Les Impacts de La Comptabilite
Les Impacts de La Comptabilite
Les Impacts de La Comptabilite
COMPTABILITE!D’INTENTION!
SUR!LES!ETATS!FINANCIERS!
Claire BERTUCCHI
Session 2016/2018
Je tiens à remercier :
ü Le cabinet KPMG Audit Strasbourg pour l’opportunité de stage qui m’a été offerte et la
richesse de cette expérience professionnelle
ü Alexandra JOHO ANTOINE, Directeur de mission associé au sein du cabinet KPMG Audit
Strasbourg et Performance Manager, pour son accompagnement et son vif intérêt pour
mon sujet de mémoire
ü L’ensemble des personnes avec lesquelles j’ai travaillé pendant mon stage, en particulier
Marie DUCARME et Adama DIAGNE pour leur bienveillance et leur pédagogie
ü Gilles LAMBERT, pour son vif intérêt pour mon sujet de mémoire, sa disponibilité et le
partage de ses connaissances
ü L’ensemble des personnes qui m’ont encouragée et soutenue dans le cadre de ma reprise
d’études, notamment Daniel et Madeleine NOBLET ; Stéphanie, Aurélien, Lisa et Camille
MORTIER ; Christian BERTUCCHI
INTRODUCTION 1
1. REVUE DE LA LITTERATURE 3
CONCLUSION 38
BIBLIOGRAPHIE 40
ANNEXES
INTRODUCTION
A travers ces propos, Bernard Colasse remet en question une caractéristique souvent reconnue à la
comptabilité : sa neutralité. En effet, l’auteur met en exergue - au-delà de la réduction de la
complexité du réel qui résulte de la modélisation comptable d’une entité 2 – le rôle actif de la
comptabilité au sein d’une organisation. Selon lui, la comptabilité n’a pas la passivité qu’on lui associe
généralement. Elle se révèle être un instrument à part entière de la stratégie des dirigeants (Stolowy
et Breton, 2003), ce qui se traduit par la mise en œuvre d’une véritable politique comptable.
Pour Florence Delesalle (2001), le champ d’application de cette politique « regroupe l'ensemble des
choix faits par les dirigeants sur des variables comptables qui conduisent à façonner le contenu ou la
forme des états financiers publiés ». La comptabilité ne serait donc pas une simple technique
inoffensive permettant de traduire l’activité d’une entité, mais un moyen d’atteindre des objectifs
préalablement fixés.
Ainsi, la comptabilité semble recéler de réels enjeux politiques, économiques et sociaux, auxquels un
certain nombre d’auteurs se sont intéressés. A l’occasion de leurs recherches, ils ont développé le
concept de « comptabilité créative » ou « comptabilité d’intention » qui a fait l’objet de plusieurs
acceptions. La lecture de la littérature y afférent nous a amenés à nous interroger sur les pratiques
relevant de cette comptabilité d’intention : Celles-ci peuvent-elles impacter significativement la
présentation et/ou le contenu des états financiers ?
Dans le cadre de ce mémoire, nous retiendrons une définition de la comptabilité d’intention qui
n’inclut que les pratiques légales. En effet, Stolowy (1999) relève que « de nombreuses définitions
insistent sur le fait que les fraudes ne relèvent pas de la comptabilité créative », celles-ci étant
illégales.
En outre, nous n’ambitionnons pas d’énumérer la totalité des pratiques existantes ou ayant existé,
mais d’analyser l’impact concret que peut engendrer la mise en œuvre des principales techniques de
1
COLASSE Bernard (2007, 2012), « Les fondements de la comptabilité », Editions La Découverte, Paris, 2007, 2012, 128p.
2
Dans le cadre de ce mémoire, nous utiliserons indifféremment les termes « entité » et « entreprise ». Par ailleurs, nous
emploierons le terme « société » lorsque la nature juridique de l’entité évoquée légitimera cet usage.
~ 1 ~!
comptabilité d’intention inventoriées par les auteurs et toujours applicables aujourd’hui. Nous
limiterons notre étude à l’établissement des comptes sociaux, établis dans le respect des normes
comptables françaises, en application du règlement ANC N°2014-03 du 5 juin 2014 relatif au Plan
comptable général et des règlements de l’Autorité des normes comptables le modifiant. Par
« pratiques qui peuvent impacter significativement les états financiers », nous entendons celles
susceptibles de modifier les états financiers de façon à influencer le jugement et/ou les actes du
lecteur des comptes.
Par ailleurs, notre étude n’a pas pour objet l’analyse des raisons de la mise en œuvre de telles
pratiques, même si celles-ci seront succinctement exposées dans le premier chapitre de ce mémoire
consacré à la revue de la littérature. Dans cette première partie, nous présenterons également
l’origine du concept de « comptabilité créative » ou « comptabilité d’intention », puis nous nous
évertuerons à le définir. En outre, nous inventorierons l’essentiel des pratiques s’y rapportant et
analyserons brièvement les principaux exemples et études de cas proposés par les auteurs dans
l’optique d’illustrer leur propos.
Dans une deuxième partie, nous examinerons l’impact concret de l’emploi de ces pratiques sur le
contenu et/ou la présentation des états financiers à travers l’étude d’un cas d’ensemble.
Enfin, nous analyserons dans une troisième partie les éléments susceptibles de limiter la mise en
œuvre des pratiques de comptabilité d’intention et préciserons dans quelle mesure leur portée peut
n’être que relative.
Sur le plan méthodologique, à l’occasion de la revue de la littérature, nous présenterons une synthèse
des travaux des principaux auteurs permettant :
ü d’une part, de définir le concept de comptabilité créative ou comptabilité d’intention ainsi que les
objectifs et raisons de la mise en œuvre de pratiques s’y rapportant
ü d’autre part, de dresser un inventaire des principales pratiques de comptabilité d’intention, telles
qu’applicables dans le cadre de la règlementation comptable en vigueur.
Puis, sur la base de ces éléments généraux et dans une démarche déductive, nous mettrons en
application un certain nombre de ces pratiques à travers un cas concret, dans le but de répondre à
notre problématique et de déterminer ainsi si la mise en œuvre de pratiques de comptabilité
d’intention peut effectivement impacter significativement les états financiers. A l’issue de cette
étude, nous exposerons les éléments potentiellement susceptibles de nuancer les résultats obtenus,
sur la base de notre analyse personnelle et des apports des principaux auteurs.
~ 2~!
1. REVUE DE LA LITTERATURE
Le concept de comptabilité créative, apparu dans la littérature anglo-saxonne des années 1970,
trouve son origine dans le courant du positivisme comptable (école de Rochester). Il repose sur la
théorie positive de la comptabilité, qui « tend à expliquer et à prédire le comportement des
producteurs et des utilisateurs de l’information comptable, dans le but ultime d’éclairer la genèse des
états financiers » (Casta, 2009).
ü « Ensemble des techniques de comptabilité utilisé par le gestionnaire pour modifier ses comptes
dans un sens favorable à ses attentes. » (Watts et Zimmerman, 1986, cité par Strapuc, 2015)
ü « La comptabilité créative ne va pas à l’encontre de la loi. Elle travaille à la fois dans l’esprit de la
loi et des normes comptables mais il est clair que c’est contre leur esprit…. C’est essentiellement
une manière d’utiliser les règles, la flexibilité procurée par ces règles et leurs imprécisions pour
rendre les états financiers différents de ce qu’ils auraient été dans le strict respect de la règle… »
(Jameson, 1988)
ü « La comptabilité créative peut être définie comme une technique de présentation des comptes
annuels des sociétés permettant de donner la meilleure image possible des résultats et du bilan.
C’est aussi une technique de communication visant à valoriser, à travers ses comptes légaux,
l’image d’une société auprès des investisseurs particuliers ou institutionnels. » (Trotman, 1993)
ü « Processus par lequel les données comptables sont manipulées (par la violation de certaines
règles) et enregistrées dans les documents comptables de synthèse de manière à servir les intérêts
3
Dans la littérature, plusieurs concepts gravitent autour de celui de la comptabilité créative ou de comptabilité
d’intention. Tel est le cas de « l’habillage du bilan » ou « l’habillage des résultats », « la gestion des résultats comptables »,
le « window dressing » ou encore le « lissage des résultats ». Certains de ces concepts font référence à une catégorie de
pratiques relevant de la comptabilité créative qui constitue alors une notion plus globale. D’autres, plus rares, lui sont
assimilables ou complémentaires.
~ 3~!
des dirigeants ; dans ce processus, les transactions sont structurées de manière à permettre la
transmission du résultat comptable souhaité (supérieur ou inférieur au résultat réel). » (Naser,
1993, cité par Strapuc, 2015)
ü « L’habillage comptable est le résultat de choix parmi les différents principes comptables ou les
méthodes de présentation, fait par les dirigeants dans l’optique de tromper les utilisateurs des
comptes publiés. Les comptes manipulés se conforment à la lettre à la loi et aux normes mais pas
forcément à leur esprit. » (Breton et Taffler, 1995)
ü « Moyen d'exploitation des ambiguïtés législatives pour créer une certaine image (infidèle) sur la
situation de la société ; cette approche fait basculer la comptabilité créative dans l'évasion licite,
en admettant qu'elle ne viole pas la loi, mais seulement son esprit » (Shah, 1996, cité par Strapuc,
2015)
ü « Ensemble des techniques, des options et des espaces de liberté laissés par les textes comptables
qui, sans s'éloigner de la norme et des exigences de la comptabilité, permettent aux dirigeants
d'une entreprise de faire varier le résultat ou de modifier l'aspect des documents comptables. »
(Gillet, 1998)
~ 4~!
ü « Infraction qui porte atteinte à la cohérence et à la véridicité des informations comptables
transmises par les entités économiques au milieu d’affaires. » (Burlacu et Pătroi, 2005, cités par
Strapuc, 2015)
ü « Les options de la comptabilité créative peuvent se placer le long d’un continuum allant de la
simple optimisation de la présentation des comptes en valorisant l’image de l’entreprise à la
fraude. » (Chalayer Rouchon et al., 2005)
ü « Processus par lequel les professionnels de la comptabilité utilisent leurs connaissances dans le
but de manipuler les chiffres figurant dans les comptes annuels. » (Balaciu et al., 2009, cités par
Strapuc, 2015)
ü La comptabilité créative « englobe des pratiques contraires à l'éthique des affaires, souvent à la
limite de la légalité mais qui ne franchissent pas la limite entre le licite et l'illicite, ou dont on ne
peut établir qu'elles la franchissent, et que ne peuvent donc être qualifiées de frauduleuses et
encourir les foudres des tribunaux. » (Colasse, 2007, 2012)
Sur le plan purement terminologique, il est intéressant de noter le recours récurrent au champ lexical
de la beauté dans les définitions proposées par les auteurs et, plus généralement, dans la littérature
se rapportant à la comptabilité créative ou d’intention. En effet, l’emploi de termes tels que
« cosmétiser », « embellir », « habillage », « maquillage », « toilettage », « remodelage »,
« esthétique », « enjoliver », n’est pas rare dans les ouvrages et publications sur ce thème.
L’utilisation fréquente de ce champ notionnel laisse ainsi présager que la mise en œuvre de pratiques
de comptabilité créative ou d’intention a pour seul objectif l’amélioration des états financiers.
Cependant, en fonction de la définition retenue et comme nous le préciserons par la suite, l’emploi
de telles pratiques peut viser à améliorer, mais également à détériorer les états financiers.
Pour un certain nombre d’auteurs, la comptabilité créative ou d’intention ne comprend que des
procédés légaux, alors que pour d’autres, comme Chalayer Rouchon et al. (2005), les pratiques
frauduleuses entrent dans son champ d’application. Dagorn et al. (2013) estiment d’ailleurs que ce
dernier « peut être large, mais ramène toujours à la question de la légalité des techniques utilisées ».
~ 5~!
Bonnet (1995) évoque quant à lui de manière plus imagée, « le moment où la créativité devient
perversité ».
Comme précisé en introduction, nous ne retiendrons dans notre étude l’acception n’incluant que les
pratiques légales.
Certains auteurs cantonnent la comptabilité créative à une amélioration des états financiers, alors
que d’autres évoquent de manière plus large leur modification (maximisation ou minimisation), en
fonction des objectifs poursuivis. Nous retiendrons cette dernière position dans le cadre de notre
étude. En outre, comme nous l’analyserons par la suite, les pratiques de comptabilité créative
peuvent porter sur la forme des états financiers, à savoir leur présentation stricto sensu, mais
également sur le fond, c’est-à-dire le niveau du résultat, et donc la performance de l’entité.
A la lecture de multiples articles et ouvrages, nous avons relevé que les auteurs ne distinguaient que
rarement les notions de comptabilité créative et comptabilité d’intention. En effet, ces derniers
semblent généralement assimiler ces deux concepts. Nous considérons cependant qu’une distinction
peut être opérée. En effet, la comptabilité créative, comme son nom l’indique, concernerait les
pratiques impliquant une certaine créativité. D’après Stolowy (1999), seuls les montages juridico-
financiers répondent à ce critère, qu’ils soient ou non à visée comptable, c’est-à-dire qu’ils
renferment ou non une intention de modification des états financiers. En effet, l’auteur explique que
la comptabilité créative peut s’exercer en l’absence d’objectifs précis, afin de pallier la carence de la
règlementation lorsque celle-ci n’a prévu aucune traduction comptable d’un dispositif financier
donné. La comptabilité créative serait ainsi la traduction comptable de la créativité financière
(Pasquelini et Castel, 1993 ; Barthès de Ruyter et Gélard, 1992).
La comptabilité d’intention, quant à elle, serait le fait pour un dirigeant d’agir sur les états financiers
afin que ceux-ci traduisent ses intentions. Elle viserait ainsi « à préciser les intentions stratégiques
des dirigeants », comme le souligne Mard (2005).
La comptabilité créative serait donc un concept plus spécifique, impliquant une action de création
non nécessairement assortie d’un objectif de modification des états financiers, alors que la
comptabilité d’intention reposerait sur un ensemble de choix ou et/ou d’espaces de liberté offerts
par la règlementation comptable et stratégiquement exploités par les dirigeants. Seuls les
~ 6~!
mécanismes de comptabilité créative à visée comptable relèveraient alors de la comptabilité
d’intention4.
Ainsi, sur la base de ces acceptions, nous privilégierons l’utilisation de l’expression « comptabilité
d’intention » dans la suite de notre exposé.
ü Outre cette définition stricto sensu de la politique comptable, Casta et Ramond (2009) proposent
parallèlement une acception plus extensive de cette notion. Selon eux, elle recouvre un champ
plus vaste que les seuls choix comptables faits par les dirigeants, et comprend notamment la
détermination du volume et du degré d’agrégation de l’information publiée dans les états
4
Il convient de noter que, bien qu’évoqués dans la littérature, les différents montages juridico-financiers sont rarement
recensés dans les inventaires des pratiques de comptabilité d’intention proposés par les auteurs. Selon nous, cela peut
s’expliquer par leur complexité et leur spécificité, qui les rendent plus difficiles à déceler et qui circonscrivent leur mise
en œuvre à un domaine particulier.
~ 7~!
financiers, la publication volontaire d’états financiers facultatifs ou d’informations relatives à la
marche de l’entreprise ou encore le choix ou le changement de l’auditeur légal.
ü A contrario, Bonnet (1995) propose pour sa part une acception plus restrictive du concept. Selon
lui, « la politique comptable porte sur la faculté d’enregistrer une opération donnée selon plusieurs
modalités, l’entreprise choisissant entre les différentes méthodes en fonction de l’image qu’elle
veut donner de sa situation ». L’auteur fait donc une distinction entre :
- la politique comptable, qui consiste principalement en un simple jeu d’écritures, basé sur un
choix opéré entre différentes méthodes de comptabilisation au sein d’un référentiel
comptable, et qualifié par Barbu (2003) de « vagabondage comptable »
- et les décisions de gestion, représentant des opérations réellement réalisées par l’entreprise.
La politique comptable est donc pour Bonnet un des éléments constitutifs de la comptabilité
d’intention, au même titre que les décisions de gestion5.
5
Dans le cadre de l’inventaire des pratiques de comptabilité d’intention proposé ci-après (Cf. 1.3.2. TABLEAU
SYNTHETISANT LES PRATIQUES DE COMPTABILITE D’INTENTION, p.13), nous avons retenu cette distinction entre politique
comptable et décisions de gestion proposée par François Bonnet. A cette occasion, nous avons analysé le concept de
« décision de gestion ».
~ 8~!
1.2. L’OBJECTIF ET LES RAISONS DU DEVELOPPEMENT DES PRATIQUES DE COMPTABILITE
D’INTENTION
Les définitions que nous avons explicitées précédemment exposent généralement les objectifs de la
comptabilité d’intention, qui peuvent varier selon l’acception et la perspective retenues. Sur la base
des travaux à sa disposition en 1999, Hervé Stolowy a proposé une définition de synthèse précisant
ces objectifs. L’auteur indique que les pratiques de comptabilité d’intention « visent à modifier le
niveau de résultat, dans un souci d’optimisation ou de minimisation, ou la présentation des états
financiers, sans que ces objectifs s’excluent mutuellement ». Ainsi, la comptabilité d’intention aurait
pour finalité de modifier la performance de l’entité (résultat) et/ou la présentation de ses comptes
annuels.
Selon Stolowy (1999), plusieurs facteurs sont à l’origine du développement des pratiques de
comptabilité d’intention :
ü l’intensité de la concurrence dans une économie en crise ;
ü la dégradation des résultats des entreprises due à une conjoncture défavorable ;
ü des besoins de financement accrus résultant de l’insuffisance des capitaux propres et se heurtant
à l’exigence croissante des apporteurs de capitaux ;
ü une pression soutenue, émanant notamment des investisseurs et des analystes, portant sur les
performances des entreprises ;
ü la recherche d’une stabilité du cours des sociétés privées, dans l’optique d’une entrée en bourse ;
ü la volonté des sociétés d’être mieux armées dans le cadre d’une offre publique d’achat.
~ 9~!
1.2.2.2. Les facteurs endogènes à l’origine du développement des pratiques de comptabilité
d’intention
6
La notion de relation d’agence a été définie par Jensen et Meckling en 1976 comme un « Contrat par lequel une (ou
plusieurs) personne (le principal) engage une autre personne (l'agent) pour exécuter en son nom une tâche quelconque
qui implique une délégation d'un certain pouvoir de décision à l'agent ».
~ 10~!
l’asymétrie d’information dont bénéficient les dirigeants et qui découle de la relation d’agence qu’ils
entretiennent avec les autres parties prenantes de l’entreprise.
Au fur et à mesure de nos lectures, nous avons constaté que tous les auteurs ne retenaient pas
nécessairement les mêmes pratiques de comptabilité d’intention dans le cadre de leur inventaire.
Cette hétérogénéité nous semble toutefois cohérente. En effet, d’une part - comme vu
précédemment -, cette notion fait l’objet de multiples acceptions, ce qui explique que les pratiques
qui s’y rapportent puissent différer.
D’autre part, les divers articles et ouvrages qui traitent de ce thème ont été publiés à des périodes
différentes. Au vu de l’évolution de la réglementation et de l’uniformisation comptable opérée au
niveau européen, il est logique qu’entre deux publications, des pratiques aient disparu, soit apparues
ou aient fait l’objet de modifications ayant eu pour conséquence leur intégration ou leur exclusion
du champ de la comptabilité d’intention.
Dans le cadre de notre inventaire, nous nous sommes inspirés du tableau établi par Hervé Stolowy
(1999) pour présenter les pratiques considérées comme relevant de la comptabilité d’intention par
la plupart des auteurs. Nous avons écarté celles n’ayant plus lieu d’être aujourd’hui du fait d’une
modification de la règlementation.
~ 11~!
Par ailleurs, selon Degos (2001), la comptabilité d’intention « offre une panoplie de techniques
impressionnante permettant de modifier le niveau du résultat en amont, et d'amender la présentation
du compte de résultat et du bilan en aval ». La typologie de classement des pratiques de comptabilité
d’intention proposée par Hervé Stolowy (1999) est en phase avec cette analyse. Elle distingue :
ü les pratiques impactant la performance de l’entité, c’est-à-dire le résultat net ;
ü les pratiques impactant la présentation du compte de résultat, c’est-à-dire la structure du résultat
(Modification des soldes intermédiaires de gestion, des résultats courant et exceptionnel, sans
impact sur le résultat net) ;
ü les pratiques impactant la présentation du bilan, c’est-à-dire les capitaux propres, le ratio
d’endettement, le besoin en fonds de roulement, la trésorerie.
Néanmoins, à l’occasion de notre étude, nous avons fait le choix de ne pas présenter les pratiques
inventoriées par les auteurs selon un classement aussi strict. En effet, il s’est avéré que certaines
d’entre-elles pouvaient avoir des impacts multiples et relevaient donc de plusieurs des catégories
exposées ci-dessus. Nous avons donc ajouté à notre tableau une colonne « Impact recherché sur les
comptes », permettant de refléter cette pluralité7.
Par ailleurs, notre tableau comporte les pratiques de comptabilité d‘intention telles qu’évoquées
dans la littérature. Afin de mieux les appréhender, nous avons également fait figurer dans celui-ci les
autres pratiques possibles, celles qui seraient donc spontanément mises en œuvre en l’absence de
toute intention, dans une colonne « Pratiques de base ». Il convient de préciser que ces choix de
présentation revêtent un caractère subjectif, tant de notre part que de celle des auteurs.
Bonnet (1995) a opéré une distinction supplémentaire qui n’a pas été reprise par Stolowy, mais que
nous avons choisi de faire figurer dans notre tableau. En effet, il a dissocié les pratiques de
comptabilité d’intention relevant de la politique comptable (choix entre les options offertes par la
règlementation comptable) de celles reposant sur des décisions de gestion (opérations qui ont été
réellement réalisées par l’entreprise, mais qui n’ont pas fondamentalement modifié la situation de
l’entreprise).
Cette distinction permet de mettre en exergue le fait que ces pratiques ne découlent pas uniquement
d’un choix entre différentes options comptables ou d’une interprétation de la règlementation, mais
peuvent également résulter d’actions spécifiques (et légales) mises en œuvre par l’entreprise. Ces
7
Il est à noter qu’un impact résultat implique nécessairement un impact bilan. Cela dit, ce dernier n’est pas
nécessairement recherché et peut être une simple conséquence du premier. Dans ce cas, l’impact sur la présentation du
bilan sera négligé et la case correspondante de la colonne « Impact recherché sur les comptes » de notre tableau ne sera
alors pas cochée.
~ 12~!
dernières ont effectivement et intentionnellement été réalisées, et ce afin de donner une image de
l’entreprise différente de celle qui apparaitrait si elles n’avaient pas été mises en œuvre.
Pour rappel, nous avons limité notre analyse aux pratiques de comptabilité d’intention mises en
œuvre dans le cadre de l’établissement des comptes sociaux établis dans le respect des normes
comptables françaises, en application du règlement ANC N°2014-03 du 5 juin 2014 relatif au Plan
comptable général et des règlements de l’Autorité des normes comptables le modifiant. Dans la suite
de notre développement, nous ferons référence à ces différents règlements en utilisant l’appellation
générique de « Plan comptable général ».
Par ailleurs, dans la colonne « Impact recherché sur les comptes » de notre tableau, les lettres « R »,
« CR » et « B » correspondent respectivement aux pratiques impactant la performance de l’entité, à
celles impactant la présentation du compte de résultat et à celles impactant la présentation du bilan.
~ 13~!
Impact
recherché
Pratiques de comptabilité sur les
Postes concernés Pratiques de base Objectif recherché (Intention) Limites
d'intention comptes
R CR B
Charges à répartir
Comptabilisation des frais
sur plusieurs Augmenter le résultat de l'exercice à hauteur de la - Diminution du résultat des exercices suivants
d'émission d'emprunt en Activation des frais d'émission
exercices charge transférée, diminué de l'amortissement de X du fait de l'amortissement de ces frais
charges de l'exercice sur d'emprunt
(frais d'émission l'exercice - Information en annexe obligatoire
lequel ils ont couru
d'emprunt)
R CR B
Sous-évaluation ou sur-évaluation
- Diminuer ou augmenter le résultat de l'exercice
Provisions pour Juste évaluation des des provisions pour dépréciation de
de la reprise de la dépréciation
dépréciation et titres dépréciations des titres titres immobilisés du fait de Augmenter ou diminuer le résultat de l'exercice X
(Effet "Boomerang")
immobilisés immobilisés l'existence de nombreuses méthodes
- Information en annexe obligatoire
d'évaluation
Sous-évaluation ou sur-évaluation du
coût de la sous-activité en jouant sur
la détermination de la capacité
Non-incorporation du normale dans le cadre de - Augmenter ou diminuer le résultat de l'exercice par le
coût de la sous-activité l'imputation rationnelle des charges transfert de la perte de sous-activité sur l'exercice - Diminution ou augmentation du résultat de
Stocks X
dans la valorisation des fixes suivant l'exercice suivant
stocks Þ Intégration à la valorisation des
stocks d'une fraction de la sous-
activité ou exclusion de charges liées
à l'activité
R CR B
Maintien de
Immobilisations l'immobilisation au bilan et Cession-bail (ou lease-back) - Augmenter la trésorerie sans impacter l'endettement X - Information en annexe obligatoire
souscription d'un emprunt
1.3.3.3. L’impact de l’intervention des organismes compétents sur les pratiques de comptabilité
d’intention
L’évolution de la réglementation et les prises de position des organismes compétents (Ordre des
experts comptables, Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes, Autorité des Normes
Comptables) ont eu pour effet - parfois voulu - de neutraliser l’impact de certaines pratiques de
comptabilité d’intention présentées dans la littérature, comme l’illustre les exemples suivants :
ü Le règlement n°2000-06 du 7 décembre 2000 relatif aux passifs a défini une provision (en tant
qu’élément de passif) comme « une obligation de l'entité à l'égard d'un tiers dont il est probable
ou certain qu'elle provoquera une sortie de ressources au bénéfice de ce tiers, sans contrepartie au
moins équivalente attendue de celui-ci ».
Selon Bernheim (2002), cette réforme avait un double objectif pour les normalisateurs :
- « Mettre fin à une pratique répandue de constitution de provisions à caractère conjoncturel
ou général, guidée par une volonté de lissage de résultats, de mises en réserve ou, au contraire,
de reprises opportunes.
~ 20~!
- Prescrire des règles strictes d’application du principe de prudence et renforcer le principe
d’indépendance des exercices »
D’après l’auteur, leur volonté affichée état clairement d’enrayer certaines pratiques de
comptabilité d’intention.
ü La Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes analyse l’opération de cession-bail de
manière globale, et non comme deux opérations distinctes (une cession d’une part et un crédit-
bail d’autre part). En effet, elle a précisé que la plus-value de cession réalisée à l’occasion d’une
cession-bail devait être analysée non pas comme un « enrichissement », mais comme une avance
de fonds destinée à être remboursée par des loyers plus importants que la charge
d’amortissement calculée sur la valeur d’origine du bien dans les comptes du cédant (CNCC, EC 2002-
47, bull. 127, septembre 2002, pp.362-363).
Comptablement, cette prise de position, basée sur l’indissociabilité des opérations de cession et
de crédit-bail, se traduit par la comptabilisation d’un produit constaté d'avance permettant de
neutraliser la plus-value réalisée sur l’exercice de cession. Ce produit sera rattaché aux résultats
des exercices suivants, pendant la durée du contrat, au prorata des loyers.
ü L’avis CNC n° 2004-15 du 23 juin 2004 et le règlement CRC n° 2004-06 du 23 novembre 2004
relatifs à la définition, la comptabilisation et l’évaluation des actifs ont limité les charges à répartir
aux seuls frais d’émission d’emprunt. Cette réforme a donc significativement réduit la marge de
manœuvre des entreprises en matière d’étalement des charges sur plusieurs exercices.
Dans le cadre de leurs travaux, certains auteurs ont adossé leurs recherches sur des cas ou des
exemples variant fortement d’une étude à l’autre. Dagorn et al. (2013) se sont appuyés sur une étude
de cas dont le but était « d’analyser les pratiques de comptabilité d’intention mises en œuvre par des
dirigeants d’entreprises non cotées en vue d’améliorer la présentation de leurs documents
comptables ». Delesalle (2001), quant à elle, a dressé un inventaire des pratiques de comptabilité
d’intention « à partir d’une étude exploratoire de vingt-cinq rapports annuels de sociétés cotées à la
bourse de Paris, relevant du domaine industriel et commercial ». Dans une optique plus pédagogique,
Bonnet (1995) et, dans une moindre mesure, Raybaud-Turillo et Teller (1997) ont basé leur
développement sur de petits exemples simples et ciblés. Par ailleurs, dans une perspective avant tout
financière, de La Baume et Stolowy (1993) ont basé leur étude sur un cas global portant sur certaines
pratiques de comptabilité d’intention aux conséquences essentiellement bilancielles.
~ 21~!
2. MISE EN ŒUVRE DE PRATIQUES DE COMPTABILITE D’INTENTION A
TRAVERS UN CAS CONCRET
Dans le cadre de ce mémoire, nous avons analysé, à travers un cas concret, les impacts de la mise en
œuvre de pratiques de comptabilité d’intention sur le contenu et la présentation des états financiers.
Contrairement à celles quelque peu « datées » proposées par les auteurs8, notre étude de cas
présente l’avantage majeur d’être actualisée, car basée sur les pratiques actuellement applicables au
vu de la règlementation en vigueur. En outre, elle est bâtie sur un cas d’ensemble permettant une
approche plus globale de l’impact de ces pratiques, que ce soit sur la performance ou la présentation
des documents de synthèse.
Les états financiers qui nous serviront de base sont ceux des trois premiers exercices comptables (N-
2, N-1 et N, alignés sur l’année civile) d’une société anonyme spécialisée dans l’outillage industriel.
Elle a été créée le 02/01/N-2 par huit personnes qui ont chacune fait un apport en numéraire de 100
000€. Afin de s’assurer de la viabilité de leur projet et d’optimiser leur investissement, elles ont
réalisé une étude de marché et ont sollicité plusieurs experts en création d’entreprises, mais
également en communication et en marketing. Cela a engendré d’importants frais de constitution et
de premier établissement. Cette société est composée d’un effectif de treize personnes. Elle est
organisée en quatre secteurs : Production, Recherche & Développement (R&D), Direction générale
et Administration et Comptabilité.
La société produit des outillages dont le principal avantage est de mieux répondre aux attentes des
industriels que ceux proposés par la concurrence. Ces produits restent néanmoins issus d’une
production standardisée qui ne garantit pas le maintien de cet avantage compétitif dans la durée.
Pleinement conscients de cela, les fondateurs ont eu la volonté de proposer des outillages complexes,
répondant à des demandes spécifiques et permettant ainsi de rendre la clientèle plus captive. Pour
cela, de gros investissements en R&D ont été réalisés dès N-2, ainsi qu’une prise de participation dans
une société de services en ingénierie informatique (SSII) cotée. Dans cette même optique, la société
a acquis un brevet début N-1. Les travaux de R&D ont abouti à l’élaboration d’un procédé qui a été
mis en service début N.
8
Cf. 1.4. LES EXEMPLES ET ETUDES DE CAS PROPOSES PAR LES AUTEURS, p.21
~ 22~!
Associés à une communication percutante et à une excellente réputation, les investissements réalisés
ont porté leurs fruits. Un premier contrat portant sur une commande spécifique de 3 600 000€ a été
conclue fin N-1. Cette commande constitue un contrat à long terme qui s’étalera de manière
homogène sur 3 ans.
Afin de financer ses investissements, la société a souscrit un premier emprunt début N-2, un
deuxième début N-1 - assorti de l’engagement des fondateurs de procéder à une augmentation de
capital début N d’un montant minimum de 600 000€ -, et un troisième début N qui lui a permis
d’acquérir les installations techniques nécessaires à la production spécifique d’outillages complexes.
Dans le cadre de cette étude de cas, nous supposons que le dirigeant souhaite optimiser le résultat
dégagé et « embellir » le bilan dans l’optique d’asseoir sa légitimité auprès des actionnaires et de
séduire de potentiels investisseurs.
Dans le cadre de l’établissement des états financiers, le dirigeant a opéré plusieurs choix
comptables9.
9
S’agissant d’une société nouvellement créée, les choix opérés par le dirigeant en N-2 et N-1 ne constituent pas de
changements de méthodes comptables. En outre, aucun changement de méthode n’est intervenu au cours des exercices
suivants.
10
Malgré l'intitulé du compte dans le résumé du plan des comptes issu du Plan comptable général ("203. Frais de
recherche et développement"), les frais de recherche sont toujours comptabilisés en charges. Seuls les coûts de
développement peuvent faire l’objet, sous conditions, d’une activation. Dans le cadre de notre étude, nous supposons
que ces conditions sont remplies.
~ 23~!
ü de comptabiliser les contrats à long terme selon la méthode à l’avancement11
Dans le cadre de notre étude, nous avons établi les bilans, comptes de résultat et extraits des annexes
des exercices N-2, N-1 et N, avec et sans la mise en œuvre de pratiques de comptabilité d’intention
(Cf. Annexes p. A à p. X ). Par ailleurs, nous avons retenu huit des vingt-neuf pratiques de comptabilité
d’intention inventoriées précédemment, celles-ci étant applicables de manière plutôt objective et
permettant de limiter le recours à des hypothèses ou à des calculs d’estimations. En effet, la
règlementation comptable encadre assez rigoureusement l’emploi des pratiques sélectionnées
(durée de l’amortissement des charges activées, type de charges activables, conditions d’activation,
modalités de comptabilisation, etc.). Nous avons également décidé d’écarter les pratiques de
comptabilité d’intention reposant sur une décision de gestion qui auraient nécessité des choix
discrétionnaires.
Néanmoins, nous avons dû poser les hypothèses suivantes :
ü Coût du crédit-bail : Taux implicite de 7,5%, avec un versement supplémentaire la première année
de 20% De la valeur des biens pris en crédit-bail
ü Coût de la cession de créances « Dailly » : 0,67% (sur la base d’un taux annuel de 8%, ramené
proportionnellement à 0,67%)
ü Durées d’amortissement retenues, sur la base des tranches de durée retenues par l’Administration
fiscale :
- 20 ans pour les constructions
- 20 ans pour les installations techniques avec la mise en œuvre des pratiques de comptabilité
d’intention et 10 ans sans leur mise en œuvre
- 10 ans pour l’outillage industriel
- 5 ans pour le matériel de transport et le matériel de bureau
ü Durées des contrats de crédit-bail retenues :
- 6 ans pour l’outillage industriel
- 5 ans pour le matériel de transport et le matériel de bureau
ü Valeur boursière des titres de participation fin N-2, N-1 et N : 45 000€ (-10%)
11
Nous supposons que les conditions de comptabilisation selon la méthode à l’avancement sont réunies.
~ 24~!
Par ailleurs, les indemnités de départ en retraite ne feront pas l’objet d’une provision, que ce soit
dans les états financiers établis avec ou sans la mise en œuvre de pratiques de comptabilité
d’intention.
Nous avons synthétisé les résultats de notre étude dans le tableau suivant :
SANS MISE EN ŒUVRE DE
AVEC MISE EN ŒUVRE DE PRATIQUES ECARTS EN ECART EN
ANNEE PRATIQUES DE COMPTABILITE
DE COMPTABILITE D'INTENTION VALEUR %
D'INTENTION
IMPACT RESULTAT
Résultat de l'exercice
N-2 -140 380 -417 400 277 020 -66%
N-1 161 985 98 354 63 631 65%
N 809 672 512 890 296 782 58%
IMPACT BILAN
Total Bilan
N-2 1 769 118 1 851 607 -82 489 -4%
N-1 2 819 659 2 743 241 76 418 3%
N 4 914 734 4 700 281 214 453 5%
Disponibilités
N-2 3 718 2 907 811 28%
N-1 233 159 1 141 232 018 20335%
N 2 034 2 981 -947 -32%
Emprunts auprès d'établissement de crédit (dont CBC et SBC)
N-2 781 459 1 140 385 -358 926 -31%
N-1 1 469 633 1 733 200 -263 567 -15%
N 1 894 490 2 316 637 -422 147 -18%
Endettement net
N-2 777 741 1 137 478 -359 737 -32%
N-1 1 236 474 1 732 059 -495 585 -29%
N 1 892 456 2 313 656 -421 200 -18%
Capitaux propres
N-2 659 620 382 600 277 020 72%
N-1 821 605 480 954 340 651 71%
N 2 231 277 1 593 844 637 433 40%
Taux d'endettement net
N-2 1,18 2,97 -1,79 -60%
N-1 1,50 3,60 -2,10 -58%
N 0,85 1,45 -0,60 -42%
Nous constatons que la mise en œuvre des pratiques de comptabilité d’intention a permis de
diminuer la perte réalisée sur N-2 de 66% et d’augmenter les bénéfices de N-1 et N respectivement
de 65% et 58%.
L’emploi de ces pratiques a donc eu un impact significatif sur le résultat figurant dans les états
financiers.
Logiquement, l’impact sur le résultat a une conséquence directe sur les capitaux propres de la société
qui sont significativement plus élevés du fait de la mise en œuvre de pratiques de comptabilité
~ 25~!
d’intention. Par ailleurs, nous constatons que le total du bilan est assez faiblement impacté. En effet,
l’activation des frais d’établissement, des frais de R&D et des frais d’acquisition a été « compensée »
par le recours au crédit-bail pour l’outillage industriel, le matériel de transport et le matériel de
bureau. En revanche, l’utilisation du crédit-bail a clairement limité le recours à l’emprunt, ce qui a
permis à la société d’afficher un niveau d’endettement net inférieur de 32% sur N-2, 29% sur N-1 et
18% sur N par rapport à celui correspondant aux états financiers établis sans recourir aux pratiques
de comptabilité d’intention. En outre, le recours à la cession de créances « Dailly » a significativement
impacté le taux d’endettement net de N-1, celui-ci étant inférieur de plus de 2 points à celui calculé
sur la base du bilan ne comportant pas de pratique de comptabilité d’intention. La cession de
créances « Dailly » a également permis de présenter une trésorerie positive de 233 159 €, qui aurait
été négative sans le recours à cette pratique, toute chose étant égale par ailleurs. La présentation du
bilan a donc été significativement impacté par l’utilisation de ce procédé. En l’absence de mise en
œuvre de pratique de comptabilité d’intention, la trésorerie affichée n’est que de 1 141 € en N-1.
2.3.3. COMMENTAIRES
L’étude de ce cas d’ensemble nous permet de conclure que la mise en œuvre de pratiques de
comptabilité d’intention est susceptible d’impacter significativement le contenu et/ou la
présentation des états financiers, de telle sorte à influencer le jugement et/ou les actes du lecteur
des comptes. En effet, les substantiels écarts chiffrés constatés dans le tableau précédent, construit
sur base des états financiers établis avec et sans la mise en œuvre de pratiques de comptabilité
d’intention, révèlent clairement la réalité de ces impacts. En outre, l’information obligatoire
présentée en annexe expose certes les décisions ou choix comptables opérés, mais ne met pas
explicitement en évidence les effets qu’ils peuvent avoir sur les états financiers en cas de recours à
d’autres options. En effet, aucune comparaison entre l’impact de l’option effectivement choisie et
celui de la ou des autres options possibles n’est exigée.
Pour conclure, il convient de préciser que si les résultats obtenus à travers ce cas concret mettent
clairement en évidence le fait que l’application de pratiques de comptabilité d’intention est
susceptible d’impacter significativement les états financiers, l’ampleur de cet impact pourra varier
d’une entreprise à une autre. En effet, celui-ci dépendra essentiellement de l’opportunité de mettre
en œuvre ces différentes pratiques et de leur impact financier sur les postes comptables concernés.
~ 26~!
3. LES LIMITES RELATIVES A LA MISE EN ŒUVRE DES PRATIQUES DE
COMPTABILITE D’INTENTION
Plusieurs éléments de natures diverses encadrent, voire limitent, la mise en œuvre des pratiques de
comptabilité d’intention.
Les règles applicables aux changements de méthode comptable sont indiquées de façon très précise
dans le règlement ANC n°2014-03 relatif au Plan comptable général. En effet, d’après l’article 122-1
de ce texte, « la comparabilité des comptes annuels est assurée par la permanence des méthodes
d'évaluation et de présentation des comptes qui ne peuvent être modifiées que si un changement
exceptionnel est intervenu dans la situation de l'entité ou dans le contexte économique, industriel ou
financier et que le changement de méthodes fournit une meilleure information financière compte tenu
des évolutions intervenues ». L’article 833-2 indique quant à lui que, dans le cadre d’un changement
de méthode, l’annexe doit comporter la justification de ce changement ainsi que son impact sur les
résultats et les capitaux propres des exercices précédents (application rétrospective) ou sur les
résultats de l’exercice (application prospective).
Donc, à l’exception de l’option pour une méthode préférentielle12, tout changement de méthode
comptable doit être expressément justifié et commenté en annexe par l’entreprise, ce qui permet
ainsi d’éviter le « vagabondage comptable » (Barbu, 2003).
En outre, ce principe est une limite qui apparait de manière récurrente dans l’inventaire des pratiques
de comptabilité d’intention de Stolowy (1999). Ce dernier estime d’ailleurs que « le principe
comptable de permanence des méthodes devrait constituer un garde-fou et, s'il est respecté, prévenir
efficacement les dérapages ».
Le principe d’image fidèle ne fait l’objet d’aucune définition dans le règlement ANC n°2014-03 relatif
au Plan comptable général, bien que ce concept figure dans plusieurs de ses articles. Selon Dagorn
12
Comme vu précédemment (Cf. 1.3.3.2. La résurgence des pratiques de comptabilité d’intention, p.20), une méthode
préférentielle est une méthode considérée comme conduisant à une meilleure information par l'organisme
normalisateur. L’option pour une telle méthode n’a donc pas à être justifiée.
~ 27~!
et al. (2013), l’image fidèle « représente l’image la plus objective possible qu’un acteur extérieur
puisse avoir de l’entreprise ». Elle trouve son origine dans la notion anglo-saxonne de true and fair
view, reposant sur l’idée que états financiers doivent donner une image véridique et honnête de la
réalité (Colasse, 2007, 2012).
D’après le Mémento Comptable Francis Lefebvre, l’image fidèle constitue le principe à respecter
lorsque la règle n'existe pas ou lorsque la règle est insuffisante pour traduire la réalité. Ainsi, la notion
d'image fidèle ne jouerait que lorsque :
- il n'existe pas de règle fixée par la communauté financière pour résoudre un problème donné,
la loi ou les organismes compétents n'ayant pas défini le bon usage en la matière ;
- il existe plusieurs règles applicables, impliquant par conséquent un choix (ex : Méthodes
d’évaluation)
- la règle existe, mais son application stricte serait trompeuse (cas exceptionnel).
Selon cette conception reprise par de nombreux ouvrages à visée pédagogique, le principe d’image
fidèle trouverait donc à s’appliquer lorsque sont mises en œuvre des pratiques de comptabilité
d’intention.
L’audit des comptes annuels est une obligation légale incombant à un certain nombre d’entités13. La
mission générale du commissaire aux comptes, issue de cette démarche normée, est de certifier «
que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des
opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou
de l'entité à la fin de cet exercice » (article L823-9 du Code de commerce).
L’auditeur légal réalise donc des travaux débouchant sur une opinion émise en référence au principe
d’image fidèle évoqué dans le paragraphe précédent. Son intervention permettrait donc de garantir
le respect de ce principe, ce que Degos (2001) semble envisager. En effet, selon lui, les commissaires
aux comptes « sont les principaux experts capables de faire la distinction entre l’image fidèle d’une
situation et sa description trop flatteuse. » L’auteur les qualifie d’ailleurs de « censeur redouté,
gardien de l’image fidèle » ayant le pouvoir de certifier avec réserves ou de refuser la certification
des comptes annuels. Dans le cadre de sa mission d’audit légal, le commissaire aux comptes serait
donc susceptible de restreindre la mise en œuvre des pratiques de comptabilité d’intention.
13
Les entités non soumises à l’obligation légale de nomination d’un commissaire aux comptes peuvent le faire
volontairement.
~ 28~!
3.1.3. L’INTERVENTION DES AUTRES PARTIES PRENANTES
Selon Mard (2005), la mise en place d’un comité d’audit est susceptible de limiter le recours aux
pratiques de comptabilité d’intention. La mission confiée à ce comité semble appuyer cette position.
En effet, le comité d’audit a pour vocation d’assurer « le suivi des questions relatives à l'élaboration
et au contrôle des informations comptables et financières. […] Il suit le processus d'élaboration de
l'information financière et, le cas échéant, formule des recommandations pour en garantir
l'intégrité » (article L823-19 du Code de commerce).
Le comité d’audit intervient donc au plus près de l’élaboration des comptes annuels et est donc à
même de déceler et de révéler la mise en œuvre de pratiques de comptabilité d’intention.
La désignation obligatoire, dans les sociétés anonymes dépassant certains seuils, d’administrateurs
salariés exerçant les mêmes prérogatives que tout autre membre du conseil d’administration, peut
également modérer le recours aux pratiques de comptabilité d’intention. En effet, ces
administrateurs, désignés, selon les cas, par les salariés, le comité de groupe, le comité central
d’entreprise, le comité d’entreprise européen, le comité d’entreprise de la société ou une
organisation syndicale, ne défendent pas les mêmes intérêts que les administrateurs « classiques »,
désignés par les actionnaires.
Ainsi, le conseil d’administration, doté du pouvoir de se saisir de toute question intéressant la bonne
marche de la société et de procéder aux contrôles et vérifications qu’il juge opportuns (article L235-
~ 29~!
5 du Code de commerce), pourrait, sous l’impulsion des administrateurs salariés, examiner les
pratiques de comptabilité mises en œuvre au sein de la société.
La présence de ces administrateurs dans les conseils d’administration a été renforcée par la loi
n°2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, dite « Loi Rebsamen », qui a
élargi le champ d’application de cette obligation à un plus grand nombre d’entreprises en abaissant
les seuils de désignation, dans l’optique - comme préconisé dans le rapport Gallois - de « favoriser la
prise en compte du point de vue des salariés sur la stratégie de l’entreprise »14.
L’article L2315-88 du Code du travail précise que le comité d’entreprise peut se faire assister d’un
expert-comptable en vue de la consultation annuelle sur la situation économique et financière de
l'entreprise obligatoire depuis le 1er janvier 2016. Cet expert dispose de pouvoirs d'investigation
étendus, dans la mesure où il a accès aux mêmes documents que ceux mis à la disposition du
commissaire aux comptes. En effet, contrairement au comité d’entreprise qui ne dispose que de
l’information globale contenue dans les comptes annuels, l'expert-comptable a accès à tous les
détails qui lui permettront d’émettre son rapport. Il serait donc à même de mettre en exergue et
d’analyser, à la demande du comité d’entreprise, les pratiques comptables mises en œuvre dans les
comptes de la société.
Comme le souligne Delesalle (2001), les pratiques de comptabilité créative recensées ne sont plus
créatives, car déjà décelées. De même, Colasse (2007, 2012) précise que les inventaires réalisés l’ont
été ex post, « car ces pratiques ne présentent d’intérêt pour leurs promoteurs que tant qu’elles ne
sont pas identifiées comme « créatives ».
Par ailleurs, selon une « vision optimiste » proposée par Stolowy (1999), les pratiques de comptabilité
d’intention devraient en principe pouvoir être « décodées » par le lecteur des comptes. En effet, ce
dernier est a priori à même d’opérer les retraitements nécessaires lui permettant de visualiser une
situation financière de l’entreprise plus réaliste, sur la base des informations fournies en annexe.
Ainsi, la mise en œuvre de pratiques de comptabilité d’intention préalablement identifiées, bien
qu’impactant la présentation et/ou le contenu des états financiers, ne devrait pas « leurrer » le
lecteur des comptes.
14
Rapport Gallois, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, novembre 2012, 2ème proposition, p. 61.
~ 30~!
De son côté, Mard (2005) remet en question l’aptitude des entreprises à faire illusion auprès des
prêteurs quant à la performance réelle de leur entreprise, ceux-ci disposant selon Vilanova (1997)
d’un « avantage informationnel » sur les autres partenaires externes de l’entreprise. En outre,
d’après Tondeur (2002), les ratios figurant dans les contrats d’emprunt ne sont pas calculés sur la
base du seul résultat comptable, mais aussi à partir du niveau d’endettement et des frais financiers.
Dans l’absolu, l’intention du dirigeant peut s’exprimer en toute légalité, puisqu’elle se traduit par une
décision de gestion ou un choix effectué parmi les possibilités offertes par la règlementation
comptable elle-même.
Par ailleurs, l’existence même d’une marge de manœuvre en matière comptable peut s’expliquer,
selon Raybaud-Turillo et Teller (1997), par le fait que « la variété des activités industrielles,
commerciales et de services requiert des exigences particulières en matière de mesure. Une certaine
flexibilité peut s’avérer nécessaire pour représenter au mieux l’image d’une activité donnée ». De
même, d’après Colasse (2007, 2012), la normalisation comptable « laisse un espace de liberté aux
dirigeants pour leur permettre d'adapter la modélisation comptable aux caractéristiques de leur
entreprise et aux circonstances ». La mise en œuvre de telle ou telle option n’est donc pas
nécessairement illégitime, si l’intention du dirigeant est de traduire la réalité de l’activité de
l’entreprise.
De même, d’après Bonnet (1995), l’utilisation de telle ou telle pratique dans le cadre d’une décision
de gestion peut tout à fait résulter d’une démarche rationnelle basée sur une gestion qualitative, et
non d’une intention de modifier artificiellement le résultat.
Le principe d’image fidèle n’est pas un concept rigide et implacable, qui serait facilement
appréhendable du fait d’une stricte caractérisation. En effet, comme précisé précédemment, il n’a
fait l’objet d’aucune définition. Ce concept n’a donc pas été clairement délimité, et laisse place par
conséquent à une possible interprétation. D’ailleurs, selon Dagorn et al. (2013), « l’abandon de
l’exigence d’exactitude dans la loi française en 1983, et son remplacement par le principe d’image
fidèle inscrit dans le code de commerce, confirment l’existence d’un écart entre la réalité économique
~ 31~!
de la situation d’une entreprise et sa représentation comptable ». L’image fidèle, en tant qu’image,
présenterait donc forcément un certain degré de subjectivité.
Colasse (2015), quant à lui, l’envisage comme un idéal lorsqu’il indique non sans humour que « la
notion d’image fidèle apparaît comme un objectif inatteignable, mais mobilisateur, l’oméga de la
comptabilité, le Graal des comptables… ».
Dans le même ordre d’idées, Degos (2001) la décrit comme un « idéal de représentation
conventionnelle, permettant de protéger les intérêts des actionnaires et des tiers tout en assurant une
représentation correcte de l'entreprise ».
Ainsi, dans les faits, l’élasticité du concept d’image fidèle rend délicat le contrôle de son respect dans
les comptes annuels lorsque des choix comptables ont été faits ou que des décisions de gestion ont
été prises.
Tout comme Mard (2005), Colasse (2007,2012) souligne l’impact négatif des principes de prudence
et des coûts historiques sur la traduction comptable de la réalité en évoquant le « pessimiste
systématique » qui caractérise l’élaboration des comptes sociaux (Lassègue, 1996).
En effet, selon le principe des coûts historiques, les éléments inscrits en comptabilité sont enregistrés
à leur coût à la date d’entrée dans le patrimoine de l’entreprise et ne peuvent faire l’objet par la suite
d’une réévaluation15.
Parallèlement, la mise en œuvre du principe de prudence crée un déséquilibre dans les comptes
annuels, du fait de la prise en compte des pertes potentielles et de la non prise en compte des gains
potentiels.
« En conséquence, la valeur comptable d’un bien ne peut jamais être supérieure à son coût historique
et reflète donc rarement sa valeur réelle. » Le bilan peut « masquer d’importantes plus-values, des
réserves dites « occultes » qui n’apparaissent que lorsque les biens qui les recèlent sont vendus »
(Colasse, 2007, 2012).
Ainsi, l’application de ces principes empêcherait « l’évaluation exacte par la comptabilité des
capitaux propres de la firme » (Mard, 2005) et entraverait ainsi au respect du principe d’image fidèle.
15
Par exception, la réévaluation des immobilisations corporelles et financières reste néanmoins possible. Elle fait
d’ailleurs partie des pratiques de comptabilité d’intention inventoriées par les auteurs. En revanche, son application est
soumise à plusieurs conditions (notamment l’imposition de la plus-value latente au taux de droit commun).
En outre, l’obligation d’amortir les actifs amortissables et le respect du principe de prudence impliquent la
comptabilisation, le cas échéant, de dotations aux amortissements, aux dépréciations et aux provisions.
~ 32~!
3.2.2.3. L’impact de la fiscalité sur l’image fidèle
Certaines pratiques comptables énoncées par le règlement ANC N°2014-03 du 5 juin 2014 relatif au
Plan comptable général sont susceptibles de compromettre le respect du principe d’image fidèle.
~ 33~!
décision du Conseil National de la Comptabilité de ne pas faire prévaloir la réalité économique en
matière de crédit-bail est donc véritablement susceptible de compromettre le respect de l’image
fidèle dans les états financiers.
Colasse (2007, 2012) souligne l’importance du narratif, matérialisé par l’annexe des documents de
synthèse, en complément du quantitatif comptable (bilan et compte de résultat). Il estime que « Le
narratif est […] indispensable d'une part, pour exprimer ce qui ne peut être mesuré en comptabilité
(c’est à dire évalué en monnaie) et, d'autre part, pour expliquer et commenter ce qui l'est ».
Cependant, l’auteur constate que le volume de l’annexe n’a fait qu’augmenter au fil du temps et
constitue désormais l’essentiel de la documentation comptable diffusée par les entreprises. Il évoque
de ce fait « l’obésité croissante de l’annexe », devenue le « support privilégié de la recherche de
~ 34~!
l’image fidèle ». Cette surcharge informationnelle difficilement assimilable par le lecteur des comptes
et dont la présentation est peu normalisée est susceptible de nuire au principe d’image fidèle, « trop
d’information tuant l’information ».
L’audit légal des comptes annuels ne constitue pas une obligation pour l’ensemble des entreprises.
En effet, la nomination d’un commissaire aux comptes dépend de la forme juridique de la société
et/ou de l’atteinte de certains seuils. Ainsi, toutes les sociétés ne voient pas leurs comptes annuels
soumis à l’opinion d’un auditeur légal capable de déceler la mise en œuvre de pratiques de
comptabilité qui transgresseraient le principe d’image fidèle, dont il est le garant du respect.
Par ailleurs, le projet de loi « Pacte » initié par Bruno Lemaire, qui sera soumis à l’Assemblée nationale
en juillet 2018, prévoit l’uniformisation et le rehaussement des seuils de nomination d’un
commissaire aux comptes. Si elle est votée en l’état, cette loi entrainera dès 2019 une diminution
significative du nombre de sociétés soumises au contrôle externe de leurs comptes annuels.
Lorsqu’il certifie les comptes annuels d’une société, le commissaire aux comptes donne une
assurance raisonnable que les comptes ne comportent pas d’anomalies significatives16. En effet,
mettant en œuvre une méthodologie fondée sur une approche par les risques, il n’analyse pas
l’intégralité des transactions réalisées par la société. Ses travaux ne peuvent donc pas aboutir à une
assurance absolue et les comptes annuels restent susceptibles de comporter des anomalies
significatives, résultant notamment de la mise en œuvre de pratiques de comptabilité d’intention.
Alors que l’AGOA serait propice à une discussion portant sur la production des comptes annuels, elle
constitue souvent une cérémonie purement formelle (Colasse, 2017, 2012) au cours de laquelle sont
16
Une anomalie significative est une « information comptable ou financière inexacte, insuffisante ou omise, en raison
d'erreurs ou de fraude, d'une importance telle que, seule ou cumulée avec d'autres, elle peut influencer le jugement de
l'utilisateur d'une information comptable ou financière » (NEP-200 « Principes applicables à l'audit des comptes mis en
œuvre dans le cadre de la certification des comptes » homologuée par arrêté du 19 juillet 2006 publié au Journal Officiel
n°176 du 1er août 2006).
~ 35~!
rarement évoquées des problématiques d’ordre comptable. Par ailleurs, la plupart du temps, les
pouvoirs des actionnaires sont strictement définis et encadrés par la loi. En effet, cette dernière ne
leur permet généralement pas d’intervenir dans la gestion de l’entreprise, et donc de procéder
librement à une analyse approfondie du processus de production des comptes annuels. Enfin, les
intérêts des actionnaires ne sont pas toujours divergents de ceux du dirigeant. En effet, à titre
d’exemple, un résultat d’exploitation « gonflé » est certes susceptible d’accroitre la rémunération du
dirigeant, mais peut parallèlement permettre de minimiser la charge de participation aux résultats
des salariés et maximiser ainsi le dividende des actionnaires. Ces derniers n’ont donc pas
nécessairement de motivations à limiter le recours aux pratiques de comptabilité d’intention.
Plusieurs éléments sont susceptibles de limiter la portée de l’intervention des comités d’audit dans
la production des comptes annuels. Tout d’abord, les comités ne sont obligatoires que dans les
sociétés cotées ainsi que dans certaines entités spécifiques, ce qui limite significativement le nombre
d’entreprises concernées par leur mise en place. Par ailleurs, en France, malgré leur véritable
implication dans l'élaboration et le contrôle des informations comptables et financières, les comités
d’audit n’ont qu’un rôle consultatif. « De plus, les comités français présentent en général peu de
garanties en matière d’indépendance à l’égard des dirigeants, en raison de la présence d’insiders en
leur sein » (Mard, 2005).
La présence d’administrateurs salariés n’est obligatoire que dans les sociétés anonymes et les
sociétés en commandite par actions dépassant certains seuils d’effectifs. La loi impose la présence
d’un à deux administrateurs salariés, en fonction du nombre de membres composant le conseil
d’administration. Sachant que celui-ci comporte 3 à 18 membres17, les administrateurs salariés
restent la plupart du temps minoritaires. Par ailleurs, malgré les formations obligatoires prévues par
la loi des salariés administrateurs, ceux-ci n’ont pas nécessairement les compétences techniques
pour remettre en cause les pratiques de comptabilité mises en œuvre.
17
Administrateurs salariés exclus
~ 36~!
Cependant, cet avis n’est que consultatif. Après réception de ce dernier, l’organe d’administration
communique simplement au comité d’entreprise une réponse argumentée à laquelle le comité peut
répondre. Malgré les réels moyens mis à sa disposition, dont le recours possible à un expert-
comptable, le comité d’entreprise voit sa capacité d’action limitée par le législateur. Ainsi, au-delà du
fait que « les débats au sein des comités d'entreprise sont rarement de nature comptable » (Colasse,
2007, 2012), ces instances n’ont pas, dans les faits, le pouvoir de restreindre la mise en œuvre de
pratiques de comptabilité d’intention.
La capacité du lecteur à retraiter les pratiques de comptabilité d’intention mises en œuvre ne lui
permet pas nécessairement de disposer d’états financiers reflétant la réalité de la situation de
l’entreprise. En effet, d’après Stolowy (1999), « il semble que si le recours à une option ne peut, en
soi, être répréhensible, c'est l'accumulation des options qui peut devenir nuisible à l'image fidèle
fournie par les comptes ». Ainsi, selon l’auteur, l’accumulation de pratiques de comptabilité
d’intention est de nature à favoriser une opacité des états financiers susceptible de compliquer leur
appréhension. En outre, les retraitements à opérer se font sur la base des informations fournies en
annexe. Comme indiqué précédemment, celle-ci s’avère être en proie à une surcharge
informationnelle difficilement assimilable par l’utilisateur des comptes. Cette « obésité croissante de
l’annexe » (Colasse 2007,2012) accentue la tendance du lecteur des comptes à se livrer à une lecture
superficielle des états financiers. Or, « tant que les utilisateurs ne sont pas prêts à étudier les comptes
au-delà d'un niveau superficiel, aucune norme comptable ne peut assurer que les utilisateurs ne
seront pas trompés » (Griffiths, 1995, cité par Stolowy, 1999).
Par ailleurs, le concept de « fixation fonctionnelle » appliqué à la comptabilité remet en question la
compétence du lecteur des comptes. Il peut être défini comme la tendance à admettre des données
comptables sans s’interroger sur la manière dont elles ont été élaborées. En effet, certains dirigeants
ont tendance à faire abstraction du fait qu’il existe une diversité de méthodes permettant de calculer
les agrégats comptables, sous prétexte que ceux-ci conservent le même nom, comme par exemple
« résultat net ». Ainsi, l’utilisateur des états financiers accorde la même signification aux données
comptables alors même que des pratiques différentes ont été mises en œuvre (Tremblay et al., 1993).
~ 37~!
CONCLUSION
Après une revue de la littérature qui nous a notamment permis de mieux appréhender le concept de
comptabilité d’intention et de nous imprégner des principales pratiques s’y rapportant, nous avons
mis en application plusieurs de ces techniques à travers l’étude d’un cas d’ensemble. Les résultats
obtenus à l’issue de cet exemple concret nous ont permis de conclure que la mise en œuvre de
pratiques de comptabilité d’intention était susceptible d’impacter significativement la présentation
et/ou le contenu des états financiers. En outre, ces résultats constituent également une parfaite
illustration de la position d’Ackoff (1973), qui indique, au sujet de la performance d’une entité,
qu’« en un sens, le profit (ou la rentabilité) est une invention comptable. En changeant de type de
comptabilité, le profit (ou la rentabilité) peut disparaître ou apparaître. De plus, le profit (ou la
rentabilité) n'est pas vraiment un fait, c'est un problème de politique financière et comptable ».
Ainsi, malgré l’existence de garde-fous, le dirigeant de l’entreprise est susceptible de recourir à des
pratiques de comptabilité d’intention, du fait notamment de la nature même de ces techniques. En
effet, les inventaires des pratiques de comptabilité d’intention proposés par les auteurs sont basés
sur des choix effectués par ces derniers, parmi plusieurs décisions de gestion ou options comptables
possibles. De ce fait, comme précisé précédemment dans notre développement, qualifier ces choix
de « pratiques de comptabilité d’intention » revêt un caractère subjectif. Dans cette logique,
lorsqu’une marge de manœuvre existe, toute pratique comptable légale relève en définitive de la
comptabilité d’intention, à partir du moment où celle-ci est mise en œuvre dans un but autre que
celui de refléter l’image fidèle de la situation de l’entreprise. Par conséquent, sur la base de
l’acception retenue dans le cadre de ce mémoire, la comptabilité d’intention ferait finalement
presque partie intégrante… de la comptabilité !
« Presque », car comme le souligne Breton et Taffler (1995), « bien que les états financiers gérés
soient rigoureusement conformes à la loi et aux règles comptables, ils ne respectent pas toujours leur
esprit ». La frontière entre la comptabilité d’intention et la comptabilité serait alors le respect du
principe d’image fidèle évoqué dans la règlementation comptable. Cependant, le fait que ce dernier
ne soit pas défini par les textes fait entrer la comptabilité dans une sphère qui dépasse celle de la
simple légalité des pratiques qui la composent. En effet, l’établissement des états financiers prend
alors une dimension éthique. A ce titre, Colasse (2007, 2012) précise d’ailleurs que « quand
l'objectivité devient impossible et la norme incertaine, c'est l'éthique qui doit prendre le relais ».
~ 38~!
En matière de comptabilité, l’éthique résulte du comportement des responsables des comptes,
c’est-à-dire les dirigeants. Par conséquent, Dagorn et al. (2013) estiment que « sachant que le
principe d’image fidèle doit être respecté dans toute politique comptable, le fait de modifier
sciemment l’image de l’entreprise constitue un dépassement de la frontière éthique que le dirigeant
doit assumer ». Bernheim (1993), quant à lui, va plus loin et appelle les responsables de la
comptabilité à adopter un comportement éthique en indiquant que « L'utilisation de la comptabilité
doit reposer sur une éthique des professionnels qui assument la responsabilité de traduire dans les
états financiers d'une entreprise l'image d'une réalité ».
Dans cette optique, plusieurs auteurs ont formulé des propositions visant à plus de transparence
dans l’établissement des états financiers. Tel est le cas de Colasse (2007, 2012), qui prône « une
validation sociale du résultat » par la discussion comptable et financière. A ce titre, l’auteur propose
un résultat « plausible et acceptable in fine par l'ensemble des parties engagées dans sa discussion
et, au-delà, dans la discussion de la « représentativité » de la représentation comptable ».
En outre, pleinement conscient des limites de la modélisation comptable et du caractère
« construit » du résultat, Colasse (2007, 2012) suggère également que, « plutôt que le chiffrer
précisément, ce qui ne le rend pas pour autant plus exact mais crée une illusion de certitude et
d'objectivité trompeuse, il serait préférable de le présenter sous la forme statistique d'un intervalle
de confiance qui traduirait la marge normale et irréductible de liberté des dirigeants ».
Ainsi, cette proposition concrète permettrait, d’une part, de substituer au résultat comptable - ce
« nombre flou [mais] toujours précis au centime d’euro près » (Colasse, 2007, 2012) -, un indicateur
reflétant mieux la latitude dont dispose le dirigeant dans l’établissement des états financiers et,
d’autre part, de mieux appréhender l’essence même de leur élaboration.
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