Le Langage 1
Le Langage 1
Le Langage 1
Introduction :
Certains animaux possèdent des modes de communication complexes mais aucun ne possède tous les critères
du langage, le langage est un moyen de communication purement humain, par l'intermédiaire d'un système de
symboles créés à cet effet. Le langage renvoie alors à la capacité proprement humaine de constituer une langue.
C’est-à-dire un système de signes articulé, et si chaque langue est le bien commun d’une collectivité humaine,
la parole, en revanche est la mise en œuvre individuelle du langage dans une langue déterminée, afin de dire
quelque chose. Lorsqu’on se réfère à ce sens du langage, on peut mettre en évidence deux éléments
indispensables :
• La pensée : pour qu'il y ait un langage, il faut un individu doué de conscience, c'est-à-dire qui puisse
parler et faire un lien entre ce qui est dit (le son) et ce qui est exprimé (l'idée).
• La vie en société : pour qu'il y ait langage, il faut s'adresser à un autre. Un homme vivant seul ne
développera pas de langage, puisque celui-ci suppose la communication d'une idée à autrui.
A-t-on raison d’affirmer que seuls les hommes parlent vraiment et que la ligne de démarcation entre nature et
culture se situe dans le langage articulé, fait culturel par excellence ? La fonction langagière est-elle la
condition de l’exercice de la pensée et de la rationalité ?
Les signes qui composent la communication animale sont en nombre bien déterminé, du fait de la finitude des
besoins animaux et des réactions instinctives. C'est en effet une des spécificités du langage animal que d'être
constitué d'éléments simples en nombre limité. C'est la première des caractéristiques de ce langage, qui
l'oppose au langage humain infiniment riche, susceptible à chaque instant de s'enrichir de termes nouveaux.
Ce signe est "invariablement attaché (…) à un certain objet ou à une certaine opération". En effet, l'invariance
constitue le propre du langage animal, que l'on pourrait décrire comme "sans surprise". Un animal n'invente
pas de signes nouveaux, il utilise les signes existants, d'une manière propre à l'espèce : il n'y a pas invention.
Ainsi, telle "danse en huit" de l'abeille signifie la présence et le lieu du pollen, elle ne peut signifier autre
chose. En ce sens l'abeille n'a aucune "liberté" dans l'utilisation du signe, ce n'est pas le signe lui-même qui
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est invariant mais l'utilisation du signe, sa portée, son extension. Un signe désigne une chose, jamais une autre.
On ne peut le dissocier ni de sa signification, ni de la signification de son usage. Le signe est enfermé dans la
chose. Le signe animal n'est donc pas "extensible", il ne peut se transporter d'un objet à un autre. Voilà la
limite essentielle du langage animal. Les abeilles disposent d’un système de signes différenciés leur permettant
d’indiquer la distance et la direction d’un gisement de pollen. On peut constater que dans une ruche d’abeilles
existe une division du travail entre les abeilles ouvrières, de telle sorte que celles qui jouent le rôle
d’éclaireuses et recherchent des fleurs susceptibles de fournir du pollen soient capables d’indiquer aux
butineuses l’emplacement de ces fleurs. Les éclaireuses ayant découvert un lieu de butinage, rentrent à la ruche
et se livrent à deux sortes de danses : l’une se fait en cercle si le gisement est proche (rayon de cent mètres
environ de la ruche), l’autre s’effectue en 8 si le gisement est plus éloigné (audelà de cent mètres et jusqu’à
six kilomètres), l’axe du 8 indiquant en ce cas la direction du gisement. Cet exemple montre qu’il existe bien
chez les abeilles une correspondance “conventionnelle” entre le comportement et les données (distance,
direction) qu’il traduit.
Dans son livre Problèmes de linguistique générale, le linguiste Emile Benveniste nous montre ce qui
différencie le mode de communication chez les abeilles, par exemple, du langage humain. D’abord, les abeilles
ignorent le dialogue qui est la condition du langage humain : « Le message des abeilles n’appelle aucune
réponse de l’entourage, sinon une certaine conduite qui n’est pas une réponse ». L’abeille n’est pas capable
de bâtir un message à partir d’un autre message. Le contenu du message de l’abeille se rapporte toujours à une
seule donnée, la nourriture (les contenus du langage humain varient de manière illimitée et s’adaptent à toutes
les situations). Le message des abeilles, enfin, est inarticulé, indécomposable. En somme, le mode de
communication des abeilles est un simple processus naturel ; les danses de l’abeille exploratrice ne sont que
des signaux naturels qui déclenchent chez les autres abeilles un comportement particulier. D’une façon
générale, la communication animale est réduite à l’expression de quatre ou cinq grandes fonctions : marquer
et protéger son territoire, appeler une femelle ou ses petits, crier sa peur ou sa détresse, reconnaître les membres
de son espèce, affirmer une posture de domination et de soumission. De sorte que la première grande différence
entre le langage humain et celui des animaux réside dans les capacités infiniment plus variées et complexes
du langage humain.
A) le signe intelligent : Le signe humain est extensible à une infinité de chose. Dans les sociétés animales, les
tâches sont définies, invariantes et réparties entre les membres de l'espèce de manière nécessaire. La mobilité
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du signe est donc la condition du développement des sociétés humaines, elle en est l'outil. Cette mobilité est
bien une caractéristique naturelle et évidente, et non quelque chose qui n'interviendrait que de manière
accidentelle.
C’est la mobilité, avec sa capacité adaptative, qui est l’aspect essentiel du « signe intelligent », en opposition
à la fixité, à l’adhérence du « signe instinctif », ainsi l'intelligence non seulement comme la capacité à
l'abstraction mais aussi comme la possibilité d'un mouvement, c'est-à-dire de la création de sens, qui fait la
différence.
L’analyse sur la mobilité du signe est reprise par la linguistique (étude descriptive et explicative du
fonctionnement des langues) à travers la notion de double articulation. Les signes linguistiques présentent
comme particularité essentielle ce que Martinet appelle la double articulation : alors que chaque aboiement
du chien ou chaque chant d’oiseau se présente comme une sorte de mélodie qui doit être perçue et mémorisée
globalement, les mots sont au contraire articulés. A partir d’un petit nombre de sons de base ou phonèmes (les
voyelles, les consonnes, les diphtongues), tous dénués de signification, on peut former par assemblage autant
de mots qu’on en a besoin.
- La première articulation :
Les unités de la première articulation sont des signes appelés « monèmes » qui possèdent un signifiant (la
séquence sonore dont ces unités sont constituées) et un signifié (une signification). Le monème est la plus
petite unité linguistique porteuse de sens entrant dans la composition d’un mot. Le monème n’est pas le mot
à proprement parler, mais désigne tout élément de la langue réutilisable dans des énoncés divers et qui, en
permutant avec un autre, change le sens de la phrase (commutation). Les monèmes peuvent être des noms, des
verbes, des préfixes, des prépositions, des terminaisons verbales.
Exemple de la phrase « J’ai mal à la tête ». Aucune des six unités utilisées « j’, ai, mal, à, la, tête », ne
correspond à ce que la douleur a de spécifique : nous pouvons, en effet, retrouver chacune d’entre elles utilisées
dans d’autres contextes pour exprimer d’autres faits. Cette première articulation représente une économie de
moyens considérable : quelques milliers d’unités, comme « tête », « mal », « ai », « la », largement
combinables, nous permettent de communiquer plus de choses que ne pourraient le faire des millions de cris
inarticulés.
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- La deuxième articulation
On peut décomposer les unités précédentes (les monèmes) en unités de son dépourvues de sens. Les «
phonèmes » sont les plus petites unités sonores correspondant à la seconde articulation ; les phonèmes sont
les unités minimales de son, de sorte que la deuxième articulation correspond à la gamme des sons que nous
pouvons émettre. Ainsi « tête » peut se décomposer en deux unités sonores « tê » et « te » que l’on retrouver
dissociées dans d’autres mots : « bête », « tante », « terre ». Dans le cas du mot « tête », il y a trois unités « t
ê t ». Les unités de la deuxième articulation dites phonèmes, n’ont aucun sens par eux-mêmes ; le phonème
n’est pas tant le son physique réellement prononcé qu’une unité de son.
La double articulation constitue un facteur d’économie considérable puisque avec un nombre très limité
d’unités de seconde articulation (quelques dizaines), on peut construire un nombre illimité d’unités de
première articulation, douées d’un signifiant et d’un signifié, et exprimer ainsi une infinie variété de situations
: Avec vingt-cinq sons, quelque deux mille cinq cents phonèmes peuvent être combinés rendant possible une
possibilité inouïe de description.
L'homme a la capacité de composer les signes linguistiques selon des arrangements divers, qui lui permettent
de faire face à n'importe quelle situation de discours. La communication animale n'a pas d'histoire, alors que
les langues humaines sont très diversifiées et historiques, évoluant dans le temps.
Parmi les distinctions terminologiques proposées par Ferdinand de Saussure au début de siècle dernier, celles
de langue, langage et de parole se sont révélées particulièrement pertinentes et elles sont toujours utilisées de
nos jours :
.- Langage : faculté inhérente et universelle de l'humain de construire des langues (des codes) pour
communiquer. (Leclerc 1989:15) Le langage réfère à des facultés psychologiques permettant de communiquer
à l’aide d’un système de communication quelconque. Le langage est inné.
-Langue : système de communication conventionnel particulier. Par « système », il faut comprendre que ce
n'est pas seulement une collection d'éléments mais bien un ensemble structuré composé d'éléments et de règles
permettant de décrire un comportement régulier (pensez à la conjugaison de verbes en français par exemple).
La langue est acquise.
-Parole : une des deux composantes du langage qui consiste en l'utilisation de la langue. La parole est en fait
le résultat de l’utilisation de la langue et du langage, et constitue ce qui est produit lorsque l'on communique
avec nos pairs. Selon Saussure, la langue est le résultat d’une convention sociale transmise par la société à
l'individu et sur laquelle ce dernier n'a qu'un rôle accessoire. Par opposition, la parole est l'utilisation
personnelle de la langue (toutes les variantes personnelles possibles : style, rythme, syntaxe, prononciation,
etc.).
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3-Critique de l’approche linguistique : peut-on considérer que les animaux sont dotés d’un langage ?
L’une des idées principales dans le discours de Montaigne (1533-1592) est très certainement de contester ce
qui constitue le propre de l’homme dans la tradition philosophique et théologique, c’est-à-dire sa supériorité
rationnelle. Parlant de la raison humaine, Montaigne écrit : « C’est leur touche à toutes sortes d’essais, mais
c’est une touche pleine de fausseté, d’erreur, de faiblesse, de défaillance ». Afin de mieux s’affirmer, de se
convaincre de sa supériorité, l’homme semble avoir besoin de prétendre que tout dans la nature tend vers lui,
et qu’il en est la fin.
La supériorité de l’homme sur les animaux est assurée par cette auto-proclamation logocentrisme (Tendance
d'un discours à s'enfermer dans la propre logique de son langage et à le considérer comme modèle de
référence). De ce fait, en remettant en cause la position supérieure de l’homme animal raisonnable et parlant,
Montaigne critique non seulement le rationalisme de la philosophie grecque, inauguré par Aristote, avec son
échelle hiérarchisée des êtres naturels mais aussi par anticipation, tous ceux qui en héritent.
Dans les Essais (livre II, chapitre 12), Montaigne répond à la question suivante : peut-on considérer que les
animaux sont dotés d’un langage ? Il s’agit de réviser l’idée qu’il existerait une différence ontologique
profonde entre l’homme et l’animal. C’est un exercice d’humilité sur le plan moral et d’un effort de vérité sur
le plan philosophique. Il soutient que le langage se trouve aussi bien chez les animaux que chez les êtres
humains.
Montaigne commence par affirmer que l’inintelligibilité de l’animal pour l’homme ne signifie pas
nécessairement que les animaux sont dépourvus de langage. Il explique ensuite qu’il existe à l’évidence une
véritable communication entre les animaux, aussi bien à l’intérieur d’une même espèce qu’entre espèces
différentes. Il montre que si l’on prend en compte le langage non verbal et sa richesse, il est impossible de
refuser le langage à l’animal.
L’argument qui ouvre le raisonnement de Montaigne est le suivant : de l’incompréhension mutuelle entre
l’homme et l’animal, on ne peut pas déduire que l’homme parle tandis que l’animal ne parle pas. En effet, il
est tout à fait possible que les animaux s’expriment dans des langages intelligibles pour eux, mais
inintelligibles aux hommes.
Si nous nous empressons d’affirmer qu’ils ne possèdent pas le langage, c’est probablement parce que nous les
jugeons à priori inférieurs à nous. Il s’agit donc non seulement d’une erreur de jugement, mais également, et
peut-être prioritairement, d’une faute morale. Il nous faut donc nous corriger sur ces deux points. En effet, une
étude un peu plus honnête du comportement animal montre assez évidemment que les animaux parlent. Il faut
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à cet égard distinguer deux types de communication : premièrement, la communication entre animaux de la
même espèce ou communication intra-spécifique (quand deux chiens aboient l’un contre l’autre par
exemple) ; secondement, la communication entre animaux d’espèces différentes ou communication
interspécifique (Montaigne prend l’exemple d’un cheval qui comprend la colère d’un chien en entendant ses
aboiements).
Pour prendre toute l’ampleur du phénomène qu’est le langage animal, il faut faire une distinction très
importante, à savoir distinguer les signes vocaux et les signes non vocaux (corporels notamment). En effet, si
l’on réduit le langage au langage vocal (aux sons émis par la bouche), on refusera à tort le langage à beaucoup
d’animaux, ceux qui sont dépourvus de voix ou qui l’utilisent rarement. Mais si on reconnaît l’existence du
langage corporel, on pourra identifier des phénomènes linguistiques chez un bien plus grand nombre
d’animaux. « Nous sommes mieux en la compagnie d'un chien connu qu'en celle d'un homme
duquel le langage nous est inconnu. De sorte que l'étranger n'est pas un homme pour l'homme".
La question : « le langage est-il le propre de l’homme ? », nous invite à nous demander si le langage est la
condition de la pensée rationnelle. En effet, de ce que les animaux ne parlent pas de langage faut-il en conclure
qu’ils n’ont aucune forme de pensée ?
En premier lieu, si les animaux ne parlent pas, c’est précisément parce qu’ils ne pensent pas. Dans cette
optique, il faut penser pour pouvoir parler. La pensée préexiste donc au langage. Le langage est alors
l'expression, souvent appauvrie, de la pensée. Dans la célèbre Lettre au marquis de Newcastle du 23
novembre 1646, Descartes établit que la parole ne convient qu'à l'homme seul ; seul l'homme a cette propriété
d'être un animal capable d'inventer des signes ; l'homme est une «chose pensante», il est poussé par le besoin
d'exprimer ses pensées. Dans cette perspective, s'il doit bien y avoir quelque pensée chez l'animal, cette pensée
ne peut rien avoir en commun avec celle des hommes, en sorte que les animaux ne possèdent pas pour autant
une âme. C'est la pensée ou la raison qui distingue radicalement l'homme de l'animal. Certes un perroquet ou
une pie peuvent « proférer des paroles ainsi que nous », mais parler n’est pas proférer des paroles, c’est
composer des signes pour communiquer des pensées. L’activité du perroquet peut être assimilée (non
identifiée) au fonctionnement d’une machine. La production de sons chez le perroquet peut être attribuée à
des causes seulement mécaniques. Les perroquets prononcent bien des sons qui correspondent aux mots que
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nous utilisons, mais ces sons n’ont aucunement valeur de mots, parce qu’ils sont utilisés hors de toute
signification pour eux. Ce qui nous le montre, extérieurement, c’est que ces sons ne se rapportent pas à un «
sujet » de discussion ; ils ne sont jamais « à propos », c’est-à-dire relatifs à un objet dont on parlerait. Ils sont
totalement détachés d’un contexte de discussion. Autrement dit, les animaux ne répondent pas à une question
qu’on leur pose, ils ne participent pas à une conversation. Leurs « mots » ne révèlent aucune compréhension
de ce dont on parle, et par là peuvent être assimilés à une production purement mécanique de sons. Les fous,
au contraire, ne font pas qu’utiliser des sons. Ils utilisent bien des mots auxquels ils donnent un sens. Même
si leurs discours sont incohérents, délirants, c’est-à-dire « ne suivent pas la raison » comme dit Descartes ou
ne correspondent pas à la réalité, il s’agit bien de discours. Donc, leur production de sons ne peut pas être
purement mécanique ; elle relève bien d’une pensée qui n’est pas réductible au seul fonctionnement mécanique
du corps. Or on peut considérer, si l’on veut, que le perroquet « parle », c’est-à-dire prononce des mots, mais
il ne comprend pas ces mots, autrement dit, il ne dit rien.
Descartes avance sa théorie de l’expression ; quand un être pense, il combine des signes en pensée avant de
s’exprimer dans le langage externe ; s’il ne s’exprime pas, c’est parce qu’il ne le peut ni le souhaite. La preuve
ou l’indice probable du fait que les animaux ne pensent pas réside, en définitive, dans leur inaptitude à user
de signes pour exprimer quelque chose qui relève de la seule pensée, c’est-à-dire d’un contenu indépendant
de leurs émotions et passions. Il ne peut y avoir communication que s’il y a un minimum de connaissances
communes.
Puisqu'il faut penser pour pouvoir parler, on peut apparemment en conclure que la pensée précède la parole et
donc qu'elle se sert de la parole essentiellement pour se faire connaître. La pensée est donc condition de
possibilité, cause, origine, du langage. Premier présupposé : la pensée précède le langage. Avant de dire, on
pense (ce qu'on dit on l'a d'abord pensé). La parole est alors la verbalisation, l'expression extérieure, de la
pensée. Deuxième présupposé : on peut penser sans langage, sans mots ou signes ; il y aurait une pensée non
discursive ; le langage appauvrit la pensée, alors que la pensée est vivante, le langage semble inerte, l'acte de
concevoir est indépendant des langues. La langue est par essence destinée à la communication : elle doit
fournir aux produits de l'activité intellectuelle un support matériel sensible qui intervient dans leur
communication.
Mais la pensée est-elle vraiment antérieure au langage et plus riche que lui ? Le langage n'est-il pas plutôt
constitutif de la pensée ?
Selon Hegel, le langage donne à la pensée "son existence la plus haute et la plus vraie". Le langage explicite,
développe, actualise, donne forme à nos pensées. Ce qui n’est pas formulé est informe, obscur, inachevé. C'est
dans les mots que nous pensons. On ne pense pas dans les images, les sensations, ou les affects. Vouloir saisir
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sa pensée sans le langage revient à vouloir “monter sur ses propres épaules”. La pensée ne devient claire que
lorsqu’elle trouve le mot. Hegel ne nie pas l'existence d'une pensée qui ne se dit pas, mais il soutient qu'elle
n'est qu'une pensée qui se cherche et non encore une pensée en acte.
En dehors des mots, ma pensée n'est qu'un chaos sans contours, sans formes et en lequel rien ne se distingue
du reste, ne se détache de manière stable. Mais, en réalité, c’est par sa liberté même que le langage exprime
l’âme du monde, c’est parce que le langage constitue un univers en soi qu’il est capable, comme le dit
Merleau-Ponty, de «loger en lui les choses mêmes, après les avoir changées en leur sens».
Bergson s’attache à montrer le caractère limité du langage. On peut donc le considérer en contrepoint à la
linguistique, et aussi en réplique à Hegel qui entend montrer qu’il n’y a pas véritablement de pensée avant le
langage.
Thème : le langage
Problème : Quel est notre rapport au monde, ainsi que nos propres sentiments ?
Thèse : Le langage appauvrit le monde ainsi que notre état d’âme.
Développement :
1) Bergson nous dit que spontanément, nous ne voyons pas les choses, nous nous contentons de lire une
étiquette sur elle. Au quotidien, je ne prête pas attention aux choses que j’ai face à moi, je me contente de les
utiliser. Pour cela, une simplification du réel me suffit.
Le problème est que « table » et « chaise » sont des mots, mais la chose matérielle que j’ai en face de moi
n’est pas en soi une table ou une chaise. Ce qui fait la singularité de cette chose, ce qui fait qu’elle n’est
semblable à aucune autre, je ne le vois plus. Je ne vois que l’étiquette « table » ou « chaise » et rien d’autre.
C’est le besoin pratique, l’action qui produit cette simplification du réel, alors que dans le monde, chaque
chose est unique, singulière et n’est pas réductible à sa fonction
Le langage est l’instrument de cette dissimulation du réel. Le réel, c’est un ensemble de choses uniques,
singulières, mais le langage efface les différences pour me faire avoir accès à des choses semblables. Cela se
produit car un mot désigne toujours une généralité, un genre, c’est-à-dire un concept. Mais ce concept
s’applique à un nombre indéfini de choses. Les mots ne peuvent jamais dire les choses dans leur réalité
singulière, unique, car ils effacent les différences pour saisir ce qu’elles ont de semblable. Par exemple, le mot
« arbre » simplifie le réel, il désigne une réalité semblable entre des milliers et de milliers d’arbres, semblables.
Comment le langage pourrait-il dire les choses ? Il ne peut pas, il ne saisit qu’un trait commun, banal. Du
coup, le mot s’insinue entre les choses et nous pour nous cacher leur réalité de chose unique. Il y a là alors,
une contradiction entre le langage et la réalité qui l’empêche de la dire adéquatement.
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2) Selon Bergson ce qui vaut pour les choses extérieures vaut tout autant pour moi-même, pour mon
intériorité, donc ma pensée. C’est là un argument pour récuser la réduction de la pensée au langage. Ce dernier
appauvrit la pensée car il l’empêche de penser ce qu’il y a d’unique dans les choses comme en moimême. Le
langage s’insinue entre les choses et nous, mais tout aussi bien entre moi et mon intériorité. Ce que j’ai
d’unique, de singulier, d’incomparable, je ne peux pas le dire. Le langage me coupe de cette unicité.
L’exemple le plus frappant est celui du sentiment, de l’état d’âme, comme il dit : « Nous ne saisissons de nos
sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes ».
En effet, je vais saisir ce que je ressens comme « joie », « tristesse », « amour », « haine »… Ce faisant,
j’impose une étiquette impersonnelle et j’ai déjà perdu la richesse unique de mon sentiment, car ce sont des
généralités, des mots que tous utilisent pour dire ce qu’ils ressentent. Ce faisant, ce qu’il y a d’unique dans ce
que je ressens a disparu, et il ne me reste que le mot banal « joie », alors que toutes les joies sont différentes.
La joie que ressent celui qui vient d’avoir un enfant, la joie d’être avec l’aimée, la joie qu’on prend à rire avec
des amis, sont des joies toutes très différentes, pas seulement en intensité, mais même en qualité.
Comment saisir et dire leurs différences ?
Comment dire ma joie qui n’est pas la tienne, que tu ne ressens pas et ne ressentira jamais. La joie d’avoir un
enfant, c’est déjà une abstraction. On n’éprouve pas la même joie selon notre situation, selon notre désir
d’avoir un enfant, etc. Dans le domaine de l’intériorité, donc de la pensée, tout est singulier et le langage n’est
que généralités. Le mot "amour" est appliqué à tous les amours.
Dès lors, ce qui m'est propre dans mon amour, qui est un amour unique, ne semble pas dicible. Dire "je t'aime",
c'est déjà ôter la singularité, le caractère unique d'un amour vécu au profit d'une formule banale que tout le
monde utilise et qui ne dit rien de la singularité de cet amour ci. On veut dire notre amour à autrui dans le « je
t’aime », mais le disant, on l’appauvrit, car cette formule est la plus banale qui soit, tout le monde dit la même,
le problème du langage, c'est qu'il n'est jamais singulier, il est commun, il est le même pour nous tous, pour
une communauté d'hommes. Il semble donc abolir ce qu'il y a de propre dans mes pensées pour en faire des
pensées communes, anonymes, banal. Le langage nous masque nos propres pensées.
3) Bergson ouvre une possibilité d’accès au singulier, certes, ce n’est qu’exception mais elle nous permet de
penser. Si nous ne nous bornions pas à coller et lire des étiquettes générales et communes sur les choses et nos
états d’âme, alors, « nous serions tous romanciers, tous poètes, tous musiciens », bref, des artistes, capables
de détachement, de désintéressement.
L’artiste aurait donc, dans sa spécialité, un art de vivre autrement que rivé au besoin, au fonctionnel. Il pourrait
saisir le particulier, l’individuel, le mouvant, le divers sensible. Bergson ne fait pas le procès du langage
commun, ni celui du langage conceptuel, mais, plutôt, il dénonce un usage unilatéral, voire dogmatique du
langage.
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Le texte ne nous donne pas à choisir entre voir l’individuel et lire les étiquettes communes et générales. Bien
plus, il nous incite à quitter la voie familière qui, bien qu’utile, et fonctionnelle et commune à tous, nous
maintient dans un rapport unilatéral et extérieur aux choses comme à soi. Or, la réalité est plus dense, plus
diverse, plus profonde, plus imprévisible, que le langage commun ne le dit.
Le pouvoir de la parole :
La parole possède de multiples pouvoirs. Elle peut rallier toute une société comme elle peut créer la discorde
au sein d’une société. La parole peut ainsi convaincre et raisonner, en tant qu’arme social, elle a de ce fait le
potentiel de détruire et de blesser.
Le pouvoir de la parole se manifeste dans tous les domaines de notre vie. Aussi bien en amour qu’en politique.
La parole influence alors grandement nos actes et nos pensées, car elle nous permet de les exprimer, de fournir
et d’avoir des informations, et surtout d’avoir des preuves et du sens.
Si l'on en croit Platon dans Le Gorgias, l'art de la parole qu'est la rhétorique est par essence voué à la flatterie,
c'est-à-dire à l'acte qui cherche à plaire, et au mensonge, c'est-à-dire à l'acte consistant à dissimuler la vérité,
à faire prendre le faux pour le vrai tout en sachant qu'il ne l'est pas. Néanmoins, n'est-ce pas là une vision
réductrice de la rhétorique ? La rhétorique n'est-elle pas également un art qui permet de dévoiler la vérité,
d'une manière qui n'est pas nécessairement trompeuse ? Nous verrons tout d'abord que la rhétorique peut bien
être caractérisée comme un art illusoire, puis nous nous demanderons s'il n'y a pas un certain usage de la
rhétorique qui la met au service de la vérité
.
La rhétorique peut bien être qualifiée d'art illusoire dans la mesure où c'est un art qui vise non seulement à
convaincre, mais aussi à persuader en faisant appel aux sentiments de l'interlocuteur plus qu'à sa raison. En ce
sens, la rhétorique est par essence trompeuse puisqu'elle ne conduit pas nécessairement à la vérité que
recherche la raison. En effet, plus encore que la thèse qu'il expose, c'est la manière dont le rhéteur la présente,
en s'adaptant à son auditoire, qui est chargée de persuader. En effet, le propre de la rhétorique est de parvenir
à maquiller en quelque sorte le propos tenu en utilisant un ensemble de techniques oratoires, telles des formules
percutantes, des images déformantes, ou encore des digressions qui détournent l'attention de l'auditeur. Ce
faisant, celui qui fait usage de la rhétorique (les sophistes dans l'Antiquité par exemple, comme Protagoras ou
Hippias lorsqu'ils mettaient leur art à profit dans les tribunaux pour défendre des accusés) peut user de la forme
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afin de mieux nous détourner du fond, soit en nous le faisant oublier par la beauté éloquente du discours, soit
en en orientant la réception. Ainsi, le contenu du discours pourra paraître pertinent et véridique alors que seule
la forme de celui-ci est plaisante et que le fond peut se révéler faux ou malsain (on pense par exemple au
discours d'un tribun politique incitant ses concitoyens à la guerre). Il pourra également paraître faux et sans
intérêt si la forme parvient à le déprécier (comme cela peut être le cas lors d'une plaidoirie qui cherche à
amoindrir des chefs d'accusation en les raillant)
.
Le sophiste grec Gorgias a particulièrement exposé cette puissance de la rhétorique capable de tromper les
hommes en les touchant sur le plan affectif et émotionnel : « Le discours est un tyran très puissant ; cet élément
matériel d'une extrême petitesse et totalement invisible porte à leur plénitude les œuvres divines : car la parole
peut faire cesser la peur, dissiper le chagrin, exciter la joie, accroître la pitié. » (Gorgias, Éloge d'Hélène).
Néanmoins, il semble bien que la rhétorique ne puisse être réduite uniquement à un art de l'illusion et qu'elle
puisse être au service de la vérité
.
Ainsi, la rhétorique peut permettre de donner une forme claire à un discours vrai. En effet, la rhétorique peut
être mise au service du contenu auquel elle donne une forme adéquate. L'ensemble d'une argumentation est
ainsi structuré de manière cohérente au moyen de la rhétorique : l'interlocuteur doit pouvoir saisir les
articulations logiques, comprendre le déroulement du raisonnement. Par l'emploi de connecteurs et d'habiles
transitions, le rhéteur fait ainsi progresser son argumentation vers une conclusion qui réaffirme la thèse avec
force et emporte définitivement l'adhésion de l'adversaire.
.
Toute argumentation s'appuie en effet sur une stratégie rhétorique, c'est-à-dire une démarche spécifiquement
choisie en fonction de la thèse à soutenir et de l'interlocuteur à convaincre. L'une des stratégies consiste
simplement à soutenir une thèse, en déployant des arguments qui en montrent le bien-fondé. Cette stratégie
peut être complétée par la réfutation de la thèse adverse : dans ce cas, le locuteur s'attache à dévaloriser, à
décrédibiliser les arguments qui s'opposent à son point de vue. Il emploie des contre-arguments et des contre-
exemples, souligne les faiblesses du raisonnement de l'adversaire. Il peut aussi ironiquement faire mine
d'adhérer totalement à la thèse adverse, qu'il développe dans ses moindres aspects pour mieux en montrer les
incohérences : l'interlocuteur est alors invité à s'apercevoir de lui-même que ce point de vue ne peut être
soutenu. Une autre stratégie peut consister à faire des concessions à la thèse adverse. Dans tous ces cas, la
rhétorique se met au service de la vérité du discours.
Ainsi, si la rhétorique peut s'avérer être un instrument de tromperie, elle peut aussi être un puissant moyen au
service de la vérité, qui peut toujours paradoxalement se retourner contre elle quand elle est pervertie.
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CONCLUSION GÉNÉRALE
La grande différence entre le langage humain et la communication animale réside dans les capacités
infiniment plus variées et complexes du langage humain. En ce sens, le langage articulé est bien le propre de
l’homme, sa différence spécifique. Chaque langue est un système de structuration qui fait ressortir tel aspect
du réel, organise et ordonne la pensée à sa façon. Le sens des mots est enfermé dans l’univers des mots, il
n’est pas dans les choses. On peut considérer que les mots désignent des genres et nous empêchent de voir les
choses dans leur singularité. Mais, en réalité, c’est par sa liberté même que le langage exprime l’âme du monde.
La pensée, en s’habillant de mots, en ayant recours à des images, s’aliène, mais en s’aliénant, elle s’approprie,
elle devient plus consciente et maîtresse d’elle-même. Dès lors, il n'y a pas de vie humaine, de prise de
conscience sans langage. De sorte que dire que nous sommes des êtres de langage et des êtres pour autrui est
une seule et même chose.
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