METIER DU DROIT - Le Mandataire Judiciaire
METIER DU DROIT - Le Mandataire Judiciaire
METIER DU DROIT - Le Mandataire Judiciaire
L'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a intégré dans son
acte uniforme la réglementation de la fonction des mandataires judiciaires. Il s'agit d'une
réglementation qui clarifie davantage les compétences des mandataires judiciaires dans le
redressement ou la liquidation des entreprises ou des sociétés en difficultés. Regard sur les
mandataires des procédures collectives.
Au sens de l’article 1-3 de l'Acte uniforme révisé sur les procédures collectives d'apurement du
passif (AUPC), l’expression « mandataire judiciaire » renvoie à l’expert au règlement préventif et au
syndic de redressement judiciaire ou de liquidation des biens. Jusqu’à la nouvelle règlementation,
les missions dévolues à cet organe central des procédures collectives étaient exercées dans un
certain flou, compromettant ainsi gravement l’avenir des entreprises qui pouvaient être redressées
ou sauvées. La nouvelle règlementation a mis en place un cadre juridique général qui permet
désormais d’avoir une lisibilité sur ses fonctions, ses obligations, sa rémunération et ses
responsabilités, ce cadre devant faire l’objet au niveau national d’un texte plus élaboré dans
chaque Etat partie. D’une manière générale, le socle mis en place par le législateur communautaire
définit de manière générale les conditions d’accès et d’exercice des fonctions de mandataire
judiciaire (1) ainsi que la rémunération du mandataire judiciaire (2).
A- CONDITIONS D’ACCES
Le législateur communautaire demande aux Etats parties d’exercer un contrôle, une supervision
des mandataires judiciaires opérant sur leur territoire, « au besoin en mettant en place à cet effet
une autorité nationale dont il fixe l’organisation, la composition et le fonctionnement ». Il s’agit en
réalité de mettre en place un organe chargé de contrôler l’accès et l’exercice des fonctions de
mandataire judiciaire, de prononcer et suivre l’application des sanctions disciplinaires et
globalement de mettre en place un code déontologique applicable à tous les mandataires
judiciaires inscrits. Cet organe devrait jouer pratiquement le même rôle que certains ordres
professionnels tel que l’Ordre des Avocats, l’Ordre des Experts comptables, la Chambre nationale
des Notaires etc... Bref, il s’agit d’une profession règlementée que ne pourront exercer que des
personnes en remplissant les conditions et préalablement inscrits sur une liste. Pour exercer la
profession de mandataire judiciaire, il faut être inscrit sur la liste nationale des mandataires
judiciaires. Cinq conditions sont requises pour être inscrit sur ladite liste, lesdites conditions
pouvant être rallongées par chaque Etat partie: avoir le plein exercice de ses droits civils et
civiques; n’avoir subi aucune sanction disciplinaire, une condamnation définitive à une peine
privative de liberté d’au moins 3 mois ou commis un délit contre les biens ou une infraction
économique ou financière; être expert-comptable ou habilité par la législation nationale; justifier
d’un domicile fiscal dans l’Etat Partie et être à jour de ses obligations fiscales; présenter des
garanties de moralité jugées suffisantes par l’autorité de supervision ou par la juridiction
compétente L’inscription sur cette liste qui est communiquée aux juridictions de l’Etat partie est
faite par décision de l’autorité nationale, susceptible de recours devant la juridiction compétente
en cas de refus d’inscription.
En France, la profession de mandataire judiciaire est exercée sous la férule du Centre National des
Administrateurs Judiciaires et des Mandataires Judiciaires (CNAJMJ). En revanche, dans l’espace
Ohada, l’Article 4-1 AUPC précise: « Nul ne peut être désigné en qualité d’expert au règlement
préventif ou de syndic dans une procédure de règlement préventif, de redressement judiciaire ou
de liquidation des biens s’il n’est inscrit sur la liste nationale des mandataires judiciaires ».
Rien n’interdit que les membres d’autres organisations professionnelles puissent être inscrits sur
cette liste, notamment les avocats, les notaires etc... Cela se déduit d’ailleurs des articles 4-4 « Les
mandataires judiciaires désignés doivent présenter toutes les garanties d'indépendance, de
neutralité et d'impartialité dans toute procédure collective. Ils ne doivent pas avoir ou tirer un
intérêt personnel, moral ou financier dans le mandat qui leur est confié, en dehors des dispositions
expressément prévues par le présent Acte uniforme ».
En dehors de sa mission telle que réglementée par le présent Acte uniforme, aucun mandataire
judiciaire ne peut représenter, ni conseiller l'une des parties, y compris le débiteur et ses
créanciers, dans une procédure collective dans laquelle il est désigné.
Ne peuvent notamment être désignées expert au règlement préventif ou syndic dans une
procédure collective les personnes physiques suivantes :
1°) les parents ou alliés du débiteur ou des créanciers jusqu'au quatrième degré inclusivement,
ainsi que des dirigeants de la personne morale en procédure collective ;
3°) les personnes physiques qui ont eu précédemment ou qui ont actuellement un différend avec
le débiteur ou un de ses créanciers ;
4°) les personnes physiques qui, au cours des trois (03) années précédant leur nomination, ont
perçu, à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, une rémunération de la part du
débiteur ou d'un de ses créanciers ;
5°) les personnes physiques qui se trouvent en situation de subordination ou ayant des liens
économiques avec le débiteur ou un de ses créanciers. Lorsqu'une personne est pressentie en vue
de sa nomination éventuelle en qualité de mandataire judiciaire dans une procédure collective, elle
signale au président de la juridiction compétente, sans délai, toute circonstance de nature à
soulever des doutes légitimes sur son indépendance, sa neutralité et son impartialité en vertu des
incompatibilités énoncées au présent article ainsi que celles visées à l'article 4-5 ci-dessous.
A cet égard, tout mandataire judiciaire doit signer une déclaration d'indépendance, de neutralité et
d'impartialité avant d'entrer en fonction dans une procédure collective, et s'engager à l'assumer en
toute responsabilité.
L’énumération des conditions telle qu’elle a été faite « se trouvent exclus de l’accès à la profession
de mandataire judiciaire les avocats ou les autres professions règlementées » est discutable au
moins deux raisons: d’abord, l’article 4-2 qui énumère les conditions d’accès à la profession
précise bien que chaque Etat partie peut ajouter des conditions supplémentaires, ce qui suppose
qu’il peut y être intégré d’autres corps de métiers en fonction des spécificités de l’Etat concerné.
Ensuite, la formulation des articles 4-4, 2°) et 4-9 alinéa 2 de l’AUPC permet de déduire que le
législateur communautaire lui-même n’exclut pas l’intégration d’autres corps de métiers tel l’ordre
des avocats.
REMUNERATION
Toutefois, les fonctions de mandataire judiciaire sont rémunérées. L’article 4-16 et 17 énonce que
le mandataire judiciaire est rémunéré sur le patrimoine du débiteur, cette rémunération étant fixée,
en fonction du barème mis en place par l’Etat partie, par la décision homologuant ou rejetant le
concordat préventif, ou mettant fin au règlement préventif. Le barème fixé tient compte de deux
critères principaux: le temps passé et le nombre de créanciers concernés par la procédure. L’Etat
partie peut ajouter des critères supplémentaires. En tout état de cause, il est tenu compte du
chiffre d’affaire du débiteur au cours de l’exercice précédent la procédure collective, du ratio de
recouvrement de créances, du temps passé et des difficultés éventuellement rencontrées, de la
célérité des diligences accomplie. Il convient de préciser que la juridiction qui désigne le
mandataire judiciaire peut lui allouer une provision sur sa rémunération qui ne peut excéder 40%
du montant prévisionnel. Il peut être prévu une rémunération forfaitaire du mandataire lorsque la
procédure collective est simplifiée. Toutefois, même en application du barème de rémunération
mis en place, la rémunération du mandataire judiciaire, dans les cas de liquidation des biens, ne
peut excéder 20% du montant total de la réalisation de l’actif du débiteur (art. 4-19).
SANCTIONS
Article 4-9
Outre l'interdiction provisoire qui peut être prononcée à l'encontre du mandataire judiciaire, les
mesures disciplinaires suivantes peuvent être prises :
1°) avertissement ;
3°) suspension d'exercer pour une durée qui ne peut excéder trois (03) années ;
4°) radiation de la liste nationale des mandataires judiciaires emportant interdiction définitive
d'exercer.
Ces sanctions sont notifiées au mandataire judiciaire concerné ainsi qu'à son instance
représentative, à l'ordre national des experts comptables et, le cas échéant, à l'ordre auquel il est
inscrit, ainsi qu'à toute autre organisation professionnelle dont le mandataire judiciaire fait partie
et au ministère public de l'État partie concerné.
UNIFORMISATION INACHEVÉE
Selon l’analyse Yvette Rachel Kalieu Elongo, professeur agrégée de droit privé, Université de
Dschang, cette uniformisation est inachevée. Pour l’enseignante, le droit Ohada n’a pas consacré
la profession de mandataires judicaires à l’image du droit français. Pourtant, il organise les
fonctions des différents organes non judicaires qui interviennent dans les procédures collectives
spécialement les syndics et experts que le nouvel Acte uniforme regroupe sous la qualification de
mandataires judiciaires. L’adoption de cet Acte uniforme le 10 septembre 2015 a été l’occasion de
l’uniformisation du statut de ces mandataires. On peut néanmoins constater que cette
uniformisation est inachevée. D’abord par l’introduction de la notion même de mandataires
judiciaires dans l’Acte uniforme. En effet, jusqu’à son intervention, divers organes jouaient le rôle
de mandataires en particulier celui du syndic sans pour autant être qualifiés comme tels. On
assistait à une diversité d’appellations : liquidateur, syndic liquidateur ou encore curateur dans le
cas de la RDC.
La catégorie des mandataires judiciaires telle que consacrée regroupe l'expert au règlement
préventif et le syndic des procédures de redressement judiciaire et de liquidation des biens à
l’exclusion du conciliateur. L’uniformisation du statut des mandataires est réalisée sur plusieurs
points. On assiste ainsi à une normalisation des conditions d’accès et d’exercice des fonctions de
mandataires, à l’encadrement de leur rémunération et à l’uniformisation de leur régime de
responsabilité.
Sur plus d’un point, l’uniformisation du statut des mandataires n’est pas totale. Il faut d’abord
relever la latitude laissée aux États dans la mise en place d’une autorité nationale de contrôle des
mandataires. Tel que rédigé, l’article 4 AUPCAP suggère une intervention simplement facultative
des États parties dans l’encadrement des autorités nationales. Pourtant, l’autorité nationale est
indispensable dans le processus d’encadrement et partant d’assainissement des mandataires. Elle
a en charge leur agrément, la fixation de leur rémunération et la mise en œuvre éventuellement, à
leur encontre, des sanctions disciplinaires. Aucun délai n’a été imparti pour la mise en place de
cette autorité. À ce jour, seuls quatre États membres sur les dix-sept sont déjà intervenus pour
mettre en place l’autorité de contrôle : Côte d'Ivoire, Sénégal, Burkina Faso et Mali.
Quand bien même l’autorité serait mise en place, le risque de disparités dans les différents statuts
est à craindre relativement à la qualité et au nombre de membres, aux procédures de désignation
des mandataires (critères ou exigences supplémentaires imposées en matière de qualification,
d’ancienneté, d’incompatibilité, etc.). Tout cela pourrait être préjudiciable à la cohérence
recherchée.
L’uniformisation du statut des mandataires connaît ensuite un léger frein avec la compétence
exclusive des États dans la fixation du barème de rémunération. Les articles 4-16 et suivants
prévoient une rémunération pour les services rendus. Cette rémunération varie en fonction du rôle
du mandataire (expert en règlement préventif, syndic de redressement ou de liquidation) et est
fixée par le juge. Mais celui-ci, est limité dans son imperium par l’obligation de respecter le barème
national qui doit être fixé réglementairement par chaque État partie. Or, peu d’États ont déjà fixé ce
barème. Tant que le barème national n’est pas fixé, il est à craindre que les juges, pour ne pas
paralyser les procédures, continuent à fixer à leur gré les rémunérations ce qui est loin de l’objectif
recherché. On peut au moins espérer qu’ils s’inspireront de plus en plus des éléments de
rémunération proposés par l’Acte uniforme et qui sont susceptibles de servir de boussole.
Enfin, la mise en œuvre de la responsabilité disciplinaire des mandataires telle que prévue serait
une compétence partagée entre les juges et les autorités nationales de contrôle. Une lecture
rigoureuse de l’acte uniforme amène à dire que la compétence de l’autorité nationale serait
concurrente à celle de l’autorité judiciaire. Pourtant certains États sont dans le sens d’une
compétence exclusive de l’autorité nationale. Les législations nationales qui ont été déjà mises en
place par les autorités nationales sont, du reste, allées dans ce sens en prévoyant dans les
compétences de cette autorité, la mise en œuvre de la responsabilité disciplinaire des
mandataires. Il faut se féliciter de cette option qui permet au moins de s’assurer que les sanctions
disciplinaires, lorsqu’elles s’imposent, seront effectivement prononcées.
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