2007 6 Plaza
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Cet article se penche sur un nouvel outil pédagogique de plus en plus utilisé
dans les formations professionnelles : l’analyse de séquences de travail fil-
mées, d’enregistrements de leçons en l’occurrence. On postule qu’ils sont de
nature à modifier profondément les enjeux pour les formés. Employés dans le
cadre de la formation continue, ils permettent de remplacer les discours à
propos de l’enseignement par des discours face à un agir devenu présent,
concret et incarné. Pour ce groupe professionnel, cet outil puissant rompt
avec l’opacité de l’action enseignante. Malgré l’apparente transparence, mal-
gré le caractère public de ce métier, l’agir enseignant reste dans l’ombre
produite par le semblant de familiarité de ce à quoi l’on a pu soi-même assis-
ter dans une classe. Toutefois, l’enseignant a rarement l’occasion de confron-
ter son activité avec celle de ses collègues.
L’article interroge ce que devient l’activité de formation lorsqu’elle fait appel
à ces techniques. Il rend compte d’une expérience de formation continue
assistée par vidéo adressée à des enseignants du préscolaire et concernant
l’enseignement oral de la langue basque (langue seconde). La recherche a
porté sur deux ordres d’activité qu’il s’agit de relier : l’activité conjointe
enseignant – élèves à l’occasion d’interactions verbales à but d’enseignement
de l’oral et sur les activités des enseignants en formation. Une analyse discur-
sive des compte-rendus rédigés en formation permettra d’étudier comment,
lors de ces séances d’évaluation visant l’amélioration de pratiques, les ensei-
gnants se constituent comme collectif, évaluent l’action de leurs pairs consi-
dérée comme représentante du genre du métier, proposent des modifications
et font des évaluations finales. Dans la mesure où le collectif œuvre au main-
tien de sa propre cohésion, la remise en cause de l’agir par les pairs s’avère
recevable pour l’enseignant concerné ce qui (nous postulons) rend possible
la transformation de l’action.
Introduction
Cette recherche se penche sur des expériences de formation qui ont fait
appel à l’enregistrement de leçons réalisées par l’un des participants au
groupe formé. Nous considérons que, dans ce type de dispositifs, le
groupe qui va visionner et analyser les images de l’activité en classe joue
(Polanyi, 1967) signalent le fait que l’action contient une grande charge
de savoir pratique, de connaissance tacite réfractaire à la traduction en
mots (Faïta, 1989; Schön, 1987; Schwartz, 1989).
A l’isolement de l’enseignant et à l’absence d’un référent précis pour
représenter l’action qui convient, vient s’ajouter un intertexte très fourni
autour de ce travail. Depuis les discours généraux portant sur les objec-
tifs, les valeurs à transmettre, les méthodes à employer, le rapport avec
les demandes sociales, l’enseignement fait l’objet d’innombrables pro-
pos. Ces discours produits dans ce que Chevallard (1985), de manière
quelque peu ironique, appelle la « noosphère » (rencontre directe ou non
d’enseignants, « militants », parents d’élèves, spécialistes des disciplines,
émissaires de l’organe politique, où l’on pense l’enseignement) sont
repris par l’ensemble des enseignants et imprègnent leurs propos sur
leur action jusqu’à occultation de toute description de l’agir enseignant.
En somme, une méconnaissance de l’activité d’enseignement, également
entre pairs, est à postuler et on peut se demander sur quoi reposent les
conceptions et les critères supposés partagés au sein du collectif en ce
qui concerne la réalisation des tâches.
Malgré les limites signalées, l’activité discursive sur l’agir constitue, sous
certaines conditions, l’occasion privilégiée pour élaborer une compré-
hension de l’action, pour construire un espace de consensus, pour négo-
cier conjointement les limites de l’action qui convient. Parmi les
conditions, la présence de traces importantes de l’activité (enregistre-
ments, retranscriptions) devient incontournable. L’une des fonctions
majeures de la formation continue des enseignants devrait être celle de
proposer des occasions d’élaboration du genre professionnel.
L’analyse qui suit s’intéresse à l’une des dix équipes concernées. Il s’agit
d’un groupe de six enseignantes du Préscolaire d’un même établisse-
ment qui ont en moyenne dix ans d’expérience professionnelle. Dans
l’évaluation de la formation réalisée à la fin, ces enseignantes jugent leur
expérience de formation comme très positive. Elles ont noté également
que des changements étaient repérables jusque dans les productions
orales des élèves5.
La présente étude est pensée comme une recherche sur les processus en
jeu dans la formation continue. Dans ce dessein, c’est l’étude du langage
de l’action qui est constitué en objet. Les séances de formation et en par-
ticulier les textes produits, dans ce cadre, nous intéressent à un double
titre. Tout d’abord en tant que lieu de morphogenèse de l’activité ensei-
gnante (Bronckart, 2004; Plazaola Giger, 2007a), les professionnels vont
devoir se référer à l’agir représenté, lui donner forme dans et par la paro-
le en déployant des catégories actionnelles que nos analyses veilleront à
mettre à jour. En tant que dispositif visant l’amélioration des pratiques, le
discours devient un lieu de débat autour des formes d’agir. Les change-
ments souhaités par les professionnels trouvent leur amorce dans les dis-
cours tenus à leurs propos. La parole de l’action lorsqu’elle
s’accompagne des images enregistrées génère des modes « … de ques-
tionnement des occurrences qui sont appréhendées comme des actions
et en organisent la lisibilité et la communicabilité » (Quéré, 1990).
D’autre part, dans la mesure où les rencontres étudiées dans ce travail
sont destinées à évaluer et proposer des remédiations, les discours par-
tent de l’action visionnée et projettent sa transformation, en lui attribuant
des traits spécifiques façonnés langagièrement. Nous postulons que ces
mises en forme constituent l’amorce de son accomplissement, que les
discours évaluateurs finaux confirmeront le cas échéant.
Une formation à l’enseignement de la L2 relève de la formation à l’action.
Plus précisément, il s’agit d’une formation orientée vers l’intervention
fine et éclairée dans les situations d’interaction orale. Elle vise précisé-
ment l’augmentation de la participation des élèves, l’amélioration de l’at-
tention accordée aux possibilités de développement de leurs discours, et
ceci autant concernant la régulation des échanges conversationnelles,
l’élaboration thématique, le choix du types de discours appropriés, que
l’emploi adéquat et correct des unités linguistiques. Tels sont les enjeux
de l’enseignement de la langue orale.
Les fonctions que les contenus de savoirs discursifs invoqués dans les
cours en début de formation réalisent dans ce dispositif méritent notre
attention. En effet, dans le contexte de formation, ces savoirs mis en com-
5. Le processus de formation en question a fait l’objet d’une étude exhaustive dans Ruiz
Bikandi, 2005. L’analyse des deux prestations de l’enseignante au moyen de catégories de
l’interaction discursive ont permis de montrer un développement remarquable de l’activité
d’enseignement entre les deux moments enregistrés.
mun et partagés dans le cadre des rencontres de lecture qui ont suivi, ont
permis :
1) De délimiter des aspects de la leçon à observer et à analyser; l’éven-
tail d’évènements serait sans cela trop large. Les savoirs partagés
réélaborés in situ balisent ainsi le regard sur la pratique. Ils sont aussi
utilisés comme référents pour la construction collective de critères
d’objectivation face au flux de l’activité enregistrée. Le caractère for-
malisé des savoirs est ici décisif. En tant que discours sur l’action, ils
apportent à la configuration incarnée de l’accomplissement situé à la
fois de la différenciation, de la clarification, et de l’explicitation
(Quéré, op. cit.)
2) Le statut objectivant des propositions associées aux savoirs contribue
par ailleurs à amortir les jugements portés sur la leçon observée au
moment d’énoncer les aspects critiqués et à transformer. Le fait de se
référer aux contenus étudiés permet à la fois de souligner le caractère
partagé, non menaçant pour le professionnel observé des remarques,
et de les rattacher à un énonciateur anonyme (le savoir, les cher-
cheurs) et non pas au collègue concret qui prend la parole lors de
l’observation pour commenter l’enregistrement.
6. cf. Tableau, (4) et (8) et Annexe 2 pour les extraits. Les documents originaux sont en
langue basque, la traduction proposée se veut proche de l’original.
Synthèse et conclusion
Les conditions d’isolement dans lesquelles travaillent les enseignants, les
nombreux discours produits à propos de l’enseignement mais en absen-
ce de l’action, rendent difficile la connaissance partagée, la discussion et
la négociation nécessaire à l’émergence et à la transformation des
genres de l’activité. Travailler dans de telles conditions constitue un obs-
tacle au développement du métier. On peut dès lors supposer que la
rétroaction basée sur l’enregistrement et l’analyse des leçons, présente
chez les enseignants un caractère particulièrement intrusif. Or, sous cer-
taines conditions, les images de l’action agissent comme un outil de for-
mation puissant au service de la connaissance du travail enseignant et du
développement des enseignants.
A l’issue de l’analyse, on peut noter que le processus formatif étudié pré-
sentait des propriétés favorables à son bon déroulement. L’analyse a
permis de mettre en évidence des phénomènes qui permettent d’appro-
fondir notre connaissance des processus en jeu en formation continue.
a) Les connaissances d’ordre théorique et scientifique qui ont fait l’objet
de la première phase de la formation, lorsqu’elles sont assumées,
réélaborées par les formés, et mis en regard de la pratique contri-
buent à la mise en mots de l’agir et des transformations souhaitables.
Le statut déclaratif de ces savoirs apporte une première saisie des
phénomènes actionnels à l’étude. Ce qui est erroné et ce qui est
acceptable peut dès lors être pointé et formulé sans viser personnel-
lement l’enseignante suivie dans sa pratique professionnelle.
Enseigner l’oral est discrétisé en : faire en sorte que tous les élèves
prennent la parole; réussir une disposition spatiale du groupe favori-
sant les échanges conversationnels, etc. Le rôle des savoirs en forma-
tion y apparaît sous un angle nouveau.
b) L’enseignement de l’oral en langue seconde se déroule dans une
grande mesure dans les échanges verbaux qui épousent l’activité, la
structurent et la font avancer. L’importance de la formation des ensei-
gnants à cette dimension de leur travail semble fondamentale, plus
encore dans le contexte actuel d’hétérogénéité linguistique dans
lequel l’objectif langagier est permanent (Plazaola Giger, 2005). Sans
nier le rôle joué par les séquences didactiques et autres propositions
faites par les didacticiens, force est de constater que, étant donné que
le déroulement de l’activité échappe dans une grande mesure à la
planification de l’action, l’enseignement et l’apprentissage se jouent
principalement à ce niveau complexe et fragile des interactions ver-
bales inscrites dans l’activité. Ce pan du travail enseignant devra, lui
aussi, faire l’objet de formation (Plazaola Giger, 2007b).
Références
Schön, D. A. (1983). The reflective Practitioner. How professionals think in action. New York : Basic Books.
Solar, C. (2001). (Ed.). Le groupe en formation des adultes. Comprendre pour mieux agir, Bruxelles :
De Boeck Université.
Swartz, Y. (1989). «C’est compliqué » Activité symbolique et activité industrieuse. E d u c a t i o n
Permanente, 115, 119-131.
Tochon, F. V. (2000). « Recherche sur la pensée des enseignants : un paradigme à maturité. Revue
Française de Pédagogie,133 (4) 129-157.
Tochon, F. V. (1999). Video study groups, Madison : Atwood.
Tochon, F. V. (1996). Rappel stimulé, objectivation clinique, réflexion partagée. Fondements méthodolo-
giques et applications pratiques de la rétroaction vidéo en recherche et en formation. Revue des
sciences de l’education, XXII, 3, 476-502.
Totten, S., Sills, T., Digby, A. & Russ, P. (1991). Cooperative learning : a guide to research. New York &
London : Garland Publishing.
Annexe 1
Tableau
Annexe 2
Doc. 4. Compte-rendu des séances : analyse critique de la leçon enre -
gistrée I*
– L’importance du contexte (le milieu). Pour comprendre ce dont on parle dans une conversation, il faut
expliquer de quoi nous parlons et le situer dans un contexte, plus encore s’agissant de ces petits enfants
qui ne possèdent pas encore la langue.
– Lorsque les enfants sont petits, il est très important d’utiliser l’expression corporelle, les gestes, des
photos et d’autres ressources pour les aider à acquérir la langue qui est nouvelle et inconnue d’eux. A
ces âges nous considérons comme très important l’expression affective de l’enseignante.
– Il est important de prendre en compte les pré-connaissancesdes enfants.
– Quelquefois, en tant qu’enseignants, nous limitons le niveau d’expression linguistique et nous utilisons
des formes excessivement faciles parce que nous accordons trop d’importance à la compréhension.
Sur ce point nous nous sommes rendues compte que nous devons faire plus attention à la langue que
nous employons et que nous devons leur proposer un langage plus riche au fur et à mesure qu’ils
grandissent.
– Comme ils sont petits, nous donnons plus d’importance au fait qu’ils emploient le basque, qu’ils com-
mencent à l’employer, plutôt qu’à la manière dont il le font. Nous nous sommes rendu compte qu’il
nous faut donner de l’importance aussi à cet aspect, en valorisant toujours bien sûr le fait qu’ils utili-
sent la langue est très important dans ce processus d’apprentissage.
– A ce propos et pour qu’ils se rendent compte du fait que parfois ils ne formulent pas correctement,
nous devrions réfléchir aux questions que nous leurs posons et aux réponses que nous leurs donnons.
Il ne suffit pas que nous leurs donnions des modèles adéquats, parce que ceci ne leur permet pas de
prendre conscience de ce qu’ils ont mal formulé. Pour qu’ils intériorisent les formes adéquates nous
devrions les corriger souvent et être conscients de l’influence de nos questions et de nos réponses.
– Nous nous sommes rendu compte de l’importance de les faire tous participer et qu’ils puissent tous
parler. Avec le nombre d’enfants que nous avons, il nous est difficile de réussir. Nous avons pensé qu’il
nous faut chercher des stratégies pour faire parler les enfants qui le font rarement. Cela ne veut pas dire
que nous n’essayons pas de le faire, mais peut-être devrions-nous acquérir des ressources pour
systématiser la participation de tous.
* Les extraits soumis à analyse dans cet article sont signalés en caractères italiques.
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