Associe Mineur D'une Societe Civile Familiale Rev IP 2020 M. Bourassin

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L’associé mineur d’une société civile familiale

Manuella Bourassin

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Manuella Bourassin. L’associé mineur d’une société civile familiale. Ingénierie patrimoniale, 2020,
2020 (2). �hal-03001442�

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#Revue: Ingénierie patrimoniale, 2-2020, Avril 2020
#Typeart: Article dossier
#Date: 15 mars 2020
#Rubrique, ss-rubrique: Mode de détention du patrimoine, Ingénierie sociétaire
#Rubrique, ss-rubrique: Patrimoine des personnes protégées et du couple,
Patrimoine des personnes protégées
#Mots-clés : Société de personnes, Société civile, Incapacité, Associé mineur,
minorité, administration légale, tutelle, gestion, écran sociétaire, emprunt,
dettes sociales, optimisation, anticipation successorale, donation-partage,
démembrement, représentation légale, qualification, apports, vente de l’actif
social, conflit d’intérêts, aménagements statutaires
#Num art: 02.2

L’associé mineur d’une société civile familiale


#Auteur: Manuella BOURASSIN
#Qualités: Professeur à l’Université Paris Nanterre, Codirectrice du Master Droit notarial

Les mineurs non émancipés ont la capacité de jouissance d’être associés au sein
d’une société civile en dépit de l’obligation indéfinie au passif social. Ils le sont
d’ailleurs fréquemment tant sont variées les voies d’entrée (§ 2), elliptiques les
règles du droit des sociétés et du droit des personnes à leur égard (§ 4, 23-25) et
attrayantes les réponses apportées à diverses attentes familiales – simplification
de la gestion des biens des mineurs (§ 7-12), optimisation civile et fiscale des
transmissions à titre gratuit à des descendants (§ 13-20). Il n’en reste pas moins
que l’incapacité d’exercice des associés mineurs appelle une représentation par
leurs parents (les deux ou un seul) ou par un tuteur, qui soulève de sérieuses
interrogations. Des solutions sont ici proposées pour résoudre les difficultés de
qualification des actes accomplis au nom du mineur associé (§ 22-30) et pour
traiter les conflits d’intérêts avec leurs représentants coassociés (§ 31-36).

Introduction
1. La dangerosité des sociétés civiles est connue - elle procède principalement
de la responsabilité indéfinie au passif social imposée par l’article 1857 du code
civil impliquant que les associés soient tenus des dettes de la société sur leur
patrimoine personnel, à proportion, non pas du montant de leurs apports, mais
au prorata des parts détenues dans le capital à la date d’exigibilité de la dette
ou au jour de la cessation des paiements1. La loi n’interdit pourtant pas aux
mineurs non émancipés2, donc juridiquement incapables, d’être associés au sein
d’une société civile3 dont l’objet, non commercial, ne contredit pas l’interdiction
d’exercice du commerce faite auxdits mineurs4.

2. Leur participation au capital de sociétés civiles, particulièrement celles de


nature familiale, est d’ailleurs très fréquente, car les voies d’entrée sont
diverses, certaines étant accidentelles et subies, là où d’autres, plus
nombreuses, sont volontaires et maîtrisées. Quatre modes d’association
peuvent être distingués : la transmission à cause de mort de parts sociales à un
mineur5 dès lors que son représentant légal accepte la succession à concurrence
de l’actif net (ce qui est le principe), voire purement et simplement 6 ; la

1
Dangerosité certes atténuée par le caractère conjoint, et non solidaire, de cette obligation
au passif, qui est de surcroît subsidiaire par rapport aux poursuites que le créancier doit
d’abord exercer contre la société elle-même (C. civ., art. 1858).
2
Les mineurs émancipés (de plein droit par mariage – C. civ., art. 413-1 – ou sur demande à
partir de seize ans – C. civ., art. 413-2) ne seront pas étudiés ici, puisqu’ils sont capables,
comme les majeurs, d’accomplir seuls tous les actes de la vie civile (C. civ., art. 413-6).
3
Les textes qui instaurent des incapacités de jouissance, en interdisant aux représentants
légaux des mineurs d’accomplir certains actes au nom de celui-ci, même avec une
autorisation judiciaire (C. civ., art. 387-2 relatif à l’administration légale ; C. civ., art. 509
relatif à la tutelle), ne visent aucun acte afférent à la participation d’un mineur au sein
d’une société civile.
4
C. com., art. L. 121-2.
5
C. civ., art. 1870, al. 1er.
6
L’acceptation à concurrence de l'actif net n’est pas subordonnée à une autorisation
judiciaire préalable, car le successeur est seulement tenu dans la limite de l’actif recueilli. La
solution inverse a longtemps gouverné l’acceptation pure et simple, en conséquence de
laquelle l’héritier est tenu ultra vires successionis des dettes du défunt (telles les dettes de
la société dont il était associé). Le régime de cette dernière option successorale a été
assoupli par l’article 9 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (IP 2-2019, n° 4, § 24), au sein
de l’article 507-1 du code civil : le tuteur peut accepter la succession purement et
simplement « si l'actif dépasse manifestement le passif, après recueil d'une attestation du
notaire chargé du règlement de la succession ou, à défaut, après autorisation du conseil de
famille ou du juge ». Comme l’appréciation de l’actif et du passif successoral doit s’opérer
donation de parts sociales à un mineur ; l’acquisition à titre onéreux de parts
sociales au nom d’un mineur ; la création d’une société civile avec un mineur qui
obtient un nombre de parts proportionnel à son apport en nature ou en
numéraire.
Aucun de ces actes marquant l’entrée dans la société civile, non plus que les
différentes décisions jalonnant le fonctionnement de ce type de société ne font
partie des actes que la loi ou l’usage autorise un mineur non émancipé à
accomplir seul, faute de présenter un caractère courant et en l’absence d’une
pré-capacité en matière de société civile7. Par conséquent, la participation d’un
mineur non émancipé au sein de la société civile nécessite sa représentation, et
ce à peine de nullité relative du contrat de société lui-même ou des actes
postérieurs à sa constitution8.

3. Rappelons que les représentants légaux d’un mineur non émancipé sont soit
ses parents9 ou un seul des deux, ès qualité d’administrateur légal10, soit un
tuteur11.
Le régime de la tutelle, dans sa dimension patrimoniale, a été profondément
réformé par le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 selon lequel
l’autonomie du tuteur ou, à l’inverse, l’obligation qui lui incombe d’obtenir des
autorisations du conseil de famille ou du juge aux affaires familiales12 dépend de
la nature des actes à accomplir au nom du mineur : autonomie pour les actes
d’administration (ceux relatifs à la gestion courante du patrimoine) ;
autorisation des actes de disposition (ceux qui engagent le patrimoine de
manière durable et substantielle). Le décret de 2008 fournit des listes d’actes

de manière globale, la succession peut être acceptée purement et simplement alors que la
société dans laquelle le mineur devient associé est lourdement endettée.
7
La pré-capacité, à seize ans, ne concerne que les actes d'administration nécessaires à la
création et à la gestion d'une entreprise individuelle à responsabilité limitée ou d'une
société unipersonnelle (C. civ., art. 388-1-1 et 388-1-2).
8
C. civ., art. 1844-12.
9
C. civ., art. 382 et 382-1.
10
Parce qu’un seul lien de filiation a été établi ou que l’autre parent est décédé ou s’est vu
retirer l’autorité parentale (C. civ., art. 382).
11
« Lorsque le père et la mère sont tous deux décédés ou se trouvent privés de l'exercice de
l'autorité parentale » ou encore « à l'égard d'un enfant dont la filiation n'est pas légalement
établie » (C. civ., art. 390).
12
« Le juge aux affaires familiales exerce les fonctions de juge des tutelles des mineurs. Il
connaît […] 2° De l'administration légale et de la tutelle des mineurs » (COJ, art. L. 213-3-1,
entré en vigueur le 1er janvier 2010).
dont la qualification en actes d’administration ou de disposition est impérative
(annexe 1) et des listes d’actes considérés comme des actes d’administration ou
de disposition sauf circonstances d’espèce13 appréciées par le représentant légal
(annexe 2).
Le régime de l’administration légale a quant à lui été unifié par l’ordonnance n°
2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit
de la famille (entrée en vigueur le 1er janvier 2016 et applicable aux
administrations légales en cours), qui a supprimé la distinction datant de 1964
entre l’administration légale pure et simple, exercée en commun par les deux
parents, et l’administration sous contrôle judiciaire, exercée par le seul parent
titulaire de l’autorité parentale. Cette réforme s’inscrit dans le courant de
l’égalité entre toutes les formes de parentalité et aussi dans la mouvance
actuelle de déjudiciarisation du droit des personnes et de la famille.
L’ordonnance a en effet supprimé nombre de contrôles judiciaires et
corrélativement accru les pouvoirs des parents exerçant conjointement
l’administration légale et plus encore les pouvoirs du parent seul titulaire de
l’autorité parentale.

4. Au sein du décret de 2008 relatif à la tutelle et de l’ordonnance de 2015


réformant l’administration légale, aucun article ne porte précisément sur le
mineur membre d’une société civile. Quelques textes seulement visent les
sociétés en général ou, plus largement, les groupements dotés de la
personnalité morale. Ainsi, en matière d’administration légale, l’article 387-1 du
code civil, issu de l’ordonnance de 2015, vise-t-il parmi les actes de disposition
les plus graves soumis à autorisation judiciaire préalable l’apport en société d’un
immeuble appartenant au mineur, sans s’intéresser aux apports les plus
répandus sans doute, ceux en numéraire. Ce même décalage entre la loi et la
pratique s’observe au sujet des actes portant sur les droits sociaux, puisque
l’article 387-1 soumet à autorisation judiciaire ceux ayant pour objet les titres
de capital émis par les sociétés par actions, mais n’évoque nullement les actes,
tels un nantissement ou une cession, ayant pour assiette les parts sociales d’une
SARL ou d’une société civile, alors que ces parts sont courantes dans les
patrimoines privés14. Le décret du 22 décembre 2008 relatif à la tutelle
13
Tenant à « leurs conséquences importantes sur le contenu ou la valeur du patrimoine de
la personne protégée, sur les prérogatives de celle-ci ou sur son mode de vie » (D. n° 2008-
1484, 22 déc. 2008, art. 1er et 2).
14
Pour une critique du champ d’application trop restreint de l’article 387-1 du code civil, v.
J. Combret et A. Houis, Focus sur mineur et droit des sociétés : JCPN 2018, 1361.
comporte davantage de références aux apports en société15 et aux actes relatifs
aux groupements dotés de la personnalité morale, comme les principaux votes
en assemblée16. Toutefois, l’articulation entre le droit des mineurs et le droit
des sociétés est loin d’être exhaustive dans le premier corpus de règles et le
second éclaire moins encore les relations entre les deux matières, puisque les
articles 1845 et suivants du code civil gouvernant la société civile sont muets
quant à la participation d’un mineur17.

5. Cet encadrement législatif limité explique que l’entrée d’un mineur dans une
société civile soit relativement aisée et que la vie sociale ne soit pas
excessivement compliquée par la présence d’un mineur. Ainsi, l’association d’un
mineur dans une société civile répond-elle couramment à diverses attentes des
membres d’une même famille. Il n’en reste pas moins que la nécessaire
représentation des mineurs soulève de sérieuses interrogations. Seront dès lors
mises en exergue les réponses apportées par les sociétés civiles familiales
associant un mineur (I), puis les questions suscitées par la représentation des
mineurs associés (II).

I. Les réponses apportées par l’association d’un


mineur dans une société civile familiale
6. La société civile familiale présente deux vertus principales : faciliter la gestion
d’un patrimoine immobilier (en comparaison surtout avec la gestion en
indivision) et anticiper la transmission de ce patrimoine pour gagner en sécurité
et réduire la fiscalité des donations et successions18. Ces deux avantages sont

15
Annexe 1, colonne 2 et annexe 2, colonne 2 (V. § 27).
16
Annexe 2, colonne 2 (V. § 28).
17
Pour des analyses critiques de la législation au croisement du droit des personnes et du
droit des sociétés, v. not. A. Cathelineau-Roulaud, Effets de la réglementation des
incapacités sur les sociétés : JCPN 2010, n° 37-38, p. 1275. - M.-H. Monsérié-Bon, Personnes
protégées : une articulation entre droit des sociétés et droit civil non satisfaisante : RLDC
2013, n° 103, étude, p. 61. – A.-F. Zattara-Gros, Appréciation de la classification des actes
en droit des sociétés : Droit et patrimoine 2016, n° 263, p. 55, et Le nouveau droit
applicable au mineur associé : vers un droit civil des sociétés ?, in Mél. H. Hovasse :
LexisNexis, 2016, p. 201.
18
Cf. M. Storck, S. Fagot, T. de Ravel d’Esclapon, Les sociétés civiles immobilières : LGDJ,
coll. Les intégrales, 2e éd., 2019, n° 7 et s.
particulièrement manifestes en présence de très jeunes associés, car la
structure sociétaire permet une simplification de la gestion des biens des
mineurs (A) et l’optimisation des transmissions aux descendants (B).

A. Simplification de la gestion des biens des mineurs


7. La société civile peut être utilisée, pour ne pas dire instrumentalisée19, afin
d’éviter certaines formalités contraignantes entourant la gestion du patrimoine
des mineurs. La société civile est un outil de gestion simplifiée du patrimoine
d’un mineur, non seulement parce qu’une extension des pouvoirs du gérant de
la société autorise une réduction des pouvoirs des représentants légaux de
l’associé mineur (1°), et aussi grâce à l’écran de la personnalité morale (2°).

1° Extension des pouvoirs du gérant de la société

8. Le renforcement des pouvoirs du gérant par rapport à ceux que les associés
pourraient exercer en assemblée permet de contourner l’application des règles
de représentation du mineur associé lors des décisions collectives. Ce
renforcement procède de l’extension de l’objet social, puisque le gérant engage
la société, vis-à-vis des tiers, par les actes entrant dans l’objet social 20. La
rédaction large de celui-ci peut favoriser la conclusion d’actes de disposition par
le gérant (notamment des investissements par des opérations d’achat et de
revente) ou lui permettre de contracter des emprunts au nom de la société, et
ce sans vote des associés21. Cette éviction suppose cependant que l’objet social
ne soit pas limité aux opérations relatives à un seul immeuble, car la dissolution
de la société civile en cas de réalisation ou d’extinction de son objet 22,
spécialement en cas de vente de l’unique immeuble visé par les statuts,
nécessite l’accord des associés.
La simplification qui résulte d’une définition large de l’objet social et de
l’extension subséquente des pouvoirs du gérant présente une utilité particulière

19
Sur cette instrumentalisation, v. F. Julienne, Le mineur associé : RTD com. 2015, p. 199. -
P.-A. Soreau, La société civile : un outil au service de la gestion du patrimoine des mineurs :
APSP 2017, n° 3, dossier 24.
20
C. civ., art. 1849.
21
C. civ., art. 1852 a contrario.
22
C. civ., art. 1844-7, 2°.
en cas d’administration légale conjointe mais de séparation des parents, pour
permettre à l’un seul, ès qualité de gérant de la société, de prendre des
décisions qui auraient nécessité l’accord des deux parents si les biens du mineur
n’avaient pas été en société.

2° Écran de la personnalité morale

9. Une fois la société civile régulièrement constituée, les actes conclus en son
nom et pour son compte par le gérant ne sauraient être considérés comme des
actes passés par les associés qui la composent. Cet effet de la personnalité
morale, qualifié habituellement d’« écran », permet de réaliser plus simplement
les opérations qui, si elles étaient faites au nom d’un mineur, seraient soumises
à de strictes conditions de validité. L’emprunt en fournit l’exemple archétypal
puisque celui contracté au nom d’un mineur est subordonné à l’autorisation
préalable du conseil de famille ou du juge aux affaires familiales 23, tandis que
l’emprunt par une société comprenant un associé mineur n’est nullement
soumis à cette exigence. Un arrêt de principe de la première chambre civile de
la Cour de cassation du 14 janvier 2000 l’illustre clairement 24. Il y a été décidé
que « la capacité à s'engager de la SCI, personnalité distincte de celle des
associés, ne dépendait pas de la capacité de ses associés », pour en déduire que
l'emprunteur était la société, et non l’associé mineur, et écarter en
conséquence l’exigence d’autorisation préalable de l’emprunt par le conseil de
famille ou le juge des tutelles.

10. Les réformes survenues postérieurement à cet arrêt ont limité l’effet
d’écran de la personnalité morale dans le cadre d’une tutelle, mais pas en
matière d’administration légale.
En présence d’un mineur sous tutelle, la simplification liée à l’écran sociétaire
ne sera pas systématique, car une autorisation préalable est en principe

23
C. civ., art. 387-1. - Colonne 2 de l’annexe 2 du décret de 2008.
24
Cass. civ. 1re, 14 janv. 2000, n° 98-13.660 : Bull. civ. I, n° 187 : une SCI avait emprunté 8
millions de francs pour financer l'acquisition et les travaux de rénovation d'un immeuble. La
banque avait demandé le remboursement du prêt et poursuivi la vente de l'immeuble sur
saisie. La SCI arguait de l’annulation du prêt, en soutenant qu'à l'époque de sa conclusion,
le principal associé était encore mineur (détenteur de 96 % du capital social) et qu’une
autorisation préalable du juge des tutelles aurait dû être obtenue par son administratrice
légale.
nécessaire lorsqu’un emprunt par la société dont le mineur est associé figure à
l’ordre du jour d’une assemblée25 (décision collective qu’une définition large de
l’objet social peut néanmoins évincer26).
En matière d’administration légale, l’ordonnance du 15 octobre 2015 n’a pas
réglementé l’emprunt souscrit au nom d’une société au sein de laquelle le
mineur est associé. Par suite, l’administrateur légal unique ou les deux
administrateurs légaux peuvent voter en assemblée générale, au nom du
mineur, une résolution portant sur l’emprunt contracté par la société, sans
autorisation du juge, alors qu’il en résulte une obligation indéfinie de l’associé
mineur aux dettes nées de l’emprunt.

11. Pour réduire ce risque patrimonial, la troisième chambre civile de la Cour de


cassation a admis, dans un arrêt du 28 septembre 200527, que la responsabilité
de l’établissement prêteur puisse être engagée s’il ne s’est pas assuré que le
mineur bénéficiait de « la protection qui lui est due en raison de son état de
minorité ». La protection dont il s’agit ne réside pas dans l’obligation de solliciter
et d’obtenir une autorisation judiciaire, puisque la Haute juridiction a qualifié
d’« erroné » le motif des juges du fond relatif à une telle autorisation 28. Mais
alors, quelles protections doivent être mises en place pour éviter que la
responsabilité de l’établissement de crédit, voire du notaire recevant l’acte de
prêt, ne soit engagée ?
On pourrait songer à limiter, dans les statuts, l’obligation aux dettes sociales de
l’associé mineur au montant de son apport, le passif excédentaire pesant sur les
associés majeurs. Valable entre associés, une telle limitation n’est toutefois pas
opposable aux créanciers en raison de l’effet relatif des contrats et du caractère
d’ordre public de l’article 1857 du code civil gouvernant l’obligation à la dette
des associés. Certes, le créancier peut renoncer à exercer des poursuites contre
l’un des associés, spécialement un mineur, mais ce type de renonciation est
difficile à obtenir et elle ne saurait résulter d’une clause statutaire prévoyant
que le gérant ne pourra conclure un acte qu’après avoir obtenu la renonciation
du créancier à poursuivre l’associé mineur, clause pareillement inopposable au
25
La raison en est que la détermination du vote sur cet ordre du jour est qualifiée d’acte de
disposition sauf circonstances d’espèce par le décret de 2008 (annexe 2, colonne 2).
26
V. § 8.
27
Cass. civ. 3e, 28 sept. 2005, n° 04-14.756, D : une banque avait accordé un prêt à une SCI
dans laquelle deux enfants mineurs détenaient 20 % chacun du capital social.
28
Cela n’interdit cependant pas aux banques de la requérir, par prudence. Cette pratique
serait d’ailleurs fort répandue.
créancier (sa violation peut uniquement entraîner la responsabilité du gérant).
D’autres protections du mineur doivent donc être déployées et vérifiées avant
la conclusion d’un emprunt par la société. Il peut s’agir d’un aménagement de la
contribution aux dettes sociales, autorisé par l’article 1844-1, alinéa 1er du code
civil dans les relations entre associés, sous réserve du caractère léonin de la
clause d’inégalité de traitement en cas de transfert de la totalité des pertes à la
charge d’un associé (al. 2). De cette façon, la contribution aux pertes de
l’associé mineur peut être limitée à la valeur de ses apports ou à un autre
montant déterminé dans les statuts. La protection du mineur peut en outre
reposer sur l’engagement de ses parents de cautionner ou de se porter fort des
dettes éventuelles de leur enfant en qualité d’associé, assorti d’une assurance
décès-invalidité souscrite au profit de l’établissement accordant un crédit à la
société.
De telles stipulations ou conventions sauvegardent les intérêts patrimoniaux du
mineur et accroissent, bien souvent, les engagements de ses parents coassociés,
sans réduire le gain de simplicité dans la gestion des biens du mineur
qu’emporte la réalisation d’opérations, non pas en son nom, mais par la société
civile dont il est membre.

12. Notons que ce qui vient d’être exposé au sujet de l’emprunt vaut également
en cas de constitution d’une sûreté pour autrui par la société 29 ou de vente d’un
immeuble appartenant à celle-ci30.

B. Optimisation des transmissions aux descendants


13. La constitution d’une société civile familiale permet d’optimiser les
transmissions aux descendants au double plan civil (1°) et fiscal (2°).

29
L’article 387-1 du code civil exige que l’administrateur légal obtienne une autorisation
judiciaire afin de « constituer gratuitement une sûreté au nom du mineur pour garantir la
dette d'un tiers ». L’écran de la personnalité morale empêche d’étendre cette exigence aux
sûretés constituées par la société en garantie de la dette d’un tiers. Par conséquent, les
sûretés conclues par la société pour autrui font l’objet d’un vote par les administrateurs
légaux (vote par l’administrateur unique ou par chacun des parents exerçant en commun
l’autorité parentale), sans autorisation judiciaire préalable.
30
V. § 29.
1° Avantages civils

14. L’acquisition d’un immeuble par une société civile familiale permet aux
enfants de devenir propriétaires d’un actif à moindre coût, dès lors que leurs
apports sont modiques et que leurs parents financent l’investissement par un
apport en compte courant d’associé31.

15. En présence d’un ou plusieurs enfants mineurs, un autre montage est


particulièrement intéressant d’un point de vue civil, celui consistant à mettre en
société des biens avant la conclusion d’une donation-partage portant sur les
parts sociales. On le sait, la donation-partage présente de sérieux avantages par
rapport à une donation simple : elle n’est pas rapportable à la succession du
donateur et la valeur des biens donnés se trouve figée au jour de la donation-
partage de sorte que, pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible, il
n’y a pas à réévaluer les biens au jour de l’ouverture de la succession, ni à
reconstituer les emplois et remplois successifs des biens donnés avant le décès
du donateur. Ces atouts, en termes de sécurité juridique et de paix des familles,
se trouvent toutefois entravés lorsque les donataires ne reçoivent pas des droits
individualisés et que l’ascendant n’effectue donc pas une répartition matérielle
de ses biens entre ses descendants, autrement dit lorsqu’il n’y a pas de véritable
partage. En effet, depuis 2013, la Cour de cassation requalifie en donation
simple la donation-partage qui attribue seulement des droits indivis aux
gratifiés32. Cette jurisprudence ferme la voie de la donation-partage aux parents
qui n’ont pas autant de biens à donner qu’ils ont d’enfants, ainsi qu’aux parents
qui ne souhaitent donner qu’une partie d’un bien, souvent dans la limite de
l’abattement fiscal de 100 000 € par enfant et par parent. Apporter ces biens
dans une société civile permet de lever ces obstacles et de profiter des
avantages de la donation-partage, puisque cette libéralité peut alors avoir pour
assiette les parts sociales, qui sont des biens divis33.

2° Avantages fiscaux

16. Au-delà des avantages fiscaux généraux que procurent les sociétés civiles

31
Pour un exemple chiffré, v. P.-A. Soreau, préc., n° 31.
32
Cass. civ. 1re, 6 mars 2013, n° 11-21.892 : Bull. civ. I, n° 34. – Cass. civ. 1re, 20 nov. 2013, n°
12-25.681 : Bull. civ. I, n° 223.
33
Pour une illustration, v. P.-A. Soreau, préc., n° 35.
(notamment le choix des associés entre l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les
sociétés), la constitution précoce d’une société civile familiale, c'est-à-dire avec
des associés mineurs, est intéressante fiscalement à plusieurs égards 34.
Elle l’est vis-à-vis de l’imposition des plus-values immobilières dans la mesure où
l’exonération totale au-delà de la vingt-deuxième année de détention d’un
immeuble35 joue plus facilement en cas de placement en SCI ou d’acquisition
par la société, car la durée de détention se calcule alors à compter de la date de
souscription des parts sans tenir compte de la date d’entrée du bien immobilier
dans la société. Il est donc opportun de constituer la société le plus tôt possible,
sans attendre que tous les associés soient majeurs.

17. Anticiper les transmissions à titre gratuit est également profitable


fiscalement, car les abattements relatifs aux droits de mutation à titre gratuit
sont optimisés par des donations précoces, c'est-à-dire dès le plus jeune âge des
enfants gratifiés, et répétées. Effectivement, l’abattement de 100 000 € par
enfant et par parent36 se renouvèle tous les quinze ans37. Pour en bénéficier, il
convient donc d’étaler la transmission dans le temps, en l’occurrence par des
donations successives de parts sociales, les premières étant réalisées au profit
de mineurs.

18. Qui plus est, les droits de mutation à titre gratuit peuvent être
singulièrement diminués en combinant société civile et démembrement de
propriété, c'est-à-dire en faisant porter la donation sur la nue-propriété des
parts sociales, puisque l’assiette d’imposition se trouve amputée de la valeur de
l’usufruit que le donateur se réserve – réduction d’autant plus importante que
le donateur usufruitier est jeune38 et donc que les enfants donataires sont
mineurs.

19. Les gratifiés peuvent être aussi des petits-enfants. La donation-partage


transgénérationnelle de parts sociales permet d’associer au sein d’une société
civile familiale des descendants de degrés différents, éventuellement tous
mineurs (situation répandue dans le cadre des familles recomposées où les

34
Pour des exemples chiffrés, Ibidem, n° 36 et s.
35
CGI, art. 150 VC.
36
CGI, art. 779.
37
CGI, art. 784.
38
CGI, art. 669.
petits-enfants issus d’un premier lit peuvent avoir sensiblement le même âge
que les enfants nés d’une nouvelle union).

20. Si la transmission s’en trouve optimisée fiscalement et civilement et si


l’association dans la société permet par ailleurs de simplifier la gestion des biens
du mineur, il importe de reconnaître que la structure sociétaire n’apporte pas
que des réponses aux diverses attentes des membres d’une même famille. La
représentation de l’associé mineur soulève également de sérieuses questions.

II. Les questions suscitées par la représentation de


l’associé mineur
21. L’incapacité d’exercice des mineurs non émancipés appelle une
représentation qui soulève deux types de questions. Les unes concernent
l’étendue des pouvoirs des représentants légaux ; elles procèdent des difficultés
de qualification de divers actes liés à la participation du mineur à une société
civile (A). Les autres ont trait à la possible opposition entre les intérêts de
l’associé mineur représenté et ceux de ses représentants légaux, associés dans
la même société ; c’est alors le traitement de tels conflits d’intérêts qui
interroge (B).

A. Qualification des actes accomplis au nom du mineur


associé
22. Le manque de coordination entre le droit des mineurs et le droit des
sociétés39, non comblé par une jurisprudence peu nourrie au confluent de ces
deux matières, laisse planer de nombreux doutes sur la qualification des actes
39
Sur les insuffisances, à cet égard, de l’ordonnance du 15 octobre 2015, v. A. Batteur et T.
Douville, Présentation critique de la réforme de l’administration légale ; D. 2015, p. 2330. -
J. Combret et N. Baillon-Wirtz, Quand modernisation rime avec confusion : l’administration
légale selon l’ordonnance du 15 octobre 2015 : JCPN 2015, 1238. - N. Peterka,
Déjudiciarisation de l’administration légale et renforcement du rôle de la famille dans la
protection des majeurs : JCP 2015, act. 1160. - A.-F. Zattara-Gros, Le mineur en société
après l’ordonnance du 15 octobre 2015 : danger patrimonial ou sécurité patrimoniale :
Defrénois 30 sept. 2016, p. 938.
relatifs à la participation de mineurs au sein de sociétés civiles familiales,
partant sur les pouvoirs de leurs représentants légaux – insécurité juridique
préjudiciable aux mineurs, aux autres associés et aux partenaires économiques
de la société ; insécurité juridique risquant de compromettre les avantages
exposés précédemment. En cas d’administration légale, c’est au(x) parent(s)
qu’il revient de trancher les questions de qualification pour déterminer s’il(s)
peu(ven)t agir seul, c'est-à-dire l’un sans l’autre lorsque deux parents sont
administrateurs et, en tout état de cause, sans autorisation judiciaire. Dans le
cadre d’une tutelle, la charge de cette appréciation pèse sur le tuteur. Tous
devraient recevoir les conseils des professionnels du droit impliqués,
notamment les notaires, dont la vigilance est donc de mise40.
À l’attention de ces différents protagonistes, des solutions aux principales
difficultés de qualification seront avancées (2°) après avoir rappelé les éléments
du débat (1°).

1° Éléments du débat

23. La qualification de nombreux actes soumis à représentation est nébuleuse et


l’étendue des pouvoirs des représentants légaux manque conséquemment de
netteté, car la lettre des textes régissant l’administration légale et la tutelle est
incertaine. L’incertitude résulte de leur incomplétude, que le décret du 22
décembre 2008 reconnaît lui-même en précisant que les listes contenues dans
son annexe 2 - actes regardés comme d’administration (colonne 1) ou de
disposition (colonne 2) sauf circonstances d’espèce - ne sont pas exhaustives.
L’incertitude provient également de ces qualifications relatives, que l’annexe 2
du décret propose mais n’impose pas : la qualification inverse peut être
préférée par le tuteur au vu des circonstances d’espèce, c'est-à-dire selon les
« conséquences [faibles ou importantes de l’acte envisagé] sur le contenu ou la
valeur du patrimoine de la personne protégée, sur les prérogatives de celle-ci ou
sur son mode de vie »41. Ces critères subjectifs laissent aux représentants légaux
une marge d’appréciation importante, source de souplesse, certes, mais aussi
d’insécurité.

24. Toutes ces imprécisions réglementaires posent difficulté en matière de

40
J. Combret, Mineur et société civile : soyons vigilants ! : Defrénois 30 juin 2017, n° 12, p.
757.
41
D. n° 2008-1484, 22 déc. 2008, art. 1er, al. 3, et 2, al. 3.
tutelle, ainsi que d’administration légale conjointe où la délimitation des
pouvoirs des parents exerçant en commun l’autorité parentale demeure dans le
sillage des pouvoirs des tuteurs en dépit de la volonté des auteurs de
l’ordonnance du 15 octobre 2015 de rompre les liens entre l’administration
légale et la tutelle. En effet, l’article 382-1, alinéa 2 du code civil renvoie à la
liste des actes regardés comme des actes d’administration selon l’article 496
relatif à la tutelle, pour permettre aux parents de déterminer dans quels cas ils
ont le pouvoir d’agir seul, sans l’accord de l’autre. Il est vrai qu’un tel renvoi
exprès n’est pas opéré à l’égard des actes de disposition. Mais, en creux, l’article
496 et son décret d’application du 22 décembre 2008 continuent de dessiner le
champ des actes de disposition nécessitant l’intervention conjointe des
administrateurs légaux – dessin manquant malheureusement de netteté
compte tenu des lacunes précitées dudit décret.

25. Les incertitudes qui affectent la lettre des textes risquent de ne pas être
dissipées en s’attachant à leur esprit, tant la ratio legis est équivoque elle aussi.
En témoigne l’article 387-1 du code civil, issu de la réforme de l’administration
légale du 15 octobre 2015, dont l’interprétation stricte ou par analogie est
problématique. Cet article ambitionne de protéger les mineurs contre les actes
de disposition particulièrement graves par une autorisation préalable du juge
aux affaires familiales. Y est notamment visé l’apport en société d’un immeuble.
Le but du contrôle judiciaire vis-à-vis de cet apport est d’éviter une sous-
évaluation de la valeur du bien et, ce faisant, la conclusion d’un contrat de
société lésionnaire pour le mineur. Compte tenu de cet objectif de protection et
de la dangerosité de la société civile tenant à la responsabilité indéfinie des
associés au passif social, on pourrait soutenir que l’article 387-1 doit être
interprété a pari. Dans cette logique, requérir l’autorisation du juge avant de
conclure des actes non visés par l’article 387-1, mais occasionnant des dangers
semblables à ceux qui y figurent, ne traduirait pas un principe de précaution,
mais conditionnerait la validité même de ces actes. Un tel raisonnement par
analogie contredirait cependant un autre objectif au soubassement de
l’ordonnance de 2015, à savoir celui de déjudiciariser la gestion du patrimoine
des mineurs, ambition qui ne peut être satisfaite que par une interprétation
stricte des hypothèses dans lesquelles l’autorisation judiciaire préalable est
requise par l’article 387-1.

2° Propositions de solutions
26. Deux propositions de solutions seront avancées, l’une à propos de l’entrée
en société42, l’autre relative au fonctionnement de la société.

27. S’agissant de la création d’une société civile avec un mineur, la qualification


des apports consentis au nom de celui-ci n’est pas homogène : ceux portant sur
un immeuble ou un fonds de commerce appartenant au mineur reçoivent la
qualification impérative d’actes de disposition nécessitant une autorisation
préalable du juge ou du conseil de famille43 ; à l’égard des autres apports en
nature, ainsi que des apports en numéraire, certainement les plus fréquents, ni
le code civil ni le décret de 2008 n’imposent une qualification44. La solution
pourrait varier en fonction du type et du montant de l’apport45 : la qualification
d’acte d’administration pourrait s’appliquer aux apports en numéraire,
spécialement ceux de faible montant et/ou provenant d’une donation familiale,
ce qui permettrait aux administrateurs légaux de l’accomplir seul et à un tuteur
de ne pas requérir d’autorisation ; la qualification d’acte de disposition pourrait
être privilégiée vis-à-vis d’un apport en nature portant sur un meuble d’une
valeur importante ou d’un apport en numéraire effectué au moyen d’un

42
L’intégration résultant d’une donation de parts sociales ne sera pas développée, car elle
ne pose pas de problème épineux. Rappelons seulement que, si la donation n’est pas
grevée d’une charge, un parent ou le tuteur du mineur est autorisé à prendre seul la
décision d’acceptation, sans autorisation du conseil de famille ou du juge (D. n° 2008-1484,
22 déc. 2008, annexe 1, colonne 1 listant les actes d’administration). À l’inverse,
l’acceptation d’une donation avec charge nécessite une autorisation préalable (décret
préc., annexe 1, colonne 2 listant les actes de disposition). Or, la responsabilité indéfinie
aux dettes sociales ne constitue pas une charge, car ce passif n’est pas supporté en qualité
de donataire mais d’associé. L’autorisation judiciaire de l’acceptation de la donation de
parts sociales n’est donc pas nécessaire. Dans le cadre de l’administration légale,
l’acceptation peut émaner d’un seul des deux parents titulaires de l’autorité parentale (ce
qui est utile lorsque l’un d’eux est à la fois administrateur et donateur) ou de
l’administrateur légal unique. En faveur de ces solutions, v. not. F. Julienne, préc. - J.
Massip, Tutelle des mineurs et protection juridique des majeurs : Defrénois 2009, n° 666. -
M.-H. Monsérié-Bon, préc. - P.-A. Soreau, préc., n° 16.
43
C. civ., art. 387-2, 2°. - D. n° 2008-1484, 22 déc. 2008, annexe 1, colonne 2, qui vise en
outre l’apport en société d'instruments financiers non admis à la négociation sur un marché
réglementé.
44
Ainsi, le décret du 22 décembre 2008 classe-t-il « tout apport en société non visé à
l’annexe 1 » parmi les actes de disposition sauf circonstances d’espèce (annexe 2, colonne
2).
45
En faveur d’une telle différenciation, v. J. Delgado et J. Piedelièvre, Réflexions sur les
sociétés civiles face au mineur : JCPN 1995, p. 601, n° 13. - P.-A. Soreau, préc., n° 14.
prélèvement sur le capital du mineur, ce qui nécessiterait l’accord des deux
parents administrateurs légaux et, en matière de tutelle, une autorisation
préalable. Une telle différenciation fondée sur les caractéristiques de l’apport
ne nous paraît pas satisfaisante. De fait, l’appréciation in concreto qu’elle
implique constitue un facteur d’imprévisibilité guère compatible avec l’exigence
de sécurité qui anime aussi bien le droit des incapacités que celui des sociétés.
Au surplus, la prise en compte de la nature variable des apports occulte leur
effet commun, qui est d’intégrer un mineur dans une société à risque illimité.
L’éventuelle obligation indéfinie aux dettes sociales légitime la qualification
systématique en acte de disposition, en conséquence de laquelle tous les
apports en société autres que ceux couverts par l’article 387-1 du code civil
devraient reposer sur l’accord des deux parents du mineur et tous les apports
non visés dans l’annexe 1 du décret de 2008 ne sauraient être requalifiés par le
tuteur en actes d’administration. Ces solutions évitent la subjectivité et
l’insécurité d’une qualification différenciée. Elles présentent en outre le mérite
de mieux protéger les intérêts patrimoniaux des mineurs. Défendue par de
nombreux auteurs, spécialistes du droit des sociétés ou du droit des
personnes46, la qualification inconditionnelle des apports en société civile en
actes de disposition l’est également par le Comité de Coordination du Registre
du Commerce et des Sociétés47. La même logique devrait présider à la
qualification de l’acquisition à titre onéreux de parts sociales48.

28. En ce qui concerne le fonctionnement de la société, plus précisément ce qui


ressortit aux décisions collectives, une évolution sous-tendue par la volonté de
renforcer la protection des mineurs associés a été réalisée par le décret du 22
décembre 2008. Auparavant, l’exercice du droit de vote dans les assemblées
était considéré comme un acte d’administration. Le décret de 2008 a retenu la
qualification d’acte de disposition sauf circonstances d’espèce au sujet des
votes portant sur les opérations les plus importantes pour la société et les

46
V. not. F. Julienne, préc. - M. Laroche, Le mineur en société civile : Defrénois 15 janv.
2010, n° 1, p. 34. - P. Malaurie, Les personnes. La protection des mineurs et des majeurs :
Defrénois, 4e éd., 2009, n° 625. - J. Massip : Defrénois 30 nov. 2000, n° 22, p. 1315. - M.-H.
Monsérié-Bon, préc.
47
CCRCS, avis n° 2013-010, 27 mars 2013, qui qualifie l’acte d’apport ou d’acquisition de
parts sociales en acte de disposition et en déduit les vérifications à effectuer par le greffier
avant l’inscription de la société au RCS.
48
S. Lacroix-De Sousa et M. Robineau, La société civile immobilière et ses associés
vulnérables : Rev. sociétés 2017, p. 395, n° 31.
associés49. La vente d’un immeuble appartenant à la société en fait partie. Dès
lors qu’une telle vente immobilière figure à l’ordre du jour d’une assemblée 50, le
vote du tuteur est donc en principe subordonné à une autorisation du conseil de
famille ou du juge51.

29. Quid dans l’administration légale ? En application de la législation antérieure


à l’ordonnance du 15 octobre 2015, un arrêt de la première chambre civile de la
Cour de cassation en date du 17 mai 201752 a clairement fait prévaloir la
protection de l’associé mineur qui, en l’espèce, était représenté par sa mère,
administratrice légale unique sous contrôle judiciaire53. La Haute juridiction a
rappelé la nullité de l'acte de vente immobilière non autorisé par le juge des
tutelles préalablement à la délibération des associés de la SCI, et censuré l’arrêt
d’appel pour avoir fait jouer l’exception du mandat apparent 54. Cette solution
est lourde de conséquences pour les acquéreurs et sous-acquéreurs de
l’immeuble, car la nullité de la vente non autorisée emporte celle des
alinéations ultérieures. Elle l’est aussi pour les notaires recevant la vente d’un
bien immobilier appartenant à une société civile55 qui pourraient voir leur
responsabilité engagée. Cette jurisprudence devrait toutefois rester cantonnée
aux opérations antérieures au 1er janvier 2016. En effet, sous l’empire de
l’ordonnance du 15 octobre 2015, les administrateurs légaux n’ont
certainement plus à requérir une autorisation judiciaire en cas de vote portant
sur ce type de vente - aucun contrôle, donc, de l’administrateur unique et, en
cas d’administration légale commune, l’accord des deux parents serait
nécessaire mais suffisant. Cet assouplissement, relevé par la doctrine comme
par le CRIDON de Paris56, se justifie par la déjudiciarisation souhaitée par les
auteurs de la réforme de 2015 et consacrée par l’article 387-1 du code civil,
49
V. les ordres du jour listés dans la colonne 2 de l’annexe 2.
50
Ce qui est une obligation si elle ne relève pas de l’objet social (C. civ., art. 1852).
51
Sous réserve des circonstances d’espèce, telle la faible valeur de l’immeuble en
comparaison des autres actifs de la SCI ou la destination du produit de la vente à
l’acquisition d’un bien de même nature.
52
Cass. civ. 1re, 17 mai 2017, n° 15-24.840, P.
53
Le père était décédé et les parts de SCI dont il était propriétaire avaient été transmises à
ses deux enfants mineurs.
54
L'acquéreur avait contracté dans la croyance erronée que le gérant de la SCI avait le
pouvoir de consentir à la vente de l’immeuble appartenant à la société.
55
J. Combret, Mineur et société civile : soyons vigilants !, préc.
56
V. not. J. Combret, préc. -F. Julienne, préc. - Bull. CRIDON Paris 2015, n° 23, L.
Waitzenegger.
dans lequel est visée la vente d’un immeuble appartenant au mineur et non
celle portant sur un immeuble de la société dont le mineur est membre. Il est
cohérent que l’interprétation stricte de la lettre de la loi et l’objectif de
déjudiciarisation l’emportent sur la volonté de limiter les atteintes au
patrimoine du mineur chaque fois que les décisions collectives ne constituent
pas une source d’appauvrissement ou d’endettement, ce qui est le cas de la
vente d’un actif de la société.

30. En définitive, il nous semble qu’en privilégiant la qualification d’acte de


disposition à l’égard des actes marquant l’entrée du mineur dans la société
(apports ; acquisitions à titre onéreux de parts sociales) et en limitant les
contrôles judiciaires en amont des assemblées d’associés, un équilibre
satisfaisant est trouvé entre l’impératif de protection des mineurs et l’exigence
de fluidité du fonctionnement de la société.

B. Traitement des conflits d’intérêts entre le mineur


représenté et les représentants associés
31. Bien que l’article 385 du code civil impose aux administrateurs légaux
« d’apporter dans la gestion des biens du mineur des soins prudents, diligents et
avisés, dans le seul intérêt du mineur », une opposition entre les intérêts du
mineur et ceux de ses représentants, eux-mêmes associés, n’a rien
d’invraisemblable tant les causes de conflit sont diverses57.
Un risque de conflit naît de la loi elle-même lorsque le mineur a moins de seize
ans. Dans cette hypothèse, répandue, un droit de jouissance sur les revenus des
biens de l’enfant est accordé par le code civil aux deux parents ou à celui ayant
seul la charge de l’administration légale. Parce que les parents jouissent des
bénéfices sociaux distribués58, le risque existe que les décisions relatives à
l’intégration de leur enfant de moins de seize ans dans une société civile ne
soient davantage dictées par cette perspective pécuniaire que par l’intérêt du
mineur.

57
Pour d’autres illustrations que celles ici développées, v. S. Lacroix-De Sousa et M.
Robineau, préc., n° 32. - B. Ryssen et J. Vautier, L’apport en société par un mineur et son
représentant légal : JCPN 1995, p. 372.
58
Ne sont pas concernées les réserves, ni les plus-values résultant de la vente des parts
sociales, car le droit de jouissance légale ne porte que sur les revenus et non sur le capital.
Les autres sources de conflits d’intérêts résident dans les pouvoirs que les
parents peuvent se ménager à côté de ceux que la loi leur attribue en qualité
d’administrateurs des biens du mineur. Il est fait ici référence aux pouvoirs
supplémentaires résultant de la gérance de la société, qui sont d’autant plus
importants que l’objet social est largement défini59. Or, il est très fréquent que
l’un des parents de l’associé mineur soit le gérant de la société civile familiale.
L’extension des pouvoirs des parents peut résulter, de surcroît, d’un
démembrement des parts sociales. En effet, la donation aux enfants de la seule
nue-propriété des parts peut entraîner un déséquilibre dans la gestion de la
société, au profit du ou des parents donateur(s) se réservant l’usufruit, si les
statuts prévoient l’exercice du droit de vote dans les assemblées par les
usufruitiers, comme le permet l’article 1844 du code civil60. Étant donné que la
donation de la nue-propriété des parts sociales emporte également un
déséquilibre dans la répartition annuelle des bénéfices, puisque le parent
usufruitier perçoit les dividendes, le risque de conflit d’intérêts est patent.
Se pose dès lors la question de leur traitement.

32. Des solutions curatives existent. Elles consistent à sanctionner les fautes de
gestion des parents en leur qualité, soit d’administrateur légal 61, soit de gérant
de la société62. A posteriori, la suppression d’une opposition d’intérêts est
également possible via une action en nullité relative dirigée contre le contrat de
société lui-même ou contre des actes conclus par la société en violation des
règles de représentation de l’associé mineur, et ce dans les cinq ans de sa
majorité63.

59
V. § 8.
60
Modifié par la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 (IP 3-2019, n° 3, § 6, comm. S. Godechot-
Patris et V. Streiff). Sur les conséquences de cette réforme, v. F. Julienne, Le mineur
associé : quelle protection ? : Defrénois 23 janv. 2020, p. 17.
61
C. civ., art. 386.
62
C. civ., art. 1850, al. 1er (responsabilité pour faute de gestion) et 1851 (révocation).
L’obligation faite au gérant de tenir une comptabilité du patrimoine de la société et de
rendre compte de sa gestion aux associés (C. civ., art. 1856) rend effectives ces sanctions.
Lorsque des biens du mineur sont mis en société, ces exigences présentent en outre
l’intérêt de pallier l’abrogation, par l’ordonnance du 15 octobre 2015, de l’obligation pour
l’administrateur légal de dresser un inventaire du patrimoine du mineur et d’établir un
compte de gestion (anc. art. 388-3 et 389-7).
63
C. civ., art. 1147, 1151, 1152, 1° et 1844-12.
33. À ces remèdes sont préférables les solutions qui évitent les atteintes aux
intérêts du mineur portées par ceux-là mêmes chargés de le représenter. Le
traitement préventif des conflits d’intérêts peut revêtir de nombreuses formes.

34. Certaines reposent sur l’intervention du juge64. Ainsi, « lorsque les intérêts
de l'administrateur légal unique ou, selon le cas, des deux administrateurs
légaux sont en opposition avec ceux du mineur », le juge peut nommer un
administrateur ad hoc, notamment à la demande du ministère public ou du
mineur, voire d’office65. Le juge peut également être saisi par « le ministère
public ou tout tiers66 ayant connaissance d'actes ou omissions qui
compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux
du mineur ou d'une situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci »67.
Par ailleurs, les contrôles judiciaires peuvent être accrus si, à l'occasion de celui
exercé sur le fondement de l’article 387-1 du code civil, notamment en cas
d’apport en société d’un immeuble appartenant au mineur, le juge décide qu'un
acte ou une série d'actes de disposition seront soumis à son autorisation
préalable68. L’article 387-3 précise que le juge peut prendre cette décision « s'il
l'estime indispensable à la sauvegarde des intérêts du mineur, en considération
[…] de sa situation familiale ». Ce critère d’appréciation peut recouvrir les
hypothèses d’opposition d’intérêts entre un mineur et ses administrateurs
légaux. Lors de ces différents contrôles a priori, le juge tient certainement
compte de l’existence de protections du mineur d’origine conventionnelle.

35. Il s’agit là de l’autre source de traitement préventif des conflits d’intérêts.


Elle est également protéiforme.
La volonté tendue vers l’éviction d’un éventuel conflit peut émaner d’une
personne qui ne participera pas à la société en même temps que l’associé
mineur et son ou ses représentants légaux. Tel est le cas lorsqu’une donation ou
un legs de parts sociales au mineur est consenti sous condition expresse de
l’administration par un tiers des biens transmis. Cette clause d’exclusion de
l’administration légale, autorisée par l’article 384 du code civil, prive les parents
64
H. Lansiaux-Mornet, Du juge du danger patrimonial : AJ fam. 2016, p. 364.
65
C. civ., art. 383.
66
Tel un notaire.
67
C. civ., art. 387-3, al. 2.
68
En l'absence d'une mesure de publicité de cette décision, les tiers, notamment les
notaires, risquent de ne pas en être informés. Sur les conséquences pratiques et effets
pervers en résultant, v. J. Combret et N. Baillon-Wirtz, préc., n° 18.
administrateurs de la gestion et de la jouissance des parts de la société civile.
Des conflits d’intérêts peuvent être déjoués de cette façon. Dans la même
perspective, un autre mode de gestion peut être utilisé par la personne qui
anticipe la transmission à cause de mort de ses parts sociales à un mineur, à
savoir le mandat à effet posthume. Il permet de renforcer la protection des
intérêts du mineur69 en limitant les pouvoirs des administrateurs légaux,
puisque le droit de vote en assemblée est alors confié au mandataire.
La volonté de mieux protéger l’associé mineur et de prévenir des conflits
d’intérêts avec ses représentants peut par ailleurs s’exprimer au sein du contrat
de société, dont l’aménagement est favorisé par la place limitée des règles
impératives en matière de société civile. Diverses stipulations peuvent être
prévues à cette fin, notamment sur les conseils du notaire chargé de la
rédaction des statuts. Certaines clauses concernent la gérance de la société. Elle
peut être dévolue à une ou plusieurs personnes autres que l’administrateur
légal. Les pouvoirs du gérant peuvent être limités et, corrélativement, ceux de
l’ensemble des associés peuvent être accrus par une définition étroite de l’objet
social et une extension des décisions soumises à l’unanimité. Les contrôles
portant sur l’action du ou des gérants de la société peuvent être renforcés par
une obligation statutaire de recourir à un commissaire aux comptes et/ou par
l’obligation d’obtenir l’autorisation judiciaire préalable vis-à-vis d’actes graves
non visés par l’article 387-1 du code civil, ni dans l’annexe 1 du décret de
200870. D’autres aménagements statutaires peuvent porter sur les droits
financiers dans la mesure où le principe de proportionnalité de la quote-part
des bénéfices aux apports n’est pas d’ordre public. Ainsi, les droits financiers
des parents associés peuvent-ils être réduits. À l’inverse, leur contribution au
passif social peut être accrue par des clauses statutaires efficaces dans les
rapports entre associés, ainsi que par des engagements de garantir les dettes
dont leur enfant mineur serait débiteur en qualité d’associé 71. Le renforcement
de la protection du mineur pourrait encore résulter de stipulations l’autorisant à
sortir de la société, par exemple une clause de retrait de l’associé mineur72

69
Cet objectif peut constituer l’« intérêt sérieux et légitime au regard de la personne de
l’héritier » que requiert l’article 812-1-1, alinéa 1er du code civil pour recourir valablement à
un mandat à effet posthume.
70
L’efficacité de cette obligation est cependant discutée du point de vue du droit des
sociétés (v. F. Julienne, préc.).
71
V. § 11.
72
Sur la qualification du retrait en acte de disposition ou d’administration, v. F. Julienne,
préc. - S. Lacroix-De Sousa et M. Robineau, préc., n° 50.
fonction du niveau d’endettement de la société par rapport au capital social ou
une clause permettant, au moment de la majorité, de confirmer ou non le
maintien dans la société.

36. De tels aménagements statutaires sont susceptibles de fragiliser les droits


des autres associés, voire des partenaires économiques de la société. Il s’agit
aujourd'hui du prix à payer pour que la société civile familiale soit un outil de
gestion et de transmission patrimoniale à la fois efficace et respectueux de
l’intérêt de l’associé mineur. Il en irait autrement si le législateur acceptait de
satisfaire un vœu formulé en 1995 déjà par le Congrès des Notaires, celui de
voir « la responsabilité d'un mineur dans une société civile limitée au montant de
son apport »73.

M. BOURASSIN

73
Le droit et l’enfant, 91e Congrès des Notaires de France, Tours, 21-24 mai 1995, 4e
commission « La gestion du patrimoine », vœu n° 4.

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