« GESTION DURABLE DES TERRITOIRES, DÉVELOPPEMENT LOCAL ET

SOLIDAIRE : REGARDS CROISÉS »

Compte rendu de colloque (Tizi Ouzou, Algérie, 28-29 octobre 2007)

Bernard Pecqueur

EDP Sciences | « Natures Sciences Sociétés »

2009/3 Vol. 17 | pages 299 à 301

ISSN 1240-1307
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2009-3-page-299.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.188.53.194 - 06/02/2020 09:00 - © EDP Sciences

Distribution électronique Cairn.info pour EDP Sciences.
© EDP Sciences. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
Natures Sciences Sociétés 17, 299-301
(2009) Disponible en ligne sur :
© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2009
DOI: 10.1051/nss/2009049
www.nss-journal.org Nature
s
S ciences
S ociétés

Vie scientifique
« Gestion durable des territoires, développement local
et solidaire : regards croisés »
Compte rendu de colloque (Tizi Ouzou, Algérie, 28-29 octobre 2007)

Bernard Pecqueur
Économiste et aménageur, UMR5194 PACTE, Université Joseph-Fourier (Grenoble 1)/CNRS, Institut de géographie alpine,
Cité des Territoires, 14 bis avenue Marie-Reynoard, 38100 Grenoble, France

L’initiative de ce colloque international revient à conceptions de la science régionale2 en parlant de

Malika Ahmed Zaid-Chertouk (économiste, Université dévelop- pement local, puis territorial. L’idée de
Mouloud Mammeri, Tizi Ouzou) et à Josiane Stoessel- territoire émerge aujourd’hui dans la littérature anglo-
Ritz (sociologue, Université de Haute-Alsace, saxonne, mais elle s’est élaborée, au départ, dans le
Mulhouse). Il s’agit d’une réflexion d’étape qui fait creuset des analyses des districts industriels italiens et
suite à une colla- boration déjà ancienne entre les deux des systèmes productifs locaux à la française3.
universités et les équipes de ces deux chercheuses. L’approche territoriale a donc assez profondément fait
Cette rencontre a ras- semblé 46 intervenants évoluer la notion de développement, en définissant non
originaires d’Algérie, du Maroc, de Tunisie et de seulement de nouveaux espaces de vie et d’action, mais
France. aussi de nouveaux modes d’organisation des acteurs (et,
ainsi, de nouvelles gouvernances). Elle a créé de la sorte
un franc décalage avec le modèle structu- rant des
Les enjeux du colloque démocraties occidentales depuis le XIXe siècle : l’État-
nation.
En premier lieu, le colloque avait pour ambition de Parler de « gestion durable des territoires » implique
croiser les regards de plusieurs disciplines des sciences que cette gestion peut être qualifiée de durable, ou non.
humaines et sociales (géographie, économie, ethno- En effet, la combinaison du durable et du territorial ne
logie, sociologie...). Cette approche a été indéniable- va pas de soi. De plus en plus fréquemment, pourtant,
ment l’un des attraits et l’une des originalités de cette on observe une assimilation des deux termes, une
manifestation. confusion entretenue ou un flou artistique autour de
Le second enjeu portait sur le fond, dans leur sens mutuel. Ce n’est pas le moindre mérite du
l’articulation de trois notions : territoire, durabilité et colloque d’avoir rappelé que la « durabilité » est une
solidarité, qui ont longtemps poursuivi des trajectoires notion issue de la recherche de solutions à des
parallèles. Souli- gnons ici que l’utilisation du terme « questions environnementales qui, même si elles ont,
territoire » fait une référence explicite aux travaux des du fait de leur accumulation,
géographes1, qui l’ont adopté voilà déjà quelques
années, et aux travaux plus récents des économistes,
2
qui ont fait évoluer les vieilles On mesurera l’évolution de la science régionale de langue
française en découvrant la Revue d’économie régionale et urbaine,
qui, depuis plus de quarante ans, teste et construit cette
problé- matique.
Auteur correspondant : [email protected] 3
1 Sur l’ensemble de ces questions, la première synthèse d’en-
Pour comprendre la complexité du maniement de la notion
vergure en langue française, avec les apports italiens et amé-
de territoire, on pourra se référer aux huit définitions
ricains notamment, a été l’ouvrage dirigé par G. Benko et A.
différentes qui en sont données dans l’ouvrage de J. Levy et
Lipietz, Les Régions qui gagnent, Paris, PUF, 1992. Le sous-titre,
M. Lussault, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des
Districts et réseaux, les nouveaux paradigmes de la géographie
sociétés, Paris, Belin, 2003, p. 907.
écono- mique, est particulièrement évocateur du propos.
Article published by EDP Sciences and available at http://www.nss-journal.org or http://dx.doi.org/10.1051/nss/2009049

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.188.53.194 - 06/02/2020 09:00 - © EDP Sciences

300 B. Pecqueur : Natures Sciences Sociétés 17, 299-301 (2009)

une dimension macroéconomique, ont généralement nouveau au territoire, que les universitaires du
une origine très locale. Il a par ailleurs également Maghreb, en particulier, peuvent saisir et s’approprier.
rappelé qu’il est possible de gérer les dynamiques
territoriales émergentes sans aucun souci de protection
des ressources. La gestion durable des territoires Les grands thèmes du colloque
résulte donc d’une volonté politique et
organisationnelle.
On retrouve donc, dans le déroulement des sessions,
Enfin, aux questions de territoire et de durabilité,
des « mises à l’épreuve » du triptyque territoire-
s’ajoute celle de la solidarité. Ce terme renvoie à la pro-
durabilité- solidarité que nous classerons en trois
blématique globale de l’économie sociale et solidaire,
catégories.
qui associe le vieux fond gidien4 à ses déclinaisons
modernes en termes d’alternative mondialiste et de L’action publique locale
désir démocra- tique. Cette greffe produit un objet : le
développement territorial, durable et solidaire, qui se
Elle est la première traduction de la construction
caractérise par son caractère énigmatique et son
d’un territoire en tant que territoire au développement
hétérogénéité et qui fonc- tionne comme un idéal type,
durable et solidaire. On assiste en effet à un
un modèle souhaité, mais non réalisé, du
renouvellement pro- fond de l’action publique locale,
développement contemporain.
tant dans les pays du Sud que dans ceux du Nord (ce
Le troisième enjeu était d’introduire une différencia-
point est particulièrement frappant dans la
tion Nord/Sud. En effet, la plupart des interrogations
comparaison Maghreb/France). On ne peut plus, en
actuelles sur le triptyque territoire-durabilité-solidarité
effet, assimiler les politiques publiques à la seule
(et sans doute aussi démocratie) concernent les
action de l’État. Ce dernier, soit déjà faible ou en recul,
économies développées, considérant implicitement,
délègue les actions locales, voire plus profondé- ment
pour le dire vite, que la durabilité et la démocratie sont
les gouvernances locales, à des institutions décen-
des affaires de riches. Disons fermement et clairement
tralisées. Cela conduit à l’émergence de nouvelles
ici qu’un développement territorial, à la fois durable
formes locales de régulation, encore peu étudiées. De
et solidaire, constitue tout autant une problématique
nombreuses contributions (notamment celles de A.
pour nations en émergence.
Zaid-Chertouk et des membres de son équipe) ont ainsi
Enfin, le quatrième enjeu du colloque était de porté sur les sys- tèmes décentralisés et les politiques
convaincre l’auditoire que l’entrée en jeu de la notion « citoyennes » qui impliquent une nouvelle figure, celle
de territoire marquait un tournant dans l’histoire de de l’usager (laquelle supplante celle du salarié, qui
la mondialisation. Ce fut, en particulier, le thème de

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.188.53.194 - 06/02/2020 09:00 - © EDP Sciences

dominait durant la pé- riode fordiste). Les
la conférence inaugurale de B. Pecqueur (économiste, communications ont aussi examiné les pratiques
Université Grenoble 1). Les contributions du colloque, quotidiennes de l’action publique locale (construction
notamment celles émanant de collègues algériens, ont des territoires ruraux en Algérie, projet fer- roviaire au
bien fait apparaître que l’histoire compte et que Maroc, santé publique et durabilité en Kabylie, gestion
l’Algérie d’aujourd’hui n’en est plus aux « industries des déchets urbains à Ouagadougou, question des
industriali- santes » de Gérard de Bernis5 ou aux pôles transports, etc.). Il ressort de ces exemples que la
de croissance de François Perroux6. Ce ne sont pas là variable durabilité et, dans une moindre mesure, celle
des critiques, dans la mesure où ces réflexions, qui ont de solidarité s’invitent dans la gestion publique des
nourri le modèle algérien, ont sans doute concouru à le territoires, même quand on pourrait penser que les
faire prospérer en son temps. Mais le fait est politiques économiques ont d’autres priorités.
qu’aujourd’hui, tant au Nord qu’au Sud, la nécessité de
différenciation des économies face à l’exacerbation des Les territoires comme gisement de
concurrences produit un rapport ressources solidaires pour un développement
durable
4
On se réfère ici à Charles Gide (1847-1932), économiste, qui
a été un dirigeant historique du mouvement coopératif en
Il s’agissait d’une des problématiques cruciales du
France et qui est considéré comme le théoricien fondateur de col- loque. Plus que le développement quantitatif
l’économie sociale. (exprimable en points de PIB), c’est la question du
5
G. de Bernis, économiste grenoblois contemporain, a été vivre-ensemble qui a été abordée. Dans ce cas, la
l’un des principaux initiateurs du modèle de développement solidarité prend le pas sur les performances
économique que la jeune République algérienne a tenté de économiques dans les dynamiques économiques
mettre en place pour valoriser au mieux les revenus du territoriales. C’est ce dont a témoigné la com-
pétrole et pour instaurer un développement industriel moins
munication de J. Stoessel-Ritz, « Dynamiques de
dépendant.
6 dévelop- pement local et solidaire et vivre ensemble en
F. Perroux (1903-1987) est le concepteur de la notion d’es-
pace polarisé. Théoricien d’un développement économique Kabylie », qui aurait pu servir de titre au colloque. Par
humaniste (« le développement de tout l’homme »), il sera à ailleurs, la res- source territoriale consiste aussi à
l’origine des notions de « pôles de croissance » et d’« effets mobiliser le patrimoine culturel, le « génie des lieux »,
d’en- traînement », qui constituent des bases du modèle pour rendre lisible l’identité du territoire et pour que les
algérien de développement. habitants-acteurs puissent se
 B. Pecqueur : Natures Sciences Sociétés 17, 299-301 (2009) 301

l’approprier. Ce thème a été celui de l’intervention localisés, appliqués notamment au Maroc, où la

finale de Marc Grodwohl (ethnologue, Université formule institutionnelle a particulièrement été étudiée
Grenoble 1), et mise à l’essai empiriquement. Ont été abordés les
« Projets de valorisation du patrimoine et types de projets les plus récurrents : gestion de la
développement durable : regards croisés ». Pour lui, la ressource en eau, écotourisme, stratégies migratoires,
vraie nature de la ressource patrimoniale est de « etc. La définition des politiques publiques proprement
nourrir une créativité maintenant épuisée par l’absence territoriales, vues comme des dynamiques de projets,
d’idées, en confrontant les œuvres de deux civilisations a été esquissée et promet de beaux développements.
alliées à la nature : celle à laquelle nous avons tourné Pour conclure, ce colloque, tenu dans une université
irrévocablement le dos sur la terre entière, et celle que et un pays où les choses bougent et se métamorphosent
nous avons envie de construire ». La ressource est vaste, à grande vitesse, mais où les chercheurs souffrent d’un
mais elle est cachée et les modèles de productivité, au certain isolement lié à des moyens précaires, s’est
lieu de la sublimer, la masquent. pourtant situé au cœur des débats sur le
développement territorial, comme grille d’analyse et
Le développement territorial et les projets d’action pour les économies du monde et plus
locaux de développement durable particulièrement pour les nations en développement. Il
apporte une contribution, qui mérite de retenir
Il n’y a pas de développement territorial sans pro- l’attention, au débat qui s’ouvre un peu partout dans le
jets, c’est-à-dire sans projections construites qui ras- monde sur les nouvelles voies postfordistes du
semblent des acteurs. Le colloque est donc revenu sur développement.
les figures construites que sont les systèmes productifs

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.188.53.194 - 06/02/2020 09:00 - © EDP Sciences