RFG 156 0203
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Illustrations logistiques
Hervé Fenneteau, Gérald Naro
Dans Revue française de gestion 2005/3 (no 156), pages 203 à 219
Éditions Lavoisier
ISSN 0338-4551
DOI 10.3166/rfg.156.203-219
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Contrôle
et confiance
dans l’entreprise virtuelle
Illustrations logistiques
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L
es grandes entreprises ont poursuivi ou intensifié
exemple d’entreprise
virtuelle dans laquelle
l’externalisation de leurs activités dans la période
plusieurs organisations sont récente. Ce processus ne s’applique pas seule-
aujourd’hui étroitement ment à la production et aux services traditionnels, il
impliquées dans un même
porte également sur de nouvelles fonctions, notamment
réseau de relations formant
une entité plus vaste qui les le stockage, et s’étend à des opérations de gestion telles
transcende en un tout que la planification des commandes. Certaines firmes
organisé. La qualité des sont allées très loin dans cette voie, donnant naissance à
collaborations qui
ce que l’on nomme des entreprises virtuelles qui pren-
s’instaurent au sein de cette
entité virtuelle apparaît nent la forme d’une constellation d’organisations fonc-
comme un facteur critique tionnant comme une seule et même entité (Aubert et al.,
de son efficacité. Si dans la 1999). Nike, qui sous-traite l’essentiel de sa production,
littérature, comme dans le
sens commun, la thèse d’un
est souvent présenté comme l’exemple même de ce type
antagonisme entre d’entreprise. Il existe de nombreux autres cas, mais les
confiance et contrôle est firmes purement virtuelles sont rares (Aubert et al.,
souvent avancée, les
1999). Le caractère virtuel de l’organisation provient
pratiques actuelles
développées dans la gestion souvent d’une atténuation des frontières à l’intérieur
de la supply chain tendent à d’une chaîne ou d’une constellation d’entreprises. Il
montrer que ces apparaît lorsque plusieurs acteurs juridiquement indé-
expériences de
collaboration conjuguent
pendants concourent à la réalisation d’un même objectif
intimement confiance en instaurant une division du travail spécifique et en
et contrôle.
204 Revue française de gestion
1. Sur la mise en œuvre d’un contrôle formel dans la gestion dynamique des supply chains, voir l’article de
N. Fabbe-Costes dans le présent dossier.
Contrôle et confiance dans l’entreprise virtuelle 205
laquelle il est impossible de s’engager dans peut mettre l’accent sur l’un des deux fac-
la coopération), mais leurs apports ne sont teurs (en renforçant par exemple la
pas totalement identiques. La confiance confiance sans modifier son dispositif de
porte sur des éléments inobservables, les contrôle), elle peut également s’attacher à
motivations du partenaire. Elle incite à pen- développer simultanément la confiance et le
ser qu’il sera disposé à faire spontanément contrôle.
les efforts qui pourraient s’avérer indispen- Poursuivant dans cette voie, Langfield-
sables dans certaines circonstances (notam- Smith et Smith (2003) se sont efforcés
ment en cas de modification imprévue de d’analyser la complémentarité entre
l’environnement). Le contrôle s’applique confiance et contrôle. Ils utilisent la typolo-
principalement à ses actions et aux résultats gie des modes de contrôle de Van der
qui en découlent ; il permet d’exercer une Meer-Kooistra et Vosselman (2000) qui dis-
influence sur le partenaire et fournit des tinguent trois structures fondées respective-
garanties concernant les ressources ou les ment sur le marché, sur la bureaucratie et
compétences qu’il mettra en œuvre. sur la confiance. Langfield-Smith et Smith
Les proportions peuvent être variables, (2003) considèrent que le contrôle fondé
mais l’un et l’autre doivent être présents, le sur la confiance est adapté aux échanges
contrôle ne pouvant pas fournir tout ce dans lesquels les tâches ne sont pas pro-
qu’apporte la confiance, et inversement. grammables et les résultats difficilement
Différentes combinaisons peuvent être mesurables. Cela correspond à des transac-
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les situations, qui ne sont pas rares, dans l’affirmative. Ces auteurs considèrent que
lesquelles la confiance et le contrôle varient les échanges peuvent être régis par trois
de manière inversement proportionnelle. mécanismes de contrôle : le prix, l’autorité
Dans sa variante la plus radicale, elle pose et la confiance. La notion de contrôle à
cependant problème car il est difficile d’ad- laquelle ils se réfèrent est très large : elle
mettre que l’un de ces éléments puisse se désigne les modes de coordination qui per-
substituer à l’autre en l’excluant totalement. mettent de réguler les interactions entre les
Reed (2001) souligne à juste titre qu’il acteurs. Lorsque l’on adopte cette
n’existe ni confiance parfaite ni contrôle approche, la confiance peut être considérée
total, aucun des deux phénomènes n’étant comme un facteur de coordination dans la
totalement absent dans les relations entre mesure où elle permet de maîtriser l’incer-
entreprises. Les partisans de la thèse oppo- titude qui s’attache au comportement des
sée ont ouvert la voie à des analyses fruc- autres acteurs et autorise à entreprendre des
tueuses qui permettent d’appréhender les actions avec eux. Mais cette approche est
formes complexes de coordination que l’on trop large. Pour appréhender les relations
rencontre dans certaines entreprises vir- entre confiance et contrôle dans les entre-
tuelles, avec la présence simultanée d’une prises virtuelles, il convient d’adopter une
confiance importante et de dispositifs de définition plus précise de la notion de
contrôle étendus. contrôle.
Plusieurs problèmes subsistent cependant. En sciences de gestion, le contrôle est l’en-
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tion que l’on entretient avec lui. Cela Le second effet direct résulte de la nature de
conduit à étudier les effets de la confiance. la confiance, qui est un phénomène dyna-
L’entreprise peut-elle exercer une influence mique dans lequel la réciprocité joue un
directe sur un partenaire en lui accordant sa rôle important. La confiance que A accorde
confiance ? Das et Teng (1998) affirment à B tend à inciter B à se montrer également
que cela est impossible. Ces auteurs adop- confiant (ce qui a pour effet, en retour, de
tent une définition étroite de la confiance et conforter A dans son sentiment). Cela s’ex-
considèrent qu’elle correspond simplement plique de plusieurs manières. Il y a d’abord
à une perception favorable des motivations une logique de don et de contre-don : l’ac-
du partenaire. Cette perception étant un état ceptation de la confiance appelle un don de
psychologique interne inaccessible pour même nature. Il y a également le fait que la
autrui, ils en concluent que la confiance ne confiance accordée au partenaire ne peut
constitue pas un mécanisme de contrôle. être maintenue que si elle suscite une atti-
Cela est restrictif, car la confiance peut être tude analogue de la part de ce dernier (la
affichée et le comportement confiant adopté divulgation d’informations confidentielles
par une entreprise est perceptible par le par- de nature logistique, par exemple, ne peut
tenaire concerné. Cet affichage et ce com- se poursuivre que si le partenaire commu-
portement peuvent exercer des effets directs nique également des données de ce type).
sur le partenaire. Lorsque cette dynamique fonctionne, le fait
Le premier effet direct est lié aux obligations d’adopter un comportement confiant vis-à-
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dach et Eccles, 1989, Van der Meer-Koois- deux parties, avec la création d’un référen-
tra et Vosselman, 2000 ; Langfield-Smith et tiel commun et l’adoption de normes parta-
Smith, 2003 ; Dekker, 2004). Cela trans- gées qui confortent le contrôle social (Das
paraît lorsqu’ils fournissent des indications et Teng, 2001). La confiance est bien liée au
sur ce qui constitue le véritable fondement dispositif de contrôle social qui assure la
du contrôle dans les dispositifs où la cohésion des couples client-fournisseur
confiance est présentée comme étant l’élé- successifs dans une chaîne logistique multi-
ment central. Bradach et Eccles (1989, acteur ; elle facilite l’instauration de ce type
p. 110) indiquent que c’est « le contexte de contrôle et se trouve renforcée par sa
social tel qu’il se manifeste dans la mise en œuvre, mais elle ne constitue pas
confiance qui constitue un […] mécanisme l’élément actif du dispositif. Dans la
de contrôle ». Van der Meer-Kooistra et logique du contrôle social, il ne s’agit pas
Vosselman (2000) précisent quant à eux que tant d’influencer le partenaire que de créer
les mécanismes utilisés dans le mode de les conditions pour que celui-ci oriente de
contrôle fondé sur la confiance sont orien- lui-même son action dans la bonne direc-
tés vers les processus et fondés sur la cul- tion. Cet effet particulier qui est recherché
ture. Les relations entre ces deux concepts alors n’est pas imputable à la confiance. Ce
(confiance et contrôle social) sont com- sont les normes et les valeurs partagées,
plexes. Das et Teng (1988) notent que les ainsi que la culture commune, qui amènent
mécanismes de contrôle social et le proces- le partenaire à s’autocontrôler et non pas la
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loppent dans un climat de confiance qui sti- logies, élaboration de procédures de travail,
mule l’innovation au sein de chacune des etc.).
chaînes logistiques multi-acteurs. Leifer et Mills (1996) ont étudié ce phéno-
Il convient également de tenir compte des mène dans un contexte intra-organisation-
pertes de contrôle engendrées par certaines nel, mais certains éléments de leur analyse
initiatives destinées à développer la peuvent s’appliquer à l’entreprise virtuelle.
confiance pour bénéficier des avantages Il apparaît notamment que le surcroît d’au-
qu’elle procure. La confiance ne se décrète tonomie accordé au partenaire, bien qu’il
pas, et différentes conditions doivent être soit potentiellement avantageux, constitue
réunies pour qu’elle puisse émerger une perte de contrôle que l’entreprise va,
(convergence d’intérêts, similarité des dans un premier temps tout au moins, être
valeurs, etc.). Certaines entreprises cher- tentée de compenser par l’instauration de
chent cependant activement à nouer des nouveaux contrôles. Ces contrôles ne peu-
relations de confiance avec leurs partenaires vent pas s’appliquer aux comportements du
et à renforcer celles-ci lorsqu’elles sont ins- partenaire car cela serait contradictoire avec
taurées. La confiance présente trois avan- la volonté de lui laisser plus d’autonomie.
tages fondamentaux dont ces firmes s’effor- Ils peuvent porter sur les résultats, mais
cent de bénéficier : cela est difficile lorsque l’activité déléguée
– elle permet tout d’abord de limiter les au partenaire est caractérisée par des aléas
risques inhérents à l’échange en les rame- importants et des ambiguïtés qui limitent la
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pair avec le renforcement des liens sociaux Quand la confiance parvient à un stade
et du contrôle informel qui en découle. ultime, elle devient inconditionnelle. Ce
La prise en compte du temps constitue par stade n’est pas souvent atteint (dans de
ailleurs un élément décisif lorsque l’on nombreux cas, la confiance se maintient à
cherche à comprendre comment la un niveau intermédiaire et reste condition-
confiance et le contrôle s’articulent. La plu- nelle, son renouvellement étant fonction
part des auteurs s’accordent pour considé- des résultats obtenus). Lorsque la confiance
rer que la confiance se construit progressi- devient inconditionnelle, il n’y a plus de
vement. Certains chercheurs mettent surveillance directe du partenaire, mais le
l’accent sur la nécessité de distinguer deux contrôle ne disparaît pas totalement. Achrol
étapes (Tomkins, 2001 ; Dekker, 2004). (1997) a analysé cela en montrant que la
Dans les premiers temps, la confiance est confiance repose sur un acte de foi, mais
généralement imparfaite : l’entreprise se fie s’accompagne de la volonté de ne pas être
à son partenaire et accepte d’être vulnérable aveugle. Quand la confiance est incondi-
en s’en remettant à lui pour certaines opéra- tionnelle, cet auteur souligne que le
tions, mais elle est attentive aux consé- contrôle tend à prendre la forme d’un sys-
quences de ce choix et surveille le parte- tème autorégulé fondé sur des normes qui
naire. Selon Tomkins (2001), la relation favorisent la transparence, avec des
entre la confiance et le contrôle est positive échanges d’informations spontanés portant
à ce stade. Lorsque la confiance se déve- sur tous les aspects de la relation (y compris
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