Associe Mineur D'une Societe Civile Familiale Rev IP 2020 M. Bourassin
Associe Mineur D'une Societe Civile Familiale Rev IP 2020 M. Bourassin
Associe Mineur D'une Societe Civile Familiale Rev IP 2020 M. Bourassin
Manuella Bourassin
Les mineurs non émancipés ont la capacité de jouissance d’être associés au sein
d’une société civile en dépit de l’obligation indéfinie au passif social. Ils le sont
d’ailleurs fréquemment tant sont variées les voies d’entrée (§ 2), elliptiques les
règles du droit des sociétés et du droit des personnes à leur égard (§ 4, 23-25) et
attrayantes les réponses apportées à diverses attentes familiales – simplification
de la gestion des biens des mineurs (§ 7-12), optimisation civile et fiscale des
transmissions à titre gratuit à des descendants (§ 13-20). Il n’en reste pas moins
que l’incapacité d’exercice des associés mineurs appelle une représentation par
leurs parents (les deux ou un seul) ou par un tuteur, qui soulève de sérieuses
interrogations. Des solutions sont ici proposées pour résoudre les difficultés de
qualification des actes accomplis au nom du mineur associé (§ 22-30) et pour
traiter les conflits d’intérêts avec leurs représentants coassociés (§ 31-36).
Introduction
1. La dangerosité des sociétés civiles est connue - elle procède principalement
de la responsabilité indéfinie au passif social imposée par l’article 1857 du code
civil impliquant que les associés soient tenus des dettes de la société sur leur
patrimoine personnel, à proportion, non pas du montant de leurs apports, mais
au prorata des parts détenues dans le capital à la date d’exigibilité de la dette
ou au jour de la cessation des paiements1. La loi n’interdit pourtant pas aux
mineurs non émancipés2, donc juridiquement incapables, d’être associés au sein
d’une société civile3 dont l’objet, non commercial, ne contredit pas l’interdiction
d’exercice du commerce faite auxdits mineurs4.
1
Dangerosité certes atténuée par le caractère conjoint, et non solidaire, de cette obligation
au passif, qui est de surcroît subsidiaire par rapport aux poursuites que le créancier doit
d’abord exercer contre la société elle-même (C. civ., art. 1858).
2
Les mineurs émancipés (de plein droit par mariage – C. civ., art. 413-1 – ou sur demande à
partir de seize ans – C. civ., art. 413-2) ne seront pas étudiés ici, puisqu’ils sont capables,
comme les majeurs, d’accomplir seuls tous les actes de la vie civile (C. civ., art. 413-6).
3
Les textes qui instaurent des incapacités de jouissance, en interdisant aux représentants
légaux des mineurs d’accomplir certains actes au nom de celui-ci, même avec une
autorisation judiciaire (C. civ., art. 387-2 relatif à l’administration légale ; C. civ., art. 509
relatif à la tutelle), ne visent aucun acte afférent à la participation d’un mineur au sein
d’une société civile.
4
C. com., art. L. 121-2.
5
C. civ., art. 1870, al. 1er.
6
L’acceptation à concurrence de l'actif net n’est pas subordonnée à une autorisation
judiciaire préalable, car le successeur est seulement tenu dans la limite de l’actif recueilli. La
solution inverse a longtemps gouverné l’acceptation pure et simple, en conséquence de
laquelle l’héritier est tenu ultra vires successionis des dettes du défunt (telles les dettes de
la société dont il était associé). Le régime de cette dernière option successorale a été
assoupli par l’article 9 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (IP 2-2019, n° 4, § 24), au sein
de l’article 507-1 du code civil : le tuteur peut accepter la succession purement et
simplement « si l'actif dépasse manifestement le passif, après recueil d'une attestation du
notaire chargé du règlement de la succession ou, à défaut, après autorisation du conseil de
famille ou du juge ». Comme l’appréciation de l’actif et du passif successoral doit s’opérer
donation de parts sociales à un mineur ; l’acquisition à titre onéreux de parts
sociales au nom d’un mineur ; la création d’une société civile avec un mineur qui
obtient un nombre de parts proportionnel à son apport en nature ou en
numéraire.
Aucun de ces actes marquant l’entrée dans la société civile, non plus que les
différentes décisions jalonnant le fonctionnement de ce type de société ne font
partie des actes que la loi ou l’usage autorise un mineur non émancipé à
accomplir seul, faute de présenter un caractère courant et en l’absence d’une
pré-capacité en matière de société civile7. Par conséquent, la participation d’un
mineur non émancipé au sein de la société civile nécessite sa représentation, et
ce à peine de nullité relative du contrat de société lui-même ou des actes
postérieurs à sa constitution8.
3. Rappelons que les représentants légaux d’un mineur non émancipé sont soit
ses parents9 ou un seul des deux, ès qualité d’administrateur légal10, soit un
tuteur11.
Le régime de la tutelle, dans sa dimension patrimoniale, a été profondément
réformé par le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 selon lequel
l’autonomie du tuteur ou, à l’inverse, l’obligation qui lui incombe d’obtenir des
autorisations du conseil de famille ou du juge aux affaires familiales12 dépend de
la nature des actes à accomplir au nom du mineur : autonomie pour les actes
d’administration (ceux relatifs à la gestion courante du patrimoine) ;
autorisation des actes de disposition (ceux qui engagent le patrimoine de
manière durable et substantielle). Le décret de 2008 fournit des listes d’actes
de manière globale, la succession peut être acceptée purement et simplement alors que la
société dans laquelle le mineur devient associé est lourdement endettée.
7
La pré-capacité, à seize ans, ne concerne que les actes d'administration nécessaires à la
création et à la gestion d'une entreprise individuelle à responsabilité limitée ou d'une
société unipersonnelle (C. civ., art. 388-1-1 et 388-1-2).
8
C. civ., art. 1844-12.
9
C. civ., art. 382 et 382-1.
10
Parce qu’un seul lien de filiation a été établi ou que l’autre parent est décédé ou s’est vu
retirer l’autorité parentale (C. civ., art. 382).
11
« Lorsque le père et la mère sont tous deux décédés ou se trouvent privés de l'exercice de
l'autorité parentale » ou encore « à l'égard d'un enfant dont la filiation n'est pas légalement
établie » (C. civ., art. 390).
12
« Le juge aux affaires familiales exerce les fonctions de juge des tutelles des mineurs. Il
connaît […] 2° De l'administration légale et de la tutelle des mineurs » (COJ, art. L. 213-3-1,
entré en vigueur le 1er janvier 2010).
dont la qualification en actes d’administration ou de disposition est impérative
(annexe 1) et des listes d’actes considérés comme des actes d’administration ou
de disposition sauf circonstances d’espèce13 appréciées par le représentant légal
(annexe 2).
Le régime de l’administration légale a quant à lui été unifié par l’ordonnance n°
2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit
de la famille (entrée en vigueur le 1er janvier 2016 et applicable aux
administrations légales en cours), qui a supprimé la distinction datant de 1964
entre l’administration légale pure et simple, exercée en commun par les deux
parents, et l’administration sous contrôle judiciaire, exercée par le seul parent
titulaire de l’autorité parentale. Cette réforme s’inscrit dans le courant de
l’égalité entre toutes les formes de parentalité et aussi dans la mouvance
actuelle de déjudiciarisation du droit des personnes et de la famille.
L’ordonnance a en effet supprimé nombre de contrôles judiciaires et
corrélativement accru les pouvoirs des parents exerçant conjointement
l’administration légale et plus encore les pouvoirs du parent seul titulaire de
l’autorité parentale.
5. Cet encadrement législatif limité explique que l’entrée d’un mineur dans une
société civile soit relativement aisée et que la vie sociale ne soit pas
excessivement compliquée par la présence d’un mineur. Ainsi, l’association d’un
mineur dans une société civile répond-elle couramment à diverses attentes des
membres d’une même famille. Il n’en reste pas moins que la nécessaire
représentation des mineurs soulève de sérieuses interrogations. Seront dès lors
mises en exergue les réponses apportées par les sociétés civiles familiales
associant un mineur (I), puis les questions suscitées par la représentation des
mineurs associés (II).
15
Annexe 1, colonne 2 et annexe 2, colonne 2 (V. § 27).
16
Annexe 2, colonne 2 (V. § 28).
17
Pour des analyses critiques de la législation au croisement du droit des personnes et du
droit des sociétés, v. not. A. Cathelineau-Roulaud, Effets de la réglementation des
incapacités sur les sociétés : JCPN 2010, n° 37-38, p. 1275. - M.-H. Monsérié-Bon, Personnes
protégées : une articulation entre droit des sociétés et droit civil non satisfaisante : RLDC
2013, n° 103, étude, p. 61. – A.-F. Zattara-Gros, Appréciation de la classification des actes
en droit des sociétés : Droit et patrimoine 2016, n° 263, p. 55, et Le nouveau droit
applicable au mineur associé : vers un droit civil des sociétés ?, in Mél. H. Hovasse :
LexisNexis, 2016, p. 201.
18
Cf. M. Storck, S. Fagot, T. de Ravel d’Esclapon, Les sociétés civiles immobilières : LGDJ,
coll. Les intégrales, 2e éd., 2019, n° 7 et s.
particulièrement manifestes en présence de très jeunes associés, car la
structure sociétaire permet une simplification de la gestion des biens des
mineurs (A) et l’optimisation des transmissions aux descendants (B).
8. Le renforcement des pouvoirs du gérant par rapport à ceux que les associés
pourraient exercer en assemblée permet de contourner l’application des règles
de représentation du mineur associé lors des décisions collectives. Ce
renforcement procède de l’extension de l’objet social, puisque le gérant engage
la société, vis-à-vis des tiers, par les actes entrant dans l’objet social 20. La
rédaction large de celui-ci peut favoriser la conclusion d’actes de disposition par
le gérant (notamment des investissements par des opérations d’achat et de
revente) ou lui permettre de contracter des emprunts au nom de la société, et
ce sans vote des associés21. Cette éviction suppose cependant que l’objet social
ne soit pas limité aux opérations relatives à un seul immeuble, car la dissolution
de la société civile en cas de réalisation ou d’extinction de son objet 22,
spécialement en cas de vente de l’unique immeuble visé par les statuts,
nécessite l’accord des associés.
La simplification qui résulte d’une définition large de l’objet social et de
l’extension subséquente des pouvoirs du gérant présente une utilité particulière
19
Sur cette instrumentalisation, v. F. Julienne, Le mineur associé : RTD com. 2015, p. 199. -
P.-A. Soreau, La société civile : un outil au service de la gestion du patrimoine des mineurs :
APSP 2017, n° 3, dossier 24.
20
C. civ., art. 1849.
21
C. civ., art. 1852 a contrario.
22
C. civ., art. 1844-7, 2°.
en cas d’administration légale conjointe mais de séparation des parents, pour
permettre à l’un seul, ès qualité de gérant de la société, de prendre des
décisions qui auraient nécessité l’accord des deux parents si les biens du mineur
n’avaient pas été en société.
9. Une fois la société civile régulièrement constituée, les actes conclus en son
nom et pour son compte par le gérant ne sauraient être considérés comme des
actes passés par les associés qui la composent. Cet effet de la personnalité
morale, qualifié habituellement d’« écran », permet de réaliser plus simplement
les opérations qui, si elles étaient faites au nom d’un mineur, seraient soumises
à de strictes conditions de validité. L’emprunt en fournit l’exemple archétypal
puisque celui contracté au nom d’un mineur est subordonné à l’autorisation
préalable du conseil de famille ou du juge aux affaires familiales 23, tandis que
l’emprunt par une société comprenant un associé mineur n’est nullement
soumis à cette exigence. Un arrêt de principe de la première chambre civile de
la Cour de cassation du 14 janvier 2000 l’illustre clairement 24. Il y a été décidé
que « la capacité à s'engager de la SCI, personnalité distincte de celle des
associés, ne dépendait pas de la capacité de ses associés », pour en déduire que
l'emprunteur était la société, et non l’associé mineur, et écarter en
conséquence l’exigence d’autorisation préalable de l’emprunt par le conseil de
famille ou le juge des tutelles.
10. Les réformes survenues postérieurement à cet arrêt ont limité l’effet
d’écran de la personnalité morale dans le cadre d’une tutelle, mais pas en
matière d’administration légale.
En présence d’un mineur sous tutelle, la simplification liée à l’écran sociétaire
ne sera pas systématique, car une autorisation préalable est en principe
23
C. civ., art. 387-1. - Colonne 2 de l’annexe 2 du décret de 2008.
24
Cass. civ. 1re, 14 janv. 2000, n° 98-13.660 : Bull. civ. I, n° 187 : une SCI avait emprunté 8
millions de francs pour financer l'acquisition et les travaux de rénovation d'un immeuble. La
banque avait demandé le remboursement du prêt et poursuivi la vente de l'immeuble sur
saisie. La SCI arguait de l’annulation du prêt, en soutenant qu'à l'époque de sa conclusion,
le principal associé était encore mineur (détenteur de 96 % du capital social) et qu’une
autorisation préalable du juge des tutelles aurait dû être obtenue par son administratrice
légale.
nécessaire lorsqu’un emprunt par la société dont le mineur est associé figure à
l’ordre du jour d’une assemblée25 (décision collective qu’une définition large de
l’objet social peut néanmoins évincer26).
En matière d’administration légale, l’ordonnance du 15 octobre 2015 n’a pas
réglementé l’emprunt souscrit au nom d’une société au sein de laquelle le
mineur est associé. Par suite, l’administrateur légal unique ou les deux
administrateurs légaux peuvent voter en assemblée générale, au nom du
mineur, une résolution portant sur l’emprunt contracté par la société, sans
autorisation du juge, alors qu’il en résulte une obligation indéfinie de l’associé
mineur aux dettes nées de l’emprunt.
12. Notons que ce qui vient d’être exposé au sujet de l’emprunt vaut également
en cas de constitution d’une sûreté pour autrui par la société 29 ou de vente d’un
immeuble appartenant à celle-ci30.
29
L’article 387-1 du code civil exige que l’administrateur légal obtienne une autorisation
judiciaire afin de « constituer gratuitement une sûreté au nom du mineur pour garantir la
dette d'un tiers ». L’écran de la personnalité morale empêche d’étendre cette exigence aux
sûretés constituées par la société en garantie de la dette d’un tiers. Par conséquent, les
sûretés conclues par la société pour autrui font l’objet d’un vote par les administrateurs
légaux (vote par l’administrateur unique ou par chacun des parents exerçant en commun
l’autorité parentale), sans autorisation judiciaire préalable.
30
V. § 29.
1° Avantages civils
14. L’acquisition d’un immeuble par une société civile familiale permet aux
enfants de devenir propriétaires d’un actif à moindre coût, dès lors que leurs
apports sont modiques et que leurs parents financent l’investissement par un
apport en compte courant d’associé31.
2° Avantages fiscaux
16. Au-delà des avantages fiscaux généraux que procurent les sociétés civiles
31
Pour un exemple chiffré, v. P.-A. Soreau, préc., n° 31.
32
Cass. civ. 1re, 6 mars 2013, n° 11-21.892 : Bull. civ. I, n° 34. – Cass. civ. 1re, 20 nov. 2013, n°
12-25.681 : Bull. civ. I, n° 223.
33
Pour une illustration, v. P.-A. Soreau, préc., n° 35.
(notamment le choix des associés entre l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les
sociétés), la constitution précoce d’une société civile familiale, c'est-à-dire avec
des associés mineurs, est intéressante fiscalement à plusieurs égards 34.
Elle l’est vis-à-vis de l’imposition des plus-values immobilières dans la mesure où
l’exonération totale au-delà de la vingt-deuxième année de détention d’un
immeuble35 joue plus facilement en cas de placement en SCI ou d’acquisition
par la société, car la durée de détention se calcule alors à compter de la date de
souscription des parts sans tenir compte de la date d’entrée du bien immobilier
dans la société. Il est donc opportun de constituer la société le plus tôt possible,
sans attendre que tous les associés soient majeurs.
18. Qui plus est, les droits de mutation à titre gratuit peuvent être
singulièrement diminués en combinant société civile et démembrement de
propriété, c'est-à-dire en faisant porter la donation sur la nue-propriété des
parts sociales, puisque l’assiette d’imposition se trouve amputée de la valeur de
l’usufruit que le donateur se réserve – réduction d’autant plus importante que
le donateur usufruitier est jeune38 et donc que les enfants donataires sont
mineurs.
34
Pour des exemples chiffrés, Ibidem, n° 36 et s.
35
CGI, art. 150 VC.
36
CGI, art. 779.
37
CGI, art. 784.
38
CGI, art. 669.
petits-enfants issus d’un premier lit peuvent avoir sensiblement le même âge
que les enfants nés d’une nouvelle union).
1° Éléments du débat
40
J. Combret, Mineur et société civile : soyons vigilants ! : Defrénois 30 juin 2017, n° 12, p.
757.
41
D. n° 2008-1484, 22 déc. 2008, art. 1er, al. 3, et 2, al. 3.
tutelle, ainsi que d’administration légale conjointe où la délimitation des
pouvoirs des parents exerçant en commun l’autorité parentale demeure dans le
sillage des pouvoirs des tuteurs en dépit de la volonté des auteurs de
l’ordonnance du 15 octobre 2015 de rompre les liens entre l’administration
légale et la tutelle. En effet, l’article 382-1, alinéa 2 du code civil renvoie à la
liste des actes regardés comme des actes d’administration selon l’article 496
relatif à la tutelle, pour permettre aux parents de déterminer dans quels cas ils
ont le pouvoir d’agir seul, sans l’accord de l’autre. Il est vrai qu’un tel renvoi
exprès n’est pas opéré à l’égard des actes de disposition. Mais, en creux, l’article
496 et son décret d’application du 22 décembre 2008 continuent de dessiner le
champ des actes de disposition nécessitant l’intervention conjointe des
administrateurs légaux – dessin manquant malheureusement de netteté
compte tenu des lacunes précitées dudit décret.
25. Les incertitudes qui affectent la lettre des textes risquent de ne pas être
dissipées en s’attachant à leur esprit, tant la ratio legis est équivoque elle aussi.
En témoigne l’article 387-1 du code civil, issu de la réforme de l’administration
légale du 15 octobre 2015, dont l’interprétation stricte ou par analogie est
problématique. Cet article ambitionne de protéger les mineurs contre les actes
de disposition particulièrement graves par une autorisation préalable du juge
aux affaires familiales. Y est notamment visé l’apport en société d’un immeuble.
Le but du contrôle judiciaire vis-à-vis de cet apport est d’éviter une sous-
évaluation de la valeur du bien et, ce faisant, la conclusion d’un contrat de
société lésionnaire pour le mineur. Compte tenu de cet objectif de protection et
de la dangerosité de la société civile tenant à la responsabilité indéfinie des
associés au passif social, on pourrait soutenir que l’article 387-1 doit être
interprété a pari. Dans cette logique, requérir l’autorisation du juge avant de
conclure des actes non visés par l’article 387-1, mais occasionnant des dangers
semblables à ceux qui y figurent, ne traduirait pas un principe de précaution,
mais conditionnerait la validité même de ces actes. Un tel raisonnement par
analogie contredirait cependant un autre objectif au soubassement de
l’ordonnance de 2015, à savoir celui de déjudiciariser la gestion du patrimoine
des mineurs, ambition qui ne peut être satisfaite que par une interprétation
stricte des hypothèses dans lesquelles l’autorisation judiciaire préalable est
requise par l’article 387-1.
2° Propositions de solutions
26. Deux propositions de solutions seront avancées, l’une à propos de l’entrée
en société42, l’autre relative au fonctionnement de la société.
42
L’intégration résultant d’une donation de parts sociales ne sera pas développée, car elle
ne pose pas de problème épineux. Rappelons seulement que, si la donation n’est pas
grevée d’une charge, un parent ou le tuteur du mineur est autorisé à prendre seul la
décision d’acceptation, sans autorisation du conseil de famille ou du juge (D. n° 2008-1484,
22 déc. 2008, annexe 1, colonne 1 listant les actes d’administration). À l’inverse,
l’acceptation d’une donation avec charge nécessite une autorisation préalable (décret
préc., annexe 1, colonne 2 listant les actes de disposition). Or, la responsabilité indéfinie
aux dettes sociales ne constitue pas une charge, car ce passif n’est pas supporté en qualité
de donataire mais d’associé. L’autorisation judiciaire de l’acceptation de la donation de
parts sociales n’est donc pas nécessaire. Dans le cadre de l’administration légale,
l’acceptation peut émaner d’un seul des deux parents titulaires de l’autorité parentale (ce
qui est utile lorsque l’un d’eux est à la fois administrateur et donateur) ou de
l’administrateur légal unique. En faveur de ces solutions, v. not. F. Julienne, préc. - J.
Massip, Tutelle des mineurs et protection juridique des majeurs : Defrénois 2009, n° 666. -
M.-H. Monsérié-Bon, préc. - P.-A. Soreau, préc., n° 16.
43
C. civ., art. 387-2, 2°. - D. n° 2008-1484, 22 déc. 2008, annexe 1, colonne 2, qui vise en
outre l’apport en société d'instruments financiers non admis à la négociation sur un marché
réglementé.
44
Ainsi, le décret du 22 décembre 2008 classe-t-il « tout apport en société non visé à
l’annexe 1 » parmi les actes de disposition sauf circonstances d’espèce (annexe 2, colonne
2).
45
En faveur d’une telle différenciation, v. J. Delgado et J. Piedelièvre, Réflexions sur les
sociétés civiles face au mineur : JCPN 1995, p. 601, n° 13. - P.-A. Soreau, préc., n° 14.
prélèvement sur le capital du mineur, ce qui nécessiterait l’accord des deux
parents administrateurs légaux et, en matière de tutelle, une autorisation
préalable. Une telle différenciation fondée sur les caractéristiques de l’apport
ne nous paraît pas satisfaisante. De fait, l’appréciation in concreto qu’elle
implique constitue un facteur d’imprévisibilité guère compatible avec l’exigence
de sécurité qui anime aussi bien le droit des incapacités que celui des sociétés.
Au surplus, la prise en compte de la nature variable des apports occulte leur
effet commun, qui est d’intégrer un mineur dans une société à risque illimité.
L’éventuelle obligation indéfinie aux dettes sociales légitime la qualification
systématique en acte de disposition, en conséquence de laquelle tous les
apports en société autres que ceux couverts par l’article 387-1 du code civil
devraient reposer sur l’accord des deux parents du mineur et tous les apports
non visés dans l’annexe 1 du décret de 2008 ne sauraient être requalifiés par le
tuteur en actes d’administration. Ces solutions évitent la subjectivité et
l’insécurité d’une qualification différenciée. Elles présentent en outre le mérite
de mieux protéger les intérêts patrimoniaux des mineurs. Défendue par de
nombreux auteurs, spécialistes du droit des sociétés ou du droit des
personnes46, la qualification inconditionnelle des apports en société civile en
actes de disposition l’est également par le Comité de Coordination du Registre
du Commerce et des Sociétés47. La même logique devrait présider à la
qualification de l’acquisition à titre onéreux de parts sociales48.
46
V. not. F. Julienne, préc. - M. Laroche, Le mineur en société civile : Defrénois 15 janv.
2010, n° 1, p. 34. - P. Malaurie, Les personnes. La protection des mineurs et des majeurs :
Defrénois, 4e éd., 2009, n° 625. - J. Massip : Defrénois 30 nov. 2000, n° 22, p. 1315. - M.-H.
Monsérié-Bon, préc.
47
CCRCS, avis n° 2013-010, 27 mars 2013, qui qualifie l’acte d’apport ou d’acquisition de
parts sociales en acte de disposition et en déduit les vérifications à effectuer par le greffier
avant l’inscription de la société au RCS.
48
S. Lacroix-De Sousa et M. Robineau, La société civile immobilière et ses associés
vulnérables : Rev. sociétés 2017, p. 395, n° 31.
associés49. La vente d’un immeuble appartenant à la société en fait partie. Dès
lors qu’une telle vente immobilière figure à l’ordre du jour d’une assemblée 50, le
vote du tuteur est donc en principe subordonné à une autorisation du conseil de
famille ou du juge51.
57
Pour d’autres illustrations que celles ici développées, v. S. Lacroix-De Sousa et M.
Robineau, préc., n° 32. - B. Ryssen et J. Vautier, L’apport en société par un mineur et son
représentant légal : JCPN 1995, p. 372.
58
Ne sont pas concernées les réserves, ni les plus-values résultant de la vente des parts
sociales, car le droit de jouissance légale ne porte que sur les revenus et non sur le capital.
Les autres sources de conflits d’intérêts résident dans les pouvoirs que les
parents peuvent se ménager à côté de ceux que la loi leur attribue en qualité
d’administrateurs des biens du mineur. Il est fait ici référence aux pouvoirs
supplémentaires résultant de la gérance de la société, qui sont d’autant plus
importants que l’objet social est largement défini59. Or, il est très fréquent que
l’un des parents de l’associé mineur soit le gérant de la société civile familiale.
L’extension des pouvoirs des parents peut résulter, de surcroît, d’un
démembrement des parts sociales. En effet, la donation aux enfants de la seule
nue-propriété des parts peut entraîner un déséquilibre dans la gestion de la
société, au profit du ou des parents donateur(s) se réservant l’usufruit, si les
statuts prévoient l’exercice du droit de vote dans les assemblées par les
usufruitiers, comme le permet l’article 1844 du code civil60. Étant donné que la
donation de la nue-propriété des parts sociales emporte également un
déséquilibre dans la répartition annuelle des bénéfices, puisque le parent
usufruitier perçoit les dividendes, le risque de conflit d’intérêts est patent.
Se pose dès lors la question de leur traitement.
32. Des solutions curatives existent. Elles consistent à sanctionner les fautes de
gestion des parents en leur qualité, soit d’administrateur légal 61, soit de gérant
de la société62. A posteriori, la suppression d’une opposition d’intérêts est
également possible via une action en nullité relative dirigée contre le contrat de
société lui-même ou contre des actes conclus par la société en violation des
règles de représentation de l’associé mineur, et ce dans les cinq ans de sa
majorité63.
59
V. § 8.
60
Modifié par la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 (IP 3-2019, n° 3, § 6, comm. S. Godechot-
Patris et V. Streiff). Sur les conséquences de cette réforme, v. F. Julienne, Le mineur
associé : quelle protection ? : Defrénois 23 janv. 2020, p. 17.
61
C. civ., art. 386.
62
C. civ., art. 1850, al. 1er (responsabilité pour faute de gestion) et 1851 (révocation).
L’obligation faite au gérant de tenir une comptabilité du patrimoine de la société et de
rendre compte de sa gestion aux associés (C. civ., art. 1856) rend effectives ces sanctions.
Lorsque des biens du mineur sont mis en société, ces exigences présentent en outre
l’intérêt de pallier l’abrogation, par l’ordonnance du 15 octobre 2015, de l’obligation pour
l’administrateur légal de dresser un inventaire du patrimoine du mineur et d’établir un
compte de gestion (anc. art. 388-3 et 389-7).
63
C. civ., art. 1147, 1151, 1152, 1° et 1844-12.
33. À ces remèdes sont préférables les solutions qui évitent les atteintes aux
intérêts du mineur portées par ceux-là mêmes chargés de le représenter. Le
traitement préventif des conflits d’intérêts peut revêtir de nombreuses formes.
34. Certaines reposent sur l’intervention du juge64. Ainsi, « lorsque les intérêts
de l'administrateur légal unique ou, selon le cas, des deux administrateurs
légaux sont en opposition avec ceux du mineur », le juge peut nommer un
administrateur ad hoc, notamment à la demande du ministère public ou du
mineur, voire d’office65. Le juge peut également être saisi par « le ministère
public ou tout tiers66 ayant connaissance d'actes ou omissions qui
compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux
du mineur ou d'une situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci »67.
Par ailleurs, les contrôles judiciaires peuvent être accrus si, à l'occasion de celui
exercé sur le fondement de l’article 387-1 du code civil, notamment en cas
d’apport en société d’un immeuble appartenant au mineur, le juge décide qu'un
acte ou une série d'actes de disposition seront soumis à son autorisation
préalable68. L’article 387-3 précise que le juge peut prendre cette décision « s'il
l'estime indispensable à la sauvegarde des intérêts du mineur, en considération
[…] de sa situation familiale ». Ce critère d’appréciation peut recouvrir les
hypothèses d’opposition d’intérêts entre un mineur et ses administrateurs
légaux. Lors de ces différents contrôles a priori, le juge tient certainement
compte de l’existence de protections du mineur d’origine conventionnelle.
69
Cet objectif peut constituer l’« intérêt sérieux et légitime au regard de la personne de
l’héritier » que requiert l’article 812-1-1, alinéa 1er du code civil pour recourir valablement à
un mandat à effet posthume.
70
L’efficacité de cette obligation est cependant discutée du point de vue du droit des
sociétés (v. F. Julienne, préc.).
71
V. § 11.
72
Sur la qualification du retrait en acte de disposition ou d’administration, v. F. Julienne,
préc. - S. Lacroix-De Sousa et M. Robineau, préc., n° 50.
fonction du niveau d’endettement de la société par rapport au capital social ou
une clause permettant, au moment de la majorité, de confirmer ou non le
maintien dans la société.
M. BOURASSIN
73
Le droit et l’enfant, 91e Congrès des Notaires de France, Tours, 21-24 mai 1995, 4e
commission « La gestion du patrimoine », vœu n° 4.