Dyslex

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Les dyslexies

Par F. Lussier et J. Flessas


CENTRE D'ÉVALUATION NEUROPSYCHOLOGIQUE ET D'ORIENTATION PÉDAGOGIQUE FLESSAS LUSSIER
(Cenop-fl, Montréal, Québec, http://www.cenopfl.com)

Dr. Francine Lussier M.Ed., M.Ps., Ph.D.

Madame Francine Lussier détient une maîtrise en éducation et une maîtrise en psychologie ainsi qu'un
doctorat en neuropsychologie. Elle a travaillé quinze ans dans l'enseignement aux niveaux primaire et
secondaire. Après avoir pratiqué la neuropsychologie à l'hôpital Ste-Justine pendant quinze ans, ma­
dame Lussier a décidé de consacrer tout son temps au Cenop-fl fondé par elle en 1993. Elle est, avec
madame Janine Flessas, co-auteur de plusieurs livres, dont Neuropsychologie de l'enfant, et de plu­
sieurs tests d'évaluation.

Janine Flessas L.Ps.

Madame Janine Flessas est diplômée en psychologie scolaire et psychopédagogie spéciale de l'institut
de la Sorbonne en France. Elle fait carrière en neuropsychologie au Québec où elle est une pionnière
dans le domaine depuis 1969. Elle est, avec madame Francine Lussier, co-auteur de plusieurs livres,
dont Neuropsychologie de l'enfant, et de plusieurs tests d'évaluation.

Sur le plan étymologique, la dyslexie est un terme grand nombre de cas, l’origine de ces difficultés de
très général qui signale simplement l’existence de lecture s’inscrit dans une atteinte constitutionnelle
difficultés dans l’acquisition du langage écrit. Cepen­ touchant les mécanismes cérébraux de l’enfant. Ils
dant, tout bon pédagogue sait qu’un enfant n’a ap­ réservent à ces cas l’appellation de dyslexies ou de
pris à lire que s’il est à la fois capable de décoder et troubles spécifiques d’apprentissage de la lecture.
de comprendre ce qu’il lit. Apprendre à lire, c’est Pour ces enfants, un trouble de la relation maître-
apprendre à construire des significations à partir élève ou même la méthode de lecture utilisée en
d’une extraction d’indices et formuler des hypo­ classe ne sauraient être considérés comme des fac­
thèses à partir de cette extraction ; c’est aussi utili­ teurs déterminants, même s’ils rendent la situation
ser, à chaque moment, l’information déjà recueillie éventuellement encore plus difficile à gérer pour
pour traiter la suite du message. (Estienne 1982, p. l’enfant dyslexique.
419).
Dans ce chapitre, nous aborderons donc successive­
Malgré cette apparente complexité, comment expli­ ment les modèles neuro-anatomiques explicatifs de
quer que certains enfants y parviennent en quelques la dyslexie puis les modèles cognitivistes et géné­
semaines seulement alors que d’autres, pourtant tiques. La symptomatologie de la dyslexie sera abor­
tout aussi intelligents, souffriront toujours de ne pas dée par la suite, ainsi que celle de la dysorthogra­
réussir à automatiser leur décodage ? phie. Suivra l’évaluation neuropsychologique pou­
vant être proposée pour permettre un diagnostic dif­
Psychologues et psychanalystes cherchent souvent férentiel entre un trouble général d’apprentissage et
des causes de nature psychoaffective ou psychoso­ une vraie dyslexie. L’approche rééducative sera fina­
ciale à un certain nombre de difficultés de lecture. lement évoquée de façon très générale, dans ses
Les neuropsychologues, appuyés en cela par des re­ grands principes.
cherches scientifiques de plus en plus sophistiquées,
se montrent quant à eux convaincus que, dans un

MODÈLES NEURO-ANATOMIQUES FONCTIONNELS


Bien que quelques cas d’adultes ayant perdu l’usage relation entre l’acte lexique et l’activité cérébrale,
de la lecture aient été rapportés dès l’Antiquité, ce principalement celle de l’hémisphère gauche domi­
n’est que depuis une centaine d’années que des cor­ nant pour le langage. C’est, en effet, Dejérine qui en
rélations anatomo-cliniques ont permis d’établir la 1892 présentait un premier cas d’alexie, qualifiée de

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perte spécifique des facultés de décodage du lan­ sation anatomique des structures cérébrales. Celle-
gage écrit, consécutive à une lésion acquise du cer­ ci, d’étiologie possiblement dysgénétique, aurait
veau. Le patient de Dejérine ayant une lésion claire­ donc entravé chez ces patients la mise en place des
ment identifiable au niveau de la zone de jonction réseaux neuronaux complexes qui se constituent
entre les lobes temporal et occipital de l’hémisphère dans le cours habituel de la maturation cérébrale.
gauche, un premier modèle anatomo-fonctionnel vit Cette constatation confirmait par ailleurs l’hypo­
le jour, selon lequel la faculté de lire résulterait de thèse d’Orton (1925), qui supposait que les difficul­
l’interface entre la vision (lobe occipital) et le lan­ tés du dyslexique enfant pouvaient provenir d’un dé­
gage (lobe temporal). La poursuite de ces travaux faut dans l’établissement de la latéralisation hémi­
exploratoires tout au long du XX siècle amena no­
E
sphérique.
tamment Geschwind en 1965 à identifier d’autres
zones cérébrales, apparemment tout aussi impli­ On peut objecter que les études de Galaburda n’ont
quées dans cette fonction. Geschwind fut alors à porté que sur un très petit nombre de patients, dont
même d’évoquer un modèle d’interaction entre ces le diagnostic de dyslexie n’a pu d’ailleurs être posé
diverses zones, permettant d’illustrer la complexité qu’a posteriori. Cependant, d’autres chercheurs tels
des mécanismes cérébraux impliqués dans l’acte de Livingstone et coll. (1991) ont également rapporté la
lecture. Habib et Robichon (1996) le résument ainsi : présence d’anomalies neuronales au niveau de la
l’information écrite arrive, en premier lieu, au niveau couche ventrale des corps genouillés latéraux. Or
des aires visuelles primaires d’où elle converge vers ceux-ci constituent des relais dans la transmission
les aires associatives visuelles de l’hémisphère des influx nerveux au long du nerf optique entre la
gauche. De là, elle parvient au gyrus angulaire rétine et le cortex primaire occipital. Les auteurs en
gauche, tout proche, plaque tournante entre le sys­ concluent à une anomalie du traitement visuel du
tème visuel et les aires du langage. L’étape suivante mouvement, qui se rencontre en effet chez certains
se ferait dans l’aire de Wernicke, où s’établiraient les dyslexiques.
liens entre mot et concept sémantique. Le mot ayant
subi un recodage phonologique et acquis un sens se­ D’autre part, plusieurs études en imagerie fonction­
rait transféré à l’aire de Broca, qui programme les nelle (dont Paulesu et coll., 1996) utilisant conjointe­
actes moteurs nécessaires à sa prononciation. De ment la TOMOGRAPHIE PAR ÉMISSION DE POSITONS (Pet) et la
récentes recherches (Démonet, 1997) accordent éga­ mesure des modifications des débits sanguins régio­
lement à cette aire de Broca un rôle prépondérant au naux, ont pu mettre en évidence que le cerveau des
cours du développement dans la mise en place des dyslexiques ne traitait pas les sons de la langue de la
capacités de segmentation phonémique, dont on re­ même façon que celui des normo-lecteurs, par
connaît de plus en plus l’importance dans l’appren­ exemple dans une tâche de jugement de rimes sur
tissage de la lecture. entrée visuelle. En particulier, on observerait, chez
les premiers, une dysconnexion entre les régions
Avec le développement des techniques d’analyse postérieures du cerveau en charge de la reconnais­
structurale des hémisphères cérébraux, notamment sance visuelle des mots et les régions antérieures en
de l’observation au microscope électronique au cours charge de la segmentation des mots en unités pho­
d’une autopsie, Galaburda et Kemper (1979) s’in­ nologiques.
téressèrent particulièrement à des sujets décédés
accidentellement et reconnus antérieurement Dans le but de tester les théories cognitivistes pré­
comme dyslexiques. Or, ils mirent en évidence chez sentées à la section suivante, des chercheurs, tels que
la plupart de ces patients une latéralisation fonction­ Rumsey et ses collaborateurs (1987), ont examiné,
nelle anormale, se traduisant notamment par une toujours en imagerie fonctionnelle, les structures cé­
absence d’asymétrie du planum temporale (partie rébrales possiblement impliquées tout au cours du
supérieure du lobe temporal habituellement plus mécanisme de la lecture, en fonction de la complexi­
large dans l’hémisphère gauche). Bien que cette ano­ té des mots (longueur, familiarité) et de leurs carac­
malie puisse être retrouvée aussi chez un certain téristiques phonologiques. Rien ne leur permet en­
nombre de sujets non-dyslexiques, l’association de core, toutefois, de confirmer clairement l’existence
celle-ci avec de nombreuses anomalies structurales de deux réseaux neuronaux indépendants cor­
sous forme de dysplasies et de multiples ectopies respondant à des procédures distinctes de lecture,
(amas cellulaires en position anormale) renforçait tels que l’avancent les cognitivistes.
grandement, selon eux, l’hypothèse d’une désorgani­

MODÈLES COGNITIVISTES
Le modèle linéaire conçu par Geschwind en 1965 troubles lexiques ne semblant pas pouvoir s’expli­
avait, en effet, été rapidement remis en cause par les quer par un modèle unique.
théories naissantes des cognitivistes, dont les obser­
vations à partir des années 1970 permettaient de dif­ L’un des premiers à évoquer un modèle pluraliste
férencier plusieurs formes bien particulières de des difficultés de lecture fut Morton (1969), dont les

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travaux se poursuivirent avec son collègue Patterson qui leur permet d’être stockés en mémoire, et elle est
(1980). Leur modèle des logogènes constitua un indispensable pour tout mot « irrégulier », c’est-à-
exemple classique des travaux des cognitivistes, dire dont la prononciation ne peut s’effectuer seule­
illustrant l’acte de lecture comme la résultante de ment à l’aide de la correspondance graphèmes-pho­
deux procédures plus ou moins indépendantes et nèmes. Une fois reconnus visuellement par la voie
s’assistant mutuellement, chacune ayant son propre d’adressage, ces mots accéderaient au système sé­
seuil d’activation. Les deux procédures de Morton et mantique puis au système permettant de les articu­
Patterson correspondent à deux voies, par lesquelles ler (grâce à la mémoire tampon phonologique).
un lecteur peut prononcer un même mot écrit. Elles
sont identifiées comme lexicale et phonologique, Ces premiers cognitivistes, tout comme leurs pré­
chacune des opérations devant être réalisée selon décesseurs neuro-anatomistes, appuyaient leurs re­
une succession linéaire. La voie lexicale permet une cherches presqu’exclusivement sur des observations
identification visuelle rapide des mots familiers, cliniques auprès de patients atteints de dyslexies
mais elle est également indispensable à la lecture de acquises, généralement à la suite de dommages céré­
mots irréguliers. La voie phonologique s’appuie sur braux bien circonscrits.
un système de règles permettant la conversion gra­
phèmes-phonèmes. Elle est indispensable à la lec­ Ultérieurement, d’autres chercheurs tels que Stuart
ture de non-mots et de mots nouveaux. L’inefficience et coll. (1988) et Seymour et coll. (1989), critiquant
de l’une ou de l’autre était considérée à l’origine des le modèle initial de Morton et Patterson, tentaient à
deux grandes formes de dyslexie. leur tour de concevoir d’autres schémas dans le but
de rendre compte plus spécifiquement des troubles
Ce modèle fut complexifié quelques années plus tard présentés dans le cadre des dyslexies dites dévelop­
avec la collaboration de Patterson et Shewell (1987), pementales.
dont nous reproduisons une adaptation, provenant
de l’ouvrage de Grégoire et Piérart (1994). Seymour (1986) introduit une troisième voie, la voie
sémantique, qui éclaire la nature de certains troubles
Ce nouveau modèle introduit les notions aujourd’hui de lecture où le décodage s’effectue de façon fluide,
bien connues de procédures d’assemblage et d’adres­ mais sans que l’enfant saisisse vraiment le sens du
sage. La première (la voie de droite) exige une seg­ message écrit, ce qui est souvent le cas chez les
mentation de la séquence orthographique, chaque hyperlexiques. Inversement, un certain nombre de
segment étant par la suite mis en correspondance dyslexiques utilisent préférentiellement cette voie
avec des segments phonologiques. Ces derniers sont sémantique plutôt que les deux autres, ce qui
ensuite assemblés de manière à être articulés. Il s’a­ entraîne chez eux des erreurs de décodage, par anti­
git donc de la voie d’assemblage. cipation parfois erronée du sens.

La seconde (la voie de gauche) ne serait utilisable


que lorsque les mots écrits sont devenus familiers, ce

MODÈLES GÉNÉTIQUES OU DÉVELOPPEMENTAUX


Cherchant à expliciter la transition entre le fonction­ fiées, correspondant aux procédures requises pour la
nement cérébral d’un «illettré» et celui d’un « lec­ maîtrise de chacune de ces formes d’écrit :
teur compétent », les modèles développementaux 1. la stratégie logographique, qui assure la reconnais­
s’orientent vers la description des types de stratégies sance globale et contextuelle de certains mots fami­
que le sujet doit apprendre à maîtriser pour acquérir liers mais ne permet aucune généralisation ;
le savoir lire. 2. la stratégie alphabétique, qui s’appuie sur l’identi­
fication de graphèmes disposés en séquence et trans­
L’un des modèles bien connus est celui de Frith posés en phonèmes selon le même ordre dans lequel
(1985), qui s’inspire directement de considérations on les entend dans le langage parlé, mais qui ne
philogénétiques. Cette linguiste a, en effet, identifié permet pas le décodage des mots irréguliers ;
dans l’histoire des langues que certaines s’ap­ 3. la stratégie orthographique, dans laquelle des
puyaient exclusivement sur un système logogra­ groupements de lettres sont reconnus visuellement
phique telle le chinois, tandis que d’autres repo­ et combinés entre eux pour former des mots avec le
saient sur un système alphabétique, permettant par support de la sémantique verbale accélérant ainsi le
exemple la transcription phonographique du serbo- processus de lecture. À ce niveau, les représentations
croate en alphabet cyrillique. D’autre part, les lexicales des mots familiers deviennent directement
langues occidentales, telles le français ou l’anglais, accessibles.
utilisaient, selon elle, très largement un système or­
thographique, combinant des caractéristiques mor­ Frith en conclut que l’acte de lire aussi bien que d’é­
phologiques et phonologiques souvent très com­ crire s’acquiert tout au long du développement de
plexes. Trois stratégies de lecture sont ainsi identi­ l’enfant, grâce à la maîtrise successive de ces trois

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stratégies. De plus, elle émet l’hypothèse que la lec­ primant la causalité directe qui reliait les trois stades
ture et l’orthographe se développent en décalage de entre eux de façon linéaire.
phase, servant à tour de rôle de stimulateur au déve­ Ainsi, l’actualisation du stade orthographique serait
loppement de la stratégie suivante. Tout se passerait tout autant la résultante des stratégies logogra­
comme si la lecture donnait l’impulsion pour la stra­ phique qu’alphabétique. Ces deux dernières pour­
tégie logographique, l’écriture pour la stratégie al­ raient ainsi se développer concurremment. Comme
phabétique et la lecture à nouveau pour la stratégie le présumait Frith, l’accès au stade orthographique
orthographique. reposerait donc bien sur la compétence du traite­
ment phonologique, qui permet de prononcer des
Ce modèle qui semble, en effet, traduire fidèlement séquences de lettres particulières comme des syl­
la progression des habiletés de maîtrise du langage labes. Mais il requerrait aussi la capacité logogra­
écrit chez un lecteur « moyen » ne rend pas compte phique d’identifier visuellement ces sous-ensembles
toutefois des anomalies très particulières qui de caractères comme des structures stables, globale­
peuvent être observées tant en lecture qu’en dictée ment reconnaissables d’un seul coup d’œil. Selon ce
chez des sujets dyslexiques. Chez ces derniers, il modèle, la dyslexie se caractériserait essentiellement
semble évident, en effet, que les six étapes de Frith par une difficulté à maîtriser les stratégies orthogra­
ne se mettent pas en place dans un ordre strictement phiques requises pour accéder tant à une lecture
séquentiel et qu’elles ne peuvent, notamment, expli­ fluide qu’à une production écrite respectueuse des
quer les difficultés considérables d’un grand nombre règles. De plus, ce modèle rend mieux compte des
de dyslexiques à utiliser une stratégie alphabétique deux types de dyslexies habituellement identifiés : la
dans le décodage de non-mots, alors même que leurs dyslexie phonologique, qui entrave la mise en place
stratégies orthographiques se révèlent passablement initiale des stratégies alphabétiques, et donc la capa­
fonctionnelles. cité de lire, et d’orthographier des non-mots et la
dyslexie lexicale qui entrave la reconnaissance vi­
D’autres modèles, tels celui que Seymour et coll. suelle des formes logographiques impliquées notam­
(1989), ont mis au point, en s’inspirant des théories ment dans la lecture des mots dits irréguliers, tels
de Frith, semblent beaucoup plus représentatifs de femme ou second et ne laisse souvent au sujet que la
la réalité des troubles de nature dyslexique, en sup­ possibilité de les écrire au son fam, cegon…

SÉMIOLOGIE ET CLASSIFICATION DES DYSLEXIES-DYSORTHOGRAPHIES


Bien que la dyslexie soit une entité reconnue depuis sente plutôt un retard simple dans l’apprentissage de
près de cent ans, la loi publique des États-Unis re­ la lecture ou de l’orthographe. L’imprécision du
connaissant le droit du dyslexique à une éducation diagnostic peut d’ailleurs certainement expliquer la
spécialisée n’a été promulguée qu’en 1978, et la défi­ grande variabilité des taux de prévalence relevés
nition acceptée pour ce trouble se fait encore essen­ dans la littérature [ce taux en effet peut passer de
tiellement par la négative. En effet, pour être identi­ 4 % (Rutter et Yule, 1973) à 20 % (Shaywitz, 1996)].
fié comme dyslexique, l’écart relevé entre les réalisa­
tions scolaires d’un sujet en lecture et ses potentiali­ Pour cerner de plus près la symptomatologie asso­
tés intellectuelles mesurées par une échelle ciée à ce trouble, il est bon de repartir des modèles
d’intelligence (quotient intellectuel) ne doit être ex­ cognitivistes afin d’en analyser les fonctions qu’ils
plicable ni par un trouble de perception sensorielle, considèrent impliquées dans l’apprentissage de la
ni par une scolarisation cahotique, ni par une prob­ lecture, ce qui permet de définir également les typo­
lématique psycho-affective ou une carence de stimu­ logies qui leur correspondent.
lation socio-culturelle. Quel que soit l’âge de l’élève
par ailleurs, celui-ci devrait avoir un écart d’au Les deux voies que le lecteur doit nécessairement
moins 18 mois à 2 ans entre son âge mental présumé emprunter selon Morton et Patterson avaient reçu
aux tests d’intelligence et l’âge qu’il obtient aux tests l’appellation de phonologique et de lexicale. La clas­
de lecture standardisée pour être diagnostiqué sification correspondante des dyslexies parle de dys­
comme tel. lexies dysphonétiques (atteinte de la voie phonolo­
gique, essentiellement), de dyslexies dyséidétiques
Relevons, enfin, la définition de Debray-Ritzen (atteinte de la voie lexicale, parfois combinée à des
(1979), à savoir que : la dyslexie est une difficulté troubles perceptivo-moteurs et visuo-spatiaux) et
durable d’apprentissage de la lecture et d’acquisi­ enfin de dyslexies mixtes (pouvant présenter un cer­
tion de son automatisme, chez des enfants tain nombre des caractéristiques des précédentes).
intelligents, normalement scolarisés, indemnes de
troubles sensoriels (p. 14). Ceci dit, il demeure Même si ce modèle a pu être maintes fois repris et
important de spécifier réellement ce qu’elle est, plu­ nuancé par les chercheurs qui se sont succédés de­
tôt que ce qu’elle n’est pas, afin de ne pas qualifier puis les années 70, la dichotomie phonologique, lexi­
nécessairement de dyslexique tout enfant qui pré­ cale, apparaît encore essentielle à la compréhension

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de la dyslexie. Elle repose, en effet, toujours sur la domaines seront donc décrits à la lumière des re­
nécessité de considérer ensemble ou isolément les cherches les plus éclairantes en dyslexie développe­
troubles qui relèvent de la sphère du langage (voie mentale.
phonologique) et ceux qui appartiennent à la sphère
visuelle ou visuo-spatiale (voie lexicale). Ces deux

ANALYSE DES TROUBLES DE NATURE LINGUISTIQUE ET MÉTALINGUISTIQUE

Atteinte de la voie phonologique

Selon Estienne (1982), le passage par la voie phono­ lexies profondes (acquises) de l’adulte cérébro-lésé,
logique exige du lecteur la transposition des carac­ on peut identifier des erreurs dérivationnelles (le su­
tères alphabétiques perçus visuellement en leurs cor­ jet lit berger pour bergerie, par exemple, ou école
respondants linguistiques, ce qu’on nomme habi­ pour écolier), mais aussi à l’occasion des paraphasies
tuellement une conversion graphème-phonème. sémantiques (rivière pour ruisseau, par exemple),
Pour accomplir celle-ci, le lecteur débutant doit avoir où le décodage s’appuie fortement sur la voie sé­
développé la conscience de la structure phonolo­ mantique identifiée par Seymour. L’utilisation du
gique interne propre aux mots de la langue parlée. contexte se révèle maximale, et plus le mot est fami­
Chez le dyslexique, l’atteinte de cette habileté, qui lier, plus le lecteur aura de chances qu’il soit bien
semble effectivement confirmée par les recherches identifié. Inversement, la lecture de pseudo-mots,
en imagerie fonctionnelle décrites précédemment, devant nécessairement s’effectuer à travers une
entraverait sa capacité à segmenter le mot écrit en conversion rigoureuse graphème-phonème, se révèle
ses constituants phonologiques, l’empêchant par le souvent très fantaisiste, surtout lorsqu’il s’agit de
fait même d’avoir accès à des processus linguistiques polysyllabiques contenant des regroupements de
d’un niveau plus évolué nécessaires à la compréhen­ consonnes complexes et peu usuels (tel bradiscla­
sion de ce qu’il lit. tru).

Certains auteurs, tels que Wimmer (1996), font Un autre déficit fréquemment rencontré chez ces
même de cette atteinte un bon prédictif de dyslexie dyslexiques toucherait l’attention et la mémoire au­
dès le niveau de la maternelle. Il s’agirait plus spéci­ ditivo-séquentielle. Ces enfants présenteraient, en
fiquement de déficits au niveau de l’analyse segmen­ effet, un empan beaucoup plus faible que les enfants
tale de la parole (notamment discrimination pho­ normaux en répétition de séries de chiffres ou de
némique, jugement de similitudes entre rimes et ca­ mots, surtout s’il s’agit de pseudo-mots polysylla­
pacité de suppression de phonèmes) et les re­ biques (Van Hout, 1994). Aucun déficit ne serait, par
cherches de Lacert et Sprenger (1997) ont démontré contre, identifié chez ces mêmes enfants dans des
que ce déficit est nettement corrélé avec l’ampleur tâches similaires en modalité visuelle, confirmant la
du trouble lexique. spécificité de leurs troubles dans la sphère langa­
gière. Par ailleurs, ces difficultés sembleraient pro­
Les travaux de Tallal et de ses collaborateurs (1996) venir d’une faiblesse de la mémoire de travail, néces­
suggèrent également la présence d’un trouble très saire à la répétition subvocale des stimuli entendus,
spécifique de perception auditive chez ces enfants, à travers ce que Baddeley (1986) nomme la boucle
en particulier pour les phonèmes dont l’articulation articulatoire ou le système phonologique. Ils sont
ne dure pas plus de 40 millisecondes (tels le b et le p aussi fréquemment mis en relation avec un déficit
dans les syllabes ba, pa…), comparativement à ceux séquentiel qui touche notamment toute l’organisa­
dont l’articulation se prolonge souvent au-delà de tion temporelle de ces enfants (Merzenich, 1996).
100 millisecondes (tels le m de ma). Un allongement
artificiel de la durée d’émission des sons brefs, avec Des troubles de nature proprement langagière ont
l’aide de l’ordinateur, pourrait améliorer la discrimi­ également pu être identifiés et ils touchent spécifi­
nation de ces enfants, selon ses recherches. quement la rapidité de dénomination d’images, sur­
tout lorsqu’il s’agit de stimuli répétitifs. Ces consta­
À un dysfonctionnement marqué de cette voie pho­ tations ont été faites particulièrement par Denkla et
nologique correspond, en effet, ce que Boder a appe­ Rudel (1976) au moyen de leur test RAPID AUTOMATIZED
lé une dyslexie dysphonétique. D’autres équivalents NAMING (Ran test) et elles sont exposées dans un des
sont également retrouvés dans la littérature, tels une chapitres de Van Hout (1994). Dans ces tâches où le
dyslexie phonétique, phonologique ou même lin­ sujet doit nommer le plus rapidement possible
guistique. Ces sujets ont en commun une faible ap­ quatre séries de 50 items, présentées par catégories
préhension de la relation lettre-son et utilisent donc sémantiques (couleurs, lettres, objets, chiffres), les
majoritairement une stratégie de lecture par adres­ auteurs ont mis en évidence des temps de dénomina­
sage, où les mots sont reconnus à partir d’indices vi­ tion beaucoup plus lents chez les dyslexiques que
suels parfois incomplets. Ainsi, comme dans les dys­ chez les enfants normaux. De plus, leur groupe de

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dyslexiques apparaissait également beaucoup moins corrélation directe entre ces deux types de troubles
performant dans cette tâche que celui qui était mais l’absence de déficit au Ran test pourrait être le
constitué d’enfants en difficultés beaucoup plus gé­ meilleur prédicteur de l’amélioration du décodage en
nérales d’apprentissage, dont l’âge de lecture s’ap­ lecture chez les élèves en difficultés de lecture au
prochait généralement de leur âge mental tel que dé­ premier cycle du primaire.
rivé à partir du WECHSLER INTELLIGENCE SCALE FOR
CHILDREN (Wisc III). Dans ce cas, la difficulté propre Il reste, enfin, à rappeler qu’un certain nombre de
aux dyslexiques ne dépendrait ni de la vitesse d’arti­ dyslexiques (environ 50 % selon Habib et coll., 1999)
culation, ni de la connaissance du vocabulaire, ni de ont présenté dès l’enfance un retard d’acquisition du
l’identification visuelle des stimuli, mais bien de leur langage oral, ce qui leur permet de situer la dyslexie
incapacité à accéder de façon automatique à l’image dans une sorte de continuum par rapport à la dysp­
motrice des mots, nécessaire à leur dénomination hasie comme le pense Estienne (1982). Cependant,
rapide. Cette difficulté à acquérir des automatismes la grande majorité des dyslexiques ne sauraient être
faisait d’ailleurs partie de la définition de Debray considérés également dysphasiques, leurs difficultés
précédemment citée. Il est intéressant aussi de men­ langagières demeurant assez subtiles, et découlant le
tionner les travaux de Meyer et de ses collaborateurs plus souvent de leur trouble phonologique : le voca­
(1998), qui ont poursuivi une étude longitudinale sur bulaire peut ainsi demeurer longtemps flou ou incer­
trois groupes d’enfants de la maternelle à la 8 ème an­ tain, surtout au niveau de polysyllabiques peu
née de scolarité. En rétrospective, ils ont pu consta­ fréquents donc plus difficiles à mémoriser.
ter que leur groupe d’enfants dyslexiques (qui a
continué de manifester un retard important dans la Chez le dyslexique plus âgé, par contre, il serait rare­
maîtrise de la lecture même après 8 ans de scolarité) ment possible d’en percevoir des indices, simple­
avaient présenté des scores déficitaires à l’épreuve ment au cours d’une entrevue préliminaire à l’exa­
de Denkla, tant en 3ème qu’en 5ème et en 8ème année. men lui-même. Bien au contraire, les sujets dys­
[Note du transcripteur : cet article est canadien.] En lexiques ont de façon générale des forces significa­
comparant par ailleurs les enfants « mauvais lec­ tives au plan du raisonnement, du jugement critique
teurs » avec le groupe précédent, ils ont pu mettre en et des capacités de synthèse et de conceptualisation
évidence que les troubles de segmentation phonolo­ en particulier, leur permettant l’accès aux cours uni­
gique étaient communs aux deux groupes d’enfants versitaires, en dépit de leurs difficultés persistantes
dès le début de leur scolarité, tandis que le déficit de de décodage et de production écrite (Shaywitz 1996).
dénomination rapide n’apparaissait statistiquement
que chez les dyslexiques. Il n’y aurait donc pas de

ANALYSE DES TROUBLES DE NATURE PERCEPTUELLE ET VISUO-SPATIALE

Atteinte de la voie lexicale

La voie lexicale identifiée par Morton et Patterson trouble de mémoire visuo-spatiale à long terme) des
traduisait la procédure nécessaire à la reconnais­ formes logographiques correspondantes aux seg­
sance en lecture rapide des mots familiers, et en par­ ments constitutifs des mots familiers. Or, ces seg­
ticulier à la lecture de mots irréguliers. Telle que dé­ ments présenteraient une très grande diversité, l’au­
crite précédemment dans le modèle à deux voies, elle teur ayant identifié plus de 400 combinaisons pos­
a aussi reçu diverses appellations dans la littérature, sibles entre consonnes et voyelles, incluant les di- et
notamment la voie logographique (Seymour, 1990) les trigraphes (tr, gh, ngl, tch…).
ou encore la voie directe ou d’adressage (Ellis,
1989). Sans la maîtrise de cette voie, le lecteur serait Lorsque cette voie lexicale présente un dysfonction­
toujours astreint à une stratégie alphabétique de nement marqué, le sujet peut recevoir un diagnostic
conversion graphème-phonème, qui se révèle passa­ de dyslexie dyséidétique (Boder), encore appelée
blement inefficace dans la lecture de phrases telles dyslexie morphémique ou de surface (Seymour,
que les poules du couvent couvent ou encore mon 1986). Ces sujets éprouvent donc une incapacité à
fils a cassé mes fils !… automatiser leur lecture, ne pouvant s’aider de
l’apparence visuelle du mot pour accéder à sa signifi­
L’accès normal au stade orthographique supposerait cation. Tout se passe comme s’ils ne pouvaient récu­
que le sujet ait acquis au préalable la capacité d’iden­ pérer en mémoire la prononciation qui est associée
tifier des regroupements de lettres, mémorisant leur au mot présenté. La difficulté sera d’autant plus
séquence dans les syllabes et mettant en correspon­ grande que les mots auront une orthographe irrégu­
dance ces structures avec leur transcription phonolo­ lière, en particulier lorsque ceux-ci sont constitués
gique. Selon Seymour, la dyslexie lexicale serait es­ de graphèmes qui ne doivent pas être prononcés
sentiellement de nature morphémique, causée par comme dans les mots doigt ou sept, ou dont la pro­
un défaut de reconnaissance visuelle (donc un nonciation ne respecte pas l’orthographe tels femme

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ou second, précédemment mentionnés. On parle (morphémiques), l’auteur parle ici de dyslexies d’a­
alors d'erreurs de régularisation. Ce trouble, beau­ nalyse visuelle.
coup moins fréquent que le précédent, apparaît, par
contre, encore plus perturbateur pour l’accès à la si­ Ces difficultés de perception visuelle sont certaine­
gnification du texte lu, car le rythme de lecture ne ment aussi à mettre en relation avec l’analyse que
peut que très difficilement s’accélérer, entravant fait Beaune (1987) du comportement oculomoteur
d’autant l’accès à la représentation mentale et au rai­ erratique de certains dyslexiques. En effet, cet auteur
sonnement inférentiel. rapporte les études de Javal (1978) selon lesquelles
la lecture normale s’effectue par des séries de sac­
Cependant, cette voie lexicale s’appuie aussi sur une cades oculaires suivies de fixations du regard. Ces
analyse visuelle nécessaire à la reconnaissance du saccades s’opèrent de la gauche vers la droite, du
lexique visuel proposé. Un petit nombre de dys­ moins dans notre monde occidental, mais à diverses
lexiques présentant des difficultés majeures à ce ni­ reprises, le mouvement doit s’inverser, permettant le
veau, quelques études des fonctions perceptuelles se­ changement de lignes ou des retours en arrière. Ces
ront rapportées ci-dessous. derniers se produisent notamment lors de difficultés
de compréhension du texte lu. Ces stratégies de re­
La lecture s’effectuant nécessairement au même titre gard prendraient environ de 4 à 5 ans pour se mettre
que toute analyse visuelle d’objets ou de scènes re­ en place et s’automatiser dans le cours du primaire
quiert l’intégrité du système neuronal visuel. Selon chez un enfant normal.
Seymour (1990), l’identification des formes écrites
(lettres ou mots) dépend à la fois de la typographie La durée moyenne des saccades, telle que rapportée
utilisée (notamment la taille des lettres), de la lon­ par Javal, serait d’environ 35 millisecondes et leur
gueur du mot présenté, de la fréquence d’usage de longueur de 8 à 9 caractères graphiques. Elles re­
celui-ci et de sa congruence (selon que le mot présenteraient environ 10 % du temps de lecture
contient ou non des combinaisons consonantiques pendant lequel l’acuité visuelle est nécessairement
impossibles à lire ou une absence de voyelles). Si l’a­ amoindrie et leur rôle serait de focaliser l’œil sur le
nalyseur visuel conduit à une reconnaissance satis­ texte à lire afin d’obtenir une analyse visuelle tou­
faisante des lettres ou des groupements de lettres ou jours optimale. Quant aux fixations, leur durée serait
encore des mots dans leur globalité, le traitement se d’environ 225 millisecondes et elles permettraient de
poursuivra sur les plans phonologique ou sé­ saisir simultanément jusqu’à une vingtaine de carac­
mantique. tères. Il est facile de concevoir que plus le lecteur est
compétent, plus la durée de ses fixations est courte
Pour évaluer le fonctionnement de l’analyseur visuel, et moins il fait de retours en arrière. Par ailleurs,
Seymour propose au lecteur des tâches de pairages plus la longueur de ses saccades augmente, plus il est
visuels (de lettres ou de mots) et de lecture de mots en mesure de survoler son texte en lecture rapide.
isolés en utilisant des mesures de temps de réaction Des facteurs cognitifs de haut niveau, liés à la
pour chacun des mots identifiés, et en faisant varier compétence du lecteur et au niveau de difficulté du
les différentes caractéristiques physiques des formes texte, interfèrent donc avec la vitesse du décodage.
écrites tel que mentionné ci-dessus. Moins l’analy­
seur visuel se révèle efficace dans son traitement de Beaune a pu observer que chez certains sujets pré­
l’information, plus le temps de réaction s’allonge, sentant des difficultés de lecture, les saccades sont
donc plus faible est la compétence du lecteur. très courtes, tandis que leurs temps de fixation s’al­
longent et qu’ils effectuent de fréquents retours en
De façon originale, Seymour a également proposé arrière. L’auteur rapporte également des travaux ef­
des arrangements spatiaux de lettres inusités (mot fectués sur l’organisation du regard de jeunes dys­
écrit sur deux lignes en alternance tels z i g z a g ou à lexiques, par enregistrement électro-oculographique.
la verticale), obligeant le lecteur à une démarche Ces sujets présenteraient fréquemment une moins
séquentielle (lettre à lettre), ce qui permet mieux bonne efficience oculomotrice qui s’expliquerait aus­
d’évaluer la compétence du système visuel qu’une si par un déficit de la structuration spatiale, pouvant
démarche simultanée d’identification des mots. s’accompagner d’une sorte de dyspraxie du regard
chez certains d’entre eux : l’œil reste fixé sur un mot
L’auteur rapporte plusieurs cas de sujets dyslexiques ou un groupement de mots sans qu’il puisse s’en dé­
(développementaux), où il a pu mettre en évidence tacher pour passer à la séquence suivante ou, au
une atteinte du traitement visuel comme cause ma­ contraire, les sauts s’effectuent de façon erratique.
jeure de leurs difficultés de lecture. Ces sujets pré­ Parfois, le sujet rapporte aussi percevoir une distor­
sentent, en effet, un allongement très sensible de sion des lettres ou même avoir l’impression que
leur temps de réaction à la fois dans les activités de celles-ci se déplacent ou encore bondissent à l’exté­
pairages visuels de mots et de décodage des arrange­ rieur de la page.
ments spatiaux inusités. Leur temps de lecture s’al­
longe également de façon indûe en fonction de la Ces troubles évoquent en fait les problématiques
longueur des mots et de leur rareté d’utilisation. Par rencontrées par les enfants INFIRMES MOTEURS CÉRÉBRAUX
opposition aux dyslexies phonologiques et lexicales (Imc) (Mazeau, 1995), même lorsque leurs troubles

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neuro-visuels sont relativement modérés : difficul­ l’épreuve d’intelligence, justement en raison de leur
tés de contrôle volontaire des saccades, fatigue ra­ habileté sur les plans perceptuel et visuo-spatial.
pide en situation de lecture, errances de recherche Notre expérience clinique nous a, toutefois, permis
visuelle, etc, même si ces enfants ne peuvent être de rencontrer un certain nombre de dyslexiques de
considérés comme véritablement dyslexiques. type lexical, dont la problématique suggère à la fois
une atteinte spécifique de la reconnaissance visuelle
Quoiqu’il en soit, cette problématique apparaît plu­ des structures lexicales de base ainsi qu’une faible
tôt exceptionnelle, ce qui expliquerait que plusieurs efficience au plan de la poursuite oculo-motrice no­
auteurs aient complètement nié l’incidence de tamment.
troubles perceptuels dans la symptomatologie des
dyslexies. Ils remettent particulièrement en cause la Certains auteurs ont également rapporté l’incidence
vieille hypothèse visuo-spatiale d’Orton (1925), selon de l’écriture en miroir chez les dyslexiques. Le lin­
laquelle les deux hémisphères cérébraux entreraient guiste Lebrun (1990) expose, au contraire, dans son
en compétition, comme si le droit percevait les article, plusieurs cas de sujets non dyslexiques pré­
lettres et les mots en miroir alors que le gauche les sentant cette particularité principalement chez de
renversait pour les orienter correctement. Ces jeunes gauchers. L’auteur en conclut aussi que la
mêmes auteurs rapportent également les travaux de tendance à l’inversion spatiale des lettres entre elles
Vellutino (1979), sur l’apprentissage des lettres hé­ (b pour d, par exemple) ou dans leur séquence à l’in­
braïques, qui conclue que la difficulté essentielle des térieur d’un mot (not pour ton, par exemple) ne peut
dyslexiques n’est pas de différencier ces caractères que très rarement être considérée comme une diffi­
entre eux mais d’effectuer l’appariement visuo-ver­ culté propre aux seuls dyslexiques, même si elle se
bal nécessaire pour prononcer les phonèmes cor­ présente chez certains d’entre eux. Cette inversion
respondants, ce qui évoque toujours une difficulté de proviendrait le plus souvent d’une tendance natu­
pairage graphème-phonème propre aux dyslexiques relle et temporaire à balayer la ligne du regard de
phonologiques. Van Hout (1994) va même jusqu’à droite à gauche, propre à ces enfants, et qu’on aurait
conclure que l’hypothèse d’un déficit dans le traite­ souvent avantage à ne pas contrecarrer, selon cet au­
ment visuo-spatial doit être généralement abandon­ teur.
née pour la dyslexie : au contraire, c’est l’hypothèse
opposée qui tendrait à prévaloir, puisque les dys­ De la même façon, les troubles de la latéralité,
lexiques présentent le plus souvent une supériorité comme ceux du schéma corporel ou une écriture dé­
dans ce domaine. Les mêmes allégations se re­ fectueuse, sont considérés par Estienne (1982)
trouvent chez Shaywitz (1996), ainsi que chez Gré­ comme des facteurs associés occasionnellement, plu­
goire et Piérart (1994), qui s’appuient le plus souvent tôt que des déficits en relation causale avec un
sur le fait que ces mêmes enfants ont tendance à trouble de nature dyslexique.
avoir un quotient non verbal supérieur au verbal à

LES DYSORTHOGRAPHIES
L’évaluation de l’orthographe semble avoir donné caractère beaucoup moins prévisible que la lecture,
lieu à beaucoup moins de recherches théoriques et en raison du grand nombre de variantes possibles
d’études cliniques que celle de la lecture. Ceci parait dans la transcription phonémique d’un même mot
dû au moins en partie au fait que la catégorisation (exemple police pourrait s’écrire pollisse, polisse,
des « fautes d’orthographe » se révèle très variable paulisse, potlice, etc). Ceci s’avère particulièrement
d’un auteur à l’autre, ces fautes étant le plus souvent vrai dans la langue française où, d’après l’étude de
inconstantes chez le même enfant d’une séance d’é­ Véronis (1988), le seul recours aux règles de conver­
valuation à l’autre. Quel adulte, même normal et sion phonème-graphème ne permettrait d’écrire
cultivé, ne fait pas d’ailleurs encore à l’occasion cer­ qu’environ 50 % des mots de la langue ; on peut
taines erreurs, comme on peut le réaliser en effec­ donc considérer que la maîtrise de l’orthographe
tuant les dictées-pièges de Bernard Pivot ? L’écriture sollicite des ressources cognitives considérables.
correcte des mots de la langue présente, en effet, un

RECHERCHES EN NEUROPSYCHOLOGIE ADULTE


Zesiger et de Partz (1994) proposent la représenta­ ainsi que sa signification dans le système sé­
tion schématique suivante pour illustrer les procé­ mantique. La transcription orthographique cor­
dures orthophoniques chez l’adulte, selon que ce respondante s’appuierait sur une représentation de
dernier utilise des stratégies d’adressage ou d’assem­ nature morphémique, récupérée à travers une mé­
blage. moire tampon graphémique, analogue à la mémoire
tampon phonologique nécessaire notamment à la
Dans la procédure d’adressage, le mot familier acti­ production orale des mots irréguliers en lecture. Ain­
verait une représentation phonologique d’entrée, si, une bonne orthographe d’usage requiert la maî­

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trise de connaissances spécifiques qui dépassent de D’autres formes de dysgraphies ont également été
loin les simples règles de conversion phonèmes-gra­ répertoriées, toujours chez l’adulte :
phèmes.  dysgraphies aphasiques (co-occurrence des
troubles du langage oral et du langage
Quant à la procédure d’assemblage en orthographe, écrit) ;
elle nécessiterait un recours à la mémoire tampon  dysgraphies apraxiques (touchant l’acte d’é­
phonologique pour effectuer une segmentation pho­ criture) ;
nologique et sélectionner une correspondance pos­  dysgraphies spatiales (perturbant les
sible graphémique (généralement, l’association la aspects spatiaux de l’écriture, tels l’emplace­
plus courante phonème-graphème). Ce serait la voie ment des lettres ou des mots sur la ligne ou
habituellement utilisée pour écrire sous dictée un sur la feuille).
mot nouveau ou un nom propre inhabituel. La pro­
duction écrite, résultant de ces deux procédures, s’ef­ Cependant, bien qu’un certain nombre de cas cli­
fectuerait par l’activation des programmes moteurs niques aient permis d’identifier des déficits sélectifs
correspondants aux aspects spatiaux des lettres et à (au niveau de la lecture, de l’orthographe, de l’écri­
leur déroulement temporel à l’intérieur des mots. ture ou de l’épellation), la pratique neuropsycholo­
Elle serait largement automatisée. gique amène plutôt à rencontrer chez un même pa­
tient des altérations fonctionnelles multiples. De
Dans le cas des adultes cérébro-lésés, des sympto­ plus, comme pour les troubles acquis de la lecture,
matologies différenciées correspondantes à ces deux Black et Behmann (1994) ont observé une impor­
procédures ont pu être identifiées. Les auteurs tante variabilité d’un cas à l’autre dans la localisation
parlent alors plutôt de dysgraphies et on y retrouve des lésions cérébrales apparemment responsables
des dénominations similaires aux symptomatologies des dysorthographies acquises par leurs patients.
de lecture : Les modèles neuro-anatomiques demeureraient
 dysgraphies lexicales (ou orthographiques, donc encore largement peu applicables à la compré­
ou encore de surface), résultantes de l’at­ hension des mécanismes tant en lecture qu’en écri­
teinte des procédures d’adressage. ture.
 dysgraphies phonologiques, reflétant l’at­
teinte des procédures d’assemblage ;

DONNÉES ACTUELLES CHEZ L’ENFANT


Dans la lignée des travaux de Frith (1985), des re­ un déficit attentionnel, un trouble d’audition
cherches ont été menées par Alegria et ses collabora­ centrale ou une faiblesse de la mémoire visuelle (en
teurs (1994) afin d’identifier les rôles respectifs des mémoire de travail et mémoire à long terme).
trois stratégies de Frith sur l’apprentissage de l’or­
thographe au cours de la scolarité de l’enfant. Effec­ Il semble aussi fréquemment relié à une absence de
tivement, les chercheurs ont pu constater une stratégies d’anticipation et de vérification chez des
apparente chronologie dans l’acquisition normale enfants présentant une certaine immaturité des
des procédures alphabétique puis orthographique. conduites d’autorégulation frontale. L’absence de
La première donnerait lieu à l’utilisation de règles de pratique journalière (tant de la lecture que de la dic­
conversion de plus en plus sophistiquées, tandis que tée) nous apparaît aussi en grande partie res­
la seconde permettrait l’extension en mémoire du ponsable du grand nombre de fautes identifiables,
lexique orthographique. même dans les productions des étudiants à l’univer­
sité.
Cependant, il n’y aurait pas de transition abrupte
entre ces deux stades, les procédures paraissant co­ Par ailleurs, en ce qui concerne plus spécifiquement
exister précocement et se développer en parallèle. les dysorthographies associées aux dyslexies, l’ana­
Par ailleurs, la proportion relative de mots disposant lyse des erreurs orthographiques produites par le su­
d’une représentation orthographique par rapport à jet ne reflète généralement pas de façon rigoureuse
ceux qui n’en ont pas encore, augmenterait au cours les erreurs notées en lecture (les stratégies utilisées
du développement, permettant une amélioration sont souvent différentes), pas plus que ces dernières
substantielle de l’orthographe lexicale. ne permettraient avec certitude de différencier les
dyslexiques des mauvais lecteurs en général. C’est du
De nombreux enfants toutefois manifestent des diffi­ moins ce que pensent un bon nombre des auteurs.
cultés particulières à accéder à un lexique orthogra­ De plus, les erreurs produites, tant en situation de
phique, mais il n’est pas toujours aisé d’identifier l’é­ lecture que d’écriture, se modifieraient tant au plan
tiologie du problème. Parfois le trouble peut être mis qualitatif que quantitatif dans un suivi à long terme
directement en relation avec un tableau de dyslexie de ces enfants.
(particulièrement dans sa forme dyséidétique) mais,
bien souvent, il apparaît davantage en relation avec

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De façon générale, par contre, les troubles de l’ortho­ nologique d’une dysorthographie lexicale. Cepen­
graphe apparaissent au moins aussi sévères, sinon dant, le plus souvent, les erreurs commises se carac­
plus, que les troubles de lecture chez les sujets dys­ térisent plutôt par leur grande diversité et le fait que
lexiques. Les auteurs parlent alors de dysorthogra­ celles-ci perdurent bien au-delà de la période nor­
phie développementale, laquelle résulterait généra­ male d’apprentissage de ces habiletés, en particulier
lement d’une discontinuité entre les procédures al­ lorsque le sujet doit tenir compte des contraintes
phabétique et orthographique. Dans un grand contextuelles dans l’application des règles. Notre
nombre de cas, les erreurs du sujet proviendraient pratique nous amène, en effet, à considérer que la
de l’application d’une stratégie alphabétique souvent sévérité de certaines problématiques tant en lecture
inappropriée, en particulier pour les mots irrégu­ qu’en écriture, justifie entièrement à notre avis un
liers, dont l’enfant ne parvient pas à évoquer les re­ bilan neuropsychologique de toutes les fonctions
présentations orthographiques. Dans d’autres cas, éventuellement impliquées dans ces apprentissages.
alors que les mécanismes de lecture semblent s’être Le diagnostic d’une forme de dyslexie ou de dysor­
bien installés, la persistance des erreurs lexicales thographie requiert une investigation plus ex­
dans les productions écrites semble refléter une haustive qu’une simple analyse d’erreurs. C’est ce
forme de dysorthographie de surface sans dyslexie que nous traiterons dans la section suivante.
adjacente. Ainsi, comme pour les adultes, il est par­
fois possible de différencier un dysorthographie pho­

ÉVALUATION NEUROPSYCHOLOGIQUE DU DYSLEXIQUE


Comme pour tout enfant référé pour une évaluation bien entendu, l’outil à privilégier. Le profil classique
neuropsychologique, une recherche soigneuse des de Bannatyne (1971) se révèle souvent représentatif
antécédents personnels (médicaux, familiaux et sco­ de ces enfants, bien que de grandes différences indi­
laires) doit être entreprise auprès des deux parents si viduelles puissent se présenter selon qu’il existe ou
possible. Il est, en effet, important de savoir si l’en­ non des troubles associés. Les travaux de Bannatyne
fant a des antécédents familiaux de troubles spéci­ ont, cependant, établi que la plupart des dyslexiques
fiques d’apprentissage, étant donné l’incidence géné­ obtenaient leurs meilleurs résultats dans les sous-
tique reconnue de cette problématique. L’enfant tests spatiaux (cubes, assemblages d’objets et com­
pourrait aussi avoir souffert éventuellement de dom­ plétement d’images), des résultats plus moyens dans
mages cérébraux à la naissance, plus susceptibles de les sous-tests conceptuels (vocabulaire, similitudes
causer des troubles généraux d’apprentissage. et compréhension), tandis que leurs notes les plus
L’incidence d’otites à répétition ayant même requis faibles étaient relevées dans les sous-tests séquen­
des interventions chirurgicales doit aussi être consi­ tiels (mémoire de chiffres, code et arithmétique),
dérée comme en relation souvent causale avec des trois sur quatre sous-tests du profil ARITHMETIC,
imperceptions auditives ou des troubles de l’audition CODING, INFORMATION, DIGIT-SPAN (Acid) conventionnel.
centrale. Il est, par ailleurs, intéressant de savoir si La prédilection d’un grand nombre de dyslexiques
l’enfant a été soumis à des méthodes d’apprentissage pour les activités visuo-spatiales par rapport aux
de la lecture non conventionnelles ou parfois si dif­ tâches linguistiques est, en effet, largement observée
férentes qu’il a pu connaître une rupture dans son dans la pratique clinique, de même que la fréquence
rythme d’acquisition. L’observation de ses travaux de leurs déficits séquentiels ou attentionnels. Ces
scolaires en français et en calcul est également sou­ derniers sont d’ailleurs si souvent présents qu’il
vent instructive quant à la nature des erreurs, mais apparaîtrait difficile d’établir une cohorte de dys­
aussi quant à l’effort que le sujet accorde à ses pro­ lexiques sans déficit attentionnel pour des fins de re­
ductions. La langue maternelle de l’enfant et celle(s) cherche.
utilisée(s) à l’école et en-dehors sont aussi à prendre
en considération, surtout si ses capacités intellec­ Selon les indices relevés au cours de l’évaluation
tuelles semblent plutôt inférieures à la moyenne. Par intellectuelle, il pourra s’avérer pertinent de pour­
la suite, un bilan intellectuel au moins partiel est ef­ suivre l’investigation au niveau des processus atten­
fectué, afin d’éliminer clairement l’éventualité d’un tionnels et mnésiques ou des capacités d’autorégula­
retard intellectuel, même léger. Il n’en demeure pas tion frontale, ou encore des déficits plus proprement
moins que les deux conditions (retard mental et dys­ linguistiques, perceptuels ou visuo-spatiaux.
lexie) peuvent aussi se rencontrer occasionnelle­
ment, le diagnostic n’étant alors posé qu’après plu­ Par la suite, une batterie d’évaluation de la dyslexie
sieurs années de scolarisation et la persistance d’un peut être alors proposée au sujet, batterie compre­
écart significatif entre l’âge mental du sujet et son ni­ nant habituellement un certain nombre de tâches
veau de lecture ou d’orthographe. permettant de caractériser les déficits tant dans un
registre auditivo-verbal que visuel ou oculomoteur.
Lorsque le temps alloué à l’examen neuropsycholo­ Voici une description des épreuves pouvant être pro­
gique est suffisant pour entreprendre une évaluation posées pour un diagnostic différentiel.
complète de l’intelligence, le Wisc III se trouve être,

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PRINCIPES DE RÉÉDUCATION SUGGÉRÉS
Comme pour l’évaluation directe de la lecture et de la langue. Ils se sont même avérés en mesure d’effec­
l’écriture, la prise en charge rééducative est le plus tuer, sans aide particulière, une activité d’inversion
souvent assumée par les orthophonistes et/ou par phonémique qui n’avait jamais été pratiquée dans les
les orthopédagogues. Nous référerons donc le lecteur séances d’entraînement précédentes.
aux ouvrages traitant spécifiquement des méthodes
de rééducation et ils sont légion. À titre indicatif, le Ainsi, non seulement les enfants du groupe expé­
chapitre d’Estienne (1982) consacré au diagnostic de rimental dépassèrent-ils rapidement ceux du groupe
la dyslexie et à sa rééducation apparaît particulière­ contrôle dans leur capacité à décoder des non-mots,
ment bien documenté. Le lecteur trouvera également mais leurs habiletés de conscience phonologique
toute une section sur son traitement dans l’ouvrage pouvaient être considérées en fin de rééducation tout
de Anne Van Hout et Françoise Estienne (1994), qui à fait similaires à celles des enfants normaux débu­
recouvre toutes sortes d’approches, des pédago­ tant leur première année. L’étude de Courcy et Bé­
giques aux psychothérapeutiques, en passant par les land se poursuit à présent afin d’évaluer quels seront
cognitivistes et neurologiques. les effets à moyen et long terme d’un tel entraîne­
ment sur les compétences ultérieures de ces enfants
Certaines pistes de recherches, de nature tant pré­ en lecture.
ventive que curative, sont également à mentionner
telle la découverte qu’une amélioration significative Le fait d’être neuropsychologues ne nous empêche
des performances en conscience phonologique, mais évidemment pas de considérer pour chaque enfant
aussi en lecture a été obtenue par Alexander et ses dyslexique la résonance intime du drame que consti­
collaborateurs (1991) en entraînant les sujets à déve­ tue un échec scolaire, surtout pour un sujet intelli­
lopper une conscience articulatoire. Ainsi, amener gent. Cependant, bien qu’un trouble de la relation
l’enfant dyslexique à prendre conscience de la posi­ maître-élève ou la persistance de graves problèmes
tion et des mouvements de ses organes bucco-pho­ familiaux puissent être des facteurs entravant l’ap­
natoires (langue, dents et lèvres) dans la production prentissage scolaire, ils ne sauraient être considérés
d’un phonème, améliorerait ses capacités métacogni­ comme responsables d’une dyslexie, telle qu’elle a
tives et son efficience en lecture. été présentée dans ce chapitre. Ces conditions ne
sauraient être, en effet, que des conditions aggra­
Travaillant auprès d’une clientèle d’enfants québé­ vantes et non déclenchantes.
cois francophones de 6 ans en risque d’éprouver des
difficultés spécifiques d’apprentissage de la lecture, Ceci dit, même lorsque tous les facteurs environne­
Courcy et Béland ont mis sur pied un programme mentaux apparaissent favorables, le pronostic de ré­
spécifique d’entraînement à la conscience phonolo­ éducation d’un dyslexique semble difficile à établir à
gique. Ces enfants ont été pairés à un groupe cont­ partir du simple bilan diagnostic. Les facteurs qui
rôle présentant des difficultés similaires, de même sembleraient les plus prometteurs pourraient être les
âge chronologique et de même niveau intellectuel, suivants :
sur la base d’examens tant psychologiques qu’ortho­  précocité de l’intervention (dès 7 ans,
phoniques. Leur groupe expérimental a participé à lorsque le trouble se manifeste de façon
un programme intensif d’une durée de dix semaines. massive) ;
Ce dernier comprenait des tâches variées et lu­  fréquence de la rééducation : chaque jour 30
diques, impliquant différentes manipulations qui minutes semble préférable à 2 heures, une
concernaient à la fois l’unité-syllabe et le phonème fois par semaine ;
(segmentation, fusion, inversion, etc).  répétitivité des exercices : son but est d’auto­
matiser les productions de l’enfant, pour af­
L’originalité de cette démarche reposait, entre fecter le plus possible l’énergie sur des acti­
autres, sur l’utilisation exclusive de non-mots afin de vités de raisonnement, de conceptualisation
mobiliser toute l’attention des sujets sur les caracté­ et de mise en place de stratégies associatives
ristiques sonores (phonologiques) du matériel verbal compensatoires ;
qui leur était proposé. De plus, une attention parti­  utilisation maximale de modalités multisen­
culière était accordée au contrôle des structures syl­ sorielles : visuelle, auditive, tactile, kinesthé­
labiques des stimuli présentés, pour les rendre très sique, pour créer de multiples entrées
similaires à celles de la langue française (CV, CVCV, mnésiques (mémoire contextuelle) et les
CVCCV…). charger de sens à travers des pictogrammes
ou des anecdotes ;
Comparativement au groupe contrôle, qui est de­  renforcement des fonctions préservées chez
meuré entièrement stationnaire au plan des habile­ l’enfant plutôt qu’acharnement systématique
tés de traitement phonologique, les enfants ayant bé­ à réduire ses déficits.
néficié de cette approche ont amélioré de façon très
significative leurs capacités de manipuler les sons de

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Ceci dit, nous pensons avec F. Estienne qu’il de­ tistiques soient entreprises pour objectiver et com­
meure important d’éviter des traitements qui n’en fi­ parer les différentes méthodes de rééducation, sur­
nissent pas, en établissant dès le départ un contrat tout si les procédures diagnostiques permettent de
de durée limitée entre l’enfant et le thérapeute, re­ plus en plus de sélectionner les critères sur lesquels
nouvelable d’un commun accord. Nous l’appuyons s’appuyer pour constituer des groupes homogènes.
également lorsqu’elle souhaite que des études sta­

CONCLUSION
Un apprentissage réussi de la lecture et de l’ortho­ Le drame des sujets dyslexiques se joue, en effet, à la
graphe est de façon certaine la résultante de proces­ fois au niveau de la lecture et de l’écriture. Ne parve­
sus mentaux complexes impliquant, ensemble ou nant pas à se libérer des exigences instrumentales
isolément, des capacités de segmentation pho­ propres au décodage ou à la transcription fidèle des
némique et de représentation orthographique des mots de la langue, leur pensée ne peut s’exprimer
mots de la langue. La mise en place de ces habiletés avec toute la souplesse que devrait permettre l’usage
suppose, par ailleurs, de la part du sujet qu’il puisse de l’écrit dans une démarche de réflexion et de men­
développer, à travers l’expérience de plus en plus talisation. Pour que cette barrière ne demeure pas
précise de la structure orthographique de ces mots, insurmontable, tous les efforts sont requis tant au
des souvenirs d’évocations de nature auditive, vi­ niveau des chercheurs que des cliniciens pour ac­
suelle et/ou kinesthésique (graphesthésique). Plus la céder à une véritable compréhension de ces problé­
réactivation de ces souvenirs s’effectuera de façon matiques et identifier, au cas par cas, les meilleures
automatisée, plus la recherche nécessaire de la signi­ stratégies qui devraient permettre d’améliorer l’effi­
fication sera rendue possible tant au lecteur qu’au cience des comportements de lecture aussi bien que
scripteur. d’écriture.

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