Cours Sur La Science

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La science

Introduction : La science est un mode de connaissance. À la différence du mythe, de la magie ou


de la religion, elle représente pour nous un modèle de rigueur et une méthode de recherche de la
vérité. Pour autant, parler de la science au singulier ne va pas de soi si on prend en compte
l’étendue du champ scientifique : il y a d’abord des sciences. L’usage du singulier implique
pourtant qu’il y ait des points communs entre les différentes disciplines scientifiques. C’est sur
ces points de convergence que repose l’essence de la science. Pour comprendre ce qu’est la
science, il nous faut donc mettre à jour les spécificités de la pensée et de la pratique
scientifiques. Mais il faut aussi nous demander si la science est la seule détentrice du savoir : est-
ce qu’il ne revient pas à d’autres formes de connaissance de s’interroger sur la fonction de la
science et sur ses limites ?
Pour répondre à cette question, nous chercherons d’abord à définir la science dans son rapport à
la vérité et à la connaissance. Nous verrons ensuite que toute science s’applique selon une
démarche scientifique. Enfin, nous nous demanderons si la science est capable de prendre en
compte ses propres limites en réfléchissant sur elle-même.
I - La science et son rapport à la vérité
Avant d’être caractérisée par des méthodes et des démarches qui lui sont propres, la science est
d’abord une recherche de connaissance et de vérité.
Une recherche de vérité
La science est avant tout guidée par un but : la recherche de vérités certaines. Elle se construit
donc en opposition avec l’opinion, qui est une connaissance incertaine et non prouvée. Socrate
initie cette démarche en rejetant systématiquement la doxa.
Définition. Doxa : Doxa est un terme grec que l’on peut traduire par « opinion ». La doxa n’est
pas nécessairement fausse, il se peut qu’elle corresponde à la vérité, mais elle ne constitue pas
un savoir pour autant. Elle repose sur la croyance : nous répétons ce que nous avons entendu
dire, sans être capable de prouver ce que nous disons.
À retenir : La science cherche donc d’abord à savoir plutô t qu’à croire.
La croyance ne fait pas l’objet d’une dé monstration et ne peut justifier ce qu’elle pré tend.
Au contraire, le savoir repose sur des justifications et des démonstrations.
Si cette distinction entre croire et savoir est essentielle, elle ne suffit pas à définir la spécificité
de la science.
Un monde intelligible
Nos connaissances ne sont pas nécessairement de nature scientifique, elles peuvent également
être d’ordre pratique, reposant ainsi sur nos expériences et l’observation du monde qui nous
entoure.
Réflexion : Hume fait ainsi remarquer que c’est par habitude que nous savons que le soleil se
lèvera demain, et non par connaissance scientifique.
L’expé rience ré pé té e quotidiennement du jour qui se lè ve ne constitue pas en soi une
connaissance scientifique. Il n’en reste pas moins que l’astronomie explique parfaitement le
mouvement des planè tes et que l’alternance du jour et de la nuit correspond à des
connaissances scientifiques.
Quelle est donc la différence ?
Entre l’expérience pratique (ou l’observation) et la connaissance scientifique, nous passons d’un
modèle pratique à un modèle intelligible. Même si la science peut prendre comme point de
départ l’observation du monde sensible, elle s’efforce ensuite de le rendre intelligible, c’est-à -
dire de construire un modèle théorique qui permette d’expliquer entièrement les phénomènes
sensibles.
Définition : Empirisme/rationalisme :
L’empirisme et le rationalisme sont deux manières d’aborder la démarche scientifique.
L’empirisme soutient que la vérité repose sur l’expérience sensible. Pour les rationalistes, elle se
révèle par l’usage de la raison.
Ordonner le monde
Même si la connaissance scientifique a une valeur par elle-même, elle n’est pas coupée des
autres dimensions de la vie humaine.
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À retenir : Plus que la seule vérité, la science cherche des principes d’explication, et c’est en cela
qu’elle s’oppose à l’opinion et à la croyance.
Réflexion : Lucrèce, philosophe latin du Ier siècle avant J.-C. et appartenant au
courant épicurien, a vu dans la science une méthode de pensée permettant aux hommes de se
détacher des superstitions et de s’émanciper. Selon lui, la méconnaissance des phénomènes
naturels a conduit les hommes à inventer des explications divines parce que l’esprit humain
cherche un sens et une explication à ce qu’il vit. Si nous connaissions mieux les causes réelles,
qui pour lui sont matérielles, des phénomènes qui nous entourent, nous serions libérés de la
peur et de la culpabilité. La science permet donc d’expliquer les phénomènes qui nous
entourent. Il ne s’agit pas seulement de se détourner de la superstition : par l’explication
scientifique, nous forgeons un autre modèle de la nature et du monde matériel. Au lieu d’un
monde chaotique, livré au hasard, et de ce fait incompréhensible, la science propose de
considérer un monde rationnel, régi par des lois et explicable par des mécanismes de causalité.
Ce n’est donc plus un monde désordonné et dépourvu de sens, mais un monde reposant
sur des principes universels. Les lois physiques sont en effet, par définition, universelles : elles
sont valables en tout temps et en tout lieu. Elles permettent donc d’avoir une vision déterministe
du monde : elles ne permettent pas seulement d’expliquer ce qui s’est produit, mais également
de prévoir ce qui se produira, dès lors qu’on sait qu’une même cause sera toujours suivie d’un
même effet. La connaissance scientifique donne un sens au monde puisqu’elle révèle que le
monde est un système stable et constant. Par ses effets, la science dépasse le seul cadre de la
connaissance et induit donc un rapport au monde. Notre monde n’est plus celui de l’incertitude,
du mythe ou de l’intervention divine, mais un monde cohérent, prévisible, dans lequel on peut
prévoir, comprendre et expliquer les phénomènes.
II - L’esprit scientifique et la démarche scientifique
Les conséquences de la pensée scientifique dépassent donc le seul domaine de la science et celle-
ci est un élément définissant une culture humaine, au même titre que d’autres pratiques telles
que l’art, la technique ou la politique. Il n’en reste pas moins qu’elle se distingue de ces autres
pratiques par une démarche qui lui est propre.
La démarche scientifique et les différents types de science
Toutes les sciences ont en commun de reposer sur une méthode stable plutô t que de se laisser
guider par le hasard ou les circonstances. Le type de méthode adopté permet de distinguer
différents types de science. On peut tout d’abord effectuer une distinction entre la méthode
par induction et la méthode par déduction.
L’induction consiste à partir de faits observés pour construire une théorie permettant de les
expliquer : elle part donc du particulier pour aller vers le général.
La déduction procède en sens inverse : à partir d’une loi, elle déduit les phénomènes qui s’en
suivront. L’induction et la déduction fondent la démarche expérimentale propre à la science.
Plutô t que de se baser sur des théories métaphysiques, comme le faisait Aristote lorsqu’il
expliquait le monde par les quatre éléments (le feu, l’air, l’eau et la terre), elle part de
l’observation même, du réel que l’on peut expérimenter. On comprend aussi que l’induction
seule ne suffit pas : une même observation répétée un très grand nombre de fois nous permet
d’affirmer que le phénomène est très probable, mais non qu’il est certain. La démarche
scientifique repose donc à la fois sur l’induction et la déduction, et son point de départ peut
même être l’intuition : une idée initiale, une piste de recherche, un étonnement, que le
scientifique va ensuite analyser avec les outils de sa discipline.C’est ainsi que fonctionne la
démarche hypothético-déductive :
on forme une hypothèse ;
- on déduit ce qui doit se passer si l’hypothèse est juste, c’est-à-dire quelles
seraient les conséquences observables ;
- on peut ensuite élaborer un protocole d’expérience permettant de tester
l’hypothèse ; l’expérience effectuée permet de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse
initiale.
Ce dispositif est valable pour les sciences expérimentales, c’est-à -dire reposant sur des données
de l’expérience. Mais il existe aussi des sciences formelles, dont les mathématiques sont le

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principal représentant. Les mathématiques ne relèvent pas du monde sensible et expérimental
mais sont autoréférentielles, c’est-à -dire qu’elles créent le monde dont elles parlent. C’est la
cohérence interne qui est alors source de vérité, et non la conformité avec un réel extérieur.
La science construit son objet
Les mathématiques ne sont pourtant pas les seuls à construire leur objet, on peut même affirmer
que toutes les sciences construisent leur objet.
Bachelard dit à ce sujet qu’il n’y a pas de fait brut en science mais que le fait scientifique
est construit. L’observation scientifique implique une construction théorique et un dispositif
expérimental qui sont des constructions humaines, non des données de la nature. Les
instruments, tel que le microscope, sont déjà des outils de transformation du monde : ce que
nous voyons dépend alors de l’instrument que nous utilisons. Nous n’avons pas accès à l’objet
lui-même mais à un objet reflété et parfois modélisé par l’instrument qui sert de médiation.
Exemple : La physique newtonienne, par exemple, explique l’attraction des planètes à l’aide de
la force gravitationnelle. Mais il ne faut pas croire que cette force « existe » au même sens que les
objets du monde : c’est un outil explicatif. Ainsi, le modèle d’Einstein peut expliquer l’attraction
sans recourir à cette force, et il n’est ni plus ni moins « vrai » que celui de Newton.
Le découpage des sciences en différents domaines est lui-même artificiel et se calque sur l’esprit
humain, non sur la nature. Par ailleurs, formuler des problèmes faisant intégralement partie de
l’activité scientifique, la science cherche à répondre aux questions qu’elle pose et délimite elle-
même.
Réflexion : Pour Bachelard, le travail scientifique commence par la capacité à poser un
problème : « […] dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est
précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un
esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question,
il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ».
Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, 1938.
Dire que la science construit elle-même les problèmes auxquels elle essaie de répondre, et que
ce faisant elle construit son objet d’étude, ce n’est pas dire que la science est subjective et ne
peut aboutir à aucune vérité. C’est seulement souligner son mode de fonctionnement et être
conscient, d’une part, qu’elle ne peut voir que ce qu’elle regarde, et d’autre part, qu’elle ne peut
pas tout regarder.
III - La science, vers une pratique réflexive
Cela signifie-t-il que la science est par essence limitée ?
Ce n’est pas le cas si la science inclut dans sa démarche la conscience et la connaissance de ses
limites, de la même manière qu’un(e) chercheur(se) en psychologie sera conscient(e) qu’il(elle)
peut inconsciemment influencer les résultats d’une expérience et qu’il(elle) cherchera soit à
réduire cette influence, soit à faire en sorte que cette influence fasse partie des données de
l’expérience. Autrement dit, la science n’est pas seulement une recherche de vérité, elle inclut
également une réflexion sur elle-même, c’est-à -dire une pratique réflexive.
La science, une histoire d’erreurs ?
Les sciences ont une histoire, qui est l’histoire d’une suite d’erreurs peu à peu rectifiées. Ce que
les hommes ont pu croire vrai s’est révélé faux par la suite.
Exemple : Ainsi, on a longtemps pensé que « la nature a horreur du vide », avant les expériences
de Torricelli prouvant l’existence du vide. La médecine n’a découvert la circulation sanguine
qu’au XVIIe siècle, et Einstein a d’abord conçu un modèle statique de l’univers.
La seule connaissance de l’histoire des sciences, qui est une histoire des erreurs scientifiques,
doit inciter les scientifiques à la modestie. On peut bien sû r en déduire que la science est
susceptible d’erreur, mais il faudrait plutô t l’analyser ainsi : les êtres humains peuvent se
tromper, et les modèles théoriques que nous élaborons peuvent ne pas correspondre à la réalité.
Mais dès lors que la science prend en compte sa propre capacité d’erreur plutô t que de la nier, il
est faux de dire que « la science se trompe ». C’est d’ailleurs cette capacité à rectifier ses
erreurs qui définit la science selon Karl Popper.
Réflexion : Pour Popper, la particularité d’une théorie scientifique est qu’elle est « falsifiable »,
c’est-à -dire réfutable. On peut prouver et démontrer qu’une théorie est fausse, alors qu’on

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ne peut prouver qu’elle est vraie que provisoirement. C’est ce qui explique que l’histoire des
sciences soit faite d’une série de réfutations. Si nous forgeons une théorie selon laquelle tous les
moutons sont blancs, il suffira de trouver un mouton noir pour prouver qu’elle est fausse. Mais
comment prouver que la théorie est vraie ? Ce n’est pas possible, il faudrait pouvoir observer
tous les moutons présents, passés et futurs. Cela ne constitue pas une faiblesse mais au contraire
une force, puisque c’est ce qui distingue la science de l’idéologie et des pseudosciences. Ainsi, on
ne peut réfuter l’hypothèse psychanalytique de l’inconscient, puisqu’on pourra toujours objecter
que c’est justement notre inconscient qui nous pousse à nier son existence. Pour cette raison,
Popper estime que la psychanalyse ne peut constituer une science.
La science, une marche vers le progrès ?
Peut-on déduire de la conception de Popper que la science est un parcours ininterrompu
vers le progrès ?
À retenir : Il faut nuancer cette idée, du point de vue de Popper lui-même : pour ce philosophe
en effet, la science ne peut prouver la vérité mais seulement réfuter l’erreur. Le progrès consiste
donc à se rendre compte de ses erreurs plutô t que de parvenir à de nouvelles certitudes.
Il n’en reste pas moins que les découvertes scientifiques ont effectivement modifié notre monde,
accru notre maîtrise technologique, diminué notre vulnérabilité face aux phénomènes naturels,
augmenté notre espérance de vie, etc. Cela signifie-t-il que la science s’accompagne
toujours de progrès ? Il faut distinguer ici la science de son usage et de ses implications. La
découverte de la fission nucléaire concerne le domaine de la connaissance, et de ce point de vue-
là , constitue un progrès du savoir. Choisir d’appliquer ces connaissances à des usages mortels,
comme la bombe atomique, ne relève pas de la science, qui est innocente de ce point de vue-là .
Mais cette innocence est justement une critique que l’on pourrait adresser à la science : elle
n’inclut pas dans son principe même une réflexion sur la valeur et la portée de ses découvertes
et de ses actes. Puisque la science construit son objet et émet des hypothèses réfutables, plutô t
que de déterminer de manière certaine la vérité, elle ne peut prétendre à une parfaite
objectivité : en tant que discipline humaine, pratiquée par des sujets, elle est, elle
aussi, subjective. Elle n’échappe donc pas aux objections et aux critiques quant à son
usage.
Réflexion : Heidegger concentre cette critique dans une formule provocatrice : « La science ne
pense pas ». En effet, la science peut, avec Galilée, proposer une conception mathématique de la
nature, sans se demander quels sont les enjeux et les conséquences pratiques d’une telle vision
du monde, sans s’interroger non plus sur la légitimité de ces représentations à donner sens au
réel. Il faut alors distinguer la science d’une part et les scientifiques et utilisateur (rice) s des
connaissances scientifiques d’autre part.
À retenir : Si la science, en tant que méthode de connaissance, est innocente et n’a pas pour
fonction de s’interroger sur ce qu’elle fait, les scientifiques, en tant que sujets, peuvent par
contre se poser la question de la légitimité de leurs actions. C’est une approche que les sciences
modernes intègrent de plus en plus à leur pratique, notamment en généralisant le recours à
des comités d’éthique. Il ne s’agit plus seulement de savoir comment on peut réaliser telle
opération (par exemple cloner un être humain), mais également s’il est légitime de le faire et
quelles en sont les implications. La science n’est donc pas dépourvue de pensée, dès lors qu’elle
est pratiquée par des individus qui acceptent d’être des sujets pensants.

Conclusion : On peut retenir que le singulier de « science » recouvre en réalité plusieurs


pratiques. La science repose en effet sur une démarche méthodique et rationnelle qui procède à
la fois par induction et par déduction, afin de vérifier des hypothèses. Mais la science est
également un paradigme de pensée, proposant une conception du monde : un monde rationnel,
prévisible, régi par des lois de causalité, que l’on ne peut entièrement expliquer à cause des
limites de notre technique ou de notre intelligence. Ce modèle est précieux dans la mesure où il
permet de dépasser les conflits et les incertitudes auxquelles les croyances peuvent mener. Mais
il peut également devenir dangereux lorsqu’il n’est plus perçu comme un modèle valable parmi
d’autre : ce que sa rigueur et sa démarche lui confèrent de supériorité, la science le perd si elle
oublie de penser et se dispense de réfléchir sur elle-même et ses propres limites.

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