EAF 4 Explication - Ubu Roi

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Explication linéaire

Ubu roi, Alfred Jarry, 1896


Acte I, scène 1

Objet d'étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle


Parcours associé : Spectacle et comédie

ENJEUX DU TEXTE

Ubu est un personnage emblématique. Il incarne à lui seul la bêtise humaine, la tyrannie sans
fond, la victoire de l'absurde. Plus tard dans la pièce, la scène de parodie de procès se solde par des
meurtres de masse sur ceux qui représentent toutes les formes de contre-pouvoirs existants. La trappe,
lieu infernal où sont jetés les personnages, est l'équivalent de son ventre grotesque. Ces meurtres sont
tels des caprices et le langage employé par Ubu, puéril et maladroit, qui mélange des tournures
soutenues et vulgaires, renforce la cruauté de ce personnage sans empathie. L'espace-temps n'est pas
réellement défini : la Pologne est imaginaire et l'époque non précisée. Ceci donne une dimension
intemporelle à la démonstration de la bêtise.
Le burlesque est finement mené dans cette scène d'exposition puisque la gravité des actes
souhaités et la haute ambition manifestée par les personnages est en décalage complet avec la
grossièreté du ton. Les traits de ce personnage emblématique qu'est Ubu se dessinent : homme stupide
manipulé par sa femme, vulgaire et dépourvu d'humanité. Le langage traditionnel se brise au profit
d'un langage plus absurde et grotesque. Ubu deviendra le tyran qui engloutit toute forme d'entrave à
son pouvoir sans poser la moindre réflexion humaine. Il est intéressant de voir que des personnages
portant une bêtise malheureusement très humaine sont de la même façon déshumanisés. Cet ensemble
de faits annonce les questionnements sur la condition humaine posés par le théâtre absurde du XXe
siècle.

INTRODUCTION

1) Situation

Avec sa pièce Ubu roi, écrite en 1896, Alfred Jarry sera un modèle pour le théâtre du XXe
siècle. Du surréalisme à l'absurde, son influence et sa fantaisie se retrouveront dans les fondements de
tous les mouvements qui éclateront les structures littéraires traditionnelles. L'intrigue de la pièce
s'appuie sur celle de Macbeth de Shakespeare. Mère Ubu insuffle à son mari les idées de meurtres et
de prise de pouvoir. Le texte étudié est la scène d'exposition, qui présente le couple père Ubu-mère
Ubu en un début de conjuration caricaturé en scène de ménage, elle annonce le futur complot qui
conduira au meurtre du roi Venceslas et au règne d'Ubu.

2) Problématique

En quoi cette scène d'exposition, parodie d'une conjuration tragique, dit-elle, grâce à des
personnages aux élans de grandeur bouffons, la bêtise humaine ?

3) Mouvements du texte

Nous distinguerons deux mouvements :


– M1. Des personnages bêtes et grossiers, lignes 1 à 12
– M2. La parodie vulgaire d'une scène de conjuration, lignes 13 à 24
EXPLICATION

1er mouvement - Des personnages bêtes et grossiers, lignes 1 à 12 :


La première réplique très célèbre, est le « merdre » singularisé par le « r » superfétatoire qui
appuie ce ton grossier et introduit l'atmosphère de la pièce. Ce néologisme sera une marque de
reconnaissance du personnage. Le ton est d'emblée très familier, avec notamment la syntaxe erronée
de la ligne 3 « assom'je », au lieu de « assommé-je », qui est précédée de la construction soutenue
« Que ne... » créant ainsi un contraste entre les registres de langue.
La réplique suivante, à la ligne 4, amène l'idée d'un assassinat mais l'incompréhension d'Ubu
de ce propos très clair montre sa bêtise et crée un décalage entre la gravité et sa réponse. Il emploie à
ce propos l'expression « de par ma chandelle verte » qui sera répétée tout au long de la pièce et qui fait
écho, en les dénaturant, à des expressions issues du Moyen-Âge comme « de par le Roi » ou « de par
Dieu » ; cette utilisation de la langue exprime autant le désir de grandeur d'Ubu que sa médiocrité et sa
vulgarité.
Aux lignes 7 jusqu'à 9, Ubu se gargarise de ses décorations militaires dans une accumulation
de titres à l'obtention et au cumul impossible et qui n'ont pas de liens entre eux. La mère Ubu répond à
cela en rabaissant son mari, la pseudo-grandeur militaire de ce-dernier étant ramenée aux vulgaires «
coupe-choux » qui feraient office d'armes. Elle évoque la possibilité d'accès au trône de son mari :
« quand vous pourriez faire succéder sur votre fiole la couronne de Pologne à celle d’Aragon ? », à
l'aide du conditionnel « pourriez », qui sous-entend un reproche, mais aussi l'emploi du terme familier
« fiole ». Cela caractérise la mère Ubu comme un personnage de mégère, qui se moque du père Ubu
autant qu'elle le manipule, parodie burlesque de Lady Macbeth. Le fait qu'Ubu eût pu être roi
d'Aragon est évidemment un trait qui crée un décalage supplémentaire entre ce qui est dit d'Ubu et ce
qu'il semble être.
Bien qu'ils se vouvoient et font mine de vouloir s'extraire de leur condition, le deux
personnages sont grotesques et bêtes. La façon de les nommer, « Père Ubu » et « Mère Ubu », leur
donne des accents populaires tout en les déshumanisant et en insistant sur leur vulgarité. Le
palindrome « Ubu » nous dit le ridicule du personnage, Roi dont le comportement est plus proche du
bouffon (il est représenté dans les dessins de Jarry comme un ogre portant l'infini sur son ventre et une
petite tête pour indiquer sa bêtise).

2e mouvement - La parodie vulgaire d'une scène de conjuration, lignes 13 à 24 :


L'idée de conjuration se met en place et révèle encore plus la bêtise du personnage. La phrase «
je ne comprends rien de ce que tu dis » montre cette stupidité et, en employant le tutoiement, brise les
dernières marques de raffinement du personnage d'Ubu. Les éléments de l'intrigue sont précisés avec
le roi à abattre « Venceslas » qui aurait une famille nombreuse, comme l'indique l'hyperbole «des
légions d’enfants ». La réponse de Mère Ubu reflète la cruauté de son caractère puisqu'elle utilise un
ton très neutre pour exprimer un meurtre potentiel de nombreuses personnes : « qui t'empêche de
massacrer... ». De fait, les deux caractères se distinguent : elle sera la femme castratrice et l'instigatrice
et lui sera le bouffon fantoche.
La fin de l'extrait est en décalage total avec la réalité cruelle de la volonté de meurtre en se
transformant en scène de ménage vulgaire et grossière. Dans les lignes 20 à 21, le texte joue sur le
sens figuré de l'expression « passer à la casserole » et le sens propre des « fonds de culotte » qui sont à
réparer, créant un effet comique.
Dans les répliques suivantes, le jeu de reprise du mot « cul » fait basculer l'extrait dans le
registre vulgaire et permet de créer le double sens du mot trône : si le trône désigne par métonymie le
siège du pouvoir, il représente aussi par métaphore les cabinets. Ces idées font rentrer le
spectateur/lecteur dans une intimité domestique de bas étage qui renforce le burlesque de la pièce.
Mère Ubu poursuit sa tentative de corruption en employant des arguments affectifs qui
reflètent les passions du futur monarque; au prosaïsme de la passion de la saucisse « manger fort
souvent de l’andouille » s'ajoute l'expression populaire « rouler carrosse ».
La scène remplit ici sa fonction d'exposition en introduisant l'élément principal de l'intrigue : le
complot politique pour assassiner le Roi Venceslas mélange des tons et des genres employé dans la
scène donne à l'ensemble un caractère burlesque puisque la dimension tragique que serait un
assassinat politique est portée par un registre très familier.

Explication linéaire de Marie Krebs, Français, épreuves orales du Bac, collection Ellipses

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