.” L’échec originel transformé en
hold-up inespéré. Un paradoxe temporel,
personnel et émotionnel absolu. “Est-ce
la copine, le groupe, sa carrière, en un
suicide commercial et esthétique, aussi transformé en qu’on vit ça comme une revanche ? Non.
On vit ça comme une bande de copains
hold-up inespéré
grandiose qu’assumé. “Une déconstruction, qui se reconnecte et trouve l’inspiration
en rupture totale avec l’idée qu’on pouvait se pour faire de nouveaux disques.” Ils en
faire de notre groupe. Tout le monde était sont déjà à deux, “Slowdive” en 2017
très mal à l’aise avec cette direction. Tout le monde sauf moi.” Ce disque, puis “Everything Is Alive” l’an dernier, un disque où Halstead réunit
ils ne le joueront pas sur scène. Ils ne joueront plus rien d’ailleurs, pour la première fois ses différentes facettes, electro, soundscapes,
ne regarderont plus leurs chaussures, ne vieilliront pas ensemble, du chansons, hissant même le paradigme shoegaze vers des sommets
moins pendant les vingt années suivantes. En anglais, Slowdive peut se presque pop sur le quasi-déjà-classique “Kisses”.
traduire par “plongée lente”. Là, ce serait plutôt Freefall, la chute libre. Il y a là un autre paradoxe, presque un vertige. Ce grand écart impro-
bable chez un même artiste entre wall of sound et dépouillement,
plomb et plume, asphyxie et oxygène, surchauffe et petit éventail
L’heure magique de poche. Pile et face ne sont pas faits d’une même pièce. Un Neil
Avant une interview, Neil Halstead ne sait jamais s’il est là pour Halstead en cache constamment un autre. On n’est pas obligé de
parler de Slowdive ou de sa carrière en général. Avouons-le, cet article les aimer tous, en tout cas pas autant. Pour beaucoup, le retour
naît moins du désir de revenir sur la résurgence actuelle du groupe de Slowdive est un triomphe, un recommencement, mais pour une
que du regret de constater comment, par ricochets, le reste, tout le minorité, c’est aussi la fin (provisoire ?) de l’autre Halstead, le
reste de la carrière de ce musicien sidérant s’est trouvé brutalement country man de Mojave 3 et l’artiste solo zen qui n’aura tenu que
rejeté dans les limbes. D’abord les cinq disques de son projet suivant le temps de trois grands petits disques, parenthèse méditative avant
Mojave 3 (1995-2006), country-rock cosmique incrusté de joyaux de revenir faire chavirer des salles combles sous les flangers de
pop et de survols de paysages émotionnels enchanteurs, comme du guitare. Peut-on être et avoir été deux choses qui ont aussi peu à
Grandaddy joué par Radar Bros. Puis les trois albums néo-folk solos voir l’une avec l’autre ? Oui, mais pas en même temps. “On change,
d’une beauté ahurissante, chefs-d’œuvre mélodieux, mélodiques, non ? On change tous. C’est ce que j’aime. Un disque n’est jamais que
mellow doux, comme des rayons de soleil à l’heure magique, quand le document de là où l’on se trouve à un moment précis. Tu écoutes
tout (le ciel, les villes, la nature, l’humanité, la vie) devient plus ‘Songs From A Room’ de Leonard Cohen et tu te retrouves dans cette
beau. Où les trouver, ces émotions-là, maintenant que Slowdive a pièce avec lui.” Leonard Cohen, pile guitare, face synthé, l’exemple
repris le dessus ? Que reste-t-il de cette période où Halstead venait n’est pas choisi au hasard. “Au final, tout ça n’est pas si différent
roucouler seul à l’Espace B dans le XIXème arrondissement et qu’il qu’on veut bien le dire.” Il est le seul à penser ça. Mais son avis est
s’agissait de faire entendre la richesse de ses mélodies, la texture de sans doute le seul qui compte vraiment. Sans rancune ni regrets, donc.
sa voix et de chaque respiration, aux antipodes esthétiques de tout En tout cas, pas les siens. H
ce que Slowdive représente ? Quid de tous les disques (solos) dont
A l’arrivée du grunge, puis de la britpop, l’héroïsme rock, incarné par des figures charismatiques et provocatrices telles que Kurt Cobain ou les
frères Gallagher, a de nouveau eu le vent en poupe, entraînant la disparition peu à peu de la première génération shoegaze. Très vite pourtant,
certains traits esthétiques de cette musique ont commencé à ressurgir, entre influences en filigrane et véritables périodes de revival assumé.
The Brian “Weird Era Cont.” voyait inspirée du shoegaze que de la aujourd’hui connu sous le
Bradford Cox et ses sbires se jangle pop de The Clean, pour nom d’Astrel K, jouait dans les
Jonestown Massacre jeter à corps perdu dans un un résultat hybride fabuleux revivalistes Tripwires), Ulrika
“Methodrone” shoegaze délicieusement tordu. (“Through The Door”). Spacek utilise la reverb comme
Bomp! (1995) un outil pour donner corps à des
Bien sûr, il a place chansons tantôt mélancoliques
y avait déjà ringo Deathstarr (“NK”, “Porcelain”), tantôt
eu une forme To Bury strangers “Colour Trip” hypnotiques (“Beta Male”),
de réplique “Exploding Head” Club AC30 (2011) et toujours saisissantes.
américaine Mute (2009) Originaires
au shoegaze, Non content de d’Austin,
avec des groupes comme les regarder ses ces Texans Bryan’s Magic Tears
Swirlies, Mercury Rev, Drop pédales quand amateurs de “Vacuum
Nineteens ou Medicine, contem- il joue, Oliver calembours Sealed”
porains de la première vague au Ackermann mêlant “Star Born Bad (2021)
début des années quatre-vingt-dix. les fabrique Wars” et les Beatles témoignaient Têtes de file
Il n’est ainsi peut-être pas étonnant lui-même et a créé sa marque, dès leur premier d’une certaine d’une scène
que pour leur premier album, Death By Audio, devenue une anglophilie (notez l’orthographe shoegaze
Anton Newcombe et The Brian des meilleures adresses pour anglaise du mot “colour”), à française
Jonestown Massacre aient les deux monter des murs de reverb. l’instar d’autres contemporains emplie de
pieds dans le shoegaze, avant de La meilleure publicité pour américains tel A Sunny Day groupes passionnants (Marble
prendre le tournant garage et son entreprise ? Son groupe In Glasgow. Ne cherchant Arch, Dead Horse One), les
psychédélique qui deviendra A Place To Bury Strangers, aucunement à réinventer Parisiens ont choisi sur cet
leur marque de fabrique. Une d’une violence radicale, pour le genre, le groupe se pique album My Bloody Valentine
influence qui ne les quittera jamais un shoegaze tendu et ténébreux. ici de classicisme et propose un comme modèle et impressionnent
et demeure toujours présente étonnant voyage dans le temps par la puissance de leur son,
dans leur œuvre aujourd’hui. et l’espace, quelque part entre brumeux à souhait et au service
The horrors My Bloody Valentine et Medicine. d’hymnes immédiats (“Excuses”).
“Primary Colours” Un tour de force qui interroge :
The Warlocks XL (2009) et si le meilleur groupe
“Surgery” Qui aurait cru, Diiv français était shoegaze ?
Mute (2005) à l’écoute de “Is The Is Are”
Bobby Hecksher leur premier Captured Tracks (2015)
a suivi le chemin album, que Ayant dû Daiistar
inverse d’Anton ces garage- changer son “Good Time”
Newcombe : rockers fans nom de Dive Fuzz Club (2023)
après un de Screaming Lord Sutch allaient à Diiv pour C’est d’Austin
“Phoenix” se muer en figure de proue d’un des raisons de encore que
psychédélique et pop célébrant revival shoegaze britannique ? copyright, ce proviennent ces
joyeusement la prise de stupéfiants Mêlant rythmes krautrock, groupe new-yorkais incarne à jeunes chiens
(“The Dope Feels Good”), venait tourbillons de synthétiseurs et merveille le revival shoegaze fous nourris
“Surgery”, disque gueule de murs de guitares avec goût et apparu au milieu des années 2010. de références
bois (“Come Save Us”) dans créativité, le quintette se réin- Mené par Zacharie Cole Smith aux années quatre-vingt et
lequel The Warlocks noyaient ventait ici de manière sublime. — passé par Beach Fossils quatre-vingt-dix dans leur
leur dépression dans la reverb. notamment —, c’est un fantasme musique. Exemple d’un shoegaze
Le début d’un tournant shoegaze revivaliste qui fonctionne à qui n’hésite pas à aller vers
pour le groupe qui n’a cessé depuis crystal stilts merveille. “Is The Is Are”, des chansons pop euphoriques
d’explorer les méandres du genre. “In Love With avec son titre nonsensique et sa (“LMN BB LMN”), ils ont livré
Oblivion” conception compliquée (affaires en 2023 un premier album
Sacred Bones (2011) de drogues, arrestation, rehab, époustouflant qui les place parmi
Deerhunter Il a existé polémiques en ligne, départs les groupes les plus attendus sur
“Weird Era durant un de membres du groupe...) les scènes des festivals cet été.
Cont.” temps, dans
4AD (2008)
Durant
leur longue
un Brooklyn
pas encore
gentrifié, un drôle de mouve-
Ulrika spacek
“The Album
et si le
et complexe
carrière, les très
ment mêlant esthétiques lo-fi et
guitares vaporeuses autour de
Paranoia”
Tough Love (2016) meilleur
expérimentaux
Deerhunter ont abordé de nom-
breux styles mais ont toujours
groupes tels que Vivian Girls
ou The Pains Of Being Pure
At Heart. Crystal Stilts, trop
Formé à
Londres
par une
groupe
gardé un penchant pour la
reverb et la distorsion. Publié
étranges pour percer sans doute,
avec ce chanteur aux textes
communauté
de musiciens français était
en 2008 le même jour qu’un autre
album jumeau (“Microcastle”),
marmonnés noyés dans la reverb,
proposaient une musique aussi
ayant déjà par le passé fricoté
avec le shoegaze (Rhys Edwards, shoegaze ?
MAI 2024 R&F 027
En vedette
“Heavy metal !”
The
Le groupe revient avec un nouvel album,
“rockmaker”, accompagné d’icônes des groupes
légendaires Pixies, Guns N’ Roses et Blondie...
Que nous réserve le combo de Portland ?
RECUEILLI PAR DANNY BOY
DanDy
Warhols
Tony Visconti. Durant les vingt années qui s’ensuivirent, Courtney Taylor-Taylor : Il est fantastique. Evidemment, nous
la carrière des Orégoniens fut une longue et mouvementée, avons cette chanson, “Cool As Kim Deal” (1997). J’aimerais aborder le
montagne russe ponctuée par des albums (huit) plus ou sujet avec lui, “Vraiment, tu ne peux pas tolérer Kim Deal au point de ne
moins réussis, souvent étonnants et parfois énervants. pas faire un autre disque avec elle ? Juste un EP ? Même pas un single ?”
Une chose est sûre, les Dandys Warhols sont uniques. Je ne lui en parle pas, même si j’en ai très envie.
“De la pop”
The
LemoN
TWIGS
“I just wasn’t made for these times” chantait Brian Wilson.
Telle pourrait être la devise du duo new-yorkais dont paraît
“A Dream Is All We Know”, cinquième disque d’un fier anachronisme.
RECUEILLI PAR VIANNEY G
LE LÉGENDAIRE MAGAZINE AMÉRICAIN “CREEM”, Michael, le cadet, assure avec une arrogance rafraîchissante :
RELANCÉ DEPUIS QUELQUES ANNÉES, RÉSUME “Beaucoup de personnes reconnaissent que nos chansons
PARFAITEMENT LES RAISONS DE L’ADMIRATION peuvent rivaliser avec tous ces trucs des années soixante
PARFOIS AMBIGÜE QUE L’ON PORTE AU GROUPE DES et soixante-dix et qu’elles ne se contentent pas d’émuler
FRÈRES D’ADDARIO : “Les Lemon Twigs prennent le poncif leur style”. Si ce genre d’interrogations, qui n’avait plus
‘On n’en fait plus des comme ça’ comme un défi personnel”. cours au sujet de “Everything Harmony”, refait surface,
Bref, raviver au pied de la lettre et à eux seuls la rivalité Beatles/ la faute à des clins d’œil parfois très appuyés (un morceau
Beach Boys, au risque de la rétromanie. Mais comment leur s’appelle “Sweet Vibration” et “Peppermint Roses” sonne
reprocher ? Ces surdoués de la chose pop, n’ayant probablement méchamment Beatles…), le charme finit par opérer,
jamais écouté la radio, ont vécu en vase clos dans un sanctuaire invinciblement, par la grâce d’un court canon accompagné
familial où la présence paternelle imposait le règne des Fab de mandoline (“I Should’ve Known Right From The Start”),
Four (la mère préférait John Prine et Tom Waits). Les frangins, d’une coda angélique (le single “My Golden Years”),
sixties-olâtres jusqu’à la moëlle, ne tombent pourtant pas dans de do-do-do-do exubérants (“Church Bells”) ou d’une
le vintage pour une raison très simple : ils savent écrire de rythmique bossa (l’automnale “Ember Days”). Risquons un
grandes chansons. De ce point de vue, “Everything Harmony”, acte de foi : on les croit capables de sortir un jour leur propre
leur premier vrai chef-d’œuvre, était un enchantement total “Odessey And Oracle”. “Lancer la réunion” : au premier
(“Everyday Is The Worst Day Of My Life”, “When Winter plan, Michael, qui a appris à ne plus couper la parole à son
Comes Around”, “Still It’s Not Enough”, tout l’album en frère, et Brian — un prénom prédestiné —, croisement entre
fait), au niveau des merveilles des modèles évoqués (Big Jean-Pierre Léaud et Rod Stewart ; dans le fond de l’écran
Photo DR
Star, XTC, Beach Boys, Bee Gees). Lors de la conversation, trône une splendide croûte (le portrait d’un Carlin songeur).
de chansons parce que c’est vraiment ce à quoi je pense tout le temps. propre tête ? Faire ça, ça aide énormément.
thE lEMOn twIgS
des films comme “A Hard Day’s Night”, les émissions des Monkees et
les apparitions de tous ces groupes au Ed Sullivan Show. Il y a tellement
de documents sur les Beatles et les Beach Boys, sur la manière dont
ils communiquaient, leurs différentes personnalités, etc. Ils ont
toujours fait partie de nos vies, à un point presque ridicule. Pendant des
années, on pouvait se sortir des phrases comme : “Ah tiens, c’est
probablement quelque chose que John aurait pu dire !” (rires), des choses
un peu risibles comme ça ! C’est peut-être à ça qu’a ressemblé la
Beatlemania. Un cas sévère en ce qui nous concerne ! Sur le fond, je
ne sais pas si le film a relancé ça, mais je me souviens que quand il est
sorti, j’étais aux anges parce que leur musique était partout. Pendant
les trois jours qui ont suivi la sortie du film, j’ai vu une voiture passer
avec “Don’t Let Me Down” (il se met à chanter) à fond dans l’autoradio.
A un autre moment, je marchais à côté d’une femme dans la rue et je
l’entends chantonner (il entonne la mélodie) : “Jojo was a man who
thought he was a loner” ! Et quand j’étais chez moi, j’entendais mon
voisin regarder le film. Tout ça en deux ou trois jours ! C’était dingue.
On ne pouvait pas y échapper. Et nous, qui en discutons avec notre
père depuis longtemps, encore moins que les autres.
Crosby, Stills,
D’Addario and D’Addario
R&F : Vos références viennent comme toujours essentielle-
ment des années soixante et soixante-dix, mais “In The Eyes
Of The Girl” est carrément un morceau doo-wop !
Brian D’Addario : Ce que nous voulions pour ce morceau, c’était
des harmonies vocales qui évoquent les Four Freshmen, les Beach
Boys, mais aussi The Free Design, et tous les groupes de l’époque
qui utilisaient ces harmonies incroyables.
Michael D’Addario : Nous avons fait beaucoup d’harmonies à deux,
mais on n’avait jamais vraiment harmonisé à ce point ensemble. C’est
probablement un peu plus simple avec quatre ou cinq chanteurs dans
la même pièce. Pour chaque chanson, on essaie de s’approprier un
nouveau style ou de le déconstruire puis de le reconstruire. C’est ce
R&F : Vous avez dit qu’avant de travailler sur “Everything qui nous intéresse, surtout pour ce qui est des harmonies.
Harmony” vous aviez envisagé de vous lancer chacun en solo,
à côté du groupe. Que s’est-il passé exactement ? R&F : Vous avez travaillé avec Jody Stephens et Todd
Brian D’Addario : Au fil des années, nous avons accumulé beaucoup Rundgren : est-ce qu’il y a d’autres héros personnels avec
de chansons que nous aimons, mais qui ont toujours été “battues” par lesquels vous vous verriez collaborer ?
d’autres. Certaines de ces chansons, j’ai tendance à me dire qu’elles ne Brian D’Addario : Paul McCartney, ce serait pas mal ! Roger
sont pas assez bonnes pour sortir sur un album des Lemon Twigs, mais McGuinn aussi !
que je pourrais les sortir sur un album solo. Michael a plutôt tendance Michael D’Addario : Stephen Stills ? Ramenons Stills et Neil
à laisser ses chansons mourir paisiblement et à les oublier. Ce qui d’un Young dans la salle !
point de vue artistique est peut-être la meilleure chose à faire. Brian D’Addario : On va monter un groupe : Crosby, Stills…
Michael D’Addario : On n’a jamais envisagé de se lancer en solo de Michael D’Addario : … D’Addario et D’Addario (rires) ! Difficile à
manière exclusive, en renonçant aux Lemon Twigs. Mais c’est vrai qu’il dire, parce qu’il y a beaucoup de personnes que j’aimerais rencontrer.
y a eu un moment dans le groupe où il y avait une sorte de dédoublement Je voudrais croiser les plus grands au moins une fois, prendre une
de la personnalité. Mes chansons ne sonnaient plus du tout comme photo, mieux connaître ceux avec lesquels on s’entend bien, mais
celles de Brian, mon style vocal n’avait plus rien à voir avec le sien… j’imagine que la majorité d’entre eux serait…
Ça n’avait plus aucun sens et l’on restait ensemble simplement parce Brian D’Addario : … pas intéressée !
qu’il le fallait. Nous n’avons pas formulé les choses ainsi, mais c’était Michael D’Addario : Probablement ! C’est rare de rencontrer
vraiment ça la situation. Depuis nous sommes arrivés à nous fondre quelqu’un comme Todd Rundgren, avec lequel nous avons travaillé
dans une même entité. (pour l’album “Go To School”, nda) et qui est incroyablement intéressant
et drôle. Colin Blunstone, avec lequel nous avons repris “Care Of Cell
R&F : L’influence des Beach Boys et des Beatles n’a peut- 44”, est un absolu gentleman. Même chose pour Rod Argent, le type
être jamais été aussi présente, y compris au niveau des paroles le plus adorable qui soit. Mais ça m’intéresse moins qu’avant de
ou des titres de chansons. Comment vous l’expliquez ? travailler avec des personnes extérieures ; je ne suis pas sûr que ce
Est-ce que la sortie de “Get Back” de Peter Jackson a joué un genre de rencontre amène le meilleur chez les parties en présence.
rôle ? On n’a pas de check-list en tout cas. H
Michael D’Addario : Ça n’est pas du tout impossible ! Depuis que
nous sommes gamins, nous regardons des anthologies à la télévision, Album “A Dream Is All We Know” (Captured Tracks)
En vedette
En vedette
Deep puRple
DEEP PURPLE
“Machine
“MachineHead”
RogerGlover
Roger
, lelechef
Head”,
revient dans les bacs
chef-d’œuvre
bacs au
Gloverraconte
d’œuvre dudugroupe
au gré
gré d’une
racontelalagenèse
groupehard
d’uneréédition
hardrock
rockbritannique
britannique,
rééditionanniversaire.
genèsetumultueuse
anniversaire.
tumultueuse de
de cet
cet album majeur.
RECUEILLI
RECUEILLI PARPAR JEROME
JEROME SOLIGNYSOLIGNY
X
Dans
l’Allemagne
qu’un Mur
balafre encore
MAL
DEUTSCHLAND
Emoi considérable : Sacred Bones sort simultanément une compilation des
premiers essais d’un des plus grands groupes allemands de l’après-punk,
et le premier album solo de sa chanteuse, Anja Huwe.
Occasion de rendre hommage à un groupe majeur. RECUEILLI PAR ALEXANDRE BRETON
EN 1977, À HAMBOURG COMME AILLEURS, IL N’Y A TOUT Can, Faust, Neu!, La Düsseldorf ou Amon Düül II, fait des ténèbres
SIMPLEMENT RIEN. “Langweilig” dit-elle. Anja Huwe, de l’histoire nationale récente sa référence explicite. C’est Palais
dix-neuf ans, trompe son ennui comme elle peut. Chez Rip Schaumburg, du nom de la résidence d’anciens dignitaires nazis ;
Off, sur la rive nord de l’Elbe, elle vend le jour les disques c’est Deutsch-Amerikanische Freundschaft, qui évoque une amitié
qu’elle écoute le soir : Stooges, Dolls, Pistols, et dévore calculée ; c’est Die Krupps, usine de sidérurgie dont Hitler comparaît
une littérature de révolte — Salinger, Villon, Wilde, Zweig. l’acier à l’aryen au combat. Et d’autres. Tous troquent l’anglais de mise
Et Rimbaud, évidemment. Un soir, elle tombe sur “Bored contre l’allemand compromis, exorcisent par une esthétique martiale le
Teenagers”, film minable où elle s’enthousiasme pour The poison toujours à l’œuvre dans l’Allemagne qu’un Mur balafre encore.
Adverts (“One Chord Wonders”). Le punk fait effraction : “La mort est maître venu d’Allemagne” écrivait Paul Celan en 1943, et
“un tournant décisif”. l’on ne peut guère s’étonner que ces enfants des ruines d’après-guerre
aient décidé de prendre en charge artistiquement cet impossible
héritage du nazisme, à travers un univers de signes que l’on qualifiera,
Immense malentendu à tort, sous l’épithète de “gothique”. Immense malentendu, dénoncé la
Étudiante en arts, Anja peint, écrit des poèmes cryptiques, se projette même année par Bauhaus dont “Bela Lugosi’s Dead” tourne cet été-là
mannequin à Paris, écume à Londres les friperies sur King’s Road et dans les boîtes du quartier rouge de la Venise du Nord. Et il faudra
danse le pogo aux concerts des Slits ou du Clash. “Leur coiffure, leur probablement mettre le succès de la production musicale allemande
look, leur attitude, tout cela était fascinant”. Dans son studio, près du au-delà des frontières nationales au compte de cette décision — et
Reeperbahn, passe Alexander Hacke, futur Einstürzende Neubauten, de la fascination trouble qu’elle exercera. Savaient-ils ? Anja, sans
ou sa cadette Christiane F., dont la chronique en enfer n’a pas encore détour : “Nous étions tous très au courant de l’histoire allemande.”
reçu l’attention du “Stern”. 1978, 1979 : musicalement, en Allemagne,
et à Hambourg en particulier, il semble enfin se passer quelque chose.
Des boutiques de vêtements trash ont ouvert, telles Zensor, qui, sur Marguerite faustienne
le modèle des londoniens Rough Trade, improvisent des concerts en Le tract indiquait lucidement : “MIEUX VAUT AVOIR TROP FROID
sous-sol — on y croise DAF, Mania D (futur Malaria), Neubauten. Il QUE TROP CHAUD”. Le 31 janvier 1981, ZickZack, label fondé par
Photo Jan Riephoff-DR
faut attendre octobre pour qu’un papier du “Sounds”, signé Alfred le même Alfred Hillberg, organise son premier festival NWD. Xmal
Hillsberg, trouve le nom qui fera mouche : “Neue Deutsche Welle” Deutschland, sur la scène du Markethalle, souffle la braise déjà froide
dorénavant désignera une constellation de groupes qui, à l’inverse de l’après-punk. En blouson aviateur et pantalon taille haute noirs,
de la génération précédente, celle de Klaus Schulze, Kraftwerk, Marguerite faustienne peroxydée avec eye-liner gras, Anja entonne
“Schwartze Welt”. “Brouillard noir/ Au-dessus de toi au-dessus de et chauve-souris, s’occupe des claviers ; enfin, la taciturne Manuela
signerez pas !” époque. Hélas, les critiques dithyrambiques sont lestées par les
comparaisons imbéciles entre Anja Huwe et Siouxsie. “Nous étions
sur le point de signer avec le même manager, Dave Woods, quand les
Banshees ont dit ‘NON, vous ne LES signerez pas !’ ” Après une tournée
ou Modern English, les signe en 1983. Ivo Watts-Russell a une vision : anglaise avec Red Lorry Yellow Lorry (“This Today”), s’ensuit une
il tient les nouveaux Wire. Discutable. Flanqué de Wolfgang Ellerbrock tournée triomphale des clubs aux Etats-Unis, dont une mémorable
à la basse, et de Manuela Zwingman à la batterie, le groupe est envoyé Danceteria. “Nous nous sentions comme des extraterrestres. Je veux
illico aux studios Blackwing où se côtoie la crème de 4AD et de Mute, dire, ces filles qui chantent en allemand dans ce bar à bière. C’était
soit Fad Gadget ou Depeche Mode. D’ailleurs, c’est John Fryer, jeune fou”. Les premiers signes d’effritement se font jour. Le groupe, sous
orfèvre du son des deux premiers opus de la bande de Basildon qui sera pression, claque la porte de 4AD, fonde son label, Exile, distribué
recruté à la console. Le groupe accouche de nuit “Fetisch”. Premier par Phonogram, doit alors rivaliser avec The Mission. “Nous n’avions
coup impressionnant. L’album déploie un univers sombre, pesant, où plus de manager, nous jouions dans des endroits de plus en plus
brillent des titres comme “Qual”, “Boomerang” ou “Orient”, portés par grands et, pour être honnête, ce n’était plus amusant”. Fin 1986, le
la beauté sépulcrale des textes d’Anja dont le grave évoque Nico ou Stranglers Hugh Cornwell remplace Glossop à la production, il en sort
Siouxsie — hélas. Dans les bacs en avril 1983, il caracole huit mois “Matador”, simple qui précède le troisième album, “Viva”, en 1987.
dans les charts indépendants britanniques. Les Xmal deviennent hype. Tournant : fini le pessimisme héroïque, son lustré, ambiance apaisée,
presque pop. Fiona Sangster jette l’éponge, Manuela Rickers et Peter
Bellendir partent fonder les oubliés Whiteouts. En 1989, alors que
Extraterrestres les Pixies cartonnent avec “Doolittle”, le groupe réduit à un duo sort
Et, comme toujours avec le succès, les ennuis commencent. John “Devils” dans l’indifférence totale. L’album, à peine distribué, sera
Peel les invite sur BBC Radio 1 — il réitérera trois fois — 4AD le dernier. En 1990, ce fleuron allemand de la scène dark wave tire
sort coup sur coup deux simples : “Qual”, immédiatement propulsé sa révérence. Conclusion d’Anja : “J’ai accompli bien plus que ce à
dans le Top 10 des charts indépendants, et “Incubus Succubus II”, quoi je m’attendais. Nous avons joué deux fois contre les États-Unis,
version ralentie du single de 1982, n°5. L’année suivante, Peter ainsi que contre le Japon et l’Europe”. Jusqu’à ce retour, totalement
Bellendir remplace Manuela Zwingman partie rejoindre All About inattendu, trente ans plus tard. H
Eve, le groupe retourne en studio, se voit adjoindre Mike Glossop, Album Xmal Deutschland “Early Singles 1981-1982” (Sacred Bones)
à qui l’on doit “Real Life” de Magazine ou “The Crack” des Ruts. Album Anja Huwe “Codes” (Sacred Bones)
LE KIOSQUE
C’EST BIEN CONNU, TOUS LES ROCKERS SONT DES
COLLECTIONNEURS. Ça va presque de soi. Disques, affiches,
tickets de concert, T-shirts, badges, objets divers, instruments
et matériel hi-fi... les objets de culte sont nombreux, et leur
la diversité des disques. Trouver un disque du Kiosque pouvait
s’apparenter à une sorte de roulette russe discographique, tant
on ne savait ce qu’on allait y trouver. Beaucoup de chanson
française, du folk, de la musique électronique, mais aussi des
rareté attise l’envie des plus fanatiques. C’est ainsi qu’il existe chorales, fanfares et autres productions étonnantes. La plupart
dans le monde des mélomanes une tribu qui se démarque des du temps, les enregistrements sont amateurs, un peu naïfs,
autres par sa passion et les moyens mis en place pour assouvir souvent médiocres, rarement géniaux, mais leur rareté peut
son addiction. Celle des diggers — les “creuseurs” littéralement, faire monter leur cote à des hauteurs déraisonnables, comme le
en anglais. Des collectionneurs à la connaissance encyclopédique premier album de Dominique A qui se vend (rarement) autour de
et à la volonté sans faille qui n’hésitent pas à se lever à l’aube 2 000. La raison à cela ? Le Kiosque D’Orphée n’était pas une
pour être les premiers au moment où les bradeurs sortent les maison de disques à proprement parler mais plutôt un service
cartons de leur voiture lors des vide-greniers du dimanche matin. faisant le lien entre le grand public et les usines de pressage.
Des fous capables de passer des heures les mains dans des bacs A une époque où internet n’existait pas et où on ne pouvait
à disques bordéliques, à chasser l’improbable pépite entre les pas s’enregistrer sur son home-studio avec un simple PC et
flots de Serge Lama et de Michel Sardou. Des mecs en quête une carte-son et ensuite diffuser sa musique sur Bandcamp, ce
de labels mythiques, de bonnes adresses méconnues, de beauté genre de prestataire était la seule solution pour garder une trace
au milieu de l’obscurité. Parmi les labels obscurs qu’on peut tangible de sa musique. C’est ainsi que la compilation consacrée
dénicher dans la nature, un nom ressurgit souvent : Le Kiosque au Kiosque que vient de publier Born Bad n’est pas seulement
D’Orphée et son magnifique logo. Un nom fantasmagorique par une collection de pépites mais aussi et surtout un témoignage de
la singularité de cette maison longtemps restée mystérieuse et ce qu’était l’autoproduction en France dans les années soixante
par le peu d’informations dont on disposait à propos d’elle et et soixante-dix. RECUEILLI PAR ERIC DELSART
D’ORPHEE
044 R&F MAI 2024
MAI 2024 R&F 045
S
acha Sieff, qui a compilé les vingt-trois Des teintures, des sérigraphies, des photos collées, des pochoirs, des
titres présents sur le magnifique triple tampons.” Loin d’être un curateur ou un directeur artistique, Georges
vinyle qui sort aujourd’hui, nous a Batard était plutôt un ingénieur qui se mettait au service des artistes
accordé un long entretien dans lequel désireux de publier leur musique. “Ce n’était pas un mécène, c’était
il est revenu sur cette longue quête plus un technicien, comme le mec qui te fait le double des clefs ou
pour rassembler les disques et nous a t’imprime tes affiches. Le Copytop du disque ! C’est pas Shandar ou
aidés à percer le mystère, à commencer Futura. Lui, il allait à l’usine en quelque sorte, poursuit Sieff. C’était
par les origines de cette maison de un ingénieur hyper consciencieux qui aimait la musique classique, les
disques qui n’en était pas une. De rapports bruit-volume. Il était apparemment hyper gentil et essayait
1967 à 1991, Le Kiosque D’Orphée, de faire au mieux, mais ce n’était pas quelqu’un qui disait ‘J’ai fait
dirigé par Georges Batard, a proposé un acétate aujourd’hui pour un truc de folk hyper touchant, je vais
comme service à quiconque de publier garder une copie’. Musicalement, ça ne l’intéressait pas. Son fils
ses disques. Comme il l’écrit dans les Didier Batard, qui est musicien et a joué dans des groupes de rock assez
notes de pochette, “Georges Batard solides (notamment avec Heldon et Christophe, nda), était très surpris
était un ingénieur du son qui avait un qu’on fasse ce projet. Il m’a dit : ‘Mais qu’est ce qui vous intéresse
graveur Neumann à lampes, pour graver dans les archives de mon père ?’ C’était un monde qu’il ne connaissait
les acétates à partir des bandes qu’il recevait, avant d’en tirer les précieux pas du tout. Il n’a jamais croisé ça, ça restait dans l’usine de son père,
vinyles dans les usines de presse de l’époque, où il avait la possibilité qui ne ramenait rien à la maison. Alors que certaines choses auraient
de faire de tout petits tirages”. Séduisant pour les jeunes artistes qui pu lui parler. Tout ça reste un mystère. Pour Georges Batard, faire
désiraient garder une trace de leur production. “Le Kiosque D’Orphée un truc de prog, c’était peut-être pareil que de faire une mauvaise
passait des pubs dans ‘L’Officiel Du Rock’, qui disaient : ‘Pressez vos chorale, je n’en ai aucune idée.” C’est ainsi que le profil des artistes
disques’. On envoyait ses bandes, on nous proposait divers tarifs. ‘Vous qui publiaient des disques sur le Kiosque D’Orphée était extrêmement
voulez une pochette générique ? Vous voulez faire vous-même votre varié, entre chanteurs à textes, fanfares, chorales, musiciens
pochette ? Très bien’. Et après, on repartait avec ses autocollants Sacem expérimentaux, bref, tout ce qu’il est à peu près possible d’imaginer.
et ses copies, et là commençait la deuxième partie où les mecs, s’ils avaient “J’ai trouvé des disques faits pour des mariages, des disques pour
fabriqué une pochette, la sortaient chez l’imprimeur et la collaient eux- savoir ce que tu dois faire s’il y a une bombe atomique, des trucs
mêmes et ils mettaient les petits autocollants Sacem sur les disques. improbables, s’amuse Sieff. Il y a ce côté aléatoire qui est complètement
D’où la variété d’œuvres visuelles que sont les pochettes du Kiosque fou. On pourrait dire que sur cent disques du Kiosque, tu en as 85
D’Orphée, parce qu’il y a des disques où chaque exemplaire est unique. qui sont vraiment à jeter. Mais t’es jamais à l’abri d’avoir un groupe
qui a fait des trucs de jazz hyper solides. Ceux-là, en fait, qui ont un de disques ont été faits en studio. Il y en a un sur l’album de Geoffroy
réel intérêt, c’est la partie émergée de l’iceberg”. où les mecs ont vraiment économisé pour aller en studio et ça s’entend.
Ils ont un son bien plus propre et clean que les autres. Ce qui sonne le
mieux sur la compilation, c’est ce disque-là et les autres artistes qui n’ont
Autoproduction fait que des trucs synthétiques parce qu’eux avaient le Moog, le Prophet,
Une des choses qui frappe à l’écoute de cette compilation, et surtout l’orgue, la boîte à rythmes, donc il n’y avait pas la prise de son avec le
à la lecture des notes de pochette très détaillées de Sacha Sieff, est micro qui était l’élément le plus compliqué pour avoir une bonne prise.”
que la plupart de ces artistes sont restés des amateurs, et très peu
ont continué dans le métier de la musique. “Souvent, ce sont des gens
qui ont fait un seul 45 tours, juste pour laisser une petite trace de leur Une partie de l’iceberg
musique, que ce soit un souvenir ou une démo gravée pour démarcher L’objet de la compilation qui vient de sortir n’est pas ainsi de recenser
les maisons de disques. Il y a certains qui sont restés dans la musique les disques les plus étranges et rares, mais plutôt de proposer un
et d’autres qui ont eu des métiers complètement différents. Certains panorama représentatif, et surtout qualitatif. “La moitié des disques
de ceux qui ont fait carrière se sont servis du Kiosque D’Orphée pour qu’on a mis sur la compile ont déjà été réédités en albums complets,
avoir des copies de travail. Ce n’était certainement pas des gens qui se mais avec JB (Jean-Baptiste Guillot, patron de Born Bad, nda), on
disaient : ‘Je vais devenir célèbre’. Ils faisaient très peu de copies et s’est tout de suite dit : ‘Il faut que ce soient les meilleurs morceaux. Il
les envoyaient aux radios locales, aux quelques contacts qu’ils avaient faut que ce soit la meilleure musique. Qu’importe si ça a été réédité.’
pu trouver parce que c’était quand même une époque où les gens étaient On aurait pu faire une compile avec des disques que les spécialistes
beaucoup plus isolés.” Se peut-il alors que d’authentiques génies soient n’avaient jamais eus entre les mains, avec des morceaux de jazz de 23
passés à travers les mailles du filet de la prospection musicale et se minutes un peu tarés, mais ce n’était pas l’objet de cette compilation. Ce
soient résolus à l’autoproduction par dépit ? Peu probable. “Les labels qui comptait, c’était que ce soit le plus universel possible, de pouvoir le
pointus sortaient des trucs vachement mieux joués. L’autoproduction, faire écouter à quelqu’un qui n’est pas amateur de disques autoproduits
c’était aussi ça... Tous les gens qui n’avaient pas de label, pas de contrat ou chercheur/ collectionneur de vinyles, et que ça puisse lui parler.”
avec qui que ce soit, ça l’est souvent à juste titre, parce que musicalement, Une gageure quand on mesure l’étendue du catalogue du Kiosque
c’était pas toujours ça. Et puis il fallait quand même avoir les moyens, D’Orphée. “Le fils de Georges Batard m’a transmis des carnets de
parce que le home-studio de l’époque, c’était le magnétophone Revox et facture de son père. En les lisant, je voyais qu’il y avait 60 références
il fallait que les mecs aient un micro. La plupart des disques du Kiosque par mois. Je pense qu’il a dû publier 600 disques par an pendant 24
D’Orphée sont enregistrés dans le salon, dans une salle de classe, dans ans entre 1967 et 1991. 24 x 600, tu es sur quelque chose de l’ordre
un local de répète, il y a deux micros en cloche et c’est parti. Très peu de 14 000 références. Il y en a 1 500 sur Discogs, moi j’ai dû en voir
Photos DR
Georges Batard
“Tout rendre
FAT toujours
ridicule”
W H IT E
FAM ILY
Photo Louise Mason-DR
C’ÉTAIT SON PREMIER JOUR EN TANT QU’ASSISTANT certains DJ sets où, accompagnant son ami, torse nu, bourré
DANS CE CHARMANT STUDIO DU FLANC DE LA BUTTE d’amphétamines, il transpirait et passait du gabber dans des bars
MONTMARTRE. Un groupe anglais devait y passer la journée minuscules à seulement 22 heures un jour de semaine. Installé dans
pour enregistrer des démos, son nouveau patron appelait le salon chez Domino, maison de disques du groupe, Lias écoute en
cela une opportunité. Le soir, le patron revient et demande, découpant des tranches de gingembre qu’il croque à pleines dents.
confiant, comment cela s’est passé. “Et si on en parlait dans Dans sa veste en jean, détendu et les traits alourdis, deux ans après
ton bureau ?” Regard. Interrogation. L’assistant continue : toute cette folie, il sait que parfois, quand on suit les membres de
“J’ai quelque chose à te montrer”. Sur l’écran du téléphone, notre famille, ils nous emmènent dans des zones que l’on aimerait ne
deux hommes nus au milieu d’un studio. Son studio. L’un, jamais avoir connues.
debout, se penche, l’autre s’agenouille derrière lui et, une
paille dans la main, maintenant entre les lèvres, il souffle
quelque chose dans le cul de son ami. La circoncision
de mon grand frère
ROCK&FOLK : Pour vous, quand commence l’histoire de
Langues de bœuf cet album ?
sur corps nus Lias Saoudi : Mmmmm. Je dirais que ça commence par la circoncision
Ce n’est pas la seule raison pour laquelle cet album a failli ne jamais de mon grand frère en Kabylie. Je crois que c’est l’instant où tout
voir le jour. Il suffit d’écouter “Forgiveness Is Yours”, quatrième a commencé à mal aller : quand mon père a pris mon frère pour
album de la Fat White Family, pour comprendre. Tout y est brisé, le ramener dans les montagnes et qu’il a interféré avec ses parties
incohérent, inconstant. Depuis leurs débuts, la négativité était leur génitales. Ce frère a exercé une grande influence sur Nathan et moi,
turf. La Fat White Family voulait être les méchants de l’histoire. sur notre manière de voir le monde et de tout rendre toujours ridicule.
“Ils ne savent pas ce qu’ils veulent, ils savent seulement ce qu’ils ne Je crois que c’est lui qui nous a appris ce mécanisme de défense :
veulent pas être” disait à leur propos Liam May, leur producteur, après quand tout devient sujet à rire, tu ne peux pas prendre ta propre peine
l’enregistrement de “Songs For Our Mothers”. C’était en 2016, le trop au sérieux.
mal était partout. Le mal avait surgi
dans notre monde qui, depuis trop R&F : Pourtant, vous avez été
ou un vaudeville”
pas assez avancé. C’est un sacrifice, A vrai dire, je voyais plus “Forgiveness
le mal, on y passe un point de non- Is Yours” comme une sorte d’œuvre
retour, dont on ne peut ressortir dadaïste ou un vaudeville. Un canular.
qu’en payant de sa personne. C’est à
ce prix que la Fat White Family a arraché un deuxième album, noir, R&F : Mais on y assiste littéralement à l’explosion de la
enregistré dans le chaos, un fétiche, une miniature, une réduction famille.
et un oracle du malheur qui s’abattait alors sur nous. Le groupe Lias Saoudi : Après dix ans de vie commune, quand un certain
s’est séparé, le groupe s’est retrouvé. Ce groupe ne peut exister en nombre de personnes ne parlent plus à un certain nombre d’autres
permanence. Ils le pouvaient quand leur pauvreté était extrême et les personnes, on peut parler de dissolution. Tu sais, je ne sais pas si
membres plus jeunes. Quand ils partageaient tout, un toit, des lits j’en ferai un autre, mais si ce n’est pas le cas, je trouve que c’est une
et surtout l’héroïne. Une vie ensemble sous héroïne. A cette époque, belle manière de baisser le rideau. Je sais bien où nous en sommes :
ils s’aimaient à s’en frotter des langues de bœuf sur leurs corps nus de retour dans le bunker du Führer...
et rasés. Dans cette histoire, le personnage pivot, comme l’une de
ses dents de devant, c’est Saul Adamczewski. Saul, celui qui crève R&F : C’est comme cela que vous voyez les choses ?
l’écran dans la vidéo de “Feet”, le guitariste blond qui fait face au Lias Saoudi : … C’est complètement terminé avec Saul, on ne se
claviériste brun, Nathan Saoudi. Et entre eux deux, le grand frère nu, parle pas avec mon frère et je ne sais pas si on peut résoudre nos
le chanteur, Lias. Voici l’épicentre créatif du groupe, les trois sorcières différends. Nathan a composé beaucoup des chansons clefs du disque,
du groupe qui, aujourd’hui, ne partagent plus une dent, un œil ; pas c’est une grosse partie du groupe... mais, je ne sais pas, mec : on a
même une parole. En 2019, ils posaient tous trois en couverture de semé ces graines démoniaques et quand on se comporte de cette
ce journal, une masse à la main. La presse célébrait la sortie “Serfs manière longtemps, arrivé dans la trentaine, cela devient de plus en
Up!”, troisième album et réussite totale du groupe. Ils étaient arrivés plus difficile de faire les liens émotionnellement parlant. Les cinq
au syncrétisme de leurs obsessions : la musique moderne, Kanye West, dernières années, j’ai essayé de réparer, réparer les choses car ma vie
Photo Louise Mason-DR
le rap du désert, les vocodeurs et la négativité dans le rock. Puis la était devenue impossible. J’ai traversé cette folie, cette… putain de
folie a repris de plus belle et elle s’est exportée en France comme l’on folie, et rester avec eux me semblait être la chose la plus importante
a pu en être témoin directement. Saul installé à Paris, une partie de à l’époque.
l’action s’est déroulée sous nos yeux et l’on évoquera avec Lias Saoudi
Polkas
R&F : Comment avez-vous fait pour enregistrer le disque qui
sort aujourd’hui ?
Lias Saoudi : On avait des choses tout de même. “Religion For One”
et “Bullet Of Dignity”, ce genre de morceaux fait à plusieurs. Pour
“Today You Become Man”, on avait cette session à douze personnes
et on a fait une grande jam de 20 minutes dont on a pris 4 minutes.
Puis j’avais quelques chansons, Nathan avait quelques chansons,
Alex White, le saxophoniste, a été plus présent pour la composition,
Adam Harmer, qui s’occupe plus de Warmduscher désormais, a écrit
“Polygamy Is Only For The Chief”. On avait des choses, mais rien
n’était terminé. On est retourné chez notre ancien producteur, Liam
May, à Trashmouth Records car finalement on fait tous nos disques
avec lui. On essaye toujours d’aller autre part, puis on revient. L’avoir
rend tout facile, et il a un groove. Puis on a travaillé avec le producteur
de “Feet” sur “What’s That You Say” et “Feed The Horse”. Donc ça
a été une grosse équipe finalement.
“J’ai traversé
ai dit que s’il voulait quitter les Fats, Mais c’est bien d’incorporer ça dans
Photo Louise Mason-DR
putain de folie”
même pas certain que je pourrais autre de vos signatures : ce sont ces
continuer à faire ça… sortes de valses, de ballades à trois
temps comme “Visions Of Pain”, peut-
R&F : Qu’est-ce que vous enregis- être la meilleure chanson de l’album.
triez en Norvège ? Lias Saoudi : Ça a toujours été un truc chez nous, ces polkas.
Lias Saoudi : En Norvège ! En Norvège, c’était tellement triste là- “Visions Of Pain” — j’aime beaucoup cette chanson aussi — vient
haut, on était complètement sorti du budget, du calendrier, on était d’Alex White. Nathan aussi y a travaillé mais c’est exactement le genre
nulle part et Saul faisait ses immenses pistes de drones, des paysages de chose que j’ai plus envie de chanter maintenant que j’approche
de bruit. Je les trouvais putain de géniales mais on ne pouvait pas du milieu de la vie.
rendre un album uniquement de drones ! C’est comme s’il essayait de
spécifique du
j’étais Amy Winehouse, je serais et profondément non originale à la fois.
mort depuis dix ans. Je l’écoutais C’est terrible, non ? Personne n’a quoi
l’autre jour, elle est passée à la radio que ce soit à dire sur quoi que ce soit.
post-punk est
quand j’étais en Algérie, euh, en Et comment serait-ce possible ? Les
cure, en rehab justement. Je n’avais machines veulent que nous soyons
devenu une
jamais vraiment prêté attention à comme des machines : prédictibles,
elle avant, et là je l’entends chanter efficaces, que l’on opère. L’humanité est
“ils ont essayé de me mettre en rehab devenue un hochement de tête général
tendance”
et j’ai dit non, non, non…” L’attitude enfermé devant un écran. Nous hochons
du rock’n’roll même, le truc à la la tête devant des choses différentes,
James Dean : “tu veux que j’aille en mais la technologie considère que nous
désintox, va te faire foutre”. Les choses ne se passent plus comme sommes basiquement tous pareils : on a beau avoir des variants
ça désormais, n’est-ce pas ? Avant c’était partout, la moindre pop politiques, de goût, n’importe, on finit toujours par acquiescer. C’est
star créait des scandales, les mettait en scène dans sa musique : ça ça que la machine veut que nous fassions. Que personne ne remette
créait une sorte de larsen, une performance continue. Aujourd’hui, en cause la structure. La structure reste intacte, seuls les phénomènes
t’es cancel, annulé. Ou on te traite de raciste sans raison sur Twitter. sont attaqués.
que ça installe, c’est : “Surtout, ne prend jamais aucun risque, boucle-la a pas d’ordre ou de cohésion. Aucun cadre particulier, sinon cette
et surveille tout ce que dit” et ça, ça ne peut pas être un environnement liberté brute, idiote, une liberté absolue… une liberté absolue de
pour faire une œuvre, du rock’n’roll ou dire tout simplement ce que faire du shopping H
l’on pense. Album “Forgivness Is Yours” (Domino)
KURT
COBAIN
lA DErnIèrE rOcK StAr
PAR ERIC DELSART
Photo Dalle
IL EST DES DATES COMME ÇA QU’ON N’OUBLIE PAS. sur le label local Sub Pop, était un disque lourd, entre sludge et
Où tout le monde se souvient de ce qu’il était en train de punk d’où émergeaient peu de mélodies marquantes, en dehors de la
faire quand la nouvelle est tombée. Le 11 septembre 2001, ballade “About A Girl”. Pas de quoi s’enflammer plus que de raison,
le 22 novembre 1963, le 21 juillet 1969, le 5 avril 1994… mais les graines de la popularité étaient semées et le groupe allait
C’était il y a trente ans, et toute personne ayant vécu l’événement signer sur une major pour son deuxième album (DGC, qui vient de
garde un souvenir vif de cette journée, de cette indicible recruter Sonic Youth). En 1991, la sortie du single “Smells Like Teen
douleur quand l’annonce du décès de Kurt Cobain a résonné Spirit” allait propulser Nirvana dans la stratosphère. Porté par son clip
dans les enceintes de la radio. Un choc, une déflagration pour emblématique, la chanson allait devenir un tube international et faire
une génération de kids qui ont alors le sentiment de perdre de “Nevermind” un best-seller comme peu d’albums avant et depuis.
un ami, un frère, le porte-parole de leurs angoisses. Bien plus Adulé par les lycéens, célébré par la critique, respecté par le milieu,
qu’un simple musicien ou une personnalité publique. Car Kurt Nirvana était le groupe qu’il fallait au bon moment, au bon endroit.
Cobain est un héros. Pour ceux qui ont le câble, MTV passe Son succès allait ouvrir la porte à d’autres. Le rock était de nouveau
en mode édition spéciale. Kurt Loder prend l’antenne, couvre cool, et le radar tourné vers Seattle (Mudhoney, Pearl Jam, Alice In
la veillée funèbre devant la maison du 171 Lake Washington Chains, Soundgarden) et la scène alternative (Smashing Pumpkins,
Boulevard à Seattle, où les fans sont au recueillement. On Weezer). Les majors ont commencé à démarcher tous les groupes
entend en boucle une Courtney en sanglots qui lit au téléphone émergents, des groupes respectés comme REM ont touché un nouveau
des passages de la lettre d’adieu du défunt. Dans les mois qui public. Les guitares étaient partout à nouveau et le panorama musical
suivent, on est à peu près sûr en allumant la chaîne de tomber irrémédiablement changé.
sur une rediffusion du concert unplugged ou du furieux “Live
And Loud” filmé également par le canal musical américain.
La voix de sa génération
Pour comprendre l’ampleur de ce qui s’est passé ce jour-là, et la raison Comme Bob Dylan dans les années soixante, Kurt Cobain est parvenu
d’un tel deuil international, il faut comprendre qui était Kurt Cobain, à mettre des mots sur les angoisses et aspirations des jeunes gens de
et surtout pourquoi il est devenu, de sa génération. Et comme le barde de
son vivant, une personnalité tellement
en phase avec son époque qu’il a fini Les guitares Duluth, c’est un rôle qu’il n’a jamais
voulu assumer au premier abord, sa
étaient partout
par l’incarner. Une personnalité si prose étant avant tout le miroir de
fascinante que depuis sa disparition sa propre anxiété. N’oublions pas
on a eu droit à des films-concepts sur que “Smells Like Teen Spirit”, le
lui, comme “Last Days” de Gus Van
Zant en 2005 (qui évoque à demi-mot
les circonstances de son décès) et des
à nouveau et le tube qui a fait exploser le groupe,
avec son riff violent et cette entrée
de batterie explosive, est avant tout
documentaires polémiques, avec des
enquêtes à charge et des théories du panorama musical un texte sur la dépression. “I feel
stupid and contagious/ Here we are
complot fumeuses concernant les
circonstances du drame. Sans parler
des nombreux livres, évidemment.
irrémédiablement now, entertain us” que le chanteur
scande dans l’irrésistible refrain de
la chanson, à mille lieues de ce qui se
Aujourd’hui, on dit Kurt, comme on
dit Elvis, Iggy ou Lemmy. Pas besoin
de préciser le nom de famille pour
changé faisait dans le rock macho à l’époque
(on est loin du “Feel my serpentine/
I wanna make you scream” de
savoir de qui on parle. Pourquoi est-il devenu une telle icône ? “Welcome To The Jungle” des Guns). Sans misérabilisme, Cobain
La réponse tient à plusieurs facteurs. y pose les contradictions qui le taraudent et utilise cette colère,
cette énergie noire, comme un défouloir. Le genre de considération
que des millions d’ados ont perçu comme un miroir de leurs propres
Nirvana a changé le monde interrogations, et dont tous les textes de Nirvana sont empreints, de
L’histoire de Nirvana n’a rien d’un conte de fées et on aurait tort manière plus ou moins cryptique. Avec ses textes, Kurt exprimait son
de présenter ses trois membres comme des sauveurs parce qu’ils mal-être d’une façon qui a résonné intensément avec les adolescents
n’étaient pas attendus. Le rock, à la fin des années quatre-vingt, de la génération X, devenant une sorte de porte-parole du syndrome
était dominé par sa branche la plus heavy, avec le hair metal et des fin-de-siècle. Il en a découlé une forme d’adulation, un culte presque,
poids lourds comme Guns N’Roses, Iron Maiden ou Metallica. La où chaque parole était analysée (et l’est toujours) si bien qu’à sa mort
pop de Michael Jackson et Madonna incarnait le format dominant son aura était presque celle d’un prophète, ou d’un ange déchu dont
et le rock était quelque chose d’un peu suranné, qui survivait dans on apercevait les viscères, comme sur la pochette de “In Utero”.
Photo James Crump/ Wire Image/ Getty Images
On a parfois du mal à imaginer aujourd’hui que les chansons de grâce à lui que porter un T-shirt (à l’effigie de Flipper, L7 ou Daniel
Nirvana étaient aussi populaires que le plus gros des tubes actuels. Johnston) était un geste important. Avant même que le succès arrive,
N’oublions pas que, peu après sa sortie, quand le bouche-à-oreille a dès qu’il le pouvait, Cobain mettait en avant ses influences et défendait
commencé à prendre, “Nevermind” s’est hissé à la première place des les artistes qu’il admirait, les héros injustement méconnus. Il en parle
charts en délogeant “Dangerous” de Michael Jackson. Aujourd’hui, on dans ses journaux intimes, où il remet régulièrement à jour son top
estime qu’il s’est vendu plus de 30 millions de copies de cet album, albums. Les reprises, un noble exercice auquel Nirvana se prête dès
ce qui le place parmi les disques les plus vendus de tous les temps. ses débuts, ne sont jamais choisies au hasard : “Here She Comes Now”
La raison à cela ? “Smells Like Teen Spirit”, “Come As You Are” du Velvet Underground, la réinvention de “Love Buzz” de Shocking
ou “Lithium” sont des chansons pop planquées sous des déluges de Blue, plusieurs hommages aux Vaselines, “Molly’s Lips”, “Son Of A
distorsion que tout le monde a au moins entendues une fois, même à Gun” puis, plus tard, “Jesus Don’t Want Me For A Sunbeam” lors du
l’heure des algorithmes et de Spotify. Ces chansons ont fait de Nirvana “MTV Unplugged In New York”, événement pour lequel il a envoyé
le plus grand groupe rock du monde mais aussi et surtout des pop stars. paître la chaîne et son label qui lui demandaient, essentiellement,
de jouer les tubes du groupe et les singles de l’album qui venait de
paraître. Ce jour-là, pour son concert acoustique, il a ainsi interprété
Un chanteur doué (et copié) un morceau de David Bowie méconnu du grand public “The Man
C’est ce qui frappe en premier quand on écoute Nirvana : Kurt Cobain Who Sold The World”, un blues traditionnel vieux d’un siècle (“In
avait une voix unique. Aussi touchante par son côté plaintif dans The Pines”, interprété selon l’arrangement de Lead Belly sous le titre
les ballades que frappante quand il la déchirait en hurlements dans “Where Did You Sleep Last Night”), et trois morceaux consécutifs
les refrains. Le genre d’organe qui peut vous coller des frissons a des Meat Puppets (“Plateau”, “Oh Me” et “Lake Of Fire”), groupe
cappella. C’est pour cela d’ailleurs country-punk de Phoenix dont il invite
que le “MTV Unplugged In New
York” est aussi sublime. La voix à
nu de Kurt Cobain dévoile toutes ses
kurt cobain a les membres sur scène, un tribut
parmi les nombreux autres payés
aux groupes qu’il aimait et invitait
nuances et laisse transparaître un
désespoir glaçant. La performance imposé un style quand il le pouvait en première partie
(Buzzcocks, Mudhoney, Shonen
réalisée ce soir-là par Cobain — en
une seule prise à chaque fois, sans
overdubs, est le meilleur témoignage
vestimentaire que Knife, Thugs, Breeders...).
tube. Une façon brillante de jouer de l’outil médiatique et de faire des de Nirvana et la meneuse de Hole a fait les beaux jours de la presse
happenings punk (comme son arrivée en fauteuil roulant sur scène à scandale durant la période où le groupe était au sommet de sa
à Reading, en 1992). Cette ultra-sensibilité quant à son rapport au popularité, mais aussi dans la décennie suivante. Personnage aussi
succès est sans doute un des plus grands tourments de Kurt Cobain. intense et provocateur que Kurt Cobain pouvait être calme et réfléchi,
Courtney Love était une chanteuse charismatique aux commandes d’un
groupe sulfureux. Une personnalité forte que Cobain voyait comme
Un passeur son égale et avec qui il a constitué le couple le plus emblématique des
De Lead Belly aux Breeders, des Beatles aux Melvins, le chanteur années quatre-vingt-dix. Leur histoire fut un tourbillon. Peu après leur
affichait ses engouements musicaux dès qu’il le pouvait. On a compris rencontre, Cobain déclarait avant la première prestation télévisée en
Angleterre de “Smells Like Teen Spirit” en août 1991 : “Courtney Love Le trône est vacant depuis trente ans. Certains ont bien essayé de
is the best fuck in the world”. En février 1992, le couple était marié et créer des idoles, comme le journal britannique “NME” en 2001, qui
accueillait le 18 août une fille, Frances Bean, dont il allait perdre la a promulgué les groupes de Detroit (“la nouvelle Seattle”) quand les
garde un mois plus tard suite à un article polémique de “Vanity Fair” White Stripes ont commencé à percer. Mais même s’il a écrit avec
qui suggérait que Love avait pris de l’héroïne durant sa grossesse. “Seven Nation Army” un tube devenu tellement omniprésent qu’il en
Trop vite, trop fort. A la mort de Cobain deux ans plus tard, Love sera est presque devenu un élément de folklore, Jack White n’avait pas
accusée de tous les maux, en particulier d’être la responsable — si la personnalité requise. Idem pour tous les artistes qui ont incarné à
ce n’est la commanditaire — de la mort de son époux. un moment un mouvement créatif excitant, de Thom Yorke à Tame
Impala en passant par Julian Casablancas ou Ty Segall (qui avait
en plus la fâcheuse tendance d’être blond et d’aimer la flanelle).
Un junkie Certains ont été présentés comme des héritiers sur un malentendu,
Est-ce vraiment une chose à célébrer ? La drogue a sans doute tué Kurt comme Beck dont le clip pour “Loser”, publié en 1993, montrait
Cobain, mais si on essaie de collectionner les choses qui constituent un blondinet en T-shirt délavé rappant sur des samples folk avec
une icône du rock dans l’imaginaire collectif comme on coud des un texte plein d’humour. D’autres ont été poussés artificiellement
écussons sur un uniforme de scout, la drogue est un badge essentiel. pour l’être, comme le pauvre Craig Nicholls de The Vines, un garçon
Son poison était l’héroïne, la drogue des poètes. En 1992, il expliquait indéniablement doué, mais plus proche de Daniel Johnston que Kurt
dans une lettre adressée à ses fans qu’il n’envoya jamais (mais qui a Cobain, et qui a explosé en vol.
été publiée dans ses “Journals”) qu’il était sujet à de sévères maux
d’estomac depuis des années et que les médecins en ignoraient la Le pire demeure l’héritage maudit de Nirvana avec toute la litanie de
provenance. Après avoir tout essayé (devenir végétarien, cesser de groupes qui ont repris certains codes du grunge parce que c’était cool,
fumer…), Cobain décida alors de s’administrer des petites doses pour en vendre une copie dégradée. Le post-grunge est une catastrophe :
d’héroïne pour mettre fin à son Silverchair, Creed, Nickelback,
d’un prophète ou
son organisme. portes des sous-cultures rock au
grand public, le groupe a changé
la musique, pour le meilleur
La mise en
scène de sa d’un ange déchu comme pour le pire. C’est l’entrée
de la culture punk à roulettes dans
le mainstream, et cette bro culture
fin de vie aux antipodes de la pensée de Cobain qui aboutira au désastre de
Si sa mort est un des grands drames de l’histoire du rock, Cobain Woodstock 99. C’est les emo qui ont ajouté une dose de gothisme
aura toutefois soigné sa sortie. Après son overdose de Rohypnol à et de geignardise au propos de Cobain. C’est ce moment improbable
Rome, qui avait failli avoir sa peau, la mort planait autour de lui. Le où il fallait être sombre et edgy pour exister. C’est l’album grunge de
concert acoustique “MTV Unplugged In New York” filmé en novembre Jeanne Mas.
1993, avec son éclairage à la bougie et ses gerbes de fleurs qu’il
avait exigées afin que la scène s’apparente à des funérailles, avait Trente ans après la disparition de Cobain, le rock vit à nouveau une
quelque chose de sépulcral. Trente ans après, écouter ce concert période sombre. Il ne fait plus rêver, ne vend plus. Quel groupe
est toujours aussi glaçant, notamment parce que Cobain y est plus de moins de quarante ans remplit un Bercy ou même un Zénith
touchant que jamais. Sa mort six mois plus tard, au moment où le aujourd’hui ? On les compte sur les doigts de la main. L’ascenseur
label avait prévu de publier la chansons “I Hate Myself And I Want social du rock est cassé alors que, pourtant, la scène actuelle est
To Die” en face B de single, n’en sera que plus triste ; d’autant que tout à fait passionnante. A l’heure où les jeunes groupes rock les
là aussi il mettra sa fin en scène, avec une note de suicide restée plus populaires sont souvent des opportunistes qui en reprennent
célèbre, notamment en raison de la citation empruntée à Neil Young : certains des aspects les plus ringards et caricaturaux (Greta Van
“It’s better to burn out than to fade away”, tirée de la chanson Fleet ? Maneskin ? “All style and no substance…”). A l’heure où le
“Hey Hey My My” (Young en sera tellement horrifié qu’il écrira la rock se muséifie dans l’auto-parodie, que ce soit avec la multiplication
chanson “Sleeps With Angels” quelque mois plus tard pour l’album des tribute bands sans âme (difficile de faire moins rock’n’roll que
du même nom). ces soirées où des musiciens interprètent, sans déborder du cadre
imposé, des œuvres désormais classiques) ou dans les concepts les
plus absurdes pour recycler les mêmes vieilles scies (a-t-on vraiment
Sa mort a précipité besoin d’entendre mille musiciens amateurs jouer les Foo Fighters
le rock vers le néant dans un stade de foot ?). Le rock qu’on aime et qu’on défend se joue
Photo Gie Knaeps/ Getty Images
La mort de Kurt Cobain a été un choc dont le rock ne s’est jamais dans les bars et les salles de taille moyenne. Il disparaît de plus en
remis. Les faits sont là, indéniables. Vague après vague de renouveau, plus des affiches des festivals qui, pourtant, contiennent quasiment
aucune figure charismatique n’a porté le rock au sommet. Les tous le terme rock en eux. Que lui manque-t-il ? Il manque juste une
candidats ont été nombreux, mais aucun n’a eu la combinaison de figure de proue, quelqu’un pour remettre de l’excitation, de l’envie,
talents citée ci-dessus. Un ingrédient manquait toujours, que ce soit de la sincérité dans un monde musical toujours plus standardisé.
le glamour, le charisme, la personnalité ou tout simplement le talent. Il lui manque Kurt Cobain. H
Dieux de l’Olympe
et Diane chasseresse en cuissardes
LES
VARIATIONS
Le 10 mars 2024, l’annonce du décès de Marc Tobaly a secoué la
communauté rock hexagonale. Fondateur et guitariste des Variations,
il a créé au tournant des années 70 une œuvre unique en son genre
dans un pays qui les a longtemps snobé. Retour sur l’aventure
de ce qui reste peut-être, le plus grand groupe rock français.
PAR PATRICK EUDELINE
TROIS SOUVENIRS. COMME CELA. Moi, je m’emmerde. Faut qu’on aille en boîte ! Qui me suit ?”.
J’ai seize ou dix-sept ans. Une fois encore, Jo a décidé Il était sept heures au clocher… Mais Jo vivait dans son espace-
de quitter les Variations. Ils se produisent donc à trois, temps personnel. Le captagon était notre moteur : deux pastilles
pour la première fois, me semble-t-il. Marc sait chanter, permettaient de vivre intensément 48 heures. Quelqu’un lui tend
bien sûr. Mais le show en pâtit. Nous sommes un dimanche la petite boîte ronde. Jo la vide. Dix comprimés donc de cette
après-midi au Golf Drouot. L’endroit est comble. Saturé puissante amphétamine. Dix minutes plus tard, il s’endormait.
d’électricité et de condensation. Je me suis glissé aux A son réveil, il m’expliquait : “Faut qu’on arrête de m’emmerder
premiers rangs. Je ne veux en rater une miette. A côté avec les textes ! J’achète les songbooks des meilleurs, Bob Dylan,
de moi, ou quasi, il y a… Jo Leb. Il n’a pas résisté, les Rolling Stones, je prends une phrase ici ou là... Puis je mélange.”
il est venu voir ses frères ennemis, ses complices malgré Bien plus tard… Jo Leb a été chauffeur routier. Il est chez moi :
lui. Quand Tobaly amorce le riff implacable du vieux on murmure que les Variations vont se reformer. Il me raconte
“Everybody Needs Somebody To Love”, un de leurs comment il cachait à ses collègues son glorieux passé, ceux
chevaux de bataille depuis le début…, Jo n’y tient qui savaient pouvaient se moquer, se montrer désagréables,
plus et saute sur scène. Et c’est le pandémonium. Les à de rares exceptions. Tout cela me faisait mal au cœur. Pour
filles hurlent, le groupe se dépasse et en fait des tonnes. les photos destinées à Rock&Folk, ne supportant pas de voir
Chaque morceau, façon Cream en bien plus sauvage, le magnifique en polaire, je lui prête veste de velours noir
dure dix minutes. La batterie finit démembrée, les Marshall et foulard noir. Je n’ai jamais revu Jo depuis…
double corps sont à terre et il faut aider les quatre musiciens
à regagner ce qui leur tient lieu de loge, tant ils sont à bout, Marc Tobaly est mort. Et je n’ai oublié
haletants. Dans le genre aussi extrême, je n’ai vu, je crois, aucune rencontre. Ainsi, comment devant un parterre
que le MC5. Hors films de légende : Who ou Hendrix. d’épées, Yarol Poupaud, M, Bertignac, à une fête Rock&Folk,
Là, c’est devant nous. Glam rock et punk rock sont encore il avait empoigné sa vieille Les Paul, s’était branché dans le
loin. Les Variations, dans toute la France profonde, en premier ampli venu et, sans plus de manières, avait sorti un
sont — déjà — l’incarnation. Avec les Variations, nous son qui nous avait tous laissés pantois. Oui, le son est dans
sommes en plein rock décadent, comme il se disait alors. les doigts. A notre toute dernière rencontre, il m’avait parlé
de son admiration pour Peter Green… Plus les années
J’ai 18 ans et traîne avec mes héros d’alors : passaient, plus l’homme était simple et charmant. Marc
Jean-Pierre Kalfon, Octavio, Valérie Lagrange. Ils reviennent n’est plus. Encore un. L’image qui me reste en premier ?
de New York et sont des amis des Dolls ! Je rêve de faire partie J’avais treize ans et, en descendant le boulevard Saint-Michel,
de leur bande. Un jour que je leur rends visite, dans un de ces je croise trois dieux de l’Olympe et une Diane chasseresse
Photo Rancurel/ Dalle
appartements remplis d’amis qu’ils squattaient…, je tombe sur en cuissardes. Trois Variations et une Zouzou. Ils allaient
Jo Leb, que je reconnais immédiatement. Bien évidemment. chez Campton. Sartre dans “L’Enfance D’Un Chef”
D’une voix ravagée, je l’entends lâcher, avec un accent de titi raconte comment, à l’adolescence, une simple
parisien inimitable, lui, le natif de Fez : “Personne a dû capter ? rencontre peut déterminer une vie. Qui sait ?
Photo Dalle
Septembre 1966. Marc s’ennuie. Il est l’heureux possesseur Ils sont lookés gravement. Ils font le proverbial tabac au Golf, au
d’une guitare Kay, d’un magnétophone. Mais tout se passe… sans lui. Tour Club, partout où ils arrivent à s’incruster. Ils sont les seuls
Il y a plein de groupes au Maroc, certes. Manque le show-biz qui sur la place. Certes, il y a les Jelly Roll, les Boots… Une poignée.
ferait que l’étincelle prendrait flamme. Comme à Paris, tiens ! La Mais pour exister vraiment, il faut être catalogué yé-yé ou
fratrie s’est dispersée. Son grand frère Alain, sa sœur Magda sont à beatnik, et surtout chanter en français. Pour signer, c’est en
Paris. Justement. Avec ses Petits Loups, il trouve une série de galas tout cas indispensable… En attendant, on les voit partout.
près d’une piscine. Assez pour partir. Dans le train, il achète une
acoustique Hagstrom a un beatnik. A Paris… Désillusion. La famille Transport d’enfants. Il y a marqué cela sur le bus
est à Londres. Entre stop et ferry-boat, il arrive à Piccadilly, sort la Volkswagen qu’ils louent. Comme beaucoup de groupes d’alors,
guitare et fait la manche. Il finira bien par tomber sur… Banco ! La ils décident de prendre la route et de se proposer partout où on
famille s’entasse dans un studio. Move, Creation, Action, c’est le voudra bien d’eux. Arrivés à Hanovre, ils arrachent une première
bonheur. Lui aussi aura bientôt son groupe en “ion”. En attendant, partie au Savoy. Enfin plutôt… le droit de jouer. Les vedettes, ce
il lorgne les boutiques de Carnaby Street et joue “Non Ho L’Età” de sont les Smoke, auréolés de leur tube incontestable, le fameux
Gigliola Cinquetti dans les pizzerias. Histoire d’améliorer l’ordinaire. “My Friend Jack”. Les Variations les mangent littéralement. Les
Tout est trop intense, tout explose. Va-t-il, comme prévu, retourner Smoke étaient plus à l’aise en studio que sur scène. Les Variations
à Fez pour la rentrée scolaire ? Des études de droit l’attendent. C’est continuent leur périple, se lavant et endossant leurs belles fringues
non, bien sûr. Et le fort compréhensif paternel fait contre mauvaise Campton dans les toilettes de gare ou chez une jeune fille
fortune bon cœur. Marc retourne à Paris où l’attend Alain. Lui suit compréhensive. Tout cela les mène jusqu’à Copenhague où ils
de vagues études mais surtout devient l’officiel manager de ces enregistrent un single : le fort pop “Spicks And Specks” des Bee
Variations qui n’existent pas encore. Du beau monde se succède Gees et l’implacable “Mustang Sally”. C’est même un hit local pour
pourtant : Jean Falissard, Michael Memmi, le futur Rolling… le petit label Triola. Formidable, mais toujours pas de royalties et
Jacques Micheli et Guy de Baer font un temps l’affaire. Surtout une vie de romanichel. Ils sont exténués. Le retour est saumâtre.
que, miracle, ils sont tombés sur Bitton et Jo ! En ces temps sans
portable, retrouver quelqu’un tient du miracle. Les Variations sont 1968 est pour eux une tristesse. Rien de nouveau.
nés. Ou presque. Le Marais de Carnaby ! Le quartier est devenu Un circuit qu’ils commencent à trop connaître. Et puis, alors que
une réplique du Swinging London. Boutiques branchées, pubs et l’année s’achève sous les cotillons, ils entendent parler de la
même fausses cabines téléphoniques rouges y pullulent. C’est là fameuse surprise party du 31. Ils se pointent au culot. Miracle :
que le groupe répète en sous-sol. Le boucan freakbeat est censé Traffic, qui devait conclure, est bloqué en douane. Taittinger et
attirer les clients. Sauf que cela devient trop sérieux pour Micheli et Job, MCs de la cérémonie, leur proposent de jouer comme ça.
de Baer. Ils s’en vont… Pas grave, Marc tiendra lead et rythmique. Histoire de faire les bouche-trous. Ils interpréteront jusqu’à
Comme les Who. Un soir, un dégingandé coiffé selon les règles sept titres et cela changera leur destin. Enfin… c’est une épée à
descend l’escalier. C’est Jacques Grande. Les Variations sont là. double tranchant que ce tournant soudain. Certes, ils vont signer !
Caleb“HEYLandry
GARY, HEY DAWN”
Jones
SACRED BONES
Caleb Landry Jones est un Puis, sitôt les prises de vue achevées, Robert Hudson à la basse et l’excellent une agressivité quasi metal et un
personnage aussi fascinant il se terre dans la grange familiale pour Nic Jodoin (Black Lips, Night Beats) à refrain entêtant qu’on croirait piaillé
qu’indomptable, imprévisible. ébaucher ses idées de chansons, la production. Le leitmotiv, cette fois : par l’ectoplasme du premier meneur de
Blondeur vénitienne, taches de rousseur, manière de surmonter l’inévitable concevoir un album plus épuré, forgé Pink Floyd. Lequel refera une apparition
grands yeux d’un bleu profond, le visage décompression émotionnelle. Reclus, pour la scène. Et le résultat est probant. sur “The Bonzo Bargain”, somptueuse,
du Texan promène son magnétisme énigmatique, tourmenté, Caleb s’inscrit L’immédiateté mélodique éclaire la symphonique. L’isolement est le thème
perturbant sur chaque pellicule. Une dans une longue lignée d’excentriques folie douce de notre comédien, faite de “Spiders In The Trees”, macabre et
gueule, comme on dit. Pas étonnant prodiges initiée par Syd Barrett et Skip de textes cryptiques et d’une inquié- mélancolique. Caleb s’offre enfin une
qu’il ait séduit des réalisateurs de choix Spence. Le premier est une influence tante versatilité, portée par une voix virée country absurde avec “He Sued
comme Jordan Peele, Martin McDonagh, évidente de “The Mother Stone”, protéiforme, du baryton à la voix de His Wife”, puis cette déambulation de
Jim Jarmusch ou encore les frères grandiose premier opus autofinancé tête. D’entrée, “Hey Dawn”, avec son l’autre côté du miroir s’achève avec la
Safdie. Suite à “Nitram”, qui lui a en 2020 et publié sans le moindre alternance de couplets doucereux et théâtrale et foutraque “Pageant Thieves”,
valu le prix d’interprétation masculine plan de carrière sur le pointilleux label de refrains rageurs, ravive le spectre presque cabaret. Notre trublion y
au Festival de Cannes, et à sa prestation Sacred Bones, qui avait déjà hébergé de Nirvana. Dans la foulée, “Too Sharp mime le Lou Reed euphorique de
bouleversante dans le rôle d’un les escapades musicales de John To Be My Carrot” cite “Lazy Old Sun”, “I’m Waiting For The Man” avec en
handicapé transformiste au douloureux Carpenter et David Lynch. Un manifeste des Kinks. Sur “The Moonkey Light” sus un piano bastringue, une fanfare
passé dans le récent “Dogman” (Luc gargantuesque ultra-audacieux qui a été et “Hey Gary”, notre homme se frotte et des cris animaliers, un miaulement
Besson), son futur à Hollywood paraît suivi par “Gadzooks Vol.1” et “Gadzooks au phrasé de Black Francis. “Spot servant de point final. “Hey Gary,
radieux. Alors, est-il possible d’être doué Vol.2”, qui en reproduisaient le modèle A Fly” est un sommet : propulsée Hey Dawn”, plongée dans l’exigeant
dans plusieurs formes d’arts majeurs ? jusqu’à épuisement. Deux agrégats de par de monumentaux violoncelles dédale mental de Caleb Landry Jones,
Nombreux sont ceux qui s’y sont bribes de chansons entremêlées, qui rappelant Electric Light Orchestra, elle ne peut laisser personne indifférent.
fourvoyés... Ce n’est pas le cas de pouvaient bien sûr parfois toucher au se transmute en déchirante déclaration Le parcourir offre une récompense
cet insatiable créatif. Lorsqu’il tourne, sublime, mais demeuraient frustrantes : d’amour (“Mourir seul avec toi…”) façon inestimable : une danse avec le diable
Caleb crayonne des personnages le potentiel d’un très grand disque était John Lennon. Tout aussi magistrale, au clair de lune. Et, accessoirement, la
grotesques et disloqués dans la là, tout proche, à l’état d’embryon… “Your Favorite Song” déroule un découverte d’un artiste unique, dingue.
solitude de sa chambre d’hôtel Caleb s’est donc remis à l’ouvrage thème cinématographique très Au sens propre comme au figuré.
— il signe d’ailleurs la pochette sur- et a convoqué ses collaborateurs orchestré, tels ceux qui jalonnent JJJJ
réaliste de cet “Hey Gary, Hey Dawn”. désormais habituels : l’ami d’enfance la saga “James Bond”, mais avec JONATHAN WITT
pisTE AUX éTOiLEs JJJJJ INCONTOURNABLE JJJJ EXCELLENT JJJ CONVAINCANT JJ POSSIBLE J DANS TES RÊVES
Formé sur les cendres de The Love Me si le nom de James Hoare n’est pas
Nots où officiaient déjà la chanteuse plus connu, c’est parce que ce musicien
et organiste Nicole Laurenne et la britannique apprécie peu la lumière
bassiste Christina Nunez, The Darts et préfère rester en retrait. On lui doit
est un groupe essentiellement féminin pourtant quelques-uns des groupes pop
dont la destinée est de synthétiser britanniques les plus passionnants de la
le punk et le garage avec toutes les dernière décennie. Après avoir fait parler
formes de la musique psychédélique de lui avec le groupe Veronica Falls au
pour en tirer une forme de rock high- tournant des années 2010, le chanteur-
octane capable de propulser n’importe guitariste s’est trouvé de solides alliés
quelle roquette dans l’œil droit de la d’écriture. D’abord avec Jack Cooper,
planète Mars sur un simple rot. Avec musicien originaire de Blackpool avec
Meliza Jackson à la guitare et Mary Rose qui il avait formé le formidable duo
Gonzales derrière les fûts, le quatrième Ultimate Painting (avant une séparation
album se veut comme une ode à la joie acrimonieuse), puis avec l’Argentin Max
de road-tripper en paix sur les ruines Oscarnold, son compère au sein des
du vieux monde. Produit par Mark non moins magnifiques Proper
Rains, les 13 titres ne semblent pas Ornaments. Deux artistes avec qui
avoir trop souffert du passage en studio. il composait en duo et dont il s’émancipe
L’énergie qui sort des baffles montre pour ce qui est son véritable projet solo.
Evidemment, Hoare ne peut s’empêcher
d’imaginer un nom de groupe romantique
avec Penny Arcade, pour ce qui est à la
fois une référence surannée aux salles
d’arcade de jadis, mais aussi à une
chanson de Roy Orbison. Pourtant,
si l’identité a changé, les premières
notes de “Jona”, qui ouvre l’album,
nous ramènent immédiatement en
territoire connu. L’univers chaleureux
de Hoare est reconnaissable entre
mille avec ses arpèges doux, cette
voix murmurée et cette quiétude
psychédélique. Artisan de la ligne claire,
profitons de Neil Young tant qu’il est là. Depuis la retraite de Little Charlie
Avec Bob Dylan, il est l’un des derniers en 2008, le chanteur et harmoniciste
grands anciens à nous rattacher à Rick Estrin a su le remplacer et donner
ce passé mythique qui s’éloigne de une seconde vie aux Nightcats. Depuis,
plus en plus... Et à vieillir dignement. le groupe a su faire son trou dans le petit
Mais on n’est pas non plus obligé de monde du blues à l’aide d’un répertoire
s’enthousiasmer pour toutes ses lubies collectiviste qui n’hésite pas à piocher
souvent incompréhensibles. Neil a ainsi aussi dans le rockabilly’n’roll ou le jazz
une nouvelle marotte : réenregistrer, sous toutes ses formes dansantes.
à une cadence affolante, ses propres Depuis, les différentes planètes de
chansons à l’arrache... Ce qui nous a la musique qui bouge n’arrêtent plus
valu, il y a quelques mois, “Before And de s’aligner à chaque sortie d’album.
After”, sur lequel il reprenait certains de Pour le dernier, il démarre avec
ses morceaux plus ou moins obscurs “Somewhere Else”, un blues du bayou
en version solo acoustique bâclée. bien poisseux où le rythme du saxo est
Et aujourd’hui, cet album électrique comme le son d’une scie égoïne en train
enregistré dans les conditions du live, de s’occuper de la branche sur laquelle
à fond les ballons, avec ses vieux repose le peu de retenue sommeillant
amis du Crazy Horse — augmentés au fond d’un auditoire, pour un disque
que n’auraient pas renié Little Richards,
Screamin’ Jay Hawkins, Esquerita
ou Brian Setzer. Rick Estrin et ses
matous nocturnes n’ont pas eu besoin
de faire appel à Maïté pour trouver
les ingrédients nécessaires pour cette
série de chansons aussi envoûtantes
qu’une racine de mandragore lentement
infusée dans un tonneau de Jack
Daniel’s cinquante ans d’âge. Si
l’essentiel des chansons dépote son
petit bonhomme, l’album renferme
tout de même deux reprises assez
moyennes par leur orchestration. La
“Tony Truant il est des groupes qui restent fidèles à On est toujours impatient d’écouter ce Le sixième album de Frustration débute
Et Les Solutions Du Sud Profond” leur parti pris de jeunesse et ne dévient que Xavier de Rosnay et Gaspard Augé par des petits oiseaux qui chantent.
FOO MANCHU pas de leur trajectoire initiale malgré ont à proposer. Non pas parce que Avant qu’un synthé que n’aurait pas
Antoine Masy-perier alias Tony Truant les épreuves et les années : Burning “Woman”, leur précédent opus, avait renié la Hammer n’entre en scène,
présente un CV irréprochable, guitariste Heads est de ceux-là. Fondé en 1987 remporté un Grammy Award — ce qui accompagné d’une batterie martiale
des Gloires Locales, Dogs, Wampas, etc. à Orléans, il a traversé les décennies n’est pas pire qu’une Victoire, mais et menaçante. D’entrée, on comprend
Quand il prend la tête d’une formation, sans rien renier de l’énergie qui le porte vaut à peine mieux — mais parce qu’ici, le futur va se conjuguer au passé.
il chante en français, avec une évidente depuis ses débuts. Seul le batteur est un que, on l’a bien saisi, ces deux-là On synthétise : l’homme a tout détruit
jubilation dans le maniement de cette “historique” de la première heure, suivi ont les bonnes références, possèdent et la planète se meurt. Le constat est
langue, ce que le nom de ses groupes de près par le bassiste apparu sept ans certainement les bons disques (avec un amer et c’est encore un euphémisme.
révèle à l’évidence, Dignes Dindons, plus tard, et cette stabilité n’est sans trou au milieu) et ont su en recycler la Le titre, lui, est impeccable : triste,
Million Bolivar Quartet, Négligé, doute pas étrangère à l’efficacité sans substantifique moelle dans leur musique désabusé et violent comme il faut avec
Ménage A Trois (avec Keith Streng failles de l’assise rythmique, mais les qui, à force, est devenue un style. En ses chœurs de hooligans errants. “State
des Fleshtones), 2 Solutions… quelques changements de musiciens prime, cette fois, ils ont joint l’utile à Of Alert” cavale entre les cadavres et
Sétois depuis 2009, il enregistre (et plus récemment de chanteur) n’ont l’agréable en ouvrant leurs titres à pas indique que Frustration a bel et bien
l’essentiel du nouvel album, produit altéré ni la cohésion ni la force de frappe mal d’invités, dont certains que leur décidé de revenir à ses premières
par Francis Puydebois, au studio du quintette qui reste donc l’une des curiosité les a amenés à découvrir. amours : le post-punk sauvage et frontal.
La Butte Ronde avec Guillaume Brugvin, valeurs sûres de la scène française “Mannequin Love”, par exemple, Ici, on meurt mais on ne se rend pas !
les mixages étant confiés à Ayamu énervée. Ce seizième album clame avec sa basse au cutter et sa suite “Omerta”, avec sa basse qui casse des
Matsuo et Christophe Dubois. haut et fort qu’il n’entend ni raccrocher d’accords défiante, doit aussi beaucoup gueules, dévoile un Fabrice qui chante
ni mettre de l’eau dans son vin. Porté en français, mi-ironique, mi-rageux, et
par un propos incendiaire — sous c’est jubilatoire. “Catching Your Eye”
l’oriflamme de son titre (“Les Braises est limite punk hardcore et donne
De La Contestation” en VF) — depuis direct envie de tourbillonner dans un pit
l’ouverture (“Pyromaniac”) jusqu’au en fusion. “Pawns On The Game” a la
final (“Keep The Fire Burning”), il oscille mélancolie cold wave et c’est heureux.
entre power pop (“Survival Instinct”), “Riptide” commence comme un giallo
hardcore (“Red”) et punk (“Happy mutant, flippant à souhait et se mue en
Neaw Fear”) au gré de brûlots cinglant une créature mécanique qui ne prédit
et concis qui soignent les mélodies aucun lendemain qui chante. D’une
dépassant rarement les trois minutes beauté crépusculaire et post-industrielle
(avec une salve d’une minute douze !) remarquable. “Pale Lights”, dépouillé,
et s’accordent l’une de ces pauses dégringole l’escalier de la vie avec
reggae-dub réussies dont le groupe une ténacité indiscutable. “Vorbei”,
Julian Cope
“INTERPRETER”
Echo
“VOUS VOULEZ FAIRE CARRIÈRE ? Mollo sur le LSD”. Julian Cope aurait “Black Sheep” (2008), “Autogeddon” (1994), “John Balance Enters
pu participer à ce genre de campagne préventive. Il était promis au même Valhalla” (2019)… Plus le fantastique “Interpreter”. Le disque qui l’a
destin que The Cure ou U2, jouer dans des stades, mais l’excentrique a gobé poussé à prendre le maquis. Celui qui met à mal la théorie selon laquelle
en cours de route la pilule de trop. Après deux albums plus que prometteurs ses six albums les plus cités seraient les moins barrés, les mieux produits,
au tout début des années quatre-vingt avec The Teardrop Explodes et une les plus écoutables.
poignée de disques solos acclamés, Cope, en s’envoyant des psychotropes Cope a débuté dans un groupe avec Ian McCulloch. Ce qui le différencie
comme on se bâfre de cacahuètes, a loupé une marche. Manger cinq d’Echo & The Bunnymen, c’est sa passion pour le psychédélisme le plus
fruits et légumes par jour, bien sûr, mais juste pour faire passer les expérimental. Il a écrit plusieurs livres sur ses marottes, le krautrock,
cinquante buvards ? Première alerte : les Japonais hallucinés, son amour
Julian fait cocu Island pour sortir d’Amon Düül II, Flower Travellin’
en 1990 “Droolian”, disponible unique- Band, Funkadelic, Chrome, Faust, Far
ment au Texas, enregistré en aide à East Family Band, Plastic Ono Band…
Roky Erickson, derrière les barreaux. D’un côté le post-punk originel, pop,
Bono, même d’humeur suicidaire, de l’autre le bruit déviationniste : Cope
n’aurait jamais adopté telle stratégie. navigue entre ces deux pôles, entre
Julian brandit maintenant le livre de Psychedelic Furs et Blue Öyster Cult,
John Sinclair (“Guitar Army: Rock XTC et Hawkwind, Stranglers et La
Révolution, Motor City MC5 et les Düsseldorf. Dans “Interpreter”, la
White Panthers”), ne cherche plus à balance est quasi parfaite. Un de
rivaliser avec Duran Duran ou INXS ses albums les plus pop, mais truffé
et, qui l’eût cru, le radicalisé reste d’arrangements à base de thérémine
dans la course : paradant à Top Of hurlant, de mellotron Mark II, guita-
The Pops avec un T-shirt Neu!, il en- res cosmiques, synthés VCS3, cordes,
chaîne au début des années quatre- piano, saxo, trompette, orgue et ribam-
vingt-dix les albums au succès à la belles de chanteurs invités. Divisé en
fois critique et commercial. C’est en deux “Phases”, l’album est accom-
abordant la quarantaine qu’il lâche pagné, pour que l’auditeur ne soit
définitivement la rampe. Il a fait des pas trop largué, d’un croquis dépliable,
efforts, il ne veut plus appartenir à une “carte mentale mythologique” des
cette industrie, constituée de “rapaces”, Marlborough Downs, où se trouvent
peuplée de fourbes — “Les groupes des sites mégalithiques. Ça démarre
utilisent l’ironie pour vendre leur très fort avec “I Come From Another
merde. Comme ceux qui mettent Planet, Baby”, kraut bubblegum,
des gros seins sur leur pochette pour space pop. Suit “I’ve Got My TV
dénoncer le sexisme. L’ironie, c’est une & My Pills”, du Bowie en mode
arnaque, et elle guide toute la profession.” Bref : à partir de 1997, Cope Space Hostie. “Planetary Sit-In” pourrait figurer sur l’import martien du
se met hors-business, ne produisant des disques et livres qu’à travers “Tangerine Dream” de Kaleidoscope. “Cheap New-Age Fix” se paye
sa propre structure, Head Heritage — label, webzine, forum. Personne la tête des bobos adeptes de mysticisme. “Arthur Drugstore”, Barrett
n’est au courant, c’est pourtant une réalité, même pas alternative : les plante de la valériane sur la lune. “S.P.A.C.E.R.O.C.K. With Me”,
vingt-trois albums sur Head Heritage sont passionnants. Un disque tous Hawkwind a ingurgité “La Traviata” de travers. “The Loveboat”, Captain
les ans, réservé au même sort : désintérêt général. Julian Cope n’est plus Sensible explore en vaisseau spatial “Alice Au Pays Des Merveilles”.
appréhendé que comme le taré bercé trop près d’une marmite d’acid, le Les merveilles, ce sont toutes les chansons de cet album. “Les gens se
druide reconverti dans l’étude mégalithique, l’activiste fondu d’occultisme, souviendront de moi non pas parce que j’ai été génial, mais parce que mon
Photo Brian Rasic/ Getty Images
l’écrivain spécialisé dans la culture néolithique et, accessoirement, refus des compromis me préserve de tout embarras.” Pas sûr : Cope, qui
l’auteur de trois excellents albums au milieu des années quatre-vingt aimait se promener uniquement vêtu d’une carapace de tortue, n’a pas
(“World Shut Your Mouth”, “Fried”, “Saint Julian”) et trois autres au été à l’abri du ridicule ; par contre, “Interpreter” s’érige comme l’œuvre
début des années quatre-vingt-dix (“Peggy Suicide”, “Jehovahkill”, d’un compositeur incontestablement génial. H
“20 Mothers”). Six albums aussi admirables, dans une seule carrière,
c’est déjà exceptionnel. Et ce n’est pas tout : certaines sorties hors
circuit se hissent largement au même niveau — “Skellington” (1990), Première parution : 14 octobre 1996
MIND
de mantra solennel chanté d’une voix de
fausset qui embraye brusquement sur le
riff de “Sunshine Of Your Love” avant
un solo totalement lysergique. La tendue
S’IL N’Y AVAIT EU QUE des pratiquants de course automobile… “Thor The Thunder God” évoque à la fois
L’ÉPATANT SINGLE “MAGIC Ils deviennent donc The Drag Set, Love, The Creation et le Fleetwood Mac
POTION”, décharge proto- sans saisir le quiproquo induit par le mot de “The Green Manalishi”. La lancinante
metallique ayant depuis refait drag. Nos rockers postulent au renommé “Before My Time” s’articule autour d’un
surface dans nombre de compi- Pontiac où ils ouvrent pour The Who riff hypnotique, avant la frondeuse “Falling
lations (et également reprise par en juillet 1966, et ont aussi le privilège Again” en conclusion. Les critiques sont
les Damned, Sun Dial ou encore d’accompagner Wilson Pickett ainsi que encourageantes au point que Philips
Giöbia), la postérité de The Open John Lee Hooker. Dans un autre club, ils publiera un ultime simple gravé juste
Mind aurait déjà été acquise. Mais partagent l’affiche avec un Jimi Hendrix après l’album : le désormais mythique
il y eut en plus un excellent disque fraîchement débarqué. Ce faisant, ils sont “Magic Potion”, adoré par John Peel.
devenu une référence souterraine, repérés par deux jeunes managers : Elliot Un titre qui, paru six mois avant le
navigant avec bonheur entre Cohen et Ellis Elias. En janvier 1967, le premier Black Sabbath, anticipe
freakbeat énergique et heavy groupe se lie aussi avec Joe Meek — qui clairement le heavy metal à venir avec
psych en apesanteur. se suicide hélas peu après —, puis signe son riff hyper-saturé et surtout un solo
sur une filiale de CBS qui sort un premier totalement incroyable au bout d’une
C’est l’histoire de quatre potes de Putney, simple très garage sixties (“Day And minute et quarante-six secondes :
dans le sud-ouest de Londres, qui dès 1963 Night”). Son insuccès motive de grands fragrances orientales, giclure de wah-
fondent The Apaches : Mike Brancaccio changements : il devient The Open Mind, wah et double pédale martelée.
(guitare), Tim Du Feu (basse), Phil Fox un blase au goût du jour suggéré par la Mais la coupe est pleine : arnaqués
(batterie) et Ray Nye (chant). Leur but : mère de Tim qui “ne comprenait pas son par Huntman, coincés par un contrat
reprendre des tubes bien sûr, mais aussi style de vie, mais essayait de garder un de cinq longues années chez Philips, les
amasser quelque maigre obole dans les esprit ouvert”, puis se met à composer. musiciens jettent l’éponge pour continuer
fêtes universitaires. Ray est vite remplacé En guise de carburant : un peu de speed, sous un autre nom (Armada) dans un
par Terry Martin (né Schindler), également des joints et bien sûr quelques acides. style jazz-rock, ou simplement devenir
guitariste rythmique. Observant les clichés Nos chevelus écument les lieux à la mode charpentier (Phil). Le clap final a lieu
des Beach Boys, nos garçons pensent du moment : UFO, The Electric Garden (en en 1973, sans autre disque à la clé. o
tenir une idée en se présentant comme ouverture de Pink Floyd) ou Happening 44.
Qualité France PAR H.M.
Originaire de Nantes, Orange Depuis 2022, Dead Chic est un Le collectif Marthe & Pilani Sur la scène marseillaise, Les
Blossom a acquis sa notoriété en quatuor formé dans le Jura à l’initiative Bubu est né de la rencontre d’un Tchoquers sont la nouvelle attraction
évoluant depuis trente ans d’une manière de deux musiciens qui s’étaient croisés quatuor grenoblois d’obédience jazz- des disques Tchoc — défenseurs
singulière entre trip-hop, rock progressif, au sein de leurs groupes respectifs : rock (créé en 2017) avec une conteuse- invétérés d’un rock vintage et francophone
musique électronique et musiques Damien, issu de la région et connu chanteuse qui l’a accueilli en résidence qui plonge ses racines dans les années
du monde. Ce quatrième album (dix ans pour sa participation à Catfish, et dans un studio sud-africain. Retraçant soixante. Fondé par l’inénarrable homme-
après le précédent) “soutient le combat Andy, un Londonien membre du duo les faits sociaux du pays avec une option orchestre Dan Imposter, il s’agit en fait d’un
des femmes pour plus d’égalité” Heymoonshaker. Leur collaboration féministe très affirmée, cet album est duo accompagné de multiples complices
et confirme le parti pris mondialiste et aboutit à ce premier EP six-titres en même temps le témoin d’un périple où la voix mutine de Claire illumine un
inclassable de ce collectif animé par un détonnant et d’une intensité fiévreuse : historique et une expérience musicale véritable festival de reprises avisées, em-
compositeur franco-mexicain. Unissant les claviers virevoltants — relayés transculturelle : la soul, le jazz, le blues pruntées à la scène française (Jacqueline
instruments et machines, pop electro et par des guitares adeptes de reverb et le hip-hop s’y mêlent avec délice Taïeb, Ronnie Bird) ou internationales,
superbe voix féminine polyglotte (arabe, à profusion et par une voix âpre et au folklore africain traditionnel pour via des traductions plaisantes (Doors,
persan, portugais), ambiances planantes impressionnante — plongent l’auditeur générer une mixture hybride et Donovan), le tout agrémenté de compo-
et invitations à la danse, rêverie dans un bain de rock teinté de soul qui novatrice qui interpelle et entraîne sitions originales ne déparant pas dans
et transe, il constitue un vibrant façonne des climats intenses sans jamais dans un tourbillon groovy et cuivré, ce voisinage qui ressuscite le bon
plaidoyer transculturel (“Spells From se départir de son énergie (“The Venus à l’image de l’hypnotique “Imbokodo” temps du jerk et de pop rock psyché
The Drunken Sirens”, Washi Washa, Ballroom”, Dead Chic Records/ Upton (“Nay’ Indaba”, L’Oreille En Friche, à la française (“Eponyme”, Disques
facebook.com/orangeblossomofficiel). Park, facebook.com/deadchic). martheofficial.com, distribution Pias). Tchoc, [email protected]).
Après l’expérience de groupe Les quatre Parisiens de Down Qu’elle chante en anglais ou Le duo d’Amiens Edgär va multiplier
avec Rotters Damn, Ferdinant To The Wire n’ont pas délaissé en français, Lucie Folch (de les premières parties dans des Zénith
(de Mayenne) s’est replié en 2021 sur leurs amours de jeunesse : se définissant Montpellier) s’illustre d’abord par son pour tenter d’imposer les titres phares
une structure de duo en ne conservant comme post-grunge, ils revendiquent timbre vocal qui évolue entre douceur de son nouvel album… et il a des
du quartette initial que le batteur et le l’héritage de Soundgarden, Deftones harmonieuse et détermination éthérée. chances de réussir son pari. Sept ans
chanteur, respectivement compositeur ou Alice In Chains pour “gueuler haut Depuis plus de dix ans, en marge de après ses débuts, s’éloignant de l’electro
et auteur. Son premier album défend et fort que le rock n’est pas mort et ses expériences au sein de divers pop francophone de son premier essai,
une ligne francophone avec des textes qu’ils auront toujours dix-sept ans”. groupes du cru (Anita’s Revenge…), il prend pour références les Strokes,
qui tissent “un voyage à histoires” On les croit sur parole à l’écoute de elle poursuit sa trajectoire personnelle Arctic Monkeys ou The Hives, et
entre réalités sociales et nostalgie leur second album anglophone, cinq ans dans ce qu’elle qualifie de “folk pop cultive une pop anglophone pétri
existentielle. Musicalement, il se situe après leurs débuts : grosses guitares et aigre-douce” et, sur son premier EP de guitares énergiques, de refrains
également dans une certaine tradition riffs à profusion, rythmiques plombées, cinq titres, elle n’hésite pas à aborder accrocheurs et d’harmonies vocales
française, revendiquant l’héritage de souvenirs punk débridés, tendance des sujets graves (deuil, absence, qui font mouche, avec çà et là des
Noir Désir (perceptible au niveau du hardcore assumée, refrains à reprendre isolement, exode) avec une légèreté et souvenirs new wave (“Time”) et de
chant) ou de Feu ! Chatterton (quand il en chœur, déflagrations vocales, montées une élégance que renforcent le parti pris véritables hymnes au peps enjoué, tels
se pare d’atours pop) pour arpenter les paroxystiques, tous les ingrédients sont instrumental intimiste (piano, guitare, “It’s Gonna Be Alright” ou “Superman”
voies d’un rock incantatoire tour à tour réunis pour satisfaire les amateurs basse) et des mélodies prégnantes (“Edgär Is Dead”, Grabuge Records/
enflammé et lyrique (“La Belle Histoire”, (“Deep In Denial”, Down To The Wire, (“Ailleurs”, Tadam Records, Riptide Music, facebook.com/
Ferdisco, facebook.com/ferdinantoff). facebook.com/downtothewireband). facebook.com/lucie.room.folch). Edgarofficiel, distribution Kuroneko). o
Raspberries
Top 5
Badfinger
“No Dice” (1970)
Après un premier
album pour
Apple, “Magic
Christian Music”
(1970) coproduit par Tony
Visconti et Paul McCartney,
et l’arrivée de Joey Molland,
“No Dice” est considéré comme
le premier manifeste power pop
avec des titres tels que “I Can
Photo Michael Putland/ Getty Images
Affaire numéro 51
e
Etats-Unis d’Amériqumes
a
contre Rick et Hijazi J
Problèmes de freak
RICK JAMES ARBORAIT UNE
MOUSTACHE ! UNE MOUSTACHE ?
Les Temptations font les chœurs, les
paroles de James sont délicieusement
Mais de quelle maladie Rick James
souffre-t-il et de quoi l’accuse-t-on ?
OUI, UNE MOUSTACHE. Cet attribut suggestives (“She’s a very kinky girl/ Se tenir affalé devant ses juges n’a
masculin idéal pour cultiver l’embrouille The kind you don’t take home to mother”). jamais constitué une infraction pénale,
et se cacher… derrière le mensonge. Rick James court les dangers du succès ; seulement une certaine défiance vis-
Première étape : éviter la conscription ! il cultive les conquêtes et la drogue. à-vis de l’institution judiciaire. Non !
Rick James échappe au Vietnam et Sa musique est toujours à la hauteur : Les faits sont d’une particulière gravité.
se terre en Terre-Neuve, au Canada. une collaboration fructueuse avec les Le 2 août 1991, le roi du fun est arrêté
Là, il fait un tour de passe-passe au Temptations, des albums ponctués de avec sa petite amie de 21 ans,
sein des mythiques Mynah Birds. Il y tubes. Puis, à la fin des années 1980, Hijazi. Il lui est reproché d’avoir
joue de la basse et chante aux côtés son punk-funk n’a plus sa place dans emprisonné et torturé une jeune femme
de… Neil Young (futur Neil Young), un univers désormais dominé par de 24 ans. La victime est sans emploi ;
Bruce Palmer (futur bassiste de Buffalo le rap, sa carrière s’affaisse comme le puisqu’elle cherche un abri, James et
Springfield) et Goldy McJohn (futur vieillissement de la peau. Dorénavant, Hijazi se proposent de l’héberger. Mais
claviériste de Steppenwolf). Peu après il cultive le délit. Du moins le délit en la générosité du couple James cache
l’arrivée de Young, les Mynah Birds puissance ; sitôt que la musique s’achève, la véritable motivation des amants
sont signés par Motown Records qui, le chanteur ne peut s’empêcher de s’ac- diaboliques. James et Hijazi brûlent
alors, s’essaye timidement au rock. Les crocher aux épaules d’un flic. Il flirte leur victime avec une pipe à crack ;
seize titres enregistrés n’ont jamais été avec l’irrévérence ; il est vrai que Rick la force à avoir un rapport sexuel
publiés ; les sessions sont brusquement l’uniforme séduit et James aime les avec sa compagne. Super freak, il
interrompues lorsque James est arrêté femmes. Que faire ? Ce n’est pas le regarde. Enfin, la victime est forcée
par les autorités américaines, accusé corps, mais l’esprit — il est comme de fumer de la cocaïne ; elle s’échappe
d’avoir déserté la marine américaine. malade, érotomane, obsédé, drogué au opportunément, s’épanche auprès des
Le groupe se sépare en mars 1966 et les plaisir ; elles lui plaisent toutes comme services de police. James et Hijazi sont
membres sont déliés de leurs obligations les femmes des autres ; il ne peut pas arrêtés et mis en examen. Les charges
vis-à-vis de Motown, leur contrat annulé ; se contenir et franchit régulièrement retenues font pâlir : agression avec une
Young et Palmer pourront cordialement le Rubicon du consentement. arme mortelle, séquestration, copulation
enregistrer avec Buffalo Springfield. orale forcée, menaces terroristes et
1989. Rick James change de label. fourniture de stupéfiants. Ils sont
Mais c’est de Rick James, né James Après avoir passé huit ans chez Stax, relâchés contre une caution. Dans
Ambrose Johnson Jr à Buffalo, dans le musicien espère se refaire avec un autre monde, sa chanson phare,
l’Etat de New York, dont il est question Wonderful, publié chez Warner. remodelée par MC Hammer sous
ici. Après le Canada, Rick s’exile à Mais le succès n’est pas au rendez-vous, le titre “U Can’t Touch This”,
Londres pour jouer avec le groupe le chanteur n’est plus la star du début remporte un Grammy Award.
Main Laine. Son pays natal lui manque des années quatre-vingt. Peu importe,
mais, fier ou stupide, il est incapable si la scène musicale se ferme, c’est une Dans l’attente de son procès, le couple
de bénéficier des pistons de son oncle, autre qui va s’ouvrir, et le justiciable le récidive. Le terme de récidive n’est pas
membre émérite des Temptations. Il ne sait, elle peut avoir des conséquences totalement adapté ; les époux n’ont
regagnera les USA qu’en 1977. Exit les financières, positives ou négatives. Parlez pas encore été condamnés. La seconde
problèmes avec les institutions de son de moi tant que vous épelez correctement victime s’appelle Mary Sauger. Elle
pays — désormais, il est en droit de les mon nom. JAMES. Levez-vous ! Rick travaille dans le monde de la musique
critiquer et de se faire ostensiblement ouvre les yeux. Il se trouve dans une salle et rencontre Hijazi et James pour parler
provocateur. A la fin des années 1970, d’audience du tribunal de San Francisco. affaires. Séquestrée dans un hôtel de
Motown est en perte de vitesse ; James Soudain, le juge tonne. Il vient de finir de West Hollywood, la jeune femme est
vivifie la vieille machine ; ses tubes poser une question à l’une des victimes frappée pendant plus de vingt heures.
funky donnent des couleurs à la lorsqu’il s’aperçoit que Rick James ronfle. Hijazi et James, c’est “L’Orange
maison de Chicago. Son premier single, Son avocat demande au président s’il peut Mécanique” : “Là-dessus, on y
“You And I”, se classe en tête des charts s’approcher de lui. On voit beaucoup est allé de la castagne en beauté,
R&B et atteint le Top 40 pop. En 1981, ce genre de scènes dans les procès ricanochant tant et plus du litso,
Rick James décroche le jackpot avec américains. L’avocat chuchote : mais sans que ça l’empêche de chanter.
“Super Freak”, single inclassable qui son client a une bronchite, le Alors on l’a croché aux pattes, si bien
fait grimper l’album dont il est issu, procès génère un tel stress qu’il s’est étalé à plat, raide lourd, et
“Street Songs”, numéro 3 au hit-parade. qu’il ne peut trouver le sommeil. qu’un plein baquet de vomi biéreux
lui est sorti swoouuush d’un coup. — cette mère qu’il regrette d’avoir fait plaide coupable. Elle écope de quatre
C’était si dégoûtant qu’on lui a shooté souffrir. James a changé — toujours ans de prison — mais bénéficiera d’un
dedans, un coup chacun, et alors, à la la même rengaine —, c’est dans les aménagement de sa peine. Finalement,
place de chanson et de vomi, c’est du sang tribunaux que le plus grand nombre James est condamné à deux ans de
qui est sorti de sa vieille rote dégueulasse. de changements s’opèrent — prison — il devra également payer plus
Et puis on a continué notre chemin.” magie de la justice. Au cours d’un million de dommages et intérêts
Remplacez le “il” par “elle” : la violence de l’audience, James demande au aux victimes. Pendant les deux années
n’a pas de genre. James a conscience juge la permission d’épouser Hijazi. qu’il passe à la prison d’Etat de Folsom,
de l’enjeu du procès. Il reconnaît L’avocat de Rick James est convaincant. James compose des chansons par
une dépendance à la cocaïne depuis Il indique aux jurés que James est centaines. La prison aurait été une
vingt-cinq ans mais nie toute violence un toxicomane avec un “style de vie bénédiction déguisée ? Converti
à l’égard des femmes. Aussi, il avance différent du reste d’entre nous”. En carcéral. Ses problèmes juridiques
que depuis la mort de sa mère en 1991, revanche, il rappelle que fumer de la derrière lui, James revient avec “Urban
il est traversé par la dépression et se cocaïne et avoir des relations sexuelles Rapsody”. La critique accueille plutôt
réfugie, reclus, dans la drogue et dans avec deux femmes à la fois n’est pas bien le disque ; le public lui tourne le
sa chambre. Seul, non, à plusieurs, une preuve de sa culpabilité. Le jury dos. Le 6 août 2004, James est décédé
et quelle que soit la qualité de la semble convaincu par la défense. Il d’une crise cardiaque. Il emporte tous
compagnie, James est incapable de acquitte James des charges les plus ses secrets : des rumeurs courent
rester seul. “Super Freak” est le tube graves : les accusations d’agression après son décès. L’homme aurait
qui a changé sa vie. Depuis, ils sont et de torture. Pour autant, James ne violé une jeune fille de quinze ans.
plusieurs dans sa tête, alors il consomme quitte pas le tribunal libre. Dans Une procédure est engagée post-
et n’attire que le genre de femmes qu’il l’attente du jugement de sa complice, mortem. Le monstre est mort ;
n’oserait pas présenter à sa mère James est incarcéré. Tanya Hijazi l’artiste lui a survécu. o
Civil War
encore peu de temps et qui a fini par rejoindre l’actualité la plus crue lorsque
les partisans de Donald Trump ont envahi le Capitole le 6 janvier 2021. Garland
part de ce postulat nihiliste pour narrer la suite : et si Trump avait réussi son
coup ? Dans une Amérique presque dystopique (presque...) où un équivalent
de Trump est en train de prendre le pouvoir, la guerre civile fait rage. Le pays
est scindé en deux et l’individualisme est désormais la norme. Bien mal
D’ALEX GARLAND en point, le gouvernement fédéral tente de contrer les forces de l’Ouest
constituées de rebelles armés voulant s’accaparer l’Amérique par la force.
Dans la première moitié des années 2000, le Londonien Alex Le pays est à feu et à sang C’est le chaos et la désolation. La fin d’un monde
Garland se taille une solide réputation en signant les scripts civilisé. A bord de leur petite voiture, quatre reporters kamikazes (un vétéran
ciselés de deux longs-métrages réalisés par Danny Boyle : en fin de carrière, une jeune débutante, un journaliste et Lee, la meilleure
“28 Jours Plus Tard” et “Sunshine”. Le premier réinvente le film de photographe de guerre de son époque) traversent les États-Unis pour tenter
zombies à travers une fable post-apocalyptique sur la déshumanisation de la l’impossible : une entrevue ultime avec le Président rebelle installé à la
société tandis que le second s’aventure dans un voyage mouvementé vers le soleil Maison-Blanche. Entre les bombes qui explosent, les échanges de tirs,
sur fond d’existentialisme à la mode “L’Odyssée De L’Espace”. Mais à l’époque les rencontres douteuses et les moments d’extrême tension, les quatre
où il écrit ses scénarios, Garland pouvait-il s’imaginer qu’il passerait derrière la aventuriers s’enfoncent dans le tourbillon du conflit. Alex Garland, qui
caméra ? Pour le meilleur certes, mais aussi... pour le meilleur du meilleur ! dans ses précédents travaux naviguait entre rêves et fantasmes, plonge
Il rappelle ainsi un peu Stanley Kubrick avec ses trois premiers films. D’abord ici dans une réalité si crue et palpable que “Civil War” prend aux tripes.
“Ex Machina”, fable paranoïaque sur les dangers de l’intelligence artificielle, A la manière des grands films de guerre immersifs comme “Voyage Au
puis “Annihilation” (pour Netflix), road-movie métaphysique sur la mutation Bout De L’Enfer” de Michael Cimino ou la longue séquence traumatique
de la nature, et enfin “Men”, film d’horreur féministe plein d’ironie étrange du débarquement de Normandie dans “Il Faut Sauver Le Soldat Ryan” de
qui explore les dessous de la masculinité toxique. Trois essais hors norme Spielberg, on ressent constamment le souffle de la violence. D’autant plus
dont certains points communs pourraient susciter de sérieuses interrogations sur effrayant que le film plonge aussi dans la réalité des conflits actuels (Israël/
l’avenir de l’humanité, comme si la race humaine était vouée à se transformer en Palestine, Russie/ Ukraine) et celui qui pourrait survenir suite aux élections
quelque chose d’indéfinissable. Garland s’aventure dans des territoires inexplorés américaines le 5 novembre prochain. C’est donc de manière calculée que le
que personne d’autre que lui ne pourrait effleurer même en usant massivement film de Garland sort maintenant. Afin de prévenir le monde de ce qui pourrait
de psychotropes. Tout indiquait donc que le cinéaste continuerait ses voyages arriver de pire si le gros roux fou (re)venait à (re)agir de la sorte pour accéder
mentaux de l’autre côté. Et puis non ! Voilà qu’il fait tout le contraire avec “Civil au poste suprême. En espérant bien sûr que “Civil War” ne corresponde
War”. Un quatrième voyage qui aurait pu rester de l’anticipation flippante il y a pas à une ultime prophétie de Nostradamus (actuellement en salles) ! o
Cinéma PAR CHRISTOPHE LEMAIRE
Back To Black
Back To Black que le film fonctionne, sur cette relation et gestuelle, même, diront les puristes Le Mangeur D’Ames
Le biopic musical est un genre difficile à faite de bonheur absolu et de désespoir absolus, si elle ne peut être totalement Alexandre Bustillo et Julien Maury,
fabriquer. Surtout quand les interprètes total où Marisa Abela (révélée dans le Amy. Un biopic plaisant, convaincant stakhanovistes du cinéma d’horreur
sont censés reproduire le plus fidèle- “West Side Story” de Steven Spielberg) dans sa forme, ultra vitalisé par gaulois (“The Deep House” et sa maison
ment possible l’âme des grandes icônes s’investit totalement en amoureuse la comédienne, et moins douloureux hantée submergée par les eaux,
du rock. Dennis Quaid est-il bon en transie davantage accro à ses peines à suivre que le documentaire de 2015 “A L’Intérieur” et sa Béatrice Dalle
Jerry Lee Lewis dans “Great Balls Of de cœur qu’à sa carrière ascendante, (excellent par ailleurs) dont certaines psychopathe) réalisent avec “Le
Fire” ? Rami Malek est-il convaincant qui se terminera tragiquement. Après images d’archives montraient une Mangeur d’Ames” leur film le plus
en Freddie Mercury dans “Bohemian avoir suivi des heures de cours pour Amy Winehouse tellement détruite grand public. Un thriller calibré qui
Rhapsody” ? Et qui est le meilleur Elvis être le plus winehouse-isée possible, que notre cœur avait du mal à navigue davantage du côté de “Seven”
Presley : Kurt Russel dans “Le Roman elle est très convaincante côté chant s’en remettre (en salles le 24 avril). que d’un vieil épisode de “Maigret”
D’Elvis” ou Austin Butler dans “Elvis” ?
Quelles que soient les opinions, il faut
reconnaître que les acteurs et actrices
font toujours des efforts considérables
pour ressembler à leurs modèles.
Y compris la tonifiante et sexy Marisa
Abela qui s’est mis l’âme en vrac pour
ne pas jouer mais être Amy Winehouse
dans “Back To Black” de Sam Taylor-
Johnson. Un biopic classique sur le
parcours de la Lioness, du temps où
elle vocalisait chez ses parents dans
la banlieue nord de Londres jusqu’à
sa célébrité mondiale en passant par
la création de “Back To Black”, sa
ballade funèbre inspirée par sa love
story toxique avec son ex-mari et ses
abus d’alcool et de drogue. Et c’est là Le Mangeur D’Ames
Roqya
Encore un film de genre français qui
dépote avec ce premier long-métrage
signé Saïd Belktibia, une réinvention/
modernisation du film de sorcière
ancrée dans la banlieue parisienne
contemporaine. Une femme accusée de
guérir son prochain par des méthodes
peu orthodoxes se retrouve poursuivie
par les habitants de son quartier comme
L’Ombre Du Feu dans un vieux “Frankenstein” avec Boris
Karloff. Dans la peau tannée de cette
avec Jean Richard (heureusement !). des Vosges en un étrange purgatoire fait s’il était né vingt ans plus tard. fausse sorcière, mais vraie badass girl,
Au cœur des montages vosgiennes, flirtant plus du côté de l’enfer Tsukamoto, qui s’était fait discret la Franco-Iranienne Golshifteh Farahani
une femme flic (Virginie Ledoyen) et un que du paradis. Doucettement ces derniers temps, revient avec est absolument stupéfiante. Surtout
capitaine de gendarmerie (Paul Hamy) flippant (en salles le 24 avril). “L’Ombre Du Feu”, presque l’antithèse quand elle fuit à travers les dédales des
s’associent malgré eux pour tenter de ses premiers travaux. Un huis rues bétonnées de la banlieue nord pour
de retrouver des enfants kidnappés. clos sombre et nihiliste où, après échapper à ses poursuivants déchaînés,
Par qui ? Ou par quoi ? Le film pourrait L’Ombre Du Feu la Seconde Guerre mondiale, une tout en contrant un mari psychopathe
se contenter de suivre des sentiers battus Dans la première moitié des années jeune femme survit dans un bar et instable incarné par l’humoriste
et rebattus. Sauf que les duettistes, quatre-vingt-dix, Shin’ya Tsukamoto délabré en compagnie d’un petit Jérémy Ferrari, surprenant en bad guy
qui ont toujours mis le fantastique au devient le roi du cyberpunk cinéma- orphelin et d’un jeune soldat. crapuleux. Un pur concentré d’énergie
cœur de leurs pellicules, font planer sur tographique. Ses films (“Tetsuo 1”, Mais les effluves traumatiques qui, en pleine course-poursuite, s’offre
leur “Mangeur D’Ames” une angoisse “Bullet Ballet”, “Tokyo Fist”), mélange du conflit toujours présents dans le culot de bifurquer vers série B
sombre qui trouve sa source dans une de chair abîmée, de métal intrusif et leurs esprits font vaciller ce début fantastico-horrifique. C’est speed,
légende locale transformant peu à de pétages de plombs, ressemble un d’unité familiale. Stylistiquement, haletant et teigneux. Une excellente
peu les magnifiques décors naturels brin à ce que David Cronenberg aurait “L’Ombre Du Feu“ rappelle le surprise (en salles le 15 mai) ! o
Roqya
Steve !
Riche, drôle et célèbre, mais toujours solitaire...
Quand “Un Vrai Schnock” sort en France ses numéros de stand-up qui, à force de travail, Dans la seconde partie de “Steve!, il se confie enfin,
le 2 juillet 1980, le film fait un bide absolu. ont fini par conquérir le public. D’abord un groupe à 77 ans, mais du bout des lèvres. Il prétend avoir
A peine 25 000 entrées. Soit bien moins que les restreint de fans, puis l’Amérique tout entière enfin trouvé une forme de quiétude existentialiste,
autres films de cette semaine-là comme la série B quand l’acteur se retrouve engagé dans le mythique surtout depuis qu’il a arrêté le stand-up et le cinéma,
sanglante “L’Incroyable Alligator”, le péplum cul et “Saturday Night Live” qui le popularise enfin. Et qui, mais sans avoir abandonné pour autant le milieu
culte “Caligula” ou le va-t-en-guerre “Le Commando grâce à son nouveau vedettariat, l’amène au cinéma. du spectacle. Devenu très proche d’un autre grand
De Sa Majesté”. En tête d’affiche de cette comédie “Un Vrai Schnock”, donc, son premier long-métrage comique (Martin Short, qu’il connaît depuis l’époque
déjantée, un acteur totalement inconnu dans notre coréalisé par le scénariste des “Dents De La Mer” du “Saturday Night Live”), Steve Martin découvre
pays, mais star depuis peu aux Etats-Unis, un certain (Carl Gottlieb). Et puis les autres : “L’Homme Aux enfin le plaisir de jouer à deux. On les voit répéter
Steve Martin qui remplit des stades entiers avec Deux Cerveaux”, “Les Cadavres Ne Portent Pas leur spectacle hilarant (“An Evening You Will Forget
son humour décalé, clownesque, poétique et jamais De Costard”, “Solo Pour Deux”, “Les Trois Amigos” For The Rest Or Your Life”, disponible sur Netflix)
vulgaire. “Steve!”, documentaire en deux parties et le magnifique “LA Story”, portrait drôle et glamour où ils se moquent l’un de l’autre tout en faisant
sur sa personne, n’est donc pas une série, sauf de Los Angeles dont il a écrit le scénario. Steve un bilan de carrière et de vie. Une vie entièrement
si on considère que les trois heures qui lui sont Martin est donc arrivé à ses fins. Il est riche, drôle consacrée à l’humour. Quitte, parfois, à subir
consacrées seraient découpées en vingt et un et célèbre. Mais toujours solitaire et mélancolique. quelques fêlures à l’âme (en diffusion sur Netflix). o
épisodes de cinq minutes chacun. D’où sa présence
un peu forcée dans cette rubrique. Deux parties d’une
heure et demie pour raconter le difficile parcours de
ce Texan qui a géré pas mal d’années de galère Le Dernier Jour
pour enfin arriver à faire rire le monde entier. La
première partie, à l’instar de ce qu’il livre dans son De La Colère (Artus Film)
autobiographie (“Ma Vie De Comique”, disponible Hormis les Sergio Leone, “Le Dernier Jour De La Colère” est considéré
aux Editions Capricci), le montre en train de roder comme l’un des petits fleurons du western italien, un genre bâtard
dans des cabarets quasiment vides son univers (car peu de grands classiques) qui aura squatté les salles du monde
barré dans une succession de sketches aussi bizarres entier pendant à peu près une décennie ( 1965-1975) . Réalisé en 1967
que hors normes. Pas loin, quelque part, des apartés par Tonino Valerii (“Mon Nom Est Personne”, tout de même !), le
surréalistes d’un Daniel Prévost du temps où il film sort un peu des sentiers battus en insistant plus que d’habitude
présentait un jeu télévisé avec une banane dans sur la psychologie des personnages car, quand on tire sur son prochain, c’est pour de
l’oreille pendant que Steve Martin, lui, se couvrait bonnes raisons. Le film vaut aussi pour la présence charismatique de Lee Van Cleef,
le crâne d’une peau de banane en y rajoutant du lait ! révélé l’année précédente en brute dans “Le Bon, La Brute Et Le Truand” et qui, en toute
“Steve!” tente de pénétrer le véritable et intouchable logique, joue le bad guy de service à la façon d’un serpent sournois. Et surtout, cerise sur
moi de ce zigoto totalement touchant. Solitaire par le gâteau, la BO de Morricone. Toujours classe et toujours entêtante, et dont la nostalgie
envie, mélancolique jusqu’à l’infini, rien ne semble des notes reflète avec émotion tout l’esprit d’un cinéma populaire aujourd’hui disparu.
plus lui convenir que de parfaire le timing de
Streaming/
DVD/
Blu-ray
Clap de fin cette fois définitive pour “Brel, Une Vie A Mille Temps” (Glénat)
menée de plume de maître par Salva Rubio, qui signe ici une trilogie sans concessions pour
ce qui est de se faire des amis dans le monde du disque. A l’aide d’une solide documentation,
l’auteur n’a aucun mal à démontrer que le show-business ne fait de cadeau à aucun artiste,
qu’il soit débutant ou grand comme le chanteur belge. A la
fin du volume précédent, Brel quittait sans regret le monde
de la musique, sans trop préciser ce qu’il comptait faire.
Dès les premières pages, la réponse tombe : il s’ennuie
et ne sait pas trop comment occuper ses journées. Et puis
Miche lui offre le disque d’une comédie musicale qui le
scotche littéralement. C’est décidé, il va faire son retour
à la scène, mais pas celle qu’il vient de quitter. Si l’artiste
est versatile, il est aussi un homme de parole... jusqu’au
moment où l’attitude de la maison de disques le fait réagir.
Dessiné à coups de serpe, le dessin colle parfaitement à
un personnage qui manque cruellement au paysage.
Né dans le fanzinat, Jean-Christophe Menu n’a jamais cessé de clamer son amour pour
le rock à chaque fois qu’il en eut l’occasion. En 2019, le journal “Libération” lui demande
de dessiner une série de pochettes où chacune d’elles serait inspirée par la combinaison
de cinq pochettes bien réelles. Entre Frankenstein et le Golem, le résultat de ces expériences
était, à chaque fois, un grand moment. Malheureusement, une seule chose n’allait pas :
la taille imprimée, trop petite, trop modeste pour rendre vraiment hommage au travail
accompli. Mais voilà, ça, c’était avant que Menu ne décide d’éditer l’affaire avec ses
propres deniers et en format 33 tours. L’objet s’appelle toujours “Pochmixettes”
(La Munothèque) et propose le dessin plein pot en noir et blanc sur la page de droite
tandis que les cinq sources d’inspiration figurent sur celle de gauche et en couleur.
Pour en savoir plus, écrire à l’auteur ([email protected]) et attendre la lumière. o
Amy Pour La Vie dans ce joli petit format. On avait déjà ici Sonic Youth
SOPHIAN FANEN loué le travail de Fanen pour ses précédents GUILLAUME BELHOMME
Novice ouvrages sur l’industrie musicale et les Editions Du Layeur
Rarement une mort aura autant unanimement nouvelles technologies qui la révolutionnent Peu de points communs entre Amy Winehouse et
brisé les cœurs de tous les amateurs de et il est donc logique que le making of de la Sonic Youth sinon le fameux club des 27, mort à 27 ans
musique que celle, affreusement prématurée, fusée Amy l’ait aussi inspiré. Son court texte, pour Amy et fin du groupe après 27 ans de mariage des
d’Amy Winehouse. Rarement une mort aura “Amy Pour La Vie”, n’est pas une bio classique époux Kim Gordon/ Thurston Moore. Mais n’espérez pas
pourtant été aussi annoncée par tous les noyée de détails parfois fastidieux mais plutôt trouver sous la plume experte de Belhomme les détails
tabloïds et autres chroniques du désastre une réflexion autour d’un joli portrait de la banals de cette fin-là, aussi décevante ait-elle pu être,
sans que cette prescience n’ait servi à rien géniale musicienne et un parfait premier pas Belhomme ne s’attarde pas sur les vies privées des
d’autre qu’ajouter à son malheur et lui pourrir vers la star pour fans débutants. Les hardcores, musiciens et son récit hyper documenté de l’histoire
davantage la vie. On ne saura jamais sans doute eux, regretteront peut-être le choix des experts du groupe enchantera tous ses amateurs. Précis,
vraiment pourquoi elle ne réussissait pas à vivre français plutôt que britanniques et oublieront fouillé, maniaque diraient certains, le livre réussit
sans s’anesthésier mais on a tous compris à l’apparition incongrue de Rose, chanteuse particulièrement bien à montrer le caractère spécial
sa mort l’ampleur de la perte artistique qu’on française très variétoche et qui, la belle de SY, leurs multiconnexions, leurs recherches
subissait et il est impossible de l’entendre affaire, aurait pris de la drogue et, hélas, permanentes, leurs collabs dans tous les sens, leur fond
sans s’en désoler encore et toujours. Rien en parle. Amy Winehouse, elle, drogues arty, leur infinie curiosité et leurs vies de musiciens aussi
d’étonnant donc que son histoire passionne ou pas, était aussi exceptionnelle que loin des clichés old school du rock que proche des plus
les foules et les journalistes. L’excellent site sa musique inégalée, aux si multiples purs canons du genre. Sans oublier l’aura romanesque
d’info “Les Jours” s’est fait la spécialité influences qu’elle touchait tout le monde de Kim Gordon et Thurston Moore, liés par les guitares
d’enquêtes au long cours et d’articles de et cette richesse perdue ne cessera jamais et l’amour et dont on avait tous cru l’imbrication aussi
très longs formats déclinés en épisodes de nous désespérer. La vie sans Amy, c’est nul. soudée que leurs riffs. Pur et dur, rock et rebelle,
et c’est donc la série d’articles que Bref, aimez Amy, lisez la nuit, lisez “Les Jours”. Sonic Youth n’a musicalement jamais fléchi et cette
Sophian Fanen avait consacrés à Amy force est sûrement une des raisons de son succès
Winehouse qui est maintenant publiée et de son statut unique. Teenage Riot forever. o
Air
Bill Ryder-Jones
28 MARS, MAROQUINERIE (PARIS)
Il fut un temps où un concert de Bill
Ryder-Jones ressemblait à un exercice
de funambule assez douloureux à voir.
L’Anglais semble avoir laissé cette époque
derrière lui et affiche, le vin aidant, une forme
de tranquillité débonnaire, ce dont d’ailleurs il
s’étonne lui-même après trois chansons (“Ça
Photo Robert Gil
Yard Act
aux côtés de The Cure, Siouxsie, The Smiths, quand l’émouvante “100% Endurance”, étaient légion ce soir —, ce concert fera date :
Bauhaus ou The Psychedelic Furs, qui aligna menée par la basse impeccable de Ryan la cohésion du groupe, son degré d’intensité,
autant de diamants que “The Back Of Love”, Needham, est entamée au cours du rappel. la qualité du son. Le groupe des frères
“A Promise”, “Lips Like Sugar” ou “The DIMITRI NEAUX Jones y atteignit régulièrement des
Killing Moon”. Et au moins un chef-d’œuvre sommets de beauté presque effrayante,
éternel, “Heaven Up Here”, en 1981. La voix quittant au bout de trois morceaux leur
plaintive de McCulloch, couplée à la guitare Johnny Mafia dernier (splendide) “Mother-Of-Pearl
scintillante de Will Sergeant, seuls rescapés 05 AVRIL, MAROQUINERIE (PARIS) Moon” pour gratifier le public du meilleur
de l’aventure commencée en 1978, n’offrira La salle de Ménilmontant, qui affiche des précédents, dont les intemporels “Virus
ce soir qu’un très pâle inventaire de ce que ce complet ce soir, est déjà bien remplie Meadow”, “Shantell”, “A Room Lives In
groupe avait pourtant d’incomparable. Certes, lorsque Gurl se présente. Le juvénile Lucy”, le rare “The Suffering Of The Stream”
les fans auront eu leur playlist de rêve — tout trio de la bonne ville de Saint-Maur-des- ou, en finale, une version sidérante
y était — mais à quel prix ! Une question se Fossés, bassiste solaire et batteur en sweat de “Slow Pulse Boy”. Comme quoi, la
pose : McCulloch est-il encore des nôtres ? à capuche Volcom, déploie un garage rock beauté n’a pas une place — elle l’a toute.
Présence fantomatique, voix sans relief, accrocheur (“Silly Dreams”) avec en prime ALEXANDRE BRETON
son inutilement rock. Seul Sergeant suscite une reprise débraillée de “Boys Don’t Cry”.
l’éloge : il tient la baraque — une ruine. Un peu plus tard, Johnny Mafia monte sur les
ALEXANDRE BRETON planches alors que résonne la “Lambada” (!). Dye Crap/ Karkara
Dès les premiers accords de “Sting”, la fosse 06 AVRIL, MÉCANIQUE ONDULATOIRE (PARIS)
se lance dans un gigantesque pogo parsemé Quel plaisir de retrouver les murs
Yard Act de joyeux slams, qui se poursuivra tout au suintants de la fameuse cave parisienne !
05 AVRIL, CABARET SAUVAGE (PARIS) long d’une euphorisante série de tubes Premiers de cordée, les quatre rouennais
Sous un chapiteau à guichets fermés, (“Trevor Philippe”, “Sun 41”, “I’m de Dye Crap font gigoter l’audience avec
le groupe confirme sa mue, délaissant Sentimental”, “Black Shoes”), relecture un skate punk roublard aux refrains
le post-punk de “The Overload” pour à haute énergie de l’art des Pixies. Un fédérateurs — on pense à Together Pangea
un étonnant mélange d’indie, de disco triomphe pour nos canailles sénonaises, — comme sur “Good Days Again”, “Stifler”
et de hip-hop sur le récent “Where’s My qui pose cette importante question : et si ou l’hymne “Serj”, à la gloire du bassiste
Utopia ?”. La présence de deux choristes, nous tenions là le groupe générationnel de cagoulé (de rose, ce soir). Changement
cavalant d’un bout à l’autre de la scène cette fourmillante scène tricolore ? d’ambiance avec Karkara. Des écrans
quand elles ne sont pas derrière leurs JONATHAN WITT cathodiques grésillants entourent le
micros, confirme l’envie des Loiners de power trio toulousain qui agrémente
faire de ce concert une véritable fête. En la formule Thee Oh Sees de fragrances
parfait entertainer, James Smith harangue And Also The Trees orientales. On reste marqué par l’obsédante
les premiers rangs sur la bondissante et fort 06 AVRIL, TRABENDO (PARIS) mélodie d’“Anthropia” et la fureur d’“All
à propos “We Make Hits”. Une roue de la Sur le papier, difficile de concilier cette Is Dust”, qui évoque Slift. Pour “Proxima
fortune est même amenée sur scène afin salle biscornue avec le lyrisme profond, Centaury” en rappel, le brillant guitariste
de déterminer l’unique titre du premier EP intense et flamboyant des compositions Karim Rihani abandonne sa pédale wah-wah
qui sera joué ce soir : il s’agira de “Dark de ce groupe dont les quatre décennies et empoigne carrément un didjeridoo, avant
Days”. Enfin, les amateurs du Yard Act d’activité n’ont guère entamé la créativité, une frénétique “Camel Rider” en clôture.
première formule ne sont pas oubliés au contraire ! Parole d’aficionado — ils JONATHAN WITT
tenait la basse avec eux. J’allais les voir répéter un Noir, etc.”, comme c’est encore trop souvent
rue de l’Ouest, dans un local au sous-sol d’un le cas dans les jurys de prix ou les nominations,
bar désaffecté qu’ils partageaient avec Les c’est mépriser le travail et le talent des personnes
Amants, Macadam Cowboys et Little Buddy en question, ça ne fait pas avancer les choses, bien
And The Kids, ils avaient la classe, des sortes au contraire. Chaque itinéraire est singulier,
de Talking Heads du XVème arrondissement et toutes les origines sont exonératrices. o