Cours Sur La Science
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principal représentant. Les mathématiques ne relèvent pas du monde sensible et expérimental
mais sont autoréférentielles, c’est-à -dire qu’elles créent le monde dont elles parlent. C’est la
cohérence interne qui est alors source de vérité, et non la conformité avec un réel extérieur.
La science construit son objet
Les mathématiques ne sont pourtant pas les seuls à construire leur objet, on peut même affirmer
que toutes les sciences construisent leur objet.
Bachelard dit à ce sujet qu’il n’y a pas de fait brut en science mais que le fait scientifique
est construit. L’observation scientifique implique une construction théorique et un dispositif
expérimental qui sont des constructions humaines, non des données de la nature. Les
instruments, tel que le microscope, sont déjà des outils de transformation du monde : ce que
nous voyons dépend alors de l’instrument que nous utilisons. Nous n’avons pas accès à l’objet
lui-même mais à un objet reflété et parfois modélisé par l’instrument qui sert de médiation.
Exemple : La physique newtonienne, par exemple, explique l’attraction des planètes à l’aide de
la force gravitationnelle. Mais il ne faut pas croire que cette force « existe » au même sens que les
objets du monde : c’est un outil explicatif. Ainsi, le modèle d’Einstein peut expliquer l’attraction
sans recourir à cette force, et il n’est ni plus ni moins « vrai » que celui de Newton.
Le découpage des sciences en différents domaines est lui-même artificiel et se calque sur l’esprit
humain, non sur la nature. Par ailleurs, formuler des problèmes faisant intégralement partie de
l’activité scientifique, la science cherche à répondre aux questions qu’elle pose et délimite elle-
même.
Réflexion : Pour Bachelard, le travail scientifique commence par la capacité à poser un
problème : « […] dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est
précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un
esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question,
il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ».
Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, 1938.
Dire que la science construit elle-même les problèmes auxquels elle essaie de répondre, et que
ce faisant elle construit son objet d’étude, ce n’est pas dire que la science est subjective et ne
peut aboutir à aucune vérité. C’est seulement souligner son mode de fonctionnement et être
conscient, d’une part, qu’elle ne peut voir que ce qu’elle regarde, et d’autre part, qu’elle ne peut
pas tout regarder.
III - La science, vers une pratique réflexive
Cela signifie-t-il que la science est par essence limitée ?
Ce n’est pas le cas si la science inclut dans sa démarche la conscience et la connaissance de ses
limites, de la même manière qu’un(e) chercheur(se) en psychologie sera conscient(e) qu’il(elle)
peut inconsciemment influencer les résultats d’une expérience et qu’il(elle) cherchera soit à
réduire cette influence, soit à faire en sorte que cette influence fasse partie des données de
l’expérience. Autrement dit, la science n’est pas seulement une recherche de vérité, elle inclut
également une réflexion sur elle-même, c’est-à -dire une pratique réflexive.
La science, une histoire d’erreurs ?
Les sciences ont une histoire, qui est l’histoire d’une suite d’erreurs peu à peu rectifiées. Ce que
les hommes ont pu croire vrai s’est révélé faux par la suite.
Exemple : Ainsi, on a longtemps pensé que « la nature a horreur du vide », avant les expériences
de Torricelli prouvant l’existence du vide. La médecine n’a découvert la circulation sanguine
qu’au XVIIe siècle, et Einstein a d’abord conçu un modèle statique de l’univers.
La seule connaissance de l’histoire des sciences, qui est une histoire des erreurs scientifiques,
doit inciter les scientifiques à la modestie. On peut bien sû r en déduire que la science est
susceptible d’erreur, mais il faudrait plutô t l’analyser ainsi : les êtres humains peuvent se
tromper, et les modèles théoriques que nous élaborons peuvent ne pas correspondre à la réalité.
Mais dès lors que la science prend en compte sa propre capacité d’erreur plutô t que de la nier, il
est faux de dire que « la science se trompe ». C’est d’ailleurs cette capacité à rectifier ses
erreurs qui définit la science selon Karl Popper.
Réflexion : Pour Popper, la particularité d’une théorie scientifique est qu’elle est « falsifiable »,
c’est-à -dire réfutable. On peut prouver et démontrer qu’une théorie est fausse, alors qu’on
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ne peut prouver qu’elle est vraie que provisoirement. C’est ce qui explique que l’histoire des
sciences soit faite d’une série de réfutations. Si nous forgeons une théorie selon laquelle tous les
moutons sont blancs, il suffira de trouver un mouton noir pour prouver qu’elle est fausse. Mais
comment prouver que la théorie est vraie ? Ce n’est pas possible, il faudrait pouvoir observer
tous les moutons présents, passés et futurs. Cela ne constitue pas une faiblesse mais au contraire
une force, puisque c’est ce qui distingue la science de l’idéologie et des pseudosciences. Ainsi, on
ne peut réfuter l’hypothèse psychanalytique de l’inconscient, puisqu’on pourra toujours objecter
que c’est justement notre inconscient qui nous pousse à nier son existence. Pour cette raison,
Popper estime que la psychanalyse ne peut constituer une science.
La science, une marche vers le progrès ?
Peut-on déduire de la conception de Popper que la science est un parcours ininterrompu
vers le progrès ?
À retenir : Il faut nuancer cette idée, du point de vue de Popper lui-même : pour ce philosophe
en effet, la science ne peut prouver la vérité mais seulement réfuter l’erreur. Le progrès consiste
donc à se rendre compte de ses erreurs plutô t que de parvenir à de nouvelles certitudes.
Il n’en reste pas moins que les découvertes scientifiques ont effectivement modifié notre monde,
accru notre maîtrise technologique, diminué notre vulnérabilité face aux phénomènes naturels,
augmenté notre espérance de vie, etc. Cela signifie-t-il que la science s’accompagne
toujours de progrès ? Il faut distinguer ici la science de son usage et de ses implications. La
découverte de la fission nucléaire concerne le domaine de la connaissance, et de ce point de vue-
là , constitue un progrès du savoir. Choisir d’appliquer ces connaissances à des usages mortels,
comme la bombe atomique, ne relève pas de la science, qui est innocente de ce point de vue-là .
Mais cette innocence est justement une critique que l’on pourrait adresser à la science : elle
n’inclut pas dans son principe même une réflexion sur la valeur et la portée de ses découvertes
et de ses actes. Puisque la science construit son objet et émet des hypothèses réfutables, plutô t
que de déterminer de manière certaine la vérité, elle ne peut prétendre à une parfaite
objectivité : en tant que discipline humaine, pratiquée par des sujets, elle est, elle
aussi, subjective. Elle n’échappe donc pas aux objections et aux critiques quant à son
usage.
Réflexion : Heidegger concentre cette critique dans une formule provocatrice : « La science ne
pense pas ». En effet, la science peut, avec Galilée, proposer une conception mathématique de la
nature, sans se demander quels sont les enjeux et les conséquences pratiques d’une telle vision
du monde, sans s’interroger non plus sur la légitimité de ces représentations à donner sens au
réel. Il faut alors distinguer la science d’une part et les scientifiques et utilisateur (rice) s des
connaissances scientifiques d’autre part.
À retenir : Si la science, en tant que méthode de connaissance, est innocente et n’a pas pour
fonction de s’interroger sur ce qu’elle fait, les scientifiques, en tant que sujets, peuvent par
contre se poser la question de la légitimité de leurs actions. C’est une approche que les sciences
modernes intègrent de plus en plus à leur pratique, notamment en généralisant le recours à
des comités d’éthique. Il ne s’agit plus seulement de savoir comment on peut réaliser telle
opération (par exemple cloner un être humain), mais également s’il est légitime de le faire et
quelles en sont les implications. La science n’est donc pas dépourvue de pensée, dès lors qu’elle
est pratiquée par des individus qui acceptent d’être des sujets pensants.