Textes Seq 3 Balzac

Télécharger au format odt, pdf ou txt
Télécharger au format odt, pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 6

OBJET D’ETUDE, LE ROMAN ET LE RECIT DU MOYEN AGE AU XXI°

OEUVRE INTEGRALE: Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, 1831


PARCOURS ASSOCIE “LES ROMANS DE L’ENERGIE : CREATION et DESTRUCTION”
TEXTE 1 LE PACTE
1ère partie « Le Talisman »

SI TU ME POSSÈDES, TU POSSÈDERAS TOUT.


MAIS TA VIE M’APPARTIENDRA. DIEU L’A
VOULU AINSI. DÉSIRE, ET TES DÉSIRS
SERONT ACCOMPLIS. MAIS RÈGLE
TES SOUHAITS SUR TA VIE.
ELLE EST LÀ. À CHAQUE
VOULOIR JE DÉCROITRAI
COMME TES JOURS.
ME VEUX-TU ?
PRENDS. DIEU
T’EXAUCERA.
SOIT !

— Ah ! vous lisez couramment le sanscrit1, dit le vieillard. Peut-être avez-vous voyagé en


Perse ou dans le Bengale2?
— Non, monsieur, répondit le jeune homme en tâtant avec curiosité cette peau symbolique,
assez semblable à une feuille de métal par son peu de flexibilité.
Le vieux marchand remit la lampe sur la colonne où il l’avait prise, en lançant au jeune
homme un regard empreint d’une froide ironie qui semblait dire : Il ne pense déjà plus à
mourir.
— Est-ce une plaisanterie, est-ce un mystère ? demanda le jeune inconnu.
Le vieillard hocha de la tête et dit gravement : — Je ne saurais vous répondre. J’ai offert le
terrible pouvoir que donne ce talisman à des hommes doués de plus d’énergie que vous ne
paraissiez en avoir ; mais, tout en se moquant de la problématique influence qu’il devait
exercer sur leurs destinées futures, aucun n’a voulu se risquer à conclure ce contrat si
fatalement proposé par je ne sais quelle puissance. Je pense comme eux, j’ai douté, je me
suis abstenu, et…
— Et vous n’avez pas même essayé ? dit le jeune homme en l’interrompant.
— Essayer ! dit le vieillard. Si vous étiez sur la colonne de la place Vendôme, essaieriez-vous
de vous jeter dans les airs ? Peut-on arrêter le cours de la vie ? L’homme a-t-il jamais pu
scinder la mort ? Avant d’entrer dans ce cabinet, vous aviez résolu de vous suicider ; mais

1Langue sacrée en Inde, mais la formule est rédigée en arabe


2Perse: ancien nom de l’Iran, Bengale: région entre l’Inde et le Pakistan
tout à coup un secret vous occupe et vous distrait de mourir. Enfant ! Chacun de vos jours ne
vous offrira-t-il pas une énigme plus intéressante que ne l’est celle-ci ? Écoutez-moi. J’ai vu la
cour licencieuse du régent1. Comme vous, j’étais alors dans la misère, j’ai mendié mon pain ;
néanmoins j’ai atteint l’âge de cent deux ans, et suis devenu millionnaire : le malheur m’a
donné la fortune, l’ignorance m’a instruit. Je vais vous révéler en peu de mots un grand
mystère de la vie humaine. L’homme s’épuise par deux actes instinctivement accomplis qui
tarissent les sources de son existence. Deux verbes expriment toutes les formes que
prennent ces deux causes de mort : vouloir et pouvoir. Entre ces deux termes de l’action
humaine il est une autre formule dont s’emparent les sages, et je lui dois le bonheur et ma
longévité. Vouloir nous brûle et Pouvoir nous détruit ; mais savoir laisse notre faible
organisation dans un perpétuel état de calme.
Ainsi le désir ou le vouloir est mort en moi, tué par la pensée ; le mouvement ou le pouvoir
s’est résolu par le jeu naturel de mes organes. En deux mots, j’ai placé ma vie, non dans le
cœur qui se brise, ou dans les sens qui s’émoussent ; mais dans le cerveau qui ne s’use pas
et qui survit à tout. Rien d’excessif n’a froissé ni mon âme ni mon corps.

1 Philippe d’Orléans, qui avait une vie immorale, assure la transition du pouvoir entre Louis
XIV et Louis XV. L’antiquaire est très âgé, puisque le roman se situe 107 ans après la mort
du régent.
OBJET D’ETUDE, LE ROMAN ET LE RECIT DU MOYEN AGE AU XXI°
OEUVRE INTEGRALE: Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, 1831
PARCOURS ASSOCIE “LES ROMANS DE L’ENERGIE : CREATION et DESTRUCTION”
TEXTE 2
2ème partie « La femme sans coeur »

Rendu à toute sa raison par la brusque obéissance du sort, Raphaël étendit promptement sur
la table la serviette avec laquelle il avait mesuré naguère la Peau de chagrin. Sans rien
écouter, il y superposa le talisman, et frissonna violemment en voyant une assez grande
distance entre le contour tracé sur le linge et celui de la Peau.
— Hé bien ! qu’a-t-il donc ? s’écria Taillefer, il a sa fortune à bon compte.
— Soutiens-le, Châtillon, dit Bixiou à Émile, la joie va le tuer.
Une horrible pâleur dessina tous les muscles de la figure flétrie de cet héritier : ses traits se
contractèrent, les saillies de son visage blanchirent, les creux devinrent sombres, le masque
fut livide, et les yeux se fixèrent. Il voyait la MORT. Ce banquier splendide entouré de
courtisanes fanées, de visages rassasiés, cette agonie de la joie, était une vivante image de
sa vie. Raphaël regarda trois fois le talisman qui se jouait à l’aise dans les impitoyables lignes
imprimées sur la serviette : il essayait de douter, mais un clair pressentiment anéantissait son
incrédulité. Le monde lui appartenait, il pouvait tout et ne voulait plus rien. Comme un
voyageur au milieu du désert, il avait un peu d’eau pour la soif et devait mesurer sa vie au
nombre des gorgées. Il voyait ce que chaque désir devait lui coûter de jours. Puis il croyait à
la Peau de chagrin, il s’écoutait respirer, il se sentait déjà malade, il se demandait : Ne suis-je
pas pulmonique ? Ma mère n’est-elle pas morte de la poitrine ?
— Ah ! ah ! Raphaël, vous allez bien vous amuser ! Que me donnerez-vous ? disait Aquilina.
— Buvons à la mort de son oncle, le major Martin O’Flaharty ? Voilà un homme.
— Il sera pair de France.
— Bah ! qu’est-ce qu’un pair de France après Juillet ? dit le jugeur.
— Auras-tu loge aux Bouffons ?
— J’espère que vous nous régalerez tous, dit Bixiou.
— Un homme comme lui sait faire grandement les choses, dit Émile.
Le hourra de cette assemblée rieuse résonnait aux oreilles de Valentin sans qu’il pût saisir le
sens d’un seul mot ; il pensait vaguement à l’existence mécanique et sans désirs d’un paysan
de Bretagne, chargé d’enfants, labourant son champ, mangeant du sarrazin, buvant du cidre
à même son piché, croyant à la Vierge et au roi, communiant à Pâques, dansant le dimanche
sur une pelouse verte et ne comprenant pas le sermon de son recteur. Le spectacle offert en
ce moment à ses regards, ces lambris dorés, ces courtisanes, ce repas, ce luxe, le prenaient
à la gorge et le faisaient tousser.
OBJET D’ETUDE, LE ROMAN ET LE RECIT DU MOYEN AGE AU XXI°
OEUVRE INTEGRALE: Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, 1831
PARCOURS ASSOCIE “LES ROMANS DE L’ENERGIE : CREATION et DESTRUCTION”
TEXTE 3
3ème partie « L’agonie »
Scène de duel

— Monsieur, je n’ai pas dormi, dit Raphaël à son adversaire. Cette parole glaciale et le regard
terrible qui l’accompagna firent tressaillir le véritable provocateur, il eut la conscience de son
tort et une honte secrète de sa conduite. Il y avait dans l’attitude, dans le son de voix et le
geste de Raphaël quelque chose d’étrange. Le marquis fit une pause, et chacun imita son
silence. L’inquiétude et l’attention étaient au comble. — Il est encore temps, reprit-il, de me
donner une légère satisfaction ; mais donnez-la-moi, monsieur, sinon vous allez mourir. Vous
comptez encore en ce moment sur votre habileté, sans reculer à l’idée d’un combat où vous
croyez avoir tout l’avantage. Eh ! bien ! monsieur, je suis généreux, je vous préviens de ma
supériorité. Je possède une terrible puissance. Pour anéantir votre adresse, pour voiler vos
regards, faire trembler vos mains et palpiter votre cœur, pour vous tuer même, il me suffit de
le désirer. Je ne veux pas être obligé d’exercer mon pouvoir, il me coûte trop cher d’en user.
Vous ne serez pas le seul à mourir. Si donc vous vous refusez à me présenter des excuses,
votre balle ira dans l’eau de cette cascade malgré votre habitude de l’assassinat, et la mienne
droit à votre cœur sans que je le vise.
En ce moment des voix confuses interrompirent Raphaël. En prononçant ces paroles, le
marquis avait constamment dirigé sur son adversaire l’insupportable clarté de son regard fixe,
il s’était redressé en montrant un visage impassible, semblable à celui d’un fou méchant.
— Fais-le taire, avait dit le jeune homme à son témoin, sa voix me tord les entrailles !
— Monsieur, cessez. Vos discours sont inutiles, crièrent à Raphaël le chirurgien et les
témoins.
— Messieurs, je remplis un devoir. Ce jeune homme a-t-il des dispositions à prendre ?
— Assez, assez !
Le marquis resta debout, immobile, sans perdre un instant de vue son adversaire qui, dominé
par une puissance presque magique, était comme un oiseau devant un serpent : contraint de
subir ce regard homicide, il le fuyait, il revenait sans cesse.
— Donne-moi de l’eau, j’ai soif, dit-il à son témoin.
— As-tu peur ?
— Oui, répondit-il. L’œil de cet homme est brûlant et me fascine.
— Veux-tu lui faire des excuses ?
— Il n’est plus temps.
Les deux adversaires furent placés à quinze pas l’un de l’autre. Ils avaient chacun près d’eux
une paire de pistolets, et, suivant le programme de cette cérémonie, ils devaient tirer deux
coups à volonté, mais après le signal donné par les témoins.
— Que fais-tu, Charles ? cria le jeune homme qui servait de second à l’adversaire de
Raphaël, tu prends la balle avant la poudre.
— Je suis mort, répondit-il en murmurant, vous m’avez mis en face du soleil.
— Il est derrière vous, lui dit Valentin d’une voix grave et solennelle, en chargeant son pistolet
lentement, sans s’inquiéter ni du signal déjà donné, ni du soin avec lequel l’ajustait son
adversaire.
Cette sécurité surnaturelle avait quelque chose de terrible qui saisit même les deux postillons
amenés là par une curiosité cruelle. Jouant avec son pouvoir, ou voulant l’éprouver, Raphaël
parlait à Jonathas et le regardait au moment où il essuya le feu de son ennemi. La balle de
Charles alla briser une branche de saule, et ricocha sur l’eau. En tirant au hasard, Raphaël
atteignit son adversaire au cœur, et, sans faire attention à la chute de ce jeune homme, il
chercha promptement la Peau de chagrin pour voir ce que lui coûtait une vie humaine. Le
talisman n’était plus grand que comme une petite feuille de chêne.
OBJET D’ETUDE, LE ROMAN - OEUVRE INTEGRALE: Balzac, La Peau de chagrin
PARCOURS ASSOCIE “LES ROMANS DE L’ENERGIE : CREATION et DESTRUCTION”
TEXTE 4 Jean-Paul SARTRE, Erostrate, issu du recueil Le Mur, 1939

Paul Hilbert est un écrivain raté “Voilà trente-trois ans que je me heurte à des portes closes
au-dessus desquelles on a écrit: "Nul n'entre ici s'il n'est humaniste." Tout ce que j’ai entrepris
j'ai dû l'abandonner.” Prenant conscience de son échec, il mobilise son énergie vers un tout
autre projet. Au travail, alors qu’il vient d’expliquer son goût pour les “héros noirs”, son
collègue lui répond.

- Je le connais votre type, me dit-il. Il s'appelle Érostrate. Il voulait devenir illustre et il n'a rien
trouvé de mieux que de brûler le temple d’Éphèse, une des sept merveilles du monde.
- Et comment s'appelait l'architecte de ce temple ?
- Je ne me rappelle plus, confessa-t-il, je crois même qu'on ne sait pas son nom.
- Vraiment ? Et vous vous rappelez le nom d'Érostrate ? Vous voyez qu'il n'avait pas fait un si
mauvais calcul.
La conversation prit fin sur ces mots, mais j’étais bien tranquille; ils se la rappelleraient au
bon moment. Pour moi, qui, jusqu'alors, n'avais jamais entendu parler d'Érostrate, son
histoire m'encouragea. Il y avait plus de deux mille ans qu'il était mort, et son acte brillait
encore, comme un diamant noir. Je commençais à croire que mon destin serait court et
tragique. Cela me fit peur tout d'abord, et puis je m'y habituai. Si on prend ça d'une certaine
façon, c'est atroce, mais, d'un autre côté, ça donne à l'instant qui passe une force et une
beauté considérables. Quand je descendais dans la rue, je sentais en mon corps une
puissance étrange. J'avais sur moi mon revolver, cette chose qui éclate et qui fait du bruit.
Mais ce n'était plus de lui que je tirais mon assurance, c'était de moi : j'étais un être de
l'espèce des revolvers, des pétards et des bombes. Moi aussi, un jour, au terme de ma
sombre vie, j'exploserais et j’illuminerais le monde d'une flamme violente et brève comme un
éclair de magnésium1. Il m'arriva, vers cette époque, de faire plusieurs nuits le même rêve.
J'étais un anarchiste, je m'étais placé sur le passage du tsar2 et je portais sur moi une
machine infernale. A l'heure dite, le cortège passait, la bombe éclatait, et nous sautions en
l'air, moi, le tsar et trois officiers chamarrés3 d'or, sous les yeux de la foule.
Je restais maintenant des semaines entières sans paraître au bureau. Je me promenais sur
les boulevards, au milieu de mes futures victimes, ou bien je m'enfermais dans ma chambre
et je tirais des plans. On me congédia au début d'octobre.

1Magnesium: sa poudre sert de charge propulsive dans la munition d’une arme à feu. Les munitions/ projectiles
traçants ou lumineux possèdent une charge pyrotechnique à base de phosphore ou de magnésium, qui produit
une vive lumière lors de leur inflammation.
2Mot russe tsar désignant un autocrate, notamment l'empereur de Russie d’Ivan IV en 1547 à Nicolas II en
1917
3Chamarrés: dont les vêtements sont couverts d’ornements somptueux, de décorations ou de médailles.

Vous aimerez peut-être aussi