Religion
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Marc-Éric Gruénais •
• IRD, Marseille
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positive à l'égard des structures confessionnelles n'est pas due aussi en partie à une
légitimité accordée a priori.
Nombre de réformes des systèmes de santé en cours dans plusieurs pays africains
semble pouvoir donner l'occasion de réaffirmer encore un peu plus cette légitimité. En
effet, actuellement, dans la réflexion menée sur l'amélioration des systèmes de santé en
Afrique, les instances internationales (Banque mondiale, OMS, Union européenne, etc.)
considèrent que toutes les structures de soins, privées et publiques, quel que soit leur statut,
sont constitutives à part entière des systèmes de santé nationaux. Aujourd'hui, plus que
jamais, le secteur privé bénéficie d'une opinion favorable au regard de la rigueur de sa
gestion, contraint par la nécessité d'assurer lui-même sa pérennité. Les structures de soins
privées amenées à participer aux systèmes de santé nationaux sont alors censées avoir les
mêmes droits et les mêmes devoirs que les structures publiques. Or, s'il semble que les
bailleurs de fonds expriment encore quelques réticences à traiter avec les représentants du
secteur privé lucratif, en revanche, l'offre de soins confessionnelle, qui ressortit au secteur
privé mais non lucratif, fait figure d'instance privée beaucoup plus "présentable". Aussi,
par exemple, invite-t-on volontiers les personnels de santé travaillant dans le secteur privé
confessionnel aux formations organisées dans le cadre de plans nationaux de
développement sanitaire et largement financées par des agences de coopération du Nord.
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religieuses - des praticiens et des "croyants" (euthanasie, contraception, avortement,
thérapies géniques, etc.). Enfin, s'il était besoin de donner une légitimité sociologique à
cette interrogation sur le lien entre religion et médecine, on pourrait évoquer les
développements de E. Freidson faisant du médecin une figure emblématique de
"l'entrepreneur de morale", s'adressant à des "profanes", et établissant à cet égard un
parallèle entre le médecin et le leader chrétien 1. Une des questions qui se pose est de
savoir notamment si les parallèles ainsi établies relèvent de la métaphore ou s'il existe une
relation véritablement consubstantielle entre certaines valeurs qui viennent informer les
pratiques médicales et les pratiques religieuses.
1 E. Freidson. La profession médicale. Paris. Payot, 1984 (pour la version anglaise. 1972).
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patients hospitalisés ne reçoivent pas régulièrement leur traitement et leur état n'est pas
surveillé par le personnel paramédical; ceux qui arrivent nouvellement dans le service sont
ignorés; lorsqu'une perfusion doit être enlevée, c'est le garde-malade qui est chargé de
retirer lui-même l'aiguille. Des malades sont refoulés à l'entrée de l'hôpital ou à l'accueil,
pour la simple raison qu'ils n'ont pas leur carte de malade sur eux. Un commerce parallèle
de médicaments ... se développerait depuis longtemps au sein de l'établissement. .. les
règles de base en matière de salubrité ne sont pas respectées ... " 2. Aussi, il existe des
centres confessionnels qui délivrent des soins de mauvaise qualité ou, si l'on préfère une
autre formulation, il ne suffit pas qu'une structure de soins appartienne au secteur
confessionnel pour que les services délivrés soient de bonne qualité 3.
~ M. Nkoa Steinmetz, Aspects organisationnels des hôpitaux et élémeius de gestion des ressources humaines.
Étude comparée du secteur public et du secteur privé confessionnel au Cameroun, Mémoire pour l'obtention
de la maîtrise en sciences sociales, Yaoundé, Université catholique d'Afrique centrale, juillet 2000 : 72.
) Bien plus, comme j'ai pu le montrer à propos du sida, se référer à des valeurs religieuses chrétiennes, certes
dans le cadre d'églises de type prophétique ou néo-traditionnelles, peut participer à une dynamique
d'exclusion des patients (Cf. M.E. Gruénais, "La religion j:réserve-t-elle du sida ?", Cahiers d'Études
Africaines, 154, XXXIX (2), 1999 :253-270.
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l'ensemble des activités prévues dans le paquet minimum d'activités du fait d'un personnel
insuffisamment qualifié, le personnel de ces structures étant formé par une école de soins
infirmiers privée confessionnelle et non par l'enseignement public. Plus précisément,
certains de ces centres de santé qui, pourtant, proposaient des consultations prénatales
n'étaient pas censés réaliser des accouchements faute d'infirmier accoucheur, et cela
contrairement aux recommandations de la politique nationale de santé. En d'autres termes,
il était entendu que les femmes enceintes relevant de ce type de centres de santé,
régulièrement suivies, conseillées et informées sur les risques (ou l'absence de risques) liés
à leur grossesse accouchaient à domicile. Sans vouloir ici aborder des questions d'éthique,
on peut néanmoins se demander si effectuer une bonne surveillance prénatale mais laisser
les femmes accoucher correspond à une offre de soins de qualité.
Il faut également préciser que cette offre de soins confessionnelle bénéficie d'une
très grande légitimité auprès des élites africaines. En effet, nombre de cadres, de directeurs
de l'administration, voire d'hommes politiques actuellement en fonction ont été formés
dans des établissements confessionnels. Il en est d'ailleurs souvent de même des
personnels de santé de tout statut. Les cadres faisant partie de l'administration centrale
envisagent en général plutôt favorablement toutes les activités du secteur confessionnel. Ils
ne voient par exemple aucun inconvénient à la présence de personnels religieux dans les
structures de soins publiques, d'autant moins que ces personnels religieux sont bénévoles
ou du moins n'émargent pas au budget de l'État; ces personnels religieux, comme j'ai pu
le constater à plusieurs reprises, sont parfois reconnus comme "majors" de la structure de
soins et supervisent alors l'activité des personnels de la fonction publique, avec
l'assentiment des administrations centrales de la santé. Ainsi, des cadres de
l'administration centrale pourraient être particulièrement bienveillants à l'égard de toute
entreprise religieuse en raison de leur atavisme chrétien.
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L'offre de soins confessionnelle bénéficie ainsi d'une légitimité endogène, si l'on
peut dire, mais aussi exogène. En effet, les partenaires du Nord les plus influents,
représentants d'agences de coopération bilatérale et multilatérale, acteurs directs (en tant
qu'assistants techniques en charge d'un projet spécifique) ou indirects (agissant
uniquement comme bailleurs de fonds) des projets de développement, sont en général
surtout de culture chrétienne. Ils peuvent souvent se montrer eux aussi plutôt favorables à
appuyer les initiatives de développement liées à une église chrétienne en Afrique, et il ne
faut sans doute pas minimiser la puissance des réseaux chrétiens dans l'aide au
développement. Quelques exemples. L.P. Aujoulat, qui participa au gouvernement de la IV
ème république comme Secrétaire d'Etat à la France d'Outre Mer, fut le fondateur de
l'Association de laïcs universitaires et chrétiens et missionnaires (Adlucem) qui œuvra
beaucoup pour le développement sanitaire au Cameroun. Au sein du conseil
d'administration d'une fondation qui soutient une importante action sanitaire, éducative et
de développement agricole au nord du Cameroun siégeait des grands commis de l'État
français, dont un ancien patron d'EDF qui fut également ministre en son temps. La
Coopération française semble parfois particulièrement bien attentionnée à l'égard de
demandes émanant d'institutions catholiques. En Centrafrique, la Coopération allemande
appuie une institution dont les activités sont essentiellement tournées vers les jeunes et en
particulier vers des activités de prévention ~ ou encore, c'est une église catholique
japonaise qui affecte un médecin et offre tout le soutien logistique à un centre de prise en
charge des personnes infectées par le VIH. Les exemples pourraient être multipliés à
l'envi. Ce constat amène à poser de nouveau la question, difficile à trancher, de savoir si
certaines structures, plus ou moins liées à une Église, bénéficient d'une aide importante
parce qu'une évaluation a permis d'attester que leurs personnels manifestent une plus
grande probité effective, une meilleure utilisation des fonds, et une meilleure technicité,
ou, si, parce que ces structures manifestent un lien avec une Église, elles bénéficient a
priori d'un jugement positif qui favorise l'aide. Étant donné la très forte légitimité
endogène et exogène des institutions chrétiennes, le sens critique à l'égard de l'offre de
soins confessionnelle n'est-il pas quelque fois moins aigu, par exemple lorsque cette offre
de soins ne se conforment pas aux directives nationales, qu'à l'égard des structures
publiques en Afrique?
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prévention ou de soins de santé primaire recommandées par la suite par l'OMS 4. Il est vrai
que former des agents de santé villageois, ainsi que des tradipraticiens et des accoucheuses
traditionnelles, parfois recrutés prioritairement parmi les catéchistes ou les membres de la
chorale de l'église, caractérisa aussi parfois l'action sanitaire missionnaire. Sans doute,
dans certains endroits, l' œuvre de santé chrétienne a-t-elle contribué, et parfois continue de
contribuer, à former "sur le tas", des auxiliaires de santé, des "leaders de la communauté",
des tradipraticiens et autres accoucheuses dites traditionnelles, soit des acteurs non
professionnels de la santé, dont l'action réelle est impossible à évaluer, et qui n'ont guère à
rendre des comptes (au sens de accountability). Rappelons qu'aujourd'hui cette stratégie
d'identification et de formation de "spécialistes" de la santé issue de la "communauté" est
largement remise en question.
Dès lors, tout naturellement, lorsqu'une action de santé, aussi technique semble-t-
elle, s'opère dans un cadre lié au secteur confessionnel, des valeurs caractéristiques de
l' acti vité religieuse ne sont jamais très loin. Parfois, les valeurs religieuses peuvent primer
sur les compétences techniques et les évidences médicales. Par exemple, dans le domaine
du recrutement des personnels et de l'organisation du travail, "Les critères de sélection
apparaissent plus proches de la doctrine chrétienne que d'une stratégie de l'emploi en
adéquation avec les contingences auxquelles l' hôpital doit faire face ... ", comme l'illustre
le cas d'une personne dans une structure protestante camerounaise, proche de la retraite,
"choisie pour ses qualités humaines et son engagement dans l'Église. Son rôle [était]
d'encadrer le personnel et d'assurer la discipline mais au-delà de cette mission très
4 On en trouvera quelques illustrations dans J. Pirotte & H. Derroitte (eds.), Churches and Health Care in the
Third World. Pastand Present, Leiden, EJ. Brill, 1991.
5Cf., par exemple, T.O. Ranger, "Godly medicine : the ambiguities of medical mission in South East
Tanzania", Social Science and Medicine, 15 B, 1981 : 261-277.
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générale, elle ne [connaissait] précisément ni ses attributions, ni ses pouvoirs" 6. On peut
aussi évidemment citer le refus de certains centres de santé confessionnels de mettre en
œuvre des aspects des programmes de planning familial reconnus nationalement et
internationalement, opposant par exemple à l'usage des contraceptifs chimiques, les
méthodes "naturelles" d'espacement des naissances.
S Cf. G. ter Haar, L'Afrique et le monde des esprits, Paris, Karthala, 1996.
9 Cf. par exemple, E. de Rosny, L'Afrique des guérisons, Paris, Karthala, 1992.
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contexte général favorable aux "guérisons spirituelles" dessiné tant par les Églises
historiques que par les "nouveaux mouvements" religieux, et on peut se demander dans
quelle mesure ce contexte n'est pas particulièrement propice à répondre à certaines attentes
de populations sans doute alors aussi attirées par la religiosité émanant des structures
confessionnelles.
La question de savoir si les valeurs que l'on souhaiterait voir informer les pratiques
des personnels de santé en général, et qui semblent souvent particulièrement absentes de
l'offre publique, sont affirmées grâce à l'adhésion à certaines valeurs religieuses reste
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entière. De même que la question des raisons de l'attirance particulière des populations
pour l'offre de soins confessionnelle: est-ce toujours parce que la qualité technique des
prestations est meilleure ou parfois, à qualité égale avec une offre publique, la religiosité
de l'offre confessionnelle constitue-t-elle un atout important pour les usagers des structures
de soins?
Ces propos trop rapides n'avaient d'autre but que de souligner combien une
interrogation sur la qualité de l'offre de soins confessionnelle, et sur les valeurs qui
semblent la caractériser, doit aussi inviter à s'interroger sur les raisons de l'existence ou
non de ces mêmes valeurs dans les structures publiques. Cependant, un tel questionnement,
et c'est là le second point que je voulais souligner, ne doit certainement pas se concentrer
sur les seules valeurs (religieuses, de compassion, de dévouement, etc.) mais aussi prendre
toute la mesure des effets du système (financement, importance de l'aide, globalité du
projet, etc.) sur l'amélioration de la qualité des soins, que la structure soit confessionnelle
ou laïque.
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Institut de recherche
pour le développement
Réseau
Anthropologie de la santé
Bulletin n° 2
Juin 2001
• Editorial, par Yveline Diallo, Marc-Eric Gruénais, Yannick Jaffré et Jean-Pierre Olivier
de Sardan p. 5
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