Rudolf Carnap Et La Mise À Mort de La Métaphysique Dans Le Monde

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American Journal of Humanities and Social Sciences Research (AJHSSR) 2020

American Journal of Humanities and Social Sciences Research (AJHSSR)


e-ISSN:2378-703X
Volume-4, Issue-10, pp-149-162
www.ajhssr.com
Research Paper Open Access

RUDOLF CARNAP ET LA MISE À MORT DE LA


MÉTAPHYSIQUE DANS LE MONDE
Joseph TEGUEZEM1, Roger MONDOUE2, Bertrand NZOGANG NGUEMEU3
1
(Département de Philosophie, Psychologie, Sociologie, Maître de Conférences-Université de Dschang,
Cameroun
2
(Département de Philosophie, Psychologie, Sociologie, Professeur-Université de Dschang, Cameroun)
3
(Département de Philosophie, Psychologie, Sociologie, Doctorant-Université de Dschang, Cameroun)

Résumé : L’abandon de la métaphysique est la conclusion définitive des critiques respectives de Gottlob
Frege, Bertrand Russell et Ludwig Wittgenstein sur cette discipline qu’ils jugent inapte à la construction du
monde, du fait de la confusion et d’interminables controverses suscitées par ses propositions qui sont totalement
déconnectées des faits empiriques, alors même que l’implémentation de la méthode logico-mathématique, déjà
en vigueur dans les activités scientifiques du Cercle de Vienne, l’aurait, soutient-on, aidé à surmonter ce
manquement. Influencé par ce verdict qui qualifie la métaphysique de savoir obsolète et insensé, Rudolf
Carnap, armé méthodiquement d’une analyse logico-mathématique du langage, passe directement de l’abandon
de la métaphysique à sa mise à mort, conformément au diktat d’un scientisme déclamatoire qui constitue
paradoxalement la religion et l’oxygène du Cercle viennois. Mais l’expertise attentive de la démarche et des
arguments de Carnap met en évidence leurs faiblesses, et établit l’immortalité et le rôle spécifique et nécessaire
de la métaphysique dans tout projet de construction du monde par l’homme et pour l’Homme.
Mots-clés-Analyse logico-mathématique, Critique, Langage, Métaphysique, Mort, Science .
Abstract : The abandonment of metaphysicsis the definitive conclusion of the respective criticisms of Gottlob
Frege, Bertrand Russell and Ludwig Wittgenstein on this discipline whichtheyconsiderunfit for the construction
of the world, because of the confusion and endlesscontroversiesaroused by itsproposalsthat are
totallydisconnectedfromempiricalfacts, even as the implementation of the logical and mathematicalmethod,
already in force in the scientificactivities of the Vienna Circle, Would have helpedit to overcomethisfailure.
Influenced by this verdict, whichdescribesmetaphysics as obsolete and senselessknowledge, Rudolf Carnap,
methodicallyarmedwith a logical and mathematicalanalysis of language, goesdirectlyfrom the abandonment of
metaphysics to itsdeath, in accordance with the diktat of a declamatoryscientismthatparadoxicallyconstitutes the
religion and oxygen of the VienneseCircle. But the careful expertise of Carnap'sapproach and arguments
highlightstheirweaknesses, and establishes the immortality and the specific and necessaryrole of metaphysics in
anyproject of the construction of the world by man and for Man.

KEYWORDS : Logical and mathématicalanalysis, Criticism, Language, Metaphysics, Death, Science.

I. INTRODUCTION
Sous la houlette de Moritz Schlick, la naissance du Cercle de Vienne en 1923 constitue un véritable coup
de massue pour la métaphysique qui, malgré la cohorte des flèches orientées vers elle par des empiristes et des
positivistes instruits par les prouesses scientifiques, a résisté comme un roc dans la tempête. Avec le Cercle de
Vienne, il ne s‟agit plus d‟une simple critique positiviste de cette philosophie spéculative qui, d‟après ses
pourfendeurs, a pris congé du réel pour se confiner dans la méditation rationnelle des choses abstraites ou
divines qui échappent totalement au contrôle du néo-positivisme scientifique qui se veut beaucoup plus incisif
que son prédécesseur doctrinal à savoir le positivisme d‟obédience comtienne. Il ne s‟agit non plus d‟un tribunal
au cours duquel le juge comtien accordera le droit de survie à la métaphysique, à condition qu‟elle accepte
d‟évoluer à la remorque de la science qui délimitera son domaine de réflexion et lui imposera la direction à
suivre. Il est question, pour les fondateurs et animateurs du Cercle de Vienne, d‟un procès sans appel dont le
dessein est de signer définitivement l‟acte de décès d‟une philosophie dont l‟incapacité à apporter des solutions
concrètes aux problèmes de l‟humanité ne fait plus l‟objet d‟aucun doute dans leur esprit. Dans cette optique,
chaque membre ou sympathisant du Cercle a le devoir scientifique de contribuer, que ce soit dans ses propres

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travaux ou dans un travail d‟équipe, à mettre en exécution le plan criminel élaboré de concert avec ses pairs,
contre la métaphysique dont la présence est devenue trop gênante et superfétatoire auprès de la classe néo-
scientifique dominante. C‟est dans cet ordre d‟idées que Rudolf Carnap, cervien de renom, s‟est engagé dans ses
propres efforts intellectuels à éliminer radicalement la métaphysique sur l‟échiquier des savoirs susceptibles de
révolutionner le monde. Face à ce refus total d‟accorder un statut épistémologique à la métaphysique, il se pose
alors un certain nombre de questions : par quel procédé et arguments Carnap entend-il rayer la métaphysique de
la carte des savoirs dont disposent les chercheurs pour booster et incuber le progrès de l‟humanité ? Ce procédé
et arguments sont-ils des générations spontanées ou bien la reprise, à nouveaux frais, des démarches et thèses de
ses proches devanciers (Gottlob Frege, Bertrand Russell, Ludwig Wittgenstein) ? Décidément, la méthode et les
raisons sur lesquelles Carnap s‟appuie pour critiquer la métaphysique sont-elles suffisamment solides pour
assurer sa mise à mort ?
Pour répondre à ces questions, une mise en évidence des détonateurs immédiats de la critique
carnapienne de la métaphysique (I) précédera la saisie de la démarche et des arguments qui sous-tendent un tel
jugement (II). Après quoi, nous évaluerons cette approche et ces arguments, à l‟effet d‟en établir les faiblesses et
de conclure sur le fiasco de Carnap à passer ostensiblement de la déconstruction de la métaphysique à sa mise à
mort (III).

II. GOTTLOB FREGE, BERTRAND RUSSELL,LUDWIG WITTGENSTEIN OU LES


DÉTONATEURS IMMÉDIATS DE LA CRITIQUE CARNAPIENNE DE LA
MÉTAPHYSIQUE
L‟intelligibilité de la critique de l‟auteur d’Ancienne et nouvelle logique(CARNAP : 1933) à l‟égard de la
métaphysique est surdéterminée par les travaux deGottlob Frege, Bertrand Russell et Ludwig Wittgenstein.
Dans la bataille menée par Carnap contre la métaphysique, l‟influence de Frege est perceptible. C‟est à
partir du nouveau paradigme de la logique développé par ce dernier pendant ses cours d‟Iéna contre la logique
traditionnelle, que Carnap s‟est résolu de remettre en cause les énoncés métaphysiques. Selon Frege, en effet, il
faut substituer une nouvelle logique adossée au langage mathématique à une logique classique trop spéculative
et sans véritable ancrage empirique. Traditionnellement, la logique s‟entend soit comme « l‟art de penser, de
juger et de raisonner » (CHENIQUE : 2006), soitcomme « l‟étude de l‟argumentation formellement valide pour
laquelle la vérité des prémisses suffisait à garantir la vérité de [la] conclusion » (MEYER ; 1982 : 10). Le
défaut d‟une telle logique, c‟est qu‟elle se soucie beaucoup plus de la forme du langage que du contenu matériel
de ce dernier. Ce faisant, le risque est grand de tomber dans les spéculations métaphysiques qui n‟ont aucun
rapport avec le réel empirique. Par contre, la logique mathématique vérifie toujours la correspondance entre ses
énoncés et les faits calculables, entre le dire et l‟être : « il me fallut trouver, dit Frege, d‟autres signes pour les
relations logiques […]. C‟est bien là une des différences les plus significatives entre ma conception et celle de
Boole, et j‟ajouterai celle d‟Aristote, que je ne pars pas des concepts mais des jugements. Ce qui ne veut pas dire
que je ne sache pas exprimer le rapport de subordination entre concepts » (FREGE ;1994 : 74). En tant que
point de départ de son investigation logique, les jugements auxquels Frege fait allusion ne sont pas, précise-t-il,
à confondre avec des concepts purs, c‟est-à-dire avec des pensées dépourvues de contenus quantifiables. Il s‟agit
des idées calquées sur les faits empiriques, à l‟effet d‟en garantir l‟objectivité, l‟adéquation entre l‟être et la
pensée, entre le fait et le langage qui l‟exprime. Dans cette optique, Frege pense qu‟il est nécessaire de mettre
sur pied un nouveau langage logique à partir de l‟exploitation rigoureuse des « signes visibles », pour surmonter
l‟abstraction/la subjectivité du langage de la logique traditionnelle. Le « symbolisme idéographique »
(FREGE ;1994 : 50)qu‟il élabore participe de cette nécessité, puisqu‟il consiste à « fixer en signes écrits,
moins labiles que les signes vocaux, la langue d‟usage des mathématiciens » (FREGE ; 1994 :51). Le
symbolisme idéographique assure, pour ainsi dire, l‟infaillibilité du langage logique en le soustrayant des
sonorités creuses et sans béquilles empiriques.
Par-là, Frege ressuscite, faut-il le rappeler, le vieux rêve de Leibniz (BLANCHÉ ; 1970 : 201)qui
consistait à produire un répertoire des symboles mathématiques dont l‟utilisation judicieuse assurerait la
perfection du langage et lui conférerait un caractère universel, plus consensuel et moins controversé, au-delà des
particularités linguistiques traditionnelles propres à chaque aire culturelle ou à chaque discipline. La
mathématisation rêvée et tous azimuts du langage devrait donner, espéraient Leibniz et ses laudateurs, aux
propositions scientifiques et philosophiques plus de rigueur, de précision et d‟adhésion à leurs démarches et
résultats respectifs. Dans cette perspective, le logos scientifique serait, du fait de son onction mathématique, plus
apte à « examiner de la manière la plus sûre la force concluante d‟une chaîne de déductions et dénoncer chaque
hypothèse qui veut s‟insinuer de façon inaperçue, afin que finalement sa provenance puisse être recherchée »
(FREGE ; 1999 : 6). Le logos scientifique aurait donc pour mission de passer au crible toutes les propositions
scientifiques et logiques, aux fins d‟en distinguer les vraies des fausses, de confronter chaque proposition avec
les règles établies, pour assurer le respect mécanique de ces dernières et, finalement, de contrôler la cohérence
interne entre les prémisses et la conclusion de chaque proposition. Le projet idéographique empêchera que les

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jugements soient acceptés au hasard ou par pure subjectivité dans les raisonnements scientifiques, ce sera le
triomphe de l‟objectivité sur les prénotions, de l‟intuition sensible sur l‟intuition intellectuelle, du permanent sur
le contingent et de l‟universel sur le particulier. Aussi ce projet permettra-t-il d‟éradiquer toutes les ambiguïtés
éventuelles dans le domaine logico-scientifique, au profit des raisonnements clairs et évidents qui résisteraient
au doute et au scepticisme. Selon Michel Meyer, l‟idéographie est un projet ambitieux qui voudrait s‟appliquer,
sans exception, à tous les langages, fussent-ils philosophiques, littéraires, etc. : « pour parvenir à réaliser,
affirme-t-il, cette ambition qui ne se réduit pas à mathématiser le langage général, mais qui consiste à donner
des conditions de formalisation applicables, entre autres langages, aux mathématiques, il est nécessaire de
mettre sur pied un langage formel, une Idéographie qui supplée aux informations fournies par le contexte au
niveau du langage parlé, et qui ne laisse place à aucune ambiguïté possible »( BLANCHÉ; 1970 : 14).
L‟approche idéographique des langues serait, on le voit, le moyen le plus efficace pour remédier aux
faiblesses et aux ambigüités relatives au langage classique de la philosophie et de la science. Le bon scientifique
ou le meilleur philosophe serait celui qui aura adossé son raisonnement au langage logico-mathématique ; faute
de quoi, il ne produira que des savoirs gangrenés par l‟abstraction, la déraison, l‟erreur et l‟imperfection. Sur ce,
Frege a la conviction que « les sciences abstraites ont besoin […] d‟un moyen d‟expression qui permette à la
fois de prévenir les erreurs d‟interprétation et d‟empêcher les fautes de raisonnement. Les unes et les autres ont
leur cause dans l‟imperfection du langage »(FREGE ; 1994 : 63).
Au regard de ce qui précède, Carnap aura beaucoup appris de son maître Frege. La logique
mathématique dont son maître est le promoteur sera décisive dans sa passionnante critique de la vacuité des
énoncées métaphysiques. Il considère d‟ailleurs les leçons de ce dernier comme l‟une des choses qui ont orienté
le choix de ses propres axes philosophiques : « Je crois, précise-t-il, qu‟il faut situer [chez Frege] la source de
mes premiers intérêts philosophiques - d‟un côté la syntaxe logique, de l‟autre, cette partie de la sémantique qui
peut être considérée comme une théorie de la signification » (Carnap ; 1963 : 13). Aussi serions-nous injustes de
ne pas compter Bertrand Russell parmi ceux qui ont orienté Carnap vers la déconstruction mortelle de la
métaphysique.
La responsabilité de Russell dans la programmation carnapienne de la mort de la métaphysique n‟est pas
des moindres. Une incursion dans les méandres de sa philosophie le confirme. La critique phénoménaliste que
Russell inflige à l‟idéalisme néo-hégélien est assez révélatrice de son influence sur Carnap. « Nos investigations
partent de ce que l‟on peut appeler des "données" par quoi j‟entends des matériaux "de " connaissance
commune, mais entraînant de quelque manière notre assentiment » (RUSSELL ; 1971 : 80). Par cette
affirmation, Russell remet en cause toutes les pensées dont le point de départ n‟est pas l‟expérience sensible, à
l‟instar de la métaphysique classique qui procède abstraitement. Ce faisant, il loue l‟empirisme de David Hume
comme le prototype de philosophies dont le point de départ épistémologique est l‟expérience et satisfait à ses
propres préoccupations philosophiques.
En effet, Russell est excédé par les prétentions du néo-hégélianisme de F. Bradley qui affirme
péremptoirement que seuls l‟absolu et l‟intégral sont réels, propulsant ainsi la métaphysique allemande au
sommet des savoirs totalisateurs/unificateurs, réduisant, par conséquent, les autres domaines de la connaissance
à de simples maillons d‟une chaîne philosophique incarnée par l‟Esprit absolu conceptualisé et implémenté dans
le système hégélien. Ce système s‟affirme, pour ainsi dire, comme la résorption du pluralisme systémique par un
monisme systémique gouverné par la seigneurie de la Raison dans ses déploiements gnoséologiques
(TEGUEZEM : 2012). L‟aversion de Russell se justifie d‟autant plus qu‟il s‟agit, non seulement d‟un monisme
qui prétend réaliser rigoureusement l‟unité de tous les savoirs au-delà de leurs particularités épistémologiques
respectives, mais aussi d‟un idéalisme qui confond abusivement le rationnel avec le réel au terme d‟un processus
dialectique dont la Raison a priori est l‟alpha et l‟oméga : « tout ce qui est réel est rationnel et tout ce qui est
rationnel est réel », affirme Hegel, pour couronner son idéalisme philosophique et donc, consacrer la circularité
d‟une méta-raison qui est à la fois son sujet et son objet. Sur ces entrefaites, tout ce qui n‟est pas intégré dans le
monisme systémique, en tant que fusion parfaite du réel dans le rationnel, relève de l‟irréel ou de l‟irrationnel.
Peu avant Hegel, Kant avait déjà compris que « la raison est en elle-même exigence de
totalisation »(TEGUEZEM ; 2012 : 384), puisqu‟« elle a horreur de la diversité et des divisions »
(TEGUEZEM ; 2012 : 384). En effet, lorsque la raison est insatisfaite « par synthèses partielles effectuées par
l‟entendement dans le divers sensible, elle relaye [directement ce dernier] dans sa tâche pour parfaire
architectoniquement ces synthèses inachevées en une synthèse beaucoup plus complète, donc en une unité
systématique, car, selon Kant, le rôle fondamental de la raison consiste à ramener définitivement l‟intuition
sensible à l‟unité (totalité) la plus haute de la pensée. Cependant, la totalité la plus élevée postulée par la raison
architectonique de Kant est, d‟après Hegel, limitée par ce qu‟elle n‟est pas absolue : elle est incapable de saisir
l‟être fondamental, le "noumène" par opposition au "phénomène" » (TEGUEZEM ; 2012 : 385).
Cependant, bien que le projet philosophique de l‟auteur de laCritique de la raisonpurene soit pas de
fabriquer un système rationnel unique et absolu dans lequel seront intégrés tous les systèmes particuliers,
comme c‟est le cas chez Hegel qui se gausse d‟ailleurs de son scepticisme vis-à-vis de la connaissance de la
« chose en soi », symbole de l‟absolu, Kant subira la même critique que Hegel auprès de Russell. L‟idéalisme

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des deux philosophes allemands, et en l‟occurrence le monisme systémique de Hegel constituent, pour Russell,
des foyers métaphysiques à déconstruire pour que les approches empiriques, logico-mathématiques et
atomiques des discours scientifiques et philosophiques soient sauvegardées et privilégiées au panthéon des
savoirs qui boostent efficacement le progrès du monde. Russell rappelle fort explicitement la date de son
divorce avec Kant et Hegel : « ce fut vers la fin de 1898, écrit-il, que Moore et moi, nous nous révoltâmes
contre Hegel et Kant. Je crois que le rejet de l‟idéalisme retenait mon attention surtout l‟attention de Moore
dans Mind sur "la nature du jugement " alors que j‟étais surtout intéressé par le rejet du monisme. Les deux
étaient liés par la doctrine des relations que Bradley avait extraite de la philosophie de Hegel. Je l‟appelais « la
doctrine des relations externes » (RUSSELL ; 1961 : 67).Pour ruiner l‟idéalisme et le monisme révoltants,
Russell convoque ce qu‟il appelle « la philosophie de l‟atomisme logique » (RUSSELL : 1989). Il entendait
par-là une philosophie inspirée du développement des mathématiques et de la logique de la fin du dix-
neuvième siècle (BENMAKHLOUF : 1998). Cette philosophie de Russell a, on le voit, un double versant : le
versant logique / mathématique et le versant atomiste.
Par le premier, il entend donner aux propositions philosophiques en général, et à celles de Kant et
d‟Hegel en particulier, un socle logico-mathématique qui les aidera à se débarrasser de leur coque idéaliste, à
l‟effet de revenir sur terre et participer elles-aussi à la construction du monde. Selon Russell, les propositions,
quelles qu‟elles soient, n‟ont de sens que si elles se rapportent aux faits empiriques réduits ou simplifiés jusque
dans leur dernier détail résiduel. Une proposition sans référence empirique est une proposition idéaliste,
métaphysique, qui n‟est pas recevable au grand rendez-vous des sciences et des philosophies qui ont pris sur
elles la responsabilité de reconstruire le monde après la première et la deuxième guerre mondiales, sous la
houlette d‟une logique mathématique qui fait du calcul et de l‟expérience les terreaux de ses prouesses.
Parodiant Karl Marx, nous pouvons attribuer à Russell l‟idée d‟après laquelle les idéalistes/métaphysiciens
allemands ont passé des décennies à interpréter et à moraliser le monde, au lieu de le transformer à partir des
savoirs logico-mathématiques beaucoup plus révolutionnaires que des spéculations brumeuses sur un univers en
panne de progrès. Comme nous allons le montrer plus loin, La Construction logique du monde(CARNAP :
2002) s‟inscrit, en dépit de leurs divergences méthodologiques éventuelles, en droite ligne de la philosophie de
Russell.
Par le second (atomiste), il montre que, contrairement au monisme de Hegel qui prétend intégrer, sous la
houlette d‟une raison dialectique tous les savoirs contradictoires dans un hypersystème où la Raison trône et
brille de par son abstraction et son absoluité, l‟éparpillement des discours scientifiques et philosophiques dans
l‟espace et le temps est un fait irréductible. Nous devrons nous convaincre que la diversité persistante des
discours scientifiques ou philosophiques dans l‟histoire de l‟humanité est solidaire de l‟irréductibilité radicale de
la pluralité des problèmes spécifiques que chaque scientifique ou philosophe vit personnellement dans son cadre
spatio-temporel. Cette diversité n‟est donc pas, comme le pense Hegel à travers son monisme, un accident de
l‟histoire. Bien au contraire, elle est l‟étoffe fondamentale de cette histoire. En affirmant que la Raison peut
s‟accouder sur elle-même et surmonter tous les efforts intellectuels contradictoires et les confiner définitivement
dans un système absolu, Hegel feint d‟ignorer que cette raison n‟a de sens que si elle est incarnée par un
chercheur particulier qui vit dans une société particulière à un moment de l‟Histoire. Ainsi, les notions de
spatialité et de temporalité rendent obsolète le monisme hégélien. « L‟unité d‟une philosophie est, dit à juste
titre Paul Ricœur, une unité singulière. Ce n‟est pas, dirai-je dans un langage spinoziste, un genre commun mais
une essence singulière » (RICOEUR ; 1955 : 50). Au fond, le monisme hégélien est une unité de droit et non de
fait, car, à en croire Émile Bréhier, « l‟unité de la philosophie n‟est pas une constatation, mais bien un postulat.
C‟est un postulat qui ne peut être accepté qu‟avec la philosophie dont il fait partie »(BREHIER ; 1981 : 22).
Pour mieux appréhender la déconstruction du monisme hégélien, saisissons de près l‟atomisme dont Russell est
le thuriféraire.
Depuis les anciens atomistes : Leucippe, Démocrite, Épicure, Lucrèce, l‟atome est un élément constitutif
de la matière, indivisible et homogène. Dans cette perspective, Russell est bien conscient que le monde physique
est une agrégation d‟atomes qui ne peuvent se combiner que sous l‟effet d‟une force extérieure, le propre de
chaque atome étant de vivre dans son isolement et son homogénéité ontologiques. Il faut donc, selon Russell,
mettre sur pied des discours scientifiques et philosophiques qui sont des expressions singulières de chaque
atome dans le monde, puisque l‟atomisation du monde implique l‟atomisation des discours y relatifs. En
l‟absence de cette atomisation, le scientifique ou le philosophe tomberait dans des extrapolations fâcheuses dont
le résultat serait d‟attribuer à un fait spécifique, la signification d‟un autre fait spécifique. L‟atomisme défendu
par Russell s‟applique beaucoup plus à nos différentes pensées/propositions qu‟aux différents objets du monde,
car il veut assurer l‟adéquation entre chacune d‟elles et le fait singulier qu‟elle désigne dans le monde. Ce n‟est
qu‟à ce prix que l‟on peut, pense-t-il, éviter aussi bien les spéculations métaphysiques et accéder à la vérité
unique de chaque chose que la confusion entre l‟atomisme logique et l‟atomisme physique, même si le premier
n‟est que le reflet du second. Russell apporte ainsi des précisions sur la particularité de son atomisme : "The
reason that I call my doctrine logical atomism, precise him, is because the atoms that I wish to arrive at as the
sort of last residue in analysis are logical atoms and not physical atoms. Some of them will be what I call

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“particulars”—such things as little patches of color or sounds, momentary things— and some of them will be
predicates or relations and so on. The point is that the atom I wish to arrive at is the atom of logical analysis, not
the atom of physical analysis"(RUSSELL; 2010: 3).
Pour l‟atomisme russellien, il existe un lien entre les propositions logiques et les faits. Le monde est
composé de faits atomiques auxquels correspondent des propositions logiques. Si le langage est réductible à
certains éléments linguistiques indivisibles, c‟est parce que ces derniers reflètent leurs correspondants dans le
monde empirique. Il y a des faits dont l‟analyse peut simplifier jusque dans leur élément non simplifiable, non
divisible. Il s‟agit d‟un élément atomique qui est le corrélat ontique des constituants linguistiques de la pensée
qui est elle-aussi atomisée. Bien compris, l‟atomisme logique sauvegarde l‟accent et la préséance de l‟empirique
dans la théorie de la connaissance, ce qui permet à Russell, non seulement de barrer la route à la métaphysique
et à l‟idéalisme de ses prédécesseurs, mais aussi de montrer que chaque discours a une connotation atomique qui
reflète la structure atomique du réel dont il est l‟expression.
Sur ces entrefaites, le monisme demeure un postulat et non un fait. Les divers discours peuvent, certes, se
rapprocher les uns des autres pour trouver des solutions beaucoup plus consensuelles à un problème précis, mais
ce rapprochement ne saurait effacer la spécificité irréductible de chaque discours et l‟intégrer fatalement dans un
monisme systémique où il perdra toute sa souveraineté au profit d‟une Raison métaphysique qui le transcende et
le domine verticalement. Autant dire que le monisme dans sa version hégélienne est incompatible avec
l‟atomisme russellien. En principe, chaque discours est une pensée atomique et indépendante qui exprime un fait
atomique qui est aussi indépendant dans la nature. Le principe directeur de l‟analyse logique, c‟est l‟atomisation
du discours. Cette atomisation facilite la distinction entre les fausses pensées qui relèvent de notre subjectivité
ou de notre imagination et les vraies propositions qui ont un support empirique (BARAQUIN, LAFFITTE :
2002 ; 281). Sur ce, Durozoi et Roussell sont assez pertinents lorsqu‟ils disent qu‟au sens propre, la proposition
est tout énoncé verbal susceptible d‟être qualifié de vrai ou de faux (1997 : 311).
En effet, l‟atomisme logique de Russellfait bon ménage avec le paradigmelogique de la connaissance du
monde, puisque ce modèle présente chaque connaissance comme un tissu de propositions atomiques liées par
des opérations logiques, lesquelles constituent le reflet de la structure atomique des éléments du monde. Il faut
cependant distinguer une proposition dite atomique d‟une proposition dite moléculaire : la première est
l‟expression d‟un fait simple, et ne contient ni symbole de négation (-), ni connecteur propositionnel
(NADEAU ; 1999 : 557). Par exemple, « il pleut ». La deuxième est la connexion de deux ou de plusieurs autres
faits. Par exemple, « il mange et les autres dansent ». Dans Signification et Vérité(RUSSELL : 1969), Russell
exploite au mieux les enseignements de l‟empirisme humien sous la houlette de certaines méthodes de la
logique moderne, pour désidéaliser le langage philosophique, lui donner un socle empirique et le rendre
scientifique. Dans le même ordre d‟idées,Ludwig Wittgenstein souscrit à la philosophie de l‟atomismede son
maître Russell, et la renforce dans sa propre perspective philosophique, de manière à contribuer à la mort de la
métaphysique, décès qui deviendra le chemin de croix de Carnap et de ses pairs viennois.
Invité régulier du Cercle de Vienne, Wittgenstein est l‟une des figures qui auront déclenché la critique
carnapienne de la métaphysique. Dans son Tractatus logico-philosophicus (WITTGENSTEIN : 1961),il
circonscrit,dans un style aphoristique,les limites de la pensée par rapport à ce qu‟elle peut exprimer à travers le
langage. Véhicule de la pensée, le langage ne peut valablement exprimer que les faits empiriques. Que
l‟expression soit affirmative ou négative, la référence aux faits est capitale pour un langage qui se veut
logiquement parfait, « le rôle essentiel d‟un langage est, disait Russell, d‟affirmer ou de nier des faits »
(RUSSELL ; 1961 :8). C‟est donc la référence aux faits qui consacre la scientificité et la perfection d‟un
langage. Par-là, Wittgenstein ne déroge pas aux canons de l‟atomisme logique de son professeur Russell. La
métaphysique, ainsi que tous les autres discours qui sont déconnectés des faits subissent, chez l‟étudiant, le
même sort dont ils avaient déjà fait l‟objet chez le professeur. Il confirme l‟idée russellienne d‟après laquelle les
imperfections langagières de la métaphysique sont légion.
Suivant, en effet, l‟itinéraire de l‟atomisme de Russell, Wittgenstein pense que le monde est une
mosaïque des faits dont le langage doit reproduire fidèlement, puisque la vérité portée par ce langage n‟est que
le reflet des éléments de l‟univers. Ainsi, « les limites de mon langage signifient les limites de mon propre
monde » (WITTGENSTEIN ; 1961 : 86).Toutefois, il insiste sur les faits tels qu‟ils arrivent au monde et non sur
leur côté atomique. Au-delà de leur caractère atomique, la facticité des faits suffit, selon Wittgenstein, pour
établir la véracité ou la fausseté des propositions y relatives. Il y a donc chez Wittgenstein une reprise tacite de
la définition classique de la vérité comme adéquation du dire avec le fait, de la pensée avec l‟être. Ce qui oblige
le langage à se positionner toujours comme le miroir par excellence du réel. Le mot « soleil », par exemple,
n‟est vrai que s‟il correspond à un soleil qui brille effectivement au-dessus de nous. On comprend alors, une fois
de plus, que la scientificité(HOTTOIS ; 1997 : 290) du langage est fonction de sa capacité à reproduire
fidèlement le réel.
Dans cette perspective wittgensteinienne, une investigation philosophique (WITTGENSTEIN : 1961)
sérieuse doit s‟interroger sur la manière dont le langage devrait signifier le monde. Le monde demeure inconnu
si les philosophes se bornent à lui coller des étiquettes ou des sens qui ne reflètent pas ce qu‟il est en soi. Et tout

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le problème est de savoir comment choisir, parmi une pluralité de langages ou de signes linguistiques issus de la
tradition et de l‟histoire courante, le signe qui désigne un fait précis et rien que celui-là dans son essence, le
défaut du langage étant d‟être plurivoque, de designer parfois plusieurs choses différents. La plurivocité du
langage crée de graves confusions et nous rappelle le débat houleux qui opposa, dans l‟Antiquité grecque,
Platon et les sophistes. C‟est pour éviter de tels imbroglios et controverses que Wittgenstein loue le langage des
sciences exactes qui est, selon lui, la copie certifiée conforme du réel. Le langage scientifique contraste, par
exemple, avec celui de la « métaphysique dogmatique » qui plonge constamment ses adeptes dans des combats
interminables et où personne ne peut s‟en sortir vainqueur, parce qu‟il n‟a aucune preuve matérielle de son
propos controversé ; d‟où l‟aversion de Wittgenstein pour la métaphysique en laquelle il ne voit que l‟une des
philosophies constituées et dont les propositions sont dépourvues de sens :« la plupart des propositions des
questions qui ont été écrites sur des matières philosophiques sont, affirme-t-il, non pas fausses, mais dépourvues
de sens. Pour cette raison, nous ne pouvons absolument pas répondre aux questions de ce genre, mais seulement
établir qu‟elles sont dépourvues de sens » (WITTGENSTEIN ; 1961 : 46).
En somme, le parcours philosophique que nous avons effectué jusqu‟ici de Frege à Wittgenstein en
passant par Russell, nous permet de conclure que ces derniers sont les détonateurs immédiats de la critique
carnapienne de la métaphysique. En encensant la démarche logico-mathématique qui oblige le savant à
enraciner sa pensée dans le réel pour en assurer la scientificité et la vérité, ils ont fustigé la métaphysique parce
qu‟ils n‟y voyaient que le foyer des propositions insensées et déconnectées des faits. Le problème demeure celui
de savoir par quels arguments et démarche originaux, Carnap déconstruit, à la suite de ses détonateurs, les
énoncés métaphysiques.

III. LA DÉCONSTRUCTION CARNAPIENNE DE LA MÉTAPHYSIQUE : DÉMARCHE


ET ARGUMENTS
Les énoncées métaphysiques qui ont déjà mauvaise presse chez les maîtres à penser de Carnap,
constituent la cible privilégiée de sa critique. Et suivant les traces de ses prédécesseurs, c‟est sous la houlette de
la nouvelle logique qu‟il veut, à son tour, déconstruire la métaphysique jusqu‟à la célébration de ses obsèques.
En d‟autres termes, le « dépassement de la métaphysique par l‟analyse logique du langage » (CARNAP : 1985)
devra se solder, chez Carnap, par sa disparition définitive de la liste des disciplines scientifiques habilitées, par
le Cercle de Vienne, à construire le monde.
Carnap commence par l‟éloignement radical de la métaphysique de la science :les propositions
scientifiques ont des attaches matérielles/empiriques dans le monde tandis que les énoncés métaphysiques n‟en
ont pas. Il combat donc la métaphysique parce qu‟il la trouve comme une connaissance dont la vérité ou la
fausseté ne peut pas être matériellement vérifiée. Ce qui amène Carnap à l‟écarter ausside la construction
logique/scientifique du monde.La construction du monde exige a priori, la mise sur pied d‟une « théorie de la
constitution » qui aura le mérite de discriminer et de regrouper, en amont, les concepts ou les objets en
fonction de leur réductibilité et/ou dérivabilité dans cette construction. Dans cette distinction et rapprochement,
les objets sont retenus, en aval, dans le « système de constitution » parce qu‟ils remplissent les conditions de
scientificité exigées. La « théorie de la constitution » est donc solidaire d‟un « système de constitution » auquel
Carnap apporte une clarification édifiante : « Le système de constitution, dit-il, ne vise pas seulement comme
d‟autres systèmes de concepts, à classer les concepts en diverses catégories et à examiner les différences et les
relations mutuelles de ces catégories. Les concepts au contraire doivent être "constitués ", c‟est-à-dire dérivés
par degrés de certains concepts fondamentaux, afin de dresser un arbre généalogique des concepts au sein
duquel chacun trouve sa place déterminée. Que soit possible cette dérivation de tous les concepts à partir d‟un
petit nombre de concepts de base, telle est la thèse principale de la théorie de la constitution » (CARNAP :
2002 ; 57).
La théorie de la constitution sonne le glas de la métaphysique parce qu‟elle n‟est pas une science au
même titre que les sciences dont les propositions sont en phase avec le réel. Elle se borne soit dans la recherche
des fondements derniers des choses, lesquels ne sont pas toujours empiriquement saisissables, soit dans la
production des discours mythiques, imaginaires qui sont totalement en déphasage avec le réel. C‟est précisément
vers ce type de métaphysique que Carnap dirige ses flèches : « l‟emploi du terme "métaphysique" en ce
sens, précise-t-il, montre immédiatement que la métaphysique n‟est pas une science (au sens où nous
l‟entendons) » (CARNAP ; 2002 : 298). Dans cette optique,l‟empiricité demeure chez Carnap, comme c‟était le
cas chez ses professeurs susvisés, sous l‟influence des empiristes modernes,le critère par excellence de
scientificité d‟un savoir susceptible de révolutionner le monde, de panser ses blessures et de redonner le sourire
et l‟espoir à un univers dont les souffrances et les rancœurs sont avérées. Par conséquent, la métaphysique
gagnerait à se confiner dans l‟examen des essences fondamentales et abstraites des choses qui relèvent de sa
compétence propre, au lieu de fouiner dans un domaine scientifique dont la circularité entre la rationalité et
l‟empiricité est assurée. Pour Carnap, la théorie de la constitution devrait, en principe, aider chaque science à
prendre conscience de sa particularité et à respecter rigoureusement son champ d‟investigation : « sur la base de
la théorie de la constitution, écrit-il, nous fixerons ultérieurement la différence entre science et métaphysique et
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nous verrons que le problème de l‟essence d‟une relation ne peut être résolu ni même posé dans le cadre de la
science (rationnelle). Il appartient à la métaphysique » (CARNAP ; 2002 : 81).
Carnap est, en effet, convaincu que le respect de la spécificité et du champ d‟investigation de chaque
discipline est important dans la hiérarchisation des savoirs et la mise en évidence de leurs objets respectifs. Dans
cet ordre d‟idées, il montre que les objets de la métaphysique sont ambigus et empiriquement non-saisissables,
alors que ceux de la science ne souffrent d‟aucune amphibologie parce qu‟ils sont matériellement saisissables et
repérables dans le « système de constitution » destiné à la construction logico-mathématique du monde. Ainsi, le
sens d‟un objet scientifique est l‟incarnation même de cet objet réel ou symbolisé dans le système constitué. Et
pour ne pas trahir ce sens, il suffit juste de trouver le langage approprié pour l‟exprimer. Il sera, par exemple,
question de trouver « les phrases vraies dans lesquelles ce [sens] peut apparaitre »(CARNAP ; 2002 : 266) sans
équivoque.
Au-delà même de la fustigation du caractère amphibologique des objets métaphysiques, Carnap enfonce
le clou en disant que ses propositions/énoncéssont inexprimables (VERLEY ; 2003 : 230). Pour lui, seuls les
énoncés scientifiques sont exprimables voire connaissables parce qu‟ils ne vont et ne disent jamais au-delà du
réel dont ils sont l‟expression, la théorie de la constitution ayant a priori opéré une circonspection rigoureuse de
leur zone de compétence(REY ; 2001 : 243). Ainsi, les énoncés métaphysiques ne sont pas connaissables parce
qu‟ils sont ineffables. Ce qui devient embarrassant pour ceux qui pensent que, lorsque nous concevons bien une
idée, les mots pour l‟exprimer arrivent aisément. Pour dévaster davantage la métaphysique, Carnap prend soin
d‟étayer ses arguments par des exemples savamment choisis. Il serait fastidieux, pour nous, d‟en faire un
inventaire exhaustif. Mais quelques échantillons retiennent notre attention : les concepts de « principe » et de
« Dieu ».
Et d‟abord leconcept « principe ». Ce concept constitue, pour Carnap, un exemple-type qui permet de
démontrer la vacuité significative et empirique d‟un énoncé métaphysique. « À quelles conditions un énoncé de
la forme « x est le principe de y » est vrai ou faux ? » Si on pose, selon Carnap, une telle question au
métaphysicien, celui-ci répondra : « x est le principe de y parce que y procède de x ». Or, non seulement les
conditions causales sur le plan empirique attendues et susceptibles d‟établir la véracité ou la fausseté dudit
énoncé ne sont pas explicitées dans la réponse du métaphysicien, mais aussi l‟ambiguïté persiste quant à savoir
si dans le terme « procéder », on met une relation originelle de cause à effet ou, plutôt, une liaison temporelle, et
donc contingente entre x et y. À supposer même qu‟il s‟agit d‟un rapport originel, rien n‟empêcherait qu‟il
subisse, d‟après Carnap, l‟épreuve de l‟évolution temporelle et des idées jusqu‟à perdre totalement son sens
originel. Dans cette perspective, ce qui était vrai à une date très reculée de l‟histoire humaine pourrait être
totalement faux à l‟époque contemporaine, et ce, réciproquement. Conclusion : tant qu‟un énoncé métaphysique
n‟aura pas de support matériel, il demeurera incertain et querellé.
Ensuite le concept de « Dieu ». Sur le plan mythologique, ce concept, dit Carnap, est vrai, parce que Dieu
est rattaché à la nature qu‟il a créée, et l‟existence de celle-ci est la preuve empirique de son existence. Mais
cette vérité est problématique parce qu‟elle n‟est que le fruit d‟un mythe, c‟est-à-dire le résultat d‟une histoire
imaginée pour justifier subjectivement l‟origine du monde. Le mythe n‟est pas scientifique parce ce que le
propre de l‟imagination qui le sous-tend est de s‟élever au-dessus du réel pour créer des êtres irréels. Aussi faut-
il reconnaître que les philosophes eux-mêmes, et notamment les athées, ont douté de l‟existence de Dieu jusqu‟à
conclure qu‟il est mort. Et si déjà au sein de la classe philosophique, les animateurs ne s‟entendent pas, ce ne
serait sûrement pas au sein de la classe logico-positivisteque l‟existence de Dieu sera accréditée. Conclusion : le
terme « Dieu » est chargé de représentations confuses et controversées. Ce qui nous rappelle la posture critique
de Ernst Mach qui est convaincu que tous les concepts métaphysiques sont abstraits et projettent toujours en-
dessous ou au-dessus des expériences régulièrement vécues des affirmations fictives (SEBESTIK ; 1985 : 94).
Tout le problème de Carnap est de savoir comment les métaphysiciens en viennent à créer des mots qui
ne correspondent à rien dans le monde empirique. Procédant de l‟analyse logique des mots ou du langage
philosophique (CARNAP ; 2011: 161), Carnap pense que leur faillite épistémologique repose sur lenon usage de
la grammaire de la nouvelle logique ; ils se bornent encore à exploiter une grammaire des langues naturelles
truffées de contradictions entre le dire et l‟être. Le défaut de cette grammaire obsolète, pense Carnap, est lié au
fait que sa syntaxe donne la possibilité au philosophe d‟agencer des mots sans signification concrète, sans
correspondance dans les faits. Prenons l‟exemple suivant : « César est un nombre premier ». Du point de vue de
la grammaire ordinaire, cet énoncé est vrai. Mais du point de vue de son contenu, il est faux. Car, César est un
homme et non un chiffre ou une donnée numérique. Il s‟agit donc, selon Carnap, d‟un « simili-énoncé », c‟est-à-
dire d‟une affirmation insensée et stérile. Et« comme l‟ont montré les exemples « principe » et « Dieu », la
plupart des autres termes sont également des termes spécifiquement métaphysiques sans signification, par
exemple : « Idée », « absolu », « inconditionné », « infini », « Être de l‟Étant », « Non-Étant », « Chose-en-
soi », « Esprit absolu », « Esprit objectif », « Essence », « Être-en-soi et pour soi », « Émanation »,
« Manifestation », « Séparation », « moi », « Non-Moi », etc. […] Les énoncés soi-disant métaphysiques qui
contiennent de tels mots n‟ont pas de sens, ne veulent rien dire ; ce sont de purs simili-énoncés » (CARNAP ;
1985 : 162).

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Dans cette perspective, Carnap pense que la vérité et la fécondité des énoncés de la métaphysique
dépendront de la ferme volonté de celle-ci à abandonner la grammaire ordinaire pour adopter celle de la
nouvelle logique qui offrira aux métaphysiciens l‟opportunité de soumettre leurs différents discours à la
vérification empirique. « D‟où la portée philosophique considérable de la tâche qui consiste à construire une
syntaxe, tâche à laquelle les [nouveaux] logiciens travaillent actuellement » (CARNAP ; 1985 : 162). Pour
l‟auteur de La syntaxe logique du langage (CARNAP : 1934), il est incompréhensible que l‟une des figures
emblématiques de la métaphysique moderne comme Martin Heidegger (HEIDEGGER : 1929) n‟ait pas pris
conscience de la supercherie de la grammaire naturelle dans ses propres investigations philosophiques. Lorsque
qu‟il dit, par exemple, « le néant est néanti », cette affirmation n‟a aucun sens pour Carnap qui ne voit pas en
quoi le « néant » aurait le statut d‟objet, alors qu‟au fond, il ne correspond à rien de factuel. Cet énoncé
métaphysique viole les règles syntaxiques de la nouvelle logique dont le Cercle de Vienne fait la promotion et
sur laquelle, reposent toutes les espérances d‟un monde nouveau.
Selon Carnap, il est décevant de constater que des philosophes respectables continuent à célébrer cette
absurdité langagière de la métaphysique heideggérienne, alors même que l‟implémentation du nouveau langage
logique est déjà en cours. En effet, le succès de la nouvelle logique réside dans sa capacité à éliminer
systématiquement dans son langage tout ce qui a trait à l‟imagination, au superflu et à l‟élégance formelle au
profit de la clarté, de la certitude, c‟est-à-dire de la vérité vérifiable par les faits et sans confusion des faits. Les
prouesses de la nouvelle logique viennent donc de l‟abandon de l‟ancienne logique qui insiste sur la cohérence
et l‟éloquence formelles du langage, et finit par faire de la raison pure son objet, au lieu de référer celle-ci à un
objet empirique qui lui servira de pièce à conviction dans la formulation de ses énoncés.Par ailleurs, Carnap
pense que les incongruités linguistiques et la vacuité empirique des propositions métaphysiques sont
généralement le fait d‟un usage incontrôlé et abusif du verbe « être » :« la plupart des fautes logiques commises
dans les simili-énoncés reposent sur des vices logiques qui sont inhérents à l‟emploi du verbe " être " dans notre
langue. La première faute est liée à l‟ambigüité du verbe " être " qui joue tantôt le rôle de copule pour un
prédicat (« je suis affamé »), tantôt celui d‟indicateur d‟existence (« je suis »). Cette faute est aggravée par le
fait que bien souvent les métaphysiciens ne sont pas clairs quant à cette ambigüité.La deuxième tient à la forme
du verbe pris dans sa seconde acception, celle de l‟existence. Cette forme produit l‟illusion d‟un prédicat là où il
n‟y en a pas » (CARNAP ; 2002 : 170).
Visiblement, le problème vient de ce que le métaphysicien, dans l‟emploi du verbe « être », ne donne pas
toujours l‟occasion à son auditeur ou à son lecteur de saisir clairement le rôle joué par ce verbe dans tel ou tel
énoncé. Par conséquent, savoir si cet énoncé est prédicatif, attributif, apodictique, catégorique ou, plutôt, une
proposition indicative qui le renseigne sur l‟état passager ou contingent de la personne ou de la chose
considérée, devient ambigu. Cette ambigüité est la source des contresens inhérents au discours métaphysique ;
elle prête tout à fait le flanc à la critique. Lorsque le métaphysicien dit : « Je suis », cela peut s‟entendre de deux
manières apparemment toutes justes : « J‟existe ou je vis », ou bien, « Je suis quelque chose ou dans un état qui
reste encore à préciser ». De même, lorsqu‟il dit : « Dieu est », cela suppose soit que Dieu existe, soit qu‟il est
quelque chose que l‟on omet de préciser. La deuxième hypothèse, on le voit, « est à la fois une incitation à
vérifier et une directive pour la vérification » (BOUVERESSE : 1987 : 83). Or, d‟après Carnap, on sait, depuis
la « preuve ontologique » de Kant, que l‟existence ne se décrète pas arbitrairement, mais se constate
empiriquement. Ce sont ces genres d‟imprécisions et d‟arbitraires émotionnés qui transforment depuis
l‟Antiquité grecque, soutient Carnap, les énoncés métaphysiques en pseudo/« simili-énoncés ». La nouvelle
logique néopositiviste, quant à elle, évite sérieusement dans son langage ces pièges du verbe « être » ; elle
s‟arrange toujours à ce que le rôle de ce verbe soit sans équivoque dans ses propositions. Et c‟est là où le
scientifique dame le pion au métaphysicien. C‟est là où le sens emporte sur le non-sens et autorise le constat
suivant de Sandra Laugier: « pour Carnap, le critère du non-sens est ce qui permet de différencier la science et la
métaphysique, et d‟exclure la métaphysique du domaine du sens linguistique, donc du langage »(LAUGIER ;
2003 : 486).
Aussi, Carnap estime-t-il que la métaphysique mérite la peine de mort, parce qu‟elle défie constamment
les conditions empiriques de possibilité de la connaissance et aborde les problèmes éthiques et esthétiques qui
ne sont pas dans l‟agenda de l‟analyse logique qui sous-tend les activités de la science néopositiviste. Devront
également subir le même sort, « toute prétendue connaissance qui veut avoir prise par-delà ou par-derrière
l‟expérience, [toute] métaphysique qui, issue de l‟expérience, veut connaitre au moyen d‟inférence particulière
ce qui se trouve hors de ou derrière l‟expérience, [ainsi que toute question qui porte sur la „„chose en soi‟‟ et non
sur la chose empirique, et „„toute philosophie des valeurs ou d‟une norme‟‟ dont les énoncés échappent à la
vérification empirique » ( CARNAP ; 1985 : 173). Au rang de ces connaissances et métaphysiques à guillotiner,
Carnap cite « le réalisme (dès qu‟il veut en dire plus que la constatation empirique selon laquelle les évènements
manifestent une certaine régularité, autorisant l‟application de la méthode inductive) et ses adversaires :
l‟idéalisme subjectif, le solipsisme, le phénoménalisme, le positivisme (au sens ancien) » (CARNAP ; 1985 :
174).

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Au total, les énoncés de la métaphysique brillent par leurs caractères arbitraires, confus, abstraits,
ineffables, insensés, inconnaissables, caractères qui lui ôtent impérativement le droit de vivre dans un contexte
néopositiviste où la logique a fait de l‟empirisme son terreau et son oxygène. Selon Carnap, elle doit forcément
mourir parce que ça ne sert à rien de maintenir en vie une science dont les propositions suscitent constamment
des querelles sur des choses qui ne seront jamais connues ni vérifiées ; parce qu‟elle ne peut pas, dans sa
situation controversée et stérile, contribuer à la construction du monde, ni à la garde de celui-ci, car « un chien
mort » (VOLPI : 1999) ne peut rien faire dans un univers à sécuriser. Avec Carnap, la métaphysique ne peut
d‟ailleurs que mourir, lorsqu‟on se souvient du dédain de ses professeurs contre cette discipline. L‟élève est allé
plus loin que ses maîtres, en substituant la mise à mort de la métaphysique à son simple « dépassement ». C‟est
pourquoi, Willard Van Orman Quine(1986 : 170) pense que plusieurs responsabilités doivent être établies suite à
la mort de la métaphysique : à côté de Carnap qui lui a assené le coup fatal, il faut ranger ceux qui l‟ont formé et
inspiré l‟exécution de la métaphysique.
La déconstruction/élimination de la métaphysique par ses prédécesseurs (Frege, Russell, Wittgenstein)
aura été, en effet, une formation pratique et opératoire du futur bourreau de la métaphysique. Toutefois, la mort
de la métaphysique n‟est-elle pas beaucoup plus un postulat de la nouvelle logique néopositiviste défendue par
Carnap et ses pairs viennois, qu‟une constatation empirique ? Est-il judicieux de tuer la métaphysique, au terme
d‟un procès scientifique où le juge (Carnap) est lui-même un scientifique, et prétend ostentatoirement que tout
savoir qui n‟a pas de socle empirique est superfétatoire dans la reconstruction/construction du monde ?

IV. LE FIASCO DU PROJET CARNAPIEN : L’IMMORTALITÉ DE LA


MÉTAPHYSIQUE
Les arguments utilisés contre la métaphysique ne sont pas toujours fondés. Leurs insuffisances sont
révélatrices du fiasco de sa mise à mort par Carnap. C‟est sans compter avec l‟immortalité d‟une discipline dont
l‟existence et l‟importance sont chevillées à la vie de l‟Homme toujours confronté aux limites des sciences et
aux énigmes d‟un monde en perpétuelle reconstruction matérielle et morale, que Carnap a rêvé, les yeux
ouverts, sur la fin de la métaphysique.
En effet, nous devrons savoir gré à Carnap d‟avoir donné plus d‟épaisseur et de crédit à l‟empirisme dans
une science néopositiviste dont le dessein était de passer des discours creux aux actions concrètes, afin de
reconstruire le monde sur de nouvelles bases logico-mathématiques. Dans cette optique, le discrédit de la
métaphysique était inéluctable, puisque les scientifiques n‟y voient qu‟un savoir qui se développe au-dessus ou
en-dessous du monde et dont les énoncés sont mythiques, imaginaires, confus, insensés et controversés par ce
qu‟ils n‟ont pas de supports empiriques. Pour les scientifiques, la métaphysique utilise encore le langage d‟une
logique classique peu soucieuse de l‟empiricité de ses propositions, alors que l‟implémentation de la logique
mathématique lui aurait permis d‟assurer la correspondance entre ses énoncés et les faits empiriques. La
métaphysique est donc victime d‟une faillite méthodologique qui la confine dans de pures méditations dont les
apports non-empiriques seraient, d‟après ses fossoyeurs, sans effets positifs sur le progrès de l‟humanité. Il est
aussi reproché au métaphysicien d‟utiliser abusivement le verbe être qui, généralement, n‟indique aucune
existence concrète ou aucun état précis. Au regard de ces chefs d‟accusation, Carnap estime que le dépassement
/ l‟abandon de la métaphysique recommandé par ses pères formateurs doit être suppléé par sa mise à mort. Mais
Carnap a-t-il suffisamment fortifié l‟estocade qu‟il a donnée à la métaphysique ?
Il est curieux de penser que seules les sciences néopositivistes qui utilisent la démarche logico-
mathématique sont importantes dans la construction du monde et qu‟il faille, par conséquent, tuer la
métaphysique dont la démarche est purement rationnelle et donc sans ancrage empirique. Le penser, comme l‟a
fait Carnap, c‟est ratifier sans recul réflexif la vielle idéologie scientiste d‟après laquelle la science est la seule
discipline au monde qui puisse le révolutionner, en avoir une connaissance illimitée et apporter la solution à tous
les problèmes de l‟humanité. Et comme le précise Carnap, « on entend par caractère illimité de la connaissance
scientifique, le fait qu‟il n‟y a aucune question dont la réponse soit par principe impossible pour la science »
(CARNAP ; 2002 : 293).
À notre avis, une telle considération de la science prête le flanc à la critique : elle est pédante,
prétentieuse. La science ne saurait résoudre tous les problèmes de l‟humanité. On peut lui concéder la capacité
de traiter efficacement certains problèmes qui relèvent de la connaissance empirique ou mathématique, mais en
reconnaissant ses limites quant aux problèmes qui sont d‟ordre métaphysique. Selon Nicole Delattre, la posture
de Carnap est sous-tendue par l‟idéologie du scientisme à laquelle il ne veut pas déroger. Or sa fidélité sans
faille au scientisme l‟empêche de faire la part des choses entre ce que la science peut faire sous la houlette de la
logique mathématique et ce qu‟elle ne peut pas faire à partir de la même méthode. Ce manque de discernement
est à l‟origine des « guerres des sciences » (DELATTRE : 2010). Il y a, en effet, des questions qui touchent la
vie humaine et dont l‟intelligibilité échappe à la capture de la rationalité scientifique au sens carnapien. Il est
donc surprenant d‟entendre Carnap dire que la science est une connaissance sans borne, alors même qu‟il
reconnait, paradoxalement, à la suite du deuxième Wittgenstein, l‟existence des «énigmes de la vie » ou des
« situations de la vie pratique » qui ne se prêtent pas aux interrogations scientifiques : « il y a peut-être, affirme-
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t-il, malgré tout de l‟insoluble parmi les énigmes de la vie […], ce qui n‟est pas contradictoire. […] Il y a des
questions dont la réponse nous est par principe interdite. Mais les " énigmes de la vie " ne sont pas des
questions, ce sont des situations de la vie pratique. "Énigme de la mort " réside dans le bouleversement
provoqué par la mort d‟un semblable ou l‟angoisse de sa propre mort, ce qui n‟a rien à voir avec les questions
que l‟on peut poser à propos de la mort, même si les hommes, se méprenant eux-mêmes, croient parfois
formuler l‟énigme en énonçant ces questions »(CARNAP : 2002 ; 300).
Le vœu de Carnap, on le voit, c‟est d‟abandonner toutes les questions métaphysiques dont les réponses
défient les compétences de la science logico-mathématique. Il va même au-delà du simple abandon pour
interdire au scientifique de formuler ce genre de question dans ses recherches. Cette interdiction relève tout
simplement de la mauvaise foi de Carnap à reconnaître les bornes de la science et l‟importance de la
métaphysique devant des situations énigmatiques comme celle de la mort. La science peut expliquer les causes
biologiques de la mort d‟une personne. Mais, elle ne peut pas satisfaire l‟homme qui s‟interroge sur la mort, sur
la possibilité ou non d‟une autre vie après celle-ci. Une telle interrogation est d‟ailleurs inévitable pour
l‟homme. Dans la Critique de la Raison pure, Kant nous rappelle, avec raison, que l‟être humain, fût-il un
scientifique, est fondamentalement un animal métaphysique, puisque naturellement, sa raison a toujours
tendance à transgresser les bornes de l‟expérience sensible pour s‟interroger sur des êtres abstraits comme Dieu,
ou sur le fondement non-empirique de certaines situations vécues. L‟interdiction des questions métaphysiques
au scientifique, la banalisation et la récusation des « énigmes de la vie » dans le carcan des « pseudo-
problèmes », constituent le propre d‟une science unidimensionnelle et inconsciente de ses limites.
Nous interdisons à Carnap d‟interdire les méditations métaphysiques qui, au-delà des informations utiles
que la science fournies sur nous-mêmes et sur le monde, peuvent mieux nous renseigner sur notre origine, sur
notre devoir, sur le sens authentique de notre existence, sur les idéaux et les valeurs morales que nous devrons
poursuivre, sur la signification de notre mort et sur nos espérances. Dans cette optique, nous souscrivons
entièrement à l‟idée ermonienne d‟après laquelle« une science qui voudrait se passer de la métaphysique, devrait
forcément renoncer à expliquer le monde et se renierait elle-même, parce qu‟elle cesserait d‟être la science,
c‟est-à-dire un continuel effort, une incompressible tendance vers l‟explication »(ERMONI ; 1906 : 236).
Autant dire que, c‟est parce que le monde continue à vivre des situations énigmatiques que la science elle-même
n‟a pas encore mis la clé sous le paillasson. Et ces situations interpellent aussi bien le scientifique que le
métaphysicien. Carnap feint d‟ignorer cette double sollicitation parce ce qu‟il ne veut pas enfreindre l‟idéologie
du scientisme de son Cercle viennois. Ce faisant, il est victime de ce que Karl Popper appelle une
« épistémologie stérilisante ». Pour Popper, déconstructeur officiel du Cercle de Vienne, l‟incertitude,
l‟imprécision et l‟ambiguïté tant décriées dans les propositions métaphysiques sont aussi légion dans toutes les
sciences, fussent-elles empiriques, positivistes, néo-positivistes (BOUVERESSE ; 1981 : 54). Toutes les
disciplines doivent être prises au sérieux, en dépit de leurs limites respectives, lorsqu‟il s‟agit de construire le
monde par l‟Homme et pour l‟Homme. S‟appuyer sur les ambiguïtés linguistiques des énoncés métaphysiques,
sur la non-vérifiabilité de ses propositions pour l‟éjecter du rendez-vous des sciences convoquées pour la
construction du monde, c‟est ignorer que « la métaphysique […], sans être la science, n‟est pas pour autant
dépourvue de signification »(POPPER ; 1980 : 131).
En effet, l‟épistémologie poppérienne nous semble plus convaincante lorsqu‟en accordant une valeur à
l‟incertitude comme détonnatrice de la recherche scientifique, elle trouve inutile de s‟appuyer sur les récits
mythiques ou sur les incongruités langagières de la métaphysique pour séparer radicalement celle-ci de la
science: « la plupart de nos théories scientifiques sont, dit Popper, d‟origine mythique. Le système copernicien
par exemple fut inspiré par l‟adoration néoplatonicienne de la lumière du soleil qui ne pouvait occuper que le
"centre" à cause de sa noblesse. C‟est ainsi que des mythes peuvent donner naissance à des composantes
testables. Ils peuvent au cours d‟une discussion devenir fructueux et importants d‟un point de vue scientifique
[...]. Si l‟on admet cette idée, alors il devient étrange d‟affirmer que les énoncés métaphysiques sont dépourvus
de signification, ou de les exclure de notre langage »(POPPER ; 1980 : 131).
En soutenant mordicus que la scientificité d‟un discours est une donnée de fait, Carnap et ses formateurs
pédagogiques et scientifiques sombrent dans une espèce de naturalisme qui ignore que la vérité scientifique est
beaucoup plus une affaire de méthode que de fait. Sous le fallacieux prétexte d‟une neutralité scientifique, ce
genre de naturalisme vise constamment la chosification du sujet épistémique et la négation de son implication
personnelle dans le processus qui conduit à la découverte de la vérité. Et pourtant, son implication est toujours
synonyme d‟une attitude méthodologique (BOUVERESSE ; 1981 : 57) qui corrompt la prétendue neutralité, fait
passer tacitement soit ses propres intérêts, soit ceux de ses parrains. Par-là, le chercheur montre que la vérité
scientifique n‟est pas toujours le verdict d‟une vérification empirique. De l‟avis de Popper, elle est toujours un
rendez-vous de « Conjectures » et de « Réfutations » qui permettent, par ailleurs, au scientifique de sauvegarder
sa liberté et d‟échapper à une éventuelle réification. Ce qui montre que « la métaphysique n‟est pas la seule à
être ruinée par ces méthodes : la science naturelle l‟est aussi » (POPPER ; 1973 : 318). Aussi devrons-nous
reconnaitre que chaque découverte contient un élément irrationnel ou une intuition créatrice au sens bergsonien
de ces termes.

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Si la science produit des connaissances en s‟appuyant sur l‟analyse mathématique des matériaux
empiriques (HANS, NEURATH, CARNAP ; 1985 : 114) cette démarche empirique ne saurait être une raison
suffisante pour établir l‟inutilité et l‟acte de décès de la métaphysique. La démarche empirique n‟est qu‟une
méthode parmi tant d‟autres. Il est donc erroné, et même absurde, de tuer la métaphysique parce que sa
démarche est contraire à celle des sciences d‟obédience empirique. La métaphysique est, par ailleurs, le socle de
toutes les sciences : elle a porté et nourri ces dernières de ses racines, selon l‟arbre cartésien des savoirs. Séduits
par le positivisme du dix-neuvième siècle, les sciences enfantées par la métaphysique se sont émancipées et
autonomisées. Mais, Carnap devrait s‟apercevoir que cet affranchissement et cette souveraineté ne doivent pas
le conduire à un parricide, alors même que ces sciences peinent encore aujourd‟hui à rompre radicalement avec
leur cordon ombilical. La résistance de ce cordon montre que ces sciences ont échappé à l‟autorité de la
métaphysique sans pourtant rompre ou briser avec elle(BIRAULT ; 1964 : 487). L‟essentiel n‟est pas, a priori,
de défendre la métaphysique ou de la tuer, mais de prendre conscience de sa démarche et de ses objets
spécifiques pour se convaincre de la nécessité de sa présence à côté des autres sciences, ainsi que le démontre
Claudine Tiercelin, cité par Raphael Millière : « le plus difficile en métaphysique n‟est pas d‟en construire une,
ou de proclamer sa fin, c‟est de cerner son véritable objet, la légitimité de sa méthode, le bien-fondé ou non de
sa présence à côté des autres sciences, en un mot, de déterminer ce qui peut, aujourd‟hui encore, non seulement
expliquer mais aussi et surtout justifier qu‟on en fasse »(Millière ; 2011 : 14).
S‟agissant de la méthode métaphysique, elle n‟est ni abstraite, ni empirique, mais abstracto-empirique.
L‟abstrait et l‟empirique sont ses deux pôles méthodologiques. Seulement, elle active chaque pôle en fonction
du type d‟objet qui l‟intéresse à un moment précis. Par exemple, le pôle abstrait est mis en branle lorsqu‟il s‟agit
d‟examiner les questions relatives à Dieu, à l‟âme, à la liberté. Et c‟est là où le métaphysicien exerce le talent de
la raison pure ou de l‟intuition intellectuelle. Le pôle empirique est implémenté quand il s‟agit d‟un objet réel
dont il faut saisir l‟essence, c‟est-à-dire ce qui fait que cet objet soit ce qu‟il est et non autre chose. Et ce souci
de mettre en évidence l‟essence propre à chaque chose est d‟ailleurs aussi celui de la science. Car, pour parodier
Francis Bacon, nous dirons que pour dominer la nature, le scientifique doit d‟abord connaître ses lois. En
définissant la métaphysique comme « l‟effort vigilant de la pensée ou de l‟intelligence humaine de comprendre
le réel à partir de ses raisons » (GRONDIN ; 2013 : VIII), Jean Grondin nous invite à prendre conscience de
l‟importance de la métaphysique dans la connaissance et la maîtrise du monde qui est le nôtre.
Il y a même une circularité de la démarche métaphysique qui consiste à aller soit de l‟abstrait au concret,
soit du concret à l‟abstrait. Par exemple en s‟interrogeant sur l‟existence de Dieu, être abstrait, le métaphysicien
finit par descendre sur le monde empirique comme la créature de Dieu. De même, en s‟interrogeant sur l‟origine
du monde, le métaphysicien remonte progressivement jusqu‟à Dieu comme son créateur. Cette circularité
méthodique est un privilège que la science qui procède exclusivement de façon empirique n‟a pas. La
métaphysique s‟intéresse aussi bien aux aspects abstraits qu‟aux aspects empiriques du monde ; elle est la
science de la totalité, contrairement au néo-positivisme confiné dans le déchiffrement de l‟empirique, du
mathématiquement calculable. Nous comprenons alors la déception de Frédéric Nef, lorsqu‟il constate que
Carnap et les viennois ont prématurément établi une « immunité diplomatique de la physique à l‟égard de la
métaphysique » (NEF ; 2009 : 139), à l‟effet de tuer la métaphysique et de faire de la physique, la source
paradigmatique et exclusive de la connaissance du réel. Or, pour Charles DUNAN (1906) l‟existence et la
légitimité de la métaphysique ne devraient souffrir d‟aucune contestation dans le monde, fût-il celui
d‟aujourd‟hui. Car, « penser les choses dans ce qu‟elles sont, dans leur être, dans ce qui fait d‟elles des réalités
et non de vains fantômes » (DUNAN ; 1906 : 652), est plus que jamais d‟actualité pour tous ceux qui envisagent
construire ou reconstruire le monde à partir d‟une large et parfaite connaissance de ce monde. Pour se gausser
des bourreaux de la métaphysique, Emmanuel Levinas disait dans un style ironique : « De nos jours, la
métaphysique n‟en finit pas de finir et la fin de la métaphysique est notre métaphysique inavouée » (LEVINAS ;
1972 : 69).
La classe scientifique contemporaine éprouve d‟énormes difficultés avec l‟avènement du virus à corona
- « Covid-19 » - dont la capacité explosive est symptomatique de milliers de personnes déjà mortes ou
contaminées dans le monde. Les scientifiques eux-mêmes affichent d‟énormes carences, quant à la maîtrise de
cette pandémie du vingt-unième siècle. Ce qui tempère considérablement l‟arrogance des laudateurs et
pratiquants d‟une science post-moderne érigée jusque-là au rang des immaculées conceptions. Nous osons croire
que cette pandémie est une aubaine pour les scientifiques à la Carnap, de prendre conscience de leurs limites et
tendre la main aux autres ressources intellectuelles, fussent-elles métaphysiques. Nous espérons que la crainte
de Dieu, qui est l‟un des terreaux des activités métaphysiques, va désormais inspirer les pratiques scientifiques,
afin que l‟Homme et les sociétés humaines ne soient plus les champs d‟expérimentation d‟une rationalité
scientifique dont le but est de servir le diable en démolissant Dieu et l‟Homme. Certes, « la science apporte de la
puissance et peut contribuer au confort et à la richesse dont l‟humanité a besoin, mais elle devient dangereuse
entre les mains capricieuses et méchantes d‟une humanité sans Dieu » (CHATUÉ ; 2018 : 33).Dans cette
perspective, la métaphysique est plus que jamais sollicitée pour donner un visage divin et humain aux activités
scientifiques. À notre avis, Gilbert Hottois a raison de dire que les malheurs de l‟humanité viennent en partie de

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l‟abandon des garde-fous théologico-métaphysiques par les sciences post-modernes :« Tous les "garde-fous"
théologiques, métaphysiques ou ontologiques [qui] entrainaient la croyance dans l‟existence de limites absolues,
que le savoir (la vérité religieuse ou métaphysique) nous présentait comme infranchissable et dont la morale
prohibait les tentatives de transgression [ont disparus de nos jours]. Avant la destruction nihiliste de la religion
et de la métaphysique, il y avait un « ordre naturel » et une « nature humaine » présentant, par eux-mêmes, une
valeur et un sens sacrés, et à respecter absolument » (HOTTOIS ; 1972 : 443).
Comme le dit si bien Hottois, la religion et la métaphysique sont les gardiennes de la nature humaine
dans toute sa signification profonde et sa valeur sacrée. Par conséquent, la mort de la religion et de la
métaphysique entraineraient l‟abandon de l‟Homme à une science qui ignore son essence et sa valeur. Dans
cette perspective, la science aura le cynique loisir de le traiter et de le manipuler au même titre que n‟importe
quel objet de la nature ou de la manufacture. « L‟émergence de l‟humanité coïncide avec l‟avènement de
l‟humanité dans le monde», affirme Georges GUSDORF (1956 : 61). Mais pour que l‟émancipation de
l‟humanité ne devienne pas une course vers l‟inhumain, il faut qu‟elle soit balisée par des valeurs divines et
morales encensées par la religion et la métaphysique. Celles-ci permettent de sauvegarder à temps et à
contretemps la sacralité de l‟être humain dans l‟activité scientifique post-moderne. La moralisation du
néopositivisme scientifique s‟impose de nos jours au regard de ses exactions sur le genre humain. Or la
métaphysique apparaît comme la discipline la plus indiquée pour le moraliser. Nier ce rôle capital de la
métaphysique auprès des activités néopositivistes et exiger sa mort, participe de la volonté dévastatrice d‟un
Carnap qui met l‟idéologie du Cercle de Vienne au-dessus des évidences établies par des disciplines qui ne font
pas partie de ce Cercle, puisque tout ce qui échappe à l‟encerclement néopositiviste est pourchassé et combattu
arbitrairement comme du non-sens. Et pourtant, l‟épistémologue Émile Meyerson nous rappelle que « l‟homme
fait de la métaphysique comme il respire » (MEYERSON ; 2008 : 156). Autrement dit, non seulement notre
existence et la métaphysique sont consubstantielles, ce que nous avons déjà souligné plus haut dans la
perspective kantienne, mais notre souffle de vie est aussi ponctué par la cogitation métaphysique.
Dans cette optique, nous donnons raison à Grondin pour qui, « la métaphysique du Cercle du Cercle de
vienne [est] radicalement nominaliste » (GRONDIN ; 2013 : 6). Nous ajouterons même que dans ce Cercle, la
mort de la métaphysique est beaucoup plus un postulat qu‟une constatation empirique. L‟imbrication originelle
de notre existence et de la réflexion métaphysique montre que Carnap est lui-même un métaphysicien qui
s‟ignore, ou tout simplement un métaphysicien qui combat un autre métaphysicien parce que son adversaire
refuse de partager mécaniquement ses points de vue. Certes, la critique de la métaphysique est nécessaire pour
son propre progrès, quand il s‟agit des critiques constructives dont chaque secteur de savoir a besoin pour être
beaucoup plus conscient de lui-même, de son objectif et pour s‟améliorer. Mais, lorsque Carnap en vient à
outrepasser de telles critiques pour décréter la mort de la métaphysique, il devient l‟incarnation de la mauvaise
foi propre à un métaphysicien qui feint d‟ignorer ce qu‟il est ontologiquement. C‟est d‟ailleurs dans ce sens que
nous comprenons les propos suivants de Pierre Thévenez : « Il est donc nécessaire, dit-il, d‟être critique à
l‟égard de la métaphysique […]. Mais à la différence des positivistes qui considèrent la métaphysique comme sa
négation et son abandon, nous dirons, comme Kant, que la critique de la métaphysique contient "une
métaphysique de la métaphysique", c‟est-à-dire une métaphysique plus consciente d‟elle-même, de sa situation,
de sa visée » (THÉVENEZ ; 1954 ; 191).
Au regard de tout ce qui vient d‟être dit, il serait judicieux pour Carnap de prendre lui-même
conscience du fiasco de sa critique mortifère de la métaphysique qui ne peut, pensons- nous, mourir qu‟avec sa
propre disparition, c‟est-à-dire avec la disparition totale de l‟espèce humaine dans le monde. Quel que soit le
domaine d‟activité de l‟Homme, sa vie et sa mort sont contemporaines de celles de la métaphysique. Par
conséquent, l‟approche des paradoxes et des énigmes d‟un monde dont la reconstruction matérielle et morale
s‟impose, nécessitebeaucoup plus une solidarité agissante entre le scientifique et le métaphysicien, et non le
cerclage solipsiste d‟un scientifique imbu de sa prétendue omnipotence et de sa fallacieuse omniscience. La
pensée de la complexité, introduite par Edgar Morin (2005) dans ses investigations philosophiques, est
révélatrice de l‟obsolescence fracassante d‟un esprit scientifique confiné dans sa tour-d‟ivoire et blasé par une
routine métaphysiphobe. Une science consciente de ses limites et soucieuse du développement
pluridimensionnel du monde est toujours prête à s‟ouvrir à d‟autres sciences pour combler ses lacunes et mieux
maîtriser ses objectifs. Pour que cette ouverture communicationnelle soit possible, il faut substituer le dialogue
des sciences au combat des sciences.

V. CONCLUSION
La mise à mort de la métaphysique n‟est pas une génération spontanée chez Carnap. Ce crime
philosophique a été longtemps nourri par la fougue des critiques dirigées par Frege, Russell et Wittgenstein
contre la métaphysique. Pour ces détonateurs immédiats du cynique projet de Carnap, le dépassement de la
métaphysique s‟imposait à un moment où la construction du monde avait marre d‟une philosophie spéculative
dont les énoncés sont confus, insensés et controversés parce qu‟ils ne sont pas empiriquement vérifiables. La
métaphysique procédait encore, selon eux, d‟une logique traditionnelle beaucoup plus soucieuse de la cohérence

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grammaticale du langage que de la factualité des choses que ce langage exprime. Seule la science aurait compris
la nécessité de révolutionner la démarche logique, en fondant celle-ci sur les données empiriques et
mathématiquement exprimables, de façon à assurer une parfaite coïncidence entre ses propositions et les faits
que celles-ci expriment. Pour nos scientifiques, laudateurs de la démarche logico-mathématique, la
métaphysique doit être abandonnée parce qu‟au lieu d‟intégrer directement le monde pour le révolutionner
concrètement, elle évolue paradoxalement au-dessus ou en-dessous de ce monde. Mais, Carnap ne s‟est pas
contenté de l‟abandon de la métaphysique recommandé par ses prédécesseurs. Pour lui, l‟abandon de quelque
chose signifie juste qu‟on renonce désormais à en faire usage, alors même que la chose continue d‟exister.
Confinant dans la sphère du non-sens toute discipline qui n‟utilise pas la démarche analytico-logique dont la
scientificité et la fécondité sont dogmatiquement célébrées dans le Cercle de Vienne auquel il appartient
religieusement, Carnap a roué la métaphysique des coups jusqu‟à ce que mort s‟ensuive. Mais, la thanatologie
de la métaphysique révèle un décès mythique et non un évènement empiriquement vérifiable. La métaphysique
ne saurait succomber au nom d‟une démarche scientifique dont la mathématisation est inapte à appréhender les
problèmes qui lui reviennent de droit. La consubstantialité des questions métaphysiques avec notre être rationnel
constitue un démenti formel à la mise à mort de la métaphysique. La méthode logico-mathématique et les
arguments sur lesquelles Carnap s‟appuie pour rêver la mort de la métaphysique ne sont donc pas assez solides.
Décidément, l‟assassinat de la métaphysique apparaît chez lui comme un véritable cul-de-sac philosophique.

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