Etude CREDIF 20 02 2019

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Les représentations sociales des violences faites

aux femmes chez les hommes, jeunes et adultes


Table des matières
Chapitre 1 : Préliminaires introductifs ...................................................................................................1
1.1. Introduction ...................................................................................................................................2
1.2. Présentation de la méthodologie de l’enquête ............................................................................2
1.3. Présentation des régions de l’étude ..............................................................................................2
1.4. Déroulement et limite de l’étude ...........................................................................................
1.5. Structure du rapport .......................................................................................................................

Chapitre 2 : Cadre conceptuel .................................................................................................................4


2.1. La question du genre .....................................................................................................................2
2.2. Les représentations sociales ..........................................................................................................2
2.3. La violence .......................................................................................................................................
2.4. La violence comme objet d’étude....................................................................................................
Chapitre 3 : Le constat : Les représentations de la violence faites aux femmes chez les hommes et
les garçons

3.1. Contenu de la représentation de la violence à l’encontre des femmes chez les hommes et les
jeunes ............................................................................................................................................2
3.1.1. Axe relatif à la symbolique de la femme : Une symbolique ambivalente
3.1.2. Axe relatif aux attributions causales des violences : ça ne vient jamais de nulle part
3.1.2.1. Facteurs contextuels
3.1.2.1.1. Facteurs socioculturels
3.1.2.1.2. Legs historique
3.1.2.1.3. Hiérarchisation de genre
3.1.2.1.4. Un nouveau mode de vie
3.1.2.1.5. Interprétation non consensuelle du discours religieux
3.1.2.1.6. Faible niveau socioculturel
3.1.2.1.7. Facteurs sociodémographique
3.1.2.1.8. Facteurs économiques
3.1.2.1.9. Facteurs législatifs
3.1.2.1.10. Rôle des médias
3.1.2.2. Attributions causales liées à la personne
3.1.2.3. Attributions causales liées à la relation
3.1.3. Axe relatif aux formes de la violence à l’encontre de la femme
3.1.4. Axe relatif à la perception de la prévention de la violence

Chapitre 4 : Changement des attitudes et des représentations à l’égard des femmes

4.1. Comment introduire le changement .............................................................................................2


4.1.1. Le changement : définition .................................................................................................2
4.1.2. La dynamique du changement

1
4.1.3. Les facteurs sociologiques expliquant la persistance des stéréotypes
4.1.4. Les forces externes réduisant le changement
4.2. Les facteurs psychologiques expliquant la persistance des stéréotypes ....................................2
4.2.1. Les stratégies du changement des attitudes et des représentations envers les femmes

4.3. Les théories du changement ................................................................................................


4.3.1. La théorie de l’équilibre quasi-stationnaire de Lewin
4.3.2. La théorie de l‘équilibre cognitif de Heider
4.3.3. Changer l’attitude par le changement du comportement : La dissonance cognitive
4.3.4. Changer le comportement par le changement des représentations
4.3.5. Les étapes du changement (James Prochaska et Carlo DiClemente)
4.4. L’approche du changement par le biais du changement des attitudes

4.4.1. Changement de l’attitude

4.5. Les techniques du changement

4.5.1. La communication persuasive


4.5.2. Le communicateur
4.5.3. L’attrait exercé par la source ................................................................................................
4.5.4. Le message
4.5.5. Les modes d’organisation du message
4.5.6. Les comportements engageant de Kiesler (1971)
4.5.7. La communication engageante
4.5.8. La discussion du groupe en tant qu’outil de changement des attitudes

Recommandations nécessaires pour une meilleure amélioration des représentations

Conclusion

Références bibliographiques

2
Chapitre 1 : Préliminaires introductifs

1.1. Introduction
La violence envers les femmes est un sujet qui n’a cessé de préoccuper les pouvoirs publics
ainsi que les organismes qui s’intéressent à la santé publique dont l’organisation mondiale
de la santé (OMS). Elle reste l’une des violations des droits fondamentaux les plus
fréquentes dans le monde. C’est un phénomène mondial qui dépasse les frontières
géographiques, culturelles, sociales, économiques, ethniques ou autres. C’est l’un des
principaux obstacles à la réalisation de l’égalité des genres. Aujourd’hui, une femme sur
trois dans le monde est victime d’agressions physiques ou sexuelles.1 Dans la majorité des
cas, les auteurs de violences à l'égard des femmes sont des partenaires intimes, des ex-
partenaires ou un autre membre masculin de leur famille. Ce constat montre
malheureusement que le chemin à parcourir pour éradiquer ces violences est encore long.
Bien qu’elle ait des répercussions graves sur la santé physique et psychologique des
victimes, sur leur sécurité, sur leur dignité, sur leur autonomie, et sur la désintégration du
tissu social, la violence reste toutefois un tabou entouré d’une culture du silence.

1
Une analyse menée en 2013 par l’OMS avec la London School of Hygiene and Tropical Medicine et le South Africa Medical
Research Council, sur la base de données provenant de plus de 80 pays.

3
La violence commence très tôt dans la vie des femmes et touche toutes les tranches d’âge.
La violence fondée sur le genre comprend tout un éventail de violations selon les pratiques
culturelles qui dégradent souvent et parfois d’une manière irréparable la santé des femmes.
Au fait, les rôles de genre et les relations de pouvoir inéquitables affaiblissent les femmes et
contraignent leurs capacités, par rapport à celles des hommes. Presque universellement, les
normes culturelles de la masculinité encouragent le comportement agressif et/ou violent
des hommes. Les violences trouvent généralement leurs origines dans des rapports de
domination qui s’inscrivent dans un long processus de socialisation, or, il ne s’agit pas d’une
fatalité et il est donc possible de les déconstruire afin de les prévenir. Ainsi, nous avons tous
un rôle à jouer dans leur repérage et dans leur prévention, chacun de sa position dans la
société. L’ampleur et la gravité de ce phénomène tant sur le plan de la santé physique que
psychologique a provoqué des réactions fortes des pouvoirs publics en Tunisie. En dépit
de la reconnaissance de la gravité de la violence fondée sur le genre, les mécanismes
d’intervention pour les victimes restent malheureusement la plupart du temps inadéquats
et/ ou insuffisants. En effet, les incidents de violence ne sont pas automatiquement
dénoncés, et bien des femmes ignorent leurs droits légaux et ne signalent pas les actes de
violence par crainte d’être accusées d’être responsables de ce qui leur arrive. Outre cela, les
systèmes souvent considérés comme peu appropriés ne les encouragent pas à le faire. Cela
requiert donc un examen critique de la façon dont la société et l’État appréhendent ce
phénomène.

Compte tenu de l’impact majeur des violences faites aux femmes, il est regrettable que les
décideurs politiques et les professionnels soient toujours confrontés au manque de données
et d’études sur l’ampleur et la nature de ce problème. Force est de constater que les besoins
et les droits de nombreuses femmes ne sont pas systématiquement respectés dans la
pratique.

La violence fondée sur le genre2 n’obéit pas à la même logique que les autres violences: elle
s’exprime toujours dans une relation de pouvoir et de polarité hommes/femmes, masculin
/féminin. La violence contre les femmes est définie comme « fondée sur le genre» parce

2
Il s’agit de la violence infligée à une personne du fait de son sexe, son identité sexuelle et/ou l’expression
de genre

4
qu'elle découle du statut subordonné des femmes dans la société. Les rapports sociaux de
sexe sont à la base de la violence contre les femmes et la rende possible voire tolérable.

La violence faites aux femmes est donc avant tout un problème structurel et ne peut pas
être attribuée aux seuls facteurs liés aux comportements individuels et aux histoires
personnelles. Toute tentative d’élucidation des facteurs liés à la VFG doit s’inscrire de fait
dans le contexte plus large des relations de pouvoir.

Les données démontrant que l’étude des violences, ne peut se faire sans l’adoption d’une
perspective de genre. Comme le révèle l’étude comparative de l’Agence des droits
fondamentaux de l’Union européenne (2014) sur la violence faite aux femmes.3

Si les femmes peuvent commettre des actes de violence, et les hommes peuvent être
victimes de violence, les résultats de cette étude, de même que d’autres données, montrent
que la violence faite aux femmes est essentiellement perpétrée par des hommes. Par
conséquent, il convient d’envisager la majorité de la violence faite aux femmes comme de la
violence fondée sur le genre.

En outre il existe aussi des agressions contre des personnes en raison de leur orientation
sexuelle ou de leur identité de genre. Elles sont souvent motivées par la volonté de punir
celles considérées comme allant à l’encontre des normes du genre et constituent aussi une
forme de violence sexiste.

Ceci dit, les violences fondées sur le genre est un phénomène multifactoriel qui dépasse la
domination exercée par les hommes sur les femmes, La culture, les normes sociales et la
représentation du féminin et du masculin ont une grande influence sur les manifestations
de la VFG sur les comportements, sur les perceptions et les attitudes qu’ont les individus
face à cette violence.

Les hommes ayant des caractéristiques féminines pourraient4 eux aussi être victimes
d’autres hommes parce qu’ils ne correspondent pas à l «’idéal masculin » et sont de ce fait

3
FRA 2014, La violence à l’égard des femmes : une étude à l’échelle de l’Union Européenne

5
« réduits » à un statut de femme. Précisons que l’objet de cette étude serait donc la partie
dominante des VFG.

L’émergence de définitions internationales de la violence fondée sur le genre et de la


violence faite aux femmes remonte au début des années 1990. Ainsi, en 1992, la
Recommandation générale du Comité des Nations Unies pour l’élimination de la
discrimination à l’égard des femmes (CEDEF/CEDAW) définit la violence fondée sur le genre
comme la « violence dirigée contre une femme parce que c’est une femme ou qui touche
spécialement la femme ».5

Problématique

Il est évident que des progrès ont été réalisés dans l’égalité des droits entre les deux sexes
en Tunisie. Des avancées législatives modernistes ont été enregistrées. Cependant, peu de
progrès ont été accompagnés d’améliorations attendues dans les rapports de genre.

Dans la Constitution tunisienne, l’article 21 placé dans le chapitre des droits et libertés
dispose que « les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux
devant la loi sans discrimination. L’Etat garantit aux citoyens et aux citoyennes les libertés et
les droits individuels et collectifs. Il leur assure les conditions d’une vie digne ». L’égalité est
ainsi garantie pour tous les droits et libertés : les droits politiques, civils et familiaux,
économiques et sociaux.

La Tunisie n’a cessé de s’engager dans les conventions internationales afin de lutter contre
les discriminations et les violences à l’encontre des femmes. Parmi ces conventions la
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
(CEDAW), instrument universel de référence sur les droits des femmes qui a été adoptée en
1979 par l’assemblée générale des Nations Unies. Elle a été ratifiée en 1985 par la Tunisie
qui y a fait un certain nombre de réserves touchant principalement les droits civils et
familiaux, avant de les lever en 2011.

5La Déclaration des Nations Unies de 1993 sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes (Article 1) propose une
définition de la violence à l’égard des femmes approuvée internationalement, à savoir: « tous actes de violence dirigés
contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou
psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie
publique ou la vie privée »

6
En inscrivant l’égalité et la non-discrimination dans la Constitution et en ratifiant la CEDAW
notamment, l’Etat tunisien s’est donc engagé à inscrire le principe de l’égalité des hommes
et des femmes. Les efforts sont multiples tant au niveau du pouvoir politique qu’au niveau
de la société civile.
Les législations adoptées malgré leur nombre de plus en plus élevé, ont peu contribué à
rendre plus visible ce phénomène, puisqu’elles continuent à se heurter à des résistances
socioculturelles et à des croyances tenaces véhiculées par la pensée quotidienne du sens
commun. Ce qui fait dire à certains auteurs que malgré l’évolution du contexte
institutionnel, social et juridique, la violence perdure encore dans notre société
(Mahfoudh-Draoui, El Madani 2008). Cette violence émanant principalement des hommes.
Selon Ben Alaya : « les conduites violentes à l’égard des femmes sont en correspondance
avec les rapports de domination hommes-femmes et par conséquent, avec les modèles
socio-cognitifs qui régissent la dynamique entre catégories de genre ».

La question des violences faites aux femmes entre désormais dans le débat public, politique,
juridique. C’est ce qui a incité les pouvoirs publics en Tunisie à promulguer de nouvelles
lois organiques en vue de l’élimination de la violence faite aux femmes (Juillet, 2017).6 En
effet, le projet de loi contre la violence faite aux femmes en Tunisie, en gestation depuis
2014, vient enfin d'être adoptée par le Parlement tunisien le 27 juillet 2017. Longtemps
attendue, cette loi ambitieuse doit baliser le chemin pour garantir aux femmes une totale
égalité des droits telle que définie dans la Constitution tunisienne. C'est donc une étape
importante et décisive qui vient d'être franchie après des débats passionnés au sein de la
société tunisienne.
Ce phénomène de violence qui a probablement toujours existé a été mis en lumière en
Tunisie essentiellement sous l’impulsion des mouvements associatifs féministes. Le
développement de politiques publiques facilitant la dénonciation de la violence et l’action
des associations d’aide aux victimes ont grandement contribué à lever le tabou. Pourtant ce
tabou resterait bien vivace si l’on en croit les résultats de deux études nationales sur la

6
Juillet 2017, le parlement tunisien a adopté une loi pour lutter contre les violences faites aux femmes. Votée à
l’unanimité, cette loi « intégrale » prévoit la reconnaissance de toutes les formes de violence ainsi qu’une assistance
juridique et psychologique aux victimes.

7
violence faite aux femmes réalisées par le CREDIF et l’ONFP en 2016 et 2010,7 qui font
ressortir une montée en puissance de la violence contre les femmes. Selon une étude du
CREDIF 2016, dans l’espace public 53,5 % des Tunisiennes seraient victimes de violence du
fait du genre : Un pourcentage qui monte à 87,1 % pour les violences psychologiques, 75,4 %
pour les violences sexuelles et à 41,2 % concernant les violences physiques.

Malgré le fait que la Tunisie soit pionnière en matière de droits des femmes, un long chemin
reste à parcourir afin de garantir le respect total de leurs droits.

Pour des raisons culturelles, économiques, religieuses ou psychologiques, les femmes se


trouvent encore dans une position de soumission et par conséquent sujettes aux violences.
Ces violences contre les femmes sont une réalité complexes, difficiles à saisir en raison de
résistances multiples et multifactorielles.

Plusieurs modèles explicatifs sont fournis par la littérature dont le modèle psychologique, le
modèle relationnel, le modèle biologique... ; quant au modèle sociologique, il se focalise
surtout sur les facteurs environnementaux et culturels qui font principalement référence au
statut et à la place des femmes dans la société, lesquels sont inscrits dans un système de
représentations ancré dans l’imaginaire collectif.

Les modèles portant sur les différences sexuées de genre

On trouve deux types de modèles théoriques explicatifs des différences entre genres : ceux
qui visent à mettre en lumière des différences supposées « naturelles » entre hommes et
femmes : Il s’agit d’approches biologiques et d’autres sont issues de la théorie de l’évolution
qui donnent de l’importance au caractère hérité des différences. Les psychologues
évolutionnistes qui se sont intéressés aux différences entre hommes et femmes, stipulent
que les différences concernent des domaines où chaque sexe est confronté à des problèmes
différents d’adaptation. Selon les psychologues évolutionnistes, les différentes stratégies de
survie, entraineraient des comportements sociaux et un fonctionnement cognitif différents.

7
Enquête nationale sur la violence à l'égard des femmes, ONFP (2010).
Enquête nationale sur les violences de genre dans l'espace public initiée par le CREDIF et ONU-Femmes(2016).

8
On a par la suite introduit le rôle de la socialisation dans l’apparition de comportements
spécifiques à chaque catégorie de sexe.

Selon le modèle culturaliste, c’est le processus de socialisation qui est responsable des
différences observées entre hommes et femmes à travers l’apprentissage et l’intériorisation
de normes de rôles. Par voie de conséquence, les facteurs liés à l’environnement sont
responsables dans l’adoption de rôles de genre qui eux-mêmes expliqueraient les
différences entre hommes et femmes.

Les différences sont ici expliquées non pas par les stratégies adaptatives adoptées au cours
de l’évolution, mais par les expériences vécues par les hommes et les femmes au cours de
leur vie. Quant à l’approche sociocognitive qui est apparue vers les années 70, Le sexe, n’agit
pas en tant que déterminant direct de la différence entre hommes et femmes. Il s’agit d’une
élaboration construite à travers des processus sociocognitifs. Cette élaboration s’effectue
sur des objets du monde, physique ou social.

Il s’agit donc de dire, contre les discours naturalistes, l’importance de l’entreprise culturelle
et sociale fabriquant les identités sexuées et contredire qui considéraient que les inégalités
sociales entre les hommes et les femmes étaient naturelles et que le biologique est un
destin. Autrement dit il est question d’analyser les modalités suivant lesquelles « on ne naît
pas femme, on le devient"8 et d’étudier le rôle de la famille, de l’école, de l’instruction, des
normes et des valeurs culturelles dans la spécification et la reproduction des rôles féminins
et masculins.

Il est important donc, pour tenter de comprendre et d’expliquer les violences faites aux
femmes, de chercher à capter la dimension sociocognitive qui tend à les justifier aux yeux du
sens commun, à travers l’exploration des représentations sociales.

Ce concept de représentation sociale permet de mieux comprendre les logiques qui


déterminent les interactions sociales, en l’occurrence les relations selon le genre, l’identité
individuelle, la représentation de l’autre catégorie de genre et la façon dont les individus se
représentent eux-mêmes ainsi que leur environnement en général.

8
Simone De Beauvoir, 1949

9
Dans le cadre des études sur les violences fondées sur le genre (VFG) et parallèlement aux
actions menées sur le terrain, on observe un intérêt croissant dans les milieux scientifiques,
pour comprendre, analyser et prévenir ce phénomène.

Plusieurs études et recherches ont fini par porter la question sur le devant de la scène
internationale afin de viser l’égalité et la reconnaissance des droits des femmes dans
nombreux domaines. Ces actions ont notamment appelé l’attention sur le fait que la
violence envers les femmes ne résulte pas de la « nature humaine » et de comportement
individuels répréhensibles, mais qu’elle est profondément ancrée dans les relations
structurelles d’inégalité entre hommes et femmes, fondée notamment sur le système
patriarcal.

Jusqu’aux années soixante, la justification des inégalités entre hommes et femmes par la
naturalisation et l’essentialisation des différences de genre, a contribué à maintenir ces
inégalités et par conséquent, la domination masculine.

En réfutant les thèses naturalistes qui font du sexe biologique le principe explicatif de ces
inégalités, la théorie du genre souligne le caractère social des catégories sexuelles en
distinguant les facteurs anatomiques et les facteurs sociaux et psychologiques qui fondent
les différences perçues.
A cet égard, la définition des catégories sexuelles n’est pas uniquement liée à une
dimension biologique, elle inclut une dimension sociale et psychologique ou genre (Unger,
1979) voire anthropologique (Mead, 1935/1963, citée par Le Manner-Idrissi, 1997, p.10). Or,
nous savons que les déterminismes culturels, sociaux et psychologiques façonnent et
définissent chaque catégorie de genre.

Cette division fondée sur une sexuation psychologique (Hurtig et Pichevin, 1985) ne fait pas
que diviser sexuellement mais organise un rapport hiérarchisé et normatif. Des systèmes de
valeurs et des normes vont accompagner le masculin d’une part, et le féminin d’autre part
(Guillaumin, 1979). Par voie de conséquence, cette relation ambigüe fait apparaitre une
relation de domination masculine sur le féminin (Bourdieu, 1990)9. Selon cet auteur, ce

9
Pierre Bourdieu, la domination masculine, Article in Actes de la Recherche en Sciences Sociales Année 1990 84 pp. 2-31

10
rapport asymétrique est influencé par les conditions sociales où les tâches assignées aux uns
et aux autres ne sont pas équivalentes en fonction de leur niveau de valorisation.

Au sein de cette relation dissymétrique, cette division sexuée est un haut lieu de résistance
(Ben Alaya, 2012) voire de violence comme le révèlent les sondages du CREDIF.

La division sexuée passe par une construction socio-cognitive, il importe donc d’étudier les
représentations sociales et leur influence sur le comportement violent sur les femmes. Ces
représentations comportent une dimension sociocognitive comme l’indiquent les
psychosociologues. En effet, la représentation est porteuse selon Moscovici d’un ensemble
d’opinions, d’informations, de valeurs et de croyances sur un objet particulier (l’objet de la
représentation). Selon Denise Jodelet, c'est parce que la représentation sociale est située à
l'interface du psychologique et du social, qu'elle présente une valeur heuristique : «la
représentation sociale est une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée,
ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un
ensemble social » (Jodelet, 1984).

Ces représentations sociales constituent un guide pour l’action et permettent de justifier les
conduites violentes, de discrimination à l’encontre des femmes.
Outres les causes et les déterminants des violences faites aux femmes, la composante
sociocognitive reste peu étudiée dans ce domaine. Nous allons tenter dans cette étude, de
saisir les représentations sociales à l’œuvre dans les violences faites aux femmes et
d’interroger particulièrement les perceptions et les opinions des hommes – principaux
acteurs- quant à ces violences. La généralisation de cette expression n’est pas seulement
formelle, elle illustre aussi le référent de la représentation des violences. Elle tisse un
continuum incluant violences et représentations. La violence n’est certes pas sans lien avec
les représentations, car il ya toujours une intériorisation par les acteurs - par les hommes

11
mais aussi par les femmes -, des valeurs culturelles banalisant, voire légitimant la violence
notamment quand elles reposent sur des croyances religieuses et/ou socioculturelles qui lui
sont propices.
Pour concrétiser notre problématique nous avons formulé quelques questions de recherche
puisque à celles-ci que nous tenterons de répondre tout le long de cette étude.

Questions de recherche

- Quelle est la représentation sociale qu’ont les hommes de la violence faites aux
femmes ?
- Qu’est ce qu’ils considèrent comme comportement violent à l’encontre des
femmes ?
- Quelles sont leurs attributions causales des violences faites aux femmes ?
- Comment catégorisent-ils les types de violences faites aux femmes ?
- Quelles sont leurs attitudes et leurs prises de position à l’égard de ces violences ? Les
justifient-ils, les condamnent-ils ?
- Comment conçoivent-ils la prévention de ce phénomène?
- Comment perçoivent-ils les types de violences faites aux femmes ?

1.2. Présentation de la méthodologie de l’enquête


En partenariat avec le Fonds des Nations Unis pour la Population dans le cadre du
programme Moussawat appuyé par l’Union Européenne et le ministère de la Femme, le
CREDIF a réalisé cette étude qualitative sur les représentations sociales des hommes et des
garçons sur les violences faites aux femmes en Tunisie.
Nous proposons d’appréhender les garçons par la technique des Focus Groups et les adultes
par des entretiens individuels semi-directifs. Cependant, il nous a été permis d’organiser un
focus groupe avec les adultes dans la région de Tunis.

L’utilisation de ces deux techniques, l’une permet d’approcher le groupe et l’autre


davantage l’individu, nous a été imposée en vue des contraintes matérielles. En effet, il nous

12
a été difficile de réunir des hommes adultes dans les régions à cause de leurs contraintes
professionnelles.

Par souci de diversité de l’échantillon, nous avons choisi de mener l’enquête dans quatre
grandes régions différentes de la Tunisie. Ces régions ont été choisies sur la base de leur
localisation géographique. Il s’agit d’une étude dans le grand Tunis, au nord ouest, au
centre et au sud du pays. Une enquête sociologique de terrain sur des jeunes âgés de 18 à
25 ans et des adultes de plus de 35 ans. Pour une meilleure rigueur dans l’analyse que nos
voulons profonde et dans la synthèse des données, l’étude sera essentiellement de type
qualitatif (entretiens, focus-groups). Le discours véhicule les représentations. En effet le
langage possède une fonction de communication et une fonction de représentation qui sont
en réalité étroitement liés l’une à l’autre (Cossette, 1994).

Nous avons voulu étudier des acteurs à leur contact. Nous nous sommes déplacés à
proximité des leur lieux d’habitation, dans leurs gouvernorats, pour les interroger dans leur
environnement. Les techniques utilisées sont : les focus groups et les entretiens semi-
directifs. Une revue de la littérature et une recherche documentaire ont cadré notre
problématique ainsi que le traitement du matériau recueilli de l’enquête sur le terrain

Objectifs généraux
- Compléter les connaissances quantitatives et mieux connaitre les facteurs qui
génèrent les violences fondées sur le genre (VFG).

- Améliorer la compréhension du phénomène des VFG pour garantir une meilleure


prévention et favoriser des actions plus adaptées.

Objectifs spécifiques
- Repérer les liens entre représentations sociales et violences faites aux femmes.

- Appréhender les représentations sociales masculines et leur rôle dans la


recrudescence et le maintien des violences faites aux femmes

Hypothèses
Pour appréhender ce phénomène de violence dont les femmes ont été et sont encore
victimes, nous formulons les hypothèses suivantes :

13
Hypothèse générale :
- Les représentations masculines sur les violences faites aux femmes contribuent à les
légitimer et les banaliser.

Hypothèses spécifiques
- On retrouverait des éléments à connotation négative au sein de la représentation
sociale des femmes.

- Ces éléments seraient plus saillants et plus fréquents chez les adultes que chez les
jeunes.

- Les représentations à l’égard des femmes seraient différentes en milieu urbain qu’en
milieu rural.

L’étude comporte :
 5 (cinq) focus-groups regroupant chacun une quinzaine de jeunes de sexe
masculin âgés de 18 à 25 ans (un Focus Group avec les garçons dans chaque
région suscitées et un Focus Group avec les adultes à Tunis) afin d’identifier
leurs spécificités.
Vu la nature de l’objet de recherche, faire ressortir ce qui en profondeur
pourrait élucider les représentations qu’ont les jeunes quant aux violences faites
aux femmes et leur incidence sur le phénomène. Nous avons diversifié les
profils de ces jeunes « cibles » pour mieux cerner les différences et /ou les
similitudes quant à leurs représentations sociales. Ces groupes sont choisis
selon les variables suivantes :

 Le milieu d’appartenance : Rural/ urbain


 Le niveau d’instruction : analphabète, niveau primaire, niveau secondaire,
niveau supérieur
 Le statut professionnel : élève/étudiant, chômeur, employé

 Des entretiens semi-directifs menés auprès d’adultes (5 entretiens dans chaque


région) afin de déceler l’effet générationnel sur la question. Ces entretiens

14
individuels approfondis seront menés auprès d’hommes âgés de 35 ans et plus.
L’échantillon est diversifié selon :
 Le milieu : rural/ urbain
 Le niveau d’instruction : analphabète, primaire, secondaire,
supérieur
 Statut professionnel : chômeur, employé, retraité

Il est à noter qu’une grille d’entretien10 a été élaborée en langue dialectale selon cinq
grands axes touchant à la problématique et aux questions de recherche. Cette grille a été
testée auprès de quelques individus avant d’être employée et validée par un comité de
pilotage composé de sociologues et de psychologues.

Les outils de la recherche


 Le focus group

Il s’agit d’un outil d’investigation basé sur l’interview interactive d’un groupe discutant d’un
thème donné. Il nous a permis de recueillir des informations de nature qualitative sur les
perceptions, les opinions, les représentations que portent les jeunes et les adultes hommes
sur les violences faites aux femmes.

Au total, six focus groups ont été réalisés dans cinq différentes régions de la Tunisie, ayant
chacune sa spécificité géographique et socioculturelle. Les groupes de discussion
comportaient en moyenne une quinzaine de participants. Des trames de similitudes, des
oppositions, des contradictions ont été dégagées de ces discussions reflétant la diversité et
la richesse du sens commun. Cette technique nous a permis, par le biais de l’interaction
qu’elle engendre, de recueillir des informations sur les perceptions des participants, leurs
émotions, leurs attitudes quant au comportement violent et/ou agressif des hommes sur les
femmes.

10
Cf. Annexe

15
 L’entretien semi-directif

Vu la difficulté de réunir les adultes pour des focus groups dans les régions et vu la
sensibilité du thème traité, nous avons opté pour l’entretien individuel comme technique de
recueil de données pour saisir les représentations des hommes adultes. Cette technique
nous a permis d’appréhender le système de représentation des hommes, donc d’une autre
tranche d’âge et d’une autre génération. Cette technique a pour objectif de favoriser la
production d’un discours de l’enquêté sur un thème défini dans le cadre d’une recherche.
Ceci nous aidé à mieux saisir et à identifier les changements des mentalités et
éventuellement, l’effet générationnel en matière de perceptions des violences faites aux
femmes. Vingt (20) entretiens individuels ont été menés, à raison de cinq pour chaque
région.

Tous les focus groups et tous les entretiens ont été enregistrés sauf un seul entretien à
cause du refus de l’enquêté à Djerba (dans le gouvernorat de Médenine). La totalité des
enregistrements des focus groups et des entretiens ont été transcrits intégralement et
minutieusement afin d’être fidèle aux discours tenus par les enquêtés et pour un meilleur
usage lors de l’analyse afin que la parole reste significative et que son traitement soit plus
facile.

 Dépouillement des données

Le dépouillement des données a consisté en un premier temps à transcrire tous les


interviews et tous les focus groups enregistrés. Ensuite une lecture et une relecture des
données et des notes personnelles prises sur le terrain (des silences, des soupirs, des pleurs,
des hésitations, des émotions..), sont faites avec une identification et un marquage des
passages les plus expressifs et les plus significatifs. L’analyse des données a été effectuée
par l’utilisation de l’analyse thématique (Bardin, 2010) , il s’agit de repérer le thème qui
constitue une unité de signification qui se dégage d’un corpus analysé. Le texte est découpé
en idées, en propositions ayant des significations indépendantes les unes des autres. Ainsi,
et pour faciliter l’analyse nous avons opté pour le classement des données et leur
catégorisation sous des axes liés à la problématique et aux questions de recherche
permettant la structuration de la rédaction du rapport.

16
1.3. Présentation des régions de l’étude

L’étude sur les représentations sociales des VFG a été menée dans quatre régions de la
Tunisie. Des différences socio-économiques et culturelles régionales sont susceptibles
d’affecter ces représentations, d’où la nécessité de présenter quelques caractéristiques de
ces régions.

 Données générales 11
La Tunisie compte 24 gouvernorats. Les principaux indicateurs socioéconomiques au
titre de l’année 2015, montrent que les gouvernorats du Nord-Est et du Centre-Est
ont connu le taux de chômage le plus faible avec une moyenne respective de 8,9% et
9,9%.

Cependant, Le Sud-Est et le Sud-Ouest sont les régions les plus touchées par le
chômage avec respectivement 26.6 % et 22.3 %, suivis par le Centre ouest (18.7 %),
Nord-Ouest (17.8 %) et le Grand-Tunis (16.9 %).


Données spécifiques aux régions étudiées12

 Région du Nord - Est: gouvernorat de Bizerte


- Taux de chômage : 11.5%
- Le Gouvernorat de Bizerte est un important pôle économique basé essentiellement
sur l'industrie, les services, le commerce et l'agriculture.
- A côté des deux secteurs phares de la région : l’industrie et d’agriculture, dont la
contribution à l’effort productif national est importante, l’économie régionale est
soutenue par le dynamisme d’un secteur tertiaire entraîné notamment par une
activité touristique.

11
Recensement de 2014 (Institut national de la statistique)
Le ministère du développement régional et de la planification
INS, rapport 2015

17
 Région du Centre Est : gouvernorat de Monastir
- Taux de chômage : 6.6%
- Le gouvernorat de Monastir est situé dans le Centre Est du pays.
- L'économie du gouvernorat du Monastir repose essentiellement sur
l'agriculture (notamment l'oléiculture). 86 % des terres sont réservées à l'agriculture.
Néanmoins, c'est l'industrie qui emploie le plus de personnes. Le gouvernorat
compte environ 1 200 entreprises industrielles qui travaillent majoritairement dans le
domaine du textile . Le secteur touristique représente 12 % de la capacité nationale,
La région a également une infrastructure de transport moderne.
- La moyenne du nombre des familles nécessiteuses (par /1000h), dans le
gouvernorat est bien inférieure à la moyenne nationale. Le chef lieu Monastir détient
le taux le plus faible (2fam/1000hab). Le taux de pauvreté moyen dans le
gouvernorat est nettement inférieur à la moyenne nationale.

 Région du Nord- Ouest : Gouvernorat de Beja


- Taux de chômage est de 18.5% à Beja
- Le pourcentage de familles nécessiteuses le plus important se trouve dans des
délégations de ce gouvernorat. (Amdoun, Goubellat et Tibar.)
- Le taux de pauvreté : La moyenne du gouvernorat est proche de la moyenne
nationale mais supérieure à celle-ci.
- A part Béja Sud, toutes les délégations connaissent un fléau de migration parce que
le gouvernorat n’est pas attractif en termes d’opportunités de travail et de confort de
vie.
- Environnement social : La moyenne du gouvernorat est au dessous de la moyenne
nationale et bien loin derrière la meilleure délégation.
- La situation du marché de l’emploi à Béja est plus difficile que le niveau national
pour toutes les délégations.
- Taux d’analphabétisme très élevé dans les délégations de Nefza et Amdoun
dépassant 40%. De même la moyenne du gouvernorat est élevée et dépasse la

18
moyenne nationale. Dans les délégations où l’activité agricole domine, le taux de
placement est nul.

 La région du Sud- Est : Djerba (Gouvernorat de Médenine)


- Taux de chômage à Tataouine (32%), à Médenine (19.9%)
Les gouvernorats du sud de la Tunisie ont enregistré le taux de chômage le plus élevé
au cours de l’année 2015 avec 26,6%.
- Globalement, le nombre de familles nécessiteuses n’est pas très important à
Médenine mais il existe de très grandes différences entre les délégations. Ce nombre
varie entre 6.79% à Djerba Houmet Souk et 32.8% à Beni Khedech.
- Taux de pauvreté : les délégations de Beni Khedech et de Sidi Makhlouf ont des taux
de pauvreté très élevés et supérieurs à la moyenne nationale et régionale. Djerba
Houmet Souk et Zarzis ont les taux de pauvreté les plus faibles dans le gouvernorat.

 Le grand Tunis :

Le District Tunis est constitué de quatre gouvernorats Tunis, Ariana, Ben Arous et
Manouba.

Il est situé dans le Nord du pays et couvre une superficie de 346 km2, soit 0,2 % de la
superficie du pays. Il abrite en 2014, une population de 1 056 247 habitants1.
Son chef-lieu est Tunis (capitale de la Tunisie).

- Taux de chômage en 2016 : gouvernorat de Tunis (19.5%), gouvernorat de Ariana(


11.6%), gouvernorat de Ben Arous ( 18.4%), gouvernorat de Mannouba ( 21.7%)
- La région se caractérise par un nombre de diplômés relativement fort et un taux
d’activité des diplômés du supérieur moins élevé que la moyenne nationale (-3,8
points). De même, les taux d’activité des autres niveaux d’instruction sont
relativement faibles par rapport au niveau national.
- La région est caractérisée par une proportion importante des emplois dans le
secteur des services.

- Le taux de chômage de la région du District-Tunis (16.9%) dépasse la moyenne


nationale de 1 point (15.9% en Tunisie).

19
- Le gouvernorat est le plus important pôle industriel du pays.

1.4. Déroulement et limite de l’étude


Même si rassembler des jeunes et trouver des adultes qui acceptent d’être
interviewés sur un thème aussi délicat était difficile, de façon générale, les
participants se sont déclarés satisfaits des thèmes discutés pendant les focus groups.
Force est de constater que la totalité des jeunes et particulièrement ceux des régions
de l’intérieur du pays s’est montrée favorable à ce style de débat participatif pour
traiter une thématique telle les violences. Pour la plupart, ils sont encore
demandeurs de ce type d’événement ce qui a impacté les possibilités de rencontre et
d’échanges sur la question de cette étude chez les jeunes. Ils se sont montrés à l’aise
pour échanger leurs expériences et leurs opinions sur la question. L’impression qu’on
leur accorde de l’importance en matière culturelle est manifeste dans leurs attitudes
et dans leurs motivations lors des débats.

Cependant il nous était impossible de réunir des groupes d’adultes, ( il s’agit d’une
population active : limite géographique, limite de disponibilité des adultes,
contraintes de temps, de transport,..) pour mener des focus groups dans les régions
à part la région du grand Tunis où on a pu mener une séance (mais non sans
difficulté). C’est pour cela qu’on s’est contenté des mener des entretiens individuels
semi directifs dans les régions de l’intérieur.

Quant aux questions posées lors des entretiens avec les adultes, des axes comme la
violence dans les lieux publics ont été bien accueillis et ont donnés lieu à des
conversations positives et concluantes. Toutefois, d’autres thèmes, comme les
dynamiques de pouvoir au sein des couples et les violences conjugales et sexuelles
ont fait état de beaucoup de réticences autant par pudeur que par réserve de parler
de la vie privée en général.

Il échet de tenir compte de ces limites dans la compréhension de la lecture des


résultats de cette étude, même si ces certaines de ces entraves sont déjà l’occasion
d’un début de compréhension de l’aspect encore tabou et de la culture du silence qui

20
entoure la question de la violence faite aux femmes, perçue comme étant
domestique et familiale.

1.5. Structure du rapport


Outres l’introduction, les recommandations et la conclusion, une revue de la
littérature a été réalisée en lien avec notre problématique, suivie de cinq principaux
axes qui ont structuré la charpente de l’analyse des données empiriques de cette
étude. C’est le traitement du matériau recueilli qui en a formé la trame.

 Le premier axe concerne la symbolique et les représentations qu’ont les


hommes envers les femmes
 Un deuxième axe se rapporte à leur perception quant aux déterminants et
les causes des violences faites aux femmes
 Le troisième axe se constitue de ce qu’ils considèrent comme comportement
violent et de leurs représentations des types de violences faites aux femmes
 Un quatrième se compose de ce qu’ils perçoivent comme mesures
préventives pour réduire les violences faites aux femmes
 Enfin un cinquième axe présente les approches et les théories de changement
des représentations afin de nous guider à établir des recommandations.

Dans cette étude, les concepts de violence et de représentation articulent nos propos.
Ces notions, outils à penser, notions interdépendantes se complètent pour apporter un
éclairage et une meilleure compréhension du phénomène des violences faites aux
femmes. Notre étude du rôle et du poids des représentations des violences faites aux
femmes repose essentiellement sur l’analyse des perceptions, des opinions, des
attitudes et des stéréotypes qu’ont les hommes et les jeunes de ces violences ainsi que
de leur lien avec le comportement agressif et/ou violent. La focale d’analyse qu’est la
représentation sociale et la pluralité des interactions sociales singularisent notre
approche.

21
En tant que processus sociocognitifs, les représentations sociales constituent un maillon
entre pratiques observables et pensées construites culturellement. Elles renseignent sur
les repères normatifs et sur les systèmes de valeur à partir desquels les acteurs agissent
et réagissent. Nous mobilisons par ailleurs la relation existant entre représentation
qu’ont les hommes et comportement violent à l’encontre des femmes. Nous expliquons
d’abord notre cadre théorique en définissant quelques concepts et définitions utiles
inhérents à notre étude.

Chapitre 2 : Cadre conceptuel


2.1 La question du genre
Si les violences envers les femmes dominent incontestablement par leur fréquence et leurs
conséquences, il nous semble important d’interroger le rôle des rapports sociaux de sexe et
leur impact sur les relations de domination et de pouvoir qui engendrent la violence.

Depuis les années 1970, de nombreux travaux en sciences sociales ont mis en évidence le
caractère socialement construit des inégalités entre les sexes. Ils ont mis au jour que le
genre est une construction sociale de l’identité des personnes et des caractéristiques qui
leur sont assignées culturellement, distribués selon leur sexe. Comprenons donc avant tout,
que le genre fait référence aux rôles attribués aux hommes et eux femmes dans la société.
C’est l’identité que la société, dans un contexte socioculturel, religieux, et économique
donné, confère aux hommes et aux femmes. L’identité genre détermine largement les
relations entre hommes et femmes. Le « genre » a trait donc non à la différence mais à la
différenciation sociale et culturelle des sexes. Ce système de croyance est justifié par le
principe d’une détermination biologique, lequel hiérarchise et situe le sexe féminin par
rapport au sexe masculin. Le concept genre interroge la production et la reproduction de la
« valence différentielle des sexes », mise en évidence par Françoise Héritier dans ses
travaux d’anthropologie. L’auteure définit ce principe comme « la place différente des deux
sexes sur une table des valeurs qui fonctionne toujours dans le même sens hiérarchique et

22
classificatoire, traduisant une forme universelle de dominance du principe masculin sur le
féminin, le premier étant positivement marqué comme supérieur à l’autre. »( 1981)13

Etant un système précepte de catégorisation et reposant sur des approches


anthropologique et historique, le genre peut alors être saisi comme une modalité des
relations sociales.

Non seulement ces relations changent selon les sociétés, mais elles évoluent dans leur
contexte, développant des systèmes de significations propres à chaque collectivité, fondés
sur des valeurs et des normes spécifiques, imprégnant ainsi des croyances et des
représentations des acteurs. Par conséquent, le genre entretient un lien étroit avec les
rapports hommes/femmes, filles/garçons. Dans cette perspective, il est appréhendé comme
une éducation à la relation à l’autre et où les identités de genre peuvent révéler dans les
pratiques un « ordre sexué » invoquant les attributs de la masculinité et de la féminité, et
confortant ainsi des inégalités voire des violences par les stéréotypes dominants.

Les violences de genre ne sont donc pas des actes isolés, imputables à leurs auteurs
agressifs, mais une donnée structurelle et systémique d’un ordre global, fondé sur la
domination masculine et la disqualification sociale du féminin dans ce système.

Ainsi les violences basées sur le genre sont l’expression des rapports inégalitaires entre les
femmes et les hommes et consistent à utiliser le pouvoir pour faire respecter les normes
liées au genre : un homme pourrait par exemple battre sa femme parce que la société
permet de punir les femmes désobéissantes.

2.2. Les représentations sociales

- Historique du concept de représentation


Le concept de représentation a son histoire. Il est apparu en premier temps en
sociologie. En effet, on doit l'origine de cette notion phare de la psychologie sociale à
Emile Durkheim qui, dès 1897, opposait les représentations individuelles aux «
représentations collectives » qui désignent sous sa plume , des façons communes de

13
Françoise HERITIER, L'Exercice de la parenté, Paris, Gallimard, 1981. Masculin- féminin, La pensée de la
différence, Paris, Odile Jacob, 1996

23
perception et de connaissance bien distinctes des représentations individuelles qui
recèlent « un savoir qui dépasse celui de l’individu moyen »14. La notion de
représentation collective, qui relevait, selon lui, de «l’idéation collective», a été
abandonnée. C’est surtout Serge Moscovici qui a développé ce concept (1961) et fut le
pionnier de l’étude sur les représentations sociales dans son ouvrage «La psychanalyse,
son image et son public». C’est donc lui qui a forgé le concept de «représentation
sociale» qui est devenu un concept central en psychologie sociale. Contrairement à la
représentation collective, le représentation sociale n’est pas monolithique mais est
collectivement élaborée à travers les échanges et les communications. Elle a une
fonction d’adaptation à une réalité contemporaine tandis que la représentation
collective est conçue comme étant transgénérationnelle. Enfin, elle participe à la
définition des groupes mêmes qui l’élaborent.

S. Moscovici fait aussi remonter à G. Simmel (1858-1918) et M. Weber (1864-1920) la


genèse de l’idée de représentation dans le champ de la sociologie. Il attribue néanmoins
à E. Durkheim (1858-1917) la paternité réelle du concept de représentations. Il s’agit
d’«une vaste classe de formes mentales, d’opinions et de savoirs.... » Il distingue
représentations collectives et représentations individuelles. Il considère d’ailleurs, que la
force des représentations collectives les rend dominantes. Il utilise ce concept pour
analyser différents domaines sociaux, en émettant l’hypothèse que « l’on pourrait
expliquer les phénomènes à partir des représentations et des actions qu’elles
autorisent ».

- Définitions du concept de représentation sociale

Les définitions relatives aux représentations sociales sont multiples, mais elles se
différencient par le fait que chacune privilégie une dimension particulière. Ces
dimensions peuvent concerner le contenu, les caractéristiques, les processus de
fonctionnement, l’organisation ou les déterminants. Cette multiplicité des dimensions
témoigne en même temps de la richesse et de la complexité de ce concept.

14
Durkheim. E ; Les formes élémentaires de la vie religieuse, 1912

24
Tout d’abord, l’acte de représentation est un acte de pensée par lequel l’individu se
rapporte à un objet. La représentation est considérée par les psychologues sociaux
comme une façon d’organiser notre connaissance de la réalité qui se fait par la
construction et la reconstruction de celle-ci. L’acte de représenter, c’est «tenir lieu de»,
«être à la place de», Jodelet (1984). De ce fait, la représentation est toujours relative à
un objet, à une personne ou à un phénomène. Comme le langage, elle est une restitution
symbolique de quelque chose qui est absent, mais il faut que l’objet de la représentation
soit un objet à forte résonance sociale.

La représentation sociale est définie par un contenu : dans ce sens, Jodelet (1994)
affirme, en parlant des représentations, que « dans leur richesse phénoménale on repère
des éléments divers dont certains sont étudiés de manière isolée, éléments informatifs,
cognitifs, idéologiques, normatifs, croyances, valeurs, attitudes, opinions, images, etc.
Mais ces éléments sont toujours organisés sous l’espèce d’un savoir disant quelque
chose sur l’état de la réalité» (p. 36).

Les représentations ont dans ce sens, un contenu qui peut être qualifié de multiforme.
Ce contenu peut être décelé au cours de l’interaction sociale avec autrui, à travers les
comportements manifestes à l’égard de tel ou tel objet social mais aussi à travers les
communications. Dans le cadre de cette recherche, il importe d’identifier le contenu de
la représentation de la violence envers les femmes. Quel sens donnent les hommes à la
violence portée contre les femmes ? Quelles sont les prises de positions portées par les
hommes par rapport aux conduites violentes à l’égard des femmes?

Le contenu des représentations sociales est double, si nous tenons compte de la nature
qui détermine sa composition : un contenu cognitif organisé par les règles qui régissent
les processus sociocognitifs et un contenu social déterminé par les interactions sociales,
la culture, l’idéologie. Cela a permis de considérer ce contenu comme «un système
sociocognitif» (Abric, 1994a).

25
- Fonctions des représentations

De manière générale, les représentations ont pour fonction l’adaptation active de


l’individu à la vie sociale. Cette adaptation implique tant la compréhension de
l’environnement et sa maîtrise que l’interaction sociale.

Abric (1994a) l’entend dans ce sens en affirmant que la représentation est : «une vision
fonctionnelle du monde qui permet à l’individu ou au groupe de donner un sens à ses
conduites et de comprendre la réalité à travers son système de référence, donc de s’y
adapter, de s’y définir une place» (p.13).
Selon le même auteur «La représentation fonctionne comme un système
d’interprétation de la réalité qui régit les relations des individus à leur environnement
physique et social, elle va déterminer leurs comportements ou leurs pratiques. La
représentation est donc un guide pour l’action, elle oriente les actions et les relations
sociales. Elle est un système de pré-décodage de la réalité car elle détermine un
ensemble d’anticipations et d’attentes» (p.13).
Les représentations sociales ont plusieurs fonctions spécifiques, (Abric,1994a). On en
distingue quatre principales :

 La fonction de savoir :

Les représentations sociales permettent aux individus l’acquisition de connaissances afin


de comprendre et d’expliquer la réalité. Elles leur permettent d’intégrer les expériences
nouvelles. Elles facilitent la communication par l’élaboration d’un cadre de référence qui
joue le rôle de consensus facilitant les interactions sociales. Cette fonction intègre les
nouvelles informations en cohérence avec les valeurs, normes et pratiques du groupe.

 La fonction identitaire

Cette fonction a un rôle dans la définition de l’identité du groupe et la préservation de sa


spécificité. De ce fait, la représentation permet de guider le groupe dans ses interactions
avec d’autres groupes. Ainsi, chaque groupe va-t-il se positionner par rapport à l’autre

26
groupe par le processus de catégorisation. De ce fait, la représentation intervient dans la
régulation des relations entre les groupes.
De telle sorte, les représentations entre groupes sont façonnées par les pratiques de
relations entre eux (Abric, 1997) au sein des groupes compétitifs. Cette dynamique
relationnelle entre groupe caractérisée par la domination de l’un sur l’autre se retrouve
dans le groupe de sexe différent (Ben Alaya, 2016).

 La fonction d’orientation

Les représentations guident les comportements et les pratiques des individus, ce


processus résulte de trois facteurs :
- Elles interviennent dans l’établissement des buts d’une situation donnée ou dans une
situation où la tâche à réaliser réclame une démarche d’ordre cognitif.
- Elles produisent un système d’anticipations et d’attentes qui visent à faire
correspondre la réalité aux représentations sociales. Cette fonction est essentielle
dans la mesure où la représentation d’un objet est quasi déterminée par les attentes
a priori mises en place. L’existence d’une représentation préalable à la situation ou à
l’interaction, fait que les conclusions devancent le début de l’action.
- En outre, les représentations ont un rôle dans la prescription du comportement
(Flament,1994b). Cet auteur précise que « dans le domaine des représentations
sociales, les cognitions sont massivement conditionnelles » (p. 39). En d’autres
termes, la prescription du comportement par les représentations n’est pas absolue,
mais contingente des situations dans lesquelles se trouve le sujet.

Il ressort de ce qui précède que les représentations constituent un facteur déterminant


des pratiques. Dans notre étude, il s’agit de déterminer dans quelle mesure les
représentations qu’ont les hommes de la violence à l’encontre des femmes constitue un
facteur de légitimation des comportements violents à leur égard déjà recensé dans les
recherches.

27
 La fonction justificatrice

Les représentations sociales permettent aussi de justifier les prises de position ou les
comportements dans une situation donnée.
En résumé, on peut retenir que la représentation sociale permet l’acquisition d’un savoir,
sa transformation, sa reconstruction, la sauvegarde de l’identité du groupe, la
justification d’un comportement et surtout l’orientation du comportement et des
pratiques.

Les travaux sociologiques ont envisagé l’importance de la fonction des représentations


sociales selon des approches distinctes qui sont :
- les approches objectivistes envisagent les représentations sociales comme produits
de la réalité, comme perceptions et interprétations de l’environnement social
- les approches subjectivistes conçoivent les représentations sociales comme
productrice de la réalité. Dans cette perspective, il faut partir des représentations
sociales pour saisir un phénomène social.
- Pour dépasser cette opposition objectivisme/subjectivisme, les approches
dialectiques en particulier les théories constructivistes renvoient la réalité sociale à
un processus construit historiquement, générant un monde objectivé et intériorisé :
La réalité objectivée et la réalité subjectivée se génèrent l’une l’autre. Dans ce sens,
la réalité résulte donc à la fois de « l’extériorisation de l’intériorité et de
l’intériorisation de l’extériorité » pour le dire comme Bourdieu.
C’est dans cette dernière perspective que Moscovici (1961) a formulé la notion de
représentions sociale dont nous traiterons ici.

- Représentations sociales et pratiques

Le débat sur la relation entre pratiques et représentations sociales a été entouré de


plusieurs questionnements relatifs à la primauté des pratiques sur les représentations et
vice versa, et de la relation existante entre elles.
Selon Abric (1994), il existe deux conceptions :

28
- Une conception « radicale » défendant l’idée que les représentations seraient
déterminées par les pratiques. Cette vision est défendue par Beauvois et Joule
(1981). Ils soutiennent que « les pratiques quotidiennes des individus au cours de
leurs activités professionnelles ou de leurs échanges avec les autres modèlent et
façonnent leurs représentations ».
Cette conception a été remise en cause par Abric (1994). En effet, il pense que les
représentations déterminent les pratiques. Les représentations doivent leur pouvoir
d’influence sur le comportement aussi bien à leur contenu qu’à leur enracinement
dans le passé de l’individu. Il évoque dans ce cadre l’influence des facteurs culturels
sur le contenu social des représentations qui sont transmises au cours de la
socialisation de l’individu au sein de sa famille par exemple. A ces facteurs s’ajoute le
rôle essentiel des facteurs individuels liés aux attentes de l’individu ou facteurs
idiosyncrasiques.

- L’idée de la prévalence des représentations sur les pratiques est également défendue
par Doise (1976). L’influence des représentations sur les pratiques ne se limite pas
aux seules conditions expérimentales, elle s’étend pareillement aux situations réelles.
Les représentations déterminent les pratiques d’autant plus que l’individu possède
une autonomie face à la situation à laquelle il est confronté, c'est-à-dire qu’il possède
un choix entre les comportements qu’il peut adopter. Cette situation est qualifiée de
« non contraignante », tandis que dans le cas où la situation possède un caractère
d’obligation ou de « contrainte », les représentations ne jouent pas leur rôle de
facteur déterminant les pratiques (Abric, 1994). Donc, les pratiques seraient dans
cette perspective à l’origine des représentations.

Dans une troisième perspective, on considère que la relation entre représentation


et pratique n’est pas linéaire, mais elle est plutôt dialectique. Nous rejoignons ainsi la
conclusion à laquelle est parvenu Autes (1985,cité par Abric, 1994, p. 230) : « on ne
peut pas dissocier la représentation, le discours et la pratique. Ils forment un tout. Il
serait tout à fait vain de chercher si c’est la pratique qui produit la représentation ou
l’inverse : se serait un système. La représentation accompagne la pratique, tantôt

29
elle la précède et elle l’informe, elle la met en forme ; tantôt elle la justifie et la
rationalise elle la rend légitime». (Cité par Abric, 1994, p. 230).

Moscovici a enrichi et délimité la notion de représentation sociale, elle est à la fois


mentale et sociale, elle « est construite pour et par le pratique ».
Dans ce sens, il est évident que la découverte des processus et des facteurs qui
régissent les représentations de la violence pourraient mener à la mise en place de
dispositifs de prévention de la violence fondée sur le genre, de manière plus efficace.

Quelques éléments constitutifs de la représentation sociale

Les représentations entretiennent des relations étroites avec les attitudes. Elles
constituent des variables étroitement corrélées, en sorte que c’est au sein de ces
variables que l’individu exprime ses évaluations à l’égard des phénomènes sociaux
(Bergamaschi, 2011), telle que la violence. Ces attitudes, prennent ainsi une forme.
Les attitudes se forment d’une manière extérieure à l’individu. L’origine étant sociale,
c’est par le biais des groupes et leurs influences que se forment les attitudes. Ces
influences contribuent tant à la formation des représentations que les réponses
comportementales en termes d’attitude consensuelle.

- Représentations sociales et attitudes

Il existe une multiplicité de définitions relatives aux attitudes. La définition classique de


Allport (1935) citée par Vallerand (1994) est intéressante : « Une attitude représente un
état mental et neuropsychologique de préparation à répondre, organisé à la suite de
l’expérience et qui exerce une influence directrice ou dynamique sur la réponse de
l’individu à tous les objets et à toutes les situations qui s’y rapportent» (p. 332).

Selon (Bergamaschi, 2011), depuis la naissance de ce modèle et la contribution d’autres,


les études sur les attitudes se sont focalisées sur : a) les liens de cohérence entre ses
différentes dimensions internes, b) leur fonction, c) leur capacité à prédire le
comportement, d) leur changement. C’est sur la base de ce modèle que les attitudes

30
sont aujourd’hui définies comme l’évaluation psychologique d’un objet selon un certain
degré de faveur ou de défaveur (Eagly, Chaiken, 1993). Moliner (1997) fait remarquer
que l’activité observable des attitudes est une activité évaluative qui repose
inéluctablement sur un ensemble d’informations sur l’objet de l’évaluation (p. 282).
Cette conception de l’attitude en tant qu’instance évaluative permet de faire une
induction sur les relations entre attitude et représentation. Selon cette conception,
l’activité évaluative, qui se manifeste dans l’attitude, sous-tend une représentation
préalable de l’objet à évaluer. C’est ce qui fait dire à Moliner (1997) que : « tout objet de
représentation peut être considéré comme un objet d’attitude » (p.282).

Pour ce qui concerne cette recherche, l’identification des représentations et des


attitudes permettent une meilleure compréhension des comportements violents à
l’encontre des femmes Cela nous permet de dire que le présent travail pourrait donner
un éclairage utile à la mise en place des processus de changements qui pourraient
contribuer à la réduction des conduites violentes.

De manière générale, il apparait que la représentation est en relation avec l’attitude à


l’égard d’un objet social. Comme le mentionnent Rouquette et Rateau (1998) : «ce que
l’on entend par attitude correspond à un moment, c’est-à-dire, une forme spécifique
d’occurrence, d’une représentation sociale ou d’une combinaison de représentations»
(p. 24). Par conséquent, il ressort que les attitudes sont en relation avec les
représentations sociales. D’autres concepts lui sont apparentées telle que les opinions :
l’attitude constitue un niveau latent, tandis que l’opinion est le niveau manifeste et
observable de l’attitude.

- Représentations sociales et opinions

Stoetzel (1963) analyse la relation entre attitude et opinion en indiquant qu’il convient
de « distinguer d’une manière encore toute populaire, d’une part une opinion, qui
devient une manifestation verbale d’une attitude, d’autre part, une attitude qui serait la
source non apparente d’opinions reliées à celle-ci par des mécanismes plus ou moins

31
complexes » (p. 10). Nous pouvons donc accéder aux attitudes à travers les opinions
exprimées.
La mise en ordre entre ces notions permet de dégager la hiérarchie suivante : les
représentations sociales portant sur un objet social vont générer des attitudes lesquelles
se manifestent à travers des opinions, sous forme de jugements, de prises de position,
etc...

Les conduites violentes qui constituent le cœur de cette recherche sont à dissocier
d’autres concepts qui lui sont apparentées telle que l’agressivité.
Nous allons présenter dans ce qui va suivre une distinction entre les deux notions :

- Distinction entre agression et violence


Il existe autant de définitions de l’agression que de théories qui l’appréhendent. Elle
peut être définie tantôt comme un trait de personnalité, tantôt comme un instinct
ou, plus précisément, comme une classe de réponses physiques et verbales observables
( Parke et Slaby, 1983).

L’agression est une attaque non provoquée, injustifiée et brutale contre quelqu'un,.
Lorenz (1969) a montré que les séquences agressives faisaient partie du répertoire
comportemental normal des animaux. L'agressivité est une modalité du comportement
des êtres vivants et particulièrement de l'être humain, qui se reconnaît à des actions où
la violence est dominante.

Les auteurs identifient différentes sortes d’agressivité. On peut distinguer entre


l’agression hostile et l’agression instrumentale fondée sur une motivation sous-jacente.
La première a pour finalité d’infliger peine et douleur à autrui (battre sa femme), tandis
que l’agressivité instrumentale a pour résultat de nuire à autrui dans le but de réaliser
certains objectifs « battre pour le plaisir de voir l’autre se faire battre »

A cette distinction entre les types d’agression on peut distinguer l’agression motivée
par une condition désagréable provoquant le malaise (état émotionnel négatif
(frustration, colère). D’autres agressions proviennent d’autrui ou motivées par des

32
facteurs extérieurs. Il arrive par exemple que la femme soit contrainte de réagir à la
violence de son époux en réagissant par une agression défensive.

Le concept de violence est distinct de celui de l’agressivité. Il est employé en général


pour décrire un comportement agressif, inamical, non pacifiste, c’est une contrariété à
laquelle est soumise la victime et qui provoque chez elle, douleur et blessure physique et
/ou psychologique

Plus précisément l’agressivité constitue une attitude, elle est la manifestation d’une
intention hostile de domination d’autrui. Quant à la violence, elle est l’expression d’une
force puissante quel qu’en soit son origine naturelle ou humaine et a un caractère
soudain, imprévisible. L’agressivité n’aboutit pas automatiquement à un passage à l’acte
alors qu’il y a un passage à l’acte dans la violence.

2.3. La violence

- Définition de la violence
Il est difficile de donner une définition sociologique intangible de la violence. Cela tient à
sa dimension relative et donc changeante. En effet, un même comportement sera jugé
violent en fonction de normes et valeurs qui varient selon les époques et les cultures.
C’est dans cette perspective que s’inscrivent les travaux de Norbert Elias15 sur les
évolutions historiques des manifestations de la violence.

La violence comprend un large éventail d’action qui peut aller de l’injure à l’homicide.
Selon l'OMS, la violence est « l'utilisation intentionnelle de la force physique, de
menaces à l’encontre des autres ou de soi-même, contre un groupe ou une
communauté, qui entraîne ou risque fortement d'entraîner un traumatisme, des
dommages psychologiques, des problèmes de développement ou un décès »
15
Plus largement, l’habitus désigne chez Norbert Elias le « savoir social incorporé » qui se sédimente au cours du temps et
façonne, telle une « seconde nature », l’identité tant individuelle que collective des membres d’un groupe humain qu’il
s’agisse d’une famille, d’une entreprise, d’un parti ou d’une nation. Compte tenu de l’appartenance de chaque individu à de
multiples réseaux d’intégration sociale à différents niveaux, l’habitus de chacun est forcément multiple lui aussi.
Norbert Elias rappelle que le processus de diffusion de nouvelles normes de comportements et d'attitudes est impulsé par
les classes supérieures et s'effectue verticalement, du "haut" vers le "bas" de la hiérarchie sociale.

33
Plus spécifiquement les Nations Unies définissent la violence faite aux femmes comme
« tous les actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvoir causer
aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y
compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que
ce soit dans la vie publique ou la vie privée16

- Les différents types de violence

 La violence physique

La définition de la violence est complexe de par les différentes formes qu’elle revêt.
En effet, un même comportement sera jugé violent en fonction des normes et
valeurs qui varient selon les époques et les cultures. La violence physique est une
forme d’abus qui implique le contact physique qui peut provoquer une souffrance
physique ainsi que des marques visibles sur le corps en instaurant un climat de peur.
Néanmoins, dans certains cas la violence peut exister sans laisser de marques.

 La violence économique
Selon Landry et al (2011), ce type de violence : « vise à faire subir des
conséquences financières à la victime. Ce type de violence peut aussi viser à
contrôler une autre personne soit en la privant d'argent, de nourriture ou en vérifiant
tout ce qu'elle achète (particulièrement en violence conjugale). Le contrôle peut
aussi être exercé par un don exagéré de cadeaux ou d'argent qui donne à l'agresseur
un sentiment que la victime porte une dette envers lui ».

 La violence sexuelle
Landry et al (2001) définissent la violence sexuelle comme : « des gestes à caractère
sexuel, avec ou sans contact physique, commis par un individu sans le consentement
de la personne visée ou par une manipulation affective ou par du chantage. Il s'agit
d'un acte visant à assujettir une autre personne à ses propres désirs par un abus de
pouvoir, par l'utilisation de la force ou de la contrainte, ou sous la menace implicite
ou explicite ».

16
Déclaration sur l’élimination de la violence contre les femmes, Résolution 48/104 de l’Assemblée générale d’ONU.

34
 La violence psychologique
La violence psychologique, dite aussi violence morale, violence mentale, ou violence
émotionnelle, d'abus envers autrui, sans qu'une violence physique soit mise en
œuvre directement. Elle se caractérise par le comportement moralement agressif ou
violent d'un individu vis-à-vis d'un autre individu. Elle peut se manifester par des
paroles ou des actes qui influencent l'autre dans ses sentiments d'être aimé ou
détesté. Elle
se caractérise donc par la souffrance subjective de celui qui subit. Outre son
éventuelle incidence corporelle, elle comporte toujours une dimension psychique : se
sentir vulnérable, se sentir inférieur. De cette violence peut résulter
un traumatisme psychologique, pouvant inclure anxiété, dépression chronique ou
trouble de stress traumatique.
La violence psychologique consiste souvent en actes répétés constitués de paroles,
de menaces d’agissements pouvant entraîner une altération de la santé physique ou
mentale. Il s’agit souvent de menaces, d’insultes, de critiques, de chantages, de
dénigrements que rapportent souvent les victimes de la violence psychologique.
D’autres formes de violences psychologiques sont connues sous l’appellation de
harcèlement moral (Leymann, 1996)

 Le harcèlement moral
Il s’agit d’un processus de destruction. Il est constitué d’agissements hostiles qui, pris
isolément, pourraient sembler anodins, mais dont la répétition constante a des effets
pernicieux. La liste des agissements constitutifs du harcèlement moral selon Leymann
(1996), visent à empêcher la personne de s’exprimer ou à isoler la victime. De même,
la personne peut déconsidérer la victime auprès d’autrui au sein d’un groupe. Elle
peut également la discréditer ou compromettre sa santé.
Pour certains auteurs, les causes du harcèlement seraient avant tout liés aux
individus et donc à la personnalité du harceleur. Hirigoyen, (2001) considère que
l’individu a un rôle central dans le processus. Le harceleur serait un pervers
narcissique qui « établit avec autrui des relations fondées sur les rapports de forces,

35
la méfiance et la manipulation ». La perversité serait enracinée chez certains
individus qui seraient alors des harceleurs potentiels au travail.

 La violence symbolique
En s’inspirant de l’œuvre de Marx, P. Bourdieu élabore une théorie de la violence
symbolique dans son ouvrage intitulé « La domination masculine ». Il cerne ce type
de violence comme « Tout pouvoir qui parvient à imposer des significations et à les
imposer comme légitimes en dissimulant les rapports de force qui sont au fondement
de sa force ». Il a en effet conceptualisé la thématique de classes en l’adaptant aux
problématiques contemporaines de la reproduction des inégalités sociales à travers
ce qu’il appelle la « violence symbolique » (1970).

Selon sa théorie, les dominants (groupes sociaux, ethnies, sexes) imposent leurs
valeurs aux dominés qui, en les intériorisant, deviennent les artisans de leur propre
domination assurant de la sorte sa reproduction par l’adhésion, voire le
consentement des dominés. Ce que Pierre Bourdieu nomme violence symbolique,
c’est cette capacité à faire méconnaître l’arbitraire symbolique, et de le faire
admettre comme légitime. Ainsi envisagée, la violence n’est pas assimilable à la
violence physique entre les personnes, mais concerne quelque chose de beaucoup
plus abstrait. Dans cette perspective la violence symbolique renvoie à tous les
mécanismes d’intériorisation de l’ordre social et devient donc, comme le dit Pierre
Bourdieu synonyme d’ « inculcation d’un arbitraire culturel ». La notion de violence
symbolique désigne des formes déguisées de contrainte qui ont pour caractéristiques
de s'exercer avec l'«assentiment» des personnes qu'elles visent (P.Bourdieu,(1990). Il
entend souligner que la capacité des agents en position de domination à imposer
leurs productions culturelles et symboliques joue un rôle essentiel dans la
reproduction des rapports sociaux de domination notamment celle des rapports
sociaux de sexe. La violence symbolique est un concept permettant de décrypter les
processus de domination et les injustices sociales.

36
Ce pouvoir est imposé à sa cible par des significations et des rapports de sens.
D’inspiration essentiellement marxiste qui associe les processus de la domination
sociale à une certaine forme de violence, les travaux de Pierre Bourdieu en
constituent un des principaux exemples contemporains. Il s’agit d’une violence
qualifiée de « symbolique » qui renvoie à l’imposition d’un arbitraire dans toute
forme d’inégalité notamment les inégalités de genre. Il s’agit d’un concept critique
permettant de mettre en lumière les processus de la domination sociale. C'est à
partir de cette grille de lecture qu'il analyse les ressorts de la domination masculine.

- La dialectique Violence symbolique/ violence physique

Pour certains sociologues, la recrudescence des agressions physiques va de paire


avec l’échec scolaire et le capital culturel, surtout dans les milieux les plus
défavorisés. Marginalisés, dénués de capital culturel, privés de toute perspective
d’avenir valorisant, les jeunes, pour l’essentiel issus des grandes périphéries urbaines
pauvres, vivent en dehors des normes sociales dominantes. Il s’ensuit un état de
frustration sociale et un ressentiment envers les inégalités et les injustices sociales.
Sentiments qui pourraient trouver un exutoire à travers l’agression physique envers
les personnes et notamment les femmes et qui peut se manifester isolément ou en
groupe. Même si la force physique est de plus en plus dépréciée dans nos sociétés
au profit, notamment, de l'habileté rhétorique et de la maîtrise des émotions, ce
processus ne va pas sans susciter de résistances, périodiques ou sporadiques,
individuelles ou de groupe. Résistances qui peuvent s'exprimer dans le
réinvestissement de la violence physique contre les Autres. Portés par la rancune à
travers la violence symbolique qu’ils subissent, ne maîtrisant pas les codes légitimes
du langage, les personnes défavorisées et/ou marginalisées peuvent exprimer leur
révolte par des agressions verbales ou physiques. Violence physique et violence
symbolique ne sont plus dans un rapport d'exclusion; elles se rejoignent
paradoxalement dans ces "violences-simulacres" où l'exercice de la violence est

37
empreint de domination symbolique17 : il s’agit d’un rapport dialectique entre la
violence symbolique et la violence physique

- Genre et violence
La relation entre genre et violence peut être examinée à partir des croyances, des
représentations et des pratiques. Elle est appréhendée au travers des normes qui les
sous-tendent et qui se manifestent en situations interactionnelles. Ainsi, sont mises
en évidence des violences symboliques, plus ou moins insidieuses à l’encontre des
femmes. La nature des rapports sociaux entre les sexes inhérents aux facteurs socio-
culturels ont un impact dans la construction de cette violence symbolique. Les
pratiques ou discours dépréciatifs - intentionnels ou non- et l’atteinte portée au
« moi identitaire »( Braud, 2003) constituent deux sources de violence symbolique.

Il s’agit d’un processus de soumission par lequel les soumis (ici les femmes)
perçoivent que l’obéissance à la hiérarchie sociale est légitime et est naturelle. En ce
sens, les soumis adoptent la vision que se font les dominants. On sait que la culture
islamique recommande à la femme l’obéissance à son mari, l’entrée au Paradis est
conditionnée par l’obéissance selon certains hadiths18. Le dominé (la femme) est
assujetti à un statut d’infériorité au dominant ce qui lui engendre une situation
dévalorisante. Le dominé éprouve un sentiment d’infériorité, ou d’insignifiance, il est
invisible et stigmatisé comme le fait remarquer Bourdieu : le dominé est perçu alors
que le dominant est celui qui perçoit.

Comme le démontre la littérature, souvent l’ensemble de violences s’ajoutent l’une


à l’autre et prennent progressivement la forme d’une escalade. Cette escalade ou
cette spirale de la violence va affaiblir petit à petit la victime en augmentant
d’intensité à chaque récidive. Au fil du temps, la victime devient soumise à
l’agresseur et va adapter ses comportements aux besoins de son agresseur.

17
Isabelle SOMMIER ( 1993)
Dans son analyse des mouvements sociaux ouvriers, l’auteure considère en effet que les modalités du déclin de la violence
physique ne faisaient que "mettre en contre-jour" celles de l'accroissement de la violence symbolique (au sens où l'entend
la sociologie de la domination) en faisant référence aux travaux de P.Bourdieu. Elle évoque la résistance comme référence
légitimatrice de la violence.

18 Paroles ou pratiques du prophète Mohamed.

38
- Représentations et violence.
Plusieurs auteurs ont étudié le phénomène de la violence dans le cadre théorique
des représentations sociales et ont montré l’existence de valeurs tendant à légitimer
les comportements violents. Ils estiment que, de façon générale, la violence est
vécue et représentée comme quelque chose d’acceptable dans certaines situations
et dans certains milieux, et qu’il existe une permissivité et une certaine tolérance face
aux violences que les hommes infligent aux femmes. Chaque individu a donc sa
représentation idiosyncrasique de la violence ou d’un autre objet qui a lieu d’être
défini.

- Les déterminants de la représentation sociale de la violence faite


aux femmes
De par cette composante sociale, plusieurs chercheurs ont focalisé leur description
de la représentation sociale en tant que conditionnée par un ensemble de
déterminants sociaux. Il est intéressant dans ce cadre d’identifier les facteurs sociaux
et culturels tels que perçus par les hommes.
Certaines théories comme celles de P.Bourdieu,( 1977) dans sa théorie du champ et
le principe d’homologie structurale (Bourdieu, 1979), la logique de justification de la
violence faite aux femmes se trouve dans un rapport similaire aux positions sociales
occupées au sein des groupes (Ben Alaya, 2016)

De son côté, Jodelet (1994) abonde sur cette dimension sociale des représentations.
Elle affirme que les représentations sociales : « sont reliées à des systèmes de pensée
plus larges, idéologiques ou culturels, à un état des connaissances scientifiques,
comme à la condition sociale et à la sphère de l’expérience privée et affective des
individus. Les instances de relais institutionnels, les réseaux de communication
médiatiques ou informels interviennent dans leur élaboration, ouvrant la voie à des
processus d’influence, voire de manipulation sociale, et nous verrons qu’il s’agit là de
facteurs déterminants dans la construction représentative»

39
Plon (1972) évoque l’empreinte sociale dans le contenu des représentations sociales
des individus. La place, la position sociale qu’occupent ces derniers ou les fonctions
qu’ils remplissent, déterminent les contenus représentationnels et leur organisation,
via le rapport idéologique qu’ils entretiennent avec le monde social» (p. 366).

Par ces marques sociales, les auteurs considèrent les représentations comme « une
forme de pensée sociale» largement partagée par les membres du groupe (Jodelet,
1984). Cependant, les déterminants sociaux ne sont pas les seuls à intervenir dans la
construction des représentations sociales, les facteurs individuels d’ordre
psychologique y contribuent également. Il s’agit notamment de l’âge, du sexe, du
niveau d’instruction, de l’expérience vécue, etc.

Dans la mesure où les représentations sociales entre les groupes justifient les
comportements des uns vis-à-vis des autres, ces mêmes relations varient en fonction
des pratiques au sein d’un même groupe. On suppose que l’âge des individus
appartenant au genre masculin pourrait déterminer des représentations différentes
envers les violences portées aux femmes. Le contenu de ces représentations pourrait
être différent chez les jeunes et chez les hommes adultes.

« Les représentations entre groupes sont aussi elles-mêmes déterminées par la


pratique des relations entre eux. Apparait ici le rôle des représentations dans le
maintien et la justification de la position sociale des groupes et de leur différenciation
les uns par rapport aux autres » (Ben Alaya ,2016)

Ce faisant, et sans ambitionner l’exhaustivité, cette mise en avant de quelques


notions et définitions clefs ferait office de cadre théorique en fournissant un outil
d’analyse des données empiriques de cette étude sur les violences faites aux
femmes. Même si elles présentent des diversités - vus les domaines qu’elles
explorent -, toutes ces notions soulignent l’aspect pluridisciplinaire de notre
approche. Dans cette étude, on s’intéresse évidemment de façon privilégiée aux

40
relations existant entre « violence » et « représentation masculine » qu’il s’agisse de
leur occultation ou de leurs conséquences.

2.4. La violence comme objet d’étude


Si la violence à l’encontre des femmes est restée longtemps ignorée, elle constitue
aujourd'hui un objet de recherche en pleine expansion dans plusieurs disciplines. Ce
problème social posé sur le plan local, national, régional et international a souvent
interpellé des chercheur.e.s de champs disciplinaires diverses : la psychologie, la
sociologie, la psychologie sociale, l’économie, la psychanalyse, la biologie...etc. La
plupart des études sociologiques traitant des questions de violence sont liées à
l’étude du pouvoir. La sociologie fait de la violence un objet d’étude empirique, mais
elle est aussi un concept critique permettant une mise en perspective, et une remise
en cause de la domination sociale et culturelle légitimée. Elle devient ainsi un moyen
d’étudier la cohésion sociale ainsi que la nature du pouvoir en place.

Cette diversité disciplinaire dans laquelle baigne le phénomène de la violence, fait


qu’il est saisi soit comme un fait sociologique lié à un environnement économique et
socioculturel le favorisant, soit comme un produit psychologique relevant de
caractéristiques individuelles inhérentes à la personnalité de l’acteur de la violence ,
soit encore comme comportement relationnel basé sur des rapports sociaux
spécifiques en l’occurrence les rapports sociaux de sexe.

Il ya plusieurs sortes d’interprétations sociologiques de la violence sans que cela n’ait


pu constituer véritablement un domaine autonome d’enseignement ou de recherche
en sociologie. Toutefois, parallèlement aux actions menées sur le terrain, on observe
un intérêt croissant dans les milieux scientifiques, pour comprendre et prévenir le
phénomène de la violence à l’encontre des femmes. En effet, plusieurs travaux
empiriques ayant des visées pratiques en termes de recherche/action ont pu
contribuer à la compréhension de ce phénomène pour une meilleure efficacité des
interventions et une meilleure programmation des activités de plaidoyer, de
prévention et de lutte. Notre étude se veut aussi une contribution à ce corpus

41
empirique de ce phénomène par le biais des représentations sociales. La violence
constitue en fait, une thématique transversale qui traverse une multitude de
domaines utilisant des méthodes et des approches aussi diverses que variées.
Toutefois, la plupart des ces études appréhendent ces violences du point de vue de
la victime, en l'interrogeant sur les faits qu'elle a vécus, leurs causes et et leurs
conséquences ; ce sont au fait pour la plupart, des enquêtes de victimation. La
dimension subjective inhérente à ce type d’enquête rend compte de la relativité de la
notion de violence et de son aspect polysémique.

Certes, interroger les représentations sociales des hommes ne représente pas


l’unique entrée pour l’abord de la thématique des violences, mais elle offre à notre
sens, un moyen prolifique pour l’analyse de dimensions différentes des violences
faites aux femmes.

42
Chapitre 3.
Le constat : Les représentations de la violence faites
aux femmes chez les hommes et les garçons
La question que le lecteur peut se poser serait : pourquoi étudier le phénomène des
violences faites aux femmes par le biais des représentations sociales masculines ?
Les représentations sociales constituent un objet de recherche qui suscite l’intérêt
des chercheur.e.s en sciences sociales pour saisir outre l’aspect quantitatif, les
soubassements sociocognitifs de certains phénomènes sociaux, tel le phénomène
des violences faites aux femmes.

Loin de privilégier l’analyse de ces violences en termes de déterminisme et de figer


les rapports sociaux de sexe ; il est question de tenir compte de la dynamiques
historique, temporelle et spatiale et de la conjoncture actuelle. C’est ainsi qu’il
devient possible d’aborder le problème de certaines pratiques sociales, non en
termes linéaires et normatifs mais en termes de variations dans la manière de vivre,
définies par l’intersection de l’histoire personnelle et sociale. Une telle approche
permet d’avancer des hypothèses explicatives sur les différentes représentations des
violences faites aux femmes.

Le monde moderne dans lequel l’information et la communication jouent un rôle


essentiel offre à l’étude des représentations un champ certes, renouvelé. Les efforts
entrepris pour expliquer le phénomène des violences à l’égard des femmes et de
leurs conceptions ont donné lieu à des travaux bien documentés qui ont permis de
faire entendre les voix des femmes victimes de violence afin de comprendre les
divers aspects de ce problème social visant à les prévenir.
La plupart des données montrent que la violence à l’encontre des femmes est
essentiellement perpétrée par des hommes. Ceci n’implique pas évidemment que les

43
hommes sont tous des agresseurs, tant dis que les femmes toutes victimes. La
violence n’est effectivement pas le monopole d’un sexe, toutefois ; elle est sexuée.

A notre sens, la représentation des hommes, beaucoup moins explorée dans les
recherches, justifie notre attention portée sur les représentations des hommes
quant à ce phénomène dont ils sont acteurs. Dans ce sens, notre étude se propose
d’apporter une contribution novatrice aux travaux développés sur la violence
envers les femmes.

Comme nous le montrent bien certaines théories psychosociales, parmi les


composantes de la justification de la violence il ya une composante cognitive, qui
reflète les croyances, les perceptions, les opinions pouvant expliquer les variations
dans l’appréhension de ces violences ainsi que dans l’identification de ces facteurs
déterminants.

Pour capter les représentations des violences envers les femmes, nous avons tenté
de recueillir les idées à propos du phénomène étudié et, par la suite, d’examiner
plus systématiquement d’éventuelles variations en fonction de deux générations
(auprès des adultes et des jeunes) et/ou en fonction de régions différentes.
(Cf.Chap.Methodologie)

Dans la mesure où il existe une relation entre façons de penser et appartenances


sociales ou appartenance de genre, il nous a paru important, pour mieux
comprendre et pour prévenir les violences faites aux femmes, de chercher à scruter
cette composante cognitive de la violence envers les femmes à travers les
représentations masculines. La violence est à la fois représentée et représentante.

On a voulu interroger autrement les violences faites aux femmes, entendre une
autre parole et sortir d’une posture victimaire. À travers la figure de l’acteur des
violences, le questionnement se prolonge et s’affine vers l’étude d’un processus lié à
une dynamique relationnelle d’interaction, parce qu’on considère que les
représentations constituent un maillon entre pratiques observables et pensées
construites culturellement ayant aussi trait au genre. Interroger les représentations

44
masculines pour penser la violence s’inscrit dans une logique d’engagement global
en faveur de l’égalité de genre. Un changement dans la compréhension de ce type
de violence pourrait impacter les politiques et les stratégies d’action. Ca sert aussi à
combler certaines lacunes de notre compréhension de la production de la violence et
de l’exposition des femmes à la violence.

A l’image de la société, les données recueillis dans la présente étude sur les
représentations sociales des violences faites aux femmes sont hétéroclites et variés.
En comparaison avec la prévalence et l’observation de la fréquence de ces violences,
dimension analysée dans plusieurs études, la saisie des représentations sociales que
les hommes se font de ces violences est indispensable et salutaire pour une analyse
substantielle et pour une meilleure compréhension des facteurs qui les sous
tendent. Il s’agit d’une dimension centrale lorsqu’on considère que l’action humaine
qui produit ces violences est largement déterminée par ces représentations sociales.
Ces dernières sont constituées selon Serge Moscovisci ( 1976) , des opinions des
attitudes et des stéréotypes. Pour Claude Flament (1994), les représentations
sociales sont un ensemble organisé des cognitions relatives à un objet, partagées par
les membres d’une population homogène par rapport à cet objet.
Il s’agit donc d’une étude novatrice eu égard à son angle d’appréhension du
phénomène des violences faites aux femmes, en ce sens qu’elle appréhende ce type
de violences à travers sa dimension cognitive : une autre facette de la violence.

Les questions relatives à la genèse des représentations sociales et des conduites


sociales permettent de concevoir que les diverses représentations que les hommes
ont de la violence sont certainement liée à l’adoption de conduites particulières : les
représentations ont une fonction prescriptive mais on considère aussi que les
conduites, les pratiques influencent le contenu des représentations. En raison de
cette interaction, le changement en terme comportemental des hommes et des
jeunes devrait également s’accompagner de changements sociocognitifs dans les
représentations partagées.

45
Cette étude empirique sur les représentations sociales des violences faites aux
femmes a révélé une diversité de perceptions, d’attitudes, d’opinions qu’ont les
jeunes et les adultes hommes quant à ce phénomène. En analysant le contenu de
leurs paroles et de leurs témoignages, nous avons pu regrouper les données sous
forme d’items.

3.1. Contenu de la représentation de la violence à l’encontre


des femmes chez les hommes et les garçons
L’analyse qualitative du corpus des entretiens et des focus groups fait apparaître des
représentations à l’égard des femmes qui s’articulent autour de cinq axes. Les
représentations portent sur la symbolique de la femme et les associations qui lui sont
reliées. Par ailleurs, quand il s’agit de l’analyse des représentations de la violence, les
répondants associent les représentations aux origines de la violence. Dans ce cadre,
ils identifient des facteurs contextuels liés à des dimensions socioculturelles,
économiques, législatives. D’autres répondants associent la violence à des facteurs
individuels ou interpersonnels liés à la femme ou à l’homme et à leurs
caractéristiques respectives sur le plan de la personnalité. De même, des facteurs
relationnels seraient évoqués comme des facteurs susceptibles d’augmenter le risque
de la violence dans une relation. Ces facteurs sont soit liés à la dynamique
relationnelle dans le couple (rivalité, infidélité…) ou à la reproduction de modèles
familiaux. Les répondants évoquent également une typologie des comportements
qu’ils considèrent comme violents. Enfin, les répondants identifient dans leurs
discours un ensemble de prescriptions comportementales que les femmes doivent
adopter pour réduire les violences à leurs égards.

46
3.1.1. Axe relatif à la symbolique de la femme : Une symbolique
ambivalente
Pour les mettre à l’aise et pour introduire les discussions de groupes et les entretiens,
nous avons demandé aux participants d’évoquer un dicton, une citation ou un adage
symbolisant la femme afin de saisir le regard qu’ils portent sur l’image de la femme

Une multitude de formulations a été donnée à cette demande par différents enquêtés,
et à chacun sa perception de la femme. Le regroupement de ces formulations donne à la
femme une image mitigée, entre une image emblématique et une image négative. Ainsi
nous nous sommes retrouvés devant une symbolique frappée d’ambivalence où
s’imbriquent religion, tradition, liberté et modernité…

- Image emblématique : valorisation de la figure maternelle

Pour la plupart, être femme c’est d’abord être une mère. En effet, Au delà de la diversité
géographique, la plupart de nos répondants et particulièrement les jeunes, perçoivent
une image positive de la femme dans son statut de mère. Plusieurs de nos enquêtés ont
relaté des textes religieux, des citations populaires, des adages, des paroles de chansons
de Rap, de la poésie qui vénèrent et idéalisent la mère.

« Le paradis est sous les pieds des mères.. »

«.. un homme a demandé au prophète : avec qui dois-je être le


plus charitable ? et le prophète a répondu : avec ta mère et il
l’a répété trois fois avant de dire une seule fois : avec ton
père.. » témoignages de plusieurs jeunes

Outre cela, cette tendance à l’idéalisation du statut de la mère apparaît chez ces
jeunes comme une nette dissociation, voire une réfutation de la « femme /sujet »,
en tant qu’entité propre. La mère est alors perçue différente des autres femmes,
comme un être doté de toutes les qualités et de toutes les vertus. Elle demeure
dans les représentations de ces jeunes l’être idéal qu’aucune femme ne saurait
égaler. Comme si se rapprochant de l’âge adulte, ils construisent leur rapport à la
femme sous le mode de la mère idéalisée.

47
Cette image est sans cesse répétée avec beaucoup d’émotivité dans les paroles de
certains jeunes (des pleurs, des soupirs..). La mère représente pour eux la figure
d’attachement principal. Elle est définie et valorisée dans et à travers ce rôle, rôle le
plus sacré. Tout comme si la femme n’acquiert statut et reconnaissance vis-à-vis de
la société qu’à travers son rôle de mère : la mère asexuée .Une forte pression sociale
semble encore contraindre les femmes à n’être considérées que dans ce rôle. Ainsi,
la reconnaissance sociale de la femme reste dans ce sens, intimement liée au fait
d’être mère. La maternité est clairement affichée comme partie intégrante de
l’identité des femmes. Cette vision différentielle exprime au fait, la prégnance du
mythe de la femme/mère.

Pour ces jeunes, aucune femme ne sera assez bonne qu’une mère pour son fils,
aucune ne peut l’aimer et le comprendre comme elle le fait. D'ailleurs ils sont tous
convaincus, qu’une mère est digne de cette idéalisation et de ce piédestal sur lequel
ils la placent autant qu'elle ne les idéalise comme fils.

Autant le statut de mère est valorisé sur le plan affectif et social bien que non
valorisé sur le plan économique, autant il est dévalorisant en tant qu’« être », tout
comme si la « femme » disparait au profit de « la mère » : que la mère ne tue pas la
femme !

- Image dévalorisante : femme/objet de désir


Dés qu’on les a conduits à décrire leurs expériences, leur vécu et leurs relations avec les
filles/femmes, les jeunes avouent ou adoptent une attitude qui signifie l’aveu de
l’incompatibilité entre certaines normes traditionnelles et un certain statut moderne des
femmes tout en marquant leur préférence pour les valeurs traditionnelles et en motivant
leur choix par l’opposition modernité/spécificité culturelle. Au fait, leurs idées se
brouillent dans leur confrontation avec le vécu de leurs expériences et leurs
fréquentations de jeunes filles ; ainsi se forme chez eux une image plutôt négative de la
femme.

48
Leur perception s’est exprimée en particulier par une focalisation sur le corps et
l’apparence physique des femmes. De leurs réponses, nous avons pu dégager chez les
jeunes des contradictions entre les modèles prescrits, idéalisés et les jugements
personnels sur des situations vécues en l’occurrence lors de fréquentations passagères.
En relatant leurs expériences, la femme est vite assimilée à un corps provocant le désir
de l’homme : c’est l’image dégradée et dévalorisante qui émerge de leurs propos. Tout
semble présumer que ces jeunes n’ont pas vraiment appris à gérer leur désir sexuel.
Des propos qui médisent le corps des femmes, corps sexué, corps séducteur source de
déshonneur : l’image d’ « Eve tentatrice ». Tout comme si les femmes doivent payer la
facture du péché originel. De fait, il est préoccupant que cette hyper sexualisation qui
dépeigne les femmes les résume à des objets de plaisir sexuel. Ceci risque de légitimer
ou d’exacerber la violence envers elles et incite notamment au harcèlement sexuel et
aux comportements misogynes. L’image du corps de la femme tel qu’il est perçu et
présenté, légitime en un certain sens les comportements machistes : domination,
dévalorisation, violence…

Outre cela, la représentation négative à l’encontre de la femme est qu’elle est source
de problèmes relatifs à l’appréhension de l’homme de perdre son pouvoir sur la
femme, c’est la raison pour laquelle certains répondants recommandent d’éduquer la
femme dès la première nuit de noces. Un répondant relate que :
« …L’apprentissage de l’obéissance est nécessaire dans la
relation, il faut être ferme avec la femme et la battre si
nécessaire. L’essentiel est que la pression soit maintenue sur
elle… »

L’opinion négative, c’est qu’on lui réclame l’obéissance. L’un de ces enquêtés annonce
qu’elle est à la fois source de progression et de régression. Cette ambivalence se retrouve
dans les propos d’un autre répondant :

« … la femme représente la moitié de la société, la question qui


se pose, c’est quelle moitié de la société ? la moitié supérieure
ou la moitié inférieure ? Il y a ceux qui pensent que la moitié

49
supérieure c’est pour les hommes et l’inférieure pour les
femmes… »
Les représentations que se font les jeunes des femmes sont multiples comparées à
celles des hommes. Les adultes n’on fourni que deux réponses et elles sont
ambivalentes. L’une est positive, c’est l’image de la femme dans son rôle d’éducatrice de
ses enfants et de leur réussite. La seconde à connotation négative, c’est l’image
stéréotypée de la femme en tant qu’être faible. Un répondant jeune abonde dans ce
sens en affirmant que :

«.. la carrure de la femme ne lui permet pas de travailler


certains métiers….c’est l’homme d’assumer sa responsabilité et
de travailler, à mon avis le physique de la femme n’est pas fait
pour les métiers durs… ».

En revanche les représentations des jeunes sont beaucoup plus nombreuses et


indiquent la même ambivalence. Celles, qui sont positives montrent que la femme
est une fierté, qu’elle constitue une moitié agissante de la société puisqu’elle a
réussi dans ses études, qu’elle a été capable d’occuper plusieurs postes dans
plusieurs domaines. Sa morphologie ne constitue pas un obstacle pour sa réussite.
Celles qui sont négatives mentionnent sa fragilité sur le plan physique, sa perception
comme objet de séduction (prise en compte de son être comme corps uniquement ;
elle est également perçue comme ayant une faible personnalité.

Certains jeunes soulignent que la femme fait penser à la mère et à la sœur, les
femmes représentent plus que la moitié de la société (nisaa biladi nissaa wa nisf). La
mère est « une école », la femme est une « combattante, militante », elle étudie,
elle travaille, elle a un rôle important dans la société. La réussite des grands hommes
en dépend, elle occupe des postes de commandement. Elle exerce du pouvoir grâce à
ses études. Si on lui reconnait des qualités positives, pour plusieurs répondants, la
femme ne peut pas égaler l’homme et ne peut qu’occuper une seconde zone dans la
société puisque selon leur croyance elle est « créée de la côte de l’homme », ce qui

50
en somme veut dire que Dieu a créé Ève à partir d’Adam. L’attitude ambivalente est
exprimée par la métaphore suivante :

«… elle est à la fois une abeille qui produit du miel mais qui
pique ». Comme le relatent certains jeunes.

Nous retiendrons de ces propos que la distribution des rôles sexués est liée à de
nombreux stéréotypes de genre qui sont à l’origine d’une socialisation différenciée.
A l’instar de beaucoup d’adultes enquêtés, les jeunes des zones rurales et/ou peu dotés
de capital culturel (gouvernorat de Beja) éprouvent plus souvent des réticences à l’égard
de l’émancipation de la femme, considérée comme injonctions occidentales ne
correspondant pas à l’identité arabo-musulmane. Ils dévoilent un souci quant à la
transgression des normes sociales par les femmes, tout en servant d’appui la recherche
d’une légitimité identitaire.

En dépit de quelques différences su-citées, jeunes et adultes partagent des


représentations communes de la femme. Il s’agit de représentations traditionnelles de la
femme (rôle de mère, de sœur, d’éducatrice d’enfants, de femme au foyer, de
complément de l’homme…).

Les jeunes la perçoivent moins négativement que les adultes : « fragile » « douce », mais
lui reprochent de revendiquer le droit à l’égalité et sa tendance à dominer, tandis que
les adultes ne lui nient certes pas le droit à l’instruction, cependant, ils expriment
clairement leur méfiance à son égard.

Somme toute, la symbolique de la femme est caractérisée par l’ambivalence. Dans cette
dichotomie s’imbriquent religion, tradition, liberté et modernité. Les représentations
sont tantôt positives tantôt négatives. Dans certains cas, elles sont « ambigües ». Selon
(Milland et Flament, 2010) : « une même représentation sociale puisse alimenter
plusieurs images (potentiellement contradictoires) d’un même objet …dans certains cas,
elle peut se traduire par des liens avec l’attitude à l’égard de l’objet ».

51
Les choses étant ce qu’elles sont, c'est-à-dire sexuellement déterminées, on constate
que leur représentation du féminin, se fait essentiellement par son opposition au
masculin et que leurs repères restent profondément sexués. Derrières leurs discours sur
l’émancipation des femmes, se profile un capital socioculturel renforçant un ancrage de
la domination masculine « naturalisée » culturellement par une socialisation différenciée
dés le jeune âge dans la famille. Comme le souligne P.Bourdieu 19 « …quelle que soit leur
position dans l’espace social, les femmes ont en commun d’être séparées des hommes
par un coefficient symbolique négatif qui, comme la couleur de la peau pour les Noirs ou
tout autre signe d’appartenance à un groupe stigmatisé, affecte négativement tout ce
qu’elles sont et ce qu’elles font" (p. 100).

Face à un ordre défini aux normes de comportement que la société définit, les jeunes et
moins jeunes rencontrés produisent leurs propres façons de penser et d’agir,
relativement uniformes, car produites dans des situations assez similaires résultant de
leur traitement social commun et en particulier de leur vécu de jeunes correspondant à
leur environnement socio-spatial. Un environnement organisé en fonction d’une
domination masculine présentée comme parfaitement naturelle, allant tellement de soi
qu’elle se passe de toute justification.

Pour paraphraser Durkheim, la pensée collective et sociale garde un dualisme assez


explicite : les représentations deviennent autonomes et suivent leurs propres règles. Les
individus doivent s’y reconnaître, se classifier, se placer et se hiérarchiser, en définissant
des espaces communs s’ils ne veulent pas risquer d’être marginalisés, voire exclus.
Simmel aussi souligne le caractère abstrait ou ambivalent de cette conception de
l’individualité : « …nous sommes tous des fragments de l’homme en général et de nous
mêmes (…) ; le regard de l’autre intègre ce matériel fragmentaire dans ce que nous ne
sommes jamais à part entière, (…) nous considérons l’autre comme quelqu’un qui co-
habite un même monde particulier » (Simmel, 1908).

Si cet avis est partagé par plusieurs jeunes interrogés, nous avons toutefois relevé, -
mais à une récurrence moindre - un avis contraire : une image plus positive de la
19
P. Bourdieu, la domination masculine(1998)

52
femme, ressenties parmi certains jeunes, pour la plupart actifs dans la société civile
et/ou ayant un niveau socioculturel élevé.

En effet, seuls certains jeunes du grand Tunis se caractérisent par des représentions
positives à l’égard de la femme. Les femmes sont pour eux des militantes combattantes.
Elles jouent un rôle important dans la société. Elles œuvrent pour un monde meilleur.
Au fait, ils se sont montrés sensibles aux potentialités transformatrices de la culture
féminine.

Ces derniers ont montré à travers leurs paroles une certaine sensibilité aux droits
humains en général et aux droits des femmes en particulier, prônant l’égalité entre les
sexes et le droit aux libertés individuelles. Ayant une attitude moins traditionnaliste, Ils
ont montré une posture plus encline à l’émancipation des femmes, plus favorables aux
changements des statuts et des rôles vers des modèles plus égalitaires. C’est ce qui
nous permet de dire qu’il y a au fait plusieurs manières de réaliser et de percevoir la
féminité.

Le plus souvent c’est la réglementation traditionnelle qui semble faire autorité. Ces
diverses sensibilités ne constituent pas un modèle unique, mais elles donnent plutôt des
orientations parmi lesquelles chaque individu ou chaque groupe d’individus a une
certaine latitude de choix, latitude en fait largement conditionnée par les cadres
culturels. Les références traditionnelles et/ou religieuses apparaissent ainsi comme une
sélection, à laquelle les individus peuvent se soumettre ou contre laquelle, au contraire,
ils peuvent réagir au nom du retour aux sources.

3.1.2. Axe relatif aux attributions causales des violences : ça ne


vient jamais de nulle part.

Plusieurs causes ont été attribuées à la violence faite aux femmes par les enquêtés
pour expliquer voire la justifier. Ces attributions causales s’avèrent, comme nous
allons le voir, essentiellement liés à la construction des rapports sociaux de sexe et aux
facteurs socioculturels qui interagissent et se fondent par conséquent dans l’élaboration

53
de leurs représentations. C'est dans la construction et la nature de ces rapports
inégalitaires entre hommes et femmes qu’ils attribuent les principales causes à la
violence faite aux femmes.

Une multitude d’attributions causales ont été identifiées chez les hommes pour rendre
compte des violences faites aux femmes. Il convient d’abord de constater que ce qui est
commun à toutes les régions et à toutes les catégories d’âge (adultes et jeunes) , c’est
leur rapport à l’évolution rapide de la société : Une société qui serait à la base
traditionnelle et conservatrice et qui aurait été rapidement modernisée par
l’introduction des les valeurs occidentales incompatibles avec l’identité arabo-
musulmane.

Ces attributions causales ont été exprimées à propos de plusieurs aspects par les
personnes interrogées. En les analysant, nous avons pu dégager certaines relations et
certaines similitudes, qui nous ont permis de les catégoriser en facteurs contextuels,
facteurs individuels, et facteurs relationnels. Ces attribution causales ont été relevées
autant dans les réponses des jeunes que dans celles des adultes avec certaines
variations. Pour S. Moscovici (1961) « par les représentations, la personne se donne des
modèles explicatifs, des codes qui autorisent chacun à trouver un sens et à donner une
signification au monde qui l’entoure ».

 Facteurs contextuels

Jeunes et adultes s’accordent pour attribuer l’origine de la violence au caractère


conservateur de la mentalité traditionnelle et à la rapidité de l’évolution sociale qui a
octroyé des droits à la femme au détriment de l’homme.
Les réponses des jeunes paraissent plus explicites que celles des adultes. Les principaux
facteurs de la violence exercée à l’encontre de la femme sont les préjugés, la crainte du
déshonneur que peut entraîner la turpitude de la femme.

Les facteurs économiques et l’inflation ne sont pas sans conséquence sur le pouvoir de
l’achat. Ces facteurs sont susceptibles d’exercer une tension au sein des ménages. De plus,

54
cette situation est aggravée par la surcharge du travail ménager en cas du travail de la
femme ce qui rend la femme tendue.
Le motif particulier invoqué par les adultes est le stress qu’entraîne la vie moderne (
stress professionnel et autres), ce facteur est susceptible d’accroitre la violence à l’encontre
de la femme selon plusieurs adultes questionnés.

Il est généralement admis que le contexte économique et socioculturel éclaire les façons de
penser et d’agir. Quand on cherche à comprendre comment les acteurs pensent et agissent,
certains facteurs semblent stables, intangibles, contraignants, ce sont les structures.
D’autres éléments apparaissent constituer les résultats de la pensée et/ou de l’action, être
directement construits par les acteurs agissants.
En effet, Jeunes et adultes se font des représentations quelque peu similaires. Ils partagent
des opinions relatives au rôle que jouent la sécularisation de la société tunisienne dans la
dégradation des valeurs traditionnelles, le rôle des médias et les échanges sociaux dans la
propagation accrue de la violence à l’encontre des femmes.

- facteurs socio-culturels

Il convient de rappeler qu’historiquement et de par le processus civilisationnel, le


développement de la propriété privée a engendré un ordre inégalitaire dans les sociétés
et de fait, une lutte et un usage de la violence. La considération des facteurs contextuels
relatifs à l’organisation sociale et à la reproduction à travers le temps des inégalités
sociales notamment entre les sexes peut dans ce sens, aider à identifier certains
facteurs tolérant des violences faites aux femmes.

Nous considérons d'abord l'universalité de la subordination des femmes, pour examiner


et tenter de comprendre ensuite les représentations sociales masculines quant à la
violence faites aux femmes.

Jeunes et adultes se font des représentations quelque peu semblables quant aux
facteurs relatifs aux mutations sociales que traverse le pays (liberté excessive dont
jouissent les femmes, changement des valeurs, favoritisme au profit des femmes…). Ils

55
s’accordent pour attribuer l’origine de la violence au caractère conservateur de « la
mentalité traditionnelle et à la rapidité de l’évolution sociale qui a octroyé des droits à
la femme au détriment de l’homme ».

- Legs historique :

Quand on pose la question du partage du pouvoir et de l'autorité entre les sexes


dans les différentes cultures, l'opinion prédominante est que les femmes, toujours et
partout, ont moins de pouvoir et d'autorité dans la société que les hommes. Le statut
supérieur de l’homme constitue une des justifications pour expliquer les
violences de l’homme sur la femme.

On entend encore que « le monde est ainsi fait.. », que « c’est comme ça depuis la
nuit des temps...», que « la femme appartient au sexe faible et l’homme au sexe fort »
et qu’ « on ne changera pas le monde » …

En effet, pour expliquer la perpétuation des violences faites aux femmes, plusieurs
de nos enquêtés ont évoqué les racines historiques et sociales des rapports de force
entre femmes et hommes et leur transmission à travers les générations. La
répétition intergénérationnelle de la violence est admise comme un facteur
explicatif, comme en témoigne ces propos :

« Les hommes sont de nature plus forts que les femmes,… ils
ont toujours fait les guerres,… c’est normal qu’ils utilisent le
pouvoir que leur confère Dieu, la nature et la société… »
témoignage d’un jeune

Ainsi la violence dans leurs représentations n’est pas seulement un acte violent isolé
entre les personnes dans une situation donnée, elle est aussi envisagée comme
quelque chose de plus profond, un « habitus » « naturalisé » par le temps, par
l’histoire, donc difficile de s’en défaire. C’est une manifestation de rapports de force
historiquement inégaux entre les hommes et les femmes : « un héritage
comportemental caractérisant notamment l’homme oriental », perçu pour certains,
comme allant de soi, découlant naturellement de notre culture et de notre histoire,

56
et aurait pu être différent dans un autre contexte social selon plusieurs dires. Il s'agit
en effet d'une partie intégrante de l'histoire socio culturelle arabo-musulmane.

Manifestement les jeunes perçoivent chez les adultes des fortes inclinaisons envers
certaines actions, ils imitent ces inclinaisons, devenues acquises et machinales. Au
fait, on satisfait simplement à la règle selon laquelle il faut qu’ils agissent dans un
sens ou dans un autre selon des raisons avouables et acceptables, voire approuvables
par l’environnement où ils vivent.

Au fait, les croyances et les normes répandues sur les rôles assignés à chacun des
sexes alimentent la violence à l’encontre des femmes. Étant le chef de famille,
l’homme jouit d’une plus grande considération sociale. Il a le droit d’imposer sa
volonté à la femme ; quant à la femme, elle doit tolérer la violence si elle veut
préserver l’unité de la famille.

Ce processus s’avère d’autant plus efficace qu’il échappe parfois à la conscience des
acteurs sociaux eux-mêmes, qu’ils soient victimes ou agresseurs. Une violence
intériorisée d’origine sociale. Elle est le produit de la structure sociale elle-même, et
de l’ordre des choses. Sa spécificité « réside en ce qu’elle parvient à se faire oublier
en tant que telle »( P.Bourdieu, 1970). Des actes de violence sont, dans ce sens
considérés, comme faisant partie du tissu culturel et de l’ordre naturel pour protéger
les femmes et pour préserver l’honneur de la famille et sont donc soutenus à ce titre.

Françoise Héritier (2002,) l’a si bien formulée : « Autant la violence féminine est une
transgression, autant la violence masculine est “légitime”, une affaire d’hommes. »

La violence des hommes envers les femmes au sein de la famille semble encore un
sujet tabou qui fait surface à l'occasion, au moins dans une frange de la conscience
collective relevant d’une androcratie20 ancestrale. Les femmes elles mêmes ne
prennent pas conscience du fait que la violence s'exerçait contre elles en tant que
groupe, mais la plupart du temps, - ce qui est sociologiquement plus important -,

20L’androcratie, désigne une organisation sociale fondée sur la suprématie masculine, où les femmes sont sous la
domination des hommes

57
l'usage de la violence est souvent considéré que comme un problème individuel et
non comme phénomène social.

La violence touche donc nécessairement aux représentations les plus profondes, aux
conceptions du monde. Pour P. Bourdieu c’est un processus de domination qui
parvient à se rendre légitime alors qu’il exprime une contradiction fondamentale
avec les principes universels de l’égalité.

Ceci dit, mettre en évidence l’historicité des violences faites aux femmes, élargie le
champ de compréhension de ce phénomène et de ses déterminants complexes. Les
décrire comme des constructions sociales passibles d’être déconstruites, favorise
éventuellement des brèches et des pistes de recommandations.

- Hiérarchisation des genres : l’homme protecteur

La domination masculine est une structure fondamentale qui résiste au changement


même si féminité et masculinité ne sont pas des catégories naturelles, mais des
productions sociales. En analysant les propos relatés par nos répondants, les
représentations des enquêtes révèlent une asymétrie et une opposition entre
hommes et femmes manifestes, en octroyant certes, plus de valeur au masculin.
C’est le concept de « valence différentielle des sexes » de F.Héritier21 qui trouve ici
tout son sens. Avec une note optimiste et futuriste F.Héritier reconnait en indiquant
que "si la pensée de la différence établissait un constat, dissoudre la
hiérarchie indique les enjeux des temps actuels et à venir"

Le principe de séparation (il ya des hommes et il ya des femmes) et de hiérarchisation


des sexes (les hommes sont supérieurs aux femmes) est assez explicite dans la
perception de la plupart des participants.

« Dans notre société nous avons deux entités


différentes ( homme et femme) … L’homme veut
toujours garder le pouvoir pour lui,.. il veut gouverner et

21 Héritier .F, Masculin, Féminin. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996

58
régner… Pour cela il doit exclure la femme.. »
témoignage d’un jeune

Ces catégories de sexe sont des constructions qui permettent le fonctionnement


inégalitaire de la société, c’est un mécanisme automatique, souvent sans volonté
consciente, régissant notre rapport au monde. Intégrés depuis le jeune âge, ces
stéréotypes sont inscrits profondément en mémoire et peuvent être facilement
activés. C’est ainsi que les jeunes ont abordé le problème de certaines pratiques
masculines, et ont avancé des hypothèses explicatives sur les comportements
violents des hommes vis à vis des femmes. Ces deux principes fondateurs
potentiellement explicatifs peuvent être appliqués grâce à un procès de légitimation
et d’une vision naturaliste ( D. Kergoat, 2004)22.

Ces représentations et ces comportements bien réels qu’a produits, dans les corps
et dans les esprits, un long travail collectif de socialisation du biologique et de
biologisation du social23 se combinent pour faire apparaître une construction sociale
naturalisée.

Cette dynamique intérieure dans leurs perceptions s’est aussi exprimée en termes
de valeurs spirituelles revivifiées à notre sens, par le contexte actuel du pays, dans un
langage religieux lui conférant une certaine légitimité sacrée. En effet, le célèbre
mythe explicatif de l’englobement d’Eve par Adam 24(la création d’Eve, à partir d’une
cote d’Adam), exprimé par plusieurs de nos participants est évoqué comme
prototype de la figure logique et divine de la force et de la hiérarchie. Cette image
revoie pour eux à la suprématie originelle de l’homme et aussi à son rôle protecteur.

« ..Dieu a crée Eve de la côte d’Adam,… proche de son cœur…


c’est un symbole d’amour, de force et de protection.. »
témoignage

On entend aussi,

22 Danièle Kergoat. «Division sexuelle du taravil et rapports sociaux de sexe » in Héléna Hirata, Françoise Laborie, Hèlène
Le Dooaré et Danièle Senotier( sous la dir. De) Dictionnaire critique du féminisme, 2è Ed., PUF, 2004, P.369
23 Il y aurait eu une dialectique du biologique et du social, : le biologique oriente le social qui donne un fondement en

apparence naturel de la vision androcentrique .

59
« arrijel kawwamoun âla annisaa » (IV, 34): « Les hommes ont
autorité sur les femmes » cité par plusieurs enquêtés

Dans la quasi-totalité des propos, le rôle protecteur de l’homme semble bien ancré
dans les représentations des jeunes et des adultes incluant la distinction ELLES (les
femmes) et NOUS (les hommes). Outre cette distinction, l’Autre (la femme) est
généralement sous-entendu dans sa différence négative : l’Autre faible. Non
seulement ils se démarquent des femmes mais aussi ils s’en distinguent
hiérarchiquement. Ici, la hiérarchie précède et génère la catégorisation.

Au fait, les rôles et les statuts des sexes sont ramenés aux logiques sociales et
culturelles qui les sous-tendent. Ayant intériorisé la primauté du masculin, les
hommes fixent les règles de la société et relèguent le féminin à la nature et au
biologique. Ils tirent des bénéfices d'une conformité à des identités masculines
patriarcales et aux rapports de pouvoir qu'elles impliquent, en particulier sur les
femmes. Cette domination masculine s’empare du champ du symbolique et réduit la
femme à une épouse, une sœur, une fille, une mère… D’ailleurs, rares sont ceux qui
ont évoqué dans leurs discours la femme/individu ou la femme/citoyenne.

Ces étiquettes liées au sexe activent nécessairement un réseau d’inférences


sociocognitives prédéfinies relatives à la féminité et à la masculinité. Les femmes
sont perçues à travers le prisme de leur supposée « nature faible », comme
naturellement inférieures, comme êtres à protéger : une brèche à travers laquelle
une certaine androcratie est justifiée et « naturalisée » et par conséquent certains
comportement violent sont tolérés. Les normes sociales déterminent au fait, les
rôles et les attentes qui conditionnent les interactions entre individus. Elles agissent
comme des prescripteurs des comportements pour les femmes et les hommes
jusqu’à légitimer certaines violences familiales.

Au nom des différences idéologiques, biologiques, religieuses, culturelles, sexuelles


ou autres, cette vision binaire a toujours existé renforçant des rapports de force, des
rapports hégémoniques d’un groupe sur un autre : les rapports sociaux de sexe en
sont un exemple. Il ressort clairement de l’enquête que les visions traditionnelles de

60
la masculinité restent encore bien enracinées chez les jeunes et les moins jeunes de
nos participants.

La pensée moderne a au fait, « naturalisé » les caractéristiques et la place de chaque


sexe dans la société : la raison et l’agressivité pour les hommes, la sollicitude et la
faiblesse pour les femmes, en présentant comme innés tel ou tel caractère acquis. La
perception du monde est limitée par le prisme masculin/féminin.25 Même si
aujourd’hui ces stéréotypes sont dénoncés, ils restent intériorisés comme des
croyances, des ressentis et ils sont agissants. Il apparait à travers les discours et les
témoignages que l’ordre du monde tel qu’il est, avec ses sens uniques ; ses sens
interdits, ses contraintes, ses inégalités ,ses injustices, ses rapports de domination
reste grosso modo respecté par les jeunes et les moins jeunes , de fait, cette relation
sociale est vécue extraordinairement normale et on ne ressent pas davantage de
transgressions ou de subversions chez les enquêtés , c’est le paradoxe de la doxa.26

C’est ainsi qu’il devient possible de comprendre que certaines violences à


l’encontre des femmes sont perçues par certains, en termes de comportement
protecteur et de pratiques éducatives donc acceptables, voire nécessaires dans
certaines situations. L’asymétrie des rapports sociaux de sexe apparait notamment
dans cette position de protecteur et d’éducateur où se placent les hommes. Les
représentations sont donc au cœur de la production et de la reproduction des
inégalités sociales.

Les rapports sociaux de sexe sont aussi des rapports de sens et de non sens, de
représentations, de croyances... Les rapports de domination comportent une
dimension symbolique : ils ne se perpétuent que s’ils apparaissent légitimes et
naturels, c'est-à-dire si les dominés adhèrent aux représentations des dominants au
sens bourdieusien.

25
Heritier .F, Masculin, Féminin. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996
26La doxa est l’ensemble des croyances ou des pratiques sociales qui sont considérées comme normales, comme allant de
soi, ne devant pas faire l’objet de remise en question.
En agissant sur les représentations il est possible de restituer à la doxa son caractère paradoxal en même temps que de
démonter les mécanismes qui sont responsables de la transformation de l’histoire en nature, de l’arbitraire culturel en
naturel.

61
Ce faisant, L’inégalité entre les hommes et les femmes et les normes relatives à
l’acceptabilité de la violence contre les femmes sont l’une des causes profondes des
violences exercées à leur endroit.

- Un nouveau mode de vie : perçu « trop moderne »

Jeunes et adultes s’accordent pour attribuer l’origine de la violence au caractère


conservateur de la mentalité traditionnelle et à la rapidité de l’évolution sociale qui
a octroyé des droits aux femmes au détriment des hommes.
Les résultats de l’analyse des données de l’enquête montrent que c’est du coté des
jeunes que le style de vie dit « trop moderne » des femmes est le plus souvent
évoqué comme facteur favorisant les violences à leur encontre.

Les jeunes des régions rurales ou des régions périurbaines défavorisées pensent
que le style de vie moderne et l’imitation du modèle occidental restent des facteurs
qui exposent les femmes à des actes violents. Un mode de vie jugé incompatible
avec les mœurs et les valeurs de la société tunisienne, un mode de vie provocateur
ne respectant pas notre culture qui suscite à leur sens, inévitablement des attitudes
« réactives » de la part des hommes, pouvant aller jusqu’aux comportements
violents.

Dans une acception compatible avec la psychologie sociale, leurs représentations


renvoient ici à une forme de connaissance de leur environnement construites dans et
par leurs actions et leurs interactions quotidiennes et sous-tendent les
comportements.

Pour conforter leurs opinions la plupart ont donné comme motifs de violence , la
manière de s’habiller, l’apparence physique ou le mode de vie des femmes victimes
de violence ( sorties le soir, fréquenter les garçons, fumer, boire de l’alcool,..) pour
inférer en quelques sortes qu’elles sont responsables de ce qui leur arrive. Les
paroles de ces jeunes semblent moins dues à des caractéristiques individuelles
qu’elles ne s’expliquent par des logiques sociales. Au fait, leur langage prend sens
dans un fonctionnement collectif reposant sur des codes de l’honneur et de la
réputation.

62
«..si elles veulent être respectées et éviter les violences, elles
n’ont qu’à s’habiller correctement et à se comporter
convenablement …ne pas trop se maquiller, ne pas sortir le
soir…il faut comprendre qu’on est en Tunisie et pas en
Europe… » relatent certains jeunes

« C’est normal que je contrôle toutes les sorties de ma sœur


pour qu’elle ne fasse pas des relations et des bêtises avec des
garçons… » exprime un jeune d’une région rurale

Ces témoignages et tant d’autres se focalisent essentiellement sur des précisions sur
les vêtements, le physique ou les habitudes de vie des victimes, ce qui induit dans les
représentations de jeunes que les femmes sont responsables des agressions qu’elles
subissent à cause de leurs comportements trop libérés, occidentalisés ne respectant
pas les normes sociales et les valeurs de la société.

Pour plusieurs d’entre eux, l’évolution de la société tunisienne a entrainé une perte
de certaines normes et de certaines valeurs et qu’il va de soi que cette évolution se
heurte à une mentalité traditionnelle conservatrice. Les normes sociales sont
considérées par les jeunes comme intouchables. Ils manifestent d’ailleurs leur
volonté de se construire eux-mêmes comme la source de l’autorité et de maintien
des valeurs sociales. Ils instaurent un mode de contrôle et s’affirment, notamment à
travers le contrôle des filles renforçant leur narcissisme.

Dans la théorie de la violence symbolique de Bourdieu, cet arbitraire culturel


s’impose mécaniquement et le plus souvent sans heurts ni opposition. Ainsi, les
habitus de genre, pouvons nous dire, ne sont certes pas des préjugés flottant dans
un vide social ou des idées fausses faciles de s’en défaire. S’ils se maintiennent, c’est
qu’ils correspondent à un état réel de la division sexuée des rôles et des positions
sociales incorporés, naturalisés voire éternisés sous forme de dispositions durables
et transposables, par des inculcations familiales dés le jeune âge et par les effets des
processus de socialisation ultérieurs (scolaire, professionnels, idéologique...)

63
- Une interprétation non consensuelle du discours religieux
Lors des entretiens et des focus groups, la plupart des participants ont anticipé sur le
lien assez répandu entre la religion et la violence, en essayant d’ébranler l’idée d’un
islam encourageant la violence envers les femmes. Rares sont ceux qui ont évoqué
la religion comme facteur justifiant les violences envers les femmes. Ils ont souligné
qu’il s’agit plutôt d’une mauvaise interprétation de la religion et qu’une utilisation
hors contexte des textes religieux rend leur compréhension erronée. Ce point de vue
est perçu par la plupart comme une mauvaise interprétation des sources de la
religion et représente une capitulation devant le discours extrémiste. Ils s’opposent
catégoriquement à toute croyance selon eux infondées, prétendant que l’islam
soutient la maltraitance des femmes. Ils estiment que bien au contraire, l’islam
ordonne le traitement respectueux et attentionné envers les femmes, que l'Islam a
toujours exprimé la primauté de la justice «al âdl » préconisée comme partie
intégrante des préceptes de la loi islamique. S’appuyer sur les versets du coran pour
légitimer les violences envers les femmes n’est pour eux qu’un alibi.

Au fait, la période par laquelle passe la Tunisie après la révolution et le changement


rapide au sein de la société a engendré une ambiguïté dans l’interprétation du
discours religieux. On en fait usage tantôt pour assoir et légitimer la violence à
l’encontre des femmes, tantôt pour vénérer le statut de la femme. La compréhension
du discours reste superficielle et brouillée. En revanche, le Coran contient des
notations très explicites en faveur de la supériorité masculine :

Et pour exemple :

« Les hommes ont autorité [qawwâmûna] sur les femmes, en raison


des faveurs que Dieu accorde à ceux -là sur celles-ci , et aussi à cause
des dépenses qu'ils font de leurs biens. » (Le Coran, 4 :34)

64
« ...Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance [nushuz] et la
mauvaise conduite exhortez-les, éloignez-vous d'elles dans leurs lits et
frappez-les [udribuhuna] … »27 le Coran 4 : 34

Face à l’évocation par certains des versets sus-cités du coran, qui semblent inciter à
la violence et acquiescer à la domination des hommes sur les femmes, la plupart des
répondants ont focalisé leurs justificatifs sur l’évolution du texte coranique et sur
l’exégèse (Al Ijtihed), en évoquant que Dieu a donné aux hommes des étapes à suivre
auxquelles les maris doivent se conformer. Sachant que pour eux, ceci ne peut
s'appliquer que si la femme commet un acte grave et s’écarte du droit chemin, et que
l’esprit n’est guère de violenter mais plutôt il s’agit d’un esprit de correction liée à
l’honneur de la famille (chasteté, fidélité, virginité…).
Au fait, ces jeunes ont grandi sur la croyance que c'est sur la chasteté des femmes
que repose l'honneur de la famille et que la sexualité avant le mariage est l'un des
pires péchés qui soit. Ainsi les femmes se trouvent totalement dépossédées de leur
corps.

Tout au long des débats avec les participants, il ressort que la violence à l’encontre
des femmes a de nombreuses raisons sociales, psychologiques, économiques,
régionales qui sont le sujet de multiples recherches et analyses. Toutefois, la
sacralisation de la parole de Dieu reste un des facteurs influençant leur subconscient
et leurs représentations. Elle semble transcender- au moins dans la perception-, les
valeurs universelles des participants jeunes et moins jeunes.

Pour la plupart, il était difficile d'affirmer ou de prétendre que l'Islam a accordé des
droits égaux aux femmes et aux hommes. Les représentations restent très
controversées par certains de nos enquêtés jeunes, car ils y entrevoient une
contradiction. Il existe en effet de multiples incompréhensions et des représentations

27
Traduction Abdullah Yusuf Ali

65
ambigües de l’image de la femme dans les textes religieux, révélant tantôt la question
du degré d’authenticité des hadiths28, tantôt leur usage hors contexte.

« …C'est une erreur de ne débattre des problèmes des femmes


qu’avec les « féministes »…, il ya des leaders religieux
« foukahâ » que vous devez consulter et qui connaissent mieux
que nous la parole de dieu et du prophète… » exprime un adulte

Cette insistance de certains d’entre eux à ne pas déroger à la parole divine sert à
perpétuer l'autorité religieuse et son influence sur leurs perceptions, notamment sur
leurs comportements. La plupart se réapproprie le débat religieux tout en produisant
une remise en question de pratiques culturelles et coutumières, responsables d’une
mauvaise lecture de la religion affectant ainsi la condition des femmes musulmanes.

- Le faible niveau socioculturel

Pour certains participants, le faible niveau socioculturel surexpose au risque de


subir et de commettre des actes violents et réduit de fait le champ d’action des
femmes victimes. Jeunes et moins jeunes sont conscients que le niveau socio culturel
élevé protège les femmes des risques de violence et que les femmes instruites et
autonomes sont mieux armées pour se protéger contre les violences. Ils affirment
que les mauvais traitements envers les femmes se produisent le plus souvent dans
les milieux sociaux défavorisés. Une telle représentation met en évidence chez les
répondants leur conscience du caractère social et non seulement individuel de ce
phénomène. D’ailleurs, la plupart des enquêtés rattachent la violence à la pauvreté
et à la vulnérabilité qui restent selon eux, le terreau des comportements violents
autant pour les victimes que pour les agresseurs : une logique de la domination
sociale qui exclut les plus culturellement démunis. De ce fait, il est réducteur de
penser la violence uniquement à travers les atteintes physiques. Il advient de tenir
compte de la corrélation entre violence symbolique et violence physique qui peut
finir par mener à un ressentiment, voire à de l’aversion des hommes envers le bouc

28
Paroles et actes du prophète Mohamed

66
émissaire que leur culture leur désigne comme unique responsable de leur trouble: la
femme.
Le matériau recueilli de l’enquête montre en fait, l’articulation des rapports de
domination entre genre et classe sociale dans leurs dimensions symboliques. Cette
articulation se pense davantage à partir de l’approche en termes de « rapports
sociaux de sexe ».

- Le facteur sociodémographique
Il convient de souligner les caractéristiques de la région de l’ile de Djerba. Il ya lieu
d’observer que les participants adultes de la région du sud (essentiellement les
originaires de Djerba) imputent les violences faites aux femmes au mode de vie des
grandes villes et leur incapacité de contenir la délinquance et la criminalité. Leurs
propos se sont focalisés essentiellement sur les effets néfastes de la mixité sociale
dans les grandes villes et leur impact sur la recrudescence de la violence en général.
Pour la plupart, la capitale (Tunis), de par sa surpopulation et la prolifération des
quartiers populaires périurbains, reste le réceptacle de toute sorte de violence où la
violence envers les femmes y est très concentrée.
Ils pensent que la ségrégation sociale des zones d’habitat dans les grandes villes et
la promiscuité influent également sur les risques d’être confronté aux violences.
Ainsi, dans les zones périurbaines sensibles (banlieues, bidonvilles..) les habitants et
notamment les femmes sont plus exposés aux agressions.

Ils décrient également avec beaucoup d’amertume la détérioration des valeurs


familiales de nos aïeux dans les grandes villes. Cela renvoie tout à la fois à une
situation objective et à une construction mentale sociale et régionale, dans la mesure
où elle constitue une dimension essentielle de leur identité. Ils considèrent que la
surpopulation des grandes villes et le flux important de migration qu’elles accueillent
influencent sur les postures de socialisation des jeunes et intensifient de fait, le
phénomène de la violence, notamment celle faite aux femmes.

« …il m’est impossible d’aller à Tunis avec ma femme ou ma


fille, tellement la rue est violente, … la capitale est dangereuse
pour un homme que dire pour une femme… !!!.. Aucune sécurité

67
à Tunis et les gens ne sont pas solidaires entre eux en cas
d’agression… » témoignage d’un adulte, commerçant de Djerba

Il est important de rappeler que la violence à l’encontre des femmes dans les
transports en commun est élevée dans les grandes villes et particulièrement à Tunis
où l’on constate 20% des violences perpétrées.29

Dans ce sens, il sied de rappeler que le sociologue américain T.Parsons apporte une
explication des recrudescences de la violence dans le milieu urbain. Selon cet auteur,
la constitution de bandes de jeunes délinquants répond à un malaise de l’identité
masculine. Ils se regroupent en bande et cultivent une exacerbation des signes de la
virilité rejetant tout ce qui caractérise, selon eux, le sexe « faible ». C’est ainsi qu’ils
se livrent à des actes violents symbolisant un éloignement de l’univers féminin et
trahissant ce que Parsons appelle une « masculinité compulsive » (T.Parsons, 1954)

Les hommes interviewés de Djerba (insulaires) estiment que dans l’ile le


phénomène de la violence envers les femmes est très peu répandu, voire inexistant.
Ils considèrent que ce type de violence est quasi absent dans l’espace public (rue,
souks, quartiers...), parce que les gens se connaissent et se respectent, et que
personne n’ose agresser une femme. En parlant du statut des femmes, Ils sont
convaincus qu’en remplissant leurs obligations d’épouses respectables et qu’en
montrant leur dévouement à leur famille et à l’éducation de leurs enfants, les
hommes leur procurent une position respectable et particulièrement avantageuse.

Lorsqu’ils décrivent leur rôle d ’ « homme de la famille », les hommes mettent en


avant leurs propres qualités constitutives de leur « respectabilité » : un respect
mutuel selon eux et le jeu en vaut la chandelle. Ils manifestent clairement que c’est
une valeur fondamentale et une plus-value caractérisant la subculture30 insulaire qui
réduit indéniablement les violences dans la région.

29
Le bulletin de l’OGEC, N°1, janvier- Mai 2016
30En sociologie contemporaines et dans les études culturelles ( Cutural Studies) une subculture est un terme plus positif
que sous-culture , c’ est une culture revendiquée, partagée par un groupe d'individus, se différenciant ainsi des cultures
plus larges

68
Quant aux violences intrafamiliales, la plupart des adultes ont manifesté un malaise
d’en parler, aussi par pudeur. Ces violences, si elles existent disent-ils, sont de l’ordre
du privé et se règlent donc en famille en intramuros.

Les enquêtés adultes de Djerba se vantent d’une culture spécifique à la région,


une culture traditionnelle, respectant les femmes, fondée sur un système stable de
normes et de valeurs qui leur serait propre et jalousement préservé. Ils parlent d’une
culture caractérisant les habitants de l’ile, qui maintient l’ordre social en place en
respectant les rôles et le statut de chacun. Le sentiment d’appartenance au quartier
(Houma) est assez fort. La charge affective du territoire et l’appartenance à l’ile reste,
pour la plupart d’entre eux, au centre de leur identité et aux caractéristiques
sociodémographiques. Ceci consiste à la fois à s’approprier son espace et à le
protéger. Cette charge affective du territoire explique cette vision largement
positive d’une culture conservatrice vantée et revendiquée, et qui reste chez les
interviewés adultes un atout qui les préserve de toute contamination néfaste
pouvant venir d’ailleurs. La dégradation morale dans les grandes villes représente
pour eux un facteur de « débauche » chez les jeunes et y voient un facteur essentiel
dans le phénomène de violence faites aux femmes.

Ils se définissent par un style de vie traditionnel protégeant les femmes et les jeunes,
privilégiant les normes et les valeurs du respect, de la morale, de la solidarité, du
droit d’ainesse, ce qui constitue pour eux une protection et une immunité dont ils
tirent fierté.

Pour la plupart des adultes, ce sont les mécanismes classiques qui assuraient l’ordre
social et la solidarité de proximité qui ont cessé de fonctionner. Cela revient à dire
que le processus de socialisation est devenu déficient et inopérant. Ils accusent la
modernisation de la société qui n’a pas su protéger son identité et l’inefficacité des
instruments de l’Etat dans le contrôle de la violence.

Pour autant, si la violence se territorialise, il importe de ne pas inverser les causes


et les conséquences des comportements.

69
- Facteurs économiques

Si tous les milieux sociaux sont concernés par les violences, tous ne sont pas touchés
de la même manière. En raison de la fréquence des évocations des facteurs
économiques, nous avons retenu leur grande importance dans la perception des
participants. Toutes catégories confondues, les répondants estiment que la
pauvreté familiale est un facteur de risque majeur qui engendre la violence et
l’entretient. Pour la plupart, il s’agit d’un facteur de risque tant pour les victimes que
pour les agresseurs.

Le lien entre niveau de vie et risque de subir des violences est assez prononcé dans
les perceptions des enquêtés : les populations les plus aisées sont relativement
préservées, tandis que les plus démunies sont davantage exposées. Ils dénoncent
également la surcharge du travail et l’exploitation des femmes dans le secteur privé
et public.

Les facteurs économiques et l’inflation ne sont pas sans conséquence sur le pouvoir
d’achat. Il est important dans une perspective d’intervention d’identifier les facteurs
contextuels de vulnérabilité économique, car c’est sur ces facteurs qu'il est
notamment possible d’intervenir pour changer le cours des événements.

Pour la quasi-totalité des répondants (jeunes et moins jeunes), ces facteurs sont
susceptibles d’exercer une tension au sein des ménages et sont générateurs de
violence : incapacité de l’homme à subvenir aux besoins quotidiens, dégradation du
pouvoir d’achat ; le facteur politique est également cité en termes d’insécurité. De
plus, ils considèrent que la situation est aggravée par la surcharge du travail
ménager en cas du travail de la femme, ce qui la rend tendue et moins disponible
pour sa famille.

Pour les jeunes de la région de Tunis, La dépendance financière des femmes apparait
fondamentale dans leurs représentations comme facteur déclenchant la tension

70
dans le couple et emprisonne les femmes dans le cycle de la violence conjugale.
Selon plusieurs propos, si l’homme touche un faible revenu ou s’il n’arrive pas à
subvenir aux besoins de la famille ou aussi s’il a tendance à prioriser ses dépenses
personnelles, un climat de tension et de mépris s’installe dans la famille et les
violences surviennent.

Ceci corrobore l’idée que l’isolement socio-économique de certaines femmes


favoriserait les mécanismes d’emprise autorisant les violences.

« …Il faut comprendre qu’il y a des moments où la femme


mérite d’être battue, tellement elle est dépensière et pas
indulgente … un homme a le droit d’utiliser la force si la femme
se comporte mal…» exprime un adulte de la cinquantaine

Même si derrière la dépendance financière il ya souvent une quête de sécurité


matérielle, c’est aussi un argument de la domination exercée par l’homme et de
fait, une acceptation de la violence et une difficulté de se reconnaitre victime chez la
femme. Le déséquilibre du pouvoir tend à être étroitement lié à la dépendance
économique, à la vulnérabilité à l’insécurité financière et aux attentes de la société à
l’égard des hommes et des femmes.

Placée sous sa tutelle, le mari exerce en toute légalité son entière autorité sur sa
partenaire. Quant aux femmes, envoyées souvent à leur culpabilité, elles
minimisent les violences, elles se taisent et une violence symbolique s’installe, une
violence douce, invisible pour ses victimes mêmes (P. Bourdieu, 1998)

Il est à noter que quelques jeunes des régions rurales et de milieu défavorisé
imputent la violence sexuelle faites aux femmes, à la frustration sexuelle liée au
retard au mariage escomptant le manque de moyens et la cherté de la vie comme
obstacle ne facilitant pas de se marier . Selon une étude du CREDIF 2016, sur les
violences faites aux femmes dans les moyens de transport publics, c’est la violence
sexuelle qui vient en tête du « palmarès » avec un taux de 15.3% .31

31
CREDIF, Bulletin de l’OGEC , N°1. Janvier-mai 2016.

71
A la pauvreté et aux problèmes économiques s’ajoute le problème de la drogue et de
l’alcoolisme pour les adultes exprimé dans plusieurs propos des jeunes de la plupart
des régions.

-Facteurs législatifs : « trop de droit », crise identitaire

Outre les facteurs socio-economiques et culturels, les facteurs législatifs ont été
évoqués par nombre de jeunes et d’adultes. Pour plusieurs d’entre eux, les femmes
tunisiennes sont surprotégées par la loi. Un surcroit de force donnerait souvent aux
femmes le statut de victime, or donner trop de droit aux femmes ne leur assure
pas systématiquement une meilleure protection contre les violences notamment
dans les milieux défavorisés. Ils évoquent que dans ces milieux, si la femme se
montre forte par la loi, ceci ne fait qu’envenimer la relation entre conjoints, et il en
résulte des réactions plus ou moins violentes de la part des hommes : expression d’
un ressenti d’humiliation.

« .. l’homme réagit violemment quand la femme se montre plus forte


que lui …et les exemples abondent .., il suffit de voir les cas médiatisés
de violences conjugales allant jusqu' aux crimes les plus atroces… »
relate un jeune en parlant d’un effet « pervers » et d’une exploitation
abusive des droits des femmes.

Identité assiégée, la législation égalitaire est perçue par les hommes comme une
ingérence intolérable dans le vécu culturel. Le rejet de certaines valeurs de la
modernité et le refus du modèle féminin émancipé révèlent manifestement une
crise identitaire chez les répondants. Plusieurs adultes et jeunes continuent à
penser, qu’accorder beaucoup de droits aux femmes facilite à tort les accusations
des femmes contre les hommes, ce qui déclenche le plus souvent des réactions de
violence contre elles. La violence dans ses différentes modalités est constituée
d’actes signifiants et fonctionnels pour leurs auteurs comme matériaux de
construction représentative de l’identité/altérité dans la quête de reconnaissance.

72
Les témoignages ont démontré nettement I ‘articulation entre la notion de
socialisation et le concept identitaire. La première intention à travers I ‘exploration
de ces deux notions est d'aborder la problématique de la violence telle que vécue par
les hommes. De fait, I ‘approche compréhensive de la présente étude a surtout misé
sur le sens que les hommes donnent à la violence à travers leur histoire et leurs
représentations. Ainsi, à travers leurs témoignages, se dégage une compréhension du
phénomène de la violence reflétant d'un contexte, d'une identité discrédité ainsi
que d’un modèle social affaibli.

Ce faisant, et malgré elles, les femmes se trouvent otages entre deux perceptions:
valeurs modernistes universelles et valeurs traditionnelles (patriarcale, spirituelle,
religieuse revivifiées). Au fait, la femme reste comme dernier rempart identitaire :
une forteresse identitaire.

Pour les répondants de la région périurbaine de Tunis et des gouvernorats de


l’intérieur, le changement rapide de la société a eu comme conséquence la perte de
normes et l’octroi d’une liberté exagérée à la femme. Cette dernière a été renforcée
par la législation en vigueur et la promulgation de lois nouvelles. Pour eux, ces
facteurs ont été les moteurs qui ont renforcé la recrudescence des violences envers
les femmes.

La « femme rivale de l’homme » est une représentation sociale qui émerge dans les
discours surtout des jeunes. Pour certains, la revendication d’une égalité entre les
femmes et les hommes est perçue comme une revanche et une manière de
détourner les femmes de leur rôle « naturel ».

« ..Les femmes tunisiennes ont assez de droits…or ce


qu’elles ont devraient leur suffire… » estime un adulte

Outre les raisons sus-citées, certains adultes insistent sur les difficultés des
procédures de divorce, jugés lentes et coûteuses et dissuasives pour l’homme. Ils les
considèrent injustement au profit des femmes, ce qui mène inévitablement à une

73
escalade de violence difficile à briser alors qu’un divorce facilité et accessible
pourrait réduire son intensité.

Cette représentation suscite des réactions défensives chez les plus masculinistes. Elle
révèle une attitude « antiféministe » chargée de ressentiments et de méfiance, voire
de peur de la perte d’un statut que les hommes en ont l’exclusivité dans le passé :
un statut menacé qu’ils tiennent à préserver ou à récupérer.

« .. ce n’est pas normal que de nos jours les filles font ce qu’elles
veulent de leur vie….je connais des filles qui sortent dans les boites de
nuit, qui fument, qui boivent,… elles font la mêmes choses que les
garçons… » relate un jeune

Cette « liberté d’être » des femmes dérange encore les jeunes et les moins jeunes,
et à plus d’égards. Le discours identitaire prévaut dans leur propos. Sous prétexte
d’honneur, de tradition, d’identité ou de religion, la plupart des participants
refusent une liberté inconditionnelle pour les femmes. En d’autres termes,
l’inculcation des règles morales va de pair avec une cohésion sociale forte. Ce qui
toutefois, parait paradoxal c’est ce reflux conservateur particulièrement perceptible
chez les jeunes générations. Pourtant conscients du changement des mentalités dans
la société - et ils le confirment -, ces jeunes n’arrivent pas encore à adhérer à l’idée
que les femmes peuvent être aussi libres que les hommes dans leur comportement
ou dans le choix de leur vie.

Le contrôle et l’emprise sur le corps des femmes se manifestent par un grand nombre
de violence et comportements privatifs : contraintes vestimentaire, privation des
libertés de sorties, de fréquentations... restent des manifestations cautionnées par la
plupart des participants.

Même si dans leurs paroles les jeunes se démarquent de la notion de


« domination », ils ne la refusent pas pour autant, ils en ont intégré malgré tout et
malgré eux ses valeurs. Il est à croire qu’encore, les femmes tunisiennes doivent
autant lutter pour la conservation d’acquis durement arrachés que pour l’obtention
de nouvelles réformes.

74
Il n’en demeure pas moins que d’autres jeunes - peu nombreux - jouissant d’un
capital culturel et scolaire, ont fait état du manque de structures de protection pour
les femmes victimes de violence ou aussi de leur méconnaissance de ce qui existe
déjà. Ils dénoncent notamment une certaine tolérance, une certaine impunité et les
faibles sanctions juridiques face aux violences faites aux femmes, ce qui pour eux,
peut être considéré comme facteur d’enfermement des femmes dans un climat de
violence. Ils imputent en partie la recrudescence des violences faites aux femmes au
manquement de l’Etat. Selon eux les violences intrafamiliales ne sont pas considérées
prioritaires par la police, or le rôle de la police demeure crucial pour les encadrer en
première ligne. Certains jeunes engagés recommandent entre autres de renforcer le
rôle de vigilance de la part de la société civile afin d’empêcher la régression des
droits acquis des femmes.

- Rôle des médias : effet pervers

Jeunes et adultes partagent des opinions relatives au rôle néfaste que jouent les
médias et les échanges sociaux dans la propagation accrue des violences faites aux
femmes et à leur rôle insuffisant dans la sensibilisation. Ils soulignent leurs effets
pervers, dénonçant l’excès de victimisation des femmes et la banalisation de la
violence par les médias s’agissant surtout des violences familiales.
Pour plusieurs, la visibilité accrue de la violence et sa médiatisation exagérée
contribuent à façonner une vision erronée de la société où le contexte violent est
surmédiatisé, il en résulte une tolérance plus grande à l’égard de comportements
agressifs et sexistes. Ils agissent - selon eux - sur les représentations du monde en
surévaluant la violence dans la réalité.
Les violences faites aux femmes selon plusieurs, sont surdimensionnées par les
médias et contribuent à donner une image stéréotypée de victime passive des
femmes, sans chercher à recontextualiser les violences subies. Ils reprochent le
degré excessif de victimisation féminine alors que la réalité est autre selon plusieurs
propos.

75
Les débats entre participants étaient controversés en ce qui a trait au caractère
dissymétrique du traitement des violences, le considérant injustement au profit des
femmes au détriment des hommes. Il y’a donc matière à se questionner sur la façon
dont les médias traitent les violences faites aux femmes. A la lumière de leurs
représentations, la médiatisation de la vie privée à travers les violences, qui basculent
dans l’espace médiatique sont sélectionnées et présentées en fonction de critères
davantage médiatiques afin d’attirer l’attention pour susciter l’émotion plus qu’à des
fins de sensibilisation. En outre, Ils pensent que même si les producteurs des
émissions insinuent que le contenu de leurs programmes est le reflet de la société, ils
ne voient pas leur impact sur la réduction du phénomène. Bien au contraire, des
attitudes réactionnaires de quelques répondants laissent entendre que ces émissions
exhibant les violences faites aux femmes dans les médias dégradent
indéniablement les valeurs et les comportements dans notre société. Au fait, cette
perméabilité dans les rapports entre la sphère privée et la sphère publique dans les
médias dérange et suscite des réactions offensives.

« .. Le fait de montrer en permanence l’adultère, les naissances


hors mariage comme naturels, et le divorce comme acceptable,
exerce une forte influence sur les attitudes et les
comportements. Cela a un effet dévastateur sur les valeurs
morales traditionnelles de notre société et banalise de fait les
violences… »

À cet égard, certains jeunes de la région de Tunis pensent qu’en dénoncent le


principe de violences faites aux femmes, les medias tout en reproduisant des
stéréotypes sexistes, entretiennent implicitement ces violences, en montrant des
femmes figées dans des poses souvent avilissantes, passives et non agissantes. Ils
considèrent que ces émissions dites de « société » qui révèlent des aspects intimes
de la vie et des perversités, créent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.

76
. Il ressort de plusieurs propos des jeunes et des moins jeunes, que l’exploitation
abusive des droits accordés aux femmes et le parti pris en leur faveur ont alimenté
paradoxalement les violences à leur encontre.

De par le taux d’audimat élevé des « programmes de société » les medias sont
perçus comme ayant un rôle important pour conscientiser et inciter les femmes à
dénoncer la violence, ce qui - à leur sens - leur procure plus de pouvoir générateur
de conflits. Dans ce cas, le discours médiatique est ressenti comme injuste,
culpabilisant les hommes, susceptible de nourrir la reproduction et la banalisation de
la violence, ce qui entraine sa désapprobation et son rôle pervers.

Ainsi, le discours véhiculé par les médias à l’égard des violences faites aux femmes se
heurte à un niveau socioculturel faible qui surexpose les femmes vulnérables aux
violences. Le danger avec cette médiatisation à outrance; c’est la multiplicité des
fausses perceptions qu’elle entretient et des réactions et ripostes qu’elle suscite
contre les femmes.

Cela dit, il reste que le thème de la violence médiatisée suscite aujourd’hui beaucoup
d’intérêt dans la recherche. On peut toujours chercher à établir un lien de corrélation
entre ce phénomène et l’incidence de la violence. La violence est un thème qui, à
l’instar de bien d’autres interdits, semble exercer une véritable fascination,
cependant son traitement médiatique - pourtant délicat d’appréhension -, est
souvent exposé de façon assez sommaire, stéréotypée et simpliste. Quant à ses
origines (causes, contexte, évolution...) sont dénuées d’analyse efficiente, sans
pouvoir produire un véritable « savoir » pour comprendre la dynamique dans
laquelle se produisent et se reproduisent ces violences afin de les réduire et
d’étudier l’impact de ces programme sur les spectateurs.

Ce faisant, il apparaît ainsi que ces problématiques sont pour une large part
construites socialement par les médias pour augmenter leur audimat et/ou lectorat,
ce que l’on pourrait appeler « l’intérêt médiatique ». C’est une construction sociale
des violences traduisant notamment la difficulté des journalistes non spécialisés,

77
n’ayant pas les connaissances requises et n’étant pas outillés pour aborder ce type
de sujet délicats.

Par ailleurs, l’analyse du traitement médiatique fait clairement ressortir les disparités
qui existent en ce qui a trait aux degrés respectifs de «victimisation» féminine et de
la culpabilité masculine. Le problème ici, reste de savoir ce qu’il en est exactement de
la «réalité sociologique» elle-même. On conviendra qu’il est difficile, dans un tel
contexte, de circonscrire la part de l’influence médiatique dans l’évolution des
représentations. L’influence de la violence médiatisée est difficile à cerner. Il y’a
parfois matière à se questionner sur la façon dont les médias traitent ce type de
violences sans avoir recours à des approches analytiques opérantes et efficaces. Un
traitement médiatique devrait être étudié scientifiquement. Il y a très peu de
réflexion là-dessus, il faudrait éventuellement avoir des études sérieuses sur
lesquelles s’appuyer pour sortir du registre du ressenti ou de l’émotion.

S’il est vrai que le droit à l’information est une notion qui s’est considérablement
élargie ces dernières années , il n’en reste pas moins que pour plusieurs enquêtés
jeunes et adultes ,le respect de la vie privée compte toujours parmi les valeurs les
plus fondamentales de leur culture, et que les affaires intrafamiliales sont
considérées comme faisant partie de la vie personnelle ou intime, et par conséquent
leur médiatisation est désapprouvée par les répondants.

Se représenter que les médias d’information tendent à déréaliser les violences faites
aux femmes prouve en définitive que leur contribution à la construction sociale est
aussi une contribution à la perception, à la cognition et à la hiérarchisation collectives
de ces violences.

Il est clair que l’image de la victime passive sans contextualiser les violences n’a pas
conscientisé les hommes et n’a pas pu briser les croyances et les perceptions ; au
contraire, elle semble avoir renfoncé une réaction défensive chez eux.

 Attribution causales liées à la personne

- Attributions causales Liées à l’homme

78
Les causes de la violence mentionnées par les jeunes sont plus abondantes que celles
des adultes. Ils sont plus prolixes et notent particulièrement la difficulté de
l’homme à se contrôler devant le corps de la femme et la jalousie qu’il ressent à son
égard. La violence dans leurs représentations est un moyen de compenser une
faiblesse au niveau de la personnalité, elle est aussi un exutoire (phénomène du
bouc émissaire) pour décharger sa colère. Emporté par une force qui le dépasse,
l’agresseur est souvent représenté comme victime de sa colère, victime de ses
passions et n’est donc plus considéré comme responsable de ses actes, il en résulte
une certaine déresponsabilisation et une permissivité de la violence.

Les adultes ont évoqué certains autres facteurs liés à l’homme. Il s’agit de
prouver sa virilité par la violence et satisfaire leur sentiment de puissance, opinions
qu’ils partagent aussi avec les jeunes. La plupart dénoncent le non respect de la
femme pour l’homme. Seuls les jeunes ont évoqué la frustration sexuelle comme
facteur de violence.

Nous relevons de la littérature psychologique que contrairement à certaines idées


reçues, les agresseurs n’obéissent pas,- comme le feraient les animaux- à des
pulsions sexuelles irrépressibles (relevés dans les représentations de nos jeunes
enquêtés), mais cherchent plutôt à satisfaire leur volonté de domination, une prise
de pouvoir sur autrui.

En somme, les facteurs de violence pour les jeunes et les adultes résident dans le
sentiment de supériorité de l’homme, sa propension à s’affirmer par la violence et à
son autoritarisme. Dans la plupart des propos, il ya une nette conviction du droit des
hommes à dominer les femmes qui semble être d’ores et déjà un obstacle pour faire
progresser la prise de conscience pour dénoncer les violences faites aux femmes. Les
sources peuvent être aussi d’ordre psychologique : colère et jalousie si la femme est
plus instruite. Le sentiment d’infériorisation si la femme n’a pas de moyens financiers
est relaté par les jeunes, il en résulte l’absence de dialogue source majeure de
violence. C’est la tendance de l’homme à exercer sa domination sur la femme, à
démontrer sa force, à compenser certaines de ses faiblesses, à montrer sa supériorité

79
par le mépris, l’humiliation, l’abandon, à la difficulté qu’il à de se contrôler, et de
contenir sa colère.
Jeunes et moins jeunes s’accordent également sur la reproduction du
comportement agressif dans une famille où le père est violent.

- Attributions causales liées à la femme


Les adultes et les jeunes s’accordent pour attribuer les causes des conflits
débouchant sur la violence à la psychologie de la femme et à son comportement en
famille et dans le secteur public. Ils critiquent sa « vulgarité », son « manque de
finesse », son « manque de compréhension », son « exigence », son « refus de
participer aux frais de ménage » et la « futilité de ses demandes » qui dépassent la
capacité financière de son époux. La cause de la violence peut être imputée par les
enquêtés aussi aux reproches qu’elle adresse à l’homme en cas d’addiction à la
drogue ou à l’alcoolisme.
Quant aux jeunes, ils lui reprochent son mode vestimentaire jugé trop extravagant,
provocateur et peu discret, la liberté excessive qu’elle prend de sortir, de parler et
de tisser des relations avec des étrangers dans l’espace public.

Les enquêtés invoquent d’autres causes attribuées à la femme : « propos acerbes »,


« désobéissance » « insoumission au mari », « un caractère trempé de la femme »,
« adultère », « négligence des obligations familiales », « imitation d’un mode de vie
occidentale », etc.

Les adultes et les jeunes sont d’accord pour attribuer les causes des conflits
débouchant sur la violence à la psychologie de la femme et à son comportement en
famille et dans le secteur public. Les premiers soulignent son « manque de respect »
à l’égard des membres de la famille notamment lorsqu’elle a le privilège de jouir d’un
haut statut social. Quant aux jeunes, ils lui reprochent son mode vestimentaire jugé
« trop extravagant » et« provocateur ».

80
Outre cela, la tolérance face à la violence a été aussi évoquée par certains jeunes
comme facteur qui alimente le cycle de la violence enfermant la femme dans le
silence. En effet, il est encore des ménages qui ont recours aux punitions corporelles.

- Attributions causales liées à la relation

Adultes et jeunes s’accordent dans leurs représentations de la femme sur les


plan sexuel , éducationnel , et le partage du pouvoir au sein de la famille. La
violence est due selon les jeunes adultes à des frustrations et sexuelles,
insatisfaction conjugale, (impuissance, frigidité, etc.), à des jalousies, à l’adultère de
l’un des deux partenaires. Pour quelques enquêtés, le comportement violent peut
être influencé par l’apprentissage de la violence en imitant le comportement
violent du père (un enfant battu battra), le comportement violent est reproduit. La
violence est à entendre aussi dans ses dimensions de répétitions
transgénérationnelles.

Pour plusieurs personnes interrogées, l’émancipation économique et sociale de la


femme l’incite à entrer en conflit avec l’homme en vue de partager avec lui le
pouvoir. Les jeunes sont plus explicites dans l’évocation des motifs de violence liés
au couple, il s’agit notamment de « manque de communication », de « mariage
forcé » et « désobéissance à la gente masculine » (père, frère..).
Quant aux opinions différentes, les jeunes attribuent la violence à l’encontre des
femmes au fait que l’homme refuse le droit à la femme le travail dans la sphère
publique et au fait que l’éducation des enfants n’est pas consensuelle, pleine de
contradictions ce qui entraîne des conflits dans le couple.
Pour les adultes, ce qui est source de conflit c’est notamment « l’agressivité » de
l’homme, « l’immaturité » de la femme et sa « non compassion » et la « pénibilité
du travail de l’homme », ce qui le rend tendu et irritable et souvent violent au
moindre accrochage.

La désobéissance de la femme à son mari est aussi citée par les adultes comme cause
courante de violence. Ne pas avoir préparé le repas à temps , ne pas bien s’occuper

81
des enfants ou du foyer , contrôler l’homme sur des questions d’argent , sortir sans
l’autorisation du mari ,fréquenter des amis(es) sans son approbation , refuser de
coucher avec son mari,…sont des exemples révélés surtout par les adultes de classes
socioéconomiques modestes.

A ces facteurs s’ajoute notamment la crainte pour l’homme de la concurrence liée au


niveau culturel élevé de la femme ce qui est susceptible de réveiller sa crainte de
perdre son statut dans la famille. Selon plusieurs, le changement des rôles au sein de
la famille ainsi que l’autonomie financière de la femme ont provoqué des tensions et
des subversions désapprouvées au sein du couple. Il est associé au sentiment de
supériorité que peut procurer un capital culturel et scolaire chez la femme. L’homme
peut être amené à dévaloriser la position enviable de sa femme, à la culpabiliser de
vouloir faire carrière «au détriment de sa vie familiale » et à la pousser à y renoncer.
Ces facteurs ont alimenté les représentations de la violence faite aux femmes.

La famille traditionnelle demeure dans une grande mesure le groupe social


fondamental chez la plupart des participants, au point qu'il est illusoire
d’appréhender le phénomène des violences familiales sans diagnostiquer les freins
que recèlent les représentations contradictoires des modèles familiaux. En général il
s’agit d’un rapport de force généré par la peur éprouvée par chacun des partenaires
d’être destitué des postulats sociaux attachés à son genre.
La violence est donc souvent la négation de l’altérité. De même, l’évolution rapide de
la société a octroyé à la femme une liberté perçue par les répondants comme
excessive. Celle-ci a encouragé la femme selon eux à défier l’homme. Se trouvant en
position d’« humilié », d’« affaibli », de « détrôné » de son statut de chef de famille,
notamment dans les situations où la femme est à l’origine de la plainte en cas de
conflit, l’homme réagit à son tour par des comportements agressifs et/ou violents.

Ce faisant, La justification de la violence contribue souvent à déresponsabiliser


l’homme, lequel rappelons-le, bénéficie déjà souvent de l’empathie de la femme et
de l’excuse de l’habitus au sens bourdieusien.

82
Outres ces raisons, les participants et particulièrement les jeunes, ont évoqué le
niveau de vie du ménage et l’addiction chez l’homme. Selon eux, les femmes dont le
niveau de vie est plus élevé sont moins souvent confrontées à la violence conjugale.
Celles qui le sont, c’est souvent par un conjoint, sous l’emprise de l’alcool ou de la
drogue et fréquemment au sein des ménages les plus modestes et les moins dotés de
capital culturel. Les participants dans leur majorité établissent un lien entre la forte
consommation d’alcool ou de la drogue du partenaire et la recrudescence de la
violence. La forte consommation d’alcool doit être de ce fait mise en évidence et
saisie comme un facteur contribuant à la violence des hommes au sein des relations
de couple.

3.1.3. Axe relatif aux formes de la violence à l’encontre de la


femme

La plupart des répondants ont relevé comme formes de violence, certaines violences
relatées dans la littérature : violence physique, violence sexuelle, et violence
verbale, …

La violence psychologique consiste pour eux en un contrôle excessif de la liberté


de la femme, en la restreignant (interdire la sortie pour le bain-maure, la sortie chez
des amies…). Elle peut se manifester aussi par le fait d’empêcher la femme à
poursuivre des études.

Quant aux violences économiques elles sont moins perçues en tant que telles. Ils
considèrent qu’il n’est pas facile de repérer les signes de la violence économique
s’agissant pour nombre de participants, d’un arrangement dans la gestion financière
ou d’un consentement mutuel de partage des dépenses dans le ménage. Ceci relève
certes de la méconnaissance profane de la définition qu’en donnent aujourd’hui le
chercheur, le professionnel, le militant ou le politique mais traduit également pour
une part un déni de la situation vécue.

83
Néanmoins, pour les plus avertis et les plus sensibilisés à la question féminine, - pour
la plupart des citadins de la région Tunis -, jeunes et adultes s’entendent pour
dénoncer la violence économique à laquelle sont exposées certaines femmes. Chez
les adultes de la capitale, celle-ci revêt à leur sens différentes formes : de l’obligation
de déposséder la femme du fruit de son travail à l’obligation de se prostituer pour
gagner de l’argent qui va dans les poches de l’homme, ou aussi imposer à la femme
des relations intimes dans le cas d’échange de partenaire. Dans ce sens, les adultes
dénoncent les déviances sexuelles, facteurs de violence, ce sont notamment la
sodomie, l’échangisme, la pratique sexuelle non conventionnelles contre le gré de la
femme et l’exposition de la preuve de la virginité de la mariée (la souriyya).32
L’ampleur de la violence sexuelle et leur caractère sexué prennent racine à notre
sens, dans une société empreinte de l’idéologie de la domination masculine, dont le
corps des femmes reste le premier lieu symbolique.

Lors du focus groups, ces violences sont relatées avec beaucoup de doléance et
seraient selon les participants adultes, en relation avec un environnement pauvre et
précaire, mais essentiellement relevant de la dégradation des valeurs et des normes
sociales au sein de la capitale, lieu de diversité sociale. Par ailleurs, Ils ont évoqué
les implicites que la mixité sociale véhicule en étayant le contraste et la fracture
entre les zones d’habitat, génératrice de délinquance et de dérive qui se
traduiraient par la recrudescence de la violence notamment envers les femmes.

Le modèle de l’âge d’or de la ville dans ses fonctions intégratrices semble révolu
dans leurs esprits. Selon certains adultes, la coexistence entre des catégories sociales
différentes et leur côtoiement provoqueraient paradoxalement des ségrégations et
des stigmatisations des quartiers difficiles dont la situation est perçue comme
repoussoir. Au fait, l’illusion qui consiste à croire qu’en agissant sur l’espace on peut
agir sur la régulation des rapports sociaux a montré ses limites comme le montrent
certaines études sociologiques. 33

32
Le drap nuptial, preuve de virginité la nuit de noce : Le rite du drap nuptial consiste, le soir de la nuit de noce, à montrer
le drap taché de sang après l’arrachement de l’hymen, à la famille (souvent la mère, la belle mère, le père…)

33 M.Castells, la question urbaine, 1972

84
Il est à noter aussi que dans la capitale, parmi les formes de violences les plus
évoquées par les enquêtés reste le châtiment nommé « Dar Joued »34 qui est une
pratique répandue depuis la fin du 19eme siècle jusqu’à la moitié du XX ème siècle.
Quant à quelques jeunes, les pratiques sexuelles jugées interdites par la religion
sont aussi considérées comme violences inadmissibles à l’encontre des femmes. Ils
évoquent aussi les violences physiques et verbales dans le cas de l’insubordination
de la femme, les séquences violentes partagées par les réseaux sociaux, les
comportements déviants des femmes (délinquance juvénile et criminalité évolutive
chez les femmes dues aux mutations sociales).

Somme toute, pour la majorité des participants les personnes les plus menacées par
les relations de violence restent celles qui, traditionnellement sont perçues comme
détenant moins de pouvoir et de capacité de contrôle de leur vie, notamment les
femmes et les enfants.

 Violence, instrument d’autorégulation

Aucun espace de vie des femmes n’est protégé de violence. Les espaces
habituellement considérés comme les plus protecteurs (la famille, le couple,..), où
sécurité devrait normalement régner, sont ceux où se produisent le plus de violence :
au sein des relations intimes, avec des partenaires, au sein des institutions du travail,
à l’école.
Jeunes et moins jeunes perçoivent la notion de la violence à faite femmes
différemment, selon leur propre d’expérience en matière de violence conjugale et/ou
non conjugale, selon leur connaissance de leur entourage de femmes victimes de
34Il s’agit d’une institution éducative, un endroit où les femmes jugées désobéissantes pouvaient être consignées en dehors
de toute décision de la justice . Selon D.Largueche 34: « Dar Joued apparait comme étant une véritable institution de
traitement des conflits de la vie intime, amoureuse et sexuelle du couple ». Cette institution où la femme a été traitée
comme une « humble servante » : servir et se taire, qui a marqué la condition sociale de la femme aujourd’hui ainsi que les
représentations des hommes envers la femme. La femme y reste tant qu’elle n’a pas été « assagie ». Cette pratique en tant
que legs n’est pas sans incidence sur une représentation collective de la femme marquée par un caractère négatif et
violent.

85
violence, ou leur connaissance de campagnes de sensibilisation portant sur la
violence à l’encontre des femmes. L’interaction entre ces différents facteurs doit
être prise en compte lors de l’élaboration de politiques visant à sensibiliser à la
violence faite aux femmes dans différents contextes et au sein de différents groupes
d’appartenance.

Différentes formes de violence sont reconnues, mais non assumées. Il est des
violences qui ne sont pas nommées en tant que telles ; or ce qui ne peut être nommé
ne se combat pas facilement. L'acte de violence qui a reçu le plus de réprobation des
jeunes et des adultes reste l’agression sexuelle et essentiellement le viol.
Cependant, mêmes si ces violences sont avérées, la victime demeure de toute façon
dans les perceptions, comme coupable, porteuse d’une faute morale : de s’être
exposée, d’avoir provoqué, de n’être pas habillée correctement…Ainsi les victimes se
transforment en suspectes.

Toutefois, il convient de noter que même si les violences conjugales et les violences
intrafamiliales sont les formes les plus courantes des violences subies par les femmes
comme il en ressort dans la plupart des études et notamment de l’étude du CREDIF,
que leur prévalence commises par un partenaire intime est parmi les plus élevées35.
L’usage de la force ou des comportements privatifs ou des peines morales, ou des
crises de jalousie par les hommes dans l’enceinte familiale ne sont pas considérés
comme des violences. En effet, la majorité des répondants s’entendent à ne pas les
considérer comme telles. Ils les pensent plutôt comme instrument de contrôle
légitime, facteur régulateur au sein de la famille dans des situations et de
comportement déraisonnable ou de déviance venant des femmes ou des filles. Le
rôle et l’usage de la force pour maintenir l’équilibre familial et l’ordre social est
souvent relaté dans le discours de répondants octroyés d’une certaine tolérance. Au
fait, on est devant une conception restreinte de la violence, circonscrite aux seules
brutalités physique et sexuelle ; ceci reflète les croyances que certains

35
Plus d’une femme sur cinq ( 20.3%) subie une violence physique exercée par une personne intime
, 47,6% des femmes déclarent avoir été victime de violence au cours de leur vie (Rapport National genre , Tunisie 2015)

86
comportements privatifs ou agressifs sont perçus comportements ordinaires ne sont
pas reconnus comme violences par plusieurs répondants. L’argument majeur allégué
pour cette tolérance reste avant tout de « protéger la famille ».
Ce faisant, les violences « privées » dans les familles sont acceptées. Elles ne sont pas
socialement intolérables. Cette permissivité quant à ces violences dénote qu’il n’y a
pas encore une prise de conscience de toutes les formes de violence, ceci est en fait
rapporté à des facteurs socioculturels.

 L’alibi du consentement

Nombre de nos participants ont révélé le facteur du « consentement » des femmes


à certaines violences conjugales. Perçus comme incidents vécus dans l’intimité de
l’espace privé, saisis parfois comme preuve de « jalousie amoureuse » et/ou de
comportement protecteur, certains agissements agressifs semblent selon quelques
répondants tolérés ou pardonnés par certaines femmes. Justifiés par un
débordement d’amour glorifié, relatant le « bon fond » du partenaire, ils ne sont
donc pas identifiés comme des faits de violence. En effet, certaines femmes
peuvent dénier certains comportements violents, les qualifiant seulement
d’énervement ou de coup de colère, en les minimisant.

Au fait, si les femmes refusent la soumission, elles ne refusent pas


fondamentalement la domination masculine dont elles ont été trop souvent
spectatrices dans leur jeunesse, dans leur environnement, et dont elles ont intégré
les valeurs. Ce qu’il importe de marquer, c’est le réseau de déterminations sociales
qui enserre de toutes parts les perceptions des jeunes femmes à l’époque de leur
adolescence, au moment où elles cherchent à passer d’un statut social à un autre
par le mariage.
Il est clair que l’individu n’arrive pas à l’âge adulte - époque de choix de vie
significatifs -, sans être nettement différencié par son éducation, par le contexte
socio-culturel auquel il appartient, par les conditions économiques et géographiques.
Tous ces déterminismes enchevêtrés introduisent des éléments affectant les

87
représentations sociales, notamment relatives à la violence : des pressions subtiles
continuent à exercer un rôle quant à la permissivité et à la tolérance de la violence.

La dépendance économique et/ou le confort matériel peuvent même, justifier


l’acceptation de la violence et condamnent les femmes à rester sous l’emprise totale
de leurs époux. Outre cela, l’isolement social peut aussi amener certaines femmes à
ne pas pouvoir simplement dévoiler leur situation, car leur parole n’ayant pas été
autrefois entendue, ou aussi en raison de sentiment de honte, d’embarras et de
crainte d’être jugé dont elle ne peut s’affranchir. Elles cherchent évidemment à
« sauver la face ».

Pour saisir la place du consentement, les participants évoquent le « libre choix » des
femmes à porter le voile, à se soumettre au mari, à se sacrifier, à se taire en cas de
violence pour protéger sa famille. Le consentement est considéré comme
acquiescement, comme argument pour assoir des facteurs justificatifs masqués par
des valeurs des libertés individuelles. Cette question révèle la complexité et le flou
des frontières entre liberté individuelle et intériorisation des représentations
inégalitaires des rapports de sexe : une difficulté de se reconnaitre victime d’où
l’acceptation de la violence. De plus en plus habituées à la violence, n’ayant plus
aucune confiance en leurs propres décisions, certaines victimes se sentent plus à
l’aise dans le connu que dans l’inconnu du départ ou de la séparation. Or, accepter de
rester – « par amour », par dépendance financière, par peur ou par isolement malgré
les violences physiques ou morales subies ne signifie pas consentir.

Différents mécanismes se conjuguent pour conduire à l’apparente acceptation de la


violence subie par les victimes : dépendance économique, isolement familial et
social, dépendance affective résultant d’une enfance carencée, représentations
inégalitaires des rapports de sexe fortement ancrées, sacralisation et fatalité du
destin de la vie conjugale … Certaines femmes sont amenées, voire avec un
apparent consentement à rester « pour les enfants » ou pour ne pas briser leur
couple. Déni de la situation, intériorisation, culpabilisation face aux « raisons » des
violences subies, résignation devant une situation assez répandue, banalisation…
sont autant de mécanismes qui font croire à un consentement. Les femmes qui vivent

88
de telles situations se trouvent donc confrontées à la nécessité d’acquiescer à leur
statut de « victime ». Le constat d’échec de la relation conjugale que ce statut
implique et la stigmatisation sociale qui s’y attache les contraignent à la loi du
silence.

Le comportement violent est aussi lié à la domination masculine et à la


représentation qu’ils ou elles se font de la masculinité. Etre marié à un « vrai
homme », est aussi perçu par certains hommes comme éventuellement une
anticipation à accepter certaines caractéristiques agressives dites « masculines » liées
à la personnalité du partenaire :

« … c’est le prix à payer si elles veulent de véritables


hommes pour les protéger....» dit un des répondants.

Ces attitudes en question ne sont que rarement adoptées consciemment par les
représentants du milieu. Les individus ressentent, comme étant leur intérêt plutôt
qu’une obligation, le fait de se comporter conformément au désir de leur milieu,
puisque les conditionnements exercés ont été assimilés comme normatifs.

L’enchevêtrement des facteurs objectifs et subjectifs mène la victime à l’acceptation


et l’empêche souvent à porter plainte ou a s’adresser à des institutions d’aide ou
d’envisager de s’en sortir : choisir le moindre mal se traduirait par le silence avec
l’espoir que « cela s’arrange » avec le temps. Le déni et la loi du silence règnent
particulièrement à l’intérieur de la famille et du couple : c’est à la victime de ne pas
dramatiser, de ne pas détruire la famille ou le couple, de sacrifier pour les enfants,
de pardonner, d’être loyale, d’être hyper compréhensive, de faire preuve de
compassion. Il est parfois difficile de distinguer ce qui est de l’ordre de la contrainte
et de l’ordre du compromis, et on peut finir par s’adapter, pour avoir la paix : « tout
compte fait, ce n’est pas si grave…, il ya toujours bien pire ailleurs. » dit-on.
Partir de ce constat, même s’il ya eu une évolution, notre mandat demeure encore
d’attirer l’attention à ces violences « douces »36, invisibles, de développer une

36
Pour P.Bourdieu, « La domination masculine est tellement ancrée dans nos inconscients que nous ne l’apercevons plus,
tellement accordée à nos attentes que nous avons du mal à la remettre en question. Plus que jamais, il est indispensable de

89
approche volontariste adaptée en intégrant toutes les dimensions nécessaires. Au
vrai les analyses genrées du phénomène de la violence faite aux femmes devraient
être revisitées et relues à la lumière de l’habitus, de la violence symbolique, et du
consentement des dominés.

Force est de suggérer aux Les décideurs politiques et aux instances concernées
d’œuvrer à résoudre le problème lié au manque de données fiables et sexuées sur
l’ampleur et la nature du problème. Du fait que la plupart des femmes ne signalent
pas ces faits et ne se sentent pas encouragées à le faire au vu des systèmes qu’elles
considèrent souvent comme peu favorables à leur égard, les données officielles de la
justice pénale ne peuvent tenir compte de ce manquement. Il convient de lutter
avec vigueur contre les mentalités négatives qui amènent la victime à culpabiliser, et
agir sur les mécanismes et les institutions qui accomplissent le travail de
reproduction de l’« éternel masculin » pour les neutraliser pour libérer les forces de
changement qu’ils parviennent à entraver.

3.1.4. Axe relatif à la perception de la prévention de la violence

Les mesures préventives préconisées par les jeunes sont des mesures plutôt
modernistes : recours à la justice, pénalisation des agresseurs, sensibilisation aux
méfaits de la violence, intervention au niveau de l’école, contrôler les médias pour
limiter la propagation de la violence et création d’associations et d’institutions
d’aide aux victimes pour lutter contre les violences faites aux femmes. Ils soulignent
également le rôle des médias pour prévenir la violence exercée contre les femmes,
et la nécessité de propager une culture juridique plus égalitaire.

En revanche les adultes recommandent des mesures s’inspirant du modèle


traditionnel islamique : patienter et pardonner pour la femme en cas de
mésententes ou de conflits, elle doit prendre sur elle pour préserver l’équilibre de la
famille, faire intervenir un intermédiaire pour régler les problèmes familiaux (des
personnes sages de la famille ou des amis de confiance) avant de recourir à la

dissoudre les évidences et d’explorer les structures symboliques de l’inconscient androcentrique qui survit chez les hommes
et chez les femmes. »

90
justice. Porter plainte pour les violences intrafamiliales reste un recours très peu
préconisé chez la plupart des participants, sauf s’agissant de violence extrême.

Ils préconisent aussi une éducation sexuelle et la réduction de la violence à l’école


et l’incitation de la femme à contenir la colère de l’homme et faire preuve de plus de
patience et de compréhension.
Jeunes et adultes s’accordent à donner une bonne éducation aux enfants en
rééquilibrant le temps de travail de la femme et pour concilier vie familiale et vie
professionnelle. La tenue de l’espace domestique, participe également de l’impératif
de respectabilité, est souvent invoquée par les adultes. Instaurer l’apprentissage du
principe d’égalité entre filles et garçons dans la famille, renforcer le rôle de l’école et
de la famille dans l’apprentissage du bienêtre de l’enfant (transmettre les principes
du vivre ensemble, le respect de l’autre,…), également des campagnes de
sensibilisation pour une amélioration des relations dans le couple par une meilleure
communication non violente, sont relatés comme mesures préventives des violences

Chez certains adultes, réviser les dispositions juridiques afin de faciliter les
procédures de divorce et de l’adapter à la situation sociale des hommes diminuerait
les répliques violentes des hommes. Ils jugent d’ailleurs, les dispositions du code du
statut personnel comme inégalitaire et souvent au profit des femmes au détriment
des hommes « pour convenir aux normes occidentales » disent quelques uns.

Ils imputent la spirale de la violence au sentiment d’injustice que vivent certains


hommes en invoquant les difficultés financières ou autres disposition pro-femmes
(payer la rente de divorce, payer des pensions alimentaires, payer le loyer.., alors
qu’il en est autrement pour les femmes. Ne pouvant donc divorcer dans ces
conditions, certains ne peuvent s’exprimer autrement que par la violence renforcée
certes, par des liens conjugaux complètement rompus peu propices au dialogue
apaisé.

91
On a même évoqué d’instrumentalisation politique de la cause des femmes pour
plaire à l’occident ou aux valeurs universelles qu’ils lui associent et qu’ils
désapprouvent faisant éloge de l’identité arabo-musulmane.
Il ressort de ce qui précède que la représentation de la violence à l’encontre des
femmes est encore persistante au sein de la société. De plus, elle a un rôle vérifié
dans l’orientation des comportements violents à l’égard de ces dernières. Pour
paraphraser Bourdieu, nous agissons sur la base de la conception du monde que
nous avons apprise.

Selon F.Héritier37 les données biologiques sont certes objectives, toutefois, elles ne
sont pas dotées de valeur. La valeur et ce que nous appelons le « masculin » et
le « féminin » relèvent du regard que porte l’humanité sur le rapport des sexes et des
explications qu’elle donne de cette dualité. En découlent des jugements de valeur et
des règles de comportement qui sont des constructions sociales et qu’il importe de
déconstruire. Nous allons présenter dans le chapitre qui va suivre des modèles, voire
les pratiques qui seraient en mesure de faire changer les représentations ainsi que les
attitudes à l égard des femmes.

Chapitre 4 :
Changement des attitudes et des représentations à
l’égard des femmes
Nous avons évoqué dans les chapitres précédents les efforts fournis en faveur des
femmes en Tunisie, tant sur le plan législatif que social. Ces actions prennent des
formes diversifiées depuis la promulgation du code du Statut personnel en aout
1956, premier code dans le monde arabe. Depuis, les actions se sont multipliées,
notamment les actions du CREDIF ainsi que l’UNPA l’ONU Femmes. Toutes ces
actions ont pour objectif l’acquisition des droits et l’égalité des chances pour les
femmes et la promotion sociale. De même, ces actions représentent un appui à la

92
citoyenneté et à l’empowerment économique des femmes. Ces actions sont
multiples, elles vont aller de la prévention de la violence jusqu’au soutien au droit des
femmes et l’élimination de la discrimination et le renforcement de la paix et de la
sécurité des femmes. De même, les actions de la société civile opèrent également
dans cette même perspective (ATFD, AFTURD...)38 qui lutte pour promouvoir la
justice sociale et l’égalité. De même, elle œuvre pour la transformation des
mentalités patriarcales. D’autres actions portent sur la prise en charge par les
femmes de leurs problèmes et la lutte solidaire en vue de solutions non
discriminatoires.

En dépit de toutes ces actions réalisées, il y a persistance de la violence (Cf. résultats


de l’enquête empirique). Cette tendance est présente aussi bien chez les jeunes que
les adultes. Un écart visible est enregistré entre tous les efforts fournis (législation,
information, sensibilisation) et la persistance des conduites violentes auprès des
femmes. Comment expliquer cet écart ? Certes, par l’étude des représentations
sociales et les attitudes qui en découlent. En effet, plusieurs études révèlent une
justification sociale de la violence faite aux femmes et une pression pour la faire
taire. De façon générale, en référence à la théorie du champ de Bourdieu (1977)39 et
au principe de l’homologie structurale (Bourdieu, 1979), la logique de la justification
de la violence faite aux femmes se trouve dans un rapport d’homologie avec les
positions sociales et les enjeux de pouvoir des groupes de sexe.

C’est donc au niveau de la symbolique ou l’étude des représentations sociales qu’il


faut rechercher la signification des conduites violentes. Ces dernières sont fondées à

38
ATFD : Association Tunisiennes des Femmes Démocrates
AFTURD : Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche e sur le Développement
39
Bourdieu, P. (1977). La production des croyances : contribution à une économie des biens .Actes de la
recherche en sciences sociales. Vol. 13, février 1977. . ( cité par Ben Alaya, D., « La légitimation de la violence
selon le genre et le contexte en Tunisie ». in « Déviance et société », 2016/2 (vol 40), p.187-.

93
leur tour sur la question du genre, et toute l’élaboration sociocognitive réalisée par
les groupes à l’égard d’un objet social comme celui des femmes (Ben Alaya, 2016).
Il est à noter que la légitimation de la violence par le biais du contrôle des femmes
serait à la fois à l’origine de la violence exercée sur elles, et en même temps justifiée
par elles.

Il en ressort une relation complexe entre représentations sociales, légitimation de la


violence et justification de ses propres actes violents. Par voie de conséquence,
l’intervention doit réunir à la fois un travail sur les processus symboliques, les
pratiques elles-mêmes, en vue de lutter contre la violence en général, et contre celle
basée sur le genre en particulier (Ben Alaya, 2016).

Comme le souligne Abric (1997), la représentation permet d’appréhender la nature


des liens sociaux et constitue par ce fait : »un élément essentiel dans la
compréhension des déterminants des comportements et des pratiques sociales».

L’idée d’un déterminisme de la domination masculine est perpétuée par les


conditions sociales, s’il s’inscrit dans une conception plus large formulée dans la
théorie du champ de Bourdieu (1977) à travers un principe d’homologie structurale
(Bourdieu, 1979). Selon cette théorie, il y a une équivalence de structure entre les
conditions de vie des individus leurs différentes positions de pouvoir et leurs reprises
de position à l’égard des objets sociaux.

De façon générale, malgré la transformation de la condition des femmes, il existe des


mécanismes responsables de la reproduction des représentations et des structures
qui fondent la domination du masculin sur le féminin qui incombent aux institution
comme la famille, l’école, l’état ou les institutions religieuses (Bourdieu,1998). Ces
dernières mènent à l’intériorisation de schèmes inconscients du principe de la
domination du masculin.

La domination masculine est déterminée à l’échelle sociale, elle alimente également


les représentations

94
Si l’on croit que, les systèmes représentationnels sont marqués par une logique de
reproduction sociale de la domination masculine et l’intériorisation de cette dernière
par les femmes. Il importerait de réviser les rapports entre l’ordre posé dans les
différentes structures sociales et la représentation impliquée dans la reproduction de
l’ordre symbolique (Tafani et Apostolidis, 2002) construit autour de la femme. C’est
d’ailleurs au niveau de l’accès au travail que la rivalité et la domination perdurent en
dépit des lois promulgués en faveur de l’égalité des chances et des droits.

Dès lors, il semble nécessaire d’agir sur les représentations afin de modifier les
attitudes à l’égard des femmes.

Nous proposons dans ce chapitre de mettre à la disposition des agents de


socialisation de la société des stratégies et des outils du changement social au vu
des avancées de la psychologie sociale. Pour éclairer ces agents des difficultés du
changement social nous avons jugé utile en début de ce chapitre d’attirer leur
attention sur les résistances qui freinent le changement aussi bien au niveau culturel
que sociologique. Il y a lieu dans ce cadre de définir les caractéristiques du
changement.

4.1. Comment introduire le changement ?


4.1.1 Le changement : définition
Collerette et Delise (1982) définissent le changement comme étant «toute
modification d’un état quelconque à un autre, qui est observée dans l’environnement
et qui a un caractère relativement durable » (p.25)

Dès lors un organisme passe par des phases de croissance, de maturité et de


vieillissement qui sont programmées dans l’état initial du système. L’essentiel dans
cette définition est que le changement soit observable. En un mot l’expression
« changement » renvoie à une modification observable dans le système social :
respect mutuel entre hommes et femmes, mêmes droits pour les uns et les autres,
etc. Il y a lieu de décrire la dynamique du changement.

95
4.1.2 La dynamique du changement

Lewin considère que l’individu est doté d’un espace de vie, qui correspond au monde
psychologique de l’individu. Ce champ est composé de deux régions
interdépendantes : celle liée à la personne elle-même (P) et celle liée à
l’environnement (E). Selon lui, c’est cette structure qui influence le comportement de
l’individu.

Sa théorie des « champs de forces » présente la résistance au changement comme un


contre-poids direct aux forces qui poussent à adopter un nouveau comportement. Il
insiste sur l’importance d’analyser les forces motrices et résistantes au changement
qui établissent un certain équilibre au sein d’un groupe

Il identifie dans un champ, des forces motrices qui incitent à changer de


comportement et de forces restrictives qui empêchent le changement. Quant aux
forces motrices, ces dernières impulsant le changement. Ces forces se subdivisent en
forces internes (la personnalité, les émotions) et en forces externes (l’environnement
du travail par exemple)

Lewin (1943) a mis en place une technique au cours de laquelle les comportements
sont susceptibles d’être modifié en groupe et non individuellement. Ce changement
s’élabore à travers la participation du groupe à l’élaboration de nouvelles règles qu’ils
doivent s’approprier. Le changement ne peut parvenir de l’individu pris isolément. La
force du groupe réside dans un système d’interdépendance.

Les forces motrices internes


On peut citer les forces reliées au bénéfice personnel. Il s’agit pour l’homme qui
adopte de nouvelles attitudes positives envers la femme de vivre en harmonie, et en
paix avec sa compagne et ses enfants. Le respect qu’il lui manifeste lui permet d’être
« Ok » avec lui-même ainsi, qu’avec la gent féminine. Cet accord lui permet de ne
pas se sentir injuste et coupable d’avoir violenté sa femme. Ainsi créera-t-il pour ses
enfants un bon climat de développement. Mais, ces forces ne sont pas à la portée

96
du commun des mortels, car leur prise de conscience réclame de la maturité
psychologique, un esprit clairvoyant.

Pour ce qui concerne les forces externes, elles résident dans l’encouragement que
peut lui fournir son entourage, On peut envisager également le renforcement d’une
meilleure estime de lui-même, ou une manière alternative de satisfaire son
sentiment de masculinité. On peut aussi renforcer une force existante chez lui et qui
s’oppose à celle qui le pousse à être violent ‘épargner aux enfants le traumatisme de
voir leur mère violentée par exemple.

Les forces restrictives


Ce sont les forces qui réduisent le désir de changer ou d’accepter le changement. Ces
forces se subdivisent en forces internes et en forces externes.

Il nous a été donné de constater au cours de cette étude que les stéréotypes dont la
femme est victime demeurent vivaces dans les esprits des répondants. Il est
question d’interroger les facteurs qui sont à l’origine de la persistance des
stéréotypes, des attitudes et des représentations que se fait la gent masculine de la
femme.

Parmi les facteurs décrits, on note les facteurs culturels et les facteurs psychosociaux
et sociologiques. Ces derniers agissent comme des facteurs primaires. D’autres
facteurs secondaires comme les médias sont aussi à prendre en considération quant
à leur pouvoir de pérenniser les représentations négatives à l’égard de la femme.

Les facteurs culturels

L’ensemble des conduites violentes à faites aux femmes est lié à un ensemble de
pratiques au sein de la société qui sont à la fois déterminantes et déterminées. Les
pratiques marquées par la violence sont déterminées par des variables culturelles.
Ces variables culturelles qui légitiment la violence faites aux femmes déterminent
également les représentations des jeunes et des adultes. Cette dimension culturelle
est marquée par le patriarcat et la domination masculine (voir supra) et se heurtent
aux nouvelles valeurs prônées par la modernité et la culture occidentale. Ces normes

97
socioculturelles traditionnelles et la prédominance des valeurs patriarcales tendent à
exposer les femmes à différents types de violences et cautionnent l’acceptabilité de
ces violences. Il nous a été donné d’observer qu’au cours des analyses précédentes,
que les forces restrictives internes qui proviennent des croyances culturelles sont
également présentes.

4.1.2 Les facteurs sociologiques expliquant la persistance des stéréotypes

La socialisation
Les parents inculquent à leurs enfants dès la première enfance, les valeurs
auxquelles ils adhèrent. Ils encouragent les enfants à adopter les comportements de
leur sexe, les garçons ne sont pas encouragés à adopter des comportements
spécifiques aux filles, ils n’encouragent pas l’expression de la colère chez la fille et
désapprouvent les pleurs du garçon. L’un et l’autre des deux sexes reçoit en cadeaux
des jouets spécifiques à son genre. Coulon et Cresson (2009) font remarquer en ce
sens que les enfants intériorisent leur genre avant qu’ils ne connaissent leur sexe,
et comprennent le masculin et le féminin. Les activités effectuées par l’un des deux
sexes peuvent être aussi une source d’imitation. L’intériorisation du genre peut
également se réaliser par l’observation de l’environnement ou la représentation de
la réalité environnante telle que véhiculée par les livres, la télévision ou la publicité.

En dehors de ces canaux de socialisation, la famille pérennise les stéréotypes du


genre par la préférence manifeste du garçon en traitant durement la fille. La mère
s’attriste à la naissance de la fille par contre celle qui engendre le garçon s’en réjouit,
et fait de lui un prince.

L’institution scolaire et les formes d’inégalités

L’école contribue à la persistance des stéréotypes qui légitime la relation de


domination des hommes sur les femmes et joue un rôle de pérennisation de
l’inégalité qui en découle c’est ce que Mosconi (2009) appelle la socialisation
différentielle des deux sexes. Cela se traduit par l’acceptation de l’indiscipline des

98
garçons, la tendance à rejeter les filles, tendance de certains enseignants à poser des
questions à des filles pour reconstituer des savoirs, alors qu’ils posent ces questions
aux garçons pour construire le savoir.

Rôle des livres scolaires dans l’éducation et la socialisation

De leur côté, les livres scolaires contribuent à la persistance des attitudes négatives
envers les femmes parce qu’ils présentent des textes qui consacrent des activités
spécifiques aux femmes, ou consacrent des images traditionnelles de la femme. Et si
les livres scolaires sont des moyens didactiques d’enseignement, ils sont également
des moyens de transmission de modèles sociaux de comportement, de valeurs et
participent à ce niveau à construire des identités de sexe dans la société et partant
de là ils peuvent constituer un levier de changement social et la réalisation entre les
deux sexes.

De leur côté, les médias (journaux, télévision) constituent à leur tour des institutions
secondaires de socialisation. Elles sont à la fois le reflet de la représentation et un
vecteur de reproduction de ces dernières. De telle sorte, les médias sont en même
temps les producteurs les vecteurs de cette domination homme-femme et
permettent sa pérennité dans le temps.

L’image de la femme dans les médias

Nous disposons d’une étude sur la condition de la femme réalisée par l’Institut El
Amouri (1981). Cette dernière révèle les résultats suivant :

 La femme est surtout présente dans les rubriques féminines (mode, art culinaire,
soins esthétiques, etc.) et dans les arts et les spectacles où elle est le plus souvent
objet du spectacle (artiste, danseuse, etc.). L’auteur affirme que : « nous remarquons
aussi qu’elle y occupe une large place dans les faits divers et les comptes rendus des
séances du tribunal ».

99
 Dans les deux journaux (la Presse et As-Sabah) les affaires de Mœurs sont les plus
fréquentes et leur proportion ne cesse d’augmenter d’une décennie à l’autre. Il s’agit
de séquestration, de viol, d’infanticide, de prostitution et d’attentat à la pudeur

L’étude réalisée par Mahjoub.A. et col. en (1996) sur Les Représentations et Perceptions
par les jeunes des droits de la femme en Tunisie indique que l’image reflétée est celle
d’une femme soumise, fragile, suggestible. Elle entretient avec l’homme une relation
basée sur l’exploitation et la répression.

Les productions dramatiques importées d’Orient et qui trouvent large audience en


Tunisie, consacrent l’image stéréotypée de la femme : il s’agit de la femme naïve,
dépendante et de faible estime de soi qui déploie tous ses efforts pour décrocher
l’amour et la sympathie d’un homme riche et puissant.

L’image de la femme est celle de l’image d’une soumise. Le mariage est un concept
contractuel, trop souvent, il n’est pas assimilé à un contrat de mariage, mais à un contrat
de relation sexuelle dans lequel domine le partenaire le plus fort (l’homme) qui avance
son argent et s’approprie l’objet de son acquisition.

C’est lui qui est le partenaire le plus fort, retient l’autre ou le répudie à n’importe quel
moment dans la plupart des pays arabes.

 Il ressort de nos analyses la persistance des attitudes et représentations négatives


dans les sociétés arabes. La reproduction devient la fonction essentielle de la mère
qui se soumet à ses garçons comme elle se soumet à son époux. Son rôle se résume
à la ménagère, non à l’éducatrice.

100
La femme instrument de vente et modèle de comportement dans la
publicité

Le corps de la femme est traité comme une marchandise pour susciter un désir qui se
reportera sur l’objet de vente. La femme n’en n’est donc réduite qu’à un simple
instrument de séduction ou un objet de fantasme pour attirer l’attention du
consommateur. Elle est réduite à un rôle de provocation. Pour vendre, il faut séduire. Les
publicitaires instrumentalisent le corps de la femme pour atteindre n’importe quelle
cible.

Présenter une « belle femme » ayant un physique attrayant permet d’agrémenter


n’importe quel produit, elle peut servir de fonction de réceptacle de présentation en
plus de sa fonction de séduction ci-dessus mentionné. D’un autre côté, la publicité joue
un rôle d’autorité qui fixe le modèle d’imitation sur le plan du comportement et de
l’apparence ; ainsi le comportement de la majorité des femmes se trouve-t-il soumis aux
normes de la beauté stéréotypée.

En guise de conclusion l’image de la femme est instrumentalisée, elle n’est qu’un moyen
d’incitation à la vente des produits. Il se dégage de ces différentes études que l’image
de la femme demeure celle de la femme traditionnelle, passive, objet de désir et de
séduction, victime de la violence masculine.

Il ressort de ce qui précède que les attitudes négatives à son égard persistent à travers
des décennies. Cette persistance s’explique également par des facteurs psychologiques
qui viennent renforcer les facteurs sociologiques cités supra. En dehors des facteurs
culturels et sociologiques, d’autres facteurs sont intervenus pour ralentir la cadence du
changement.

4.1.3. Les forces externes réduisant le changement


Ces forces sont apparues au lendemain de la révolution du printemps arabe
caractérisée par l’émergence de mouvements religieux. Ces derniers sont venus
renforcer les forces restrictives internes qui sont encore à l’œuvre.

101
Les implications pour l’agent du changement
Kurt Lewin (1951)40 propose deux méthodes pour modifier ce niveau d’équilibre ; soit
l’ajout de forces favorables poussant le système vers le changement désiré, soit la
diminution des forces antagonistes. La méthode qui accentue les pressions favorables
au changement sans diminuer directement les forces contraires semble plus sensible
à la résistance au changement. Kurt Lewin positionne donc la résistance au
changement plutôt au niveau des systèmes présents au sein des groupes que de la
psychologie des individus en tant que telle.

Le processus du changement et sa dynamique, que nous venons de décrire,


déterminent les chances de succès d’une action de changement ; l’agent de
changement doit les prendre en considération pour que son intervention soit
efficace. La première de ses actions doit montrer l’attrait que peut présenter le
changement en montrant que la vie serait améliorée si le changement était instauré.

Au niveau de la première étape du changement, l’agent doit veiller à être attentif


au degré d’anxiété que son action de changement risque de provoquer. Si le degré
d’anxiété est élevé, il peut se produire le contraire de ce qu’il a projeté de produire,
c’est –à-dire, le changement se ferait dans la direction opposée à celle recherchée.
D’autre part, il est rare que le changement se réalise dans le confort, car il est
difficile de changer une situation satisfaisante. Un homme servi royalement par une
épouse obéissante à tout moment, et violentée dans toute impunité, se refuse à
changer cette situation confortable.

La deuxième étape du changement porte sur le mouvement. L’agent du changement


aura intérêt à prendre en considération l’anxiété que génère le changement, et aura
avantage à faciliter à la personne appelée à changer, dans un climat de sécurité qui
accepte les erreurs.

40
LEWIN, K., (1951). Field Theory in Social Science, New York, Harper and Row. Cité par Vas, A., et Vande Velde, B., (2000).
- La résistance au changement revisitée du top management a la base : UNE ETUDE EXPLORATOIRE. IXIEME CONFERENCE
INTERNATIONALE DE MANAGEMENT STRATEGIQUE- " PERSPECTIVES EN MANAGEMENT STRATEGIQUE " AIMS 2000
Montpellier - 24-25-26 Mai 2000 -

102
Au niveau de la troisième étape du changement, l’agent du changement veillera à
ce que le nouveau comportement soit intégré dans les comportements quotidiens.

Si l’agent de changement doit prendre en considération le processus de


changement, il doit tenir dompte des forces restrictives qui freinent l’évolution des
attitudes et des représentations envers la femme. Les manifestations des forces
restrictives sont devenues plus répandues suite à la révolution du printemps arabe où
de nouvelles pratiques envers la femme se sont vues installées (interdiction de
voyager sans être accompagnée par un parent de genre masculin ou sans
autorisation).

D’autres facteurs d’ordre psychologiques sont à repérer également, ils expliquent à


leur tout la persistance de certains stéréotypes.

Il est à noter que les individus acceptent le changement lorsqu’ils y participent de


façon active. Cela suppose que les techniques utilisées par l’agent du changement
doivent être centrées sur le groupe.

4.2. Les facteurs psychologiques expliquant la persistance


des stéréotypes

En sus des facteurs sociologiques, il existe des facteurs psychosociaux expliquant la


pérennité des stéréotypes négatifs à l’encontre des femmes. Parmi ces facteurs nous
pouvons citer les facteurs sociocognitifs et les facteurs socio affectifs. Ces facteurs
jouent un rôle dans l’intériorisation de la violence par la femme en tant que victime.

On entend par facteurs cognitifs les processus qui permettent la compréhension de


l’environnement, la perception qui varie d’une personne à une autre. Dans ce cadre,
on peut évoquer l’effet des stéréotypes et des préjugés. A titre illustratif de cet effet,
l’effet Pygmalion (Rosenthal et Jackobson, 1968)41 qui provoque chez la victime,

41
ROSENTHAL R., JACOBSON L. (1968). – Pygmalion in the classroom: Teacher expectation and student intellectual
development. New York : Holt, Rinehart et Winston..

103
l’apparition du comportement attendu parle détenteur du préjugé. D’autres facteurs
sont de l’ordre du socio-affectif. La femme qui subit des violences au sein de l’espace
public ou privé est perçue par l’homme comme suscitant de la pitié de part sa
fragilité. Ces résultats se rapportent à une étude portant sur la violence fondée sur le
genre dans l’espace public en Tunisie, (CREDIF,2016). 42

Face à ces facteurs de résistance qui ont à un impact sur la représentation et les
attitudes négatives à l’égard des femmes, il y a lieu de présenter les stratégies en
mesure d’apporter les changements escomptés.

4.2.1 Les stratégies du changement des attitudes et des représentations


envers les femmes
Définition
La stratégie d’innovation ou de changement est l’ensemble des moyens mis en œuvre
et les actions engagées par un agent sur un terrain en vue d’y atteindre un objectif
spécifique. Ces moyens sont généralement intégrés logiquement et chronologiquement
de façon à former un programme d’intervention.

Les stratégies du changement


Schein (1969) a identifié trois stratégies. Ce sont les stratégies informationnelles, les
stratégies de décision ou coercitives et les stratégies normatives-éducatives.

Les stratégies informationnelles


Cette approche se fonde sur le postulat selon lequel la personne est tout d’abord et
avant tout un être pensant. C’est une approche qui s’adresse à la raison et se fonde sur
les faits. Il s’agit de présenter par exemple des statistiques dans un dépliant montrant
l’impact de la violence sur les femmes. C’est le rôle qu’assure le CREDIF depuis sa
création. Il utilise à cet effet les médias afin d’informer quant à la gravité de certains
phénomènes sociaux. Il assure également la supervision d’études et de recherches,
publications, réunions et mène campagnes de sensibilisation, etc.

42
CREDIF (2016). Etude portant sur la violence sur le genre dans l’espace public en Tunisie.

104
Cette approche a l’avantage de toucher un grand public. Toutefois, elle a l’inconvénient
de ne pas constituer une véritable communication étant donné l’absence de feed- back
entre émetteur et destinataires. Une telle approche touche à ses limites lorsqu’il s’agit
de modifier en profondeur les attitudes dont est imprégné le récepteur. Nous verrons
que l’intellect à lui seul ne modifie pas l’attitude qui est composée d’une composante
affective et d’une troisième composante comportementale.

Les stratégies coercitives


Cette approche consiste à énoncer de nouveaux comportements, à promulguer des lois,
à prendre toutes les mesures judiciaires et administratives pour contraindre les gens à
adopter de nouveaux comportements.

Le Gouvernement tunisien a promulgué en aout 1956 le code du statut personnel en


faveur de la femme. Ce texte a été complété par d’autres textes tels que la loi
promulguée en Juillet 2017 contre la violence à l’encontre des femmes.

Une telle approche a le mérite d’être expéditive. Ses gains sont à court terme, car
l’influence sociale prend la forme d’un acquiescement (peur du gendarme). Le
comportement adopté finit par être abandonné dans l’absence du détendeur de
l’autorité. Qui plus est, les gens contraints à se conformer risquent de boycotter le
changement.

Les stratégies normatives éducatives


Cette approche se fonde sur le postulat selon lequel la personne est d’abord et avant
tout un être social. Elle suppose que les comportements sont déterminés par les normes
et les valeurs culturelles. Selon cette approche, le changement ne peut se produire que
dans la mesure où le destinataire change de système de normes et de valeurs.

Cette approche qui tient compte de la nature des attitudes et de leur environnement
psychosocial présente l’avantage d’agir d’une manière profonde sur l’univers des
attitudes. Son inconvénient majeur c’est qu’elle ne permet pas d’agir sur un grand public.

105
Les stratégies d’empowerment
La stratégie d’empowerment est une stratégie de changement social, il s’agit de doter la
femme d’un pouvoir qui lui permet d’améliorer sa condition sociale économique et
politique. L’amélioration de sa condition forcera son respect par les autres et le
changement de leurs attitudes à son égard. Une femme universitaire force l’admiration
d’autrui. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel pouvoir. Ce n’est pas un pouvoir qui
repose sur des rapports de domination, subordination mutuelle et exclusive, autrement
dit un pouvoir qui s’exerce sur qu’quelqu’un. Au lieu de ce pouvoir, les spécialistes du
genre lui préfèrent le « pouvoir de « ou le « pouvoir avec » ou pouvoir social et
politique, le pouvoir de s’organiser pour négocier, pour défendre ses droits. Ce pouvoir
englobe également « un pouvoir intérieur : image de soi, confiance en soi, l’estime de
soi, l’identité..

Il s’agit de renforcer le « moi » de la femme qui lui permet de s’émanciper et de briser les
stéréotypes dont elle est souvent l’objet l’identité. La stratégie d’empowerment vise à
doter les femmes de différentes ressources.

Il s’agit de ressources économiques, humaines, sociales, et politiques. Les ressources


économiques englobent essentiellement l’accès au travail. Les ressources humaines
concernent les connaissances, les compétences, la créativité telle que l’atelier organisée
par le CREDIF (Femmes et Patrimoine). Le CREDIF a joué et joue le rôle de pourvoyeur de
ces ressources, formations locales et internationales sur genre et développement. Les
ressources sociales comprennent les revendications, les obligations, les attentes qui sont
inhérentes aux relations et réseaux qui prévalent dans différentes sphères de la vie.

Quant aux ressources politiques, elles renvoient tout ce qui facilite à l’accès à la
participation politique, et la prise de décisions sur le plan national et local.

Les stratégies de changement décrites plus haut doivent être mises en application en
référence aux théorises. Le principe de base du moins celui qui relie une partie d’entre
dont celles de Heider et de Festinger est celui de l’équilibre. L’individu a un besoin d’être
en cohérence entre ces pensées et ces comportements. Le cas échéant, une tension sur
le plan psychologique tend à s’installer.

106
4.3 Les théories du changement social
Les agents du changement social ont besoin non seulement de stratégies mais
également, un recours à la théorie pour modifier les comportements des destinataires
du changement social, de même pour modifier leurs (attitudes, représentations et
comportements). Ces connaissances des modèles du changement leur permet d’éclairer
leur action et comprendre les mécanismes du changement soit dans les campagnes de
sensibilisation (communication de masse) ou au cours de communication
interpersonnelle (entretien face à face, discussion de groupe). Parmi ces théories on
peut citer, la théorie de la consonance cognitive de Festinger, la théorie de l’équilibre de
Heider, la théorie du champ de Lewin, et la théorie de la représentation d’Abric (1994).

4.3.1 La théorie de l’équilibre quasi-stationnaire de Lewin


Pour Lewin (1959), le groupe est un système de forces. Cet équilibre de forces est
déterminé tant par la position d’un individu dans un groupe que par les sentiments de
chaque individu. Les rapports entre les individus ne sont jamais fixes et stables mais
toujours en devenir, en équilibre quasi-stationnaire. Cela revient à signifier qu’un rien
peut suffire à les changer et à tout transformer. Les relations sont toujours dynamiques,
toujours précaires et toujours remises en question. De ce fait, cet équilibre est toujours
en mouvance par les forces qui tendent au changement et les forces qui résistent au
changement. Une pression exercée dans une direction peut amener l’individu ou le
groupe dans une toute autre voie et aussi créer des forces de résistance renforçant une
position antérieure.

L’individu dispose de forces à l’intérieur de lui-même. Ces forces peuvent être ignorées
mais, ces dernières restent agissantes. Les actions posées sont la résultante de diverses
pressions et forces en présence. Nos actions dépendent de l’équilibre de ces forces en
présence et de la tendance à réduire les tensions.

L’individu est toujours à la recherche d’un équilibre soit en rapport avec ses forces
intérieures ou encore selon Heider (1946), l’individu recherche l’ordre, la symétrie et la
cohérence au sein de son univers cognitif.

107
4.3.2. La théorie de l‘équilibre cognitif de Heider
D’après cette théorie, si une contradiction existe entre les jugements ou attentes d’une
personne et les implications de ces jugements ou attentes, on peut observer une
modification des rapports entre les éléments de l’environnement. Aussi, on peut
observer une modification de la représentation que la personne s’en fait afin de
restaurer l’équilibre. Selon Heider (1946), les individus recherchent l’ordre, la symétrie et
la cohérence entre les éléments de leur environnement. Si une contradiction apparaît,
des forces tentent de restaurer l’équilibre soit en modifiant les rapports entre ces
éléments, soit en modifiant la représentation que la personne s’en fait. La structure de
l’attitude est focalisée sur l’affectivité et l’équilibre.

Nous présenterons dans ce qui va suivre un autre modèle celui de Festinger qui est fondé
sur l’équilibre qui doit exister entre l’attitude et le comportement.

4.3.3. Changer l’attitude par le changement du comportement : La


dissonance cognitive
La personne pour qui ces choix semblent logiques et sont le reflet d’une motivation
fondamentale dé cohérence cognitive. Festinger (1957) parle de consonance. Ces
théories soulignent : 1.que les gens ont besoin de consonance dans leurs cognitions
leurs croyances et leurs valeurs ; 2.qu’une prise de conscience des dissonances produire
des tensions ; 3. Que les gens feront quelque chose pour réduire les tensions. Festinger
(1957) nous renvoie à ces mêmes idées dans sa théorie de la dissonance cognitive. Il
énonce que l’existence d’une dissonance incite la personne à tenter de la réduire pour
rétablir la consonance et à éviter activement les situations ou les informations qui
pourraient augmenter cette dissonance.

 Réduction de la tension
La dissonance devient douloureuse au fur et à mesure que les cognitions augmentent en
importance. Ainsi, la grandeur de la dissonance augmente à mesure que la cognition
augmente en importance. Plus la dissonance est élevée, plus grande est la motivation à
réduire la dissonance.les gens peuvent réduire la dissonance de plusieurs façons.
Prenons en exemple les cognitions suivantes. Une personne condamne déjà « la violence

108
au travail ». La dissonance entre ces deux cognitions peut être réduite en changeant le
comportement,

Changer les attitudes en changeant le comportement par le jeu de rôle. Pour démontrer
les effets du comportement sur les attitudes, les chercheurs en psychologie recourent à
la méthode du jeu de rôle. Plus précisément, il est demandé au gens au cours de cette
méthode de faire un discours ou d’agir dune certaine façon. On sait que la théorie de la
dissonance suggère que les gens peuvent en venir à changer leurs opinions et leurs
attitudes simplement parce qu’ils ont joué un rôle contraire à leurs attitudes. Ces
dernières suivent donc le comportement. Cette méthode de jeu de rôle peut être utilisée
pour lutter contre les préjugés contre les femmes.

Un autre moyen de changement celui de changer de comportement et de pratiques plus


larges afin de modifier les représentations.

4.3.4 Changer le comportement par le changement des représentations


Les travaux sur les représentations sociales d’Abric( 1994 ,1997) et autres montrent que
celle-ci évoluent et peuvent changer en fonction des influences de l’environnement.
Rappelons une simple définition descriptive des représentations sociales. Elles forment
un ensemble de croyances, connaissances, opinions et jugements partagés par les
individus d’un même groupe à l’égard d’un objet social donné. La définition
opérationnelle d’Abric permet de comprendre comment s’opère le changement de la
représentation. Selon Abric, toute représentation est formée d’un système central et
d’un système périphérique. Le noyau est la partie stable de la représentation et définit
ce que le groupe doit partager de la représentation, il est donc constitué d’éléments
dont la suppression pourrait entrainer la désarticulation de la structure d’ensemble. Le
système périphérique renvoie à des dimensions individuelles, c’est ce système qui
s’adapte aux changements quotidiens de l’environnement et qui est au contact des
évolutions sociales.

Pour que les représentations changent, il faut qu’il y ait incompatibilité entre le noyau
central et la réalité (incohérence, informations contradictoires). Cette condition doit être

109
suffisamment forte, très marquée afin que le système périphérique ne puisse l’absorber
totalement.

Le seul déterminant du changement des représentations est l'évolution des pratiques. «


Un changement au niveau des idées doit être inévitablement précédé d'un vécu au niveau
des pratiques. » (Guimelli, 1994, p. 83). De même, Il faut en outre une fréquence
importante des informations non-cohérentes avec le système central.

Le changement au niveau des pratiques reste une condition fondamentale pour


l’évolution des représentations : «Un changement au niveau des idées doit être
inévitablement précédé d'un vécu au niveau des pratiques. » (Guimelli, 1994).

Certains auteurs identifient les étapes suivantes du changement :

4.3.5 Les étapes du changement (James Prochaska et Carlo DiClemente43


Ce modèle comporte cinq étapes : la précontemplation (ou l'inaction), la contemplation
(ou la prise de conscience), la préparation, l'action et le maintien.
- L'inaction ou la précontemplation. À l'étape de la précontemplation, la
personne ne songe pas à changer son comportement.
- La prise de conscience ou la contemplation. À l'étape de la contemplation, la
personne pense à effectuer le changement.
- À l'étape de la préparation, la personne est convaincue du bien-fondé de faire
le changement. Elle croit qu'il est temps d'agir. Elle commence à poser des
gestes et fait des plans.
- L' 'étape de l'action, la personne adopte les comportements et les attitudes
souhaités et organise sa vie et son environnement de façon à faciliter ses
changements. Cette étape requiert du temps et de l'énergie.
- Le maintien ou la consolidation.

43
James Prochaska et Carlo DiClemente ( 2005)

110
4.4 L’approche du changement par le biais du changement des
attitudes
Le concept d’attitude renvoie à une évaluation plus ou moins favorable d’un objet donné
telle que la femme, comme il peut concerner des objets précis (e.g. la couleur des yeux,
ou de la peau ou un article de consommation).

Ce concept n’est pas aisément accessible, il est généralement appréhendé à partir d’une
déclaration d’une échelle de mesure : la personne interrogée donne par écrit une
évaluation de l’objet (femme, par exemple) en se positionnant sur une échelle
d’intervalles en plusieurs points commençant par « je n’aime pas du tout » et finissant
par « j’aime tout à fait »

Exemple : Dans quelle mesure consultes-tu ta femme lors d’une de décision concernant
l’un de vos enfants. ?

Pas du tout favorable 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Tout à fait favorable

Les psychosociologues s’accordent à définir l’attitude comme étant une prédisposition à


réagir d’une façon positive ou négative à l’endroit de différents aspects de
l’environnement. L’attitude correspond en quelque sorte à la réaction spontanée qu’a
un individu face à un objet (la femme, par exemple) ou une situation donnée (le
divorce). Ces réactions peuvent être : je n’aime pas, je suis attiré, ça me plaît, ça me
déplaît.

L’attitude est à distinguer des représentations sociales qui sont des ensembles d’images
mentales, de croyances élaborées collectivement par un groupe ou une société. Ils
permettent à la collectivité comme à l’individu de comprendre son environnement.
Cette élaboration s’effectue en classant dans des catégories ses contacts avec les objets,
les personnes, les phénomènes et les savoirs. Cette manière d’interpréter
l’environnement est une forme de connaissance sociale qualifiée de « spontanée ou
naïve » c’est-à-dire sélective et déformante par opposition à la connaissance scientifique.

111
Les représentations recouvrent les attitudes. Ainsi les représentations négatives de la
femme recouvrent une attitude dévalorisante de la femme. Le changement doit porter
dans un premier temps sur les attitudes.

4.4.1. Changement de l’attitude


Pour pouvoir changer une attitude, il y a lieu tout d’abord de connaître sa nature ou les
composantes qui la constituent. On considère généralement que trois composantes
forment une attitude. : Une composante cognitive, une composante affective et une
composante comportementale.

 La composante cognitive

La composante cognitive d’une attitude renvoie aux idées et croyances que nous
adoptons à l’égard de l’objet de l’attitude. On parle de composante cognitive parce que
celle-ci se situe au niveau de l’intelligence. La composante cognitive d’une attitude
s’appuie généralement sur la crédibilité de l’information. Le misogyne déclare : « je sais
que la femme n’a pas de tête qui pense ».

 La composante émotive

Cette composante réfère aux émotions, sentiments éprouvés à l’endroit de l’objet


concerné en termes de : j’aime, je n’aime pas, ça me plaît, ça me déplaît. Ce même
misogyne peut dire : je n’aime pas les femmes.

 La composante comportementale

Cette composante correspond à la prédisposition à agir de façon donnée face à l’objet


de l’attitude, par exemple celui qui entretient une attitude négative à l’endroit des
femmes a tendance à éviter de les rencontrer.

Ces trois composantes sont en interaction les unes avec les autres, c’est-à-dire qu’elles
fonctionnent de façon systémique : ce sont trois sous-systèmes du système attitude.

Cette formation tripartite a une très grande importance pour l’agent du changement
parce qu’elle lui montre que pour avoir une portée significative sur les attitudes des

112
destinataires du changement, il aura avantage à agir le plus possibles sur les trois
composantes.

Certains auteurs comme Marc et Picard (1987) font remarquer que pour changer un
comportement il faut changer l’affect qui le soutient en nourrissant l’imaginaire, c’est-à-
dire la composante affective.

Dans ce contexte, il faut rappeler que le discours véhiculés par les textes fondamentaux
est un texte qui invite à la réflexion, mais qui renferme des métaphores qui interpellent
l’affectivité. Pour Akroun (1978), « le langage religieux fait appel à la logique poétique
qu’à la logique rationnelle. Il nourrit l’imagination et ébranle l’affectivité plus qu’il
n’enferme dans des catégories, des définitions et des règles. Dès lors, on le reçoit
différemment selon qu’on emprunte les voies de l’entendement ou celles de
l’affectivité ».

Il est à noter que le changement de la dimension comportementale ne peut se faire que


par le biais de techniques appropriées. L’agent du changement doit diversifier les
techniques. Il peut puiser dans les principes de la communication persuasive ou encore
dans les discussions de groupe. L’essentiel est qu’il puisse utiliser une communication
engageante qui ne s’appuie pas sur le principe de l’autorité (Joule et Beauvois, 2002).

4.5 Les techniques du changement


4.5.1 La communication persuasive
L’agent du changement ne peut mettre en place une stratégie fondée sur la
communication persuasive que dans la mesure où l’on tient compte des caractéristiques
du processus de persuasion. Ce processus doit tenir compte des caractéristiques du
stimulus, ces derniers augmentent ou diminuent les effets de la persuasion sur les
opinions, les attitudes et les comportements. Les théoriciens de la communication
classent en quatre catégories les caractéristiques du stimulus. Il s’agit du
communicateur, du message, du récepteur, du canal. Nous présenterons chacune de ces
catégories dans la partie suivante.

113
4.5.2. Le communicateur
La persuasion ne se réalise que dans la mesure où le communicateur ou agent du
changement est crédible, compétent et digne de confiance (Hovland et col. (1957). La
crédibilité est déterminée par la compétence de la source. La mise en confiance du
récepteur ne se réalise que si la source lui paraît objective, désintéressée et sans
intention de manipuler et de tromper.

4.5.3. L’attrait exercé par la source


Si la crédibilité est de l’ordre du cognitif, l’attirance est de l’ordre de l’affectif. Une source
est jugée attirante parce qu’elle semble familière, semblable, sympathique, etc.

4.5.4. Le message
La forme du message concerne tant son mode d’organisation que la possibilité de tirer
les conclusions et les effets de l’ordre des idées présentées. La forme du message peut
concerner le langage utilisé digital ou analogique.

- Les modes d’organisation du message


L’argumentation peut être unilatérale ou bilatérale. L’argumentation est unilatérale
lorsque la source n’expose que « les raisons pour » qui poussent au changement par
exemple des attitudes envers la femme. Elle est bilatérale lorsque la source expose à la
fois « les raison pour » et les « raisons contre ».

- La conclusion peut être explicité ou implicite :


Il vaut mieux laisser au récepteur la possibilité de tirer la conclusion si son niveau
d’instruction est élevé. Mais pour un niveau d’instruction plus faible, c’est à la source de
tirer la conclusion ou l’agent du changement.

- Le contenu du message
Le contenu du message est un facteur important que l’agent responsable du changement
doit le prendre en considération. Le premier facteur porte sur une dimension affective
liée à la peur suscitée par le message. Le deuxième abordé concerne la grandeur de la
divergence dans les opinions entre la source et le récepteur.

114
Le contenu du message n’est pas suffisant pour apporter le changement escompté, il
faut lui associer une forme spécifique.

Le contenu de la communication véhiculé dans les messages, les campagnes


d’information etc doit s’appuyer, sur des éléments des représentations sociales. Il peut
dans ce cas les détourner voir les infirmer, etc. Le langage, les logiques à utiliser pour la
sensibilisation, doivent emprunter à ces représentations, faute de quoi, les messages ne
sont pas acceptés. D’où l’intérêt de s’intéresser à la pensée commune et aux contenus
des représentations identifiés chez les sujets interrogés dans ce cas il s’agit des hommes
jeunes ou adultes.

La forme du message digital ou analogique


Certains comme Ammar (2004) a mis l’accent dans un article portant sur « le discours
analogique dans les textes fondamentaux », l’importance du discours métaphorique du
Coran dans le changement des attitudes des contemporains du Prophète Mohammed.

L’auteur écrit en substance que la forme du message selon l’Ecole de Palo Alto, peut
être digitale et/ou analogique. Le code utilisé dans le message digital est « objectif,
définitionnel, cérébral, logique, analytique », c’est le langage de l’explication et de
l’interprétation. Celui du message analogique est affectif et imagé ; on le reconnaît à
l’utilisation des métaphores et des symboles. Nous sommes face à deux types de
communication qui sont en réalité complémentaires. Le discours analogique est à la
portée de tout le monde, et est privilégié par les textes religieux (Coran, Evangiles) dans
le but de changer les mentalités (attitudes et représentations).L’agent du changement
doit donc utiliser le langage analogique imagé dans une perspective de changement.

En dehors des exigences de la communication sur le plan de la forme, un autre aspect


important est lié à l’engagement comportemental du bénéficiaire du changement.

4. 5.2 Le comportement engageant de Kiesler (1971)


L’engagement est une force qui stabilise le comportement lorsqu’une personne est
placée devant des obstacles ou par une autre alternative qui s’avère intéressante (Dubé,
1997). Ce type d’engament dit comportemental fait référence au pouvoir des actions

115
passées qui force l’individu à maintenir une ligne d’action, même s’il n’existe plus aucun
attachement émotionnel vis-à-vis par exemple d’une personne (Kiesler, 1971). Ce serait
le cas de personnes mariées qui ne s’entendent plus mais qui ne veulent pas divorcer.
Selon Johnson (1973, 1982), la continuation de l’action dans ce type d’engagement est
assurée par les attentes et les normes sociales ou par les pertes causées par le
changement effectué.

 Comment obtenir un fort engagement ?


Selon Joule et Beuavois (1998,2002) : on peut obtenir un fort engagement en jouant
sur plusieurs facteurs, dont les principaux sont :

- Le contexte de liberté dans lequel l’acte est réalisé : un acte réalisé dans un contexte
de liberté est plus engageant qu'un acte réalisé dans un contexte de contrainte.
- Le caractère public de l'acte: un acte réalisé publiquement est plus engageant qu'un
acte dont l'anonymat est garanti.
- Le caractère explicite de l'acte: un acte explicite, d’interprétation non ambiguë, est
plus engageant qu'un acte non explicite.
- L'irrévocabilité de l'acte : un acte irrévocable est plus engageant qu'un acte qui ne
l'est pas.
- La répétition de l'acte : un acte que l'on répète est plus engageant qu'un acte qu'on
ne réalise qu'une fois.
- Les conséquences de l'acte : un acte est d'autant plus engageant qu'il est lourd de
conséquences.
- Le coût de l'acte : un acte est d'autant plus engageant qu'il est coûteux (en argent,
en temps, en énergie, etc.).
- Les raisons de l’acte : un acte est d’autant plus engageant qu’il ne peut être imputé
à des raisons externes (par exemple : promesses de récompenses, menaces de
punition et qu’il peut être imputé à des raisons internes (par exemple : valeurs
personnelles, traits de personnalité).

L’engagement permet de déboucher sur une consolidation des attitudes et une plus
résistance au changement ainsi qu’un meilleur ajustement du comportement et sa

116
stabilisation voire l’adoption de nouveaux comportements (effet de pied-dans-la-porte
par exemple).

4.5.3 La communication engageante


Le principe de la communication engageante consiste à faire précéder la diffusion d’un
message persuasif de la réalisation d’un acte préparatoire cohérent avec les influences
ultérieures à mettre en place. Cet acte peut porter sur la condition d’engagement, liée à
un libre choix du comportement ce qui permet de stabiliser l’attitude initiale.

Les campagnes de communication pourraient gagner en efficacité en négligeant moins


les actes préparatoires à obtenir de la cible. L’enjeu permet de donner à l’individu un
statut d’acteur et plus seulement un statut de récepteur. D'un point de vue pratique, (ne
plus adopter des comportements violents envers les femmes)

Une autre technique que peut utiliser l’agent du changement porte sur la « discussion de
groupe ».

4.5.4. La discussion de groupe en tant qu’outil de changement des


attitudes
Il semble plus facile de changer les attitudes des individus au sein d’un groupe que celles
des individus pris isolément comme on l’a mentionné supra. Il est donc plus aisé à un
individu de modifier ses opinions et ses attitudes à propos d’un objet (individu) s’il est
soutenu par des compagnons qui exercent sur lui une pression ce qui entraîne la rupture
de l’équilibre et la modification vers un nouvel état d’équilibre. Ce dernier s’accompagne
de l’élaboration de nouvelles normes collectives déterminant de nouvelles attitudes.
Ceci nous conduit à conclure que les groupes sont des lieux privilégiés de modification
des attitudes notamment parce qu’ils diminuent les forces de résistances aux
changements. Mais, le changement ne peut être opéré que si le groupe se livre à un
travail cognitif de réflexion c’est-à-dire analysant les informations et les opinions
diverses présentes dans le champ des relations entre membres du groupe.

Ce changement induit par la discussion de groupe s’explique par le fait que la décision
prise en groupe engage plus qu’une décision individuelle d’autant plus que cette décision
a été prise en privé. Il est aussi plus aisé de changer les normes et les idées d’un groupe

117
que d’un individu. Toutefois, il y a lieu de remarquer que la conformité au groupe est
une arme à double tranchant ; elle peut être à la fois source de résistance au
changement et être mise au service du changement à condition de décristalliser les
préjugés affectifs sous-jacents.

Recommandations nécessaires pour une meilleure


amélioration des représentations.

Dans un contexte socio-économique difficile, La question des perceptions quant


aux violences faites aux femmes en Tunisie se heurte encore à des influences
socioculturelles fortes où persistent certaines résistances au changement dans leurs
contenus et leurs fonctions. Les rapports, combien nombreux, devraient indiquer
pleinement les obstacles rencontrés dans l'application des conventions
internationales, leur ratification et les mesures adoptées pour les surmonter.
En Tunisie, les lois contre les violences faites aux femmes évoluent. Des avancées
vers l’égalité hommes/femmes sont certes préconisées dés l’aube de
l’indépendance, cependant, il ya encore des efforts à faire.

Il existe encore un écart entre législation et pratiques. Des améliorations restent à


effectuer dans les lois nationales contre les violences faites aux femmes, mais aussi et
surtout dans les mentalités et les représentations sociales. Comme le montrent les
résultats de notre étude, les mentalités peinent à changer, les valeurs patriarcales
persistent encore et tendent à exposer les femmes à différents types de violences
voire à les cautionner. Les résistances socioculturelles, les représentations et les
attitudes qui prédominent contribuent à justifier, tolérer ou excuser la violence faite
aux femmes, en rejetant souvent sur les femmes la responsabilité de la violence
qu’elles subissent. Ces attitudes sont ancrées dans les croyances traditionnelles qui
considèrent les femmes comme catégorie de seconde zone, inférieures aux
hommes ; ce qui donne aux hommes le droit d’user de violence pour contrôler les
femmes. Cela requiert un examen critique de la façon dont la société et l’État

118
répondent à ces abus. C’est donc la société toute entière qu’il faut impliquer et la
place de la femme dans la société qu’il faut questionner.

Plusieurs techniques sont à la disposition de l’agent du changement :

En nous basant sur les résultats de notre enquête empirique et en faisant appel aux
approches et théories sus-citées, nous émettons quelques suggestions
opérationnelles.
Pour ce faire, et pour une bonne efficience des stratégies de lutte contre les
violences faites aux femmes, l’une des stratégies majeure doit viser avant tout à
impliquer les hommes et repositionner les masculinités non pas comme entraves et
blocage mais comme partie prenante dans l’évolution des représentations à travers
diverses activités pour permettre des changements comportementaux.

 Impliquer les hommes et les garçons


Si l’on veut arriver à respecter les droits des femmes et tendre vers l’égalité, il
faudrait aussi et d’abord mobiliser les hommes dans les actions et les initiatives qui
dénoncent le recours à la violence à l’encontre des femmes. Susciter l'engagement
des hommes pour une société plus égalitaire, pour la remise en cause des
stéréotypes, des normes et des rôles, est nécessaire pour la dénonciation des
comportements sexistes et violents . Une approche d’assistance et une approche
« femmes » (sans les hommes) ont montré leurs limites pour lutter contre les
violences faites aux femmes. Ce qu’il faudrait c’est une approche « genre ». Il est
évident qu’on ne pourra faire évoluer les relations socialement construites de façon
déséquilibrée, entre les deux sexes, qu’en impliquant les deux moitiés de la
population. Impliquer les hommes et les femmes est une condition nécessaire si l’on
veut arriver à respecter les droits des femmes. Il faut mobiliser et conscientiser les
victimes certes, mais aussi mobiliser l’autre catégorie d’acteurs dans ces violences
constituées par les hommes.

Lorsque les hommes sont d’emblée impliqués et convaincus, la durabilité de l’action


et son impact seront de fait meilleurs. Au fait, la déconstruction des relations de

119
pouvoir entre les genres ne pourra faire l'économie de l'implication des hommes eux-
mêmes dans ce processus comme le dit bien F.Heritier.

Tant que les relations socialement construites entre les hommes et les femmes
seront ce qu’elles ont toujours été - un rapport de dominants à dominées - rien ne
pourra changer. Françoise Héritier évoquait la nécessité de transformer la vision
masculine, c'est-à-dire la vision que les hommes ont de la compréhension et de
l'organisation du monde, mieux encore que femmes et hommes devaient ensemble
transformer cette vision masculine du monde.44 Il va de soi qu’en instaurant un
nouveau partenariat entre le masculin et le féminin, on déconstruit un tant soit peu
les inégalités et on reconstruit un rapport meilleur. Il en résulte que les violences
faites aux femmes ne seraient ce qu’elles sont. Car avec l’approche « genre », c’est
enfin aux causes des violences qu’on s’attaque, et pas seulement aux résultats.

Faire parler les hommes, saisir leurs représentations et mettre en jeu ce qu'est la
masculinité est une nouveauté qui devrait être saisie, elle est également significative
comme approche, du fait que les hommes sont aussi des acteurs concernés par la
façon dont la société traite les femmes.
On recommande notamment de réaliser des ateliers et des campagnes dans les
milieux ruraux et/ou conservateurs ,visant à élever le niveau de sensibilisation parmi
les hommes, jeunes ou adultes, sur les normes de genre et sur les conséquences de la
violence contre les femmes afin d’améliorer leurs connaissances sur les différentes
formes de violences et de contribuer à rejeter la violence faite aux femmes.

 Changer les attitudes par l’orientation non directive


La libération de ces forces de changement ne se réaliserait dans de bonnes
conditions que si l’individu est en présence d’un tiers ayant à son égard une attitude
« d’écoute » et de considération positive inconditionnelles propres à affaiblir les
mécanismes de défense du sujet et rétablir sa propre confiance. Le mécanisme de
changement des attitudes repose sur les interactions des deux partenaires (le

44
Serge Rabier, 2017

120
consultant ou agent du changement). La théorie de la non directivité est aussi valable
dans une situation de dynamique de groupe ou de discussion de groupe.

 Accorder une importance à l’éducation, la formation et la recherche


La recrudescence des violences est aussi née des lieux de transmission du savoir.
L’éducation reste l’œuvre fondamentale vers la voie de l’égalité. Il importe donc de
revoir les programmes de la formation de base dispensée dans les institutions qui
forment les éducateurs et les enseignants, et réviser la formation professionnelle
vers davantage d’exigence d’une culture générale soutenue et d’ouverture à des
expériences pilotes en matière d’éducation des enfants sur les droits humains en
général et les droits des femmes en particulier en passant par la formation continue
pour les professionnels de tous les acteurs sociaux par le biais de stages , de
rencontres scientifiques, de partage des expériences…etc

- Stimuler l’interdisciplinarité et l’ouverture sur les sciences humaines, sur


les droits humains et sur la dimension genre dans la formation des
professionnels (de santé, des travailleurs sociaux, de la police des
juristes..) serait salutaire

- Interroger nos modèles, nos modes d’organisations, nos modes de


pensées par des études et des recherches en utilisant des indicateurs,
afin de mieux comprendre les obstacles et les entraves à la conformité
avec les normes internationales en matière d’application des lois mais
aussi en matière de comportement.

- Prendre en compte des résultats et les recommandations des recherches


antérieures sur les mesures requises en vue de lutter contre les violences
fondées sur le genre.

- le signalement des violences aux autorités étant faible, l’envergure de la


violence envers les femmes n’est pas réellement reflétée par les données

121
officielles. Par conséquent il faut donc œuvrer à remédier au manque de
données ventilées par sexe par la publication périodiques des statistiques
pour mieux évaluer l’efficacité des actions entreprises pour la lutte contre
les violences faites aux femmes et d’éclairer les politiques et les
programmes à entreprendre.

- Echanger les bonnes expériences nationales et internationales en


impliquant tous les acteurs afin de faire évoluer les mentalités et les
comportements afin d’encourager une ouverture des débats sur les
violences faites aux femmes. Ces échanges peuvent notamment
permettre d’augmenter le taux de signalement aux autorités et aux
services d’aide aux victimes.

 Œuvrer pour l’attraction des actions culturelles pour les jeunes


- Encourager les centres culturels à créer des projets et des programmes focalisés sur
la sensibilisation à la lutte contre les violences.
- Travailler à rétablir l’attractivité des loisirs culturels, artistiques, et associatifs en
créant des clubs dans les écoles dans les universités, dans les cités universitaires sur
la thématique ayant trait à réduire les violences.
- Améliorer les conditions de travail des centres culturels dans les zones rurales
pauvres et marginalisées.
- Veiller à l’implantation de nouvelles méthodes de gestion et d’animation des maisons
de jeunes et des clubs scolaires en incitant au déploiement de nouvelles méthodes
pédagogiques (jeu de rôle, discussion de groupe…) ; ceci les aide à se sentir moins
isolés des chefs lieu.
- Mettre plus en avant les modèles de réussite de campagnes et des cercles de
discussions de lutte contre les violences, afin de stimuler les jeunes pouvant
s’identifier.

122
 Une refonte du système éducatif et de la formation depuis le
préscolaire jusqu’à l’université

Le système éducatif devrait prendre des mesures claires pour éliminer les
discriminations et les préjugés liés au genre, en s’engageant dans une planification
d’apprentissage attentif au genre, en intégrant les questions relatives au genre dans
la formation des enseignants et dans les programmes d’enseignement :

- Créer un enseignement dédié dans les cursus scolaires et universitaires : éduquer les
enfants dès le plus jeune âge sur les notions d'égalité en droit et en traitement, de
consentement, d’entraide et de respect d'autrui.

- Mettre l’accent sur l’apprentissage comportemental dés le jeune âge afin de


répondre à l’exigence incontournable de reconnaitre et de valoriser les pratiques et
les valeurs égalitaires entre les sexes, valable aussi pour les garçons que pour les
filles. Ainsi on peut changer les attitudes en changeant le comportement par la
dynamique et les discussions de groupes. Le recours à la méthode du jeu de rôle
dans lequel il est demandé au gens de faire un discours ou d’agir dune certaine
façon peut être une méthode à adopter dans les formations dans les écoles ou dans
les sessions de formations continues ou aussi dans les campagnes de sensibilisation.

- Des séances de sensibilisation auprès d’adolescents devraient être également


organisées pour questionner les rôles traditionnels et les rapports de genre.

- Restaurer l’image - assez endommagée - de la femme chez les jeunes, alors que les
enjeux économiques, socioculturels et politiques sont de plus en plus importants. Il in
combe :

o D’agir sur le système éducatif, son contenu, ses objectifs, ses


méthodes pédagogiques afin de sensibiliser les enfants et les
jeunes aux valeurs de l’égalité des sexes, sur les droits humains.

123
o De redonner une nouvelle image de l’autorité, du pouvoir, de la
masculinité, du partage égalitaire des rôles sociaux entre hommes
et femmes dans les programmes scolaires. Conscientiser les jeunes
sur la recrudescence de la violence que connait actuellement la
société tunisienne et sur la crise morale de la représentation des
genres.

o De conscientiser les enseignants à propos de leur traitement


différentiel des deux sexes dans leurs pratiques d’enseignement. Si
la mixité est bien une condition nécessaire à l’égalité d’instruction
entre garçons et filles, les recherches ont montré que sa mise en
œuvre demeure ambigüe.

o De veiller à rééquilibrer les interactions entre les deux sexes et à


gérer les relations entre les pairs en incitant au respect entre filles
et garçons, faire apprendre aux élèves à critiquer les stéréotypes.

On peut donc recommander des sessions de formation pour les enseignants pour les
aider à prendre conscience de leur traitement du genre d’une manière inégalitaire et
les initier aux différentes thématiques du genre en soulignant le rôle essentiel de
l’éducation en tant que mécanisme de socialisation. La discussion de groupe, la
dynamique de groupe, le jeu de rôle en tant qu’outils de changement des attitudes
sont des méthodes qui ont fait leur preuve : Il semble plus facile de changer les
attitudes des individus au sein d’un groupe que celles des individus pris isolément.

 impliquer les parents et les enseignants en les sensibilisant à


l’approche genre
Une des manières d’intervenir sur les violences des jeunes est de l’inscrire dans les
divers processus de socialisation et renoncer à une approche normative. Nous avons
constaté que les résistances au changement des attitudes se situent au sein de la

124
famille lors de la socialisation de l’enfant, dans le système scolaire, dans les médias,
dans la vie active et dans les administrations (notamment la police et la justice).

Des sessions de sensibilisation et d’éducation doivent être prévues pour réduire ou


éradiquer les actes de violence et les comportements injustes dont les filles et les
femmes sont fréquemment l’objet notamment dans le milieu rural ou conservateur.
Les théories du changement social permettent aux agents de la modification des
attitudes et des comportements la compréhension des mécanismes du changement.
Quant aux stratégies du changement social, elles les aident à choisir la stratégie
opérationnelle pour réaliser les objectifs de changement : s’agit-il de sensibiliser
l’opinion publique, ou de promulguer des lois en faveur de l’émancipation des
femmes, ou de les autonomiser (empowrment), ou d’éduquer pour lutter contre les
stéréotypes et former de nouvelles attitudes positives à l’endroit des femmes. Les
outils que nous avons développés (communication persuasive, communication
engageante, discussion de groupe, jeux de rôles) sont de nature à les aider dans les
sessions d’éducation des parents pour une meilleure socialisation et pour la
promotion des relations familiales harmonieuses, et les enseignants dans le système
scolaire pour une meilleures approches pédagogiques.

 Collaborer avec le milieu associatif

- Renforcer l’action des associations professionnelles dans l’approche genre et les


inciter à traiter de la thématique sur les violences faites aux femmes. Situées entre
l’Etat et les citoyens, les associations professionnelles devraient être renforcées en
tant qu’agents de changement et aussi en tant que prestataires de service pour
accompagner les femmes victimes de violences et en amont pour des actions de
sensibilisation.

- Multiplier autant que faire se peut, les actions associatives, pour la sensibilisation
contre les violences notamment dans les délégations situées loin du chef lieu des
gouvernorats (zones les plus vulnérables). Ces actions ont le mérite d’entretenir le
lien entre les jeunes et les phénomènes sociaux, en leur assurant des opportunités

125
de nouvelles rencontres et des connaissances qui finissent souvent par les doter
d’un savoir être et d’un savoir faire favorisant une certaine ouverture d’esprit.

- Encourager les subventions pour les associations directement engagées auprès de


femmes qui ont subi des violences.

- Éviter les clivages hérités et les concurrences entre associations, qui ternissent
parfois les relations inter-associatives. Les associations pouvaient être des
partenaires et des prestataires de services aux femmes vulnérables: susciter des
nouvelles associations et renforcer les anciennes structures traditionnelles, semble
une voie prometteuse pour rendre plus efficace l’aide aux femmes où elles peuvent
bénéficier d’aide.

- Ne pas s’enfermer dans des domaines purement spécialisés mais œuvrer pour une
stratégie d’alliance : impliquer tous les acteurs à optimiser les actions des
différentes parties prenantes, à savoir la police, les services sociaux, les
organisations de la société civile, les syndicats, les médias, le monde scientifique de
la recherche, les différents ministères (ministère de la santé, ministère des affaires
sociales, ministère de la femme, le système judiciaire ..)

- Se concentrer sur l’amélioration des services sociaux en renforçant les


connaissances des acteurs responsables de la protection des femmes, notamment
des conseillers volontaires qui délivreront écoute et conseils adaptés aux besoins des
femmes vulnérables dans les zones reculées des délégations les plus marginalisées.

- Œuvrer à l’indépendance, à la transparence et à l’efficacité des organismes de


promotion de l’égalité en faisant le suivi de leurs actions. Renforcer le rôle de
vigilance exercé par la société civile afin d’empêcher la régression des droits acquis
des femmes. On se doit de doter les organisations de compétences et de ressources/
outils nécessaires pour une mise en œuvre d’une évaluation et d’un suivi des
activités et de pouvoir mesurer l’impact des actions menées sur la durée.

126
 Collaborer avec les medias

- Le rôle des médias est tout aussi important que celui de la famille, de l’école et
d’autres facteurs de socialisation dans la sensibilisation au phénomène des violences
à l’encontre des femmes.
La façon dont les médias traitent de la violence peut avoir des implications sur les
croyances, les perceptions, sur la reproduction des stéréotypes et aussi sur les
réponses de la population à l’égard des comportements violents. C’est pourquoi et
compte tenu du rôle que jouent les médias dans la compréhension populaire de ce
problème, il est important d’y retrouver une information objective et sans préjugés ni
partie prise. Pour ce faire, on se doit de :

o Elever le débat parfois irresponsable de quelques médias nourrissant auprès


de l’opinion publique l’idée de l’instrumentalisation de la femme ce qui nuit à
l’image des femmes et de leurs compétences : Le tapage médiatique
touchant au statut de victime et non d’acteur agissant, fait ressortir les
carences du système de communication de l’appareil médiatique et de la
formation des journalistes.

o Dynamiser la représentation des femmes et de leur rôle clé dans le


développement économique et social dans les medias.

o Travailler à changer les visions traditionnelles de la masculinité de manière à


lutter contre la violence faite aux femmes, en encourageant des attitudes
plus égalitaires chez les hommes.

o Les professionnels des médias doivent également bénéficier de sessions de


formation en vue d’acquérir ou de consolider leurs compétences aux
questions du genre, aux violences basées sur le genre, à la citoyenneté, aux
droits humains des femmes. L’objectif d’une telle formation est que les
journalistes puissent savoir élaborer des émissions en tenant compte des

127
problèmes auxquels nous faisons face par rapport à la lutte contre les
violences faîtes aux femmes et ne pas considérer les violences faites aux
femmes comme fait divers.

 Œuvrer pour la stratégie de l’empowrement

- Créer un centre de recherche sur les femmes dans le Sud (tel le CREDIF) dont le rôle
serait d’identifier les obstacles et les spécificités des régions quant à la vulnérabilité
des femmes afin que les décideurs régionaux et locaux soient plus sensibilisés à la
question genre et se fassent ainsi les porte-parole des messages véhiculés par les
actions entreprises.

- Travailler au sein d’institutions existantes et utiliser ces structures comme catalyseur


de l’implication des participants doit être encouragé. Écoles, groupe religieux,
associations professionnelles, amicales, travailleurs sociaux, « Omdas »45 doivent
être impliqués afin d’inclure leurs besoins et les caractéristiques des leurs régions en
développant des messages et un langage qui leur soient spécifiquement adaptés sur
l’égalité entre les genres en impliquant les hommes.

- Former les leaders religieux qui semblent - dans les temps qui courent -, avoir un
degré d’influence substantiel sur les jeunes (garçons et filles) afin d’assurer une
certaine consonance et réduire la fracture cognitive dans les discours de
sensibilisation.
- Intégrer la perspective «genre» dans des projets pour l’emploi afin de visualiser les
enjeux sexués de la politique de l’emploi afin d’autonomiser les femmes et de les
sortir de la vulnérabilité et de la dépendance économique et favoriser le suivi de ces
projets.

45
Chef de l’Imada, : la plus petite division administrative de la Tunisie.

128
- Mettre en place des moyens afin de réduire la violence domestique, en renforçant
l’autonomie et les capacités des femmes et des jeunes filles. Cela se traduit à travers
l’éducation, la sensibilisation des populations et la mise en place de services de
soutien et d’aide aux victimes dans le sens d’autonomisation et non seulement
d’assistance.

- Prévoir des animations de groupes informant les femmes vulnérables de leurs droits,
leur permettant d’échanger leurs expériences, leurs conditions et de chercher des
solutions pour en sortir.

 Impliquer les professionnels

Les femmes sont encore sujettes à des discriminations du fait de leur appartenance
sexuelle. Ainsi certains agents de la sûreté ne prêtent pas l’oreille à des femmes qui
viennent se plaindre de la maltraitance dont elles font l’objet de la part de leurs
partenaires.

Le changement au niveau des pratiques doit s’opérer au niveau d’une attitude équitable
vis à vis de l’agresseur et de l’agressé. Les intervenants en justices ne doivent pas
requalifier la femme « victime » en « femme responsable » ou encore éviter les
jugements pris sur la base de « stéréotypes sexistes ». Il faut associer le conjoint en tant
qu’interlocuteur et ne pas considérer seulement la femme comme principale
interlocutrice, qui garde l’obligation de préserver sa famille et l’annulation de la plainte.
L’écoute active est, dans ce cas recommandée pendant le dépôt de la plainte ou pendant
les séances de réconciliation.

Là encore, il s’agit de stimuler l’interdisciplinarité et l’ouverture sur les sciences


humaines, la dimension genre dans la formation de base et la formation continue des
professionnels. Cela implique d’intervenir en dehors des limites étroites du droit pénal,
dans les différents secteurs.
- Il est recommandé d’organiser des sessions de formation sur le genre des
juristes, des professionnels de la police, des milieux médicaux sociaux et
éducatifs par le biais des nouvelles technologies, en incluant des actions

129
de sensibilisation spécifiques pouvant encourager le signalement de cette
violence.
- Il importe en outre d’examiner les différents modèles d’intervention
policière qui visent à protéger les victimes, pour savoir dans quelle mesure
ils permettent de protéger les victimes et de répondre à leurs besoins
dans la pratique.
- Il convient de clarifier le rôle des les services de santé afin que les
professionnels puissent identifier les abus de violences faites aux
femmes et les signaler.

- Obligation faite aux entreprises d’élaborer un règlement en matière de


prévention et de traitement du harcèlement sexuel au travail, validé par
l’inspection du travail.

 Instaurer la dimension genre dans le milieu professionnel


Nous observons aujourd’hui une persistance des inégalités entre hommes et femmes
dans l’emploi, dans les promotions ou dans l’accès à des postes de responsabilité. L’un
des outils c’est d’organiser des sessions de formation pour développer une culture
« genrée » dans l’entreprise. En conduisant une transformation de la culture
organisationnelle « genrée », en posant le point de départ de l'égalité professionnelle et
en veillant à une meilleure transparence des critères de recrutement et des promotions
dans l’entreprise. Au-delà de ces inégalités, des pratiques insidieuses d’harcèlement
moral en provenance d’un supérieur envers son subordonné sont à repérer. Les
victimes souvent repérées sont souvent des femmes (Leymann, 1996). De part, les
conséquences de ces agissements tant sur le plan physique que psychologique, une
prévention primaire voire secondaire doit être mise en place. Dans ce cas, la mise en
place de plans d’interventions dans le monde du travail est nécessaire. Des formations à
l’endroit des managers, des gestionnaires des ressources humaines peuvent être ainsi
mises en place. Ces formations devraient diagnostiquer le harcèlement et de
comprendre ses spécificités et son incidence sur le vécu de la victime (Desrumaux, 2011).

130
Et dans l’immédiat :

 Œuvrer à la création officielle d’une commission nationale pour la lutte contre les
violences en mettant en place un groupe de travail composé de représentant-e-s des
associations concernées, des partis et des autorités afin de réfléchir à la mise en
place d’une stratégie globale et cohérente ainsi que des mesures indispensables pour
prévenir les violences faites aux femmes.
 Il est nécessaire de mettre en place des services spécialisés et de les doter de
ressources suffisantes pour sensibiliser davantage les hommes à ce phénomène pour
améliorer l’action et répondre aux besoins des victimes.
 Il est essentiel de disposer de données d’une part pour faire le suivi et mesurer si les
différents services répondent aux besoins des victimes en pratique, et d’autre part,
pour déterminer l’utilisation la plus efficace des ressources disponibles pour prévenir
le phénomène des violences faites aux femmes et venir en aide aux victimes.
 Des campagnes ciblées à l’échelle nationale sont essentielles pour améliorer les
connaissances des femmes mais aussi et des hommes sur la violence fondée sur le
genre, afin d’encourager le signalement de ces faits, de protéger les victimes et de
contribuer à la prévention de cette violence.

131
Conclusion

Médias et réseaux
Facteurs liés à sociaux interprétations
la relation religieuses non
dans le couple consensuelles

Reproduction
du modèle Modèles transmis par
familial l'école

Indépendance

Violence envers
Valeurs
économique de
conservatrices
la femme

les femmes
Représentations valeurs
de la femme et modernistes
de ses Attitudes

facteurs
psychologiques libéralisation des
et représentaion de femmes et acquisition
la masculinité de droits excessifs
Probléme Stress chez
économique et l'homme
difficultés à se
marier

Eléments constitutifs de la représentation sociale de la violence faite aux femmes


chez les hommes

Au terme de cette étude on peut dire qu’aujourd'hui encore, il est difficile pour une
femme ou un homme d'aller à contrecourant des us et coutumes, de la religion et des
structures familiales et sociales traditionnelles, tant il est vrai que nous vivons dans un
monde où la condition féminine, quelle que soit la société, demeure inégale dans les faits

132
sinon en droit. L'égalité de genre suscite encore des réactions soit violentes, soit de
résistances récurrentes dès lors que sont mises en lumière les inégalités que subissent les
femmes. A des degrés certes variés et divers, il va de soi qu’il existe des conceptions
stéréotypées des femmes imputables à des facteurs économiques, religieux et
socioculturels, qui perpétuent la discrimination fondée sur le sexe et entravent
l'application voire même l’acceptation du principe de l’égalité entre les sexes.

Le constat est sans appel : même si la dynamique d’une certaine évolution s’est certes,
amorcée en Tunisie, et prenant appui sur la grande force de la représentation traditionnelle
des rapports de sexe, la tendance vers le changement des représentations semble être
lente. Les représentations des violences se heurtent encore à une culture traditionnelle
conservatrice bien ancrée voire ravivée par une conjoncture actuelle nostalgique au retour
aux sources qui plombe l’adhésion aux valeurs universelles, lesquelles sont souvent
associées dans la pensée à une compromission occidentale avec nos politiques : Les droits
des femmes semblent encore gêner si cela dépasse un certain seuil.

La violence se traduit souvent par la négation de l’altérité. Elle est un langage hors parole
car elle met en acte un impossible à dire, elle traduit le plus souvent des difficultés
identitaires, des ripostes contre les injustices sociales, ou des failles narcissiques d’un sujet
qui ne peut s’exprimer autrement. Il ressort d’ailleurs de l’enquête des liens persistants
entre masculinités, normes sociales, et acceptation de la violence basée sur le genre.

En effet, Les résultats de l’étude font apparaître un ensemble d’éléments constitutifs de la


représentation sociale de la violence envers les femmes (Cf figure ci-dessus). D’une part, la
symbolique de la femme et les associations qui lui sont reliées sont ambivalentes : les
femmes sont pour eux des militantes combattantes. Elles jouent un rôle important dans la
société. Elles œuvrent pour un monde meilleur, elles sont « sacrées » de par leurs statuts
de mère. Elles sont perçues comme une source de soutien pour l’homme et la famille. Ce
contenu positif se heurte cependant, à d’autres éléments plus controversés où l’homme se
représente la femme comme étant « fragile », « immature », « agressive dans le choix de ses
propos », parfois « provocante » dans son apparence physique ». Il s’ajoute à cet ensemble
d’éléments, une représentation de l’attitude de la femme perçue comme étant « affirmée ».

133
Ces éléments congruents constituent des éléments de la représentation de la femme par les
hommes.

Cette recherche a permis de mettre en évidence d’autres éléments que les hommes
associent à la violence à l’encontre des femmes. Ces éléments portent sur les origines de la
violence. Dans ce cadre, ils identifient des facteurs contextuels liés à des dimensions
socioculturelles. Il y a d’une part, des interprétations religieuses non consensuelles en
relation avec les attitudes à adopter à l’égard des femmes, des valeurs conservatrices qui
sous-entendent l’obligation de protéger la femme par crainte pour son « honneur » et
l’ « honneur » de la famille. D’autre part, des valeurs modernistes qui prônent la
libéralisation de la femme. Toute cette conjoncture à été encouragée par l’acquisition de
droits perçus comme « excessifs ». Qui plus est, les difficultés économiques ont eu un impact
sur le retard du mariage chez les jeunes ou encore sur l’incapacité de l’homme à subvenir
aux besoins de sa famille. Ces situations frustrantes pour l’homme sont aggravées par le
stress imposé par la cadence de la société moderne et celle du travail.

A cet ensemble d’éléments s’ajoute des modèles transmis par les médias et, les réseaux
sociaux ou encore les modèles transmis par l’école, ces derniers sont considérés par les
répondants comme des vecteurs de violence qui ont encouragé la propagation de la violence
à l’encontre des femmes et la banalisation de ce comportement. Outre cela, d’autres
éléments sont repérés, ils appartiennent davantage à une dimension psychologique liée à la
représentation sociale que se fait l’homme de la femme ou la représentation qu’il se fait de
lui-même. En effet, les perceptions différenciées des attitudes de la femme seraient en lien
avec les violences à leur encontre. De même, la représentation que se fait l’homme de lui-
même (coléreux, en possession de force physique, autoritaire), de sa masculinité et de sa
crainte de perdre le pouvoir au sein de la famille seraient les attributions qu’ils donnent à la
violence.

Un autre élément est apparu chez les jeunes, il s’agit de la difficulté de la maitrise de soi
devant le corps de la femme. Seuls les jeunes ont évoqué clairement la frustration sexuelle
comme facteur explicatif de la violence.

134
D’autres éléments sont en relation avec la dynamique relationnelle au sein du couple. Ces
éléments sont d’avantages relatés par les hommes adultes. Les facteurs sont attribués à la
qualité de l’interaction au sein du couple. Les facteurs liés à la jalousie sont souvent en
relation avec un « statut social » élevé de la femme engendrant une certaine crise identitaire
chez l’homme. Cette composante est en lien avec l’indépendance économique de la femme
et la place qu’elle occupe sur le marché de l’emploi. Par ailleurs, des rivalités en quête du
pouvoir par un des partenaires sont attribuées comme une cause de la violence. D’autres
composantes sont reliées aux conflits liés au manque de communication entre les
partenaires. A cette dynamique s’ajoute des problèmes d’adultères ou de frustrations
sexuelles qui altèrent l’équilibre relationnel au sein du couple.

Quel que soit le profil des interrogés, il a y a un consentement quant à l’identification de la


violence comme prenant naissance au sein de la famille, elle n’est qu’une reproduction d’un
modèle familial. Les comportements violents seraient transmis de manière
intergénérationnelle aux enfants, par imitation (Bandura, 1977), l’usage s’en trouve ainsi
justifié. Sachant que les représentations sociales sont un guide pour l’action, ces dernières
possèdent des facettes contradictoires et des éléments parfois ambigüe face à une même
attitude, cette fois ci il s’agit de la violence faite aux femmes ((Milland et Flament, 2010).

La reproduction de ses patterns d’action et la légitimation par les hommes de la violence


qui possède un caractère instrumental nécessite une intervention concomitante auprès des
hommes et des femmes tant au niveau symbolique qu’au niveau des pratiques elles-mêmes
dans plusieurs milieux institutionnels. Une telle stratégie de lutte contre les violences
permet d’éviter l’enfermement du phénomène dans un cercle vicieux. Ce dernier a apporté
des résultats limités dans l’installation d’un contre-pied aux stéréotypes de genre. Le
changement des représentations semble long. Un travail plus approfondie sur le plan de la
construction et l’appropriation de la représentation tant sur le plan individuel ou collectif
permettra comme le propose Jodelet (2008) d’appréhender à la fois le subjectif,
l’intersubjectif et le transsubjetif (cadre imposé par les institutions). Le changement des
représentions doit à la fois concerner l’individu pris non isolément mais plutôt dans un
contexte d’interaction.

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