Matrices Lexicogeniques

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formation du lexique en anglais.

Ce classement des procédés de formation du lexique a l’avantage


L’expression de « matrice lexicogénique » est reprise des travaux de Jean Tournier sur la

(i) d’être très structuré ; (ii) de ne pas se limiter aux processus de composition et de dérivation,
souvent seuls considérés. L’illustration suivante, tirée de Duval (2016) ajoute deux catégories,
« ellipse » et « autres altérations », et suggère « symbolisme sonore » au lieu d’« onomatopée »,
Marc Duval, 2024

MATRICE EXTERNE 14. Emprunt 아베크 apeykhu < Fr. avec ‘couple’
mais le principe est le même (voir aussi les travaux de Sablayrolles pour d’autres classements).

13. Autres 바보 papo ‘idiot’ → 바부 papu; 여자 yeca ‘femme’ → 야자 yaca; 네 ney


altérations ‘oui’ → 넵 neyp
Néologie morphologique

12. Siglaison 하이 hai ‘hi’ → ㅎㅇ h Ø; 응 ung ‘oui’ → ㅇ Ø


Changement de
forme
Introduction aux « matrices lexicogéniques »

11. Troncation 월요일 welyoil ‘lundi’ → 월 wel; 여자 친구 yecachinkwu → 여친 ye-chin


10. Ellipse 저녁 cenyek siksa ‘soir repas = dîner’ → cenyek
1.1. Matrices lexicogéniques du coréen (inspiré de J. Tournier)

9. Métonymie 손 son ‘main’ → ‘main-d’œuvre, bras’


Néol. sémantique

Changement de
sens
MATRICES INTERNES

고소하다 kosohata ‘avoir le goût de l’huile de sésame’ → ‘être délectable


8. Métaphore
(C’est bien fait!)’

1
Changement de (rare) 빗 pis ‘peigne’ (N) → 빗- pis- (V) ‘se peigner’; 풀 phul ‘herbe’ (N)
7. Conversion
fonction → 푸르- phulu- (V) ‘être vert’
6. Symbolisme son: 두근두근 twukun-twukun (battement du cœur) ; mouvement:
Imitation
sonore (cf. mat. 절뚝절뚝 celttwuk-celttwuk ‘en boitant’; autres: 끈적끈적 kkuncek-kkuncek
phonique
ext.) ‘collant’
5. Amalgame 치킨 chikhin ‘poulet’ + 하느님 hanunim ‘Dieu’ → 치느님 chinunim ‘...’
Composition a) morphèmes libres: 봄 pom ‘printemps’ + 비 pi ‘pluie’ → 봄비 pompi b)

Néologie morpho-sémantique
4. Juxtaposition morphèmes liés: 국 kwuk ‘pays’ + 어 e ‘langue’ → 국어 kwuke ‘langue
1. Présentation générale

nationale’
Linguistique contrastive

3. Dérivation
(Ø?)
inverse
Affixation 2. Suffixation 자유 cayu ‘liberté’ (N) → 자유롭- cayu.lop- ‘libre’ (Adj)
1. Préfixation 사랑 salang ‘amour’ (N) → 첫사랑 ches.salang ‘premier amour’ (N)
Linguistique contrastive Marc Duval, 2024

1.2. Définition

« On appelle matrices lexicogéniques les douze processus fondamentaux de formation et


développement du lexique : préfixation, suffixation, dérivation inverse, composition [...],
amalgame, onomatopée, conversion, métaphore, métonymie, troncation, siglaison, emprunt. »
(Tournier 1991 : 115).

1.3. La formation des mots : généralités

La création de nouveaux mots s’effectue très rarement ex nihilo, c’est-à-dire seulement à


partir d’une combinaison admissible de phonèmes dans une langue donnée sans référence à un mot
déjà existant. On trouve de tels mots inventés « de toutes pièces », qu’on appelle parfois
« néolexies » (nonce words), dans la littérature : cf. dans Saint-Glinglin (Queneau, 1948), les
Urbinataliens de la « Ville Natale » mangent de la brouchtoucaille, arrosée de fifrequet, paient en
ganelons et en turpins (monnaie). Ces mots peuvent toutefois en rappeler d’autres. Dans
Jabberwocky (Lewis Carroll), brillig, qui signifie « quatre heures de l’après-midi, le moment où
l’on commence à griller la nourriture pour le dîner » est probablement à rapprocher du verbe broil
« griller ». Certains se signalent par leur pauvreté sémantique, tels le schmilblick (Pierre Dac,
Coluche), ou les diverses occurrences de schtroumpf (Peyo). En dehors de ces rares cas, qui ne
s’imposent généralement pas dans la langue, la néologie repose sur du matériel déjà existant.

Ce matériel peut être « externe » lorsqu’il provient d’une langue étrangère, ou bien interne s’il
repose sur les ressources propres à la langues, d’où la distinction première entre « matrice externe »
et « matrices internes » (au pluriel). On pourra en fait considérer les « onomatopées » comme
relevant d’une matrice externe, celle d’un phénomène extérieur dont on produit une imitation
sonore.
Viennent ensuite trois grandes catégories de matrices internes en fonction de la manière dont
on modifie le matériel lexical :
(i) en agissant à la fois sur la forme et le sens, typiquement en combinant des mots ou
morphèmes déjà existants, et en créant ainsi une nouvelle combinaison formelle dotée d’un sens
inédit, par exemple par affixation et composition (dé- + confiner → déconfiner → redéconfiner,
vaccin(o) + -drome → vaccinodrome) ; il s’agit donc d’un processus morpho-sémantique.
(ii) en modifiant le sens sans modifier la forme : le mot quatorzaine, rare en français, qui avait
le sens temporel général d’espace de quatorze jours, a été récemment modifié dans son sens pour
désigner spécifiquement une « mise à l’isolement sanitaire pendant deux semaines », sur le modèle
de quarantaine. Comme il n’y a pas de modification formelle, on parlera de néologie (uniquement)
sémantique.
(iii) enfin, en agissant sur la forme sans modifier le sens : c’est le cas pour l’anglais covid, qui
est une contraction de corona virus disease (dont seule la version tronquée est empruntée en
français). Il s’agit ici de néologie morphologique.

1.4. Questions de réflexion

(a) Le mot vaccinodrome illustre-t-il le processus de composition, de dérivation, ou encore un autre


processus ? Pourquoi ?
(b) Le mot cluster en français de 2020-2021 est-il un emprunt ? Pourquoi ? Peut-on dire d’autres
choses à son propos ?
(c) Peut-on considérer les expressions distanciation sociale et geste barrière comme des
néologismes ? Pourquoi et de quels types ?
(d) Quel sous-type de changement sémantique vous paraît caractériser le sens moderne de
quatorzaine ?

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Linguistique contrastive Marc Duval, 2024

2. La néologie morphosémantique
On distingue deux grands procédés : affixation et composition, dont les critères sont
l’indépendance des éléments concernés : un affixe de dérivation est un morphème lié, c’est-à-dire
qu’il n’a pas d’autonomie syntaxique (il n’accède pas à des fonctions syntaxiques, n’est pas
déplaçable, modifiable par d’autres « mots »). Il doit s’associer à un « hôte », qui lui, est, en théorie,
autonome. Par exemple, dans dé-polir, on distingue le préfixe dé- signifiant une idée de
« contraire », et le verbe polir, en fait le radical poli-/poliss-, qui est un morphème « libre » (même
s’il doit s’associer avec des morphèmes grammaticaux de personne, temps, etc., qu’on ne prend pas
en compte). Comparez le comportement de poli(ss)- avec dé- :

Nous polissons soigneusement. (soigneusement qualifie poliss-)


Polissons-nous soigneusement ? (poliss- est déplacé avec ses morphèmes grammaticaux)
Nous dépolissons soigneusement. (soigneusement qualifie dépoliss- en entier et non dé-)
Dépolissons-nous soigneusement ? (dé- est obligatoirement déplacé avec poliss-, il ne peut subsister
indépendamment du radical verbal)

Il est important de spécifier la classe syntaxique de la base et celle du dérivé, car il y a souvent
des contraintes : ainsi le suffixe -ment forme des adverbes à partir d’adjectifs et est normalement
restreint dans cette fonction (cf. verte-ment, genti-ment, etc., et la fausse exception de vache-ment).
Il existe non seulement la préfixation et la suffixation, mais aussi l’infixation (à l’intérieur
d’un radical) ou la circonfixation (autour d’un radical).

Pour qu’il y ait composition, les deux élements doivent être autonomes, comme dans passe-
montagne, où passe est un radical verbal et montagne un nom commun. C’est le procédé classique
par simple juxtaposition de deux « mots ».
Il peut arriver aussi que les deux éléments soient dénués d’autonomie, comme dans les mots
complexes du type ophtalmologiste. Ni ophtalmo- ni -logiste, ni une quelconque variante
allomorphique, ne sont autonomes (cf. *Je me suis fait soigner l’ophtalmo chez un logiste vs. Je me
suis fait soigner l’œil chez un spécialiste). Il est de tradition de parler de composition dans ces cas
également, mais préférable de préciser qu’il s’agit de « pseudo-composés ».

Un autre type de composition, qui semble plus ludique, est l’amalgame (ou télescopage, ou
mots-valises) à partir de deux mots fondus ensemble, souvent en raison d’un segment de signifiant
commun. À partir de photocopie et pillage, on a formé photocopiage, mais aussi alicament
d’aliment et de médicament, ligre de lion et tigre, Billary de Bill + Hillary, etc.
Attention, il ne faut pas confondre l’amalgame avec le processus de troncation (même si
chaque élément est amputé), parce que l’amalgame ne raccourcit pas une séquence existante :
*photocopie pillage, *aliment médicament, ou *lion tigre, n’existent simplement pas. (mais notion
d’amalgame « extensible » chez Tournier).

La dérivation dite « inverse » fonctionne par soustraction de ce qui est interprété comme un
affixe. Pour la repérer, il faut avoir une perspective diachronique. Par exemple, savoir que le verbe
français agresse-r a été créé après le nom agression, urge-r après l’adjectif urgent. C’est donc en
enlevant les élements -ion et -ent, qu’on retrouve ailleurs comme suffixes de dérivation à partir de
verbes ou d’adjectifs, que l’on a formé des verbes. De même, en anglais, le nom greed à partir de
l’adjectif greedy, l’adjectif onymous à partir anonymous, etc.
Encore fois, on doit distinguer ce procédé de la troncation : ici on enlève un élément porteur
de sens, et le dérivé voit son signifié modifié en conséquence. Il s’agit donc bien de néologie
morphosémantique, qui touche la forme et le contenu.

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Linguistique contrastive Marc Duval, 2024

3. La néologie sémantique
Le changement de fonction, souvent caractéristique de mots nouveaux créés par dérivation
(particulièrement par suffixation, cf. dériv(er) V + -ation → dérivation N, modéré Adj + -(e)ment
→ modérément Adv, etc.) peut aussi s’opérer sans changement de forme. On parle parfois de
« dérivation zéro », de « dérivation impropre », ou, plus exactement, de conversion. Il est encore
plus essentiel dans ces cas de spécifier les classes grammaticales de départ et d’arrivée. Si l’on
considère participant, il apparaît que c’est à la fois une forme verbale du verbe participer (un
participe présent), et un nom commun converti à partir de ce participe présent : les compatibilités
syntaxiques et morphologiques sont en conséquence différentes ((en) participant à la réunion, ... vs.
Un(e)/des/le/la participant(e)(s) ...).
Dame, peste, diable, bordel, crotte, etc., sont des noms communs qui peuvent se comporter
comme des jurons1, auquel cas ils ne se construisent plus avec un déterminant comme dans leur
catégorie d’origine (remarquez toutefois qu’on peut dire aussi bien Vache ! et La vache !,
néanmoins le choix de l’article est restreint : *Une vache !).
Des conversions peuvent être plus ou moins fréquentes entre telle et telle classe grammaticale
selon les langues. Un phénomène assez courant consiste à passer du verbe au nom et inversement.
L’anglais en offre beaucoup d’exemples : hand « main N, passer V », salt « sel N, saler V », mais le
français également, quoiqu’une mauvaise habitude consiste à considérer que les marques d’infinitif
seraient des suffixes de dérivation. Il n’en est rien, il s’agit de suffixes flexionnels au même titre
que des marques de personne et de temps. Il faut donc comparer les radicaux des verbes avec les
noms correspondants pour voir qu’il y a identité de forme : surf(-er) N ou V, marche(-r) N ou V,
colle(-r) N ou V, fleur(-ir) N ou V, etc. Parfois la conversion est ludique comme avec le verbe fr.
joconder « sourire d’un air idiot » (Troyat), ou ang. flan « lancer une tarte à la crème à la tête de
(qqn) ».
Changer la fonction sans changer la forme est bien une manière de changer le signifié.

Des processus de changement de sens plus typiques sont la métaphore et la métonymie. Pour
la métaphore, le transfert de signifiant repose sur une relation de similarité (= ressemblance)
touchant à l’aspect ou à la fonction. C’est une ressemblance de forme qui justifie l’all. Birne
« poire » qui désigne aussi une ampoule électrique, ou fr. aiguille qui s’applique à la couture, à
l’horlogerie (aiguille de montre), ou la botanique (aiguille de sapin). Virus, dans plusieurs langues,
a une fonction de destruction originellement biologique, qui a été transférée dans le domaine
informatique. La métaphore dans angl. mouse, fr. souris, etc., comme accessoire informatique, était
plus motivée à une époque où les souris (informatiques) étaient grises et attachées à un câble
ressemblant à une queue (ressemblance de couleur et de forme). Reste encore la forme bombée et la
dimension qui rapprochent de l’animal.

Quant à la métonymie, elle est fondée sur une relation de contiguïté (= voisinage). Si on
appelle café une boisson et un bâtiment proposant des boissons, ce n’est parce que la boisson et le
bâtiment se ressemblent, mais parce qu’on trouve l’une dans l’autre. De même pour tabac « bureau
de tabac ». Il y a ici une relation de « produit » à « lieu où l’on trouve ce produit ». Voir aussi les
relations de « matériau » à « produit contenant ce matériau » : verre « matériau » → « récipient »,
plomb « ... » → « accessoire de pêche/chasse », plâtre, bronze, carton, etc. ; de région à produit
typique : brie, champagne, bourgogne, etc. ; de propriété à objet ou personne possédant cette
propriété : génie, beauté, etc. ; de propriété à acte ou parole ayant cette propriété : bêtise, ânerie (cf.
en construction avec faire ou dire...), etc.

Dans tous les cas, il est nécessaire de spécifier sur quoi se fondent la similarité ou la contiguïté.

1
Pour donner une classe grammaticale, ce sont alors des interjections, classe mal définie.

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Linguistique contrastive Marc Duval, 2024

4. La néologie morphologique
Lorsque l’on modifie la forme d’un mot sans changer son sens ni sa fonction, il s’agit encore
de procédés de néologie, qui consistent le plus souvent à abréger le signifiant d’un mot.

Le procédé le plus connu est certainement la siglaison, qui consiste à ne garder que les lettres
initiales d’un mot ou d’un composé. En linguistique, on utilise souvent V et S pour « verbe » et
« sujet » par exemple, mais plus généralement l’abréviation officielle de noms de mesure est réduite
à la première lettre : L pour « litre », m pour « mètre », etc. (Voir aussi les sigles plus connus
d’institutions : SNCF, RATP, CNRS, etc.). Il peut être utile de considérer aussi comme siglaisons,
mais à base syllabique, les abréviations formées sur les premières syllabes, comme il est courant
dans les langues dont les systèmes d’écriture sont fondés sur la représentation de la syllabe et non
de lettres individuelles (voir exemples en coréen).

En dehors de ces cas, la troncation réduit une partie plus ou moins aléatoire d’un mot ou d’un
composé, qui peut être une partie finale (croco pour « crocodile », Sarko), initiale (zique pour
« musique », Ricain), parfois les deux ensemble (ang. influenza → flu). Il arrive que le mot tronqué
remplace dans l’usage le mot original (métro ← métropolitain, vélo ← vélocipède).
La troncation peut aussi toucher des composés ou expressions figées, à l’instar de Boul’Mich’
← boulevard Saint Michel, ou courriel ← courrier électronique. Remarquez que le néologisme
pourriel n’est pas la troncation de *poubelle courriel ou *pourri courriel, syntagmes qui n’existent
pas, mais un amalgame de poubelle (ou pourri ?) et de courriel.
Il est utile de distinguer la troncation de l’ellipse, par laquelle on supprime un mot entier d’un
syntagme, par exemple portable au sens d’« ordinateur ou téléphone portable », plastique au sens
de « sac plastique », éventuellement (une) céréale(s) au sens de « baguette aux céréales », etc.

D’autres altérations de forme existent, comme l’adjonction d’un pseudo-suffixe (sans sens)
dans fastoche ← facile, piquouze ← piqûre/piqu(er), prem’s ← premier, ouaip ← ouais, etc., qui
peuvent révèler des processus plus complexes de troncation + pseudo-affixation (voir les nombreux
mots tronqués auxquels le français ajoute -o : apéro, prolo, proprio, etc. L’ajout d’un segment ne
semble pas corrélé à un changement de sens (par rapport à apéritif, prolétaire, etc.), on peut donc
considérer que la néologie est là aussi de type purement morphologique. De même pour le verlan.

5. Matrices externes
Si l’emprunt est donné à juste titre comme relevant d’une matrice externe puisque provenant
d’un autre système linguistique, on peut y adjoindre également les onomatopées, qui sont des
imitations de sons existant hors de la langue (plouf, crac, vroum-vroum, coin-coin, meuh, ronron,
etc.), et dans les deux cas adaptés au système phonétique de la langue receveuse. Certaines
onomatopées reflètent aussi des états physiologiques (brrr) ou psychologiques (beurk). Le procédé
peut être très développé dans des langues comme le coréen, le japonais, le zoulou, etc., qui
permettent aussi une bonne intégration grammaticale de ces interjections appelées aussi idéophones.
Le redoublement est fréquent : coréen ccolkis-ccolkis « caoutchouteux » (en mâchant), asak-asak
« croustillant », japonais kan kan « soleil brûlant », « bruit métallique » ou « état de grosse colère ».
En ce qui concerne les emprunts, on oublie trop souvent que si le signifiant est adapté, le
signifié l’est aussi : il est régulièrement restreint par rapport à la langue-source. Cf. angl. building
[ˈbɪldɪŋ] « bâtiment » → fr. building [bilˈdiŋ] « grand immeuble », angl. dealer [ˈdiːlər] « marchand,
négociant, vendeur, etc. » → fr. dealer [diˈlœʁ] « trafiquant de drogue », angl. crash [kræʃ]
« collision » → fr. crash [kʁaʃ] « accident d’avion » ; fr. répertoire [ʀepɛʀtwaʀ] « notebook,
directory, folder, range of skills » → angl. repertoire [ˈrɛpərtwɑːr] « range of skills », fr. chauffeur
[ʃoˈfœʁ] « driver » → angl. chauffeur [ˈʃoʊfər] « private driver », etc.
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6. Synthèse
Voici un nouveau tableau (plus complet) des procédés de néologie. On y ajoute en I les autres
types d’affixation (infixation, circonfixation) et le procédé de réduplication ; en II les restrictions et
extensions de sens ; en III l’ellipse et les autres altérations ; enfin en IV on regroupe l’emprunt et le
symbolisme sonore.

Matrices Affixation 1. Préfixation


internes I. Néologie 2. Suffixation
morpho- 3. Autres types d’affixation
sémantique 4. Dérivation inverse
Composition 5. Juxtaposition
6. Amalgame
Répétition 7. Réduplication
Changement de 8. Conversion
fonction
II. Néologie 9. Métaphore
sémantique Changement 10. Métonymie
de sens 11. Restriction/extension de sens
12. Ellipse
III. Néologie Changement 13. Troncation
morphologique de forme 14. Siglaison
15. Autres altérations
Matrice IV. Transphonologisation 16. Emprunt
externe Imitation phonique 17. Symbolisme sonore

L’objectif de ce cours est d’identifier les différents processus de néologie en se fondant sur les
propriétés formelles, sémantiques, et grammaticales, des néologismes étudiés. À partir du matériel
lexical donné en A, le néologisme B, une première étape consiste à repérer s’il y a des changements,
et de quels types2. Ici avec des exemples anglais :

A → B chgt forme chgt sens chgt catég.


flan « tarte » flan « lancer une tarte à la – + +
tête de qqn »
= (8) conversion
five pounds « cinq livres » five « cinq livres » + – (–)
= (12) ellipse
smartphone « (id.) » + smombie « piéton + + (–)
zombie « (id.) inattentif ayant les yeux
rivés sur son
smartphone »
= (6) composition par
amalgame
frozen yogurt « yaourt froyo « (id.) » (marque) + – (–)
glacé »
= (13) troncation
education « éducation » + - educationese « jargon des + + (–)
ese (sert à former des noms professionnels de
de langues) l’éducation »

2
Tous les changements ne sont pas également pertinents : par exemple, il est absurde de se demander s’il y a un
changement de catégorie grammaticale entre un bruit de la nature et une onomatopée.

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Linguistique contrastive Marc Duval, 2024

= (2) suffixation
hop « sautiller » + scotch hopscotch « marelle » + + (+)
« ligne tracée »
= (5) composition par
juxtaposition
qayaq « canoé fin et kayak « (id.) » (–) – (?)
couvert » (inuktitut)
= (16) emprunt

Ces autres exemples montrent qu’une même séquence de sons peut être issue de procédés
néologiques différents :

A → B chgt forme chgt sens chgt catég.


crown « couronne » (= crown « monarchie, (...) (...) (...)
cercle de métal précieux que pouvoir royal »
portent reines et rois)
= (10) métonymie
crown prosecutor crown « (id.) » (...) (...) (...)
3
« procureur de la
Couronne »
= (12) ellipse
crown « couronne » crown « prothèse (...) (...) (...)
dentaire »
= (9) métaphore
crown « monarchie, pouvoir crown « (ancienne) (...) (...) (...)
royal » monnaie britannique »
= (10) métonymie
crown « couronne » crown « couronner, poser (...) (...) (...)
une couronne sur la tête
d’un monarque »
= (8) conversion

On voit rapidement qu’il ne suffit pas de remarquer l’existence de changements pour identifier
un procédé de néologie, mais d’en décrire leur nature, en rapport avec les définitions particulières
(cf. ci-dessus). C’est la deuxième étape, de justification.

Dans une troisième étape, plus difficile mais plus intéressante, on se rendra compte que les
procédés de formation des mots se cumulent. Par exemple, on peut décrire crown « procureur » à
partir de crown « couronne (de monarque) » en quatre stades : crown « couronne (de monarque) »
→ crown « pouvoir royal » (métonymie) → crown prosecutor « procureur de la Couronne »
(composition par juxtaposition) → crown « (id.) » (ellipse). Ou bien :

(i) (son émis par les pigeons) → coo « roucoulement » (symbolisme sonore) → coo
« roucouler » (conversion) ;
(ii) grec ancien μικρό(ς) micro(-s) « petit » + σκοπ(έω) scop(-eo) « examiner » → fr. micro-
« (id.) » et -scope « ((id.)) » (emprunt) → microscope « instrument d’optique permettant d’observer
des objets de petites dimensions » (pseudo-composition par juxtaposition) ;
(iii) angl. foot « pied » + -ing (élément servant à former des noms d’action) → fr. (id.)
(emprunt) → fr. footing « marche rapide pratiquée comme exercice » ;
(iv) angl. speaker « orateur » → fr. speaker « présentateur de radio ou télévision » (emprunt
avec restriction de sens, mais angl. announcer dans cet emploi) → speakerine « présentatrice (...) »
(dérivation suffixale) ;

3
avocat défendant les intérêts de l’État.

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(v) Revenu minimum d’insertion → RMI (siglaison) → Rmiste (dérivation suffixale) ;


(vi) bouillon « bulle d’un liquide qui bout » → bouillon « liquide bouilli utilisé pour la
consommation » (métonymie) → bouillon « restaurant où l’on sert typiquement du bouillon »
(métonymie).

Des exemples tirés de diverses langues permettront une application « contrastive », et des
sous-catégories plus fines seront présentées, par exemple :

composés : endocentriques, exocentriques ; par subordination, par coordination...


dérivés : dénominaux, déverbaux... ; d’action, d’agent, d’instrument...
emprunts : intégraux, hybrides, sémantiques...
métaphores : par similarité de forme, dimension, fonction...
métonymies : partie-tout, matière-artefact...
troncations : antérieures, postérieures, médianes, doubles...

Exemple développé d’analyse avec justification : fr. ramasse-miettes

(exemple) ramasse « rassemble(r) » + miette(s) « fragment qui tombe du pain » → ramasse-


miettes « ustensile ménager [composé le plus souvent d’une brosse et d’une pelle
et] servant à ramasser les miettes »
(forme) Néologisme formé de deux mots indépendants non abrégés juxtaposés, le radical
verbal ramasse et le nom miettes. Il y a un changement formel par rapport à
chacun de ces composants.
(sens) Il y a changement de sens parce que le sens de ramasse-miettes est différent de
chacun des mots dont il est composé. Il décrit par ailleurs un ustensile, et non
l’action que cet objet permet d’accomplir.
(catégorie Ramasse-miettes est un nom formé à partir d’un verbe et de son objet. Il y a
grammaticale) changement de catégorie grammaticale.
(type de Il s’agit d’un néologisme morphosémantique, de type composé par
néologisme) juxtaposition ; c’est en outre un composé exocentrique (un ramasse-miettes
n’est pas un *ramasse) formé par subordination (car miettes fonctionne comme
le complément du verbe ramasser).

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