Lanneau Cache Du Scarabee Dor Une Ecrit
Lanneau Cache Du Scarabee Dor Une Ecrit
Lanneau Cache Du Scarabee Dor Une Ecrit
L’annEau CaChé
du sCarabéE d’Or
unE éCriturE CryPtiquE dOubLE
sur un PECtOraL dE
tOutânkhaMOn
fig. 1
Pectoral Carter 267-i /
JE 61885 / GEM 136
© J.-G. Olette-Pelletier, 2019.
P
ar la finesse des détails d’orfèvrerie, leur des bijoux de la tombe de toutânkhamon a fait
composition métallique (or et électrum) et l’objet de très nombreuses publications. d’inspiration
minérale (jaspe, lapis-lazuli et turquoise, pour mythologique ou en lien avec la souveraineté directe
ne citer qu’eux), les joyaux de toutânkhamon du jeune roi, les scènes et textes figurés et incisés
soulignent à bien des égards leur caractère exceptionnel. ornent de manière rituelle et performative le corps
au-delà de leur rôle ornemental premier, ils sont de leur porteur. ils présentent aussi des niveaux
aussi porteurs de textes cachés, accessibles uniquement d’interprétation divers, des lectures multiples,
par la compréhension des codes de cryptographie et accessibles visuellement aux yeux du spectateur
d’iconographie cryptique caractéristiques de la comme du porteur, tous ayant pour point central le
langue égyptienne. Comme le souligne Marc Gabolde roi et sa nature éminemment solaire et transcen-
dans son ouvrage dédié au souverain 1, la magnificence dantale.
32 Jean-Guillaume Olette-Pelletier
Présentation du pectoral
actuellement présenté dans l’exposition Toutânkhamon, Deuxième niveau de lecture
le trésor du pharaon 5, ce pectoral fait partie d’un Ce niveau de lecture prend en compte l’ensemble des
ensemble ornemental plus élaboré. il est rattaché à éléments iconographiques "visibles" du pectoral. La
une chaîne composée de signes hiéroglyphiques carac- lecture est cette fois cryptographique, en ce sens que
térisant la vie, la protection et la stabilité du règne du seul le nom de toutânkhamon permet la compré-
jeune souverain, parallèle iconographique aux formules hension de cet ensemble.
classiques d’eulogie royale. Le collier se termine par un En effet, deux éléments presque cryptiques confèrent
contrepoids présentant le dieu de l’éternité heh dans au bijou un second niveau de lecture.
un naos soulevant le signe des millions d’années et
ceint de divinités ophidiennes représentant la haute - La barque
et la basse-égypte.
Le pectoral, d’une longueur de 10,8 cm sur 8,6 cm de
large, est travaillé selon la technique du cloisonné
avec pour métal principal et support l’or. il porte
l’image d’un scarabée soulevant l’astre solaire et
encadré par deux babouins en adoration, assis sur une
barque. Le pourtour de la scène est délimité par un
ciel étoilé en haut, deux sceptres-djâm à droite et à
gauche 6, et une étendue aqueuse rectangulaire en
dessous. Le métal principalement employé est l’or,
bien que les croissants lunaires représentés au-dessus
des babouins soient en argent. Le reste du bijou est La barque représentée est bien la barque solaire de la
quant à lui composé de minéraux semi-précieux, à nuit mesketet, cet élément nautique qui permet au
savoir la turquoise, la calcite, le jaspe et le lapis-lazuli. démiurge et à l’astre solaire de traverser le noun,
l’océan primordial à l’origine de toutes les étendues
Premier niveau de lecture aqueuses, dont celles de l’inframonde 7. sur ce pectoral,
Le recto de ce pectoral présente une configuration la barque de la nuit est composée d’or avec, en son
particulière des divers éléments graphiques. Ces derniers centre, une inclusion de trois bandes horizontales
confèrent une première lecture visible, voire accessible, superposées, en calcite, lapis-lazuli et turquoise.
du contenu idéologique et religieux du bijou. Ces inclusions superposées présentent ici une valeur
Le dieu-scarabée khepri, adoré et protégé par le qui ne peut être comprise que par le sens même de la
dieu-cynocéphale thot, représenté de part et d’autre confection de ce pectoral, et sa destination. Par
de son image, pousse l’astre solaire au-dessus de lui. comparaison avec d’autres images, il est possible de
nous avons là un écho au vaste corpus des textes dits rapprocher la forme de ces trois minéraux superposés
"funéraires" énonçant la traversée du soleil dans le avec un signe hiéroglyphique :
ciel et dans l’inframonde:
"quant à thot, il traverse le ciel en ma présence. Je
passe en toute sécurité" (spell 1042, Textes des
Sarcophages)
Cette image fait alors directement écho au symbolisme
de la renaissance de l’astre solaire émergeant de l’in-
framonde et par extension du souverain rejoignant il s’agit en réalité du signe de la corbeille tressée
les dieux après sa mort. nb (V30), inclus dans la barque même du dieu.
34 Jean-Guillaume Olette-Pelletier
- L’anneau-shen
il est remarquable que l’image du scarabée ne soit pas dans le contexte iconographique au sein duquel se
directement posée sur la barque de la nuit. il prend trouve inséré ce signe chen, il présente en effet une
en effet appui sur un élément graphique et sémantique valeur de pluriel sémantique, à savoir chen, "millions"
particulier : le signe de l’anneau-chen (V9). sous-entendu d’années, mais associé à l’image du
Ce signe était lu comme celui des "millions" et scarabée – voire confondu avec lui visuellement
sous-entendait la résurrection éternelle et cyclique sur le recto du pectoral –, il porte alors une valeur
de l’astre solaire. bien qu’adéquate, cette lecture ne de pluriel. Les "liens" = traits en or matérialisés
prend pourtant pas en compte l’ensemble des élé- sur ce signe-chen vont bien dans le sens des traits
ments graphiques du pectoral. du pluriel, dans ce cas.
L’annEau CaChé du sCarabéE d’Or 35
unE éCriturE CryPtiquE dOubLE sur un PECtOraL dE tOutânkhaMOn
ḫpr + šn ḫprw
"scarabée" + "millions" "les apparences"
Par cette nouvelle lecture contextuelle, un ensemble onomastique apparaît au centre du pectoral
Rʿ ḫprw nb
"rê" "des apparences" "est maître"
= Nb-ḫprw-Rʿ = "rê 8 est maître des apparences" = nom de roi de haute et basse-égypte de
toutânkhamon
ainsi apparaît de manière cryptique le nom du roi, ainsi comme la clé de l’ensemble que compose cha-
destinataire de ce pectoral. sa position centrale cun des éléments du recto de ce pectoral qui peut être
devient alors le cœur de lecture des éléments icono- cette fois qualifié de cryptographique car nécessitant
graphiques qui l’entourent. Le basilonyme apparaît un code de décryptage.
pt "Le ciel"
"Puissance"
wȝs / / "Le pilier
ḏȝm limitrophe
du ciel"
"Le noun" et
Nww par extension
les eaux du nil
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unE éCriturE CryPtiquE dOubLE sur un PECtOraL dE tOutânkhaMOn
"khépri"
+ "millions
ḫpr + šn (d’années)" /
"Les
apparences"
La barque
solaire de
msktt la nuit avec
+ nb inclusion du
signe nb
Rʿ "L’astre solaire"
/ "Le dieu rê"
"thot" /
Ḏḥwty / "adorer,
hṯt 10 se réjouir,
protéger"
"Les deux
iȝḥ = astres lunaires"
ȝḫty / "les deux
horizons (Est
et Ouest)"
ainsi, par la lecture cryptique des divers éléments qui khépri poussant l’astre solaire devant lui). Le second,
composent ce pectoral apparaissent deux niveaux de plus complexe, ne peut être appréhendé que par l’appro-
lecture de ce bijou. Le premier est directement percep- priation d’une clé de lecture cryptique, en l’occurrence le
tible visuellement par le contexte des textes "funéraires" basilonyme, permettant ainsi de lire l’ensemble du texte
énonçant la renaissance du souverain (par l’image de cryptographique contenu sur ce pectoral.
38 Jean-Guillaume Olette-Pelletier
nOtEs
1
Marc GabOLdE, Toutânkhamon, Paris, 2015, p. 393 ; de nombreux ouvrages spécialisés traitent déjà en effet du parti-
cularisme des joyaux de sa tombe tels Cyril aLdrEd, Jewels of the Pharaohs. Egyptian Jewellery of the Dynastic Period,
Londres, 1971 ; Cyril andrEWs, Jewels of the Pharaohs. Egyptian Jewellery of the Dynastic Period, Londres, 1971, ou encore
nicolas rEEVEs, À la découverte de Toutânkhamon. Le roi, la tombe, le trésor royal, Paris, 1995 (2e éd.) pour ne citer qu’eux.
2
seul l’ouvrage de nicolas reeves traite du caractère cryptographique de certains de ces bijoux (nicolas rEEVEs, op. cit., p. 154).
3
Jean-Guillaume OLEttE-PELLEtiEr, Min, le "puissant des dieux". Le dieu Min, de la Première Période intermédiaire à la
fin de la Deuxième Période intermédiaire : réinterprétation d’une image divine au service du pouvoir, PuPs, à paraître, p. 832-836.
4
Ce système s’apparente à la "poésie visuelle" découverte par L. Morenz ou encore au rébus. il s’en distingue toutefois
en ce sens que, contrairement à eux, l’iconographie cryptique ne construit pas d’architecture textuelle. Elle qualifie uni-
quement l’objet représenté (dieu ou roi) par la présence de mots difficilement perceptibles, volontairement cachés par les
hiérogrammates aux yeux de ceux qui n’en connaissent pas les codes (cf. J.-G. OLEttE-PELLEtiEr,, op. cit., p. 832-833).
5
À ce sujet, je tiens à remercier sincèrement Mmes Meredith Potter, helen Jansen et M. Peter hall, organisateurs de
l’exposition Toutânkhamon, le trésor du pharaon (iMG) à la Grande halle de la Villette (Paris), du 23 mars au 15 septembre 2019,
pour m’avoir permis d’analyser à de nombreuses reprises le pectoral en question.
6
il s’agit bien de sceptres-djâm à l’origine, d’après les textes des Pyramides (tP 570 a, § 1456b-1458a), et non de
sceptres-ouas comme il est coutumier de le lire. Les sceptres-djâm sont les piliers limitrophes de la terre. ils soutiennent
les quatre coins du ciel et permettent au souverain, après sa mort, d’atteindre le monde des dieux. (cf. b. MathiEu, "Les
Enfants d’horus, théologie et astronomie", ENIM 1, 2008, p. 12-13). sur ce point, je tiens à remercier M. bernard
Mathieu pour ses explications précieuses.
7 ici représenté par la bande rectangulaire en or et en turquoise sous la scène. sur le noun et l’iconographie cryptique
que compose son théonyme, voir J.-G. OLEttE-PELLEtiEr, "Le noun, l’Océan primordial, divinité du néant",
Mythologie Magazine 32, 2019, p. 60-61, et dans la bijouterie, Carol andrews, op. cit., p. 137.
8 avec antéposition honorifique du théonyme astral.
9 Le signe nb est ici placé en haplographie.
10 TLA, lemma 99570 et lemma 99550 ; AnLex 77.2530.
11 E. aLLan-POE, Le scarabée d’or, Paris, 1843.