Anticiper Les Effets de L Adaptation Dun Rechauffement Climatique de Plus 4 Degres Quels Couts de L Adaptation

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Avril 2024

# ADAPTATION

Anticiper les effets


d’un réchauffement
de +4°C :
quels coûts de l’adaptation ?

Auteurs : V
 ivian Dépoues, Guillaume Dolques
et Morgane Nicol

Commissariat Direction générale


général au de l’énergie
dévelopement et du climat (DGEC)
durable (CGDD)
I4CE est un institut de recherche à but non lucratif qui contribue par
ses analyses au débat sur les politiques publiques d’atténuation et
d’adaptation au changement climatique. Nous promouvons des
politiques efficaces, efficientes et justes.
Nos 40 experts collaborent avec les gouvernements, les collectivités
locales, l’Union européenne, les institutions financières internationales, les
organisations de la société civile et les médias.
Nos travaux couvrent trois transitions – énergie, agriculture, forêt – et six défis
économiques : investissement, financement public, financement du développement,
réglementation financière, tarification carbone et certification carbone.

www.i4ce.org

REMERCIEMENTS

Cette publication propose une synthèse des éléments rassemblés dans le cadre d’une
analyse des implications économiques des trajectoires d’adaptation menée par I4CE et
ses partenaires entre février 2023 et mars 2024. Elle prend appui sur l’ensemble des
éléments de coût de l’adaptation déjà disponibles ou possibles à estimer pour trois
secteurs particulièrement affectés par les changements climatiques en France
métropolitaine : les infrastructures de transport terrestre, le bâtiment et les productions
agricoles végétales.
Plusieurs partenaires techniques ont directement participé à la production des analyses :
l’Observatoire de l’immobilier durable sur le volet « bâtiments » ; SETEC et Callendar sur
le volet « transports » et FINRES sur le volet « agriculture ».

CALLENDAR
Climate intelligence

Un panel plus large de partie-prenantes a été associé aux discussions sous la forme de
réunions de comités techniques sectoriels. Les auteurs tiennent à remercier l’ensemble
des participantes et participants à ces échanges pour leurs remarques et leurs apports.
Ces travaux ont été conduits avec le soutien financier du Bureau de l’Adaptation au
Changement Climatique du ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des
Territoires, de l’Ademe et du CGDD.
Ce rapport final ne reflète que la vision d’I4CE. Les partenaires et contributeurs ne
peuvent être tenus responsables de l’utilisation des informations qu’il contient.

2 I4CE - Avril 2024


RÉSUMÉ

Évaluer les implications économiques des poli- important de garder en tête que sans adaptation
tiques climatiques est essentiel pour piloter l’action structurelle, ces dépenses subies ne vont cesser
publique. D’importants progrès ont été faits sur l’éva- d’augmenter et perdre leur caractère exception-
luation des coûts de l’atténuation avec notamment la nel. Par ailleurs, aux coûts directs s’ajoutent des
publication en 2023 du rapport sur les incidences éco- conséquences socio-économiques élargies
nomiques de l’action pour le climat. Mais comme le sou- (impacts sur le système de santé, la productivité
ligne la Cour des Comptes dans son rapport public annuel du travail, l’efficacité des réseaux de transport,
2024, les questions restent beaucoup plus émergentes la balance commerciale, etc.) qui pèsent sur toute
pour l’adaptation. Nos travaux récents nous permettent l’économie et renforcent les inégalités territo-
néanmoins de dégager 5 premières conclusions sur riales et sociales.
ce sujet :

3 D es options d’anticipation sont bien identi-


1 D
 es éléments de chiffrage mais pas de coût fiées et pourraient être mieux déployées. Il
unique de l’adaptation en France. Nous avons s’agit par exemple de privilégier des modes de
pu réunir des premiers éléments de chiffrage de construction sobres et des choix architecturaux
ces coûts pour trois secteurs importants : le bâti- adaptés pour des bâtiments confortables l’été
ment, les infrastructures de transport terrestre même sans climatisation ; de renforcer certains
et les productions agricoles végétales. Ils sont ouvrages ou d’organiser autrement la mainte-
présentés en détails au fil des sections théma- nance pour améliorer la robustesse et la rési-
tiques de ce document. Ce tableau composite, lience des infrastructures ; d’ajuster certaines
plus ou moins mature selon les domaines d’ac- pratiques culturales ou de généraliser des
tion, permet de voir émerger de premiers ordres mesures agroécologiques pour limiter l’effet de
de grandeurs des montants en jeu pour l’en- la variabilité climatique sur les productions agri-
semble des acteurs de l’économie. En revanche coles. Ces options peuvent parfois être mises en
il ne faut pas en déduire trop vite un coût unique œuvre avec des coûts limités – notamment en
de l’adaptation en France. S’il est difficile d’es- intégrant l’adaptation dans les cahiers des
timer un tel coût c’est parce que celui dépend à charges des investissements déjà prévus. Parfois
la fois du niveau de réchauffement que l’on sou- elles représentent un surcoût voire demanderont
haite considérer (et beaucoup des analyses la mobilisation de moyens dédiés additionnels.
restent encore à conduire pour quantifier l’am- On commence tout juste à avoir un ordre de gran-
pleur des vulnérabilités pour chaque niveau de deur des coûts associés à différents leviers d’an-
réchauffement) et de la manière dont on choisit ticipation qui pourraient être actionnés de façon
collectivement de se préparer (et beaucoup de plus ou moins ambitieuse. Les coûts de certaines
ces choix restent à faire, les visions stratégiques formes d’adaptation plus transformationnelles
de l’adaptation restent à définir). Chercher à sont en revanche difficiles à isoler.
rendre une route insubmersible peut par exemple
nécessiter plusieurs millions d’euros de travaux
alors qu’organiser des fermetures temporaires
de la circulation lors d’épisodes de crue demande
d’accepter un moindre niveau de service, mais
est aussi moins couteux.

2 S
 ans politique d’adaptation plus ambitieuse,
les réactions spontanées qui sont observées
se révèlent souvent les plus coûteuses pour
les finances publiques et représentent déjà
plusieurs milliards d’euros par an. Il s’agit du
coût de la prise en charge publique de dom-
mages, des coûts des réparations des infrastruc-
tures essentielles ou encore d’aides de crise. Si
réagir et réparer peut parfois paraître plus simple
qu’anticiper et abordable à court terme, il est

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 3
RÉSUMÉ (SUITE)

 E PREMIERS ORDRES DE GRANDEUR DE COÛTS ASSOCIÉS À DES LEVIERS D’ANTICIPATION


D
QUI POURRAIENT ÊTRE ACTIONNÉS DE FAÇON PLUS OU MOINS AMBITIEUSE

BÂTIMENTS TRANSPORTS AGRICULTURE

• Tenir systématiquement compte de


• Engager des travaux pour l’adap- • De l’ordre de 1,5 milliard d’euros
l’évolution du risque de vague de
tation des réseaux routiers et par an pourrait être nécessaire
chaleur pourrait représenter des
ferré pourrait nécessiter de dans la prochaine décennie pour
coûts additionnels (tous acteurs
quelques centaines de mil- déployer à grande échelle des
confondus) aux investissements
lions à quelques milliards mesures techniques permettant de
déjà prévus compris entre 1 et
d’euros par an d’investissements maintenir les rendements des prin-
2,5 milliards d’euros par an
additionnels dans les prochaines cipales cultures végétales fran-
pour la construction neuve et
décennies (s’il était par exemple çaises, malgré une variabilité
jusqu’à plusieurs milliards
décidé de renforcer la robustesse climatique renforcée.
d’euros par an pour le parc exis-
de tous les ouvrages hydrau-
tant une fois que les investissements
liques), mais il s’agira surtout de • Les coûts des transformations plus
en matière de rénovation énergé-
se donner les moyens de bien structurelles des modèles agri-
tique auront atteint leur rythme de
prendre en compte les change- coles restent quant à eux difficiles
croisière.
ments climatiques dans les inves- à évaluer.
tissements déjà prévus et d’établir
• Un rehaussement de l’ambition des
des priorités au sein des stratégies
politiques de prévention des risques
de gestion du patrimoine.
inondation et de retrait-gonflement
des argiles représenterait au moins
quelques centaines de millions
d’euros.

@I4CE_

4 P armi les options d’anticipation, certaines manière à ne plus uniquement subir les impacts
produisent suffisamment de cobénéfices éco- du changement climatique sans pour autant surin-
nomiques pour être intrinsèquement ren- vestir dans des mesures d’adaptation très cou-
tables mais ce n’est pas le cas de toutes. Ce teuses qui ne seraient in fine jamais justifiées
constat invite à ouvrir un débat sur l’interna- économiquement. Cela requiert une mise en
lisation du risque climatique dans les modèles œuvre séquencée de l’adaptation qui tienne
économiques et la prise en charge des coûts compte de la durée de vie des investissements
de l’adaptation. L’importance des impacts et de la réversibilité des décisions ainsi qu’une
socio-économiques justifie souvent une interven- répartition visible et stable des responsabilités,
tion publique proactive mais qui peut prendre de façon à clarifier les incitations à agir des dif-
différentes formes ; la prise en charge directe de férents acteurs de l’économie.
certaines dépenses d’adaptation n’étant qu’une
option possible parmi d’autres.

5 D
 ans tous les cas, pour s’assurer de la meil-
leure efficacité et distribution possible des
dépenses, l’adaptation doit être intégrée aux
démarches existantes de planification. Le défi
est de toujours prendre en compte le bon niveau
de réchauffement aux bons moments dans les
dans les cycles de décision et d'investissements

4 I4CE - Avril 2024


SOMMAIRE

_ RÉSUMÉ 3

_ I NTRODUCTION : LES COÛTS DE L’ADAPTATION,


UNE QUESTION ÉMERGENTE MAIS DÉJÀ CRUCIALE 6

I. D
 EUX DÉTERMINANTS CLÉS POUR ÉVALUER LES COÛTS
DE L’ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE 7

1. L
 e coût de l’adaptation dépend avant tout de la manière
dont on choisit de se préparer 7

2. Le niveau de réchauffement compte aussi 10

II. P
 OSER LA QUESTION DÈS MAINTENANT C’EST POUVOIR
MIEUX ANTICIPER ET AUSSI MIEUX RÉPARTIR LES COÛTS 11

1. S
 ans anticipation supplémentaire : une adaptation réactive et couteuse,
notamment pour les finances publiques 11
2. P
 ourtant, des options d’anticipation sont bien identifiées et pourraient
être mieux déployées 12

_ PRINCIPALES RÉFÉRENCES SUR LES COÛTS DE L’ADAPTATION 16

_ CHAPITRES SECTORIELS 17

➜ B ÂTIMENTS 18

➜ I NFRASTRUCTURES DE TRANSPORT TERRESTRE 25

➜ P RODUCTIONS AGRICOLES VÉGÉTALES 31

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 5
INTRODUCTION

LES COÛTS DE L’ADAPTATION,


UNE QUESTION ÉMERGENTE MAIS DÉJÀ CRUCIALE

La mise en œuvre de la transition vers une éco- climat. Les questions restent beaucoup plus
nomie neutre en carbone au niveau mondial émergentes pour le volet adaptation (IGEDD
n’ayant pas été aussi rapide qu’espéré, il est dé- 2022; Pisani-Ferry et Mahfouz 2023)1.
sormais incontournable d’agir à la fois pour ré-
duire les émissions de gaz à effet de serre - l’at- Ce travail mené par I4CE et ses partenaires a
ténuation pour « éviter l’ingérable » - et pour se cherché à avancer dans l’estimation des coûts
préparer aux impacts déjà là du changement à considérer pour la construction d’une politique
climatique - l’adaptation pour « gérer l’inévitable » d’adaptation, notamment dans la dynamique de
(Délégation sénatoriale à la prospective 2019; préparation du 3 e Plan national d’adaptation
Haut Conseil pour le Climat 2021). Évaluer les (PNACC3). L’analyse présentée ci-dessous rend
implications économiques des deux dimensions compte de ce qu’il est possible de dire à date
de ces politiques est essentiel pour piloter l’ac- des implications économiques correspondant
tion. D’importants progrès ont été faits sur la aux différents niveaux de réchauffement qui
compréhension du volet atténuation avec notam- constituent la Trajectoire de réchauffement de
ment la publication en 2023 du rapport coordon- référence et des besoins de moyens à mobiliser
né par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz sur pour différents niveaux de préparation aux im-
les incidences économiques de l’action pour le pacts de ces changements climatiques.

PÉRIMÈTRE DE L’ANALYSE

> SCÉNARIO DE RÉCHAUFFEMENT2 > RISQUES


Hypothèses définies dans la Trajectoire Vagues de chaleurs, précipitations & inondations,
de Réchauffement de Référence (TRACC)3 : feux de forêts, sécheresses & RGA4
➜ + 2°C pour la France en 2030
➜ + 2,7°C en 2050
➜ + 4°C en 2100

> SECTEURS > PÉRIMÈTRE GÉOGRAPHIQUE


➜ Le bâtiment France hexagonale
➜  es infrastructures de transport terrestre :
L
réseaux routiers nationaux et départementaux ;
réseau ferré national
➜  es productions agricoles végétales
L
(hors productions fourragères)

L’état de maturité de ce sujet – en termes de Nous sommes en revanche en mesure de propo-


données disponibles sur les vulnérabilités et les ser un cadre commun pour aborder cette
options d’adaptation mais aussi d’avancement question ; de dégager des messages clés
des débats sur les réponses à apporter – ne per- robustes et d’apporter de premiers ordres
met pas de conclure sur un coût total de l’adap- de grandeur sur les trois secteurs étudiés.
tation pour la France (Cour des Comptes 2024).

1. Les contributeurs du rapport Pisani Ferry-Mahfouz notent dans le volet thématique Dommages et adaptation que « l’inventaire des dommages engendrés
est complexe : si l’analyse qualitative des risques associés est aujourd’hui très avancée, leur quantification demande encore à être affinée. »
2. Cf. https://www.ecologie.gouv.fr/trajectoire-rechauffement-reference-ladaptation-au-changement-climatique-tracc
3. Les données (ex. chiffres sur l’exposition, coûts des impacts ou de l’adaptation) présentées dans cette étude proviennent en partie d’études scientifiques
et techniques exprimant leurs résultats selon différents scénarios d’émissions (ex. SSP-RCP) ou en niveaux de réchauffement global. Par simplicité, nous
présentons ces données en utilisant le niveau le plus proche de réchauffement pour la France défini dans la TRACC. Par exemple, des résultats RCP8.5
à horizon 2050 seront retenus pour le niveau de réchauffement France +2,7°C. Cette simplification peut amener une légère sous (ou sur) estimation
des impacts réels.
4. Les risques littoraux (érosion, submersion marine) n’ont pas été intégrés à l’analyse dans l’attente de la publication de travaux en cours dans le cadre
notamment du Comité national du trait de côte.

6 I4CE - Avril 2024


I. D
 EUX DÉTERMINANTS CLÉS
POUR ÉVALUER LES COÛTS
DE L’ADAPTATION AU CHANGEMENT
CLIMATIQUE

Les coûts de l’adaptation dépendent principa- besoins d’adaptation sont élevés. Mais le plus
lement de deux facteurs. Le plus évident est le déterminant est le choix du type et du niveau de
niveau de réchauffement que l’on souhaite réponse aux risques qui seront privilégiés.
considérer : plus il est important, et plus les

1. Le coût de l’adaptation dépend avant tout de la manière


dont on choisit de se préparer

S’il est difficile d’estimer aujourd’hui les coûts de l’adap- Les coûts et les bénéfices de l’adaptation seront
tation, c’est d’abord parce que ces coûts dépendent de la distribués très différemment au sein de l’économie
manière dont on choisit collectivement de se préparer aux selon les choix qui seront faits – directement portés
impacts du changement climatique. Lorsque l’on constate par les ménages, relevant de quelques grands acteurs ou
qu’une section de route devient inondable à partir d’un cer- bien pris en charge par la puissance publique – laissant
tain niveau de réchauffement, il est possible d’engager d’im- donc une part importante dans la décision aux arbitrages
portants travaux pour la rendre insubmersible, mais il est stratégiques et politiques. Des normes de construction
également envisageable d’organiser des fermetures tempo- plus exigeantes permettent par exemple de répartir les
raires de la circulation lors d’épisodes de crue ; la première coûts d’adaptation des bâtiments au risque de retrait-
option étant très probablement plus coûteuse que la deu- gonflement des argiles entre tous ceux qui font construire
xième. Cet exemple simple illustre en quoi disposer d’une alors que des réponses réactives reposent le plus souvent
trajectoire de réchauffement de référence ne suffit pas à sur une prise en charge assurantielle privée bénéficiant
calculer un coût unique de l’adaptation. Envisager une France d’une réassurance publique.
à + 4°C en 2100 c’est ouvrir plutôt que fermer les débats sur
le niveau que l’on vise et le type d’adaptation que l’on privi-
légie : Quel niveau de service souhaite-t-on garantir pour un
certain niveau de réchauffement ? Quelles formes d’adap-
tation souhaite-t-on privilégier – par exemple une adaptation
à l’échelle des bâtiments individuels ou des transformations
plus concertées à l’échelle des espaces publics urbains ?

Estimer les coûts de l’adaptation, c’est considérer


un certain niveau d’effort pour anticiper les change-
ments climatiques et réduire la vulnérabilité en amont
d’une part et pour réagir aux impacts d’autre part. Ce
niveau d’effort doit être calibré en fonction des pertes qu’il
permet de minimiser à différents horizons de temps, mais
aussi d’autres priorités et d’autres contraintes, par exemple
politiques ou budgétaires. Tous les facteurs de cette équa-
tion ne sont pas simples à évaluer ni toujours faciles à com-
parer (Delahais et Robinet 2021; Timbeau et al. 2023).

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 7
L’ADDITION DE L'ADAPTATION : UNE SOMME DANS LE TEMPS DE TROIS TYPES DE COÛT

2050
...
COÛT
DE = + + 2025
L’ADAPTATION
COÛTS COÛTS PERTES
ANTICIPATION RÉACTION RÉSIDUELLES 2024

Pertes de recettes
Coûts des travaux et conséquences
Ex : Coût Coûts socio-économiques
préventifs
de l’adaptation
d’un réseau
de transport
= pour renforcer
la robustesse
de l’infrastructure
+ des réparations
après un évènement
climatique
+ liées à une interruption
temportaire
de trafic après
un évènement
climatique

@I4CE_

ENCADRÉ : POURQUOI NE PARLE-T-ON PAS DES COÛTS DE L’INACTION ?

Une grande partie de la littérature éco- Des revues de littérature ont cherché à humaine, des dommages importants
nomique sur les coûts du changement résumer les conclusions qu’il était pos- sont à anticiper, pouvant être évalués à
climatique a historiquement cherché à sible d’en tirer pour la France (Direction plus de 20 milliards d’euros par an »
évaluer les coûts des impacts des aléas générale du Trésor 2020; 2023; Delahais (Timbeau et al. 2023)
climatiques sur l’économie. Ces coûts et Robinet 2021; Banque de France
assimilés à des « coûts de l’inaction » 2022). Dans le rappor t thématique Nous ne reprenons pas directement
y sont mis en perspective de ceux de « dommages et adaptation » de l’éva- à notre compte ces formulations en
l’action en faveur de l’atténuation du luation des incidences économiques termes de coûts de l’action et de l’inac-
changement climatique et de l’adap- de l’action pour le climat, on retrouve tion car ce qui nous intéresse ici n’est
tation. Ces analyses dont le principe notamment les éléments de synthèse pas d’évaluer l’opportunité de l’action,
a été résumé dans plusieurs rapports suivants : mais bien de définir précisément le type
récents s’appuient le plus souvent sur de dépenses d’adaptation sur un conti-
l’établissement de fonctions de dom- « Si on exclut les effets sur la vie hu- nuum allant de l’anticipation forte aux
mages liant température et pertes éco- maine, sur la contrainte d’émissions dommages résiduels en passant par des
nomiques (Timbeau et al. 2023; Direc- carbone en cas de relâchage de CO 2 formes plus réactives d’adaptation ou
tion générale du Trésor 2020; ADEME par les puits de carbone naturels et sur de réparation des dommages. Un scé-
2023). Des analyses sectorielles existent la productivité, le total des dommages nario de pure inaction est en réalité très
également à l’échelle européenne, par s’évaluerait à moins de 5 milliards virtuel ; même si c’est de manière trop
exemple sur les coûts des impacts sur d’euros par an à l’horizon 2050 d’après réactive chaque secteur répond déjà
les infrastructures de transport et l’agri- les principales études sectorielles dis- au moins en partie aux conséquences
culture (COACCH 2020; JRC 2022). ponibles. […] Pour les effets sur la vie matérielles du changement climatique.

8 I4CE - Avril 2024


La principale question pour déterminer les coûts logement) ou d’autres investissements par exemple dans
de l’adaptation est : que souhaite-t-on à tout prix la décarbonation. À l’inverse ne pas anticiper du tout, ce
conserver ? Question qui peut se décliner : qu’est-on prêt serait se résigner à gérer en mode dégradé une succession
à transformer, à quoi est-on prêt à renoncer ? Tout antici- d’incidents ou de crises et accepter une baisse progressive
per – rendre 100 % robustes toutes les infrastructures et de niveau de production ou de service. Ce serait prendre
tous les bâtiments ; viser un système agricole insensible des risques touchant à la sécurité des biens, des personnes
aux conditions météos – reviendrait à surinvestir et se fe- et de l’économie qui deviendraient vite politiquement inac-
rait au détriment d’autres objectifs importants par exemple ceptables. Ce serait aussi se priver d’opportunités de
de maîtrise des prix (du transport, de l’alimentation, du s’adapter à moindre coût.

EXEMPLES DE FORMULATIONS POSSIBLES DES OBJECTIFS D’ADAPTATION À SE FIXER

BÂTIMENTS TRANSPORTS AGRICULTURE

• D élais de rétablissement suite à • Rendement moyen garanti sur une


• N ombre d’heures ne dépassant
une interruption de trafic (comme période.
pas une certaine température dans
cela existe déjà sur le réseau élec-
les bâtiments – neufs ou rénovés
trique). • Objectifs de production annuels.
– sans recours à la climatisation.
• N ombre de jours maximum où • Garantie d’un taux d’auto-approvi-
• Garantie de continuité d’ouverture
s’appliquent des mesures de sionnement supérieur ou égal à
des services publics en période de
réduction temporaire des vitesses 100 % sur la majorité des produits
forte chaleur.
sur une ligne. agricoles et alimentaires.
• Objectif cible à viser chaque année
• C ible de fiabilité des circulations
de montant en réassurance public
(ex. nombre de minutes de retard
(régime CatNat) pour assurer la
pour causes climatiques).
pérennité du système dans un
contexte d’augmentation des risques.
• N iveau de disponibilité attendu
d’au moins un itinéraire avec des
conditions (ex. durée de trajet)
raisonnables.

@I4CE_

Une nécessaire coordination des réponses. Bien que les industries de transformation en aval ni les marchés
que les décisions doivent être prises en tenant au mieux n’existent pour cette nouvelle production. Définir une tra-
compte de chaque contexte et peuvent varier selon les jectoire de réchauffement de référence a ainsi comme
préférences des différents acteurs – un certain niveau de principal avantage de dessiner un cadre d’analyse cohérent
coordination est nécessaire. Cela afin de garantir la cohé- entre plusieurs secteurs et acteurs.
rence et donc une meilleure efficacité des décisions entre
elles : si un bâtiment de bureaux est conçu pour rester Le défi est de prendre chaque sujet avec méthode
confortable jusqu’à une certaine température, mais que – chaque axe de transport, chaque typologie de bâ-
les salariés ne peuvent pas venir travailler faute de trans- timents, chaque filière agricole – pour définir col-
ports fonctionnels, le bénéfice de la mesure d’adaptation lectivement le niveau de production ou de service
disparait. Cela également afin de rendre possible des trans- visé ; se donner les moyens d’atteindre le degré de
formations plus profondes qui ne pourront se produire robustesse ou de résilience socialement souhaitable
qu’avec des stratégies partagées : un agriculteur ne peut puis concevoir et dimensionner le déploiement des
pas choisir de cultiver du sorgho plutôt que du blé sans options d’adaptation en fonction.

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 9
2. Le niveau de réchauffement compte aussi
Le choix du niveau de réchauffement affecte direc- Décider en fonction de la durée de vie de chaque inves-
tement l’ampleur du problème à considérer – plus il est tissement permet de considérer le bon niveau de réchauf-
élevé et plus le stock d’actifs exposés et vulnérables – les fement au bon moment et de conserver ainsi des marges
kilomètres de voies ou de routes, le nombre de ponts ou de de manœuvre. Pour certaines décisions facilement réversibles
bâtiments, le nombre d’hectares de cultures – s’avère im- ou certains cycles d’investissement courts, il est possible de
portant. Par exemple : alors que 48 % du parc de bâtiments ré-évaluer périodiquement le niveau d’effort en fonction des
en France hexagonale seraient exposés à un risque fort ou niveaux de réchauffement réel. Une nouvelle occasion d’inter-
très fort avec un réchauffement de +2° C, la proportion pas- venir se présentera et il sera possible de ré-évaluer si nécessaire
serait à 93 % à +4° C. le besoin de robustesse à ce moment-là. Tenir compte de niveaux
de réchauffement élevés qui ne seraient de toutes façons pas
Il est souvent impossible à date de qualifier préci- atteints avant plusieurs décennies présenterait peu d’intérêt.
sément jusqu’à quel niveau de réchauffement les Les chaussées routières sont par exemple renouvelées tous les
différentes options d’adaptation restent efficaces. 15 à 20 ans, ce qui laisse plusieurs occasions pour élever
Certaines mesures d’optimisation de l’irrigation peuvent par progressivement les standards. Pour d’autres décisions, impli-
exemple être efficaces dans un premier temps puis insuf- quant de fortes irréversibilités, il est largement plus robuste
fisantes pour maintenir le rendement de cultures si la res- de tenir compte maintenant d’un réchauffement de +4° C en
source disponible est trop faible. Au-delà de certains ni- 2100. Il est par exemple fort peu probable qu’une deuxième
veaux de réchauffement, il est même probable qu’aucune campagne massive de rénovation des logements déjà
option d’adaptation efficace ne soit disponible (ou alors construits soit menée d’ici la fin du siècle. Cela est d’autant
pour des coûts extrêmement élevés) et que l’on atteigne plus important lorsque le risque de surinvestissement est bien
ce que le GIEC qualifie de « limites à l’adaptation 5 ». inférieur aux conséquences d’un sous-investissement6.

QUEL HORIZON PRENDRE EN COMPTE POUR QUELLE DÉCISION ?

DURÉE DE VIE DES INVESTISSEMENTS

Supérieurs à 30 ans 2100


20 à 30 ans 2050
10 ans 2030
Les opérations de mainte- Les opérations de rénovation Les opérations de construc-
nance courante ; de remplace- énergétique globale. tion neuve, les opérations de
ment à l’identique de systèmes modernisation majeure, les opé-
à courte durée de vie. rations impliquant du réaména-
gement d’espaces publics ; les
programmes de R&D.

 ’organisation de la mainte-
L Certaines opérations comme  e développement de nouvelles
L
nance et de la gestion de crise. le renouvellement des chaus- infrastructures et les grosses opé-
sées routières qui ont des rations de renouvellement ou de
durées de vie de 15 à 20 ans. modernisation, par exemple des
voies ferrées ou des ouvrages d’art.

 es décisions d’investisse-
L  es choix stratégiques opérés
L  rogrammes de R&D, portant
P
ment courantes. lors de l’installation ou de la trans- notamment sur les cultures
mission des exploitations. Les pérennes.
investissements dans le dévelop-
pement de filières (formations,
marques, réseaux et outils de
transformation).

NIVEAU DE RÉCHAUFFEMENT
2°C 2,7°C 4°C @I4CE_

5. « Point à partir duquel les objectifs d’un acteur (ou les besoins d’un système) ne peuvent se prémunir de risques intolérables par la prise de mesures
d’adaptation ». GIEC, 2022. Annex II : Glossaire. Dans Changement Climatique 2022 : Impacts, adaptation et vulnérabilité. Contribution du Groupe
de travail II au sixième Rapport d’évaluation du GIEC.
6. Par exemple dans le cas – qui sort du périmètre des thématiques abordées ici - des installations nucléaires : l’ampleur des conséquences potentielles
d’un incident généré par un aléa climatique invite à prévoir même les situations les moins probables. Il peut même être pertinent dans ces cas-là de
considérer dès maintenant des scénarios de réchauffement encore plus importants qui, s’ils sont aujourd’hui jugés moins probables restent possibles.
Voir par exemple. Sénat. 2023. « Pour une approche systémique de l’adaptation des centrales nucléaires au changement climatique. »

10 I4CE - Avril 2024


➜ B
 ien que ces questions restent aujourd’hui à constats robustes sur les coûts à attendre
peine émergentes – et que le premier objectif pour l’adaptation en France. Ces résultats
du PNACC3 doit être d’accélérer leur prise en sont les premières briques d'un travail qui
charge – il est déjà possible de dégager des devra être itératif.

II. POSER LA QUESTION


DÈS MAINTENANT C’EST POUVOIR
MIEUX ANTICIPER ET MIEUX
RÉPARTIR LES COÛTS

1. S
 ans anticipation supplémentaire : une adaptation réactive
et couteuse, notamment pour les finances publiques
Dans chacun des trois secteurs étudiés la trajec- pagne de conséquences qui pèsent particulièrement
toire tendancielle est souvent réactive et s’accom- sur les finances publiques et sur l’économie.

L ES FORMES D’ADAPTATION SPONTANÉES LES PLUS SOUVENT OBSERVÉES

BÂTIMENTS TRANSPORTS AGRICULTURE

• Recours accru et non organisé à • Réparations - souvent à l’identique • Évolutions au fil de l’eau des pra-
la climatisation dans les bâtiments, – à la suite d’évènements clima- tiques culturales (ex. décalage des
qui se répercute sur la facture éner- tiques extrêmes – ex. plusieurs calendriers agricoles).
gétique et génère des externalités centaines de millions d’euros
négatives (émissions de GES, ren- après le passage de la tempête • Irrigation d’urgence.
forcement de l’effet d’îlot de cha- Alex.
leur urbain) – plusieurs milliards • Recours contraint à l’importation.
d’euros par an d’investisse- • R enforcement des activités de
ment distribués dans l’économie. maintenance pour faire face à • Prises en charge d’urgence des
l’usure accélérée des équipements pertes pour garantir la survie des
• Travaux de réparation à la suite sous l’effet des stress climatiques : exploitations. Plus de 400 millions
d’aléas climatiques – par exemple des durées de vie qui peuvent être d’euros par an de dépenses d’in-
reprise des fondations de maisons réduites de plusieurs dizaines de demnisation et d’aides de crises
fissurées par les phénomènes de pourcents. agricoles liés aux aléas climatiques
retrait-gonflement des argiles. en 2021 et 2022.
Déjà près de 2 milliards d’euros
par an en moyenne pour les dom-
mages assurés pour les risques
RGA et inondation.

@I4CE_

Généralement, ces mesures réactives ne per- des itinéraires de contournement plus longs en attendant
mettent pas complètement d’éliminer les pertes que les travaux soient réalisés. La climatisation n’est pas
générées par les impacts climatiques. Les interventions accessible à tous et n’élimine pas le risque sanitaire entrai-
sur les réseaux de transport ne sont par exemple pas tou- nant une hausse des dépenses de santé lors des épisodes
jours immédiates et génèrent une baisse du niveau de ser- de forte chaleur ou encore des pertes de productivité dans
vice en imposant des réductions temporaires de vitesse ou différents secteurs de l’économie 7.

7. Pour plus de détails sur ces sujets, voir l’avis du CESE « Travail et santé environnement : quels défis à relever face aux dérèglements climatiques ? » (2023).

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 11
Ces pertes sont souvent en partie prises en charge ➜D
 ans un contexte d’intensification des impacts
par la puissance publique via des aides de crises ou du changement climatique et sans anticipation
des mécanismes d’assurance publics. En effet, une supplémentaire, il faut donc s’attendre à une
fois que les dégâts se matérialisent, les attentes à l’égard hausse continue des dépenses et des besoins
des responsables publics – élus, services de l’Etat ou des d’intervention pour réparer ce que l’on n’aura
collectivités – sont généralement pressantes. Il n’est donc pas anticipé. Ces besoins accentueront la pres-
pas rare que des décisions soient prises sur le mode de sion sur les responsables et les budgets publics
l’urgence, non seulement pour assurer la sécurité des per- parfois au détriment d’autres priorités. La hausse
sonnes et des biens, mais aussi pour rétablir au plus vite des dépenses de réparation des infrastructures de
un certain niveau de service et minimiser les conséquences transport se fait par exemple souvent au détriment
sur l’économie et l’opinion. La prise en charge directe des des investissements d’amélioration programmés 8 ;
coûts se révèle alors la solution la plus immédiate. Au len- les réparations des bâtiments suites aux aléas clima-
demain de la tempête Alex dans les Alpes Maritimes le tiques pèsent sur les mécanismes d’assurance
Président de la République annonçait par exemple le déblo- publics 9 ; les crises agricoles pèsent sur la trésorerie
cage de plusieurs centaines de millions d’euros pour des exploitations ralentissant les investissements
la reconstruction (CGEDD et IGA 2021). dans la transition10.

2. P
 ourtant, des options d’anticipation sont bien identifiées
et pourraient être mieux déployées

Sans prétendre éliminer l’ensemble des coûts de répara- déjà programmés (par exemple de rénovation des bâtiments
tion et des dommages résiduels, des options de réduction ou de modernisation des infrastructures), pour traiter les
des vulnérabilités en amont sont disponibles pour minimiser points chauds de vulnérabilités, pour déployer des solutions
les impacts des aléas climatiques sur les populations, les de prévention voire pour préparer des transformations plus
territoires et l’économie. importantes (en investissant par exemple dans de nouvelles
filières agricoles) (I4CE 2022).
Il s’agit d’abord de mesures organisationnelles qui
permettent de saisir au mieux les fenêtres d’opportunités Ces options peuvent parfois être déployées avec des coûts
pour tenir compte des évolutions du climat et d’optimiser la limités – notamment en intégrant l’adaptation dans les cahiers
réaction. Mais il s’agit aussi d’investissements addition- des charges des investissements déjà prévus.
nels pour renforcer les niveaux de robustesse des travaux

8. « L’accroissement des risques naturels crée une concurrence dans l’attribution des crédits au détriment de l’entretien traditionnel » (Cour des comptes
2022, 42)
9. Voir par exemple CCR. 2023. « Conséquences du changement climatique sur le coût des catastrophes naturelles en France à horizon 2050 » et Sénat.
2023. « La sécheresse ébranle les fondations du régime CatNat ».
10. I4CE. 2024. « Estimation des dépenses publiques liées aux crises agricoles en France entre 2013 et 2022 »
11. Voir pour plus de détails : Cour des Comptes. 2023. « La politique d’installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles »

12 I4CE - Avril 2024


ADAPTER LES PROJETS ET INVESTISSEMENTS DÉJÀ PRÉVUS

BÂTIMENTS TRANSPORTS AGRICULTURE

• Révision des normes thermiques du • Actualisation des standards tech- • Mise en œuvre de recommandations
bâtiment et des plans de prévention niques pour garantir que tous les issues d’un diagnostic de résilience
des risques pour prendre en compte nouveaux développements de sys- lors de la transmission d’une exploi-
le climat futur dans la construction tèmes de transport soient adaptés tation agricole – période qui s’ac-
neuve. (Ex. en construction neuve, par conception. compagne souvent de nouveaux
un surcoût pour l’adaptation aux investissements dans l’outil de pro-
vagues de chaleurs estimé entre • Intégration des objectifs d’adapta- duction.
2 et 5 %). tion dans les cahiers des charges
des opérations de renouvellement • 43 % des exploitants agricoles ont
• Intégration des objectifs d’adapta- et modernisation pour ajuster les aujourd’hui plus de 55 ans et pour-
tion dans les cahiers des charges programmes de travaux en consé- raient partir à la retraite et céder leur
des opérations de rénovation quence. exploitation d’ici 10 ans.
énergétique déjà prévues. Ex. pour
le logement, les objectifs provisoires •
L es travaux déjà programmés
issus des travaux de révision de la devraient déjà permettent d’intervenir
SNBC aboutissent à un besoin de sur une large part des réseaux en
900 000 rénovations d'ampleurs quelques années.
de logement par an : un surcoût de
10 % dans ces opérations pour • Des surcoûts variables selon les
l’adaptation aux vagues de chaleur. opérations qui peuvent être quasi-
insensibles ou représenter quelques
pourcents ou dizaines de pourcents
additionnels.

@I4CE_

D’autres fois, des interventions ad-hoc sur l’existant tants aux vagues de chaleur plus ou moins ambitieuse en
peuvent aussi être nécessaires. piochant dans un panier de solutions bien connues, c’est
moins le cas face au retrait-gonflement des argiles car le
Selon les situations, les marges de manœuvre sont panel d’options est plus limité avec notamment très peu
plus ou moins grandes. Par exemple, si l’on peut aisément de solutions préventives qui ne restent pas expérimentales
concevoir une politique d’adaptation des bâtiments exis- ou trop onéreuses au regard du volume de biens exposés.

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 13
TOUTES LES OPTIONS D’ADAPTATION NE DISPOSENT PAS D’UN MODÈLE
ÉCONOMIQUE ÉVIDENT

CO-BÉNÉFICES ÉCONOMIQUES > L ES MESURES PEUVENT ÊTRE


DIRECTEMENT RENTABLES
Une partie d’entre elles (que l’on peut qualifier de « sans-
regret ») génère des co-bénéfices économiques qui suffisent
par eux-mêmes à justifier leur mise en place. C'est par exemple
le cas de certaines mesures incrémentales d'adaptation de l'agri-
culture qui avant même de mettre à l’abri des évènements clima-
tiques améliorent les rendements nominaux.

> E LLES PEUVENT SE JUSTIFIER


+ BÉNÉFICES DE RÉDUCTION
DES RISQUES COMME MESURE DE RÉDUCTION
DES RISQUES
 ne partie se justifie comme mesure de réduction des risques,
U
quand il est évident que les coûts de l’anticipation sont infé-
rieurs aux coûts des réparations pour le porteur du projet.
C’est par exemple le cas d’une meilleure prise en compte du risque
de retrait-gonflement des argiles pour les bâtiments neufs en zone
à risque, là où il est beaucoup moins coûteux de renforcer les fon-
dations lors de la construction que de devoir les reprendre une fois
les dégâts constatés.

+ + BÉNÉFICES SOCIO-
ÉCONOMIQUES
>  LLES PEUVENT SE JUSTIFIER
E
AU REGARD DES EXTERNALITÉS
SOCIO-ÉCONOMIQUES
Mais une partie également ne sera jamais rentable pour le pro-
priétaire du bâtiment, le gestionnaire de l’infrastructure, l'agri-
culteur ou l'assureur privé qui, dans certains cas ne dépenseraient
pas moins en anticipant plutôt qu’en attendant de constater et réparer
les dégâts. Pour ces cas-là, cela ne signifie pas que ne rien anticiper
est la meilleure option mais que le choix d’adaptation ne pourra pas
être uniquement économique au sens strict et doit tenir compte des
externalités socio-économiques, c’est-à-dire des coûts et des bénéfices
plus largement distribués dans l’économie. Peut-être que les seuls coûts
de réparation d’une voie ferrée à la suite d’une inondation ne justifieraient
pas des travaux de renforcement en amont mais que les conséquences
d’une interruption temporaire de la circulation seraient jugées inaccep-
tables pour les usagers et l’économie locale. L’anticipation deviendrait
alors un choix politique reflétant une préférence collective.

Enfin, certaines ne trouvent ni modèle économique ni justifi-


cation socio-économique dans les conditions et le niveau de
>  LLES PEUVENT N’ÊTRE
E
connaissance actuels. Pour celles-ci, il s'agit de réévaluer la JAMAIS INTÉRESSANTES
pertinence des mesures d'adaptation à mesure que de nouvelles AU REGARD DES BÉNÉFICES
informations émergent. Pour le cas du retrait-gonflement des argiles, QU’ELLES APPORTENT
déployer les solutions existantes préventivement sur la totalité des
maisons exposées reviendrait à un très fort surinvestissement (qui
pourrait atteindre plusieurs dizaines de milliards d’euros). C’est bien
au-delà des coûts que représente chaque année la prise en charge
des dommages. Or, les informations disponibles permettent encore
difficilement de cibler les maisons les plus vulnérables.

@I4CE_

14 I4CE - Avril 2024


➜L a conclusion de ce travail est que sans action organisée volontariste, il est fort probable
que les trajectoires d’adaptation qui seront suivies soient les plus coûteuses pour les
finances publiques et les moins satisfaisantes d’un point de vue socio-économique. Anti-
ciper plus permet parfois de réduire significativement les coûts totaux et surtout de mieux
les répartir. De nombreuses options d’anticipation sont bien identifiées et commencent à
être chiffrées, elles restent à combiner au sein de stratégies d’adaptation à construire sur
la base d’analyses de vulnérabilité solides. La mise en œuvre de ces stratégies pourrait
représenter plusieurs milliards d’euros par an pour l'ensemble des acteurs. Si certaines
des options retenues seront intrinsèquement rentables, ce ne sera pas le cas de toutes
ouvrant ainsi un débat sur le financement de l’adaptation en France.

ENCADRÉ : DES BESOINS D’ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES

Pour être en mesure de fournir des limites de robustesse : quels évè- 2. D


 es analyses d’efficacité (pré-
chiffres plus précis sur les besoins nements (par exemple la survenue alables à des analyses coût-
pour l’adaptation, deux types d’élé- d’un gel tardif pour des récoltes efficacité) des différentes op-
ments manquent aujourd’hui et de- de fruits), quelles situations (par tions d’adaptation. Il reste en effet
vraient faire l’objet de travaux secto- exemple la successions de pé - difficile aujourd’hui de quantifier
riels approfondis : riodes sèches et humides pour les précisément ce que le déploiement
fondations des bâtiments) et à par- de mesures d’adaptation permet
1. U
 ne meilleur e object ivat ion tir de quelles valeurs (par exemple comme gains en situation réelle
des vulnérabilités pour diffé- au-delà de 35°C en journée pour (par exemple l’effet sur le besoin
rent s niveaux de réchauf fe - une chaussée routière) les systèmes en climatisation lors des vagues de
ment. Au-delà de l’identification commencent à dysfonctionner, les chaleur de l’ajout de brise-soleils
des risques il est nécessaire de modèles économiques à se désé- sur un bâtiment12 ).
parvenir à mieux situer les seuils quilibrer.

12. Des premiers éléments de ce type-là ont pu être objectivés pour le secteur agricole dans le cadre de ce projet.

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 15
Principales références sur les coûts de l’adaptation

• ADEME. 2023. « Modélisation macroéconomique des risques climatiques en France ».


• Banque de France. 2022. « L’adaptation des économies au changement climatique : les enseignements tirés
de la recherche économique ». Bulletin de la Banque de France. Recherche économique 239/5.
• CGDD. 2017. « Thema - Indisponibilité d’une infrastructure de transports Mesurer et réduire les coûts ».
• CGEDD, et IGA. 2021. « Retour d’expérience des intempéries des 2 et 3 octobre 2020 dans les Alpes Maritimes ».
• COACCH. 2020. « The Economic Cost of Climate Change in Europe ».
• Cour des Comptes. 2024. « Rapport public annuel : l’action publique en faveur de l’adaptation au changement
climatique ».
• Delahais, Adrien, et Alice Robinet. 2021. « Coût de l’inaction face au changement climatique en France :
que sait-on ? » Document de travail. France Stratégie.
• Délégation sénatoriale à la prospective. 2019. « Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 :
urgence déclarée ».
• Direction générale du Trésor. 2020. « Effets économiques du changement climatique ». Trésor-Eco 262. Ministère
de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.
• Direction générale du Trésor. 2023. « Les enjeux économiques de la transition vers la neutralité carbone ».
Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.
• Haut Conseil pour le Climat. 2021. « Rapport annuel 2021 : Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation ».
• I4CE. 2022. « Se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en France :
De combien parle-t-on ? » In .
• IGEDD. 2022. « Mission de parangonnage sur les politiques d’adaptation au changement climatique ».
• JRC. 2022. « The JRC PESETA IV approach ».
• Pisani-Ferry, Jean, et Selma Mahfouz. 2023. « Les incidences économiques de l’action pou rle climat ». Rapport
à la Première ministre. France Stratégie.
• Timbeau, Xavier, Aude Pommeret, Alice Robinet, Alice Viennot, Adrien Delahais, Vivian Dépoues, Morgane Nicol,
Gaël Callonec, Logan Gourmand, et Félix Rannou. 2023. « Dommages et adaptation ». Rapport thématique.
Les incidences économiques de l’action pour le climat. France Stratégie, OFCE.

16 I4CE - Avril 2024


CHAPITRES SECTORIELS

➜ Bâtiments
 uillaume Dolques (I4CE) avec la participation
Auteur : G
de Cristhian Andres Molina Calderon,
Sakina Pen Point et Morgane Moullié-Chauvet
de l’Observatoire de l’immobilier Durable (OID)

➜ Infrastructures de transport terrestre


Auteurs : Vivian Dépoues (I4CE) avec la participation
de Marine Lericolais, Michael Gonzva,
Sébastien Bucourt (SETEC)
et Thibault Laconde (Callendar)

➜ Productions agricoles végétales


Auteurs : Vivian Dépoues , Lucile Rogissart
et Joséphine Despres-Diry (I4CE) avec l’apport
des travaux de modélisation réalisés
par Florent Baarsch, Camille Sansonnet,
Issa Awal et Vhiny Mombo (FINRES)

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 17
BÂTIMENTS

Résumé
La majorité des bâtiments existants n’a pas été conçue climatisation sont déjà connues. Surtout, des investisse-
pour faire face aux risques climatiques actuels et futurs. ments déjà prévus par ailleurs (dans la rénovation énergé-
Les évènements de ces dernières années ont donné tique globale, la construction neuve) présentent déjà des
une bonne image du niveau d’(in)adaptation du parc. cobénéfices pour l’adaptation. Aller un cran plus loin
En 2022 par exemple, 2,9 milliards d’euros de dom- entraine des surcoûts et donc des investissements supplé-
mages assurés ont été relevés en conséquence de la mentaires à anticiper – entre + 1 et + 2,5 milliards d’eu-
sécheresse (CCR 2023a). Ce montant n’était que de ros par an pour la construction neuve et + 4,4 milliards
466 millions d’euros par an en moyenne dans les années d’euros par an pour le parc existant une fois que les
2000. À mesure de l’évolution du climat, le niveau d’expo- investissements en matière de rénovation énergétique
sition du parc augmentera fortement et, si rien n’est fait auront atteint leur rythme de croisière – mais permettront
pour s’adapter, les conséquences évolueront dans le même de limiter les impacts sanitaires et le recours à la climatisa-
sens : 3,3 milliards d’euros par an de dommages tion qui risque de devenir incontournable à + 4°C.
attendus à + 2,7°C ; entre 7 et 12 milliards d’euros par
an d’impacts sanitaires lors des épisodes de vagues de Pour le retrait-gonflement des argiles, un ciblage de la
chaleur dont une partie est imputable aux bâtiments pour prévention et des recherches sur les solutions doivent être
ce même niveau de réchauffement. entrepris, car pour l’heure, les options disponibles pour les
bâtiments existants, onéreuses ou expérimentales, ne per-
Face à ces phénomènes, une forme d’adaptation réactive mettent pas de conclure sur un meilleur scénario d’adaptation.
est déjà à l’œuvre. Elle se matérialise juste avant, pendant
ou juste après les crises : face aux vagues de chaleur, les Enfin, pour les risques d’inondation et de feux de forêt,
ménages s’équipent en climatisation, ce qui représente déjà il s’agit avant tout de dynamiques de territoire : si des mesures
des investissements non négligeables, de l’ordre de 3,5 mil- peuvent être déployées à l’échelle des bâtiments, c’est
liards d’euros par an en moyenne pour le logement ; d’abord au niveau des quartiers ou des villes que l’action
après les inondations et les sécheresses, les assureurs collective gagne en cohérence et pourrait être renforcée.
prennent en charge les dommages et l’on reconstruit la plu-
part du temps à l’identique. Ces formes d’adaptation ques- Pour aller plus loin, un certain nombre de mesures orga-
tionnent dans la mesure où elles sont pour certaines nisationnelles pourrait être mis en œuvre sans attendre pour
génératrices d’externalités négatives pour d’autres déjà accompagner les filières, développer des solutions et animer
proches de leurs limites comme c’est le cas avec le système les politiques d’adaptation. Certains de ces besoins avaient
de réassurance déjà sollicité au-delà de ses capacités. déjà été estimés et nous semblent toujours d’actualité :
31 millions d’euros par an pour les vagues de chaleur,
Pour l’adaptation aux vagues de chaleur, des alternatives 100 millions d’euros par an pour le RGA et 125 mil-
sont d’ores et déjà disponibles : les solutions autres que la lions d’euros par an pour les inondations.

Les bâtiments n’ont pas été conçus pour faire face aux aléas climatiques :
des conséquences économiques déjà visibles
La majorité des bâtiments a été construite à une période encore en compte les évolutions futures du climat : le
où il n’existait ni plan de prévention (pour les inondations zonage des risques est fait dans le climat actuel
ou les feux de forêt), ni dispositions constructives spéci- et la règlementation thermique prend comme
fiques pour se prémunir des fortes chaleurs, du risque valeur extrême la canicule de 20031. Surtout, la
d’inondation ou de retrait-gonflement des argiles. Si des question de l’adaptation du parc existant, reste
dispositions existent désormais pour éviter de construire encore très peu posée notamment lors des opé-
dans les zones les plus à risque, celles-ci ne prennent pas rations de rénovation.

1. Prendre en compte des données prospectives plutôt qu’historiques lors de l’élaboration et la mise à jour des plans de prévention des risques, normes
de construction, plans d’urbanisme etc. est un des défis majeurs pour l’adaptation. La proposition de Trajectoire de réchauffement de référence (TRACC)
permet aujourd’hui de donner un cadre homogène pour le faire. L’enjeu à présent est de s’assurer de la bonne utilisation de cette trajectoire dans
l’ensemble de ces référentiels, normes, plans etc. Le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC3) qui devrait être adopté en 2024
pourrait apporter des éléments de réponse en ce sens.

18 I4CE - Avril 2024


On observe déjà des conséquences directes impor- actuellement estimé à 726 millions d’euros, alors qu’il n’était
tantes et une tendance à la hausse des coûts subis ces que de 466 millions d’euros dans les années 2000. Des
dernières années. Il s’agit notamment des dommages obser- impacts d'ordre socio-économique (dont une partie sont impu-
vés lors d’inondations et ou de sécheresses. Par exemple, le tables aux bâtiments) sont égalements déjà relevés notamment
coût annuel moyen des conséquences des sécheresses est lors des canicules : impacts sanitaires, baisse de productivité etc.

Sans anticipation supplémentaire, il faut s’attendre à une hausse des coûts


et des conséquences socio-économiques sur les bâtiments et les populations
Le changement climatique va mécaniquement faire aug- affectant des nouvelles zones jusqu’à là épargnées. Des
menter l’exposition des bâtiments aux phénomènes clima- travaux menés en partenariat avec l’Observatoire de l’Im-
tiques extrêmes. D’abord en affectant plus longuement et mobilier Durable (OID) ont permis d’objectiver cette évolu-
plus intensément des zones déjà exposées et surtout en tion à + 2° C ; + 2,7 et + 4° C (OID 2024).

ENCADRÉ : EXTRAIT DE L’ANALYSE MENÉE PAR L’OBSERVATOIRE DE L’IMMOBILIER DURABLE :

VAGUES SÉCHERESSES FEUX INONDATIONS


POURCENTAGE DU PARC DE CHALEUR RGA DE FORÊT PLUVIALES
DE BÂTIMENTS EXPOSÉS
À UN RISQUE FORT
ET TRÈS FORT

+ 2°C 48 % 35 % 30 % 31 %
+ 2,7°C 70 % 69 % 39 % 46 %
+ 4°C 93% 78 % 43 % 48 %
> QUELLE EXPOSITION DES BÂTIMENTS DANS UNE FRANCE À +4°C ? (OID 2024)
VAGUES DE CHALEUR : FEUX DE FORÊT :
• La quasi-totalité (>90 %) du territoire sera fortement ou très • Un risque actuellement concentré dans le sud de la France :
fortement exposée. Les zones urbaines seront plus touchées 80 % des zones méditerranéennes exposées à un niveau très
(96 %). fort à exceptionnel.
• Des villes actuellement faiblement à moyennement exposées • À +4°C près de la moitié du territoire sera fortement ou très
deviendront très fortement exposées (ex. Caen, Le Havre, fortement exposée.
Calais, Dunkerque etc.). • Les zones rurales et suburbaines seront particulièrement touchées.
SÉCHERESSES ET RGA : INONDATIONS PLUVIALES :
• Plus des 2/3 du territoire seront très fortement exposés (com- • Les régions au nord et nord-est seront les plus fortement touchées :
paré à 12 % à +2° C) avec une forte disparité géographique. plus de la moitié des bâtiments sera très fortement exposée.
• En milieu urbain, plus de la moitié des surfaces seront très
fortement exposées.

Des actions déjà à l’œuvre mais insuffisantes face à l’évolution du climat

On observe déjà une première forme d’adaptation, importants (en termes de consommation énergétique, d’émis-
qualifiée de réactive parce qu’elle se matérialise générale- sions de GES, d’augmentation de la chaleur en ville etc.) qui
ment juste avant, pendant ou juste après les phénomènes d’am- vont s’accroitre à mesure de leur déploiement (ADEME et Coda
pleur. Par exemple, lors des vagues de chaleur, les ménages et Stratégie 2021). Au rythme actuel, la quasi-totalité du parc pour-
les entreprises investissent dans des équipements de climati- rait ainsi être équipée d’ici 20503. Autre exemple de réaction,
sation (mais aussi dans des ventilateurs). Les coûts de ces face aux inondations ou au phénomène de retrait-gonflement
adaptations sont souvent peu objectivés mais pourtant bien des argiles les assureurs indemnisent, puis les bâtiments sont
réels2. Ces équipements génèrent d’ores et déjà des impacts réparés ou reconstruits le plus souvent à l’identique.

2. Une première estimation réalisée dans le cadre de ce projet a permis d’estimer autour de 3,5 milliards d’euros par an le niveau d’investissement actuel
dans les systèmes de climatisation et les appareils réversibles (qui permettent aussi de chauffer).
3. On estime qu’actuellement 1,3 millions d’appareils sont vendus chaque année (ADEME et Coda Stratégie 2021). Cela correspond globalement au nombre
de logements qu’il faudrait équiper chaque année pour que 95 % du parc soit équipé en 2050.

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 19
Ces formes d’adaptation posent néanmoins question. comme c’est le cas pour le régime CatNat (qui réassure les
Soit parce qu’elles sont génératrices d’externalités néga- dommages liés à la sécheresse et aux inondations) :
tives, soit parce qu’elles sont déjà proches de leurs limites


Un cas type de mal-adaptation consisterait à déployer à large échelle la climatisation […].
Cette solution aurait deux conséquences néfastes : d’une part, elle augmenterait
les rejets de CO 2 , ce qui renforcerait les impacts du changement climatique ; d’autre part,
elle accroîtrait la température à l’extérieur des bâtiments” (Cour des comptes 2024)


Il est estimé que le coût cumulé de la sinistralité sécheresse entre 2020 et 2050,
représenterait un coût de 43 milliards d’euros, soit un triplement par rapport aux trois
décennies précédentes. Le régime CatNat ne serait ainsi plus en mesure de dégager
assez de réserves pour couvrir les sinistres à l’horizon 2040” (Sénat 2023)

LES CONSÉQUENCES
… DEMAIN SI RIEN
DU CHANGEMENT
… AUJOURD’HUI N’EST FAIT POUR MIEUX
CLIMATIQUE
ANTICIPER
SUR LES BÂTIMENTS…

Déploiement de la climatisation : 3,5 mil- Rythme tendanciel déjà élevé qui aboutirait
liards d’euros par an pour le logement. à un parc en quasi-totalité équipé d’ici à 2050.

CONSÉQUENCES  26 millions d’euros par an en moyenne


•7  ,1 milliards d’euros par an en moyenne
•2
DIRECTES SUR pour le RGA (CCR 2023b) (2,9 milliards pour le RGA à 2,7° C.
d’euros en 2022, CCR 2023a) + sinistralité
L’ÉCONOMIE non prise en charge (entre 630 et 840 mil-  ,2 milliard d’euros par an en moyenne
•1
DU BÂTIMENT lions d’euros par an, Sénat 2023). pour les inondations à 2,7°C (CCR 2023b).

 79 millions d’euros par an en moyenne


•9
pour les inondations (CCR 2023b).

Impacts sanitaires des vagues de chaleur en Doublement possible des conséquences sani-
France estimé entre 22 et 37 milliards taires lors des vagues de chaleur : 7 à 12 mil-
d’euros pour la période 2015/2020 (Santé liards d’euros par an en moyenne à 2,7° C
publique France 2021). (OID 2023).

Perte de productivité relevé lors des vagues 1,6 % du PIB européen à 4° C avec une forte
de chaleur : 0,2 % sur la période 1981-2010 hétérogénéité : 3 % en moyenne pour les
en Europe (García-León et al. 2021). régions méditerranéennes et jusqu’à 8 % pour
les plus touchées (Szewczyk, Mongelli, et
CONSÉQUENCES Ciscar 2021).
ÉLARGIES SUR
L’ÉCONOMIE Externalités négatives dues à la climatisa- •C
 onsommation électrique doublée dans un
ET LES POPULATIONS tion (ADEME et Coda Stratégie 2020) : scénario tendanciel (ADEME et Coda Stra-
tégie 2021) ;
•1
 5,5 TWh (2020) ;
•L
 es émissions de GES devraient relative-
•4
 ,4 MteqCO2 (2020) ; ment peu augmenter car des évolutions
réglementaires sur les gaz frigorigènes sont
•A
 ugmentation de 0,25 à 1° C de la tempé- attendues (directive F-GAZ);
rature de la ville de Paris en période d’utili-
sation (Météo France 2010). •A
 ugmentation de 0,5° C à 3° C de la ville de
Paris si le nombre d’appareils était doublé.

20 I4CE - Avril 2024


Des investissements prévus qui présentent des cobénéfices pour l’adaptation
surtout si le niveau de réchauffement reste limité (proche du climat actuel)
En pratique, on ne part pas de rien. Chaque année, des d’euros engagés chaque année pour les inondations 5. Ces
investissements publics et privés sont nécessaires pour rendre investissements, initialement prévus en dehors de tout contexte
les bâtiments plus performants (9,1 milliards d’euros de besoins d’évolution climatique, présentent des cobénéfices souvent
d'investissement annuels en moyenne d’ici 2030 pour la importants pour l’adaptation : les travaux de rénovation éner-
construction neuve 4 et 44 milliards d’euros annuels pour gétique, tels que l’isolation ou la ventilation, améliorent le plus
répondre aux objectifs de rénovation énergétique, I4CE 2023) souvent le confort d’été (Viguié et al. 2020; OID 2021), la pré-
et pour prévenir certains risques : autour de 200 millions vention permet de réduire la sinistralité (CCR 2023c) etc.


Atténuation et adaptation peuvent aller de pair. La rénovation thermique des logements
intégrant le confort d’été […] permet à la fois de réduire les émissions et de mieux
résister aux vagues de chaleur” (HCC 2021)

ENCADRÉ : U
 NE SITUATION DÉJÀ OPTIMISTE AVANT MÊME LA QUESTION
DE L’ADAPTATION

Considérer les investissements prévus l’heure la France ne remplit pas ses pleur financées par MaPrimeRénov’
dans la rénovation énergétique comme objectifs en matière de rénovation éner- qui est aujourd’hui de l’ordre de 66 000.
acquis pour définir le besoin d’investis- gétique : pour le logement, il faudrait Le besoin additionnel pour atteindre
sements additionnels pour l’adaptation réaliser 900 000 rénovations d’ampleur les 900 000 rénovations d’ampleur est
des bâtiments c’est déjà se projeter par an en 2030, un niveau bien supé- estimé autour 27 milliards d’euros par
dans une trajectoire optimiste. Pour rieur au nombre de rénovations d’am- an (I4CE 2023).

Cependant, ne pas poser la question de l’évolution du performantes au regard du confort d’été voire contrepro-
climat lors de ces investissements c’est prendre le risque ductives (ex. la réalisation d’une très bonne étanchéité à
de passer à côté d’actions qui auraient pu être réalisées en l’air sans possibilité de ventiler la nuit). Ce constat se ren-
même temps ou dimensionnées différemment (ex. la mise force à mesure que l’on se projette dans des niveaux de
en place de protections solaires ou un changement dans réchauffement plus élevés.
le type d’isolant). Cela peut engendrer des situations peu


Même si ces réglementations d’atténuation du changement climatique contribuent
concomitamment à l’objectif d’adaptation, il paraît nécessaire et urgent de les compléter
par des mesures spécifiquement ciblées sur ce dernier enjeu” (Cour des Comptes 2024)

4. Ce montant correspond aux investissements annuels dans les postes qui contribuent à la performance énergétique des bâtiments neufs : l’isolation,
les menuiseries, la ventilation, le système de chauffage etc.
5. Tous ces investissements ne sont pas imputables aux bâtiments : la prévention des risques concerne également les opérations d’aménagement,
les actions de sensibilisation etc.

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 21
Des alternatives existent pour une adaptation plus proactive
Pour l’adaptation aux vagues de chaleurs, une politique dédiée : il s’agit de poser la question de l’adap-
un effort supplémentaire permettrait de tation aux moments clés des investissements et peut entrainer
garantir une meilleure adaptation du parc. un surcoût. Nous retenons une hypothèse de surcoût entre
2 et 5 % pour les constructions neuves et 10 % pour les
Cela suppose d’intégrer le climat futur dans les politiques et rénovations énergétiques globales qui iraient au-delà de la
investissements existants plutôt que de chercher à construire règlementation actuelle sur la question du confort d’été6.

POUR L’ADAPTATION AUX FORTES CHALEURS :

DES CONSTRUCTIONS NEUVES DES RÉNOVATIONS GLOBALES


QUI VONT AU-DELÀ DE LA RÉGLEMENTATION PLUS AMBITIEUSES SUR
EN ACTIONNANT PLUS DE LEVIERS LA QUESTION DU CONFORT D’ÉTÉ
POUR LE CONFORT D’ÉTÉ
LOGEMENTS

+ 0,7 à + 1,8 milliard d’euros par an + 3,1 milliards d’euros par an

+ 0,3 à +0,7 milliard d’euros par an + 1,3 milliard d’euros par an


TERTIAIRES

Montants exprimés en besoins additionnels par rapport aux besoins d'investissements publics et privés nécessaires à l'atteinte
des objectifs de neutralité carbone (I4CE 2023), moyenne sur la période 2024-2030. @I4CE_

Cet effort supplémentaire bien que nécessaire qui viserait à adapter l’ensemble des logements à risque coû-
pourrait s’avérer insuffisant, dans une France à +4°C. terait rapidement plusieurs dizaines de milliards d’euros
Autrement dit, à partir d’un certain niveau de réchauffement, il par an8. Cela ne signifie pas pour autant que la question de
devient difficile (voire impossible dans certaines régions clima- la prévention doit être fermée et les débats limités à la prise
tiques) de se passer d’équipements de climatisation. Néan- en charge des dommages. Cela signifie que des travaux com-
moins, les éléments disponibles incitent à privilégier une plémentaires doivent être entrepris pour affiner les connais-
approche séquencée pour conserver des marges de manœuvre : sances sur les solutions9 et sur la vulnérabilité des bâtiments
les mesures d’adaptation restent vraiment efficaces pour réduire pour permettre de définir une politique de prévention efficace
l’inconfort dans les bâtiments, elles permettent de se passer et ciblée.
de climatisation à court terme (et à long terme dans certaines
zones climatiques) et surtout de limiter grandement son utilisa- Pour les risques d’inondation et de feux
tion (ADEME et al. 2023; Viguié et al. 2020). de forêt, il s’agit avant tout de dyna-
miques de territoire : si des actions
Pour le retrait-gonflement des argiles, les peuvent être entreprises à l’échelle des bâtiments, c’est
solutions disponibles restent onéreuses ou d’abord au niveau des quartiers, des villes et plus largement
encore expérimentales et ne permettent que l’action collective gagne en cohérence et pourrait être
pas de conclure sur un meilleur scénario d’adaptation renforcée. C’est à ces échelles que doivent être discutées les
économiquement crédible : compte tenu de l’ampleur de l’ex- politiques (et donc les coûts) d’adaptation à ces risques, le
position et du coût des options7, une politique très proactive potentiel d’action au niveau des bâtiments reste limité.

6. Ces surcoûts peuvent correspondre à des travaux complémentaires réalisés au moment de l’opération (ex. en neuf : mise en place d’un puit climatique,
en rénovation : mise en place de protections solaires) ou à des travaux réalisés différemment parce que l’on tient compte du changement climatique
(ex. en neuf : réalisation de logements traversants, en rénovation : changement dans l’épaisseur ou le matériau isolant, dimensionnement différent
du système de ventilation etc.). Ces hypothèses de surcoûts « génériques » peuvent cacher d’importantes disparités selon les projets. Elles nous semblent
néanmoins utiles pour donner une première évaluation budgétaire de l’adaptation des bâtiments aux vagues de chaleur. Elles sont le fruit d’une analyse
approfondie des éléments existants dans la littérature et de discussions en comité technique. Une publication I4CE dédiée aux coûts de l’adaptation
des bâtiments aux vagues de chaleur est prévue courant 2024.
7. Le CEREMA (2022) estime à 10,4 millions le nombre de maisons actuellement exposées à un risque moyen à fort. Le coût des solutions préventives
disponibles représentent souvent plusieurs dizaines de milliers d’euros par maison (Cour des Comptes 2024a).
8. Si on appliquait les coûts des solutions préventives à l’ensemble des maisons exposées.
9. Comme le permet par exemple l’appel à projet France 2030 « prévention et remédiation des désordres bâtimentaires dus au phénomène de retrait
et gonflement des sols argileux (RGA) »

22 I4CE - Avril 2024


Sortir de la trajectoire par défaut implique des mesures de court terme
Si des options d’adaptation plus proactives existent, sor- tionnelles visant à accompagner la filière, à renforcer la
tir de la trajectoire par défaut ne se fera pas sans une action connaissance des acteurs, à investir dans la recherche,
volontariste. Pour y parvenir un certain nombre de mesures l’expérimentation et à animer les politiques d’adaptation :
est nécessaire. Il s’agit avant tout de mesures organisa-

PROPOSITION DE MESURES ORGANISATIONNELLES POUR ACCOMPAGNER


LES CHANGEMENTS DE PRATIQUE10

VAGUES DE CHALEUR RETRAIT-GONFLEMENT INONDATIONS


DES ARGILES

• Un bouquet d’actions pour 31 mil- • Création d’une instance de pilotage • Des ETP pour animer la politique de
lions d’euros par an pour renforcer et de coordination : 0,5 million prévention des risques inondations :
la connaissance et l’accompagne- d’euros par an ; 2 ETP supplémentaires par pro-
ment des acteurs ; investir dans la gramme d’actions de prévention des
recherche et expérimenter les solu- • Une première enveloppe d’engage- inondations (PAPI) 12 millions
tions existantes etc. (I4CE 2022a) ment en faveur de la prévention d’euros par an.
100 millions d’euros par an
(Ledoux 2023). • Un niveau de prévention qui accom-
pagne l’évolution des risques atten-
due : 113 millions d’euros par an
(I4CE 2022b).

@I4CE_

À moyen terme, les dispositifs législatifs et incitatifs (les compte de l’évolution du climat. Sans attendre, le levier de
plans de préventions des risques, la réglementation envi- la commande publique pourrait être actionné pour préfigu-
ronnementale ou encore les aides à la rénovation énergé- rer ces évolutions.
tique) devront également être requestionnés pour tenir

10. U
 ne partie de ces mesures a été chiffrée dans un précédent projet dont un des objectifs était d’identifier les mesures budgétaires à prendre
pour préparer, renforcer ou opérationnaliser des actions d’adaptation déjà prêtes (I4CE 2022b)

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 23
Sources et références

• ADEME, et Coda Stratégie. 2020. « La climatisation de confort dans les bâtiments résidentiels et tertiaires ».
• ADEME. 2021. « La climatisation dans le bâtiment : état des lieux et prospective 2050 ».
• ADEME. 2023. « Résiliance – Rapport final, résultats ».
• CCR. 2023a. « Chiffres clés: les catastrophes naturelles en france ».
• CCR. 2023b. « Conséquences du changement climatique sur le coût des catastrophes naturelles en france à horizon 2050 ».
• CCR. 2023c. « Efficacité des plans de prévention des risques d’inondation sur le coût des dommages assurés: estimation
des impacts passés, présents et futurs ».
• Cour des Comptes. 2024a. « Chapitre 1 - L’adaptation des logements au changement climatique ». In Rapport public annuel :
l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique. Vol. 1.
• Cour des Comptes. 2024b. « Chapitre 6 - La prise en compte de l’adaptation au changement climatique dans la politique
immobilière de l’État ». In Rapport public annuel : l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique. Vol. 1.
• García-León, David, Ana Casanueva, Gabriele Standardi, Annkatrin Burgstall, Andreas D. Flouris, et Lars Nybo. 2021.
« Current and Projected Regional Economic Impacts of Heatwaves in Europe ». Nature Communications 12 (1): 5807.
• HCC. 2021. « Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation ».
• I4CE. 2022a. « Les bâtiments face aux nouvelles vagues de chaleur : investir aujourd’hui pour limiter la facture demain. »
• I4CE. 2022b. « Se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en France :
De combien parle-t-on ? ».
• I4CE. 2023. « Panorama des financements climat - édition 2023 ».
• Ledoux. 2023. « RGA : N’attendons pas que ce soit la cata ».
• Météo France. 2010. « Projet CLIM2 : Climat urbain et climatisation ».
• OID. 2021. « Guide des actions adaptatives au changement climatique ».
• OID. 2023. « Comment calculer les coûts de l’action et de l’inaction pour le secteur immobilier ? » OID (blog). 10 janvier 2023.
• OID. 2024. « Évaluation de l’exposition aux aleas climatiques du parc de batiments en france hexagonale ».
• Santé publique France. 2021. « Évaluation monétaire des effets sanitaires des canicules en France métropolitaine
entre 2015 et 2020 ».
• Sénat. 2023. « La sécheresse ébranle les fondations du régime CatNat ». Rapport d’information 354.
• Szewczyk, Wojciech, Ignazio Mongelli, et Juan-Carlos Ciscar. 2021. « Heat Stress, Labour Productivity and Adaptation
in Europe—a Regional and Occupational Analysis ». Environmental Research Letters 16 (10): 105002.
• Viguié, Vincent, Aude Lemonsu, Stéphane Hallegatte, Anne-Lise Beaulant, Colette Marchadier, Valéry Masson, Grégoire Pigeon,
et Jean-Luc Salagnac. 2020. « Early Adaptation to Heat Waves and Future Reduction of Air-Conditioning Energy Use
in Paris ». Environmental Research Letters 15 (7): 075006.

24 I4CE - Avril 2024


INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT TERRESTRE :
RÉSEAUX ROUTIERS NATIONAUX ET
DÉPARTEMENTAUX ; RÉSEAU FERRÉ NATIONAL

Résumé
Le réseau ferroviaire et les routes françaises sont des Il existe pourtant des solutions de réduction des vulné-
infrastructures stratégiques dont la fiabilité est à la fois rabilités en amont pour anticiper la plupart des risques
un enjeu de cohésion territoriale et de vitalité écono- liés au changement climatique. Une partie de ces solutions
mique. Le niveau d’adaptation de ces infrastructures au peut être déployée en même temps – et pour un surcoût
changement climatique est aussi une condition de rési- modéré – que d’autres travaux déjà prévus, par exemple
lience de l’économie en général. de modernisation. D’autres options nécessitent des inves-
tissements additionnels qui pourraient représenter des
Les investissements déjà envisagés pour entretenir et centaines de millions voire des milliards d’euros
rénover ces réseaux contribuent à les rendre plus adap- qui devraient s’inscrire dans des stratégies d’interventions
tés notamment en résorbant des retards de mainte- qui restent à construire, sur la base d’études de vulnéra-
nance. Cependant ces améliorations se révèleront bilité plus précises.
insuffisantes au-delà de certains niveaux de réchauffe-
ment malheureusement plausibles. Dans tous les cas, des mesures d’adaptation organi-
sationnelles sont à mettre en œuvre pour s’assurer que
Ne pas plus anticiper ce serait se résoudre à voir gros- les gestionnaires, les opérateurs et les autorités organi-
sir la facture annuelle de réparation des dommages satrices soient les mieux armés possibles pour faire face
causés par les aléas climatiques (reconstruction post aux évolutions du climat. Ces mesures de développe-
aléa ou réduction de la durée de vie des équipements) ment des connaissances, de planification, de capacité
et à voir se dégrader le niveau de service. La tempête de surveillance, d’intervention et de coordination repré-
Alex en 2020 ou les canicules des étés 2019 ou 2022 sentent quelques dizaines de millions d’euros par
donnent un aperçu de la réalité de ces coûts – en cen- an de dépenses additionnelles mais permettront de
taines de millions d’euros annuels – qui augmen- garantir la bonne utilisation des milliards d’investisse-
teraient. ments dans les infrastructures de transport.

Une robustesse des réseaux qui s’améliore mais ne suffira probablement


pas au regard des niveaux de changement climatique attendus
L’entretien régulier de réseaux en bon état de ces programmes ne concernent pas tous les composants
fonctionnement est la première condition de leur vulnérables des réseaux (le renouvèlement routier ne pré-
adaptation. La montée en charge récente des programmes voit par exemple pas la reprise des ouvrages d’assainis-
d’investissement – par exemple dans la régénération fer- sement). D’autre part si les référentiels et niveaux de
roviaire – génère donc un important cobénéfice en matière standards aujourd’hui utilisés prennent mieux en compte
d’adaptation. En effet, les travaux réalisés permettent à la le climat actuel1, ils n’intègrent pas systématiquement les
fois de résorber des vulnérabilités liées à l’ancienneté et projections climatiques futures et pourraient donc mener
de déployer des équipements conçus selon des standards à des sous-dimensionnements ou à des choix techniques
plus exigeants. Au contraire, les risques liés aux impacts non adaptés. Le risque est que les gestionnaires de réseau
du changement climatique accentuent les vulnérabilités aient en permanence « un temps de retard » (Cour des
partout où les retards de maintenance, d’entretien ou de Comptes. 2024).
rénovation s’accumulent.

Les programmes de modernisation et de renouvè-


lement actuels ne permettront cependant pas de
garantir une adaptation suffisante – notamment pour
des niveaux de réchauffement plus forts. D’une part

1. L’amplitude thermique prise en compte lors de la pose de nouveaux rails a par exemple déjà été adaptée suite à la canicule de 2003.

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 25
Sans anticipation supplémentaire on doit donc s’attendre à une hausse
continue des coûts subis

 EUX TYPES DE COÛTS DÉJÀ IMPORTANTS AUJOURD’HUI ET UNE TENDANCE


D
DÉJÀ À LA HAUSSE2

COÛTS D’ADAPTATION
RÉACTIVE POUR PERTES ÉCONOMIQUES
LES GESTIONNAIRES ET SOCIO-ÉCONOMIQUES
D’INFRASTRUCTURES

Coûts de Ex. 608 439 minutes Ex. 17,5 M€


réparations suite perdues et 3 478 trains de pertes d’exploitation
à des évènements supprimés en 2022 pour pour SNCF lors
climatiques - cause réseau intempéries des 3 mois de fermeture
des épisodes récents soit plusieurs millions de la voie Montpellier-
montrent que les sommes d’euros de pertes Béziers à la suite
peuvent vite de péages des inondations de 2019
être importantes (SNCF Réseau 2023) (Cour des Comptes
2024)

Ex. La tempête Entre 2009 et 2021,


Ex. 149 100 minutes
Alex en octobre 2020 SNCF Réseau a connu
de retard cumulées Pertes de recettes -
a ainsi fortement cinq évènements
lors des 2 épisodes les alés climatiques
endommagé plus climatiques majeurs
de canicule de 2019 affectent le niveau
de 70 km de route – pour un montant total
soit plusieurs centaines de service et donc
500 M€ ont été nécessaires de 38 M€ dont 25 M€
de milliers d’euros les recettes
pour les réparations suite à la tempête Alex
par jour des gestionnaires
(CGEDD et IGA 2021) (Cour des Comptes
2024) (CGEDD 2020)

Coûts
d’entretien Pertes socio- Ex. 10 jours
et de maintenance – économiques : d’interruption sur l’A10
les conditions la diminution du niveau en 2016 pour cause
climatiques peuvent de service et de d’inondation ont couté
affecter l’infrastructure la qualité de l’offre 4,9 M€ à Cofiroute
de manière plus se répercute sur en pertes de péage
progressive toute l’économie (CGEDD 2016)

Ex. Une baisse Ex. Le CGDD


Sur les réseaux 13 M€ de pertes évaluait en 2017
de 30 à 50 %
routiers socio-économiques à 2M€ les pertes socio-
de la durée de vie
départementaux, par an en moyenne économiques associées une
des infrastructures rupture de deux mois du
de premières sur la période 2018
est déjà observée trafic sur une ligne ferroviaire
conséquences ont été à 2021 pour les usagers
en montagne secondaire et à 40M€/an les
observées mais non du réseau ferré du fait des pertes socio-économiques
du fait des conditions
chiffrées lors des intempéries dans une qui seraient associés à la
climatiques
canicules de 2019 estimation basse rupture d’un pont routier
(CGEDD 2020)
(Cour des comptes
(Cour des comptes comme le Viaduc du Var
2022) 2024) (CGDD 2017)

@I4CE_

2. À ce jour, il n’existe pas de modélisation prospective de l’évolution des coûts des impacts des aléas climatiques pour les infrastructures de transport
en France du même type que celles conduites par la CCR sur le parc de bâtiments ou le réseau électrique. Une telle modélisation – mobilisant
par exemple la simulation à climat constant serait très utile à développer.

26 I4CE - Avril 2024


Les facteurs qui génèrent ces coûts se renforcent avec le changement climatique

EX. NOMBRE DE JOURS AVEC TEMPÉRATURE SUPÉRIEURE À 35° C


SELON LE NIVEAU DE RÉCHAUFFEMENT
(TEMPÉRATURE AU-DELÀ DE LAQUELLE CERTAINS COMPOSANTS DES SYSTÈMES DE MOBILITÉ
PEUVENT SE DÉFORMER OU MOINS BIEN FONCTIONNER)

Lille

0,2 0,7 3,2

Paris
Strasbourg

Rennes 0,8 2,3 8,45 0,4 1,8 7,15

0,4 1,7 5,2

Lyon
1,5 5,1 16,5

Bordeaux
1,4 4,5 12,9

Toulouse
Marseille

Valeurs exprimées en nombre de journées


0,2 1,7 8,6
avec température supérieure à 35° C pour :
1,9 6,6 20,2 Ajaccio
Référence historique (1976-2005)
2,7° C de réchauffement en France
4° C de réchauffement en France 0,2 1,2 5,4

Source : I4CE à partir de https://pnacc3.climint.com/ (Callendar) @I4CE_


Le changement climatique se traduit également par une augmentation de la fréquence
et de l’ampleur des inondations.” (GIEC 2022)


À + 3 °C de réchauffement mondial, l’intensité des pluies extrêmes quotidiennes fortes
pourrait augmenter en France, notamment sur une large moitié Nord tandis que
les incertitudes sont plus importantes sur la moitié Sud.”
(Haut Conseil pour le Climat 2024)

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 27
Ce qui va mécaniquement augmenter la part des fait pour réduire la vulnérabilité des infrastructures
réseaux exposée et donc les besoins de réparation, en amont.
d’entretien ainsi que les risques de pertes si rien n’est

EX. PROPORTIONS DES RÉSEAUX EXPOSÉS À UN RISQUE FORT OU TRÈS FORT


DU FAIT DES FORTES CHALEURS

CLIMAT FRANCE FRANCE


ACTUEL À 2°C À 4°C

RÉSEAU
FERRÉ 1% 2% 46 %

RÉSEAUX
ROUTIERS 2% 11 % 75 %

Exemple : routes départementales exposées à des températures > 35°C plus de 10 jours par an
en moyenne
Réchauffement de 1.3°C Réchauffement de 2°C Réchauffement de 4°C
(climat actuel)

5 000

4 000

3 000

2 000
Kilomètres
1 000

0
Source : analyse Callendar3

La chaleur et l’inondation sont actuellement les risques argiles, mouvements de terrain, érosion en zone côtière,
les plus coûteux pour les systèmes de transport. Ces der- etc.). Des démarches plus détaillées d’analyse des vulné-
niers seront néanmoins aussi affectés par l’augmentation rabilités seront nécessaires pour qualifier plus finement ces
d’autres risques (feux de forêt, retrait-gonflement des évolutions en tenant compte des contextes locaux 4.

Des options existent pour mieux anticiper


Sans forcément réduire à zéro le niveau de risque, diffé- Ces options peuvent être déployées dans le temps de façon
rentes options d’anticipation sont déjà disponibles pour organisée et mieux répartie entre les acteurs :
minimiser les impacts subis et garder la maîtrise des coûts.

3. Callendar est une startup française spécialisée dans l’évaluation des risques climatiques qui a réalisé dans le cadre de cette étude des analyses
géographiques de l’exposition des réseaux de transport à différents aléas climatiques. http://callendar.tech/
4. SNCF Réseau a déjà conduit de premières études sur son réseau concluant, en l’absence d’adaptation, à une multiplication significative
des irrégularités (avec une fourchette allant de x2 en 2050 à x11 en 2100 selon le scénario de réchauffement (Cour des Comptes 2024)).
Des études plus précises sur la base des hypothèses de la Trajectoire de réchauffement de référence sont prévues. Pour le réseau routier national,
une étude de vulnérabilité nationale a été initiée et devrait aboutir en 2025.

28 I4CE - Avril 2024


DE POTENTIELS
DES SURCOÛTS DES COÛTS
BESOINS DE
RELATIVEMENT LIMITÉS ORGANISATIONNELS
PROGRAMMES
DANS DES PROGRAMMES FAIBLES
D’INVESTISSEMENT
EXISTANTS MAIS CRITIQUES
DÉDIÉS

• D es nouvelles infrastructures Les mesures d’adaptation « en dur » ne Sur la base des résultats d’étude de
adaptées par conception. pourront être bien déployées que si vulnérabilité, des enjeux particuliers
elles sont précédées et complétées par pourraient être identifiés. Selon les choix
• I ntégrer l’adaptation aux pro- des mesures plus organisationnelles. stratégiques de réponse qui seront
grammes de régénération et de Ces dernières, souvent peu onéreuses, apportés, des investissements addition-
modernisation 5: sont des actions à « faible regret ». Il nels pourraient être nécessaires. Par
s’agit par exemple : exemple :
Peu de retours d’expérience précis sur
les surcoûts associés à des exigences > De se doter d’outils de pilotage pour > Travaux ciblés sur des points chauds
plus fortes intégrées dès la conception mieux tenir compte des paramètres des réseaux (ex. isolation de postes
dans les programmes de construction/ climatiques dans la planification, électriques) ;
rénovation. La Stratégie Européenne l’exploitation et la maintenance (ex.
d’Adaptation évoque un surcoût de services climatiques, monitoring, > Reprises d’ouvrages d’assainisse-
3 % 6 qui pourrait masquer des situa- maintenance prédictive) ; ment routier :
tions très hétérogènes. Avec des
surcoûts parfois nuls et localement plus > De renforcer les capacités organi- – Des travaux qui peuvent aller de
significatifs – de l’ordre de 15 à 20 % sationnelles de chaque gestionnaire 2 millions d’euros (pour des
par exemple pour des enrobés routiers à faire face (ex. diversification des buses simples) à 40 millions
plus robustes voire ponctuellement compétences, renforcement des d’euros pour des ouvrages d’art
beaucoup plus, s’il s’agit par exemple capacités de réponse). complexes ;
de retenir l’option d’un viaduc au lieu
de buses d’évacuation des eaux. – De très nombreux ouvrages de
 es
➜ C ef for ts orga nis ationne ls nature diverse possiblement
À titre illustratif 1 % de l’investissement représentent quelques dizaines concernés : ex. plus de 2 500
annuel dans les infrastructures ferro- de millions d’euros annuels7. buses connues sur le Réseau rou-
viaires représentent environ 50 millions tier national.
d’euros par an ; 1 % dans les dépenses
de voirie des administrations publiques
90 millions d’euros par an.

@I4CE_

➜L e défi actuel va être de bien dimensionner en fonction du niveau de service jugé socialement
souhaitable :

Par exemple :
redimensionner tous les ouvrages hydrauliques qui préservent les infrastructures des inondations
pourrait représenter des centaines de millions voire des milliards d’euros et des travaux très impac-
tants. Mais ce n’est pas la seule stratégie envisageable – au cas par cas il est possible de combiner
différents niveaux de réponse :

5. La Cour des Comptes donne l’exemple de « la température de libération des rails, établie de manière standard à 25°C sur l’ensemble du réseau
ferroviaire [qui] pourrait être relevée lors de toutes les opérations de renouvellement des voies dans les régions les plus exposées aux grandes
chaleurs » (Cour des Comptes 2024).
6. L’hypothèse de 3 % de surcoût est celle retenue par la Stratégie Européenne (2021) à partir de références internationales. Cette valeur indicative
ne doit pas être surinterprétée. Des retours d’expérience plus spécifiques au contexte français seraient utiles – nous n’avons pas été en mesure
d’en documenter précisément, les exemples de projets prenant en compte l’adaptation en conception ne faisant généralement pas le travail
comparatif de leurs coûts avec ou sans prise en compte du changement climatique.
7. Cette estimation a été réalisée dans le cadre de ce projet à partir des coûts d’actions individuelles que nous avons pu réunir lors d’entretiens
ou déduire de la littérature. À titre d’exemple nous retenons qu’une augmentation de 20 % des dépenses de gestion de la végétation (correspondant
au type d’hypothèses basses d’extension du risque que nous avons pu formuler par ailleurs, QuantiAdapt 2022) représenterait plus de 30 millions
d’euros par an pour un gestionnaire comme SNCF Réseau. Elle sera à préciser en fonction des stratégies propres à chaque gestionnaire.

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 29
COMPOSER UNE STRATÉGIE D’ADAPTATION : UN MIX DE PLUSIEURS OPTIONS

Procéder à d’autres
aménagements à l’échelle
Saisir l’opportunité de la zone : ou aménager
d’autres interventions la possibilité que l’eau
prévues pour puisse submerger
programmer temporairement
une adaptation la chaussée en faisant
un minimum de dégâts
Entreprendre des travaux
dédiés sur des maillons
particulièrement
sensibles et critiques de
réseaux et selon les cas :
-Redimensionner les
ouvrages existants
-Remplacer les ouvrages
Accepter le risque en place par d’autres,
plus adaptés (par
et en inscrire + exemple en construisant
la possibilité
dans les plans un viaduc là où il y avait
de gestion de crise - des buses)

COMPOSITION
D’UNE STRATÉGIE
D’ADAPTATION

@I4CE_

Jusqu’à aujourd’hui ni les exigences règlementaires ni les des Comptes. 2024). Ces politiques devront reposer sur des
incitations économiques n’ont été suffisantes pour faire émer- analyses de vulnérabilité précises et réellement appropriées
ger des stratégies globales d’adaptation. Compte-tenu de par les gestionnaires et les opérateurs. Mobiliser les quelques
l’importance des réseaux routiers et du réseau ferré pour millions d’euros nécessaires à la conduite de ces analyses8
l’économie nationale et la cohésion des territoires, des poli- est la toute première étape pour construire des programmes
tiques publiques plus volontaristes sont donc nécessaires d’adaptation à la hauteur des changements climatiques en
pour structurer ces débats et formuler les arbitrages (Cour cours qui pourront et devront alors être budgétés.

Sources et références

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•C
public annuel : l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique.
 NR. 2023. « Rapport 2023 de l’Observatoire National de la Route ».
•O

8. Il faut compter quelques centaines de milliers euros pour une étude de vulnérabilité générale à l’échelle d’un réseau régional ; des montants de l’ordre
de 3 à 5 000 €/km pour des analyses plus précises (ex. études hydrologiques à hauts-rendements).

30 I4CE - Avril 2024


PRODUCTIONS AGRICOLES VÉGÉTALES

Résumé
L’impact du changement climatique sur l’agriculture Cependant, ces mesures d’adaptation restent insuffi-
française est déjà manifeste et se traduit par des pertes santes, et un consensus émerge en faveur d’une approche
de rendements, des dommages matériels et des pertes plus proactive. Les leviers d’une telle action sont identifiés
de revenus. En réponse, des dispositifs publics sont mobi- mais les coûts de leur déploiement sont mal appréhendés.
lisés pour atténuer une partie de ces coûts. Les très Une analyse originale réalisée dans le cadre de ce projet
récentes inondations dans le nord de la France, les par FINRES a permis d’identifier des combinaisons de
périodes de sécheresse prolongée ou encore les épisodes mesures parmi un panier de solutions technologiques qui
de gel tardif de ces dernières années donnent un aperçu permettraient des bénéfices nets sur la production pour
des montants en jeux qui se chiffrent déjà en milliards des niveaux de réchauffement jusqu’à +4°C en France.
d’euros par an. Les coûts totaux de ces mesures (qui ne recouvrent qu’une
partie des leviers d’adaptation disponibles), si toutes
La tendance globale est bien celle d’un effet de plus en étaient déployées à l’échelle de la ferme France et à asso-
plus négatif du changement climatique sur la production. lement constant, avoisinerait les 1,5 milliard d’euros
Face à cette réalité, le secteur s’adapte progressivement, par an au cours de la prochaine décennie.
privilégiant des évolutions incrémentales. Différentes poli-
tiques publiques participent également à cette adaptation Pour des niveaux de réchauffement limités les adap-
spontanée, notamment en soutenant des actions comme tations incrémentales pourraient être suffisantes, mais
les mesures agroécologiques ou les efforts de R&D qui au-delà, des transformations seront à engager. Évaluer
présentent des cobénéfices en matière d’adaptation ou les investissements nécessaires pour ces transforma-
via des plans visant à mieux répondre aux crises. Ces tions est complexe, car elles impliquent un changement
politiques mobilisent des budgets de la dizaine à la systémique de modèle agricole.
centaine de millions d’euros par an.

 es effets du changement climatique sur l’agriculture française


D
déjà avérés
Plusieurs rapports de référence concluent sans ambiguïté que les impacts du changement climatique sur l’agriculture
française sont déjà là :

“ Des impacts déjà clairement perceptibles, avec une tendance à l’accélération.”


(CGAAER 2023)

“ En France, les conséquences du changement climatique sur les rendements


des cultures et de l’élevage sont déjà visibles, et vont continuer à s’amplifier.”
(HCC 2024)

Ces impacts s’accompagnent de coûts importants rialisent sous forme de pertes de rendements occasionnant
pour le secteur. Ces coûts affectent à la fois le revenu des des pertes de revenus et de dégâts matériels – notamment
agriculteurs ; la souveraineté alimentaire française ; les capa- sur les cultures pérennes et le matériel – et se chiffrent déjà
cités d’exportation et les prix de l’alimentation. Ils se maté- en milliards d’euros par an.

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 31
Dans son rapport de 2024, le Haut conseil pour le climat dresse un panorama des coûts répertoriés ces dernières
années :

PANORAMA DES COÛTS DES IMPACTS RÉPERTORIÉS PAR LE HAUT CONSEIL


POUR LE CLIMAT (2024)

L’année 2021
a enregistré
Ex. « Les récoltes « des dommages records
de maïs grain ont dus aux gelées touchant
diminué de 29,4 % les vignes et les arbres
par rapport à 2021 fruitiers (par exemple,
et de 21,4 % par rapport -40 % de production
à la moyenne d’abricots par rapport
2017-2021 » à 2020). »
« Le réchauffement
climatique conduit
à des floraisons plus précoces
« En 2022, au printemps, à une période
Ex. « Les récoltes
les épisodes où les risques de gelée sont encore « La sinistralité
céréalières ont baissé
de sécheresse importants, entraînant des dégâts des évènements
de 10,5 % par rapport
et de canicules sur les cultures. L’année 2021 illustre de grêle a atteint
à 2021 et de 7,5 %
ont entraîné des baisses aussi ce phénomène avec des des records en 2022
par rapport à la moyenne
de production et des pertes dommages records dus aux gelées pour les dommages
2017-2021 »
pour de nombreuses touchant les vignes et les arbres aux biens hors
cultures » fruitiers (par exemple, cultures ».
-40 % de production d’abricots
par rapport à 2020).

« L’évolution
du régime « Les inondations record
des précipitations de novembre 2023 dans
conduit à des fortes les départements du Pas-de- Calais
précipitations au et du Nord ont déclenché
printemps qui entraînent la reconnaissance de l’état
des pertes de production de catastrophe naturelle dans
pour certaines cultures ». 244 communes et ont généré des
impacts importants : […] inondations
de plus de 2 500 hectares de terres
cultivées en attente de récolte
(betteraves, maïs, chicorée, pommes
de terre), dégâts sur le matériel et
Ex. « En 2016, les bâtiments agricoles dans au moins
une perte de 28 % 50 exploitations d’après la chambre
pour la culture du blé d’agriculture du Nord
tendre d’hiver Pas-de-Calais ».
a été enregistrée. »

@I4CE_

32 I4CE - Avril 2024


Compte tenu de l’importance économique, commerciale au régime d’assurance récolte – jusqu’à 600 millions d’eu-
et politique du secteur agricole en France, différents dispo- ros par an – ou d’aides ponctuelles par exemple sous forme
sitifs publics sont régulièrement mobilisés pour prendre en d’exonération de cotisations sociales. Comme le relève une
charge une partie de ces coûts. Cette socialisation des étude d’I4CE, les dépenses publiques liées aux aléas clima-
risques prend par exemple la forme de subventions publiques tiques ont fortement augmenté ces cinq dernières années1 :

DÉPENSES D’INDEMNISATION ET DE GESTION DES CRISES AGRICOLES LIÉES AUX ALÉAS


CLIMATIQUES

600
En millions d’euros

500

400

300

200

100

0
2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022
Aléa climatique

© I4CE_
Source : (I4CE 2024)

L’augmentation observée est « essentiellement liée à des tuellement élevés sont liés à des interventions publiques
épisodes récurrents de sécheresse généralisée dans de importantes suite à des épisodes de gel (410 millions d’euros
nombreuses régions de France. Certains montants ponc- en 2021 par exemple) » (I4CE 2024).

Une tendance globalement à la hausse


Bien que des incertitudes demeurent sur les consé- tion à l’autre et d’une région à l’autre – la tendance globale
quences précises du changement climatique sur l’agriculture est bien celle d’un effet de plus en plus négatif sur la pro-
française 2 – qui peuvent être très différentes d’une produc- duction :


Avec un réchauffement planétaire de l’ordre de +2 °C à horizon 2050, sans adaptation
supplémentaire, les cultures seraient exposées en France à des pertes de rendement
additionnelles, particulièrement pour des cultures d’été comme
le maïs .” (HCC 2024)

1. Les montants indiqués sur cette figure sont un minimum : une part non négligeable des dépenses n’étant pas directement identifiable comme « liées
aux aléas climatiques ».
2. Parmi les principaux facteurs d’incertitude on peut noter la disponibilité en eau ou la part de l’effet fertilisation du CO2. Les réponses peuvent
également varier en fonction des indicateurs considérés : parle-t-on des effets sur les rendements moyens, sur la fréquences et l’intensité
des extrêmes climatiques, sur la variabilité autour de la moyenne ?

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 33
Les adaptations déjà à l’œuvre
Face à des impacts déjà constatés des changements ter ou récolter plus tôt par exemple), de choix de variétés plus
climatiques, le secteur s’adapte de façon spontanée – résistantes à la sécheresse, de premiers efforts de diversification
jusqu’ici en privilégiant des évolutions incrémentales, ou de changements de pratiques – par exemple de taille des
sans rupture fondamentale des modèles de production vignes ou des arbres face au risque de gel. Il est très difficile
(HCC 2024; CGAAER 2023). Ces adaptations prennent par d’évaluer les coûts pour les agriculteurs de ces mesures d’adap-
exemple la forme de décalages des calendriers agricoles (plan- tation mises en œuvre au fil de l’eau et de nature très diverse.

DES POLITIQUES PUBLIQUES CONTRIBUENT ÉGALEMENT À L’ADAPTATION


INCRÉMENTALE DE L’AGRICULTURE

DES POLITIQUES DES MESURES


AVEC DES CO-BÉNÉFICES POUR MIEUX
ADAPTATION GÉRER LES URGENCES

 ertaines dynamiques déjà à l’oeuvre et soutenues dans


C Face aux conséquences déjà subies du changement cli-
la poursuite d’autres objectifs (par exemple de décarbona- matique, plusieurs plans assortis de budgets significatifs
tion du secteur) ont des cobénéfices avérés en matière ont été établis ces dernières années, notamment3 :
d’adaptation. Il s’agit notamment :
• Plan eau, irriguer plus de surfaces sans utiliser plus
• D es investissements dans le développement éco- d’eau :
nomique des filières :
> 30 millions d’euros par an consacrés au soutien des
> E x. Appels à projets France 2030 pour le financement pratiques agricoles économes en eau (émergence de
des agroéquipements : 212 millions d’euros (Cour filières peu consommatrices d’eau, irrigation au gouttes à
des Comptes 2024). gouttes, etc.).

• D es soutiens aux mesures agroécologiques par les > C onstitution d’un fonds d’investissement hydraulique
Régions, les Agences de l’eau, les « éco-régimes » de la agricole doté de 30 millions d’euros par an pour
PAC ou des programmes dédiés (CGAAER 2022) : soutenir la rénovation du patrimoine hydraulique d’irri-
gation, des projets de retenues de substitution ou d’éco-
> E x. « Pacte en faveur de la haie » 110 millions d’euros nomies d’eau, ou l’utilisation d’eaux usées traitées.
par an.
• Réforme de l’assurance agricole :
• D es efforts de Recherche et Développement et
notamment des travaux d’amélioration génétique. > Doublement de la subvention à l’assurance et à l’indem-
nisation des pertes de récolte : de 300 à 600 millions
d’euros par an.

Comme le note le CGAAER (2022) « consolider et ren- Cette forme d’adaptation semble néanmoins insuf-
forcer le soutien à ces dynamiques constitue un pre- fisante et un consensus de plus en plus fort émerge
mier type d’adaptation « incontournable » notamment en faveur d’une action plus proactive :
dans certaines filières qui font encore face à des besoins
« considérables » – par exemple des besoins de recherche
pour l’arboriculture.

“ Force est cependant de constater que, malgré une réelle prise de conscience,
la réponse du secteur agricole n’est pas encore suffisante.” (CGAAER 2023)

“ L’adaptation des activités agricoles aux effets négatifs observés du changement


climatique est réactive, mais pas suffisamment transformatrice pour assurer
leur résilience face aux multiples facteurs générateurs d’impacts qui vont continuer
à s’intensifier.” (HCC 2024)

3. Cette liste ne prétend pas être exhaustive, d’autres dispositifs pourraient y être cités, par exemple d’autres appels à projets du programme France
2030 comme celui en faveur de la protection contre les aléas climatiques (175 millions d’euros) ou certaines actions financées via le compte
d’affectation spéciale développement agricole et rural dans le cadre du plan d’adaptation présenté par les Chambres d’agriculture.

34 I4CE - Avril 2024


Les options d’adaptation bien connues

Les leviers d’une action d’adaptation plus ambi- Dans le cadre du Varenne de l’eau et de l’adaptation au
tieuse sont bien identifiés. Il n’y aura pas de réponse changement climatique, un travail collectif a ainsi permis de
unique mais bien des paniers de solutions - « des change- dresser un inventaire de 100 leviers techniques, déclinés à
ments de cultures, de pratiques culturales, de systèmes trois échelles - de l’exploitation, de la parcelle et de l’animal
culturaux, des améliorations génétiques, un couvert végé- (dimension non abordée ici). Outre les efforts de recherche
tal permanent des sols, et de l’irrigation là où la ressource et innovation, trois principaux domaines d’action sont iden-
le permet » (CGAAER 2023) - propre à chaque contexte tifiés (i) Les actions relatives à la ressource en eau ; (ii) la
territorial. sélection génétique et (iii) l’évolution des pratiques agricoles.

LES LEVIERS D’ADAPTATION À L’ÉCHELLE DE L’EXPLOITATION ET DE LA PARCELLE

AGIR À L’ÉCHELLE AGIR À L’ÉCHELLE


DE L’EXPLOITATION DE LA PARCELLE

ADAPTER L’ASSOLEMENT AMÉLIORER LES PROPRIÉTÉS DU SOL


• Diversifier les espèces et les variétés cultivées, • Adapter le travail du sol
• Adopter une stratégie d’esquive des stress • Apporter de la matière organique dans le sol
• Choisir des espèces ou des variétés adaptées • Limiter le tassement
• Adapter la taille et la forme des parcelles
OPTIMISER LA CONDUITE
DES CULTURES PÉRENNES
• Réduire l’échauffement au soleil
• Optimiser les techniques de greffe
• Optimiser l’implantation

PILOTER LA RESSOURCE EN EAU


•M obiliser des ressources en eau renouvelables ASSURER UNE COUVERTURE
CULTIVER RÉGULIÈRE DU SOL
•A ssurer une bonne répartition des apports SOUS ABRIS
et limiter les pertes • Favoriser la présence de couverts
• Piloter l’irrigation • Cultiver à l’ombre
• Pailler ou mulcher
• Contrôler le climat
sous serre

METTRE EN PLACE DES


INFRASTRUCTURES AGROÉCOLOGIQUES
• Maintenir les talus et les entretenir
À partir de l’infographie « Quels leviers d’adaptation au changement
climatique ? Gérer les stress hydrique et thermique » Varenne • Favoriser la présence d’arbres
agricole Eau et Changement Climatique4
@I4CE_

4. Infographie réalisée par la cellule de coordination nationale ACTA, APCA et INRAE de Recherche Innovation Transfert dédiée à accélérer
la diffusion et le transfert de solutions au bénéfice de la transition agroécologique, en collaboration avec le RMT ClimA. Plus d’informations
www.geco.ecophytopic.fr. (2022).

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 35
Estimer les coûts de déploiement à l’échelle de mix tion, quel que soit le niveau de réchauffement, jusqu’à +4°C.
de solutions mobilisant au mieux ces différents leviers Les coûts totaux de ces mesures, si toutes étaient déployées
reste un défi. Néanmoins de premières évaluations à l’échelle de la ferme France et à assolement constant,
permettent de préciser les ordres de grandeur dont il avoisineraient les 1,5 milliard d’euros par an au cours
est question. de la prochaine décennie. Ces résultats font aussi appa-
raître que des formes d'adaptation fondées sur l'irrigation
Une analyse originale réalisée dans le cadre de ce projet sont loin d'être toujours les plus intéressantes, notamment
par la start-up FINRES5 a permis d’identifier des combinaisons du fait des coûts de l’énergie et de l’entretien qu’elles
de mesures parmi un panier de solutions technologiques (cf. impliquent6.
encadré) qui permettraient des bénéfices nets sur la produc-

ENCADRÉ : L’ANALYSE MENÉE PAR FINRES 7

L’analyse menée par FINRES s’est secs et betterave sucrière – se voulant Une des conclusions de l’analyse est
appuyée sur un processus d’appren- représentatives des types de produc- que seules certaines mesures d’adap-
tissage automatique pour établir, par tions en France 8 . Le travail a été effec- tation présentent des bénéfices pour
culture, un modèle statistique liant tué par « clusters géographiques » (i.e. l'exploitation à même de compenser
les rendements à un ensemble de va- zones partageant des caractéristiques leurs coûts. Cela n’implique pas for-
riables climatiques. Ce modèle a été climatiques et physiques : ex. grandes cément que les autres ne puissent pas
utilisé pour établir des projections de plaines, collines, montagnes) et couvre être pertinentes mais que le choix de
rendement pour différents niveaux de 86 % de la surface agricole française. les mettre en œuvre ou pas dépasse
réchauffement à par tir des projec- Les technologies d’adaptation tes- la logique uniquement économique.
tions climatiques régionalisées les tées ont été les suivantes : irrigation ; Ce constat permet d’introduire les
plus récentes, d’abord sans mesures brise-vent (artificiel ou naturel avec de discussions nécessaires sur la distri-
d’adaptation puis en testant différentes l’agroforesterie) ; ombrage (artificiel ou bution des coûts de l’adaptation et les
mesures et combinaisons de mesures naturel avec de l’agroforesterie) ; serres modalités de son financement. D’autres
pour retenir les plus efficaces pour aug- agricoles. Les coûts de l’ensemble des paramètres non intégrés à cette ana-
menter le rendement et préserver des combinaisons de mesures – résolues à lyse comme les effets sur la balance
pertes liées aux aléas climatiques. une échelle fine – permettant d’obtenir commerciale ou l’importance sociale
L’analyse a été effectuée sur 9 cultures des bénéfices nets en matière d’adap- et environnementale de l’agriculture
– soja ; blé d’hiver ; maïs irrigué et non tation sur une période de 10 ans ont été doivent alors être pris en considération.
irrigué ; vigne ; tournesol ; sorgho ; pois agrégés à l’échelle nationale.

Les technologies étudiées par cette analyse ne recouvrent titutions de cultures (en remplaçant par exemple le maïs par
qu’une partie des leviers d’adaptation disponibles. Des des cultures moins exigeantes en eau dans certaines régions)
études complémentaires seraient nécessaires pour évaluer pourraient permettre de maintenir des niveaux de production
par exemple si une évolution des assolements ou des subs- à moindre coût (DIVAE 2023).

5. FINRES est une entreprise spécialiste de la modélisation des coûts de l’adaptation du secteur agricole https://finres.org/about-us/
6. Sans comptabiliser les coûts des infrastructures collectives qui seraient nécessaires pour capter, stocker et acheminer la ressource. En tout premier
ordre de grandeur, le CGAAER donnait l’estimation suivante en 2022 « Actuellement 3 milliards de mètres cubes d’eau sont prélevés, la mission part
de l’hypothèse de doubler ce volume par du stockage supplémentaire (retenir l’eau d’hiver pour l’été) au prix moyen de 6 euros par mètre cube
soit la somme de 18 milliards d’euros d’investissement ».
7. Les résultats détaillés par région et par culture feront l’objet d’une publication dédiée courant 2024.
8. Pour des raisons de disponibilité des données et de contraintes de temps liées à l’étude, les productions fourragères essentielles pour l’agriculture
française n’ont pas pu être traitées mais pourraient faire l’objet de développement ultérieurs.

36 I4CE - Avril 2024


Une absence de consensus sur le niveau et le rythme de transformation
nécessaires
Ces premières évaluations renseignent sur les actions en fonction de l’objectif poursuivi. Deux voies principales
envisageables mais ne dessinent pas une seule trajectoire sont fréquemment opposées (CGAAER 2023). À chacune
d’adaptation possible. Face à l’évolution des risques clima- de ces voies correspond une logique d’adaptation particu-
tiques plusieurs attitudes peuvent en effet être privilégiées lière :

VOIE 1 : Adaptation incrémentale du modèle actuel. Une combinaison


LA POURSUITE D’UN NIVEAU de mesures incrémentales et de progrès qui permettent de compenser
les effets négatifs du changement climatique pour préserver un niveau
ÉLEVÉ DE RENDEMENTS de rendement élevé le plus longtemps possible.
EN ACCEPTANT LE RISQUE
D’UNE PLUS GRANDE
EXPOSITION AUX ALÉAS
CLIMATIQUES
ET ÉCONOMIQUES.

VOIE 2 : Besoin d’une trajectoire plus transformative. Certains acteurs


considèrent que préserver le modèle actuel n’est pas une option satis-
LE CHOIX D’UNE PRODUCTION faisante car trop coûteuse, trop optimiste sur l’efficacité des mesures
PLUS RÉSILIENTE OU PLUS d’adaptation ou leurs conditions de mise en œuvre (ex. disponibilité
en eau), ne tenant pas suffisamment compte des autres enjeux
CONSTANTE MAIS AU PRIX DE environnementaux (ex. effets sur la biodiversité, les paysages, la qualité
RENDEMENTS MOYENS PLUS de l’eau ou les émissions de GES).
MODESTES.
Ils défendent donc une transformation plus systémique du modèle agricole
quitte à remettre en question certains fondamentaux, par exemple en
agissant sur la demande de certains produits (consommer moins, expor-
ter moins) : « produire de façon stable, consommer de façon sobre ».

Dans cette vision, l’adaptation passe par une diversification des varié-
tés et des pratiques et une réduction des objectifs de rendement
en conditions optimales au profit de rendements moindres mais plus
stables sur une longue période malgré des perturbations importantes.

La Stratégie Nationale Bas Carbone qui fixe un cap d'évo- 2050. Cette hypothèse mise donc, pour compenser les
lution du système agricole pour les prochaines années effets du changement climatique, sur des évolutions tech-
prévoit des évolutions à l'échelle des exploitations mais niques, génétiques et de pratiques dans des proportions
reste optimiste sur les rendements de l'agriculture consi- qui ne sont pas détaillées (INRAE2023; Schauberger et
dérés constants pour tous les modes de production jusqu'en al. 2018).

Est-ce que cela est satisfaisant à terme ?

Les différents rapports de référence déjà cités invitent plutôt à en douter :

“ Le secteur agricole « ne pourra cependant pas se contenter de demi-mesures,


[et] devra s’engager dans des modifications réellement structurantes. Les améliorations
génétiques et les progrès techniques et technologiques à eux seuls ne suffiront pas.”
(CGAAER 2023)

Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 37
“ Au-delà de 2,5 °C de réchauffement planétaire, une adaptation transformationnelle
est nécessaire pour abaisser les niveaux de risque et peut aider à surmonter des limites
souples à l’adaptation.” (HCC 2024)

“ Selon INRAE, face aux évolutions du climat prévues pour la seconde moitié du XXIe siècle,
les adaptations incrémentales ne seront probablement pas suffisantes. Il sera nécessaire
de renforcer la résilience des systèmes de production, à l’aide de transformations
de plus grande ampleur.”
(Cour des Comptes. 2024)

Pour des niveaux de réchauffement limités les complète du modèle économique des filières. Il s’agit
adaptations incrémentales pourraient être suffisantes par exemple des coûts d’accompagnement à l’évolution des
mais au-delà des transformations seront à engager. pratiques de type diagnostics ou conseil agricole que le
Même si les horizons de décision dans le secteur agricole CGAAER estimait en 2022 à 150 millions d’euros par an
sont souvent inférieurs à 10 ans, certains choix engagent sur 4 ans (CGAAER 2022).
à plus long terme et concernent des périodes où le niveau
de réchauffement pourrait être plus fort. Lorsqu’un jeune Parmi les coûts qui restent à évaluer, figurent par exemple
agriculteur reprend une exploitation et oriente son activité les investissements dans des nouvelles capacités de pro-
il le fait par exemple en pensant à l’échelle d’une carrière duction 9, de transformation et de distribution ; les dépenses
qui l’amènera au-delà de 2050. De même, une filière liées à la formation ou à des mesures de compensation
agro-alimentaire ne s’organise pas en quelques mois : l’ex- pour les perdants de la transition. Les coûts de telles trans-
périmentation de nouvelles cultures, le développement des formations devront être mis en perspective des coûts récur-
industries de transformation, l’ouverture de débouchés rents du maintien d’un modèle actuel.
demandent la création de relations au long cours entre de
multiples acteurs et façonnent des marchés pour des
années. Les cycles de R&D s’étalent également sur des
périodes longues : le HCC indique par exemple que « le
développement de nouvelles espèces ou variétés néces-
sitant en moyenne de sept à dix ans ». Ces décisions-là
doivent donc considérer dès maintenant la possibilité de
niveau de réchauffement d’au moins +3° C en France et
donc des mesures d’adaptation plus transformatives que
celles déployées jusqu’ici.

Évaluer les investissements nécessaires pour faire


advenir de telles transformations est particulièrement
délicat car il ne s’agit plus de connaître les coûts
d’actions ponctuelles mais bien les « coûts complets
d’un changement de système rendant par nature
nos références caduques » (CGAAER 2023). Il devient
dès lors quasi-impossible d’isoler des coûts de l’adaptation
de coûts plus systémiques liés à la réorientation de toute
l’économie d’un secteur vers de nouveaux modèles.

Certains coûts spécifiques peuvent être identifiés


mais ne sont que la face visible d’une recomposition

9. À titre uniquement illustratif le CGAAER chiffrait en 2022 à 600 millions d’euros les seuls investissements en replantation pour déplacer 10 %
du verger français (CGAAER 2022).

38 I4CE - Avril 2024


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Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ? - I4CE 39
INSTITUTE FOR CLIMATE ECONOMICS
Création-réalisation : Laëtitia Colas

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