THÈMES
LA SECONDE CRISE DE BERLIN : 1958 – 1962
Le blocus de Berlin par les Soviétiques avait donné lieu au premier grand conflit entre les puissances
victorieuses. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France avaient toutefois décidé de ne pas
abandonner Berlin-Ouest et de ravitailler la population en produits de première nécessité par le biais du
pont aérien, qui avait duré jusqu’à l’été 1949. Une décennie à peine plus tard, Berlin est à nouveau le
théâtre d’une crise de la Guerre froide.
L’ULTIMATUM SOVIÉTIQUE DE BERLIN
Le déclencheur de cette nouvelle crise est un ultimatum du chef de l’État soviétique et premier
secrétaire du Parti Nikita S. Khrouchtchev, transmis aux Alliés le 27 novembre 1958. Il y dénonce de
façon unilatérale l’ordre international instauré depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Khrouchtchev donne six mois aux puissances occidentales pour se retirer de Berlin et transformer leurs
secteurs en une ville libre et démilitarisée. Il menace en outre de signer un traité de paix séparé avec la
RDA et de lui transférer les droits de contrôle sur Berlin, y compris ceux sur les voies d’accès. Les
puissances occidentales, qui ne reconnaissent pas l’État est-allemand, y aurait vu une violation du droit
international.
Le chef d’État soviétique garde pour lui ses véritables desseins. Il cherche non seulement à renforcer la
RDA, mais aussi à ébranler la crédibilité du leader occidental, les États-Unis, et par ce biais à diviser
l’alliance de défense atlantique, l’OTAN.
Khrouchtchev et Kennedy, se rencontrent pour le « sommet de Vienne ».
Diplomatie de crise : lors du sommet de Vienne, John F. Kennedy et Nikita Khrouchtchev tentent de
parvenir à un accord politique, 3-4 juin 1961 (NARA/USIA)
LES RÉACTIONS DE L’OUEST ET L’AGGRAVATION DE LA CRISE
Les capitales occidentales sont toutes très divisées sur la réaction à apporter à l’ultimatum. Un seul
point fait l’unanimité : il est hors de question de retirer les troupes de Berlin-Ouest. Les puissances
occidentales tiennent aussi fermement à leur droit de libre accès à la ville. Le président américain John
F. Kennedy réaffirme cette position en juillet 1961 dans ses trois principes ou « Three Essentials ».
La situation est désormais bloquée. Moscou et Washington brandissent tour à tour la menace d’une
guerre. Jusqu’à cette escalade, l’Est et l’Ouest n’ont pas cessé de négocier. Après l’échec de la
conférence des ministres des Affaires étrangères à Genève (1959) et celui du sommet des quatre
puissances à Paris (1960), la crise de Berlin est au point mort lors de la rencontre au sommet américano-
soviétique de Vienne (1961).
FERMER
Le sommet de Vienne est un tournant dans les relations de l’Union soviétique et de la RDA : la crise
économique et étatique en Allemagne de l’Est s’est tellement aggravée que les dirigeants du pays
insistent toujours plus fortement auprès de Moscou pour barricader Berlin-Est. Ils veulent fermer le
dernier passage possible en direction de l’Ouest. Le nombre de personnes fuyant la RDA explosant,
Khrouchtchev autorise en juillet 1961 la construction du mur de Berlin, qu’il avait à l’origine refusée.
L’opération est organisée sous la direction de l’Armée rouge. Le 13 août 1961, les organes de RDA
commencent à déployer des barricades en fil de fer barbelé et à couper du jour au lendemain les artères
vitales de la ville. Les puissances occidentales ne veulent pas s’engager dans une guerre à cause de
Berlin et réagissent prudemment. Parce que la population est en colère et déçue, les États-Unis envoient
rapidement un signe : ils renforcent leur garnison d’une brigade. Parallèlement, le vice-président Lyndon
B. Johnson se rend à Berlin-Ouest. De plus, Kennedy envoie un émissaire spécial, l’ancien gouverneur
militaire Lucius D. Clay. Des patrouilles sont mises en place le long du Mur.
Soldat avec mitrailleuse sur un char de l’US Army dans la Friedrichstraße
Après plusieurs blocages de l’accès à Berlin-Est, l’armée américaine déploie des chars à Checkpoint
Charlie, 26 octobre 1961 (NARA/Sig Div. Charles Bonin)
En octobre 1961, la situation s’exacerbe à Berlin. Le plus haut diplomate américain veut passer
Checkpoint Charlie lorsque des gardes-frontière de RDA exigent son passeport. Sur ordre de Clay, les
chars américains se déploient : le droit allié d’accéder à Berlin-Est sans contrôle de ce genre doit, si
nécessaire, être imposé par la force. Des chars soviétiques se positionnent immédiatement de l’autre
côté.
L’URSS tient visiblement au statut quadripartite de la ville – un signe envoyé à l’Ouest que l’on ne veut
pas laisser s’envenimer le conflit. Les chars se font face 16 heures de rang. Finalement, la «
confrontation des chars » est désamorcée grâce à l’activation de canaux secrets, dont Moscou et
Washington se serviront à nouveau un an plus tard lors de la crise de Cuba.
FERMER
Une patrouille britannique dans un véhicule blindé passe devant la porte de Brandebourg. Au premier
plan, on distingue une clôture de protection de la police de Berlin-Ouest, 20 novembre 1961
(NARA/USIS)
LE RISQUE D’UNE GUERRE NUCLÉAIRE ET LE PLAN D’URGENCE POUR BERLIN-OUEST
La menace d’une guerre nucléaire pèse sur la seconde crise de Berlin. À la fin des années 1950, l’Union
soviétique est devenue une puissance nucléaire, ce qui confère à son ultimatum berlinois un poids
particulier.
Certes, son arsenal nucléaire n’est que partiellement opérationnel. Mais ce qui compte est la force de
l’impact des informations et images des essais atomiques soviétiques diffusées à Paris, Londres et
Washington.
FERMER
Comparé au déploiement de l’Armée rouge et de l’armée populaire nationale (NVA) de RDA, la présence
militaire des puissances occidentales dépasse à peine le seuil du symbolique. Ce déséquilibre des forces
explique l’ordre militaire donné aux garnisons occidentales : tenir contre l’assaillant dans des combats
de rue aussi longtemps qu’il faudra aux gouvernements alliés occidentaux pour décider de réactions
militaires appropriées.
Pour éviter l’escalade sur la question de l’accès des Occidentaux à Berlin, l’OTAN met en place en 1959
l’état-major militaire « Live Oak » (Chêne de vie). Les connexions routières, ferroviaires et aériennes
entre l’Allemagne de l’Ouest et Berlin-Ouest rendent les puissances occidentales particulièrement
vulnérables. C’est bien ce qui avait déclenché la première crise de Berlin en 1948. « Live Oak » ébauche
des scénarios de crise et recommande des mesures de rétorsion, comprenant des sanctions politiques et
économiques, des opérations militaires et même le recours à l’arme nucléaire.
Une résistance se forme au sein de la société ouest-allemande confrontée au risque d’une guerre
nucléaire. La campagne « Non à la mort atomique » et le mouvement des marches pascales remontent à
cette seconde crise de Berlin.
Secteurs d'occupation de Berlin, tracé du Mur et points de passage (1989).
En 1958, les Occidentaux ont fini de mettre en place le système politique, militaire et économique conçu
pour arrimer la RFA à l'Ouest dans des conditions qui lui soient suffisamment favorables pour que le
peuple allemand puisse y adhérer. Du point de vue des Soviétiques, la situation ainsi créée est
acceptable car elle repose pour une bonne part sur une présence militaire américaine forte et durable
en RFA via l'OTAN, qui les garantit contre le rétablissement d'un état allemand ayant toute liberté pour
un jour envisager d'obtenir par tous les moyens sa réunification[22]. Cependant, la montée en puissance
de la RFA et ses ambitions nucléaires affichées finissent par inquiéter Moscou.
Symétriquement, la RDA est devenue un membre à part entière du Bloc de l'Est et son redressement
économique est spectaculaire depuis que Moscou a mis fin à sa politique de réparations de guerre. Mais
les faiblesses économiques et sociales de la RDA, qui requiert un fort soutien permanent, préoccupent
les Soviétiques au plus haut point.
La crainte de la nucléarisation de la RFA
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1957 261 622
1958 204 092
1959 143 917
1960 199 188
1961 207 026
Total 2 738 566
Depuis sa création en 1949, la RDA subit un flot d'émigration croissant vers la RFA, particulièrement à
Berlin. La frontière urbaine est difficilement contrôlable, contrairement aux zones rurales déjà très
surveillées.
Plus de 2,7 millions d'Allemands fuient la RDA par Berlin entre 1949 et 1961, privant le pays d’une main-
d'œuvre indispensable au moment de sa reconstruction et montrant à la face du monde leur faible
adhésion au régime communiste[30]. Émigrer ne pose pas de difficulté majeure car, jusqu’en août 1961,
il suffit de prendre le métro ou le chemin de fer berlinois pour passer d'Est en Ouest[31], ce que font
quotidiennement des Berlinois pour aller travailler. Les Allemands appellent cette migration de la RDA
communiste à la RFA capitaliste : « voter avec ses pieds ». De plus, Berlin-Ouest joue aussi le rôle de
porte vers l'Ouest pour de nombreux Tchèques et Polonais. Comme l'émigration concerne
particulièrement les jeunes actifs, elle pose un problème économique majeur et menace l'existence
même de la RDA.
En outre, environ 50 000 Berlinois sont des travailleurs frontaliers, travaillant à Berlin-Ouest mais
habitant à Berlin-Est ou dans sa banlieue où le coût de la vie et de l'immobilier est plus favorable. Le 4
août 1961, un décret oblige les travailleurs frontaliers à s'enregistrer comme tels et à payer leurs loyers
en Deutsche Mark (monnaie de la RFA). Avant même la construction du Mur, la police de la RDA
surveille intensivement aux points d'accès à Berlin-Ouest ceux qu'elle désigne comme « contrebandiers
» ou « déserteurs de la République ».