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Poétique du slam : de la scène à l’école.

: Néologie,
néostyles et créativité lexicale
Camille Vorger

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Camille Vorger. Poétique du slam : de la scène à l’école. : Néologie, néostyles et créativité lexicale.
Littératures. Université de Grenoble, 2011. Français. �NNT : 2011GRENL017�. �tel-00746972�

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THÈSE
Pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE GRENOBLE


Spécialité : Sciences du langage, didactique et linguistique
Arrêté ministériel : 7 août 2006

Présentée par

Camille VORGER

Thèse dirigée par Francis GROSSMANN


et codirigée par Dominique ABRY

préparée au sein du Laboratoire LIDILEM


École Doctorale de Langues, Littérature et Sciences humaines

Poétique du slam :
de la scène à l’école
Néologie, néostyles et créativité lexicale

Volume I

Thèse soutenue publiquement le 23 novembre 2011,


devant le jury composé de :
Madame Dominique ABRY
Maître de conférences, Université Stendhal (Grenoble), Co-directrice
Madame Marie BERCHOUD
Professeure des Universités, IUFM de Bourgogne (Dijon), Examinatrice
Monsieur Jean-Pierre BOBILLOT
Professeur des Universités, Université Stendhal (Grenoble), Président
Monsieur Francis GROSSMANN
Professeur des Universités, Université Stendhal (Grenoble), Directeur
Madame Marie-Claude PENLOUP
Professeure des Universités, Université de Rouen, Rapporteur
Monsieur Jean-François SABLAYROLLES
Professeur des Universités, Université Paris 13, Rapporteur
3

A la mémoire de mon frère Alain

« La poésie fait vie de tout.


Elle est cette forme de vie qui fait langage de tout.
Elle ne nous arrive que si le langage même est devenu une forme de vie.
C’est pourquoi elle est si peu paisible. Car elle ne cesse de nous travailler.
D’être le rêve dont nous sommes le sommeil.»
(Meschnonnic, 1989 : 247)
4
5

Mes remerciements vont d’abord à Francis Grossmann pour sa bienveillance et la constance de


ses encouragements, sa rigueur intellectuelle et sa disponibilité en dépit des responsabilités
administratives qui lui incombent, ainsi qu’à Dominique Abry pour la confiance qu’elle m’a témoignée
dès les prémices de cette thèse en année de Master 2 (et bien avant, pour les stages pédagogiques
du CUEF), pour son exigence qui m’a poussée à aller au-delà de mes limites.
Merci à Jean-Pierre Bobillot, pour les apports de sa Médiopoétique, de sa poésie et autres « voix
réinventées », pour l’intérêt porté à ma recherche. Merci à Jean-François Sablayrolles pour me faire
l’honneur de participer à mon jury, pour les apports de sa recherche en matière de néologie et pour
l’intérêt accordé à mon approche. Merci à Marie-Claude Penloup pour sa participation à mon jury, sa
réflexion sur la « tentation du littéraire » et son ouverture aux pratiques d’écriture extrascolaire.
Merci à Marc Sourdot, Jean-Pierre Goudaillier et Alena Podhorna, pour nos échanges sur le
jargot et autres formes inventives permettant d’accéder à la « félicité lexicale », et aussi pour m’avoir
permis de faire mes premières communications ; à Jérôme Meizoz pour ses réponses précises à mon
enquête et à Julien Barret pour nos discussions sur rap et slam.
Merci à Katia Bouchoueva pour avoir été mon guide au pays des slamerveilles et mon alliée lors
des ateliers, ainsi qu’à tous les slameurs rencontrés, en particulier :
• à Bas Böttcher pour nos échanges multiples et multilingues, pour la musique de sa poésie ;
• à Bastien Mots Paumés pour sa disponibilité, son aide, son intérêt et son inventivité ;
• à Fabien (Grand Corps Malade) pour m’avoir accordé un entretien en toute simplicité ;
• à Frédéric Nevchehirlian pour sa poésie et sa réflexion poétique, ses invitations à Marseille ;
• à Hélène (Barbie tue Rick) qui n’est ni Barbie ni barbante ni « slamnifère » ;
• à Ivy, redoutable « calembourgeois » qui s’est gentiment prêté à mon enquête ;
• à Lauréline Kuntz pour son invitation à Avignon, nos discussions skypées et animées ;
• à Lucile (Luciole) pour avoir partagé un entretien autour d’un petit-déjeuner parisien ;
• à Lyor et Rouda pour leur « slam sauvage » et leur vitalité poético-méthodologique ;
• à Marc Smith qui a pris le temps de répondre à mon enquête le jour de l’an et qui l’a relayée de
l’autre côté de l’océan ;
• à Marco DSL pour ses discours parfois « chaotiques » mais toujours passionnants ;
• à Narcisse pour l’originalité de sa poésie et ses éclaircissements en musicologie ;
• à Sébastien (Selecta Seb) pour sa collaboration active dans mes investigations ;
• à Silvia Nieva pour s’être prêtée à mon enquête tout en m’envoyant poèmes et articles ;
• à Souleymane Diamanka pour la saveur de ses mots, pour m’avoir ouvert ses blocs-notes et pour
être venu jusqu’à Grenoble nous faire l’honneur d’animer des ateliers.
Leurs mots, leurs poèmes, leurs témoignages ont nourri cette recherche tout en me régalant.
Qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés. Puisse ce travail contribuer à mettre en lumière, en
passant De l’autre côté du miroir, une poésie qui dit aux éclats notre monde d’aujourd’hui.
Merci aux collègues (et à leurs élèves) qui nous ont accueillies dans leurs classes et structures :
les lycées Prévert (Emeline), Buisson (Magali, Ginette) et Deschaux, la bibliothèque Teisseire-
Malherbe (Elisabeth et Paule), la Maison de la poésie Rhône-Alpes pour les projets actuels et à venir.
Merci à mes anciens élèves de CLIN pour avoir contribué, de par leur enthousiasme, à donner
l’impulsion décisive à ce projet de recherche naissant, merci à mes Inspecteurs (Mr Milesi, Mme
Manin) pour l’avoir soutenu.
Merci aux collègues du CUEF (Christelle Bagnard, Catherine David, Aliette Lauginie, Sylvie
Juliers) et aux étudiants pour leur participation active.
Merci aux collègues du LIDILEM (Diana Lee Simon, Cyril Trimaille, Cristelle Cavalla, Isabelle
Rousset, Agnès Millet, Vannina Goossens, Julie Darnand) pour leur aide, leurs conseils et les apports
de leurs recherches respectives.
Merci à mes collègues de l’IUFM pour leur soutien qui m’a été précieux (Eric Triquet, Nicolas
Rouvière, Alain Chartier) et leur aide technique (Patrick Soubrié, Macha Klajnbaum) à la réalisation du
DVD. Merci à ceux qui m’ont parfois aidée à filmer et à Pierre B. pour ses belles photos de concert.
Merci aux ami(e)s professeur(e)s pour leur « veille pédagogique », pour m’avoir aidée à traquer
le slam dans les programmes et manuels scolaires (Sophie, Marie, Thierry). Merci à mes proches,
parents et amis pour leur présence et leurs relectures attentives, pour avoir partagé mon
enthousiasme et m’avoir soutenue dans l’effort : Dominique T., Rébecca, Katia, Bastien et Bastian.
6
7

Avertissement

La présente thèse comporte une illustration sonore ou vidéo de chaque chapitre.


Les séquences correspondantes ont été enregistrées avec l’aimable autorisation des
slameurs et slameuses auprès desquel(le)s nous nous sommes engagée à limiter
l’exploitation des enregistrements aux besoins et au cadre exclusif de notre
recherche. Aussi les vidéos ne sont-elles pas destinées à une quelconque diffusion
ou duplication et le DVD, exclusivement réservé aux membres du jury, a-t-il été retiré
des exemplaires destinés aux bibliothèques universitaires. Il peut être lu le cas
échéant sur un lecteur de DVD ou sur un ordinateur (PC ou Mac) en double-cliquant
sur « DVD Builder » pour accéder au menu.
8
9

SOMMAIRE

INTRODUCTION .............................................................................................................................................. 11
PREMIERE PARTIE : UN POTENTIEL NÉOPOÉTIQUE ............................................................................... 23
Chapitre 1 : La vague du slam. Histoire et état de l’art .............................................................................. 25
1.1. L’odyssée du slam ou l’histoire d’une naissance ...................................................................................... 27
1.2. L’émergence du slam en France et dans la francophonie ........................................................................ 38
1.3. Un aperçu du slam européen .................................................................................................................... 45
1.4. Mouvement poétique ou poésie en mouvement ? .................................................................................... 54
Chapitre 2 : Orientations méthodologiques ................................................................................................ 65
2.1. Un objet et une démarche en 3D : Définir, Décrire, Didactiser ................................................................. 68
2.2. Délimitation du corpus périphérique (paratextuel) .................................................................................... 71
2.3. Description du corpus principal (textes et vidéos) ..................................................................................... 90
Chapitre 3 : Le slam tel que les slameurs le voient et le vivent, le décrivent et le dérivent ................. 105
3.1. A l’heure du slam : les documentaires .................................................................................................... 107
3.2. A la rencontre des slameurs : synthèse des entretiens .......................................................................... 112
3.3. Enquête complémentaire : le slam en un mot ......................................................................................... 138
Chapitre 4 : Entre oralité et jeux d’écriture, le slam ou l’oralittérature ................................................... 149
4.1. De la poésie orale .................................................................................................................................... 152
4.2. De la chanson .......................................................................................................................................... 168
4.3. De l’écriture à la performance ................................................................................................................. 174
4.4. Vers une poétique du slam ...................................................................................................................... 184
Chapitre 5 : Du rap au slam, du flow au flot .............................................................................................. 189
5.1. De la culture hip-hop et du rap ................................................................................................................ 192
5.2. Entre rap et slam : influences, confluences et diffluences ...................................................................... 205
5.3. Le slam comme Musique des lettres, des langues, des voix et des corps ............................................. 219

DEUXIEME PARTIE : UN POTENTIEL NÉOLOGIQUE ............................................................................... 229


Chapitre 6 : Le mot « slam » ........................................................................................................................ 231
6.1. Le mot « slam » : signifiant et signifiés .................................................................................................... 234
6.2. Du mot au moment : analyse sémantique ............................................................................................... 242
6.3. Du mot en contexte : le mot « slam » dans la presse ............................................................................. 251
6.4. Du mot aux textes : le mot « slam » dans les textes de slam ................................................................. 263
Chapitre 7 : Fondements, facteurs, formes et fonctions de la néologie dans le slam .......................... 273
7.1. La création lexicale .................................................................................................................................. 276
7.2. Les facteurs néologènes ......................................................................................................................... 286
7.3. Les formes de la néologie ....................................................................................................................... 294
7.4. Des fonctions aux néostyles .................................................................................................................... 308
Chapitre 8 : Mots paumés ou les mots composites (néostyle 1) ............................................................ 315
8.1. Du mot d’esprit aux mots composites ..................................................................................................... 317
10

8.2. Traitement du corpus MP ........................................................................................................................ 334


8.3. Analyse néostylistique ............................................................................................................................. 349
Chapitre 9 : Souleymane Diamanka ou l’écriture palimpseste (néostyle 2) ........................................... 357
9.1. Le concept de palimpseste ...................................................................................................................... 360
9.2. Traitement du corpus SD......................................................................................................................... 369
9.3. Analyse néostylistique ............................................................................................................................. 379
Chapitre 10 : Grand Corps Malade ou l’écriture métisse (néostyle 3) .................................................... 397
10.1. Métissage inter- et intralexical ............................................................................................................... 400
10.2. Métissage inter- et intralingual .............................................................................................................. 406
10.3. Tissage intratextuel et rhétorique .......................................................................................................... 423
10.4. Tissage interdiscursif et intertextuel ...................................................................................................... 428

TROISIEME PARTIE : UN POTENTIEL DIDACTIQUE ................................................................................ 437


Chapitre 11 : Exploration du champ, état des lieux et premières expérimentations ............................ 439
11.1. Articles et pistes de réflexion didactique ............................................................................................... 442
11.2. Ressources et propositions pédagogiques ........................................................................................... 451
11.3. Le slam dans les manuels ..................................................................................................................... 462
11.4. Premières expérimentations .................................................................................................................. 474
Chapitre 12 : Expérimentations en FLM/FLS (Lycée professionnel) ...................................................... 485
12.1. Contextualisation et objectifs de la séquence ....................................................................................... 488
12.2. Corpus didactique, analyse des supports et du déroulement ............................................................... 499
12.3. Analyse des productions et de l’évolution des représentations ............................................................ 521
Chapitre 13 : Expérimentation en FLE (Centre Universitaire d’Etudes Françaises) ............................. 529
13.1. Contextualisation et objectifs ................................................................................................................. 532
13.2. Analyse des supports, aménagements et déroulement ........................................................................ 537
13.3. Analyse des productions, bilan et témoignage des étudiants ............................................................... 554
13.4. Réflexion sur le rôle du slameur, fondements et statut des ateliers slam ............................................. 564
Chapitre 14 : De l’école au musée, de l’artiste à l’animateur, des approches multivariées ................. 571
14.1. Un parcours possible : A la rencontre du slam ..................................................................................... 574
14.2. Des pistes à explorer : un atelier/une rencontre avec Mots paumés, Souleymane Diamanka,
Grand Corps Malade ...................................................................................................................................... 578
14.3. Un projet à l’horizon de la création : Slam au musée ............................................................................ 604
CONCLUSION................................................................................................................................................ 611
RÉFÉRENCES .............................................................................................................................................. 621
INDEX ............................................................................................................................................................ 639
GLOSSAIRE................................................................................................................................................... 641
TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................................................ 644
TABLE DES ILLUSTRATIONS ..................................................................................................................... 653
TABLE DES ANNEXES ................................................................................................................................. 656
MENU DU DVD .............................................................................................................................................. 657
11

Introduction
« Pourquoi en voyant venir ta voix
L’immense océan du silence s’écarte ?
Pourquoi l’inspiration te laisse respirer
Comme un roi au cœur de son château de cartes ?
Pourquoi la poésie que tu proposes est si digne
Qu’elle donne l’air d’être debout ?
Pourquoi dans ta bouche
Les mots de notre langue ont-ils un autre goût ?
Comment peux-tu écrire
La nuance qui sépare le parfum de l’odeur ?
D’où viennent les horizons de la raison
Qui appartiennent à l’auteur ?
Pourquoi choisir l’écriture
Et prendre la parole en son nom ?
Pourquoi ce poème étrange est-il si loin de son
papier d’origine en ce moment ? (…) »1

1
J. Banzaï et S. Diamanka, « Encre vivante », in J’écris en Français dans une langue étrangère, 2007, p. 36.
12

1. Abordage : poésie à l’horizon et à l’orée2 du XXIème siècle


Au seuil de la présente recherche, ce poème-questions nous invite à nous
interroger a priori sur la poéticité inhérente à notre objet d’étude : le slam émerge, à
l’orée du XXIème siècle, comme poésie vocale, vivante, et adressée, qui se vit debout,
en acte, et se ressent physiquement à travers le goût des mots. Or cette matérialité,
« cette traversée matérielle des langues qu’on peut appeler poésie » (Prigent, 1989),
renvoie au sens premier du verbe ποιέω, à l’action de faire, fabriquer, construire,
produire, créer. C’est donc à la poésie comme faire qu’invite le slam, induisant un
positionnement spécifique d’auteur qu’il nous appartiendra d’explorer. D’une
articulation entre écriture et parole naît la création propre au slam, soufflant un vent
de renouveau sur les modes et les modalités poétiques, insufflant une dynamique
lexicale qui se manifeste à travers diverses formes de créativité.

De là à l’élaboration d’une poétique, c’est tout un cheminement que nous nous


proposons de parcourir : de la Poétique d’Aristote au sens générique que Molino
attribue à Marmontel d’ « ouvrage élémentaire où l’on trace les règles de la poésie »
(1982 : 14), d’une poétique des genres et des figures à une poétique de la créativité
– fil d’Ariane de la présente recherche – en passant par une poétique du rythme et
de la voix (Meschonnic), sans oublier les aspects médiopoétiques (Bobillot). Autant
de facettes d’une poétique en construction que nous concevrons en vue de
caractériser le slam - objet poétique émergent mais dont l’identité et les contours
sont encore mouvants -, et aussi, s’agissant d’un objet polymorphe et contemporain,
afin de mettre en lumière les conceptions qu’il révèle, qu’elles soient propres à tel ou
tel slameur ou emblématiques d’un mouvement naissant. Ce faisant, nous nous
interrogerons sur les apports de la linguistique à la poétique en postulant, avec
Nicolas Ruwet, que « chacun de ses progrès est toujours susceptible d’apporter
quelque chose à la poétique » (1972 : 211, nous soulignons) :
« Cela tient simplement au fait que la linguistique, décrit, avec de plus en plus de
précision, les matériaux de la poétique. Un simple progrès dans la description de ses
matériaux peut en effet permettre à la poétique de se poser de nouvelles questions. »
Nous convoquerons la théorie jakobsonienne de connexité entre musicologie et
linguistique (1973) et envisagerons aussi la poétique genetienne comme « stylistique
du genre » (Figures II, 1969 : 127, nous soulignons) :

2
Nous employons ce terme au sens temporel de « début, commencement », mais aussi en référence à son
étymologie latine : dérivé de os, oris (« bouche »), d’où le pluriel ora, désignant les bouches, le rivage d’un
fleuve et plus généralement, le bord, les contours. (Rey, 2007 : 2480)
13

« Le principe majeur de la poétique ainsi offerte à la discussion, c’est que le langage


poétique se définit, par rapport à la prose, comme un écart par rapport à une norme, et
donc (l’écart ou déviation étant, selon Guiraud comme selon Valéry, selon Spitzer
comme selon Bally, la marque même du « fait de style ») que la poétique peut être
définie comme une stylistique de genre, étudiant et mesurant les déviations
caractéristiques, non pas d’un individu, mais d’un genre de langage… »
Nous réfléchirons alors au rôle joué par la néologie et autres formes de créativité
lexicale dans la poéticité singulière et spécifique à ce « genre de langage » dont le
slam est peut-être porteur. Nous en arriverons enfin à une poétique de la voix et du
rythme, fondatrice de l’œuvre :
« Ainsi la visée d’une telle poétique est l’œuvre, dans ce que son langage a d’unique. »
(1969 : 31, nous soulignons)

2. Ancrage : un art du flow et de la confluence

Voilà déjà quelques années que la vague du slam, dérivée d’outre-Atlantique, a


gagné la France. Nombreux sont ceux qui se sont laissés, se laissent et se laisseront
emporter par ce « Tsunami » des mots, pour reprendre le nom de scène d’un
slameur figurant parmi les pionniers3. De fait, le slameur se pose en « Meilleur ami
des mots »4 : travaillés dans leur matérialité et leur musicalité, ceux-là se succèdent
comme enchantés en une cascade de rimes ou autres formes d’échos sonores. D’où
l’expressivité d’un art souvent mimétique de son contenu, à travers des jeux de
sonorités Comme (il) les aime5 qui sont autant de métaphores mélodiques (Fonagy)
et autres Textes à claques6 emblématiques du sens originel du mot slam. Or cet
afflux, ce flot de mots n’est endigué par aucun rythme préétabli, à la différence du
texte de rap qui s’inscrit le plus souvent dans un cadre rythmique imposé par le beat
sur lequel le rappeur pose ses mots et déploie son flow. Il en résulte une recherche
harmonique portant sur le texte-même : la musique tend à sourdre des mots, de leurs
sonorités et de leur succession, de leurs rythme et intonations, mais aussi des
langues, des voix et des corps impliqués dans l’interprétation. Le rythme – du grec
rhein, « couler » – est induit par le texte qui s’écoule selon un flow plus ou moins
fluide ou scandé, souvent fluctuant voire chaotique. Aussi le slam est-il par essence

3
Fondateur du site Planeteslam.
4
Nom de scène du slameur Souleymane Diamanka en duo avec John Banzaï, auteurs de la citation mise en
exergue (Voir leur page Myspace).
5
Comme je les aime est le titre de l’album de Narcisse (2009). Nous avons intégré à cette étape de notre
introduction les titres des albums, recueils, anthologies et spectacles cités.
6
Titre d’une anthologie collective de slameurs rhône-alpins (2010).
14

Musique des lettres7, des mots et des êtres dans leur présence et leur jeu scénique.
Il est mouvement et mouvant, tel le lac à la surface troublée par le vent selon l’image
décrite par Zumthor (1983 : 148). En tant que performance, un même slam est sujet
à variations selon le moment, le lieu, le contexte de son actualisation : forme d’art
éphémère et hétéroclite qui évoque à nos yeux une sorte de Pop art lyrical8.

Art du flow, le slam apparaît en outre comme un art de la confluence. En effet, il


se conçoit et se construit à la rencontre de plusieurs sources qu’il nous appartiendra
d’explorer. C’est qui le capitaine ? interroge la slameuse Boutchou, choisissant
précisément cette formule empreinte d’oralité comme titre de son recueil (2009).
Slam entre les mots9, slalomant entre oral et écrit, cette forme s’inscrit parfois dans la
lignée du rap ou de la chanson, et offre une voie (une voix) nouvelle aux arts du
langage, empruntant notamment au conte, à la poésie, au théâtre. A la frontière des
genres littéraires et discursifs, le slam naît du métissage : métissage des influences
et des sources d’inspiration, des codes et des langues, mais aussi des mots, aux
niveaux lexical et culturel, soit lexiculturel (Galisson). Sur un plan lexicologique, il en
résulte une affluence de néologismes, un foisonnement de créativité qui reflète ce
métissage fondamental. Entre tradition et modernité, Monde nouveau et monde
ancien10, le slam apporte son lot d’innovations lexicales aux formes diverses et
variées et dont les titres nous offrent un aperçu a priori : nous voyagerons ainsi des
mots-valises (Slamérica11) aux délexicalisations (Tout feu tout slam 12), en passant
par l’homophonie (Loverdose13), les paronomases et autres métathèses (Dixlesic14,
Songes déments15). Si certains thèmes nous paraissent favoriser cette créativité, tel
le lyrisme amoureux d’un authentique Face à face des cœurs16, le slam est présenté
dans les médias17 comme une forme de Poésie urbaine18 incarnée par un Grand
Corps Malade qui se dit un éternel Enfant de la ville (2008). De Midi 20 (2006) à son
Troisième temps (2010), le slameur de Saint-Denis semble avoir trouvé sa voie et se
7
Titre de l’album de Rouda (2007).
8
Titre de l’album d’Ysae (2010)
9
Anthologie sous la direction de Serge Martinez (2007).
10
Titre de l’album de Nevchehirlian (2009)
11
Ivy (2008)
12
Collectif (2007)
13
John Banzaï (2010)
14
Titre du spectacle (« One slam show ») de Lauréline Kuntz (2009).
15
Bastien Mots Paumés (2009)
16
Abd al Malik (2004)
17
Nous utilisons le pluriel médias dans cette acception, à la différence du medium poétique.
18
Le slam, poésie urbaine, « album Dada », Mango (2007).
15

fait le porte-voix du mouvement en France, même si sa représentativité par rapport à


un phénomène hétérogène reste à interroger.

Le métissage culturel et le plurilinguisme apparaissent en outre comme des


facteurs favorisant ce phénomène de créativité lexicale au sein du slam. Force est de
constater que de nombreux slameurs écrivent « en français dans une langue
étrangère », à l’instar des deux auteurs cités en exergue - Souleymane Diamanka et
John Banzaï - respectivement d’origine sénégalaise et polonaise, et auteurs d’un
opuscule publié sous ce titre19. Loin du Blah, blah, blah ! - même si les onomatopées
sont parfois convoquées dans cette forme de poésie sonore -, le slam semble avoir
traversé l’Hiver Peul (2007), tendant à sortir des Ombres20 et des abysses de Dante
auxquelles nous renvoie le titre de l’album d’Abd al Malik (2008). A l’instar du poète
italien qui a montré comment une langue populaire peut servir les plus nobles sujets,
le slam a pour vocation première de démocratiser la poésie, et par là-même de
permettre à tous d’accéder à une langue poétique dégagée des carcans normatifs.
Ainsi le choix des titres, de même que celui des noms de collectifs, se fait-il l’écho
des multiples sources d’inspiration dans lesquelles puisent les slameurs. Si ce
mouvement – mouvement poétique ou poésie en mouvement ? – semble
éminemment moderne dans ses messages et son métissage, il n’est pas sans
évoquer les traditions orales des troubadours, saltimbanques et autres griots dont
témoignent certains noms : des Fabulous Trobadors aux Slamtimbanques, du rap au
slam, le flow ne se tarit pas. L’émergence du slam consacre un retour aux sources
de la poésie orale, un retour à l’essence de la poésie lyrique : Allons à l’essentiel, il
suffit de décrocher la lune21 nous suggèrent les slameurs, faisant écho au
fondateur Marc Smith : « Grab at the moon ! »22.

3. Amarrage : problématique et hypothèses de recherche, annonce du plan

Parcours

Si notre parcours de doctorante nous a conduite de la scène à l’école – du slam


en tant que déclamation publique à sa transmission en atelier –, des mots aux
émotions, notre expérience d’enseignante nous avait amenée, à l’inverse et dès

19
J’écris en français dans une langue étrangère, Editions Complicités, 2007.
20
Titre de l’album de Luciole (2009)
21
Titre de l’album de Marco DSL (2006).
22
Texte « Kiss it ! » Voir l’illustration sonore de notre premier chapitre.
16

notre année de Master 2, de l’école à la scène, le projet de cette thèse étant né d’un
atelier slam mis en œuvre au sein de notre propre classe. Dès lors, nous avons
mené une démarche ethnographique afin d’explorer la Planeteslam23.

Problématique

Une première question s’impose d’emblée, celle de la définition d’un objet


nouveau et à ce titre, objet potentiellement poétique non identifié, qui apparaît
comme une terra incognita dans le paysage de la recherche en sciences du
langage :
« Parler de slam aujourd’hui, c’est forcément se confronter au sens des mots, à leur
pouvoir et à leur maniement. Le mot slam est issu de l’argot américain, et notre langue
peine souvent à en traduire le véritable sens (…). Les termes et les expressions du
vocabulaire français se télescopent. Les définitions se brouillent. En témoigne
l’inévitable déformation médiatique qui voudrait faire du slam une poésie née en
banlieue ou pire, un genre musical. » (129H, sd : 12)
Au-delà de ce mot - « qui voyage dans toutes les bouches, mais dont les racines
sont le plus souvent méconnues » (129H, sd : 9) -, c’est la démarche qu’il nous
faudra cerner, alors même que le slam refuse de laisser enfermer, dé-finir, car il vise
précisément à libérer la poésie de ses carcans : y a-t-il néanmoins des points
d’ancrage, des traits saillants et potentiellement emblématiques de cette forme
poétique émergente? S’il est fondé sur une recherche d’expressivité contenue en
germe dans le mot lui-même, quels en sont les ressorts au niveau phonétique ?

Outre ces enjeux définitoires et exploratoires, le questionnement essentiel de la


présente recherche peut être ainsi formulé : le slam apporte-t-il un véritable
renouveau dans le champ poétique ou s’inscrit-il dans la lignée de traditions diverses
dont il révèle ou renouvelle l’apport ? En quoi constitue-t-il un terrain particulièrement
fertile pour une éclosion de créativité lexicale ? Nous aborderons les formes diverses
sous lesquelles la néologie se manifeste : au sein de cette diversité, peut-on
identifier des matrices lexicogéniques (Tournier, 1988) privilégiées ? Que pourra-t-on
apporter aux typologies existantes, à la lumière de nos corpus de néologismes issus
du slam ? Quelles sont les principales fonctions assurées par ces formes et que nous
révèlent-elles en termes de rapport à la langue, du slameur comme sujet lyrique
moderne ? Puis nous nous demanderons si ces formes sont communes ou
singulières, propres à chaque slameur – en tant que reflet de son univers poétique –

23
Du nom du site internet cité précédemment.
17

voire spécifiques à certains textes ou à certains thèmes. Quel rapport existe-t-il entre
le style d’un slameur et la créativité telle qu’il la met en œuvre dans ses textes ?

Dans le champ didactique et dans le cadre de nos expérimentations, nous nous


interrogerons enfin sur l’importance et les modalités d’une transmission : comment la
dynamique créative à l’œuvre chez les slameurs se transmet-elle en atelier ?
Retrouve-t-on dans les productions de participants des manifestations lexicales de
cette créativité émanant de l’impulsion donnée par l’animateur/slameur ? Si le slam
est porteur d’innovation(s) dans le champ didactique par rapport aux ateliers
d’écriture « traditionnels », nous nous demanderons à quelles conditions les ateliers
slam peuvent permettre de renouveler l’approche de la poésie à l’école (dans
différents contextes d’enseignement du FLM/FLE/FLS24) et influer sur le rapport à la
langue, sur le sentiment et la conscience épilinguistiques d’élèves pour lesquels le
français est langue seconde ou langue de scolarisation? Dans quelle mesure ce type
de démarche peut-il favoriser une appropriation de la langue, notamment dans le
domaine lexiculturel ? Au sein des ateliers slam, quelles sont les activités
spécifiques visant à enrichir le lexique et à libérer l’expression créative ? Qu’apporte
la présence du slameur/de la slameuse en tant qu’animateur/animatrice ?

Hypothèses

Au niveau phonétique, nous émettons l’hypothèse que la prosodie du slam


repose sur une structure majoritairement consonantique, d’où un effet de « claque »
(to slam) ou de mimétisme sonore. Or cette recherche d’expressivité voire de
musication (Escal, 1990) peut résulter d’un transfert ou d’une traduction du beat
caractéristique du rap en une Musique des lettres. De fait, les appuis consonantiques
semblent jouer un rôle essentiel à la dynamique du flow. D’une part, des effets
sonores contribuent à mettre en relief des manifestations de créativité lexicale ;
d’autre part, le recours à l’homophonie semble privilégié comme source de jeux de
mots. L’exigence de concision définitoire du slam est susceptible d’engendrer un
phénomène de densité au niveau phonétique, mais aussi sémantique.

Sur un plan poético-stylistique, le flow apparaît comme un lieu essentiel de


différenciation stylistique, en tant qu’il reflète l’identité du slameur ou en d’autres
termes, son phonostyle. Sur un plan lexico-poétique, nous définirons un autre lieu de

24
Pour Français Langue maternelle, Français Langue Etrangère et Français Langue Seconde.
18

stylisation à travers la notion de néostyle que nous entendrons ici – avant de le


définir plus précisément – comme un style de néologismes propre à tel ou tel
slameur, à tel ou tel registre ou thématique.

Dans le champ générique, nous subodorons que le slam, en tant que démarche
ou dispositif, ne se laisse pas aisément enfermer dans un cadre autre que discursif et
situationnel, même s’il renvoie a priori à des traditions de poésie orale. En quête de
traits définitoires, nous serons confrontés à des critères hétérogènes, aux niveaux
pragmatique et discursif, linguistique et textuel. De fait, un texte de slam pourra être
reconnu comme tel soit par l’appartenance de son auteur à la communauté de
slameurs, soit par un rapport à la langue spécifique et susceptible de se traduire par
des structures formelles identifiables.

Sur un plan lexicologique, nous postulons que le slam représente, pour des
raisons diverses qu’il nous faudra élucider, un terrain privilégié de créativité lexicale
dont les formes pourront être mises en relation avec les fonctions assurées par la
néologie dans ce contexte. Nous chercherons alors à définir des matrices
lexicogéniques récurrentes dans le slam.

Sur le terrain didactique, nous testerons l’hypothèse selon laquelle le slam peut
être vecteur d’apprentissages au niveau lexiculturel et catalyseur de créativité,
notamment dans le cadre d’ateliers slam animés par un slameur ou une slameuse.

Annonce du plan

Dans une première partie, nous envisagerons le slam comme forme


potentiellement néopoétique. Nous tenterons d’approcher, de définir notre objet, en
retraçant ses origines et ses fondements, ses conceptions et ses concepts. Pour ce
faire, nous envisagerons l’odyssée du slam depuis les Etats-Unis où il est né
jusqu’en Europe et en France (chapitre 1), où les slameurs se distinguent, selon le
fondateur américain du concept de slamming, par leur créativité. Après avoir explicité
les orientations méthodologiques de la présente recherche (chapitre 2), nous
relaierons la parole des slameurs rencontrés et retenus pour la constitution de notre
corpus (chapitre 3). Ceux qui se présentent comme rhapsodes ou nouveaux tribuns
du verbe s’inscrivent à la fois, en termes de performance, dans la lignée de traditions
de poésie orale, et, en termes de jeux d’écriture, dans celle des surréalistes et des
oulipiens : à travers des exégèses critiques, nous en décrirons certaines
19

caractéristiques que l’on retrouve à l’œuvre dans le slam afin de confirmer – ou


d’infirmer – ces filiations revendiquées (chapitre 4). Au-delà de cet ancrage culturel et
littéraire, nous interrogerons une parenté supposée avec le rap, et étudierons dans
quelle mesure certaines analyses de ce genre musical relevant de la culture hip-hop
pourront être réinvesties et appliquées à notre objet (chapitre 5).

Notre deuxième partie nous amènera à envisager le slam comme lieu potentiel
de déploiement de diverses formes de néologie que nous appréhenderons à travers
le concept de néostyles. Après avoir délimité cet espace poétique contemporain,
nous nous intéresserons à la spécificité de sa désignation : en quoi le mot slam, qui
évoque un claquement, (chapitre 6) rend-il compte de cette forme potentiellement
néopoétique et révélatrice voire inductrice de créativité ? De fait, cette dernière se
manifeste sous des formes diverses si l’on considère notre corpus de façon
transversale (chapitre 7) et sous des formes plus marquées stylistiquement si l’on
analyse le répertoire propre à chaque slameur. Nous en étudierons successivement
trois, qui se distinguent par les choix stylistiques que nous mettrons en relation – via
le concept de néostyle – avec les formes de néologie repérées dans ces slams. Mots
Paumés, slameur grenoblois, privilégie une matrice morphosémantique à travers la
création de mots valises, de mots et locutions composites (chapitre 8). S’il aime à
parler d’oralittérature et autres mots-valises créés pour se référer à sa poésie dans
un espace péritextuel ou épitextuel, Souleymane Diamanka use dans son écriture
d’une matrice phraséologique qui nous amènera à parler d’écriture palimpsestuelle
(chapitre 9). Quant à Grand Corps Malade, il se distingue par une écriture que l’on
peut qualifier de métissée, filant les métaphores comme il métisse les mots dans ses
slams (chapitre 10). Autant de néostyles singuliers qui présentent néanmoins des
traits communs : ceux d’une écriture orale, vivante et créative, d’une poésie sonore
qui tisse les sens et les sons pour mieux faire claquer les mots.

Notre troisième partie visera à explorer les ateliers slam comme expérience
poétique de la créativité. A partir de notre analyse linguistique et stylistique, soit des
formes néologiques diverses rencontrées au travers de notre corpus, nous pourrons
alors émettre l’hypothèse que ces slameurs, qui ont à cœur d’initier à leur art des
publics divers au sein d’ateliers d’écriture, sont susceptibles d’impulser une
dynamique lexicale, de favoriser des manifestations de créativité et par là-même,
d’influer favorablement sur le rapport à l’écriture des participants. A l’issue d’un état
20

des lieux de la façon dont le slam commence à être intégré dans les manuels et
autres outils pédagogiques relevant des didactiques du Français Langue Maternelle
et du Français Langue Etrangère (chapitre 11), nous tenterons de dépasser ces
approches par nos propres expérimentations d’une séquence intitulée « A la
rencontre du slam » et menée dans un double contexte : d’une part, dans un lycée
professionnel avec des jeunes francophones (FLM : chapitre 12) ; d’autre part, dans
un Centre Universitaire d’Etudes Françaises avec des étudiants étrangers (FLE :
chapitre 13). Conçu en co-animation avec une slameuse, cet atelier d’écriture slam a
suscité des déploiements de créativité tout en favorisant le renforcement de
compétences communicatives et lexiculturelles, lexicales et métalexicales,
phonétiques et phonologiques. Notre réflexion didactique rejoindra ici notre analyse
linguistique du palimpseste : on y retrouve une dialectique entre le même (la part de
reproduction ou de répétition) et l’autre (la part de création ou d’innovation). Pour
parachever notre parcours, nous confronterons cette démarche à l’approche des trois
slameurs dont nous aurons approfondi le répertoire dans notre deuxième partie :
ainsi les études néostylistiques des chapitres 8, 9 et 10, trouveront-elles leur
pendant didactique dans les ateliers animés par ces mêmes slameurs (chapitre 14).
Nous envisagerons donc, et la boucle sera bouclée, la façon dont ces néopoètes
transmettent leur discipline, initient à leur art et libèrent la créativité qui en est la
quintessence même.

Précisions méthodologiques

Nous avons élaboré un corpus ouvert et hétérogène, emblématique de la


diversité inhérente au slam et de son identité encore fluctuante, d’où le choix de
textes frontières, dont l’appartenance générique pourra être interrogée. A ce corpus
principal visant à donner un échantillon textuel qui nous permettra d’apporter des
éléments de définition et de cadrage, s’ajoutent des corpus paratextuels – dont des
entretiens semi-directifs25 que nous avons menés en vue de constituer un épitexte
spécifiquement ciblé sur nos questions de recherche – qui contribueront à éclairer et
à étayer la construction de notre objet. Quant aux études de cas, elles seront le lieu
d’études poético-stylistiques plus détaillées concernant le phénomène de néologie,
approfondi à l’échelle de trois slameurs. Outre ces données procédant de nos corpus
de textes, d’entretiens et d’articles, nous avons réalisé des enregistrements vidéo

25
Pour ces entretiens, nous avons choisi une transcription simple, visant à mettre en avant les contenus.
21

dont le DVD joint à la présente thèse offre un aperçu : nous l’avons conçu comme un
accompagnement à la lecture de ce volume, chaque chapitre étant illustré d’une
séquence vidéo ou d’un extrait audio, afin de rendre compte in vivo du slam et de
nos expérimentations, soit de la scène à l’école. Dans le champ didactique, nous
avons recueilli des données diverses (vidéos, photos, textes, questionnaires) lors de
nos observations participantes, au cours des trois ateliers slam que nous avons co-
animés et de deux autres interventions auxquelles nous avons assisté.

Du fait de l’hétérogénéité de nos sources, nous avons distingué le mode de


citation selon que cette dernière a une fonction illustrative (extrait de slam) ou
théorique26. De même, pour le mode de référencement, nous avons différencié les
sources « primaires » (documentaires, albums, anthologies ou recueils de slam), des
sources théoriques (exégèses critiques, articles et ouvrages de recherche)27 : choix
qui s’explique autant par la volonté de différencier les types de sources que par le
souci de mettre en valeur les titres comme lieu privilégié pour un déploiement de
créativité. Quant à la référence aux slameurs que nous convoquerons fréquemment
tout au long de cette thèse et qui se trouvent répertoriés dans un index, nous
utiliserons les initiales de leurs noms de scène, suivies de l’année de publication de
l’album correspondant28. Sur un plan terminologique, nous avons élaboré un
glossaire qui figure à la fin du présent volume et qui rassemble douze lexèmes -
marqués d’un astérisque29 - que nous avons relevés comme autant de mots-clés
permettant d’entrer dans l’univers des slameurs.

26
Dans le premier cas, la citation sera doublement démarquée par la typographie : italiques + interligne +
retrait. Dans le second, la citation ne sera pas en italiques.
27
Pour les sources primaires, nous avons conservé les notes de bas de page qui nous permettront d’indiquer la
référence précise (titre et auteur du slam cité dans des ouvrages souvent collectifs de type anthologies) ; pour
les autres références, nous avons adopté les normes APA.
28
Par exemple : « EsX, 2010 » pour Enterré sous X (nom d’un collectif toulousain dont l’album est sorti en
2010). L’index des slameurs/slameuses, rappeurs et noms de collectifs cités vise à rendre compte, plus que
d’un étiquetage (slameur/rappeur), de la diversité et de l’inventivité qui se manifeste dans le choix de ces
noms. Dans cette perspective, nous n’avons marqué qu’une seule entrée pour chaque nom cité.
29
Nous avons appliqué ce procédé dans la première partie de notre thèse afin de ne pas surcharger la suite.
22
PREMIÈRE PARTIE
UN POTENTIEL NÉOPOÉTIQUE

« Un simple gramme de mon slam et tu t’envoles au pays des merveilles… »


(EsX, 2010)
24
25

Chapitre 1

La vague du slam :
histoire et état de l’art

1.1. L’odyssée
dyssée du slam ou l’histoire d’une
naissance
1.2. L’émergence du slam en France et
dans la francophonie
1.3. Un aperçu du slam européen
1.4. Mouvement poétique ou poésie en
mouvement ?

Illustration : Marc Smith, “Kiss


Kiss it!”
i

Photo 1 : Marc Smith à Reims pour la coupe d’Europe de slam


(décembre 2010)
26
27

“Grab at the moon!


And hold the stars hot inside your head.
'Cause now is all there ever was
And all there ever will be.
So kiss it, kick it, scream it
Now ! ” 1

Voilà une trentaine d’années que le slam a vu le jour aux Etats Unis, comme
l’indique le mot qui le désigne et sur lequel nous reviendrons dans la suite de cette
étude2. Afin de mieux situer et cerner l’objet de notre recherche, la double nécessité
s’impose de le fonder historiquement en retraçant son odyssée3 - depuis ses origines
outre-Atlantique jusqu’à la vague qui a gagné la francophonie -, et de nous livrer à un
premier état des lieux des exégèses sur le sujet. Aussi nous attacherons-nous à
apporter un premier éclairage sur cet objet contemporain, dont la diffusion en France
est encore récente, et ce, à partir de deux publications : l’une, anglophone, issue
d’une thèse publiée aux Etats Unis ; l’autre, francophone, rédigée sur un mode
romancé4. A ces deux sources principales nous ajouterons des ressources
documentaires périphériques, afin d’aborder le slam sous différents angles5.

1.1. L’odyssée du slam ou l’histoire d’une naissance

A l’aube du XXIème siècle, force est de constater que le mouvement slam semble
être arrivé à un moment décisif de son histoire :
« Pour continuer à transmettre la discipline, il est nécessaire de mieux la comprendre, de
mieux cerner son évolution, de retourner aux origines. » (129H : 12)

1.1.1. Naissance aux Etats-Unis


Dès la fin des années 1970, Jérôme Salla et Elaine Equi, qui animent des
lectures poétiques dans des bars et clubs de Chicago, font figure de précurseurs. Ce
sont ensuite les performances* de Ted Berrigan et Ann Waldam, mises en scène à la
manière de matchs de boxe : les poètes s’affrontent vêtus d’équipements de
boxeurs, les mots étant brandis comme des armes pour vaincre l’adversaire. D’où

1
Marc Smith, « It » : voir en annexe I.1 pour le texte intégral et le DVD pour la vidéo illustrative de ce chapitre.
2
Notre chapitre 6 sera consacré au mot « slam ».
3
Au-delà de la métaphore, le choix de ce terme prend sens par rapport à la comparaison des slameurs aux
aèdes (voir page 49) dont Homère est le représentant le plus célèbre.
4
Héloïse Guay de Bellissen (2009) : Au cœur du slam. Nous utiliserons les initiales GdB pour la désigner.
5
Nous nous référerons notamment à des préfaces d’anthologies, mémoires universitaires, au livret à vocation
pédagogique Ecrire et dire (cet opuscule étant publié sans date, nous indiquerons « 129H, sd » pour nous y
référer) diffusé par le collectif* 129H et au dossier de la Ligue Slam de France consultable sur le site.
28

l’idée de joute oratoire ou de pugilat – au sens fort de ce terme, dérivé du mot


« poing » – qui peut d’ailleurs être mise en relation avec l’un des sens du verbe to
slam, « écraser » ou encore avec le « grand chelem » qui signifie une victoire
« écrasante », consacrée par une succession de tournois remportés. Dès lors :
« De nouveaux gladiateurs du verbe font leur apparition et, en faisant descendre la
poésie de sa tour d’ivoire, conquièrent un nouveau public » (129H : 16, nous soulignons)
Le concept de slamming est créé par Marc Smith, ancien ouvrier du bâtiment et
poète-écrivain à ses heures – outsider de la scène littéraire selon ses propres
termes6 –, au milieu des années 80. Se sentant investi d’une mission, celui-là
ambitionne de faire descendre la poésie de sa tour d’ivoire – soit des cercles
académiques – afin de la démocratiser et de l’affranchir des conventions. Intention
louable que l’on retrouve en écho ou en filigrane dans de nombreux slams :
« Je slame et je somme les cimes de descendre sur la scène »7
Marc Smith entreprend alors d’organiser des compétitions de poésies dans des
bars tels que le « Get me high » et le « Green Mill Tavern ». Pour le premier slam,
Jean Howard et Anna Brown endossent des tenues de combat cloutées pour
s’affronter :
« C’est la bataille des mots. Les tranchées, c’est là où le public se tient, en attente. La
bataille, elle, se passe sur scène. Les deux poètes se font face, comme pour un duel. Il
n’est pas question de combat mais de livrer bataille avec la parole poétique pour seule
arme. Vider ses entrailles avec pour seul couteau les mots. » (Guay de B., 2009 : 47)
Concrètement, il s’agit de tournois d’exhibition où le jury, choisi dans le public,
attribue aux concurrents des notes de 1 à 10 à l’aide de petits cartons. A l’issue du
tournoi, les scores sont additionnés pour déterminer le vainqueur8. C’est la naissance
d’un mouvement baptisé ironiquement « Slam poésie des beaux quartiers » (the
uptown poetry slam), consacrant la volonté de Marc Smith d’amener la poésie dans
les bars, loin des conventions :
« Il veut sortir les poèmes de leur écrin, les partager, effacer les frontières, brouiller les
lignes. Créer un tribunal poétique. Prendre les gens au hasard dans l’assemblée et leur
demander de noter les poètes qui passent sur la scène. Ça donne une énergie nouvelle,
une synergie entre le public et l’artiste. » (Guay de B., 2009 : 46)
A partir de 1987, ces rencontres font l’objet d’une chronique dans le Chicago
Magazine et deviennent le grand évènement de la ville qui apparaît comme le

6
Interview sur le site d’Arte.tv (voir en sitographie)
7
Antoine Faure, Tô, « Le slam », in Le slam poésie urbaine, Mango (2006 : 4).
8
Il est cependant précisé, dans le dossier de la Ligue Slam de France, que « l’idée de Smith est d’organiser un
concours ouvert à tous en fin de soirée. » D’où l’idée sous-jacente de « scène ouverte* » qui sera développée
notamment dans le slam français (voir la sitographie).
29

« berceau » du slam. Le poète performeur anticonformiste Bob Holman entend


parler du phénomène et importe à New York City ce qu’il conçoit comme « un
spectacle, un cadre pour les poèmes, un genre qui mord sur une culture établie, une
satire du jeu capable de créer la même frénésie qu’un grand événement sportif. » Le
slam s’impose ainsi au Nuyoricain Poetes Cafe, puis au Bowery Poetry Club, faisant
de New York la seconde capitale polarisant l’attention. Dès lors, le mouvement se
propage dans tout le pays, gagnant San Francisco en 1990 où l’on note la
participation de slameurs au festival national de poésie. « L’épidémie »9 atteint
ensuite la Côte Est : en 1992, Boston accueille les premiers championnats nationaux
de slam. Le mouvement continue à se diffuser dans des lieux de plus en plus divers
et ouverts : en 1993 a lieu le premier slam dans le métro sous-marin de San
Francisco (The Underwater Slam). Les poètes offrent un spectacle de vingt minutes
dans ce lieu insolite, alors que les passagers, pris de panique, réagissent comme
face à une agression : expérience qui sera réitérée par le collectif* 129H et le
français Pilote le Hot qui fera « ses premières armes » dans le métro parisien. Or cet
effet de surprise et de théâtralité n’est pas étranger aux intentions du fondateur :
“The audience would come in expecting a poetry reading and all this stuff would happen,
costumes and multi-voice stuff and people jumping up behind them and they were just
loud and I was very, very good.”10
Jusqu’en 1996, c’est le règne des championnats, organisés à trois échelles :
locale, nationale et internationale. A l’échelle locale, l’ambiance – dont le film Slam
offrira un aperçu (voir infra) – oscille entre harangue, contestation et nuées
d’applaudissements. Le concours individuel alterne avec des épreuves par équipes,
dont la composition peut varier en cours de soirée11. Au niveau national, les règles
sont plus strictes et l’ambiance plus calme. Les vainqueurs se voient récompensés
par des primes dont le montant peut atteindre 1000$. Les championnats nationaux
influent sur la renommée d’une équipe et constituent des étapes qualificatives en vue
des rencontres internationales. Organisés depuis 1996, les Poetry Olympics ont lieu
chaque année dans les pays où une communauté slam est très active12. Si l’anglais
était la langue officielle lors des premières prestations, l’IOOP (International
Organisation of Performing Poets) a ensuite décidé de mettre en valeur le

9
Expression empruntée à GCM dans son texte « J’écris à l’oral » (Enfant de la ville, 2008).
10
Interview de Marc Smith disponible sur le site d’Arte (voir notre sitographie, nous soulignons).
11
Le choix des membres est une véritable stratégie qui évolue en fonction des performances, chaque poète
pouvant être amené à choisir entre son intérêt individuel et l’intérêt collectif.
12
Jérusalem (1996), Hambourg (1997), Johannesburg (1997), Stockholm (1997-1998)
30

plurilinguisme en exigeant que les représentants d’un pays slament dans leur langue
maternelle13.

Autant d’évènements démocratiques et populaires qui contribuent à populariser


le slam et à asseoir la slam family. Si le slam s’en distingue historiquement, celle-là
se rapproche néanmoins du mouvement hip-hop par ses revendications sociales :
« Loin d’être un clan fermé, la slam family entend créer des débats d’idées concernant
tout un chacun ; elle pourrait être rapprochée du mouvement hip-hop par ses
revendications sociales : elle prône la liberté d’expression et le réalisme, elle chante la
rue, la violence et le désespoir, l’amour et les rêves aussi… » (129H : 19)
D’après Marc Smith, le slam se veut néopoétique, à la fois intégrateur et novateur
dans sa forme hybride autant que dans les messages qu’il véhicule :
“Both in the writing and performing, that's something that makes us different than the
Beat Generation. What also makes us different from the Beat Generation is that slam is
inclusive. It’s not a bunch of elite intellectuals.”14
Privilégiant le message à caractère social, les slameurs de Chicago évitent la rime, le
système métrique traditionnel et l’usage du « je », réservé au style narratif. En outre,
ils refusent toute forme de publication, le slam étant un art exclusivement oral et
scénique, donc éphémère, à leurs yeux. D’après le poète « rock urbain » québécois
Lucien Francoeur, le mouvement naissant s’inscrit néanmoins dans la lignée des
poètes de la Beat generation :
« Marc Smith n'aura eu qu'à modifier le concept de départ pratiqué par les poètes-beat,
en l'adaptant à son époque, aux goûts et désirs d'un public moins disposé à la
spontanéité: il aura su saisir une opportunité circonstancielle, s'approprier une formule
existante en l'ajustant aux nécessités contextuelles de l'heure et du lieu, et donner à une
nouvelle génération le privilège de la prise de parole mais, ici encadrée et limitée dans la
durée de la prestation (3 minutes!), se plaçant ainsi à l'opposé des aspects déflagrateur
et iconoclaste, (voire libertaire et anarchique), intrinsèques aux manifestations scéniques
propres à la Beat generation et à la contre-culture québécoise des années 1970... »15
Le mouvement est d’abord resté confiné au milieu Underground, mais il est bientôt
révélé au grand public par des retransmissions télévisées telles que les Spoken
words Unplugged diffusés par MTV en 1992 et 1994. Les journalistes Tony Award et
Paul Devin découvrent alors en la personne du slameur Saul Williams un sujet
intéressant. Vainqueur de la compétition de Portland en 1996, ce dernier est mis en
vedette dans le documentaire Underground Voices qui relate le championnat, puis

13
Dans ces conditions, un pays tel que la Suisse peut être représenté par plusieurs équipes, slamant dans des
langues différentes.
14
Interview citée (site d’Arte), nous soulignons.
15
Wikipédia, nous soulignons. Cette interprétation nous a été confirmée par le slameur québécois Ivy (enquête
écrite du 15/09/10, voir en annexe III.8) interrogé sur l’influence des poètes Beat : « La thématique vibrante de
la route me rattache à eux, mais j’en suis éloigné par le fait qu’ils se foutaient pas mal du public. »
31

participe à l’écriture de Slam Nation, où Paul Devin analyse la montée en popularité


du slam sur le territoire américain. En 1997, Saul Williams est associé en tant que
co-scénariste à la réalisation du film Slam de Marc Levin. Caméra d’or au festival de
Cannes et grand prix de Sundance en 1998, le film consacre la reconnaissance du
slam en tant qu’art à part entière. La même année, la chaîne CNN est présente aux
championnats nationaux d’Austin, tandis que MTV décrit les slameurs comme de
véritables « faiseurs de mots » (Real Worders). Alors que la presse s’empare du
phénomène, le slam voit sa popularité s’accroître et se forge peu à peu une identité
dans les milieux poétiques américains :
« Il est reconnu en tant qu’art oral : un art de la représentation qui exprime toute sa force
dans l’instant de la déclamation » (129H : 20)
Art de la parole en liberté (Guay de B., 2009 : 59), ses influences sont variées, autant
que les sujets dont il traite : violence, meurtres, sexualité, scandales, racisme… Dès
lors, il apparaît que « le slam est devenu aux Etats Unis le lieu de la liberté
d’expression absolue » (129H : 20). Conformément à l’ambition de son fondateur, il
représente un terrain communautaire de parole et se veut, en tant que tel, porteur
d’une mission citoyenne et d’une visée universelle : autant de valeurs mises en
exergue dans le film de Marc Levin.

1.1.2. Slam : le film et la philosophie16

Grand nom du documentaire et spécialiste des gangs, Marc Levin décide


d’intégrer Saul Williams, croisé lors d’une finale de slamming, à son projet de fiction
sur la violence urbaine et le pouvoir à la fois réparateur et libérateur des mots. Il
apporte un éclairage inédit et original qui lui vaudra la caméra d’or au festival de
Cannes en 1998 : « Une sorte de kung-fu verbal, une forme lyrique d’aïkido » décrira
Bonz Malone, co-scénariste du film. Il s’ensuivra des tentatives de définition de cet
art naissant : « “Claque”, “Prison”... "Slam" désigne aussi cette poésie de rue à la
croisée de l'improvisation et du rap. » Voilà, introduit en quelques mots, le synopsis
du film Slam sur un site consacré au cinéma17. Avec cette réalisation, la poésie
renoue avec sa forme orale originelle et le slam trouve une première définition :
poésie déclamée proche d’un rap a capella, il apparaît en outre comme un

16
Voir en annexe I.2 le dossier de presse et la traduction d’un texte slamé à la fin du film, la vidéo
correspondante étant disponible sur You tube (voir notre sitographie).
17
Voir notre sitographie.
32

instrument de résistance, d’affirmation, voire d’émancipation. Force est de constater


la récurrence de cette idée d’une libération par les mots dans les textes de slam :
« Chacun de nous est prisonnier de ce que ses vers dictent (…). Qui sait de quoi
sont capables des mots derrière les barreaux ? »18 Cette image – empruntée à John
Banzaï et Souleymane Diamanka – semble faire clairement référence au film mettant
en scène un jeune noir nommé Ray Joshua qui vit dans un ghetto de Washington.
Condamné pour possession de marijuana, il rencontre en prison une enseignante
nommée Lauren qui l’encourage à développer ses talents de poète, en mettant des
mots sur sa haine : « Il faut que vous apprivoisiez votre colère, votre douleur, votre
frustration, lui conseille-t-elle, que vous sortiez du carcan de la haine. » Puis elle
ajoutera : « Etre libre, ce n’est pas être dehors, c’est à l’intérieur, c’est en vous… ».
Lors d’un atelier d’écriture animé par Lauren, le mot catharsis surgit au détour d’un
poème du slameur. Condamné au cachot (in the slammer19), il a néanmoins
confiance dans le pouvoir libérateur de cette parole poétique : « Elle doit exister la
phrase enchantée qui peut me sortir de là… » confie-t-il à Lauren. La formule de
« phrase enchantée » n’est pas anodine : le slam se construit précisément au
croisement d’un rap a capella et d’une Musique des lettres20. Lors d’une scène
particulièrement intense, un dialogue naît entre Joshua et son voisin de cellule qui se
met à rapper : le héros lui répond alors en un texte scandé, très rythmé et ponctué de
coups de poing sur les murs et les barreaux. Le slam apparaît bien ici comme le
moyen d’une libération par les mots, comme une poésie émancipatrice qui s’oppose
à la violence d’un contexte oppressant. Alors que les autres détenus développent
leur musculature pour se préparer au combat, Joshua couche ses armes sur le
papier et parvient ainsi à pactiser, à désamorcer les conflits en posant ses mots, en
poétisant ses émotions. Si le film nous conforte dans l’idée d’un slam qui se définit
d’abord comme joute oratoire, la poésie de Ray s’adresse autant aux enfants qui
l’entourent comme une idole (« T’as pas une rime à nous dire ? »), qu’aux filles à
séduire (« pour les faire quécra »). Elle se distingue du rap en tant que « musique
potentiellement dangereuse »21 (« Cette musique les rend dingue » entend-on dans
le film) et culmine sur scène, lors d’un tournoi final auquel Ray participe.

18
Souleymane Diamanka & John Banzaï, « Le meilleur ami des mots », Original Slam poésie urbaine (2006).
19
Terme d’argot (« slang »), pour désigner le “mitard”, sans doute dérivé du verbe to slam (voir chapitre 5).
20
Titre de l’album de Rouda (2007).
21
Abd al Malik, (2007), Qu’Allah bénisse la France, Albin Michel, coll. “Espaces libres”.
33

En 1998, la sortie du film réalisé par Marc Levin fera connaître en France le
mouvement slam, mettant en lumière « une nouvelle page poétique en train de
s’écrire. » (GdB, 2009 : 52). Martine Landrot, journaliste de Télérama22, ne tarit pas
d’éloges :
« Marc Levin a visé haut : tourner un film très visuel sur la passion des mots (...) l’acteur
est réellement un as du slam, cet art oratoire à mi-chemin entre l’écriture automatique
d’André Breton23 et les combats organisés par les ligues d’improvisation (…) »
C’est bien de violence et de libération par les mots, la parole poétique, qu’il s’agit :
« Un univers de violence intégrale, engendré par la peur et la colère, que seuls les mots
ont le pouvoir de dompter. Le bluff est général, quand Ray met fin à une baston
explosive au milieu de la cour, en mitraillant les détenus de ses rimes salvatrices… »
Quant à Cyril Neyrat, journaliste de Positif, il souligne la force d’une improvisation
poétique qui laisse les auditeurs bouche bée et les agresseurs désarmés24 :
« Au paroxysme de la tension, il se lance dans une improvisation verbale d’une force
telle qu’elle laisse les uns et les autres impuissants, sans voix. »
Le film reflète la « philosophie du slam », les valeurs qui lui sont inhérentes : la liberté
en premier lieu, mais aussi l’ouverture, la tolérance, et la solidarité, à travers l’idée de
communauté (slam family). Certes, le show met l’accent sur la performance
(performer poets), la compétition qui, par son rituel dramatique, a suscité l’intérêt des
médias et l’engouement populaire. Mais là n’est pas l’essentiel, aux dires de Marc
Smith lui-même :
« Bien que le show ait toujours mis l'accent sur les performances* oratoires des poètes,
c'est la compétition, par son rituel dramatique, qui a suscité l'intérêt des médias et son
engouement populaire. Est-ce une bonne chose ? Parfois, je pense que non. »25
Les règles ne sont donc pas une fin en soi : « le but, c’est la poésie » rappelle le
fondateur. Si la dimension spectaculaire est indéniable dans la tradition américaine,
c’est bien plus dans l’interaction avec le public que dans la performance individuelle
que les choses se jouent : « Le spectacle et son rapport au public sont plus
importants que chaque performance* individuelle » conclut Marc Smith.

22
Articles consultés le 24/08/10 sur le d’Universciné (voir notre sitographie).
23
La journaliste se réfère ici aux Champs magnétiques d’André Breton et Philippe Soupault (1919).
24
Voir la traduction du texte de la scène finale en annexe.
25
« Slam, la philosophie » par Marc Smith, sur le site de Planeteslam (voir notre sitographie).
34

1.1.3. “Slam poetry here and now” d’après Marc Smith26

L’interview citée du « grand-père du slam » en résume les principes fondateurs :


“Don’t be in your little corner and that’s what the slam is, less competitive poetry and
more a family of poets, an international family of poets. People now are connected all
over. The slam is open to anybody who walks in the door.”27
Sur son site Internet, Marc Smith explicite ce qu’il nomme l’idéologie du slam,
appréhendée comme “Poetry Of, By and For the people” :
“Slam is not about making stars. It’s about everybody all together in a room with their
hair down and feet up. From its beginning, slam has been an art form and entertainment
open to all people from all walks of life (…), a multi-colored, multi-cultural gathering of
people who love to hear and perform poetry. That’s right, any and all are welcome to
slam.”28

Cette ouverture fondamentale – à quiconque franchit la porte ainsi qu’à des formats
divers de performance poétique29 – se traduit aussi par une ouverture des frontières
au sens géographique de ce terme. Désormais, la poésie n’est plus emprisonnée
dans des lieux conventionnels mais susceptible de se performer en tout lieu public, si
effervescent soit-il : “Performance poets perform anywhere (…). Seek out an
audience and compel them to listen. If you can stop bowling ball with a line of verse,
you’re slammin’”30. Dressant un état des lieux du slam américain « Here and now »,
le fondateur constate qu’il accède à la reconnaissance en tant que mouvement
artistique/littéraire, voire en tant que « nouveau genre littéraire ». En tant que tel, il
gagne les institutions scolaires où il permet de raviver l’intérêt pour la poésie :
“By some estimates, the slam is the largest and most influential literary arts movement of
our age. Its principles and formats are used by educators at every grade level to stir
student interest in poetry and break down the misconception that the poetic arts are for
high brows only. College curriculums have included slam as a new literary genre to be
studied as both a historical force and performing art.”31

La récente thèse de Susan B.A. Somers-Willet confirme cette reconnaissance


culturelle qu’elle développe d’un point de vue sociologique.

26
Voir le site Internet du « papi du slam ». On peut entendre dans cette formule une définition du slam comme
poésie du present, de l’ « ici et maintenant » : “Cause now is all there ever was / And all there ever will be. / So
kiss it, kick it, scream it / Now!” conclut le poète. (voir aussi la vidéo et le texte en annexe I.1)
27
Site d’Arte consulté le 19/12/10, nous soulignons.
28
Site de Marc Smith, consulté le 19/12/10, nous soulignons.
29
A la question “Do you agree with the Frenc approach of slam sessions like Revue Slam or Open Mic?”, Marc
Smith nous a répondu : “It’s not important if I agree. What’s important is that whatever format slam oragnizers
adopt it should serve and be welcomes by the local community.” (enquête du 1/01/11, voir en annexe III.16)
30
Site de Marc Smith, rubrique « Ideology » (voir notre sitographie).
31
Site de Marc Smith, nous soulignons.
35

1.1.4. Un état des lieux du slam américain : The Cultural Politics of Slam Poetry

D’après Susan B.A.Somers-Willet (2009), l’enjeu initial du slam était la recherche


d’une audience élargie pour la poésie : « the search for poetry’s great audience »32.
Il y avait urgence, semble-t-il, à réconcilier la poésie avec le peuple américain, dans
un contexte qu’elle qualifie d’ « anxiété artistique » :
“In the midst of theses years of artistic anxiety, Marc Smith, a white Chicago construction
worker turned poet, tested another venue for verse that sought an audience outside of
the sanctioned space of the academy.” (2009 : 2)

Aussi Marc Smith ambitionnait-il d’instaurer un nouveau rapport à la poésie, qui soit
plus interactif et instantané, théâtral et physique : “a different type of relationship
between poets and audience became possible at a slam – one that was highly
interactive, theatrical, physical, and immediate.” (2009 : 4) Au dire du poète
performer Howard - cité par Somers-Willet (2009 : 4) -, le slam constitue une
expérience qui sollicite tous les sens (“a physical/full sensory experience”) et l’effet
produit semble à la hauteur de cette recherche d’une dimension spectaculaire :
“The result was incongruous to say the least. The performant artist Jean Howard
described this early performance poetry scene as a barely controlled chaos ” (2009 : 3)
Le public est non seulement pris d’assaut33, mais aussi pris à parti pour juger des
performances* scéniques, d’abord à travers huées et applaudissements, puis avec
un système de notation plus élaboré sur de petits cartons. L’essence du slam
apparaît à travers cette image d’une porte ouverte à la diversité (nous soulignons) :
“From its beginning, the poetry slam has adopted an opendoor policy : anyone can sign
up to slam, and anyone in the audience is qualified to judge. This, of course, also means
that there is usually great variety in the quality of the work performed at slams” (2009 : 5)

Il en résulte une mixité ou mélange - “a mix of impressive and trite poems delivered
both as powerfully or poorly” -, que la sociologue qualifie de pluralism (2009 : 6). Les
poètes doivent d’ailleurs déployer des trésors d’inventivité pour conquérir le public :
“the poet should compel the audience to listen to him or her” (5)34. Les effets
performatifs (“performative effect”) sont donc recherchés en tant que tels, autant que
les effets textuels (8), d’où une dimension interactive en germe dans l’écriture : « how

32
Selon Witman : “To have great poets, there must be great audience too” (Ventures, an old theme, 1892)
33
“being asaaulted by poets utilizing wild gestures, musical instruments, boom boxes, costuming, and
theatrical makeup…”, (2009 : 3-4) Voir le texte de GCM “Attentat verbal” (2006) ou encore le concept de “slam
sauvage” (129H) qui rendent compte de cette dimension.
34
Cet enjeu de captiver un public fait écho aux propos de Marc Smith : « Personne n'est tenu d'écouter le
poète. C'est à celui-ci de communiquer avec efficacité, art et sincérité afin d'obtenir l'attention du public ».
(« Et alors ? », consulté sur le site de Planeteslam)
36

performance can inform her writing » (11) s’interroge Susan B.A.Somers-Willet,


soulevant la question fondamentale, et qu’il nous faudra approfondir, du format de la
performance et de son incidence sur la forme d’écriture35.

Sa thèse consiste à appréhender le slam comme lieu d’expression identitaire et


notamment d’une identité marginalisée : “Identity is performed on stage” (2009 : 8).
Son approche est essentiellement sociologique tandis que nous étudierons comment
ces enjeux identitaires peuvent se traduire linguistiquement par une forme de
métissage voire d’innovation. De fait, les scènes slam sont décrites comme autant de
laboratoires - “laboratories for identity expression and performance” - (8) ouverts à
de multiples possibles : “poetry slams are places of possibility, insight, and
connection” (9). Lieux de rencontres, de connection et d’inventivité, ils représentent
un espace culturel privilégié ou ouvert : “instead of being windows of culture, poetry
slams are culture” (9). Revenant sur les sources du slam, Somers-Willet évoque
alors le lien avec la culture hip-hop qui, pour avoir été galvaudé, ne saurait être nié
sociologiquement :
“As it has grown, the slam has seen an infusion of hip-hop inspired performance. (…)
Still, it is clear that hip-hop is an important influence on many slam poets today. Poets
commonly employ the hip-hop idiom on the slam stage and some of them use the same
material in both ciphers and slams…” (2009 : 12)
Selon la sociologue, le slam se distingue du spoken word par sa visée compétitive et
non commerciale36, même si les frontières tendent parfois à se brouiller. Nous
verrons que ce brouillage est presque consubstantiel au concept même du slam en
tant que dispositif et porte d’entrée, voire tremplin vers d’autres projets artistiques.
Certes, de nombreux artistes issus des scènes slam s’orientent vers d’autres
horizons – et quittent la compétition –, mais le slam n’en demeure pas moins un
vivier de poètes37 : “slam has proven a laboratory for a new generation of artists
fusing genres who are now finding success in American theatre, literature, music…”
(2009 : 13) En tant que fusion des genres, « mariage entre vers et performance », il
les a propulsés vers des expériences d’ avant-garde – « The slam has led them to

35
Voir infra à propos du slameur allemand Bas Böttcher.
36
“slam poetry commercial foil, spoken word poetry” (2009 : 15). Thèse confirmée par Marc Smith qui,
répondant à notre enquête écrite du 1/01/11, a précisé que « Spoken word is a phrase used by the recording
industry to brand a type of music that leans towards the poetic, mostly rap. (…) Slam is not a commercial
industry.” (voir en annexe III.16)
37
Cette idée nous a été confirmée par le slameur allemand Bas Böttcher d’après lequel le slam en tant que
dispositif constituerait une « porte d’entrée » dans l’univers du spoken word. (enquête du 14/10/10, voir en
annexe III.11)
37

avant-garde experiments in poetry and sound » (13) – que les « vétérans »


enseignent aujourd’hui dans des Universités comme celle de Chicago38. Dans ces
conditions, nous pouvons nous interroger : le slam ne court-il pas le risque d’y
« perdre son âme » en devenant une sorte de propédeutique ?

S’il apparaît bien - aux yeux de Susan B.A.Somers-Willet et n’en déplaise à


certains slameurs qui refusent cette idée (2009 : 9) - comme un genre (16), il s’agit à
n’en pas douter d’un genre hybride et inédit39. Or ce nouveau genre s’inscrit dans la
lignée de traditions qui n’ont guère été explorées dans cette perspective, ce qui
ouvre une piste intéressante pour la recherche : « No one has yet considered slam
poetry from the full range of disciplines and traditions it engages » (14). En outre, les
différents medias et supports grâce auxquels il est diffusé – « from the page to the
stage, from composition to performance » (13-14) – doivent être envisagés40 : nous
les analyserons en lien avec les théories développées autour de la poésie sonore et
poésie-action41. En effet, le slam ne se réduit pas à sa dimension scénique et se
déploie dans d’autres espaces, au-delà – ou en-deçà - de l’aspect oral/aural42. S’il
s’actualise sur scène, l’espace de la page n’en est pas moins essentiel - significatif
d’une « relation chimérique avec le texte »43 - et nous lui accorderons dans notre
propre étude toute l’importance qu’il mérite : « slam poetry lives on both the page and
the stage » observe Somers-Willet. Quant aux aspects corporels, ils ne sauraient
être ignorés car ils reflètent l’essence même du slam44. L’avenir nous dira si le slam
poésie* perdure au-delà de l’engouement dont il fait l’objet dans la sphère culturelle,
mais il est désormais certain qu’il a fait évoluer la poésie américaine contemporaine
en la « poussant dans de nouvelles directions », avant d’influer – nous en émettons
l’hypothèse – sur la poésie française :

38
A la différence de l’Université de Lausanne où ce sont les professeurs – et non les slameurs - qui initient les
étudiants à cet art, même si des rencontres sont prévues. (Voir notre enquête en annexe III.10)
39
” its own hybrid genre of verse, one that negotiates the possibilities and problems of text, performance,
orality, and politics.” (2009 : 14)
40
“It native venue is live performance, but also is created and appreciated in print, through audio recording, on
video, and in broadcasts.” (2009 : 14)
41
Voir notre chapitre 4.
42
« a sole scholarly focus on the oral and aural – on speaking and listening – is, I believe, a little misguided »
(2009 : 16)
43
“The fact that almost slam poems are executed in print and yet are intended for performance ensures a
chimeric relationship with text.” (2009 : 18)
44
“His or her speech, dress, gesture, voice, body, and so on all reflect in some way on the poem at hand, and
these various aspects of embodiment convey nuances of cultural difference that the page cannot.” (2009 : 18)
38

“It is quite possible that, like Beat and Black Art poetry, slam poetry will be defined by the
cultural-historical moment in which it was produced- destined to fail outside of its
moment but also influencing work beyond its current purview to push American poetry in
new directions.” (2009 :15)
Tel était l’un des enjeux de l’étude de Susan B.A.Somers-Willet et tel sera aussi l’un
des défis de la présente recherche appliquée au slam francophone : “Slam poetry
might be, in the end, about building bridges, not walls, between these two audience
of poetry. This book is one step in this direction.” (2009 : 15). Si nous reprenons à
notre compte cet enjeu de « construire des ponts », l’objet de notre étude s’annonce
mouvant, en tant que phénomène contemporain récemment « importé » en France.
D’où la dimension exploratoire inhérente à cette recherche, en quoi nous rejoignons
Susan B.A.Somers-Willet :
“As one of the first scholarly works to explore the politics of identity in slam poetry, a
genre that is itself just gaining scholarly attention, this book aims to be suggestive, not
definitive.” (2009 : 15)

1.2. Emergence du slam français et francophone

Pour le collectif* 129H, le slam représente un « terrain d’expression poétique qui


trouve ses origines ailleurs qu’aux Etats Unis » (sd : 15) : le mouvement – reconnu
comme tel par ce collectif* – s’inscrit notamment dans la lignée des Grecs et de
l’Agora, des griots d’Afrique de l’Ouest, en passant pas les joutes orales du sud de la
France et les duels d’improvisation du Brésil et de Cuba45. A ce jour, le slam français
n’est plus un phénomène exclusivement parisien et s’exporte même à l’étranger46,
alors que des rencontres européennes commencent à s’organiser.

1.2.1. Arrivée et diffusion en France

Quand le film Slam arrive en France à la fin des années 90, le slam s’éveille à
peine, même si sa formule est déjà apparue en marge des cercles de poésie
traditionnelle dans un bar de Pigalle, le « Club club »47. A l’aube du slam, ces
pionniers qui s’y réunissent alors tous les mardis – dont Nada, MC Clean, Pilote le
Hot – et ce, depuis 1995, se sentent reconnus et nommés avec la sortie du film :

45
La liste est longue et nous pouvons y ajouter par exemple la tradition des Zajals au Liban (voir en annexe
III.13 notre entretien avec Lauréline Kuntz).
46
129H intervient ou est intervenu au Brésil, au Maroc, au Mali, en Egypte (enquête du 27/10/08, annexe III.2).
Le site internet du collectif fait état d’ateliers et concerts à Nouméa et à Berlin. En avril 2010, Lauréline Kuntz
animait des ateliers à Beyrouth tandis que Souleymane Diamanka slamait en Afrique du Sud.
47
Certains participants étaient, à l’instar de Nada, d’ex-toxicomanes. La métaphore contenue dans la citation
en exergue de cette partie (« un simple gramme de mon slam », EsX) y fait allusion.
39

« Le jour se lève » écrira un Grand Corps Malade en guise de prologue à son


premier album… En attendant la consécration de Midi 20, c’est Pilote le Hot qui,
fondateur de « Slam production », reprendra à son compte l’idée de démocratiser la
poésie et exercera jusqu’en 2000 un monopole institutionnel et médiatique, occultant
les initiatives parallèles : « C’est un mouvement oratoire néo-poétique, sur-poétique,
anti-poétique, poly-poétique et socio-poétique. C’est une poésie démocratisée, on
donne la parole à qui veut la prendre » affirmera-t-il48.

A l’aube du XXIème siècle, plusieurs individualités et de nombreux collectifs* de


slameurs se développent, proposant des scènes, des projets, des initiatives
multiples. L’association « Uback Concept » à Saint Denis est la première à avoir
présenté des slam sessions en région parisienne : fondateurs de la scène slam au
Café culturel, Lynx-K et ses acolytes sont aussi à l’initiative des premiers tournois.
129H, premier collectif* de slameurs français, nait en 2001 de la rencontre de Rouda,
Neobled, Lyor – vainqueur de la première compétition au Café culturel de Saint
Denis en 2002 – et Ninanonyme. Cette dernière sera d’ailleurs l’une des fondatrices
du premier collectif féminin « Slam ô féminin » créé en 200349. Nada qui, comme son
nom de scène l’indique, apparaît comme « le griot trash de la punkitude » se
distingue également en prenant l’initiative de ses propres scènes et en privilégiant
une approche spectaculaire du slam avec ses « One Man Slam » et les
performances* de son collectif « Spoke orchestra » : il témoigne ainsi d’un éternel va-
et-vient entre démarche individuelle et performance collective. Depuis 2003,
« Planeteslam », fondé par Tsunami MC, organise et anime des scènes slam, diffuse
des performances et représente le site le plus généraliste sur le slam français. Un
dossier de presse50 témoigne de la dynamique du mouvement à travers un
foisonnement d’articles, flyers, photos de slameurs. Les jeux de mots y affluent - du
vers au verre, des maux aux mots, du samedi au « Slamedit » - et nous mettent sur
la voie d’une créativité foisonnante.

En 2004, la création de la FFDSP (Fédération Française de Slam Poésie), issue


de « Slam Productions », consacre la reconnaissance du slam en tant que
mouvement. Directement liée au mouvement international - autour de Marc Smith -,
la fédération applique les règles du slam américain et envoie aux Etats-Unis la
48
Article du Nouvel Observateur du 29/03/2001, « Rythme et rime : la poésie sans naphtaline ».
49
Voir notre chapitre 3 et la référence au film « Slameuses » (Tissier, 2011).
50
Accessible via le site Planeteslam (voir en sitographie).
40

première équipe française de slam. Nantes accueille le premier Grand Slam national
la même année. Dès lors, le mouvement n’est plus exclusivement parisien et semble
avoir atteint une effervescence digne d’une fin de matinée. Les collectifs et les
scènes fleurissent dans la France entière, de Strasbourg à Marseille (Fredéric
Nevchehirlian) en passant par Lille, Rennes, Lyon (« Section Lyonnaise des
Amasseurs de Mots »), Vienne (« Les Polysémiques »), Bordeaux (« Les
Lyricalistes »), Toulouse (« Enterré sous X »)51… Parallèlement aux slam sessions et
aux concours, des collectifs* et des individualités issues de la scène slam
poursuivent une démarche de création ancrée (encrée) dans l’écriture. A titre
d’exemples, on peut citer « Le cercle des poètes sans instru » – dont est issu Grand
Corps Malade – ou encore « Le meilleur ami des mots », duo composé de
Souleymane Diamanka et John Banzaï.52 Dans toute la France, évènements et
manifestations prolifèrent autour du slam :
« Grand Slam National (Nantes et Bobigny), Slam United (Paris), Bouchazoreill’Slam
(Paris), Nuit du Slam (Reims, Creil, Lyon et Dijon), Slam Fever (Rennes), Slam l’homme
Géant (Lyon), Slam So What (Paris), Slam N’ Co (Nantes), Super Slam (Tours), Grand
Slam de Panam (Paris), Festival Paroles (Colmar, Sélestat, Ostwald et Mulhouse), Le
Mans cité Chanson (Le Mans) etc… »53

Midi 20. En mars 2006, la sortie de l’album de Grand Corps Malade – sacré
disque d’or en quelques semaines – propulse la discipline « slam » sur le devant de
la scène médiatique française : succès qui semble déterminant pour l’évolution
ultérieure du mouvement. Le fait est qu’« il rend visible une discipline et l’ensemble
des acteurs qui la portent. » (129H : 25). Révélé au grand jour et au grand public, le
slam fait alors son apparition dans le paysage éditorial : Spoke/Florent Massot
éditeurs (Felix Jousserand et Didier Feldmann), est une microsociété d’édition ayant
vocation à publier des œuvres de slameurs. A l’heure où paraissent les premières
anthologies du slam français, les éditeurs, qu’ils soient slameurs ou slamophiles,
achoppent sur la difficulté de représenter la diversité et l’interactivité inhérentes à une
scène slam. En tant que tel, l’objet-livre montre ses limites à rendre compte d’un art
vivant. En revanche, les sites Web affluent, surfant sur la vague du slam : le slam-org
propose une sorte de portail du slam en France, avec un état des lieux actualisé des
scènes slam et des publications. Arte tv diffuse même, outre une « Interview avec les

51
Nous ne prétendons nullement à l’exhaustivité dans cet énoncé de collectifs qui ne vise qu’à donner un
premier aperçu de ce foisonnement.
52
Inventaire non exhaustif.
53
Manifestations répertoriées dans le dossier de la LSF (voir notre sitographie).
41

doyens » et un « Abécédaire du slam », une formule « Webslam » consistant en un


match arbitré par les internautes à partir d’enregistrements vidéo de
performances*54. Les soirées parisiennes « Bouchazoreill’ » – qui ont fait l’objet
d’une publication sous forme d’un DVD et d’un album (Slam experience, sd) –
s’inscrivent dans la lignée du modèle américain. De fait, c’est la tradition la plus
« spectaculaire » qui semble perpétuée sur cette scène en forme de ring où les
slameurs s’affrontent deux à deux devant un public en liesse :
« Bouchazoreill’ » : expression créole qui signifie faire circuler l’information par la parole.
La poésie végétait rive gauche dans les arbres coupés d’écrivains nés vieux.
Nous l’avons sortie de prison, remise à sa place, et jetée sur un ring à l’image du
monde, arrogant, bordélique et stupéfiant.
Nous sommes une scène, ouverte comme des cuisses qui accoucheraient de griots
modernes au cœur d’une époque en flammes. »55
En 2009 s’est constituée une « Ligue Slam de France » visant à « resserrer les liens
entre tous les acteurs du slam français »56. Elle s’est dotée d’une Charte qui en
définit les valeurs et principes fondamentaux :

« LES VALEURS DE LA LSF SONT LES VALEURS DU SLAM :


EGALITE
OUVERTURE
ACCESSIBILITE
RESPECT
PARTAGE
INTERACTIVITE
LIBERTE D’EXPRESSION
LIBERTE D’OPINION

TOUT ADHERENT A LA LSF S’ENGAGE A RESPECTER CET ENSEMBLE DE VALEURS DANS SA
PRATIQUE DU SLAM

LA LSF DEFEND LA PRATIQUE ORIGINELLE DU SLAM AVEC TOURNOI ET RECONNAIT LES
SCENES SLAM SANS TOURNOI COMME FAISANT PARTIE INTEGRANTE DU MOUVEMENT
SLAM FRANÇAIS DU MOMENT QU’ELLES EN RESPECTENT LES VALEURS (ci-dessus)

LA LSF N’ENTEND PAS REGIR LES REGLES DU TOURNOI ENCOURAGEANT AINSI
57
L’INVENTIVITE ET L’ORIGINALITE DE CHACUN »

Le « Grand Slam de Paname » du 21 septembre 2010 en a concrétisé le lancement,


sous la forme d’une compétition où se sont affrontés douze poètes – dont quatre
slameuses – issus de présélections régionales. La qualification jusqu’en finale est
déterminée par la moyenne des scores proposés par six personnes volontaires dans
le public qui notent les performances* sur des ardoises :

54
Voir le site d’Arte.tv.
55
Page Myspace du collectif* Bouchazoreilles.
56
Wikipédia, consulté le 11/08/10.
57
Dossier de la LSF (voir notre sitographie).
42

Photo 2 : Grand Slam de Paname le 21/09/1058

Par le biais des ateliers d’écriture et autres manifestations culturelles comme


« Le Printempss des poètes », le slam pénètre parallèlement les institutions, reconnu
d’intérêt poétique par les Ministères de la culture
culture et de l’Education Nationale. « Dis-
moi dix mots dans tous les slams »59 est une manifestation officielle et annuelle
contribuant à la diffusion du slam et des pratiques d’écriture associées, à l’occasion
de
e la semaine de la langue française et de la francophonie :
« Ces dix mots ont vocation à susciter l’imagination de tous ceux qui s’en emparent pour
s’exprimer librement à travers différents supports de création : dix mots à dire, à écrire, à
« slamer », à calligraphier, à représenter ; dix mots pour jouer, pour chanter, pour
découvrir… Autant d’occasions de manifester combien la langue française est riche
d’innovation, de poésie, d’inventivité… »
Notons la présence du verbe « réseauter » nouvellement attesté (PR, 2010) parmi
les dix mots proposés en 201160, et l’interprétation de certains slams en langue des
signes.

En 2010, le projet « Slam la confiance » a proposé aux jeunes de 15 à 25 ans de


venir slamer dans les bureaux de poste sur ce
ce thème. Poésie populaire et qualifiée
de balistique, engageant la voix et le corps tout entier, le slam y est présenté comme
un témoignage politique permettant aux jeunes « de s’affirmer en tant que citoyen »
et « épreuve poétique de la confiance, qu’il s’agisse
s’agisse de la confiance en soi, en l’autre
ou dans le monde ». Tels sont les enjeux énoncés sur une page web où chacun peut
« déposer son slam » : « Le slam, c’est faire de la langue sa langue
langue propre, pour se

58
On y voit les ardoises brandies par les membres du jury (choisis dans le public) ainsi que le tableau sur lequel
figurent les scores des compétiteurs.
59
Voir le site officiel de la manifestation.
60
« accueillant, agapes, avec, chœur, complice, cordée, fil, harmonieusement, main, réseauter »
43

dire. »61 De fil en aiguille, de stylos en micros, le slam français s’est forgé une
identité en se démarquant progressivement du modèle américain :
“As I’ve said before, the slams in France are more akin to the early years of slam in
Chicago than many of the American slams. They are freer, more playful, more
imaginative, and possess a healthy dose of anarchy.”62
Si l’idée de communauté demeure, de nombreuses scènes ouvertes* sont
proposées, par opposition aux scènes dites « compétitives » qui reflètent une
approche réductrice du mouvement, aux yeux du fondateur américain :
“The biggest thing that bugs me about the reporting over the years is that everybody
equates poetry slam with competitive poetry, that ain't it! That's the narrow-minded view
of it”63

1.2.2. Le slam dans la francophonie

Dans la francophonie, le slam gagne aussi du terrain comme en atteste le projet


« Slamophonie »64. La Belgique se distingue en organisant un championnat de slam
en 2007 à Bruxelles, avec un mélange de langues officielles témoignant d’une
situation complexe :
« En effet, dans le contexte actuel du conflit linguistique belge, le slam démontre plus
que jamais ses valeurs dépourvues de frontières. On peut y trouver des scènes slam
bilingues (exemple : Bru Slam) et des échanges Nord-Sud fréquents. »65
En avril 2008 puis septembre 2009 et mai 2010, la zone de Liège a organisé « Les
24h du Mot » : réunissant des slameurs belges, français et suisses, l’évènement
occasionne la plus longue scène slam d’Europe, voire du monde, soit « une nuit
entière d’oralité » : « Un fameux melting-pot oral riche de diversité et d'égalité devant
l’expression artistique ! »66

Au Québec, le mouvement s’enracine dans la tradition des lectures publiques de


poésies qui remontent à la fin du XIXème siècle avec « l’Ecole littéraire de Montréal ».
Le film La nuit de la poésie 27 mars 197067 nous offre un témoignage de cette vitalité
poétique. A ces lectures performances s’ajoute, dans les années 90, l’influence de la

61
Voir en sitographie le site de la manifestation. Notons la dimension civique inhérente à ce projet, qui résulte
d’ailleurs, sur le plan du marketing, d’une stratégie publicitaire visant à « dépoussiérer » l’image de la Poste.
62
Marc Smith (enquête écrite du 1/01/11, voir en annexe III.16), nous soulignons.
63
Interview citée sur le site d’Arte.
64
Voir notre chapitre 11 pour la présentation de ce projet à vocation didactique qui atteste de la vitalité du
slam dans cet espace.
65
Wikipedia, entrée « Slam », rubrique « Francophonie », nous soulignons.
66
Site internet (voir notre sitographie).
67
Jean-Claude Labrecque et Jean-Pierre Masse, 1971.
44

scène anglophone montréalaise de Spoken word 68. En 2006, le slam québécois naît
sous l’impulsion d’Ivy qui initie les soirées mensuelles SlaMontréal, reprenant les
règles du jeu balisées par Marc Smith. Il fonde ensuite la Ligue Québécoise de Slam
afin d’encourager la formation d’autres équipes en dehors de la capitale. C’est chose
faite pour le premier Grand Slam, présenté dans le cadre du Festival International de
la Littérature au Lion d’or à Montréal, dont Marc Smith était l’invité d’honneur. Ayant
accepté de répondre à notre enquête écrite, Ivy a explicité en ces termes la
divergence fondamentale entre slameurs et poètes69 :
« Poètes et slameurs vont sont issus de la même école : mais leur application est
différente. Les uns cherchent à singulariser la langue, les autres à la collectiviser. Le
mouvement français qui tend actuellement à faire du slam un genre est une récupération
à mon humble avis. Ça revient à faire du slam ce qu’il n’est pas : un élitisme. Le but du
slameur est de porter la parole partout et pour tous. »
En Suisse comme aux Etats-Unis, le slam fait l’objet d’une intégration au cursus
universitaire qui tend à lui reconnaître le statut de mouvement à part entière. De fait,
il est désormais abordé à l’Université de Lausanne, en filière « français moderne »,
dans le cadre d’un cours intitulé « Le texte comme performance : littératures en
action aux XXème et XXIème siècles ». Ce cours, élaboré par Marcel Buger et Jérôme
Meizoz, s’inscrit dans le prolongement d’une étude du futurisme, du dadaïsme, du
surréalisme, de la poésie sonore et du rap. Il prend appui sur un corpus constitué de
textes issus de l’anthologie Blah, blah, blah ! (2007), suivi de l’étude d’une dizaine de
slams de Grand Corps Malade, tandis qu’Abd al Malik est intégré au corpus
rapologique70. Le slameur Narcisse témoigne de l’influence majeure du premier dans
ses réponses à notre enquête71 :
« J’ai participé récemment à un tournoi de slam organisé dans les écoles du canton du
Valais (en Suisse, dans les montagnes). J’ai été étonné d’entendre à quel point ils
faisaient tous du Grand Corps Malade copié-collé. Parce qu’il n’y a pas de scène slam
dans la région, Grand Corps Malade était leur seule référence. »72

68
Si le terme "spoken word" est généralement employé pour décrire une déclamation avec une musique de
fond qui ne sert pas de base au rythme comme dans le rap, la définition en est différente au Québec :
traduisant littéralement l'expression anglaise, la formule "spoken word" désigne chez eux les séquences de
micros ouverts dans les scènes slam.
69
Enquête du 15/09/10, voir en annexe III.8.
70
Voir notre enquête en annexe III.10.
71
Enquête écrite du 15/05/10 (voir en annexe X). Narcisse est pionnier et membre actif de la SLAAM (« Société
Lausannoise des Amatrices et Amateurs de Mots ») qui organise le « Festival international de slam de
Lausanne » (voir le site correspondant).
72
Notons d’ailleurs que le succès de GCM est cité sur la page « Définition » du site : « Popularisé par le succès
de Grand Corps Malade, le slam a connu un essor foudroyant depuis quelques années dans toute la
Francophonie. »
45

1.3. Un aperçu du slam Européen

Marc Smith, récemment invité à Reims pour la Coupe d’Europe, nous a exprimé
son intérêt pour le développement du slam à l’échelle européenne :
”My spirit is always renewed when I visit the European slam community.”73

1.3.1. Les journées du slam européen

Du 28 septembre au 4 octobre 2009, Berlin a accueilli les premières journées du


slam européen, placées sous le signe de la rencontre et du dialogue interculturel, de
l’échange d’idées, d’expériences et de savoir-faire. La manifestation était annoncée
comme « fédératrice et initiatrice de collaboration entre pays et partenaires
européens » :
« L’objectif est de créer un réseau européen d’artistes et opérateurs du Slam afin
74
notamment de faciliter les rencontres et les circulations à travers l’Europe. »
Outre les ateliers (workshops) proposés75, la scène et la performance étaient
également à l’affiche puisque les quinze slameurs européens étaient invités à
confronter leurs talents lors d’un tournoi76. Les deux cents slameurs en compétition
se sont soumis à un règlement précis :
● Poems can be on any subject.
● Poem must be the original work of the performer
● All styles are welcome and encouraged: acapella, hip-hop, theatrical monologues, literary
poetry, sound poetry, dub poetry, rants, haikus, power raps, etc.
● The poem can be slamed by one or a group of slammers
● Each poem must be maximum 3 minutes
● 10-second will be offer as grace period, but after penalty points will be deducted from the
final score.
● During the competitions, no musical instruments or pre-recorded music, no Props and no
costumes will be allowed. Remember you’ll be judged on delivery as well as content.
● Is acceptable for a poet to incorporate, imitate, or otherwise “signify” on the words, lyrics, or
tune of someone else.
● Poets are rated on both content and performance by four judges selected randomly from the
audience and one “professional slammer”.
● The judges will give each poem a score from 0 to 10, with 10 being the highest or “perfect”
77
score.

73
Enquête citée du 1/01/11 (voir en annexe III.16).
74
Site Internet de la manifestation (voir notre sitographie, rubrique « Slam européen »).
75
Sur les thèmes suivants : History of poetry slam, Slam and acting, Slam and Pedagogy, Slam and voice, Slam
and contest, Hip-hop, rap and poetry slam, Slam and music, Slam and esthetic, Poetry slam and gender, Slam
and litterature…
76
« Mêlant cultures, langues et influences, ces soirées présenteront au public berlinois la diversité du
mouvement Slam et des courants qui l’alimentent. Au terme de ces deux soirées de qualification, dix poètes
seront désignés pour participer à « la Nuit européenne du Slam », grande soirée de clôture durant laquelle sera
décerné le prix de « meilleur slameur européen » »
77
Site « European Poetry Slam » (voir notre sitographie).
46

Dans la lignée de cette rencontre, « Reims slam d’Europe » a eu lieu les 15 et 16


décembre 2010, présenté comme la « Première coupe d’Europe de slam ». Douze
slameurs, représentant douze pays européens78, se sont affrontés à cette occasion,
tout en étant invités à « discuter, échanger et penser à leur art et leur mouvement
culturel ». Les objectifs étaient formulés en termes de diversité des langues et de
dialogue interculturel, de partage et de réseau visant à « faciliter la création et la
diffusion d’évènements transnationaux ». Un livret a été publié suite à cette
manifestation, présentant une version bilingue des textes des douze slameurs qui
soulève le problème de la traduction de ces textes :
« Traduire, outre le travail de « conversion » d’un mot par un autre, c’est finalement
créer, laisser son empreinte. De quelle manière va-t-on reproduire la sonorité
d’allitérations ou consonance originelle avec la mélodie des mots qui ne vibrent pas de
la même manière ? Comment reproduire fidèlement des jeux de mots qui ne
correspondent à rien dans la langue du traducteur ? »79
Lara Stoll, représentant la Suisse, a remporté le tournoi avec un texte - slamé
alternativement en anglais et en français - à l’humour aussi caustique que le suggère
le titre “Why sometimes I would like to be a John Deere Tractor 7810 Powershift with
weights in the front hydraulics”80:
“If I was a John Deere Tractor 7810 Powershift with weights in the front
hydraulics, I certainly wouldn’t have any more women’s trouble…”
L’évènement était organisé en partenariat avec la Ligue Slam de France et grâce à la
participation active du collectif* « Slam tribu » ; la finale du tournoi a été diffusée sur
le site Arte.tv et prolongée du 23 décembre au 24 janvier 2011, par un vote des
internautes81. Marc Smith, « fondateur du slam de poésie* »82 et invité d’honneur de
l’évènement, a apprécié l’ouverture des frontières et la vitalité du slam européen.

Au vu de ces évènements et manifestations, force est de constater que des


solidarités européennes se créent autour du slam. Dans l’entretien qu’il nous a
accordé, l’artiste allemand Bas Böttcher a témoigné de ce dynamisme naissant :

78
Allemagne, Autriche, Belgique, Estonie, France, Grande-Bretagne, Hongrie, Italie, Lituanie, Suède, Portugal,
Suisse (voir le site de la manifestation).
79
Avant-propos du collectif Slam tribu au livret de la manifestation incluant les textes slamés en langue
originale et traduits. Voir aussi l’article du Point dans notre corpus d’articles de presse (annexe II.16).
80
« Pourquoi parfois j’aimerais bien être un tracteur John Deere 7810 Powershift avec des poids aux
hydrauliques avants… » Le texte a été slamé successivement en français, en anglais et en allemand.
81
Les vidéos des textes slamés en compétition sont disponibles sur le site.
82
“Founder of the internationally acclaimed Poetry Slam” (Edito du livret cité). Notons que “Poetry slam” a été
traduit par « slam de poésie » et non « slam poésie », distinction sur laquelle nous reviendrons (chapitre 6).
47

“The good thing is that just right now the European slam scene is about to connect with
meetings : I met people of “Slam tribu” or “Spoke orchestra”. J’ai travaillé avec D. de
Kabal et ça me plait, je crois que c’est une bonne idée d’échanger des idées, des
concepts, tout ça… ”83

1.3.2. Le slam allemand


L’Allemagne est l’un des premiers pays d’Europe à avoir accueilli le slam, et pour
cause : dès 1993, plusieurs poètes américains exilés à Berlin ont cherché, au sein de
leur patrie adoptive, un lieu où ils pourraient organiser des slams sessions
hebdomadaires. C’est chose faite au Club underground « Ex & Pop » où est créé,
grâce à la collaboration du poète Wolf Hogekamp, le premier slam de poésie
allemand. La formule s’impose peu à peu, jusqu’à la mise en place du premier Slam
National d’Allemagne en 1997, remporté par Bastian Böttcher. L’œuvre de ce
slameur allemand de renom – « the prince of German slam poetry » selon le
journaliste Rory Mas Lean84 – a fait l’objet d’un mémoire de Master sous le titre
Poétique de Bas Böttcher, lieux communs et place publique85. Nous nous proposons
donc de croiser les données analysées dans ce mémoire avec nos propres sources
primaires – collectées lors de notre entretien avec l’artiste allemand – afin de rendre
compte de certains aspects qui nous semblent emblématiques du slam poésie en
général, tout en étant liés à la scène et à la langue allemandes en particulier.

Adrienne Ferré (2008) a dressé un état des lieux de la scène slam allemande qui
se distingue à ses yeux de la scène française en ce qu’elle reconnaît plus
ouvertement la filiation avec la scène américaine. De fait, la première semble s’être
institutionnalisée et professionnalisée précocement par rapport à la scène française,
si bien que Bas Böttcher, lors de l’entretien cité, note un certain éparpillement de la
scène française86. Après avoir remporté la compétition individuelle du premier Grand
Slam National de Berlin en 1997, il a organisé en 1999 le troisième Grand Slam à
Weimar87. Il apparaît que la scène allemande attire un public différent dans la

83
Entretien du 14/10/10 (voir en annexe III.11).
84
Article publié en août 2009 (voir en annexe II.13).
85
Adrienne Ferré, sous la direction de Daniel Riou, MCF, Enseignant-Chercheur en Littérature Française à
l’université de Rennes 2. UFR d’Arts, Lettres et Communication - Département de Lettres (2007-2008).
86
Entretien cité : “When you look at the French poetry slam scene, I think it’s not as structured as in
Switzerland or Austria where the network works pretty well, with annual competitions. In France I have
sometimes the feeling there are many different islands of good organizers and sometimes they compete with
each other… It’s surprising!”
87
La seconde édition a eu lieu à Munich en 1998.
48

mesure où la plupart des manifestations sont payantes : les « évènements slam » ont
lieu le plus souvent dans des centres culturels alors que la scène française s’est
essentiellement développée dans des cafés, en marge des compétitions dont seules
les finales et demi-finales sont payantes. Il reste que, selon Bas Böttcher, le slam –
notamment grâce à la notoriété de Grand Corps Malade – jouit en France d’une
popularité qu’il n’aurait pas atteinte en Allemagne où le clivage est plus net entre pop
music et slam poetry88. Alors qu’Adrienne Ferré évoquait, en 2007, l’absence de
scène internationale ou européenne, nous pouvons constater que des solidarités et
des réseaux commencent à se tisser au-delà des frontières.

Ayant cofondé la scène slam allemande et participé à de nombreuses


compétitions dont il a perçu les limites89, l’artiste allemand a poursuivi son parcours
poétique en devenant, selon ses propres termes, un « poète nomade ». S’il avoue
s’être retiré de la compétition, le poète continue à évoluer dans l’espace du slam :
« Bas Böttcher se donne les moyens d’explorer le terrain créatif du slam en
développant sa personnalité d’auteur, marquée par le souvenir de la scansion hip-
hop et de la régularité métronométrique du beat » constate Adrienne Ferré (2008 :
95). Au fil de ses migrations, il s’est construit une poétique d’ouverture des frontières.
Ainsi, « l’œuvre de Bastian Böttcher se déplace sur les frontières du genre poétique
dans lequel il inscrit toujours ses œuvres pour provoquer90 l’écoute et permettre la
circulation de la poésie dans l’espace social.» (5) Ce dépassement des frontières
établies renvoie d’abord à l’enjeu original du slam, s’agissant de remettre en cause
les cloisonnements entre styles, genres, poètes de la rue et poètes académiques ».
Dans cette perspective, le poète allemand se pose en « colporteur » et, du même
coup, en médiateur culturel91 : « L’artiste en colporteur, acheminant ses œuvres de

88
“But on the other hand, there is a real popularity. For example, in Germany you don’t have slam poets in the
top ten. There is no connection with the music business; there is some kind of a gap between slam poets and
pop music.” (entretien cité)
89
Bas Böttcher (cité par Adrienne Ferré) y déplore « trop de reproduction de texte et pas assez de
production ». « A cause du concours, précise-t-il, il y a le danger que chaque poète amène sur scène toujours et
seulement les textes de son répertoire qui ont le plus d’effet sur le public ». Il remarque aussi que « dans le
slam, beaucoup de gens se distinguent par le rire et marquent une inflexion vers la comédie. Les entretiens que
nous avons pu avoir avec d’autres slameurs (Rouda, voir en annexe III.2) nous confirment cette tendance à se
reposer sur des textes qui fonctionnent sur scène, de même que le slam de Lara Stoll (voir supra).
90
« Il s’agit de provoquer l’écoute et pas seulement de la permettre, précise-t-elle », se référant à Marc Smith,
cité en exergue (« Et alors ? ») Le verbe provoquer, ici employé au sens étymologique (de pro-vocare, « appeler
dehors »), est récurrent dans le mémoire tandis que le slameur emploie volontiers le sustantif provocation (en
anglais) dont Alain Rey nous rappelle qu’en Ancien et Moyen Français, il a désigné un appel. (Rey, 2007 : 2992)
91
Il a d’ailleurs conçu un ouvrage à destination d’un public scolaire. Ce « manuel » (2009) offre, outre les textes
du slameur illustrés par des photos, un appareillage didactique intéressant (chronologie de l’histoire du slam).
49

place en place prend en charge l’émission d’une culture. » (2008 : 19) Il entend
renouer avec la poésie des origines, faisant référence à la tradition des rhapsodes92.
Les modalités du voyage ayant changé avec les moyens de communication
modernes, il se qualifie, en tant que poète voyageur héritier de cette tradition des
rhapsodes et autres aèdes93, de Neomade : néologisme choisi comme titre de son
album paru en 200994. De son expérience de Rapoetry, telle qu’il la nomme, il retient
le rôle d’une musique qu’il a poétisée via une forme d’écriture rythmique*, comme
une cadence ou un substitut de métrique qualifié de « liberté au carré »95 : il s’agit
selon Adrienne Ferré d’une « rémanence profondément intériorisée dans la fabrique
même du discours » (33). D’où une énergie qui peut l’aider à franchir la barrière des
langues, ce que nous avons pu vérifier lors d’une représentation proposée à
l’Amphidice de l’Université Stendhal96. En outre, le poète n’hésite pas à prendre pour
matériau les lieux communs de la culture populaire, commune à tous, par exemple
de la publicité. Il en résulte une poétique personnelle mue par la recherche d’une
poésie populaire exigeante, tendant à abolir les frontières non seulement entre
poésie et musique, mais aussi entre culture savante et culture divertissante97. Son
discours poétique s’élabore ainsi sur la base d’une combinaison de bribes de
discours prélevées dans le verbe de l’espace public, d’où une stratégie de
déconstruction/reconstruction à l’image de la technique du cut-up qui consiste à
prélever des matériaux verbaux tels que des lettres, des mots ou bouts de phrases
pour les recomposer et les replacer dans le contexte d’une œuvre nouvelle (Ferré,
2008 : 40). L’artiste, qui suggère une parenté avec le collage plastique, a d’ailleurs

92
Etymologiquement, « celui qui coud les chants », du verbe ράπτω, rháptô (futur : ράΨω) et ωδή (« chant »).
93
Si le slameur s’apparente au rhapsode qui mène une vie itinérante et participe à des concours (les
Panathénées), il s’en distingue cependant comme auteur des textes qu’il récite et transmet. En ce sens, il se
rapproche de l’aède (du grec ancien ἀοιδός / aoidós, du verbe ᾄδω / áidô, « chanter ») : « La figure proche,
mais aussi plus ancienne, de l’Aède dont Homère fournit l’exemple, peut-être fictif, le plus connu, correspond à
une figure de poète composant ses œuvres. Mais les Aèdes ne sont pas itinérants, ils chantent pour des
cours. » (Ferré, 2008 : 67).
94
Néologisme que le slameur nous a expliqué : “I think I feel like a nomad, touring, travelling, telling poetry to
the audience because I have to be there. I cannot just let my books travel, I have to travel myself because it
needs someone to speak the poems (…) I would call myself a nomad but not like ancient ones because I use the
internet and all the new technologies. I communicate with my friends wherever I am. So I thought it would be a
nice term: “neonomade”.” (entretien cité : voir en annexe III.11)
95
L’écriture rap s’inscrit dans le cadre imposé par le beat (« pulsation »), soit la mesure 4/4, carcan métrique
dont Bas Böttcher dit avoir subi la « prison » : « Mais à l’intérieur de cette prison le texte est à nouveau très
libre et c’est ce que j’appelle la liberté en carré. La liberté est d’un côté prisonnière dans le carré et d’un autre
côté il y a une liberté potentielle, une liberté au carré pour ainsi dire. » (cité par Adrienne Ferré, 2008 : 31)
96
Concert filmé le 14/10/10 (voir notre extrait sur le DVD comme illustration du prochain chapitre).
97
« Cette séparation entre culture sérieuse et culture du divertissement, je la trouve un peu problématique
(…). Je pense que cette séparation est devenue obsolète maintenant… » (cité par Adrienne Ferré, 2008 : 25)
50

recours à des néologismes qui s’apparentent à ce type de procédé : « Couper/coller


des mots nouveaux, c’est aussi travailler à la création de nouveaux mots : le
néologisme Bekommbar98, construit par le coupage collage de bekomment
(« recevoir ») et du suffixe -bar (« ce que l’on peut »). » A un autre niveau – textuel
ou macrostructural –, un slam n’est pas figé mais susceptible de métamorphoses99,
et c’est aussi en ce sens que l’on peut parler de poésie nomade ou mouvante. Le
slameur allemand défend et conçoit une poésie en mouvement, poésie passerelle où
demeure la préoccupation d’une adresse et d’une accessibilité à tous, ou plutôt à
chacun. A ses yeux, il s’agit de créer une œuvre qui mette le spectateur – le
récepteur – en mouvement, qui le provoque au sens premier de ce terme, c’est-à-
dire qui l’appelle et le captive. Bas Böttcher préfère d’ailleurs ce terme de récepteur à
ceux de lecteur ou de spectateur, soucieux d’insister sur l’idée que le texte puisse
atteindre le public de différentes façons, par différents canaux.100 Ce faisant, l’artiste
se positionne à la fois dans la littérature et aux marges de celle-là, jouant sur les
frontières du genre poétique comme en témoigne son œuvre hybride dont le titre
Megaherz est encore un néologisme.101 Adrienne Ferré note à ce sujet la « solidarité
des notions de genre et de format » 102, faisant écho aux propos du slameur qui dit
« s’occuper de forme, de format et de formulation » : question sur laquelle nous
reviendrons en termes de médiopoétique (Bobillot, 2010)103. De fait, la recherche
poétique de l’artiste allemand se traduit par la recherche de nouveaux canaux ou
media, adéquats à « restituer le plus fidèlement la présentation live ». Il s’agit donc
98
Le slameur nous l’a explicité en ces termes : “That would mean something like “available” but it didn’t exist
before (…). There was another word before (”erhältlich”) but it was very difficult to pronounce because off an
“h” in the stressed syllable. So I invented this word “Bekommbar”, easier to speak. “ (entretien cité)
99
Le slam “Amour téléphonique” a été enregistré en 2001 pendant la nuit de la poésie bavaroise et en 2005
pendant une prestation à Constance. Entre les deux versions, « beaucoup de temps s’est écoulé, et le texte lui-
même s’est donc en partie transformé, il y a là des phrases entières qui ont disparu, d’autres qui sont arrivées,
les mots s’affinent… » (cité par Adrienne Ferré, 2008 : 20)
100
Il s’en explique : « Elle (la poésie) peut se glisser à travers tous les canaux ; les mots parlés, le celluloïd, le
graffiti, les bandes magnétiques, les cartes perforées, la radio, la puce électronique à mémoire, les câbles en
fibre de verre, les vinyles, les microfiches, les stèles de pierre, les CD, CD-Rom, MC, MD, DVD, DAT, PC, ZIP,
photo, téléphone portable, (…) www, satellite, il n’est pas de médium qui ne soit approprié à transporter de la
poésie. » (cité par Adrienne Ferré, 2008 : 71-72)
101
Catégorisé comme « roman » par l’éditeur, ce texte répondrait plutôt à l’appellation de nouvelle d’après son
auteur, ou à celle de pièce à écouter. Selon Adrienne Ferré (2008 : 81), ce dernier terme (Hörstück) est dérivé
du « jeu à écouter » (Hörspiel) dont le médium originaire est la radio et désigne « une pièce courte (jusqu’à 3
minutes) qui raconte moins une histoire qu’elle ne crée un univers par l’utilisation de suggestions sonores. »
102
A une question portant sur le rôle des répétitions, Bas Böttcher répond que le « récepteur » d’un slam ne
peut se permettre de butiner, de voyager dans le texte, à la différence du lecteur : « Repetition is important for
the stage : the audience cannot jump back or forward in the text, so from time to time you have to remind
them » (entretien cité).
103
Voir notre chapitre 4.
51

d’inventer « de nouveaux canaux pour une vieille forme d’art » (Ferré, 2008 : 74), de
redonner un souffle nouveau à la poésie en trouvant le medium propre à lui rendre
son éclat sonore originel104. Le poète vise ici ce qu’il appelle l’instant lyrique dans la
réunion de ces trois dimensions acoustique, textuelle, et visuelle. D’où l’expérience
des Poetry clips, projet que l’artiste allemand a développé dans le cadre d’un
mémoire de fin d’études105, convaincu que l’image peut s’avérer « propre à participer
à la création d’un univers poétique » (80).106

Le concept de Text box107 – maison d’expression (2008 : 83) comme alternative


à la maison d’édition – procède de cette quête de nouveaux médias, visant une
connexion au plus grand nombre108 tout en préservant l’intensité de la présence,
notion clé pour l’artiste : Bas Böttcher apparaît en effet comme « un créateur qui tient
le pari de la présence, pour réussir celui de la présentation de ses œuvres109» (6).
Ce projet, soutenu par Mickael Lentz - grande figure de la poésie orale allemande et
auteur d’une thèse sur la poésie parlée110 - résulte non seulement d’une recherche
poétique visant à rendre l’intensité de la poésie dans un environnement a priori
défavorable, mais aussi de l’engagement du poète pour la défense et l’illustration
d’une scène qu’Adrienne Ferré qualifie de néo-orale. S’agit-il pour autant de
préconiser une « poésie passe-partout » (86) ? Si elle va dans le sens d’une
recherche individuelle plutôt que d’une recherche collective tout en tendant à un
élargissement de l’adresse poétique, la poésie de Bas Böttcher ne trouve son sens
et son aboutissement que dans le contact avec le spectateur. Aussi sa poétique
investit-elle de nouveaux espaces : aux dires d’Adrienne Ferré, « C’est le domaine

104
“So that’s why I think it doesn’t make sense for me to play with letters. I prefer playing with sounds, the
sounds of the words, the sound of the syllables, the stressed ones, and the rhythm, and all that” (entretien cité)
105
Bas Böttcher a étudié le design des médias à l’Université de Bauhaus.
106
Il précise que le clip poétique doit rester sobre : « Contrairement aux vidéos musicales, nous renonçons aux
coupes rapides, à de nombreux arrière-plans et aux effets spéciaux. Le clip poétique gagne en intensité par sa
simplicité et ne se détourne pas du texte. Les clips poétiques visent l’instant présent – l’instant lyrique. L’auteur
devient comédien, et alors la respiration, la rythmique et le contact visuel avec le spectateur jouent un rôle
central. » (Ferré, 2008 : 80)
107
Voir en annexe II.13 l’article de presse et le reportage de Clément Vogt sur le site « Paris culturel Europe » à
l’occasion de la présentation au Centre Beaubourg en octobre 2007 (voir notre sitographie).
108
« Notre concept, c’est d’être connecté avec les spectateurs, physiquement et mentalement. » (entretien
cité).
109
Notons la récurrence de ce terme de « présence » (ou dérivés) dans le mémoire. Il fait référence non
seulement à la présence mais au présent, à l’instantanéité inhérente au slam. En ce qui le concerne, Bas
Böttcher préfère le mot de représentation (en français) à ceux de spectacle, concert ou scène. En témoigne le
titre de son dernier spectacle qui fait aussi référence à Magritte : « Dies ist kein Konzert » (2010).
110
Lautpoesie/-musik nach 1945. Eine kritisch-dokumentarische Bestandsaufnahme (« Poésie acoustique/
musique acoustique après 1945. Un inventaire critique et documentaire »).
52

de la performance* qui fait l’objet de sa dernière migration poétique. »111 (2008 : 96)
Il en refuse cependant l’étiquette underground et avant-gardiste.

De Rapoet, l’artiste devient poédiseur : mot-valise112 qui nous semble propre à


rendre compte des deux termes allemands poet et dichter dont se réclame Bas
Böttcher113 (Ferré, 2008 : 56). S’il a oscillé entre la figure du poète artisan du
Bauhaus114 et celle plus romantique du poète inspiré, il reste intimement guidé par la
conviction que la poésie doit circuler – s’écouler si l’on file la métaphore que l’artiste
nous a livrée115 – pour s’épanouir pleinement :
« Un texte écrit est toujours contraint à la passivité (...). Il lui manque – sauf peut-être
lorsqu’il est imprimé en affiche – la possibilité d’exprimer pour lui de l’attention. Il
manque la troisième dimension. Le rayonnement acoustique, la capacité à glisser sur le
rythme, l’éclat sonore, les assonances, la dynamique et le sens des mots pour entraîner
celui qui écoute dans un fleuve verbal animé et vivant. » (cité par Ferré, 2008 : 74).

13.3. Le slam espagnol


D’après un article paru dans le quotidien 20 minutos du 4/02/11, le slam a mis
vingt ans à gagner l’Espagne mais semble désormais promis à un bel avenir :
“Ha tardado más de veinte años en llegar a España, pero al final el slam lo ha logrado y
promete dar guerra al sentido más tradicional de la poesía.”116
Il s’impose précisément comme alternative aux récitals poétiques traditionnels,
comme poésie fondée sur le naturel d’une interprétation comptant pour 50% dans

111
Adrienne Ferré définit la performance comme « discipline qui puise son énergie dans la liaison entre art
vivant et art plastique » (d’après le dossier « Performance » paru dans la Revue Art Press n° 331, février 2007),
approche qui nous paraît sensiblement différente de celle de Marc Smith. (voir notre glossaire)
112
Néologisme emprunté au journaliste Fabrice Bérard dans un article du Dauphiné Libéré paru le 3/11/10.
113
« Le poète en allemand est « poet » ou « dichter ». Le mot « poet », d’origine grecque, renvoie plutôt à la
facture de l’œuvre en tant que matérialité (…) alors que le mot « dichter » renverrait selon l’auteur à l’oralité
de l’œuvre. » (Ferré, 2008 : 56).
114
Bas Böttcher (dont le nom signifie pottier, équivalent de potter en anglais) se reconnaît volontiers la figure
de l’artisan en tant que modeleur des mots ou encore designer du langage comme il le formule lui-même. Alain
Frontier (1992 : 12) rappelle qu’à l’origine, le mot ποιεσισ / poiesis désignait toute création produite par un art
ou une technique, comme la fabrication des vêtements, des parfums et du vin chez Hérodote.
115
“It is like in a book which is fix, so that would be like ice, but the poem could also be liquid, like water, this
would be on stage, when the text is spoken; and also the poem could be like gas, in your head or like in the air
between people when they memorize the text, they have it in their mind too! So it’s gas when it’s conceived,
water when spoken, and ice when fixed, written in a book or piece of paper: it is always the same material, the
same substance that can have different states…” (entretien cité)
116
«Ayant tardé plus de vingt ans avant d’arriver en Espagne, le slam a néanmoins réussi et promet de faire la
guerre à une approche plus traditionnelle de la poésie. » (article consulté sur le site du journal, voir en
sitographie).
53

l’appréciation de la prestation117. Au-delà du tournoi – « bataille de rimes


poétiques »118 – c’est bien à un authentique festin littéraire que donnent lieu les
rencontres de slam. Au cœur de l’article cité, le collectif* madrilène Poetry Slam
Madrid119 décrit le slam comme « une nouvelle forme de communication » ou encore
un « tremplin littéraire » :
“¿Poesía? ¿Performance? ¿Talent Show? Poetry Slam – una muy particular forma de
comunicación. Una nueva plataforma para la literatura: textos polémicos, ritmo
trepidante, la tensión de la competición. Un tema crítico-jocoso, unas cuantas rimas y un
recitado dramatizado, todo ello embutido en tres minutos.”120
Appartenant à ce collectif*, la slameuse Silvia Nieva a accepté de répondre à notre
enquête écrite, ce qui nous permet de dresser un rapide état des lieux de la scène
slam espagnole121. Plus récente que la scène allemande, ses débuts remontant à
deux ou trois ans au dire de la slameuse, elle ne se limite pas à la capitale : “Il y du
slam à Barcelone, Majorque, Madrid, Grenade et Jaén, à ma connaissance” précise
Silvia Nieva, ajoutant que “Le slam ne connaît pas de limites” puisqu’il s’agit
précisément de favoriser sa diffusion en tous lieux122. Il semble que l’Institut Goethe
soit à l’origine de la formation du collectif* « Poetry slam Madrid », d’où une filiation
par rapport à la scène allemande. Tout indique d’ailleurs l’affiliation à des règles
internationales, comme en atteste cette définition :
“El slam es un evento de poesía escénica, en el que compiten poetas con sólo 3
minutos para expresar sus textos con su cuerpo y sin atrezos u objetos. Una especie de
micro abierto con algunas características propias. La filosofía es que cualquiera puede
subir al escenario, que todos tenemos algo que decir y la diversión y participación del
público. Es un reto.”123

117
“Sin pudor y sin la retorica de tantos recitales poéticos (ellos luchan precisamente contra esto), aquí la
naturalidad tiene un alto precio. Puede que el que gane no sea el mejor poema, el que se alce con la victoria
será el que mejor combine el verso con el dibujo de que ello haga su cuerpo; su voz, su talento.”
118
« Batalla de rimas poéticas » (titre de l’article cité)
119
Voir le blog du collectif « Poetry slam Madrid ».
120
Nous soulignons : « Poésie? Performance? One Man Show? Le slam poésie – une forme bien particulière de
communication. Une nouvelle plateforme pour la littérature : textes polémiques, rythme trépidant, tension
due à la compétition. Un thème polémique ou cocasse, quelques rimes et une déclamation théâtralisée, le tout
bouclé en 3 minutes ! » Notons que le terme de plataforma peut aussi être traduit par « tremplin ».
121
Enquête du 9/12/10, voir en annexe III.12.
122
“Suelen ser bares o cafés. Pero intentamos ampliarlo.” (enquête citée)
123
« Le slam est un évènement de poésie scénique, dans lequel des poètes entrent en compétition : ils ne
disposent que de 3 minutes pour interpréter leurs textes avec leur corps, sans accessoires ni objets. C’est une
sorte de micro ouvert (scène ouverte*) avec quelques caractéristiques propres. La philosophie est que
n’importe qui peut monter sur scène, que nous avons tous quelque chose à dire, et qu’il s’agit de divertir et de
faire participer le public. C’est un défi. » (enquête citée, nous soulignons)
54

Dans cette perspective, les jeux de mots sont conçus en vue de favoriser la
connivence avec le public, tout en le divertissant124, l’invention verbale pouvant servir
cet enjeu de défi. D’après la slameuse madrilène, la performance* se doit d’être a
capella, pour pouvoir répondre à l’appellation de slam, distingué du Spoken Word par
cette absence d’instrumentation et d’accessoires125. Si le slam espagnol n’en est
encore qu’à ses débuts, né de la mouvance américaine, s’agit-il à proprement parler
d’un mouvement naissant ? La confrontation aux premières tentatives de réflexion ou
de conceptualisation sur le sujet nous apportera quelques éléments de réponse.

1.4. Le slam mouvement poétique ou art de la poésie en mouvement ?

Peut-on parler de mouvement poétique ou s’agit-il d’un simple mouvement de


masse vers la poésie orale ? Le slam n’est-il pas un retour à la tradition originelle
d’une poésie vivante – et en tant que telle nécessairement mouvante – plus que
mouvement poétique proprement dit ? Telles sont les questions qui guideront notre
exploration documentaire concernant le slam français, développée à travers trois
sources principales : un essai général qui se propose de dresser le « panorama de la
poésie aujourd’hui » (Espitallier, 2006), l’épitexte de trois anthologies de textes de
slam, ainsi qu’un ouvrage récent intitulé Au cœur du slam (GdB., 2009).

1.4.1. A la surface du slam

« Le slam passe l’oral » : tel est le titre du chapitre consacré au slam au sein de
la Caisse à outils de Jean-Michel Espitallier, qui se propose de dresser un état des
lieux de la poésie contemporaine. Oral de rattrapage pour une forme qui, sous la
plume du poète, se fait « descendre en flammes », selon l’une des acceptions du
verbe to (get) slam. Rappelant les origines du slam, il explique qu’il s’agit
de « lectures publiques (le plus souvent improvisées) de textes évoquant la vie en
milieu urbain, la violence économique, sociale, policière, raciale, etc., ou jouant sur
des considérations plus intimes où se raconte le mal de vivre et la révolte » (2006 :
105). Une première interrogation surgit ici : quid d’une lecture improvisée ? Quelle
est la part de lecture d’un texte écrit et celle d’improvisation* orale dans le slam ?

124
“ Son parte de la diversión y del reto.” (entretien cité). Notons que le verbe « divertir » en espagnol diffère
sensiblement de notre « divertir » : il pourrait être traduit par « amuser », d’où l’idée de faire rire le public.
125
“No se pueden utilizar fotos o imágenes, si se usan ya no es slam, sería spoken Word, que es un concepto
más amplio.” (entretien cité).
55

Si les slameurs se voient assimilés à des chansonniers - « Aristide Bruant du hip


hop » - ils sont néanmoins reconnus dans leurs aspirations démocratiques dès lors
qu’ils « revendiquent d’ouvrir la scène à tout le monde » (2008 : 105). Seul l’intérêt
social du mouvement est valorisé, tandis que la forme en est dénigrée, le vers étant
jugé « très laborieux » et l’expressivité « bouffie d’emphase », accumulant « clichés »
et « bons sentiments » : « le mouvement slam ne se distingue pas par la création de
formes ou de discours très originaux » conclut, sans appel, le poète (105). Cela reste
à voir. Alors même que Marc Smith reconnaît la vitalité et l’inventivité dont les
slameurs français font preuve, un tel jugement n’est-il pas hâtif et prématuré ? Jean-
Michel Espitallier déplore que « La rage et la liberté de parole des premiers slameurs
chicagoans dans les années 80 (et leurs vrais combats de boxe verbaux) semblent
bien assagies. » (2008 : 106) Et le poète français de souligner l’effet
« appauvrissant » de la compétition, rejoignant en cela les propos d’un Bas Böttcher.
De fait, la surenchère manifestée par les slameurs qui prétendent « remporter la
mise » ne va pas forcément dans le sens de la poéticité, mais ne s’agit-il pas là
d’une appréhension partielle d’un mouvement foncièrement polymorphe ? Le slam se
voit en effet envisagé comme tournoi, à l’exclusion des autres formes – plus ouvertes
– qu’il peut prendre, a fortiori en France. Le poète admet que cet univers « très actif »
se révèle « plus structuré qu’il n’en a l’air » : en attestent les diverses associations et
manifestations précédemment citées. Il émet alors l’hypothèse que le slam « a peut-
être opéré sa première révolution, en tout cas, il semble vivre une mutation par
renouvellement et radicalisation de ses formes mais aussi parce qu’il est confronté
aujourd’hui à ses propres contradictions. » (2008 : 107) Si contradictions il y a,
quelles sont-elles ? Le poète reconnaît aux slameurs le mérite d’avoir « réintroduit
une certaine conscience de la langue dans la folle énergie des origines » mais il
avoue une expérience malencontreuse sur une scène slam où « son intervention fut
moyennement bien accueillie ». Il envisage alors des pistes en vue d’un dialogue
possible entre slam – ici assimilé au Spoken word – et poésie « proprement dite », et
« la pertinence de possibles croisements entre ces univers tout de même très
différents » (107) ce qui l’amène à conclure :
« C’est peut-être là, et aussi aux marges du mouvement qu’il faut rechercher les
expériences les plus novatrices (connexions avec le rap, les musiques électroniques ou
expérimentales, etc.). Restons attentifs. » (2008 : 108)
56

Il nous appartiendra de porter attention non seulement aux expériences novatrices -


en matière d’hybridation et de créativité lexicopoétique - mais aussi aux passerelles
éventuelles avec la poésie envisagée sous toutes ses formes et ses coutures.

1.4.2. Au seuil du slam : les anthologies

Les préfaces des anthologies, qu’elles soient rédigées par des slameurs ou des
slamophiles, auctoriales ou éditoriales (Genette, 1987 : 14), s’efforcent de
contextualiser les textes, de les situer dans une mouvance voire un
mouvement susceptible d’en éclairer la lecture :
« Toute une génération se reconnaît en effet dans ce mouvement dont l’audience
grandit de jour en jour. Plus qu’un courant littéraire ou qu’un mouvement d’avant-garde,
le slam est en prise directe avec la vie. » (Martinez, 2007 : 9)
Il s’ensuit quelques éléments de définition d’un art émergent qui « se situe aux
frontières de la littérature, de l’improvisation et des joutes oratoires » : « Art collectif,
tribune de libre expression, mouvement à forte revendication sociale, le slam avait
tous les atouts pour conquérir la France. » affirme Stéphane Martinez (2007 : 11).
Anatomie d’un succès qui ne laisse pas d’interroger : « Que signifient ces textes
scandés a capella, où éclatent la violence urbaine, la révolte des sans-voix ? »
(2007 : 10). Auteur d’une première anthologie du slam parue en 2002, l’écrivain est
un slamophile de la première heure :
« Les textes apparaissent dans toute leur crudité. La langue s’agrippe au réel. Le verbe
se fait chair. Rageur. Colérique. Explosif. Le ton oscille entre rage et dérision. Le résultat
parfois déconcerte ou émeut. (…) On lit entre les lignes et cent détails apparaissent :
des plus touchants aux plus burlesques, des plus sombres aux plus futiles. » (2007 : 15)
Ainsi le titre de l’anthologie est-il explicité, s’agissant de lire non seulement entre les
lignes mais aussi entre les mots de ceux qu’il nomme successivement « artistes du
macadam » (2007 : 14), « poètes du bitume » ou encore « funambules de la prose »,
tout en précisant de ces derniers qu’ils « refusent les étiquettes » (12) : « Ils jonglent,
triturent, biseautent, concassent les mots avec mordant et désinvolture. » (14) Si « la
sincérité est leur blason », la diversité est la règle sur une scène slam où « il n’est
pas rare de voir défiler toutes les générations, toutes les classes sociales, du
rappeur adolescent au professeur de français à la retraite, en passant pas le pilier de
bar ou le bobo de passage. » (12)
57

Ouvert à tous conformément à l’ambition de son fondateur, le slam fait feu de


tous lieux et tous thèmes : « de violence, d’exclusion, de rêve, de désespoir, de
politique, d’amour, de solitude, de sexe, de débauche, de désirs sans lendemain, de
beuveries, de déracinement » (16). A partir de « l’urgence de proférer » (17-18),
dénominateur commun de tous ces poètes en puissance, le texte pourra être soumis
à une diversité de modalités possible pour sa mise en voix : « lu, crié, chuchoté,
ânonné, susurré, improvisé, récité » (12) devant un public plus ou moins médusé,
mais toujours indulgent et encourageant. De fait, le slam « n’est pas chose facile » :
« Dire un texte, sans artifice ni accessoire, est un apprentissage difficile à relever. La
diction, le souffle, le ton, le rythme, le placement de la voix comptent beaucoup dans le
succès d’une performance. » (2007 : 17)
Stéphane Martinez évoque les traditions dans la continuité desquelles s’inscrit
l’histoire du slam : « une vieille et longue tradition orale qui remonte aux temps de
troubadours, des Repentistas du Nordeste brésilien, des griots en Afrique, des
muezzins126, des chansonniers. » (14). Chacun revendique une filiation mais le fait
est que le slam reprend l’ensemble de cet héritage ; il renouvelle l’approche de la
poésie et se démarque du rap auquel on le compare souvent127 :
« Même si beaucoup de slameurs considèrent le rap comme une source d’inspiration
décisive, les différences entre les deux mouvements sont nombreuses. Chez les
slameurs, la scène est ouverte au public, et elle est nettement moins codifiée, sexiste et
violente. (…) La compétition n’est pas aussi omniprésente que dans le rap. » (2007 : 13)
Non contente de se réduire à « un concentré de vies intimes psalmodié sur un air
décousu et inachevé » (16), la scène slam est en gestation permanente, d’où la
difficulté – à laquelle nous avons été confrontée à l’instar des auteurs des
anthologies - de faire un choix au sein d’une production abondante et diversifiée :
« Nous avons choisi comme parti-pris d’être le plus représentatif possible de la scène,
en essayant de ne pas laisser apparaître nos goûts ou nos préférences. Nous ne
prétendons pas non plus que les auteurs choisis pour y figurer, tant la production est
abondante, diverse et inégale, soient les seuls dignes d’y paraître ! » (19)
En outre, le slam ne saurait être enfermé dans un livre et sagement rangé dans une
bibliothèque : « La voix, la scène, lui sont en effet consubstantielles ». En tout état de
cause, il a allumé « une mèche qui n’est pas près de s’éteindre. » (19)

126 ّ muaḏḏin, signifiant celui qui fait l'appel) est le


Le muezzin (du turc müezzin, lui-même issu de l'arabe ‫مؤذن‬
membre de la mosquée chargé de lancer l'appel à la prière (adhan), au moins cinq fois par jour, souvent depuis
le sommet d'un des minarets de ladite mosquée. Le muezzin est choisi pour sa voix et sa personnalité. (Source :
Wikipedia, consultée le 31/10/10)
127
Le rapprochement avec le rap et une éventuelle filiation de l’un à l’autre seront abordés dans le chapitre 5.
58

Félix J., slameur et co-fondateur des éditions Spoke/Florent Massot, revient sur
cette contradiction dans le préambule de l’anthologie Blah ! Blah ! Blah ! (2007), titre
dont la triple exclamation est déjà éloquente : « Ce livre est une contradiction car il
met sur le papier ce qui est dit avec la bouche. » En effet, comment rendre compte, à
travers la forme écrite, de cette vitalité poétique, de ces « énergies rassemblées »
selon la formule de Félix J. ? Comment respecter et mettre en valeur, à travers les
choix qu’implique la publication d’une anthologie, la diversité inhérente au slam ? Et
Félix J. d’inviter aussitôt le lecteur à participer à une slam session, pour vivre
pleinement la poésie qui s’y livre :
« Ce livre vous engage avec ferveur à vous rendre le plus vite possible sur un point
chaud pour en sentir l’atmosphère. » (2007 : 12)
Dès lors, l’anthologie se présente comme le « panorama d’une dizaine d’année de
scènes ouvertes de slam poésie au début des années 2000. » (2007 : 11) Dans cette
perspective, il offre un triple échantillon – textuel (écrit), sonore (oral) et visuel – des
scènes dont il rend compte : le livre comporte en partie centrale une quinzaine de
pages de photos de scènes ; il est accompagné d’un CD réunissant dix des textes de
trente quatre slameurs - dont un collectif* - de toute la France.

Le slam, poésie urbaine (2006) est un album de la collection « Dada », publié


aux éditions Mango. En tant que tel, il se présente comme un album de grand format,
accompagné d’illustrations de Jean Faucheur ainsi que d’un CD. Après un résumé
historique sur les origines et le contexte dans lequel le slam est né aux Etats-Unis,
Nançy-Emmanuelle Gille – en collaboration avec le slameur Lorent – se positionne
d’emblée comme spectatrice et amatrice de slam. Là encore, le maître-mot semble
être la diversité : celles des lieux et des styles, des slameurs et des auditeurs
slamophiles, des registres et des émotions suscitées :
« Aujourd’hui, le slam se déclame dans des bars, des MJC, des écoles, des prisons, des
hôpitaux… Le slam, c’est surtout une tribune ouverte à tous, toutes catégories sociales
confondues pour faire vivre la poésie. On y trouve des familles, des inséparables, des
indépendants, des solitaires, des étudiants, des électrons libres, des trentenaires, des
retraités, des enfants… tous poètes. Et nous, public, jury sommes captivés, attendris,
émus, révoltés, énervés, enthousiasmés, surpris… Et oui, tous ces sentiments peuvent
se bousculer en une seule soirée de slam poésie ! » (2006 : 2)
Si l’impossible exhaustivité d’une telle anthologie est aussi évoquée, celle-ci
rassemble néanmoins : « 19 poèmes que (nous) aimons, tout en sachant qu’il y en a
beaucoup, beaucoup d’autres chaque soir qui résonnent… » L’originalité de cette
approche tient, au-delà du postulat du slam comme poésie urbaine – « De la rue au
59

slam il n’y a qu’un pas » nous précise-t-on – à la forme album qui permet d’intégrer
des aspects graphiques grâce à la collaboration avec l’artiste Jean Faucheur :
« Tour à tour peintre, sculpteur et photographe (…) il fait de la rue son propre musée en
collant ses peintures sur les panneaux publicitaires. C’est vingt ans plus tard qu’il initiera
de jeunes graffeurs à cette pratique du collage sauvage. » (2006 : 3)
Aussi l’album se propose-t-il de faire dialoguer les mots et les images, les textes et
les collages, en une subtile alchimie. Tout se passe comme si les aspects
graphiques amplifiaient la résonance des textes choisis : couleurs contrastées,
collages empreints d’urbanité, jeux graphiques proches du calligramme, et autres
photos insolites, reflètent voire révèlent l’intensité poétique128. En outre, l’album
intègre un CD qui contient l’enregistrement de six des vingt et un textes présentés
dans l’anthologie. A ces éléments péritextuels s’ajoutent, comme pour les deux
autres anthologies, une notice biographique qui vise à présenter sommairement
chacun des auteurs, attestant de la diversité des profils et des parcours :
« Il n’y a donc rien de commun entre ces hommes et ces femmes aux trajectoires
hétéroclites, aux odyssées dissonantes, si ce n’est d’appartenir à un mouvement qui
cultive les rencontres de hasard. » (Martinez, 2007 : 17)

1.4.3. Au cœur du slam : état de l’art

A ce jour, un seul ouvrage se propose de dresser un réel état des lieux du slam
français, outre les quelques anthologies citées : il s’agit de celui d’Héloïse Guay de
Bellissen : Au cœur du slam, Grand Corps Malade et les nouveaux poètes (2009).

Un art qui questionne ou la quête d’une identité poétique

Auteur de la préface, le slameur Ami Karim introduit le sujet en nous en rappelant


les fondements :
« Le slam n’est pas un courant littéraire ; il est la convergence des genres qui
acceptent d’exister en dehors de leurs carcans respectifs. Le slam n’est pas un style
musical, il est un style d’oralité (…). Le slam n’est pas un contenu qu’on fait sien,
c’est un contenant qu’on remplit, une maison qu’on aménage sans cesse avec les
sensibilités de chacun. » (GdB., 2009 : 13-14, nous soulignons)

Puis il passe de l’idée de la convergence à cette image de la confluence qui nous


apparaît précisément emblématique du slam :
« L’endroit où tout peut exister, où les contraires s’attirent, où les différents courants
ne s’opposent pas, mais se complètent pour que de petits ruisseaux continuent à
former de grosses rivières. » (2009 : 14, nous soulignons)

128
Voir en annexe I.4 la mise en page du slam « Dormir » de Nada.
60

Si les formes et les flows* peuvent fluctuer, l’essence du slam se résume alors en
trois mots : « l’écriture, le partage, l’écoute, car le slam est un moment écrit pour être
entendu. » (2009 : 14) En tant que tel, il apparaît comme une forme renouvelée de
poésie orale, d’où le constat suivant : « Que l’oralité s’est simplement trouvé une
nouvelle voix aux multiples visages. » (15) Désireuse de raconter le slam « de
l’intérieur », l’auteure ambitionne de nous faire voyager au travers d’une fable
moderne nourrie de témoignages, bandes sons et autres slams ponctuant chaque fin
de chapitre. Le lecteur y est même invité à écrire son propre slam à mi-parcours,
conformément à l’exigence d’un public actif et impliqué dans la performance : « Là,
au milieu du livre, tu peux écrire ton propre slam. » (92) Par là-même, le slam est
appréhendé comme une démarche fondamentalement interactive. En outre, la
progression adoptée d’après la table des matières nous semble révélatrice d’un art
qui se cherche et qui, en ce sens, questionne quant à ses origines et ses paradoxes :
« Le slam est-il un enfant du rap ? Le slam est-il un art urbain ? Le slam est-il du
cinéma ? Le slam est-il musique, parfois ? » sont autant de questions auxquelles une
série de rencontres et d’entretiens apporteront des éléments de réponse129.

Un art qui sonne et qui résonne/raisonne ou arraisonne130

Héloïse Guay de Bellissen se réfère au sens premier du mot slam en évoquant


« la claque », là où le rap s’apparenterait à « un coup de poing » (2009 : 77). Elle
souligne la valeur performative du slam : « C’est faire et dire à la fois. » (72). Du
slameur au nom de sioux qui a grandement contribué par son succès à la diffusion
du slam en France, elle affirme qu’ « il dégaine ses vers en fixant tour à tour chacun
des invités, qui à leur tour deviennent participants de son histoire. » (25). Elle énonce
alors quelques éléments de définition : « le slam est un art du vivant, un art de
maintenant » (2009 : 40), formule qui fait écho aux propos du fondateur Marc Smith
(voir supra), de la slameuse Lauréline Kuntz et au titre d’un article de presse131 : « Le
slam est instant. Mais l’on peut rajouter : magique. Instant magique. » (126). Non
content de faire sonner les mots – et de laisser du même coup les auditeurs

129
Voir en annexe I.3 la reproduction de cette table des matières.
130
Nous employons ici le verbe arraisonner (1080) au sens original d’ « interpeller quelqu’un », puis
ème
« convaincre par de bonnes raisons » (XIV siècle) attesté par Alain Rey (2007 : 3075).
131
Interview de Grand Corps Malade : « Le slam, c’est l’instantané » (article de Bertrand Dicale, in Le Figaro, 6
mai 2008). A notre enquête sur « Le slam en un mot », Lauréline Kuntz a répondu « immédiateté ». (chapitre 3)
61

« sonnés »132 – le slam résonne au-delà de cet instant scénique par les thèmes qu’il
aborde ou les messages qu’il véhicule, et le slameur raisonne souvent – à travers
une parole poético-réflexive – quant à son écriture et aux enjeux de celle-ci. Enfin, le
slameur se plait à arraisonner ses auditeurs pour les inciter à passer à
l’acte poétique : « Alors à ton tour ouvre les yeux, approche-toi et observe avec
curiosité… » invite un Grand Corps Malade133.

Le slam peut parfois devenir une musique alliant la symphonie des mots et la
couleur des notes pour peu que l’on pose derrière les mots un paysage sonore qui
s’apparente alors à « une sorte de bande originale sur le film d’un récit poétique »
(GdB, 2009 : 120). C’est ainsi qu’il pourra accéder à une dimension universelle. Il
peut en outre révéler des vocations au sens propre et au sens figuré de ce terme,
véritable « laboratoire oratoire qui permet de se trouver, de se révéler. » (124) S’il fait
voler en éclat le quatrième mur cher à Diderot, une certaine théâtralité lui est
inhérente. Chaque slameur a son propre flow*, à l’instar de Dgiz qui manifeste « une
frénésie, il slame comme il parlerait, c’est quelque chose qui coule, c’est incroyable,
c’est une espèce d’avalanche, enfin plutôt comme une chute d’eau. » (144). Le slam
apparaît d’ailleurs comme lieu d’une condensation134 : « le slam, c’est condenser
l’intensité, le livre c’est disperser l’intensité… »135 (144-145). Héloïse Guay de
Bellissen énonce quelques procédés slamologiques136 comme celui d’ « appuyer sur
les consonnes lorsque tu évoques la souffrance » décrit par le slameur Normal (165).
Elle s’interroge en outre sur un « langage propre au slam », à commencer par les
noms de scène (173) :
« Les noms de scène s’appellent des « blases » comme les nobles portaient leurs
armoiries sur des blasons. Le nom d’un slameur, un nom qui sonne comme une image »

Remarquant que le slameur se présente comme « chercheur de phases* » selon la


formule consacrée du slameur au « nom totem » (24), Grand Corps Malade, Héloïse
Guay de Bellissen entreprend alors un « Petit dictionnaire de slam improvisé » :

132
« Avec Nada, j’ai pris une claque phénoménale » admet John Pucc’ dans le film Slam, ce qui nous brûle
(Thomas, 2008).
133
« Le jour se lève » (Midi 20, 2006).
134
Cette image fait écho à notre entretien avec Bas Böttcher et les trois états d’un texte qui correspondraient
d’après lui aux trois états de l’eau, l’état liquide étant obtenu sur la scène. (Entretien du 14/10/10, voir en
annexe III.11)
135
Souleymane Diamanka nous a confié son désir de s’essayer au roman, ce qui reviendrait à « passer de la
piscine à l’océan » (Entretien du 24/09/10, voir en annexe III.9).
136
Nous proposons ce terme néologique par analogie avec l’adjectif rapologique.
62

« Verlan : nom masculin inversé. Le verlan est une forme d’argot français qui consiste
en l’inversion des syllabes d’un mot. C’est l’envers du décor des mots. (2009 : 174)137

A l’image d’une « épidémie qui se propage » – autre formule empruntée à Grand


Corps Malade (2008) –, le slam offre une expérience personnelle qui devient
collective et c’est aussi dans cette articulation qu’il trouve son essence : « Je suis
rentré dans le slam comme on rentre chez soi » explique Da Gobleen (112).
Répondant à une nécessité intérieure, « une évidence poétique qui devient
collective » (210), il a valeur de rituel artistique au dire du slameur Dgiz, comme en
témoignent les formules d’ouverture ritualisées telles que « Slamaleikoum* ! ». Il est
« l’art collectif le plus solitaire ou l’art solitaire le plus collectif » selon la formule
proposée par ami Karim (274). Plus qu’un exutoire, il peut même avoir un but
thérapeutique138 comme le suggère le flyer du slameur grenoblois Mots Paumés139.
Lieu d’une désacralisation de la poésie, il se caractérise paradoxalement par son
indéfinition, à la fois « carrefour des oralités » (222) et « tout est possible littéraire »
(289). Seule l’exigence d’une parole authentique semble incontournable : « Le
slameur, ce n’est pas quelqu’un de passe-partout, mais quelqu’un qui passe partout
où il pourra, pas besoin d’artifice, de déguisement, aucun simulacre. » (92) Si le
slameur « passe partout » en tant qu’il vise à faire circuler la poésie en tous lieux, le
slam est-il pour autant le lieu d’une poésie passerelle voire « passe-partout » ? « Le
verbe est une clé indispensable. Dehors, on nous demande des mots de passe
partout. » slame un Souleymane Diamanka (2007).

Un art vivant et mouvant

Le slam nait dans l’émergence du moment, se vit dans le mouvement et Héloïse


Guay de Bellissen y voit un lien possible avec les marches Surréalistes140. En tant
qu’art vivant et scénique, il est nécessairement mouvant lors de la phase
d’actualisation, et même en amont. Le corps jouant un rôle essentiel sur lequel nous
reviendrons141, le slam impose une poésie vivante et en tant que telle, dynamique.

137
Il nous semble discutable que le terme de « verlan » relève d’un lexique spécialisé. Nous nous proposerons à
notre tour d’élaborer un glossaire terminologique des « mots du slam » (voir notre prochain chapitre).
138
« De l’ex-toxico à une mamie, c’est une vraie guérison pour certaines personnes. Avant d’être un
mouvement artistique, c’est une aventure humaine » (Sancho, cité par GdB, 2009 : 251).
139
Voir en annexe I.5.
140
« Je parle des marches des surréalistes dans Paris et ailleurs, des parcours poétiques. Le slam, c’est des
instants poétiques partout. Et à notre époque, peut-être que oui, c’est un peu surréaliste. » (GdB B, 2009 : 225)
141
Notamment à travers l’élaboration des partitions gestuelles comme explicité dans le prochain chapitre.
63

En outre, il induit une mouvance inhérente à cette la réitérabilité des « trois minutes
reproductibles à l’infini » (GdB, 2009 : 114). Sur scène, l’interprétation se fait
mouvante et évolutive, si bien qu’un même texte peut être slamé très différemment
d’un jour à l’autre, d’un contexte à l’autre, d’un état d’âme à l’autre, d’une couleur
musicale à une autre. Ainsi, « un texte de slam peut revivre et à chaque fois de
manières différentes, hybrides » (306). Il peut être décliné en autant de variations
que de scènes au cours desquelles il est actualisé, a fortiori s’il n’est pas encore fixé
sur un album qui tend à le figer par l’enregistrement, comme nous l’a rappelé Luciole
en entretien142. D’une scène à l’autre, il peut être interprété sous des formes (a
capella, accompagné d’une musique improvisée ou composée, de percussions
corporelles ou beat box…) et des modalités (chanté, chantant, déclamé…) multiples.
Comme art populaire autant qu’éphémère, art du mélange et du métissage, le slam
nous semble avoir quelque chose de warholien à travers les différents habillages –
ou couleurs musicales – qu’un même texte peut revêtir. D’où l’idée du Pop Art
appliqué au lyrisme poétique du slam comme le suggère le titre de l’album du
marseillais Ysae : Pop Art Lyrical (2010). Sur la toile, le slameur Ivy propose
d’ailleurs aux internautes d’habiller musicalement un texte « nu », enregistré a
capella, après l’avoir téléchargé : « La chanson étant a capella, Ivy vous invite à y
ajouter votre touche personnelle : musique, bruit, effets sonores, beat. »143 La
nouvelle version pourra alors faire l’objet d’un enregistrement, les remixes étant
ensuite mis en ligne. « Energie renouvelable » selon le collectif* la « Tribut du
verbe »144, le slam intègre ainsi son public à l’acte de création, conformément aux
ambitions de son fondateur de permettre l’accès de tous à l’acte de ποιεῖν (poiein) :
« Avec le slam, la poésie sort du cercle littéraire et revient là d’où elle n’est jamais tout à
fait partie : chez VOUS »145

Château de sable aux yeux du slameur Rouda146, un slam est aussi éphémère que
volatile, « Papillon en papier » pour Souleymane Diamanka qui métaphorise à son
tour sur le thème du lector in fabula147 : « Même s’il est né de ma plume si tu l’as
aimé et qu’il t’a plu / Ce n’est plus mon poème mais un papillon en papier … » (2007)

142
Entretien du 12/04/10, voir en annexe III.6.
143
Voir le site du slameur, consulté le 19/08/10.
144
Voir le site de ce collectif en sitographie.
145
Slamerica (2008 : 6).
146
« Le conte des 1001 peines » (Musique des lettres, 2007).
147
Souleymane Diamanka avait d’ailleurs proposé un poème collectif sur la toile, chaque internaute ajoutant un
vers à l’amorce « Si on te parle avec des flammes, réponds-lui avec de l’eau » (enquête du 24/09/10).
64

Conclusion partielle

Né aux Etats Unis à la fin du siècle dernier, c’est seulement à l’orée de notre
siècle que la vague du slam a gagné la France via l’Europe où des réseaux
commencent à se tisser. Du combat de boxe d’un Ted Berrigan au papillon en papier
d’un Souleymane Diamanka, que de chemin parcouru, et ce n’est qu’un début aux
dires du créateur Marc Smith qui décrit le slam comme promis à un bel avenir :
« Here to stay ! »148 Au sein de la slam family, la mouvance française tend
aujourd’hui à se singulariser et à se décliner en autant de visages que de slameurs :
« Sur ma route, en cherchant le lapin comme Alice, j’ai rencontré d’autres merveilles,
des noms à rêver dehors : Rouda, Da Gobleen, Souleymane Diamanka… »149 (GdB,
2009 : 18)
Or c’est au cœur-même de cette diversité, de ce mélange potentiellement catalyseur
de créativité, que nous appréhenderons notre objet. Plusieurs indices nous ont mise
sur la voie d’une écriture inventive, à commencer par la façon dont les slameurs eux-
mêmes s’auto-désignent - individuellement (Bas Böttcher se disant Neonomad ou
Rapoet et néologisant à l’envi) ou collectivement (« La Tribut du verbe », « Enterré
sous X ») - et dont ils se voient qualifiés par les journalistes et autres slamophiles
(« Real Worders », « poediseurs »). Il nous appartient désormais de poursuivre ce
voyage Au cœur du slam en le transposant sur le terrain d’une recherche dont le fil
d’Ariane sera la créativité et dont les orientations méthodologiques sont développées
dans notre prochain chapitre.

148
D’après notre enquête écrite du 1/01/11 (voir en annexe III.16). Notons le jeu d’homophonie : here/hear.
Cette formule fait sans doute référence à la chanson « Rock’n’roll is here to stay » (1958).
149
Cette métaphore rejoint la citation que nous avons choisi de mettre en exergue de cette partie et nous
rappelle que le créateur d’Alice n’est autre que l’inventeur du concept de «mot-valise » (voir notre chapitre7).
65

Chapitre 2

Orientations
méthodologiques

2.1. Un objet et une démarche en


3D : Définir, Décrire, Didactiser
2.2. Délimitation du corpus
périphérique/paratextuel
2.3. Description du corpus
principal : textes et vidéos

Illustration : Bas Böttcher, « Taktik »

Photo 3 : Bas Böttcher à l’Amphidice, Université Stendhal


(Grenoble, le 14/10/10)
66
67

« J’écris en français dans une langue étrangère


Une réalité fugitive
Où le mot mirage est un anagramme du mot imager
Qui croyez-vous que je suive ?
J’ai appris pas cœur l’encyclopédie des silences (…)
Qui suis-je ?
Je suis le jumeau que je n’ai jamais eu
Que dis-je ?
Je suis le meilleur ami des mots
Papier à lettre hybride mi-homme mi-encre
Le rêve d’une réponse à demi révélée
Quand l’autre part parle à ma place »150

Dans ce chapitre, nous expliciterons les enjeux d’une démarche en trois temps
(définir, décrire, didactiser) à travers la définition d’un sujet et d’un objet, d’un cadre
théorique et d’un corpus, puis nous préciserons les modalités de recueil et de
traitement de nos données. Ce faisant, nous analyserons les difficultés rencontrées
qui nous semblent inhérentes à l’objet de notre recherche : s’agissant d’une forme
contemporaine et en tant que telle, évolutive, le slam s’avère être un objet complexe
et d’autant plus difficile à cerner qu’il tend à échapper aux normes établies. Cet objet
dont l’identité est encore floue se construit à la confluence de différents champs qu’il
nous appartiendra d’explorer pour mieux l’appréhender. En d’autres termes :
« Nous sommes immanquablement poussés à la bordure de notre méthodologie par
l’objet de recherche lui-même, qui nous montre le lien inviolable qu’il convient d’établir
entre une production humaine et son contexte anthropologique, entre l’expliquer et le
comprendre. » (Gasquet-Cyrus et al., 1999 : 18)
Tendant par essence à l’ouverture et à l’indéfinition, le slam représente un objet
hybride et polymorphe qu’il conviendra d’envisager à travers ses différentes formes :
il s’agit d’un objet pour ainsi dire en trois dimensions dans la mesure où le texte
existe en tant que tel, écrit sur le papier, avant d’être actualisé sur scène, vocalisé et
gestualisé. Afin de rendre compte de ces trois états, notre corpus comporte des
extraits vidéo ainsi que des enregistrements audio de textes et d’entretiens, sans
oublier des reproductions de manuscrits. Ces derniers font partie intégrante d’un
corpus périphérique que l’on peut qualifier d’épitextuel selon la terminologie
genettienne. Quant à notre corpus principal (textuel), il est constitué d’une part de
textes variés visant à rendre compte d’une diversité de styles et de procédés créatifs,
d’autre part de trois études de cas ou études de répertoires de slameurs151.

150
John Banzaï et Souleymane Diamanka, J’écris en français dans une langue étrangère (2007 : 64)
151
Nous empruntons ce terme à la terminologie du conteur.
68

2.1. Un objet et une démarche en 3 D : Définir, Décrire, Didactiser

2.1.1. Définir

Dans un premier temps, il s’agit de mieux cerner – sinon dé-finir – un objet qui
tend a contrario à échapper à toute définition comme en témoignent ces mots du
slameur lyonnais Lee Harvey Asphalte :
« Appelle-moi… / Poésie sans cage / Langage instable / ou grain de sable / dans
l’engrenage / Finalement, ne m’appelle pas / Ne me nomme pas / Puisque je suis cette
poésie de rue / Qui ne dit pas son nom »
Si certains textes de slam traduisent un questionnement identitaire, c’est aussi la
quête d’une identité artistique qui caractérise le slam contemporain. Certes, il est
encore peu représenté dans les publications et les médias en dehors de Grand
Corps Malade et d’Adb al Malik – que les journalistes hésitent d’ailleurs à catégoriser
comme slameur – mais déjà très présent sur la toile. Aussi les ressources en ligne
ont-elles été précieuses pour nos investigations, témoignant de la vitalité du
phénomène dans l’univers contemporain.152 D’une manière générale, nous avons
privilégié les documents audio-visuels permettant de rendre compte des aspects
sonores et mimogestuels. A cet égard, les documentaires153 présentent un intérêt
certain, mêlant des extraits de scènes aux témoignages des acteurs et activistes du
slam. Les quelques ouvrages consacrés au slam ont été une première entrée pour
constituer notre corpus textuel mais aussi une ressource péritextuelle. Aussi les
préfaces – qu’elles soient auctoriales, éditoriales ou encore allographes (Genette,
1987 : 14) –, les titres et les noms des slameurs ont-ils retenu notre attention154. En
outre et dans une perspective définitoire, nous avons élaboré un glossaire
terminologique (non exhaustif) des « mots du slam », conçu à la croisée d’un
technolecte du rap sur lequel nous reviendrons155, d’un lexique du slam en devenir et
d’autres lexiques faisant état de variations diastratiques comme le Lexik des cités
(2007) pour reprendre le titre d’un ouvrage paru récemment156. Nous avons donc
construit notre propre glossaire en croisant les données collectées dans le « Petit
dictionnaire slam improvisé » (GdB, 2009 : 174) – qui ne comporte que trois

152
Nous avons ainsi eu recours, de manière sélective, à des articles publiés sur la toile (voir notre sitographie).
153
Voir notre prochain chapitre.
154
Les noms de slameurs ou collectifs* feront d’ailleurs l’objet d’une activité dans le cadre de notre séquence
pédagogique (chapitres 12 et 13).
155
Voir notre chapitre 5. A ce technolecte plus ou moins commun s’ajoutent des idiolectes et technolectes
propres à chaque slameur, liés à leurs expériences et domaines d’activités (voir par exemple notre chapitre 9).
156
Voir aussi Goudaillier et son dictionnaire du Français Contemporain des Cités (1997).
69

entrées157 –, dans le lexique intégré au livret Ecrire et Dire (129H, sd : 77) – plus
conséquent puisqu’il en intègre neuf relevant cependant de champs très divers158 –
et dans l’Abécédaire d’Arte.tv – plus complet (65 entrées) mais ne rendant pas
forcément compte des spécificités du slam français159 – à nos propres rencontres
lexicales commentées au fil de cette recherche160.

2.1.2. Décrire

Au vu d’un état de l’art pour le moins sommaire, nous nous sommes intéressée à
des axes de recherches susceptibles d’éclairer notre objet de manière indirecte. Ainsi
avons-nous alimenté notre réflexion d’apports théoriques relevant de champs divers
(la poétique, la sociolinguistique voire la sociologie, la lexicologie, la phonétique et la
phonologie, la pragmatique, la didactique) appliqués à des objets présentant des
traits communs avec notre sujet : la tradition/la poésie orale, le rap, la chanson,
l’écriture surréaliste et l’Oulipo… Autant d’éclairages qui nous permettront de
progresser dans l’élaboration d’une poétique du slam, terme sur lequel nous
reviendrons régulièrement au fur et à mesure de cette étude. A ce stade de notre
réflexion, nous pouvons formuler un double enjeu :
- D’une part, il s’agira de mettre en évidence d’éventuelles récurrences – traits poétiques
ou régularités stylistiques – au sein d’un corpus hétérogène et dont l’hétérogénéité
même nous semble emblématique.

- D’autre part, nous nous attacherons à décrire le phénomène de néologie – en tant que
fondement potentiel de cette poétique – et les diverses formes de créativité lexicale
telles qu’elles se manifestent dans les textes de slam.

Cette dimension de description poético-linguistique s’appliquera à un triple corpus :


1. Un corpus « périphérique » paratextuel (Genette), comprenant un corpus médiatique
support d’une étude lexicologique du mot « slam »161 ;
2. Un corpus « générique » qui nous permettra de mieux définir notre objet et de
commencer à explorer la diversité des procédés créatifs à l’œuvre ;
3. Un corpus « spécifique » (néologie) ainsi qu’une analyse du répertoire de trois
slameurs (études de cas) qui nous permettront d’approfondir la notion de néostyle162.

157
Verlan, blases*, phases*.
158
Filage, flow*, larsen, mesure, oulipien, punch-line, quatrain, rime, slash.
159
Voir en sitographie « le Slam de A à Z » sur le site d’Artetv. Ce lexique est axé sur la dimension compétitive
du slam et comporte des entrées non spécifiques (zozoter).
160
Voir par exemple le commentaire du syntagme (chercheur de) phases* dans notre chapitre 10.
161
Corpus que nous délimiterons ultérieurement (chapitre 6).
70

Nous avons donc constitué ce corpus en veillant à rendre compte de la diversité à


l’œuvre dans le slam français, à rebours de la focalisation médiatique sur le slameur
français considéré comme prototypique, dont nous analyserons cependant les textes
afin de
e les confronter à d’autres styles.

Corpus périphérique (A) Corpus générique (B) Corpus spécifique (C)

Péritexte Epitexte Vidéos Textes Textes Paratexte

Anth. Albums/Enr.

Titres Noms Entretiens


tiens Articles Formes néologiques Néostyles Noms Titres

Préfaces/notes Clips Scènes/concerts

Définitions Documentaire
Documentaires Répertoire MP Répertoire SD
Répertoire GCM
Corpus didactique (D)163
Figure 1 : Répartition des corpus A, B, C et D

Notons la présence d’intersections entre les données relevant de ces trois


ensembles,, le corpus didactique utilisé dans le cadre de nos expérimentations se
construisant précisément à la coïncidence des trois autres :

Corpus A

Corpus
D
Corpus C

Corpus B

Figure 2 : Représentation
eprésentation du chevauchement partiel entre nos corpus

162
Nous n’avons cependant retenu que les textes publiés (sur papier ou au sein d’un album) à l’exception
d’autres textes slamés sur scène ou présentés
pr sur la toile (voir infra pour la justification de ce choix).
163
Le corpus utilisé pour la séquence didactique emprunte aux trois autres corpus.
71

2.1.3. Didactiser

Enfin, le troisième temps de notre démarche a consisté en l’élaboration d’un


protocole expérimental visant à didactiser le slam, ou à formaliser des approches
didactiques émergentes menées dans le cadre d’ateliers slam. Dans cette
perspective, nous avons expérimenté conjointement deux séquences didactiques
destinées à des publics diversifiés d’apprenants en situation d’apprentissage du
FLE/FLS ou FLM : des élèves nouvellement arrivés en France accueillis en CLIN
(CLasse d’INitiation au Français) et des étudiants du Centre Universitaire d’Etudes
Française de Grenoble (FLE/FLS) ; des élèves de première scolarisés en lycée
professionnel (FLM/FLS). Ce parcours didactique nous a conduite à envisager des
variations du dispositif selon le contexte d’enseignement du FLE au FLM, en passant
par le FLS, tout en tenant compte de l’âge des apprenants.

2.2. Le corpus périphérique (paratextuel)

2.2.1. Le paratexte : éléments de définition

Paratexte textuel, factuel, actuel

Gérard Genette a consacré un ouvrage à ce qu’il appelle les Seuils du texte qui
représentent autant d’entrées possibles pour le public dans un texte, quel qu’il soit :
« Ce texte se présente rarement à l’état nu, sans le renfort et l’accompagnement d’un
certain nombre de productions, elles-mêmes verbales ou non, comme un nom d’auteur,
un titre, une préface, des illustrations, dont on ne sait pas toujours si l’on doit ou non
considérer qu’elles lui appartiennent mais qui en tout cas l’entourent et le prolongent,
précisément pour le présenter au sens habituel de ce terme, mais aussi en son sens le
plus fort : pour le rendre présent, pour assurer sa présence au monde, sa « réception »
et sa consommation… » (1987 : 7)
Force est de constater que le texte de slam peut se présenter sous des formes
diverses et des supports variés – au sein d’un livre, d’un album ou d’une compilation,
d’une vidéo, sur scène ou sur la toile. Il fait aussi – et surtout – l’objet d’une
représentation visant à le rendre vivant, à l’animer au sens premier de ce terme.
Dans ces conditions, un paratexte que l’on peut qualifier de factuel (Genette, 1987 :
13) s’ajoute au paratexte proprement textuel. « Tout contexte fait paratexte » affirme
Genette (1987 : 11). De fait, le contexte scénique, les transitions verbales d’un texte
à l’autre, les formules rituelles, annonces et introductions auctoriales (d’un slam par
son auteur) ou autres (par l’animateur* d’une scène) jouent un rôle non négligeable,
72

contribuant à ouvrir un horizon d’écoute164 adéquat.


uat. A titre d’exemple, le slameur
Lyor nous a confié la formule qu’il utilise en prélude de son texte « Barbareurs »
(sur)chargé en néologismes : « A vos décodeurs ! »165. Notons enfin que le paratexte
textuel pourra excéder le support papier ou CD pour accéder au format
électronique sur la toile, tant il est vrai que la totalité des slameurs rencontrés
disposent d’une page Myspace ou d’un blog :
« Les voies et moyens du paratexte se modifient sans cesse selon les époques, les
cultures, les genres, les auteurs, les œuvres » (Genette, 1987 : 9)
Cependant – et même si nous nous réservons la possibilité de faire référence à des
éléments de ce paratexte actuel mais souvent instable voire éphémère166 –, notre
corpus périphérique
riphérique sera principalement constitué d’éléments paratextuels
traditionnels tels que les noms et titres ainsi que les notes de bas de page et les
préfaces qui relèvent du péritexte, ou encore les entretiens et manuscrits
appartenant à l’épitexte. En effet,
e pour Genette (1987 : 11),, le paratexte répond à
l’équation suivante : « paratexte = péritexte + épitexte »
Il est donc constitué :
- d’une part, du péritexte,
péritexte soit des éléments situés « autour du texte, dans l’espace
du même volume, comme le titre ou la préface, et parfois inséré(s) dans les
interstices du texte, comme les titres de chapitres ou certaines notes » ;
- d’autre part, de l’épitexte, soit de « tous les messages qui se situent,
situen au moins à
l’origine, à l’extérieur du livre : généralement sur un support médiatique
(interviews, entretiens), ou sous le couvert d’une
communication privée (correspondances, journaux
intimes, et autres) ». (10)

Ces deux versants nous permettront d’analyser le slam


comme lieu d’une réflexivité qui se manifeste au seuil du
texte comme en son sein.

Photo 4 : Extrait du bloc-notes


de Souleymane Diamanka

164
Nous reviendrons sur ce concept que nous proposons dans la lignée de celui d’horizon d’attente.
d’attente
165
Voir ce texte en annexe V.8.
166
A titre d’exemple, le poème interactif de Souleymane Diamanka cité à la fin de notre précédent chapitre
(« Si on te parle avec des flammes, réponds avec de l’eau… ») est aujourd’hui indisponible sur la toile.
73

Le péritexte

En ce qui concerne le péritexte, nous envisagerons les noms de collectifs et


autres titres d’albums comme lieu privilégié de créativité voire d’équivoque :
« L’ambiguïté peut aussi être visée par la formule titulaire elle-même, par présence d’un
à plusieurs mots à double entente » (Genette, 1987 : 80-81)
En outre, nous analyserons plus précisément (voir infra) les éléments
caractéristiques de l’album Slamérica d’Ivy. Inséré dans un opuscule de 115 pages,
cet album se présente en effet comme un objet-livre à part entière au sein duquel le
paratexte se déploie en tant que tel :
« Le paratexte est donc pour nous ce par quoi un texte se fait livre et se propose comme
tel à ses lecteurs, et plus généralement, au public. » (Genette, 1987 : 7)
Au cœur de ce livre-album, les notes assurent diverses fonctions parmi lesquelles
celle de modulations du texte (nous soulignons) révélant différentes strates :
« Comme on le voit, la note est, du paratexte, un élément passablement élusif et fuyant.
Certains types de notes, comme l’auctoriale ultérieure ou tardive, remplissent bien une
fonction paratextuelle, de commentaire défensif ou auto-critique. D’autres, comme les
notes originales à textes discursifs, constituent plutôt des modulations du texte, guère
plus distinctes que ne serait une phrase entre parenthèses ou entre tirets. » (1987 : 314)

L’épitexte

Quant à l’épitexte, nous nous intéresserons d’une part aux entretiens et


témoignages recueillis dans le cadre de notre recherche, d’autre part à des écrits de
slameurs, qu’ils aient fait l’objet de publications ou qu’ils nous aient été présentés de
façon inédite lors des entretiens : Almuth Grésillon (1994) qualifie de genèse externe
les premiers et de genèse interne les seconds. Si l’on se réfère à la terminologie
genetienne, les manuscrits et brouillons167 que nous analyserons relèvent parfois du
péritexte168, et plus généralement d’un avant-texte (Genette, 1982 : 10) 169
. Si tous
les slameurs s’accordent à reconnaître l’importance de ces traces manuscrites que
constituent ces brouillons et autres griffouillis – selon le mot d’Aragon –, certains
d’entre eux nous ont ouvert leurs blocs-notes afin de nous éclairer sur la genèse de
leurs textes et toute la recherche qui s’élabore en amont, ainsi que sur leur mise en
espace sur la page. Nous émettons l’hypothèse que celle-là reflète la géographie

167
Grésillon distingue le brouillon « avec ce que l’étymologie du terme évoque à la fois de boue et
d’ébullition » (1994 : 33) du manuscrit qui ne véhicule pas les mêmes connotations d’ « une écriture en
gestation, traversée de ratures et d’hésitations » (71). Nous emploierons le terme de brouillon pour désigner
les traces préparatoires, et celui de manuscrit pour la forme plus aboutie, volontiers exhibée voire publiée.
168
Le recueil J’écris en Français dans une langue étrangère intègre des pages du manuscrit (voir infra), de
même que Frédéric Nevchehirlian sur son blog.
169
S’agissant des blocs-notes de Souleymane Diamanka par exemple.
74

d’un texte et qu’en tant que telle, anticipe sur l’oralisation qui est d’emblée posée
comme finalité. En d’autres termes, la voix – son intensité, son tempo et son débit,
ses intonations et ses silences – et le flow* du slameur semblent d’ores et déjà
perceptibles en filigrane à la lecture du texte manuscrit. Enfin, un corpus d’articles
de presse, ajouté à des définitions de dictionnaires, mais aussi de slameurs et autres
acteurs du slam, nous permettront de développer une analyse lexicologique du mot
slam et des représentations associées.

2.2.2. Le péritexte : flyers, noms de scènes, titres, préfaces et notes

Flyers et affiches

Flyers et affiches destinés à une diffusion papier ou sur


la toile le cas échéant constituent un lieu foisonnant de
créativité : nous en avons sélectionné un échantillon, en
vertu de critères essentiellement lexicologiques, dont la
reproduction figure en annexe I.6 et dont l’analyse sera
disséminée dans notre étude. Ils nous offriront un aperçu de
la créativité lexicale à l’œuvre dans et autour du slam, voire
à partir du lexème slam lui-même170. Document 1 : Exemple de flyer
Noms de scène

Certains noms de scènes choisis par les slameurs ou collectifs, ainsi que la
façon dont ils s’auto-désignent dans leurs textes, font référence à des traditions
ancestrales. Après les « Fabulous Trobadors »171 qui s’inscrivent dans la lignée de la
tençon des trobadors occitans, des slameurs de Limoges ont choisi le nom de scène
de « Slamtimbanques »172. En remontant plus loin vers les origines, « La tribut du
verbe »173 est un collectif* de slameurs rhônalpins qui se posent en nouveaux
tribuns :
« Le slam a une importance dans l’espace démocratique, comme lieu de rencontres et
d’expressions libres. En cette époque aux identités, tant individuelles que collectives,
troublées, voire effacées, le slam peut contribuer à fonder de la communauté et à
cultiver la liberté. Le slam en tant que forme d’expression citoyenne a sa place dans
170
Voir à ce sujet notre chapitre 6.
171
Groupe de musique toulousain, attaché au quartier Arnaud-Bernard et fondé en 1987, ayant développé un
style particulier basé sur la déclamation de textes en langue toulousaine, le folklore occitan et les rythmes du
Nordeste du Brésil (source : Wikipedia, consulté le 26/08/10)
172
Voir la page Myspace de ce collectif* (voir notre sitographie).
173
Nous reviendrons sur la forme néologique de ce nom (la tribu/l’attribut) dans notre deuxième partie.
75

l’espace de la démocratie, où les aires d’expression libre ne sont pas légions, en ces
temps impériaux et impérieux tout en sauts périlleux. Le slam peut être vu comme un
acte citoyen. »174
Quant à Marco DSL, « Vers sain rhétorique », il se réfère à l’époque de Vercingétorix
– comme l’indique le jeu de paronomase – et de Lugdunum dont il est originaire.
Enfin, un collectif* de Chambéry a repris les premiers mots de la comptine enfantine
« Am stram gram » en adoptant le nom « Am slam gram »175, ce qui n’est pas sans
évoquer une éventuelle filiation avec ce type de tradition orale176. Le tableau suivant
rassemble les noms de scène de tous les slameurs et slameuses présent(e)s dans
l’anthologie Slam entre les mots (2007).
Nom de scène Prénom / Nom Sexe
(M/F)
Nada Pascal Richel M
Julien Delmaire M
Lola Pepper Laurence Berlanger F
Tô Antoine Faure M
Hocine Ben Benmebrouk M
Loubaki David Loussalat M
Khulibai Cyrille Lacroix M
Luciole Lucile Gérard F
Damien Noury M
Kawtar F
Cyclic Paul Bertrand M
Neggus Ihou Komivi M
P’tite Mouette Fanny Fageon F
Suerte Romain Boulmé M
Säb Sabine Vadeleux F
Salä M
Le Moineau Hugo Duarte de Almeida M
Candy Candiie Nguyenviet F
Ange Angélique Condominas F
Sandra Brechtel F
RiM Amélie Picq Grumbach F
Marie Pestel F
Frédéric Nevchehirlian M
Tableau 1 : Les slameurs et leurs noms de scène dans Slam entre les mots (2007)

On observe que 18 sur 23 (soit plus de 78%) ont adopté un nom de scène distinct de
leur nom réel, qu’il s’agisse d’un diminutif (Säb, Ange, Hocine Ben…), d’une
référence culturelle (« Neggus » a été choisi en référence au titre que portaient les
empereurs en Ethiopie177) ou familiale (« Le moineau »178) ou encore d’une allusion à

174
Blog du collectif* (voir notre sitographie)
175
Voir la page Myspace de ce collectif* (voir notre sitographie).
176
Voir à ce sujet notre chapitre 8 pour l’analyse de procédés comme celui-ci qui renvoient à la tradition orale :
« Comme un souffle au cœur. Au cœur de la ville… » (Mots Paumés, « Apnée », nous soulignons).
177
Slam entre les mots (2007 : 131).
178
« Le moineau était le surnom de mon grand-père qui adorait siffler. Quant à moi, j’ai choisi de piailler des
mots en slamant. » (2007 : 157)
76

l’écriture (« RiM »179). En ce qui concerne les slameurs que nous avons rencontrés à
l’occasion de notre enquête, notons que les deux tiers ont choisi un nom de scène ou
blase* distinctif : Mots Paumés (Maupomé), Boutchou (Bouchoueva), Marco
DSL/Vers Saint Rhétorique, Narcisse, Ivy, Rouda, Lyor, Luciole, Barbie tue Rick,
Grand Corps Malade180.

Titres

Par ailleurs, les titres d’albums, compilations, anthologies ou recueils nous


semblent révélateurs de certains points d’ancrage, comme en atteste ce tableau :
Titres d’albums solo, compilations (*), Auteur Année de
181
anthologies (**), recueils (***) sortie
Le face à face des cœurs Abd al Malik 2004
Vibrion Nevchehirlian 2005
Original slam, poésies urbaines* Collectif* 2006
Allons à l’essentiel… Marco DSL 2006
Le slam, poésie urbaine** N.E. Gilles/J.Faucheur (ill.) 2006
Midi 20 Grand Corps Malade 2006
Blah blah blah ! ** Collectif* 2007
Slam entre les mots** Stéphane Martinez (dir.) 2007
J’écris en français dans une langue étrangère*** John Banzaï/Souleymane 2007
Diamanka
Tout feu tout slam* Collectif* 2007
L’Hiver Peul Souleymane Diamanka 2007
Musique des lettres Rouda 2007
Gibraltar Abd al Malik 2007
Enfant de la ville Grand Corps Malade 2008
Ombres Luciole 2008
Slamérica*** Ivy 2008
C’est qui le capitaine ?*** Katia Bouchoueva 2009
Monde nouveau monde ancien Nevchehirlian 2009
Dante Abd al Malik 2009
Songes déments Mots Paumés 2009
Neonomade Bas Bottcher 2009
Pop art lyrical Ysae 2010
Loverdose John Banzaï 2010
Troisième temps Grand Corps Malade 2010
Textes à claques Collectif* 2010
LittORAL Souleymane Diamanka A paraître
Bouchazoreilles* Collectif* Sans date
Tableau 2 : Titres d’albums, compilations, anthologies, recueils182

A titre d’exemples, C’est qui le capitaine ? et Bouchazoreilles illustrent l’empreinte


fondamentale de l’oralité dans le slam. Dans la lignée du concept

179
Ecriture dite « phonétique » comme nous le vérifierons à travers l’étude du texte « D chiffres et D lettres ».
180
Voir le tableau de synthèse de ces entretiens (page 82) et notre prochain chapitre.
181
Nous appelons « anthologie » un ouvrage écrit rassemblant des textes d’auteurs différents et « recueil » une
publication regroupant les textes résultant d’un même slameur ou d’une écriture « à quatre mains ».
182
Inventaire non exhaustif : nous avons essentiellement répertorié les publications des slameurs retenus pour
l’élaboration de notre corpus (voir infra).
77

d’oralittérature proposé par le slameur Souleymane Diamanka183, le titre de son


prochain album – LittORAL – reflète le caractère hybride du slam poésie qui se
construit entre écriture et oralité, entre littoral sénégalais des origines et littoral breton
du pays d’accueil. Certains titres amorcent une définition du slam : en témoignent les
formules Musique des lettres et Pop Art Lyrical. Les anthologies Slam entre les mots
et Le slam poésie urbaine évoquent des traits définitoires sur lesquels nous
reviendrons. D’autres formules titulaires (Genette, 1987 : 80-81) traduisent l’ancrage
dans un lieu, voire l’enjeu identitaire : J’écris en français dans une langue étrangère,
L’Hiver Peul, Enfant de la ville. Quant au titre Dante, il fait référence au premier
auteur qui a choisi d’écrire dans la langue populaire, l’italien en l’occurrence. Enfin,
nombreux sont les titres fondés sur un oxymore ou une antithèse (Songes déments,
Monde nouveau monde ancien), ou une métaphore tels Ombres, Midi 20 ou Vibrion.
Ce dernier évoque un potentiel néologique exploré par des slameurs comme le
québécois Ivy (Slamérica), l’allemand Bas Böttcher (Neonomade), John Banzaï
(Loverdose). Les compilations Tout feu tout slam et Textes à claques sont des
exemples de délexicalisation, ce dernier faisant référence au sens premier du lexème
slam184. Autant de manifestations de créativité lexicale que nous approfondirons
dans notre deuxième partie, à travers l’analyse d’un second niveau de titres - les
titres des slams - dont l’importance est soulignée par les slameurs : « Souvent,
explique Souleymane Diamanka, je fonctionne par rapport au titre, je me dis que le
titre doit être assez évocateur pour contenir le poème. » Il s’agit alors d’ « écrire le
poème à reculons jusqu’à retrouver l’émotion que donne le titre. » (GdB, 2009 : 152)

Préfaces, illustrations et notes

Le péritexte est l’un des éléments clés de l’album-recueil d’Ivy, Slamérica (2008).
Au sein d’une préface intitulée « Slam à l’horizon » – filant la métaphore du titre de
l’album sous lequel Ivy désigne un « continent qui s’apprête à s’ouvrir à vos oreilles
et sous vos yeux » (7) – le poète slameur nous donne sinon des clés de lecture, du
moins des conseils en vue d’une exploration de ce continent au nom-valise. Voyage
au cours duquel le texte et son enregistrement sont d’importance égale :
« Vous tenez entre vos mains un livre et un CD (…) Vous n’êtes en rien tenu d’écouter
le disque ; le livre seul suffit. Rien ne vous force à continuer de lire le livre, le disque est
un objet en soi. » (2008 : 5)

183
Voir notre chapitre 4.
184
Voir notre chapitre 6.
78

Et le slameur de poursuivre son prologue en nous invitant à conjuguer ces deux


postures afin de goûter à l’«
« esprit qui anime les slams de poésie » :
« Toutefois, si vous faites les deux – lire le livre en écoutant le disque – vous
découvrirez un troisième objet artistique : VOUS. Et c’est de loin le plus important. Sans
VOUS, le livre reste lettre morte, le disque un vulgaire objet circulaire.
circulaire. (…) En lisant les
passages sur des instrumentaux, vous incarnez la parole poétique dans votre intimité.
Littéralement, vous êtes devenu le théâtre des opérations. » (2008 : 6)
Au dire d’Ivy, le slam représente « davantage une façon d’écouter la poésie que d’en
faire » ou encore « une manière unique d’appréhender la poésie et de la mettre en
jeu ». Chantre
hantre moderne du lector in fabula, le slameur ne manque pas une occasion
d’interpeller le lecteur ou de le mettre à contribution en usant des ressources
ressour
péritextuelles telles les notes de bas de page. De fait, les notes tendent à déborder
sur le texte et concentrent l’humour du poète tout en nous invitant à la réflexivité :
3
« Je prends la gênante liberté de me citer moi-même,
moi même, non pour souligner mon naturel
génie (je vous taquine), mais pour vous inciter à lire mon article (…) » (2008 : 6)
Elles ont valeur de parenthèses discursives ou encore, pour reprendre
reprendre la formule de
Genette de modulations
lations du texte (1987 : 314). A ce titre, elles peuvent être
considérées
sidérées comme partie intégrante du texte, comme un texte sous le texte.
texte Ainsi la
note développée à la page 14 propose-t-elle
propose elle une réécriture d’un vers du poème :
« S’enlacer, c’est pas assez, c’est si bon –cécité » dit le texte ; « S’enlacer, c’est pas
assez, c’est si bon, c’est cité » ajoute la note185.

Document 2 :
Extrait du
livre-album
Slamérica
(Ivy, 2008)

185
« Dire » (voir le texte en annexe IV). Dans un autre slam, il réduit par une rature – tout en le mettant ainsi en
valeur – ce procédé d’homophonie : « Tu ne feras pas cent kilo-Mètres / Maître » (2008 : 39, nous soulignons).
79

Plus qu’un autre, Ivy utilise les ressources de l’objet-livre comme en témoigne cette
double page. Outre les citations mises en exergue, nous avons relevé des jeux sur la
typographie visant à mettre en relief certains mots (DIRE, MOI, NOUS)186, des effets
d’iconographie (2008 : 44) et notes de bas de pages soulignant les jeux de
polysémie, d’homophonie et équivoques. Tout se passe comme si le slameur prenait
soin de construire, à l’orée de son album, un horizon d’écoute en posant des jalons
sur la façon dont il conçoit son art, le contexte dans lequel il s’inscrit. Les citations
mises en exergue – Walt Whitman, Jean-Paul Daoust, Jacques Cartier, Andy
Warhol, pour la seule préface – ajoutées aux photos ou montages iconographiques
sont autant d’éléments constitutifs de cet horizon. Autant de manières d’inviter le
lecteur/auditeur à lire entre les lignes, entre les mots, entre les notes…

2.2.3. L’épitexte : entretiens

Les entretiens : méthodologie

D’une manière générale, nous avons adopté une posture dite « intérieur-
extérieur » pour notre enquête : nous avons assisté avec assiduité à des scènes
diverses et variées afin d’être intégrée à la communauté de slameurs et d’en saisir
l’atmosphère. D’après Blanchet :
« Je ne crois pas qu’on puisse enquêter efficacement et étant exclusivement à l’intérieur
de la communauté ni, à plus forte raison, exclusivement à l’extérieur. » (2000 : 44)
Notre étude touche ainsi à l’ethnométhodologie en se confrontant aux concepts de
réflexivité187 et d’indexicalité188. Le discours élaboré par les enquêtés nous a aidée à
enrichir notre perception de certaines notions rassemblées dans notre glossaire.
Au sein de notre enquête, nous avons fait le choix méthodologique de privilégier
les entretiens avant d’en arriver à des questionnaires écrits :
« Chaque technique représente une situation interlocutoire particulière qui produit des
données différentes : le questionnaire provoque une réponse, l’entretien fait construire
un discours. (…) L’entretien s’impose chaque fois que l’on ignore le monde de référence
ou que l’on ne veut pas décider a priori du système de cohérence interne des
informations recherchées. » (Blanchet & Gotman, 2005 : 40, nous soulignons)

186
Le slameur nous a écrit (enquête du 15/09/10, annexe III.8) que ces jeux de typographie sont « autant
d’indications que les mots veulent sortir de la page ».
187
Coulon (1987 : 37-38) définit cette notion comme « l’équivalence entre décrire et produire une interaction,
entre la compréhension et l’expression de cette compréhension ».
188
Entendue comme « les déterminations qui s’attachent à un mot, à une situation (…). Bien qu’un mot ait une
signification transsituationnelle, il a également une signification distincte dans toute situation particulière où il
est utilisé » (Coulon, 1987 : 29). Le discours élaboré par les enquêtés nous a aidée à enrichir notre perception
de certaines notions rassemblées dans notre glossaire.
80

S’agissant d’interroger des acteurs du slam sur leurs représentations et leurs


pratiques, l’entretien nous est apparu comme la modalité adéquate :
« L’enquête par entretien est l’instrument privilégié de l’exploration des faits dont la
parole est le vecteur principal. Ces faits concernent les systèmes de représentations
(pensées construites) et les pratiques sociales (faits expérienciés). » (Blanchet &
Gotman, 2005 : 25, nous soulignons)
« Improvisation réglée » d’après Bourdieu (1980), l’entretien est rencontre et
parcours (Blanchet & Gotman, 2005 : 22). En tant que tel, il nous a permis d’accéder
au cœur du slam pour paraphraser le titre de l’ouvrage cité (GdB, 2009) qui s’est elle
aussi livrée à une série d’entretiens. Dans le cadre de notre recherche, la
méthodologie de l’entretien s’est avérée pertinente pour faire émerger le sens donné
par les slameurs au slam en général et à leurs créations en particulier :
« L’enquête par entretien est ainsi particulièrement pertinente lorsque l’on veut analyser
le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques (…), lorsque l’on veut mettre en
évidence les systèmes de valeurs et les repères normatifs à partir desquels ils
s’orientent et de déterminent. » (Blanchet & Gotman, 2005 : 27, nous soulignons)
Plus que des systèmes de valeurs ou des repères normatifs dont la plupart des
slameurs tendent a contrario à s’abstraire, les entretiens visaient notamment à
explorer les références culturelles sous-jacentes à leurs œuvres. Ils nous ont aussi
permis de réfléchir à l’articulation entre l’expérience poétique individuelle et les
enjeux collectifs, de mieux appréhender les traductions personnelles et artistiques
d’un phénomène socioculturel. En amenant les slameurs à s’exprimer non seulement
sur leur conception du slam et leur expérience en la matière, mais aussi sur leurs
propres textes à partir d’exemples précis, nous visions une forme d’objectivation :
« L’objectivation renvoie au fait que, lorsqu’il parle, l’interviewé ne livre pas un discours
déjà constitué mais le construit en parlant (…) » (Blanchet, 2000 : 29)
Le fait est que la plupart des slameurs qui se sont soumis à notre enquête s’y sont
prêtés avec le plus grand intérêt189. Aussi avons-nous pu expérimenter « la co-
construction de l’objet discursif » en tant qu’elle « accroît la part de réflexivité », et
ce, pour l’enquêté comme pour l’enquêteur190.

Les premiers entretiens de notre enquête (2008) ont eu une visée exploratoire :
ils nous ont amenée à mettre en lumière des aspects auxquels nous n’avions pas
pensé a priori, à compléter des pistes de réflexion induite par notre étude des textes

189
Ainsi Souleymane Diamanka nous a-t-il confié que les entretiens comme celui-ci l’aidaient à progresser dans
sa réflexion poétique.
190
Selon le titre de l’article de Dabène & Grossmann (1996 : 80). Bien que cet article s’applique à des situations
didactiques, nous y avons trouvé des orientations méthodologiques adéquates à notre enquête.
81

de notre corpus principal. En tout état de cause, nous avons fait de ces entretiens –
en tant qu’élément épitextuel – un usage complémentaire :
« L’entretien dirigé est conçu comme un moyen d’obtenir des données discursives
susceptibles d’éclairer des aspects non directement observables des phénomènes
étudiés » (Dabène & Grossmann, 1996 :79)
En l’occurrence, notre analyse des textes de ces slameurs méritait un éclairage de la
part de leurs auteurs, sur des aspects conceptuels – quant au slam en général – et
génétiques – sur la genèse de leurs textes en particulier. Ils nous ont permis de
confronter notre analyse préalable à une autoanalyse de la part des slameurs. En
d’autres termes, il s’agissait de contextuer, de confirmer ou d’infirmer les hypothèses
émises en amont à partir de nos sources principales191.

Si « l’entretien convient à l’étude d’un individu ou d’un groupe restreint »


(Blanchet & Gotman, 2005 : 41), nous nous sommes livrée à quelques enquêtes par
questionnaire écrit, de façon complémentaire. Ils sont intervenus ultérieurement dans
notre démarche, une fois les premiers jalons posés et en fonction d’obstacles liés à
la distance géographique192 : « Les questionnaires sont alors fondés sur des indices
recueillis sur le terrain de façon de plus en plus cadrée. » (Blanchet, 2000 : 47).193
Enfin, un dernier type d’enquête a consisté à explorer via les réseaux sociaux
Internet les représentations liées au mot « slam ». Dans cette perspective, nous
avons soumis les amis de quelques slameurs – ainsi que les slameurs eux-mêmes –
à une question subsidiaire sur le mot qui résumait le mieux - à leurs yeux de
slameurs ou de slamophiles - le slam.194 Le tableau suivant résume la répartition
entre entretiens et questionnaires tout en explicitant les modalités de notre enquête :

191
« Le recours à l’entretien sert dans ce cas à contextuer des résultats obtenus préalablement par
questionnaire, observation ou recherche documentaire. Les entretiens complémentaires permettent alors
l’interprétation de données déjà produites. » (Blanchet & Gotman, 2005 : 47)
192
Les slameurs suisse (Narcisse) et Québecois (Ivy) pouvaient difficilement être interviewés. Les
questionnaires présentés aux élèves dans le cadre de notre expérimentation didactique seront présentés dans
la troisième partie de cette étude.
193
Nous nous sommes en outre autorisée quelques enquêtes complémentaires par mail afin de préciser
certains points (par exemple, l’écriture rythmique* pour Marco DSL ou le sens de « prafur » pour Lyor).
194
La question suivante a été publiée sur les murs de plusieurs slameurs : « Si vous deviez résumer le slam en
un mot, quel serait ce mot ? ». Voir notre prochain chapitre pour les modalités et résultats de cette enquête.
82

Modalités d’enquête Nom (nom de scène) Date de Lieu Présence


et statut de l’enquête éventuelle d’un
l’interviewé tiers
Entretien exploratoire Katia Bouchoueva 7/11/07 Grenoble (à mon
(Boutchou), slameuse domicile)
Entretien Rouda, slameur 27/10/08 Montreuil (local Nico
Lyor, slameur du collectif* 129H
Entretien Marco DSL, slameur 27/11/08 Grenoble (au Katia
domicile de Bouchoueva
Katia)
Entretien Bastien (Mots 02/04/09 Grenoble (à mon
Paumés), slameur domicile)
Entretien Frédéric 21/11/09 Grenoble (dans
Nevchehirlian, un café)
slameur
Entretien Luciole, slameuse 12/04/10 Paris (dans un
café)
Enquête écrite Narcisse, slameur 15/05/10
envoyée par mail
Enquête écrite Ivy, slameur 15/09/10
envoyée par mail
Entretien Souleymane 24/09/10 Cergy (dans un
Diamanka, slameur café)
Enquête écrite Jérôme Meizoz, 1/10/10
envoyée par mail professeur à
l’Université de
Lausanne
Entretien Bas Böttcher, slameur 14/10/10 Grenoble (à
l’Université puis
dans un café)
Enquête écrite Silvia Nieva, slameuse 15/11/10
envoyée par mail
Entretien téléphonique Laureline Kuntz, 3/12/10 A domicile
via Skype slameuse
Entretien en duo Barbie tue Rick et 26/12/10 A domicile
(vidéoconférence via Boutchou, slameuses
Skype)
Enquête écrite Jean-Pierre Bobillot, 27/12/10
envoyée par mail poète et professeur
d’Université
Enquête via réseaux Réseaux Facebook Du 13 au
sociaux Internet des slameurs 30/12/10
Enquête écrite Marc Smith, fondateur 1/01/11
envoyée par mail du slam
Entretien Tianhao, étudiant 11/04/11 Université
Entretien Fabien Marsaud 21/07/11 Saint-Pierre-de
(Grand Corps Chartreuse
Malade), slameur (loges)
Tableau 3 : Modalités de nos enquêtes195

Nous avons donc réalisé 12 entretiens, d’une durée variable de 14 minutes à 3


heures, complétés par six enquêtes écrites et une enquête collective (« le slam en un
mot », voir supra) via le réseau social Facebook, soit au total 19 enquêtes

195
Les enregistrements ont été réalisés grâce à un enregistreur numérique (Olympus VN-960PC). Des précisions
sur le contexte dans lequel chaque entretien a été réalisé figurent en amont des transcriptions (annexe III).
83

individuelles, duelles196 ou collectives, dont 15 (16) à destination de slameurs et


slameuses et 3 (4) adressées à des personnes intéressées au sujet. L’unité de lieu et
de temps, pour reprendre la métaphore théâtrale, n’a pas toujours pu être respectée
pour des raisons inhérentes au statut des interviewés. Ainsi, l’entretien a parfois
succédé à un concert (Bas Böttcher), quitte à être approfondi le lendemain, dans un
contexte plus propice. Il a pu être interrompu (Mots Paumés) en raison d’impératifs
divers qui en ont prolongé le déroulement. Quant aux lieux qui ont constitué le cadre
de ces enquêtes, ils ont été divers et variés et leur choix a pu influer sur les contenus
mêmes des entretiens : « la situation commande des rôles et des conduites
spécifiques » soulignent Blanchet & Gotman (2005 : 70). De fait, la poursuite de
certains entretiens dans un appartement privé, voire en présence d’une tierce
personne197, ou encore dans un café n’est pas sans conséquence sur les conduites
langagières et registres correspondants198. Enfin, les « modes d’accès » (Blanchet &
Gotman, 2005 : 56) aux interviewés ont été tantôt directs, tantôt indirects199, ce qui a
sans doute induit des variations, quant au temps consacré à l’entretien notamment :
« Là où s’arrêtent les questions naît la conversation… » a résumé Souleymane
Diamanka, alors que des éléments particulièrement intéressants émergeaient en
dehors de l’enregistrement. Ainsi la structure même de l’entretien – « faible ou forte »
selon la terminologie de Blanchet et Gotman (61) – a-t-elle été soumise à des
modulations dans un contexte amical. Ce dernier a pu donner lieu à de nombreuses
digressions ou développements-fleuves parfois difficiles à canaliser :
« Lorsque le thème est familier à l’interviewé, celui-ci tend à se poser comme expert et à
diminuer sa dépendance thématique à l’égard de l’interviewer. » (Blanchet & Gotman,
2005 : 76)
Au-delà de ces variations et une fois défini le « cadre contractuel de la
communication » (70), les interviewés ont été confrontés à des questions
correspondant aux thèmes suivants :
• explicitation du nom de scène (le cas échéant)
• incidence du plurilinguisme sur le rapport à la langue (le cas échéant)

196
Trois enquêtes ont été adressées à un « duo » de slameurs ou slameuses : avec Rouda (en présence de
Lyor), Marco (en présence de Boutchou), et Barbie TR (l’entretien étant conçu comme tel, «à trois voix »).
197
A titre d’exemple, l’entretien initialement destiné à Rouda a été réalisé en présence de son partenaire Lyor
qui y apporté sa contribution en slamant un texte de son répertoire (voir notre illustration du chapitre 7).
198
Deux de nos entretiens ont été réalisés via Skype (en mode visioconférence), faute de pouvoir rencontrer
directement les interviewées en temps voulu.
199
Notre intégration au réseau des slameurs a favorisé certaines rencontres et entretiens correspondants qui
ont pu avoir lieu dans une atmosphère adéquate. « L’entretien est rencontre » soulignent Blanchet & Gotman
(2005 : 21).
84

• parcours jusqu’au slam ; définition du slam


• influences musicales et/ou littéraires
• rôle de la musique
• homophonie
• invention de mots
• genèse des textes
• dimension scénique
• articulation individuel/collectif
• animation de scènes, d’ateliers
Le guide d’entretien – mené selon un mode « semi-directif » – progresse ainsi de la
démarche artistique (les questions s’adressant au poète) à la démarche
méthodologique (les questions étant alors destinées au slameur envisagé dans son
rôle socioculturel de médiateur). Notons qu’à ce canevas commun se sont ajoutées
des questions secondaires différenciées en vue de s’adapter à la situation, à la
singularité de chaque slameur et de sa poétique200. Les enquêtes écrites
périphériques – destinées à des slamophiles et/ou intéressés au sujet201 –,
consistent en un questionnement différent, visant à faire émerger les principaux
éléments, qu’ils soient poétiques ou culturels, ayant retenu l’attention des personnes
concernées et le type de démarche développée à partir ou autour du slam.

Les entretiens : synthèse

Les entretiens que nous avons réalisés présentent comme particularité d’avoir la
langue à la fois pour objet et pour outil. A deux exceptions près202, ils ont été menés
en français et soumis à une « analyse de contenus » plutôt qu’à une « analyse
linguistique ». Blanchet et Gotman distinguent ces deux approches :
« d’une part les analyses linguistiques qui étudient et comparent les structures formelles
du langage, comme celles employées par Labov (1978) ; et d’autre part les analyses de
contenu qui étudient et comparent les sens des discours pour mettre à jour les systèmes
de représentation véhiculés. » (2005 : 91, nous soulignons)
Si l’analyse de contenus était principalement visée203, nous n’avons pas éludé la
dynamique interactionnelle des entretiens. En effet :
« la parole n’est pas transparente et on ne peut se résoudre à considérer que l’enquêté
dit ce qu’il pense. Il pense plutôt ce qu’il dit en fonction de l’interaction. » (Dabène &
Grossmann, 1996 : 79, nous soulignons)

200
Certains entretiens ont fait suite à un concert sur lequel il nous est apparu intéressant de revenir. Nous
avons aussi cité certains passages ou procédés issus de notre corpus pour que les slameurs nous disent
quelques mots de leurs propres textes et de leurs choix poétiques. Nous nous sommes enfin aurorisé quelques
entretiens complémentaires afin d’approfondir certains points (comme l’écriture rythmique avec Marco Dsl).
201
J. Meizoz, professeur à l’université de Lausanne, J.-P. Bobillot, poète et professeur à l’université Stendhal.
202
L’entretien avec Bas Böttcher (annexe III.11) a été mené majoritairement en anglais, même si les questions
étaient posées en français. De même pour l’enquête écrite destinée à Marc Smith, réalisée en anglais.
203
D’où un mode de transcription neutre (voir notre annexe III).
85

A cet égard, l’entretien mené avec Souleymane Diamanka nous semble éloquent.
Alors que nous avons initié l’entretien par une question portant son parcours – sur
les « chemins d’école et d’école buissonnière » qui l’ont conduit au slam –,
Souleymane a développé la métaphore au fil de ses réponses, dépassant le clivage
entre culture académique et culture expérientielle ou, en l’occurrence, familiale :
« L’oralittérature, c’est l’oralité des contes, de mes parents, des proverbes et tout ça, la
littérature c’est un peu ce que j’ai croisé à l’école. Dans ma vie et même dans ce que je
fais au micro, il y a les deux écoles en fait : une école qui est la traduction de choses
ancestrales que mes parents m’ont léguées… »
Ainsi, l’entretien n’est pas seulement lieu d’émergence des représentations mais
aussi lieu d’élaboration voire d’expérimentation linguistique, et il nous intéresse à ce
double titre. Plus qu’un autre, le slameur se met en scène au cours de l’entretien :
certains nous ont d’ailleurs slamé des extraits de leurs textes afin d’illustrer leurs
propos. Sur un plan lexical, l’apparition de néologismes et autres lapsus204 en cours
d’entretien a fait l’objet d’une attention particulière de notre part, de même que la
capacité manifestée par le locuteur à les relever voire à en développer le potentiel
poétique ou métapoétique205. Nous avons également été sensibles au sentiment
homophonique206 comme fondement potentiel d’une poétique du slam.
Rappelons que ces entretiens répondaient à un triple enjeu :
- Repérer des points d’ancrage et de convergence dans l’approche du slam, au-delà de la
diversité des parcours et des profils ;
- Recueillir des discours épitextuels, voire épilinguistiques, susceptibles d’étayer notre
tentative d’élaboration d’une poétique du slam autour de traits stylistiques que nous
avions identifiés comme potentiellement emblématiques;
- Inscrire les textes de notre corpus dans une démarche artistique et méthodologique, un
contexte sociolinguistique, voire psycholinguistique, susceptible d’en éclairer l’analyse.
Considérant que « l’analyse de contenus implique des hypothèses. » (Blanchet &
Gotman, 2005 : 92), nous avions élaboré les hypothèses suivantes en amont :
o La multiplicité des parcours et des influences (littéraires, artistiques, musicales) ;
o Le rôle du plurilinguisme et la manifestation d’une quête identitaire ;
o Le rôle clé joué par les emprunts, les procédés d’homophonie et de paronymie, la
créativité lexicale (néologismes), d’où un « métissage de l’écriture » ;
o L’importance de l’oralité, la primauté de la phonie dans la genèse des textes ;

204
Entre autres exemples : « procramé » (Marco DSL), « perverser » (Rouda).
205
Le cas échéant, il nous semble que le mot apparu dépasse ainsi le stade du lapsus. Notons d’ailleurs qu’une
partie de ces formes néologiques s’applique au domaine poétique, relevant d’une forme de métapoétique.
206
Nous proposons cette formule, calquée sur le « sentiment néologique » (Gardin et al., 1974), pour rendre
compte de la capacité à repérer les phénomènes d’homophonie soit les mots phonétiquement inclus dans
d’autres mots et les conséquences de cette intuition en termes poétiques.
86

o La dimension kinésique et scénique : le rôle du corps, du mouvement ;


o L’ancrage collectif*, notamment dans la démarche de transmission ;
o L’approche du slam comme mouvement pluriel et ouvert, démarche interculturelle et
néonomade207.
Notre prochain chapitre rend compte d’une analyse approfondie de ces entretiens.
Sur un plan linguistique, les slameurs se sont montrés particulièrement aptes à
réfléchir sur leurs propres textes, et ce quel que soit leur parcours, autodidactes (M)
ou linguistes confirmés (FN). Au cours des entretiens, des manifestations de
créativité lexicale (voir supra) nous ont confirmé l’importance du sentiment
néologique chez ces « spécialistes du verbe ». De même, des phénomènes
d’homophonie ont été mis en évidence, ce qui indique un sentiment homophonique
particulièrement développé208. En d’autres termes, les slameurs que nous avons
rencontrés se sont révélés remarquablement conscients des potentialités inhérentes
à la langue et aptes à saisir la moindre occasion de déployer le potentiel sémantique
propre à chaque mot : « Il faut penser en termes de gravitation : un mot porte des
étoiles autour de lui, des atomes qui tournent autour… » poétise Frédéric
Nevchehirlian. Outre cette capacité à métaphoriser209, certains slameurs élaborent
leurs propres concepts ou typologies comme autant d’outils métalinguistiques : en
atteste Rouda et ses rimes multisyllabiques* ainsi que Marco DSL qui a élaboré une
typologie des lettres « coulantes, sifflantes, chaotiques », en vue d’une écriture
rythmique* fondée sur des contraintes de type oulipien210. Notre glossaire vise à
rendre compte de ces tentatives de théorisation de la part des slameurs, un certain
nombre des concepts proposés étant repris par la communauté des slameurs211.

2.2.4. Epitexte et avant-textes : manuscrits

Nous nous sommes interrogée sur l’importance du texte écrit et son statut
potentiellement évolutif s’agissant d’un slam, initialement destiné à être publié sous
une forme orale - pour une émission radiophonique ou sur un album - voire scénique.

207
Nous reprenons ce terme (emprunté à Bas Böttcher) pour souligner le caractère itinérant d’une démarche,
allié à une diffusion via les nouveaux modes de communication.
208
En cela, les slameurs se rapprochent de la culture hip-hop en général, et de l’art du graffiti en particulier :
voir par exemple la slameuse Misstic qui aime à jouer sur les homophones. (Exemple : « Ni fées ni affaire »)
209
Souleymane Diamanka se dit « métaphoriste » : néologisme qui a donné lieu à un développement sur le rôle
des aphorismes qu’il déconstruit pour les reconstruire et les resémantiser.
210
Voir le tableau joint à notre entretien avec ce slameur (annexe III.3bis).
211
La notion de rimes multisyllabiques* est utilisée par la plupart des slameurs que nous avons observés en
atelier ou avec lesquels nous avons co-animé des interventions le cas échéant. Celle d’écriture rythmique* est
essentiellement diffusée au sein de l’« école » lyonnaise.
87

A quel moment un texte de slam est-il finalisé ? Quels sont les écrits intermédiaires
manifestant autant d’étapes dans la genèse d’un slam ? A cet effet, nous avons
« prélevé » quelques échantillons de ces écrits plus ou moins transitoires. Nous
avons observé qu’avant d’en arriver au tapuscrit la grande majorité des slameurs
utilise un support papier et manuscrit, matérialisé par des carnets ou cahiers
d’écolier212, de préférence à des feuilles volantes : support qui a son importance en
tant que tel (Grésillon, 1994 : 37) et qui a d’ailleurs inspiré un slam à Souleymane
Diamanka, sous le titre « L’automme des blocs-notes » (2007). Ces documents
diffèrent non seulement par leur mode de recueil, mais aussi par leur statut dans la
genèse du texte. Un premier type de manuscrit (Souleymane Diamanka, voir infra)
correspond à des pages d’exercices – selon les propres termes du slameur concerné
– réalisés en amont : il s’agit d’un slam – ou de plusieurs textes – en gestation,
relevant d’une étape pré-rédactionnelle (Grésillon, 1994 : 100). Un second type
(Souleymane Diamanka & John Banzaï, voir infra) témoigne de l’étape proprement
rédactionnelle d’une écriture à quatre mains, soit d’un slam « en chantier » ou « en
construction ». Le troisième (Nevchehirlian, voir infra) illustre un manuscrit présenté
sous une forme proche de la version publiable : il s’agit d’ailleurs d’une version
disponible en ligne, sur le blog du slameur213. Le fait que certaines de ces pages de
manuscrits aient été intégrées à une publication214 ou publiées sur la toile traduit
l’importance de la mise en espace du texte, de sa construction graphique. Quant aux
extraits de « blocs-notes » qui nous ont été présentés à l’occasion des entretiens,
nous considérons qu’il s’agit là d’un avant-texte signifiant, révélateur d’un travail
préalable sur la matérialité des mots, envisagés dans leur double dimension
phonique et graphique, et projection de la mise en voix – la « voix de l’écrit » selon la
formule de Christian Prigent215 – sur l’espace de la page.216 Pour Almuth Grésillon,
ces avant-textes traduisent une forme d’ « écriture à l’état sauvage » (1994 : 33).

En nous montrant les jeux de lettres réalisés en amont de la genèse du texte,


Souleymane Diamanka nous a livré les clés de son écriture et de son univers
poétique, tout en nous laissant entrevoir comment il manipule la matière sonore – à
212
Voir par exemple Lauréline Kuntz et Tata Milouda : cette dernière, lors de l’émission « Les objets » diffusée
sur France culture (le 3/08/11) a souhaité parler de son cahier qui a d’ailleurs fait l’objet de l’un de ses slams.
(voir notre sitographie)
213
Voir notre sitographie.
214
J’écris en français dans une langue étrangère (2007).
215
Article de la revue TxT (voir notre sitographie).
216
Voir le concept de « poème partition » appliqué à la poésie sonore ou poésie action (chapitre 4).
88

travers un double jeu d’allitérations en [d] et [r] dans les premières lignes – et visuelle
– à travers les mots croisés – en jouant sur la matérialité des mots qu’il agence en
rimes et autres métaphores (photo 5)217. Toujours en quête d’anagrammes et autres
palindromes, le poète nous a confié sa volonté de « mettre l’artisan au service de
l’artiste » en se livrant à des exercices techniques qui s’apparentent aux
assouplissements pour un danseur ou aux vocalises pour un chanteur. Il a évoqué
aussi une « mécanique de l’écriture » dont ses carnets conservent la trace218. Sur le
papier, il s’essaie à une forme tabulaire d’écriture (Grésillon, 1994 : 54), croisant les
lettres en un savant tissage, que l’on retrouve dans la version aboutie du texte intitulé
« Das raster » (la trame/le tableau) de Bas Böttcher (document 3) :

Photo 5 : Bloc-notes SD Document 3 : « Das Raster » (Böttcher, 2009)

Ces extraits de blocs-notes


blocs notes et recueils nous semblent représentatifs non
seulement d’une trame, d’un tissage mais d’une géographie du texte qui se construit
sur la page. L’écriture se déploie en tous sens, à rebours d’une progression linéaire :
« l’espace manuscrit est délié de toute contrainte, l’écriture y évolue en toute liberté,
la ligne horizontale y perd souvent ses droits » (Grésillon, 1994 : 51)
Souleymane Diamanka compare d’ailleurs la genèse de ses textes au geste pictural :
« C’est comme de la peinture en fait, c’est-à-dire
c’est dire une première couche où j’écris
vachement espacé, en me disant que je peuxpeux rajouter mes mots entre, et au fur et à
mesure, le temps passe et je vois où je rajoute des touches, j’équilibre le truc. A la fin,
visuellement, ça dessine quelque chose.
cho »219

217
Voir notre chapitre 9 pourr plus de précisions et d’autres extraits de blocs-notes
blocs notes analysés.
218
Entretien du 24/09/10 (voir en annexe III.9).
219
Entretien du 24/09/10 (voir en annexe III.9).
89

A l’image du graffeur qui appose son blaze* sur les murs de sa ville,
ville le poète pose
son empreinte (« Souley », photo 6) :

Photo 6 : Bloc-notes SD Document 4 : Manuscrit


M JD/SD

L’encre se veut vivante220 et fondamentalement mouvante comme en témoigne


l’extrait de manuscrit reproduit ci-dessus,
ci issu du « duo de poètes » (2007 : 11).

Enfin, ces deux dernières pages illustrent la manière dont le manuscrit du poète
– en l’occurrence Frédéric Nevchehirlian – peut anticiper par sa composition
graphique sur la mise en voix, les silences et le rythme de la déclamation : écriture
fleuve qui traduit un flot de mots, un flow* de slameur. Ce dernier évoque une
« écriture explosée », précisant que la densité même de l’écriture – Grésillon parle
de « taux de remplissage » (1994 : 61) – peut-être
être mise en relation avec l’intensité de
sa voix lors de la déclamation221. A la manière d’un poème-partition,
partition, « cette musique
pour l’œil peut aussi être une indication pour la voix. » (Joanny, 2008 : 179)222. Dans
ce manuscrit (« La mer sait décliner les bleus »),, tout se passe comme si l’absence
de ponctuation était compensée par les blancs :
« La suppression des signes de ponctuation laisse jouer aux blancs leur rôle de
u signe de ponctuation. » (Meschonnic223)
ponctuation. Les blancs sont un

220
Titre du poème cité en exergue de notre introduction, publié dans le recueil J’écris en français
fr dans une
langue étrangère » (2007 : 36).
221
Entretien du 21/11/09 (voir en annexe III)
222
A. Joanny, professeur de français, a apporté sa contribution à l’ouvrage Aux passeurs de poèmes (2008).
223
Entretien consulté en ligne (revue Prétexte, voir notre sitographie).
90

Documents 5 et 5 bis: « La mer » ou les silences du texte (manuscrits F. Nevchehirlian)

2.3. Le corpus textuel (textes


textes et vidéo) :

A la complexité et la richesse de notre objet d’étude répond la complexité et


l’hétérogénéité de notre corpus constitué non seulement de textes et autres éléments
paratextuels, mais aussi d’enregistrements vidéo destinés à rendre compte de la
mimogestualité et dont un échantillon figure sur le DVD joint
joint à cette thèse.
thèse Nous
avons fait le choix méthodologique de n’intégrer à notre corpus principal que des
textes ayant fait l’objet d’une publication,, au sens premier de ce terme – qui ont été
rendus publics et diffusés – qu’il s’agisse d’un support papier,, d’un album CD ou
encore sur la toile, en amont de la sortie d’un album. Certes, nous aurions prendre le
parti inverse - recueillir des textes inédits déclamés lors des scèness auxquelles nous
avons assisté -, mais il nous semblait important de sélectionner
sélectionner des slams sinon
figés, du moins finalisés et en partie stabilisés224, émanant d’une intention poétique.
La stabilité relative et supposée des textes retenus nous est apparue comme la
condition sine qua non de l’établissement d’un corpus pouvant faire l’objet
l’obj d’une
analyse poético-lexicologique.
lexicologique. Sur le plan lexicologique, la question de la réitération
possible des lexies identifiées comme néologiques – par opposition aux hapax –

224
Au sens où, même mouvants, ces textes étaient susceptibles d’être réitérés, ce qui n’aurait pas été le cas si
nous avions choisi pour auteurs des textes retenus des slameurs « occasionnels ». A contrario,
contrario les slameurs
dont nous avons étudiéé les textes se positionnent comme « professionnels » dans la mesure où ils ont fait du
slam – en tant qu’auteurs et animateurs* de scènes ou d’ateliers – leur activité principale.
91

nous a confortée dans cette orientation225. Sur un plan poétique, la possibilité de


découvrir d’autres slams du même auteur nous a permis d’entrer véritablement dans
l’univers de ces slameurs en approchant des œuvres en devenir.

2.3.1. Choix et constitution des corpus textes

Afin de répondre à un double enjeu, l’élaboration de notre corpus textuel s’est


faite en deux temps : d’une part, un corpus générique de 11 textes de slam visant à
caractériser cette forme, à mieux cerner l’identité de ce genre discursif émergent et
les effets de musicalité inhérents à cette forme contemporaine d’expression ; d’autre
part, un corpus spécifique, ciblé sur la néologie et constitué de 15 textes visant à
mettre en relief les procédés de créativité lexicale à l’œuvre dans le slam. Si les
premiers ont été choisis pour leur représentativité ou leur auto-référencialité
(« textes-manifestes »), leur valeur illustrative ou la mise en abyme de principes
énoncés comme fondateurs du mouvement slam226, les seconds se distinguent par
leur richesse lexicale, illustrée par divers procédés lexicogéniques. D’où un total de
24 textes issus de 19 auteurs différents pour l’ensemble des corpus B et C1, les
astérisques indiquant les textes communs aux deux corpus :

Corpus B (annexe IV) Corpus C1 (annexe V)


« Le slam » (Tô) « Pères et Mères » (GCM)
« J’écris à l’oral » (GCM)227 « La Vénusienne » (Ro)
« Le conte des 1001 peines » (Ro) « Barbareurs » (Ly)
« Les blancs ne savent pas rapper » (Ro) « Perpendiculaire » (Lu)
« Lettre à mon père » (AAM) « Apnée » (MP)
« Slam obsession » (MDSL/BTR)* « Hardcorps et âmes » (LHA)
« Dire » (I)* « Slam obsession » (MDSL/BTR)*
« Enfant sauvage » (Y) « Conte alsacien » (AAM)
« Taktik » (BB) « Dire » (I)*
« Niki Nikita » (Na) « Petite pluie » (Na)
« Capitaine » (K) « Larges » (Ne)
« Comme au début » (K)
« D chiffres et D lettres » (Ri)
« Dixlesic » (LK)
« La tourmente » (JB)
Tableau 4 : Composition des corpus B et C1

225
Voir le début de notre chapitre 7 sur cette question de l’hapax.
226
Outre trois textes « manifestes » (traitant du slam et des slameurs), nous avons sélectionné deux textes
jouant sur la frontière entre oral et écrit, et trois autres qui jouent sur les frontières du conte, du rap et du
slam. S’y ajoutent 3 slams illustrés de partitions gestuelles (voir en annexe IV).
227
Nous utiliserons dans la suite de cette étude les initiales suivantes pour désigner les slameurs : AAM (Abd al
Malik), BB (Bas Bottcher), BtR (Barbie Tue Rick), GCM (Grand Corps Malade), I (Ivy), JB (John Banzaï), K (Katia),
LHA (Lee Harvey Asphalte), LK (Laureline Kuntz), Lu (Luciole), Ly (Lyor), MP (Mots Paumés), Mdsl (Marco DSL),
Na (Narcisse), Ne (Nevchehirlian), Ri (Rim), Ro (Rouda), SD (Souleymane Diamanka), Y (Ysae).
92

Constitution et traitement du corpus générique

Certains textes, comme « Le slam » (Tô) et « Slam obsession » (MDSL et BTR),


ont été retenus pour la polyphonie qui les caractérise. « Dire » (I) et « Niki Nikita »
(Na) répondent à la volonté d’ouvrir notre étude à des slameurs francophones : ils se
révèlent d’ailleurs particulièrement riches en effets poétiques de musication. « J’écris
à l’oral » (GCM) et « Lettre à mon père » (AAM) nous permettront d’aborder le slam
en tant que forme émergeant à la frontière de l’oral et de l’écrit. « Le conte des 1001
peines » (Ro) nous amènera à envisager la question du genre : le slam se construit a
priori à la confluence des différents genres littéraires que sont le conte, la poésie, le
théâtre. Peut-on le définir en tant que genre à part entière ? Des textes présentant
des micro-alternances en langues étrangères ou régionale (« Conte alsacien », AAM)
nous amèneront à envisager la dimension identitaire. Cet enjeu étant également
prégnant dans les textes de rap, nous avons choisi d’intégrer un slam de Rouda
intitulé « Les blancs ne savent pas rapper » afin d’explorer les points communs et
divergences entre ces deux formes. Enfin, des textes comme « Slam obsession »
(MDSL/BTR), ont été intégrés en tant que porteurs de réflexivité – soit d’une
définition mise en abyme –, mais aussi pour la créativité lexicale dont ils témoignent
et qui se traduit par des formes variées. Si le corpus C1 a été le support de notre
analyse du phénomène de néologie tel qu’il se manifeste dans le slam, le corpus B
a-t-il été constitué en vue d’une certaine représentativité, et en intégrant des textes
qui, a contrario, se situent clairement aux frontières du genre : les textes d’Abd al
Malik, de John Banzaï et d’Ysae, flirtent avec le rap ; ceux de Luciole se rapprochent
de la chanson. Quant aux slams de Laureline Kuntz, de Rim ou de Narcisse, ils
s’apparentent a priori à des sketches.
Certains textes du corpus générique – dans leur version audio – ont été soumis à
une analyse poético-phonétique visant à faire émerger quelques traits sinon
définitoires, du moins caractéristiques ou prégnants : à cet effet, nous avons étudié la
fréquence de certains phonèmes – notamment consonantiques – à partir de
transcriptions en alphabet SAMPA228, le débit et le rythme du phrasé (flow*) propre à

228
Nous avons choisi cet alphabet dans un souci de lisibilité : SAMPA (pour Speech Accessment Methods
Phonetic Alphabet) est un alphabet phonétique inspiré de l’API mais utilisant des caractères du clavier. Il a été
développé par un groupe de phonéticiens dans le cadre du projet ESPRIT de la CEE et étendu depuis à la
plupart des langues européennes. (Voir le site de l’University College of London et le tableau en annexe IV.A.)
93

tel ou tel slameur. Quant au corpus spécifique C1229, il se caractérise par une
diversité de procédés de création lexicale, à partir desquels nous dégagerons, dans
notre deuxième partie, des matrices privilégiées, propres à tel ou tel slameur, voire à
telle ou telle thématique. Dans chacun de ces textes, nous étudierons la place plus
ou moins centrale dévolue aux néologismes, ainsi que leur valeur poétique ou leurs
principales fonctions, leur apport stylistique à l’œuvre du slameur.

Du corpus spécifique aux études de répertoires

A ce double corpus - générique et spécifique - s’ajoute le corpus périphérique


paratextuel (voir supra, corpus A)230, ainsi que trois études de répertoires qui nous
permettront d’identifier des traits stylistiques – nous les définirons en termes de
néostyles, chacun faisant l’objet d’un chapitre de notre deuxième partie – propres à
l’œuvre de ces trois slameurs. Au total, 133 slams ont été analysés, ainsi répartis :

Néostyle 1 : Néostyle 2 : Néostyle 3 :


MP (2005-2011) SD (2007) GCM (2006-2010)
Songes Autres231 L’Hiver J’écris en français Midi 20 Enfant de Troisième
déments Peul dans une langue (2006) la ville temps
(2009) (2007) étrangère (2008) (2010)
(2007)232
11 textes 20 textes 15 textes 41 textes 16 16 textes 14 textes
textes
233
31 textes (+1) 56 textes 46 textes
Total : 133 (134)

Tableau 5 : Répartition du corpus C2 (études de répertoires)

2.3.2. Traitement des données vidéo : multicanalité et partitions gestuelles

Si l’étude des textes nous permettra d’étudier les manifestations de créativité


lexicale à l’œuvre dans le slam, le corpus vidéo servira l’analyse des dimensions
interactive et évolutive. Ainsi étudierons-nous dans quelle mesure le slameur
accompagne sa création de stratégies visant à la mettre en valeur, tout en favorisant

229
Voir notre chapitre 7.
230
Nous rappelons que les titres des textes et les noms de slameurs seront étudiés : les pseudonymes nous
semblent significatifs de l’univers poétiques des slameurs et constituent une sorte de « clé » au moment de
l’entrée en scène d’un slameur. Nous avons aussi inclus un dossier de presse (voir notre chapitre 6).
231
Textes transmis par l’auteur (voir notre chapitre 8).
232
Ces textes ayant été écrits « à quatre mains » avec John Banzaï, il nous semble intéressant de voir comment
les deux styles se conjuguent au sein de ce recueil.
233
Un slam a été présenté dans deux versions, afin d’analyser sa réécriture.
94

la réception et la compréhension de son texte dans ses moindre subtilités. De fait, la


créativité dont il fait preuve se traduit non seulement sur un plan linguistique, mais
aussi sur un plan communicatif avec des manifestations multimodales. En d’autres
termes, la mimogestualité apparaît ici comme un lieu privilégié de stylisation : elle
s’ajoute à la créativité lexicale que nous analyserons en termes de néostyles et aux
aspects phonético-prosodiques que nous envisagerons à travers la notion de
phonostyle. Dès lors, la question d’une identification possible de styles gestuels – au-
delà de l’ouverture à une diversité de modalités d’interprétation – se pose. Sur un
plan méthodologique, nous avons expérimenté l’utilisation du logiciel d’annotations
« Elan », avant de renoncer à appliquer cette méthode dynamique à notre corpus en
raison d’une densité gestuelle générant un risque de surcharge234. La complexité de
l’arborescence et la multiplicité des annotations nous aurait amenée à reléguer le
texte proprement dit au second plan, ce qui nous éloignait de l’enjeu principal de
cette étude. D’où notre choix de nous limiter à une méthode statique (voir infra).

Fondements théoriques

« J’ai des milliers de gestes… »235 slame Frédéric Nevchehirlian que nous avons
d’ailleurs interrogé à ce propos236. En tant que poésie vivante, le slam nous semble
emblématique de la multicanalité de la communication humaine (Cosnier : 1982 :
255) : ainsi la verbalité essentielle du matériau est-elle portée par la vocalité du poète
et animée par sa mimogestualité. Plusieurs classifications des catégories
fonctionnelles de la mimogestualité ont été élaborées : celles de J.Effron (1941), G.F.
Mahl (1968), puis Ekman et Friesen (1969), dont J.Cosnier a proposé une synthèse
dans Les voies du langage (1982 : 263) :

234
Guaïtella (2000 : 174) opposant méthodes dynamiques et statiques de notation du geste souligne que : « Les
méthodes dynamiques sont conçues pour noter un maximum d’éléments se situant tout au long d’une
séquence… »
235
Titre d’un spectacle présenté par « Piano et Compagnie » le 29 juin 2009 dans le cadre du Festival de
Marseille. (Voir notre illustration vidéo du chapitre 4 pour une interprétation de ce texte par le slameur)
236
Entretien du 21/11/09 (voir en annexe III.5). Frédéric Nevchehirlian est l’interprète de ce texte extrait de
Tohu-Bohu (Pouy et Villard, 2008).
95

Quasi-linguistiques
phonogènes
paraverbaux
Gestes syllinguistiques co-verbaux expressifs
communicatifs illustratifs
synchronisateurs phatiques
régulateurs
autocentrés
Gestes ludiques
extracommunicatifs de confort
Tableau 6 : Classification des catégories fonctionnelles de la mimogestualité d’après
Cosnier (1982)
Dans la perspective de notre recherche, nous nous intéresserons plus
particulièrement aux gestes dits coverbaux :
« Les gestes coverbaux sont associés au discours verbal pour l’illustrer (illustratifs), le
connoter (expressifs) ou renforcer et/ou souligner certains traits phonétiques,
syntaxiques ou idéiques (paraverbaux). » (Cosnier, 1982 : 266)
La catégorie des gestes illustratifs se subdivise à son tour en quatre catégories :
« - les déictiques qui désignent le référent de la parole ;
- les spatiographiques qui schématisent la structure spatiale ;
- les kinémimiques qui miment l’action du discours ;
- les pictomimiques qui schématisent la forme ou certaines qualités du référent. » (266)
Les paraverbaux sont liés aux traits phonétiques et syntaxiques alors que les
expressifs coverbaux sont essentiellement faciaux, s’agissant de « mouvements de
la tête et des mains qui soulignent par exemple l’intonation ou l’emphase, ou encore
scandent les moments principaux du raisonnement. » (267). Cosnier nous rappelle
d’ailleurs que les anciens les considéraient comme partie intégrante de la
Rhétorique :
« L’Actio concernait la prosodie et le geste, et à ce titre ce dernier était considéré
comme nécessaire à l’éloquence. » (1982 : 267)
En outre, les marqueurs d’accent et de rythme (269) se traduisent généralement par
« des mouvements de la ou des mains, mais aussi de la tête ou du tronc, liés à la
chaîne intonative. » En admettant qu’ « ils servent à battre la mesure » - d’où le
terme de beat -, ils jouent un rôle déterminant dans la poésie orale en général et
dans le slam poésie en particulier. S’ils peuvent exprimer l’emphase, au même titre
que les intonations paraverbales, ils sont surtout liés à la structure grammaticale du
discours. Quant aux synchronisateurs de l’interaction, en tant qu’ « éléments
pragmatiques essentiels de la stratégie de l’intercommunication », nous verrons
qu’ils sont souvent convoqués dans le slam, notamment dans les situations de
passation de parole ou de sollicitation d’une participation du public. Dans cette
96

perspective, ils pourront être ritualisés à l’échelle d’un slameur237, même si la


gestuelle apparaît plus libre et moins codifiée dans le slam que dans le rap238.
Notons la valeur quasi-initiatique
initiatique de certains de ces gestes, favorisant l’identification
à un groupe, alors que d’autres facilitent la mémorisation en faisant appel à la
mémoire kinesthésique. Enfin, le geste de tenir le texte déclamé239 pourra marquer
symboliquement l’interprétation d’un texte autre – dont le slameur n’est pas auteur240
– ou encore constituer un geste scénique, rejoignant en cela certaines
performances* de poésie sonore (photo 7). Il s’agit aussi, à nos yeux, d’insister sur la
matérialité du texte par sa présence en tant qu’objet :

Photo 7 : Photo Frédéric Nevchehirlian (Autrans, 20/05/11)


20/05/11

Le tableau de Cosnier a été réaménagé par Jean-Marc


Jean Marc Colletta (2004 : 159) qui
a décrit les catégories fonctionnelles de la kinésie communicative enfantine en
distinguant les kinèmes sociaux (rituels et discursifs) et les kinèmes associés ou
coverbaux (interactifs, expressifs, syntaxiques, et référentiels). Le tableau
tablea suivant
synthétise la classification des coverbaux, dont nous proposons un nouvel
aménagement241 afin de rendre compte de la spécificité de notre corpus :

237
Voir infra les exemples de Frédéric Nevchehirlian et Bas Böttcher.
238
Les rappeurs se distinguent par un geste caractéristique de la main auquel peu de slameurs se conforment.
Outre cette connotation quasi-identitaire
identitaire (marquant l’appartenance à la communauté des rappeurs et de là, à
la culture du hip-hop),
hop), ce geste assure une fonction essentiellement rythmique (beat)( ) alors que la gestuelle
dans le slam pourra prendre en charge des fonctions plus variées.
239
Voir par exemple Frédéric Nevchehirlian dans l’extrait vidéo illustrant le chapitre 4.
240
Pratique occasionnelle dans le slam (non conforme aux « règles » du genre) e) : Frédéric Nevchehirlian (voir la
photo) interprète ici un poème de Prévert, dans le cadre d’un spectacle intitulé « Le Soleil brille pour tout le
monde » (album à paraître en 2011).
241
Nous avons souligné les modifications apportées.
97

Catégorie fonctionnelle Valeur Rôle par rapport à la


parole
Kinèmes interactifs Régulateur : signal à valeur Substitution ou
d’écoute, d’attention ou de complémentarité
compréhension (corrélation)242
Phatique : signal à valeur Substitution ou
d’appel ou de sollicitation complémentarité
Colludique243 Focalisation sur un jeu
langagier244
Kinèmes expressifs245 Interprétatif : l’expression du Théâtralisation
visage rend compte de
certaines connotations
Kinèmes de structuration Intensif : souligne, met en Accentuation
prosodique246 relief une unité linguistique
Rythmique : accompagne en Accompagnement, mise en
rythme le flux parolier (le relief du flow*
flow*)
Démarcatif : délimite une Segmentation, délimitation
unité de l’énoncé ou du d’unités prosodiques
discours (scansion)
Kinèmes référentiels247 Déictique : désigne le Complétion
référent présent dans le
contexte immédiat ou
indique sa direction
Mimétique ou figuratif : mime Illustration
l’action ou la représente par
métaphore ou métonymie
Explicitatif : développe un jeu Explicitation d’un jeu de
de mots mot248
Tableau 7 : Classification fonctionnelle de la kinésie communicative d’après J.M. Colletta

L’aménagement que nous proposons est fondé sur les hypothèses suivantes :
- La limitation des déplacements et de l’ampleur de certains gestes due à la situation
proxémique (scène/présence d’un micro) ;
- L’importance des gestes à valeur rythmique (de type beat) en vue d’une scansion
traduisant l’exigence d’une poésie « qui claque » ;

242
A la différence de la communication enfantine ou la gestuelle peut ici être redondante par rapport à la
parole, l’écoute est sollicitée gestuellement mais non convoquée verbalement, étant entendu que les slameurs
doivent capter l’attention du public. D’autres stratégies (vocales par exemple) pourront être mises en œuvre à
cet effet, de façon complémentaire.
243
Nous développerons ce concept dans la suite de cette étude, et pouvons d’ores et déjà le définir comme
fonction visant à favoriser une forme de connivence avec le public basée sur le jeu, qu’il s’agisse de jeux de
mots ou de jeux de scène (voir infra l’exemple de Bas Böttcher et sa façon d’impliquer le public dans ce jeu).
244
Certains gestes plus ou moins codifiés (comme le geste de la main droite vers la tête avec un mouvement de
rotation signifiant qu’il faut bien réfléchir pour comprendre) répondent à cette fonction.
245
Nous avons simplifié cette catégorie qui n’est pas la plus représentée dans notre corpus.
246
Nous proposons ici « de structuration prosodique » plutôt que « syntaxique ou de structuration », s’agissant
d’un corpus de poésie orale.
247
Nous avons également simplifié cette catégorie.
248
Ce type de gestuelle permettra de focaliser, voire d’expliciter un phénomène d’homophonie, ce que Calvet
appelle « le jeu du signe », citant Bobby Lapointe et ses ambiguillages (2010 : 67)
98

- L’importance des gestes de type phatique ou colludique (interaction avec le public) ;


- Le rôle éventuel de gestes à valeur explicitative (en cas d’ambiguillage249) ou illustrative
(en vue d’une intercompréhension)250.

Notons cependant la multifonctionnalité de certains gestes :


« Tous les gestes sont multifonctionnels et peuvent avoir à la fois une valeur rythmique,
interactive, iconique… » (Guaïtella, 2000 : 178)

Aspects méthodologiques : les partitions gestuelles

En nous inspirant des méthodes dites micro-analytiques (Cosnier, 1982 : 259)


selon lesquelles la gestualité communicante peut être analysée en unités motrices
élémentaires (les kinèmes) symbolisées par des graphèmes, nous avons élaboré des
partitions gestuelles afin de valider ou invalider cette double hypothèse : d’une part,
un certain nombre de gestes sont stabilisés, codifiés voire communs aux
slameurs251 ; d’autre part, la gestualité représente a priori un espace de stylisation.
Les partitions gestuelles – dont nous présentons ici un premier exemple – nous
permettront donc de rendre compte sur la page la gestualité visible sur la scène252,
afin de mettre en relief son organisation et les fonctions associées. Nous ne
prétendons nullement à un relevé exhaustif de ces gestes que nous avons retenus et
analysés en regard des hypothèses formulées, à l’exclusion des gestes supposés
parasites, non volontaires. En tout état de cause : « pour la voix comme pour le
geste, il semble impossible de mettre au point une méthode de codage qui rende
compte de la totalité des phénomènes. » (Guaïtella, 2000 : 181)

Proche du sketch, le texte « Kathy Niki Nikita » de Narcisse253 est basé sur une
succession de jeux de mots fondés sur les syllabes [ki], [ka], [ky] et [ko]. Durant la
déclamation, le slameur exécute quelques gestes très précis, d’autant plus
significatifs qu’il est très peu mobile par ailleurs. Il s’agit essentiellement de gestes
phatiques à valeur phonologique254 dans la mesure où il incline la tête dans quatre

249
Nous empruntons ce terme au titre de L.-J.Calvet (2007) : « Entre l’écrit et l’oral : les ambiguillages de Boby
Lapointe ou du délire à la théorie du signe »
250
Notamment dans un contexte exolingue comme pour Marc Smith lors de Reims Slam d’Europe (voir notre
illustration vidéo du chapitre 1).
251
Voir l’importance supposée des gestes paraverbaux (rythmiques) et phatiques dans le slam
252
Nous avons pris le parti de nous situer du point de vue du spectateur, d’où le choix de latéralité : la gauche
correspond à la gauche de l’écran, soit la droite du slameur.
253
Voir sa transcription en annexe IV.5 et le clip vidéo accessible sur You Tube (voir notre sitographie).
254
Pour autant, nous ne saurions parler de gestes phonogènes car ces derniers désignent « les mouvements
phonatoires nécessaires à l’émission du langage parlé » (Crosnier, 1982 : 265).
99

directions différentes selon la syllabe prononcée : à gauche255 pour la syllabe [ki], à


droite pour la syllabe [ka], vers l’arrière pour la syllabe [ky] et vers l’avant (en
direction du micro) pour la syllabe [ko]. Interrogé à ce sujet, le slameur est revenu sur
la genèse de ce texte :
« En général, le sens précède le son, je cherche des mots qui sonnent bien pour
exprimer une idée préexistante, mais pour Kathy Niki Nikita, j’ai fait l’inverse : je suis
parti de l’idée d’une strophe en « ca », une en « qui », une en « cu » et une en « co »,
256
puis j’ai inventé l’histoire à mesure que je plaçais les mots.. »

Cette gestualité fortement codifiée et localisée (la tête en étant le principal support)
permet non seulement d’accentuer l’effet d’allitération et le rythme du texte, mais
aussi de produire un effet comique et de solliciter la participation du public. Pour ce
faire, il a également recours à un geste de la main gauche, dont la fonction semble
clairement phatique. Aux dires du slameur, tous ces effets concourent à préparer la
chute :
« Je suis plutôt maladroit avec mon corps, alors j’en joue en restant volontairement
statique ou en dansant de manière ridicule. Mais j’aime explorer, alors puisque le slam
est un art vivant, j’ai pensé à mettre en jeu d’autres aspects que le texte, avec des tics
dans Kathy Niki Nikita qui conduisent à la chute. »
Afin de rendre compte de la richesse de ces effets de mimogestualité, nous
proposons ci-dessous un extrait de la partition dont l’intégralité figure en annexe IV.

Narcisse : « Kathy Niki Nikita257 »

Codes utilisés :

O→ : mouvement de tête vers la droite (pour le spectateur)


←O : mouvement de tête vers la gauche
O↑ : mouvement de tête vers l’arrière
O↓ : mouvement de tête vers l’avant (le micro)
/ : geste du bras droit vers l’avant (le public)
\ : geste du bras gauche
/d : geste du bras droit vers la droite (latéral)
\g : geste du bras gauche vers la gauche
/p ( ) : pointage vers (…)
[…] : autres indications concernant la prosodie, la gestuelle ou la participation du public.
Les italiques indiquent les interventions du public.

255
Nous avons pris le parti d’indiquer ici la latéralité par rapport au spectateur (à gauche de l’écran).
256
Enquête écrite du 15/05/10.
257
Le texte nous a été transmis par son auteur : nous avons choisi d’en conserver l’orthographe et la mise en
page.
100

Kathy était avocate


O→
Dans un cabinet capitonné de la capitale
O→ O→ O→
Elle était carrément calée en tout
O→ O→
en déclamation classique autant qu'en calcul mental
O→ O→ O→
Kathy pourtant craqua pour Niki
O→
Un karateka au caractère de bazooka
O→ O→ O→ O→
Qui avait mis KO plus d'un lascar
O→ O→
cabossé plusieurs indélicats
O→ O→
La caricature de l'athlète
O→ O→
au QI de cacahuète
O→ O→
Et ce qui lui valait ricanements et sarcasmes: il avait une voix de castrat
O→ O→ O→
« Casse-toi cafard ou je te scalpe »
O→ O→ O→
clamait-il d'un ton de canari roi du karaoké
O→ O→ O→
Mais tous se cassaient car il était bien capable de les fracasser
O→ O→ O→
Kathy et Niki formaient un couple bancal
O→ O→
qui allait cahin-caha
O→ O→
Peu de câlins, de caresses, de jeux canailles
O→ O→ O→
Juste une saccade à l'occase
O→ O→
en quatre minutes
O→
Comme le font les canassons, les cacatois
O→ O→ O→
Mais ils s’offrirent un voyage en cadeau
O→
Carthage, les Caraïbes, le Canada en cargo
O→ O→ O→ O→
Puis cap sur le Costa-Rica
O→ O→
et chez les Incas autour du lac Titi… caca [public]
O→ /
C'est le cas
O→
Et ça devient délicat car
O→ O→
lors d'un escale au Kamtchatka
O→ O→ O→
101

Niki tomba sur Nikita


Qui
←O
le conquit
←O
Exquise coquine sous son bikini rikiki
←O ←O ←O ←O←O
blonde Viking au nez aquilin qui
←O ←O ←O
taquinait son whisky au bord de la piscine
←O ←O
Niki se dit c'est parti mon… kiki [public]
/
Document 6 : Partition gestuelle de « Niki Nikita » (Narcisse)

Cette partition illustre la parfaite corrélation entre gestualité et rythme du texte,


ainsi que le caractère ludique de cette gestuelle qui permet d’instaurer une
connivence avec le public, d’où la dimension interactive et même colludique.

Nous avons repéré ce même type de gestuelle associée à des jeux


phonologiques chez le slameur allemand Bas Böttcher258. Pour le texte « Taktik »,
fondé sur l’alternance de rimes en « tac » et « tic », il sollicite la participation du
public – fût-il francophone quand il slame en allemand259 – d’un geste de la main.
Dans cette perspective, il divise le public en deux parties, l’une devant répéter la
première syllabe, l’autre devant scander la seconde, de façon synchrone aux rimes
de son texte. Ces gestes précis et parfaitement coordonnés260 nous semblent avoir
non seulement une fonction rythmique - marquant le beat261, visant à soutenir le flow*
et à accentuer les effets prosodiques -, mais aussi une fonction phatique voire
colludique, comme en témoigne la gestuelle finale qui s’apparente à celle d’un chef
d’orchestre. Notons que le slameur a d’ailleurs recours, en début d’interprétation, à
un kinème à la fois phatique et figuratif (ou mimétique), désignant l’oreille et signifiant
par là-même qu’il n’entend pas la participation du public. Moins théâtralisée que dans
le texte de Narcisse, la gestuelle participe ici à une dynamique langagière et
interactive fondamentale. Au vu de ce double enjeu – musical et communicatif – elle
apparaît comme une composante essentielle du slam poetry tel que le conçoit
l’artiste allemand qui a commencé par écrire des paroles de chanson :

258
Enregistrement du 14/10/10 à l’Université Stendhal (voir l’illustration vidéo de ce chapitre).
259
Notons ici le rôle de la gestuelle dans l’intercompréhension, ajoutée aux sous-titrages projetés sur un écran.
260
Voir la partition en annexe IV.5.
261
Tout se passe comme si le beat marqué par ce geste de la main ou du bras se substituait au beat musical,
induit par la boite à rythme : cet élément caractéristique du rap reste prégnant pour le slameur (entretien du
14/10/10, voir en annexe III.11).
102

“when you write lyrics for songs you have to write rhythmically. After the music, you can
still say “bye bye rhythm” and write free verses but at least you know how to write lyrics.
What I like is creating a rhythmical structure and then break the whole thing. This is my
favorite way to work because creating a rhythm makes the public listen and you can
make people listen (…)”262

La gestuelle de Bas Böttcher apparaît ici très stylisée et stabilisée, quasi ritualisée.
En tant que telle, elle est particulièrement lisible et se prête bien à une
décomposition micro-analytique, comme l’illustrent les photos ci-dessous, extraites
de la séquence vidéo illustrative de ce chapitre263.

Photos 8 et 8 bis : Gestes rythmiques & phatiques (BB, 14/10/10, Université Stendhal)

Photos 9 et 9 bis : Gestes mimétiques, phatiques & colludiques

En revanche, d’autres slameurs manifestent une gestualité moins stable et plus


théâtralisée qui nous amène à envisager les limites de ce type d’approche264. Enfin,
la mouvance ou la variance inhérente au slam en tant que performance orale ne
laisse pas de nous interroger. De fait :
« si l’on suppose qu’un très bon système de notation restitue fidèlement les
composantes prosodiques et gestuelles d’une séquence de parole, nous ne saurons pas
dans quelle mesure ces composantes doivent être reproduites fidèlement ou jusqu’à
quel point elles peuvent varier. » (Guaïtella, 2000 : 182)

262
Entretien cité.
263
Voir les partitions complètes illustrées de photos (en annexe IV.5) issues de notre poster présenté lors des
Rencontres des Jeunes Chercheurs en Parole (Gipsa-lab, le 25/05/11).
264
Voir en annexe la partition illustrée de photos correspondant au texte « Capitaine » de Boutchou (vidéo
illiustrative du prochain chapitre).
103

Conclusion partielle

Avant d’en arriver à décrire le phénomène de néologie tel qu’il se manifeste dans
le slam et d’envisager la didactisation de ce dernier, la poursuite de notre recherche
implique donc de définir un objet qui se présente lui-même en trois dimensions (écrit,
dit, interprété sur scène) et dont la complexité induit une méthodologie empruntant
ses outils d’analyse à différents domaines. Selon une approche ethnographique, un
détour par les entretiens s’impose, afin d’avancer sur la voie d’une définition de notre
objet de recherche par la voix de ceux-là même qui le fondent et qui animent leurs
propres textes, au sens goffmanien de ce terme :
« Bref, il est la machine parlante, le corps se livrant à une activité artistique ou, si l’on
préfère, l’individu tenant activement le rôle de producteur d’énonciations. Il fait ainsi
fonction d’ "animateur*" » (1987 : 154)265
Nous avons donc soumis les slameurs et slameuses rencontré(e)s à une enquête qui
a pris des formes et des canaux divers. Complémentaire à nos investigations
documentaires, cette enquête devait nous amener à nous confronter aux
témoignages des slameurs et par là-même, à leurs représentations. Or c’est souvent
en termes de représentation qu’ils ont abordé l’entretien, se mettant en scène en une
Présentation de soi (Goffman, 1973) poussée à son paroxysme.

265
« In short, he is the talking machine, a body engaged in acoustic activity, or, if you will, an individual active in
the role of utterance production. He is functioning as an animator.” (1981: 144, nous soulignons)
104
105

Chapitre 3
Le slam tel que les
slameurs le voient et
le vivent, le décrivent
et le dérivent

3.1. A l’heure du slam :


les documentaires
3.2. A la rencontre des slameurs :
synthèse des entretiens
3.3. Enquête complémentaire :
le slam en un mot

Illustration : Boutchou, « Capitaine »

Photo 10 : Katia Bouchoueva/Boutchou à La Bobine,


Grenoble (8/04/11)
106
107

« C’est quoi, c’est qui ces mecs chelous


qui viennent pour raconter leur vie ? »266

A l’image de la posture intérieur-extérieur précédemment définie, nous avons


conjugué dans ce chapitre des sources documentaires externes pour entrer en
matière – les documentaires nous offrant un accès indirect aux témoignages de
slameurs et slameuses – et la confrontation directe à la parole de celles et ceux qui
se décrivent volontiers comme paroliers et que nous avons soumis à nos enquêtes.
Pour 12 sur 15 d’entre eux, ces enquêtes ont pris la forme d’entretiens, dont les
modalités ont été exposées dans notre précédent chapitre267. Ces entretiens nous
ont apporté des données complémentaires qui sont autant de clés pour pénétrer les
univers poétiques des slameurs et appréhender le sens qu’ils attribuent au slam268.
Au-delà des singularités, ils nous ont amenée à mettre au jour un certain nombre de
traits communs, en termes de dynamique créative et de démarche poétique. Dans
cette perspective, nous avons posé des questions ouvertes qui leur ont permis de
déployer dans leur discours toute la créativité que l’on retrouve à l’œuvre dans leurs
textes. Nous avons synthétisé leurs réponses dans le présent chapitre, en les
réorganisant autour des axes de notre questionnement et en nous autorisant à
reprendre au fil de nos titres des formules qui corroborent l’hypothèse d’un potentiel
néologique manifeste.

3.1. A l’heure du slam : les documentaires

3.1.1. Slam, ce qui nous brûle (2008)

En 2008, un documentaire intitulé Slam, ce qui nous brûle269 a permis de croiser


témoignages de slameurs et point de vue du slamophile. Selon le journaliste belge
Philippe Delvosalle :
« L'intérêt du document est d'aller mettre les mains dans le terreau où s'enracine le
baobab Grand Corps Malade : ces petites scènes ouvertes où tout le monde est

266
Grand Corps Malade, « Attentat verbal », Midi 20, 2006.
267
La transcription de l’intégralité de ces entretiens figurant en annexe III, nous nous y référerons en précisant
la date de chaque entretien pour la première occurrence, puis en utilisant la formule « entretien cité ».
268
Notons cependant le statut particulier accordé à notre dernier entretien (GCM) : intervenu tardivement
dans notre recherche, celui-là a été ciblé sur les aspects didactiques, en complément de toutes les interviews
de ce slameur disponibles dans la presse. En conséquence, nous en rendrons compte dans le dernier chapitre
de cette thèse, qui traitera plus spécifiquement des ateliers, plus que dans le présent chapitre.
269
Pascal Tessaud, France 5 éditions.
108

encouragé à passer, au cours d'une même soirée, du statut de paire d’oreilles à celui de
plume et de porte-voix »270
De fait, le réalisateur Pascal Tessaud, qui s’en explique dans une interview intégrée
au film, a vécu sa rencontre avec le slam comme une « opération magique ». De son
propre aveu, elle lui a permis de résoudre la contradiction entre « culture populaire »
assimilée par impégnation dans l’enfance et l’adolescence, et « culture de haut
standing » étudiée dans le cadre d’un cursus universitaire de Lettres modernes :
« Quand j’ai rencontré ces slameurs, ils avaient réussi à concilier ces mondes en eux, le
monde de la littérature, de l’écriture, de l’écrit, avec l’oralité, l’argot, le verlan, la
« gouaille » de la rue… »
En outre, il avoue avoir été impressionné par le silence et l’écoute, traduisant à ses
yeux « un rapport très horizontal au spectacle » que Rouda explicite en ces termes :
« Ce qui nous a passionné, c’est cette espèce de réduction de la frontière entre le
public et la personne qui est sur scène. T’es slameur que dans l’instant où tu montes sur
l’estrade. »
Dès lors, il s’agit d’une entreprise de désacralisation de l’accès à la culture et au
pouvoir de la parole, le slam étant né dans un contexte de tensions politiques et
raciales. Le slam étant perçu comme poésie du quotidien, le réalisateur a justifié le
choix de mettre en scène chaque slameur dans un espace qui lui corresponde, qui
soit en adéquation avec son univers poétique : ainsi Nëggus est-il filmé sur scène,
mais aussi en ville, dans le métro, et même dans sa cuisine ! Le slameur traduit ainsi
son approche du slam comme école de sincérité : « T’es à nu devant les gens (…)
Tu ne peux pas te cacher derrière l’instrumental. »271

Si les portraits croisés de quatre slameurs – Nëggus, Luciole, Julien Delmaire et


Hocine Ben – sont au cœur du documentaire, ce dernier nous entraîne dans une
sorte de voyage initiatique : de Saint-Denis à Roubaix, en passant par Paris,
Aubervilliers ou un petit village breton272, sans oublier le Café culturel (Grand Corps
Malade et John Pucc’) et le Cabaret populaire où Pilote le Hot organise des tournois.
En outre, Pascal Tessaud donne la parole à Marc Smith : gêné par le côté artificiel
(false) de la poésie, la révérence (reverently) avec laquelle on considérait les poètes,
il déplorait que la poésie n’ait rien à voir avec le quotidien. Pour Julien Delmaire,
slameur et animateur* de la maison ARA273 à Roubaix, l’origine du slam remonterait
aux Spoken words des afro-américains à la fin des années 60 (Last Poets, Watts
270
Article consulté en ligne (voir notre sitographie)
271
Notre entretien avec Bas Böttcher (en date du 14/10/10) fait écho à cette idée (voir en annexe III)..
272
Luciole montre le slam peut aussi « se mettre au vert », allant à l’encontre de l’idée de « poésie urbaine ».
273
Pour « Autour des Rythmes Actuels ».
109

Prophets…)274. Le slameur revient alors sur le clivage entre culture populaire et


culture classique, frontière que l’expérience du slam tend à dépasser :
« Le grand tort de l’éducation nationale, c’est de négliger la culture populaire et de tout
vouloir axer sur la culture classique. (…) C’est vraiment important de croiser les cultures
et de ne pas les hiérarchiser. On peut très bien amener un gamin à lire du Paul Eluard
ou même du André Breton à partir d’un texte de IAM ou NTM, je le constate tous les
jours dans mes ateliers. »
Hocine Ben ajoute que la clé de cette rencontre avec le slam poésie doit être le
plaisir : « Je sais pas comment l’Education Nationale pourrait se débrouiller avec ça,
mais s’il y a une seule chose à transmettre, c’est le plaisir. » Et le slameur de confier
l’influence d’un Céline qui l’a « décomplexé dans l’écriture » et celle d’un Ferré275 :
« La grand leçon, c’est que la poésie peut être racontée avec les mots de tout le monde,
de tous les jours, et même les mots de tout en bas, les mots de la terre et de la rue. »
De l’avis général, Léo Ferré apparaît comme « le grand-père du slam » en France.

3.1.2. Trait portrait (2009)

Le documentaire Trait portrait se distingue du précédent par sa diffusion libre sur


la toile276 et sa visée plus clairement pédagogique277 à travers la mise en relation
entre rap, slam, graffiti et poésie : autant de formes d’expression d’une culture
urbaine dont la richesse est ici mise en exergue. Comme le suggère le sous-titre
« Les écritures modernes », Jérôme Thomas revient sur l’histoire de l’écriture depuis
les tablettes d’argile de Mésopotamie jusqu’aux graffitis contemporains qui
concrétisent une forme de renaissance de la voix de l’écriture. L’écriture rapologique
ou slamologique se rapproche du graff en ce qu’elle est essentiellement manuscrite :
en témoignent les aperçus de manuscrits et autres clips reflétant cette dimension de
la matérialité de l’écrit, tels les poèmes « Papillon en papier » (SD) ou « Encre
vivante » (SD/JB). En faisant alterner les témoignages de graffeurs ou graffiteurs,
rappeurs et slameurs, le film vise à mettre en relief les points de convergence entre
ces trois formes d’écriture moderne : « Certains (slameurs), explique Souleymane
Diamanka, s’inscrivent là-dedans, dans ce truc qu’on peut appeler « poésie urbaine »

274
Selon cette interprétation, le célèbre discours de Luther King « I have a dream », prononcé le 28 août 63,
avec son éloquence appuyée par une gestuelle et des effets de voix savamment orchestrés, préfigurerait un
mouvement de politisation de la poésie.
275
L’influence de Léo Ferré nous a été confirmée par la plupart des slameurs interrogés.
276
Voir notre sitographie.
277
Nous l’utiliserons comme entrée en matière à l’occasion de notre expérimentation didactique présentée
dans la troisième partie de cette étude (voir notre chapitre 12 pour une analyse plus détaillée).
110

parce que c’est lié à cette musique, à ce contexte urbain, au graff, à cet esprit là
dans lequel on se reconnaît. » Le documentaire nous invite pourtant à sortir des
représentations communes, à l’instar de Rouda qui rappelle que le slam ne se réduit
pas à « parler sur un piano ». Le rappeur Oxmo Puccino revient sur les divergences
entre rap et slam, ce dernier permettant un approfondissement de l’écriture et un
espace de liberté, là où le rap est très codifié278. Si Gueko rappelle la nécessité
d’impacter ses rimes, Oxmo explique le rôle du flow* et la musique des mots comme
matière première :
« Tu travailles un flow qui va avec ce que t’as écrit et non pas avec la musique. Les
mots ont une musique, c’est aussi grâce à cette mémoire musicale qu’on peut se
rappeler du sens d’un mot. »
La question du blase* est aussi abordée : Didier de Kabal (« Spoke orchestra »)
insiste sur l’importance de ce pseudonyme, phénomène commun au graff, au rap et
au slam, à cette nuance près que la fonction cryptique l’emporte dans le graff, alors
que les fonctions ludique et identitaire passent au premier plan dans le rap et le
slam. John Banzaï présente le sien comme « un écrit de guerre qui (lui) donne de la
force et du courage ». Quant à la définition du slam, elle est formulée en termes de
« scènes ouvertes de poésie libre » (Félix J.), « espace de rencontres, de liberté »
(D.de Kabbal), l’écriture étant une « mise à nu » pour Oxmo. A défaut de mouvement
littéraire homogène et constitué en tant que tel, tous s’accordent à reconnaître avec
Félix J. que le slam a néanmoins suscité « un mouvement de masse de gens qui se
déplacent pour venir écouter de la poésie ».

3.1.3. Slameuses (2011)

Le documentaire Slameuses, réalisé par Catherine Tissier, a l’originalité


d’envisager le rôle et l’apport des femmes dans le slam français, et plus
généralement « la libération de la parole chez les femmes par le slam » :
« Elles s'appellent Tata Milouda, Rim, Kamikaze, Fifty One ou Amaranta et slament
aussi bien sur des scènes prestigieuses que sur des estrades improvisées ou dans des
cafés populaires. Ces poétesses urbaines jonglent avec les mots et produisent des
textes dans lesquels elles parlent de leur vie et des inégalités criantes qui existent

278
Le rappeur Seth Gueko ajoute à ce propos : « y a trop de règles à respecter, on fait du rap, on fait de la
musique on peut pas dissocier rap et rimes, des rimes c’est des mots qui sonnent et qui se ressemblent, donc
c’est musical aussi. J’amène beaucoup d’argot dans mon rap, des langues étrangères aussi, pour avoir de
nouvelles sonorités qui rebondissent, que personne n’a utilisées. La rime tu vas la sentir si je l’impacte très
bien … ça sert à rien d’avoir une belle plume mais qu’on n’entende même pas tes rimes ! »
111

encore entre les sexes même si elles ne revendiquent pas toutes une démarche
féministe. Moins mises en avant que leurs homologues masculins, elles font pourtant
preuve d'une grande créativité et ne mâchent pas leurs mots. »279

Lors d’un entretien téléphonique que la réalisatrice nous a accordé280, elle nous a
confié son ambition de mettre en avant la parole des femmes qui « éructent » sur
une scène slam. De son point de vue, les slameuses se distinguent en ce qu’elles se
mettent à nu, évoquent leur intimité avec beaucoup de lucidité et une certaine
crudité, là où les hommes aborderaient plutôt des sujets ayant trait à la société,
l’identité, l’urbanité. C’est peut-être là que se jouent - que se nouent - leur créativité
et leur singularité, même si « le slam est une mouvance » et qu’il n’est pas facile
d’atteindre l’individu derrière le groupe, la personne derrière le collectif281. A l’instar
de Pascal Tessaud, Catherine Tissier a pris le parti de filmer les slameuses chez
elles, dans leur intimité, corroborant ainsi la représentation d’une poésie du
quotidien. Elle a saisi des moments et des mots off, impromptus, des réactions
saisies à la volée sur le trottoir, afin de rendre compte du caractère instantané de
cette parole qui se donne à voir autant qu’à entendre.

En juxtaposant témoignages de slameuses et extraits de scènes – ou textes


slamés « hors-scène » –, c’est bien l’idée d’une libération par les mots qui ressort :
« je vais fighter » annonce Amaranta avant d’entrer en scène, rappelant qu’aux
Etats-Unis, « on a 3 minutes pour percuter au maximum » : « Pourquoi mettre des
fioritures ? » conclut-elle. Doyenne et « mascotte » des slameuses, la fameuse Tata
Milouda explique comment le slam l’a libérée en lui permettant d’ « ouvrir sa valise,
ses archives », de « devenir quelqu’un » : « c’est ma vie, c’est mon corps, c’est ma
bouche ». Lieu d’une quête identitaire, donc, et aussi d’un ancrage solidaire :
« Chacun va à son niveau, chacun va à son rythme, mais chacun va. Dans cet
endroit-là, chacun va… On va tous dans la même direction en fait ! » constate l’une
des slameuses interviewées. Si l’amour apparaît comme un sujet-phare, des thèmes
comme le viol sont abordés avec une crudité qui porte l’émotion à son paroxysme :
« On construit une nouvelle façon d’appréhender l’amour » précise Rim. Entre
romantisme (« Tu es la saison de mon être » slame Säb) et quête d’indépendance
(« Pas besoin qu’on m’embrigadise, qu’on m’enlise, qu’on me ridiculise »), ce sont

279
Synopsis consulté sur le site de Télérama. Notons que la graphie proposée pour le blase* de l’une des
slameuses citées est une interprétation de la paronymie (Camille Case, nous soulignons).
280
Enquête complémentaire en date du 18/07/11.
281
Les collectif*s « Clack your hands » et « Slam ô féminin » apparaissent dans le film.
112

autant d’« allers-retours entre la terre et les étoiles » (Camille Case) qui peuvent
passer par une déconstruction des contes, par l’invention ou la découverte de
nouveaux mots qui confèrent une liberté nouvelle : « faire entrer de nouveaux mots
dans son vocabulaire, ça ouvre des possibles », souligne Camille Case à l’issue d’un
atelier qu’elle anime282 et dont l’objectif essentiel, à l’évidence, consiste à aider les
participants à « accoucher » de leurs propres mots ou à leur en offrir de nouveaux.
La place des femmes dans la compétition est aussi interrogée, Camille Case ayant
participé au Grand Slam de Paname de 2010283 insinue que les femmes arrivent
rarement à ce niveau. A contrario, deux des slameuses que nous avons rencontrées
(Lauréline Kuntz et Luciole) ont remporté des Grands slams.

3.2. A la rencontre des slameurs : synthèse des entretiens

3.2.1. Chacun cherche son blase* : pseudonymes et quête identitaire

S’interrogeant sur le langage propre au slam, Héloïse Guay de Bellissen évoque


le blase qu’elle explicite en référence à blason (2009 : 173) : « On doit à partir de son
blase imaginer le personnage, un nom qui colle à la peau. »284 Le terme est
répertorié par Jean-Pierre Goudaillier (1997a : 53) qui fait référence au roman Crame
pas les blases de Boris Seguin285, après l’avoir défini comme « substantif argotique
pour a) nez b) nom de famille ». Les deux graphies « blase / blaze » sont d’ailleurs
attestées par Alain Rey (2007 : 417) pour ce « mot d’argot d’origine douteuse » qui
dériverait par apocope de blason, hypothèse contestée par Cellard et Rey qui
proposent de faire de blason au sens de « nom » une suffixation par calembour de
blase, donnant à blase le sens de « nez » 286. Qu’il vienne de l’argot blaze, désignant
le « nez » à une époque où l’on pouvait identifier un homme à son profil, ou bien de

282
La slameuse donne l’exemple du mot « pandiculation » en le mimant et en précisant que ce terme
s’appliquant aux chats peut être découvert avec profit : « une fois qu’on connaît ce mot, ça donne une
légitimité à l’action qui va avec, quelque part ».
283
Voir notre premier chapitre.
284
Lors d’une slam session, l’annonce du blase* du slameur précède son entrée en scène et influe donc sur les
attentes, soit l’horizon d’écoute (voir notre prochain chapitre pour ce concept) qui s’ouvre pour les auditeurs.
285
Boris Seguin est aussi le co-auteur, avec Frédéric Teillard d’un ouvrage intitulé Les Céfrans parlent aux
Français (2005), sous-titré « Chronique de la langue des cités ». Le titre Crame pas les blase*s signifie, d’après
Jean-Pierre Goudaillier, « (ne) donne pas les noms, (ne) dénonce pas ! ». D’où l’idée d’une fonction cryptique
que l’on retrouvera s’agissant des blase*s de taggeurs (voir chapitre 5).
286
Selon cette acception plus tardive (1915), le mot serait issu d’un croisement entre « blair » et « naze », avec
influence de l’allemand blasen « souffler (du nez) ». On peut aussi passer de « nom » à « nez » avec la valeur
commune de « signe d’identification », ou encore de faux blase, « faux nez », et par métonymie au figuré
« personnage dissimulé », d’où le sens actuel de « faux nom ». (voir notre glossaire).
113

blason, « emblème d’une lignée », le blase constitue donc, pour un jeune de cité, la
marque d’une identité potentiellement masquée :
« Personne ne lâche son blase sans un minimum de précautions »287
Interrogés sur leurs blases respectifs – ou sur l’absence de blase a contrario – les
slameurs et slameuses que nous avons rencontrés ont explicité leurs choix.
Lauréline Kuntz nous a confié qu’elle n’avait jamais ressenti le besoin de se
construire une identité scénique, arguant de l’origine alsacienne de son patronyme
qui fait déjà office d’ « emblème identitaire » (Billiez). A ses yeux, le choix d’un blase
fait sens dans la culture hip-hop plus que dans le slam. De fait, plusieurs slameurs
interrogés ont conservé leurs pseudonymes de graffeurs, comme en témoignent le
diminutif « Bas » (pour Bastian) et le verlan graphique « Ysae » (pour « easy »).
D’autres ont choisi des emprunts à la langue arabe (Rouda, « la brindille »), anglaise
(Ivy, « le lierre ») ou encore hébraïque (Lyor, « ma lumière »)288, attestant de
stratégies identitaires complexes. « Narcisse » a préféré s’inscrire, à travers le choix
d’un blase hérité de son grand-père, dans la lignée familiale, tout en jouant avec les
résonances mythiques de ce nom289. « Rouda », « Ivy » et « Luciole » sont des
surnoms attribués par des amis de façon métaphorique :
« Un ami anglophone m’a baptisé ainsi dans mon adolescence. Ivy, le lierre, s’agrippe et
s’élance, recouvre de verdure la laideur des murs gris. Espoir flottant, qui trop souvent,
hélas, étouffe son tuteur. »290
Luciole a filé la métaphore de son blase dans un texte éponyme de son album
Ombres (2009) 291:
« C’était quelqu’un qui m’avait fait remarquer que Lucile, quand rajoute une lettre ça fait
Luciole (…) j’ai choisi le nom de l’album parce que c’était un clin d’œil, parce que ça
m’amusait de faire une petite pirouette, un petit jeu de mots par rapport au pseudonyme
et à la chanson. »292
Dès lors, c’est tout un univers poétique qui se révèle, jusqu’à la perspective scénique
qui devait matérialiser ce jeu d’ombres293, à partir de ce mot-emblème. Plusieurs
blases sont dérivés par homophonie du patronyme (« Boutchou » pour Bouchoueva,

287
Lee Harvey Asphalte, “Hard corps et âme”.
288
« Lyor, c'est mon deuxième prénom et c'est d'origine hébraïque. Ça veut dire : ma lumière ou pour moi la
lumière, selon les interprétations. » (enquête complémentaire, mail du 31/01/11)
289
« Regardez-vous » est le titre de l’un de ses spectacles (voir l’article de presse en annexe II.14).
290
Enquête écrite du15/09/10.
291
Métaphore filée par les journalistes à l’occasion de la sortie de son album, à l’instar de Valérie Lehoux
(Télérama, 2009 : 60) qui titre « Luciole l’éclaireuse » et conclut que « ces Ombres de slam et de chanson
mêlées s’avèrent joliment lumineuses. »
292
Entretien du 12/04/10.
293
« J’ai aussi choisi ce titre-là parce que je rêvais que sur scène, scéniquement, scénographiquement parlant, il
se passe des choses avec des ombres. » (entretien cité).
114

« Mots Paumés » pour Maupomé) ou encore d’un autre lexème tel barbituriques294.
« Barbie tue Rick » développe l’équivoque de ce pseudonyme par un néologisme
intégré à l’un de ses slams295 et se présente généralement comme :
« Pro-défonceuse de la langue française et prototype hunnique (…)
Une poupée qui parle, évanescente et puis aussi qui vanne blessante…»296
Enfin, un slameur a déformé son nom par siglaison, « Marco DSL » pour « De San
Leandro » :
« DSL, ça vient de mon nom de famille, c’est un sigle que je trimballe depuis très
longtemps. Mon émission de « Soul music » s’appelait « Definitive Soul Love », et après
il y a toutes les déclinaisons possibles : « Difficile de Saquer les Barbus », « Dégage, tu
Saccages ma Langue », « Donne Suite à mes Lettres »… « Doubt Style Lyrics ». »297
Ce pionnier du slam lyonnais s’est d’ailleurs forgé une seconde identité scénique :
« Mon nom de slameur, c’est Vers Sain Rhétorique. Vercingétorix, comme tu peux le
voir, je ne lui ressemble pas ! Je suis pas blond, j’ai pas de tresses, je suis pas gaulois…
Mais je viens de Lugdunum. Quand tu viens de la capitale des trois gaules, te faire
appeler « Vers Sain Rhétorique »… ça correspond bien à ce que je suis, quoi. Les vers,
c’est sûr, la rhétorique aussi, il n’y a pas de « t » à Saint. » (entretien cité)
Pour Katia/Boutchou, cette quête d’un blase consistant en un jeu de mots est une
spécificité des slameurs rhônalpins et correspond à « une recherche un peu
bouffonne »298.

Seuls cinq slameurs – Frédéric Nevchehirlian, Lauréline Kuntz, Marc Smith,


Silvia Nieva et Souleymane Diamanka299 – n’ont apporté aucun modification, fût-elle
graphique, à leur nom. Frédéric Nevchehirlian a souligné l’importance de son
patronyme qui porte la trace d’une origine arménienne300, tout en évoquant cette part
d’ombre qui émane des terres de ses ancêtres :
« A l’intérieur de moi, ils sont une partie d’obscurité. C’est la nuit quoi. Et j’ai éclairé la
lumière l’année dernière puisque j’ai vu le paysage : j’y suis allé et ça m’a apaisé.
Depuis, je suis calme. Non mais c’est vrai, on sentait qu’il y avait une part d’obscurité en
moi qui venait de cette chose qui n’était pas rattachée… »301
L’évocation des pseudonymes a donc été l’occasion d’aborder les origines des
slameurs rencontrés. Plusieurs d’entre eux sont plurilingues, à commencer par

294
« Quitte à les endormir, autant prévenir les gens » nous a expliqué l’intéressée.
295
Slamnifère (voir notre chapitre 6).
296
Page Myspace de la slameuse (voir notre sitographie).
297
Entretien du 27/11/08.
298
Entretien du 26/12/10.
299
Ce nom a fait l’objet d’une interprétation métaphorique dans l’article de presse de Bernard Loupias où le
slameur d’origine sénégalaise est qualifié de « Diamant noir », la métaphore étant filée par la formule « bijou
de slam ». (voir en annexe II.5)
300
Le père du slameur est d’origine arménienne. (voir le clip vidéo « Le nom : mode d’emploi » sur la toile).
301
Entretien du 27/11/09.
115

Souleymane Diamanka dont la langue familiale ou natale – selon sa propre


formulation – était le peul :
« A la maison, je parlais peul, et c’est quand j’ai appris la mécanique de l’écriture en
français, les lettres qui s’additionnent pour faire les mots, ça m’a plu tout de suite et j’ai
commencé à écrire à ce moment-là. »302
C’est dire que cette langue – paternelle autant que maternelle – enregistrée sur des
cassettes303 n’est pas sans conséquence sur la création poétique de ce slameur qui
se présente comme « Peul bordelais aux cordes vocales barbelées » : « Quand je
m’approche du français, j’enrichis mon peul et quand je m’approche du peul j’enrichis
mon français. (…) Plus tu connais de langues, plus t’es poète. » pressent-il (GdB,
2009 : 155). Il a d’ailleurs fait référence à la traduction dans l’entretien qu’il nous a
accordé : « du moment que tu traduis une langue dans une autre, il y a une poésie
qui nait, le mot à mot n’existe pas… » Puis il a illustré son propos par l’exemple du
texte « Si quelqu’un te parle avec des flammes, réponds-lui avec de l’eau », né de la
traduction d’un proverbe peul304.

Cette question de la traduction - qui renvoie à l’idée de l’expérience poétique


comme « traversée matérielle des langues » (Prigent, 1989) - a été abordée avec le
marseillais Frédéric Nevchehirlian. Interrogé sur son plurilinguisme, ce dernier a
évoqué la langue espagnole dont il ne connaît que la musique305, avant de relater
son expérience de la traduction du Kaddish d’Allen Ginsberg306. Dès lors, le poète a
pris l’habitude d’annoter les traductions, comme celle des poèmes de Patti Smith
dont il nous a démontré et commenté les insuffisances lors de l’entretien : c’est la
question de la transcription même de la poésie orale qui est ici posée, à travers
l’évitement des répétitions par exemple. Et le slameur de conclure :
302
Entretien du 24/09/10.
303
« Mon père, qui avait immigré en France deux semaines avant ma naissance, avait peur que nous n'ayons de
peul que le nom. Or, sans ses dictons, ses proverbes, un Peul n'est rien. Alors il a parlé sur des cassettes pour
tout nous transmettre. J'ai bien dix heures de bandes...» (article cité du Nouvel Observateur). Dans l’émission
de radio « Les objets » diffusée sur France culture, le slameur a aussi développé le rôle de ces cassettes (voir en
sitographie).
304
Poème audible sur la page Myspace de l’artiste (voir notre sitographie) et commenté lors de l’entretien cité :
« C’est-à-dire… en Peul on dit (…), ça veut dire « Si quelqu’un arrive en portant du feu, apporte de l’eau. » Je l’ai
traduit et j’en ai fait un texte : « Si quelqu’un te parle avec des flammes, réponds-lui avec de l’eau. C’est pas
vraiment la traduction mais de la traduction, j’ai créé quelque chose. »
305
Sa mère étant d’origine espagnole, l’un des textes de Vibrion (« Khora », 2006) fait entendre la voix de cette
langue maternelle.
306
Ce travail a fait l’objet d’un mémoire de Maîtrise de Lettres modernes : « j’avais déjà cette prétention mal
placée quand j’ai traduit le kaddish de Ginsberg à l’Université. Il y avait trop d’omissions, je ne comprends pas.
C’est pour ça que je l’ai retraduit à un moment donné, il m’a tellement bouleversé ce texte. J’ai trouvé que la
traduction ne rendait pas grâce à sa diction, à ses performances*, à des structures de phrases qu’on comprend
très bien. » (entretien cité)
116

« On me l’a renvoyé plusieurs fois, on m’a dit plusieurs fois que mes textes sont comme
s’ils étaient traduits, portent en eux la trace d’une langue ancienne : ça me plait bien
cette idée. » (entretien cité)
En tout état de cause, la poésie n’est-elle pas par essence une expérience de la
traduction de sentiments, sensations ou émotions ?

Marco DSL, d’origine espagnole, a intégré une macro-alternance307 en l’honneur


de sa grand-mère à son premier album (2006), tout en nous avouant ses difficultés à
écrire dans cette langue. Quant à Katia Bouchoueva, d’origine russe, elle nous a
confié son ambition de « devenir française par la langue », étant d’ores et déjà
reconnue dans le cercle des poètes russes :
« Je me suis dit que si j’arrivais à écrire en français des textes de qualité équivalente à
ce que j’écrivais en Russe, alors je serai vraiment française. Des slameurs comme John
Banzaï et Souleymane Diamanka – « Le meilleur ami des mots » – écrivent des textes
de qualité comparable aux plus grands poètes. Ils sont dans la langue, comme si on la
leur avait injectée… c’est impressionnant ! »308
Si Souleymane Diamanka a reconnu en John Banzaï son frère de slam, il nous a
expliqué que c’est aussi ce rapport au français comme langue seconde qui les a
rapprochés, conduits à écrire et à déclamer en duo :
« On se baladait tous les deux dans le français : « Ah, t’as vu, c’est génial ! T’as vu ce
que tu peux faire ? Tout ça… » (entretien cité)
Conjuguant au sein d’un duo bilingue309 les divergences sonores de leurs langues
maternelles respectives, ils se sont rejoints dans ce rapport à la langue qui relève
d’une certaine « magie » selon les termes de Souleymane Diamanka310. En atteste le
titre de leur recueil écrit à quatre mains – J’écris en français dans une langue
étrangère (2007)311 – qui n’est pas sans rappeler la définition du style selon
Deleuze312, inspirée de la célèbre citation proustienne : « Les beaux livres sont écrits
dans une sorte de langue étrangère » (1971 : 299). Enfin, Lauréline Kuntz a décrit
son rapport à la langue alsacienne, parlée par sa mère et sa grand-mère, dont elle
apprécie la crudité de certaines images et dont l’accent ou le phrasé portent la trace :

307
Voir notre chapitre 5 pour la définition précise de ce terme (Billiez) : nous l’utilisons ici pour « un texte
entier dans une langue autre que la langue de base ».
308
Entretien du 7/11/07.
309
Page Myspace « Le meilleur ami des mots » (voir notre sitographie)
310
« Les polonais, c’est des gens qui parlent la bouche fermée à cause du froid, c’est beaucoup de « ch », de
« tch »… Des sonorités les dents serrées. En Afrique, il fait chaud, c’est que des « a », des « o » » (entretien cité)
311
« Avant d’être couchée sur le papier, c’est une question que j’ai posée à John. Si tu devais définir ta manière
d’écrire, avec tes origines, tu dirais quoi ? Il m’a dit « Moi, j’écris en français dans une langue étrangère, je la
découvre cette langue. » (SD, entretien cité).
312
« Etre comme un étranger dans sa propre langue » (Deleuze & Parnet, 1977).
117

« il y a un truc qui est vraiment alsacien, c’est cette façon de parler vite. Elle est très
courante en Alsace. Moi, je tape sur les consonnes : tatatatatata ! (…) Ma grand-mère,
pendant la seconde guerre mondiale, en Alsace on l’appelait « la mitraillette », tellement
elle parlait vite ! »313
A ces résonances identitaires s’ajoute le constat que plus des deux tiers des
slameurs et slameuses (11/15) interrogé(e)s ont fait ou font partie d’un collectif*. Si
ce terme fait l’objet d’une entrée de notre glossaire, nous le définirons dès à présent
comme un groupe de slameurs impliqués dans une démarche collective consistant
dans l’animation d’ateliers ou de scènes, l’organisation d’évènements autour du
slam, la publication de recueils, voire l’écriture collective314 :
« Si on a décidé de s’appeler un « collectif* », c’est parce qu’on voulait pas faire un
« groupe ». Donc, c’est des individualités qui travaillent ensemble et qui, de temps à
autre, ont un travail collectif. La plupart du temps, on est sur un travail individuel
d’écriture, même si ça n’empêche pas qu’on puisse lire nos productions les uns aux
autres et avoir des retours critiques… Mais c’est vrai que la part de l’écriture collective,
elle est de 20 à 30% dans notre travail. »315
En tout état de cause, l’appartenance à un collectif est susceptible de favoriser une
dynamique interactionnelle comme en témoigne le duo de contrepèteries « Le King
et le Kong » (2006), coécrit par Marco DSL et Bastien Mots Paumés appartenant au
collectif de la « Section Lyonnaise des Amasseurs de Mots » :
« Effectivement, je lui ai proposé d’être sur mon album ; je lui ai dit : « C’est
contrepèteries ou rien ! (…) Moi, mon kiff, c’était de partager avec lui et de lui faire
accoucher de choses qui étaient très très loin en lui. Evidemment, il a réussi. La dernière
qui manquait, on l’a trouvée ensemble au téléphone. Parce qu’en plus, on faisait ça au
téléphone ! »316
On retrouve ici la dynamique de joute ou de harangue définitoire du slam :
« Il y a des tas de définitions de la poésie et je pense qu’il peut y en avoir autant du slam
qu’il y a de slameurs mais c’est vrai qu’au départ, en tout cas aux Etats-Unis, c’était une
forme de harangue. »317
Frédéric Nevchehirlian et Bas Böttcher ont fait partie de groupes pop-rock, dont les
autres membres étaient musiciens, mais il ne s’agit pas à proprement parler de
collectifs de slameurs. « Le meilleur ami des mots », précédemment cité, est né de la
conjugaison de deux écritures et a pu s’incarner sur scène. Même si cette
collaboration ne semble pas se concrétiser au-delà de ces duos sur un plan

313
Entretien du 3/12/10.
314
La collaboration peut aller jusqu’à l’écriture, en réponse à des commandes (collectif* 129H), ou encore par
l’échange de mots inventés comme « Pauvricide médialiénation télémagogique », proposés par Lyor à Rouda
pour l’un des textes de son album Musique des Lettres (2007). Voir notre glossaire.
315
Lyor (collectif « 129H »), entretien avec Rouda du 27/10/08.
316
Marco DSL, entretien cité.
317
Barbie tue Rick, entretien du 26/12/10.
118

organisationnel, elle a induit une réelle dynamique sur les plans génétique et
scénique :
« Qui est le meilleur ami des mots ? C’est le même doute chaque soir. »318

Luciole a fait partie du collectif breton « Les mots de l’heure » – fondé en vue de se
préparer à une épreuve par équipe du Grand Slam – et Narcisse appartient à la
« Société Lausannoise des Amateurs et Amatrices de Mots » (SLAAM). Le collectif
129H (Rouda, Lyor, Neobled) est des plus actifs comme en attestent ses initiatives
en termes de diffusion et de projets internationaux319. De même, la « Section
Lyonnaise des Amasseurs de Mots » a permis à plusieurs recueils collectifs de voir le
jour320. Enfin, le collectif « Slam Poetry Madrid » réunit des slameurs madrilènes dont
la vitalité et la ferveur poétique n’ont rien à envier aux français comme en témoignent
les chroniques publiées sur leur blog321. En tout état de cause, le slam oscille entre
démarche individuelle de création et démarche collective réunissant des gens unis
par l’envie de dire, de se rencontrer, de partager, mais chacun poursuivant sa route
dans un univers singulier. En 2007, Katia/Boutchou voyait déjà des courants, des
« écoles » se distinguer au sein du mouvement slam : « On ne slame pas à Rennes
comme on slame en Suisse ou à Lyon. Par exemple à Lyon, le collectif dont je fais
partie est défenseur de l’écriture rythmique*. » observe-t-elle, ce qui se confirme trois
ans plus tard au dire de Narcisse : « Il me semble aussi que les scènes qui ont la
plus longue expérience (Paris, Lyon, Toulouse) ont développé un type d’écriture plus
abouti que les scènes plus récentes (Liège, Strasbourg, et les villes plutôt
périphériques) : il se crée une émulation entre slameurs ».322 Pour Sivia Nieva,
l’importance accordée au rythme est le trait d’union entre les slameurs du monde
entier - « Siempre es importante el ritmo, pero cada poeta lo interpreta a su
manera. »323 - ce qui nous met sur la voie d’une Poétique du rythme (Meschnonnic).
La quête d’une identité groupale via la constitution de collectifs rejoint ici la quête
d’une identité artistique.

318
Original slam, poésies urbaines (2006).
319
Publication du livret Ecrire et dire, petit guide méthodologique pour l’animation d’ateliers slam et autres
projets menés dans le monde entier.
320
S.L.A.M. Session (Asiles éditions, 2009), Textes à claques (Editions Thot, 2010).
321
Voir en sitographie.
322
« Par exemple, à Lyon, on entend souvent des slameurs débiter leurs textes à une vitesse folle, sous
ème
l’influence de leurs modèles locaux : Koumekiam, Xtatik, Piéton. A Paris dans le V , il y a une tendance aux
textes humoristiques un peu graveleux, limite scato, avec des meneurs comme l’Azraël, mais on ne la retrouve
pas sur la scène de Tsunami ou sur celle de Pilote le Hot, par exemple. » (enquête du 15/05/10)
323
« Le rythme est toujours important, mais chaque slameur l’interprète à sa manière » (enquête du 15/10/11).
119

3.2. 2. Tous les chemins mènent au slam : parcours et expériences

Les slameurs/slameuses que nous avons rencontré(e)s ont suivi des voies
diverses avant de trouver leur voix dans le slam. Les origines des 16 slameurs
soumis à notre enquête sont ainsi réparties : à 10 artistes français et 2 francophones
(un slameur suisse, un québécois), s’ajoutent une slameuse russe, une slameuse
espagnole – francophones elles aussi – et un slameur allemand, sans oublier le
fondateur américain Marc Smith. Les origines régionales des slameurs français sont
plus variées que la seule région parisienne (6 slameurs), la région Rhône-Alpes (3
slameurs) et la région PACA (1 slameur), où ils sont aujourd’hui principalement
installés : Lauréline Kuntz est originaire de Strasbourg, Luciole de Bretagne,
Souleymane Diamanka de Bordeaux, Frédéric Nevchehirlian est marseillais, Marco
DSL lyonnais, Barbie TR habite Vienne, Mots Paumés et Boutchou sont grenoblois.

En ce qui concerne leurs parcours scolaires, notons que deux slameurs ont
interrompu leurs études en troisième (pour Marco DSL) ou au lycée (pour SD). Marc
Smith revendique aussi son caractère autodidacte : il exerçait en tant qu’ouvrier du
bâtiment avant d’œuvrer pour la démocratisation de la poésie. Echappé d’une
formation professionnelle pour rejoindre les bancs de l’Université de Lettres, Frédéric
Nevchehirlian a enseigné cette discipline dans les collèges du Nord de Marseille
avant de se consacrer à la « poésie rock ». Ivy a poursuivi des études littéraires à
l’Université de Laval en se spécialisant dans les mécanismes de la poésie324 ; Silvia
Nieva et Katia Bouchoueva étudient la linguistique/philologie française. Lauréline
Kuntz a poursuivi des études théâtrales jusqu’en DEA alors que Narcisse a mené à
bien un doctorat en musicologie à l’Université de Genève. Les études de Bas
Böttcher – en « design des media » – lui ont permis d’explorer cette dimension
appliquée à la poésie, d’où la rédaction d’un mémoire sur les clips poétiques. S’il a
exercé en Afrique en tant que travailleur social, Rouda a étudié l’histoire après une
classe préparatoire littéraire, ainsi que Luciole qui a suivi une classe préparatoire en
Sciences Politiques. Bastien Mot Paumés a une formation d’éducateur et Barbie tue
Rick exerce en tant que bibliothécaire ses talents de conteuse.

324
Plusieurs articles publiés sur son blog – certains étant issus de conférences CEULA à l’Université Laval – sont
consultables sur le blog du slameur (voir en sitographie).
120

Pour ces slameurs, les expériences décisives dans le cheminement jusqu’au


slam ont trait à la chanson et à la musique pop-rock (BB, F, Luciole, I325, N, SD326),
au rap (BB, Marco DSL, SD) ou à d’autres formes de la culture hip-hop comme la
danse ou le graff327, au théâtre (Lu et LK) et à la radio (MDSL, I) 328, sans oublier les
arts de la rue (le jonglage pour SD). Dans le cas du théâtre ou du conte en
particulier, des arts du récit en général, les futures slameuses (Lu, LK, B) aspiraient à
trouver leur voix, au sens où elles voulaient donner voix et vie à leurs propres mots,
leurs propres textes : « Le conservatoire ne m’épanouissait pas pleinement, je me
sentais parfois frustrée et au fond, je me sentais plus à l’aise avec mes propres mots
qu’avec les mots et personnages d’autres. » résume Luciole. Dès lors, la rencontre
avec le slam a eu un effet libérateur sur leur écriture :
« Du coup, ça a été vraiment décisif parce que ça a développé mon goût de l’écriture et
MON écriture à part entière, et c’est ça qui m’a permis de me rendre compte que je
pouvais exister toute seule avec mes textes… » (Lu, entretien cité)
C’est à la confluence de ces expériences multiples de spectacle vivant, théâtre et
chanson que la slameuse/chanteuse a construit son identité vocale329. Pour Barbie
tue Rick, il s’agissait de trouver « une voie (voix) nouvelle, ou une nouvelle façon de
dire » par rapport à son expérience de conteuse330.

L’amour des mots, de l’écriture en général et de la poésie en particulier est le fil


rouge qui relie tous ces slameurs331. Plusieurs d’entre eux ont évoqué leur intérêt
pour les dictionnaires à l’image d’un Marco DSL, d’un Bastien Mot Paumés ou d’un
Souleymane Diamanka : « Des fois, j’ouvre le dico au hasard ou j’écoute les mots,
parce qu’un même mot utilisé dans plusieurs disciplines veut dire autre chose. »332

325
Dans les années 90, Ivy était membre du duo folk engagé « Ivy et Reggie ». Slamérica est mon premier
disque explicitement parolier. Il porte encore la marque de mon travail en chanson. C’est véritablement un
hybride, une pierre d’angle mutante pour la suite. » (enquête citée)
326
BB et SD ont écrit des paroles pour des chanteurs ou chanteuses comme les « Nubians » pour SD.
327
SD a fait de la danse hip-hop, Bas Böttcher du tag et du graff, Marco DSL s’est essayé au rap.
328
Marco DSL a été animateur de radio. De septembre 2005 à mars 2006, Ivy a tenu une chronique poétique
slam dans l’émission « Vous m’en lirez tant » sur Radio-Canada. Pour Souleymane Diamanka et John Banzaï, ce
sont des textes diffusés lors d’une émission de radio sur France culture qui ont donné lieu à la publication du
recueil J’écris en français dans une langue étrangère (2007).
329
« Petit à petit, c’est devenu plus chantant et de fil en aiguille, je me suis créé mon propre mélange entre
mon parcours théâtral, les années de chant que j’avais derrière moi et le slam, donc l’écriture. C’est tout ça qui
m’a permis de me trouver mon identité vocale pour le projet d’album. » (Luciole, entretien cité)
330
Entretien cité.
331
Rouda a fait référence au « fil de l’oralité », image développée par Nicolas Romeas, directeur de la revue
Cassandre et auteur de la préface du guide Ecrire et Dire : « Toute sa thèse, c’est qu’on est tous reliés par un fil
invisible, toutes les cultures en fait, et que ce fil c’est juste la parole. » (entretien cité)
332
Entretien du XXX
121

Les mots relevant de l’argot333 ou d’un jargon suscitent un intérêt en tant qu’ils
permettent de renouer avec une certaine opacité du langage. Aussi Barbie tue Rick
nous a-t-elle fait part de son habitude de lire « des revues techniques, par exemple
de mécanique ou de physique », afin d’y dénicher des mots nouveaux auxquels elle
donne « une autre vie » en les décontextualisant « comme les gamins qui emploient
des mots qu’ils ne comprennent pas… » Si Marco DSL vendait ses rédactions au
collège334, Bastien MP a toujours, du plus loin qu’il s’en souvienne, « photocopié de
l’oral », mais aussi « tordu et déformé la langue », ayant « en tête ce foisonnement
d’histoires qu’(il a) besoin d’exorciser parce qu’elles (lui) obscurcissent l’horizon. »
Après une période d’« écriture hémorragique », sa rencontre avec le slam, étayée
par Marco DSL qui l’a initié à son art à l’occasion d’un cycle d’ateliers, a confirmé sa
vocation.

Six des slameurs interviewés (BB, Lu, Ly, LK, N, I) ont remporté des prix ou des
concours comme le Championnat de France de slam pour Luciole (en individuel en
2005 et par équipe en 2006) et Lauréline Kuntz (par équipe en 2007). Lyor –
intervenu pendant l’entretien avec Rouda en tant que membre du collectif 129H – a
gagné en 2002 la première compétition slam au café culturel de Saint Denis. En
2008 et 2009, Narcisse a « raflé » le premier prix des 24 heures du slam de Liège.
Enfin, un certain nombre des slameurs que nous avons rencontrés se distinguent en
tant que pionniers et activistes du slam. Bas Böttcher a remporté à plusieurs reprises
le German Poetry Slam Prize et développé la scène berlinoise dès 1995335.
Instigateur des scènes lyonnaises, Marco DSL a créé en 1997 l’association « La
Camarilla » afin de populariser l’écriture rythmique* et l’improvisation* d’écriture :
l’association a donné lieu à la mise en place de trois collectifs dont la Section
Lyonnaise des Amasseurs de Mots336, et permis la publication de plusieurs recueils

333
L’intérêt pour l’argot est partagé par plusieurs slameurs telle Barbie tue Rick : « c’est la langue que je
pratique le mieux : une espèce d’argot mélangé avec des tas de mots familiers, des mots d’arabe, des mots
d’anglais, mais c’est l’arabe d’en bas de chez moi ! » (entretien cité)
334
« Bizarrement, l’écriture était le premier truc que j’ai trouvé pour me faire de la tune. Quand j’étais au
collège, je vendais cinq rédactions par semaine ! » (entretien cité).
335
“We really had to convince people: it was a kind of mission to introduce this term of “poetry slam”(…)” nous
a confié l’artiste (entretien du 14/10/10, voir notre premier chapitre).
336
Le « Cercle des Poètes Apparus » issu des ateliers d'écriture rap et rythmique du collectif d'artistes de la
Croix Rousse "Melting Familly", la Section Lyonnaise des Amasseurs de Mots (S.L.A.M.), qui propage la parole
slam sur tout le territoire national et organise les Slams sessions lyonnaises, et la C.I.E.E.L.L. (Constellation
d'Improvisation d'Ecriture Ephémère Ludique Lyonnaise).
122

et anthologies337. Fondateur en 2007 de la Ligue Québécoise de Slam, Ivy avait déjà


gagné le prix des « Francouvertes » dix ans auparavant et vient d’obtenir la médaille
de bronze au dernier Grand Slam National (en septembre 2010) tandis que son
équipe a remporté le premier prix.

3.2.3. « La nuit, tous les stylos sont pris »338 : influences, filiations et genèse

D’une manière générale, les entretiens que nous avons réalisés convergent sur
la diversité des influences dont se revendiquent les slameurs. Ainsi Ivy nous a-t-il cité
« Walt Whitman, Claude Gauvreau, Sol, le surréalisme, le rock, le punk, le rap et la
chanson française »339 comme principales influences, et plus précisément :
« The Doors, Brigitte Fontaine, Zebda, Tryö, Léo Ferré, Walt Whitman, Philip Glass et
Alan Ginsberg, les mouvements littéraires du XXème siècle (Futurisme, dadaïsme,
surréalisme, automatisme, beat generation), Claude Gauvreau, la poétique d’Aristote, le
langage de la poésie gymnique africaine, les rapports entre magie et poésie, et tant
d’autres choses »340
L’écriture de ces « textes frontaliers entre poésie parlée et chanson » se nourrit pour
Ivy comme pour nombre d’autres slameurs de « tout ce qui se rapproche de l’univers
poétique oralisé »341. Marqués par une culture de l’oralité, ils se réfèrent volontiers à
des auteurs-compositeurs-interprètes comme Léo Ferré, Brassens et Gainsbourg342,
mais au-delà de ces références communes et presque incontournables, les
influences citées se caractérisent par une certaine disparité. En témoignent les
« Remerciements » d’un Marco DSL (2006) citant pêle-mêle : des humoristes
(Fernandel) ; des chanteurs (Boby Lapointe) ; des poètes (Queneau) ; des écrivains
(G.Perec) ; d’autres slameurs (Grand Corps Malade, Abd Al Malik) et rappeurs
(Oxmo Puccino) ; des réalisateurs (Almodovar) et acteurs (Johnny Depp), sans
oublier les remerciements « ouliposapiens »343. Ainsi l’écriture peut-elle naître de la
contrainte, en référence à l’Oulipo, cité à trois reprises (M, LK, Ly) :

337
L’association publiera en 1998 "Je texte termine, anthologie de textes rap à lire à haute voix", éd. Parole
d'aube / La Camarilla. Le « cercle des poètes apparus » a participé cinq années consécutives au "Français
comme on l'aime" et une quinzaine de textes ont été publiés dans les suppléments de Lyon Capitale édités
dans le cadre de cette opération.
338
Détournement emprunté à Grand Corps Malade : « La nuit » (Enfant de la ville, 2008 ).
339
Enquête citée.
340
Blog du slameurs (voir notre sitographie).
341
Site Internet cité.
342
Pour GCM « le poète absolu, c’est Brassens » (interview citée).
343
Voir le prochain chapitre pour un développement sur ce sujet.
123

« Je commence un texte avec une contrainte et le sujet nait de la contrainte, en fait. Ça


m’est arrivé sur un texte qui s’appelle L’Abécédaire, l’idée c’était de faire que chaque
mesure commence par chaque lettre de l’alphabet. En écrivant le texte, je me suis rendu
compte que je parlais d’illettrisme…dans le texte, alors que je ne partais pas forcément
avec cette idée-là au départ, voilà. » (Lyor, entretien cité avec Rouda)
Plusieurs slameurs se sont référés, au-delà des œuvres ou mouvements
littéraires344, à l’art en général sous ses diverses formes et manifestations, à une
culture multilocalisée345 : de la photo aux arts du cirque pour Souleymane
Diamanka, en passant par le cinéma, la Bande Dessinée (LK, MP), la science-fiction
(MP) et le roman policier (B)346. De fait, les images peuvent entrer en jeu dans le
slam, comme le suggèrent plusieurs slameurs ainsi que certaines de leurs
publications : Bas Böttcher a intégré une photo en vis-à-vis de chacun de ses textes
pour son ouvrage Die Poetry-Slam-Expedition (2009). Le cinéma en général347 et
l’univers du court-métrage en particulier nous ont souvent été cités348 :
« Je pense souvent à un mini-film, un court-métrage quand j’écris : j’essaie d’imaginer
un décor, un rythme. Après, je sais pas si ça s’entend, mais un nouveau texte c’est un
nouveau film pour moi ! » (BTR, entretien cité)
Par ailleurs, la presse apparaît comme une ressource intéressante pour Lauréline
Kuntz qui y voit un entre deux, une voie médiane entre culture populaire et une
culture jugée élitiste349 :
« Je lis autant Le Monde que Voici et c’est aussi ça que j’aime dans le slam, cet entre
deux. C’est comme un chemin entre culture populaire et culture élitiste, entre le « Elle
déchire la meuf ! » - un commentaire entendu à la sortie de mon spectacle - et « C’est
diablement bien écrit ! » d’une journaliste de Télérama. » (LK, entretien cité)
Le monde de la publicité inspire aussi un slameur comme Bas Böttcher qui se plait à
jouer avec la matière sonore des noms de marques et de produits :
“Che Guevara Manchego Chihuahua Chupa Chups” 350

A l’instar d’un Marc Smith ou d’un Bas Böttcher, les slameurs s’inspirent de la vie et
s’improvisent poètes du quotidien : “I am a humanist, précise le fondateur, I am

344
Des auteurs comme Becket, Céline, Coltès, Kundera, Prévert, Shakespeare ont été cités à plusieurs reprises.
Frédéric Nevchehirlian et Ivy ont fait référence à des poètes de la Beat Generation comme Allen Ginsberg.
345
Nous nous référons ici à Michel de Certeau qui parle de « multilocation de la culture » (1993).
346
Notons qu’il s’agit là de genres « néologisants » (Pruvost & Sablayrolles, 2003 : 53).
347
Souleymane Diamanka s’est inspiré pour son texte « Les voix dans ma tête » (2007) du Silence des agneaux.
348
Luciole nous a parlé d’un projet de réalisation d’un court-métrage avec l’illustratrice Rebecca Dautremer.
349
Notons l’influence possible de l’écriture journalistique et de la créativité à l’œuvre dans les titres d’articles
de presse (Sablayrolles, 2000).
350
“Fühlothek” in Die Poetry-Slam-Expedition (2009: 35). Une telle « rengaine » évoque les slogans publicitaires
(Calvet, 1979).
124

inspired by and write about the ordinary human experience, the ideas and concerns
of everyday people.”351

Les traditions évoquées – dans la lignée desquelles les slameurs disent s’inscrire
– vont du rhapsode au zajal, en passant par les troubadours, l’art griotique pour
Souleymane Diamanka et celui du conte pour Barbie tue Rick. Si Bas Böttcher fait
référence aux rhapsodes de la Grèce Antique352, d’autres slameurs ont cité des
traditions contemporaines comme celle des madjoubs ou le zajal libanais évoqué par
Lauréline Kuntz353. De retour du Liban où elle animait des ateliers slam354, la
slameuse nous a décrit cette tradition populaire de joute poétique qui lui semble
apparentée au slam. Suzie Felix (Peillon, 2009 : 118) nous rappelle que le terme
de zajal355 « définit en général la poésie populaire chantée en langue dialectale »
mais qu’il est « surtout utilisé pour désigner l’affrontement entre deux poètes ou deux
clans de poètes ». « Art de la controverse et de la dialectique » où « chacun se
prononce et disserte sur un thème d’actualité », il se distingue du slam en tant que
poésie improvisée : de fait, l’improvisation est rare dans le slam français comme
nous l’a rappelé Lauréline. Il s’en rapproche néanmoins en tant qu’« art de la
joute » : « chacun aiguise des mots tranchants, décoche des tirades acérées à son
rival. » Contrairement au slam, il est régi sur le plan poétique par des règles
précises356 : contrainte formelle qui confère au poème « une énergie et une
dimension festive, ludique et quasi-spirituelle », portée par la voix chantée du poète
et amplifiée par l’accompagnement musical. Comme dans le slam, le public est mis à
contribution, scandant en chœur le dernier mot de chaque hémistiche, et représente
« l’unique juge », décidant de rire ou d’applaudir. Partie intégrante du patrimoine
culturel populaire que partagent les libanais, toutes origines et confessions
confondues, le Zajal a un pouvoir fédérateur qu’évoquent certains slameurs, toutes
proportions gardées. Si Souleymane Diamanka s’inscrit explicitement dans la lignée
des griots africains en se disant Enfant d’Hampaté Ba357, Barbie tue Rick a évoqué

351
Marc Smith, enquête écrite du 1/01/11.
352
Voir notre chapitre 1.
353
Entretien cité.
354
Voir l’article de presse à ce sujet en annexe II.15
355
Du verbe « zêjilê » qui signifie « émouvoir avec la voix, chanter » en langue arabe.
356
« Chaque strophe ou beit se compose de quatre hémistiches de douze syllabes. Les trois premiers
hémistiches doivent se termine par un homophone et le dernier par une rime en AB. » (Peillon, 2009 : 119)
357
Titre d’un documentaire traitant de cette filiation, de la transmission au sein des familles peules, auquel le
slameur a participé (Villard, 2011).
125

l’art du conte qui lui est familier, soulignant sa portée universelle et la récurrence de
certaines formules ou ritournelles qui assurent une certaine circularité tout en
favorisant la connivence du public.

Quels que soient leur parcours et sources d’inspiration, tous les slameurs
accordent beaucoup d’importance à l’écriture, en quête d’un styloratoire358 à mi-
chemin entre oralité et écriture, entre mise en mots et mise en bouche359. Pour Ivy,
« Le slameur est un poète qui parle au public. Un orateur, en quelque sorte. Un
orateur des flammes. » (sic)360 Et le poète québécois de préciser la genèse de ses
textes en ces termes :
« Dès l’instant où un texte va plus loin que le premier jet, la voix entre en travail. Je dois
même dire que la plupart du temps, un texte qui sera offert sur scène recèle
obligatoirement une forme de dialogue intrinsèque. C’est là-dessus que je travaille. La
mise en bouche, en son, est solidaire de l’écriture. » (Ivy, enquête citée)
La plupart des slameurs préfèrent l’usage du carnet à celui des nouvelles
technologies pour les premières ébauches, à l’image de Lauréline Kuntz qui écrit
« deux mètres » de brouillon sur des cahiers d’écolier, utilisant la marge pour dresser
des listes de mots. Bastien MP aime à écrire « par post-it » avant de trouver la
linéarité de son texte :
« Souvent, j’écris par post-it, que ce soient vraiment des petits bouts qui traînent sur
mon bureau, sur mes carnets ou sur des listes ordi, mais souvent ces post-it là restent
dans ma tête. C’est plein de pistes, un peu comme en impro, et il y a plein de choses qui
deviennent conscientes et il y a des moments où des fils se touchent. (…) J’écris de plus
en plus comme ça, parce que j’ai de moins en moins de temps à mon bureau. Je passe
de plus en plus de temps dans la rue, dans le train, en mouvement… »361
De la même façon, Frédéric Nevchehirlian nous a confié que l’écriture du texte
« Large » s’était faite par bribes, et étendue sur plusieurs mois, jusqu’au 11
septembre 2001 où il a enfin trouvé la cohérence de l’ensemble :
« J’avais noté des phrases, des bouts de phrases sur des enveloppes, des bribes, tu
vois (…) Et puis toutes ces bribes qui finalement parlaient de la même chose, je les ai
regroupées sur deux ou trois feuilles que j’ai encore regroupées, et caetera, et caetera.
Jusqu’à ce jour où… Christophe avait commencé à composer une musique sur ces
bouts de texte et j’ai finalisé le texte le 11 septembre 2001… Quand ça a pété, on était
dans le local, en fait. Et j’ai pris les différentes parties (…), j’ai organisé, et j’ai placé le
mot « dimanche », même si on n’était pas dimanche. » (entretien cité)

358
Mot valise emprunté au collectif* « La tribut du verbe » (voir leur blog en sitographie) : « Les mots finissant
toujours par sortir de leur définition, le slam devient un styloratoire s'articulant de l'écriture à la parole… »
(nous soulignons)
359
GCM explicite en ces termes son titre « J’écris à l’oral » : « Ça passe toujours par l’écrit. En revanche, l’écrit
est très lié à l’oral, c’est-à-dire que dès que j’écris un ou deux vers, tout de suite je les dis à haute voix pour voir
comment ça sonne… Pour moi, c’est vraiment indissociable. » (interview citée, voir en sitographie)
360
Enquête citée. Notons le jeu de mots par rapport à oriflamme.
361
MP, entretien du 2/04/09.
126

L’écriture s’élabore souvent dans des moments de lucidité comme des lendemains
de fête – pour Frédéric Nevchehirlian – ou des réveils nocturnes pour Lauréline362.
Le déploiement du texte sur la page peut alors traduire une géographie plus ou
moins accidentée, voire un certain éclatement :
« Regarde, il y a une construction, tout ça c’est des dessins. Tu vois l’écriture explosée
qui correspond à quelque chose. Parce que je peux écrire correctement! » (FN, entretien
cité)
Les slameurs écrivent généralement beaucoup plus de textes qu’ils n’en oralisent sur
scène et certains nous ont donné à voir les brouillons attestant de leurs gammes,
d’une écriture/orature (Hagège, 1987363) qui ne va pas sans essais et ratures :
« Les mots sous la rature sont super importants et souvent quand on revient dessus,
c’est qu’il y avait une puissance qui nous gênait peut-être… et qu’il faut laisser.
Physiquement, visuellement, c’est intéressant de voir comment est construit un texte :
c’est pas quelque chose qui jaillit tel quel. On est juste les premiers témoins d’un truc, le
poème vit seul… » (SD, entretien cité)
Plusieurs slameurs ont comparé leur œuvre à celle d’un peintre, parlant de
composition364, de couleurs et de cadre365 – ou de sortir du cadre :
« Dimanche, la rue, / On voulait sortir du grand cadre… »366

A travers la parole qu’ils nous ont livrée sur leur écriture, le slam apparaît comme
lieu d’élaboration d’une pensée métaphorique, métatextuelle voire métagénérique.
Ainsi, pour Bas Böttcher, le slam poésie est une matière qui peut se présenter sous
trois formes différentes : la vapeur quand elle est à l’état de projet, dans l’esprit du
poète, l’eau à l’état liquide quand elle est actualisée en live sur une scène, la glace
quand elle est « emprisonnée » dans un livre367. En d’autres termes, le slam se vit,
s’entend et se voit, l’appréhension visuelle étant ciblée sur la page ou sur la scène,
amenée à évoluer « from the page to the stage ». Dans le même registre,
Souleymane Diamanka a utilisé une autre métaphore pour différencier l’écriture de
poèmes de l’écriture d’un roman : « C’est comme de passer de la piscine à l’océan »
a-t-il précisé. Frédéric Nevchehirlian dit de la genèse de ses textes qu’il écrit « en
mode automatique », en se laissant porter par la musicalité du texte « comme (s’il)

362
« Dahli écrivait comme ça, dans les moments d’endormissement : il s’endormait avec une cuillère à la main,
quand la cuillère tombait (Cliiiing !), hop il se réveillait et il allait écrire à ce moment là ! C’est un moment de
lucidité et où tout s’organise dans la tête ! » (entretien cité)
363
Voir notre prochain chapitre pour un développement sur ce concept.
364
Terme qui connote aussi la musique. (voir par exemple l’entretien avec Bas Böttcher).
365
« Très souvent, il y a une première ébauche de travail : un peu comme un peintre fait ses esquisses, j’essaie
de poser un peu le cadre… » (MP, entretien cité)
366
Nevchehirlian, « Large », Vibrion, 2005.
367
Entretien cité, voir notre premier chapitre.
127

était dans une piscine et qu’(il) se laissait flotter. » On retrouve cette métaphore de
l’élément liquide dans les propos de Bastien MP qui décrit le slam comme art de la
confluence. Enfin, le slameur Ivy évoque l’action poétique exercée par le slameur en
termes de ricochets368 :
« Autre métaphore pédagogique : le slameur lance des cailloux à la surface de l’eau
pour les faire rebondir. Dans mon texte sur les notes de la gamme, j’arrive à faire 3
rebonds : « Facile de croire qu’on est SOLidaires quand on est LA SI DOciles ». À
chaque fois, la foule réagit. Quand j’écris un poème, le rebond n’est pas mon objectif :
c’est le caillou qui m’intéresse. » (enquête citée)
Si Souleymane Diamanka aime à écrire « à reculons à partir du titre »369, Barbie
tue Rick prend souvent la chute, la dernière phrase, pour point de départ :
« C’est l’idée d’écrire un texte qui ait un rythme, un terme et qui puisse tourner un peu
comme un mantra. En le repassant, on entend des choses différentes. (…) Je pars de là
en fait : j’écris tout le texte jusqu’à arriver à cette dernière phrase ! » (entretien cité)
Katia/Boutchou, quant à elle, compare la genèse de ses textes à la visite d’une
maison dont elle connaît l’issue :
« ça m’arrive aussi d’avoir la fin, comme une porte de sortie. En gros, je sais quelle porte
sera ouverte à la fin, mais par quelle chambre on passera, dans quelle cave on entrera,
et si on n’y laissera pas nos jambes… » (entretien du 26/12/10)

3.2.4. : Le slam en ?uestions370 : conceptions

Le slam est-il communiversation ?371

Les slameurs madrilènes présentent le slam comme « nouvelle forme de


communication », idée reprise et développée par Katia/Boutchou qui avance « que le
slam peut ressembler à une sorte de communication ou de discours en tout cas,
quelque part. » Là où le conte est essentiellement transmission, il apparaît comme un
discours voire une forme de communication qui inclut, dès sa genèse, la présence
d’un auditoire. De l’implication du public dans la création, Ivy a expliqué :
« C’est justement cet aspect qui fait du slam ce qu’il est. Un art de la parole est
forcément tourné vers l’autre dès sa composition, dans le clair-obscur du laboratoire. Si
le public n’est pas présent sur la page (comme dans l’écriture dramatique, le one man
show, etc.), il ne le sera pas lors de la représentation. De plus, le slam (littéralement :
claquer) utilise les stratégies du poème pour intensifier le sens en son aspect sonore :

368
Nous renvoyons ici à l’article de J.-M.Balpe (1983) : « L’écriture poétique : une stratégie du ricochet ».
369
« Il faut que le titre soit comme un tiroir en fait, qui te donne envie d’aller chercher le texte dedans.(…)
Souvent, je commence à écrire comme ça, une fois que le titre est là et que je l’ai à peu près compris, je vais
vers lui jusqu’à ce que ça s’écrive… » (entretien cité)
370
Néographie emprunté à un titre de Souleymane Diamanka et John Banzaï publié dans leur recueil (2007).
371
Mot-valise emprunté au titre de la revue DRLAV, Revue de linguistique, Paris, Centre de recherche de
l'université de Paris VIII, N°29, 1983.
128

encore là, il joue sur la réceptivité, la perception d’un auditoire. Le slam ne vit pas dans
les mots, il vit dans la bouche devant le public. » (enquête citée, nous soulignons)

Par essence, un slam recèle une forme de polyphonie intrinsèque. Il contient une
étincelle, un « grain de sable » (Lu) qui en font une authentique conversation372 :
« Tu te retrouves dans une sorte de conversation avec le monde, avec les gens
auxquels tu t’adresses… Moi, je pose souvent des questions dans mes textes : c’est joli
mais comment ne pas être dans la facilité ? Je veux que les gens se sentent vraiment
interrogés, que ce ne soit pas juste des questions formelles, pour attirer l’attention, que
ces questions-là soient nécessaires, précises, à leur place. » (entretien du 26/12/10)
Aux dires de la majorité des slameurs interrogés, le slam est d’abord de l’ordre de la
rencontre, du moment de partage. Il est en outre distorsion temporelle, opposée à la
linéarité du conte, et engendre en ce sens un effet de condensation : « un texte de
slam consiste en une densité d’émotions, de mots, de couleurs… » résume Barbie
TR. Or cette recherche de concision, de concentration peut se traduire sur un plan
lexical comme en attestent les mots-valises : « C’est entre la création et l’accident de
langue, précise Barbie tue Rick, J’aime bien résumer une situation par un mot. »373

Le slam est-il un lieu d’inventilation374 ?

A la question “Are slammers real worders?”375, Marc Smith a répondu : “Yes and
maybe more in Europe.” La madrilène Silvia Nieva se plait à créer des mots-valises,
bien que ce procédé soit rare en espagnol376. Quant à Lauréline Kuntz, elle décrit
ses textes comme « des textes à tiroirs » où chacun « pioche » ce qu’il veut :
« Des fois, je cumule un jeu de mot, une contrepèterie, et un autre truc, genre une
dyslexie (j’appelle ça une dyslexie) mélangés dans la même phrase. (…) Ça c’est une
constante : tous mes personnages parlent de façon dyslexique, ils ont ces
mélangements, ces inventilations… » (entretien cité)
Ses inventilations sont au cœur de textes comme « Dixlesic » – slam éponyme de
son premier spectacle (2009) – ou « Actrice factice » où le « mélangement des
mots » tourne à la caricature : « Je suis l’essence et l’insolence de l’irraison… »
clame ladite actrice. D’une manière générale, il semble que le slam suscite « l’envie
de se dépasser » (Lu), quitte à s’affranchir des normes linguistiques, pour mieux
conquérir le public. A la question « Vous arrive-t-il souvent d’inventer des mots et

372
Du latin impérial conversatio de conversari (proprement « se tourner vers »), « fréquentation, commerce,
intimité ». (Rey, 2007 : 882).
373
L’idée de l’accident de langue nous renvoie à l’erreur créatrice de Gianni Rodari (1997 : 49).
374
Mot inventé, emprunté à LK (inventivation) et Lyor (s’inventiler), que nous reprenons pour évoquer ici de
façon générique la création ou l’innovation lexicale (voir chapitre 7 pour plus de précision sur ces concepts).
375
Les slameurs sont-ils des « inventeurs de mots » ? Cette question reprend littéralement la formule d’un
journaliste américain citée dans notre premier chapitre.
376
Desmembranar : voir son poème « Diagonales », reproduit à la suite de l’enquête en annexe III.12.
129

cette démarche vous paraît-elle inhérente au slam ? », Ivy répond qu’il en est non
seulement « friand » mais qu’il se définit au quotidien comme « un redoutable
calembourgeois », prouvant ainsi sa capacité à néologiser. Marco DSL, quant à lui,
se présente comme un allitérophile ou un incorrigible bavardeur377 :
« Un néologisme réussi, c’est celui qui donne tout de suite à rêver ou à penser, ou à se
dire « C’est logique ». Je me définis quand-même comme un « bavardeur ». C’est la
base. Autodidacte atypique bavardeur, c’est le début de ma définition. Tout est dit dans
« bavardeur (…) Un néologisme, c’est comme ça, comme une charade, un truc à
tiroirs… » (entretien cité)
Lyor, interpellé lors de l’entretien sur cette question de la néologie, nous a slamé un
texte fondé sur une accumulation de mots inventés grâce à des procédés divers et
variés : « Il y a plein de constructions différentes dedans, il y a des choses totalement
aléatoires – j’ai juste remplacé une lettre par une autre – et des mots qui sont
construits à partir de deux autres comme « solitarire » », nous a-t-il expliqué378.
Quant à Bastien MP, il est revenu sur la technique du mot-valise qu’il affectionne tout
particulièrement : « en emboutissant deux véhicules qui existent déjà, j’en crée un
nouveau. (…) Je ne crée pas à partir de rien, je crée à partir de l’existant. » a-t-il
conclu. Citant l’exemple de déglinguistique, il nous a précisé que Barbie tue Rick
l’avait elle aussi inventé, de son côté : « je crois aussi qu’il y a peut-être une
nécessité » a avancé le slameur grenoblois. Nécessité d’inventer des mots nouveaux
pour inventiver379 la langue, ventiler voire renouveler la poésie en la dépoussiérant ?
D’autres exemples de néologismes ou d’hapax380 résultent de procédés différents,
qu’il s’agisse de conversion comme pour tressaillante381 ou de délexicalisation382.
D’une manière générale, Bastien MP se montre désireux de conjuguer « toutes les
figures de styles et tous les styles de figures » afin de dépasser le simple jeu de
mots et d’accéder à une dimension poétique qui passe souvent par l’image, la
métaphore filée. Aussi dit-il de son texte « Cybercaféine »383 :

377
Ces deux mots figurent dans son texte « Slam obsession » (voir notre chapitre 7), le second (bavardeur)
étant précisément celui que le slameur lyonnais a choisi pour répondre à notre enquête « le slam en un mot »
(voir à la fin de ce chapitre).
378
Entretien cité (voir aussi l’illustration sonore de notre chapitre 7).
379
Ce mot-valise (inventivation, LK) dont le formant complémentaire est « motivation » nous suggère qu’il
s’agit aussi de remotiver sémantiquement certains mots ou expressions.
380
Voir notre deuxième partie (chapitre 7) pour cette distinction.
381
Dont l’explicitation occasionne l’apparition d’un nouveau mot inventé : « Je voulais que ce soit un adjectif
féminin et en fait, ça n’existe que comme participe patient (Rires), comme participe présent ! » (entretien cité)
382
« L’énigme du spharynx, je trouve ça très fort : c’est vraiment la question à laquelle il faut répondre pour
vivre… » (entretien cité)
383
Ce titre initial –annonciateur de créativité - a été remplacé par « Le réseau » pour l’album (voir chapitre 8).
130

« Je voulais qu’il y ait cette image de la connectique, que les gens voient des fils qui se
baladent, donc comment le détourner... Et là effectivement, ça peut passer par le jeu de
mots, le néologisme : « ombilicâble ». (entretien cité)
S’il est sensible à la dimension esthétique et géographique du mot inventé384, le
slameur n’élude aucunement la dimension culturelle inhérente à une telle créativité :
« Parfois en essayant de s’affranchir des normes d’une culture, en les tournant en
dérision, ce qui peut t’amener aux jeux de mots, aux détournements, à ces néologismes.
Et parfois aussi en essayant de faire autre chose. Moi dans ma culture, j’ai toujours eu
ce rêve d’ailleurs, d’au-delà, je suis friand de science fiction… »385
De même, Frédéric Nevchehirlian nous a parlé de limites, de frontières à franchir :
« C’est comme s’il y avait une limite à franchir et quelque chose qui me pousse à ouvrir
la porte, à aller vers des territoires inconnus, à sortir des limites de la langue. Ce sont
des limites qui pour moi n’existent pas en fait. » (entretien cité)
Développant l’exemple du lexème néologique oripale – issu du texte « Large » sur
lequel nous l’avons interrogé – le slameur marseillais nous a expliqué que ce mot
inventé répondait à une double exigence, poético-musicale et sémantique :
« Je trouvais très joli de mettre, je trouvais parfait – musicalement et aussi du point de
vue de la signification – de dire "oripale". Parce que les "oripeaux", ça renvoie à un truc
trop poétique. Je voulais casser ce mot ultra poétique pour en faire "un oripale" »
(entretien cité)
Et le poète de décliner toutes les résonances et harmoniques de ce néologisme –
« pâle », « opale », mais aussi « oriflamme » – comme autant d’ étoiles ou d’ atomes
qu’un tel mot porte autour de lui. Une image en appelant une autre :
« Une image, pour parler avec des gens de la poésie, ce serait de se laisser aller à
l’écoute des mots qui viennent à côté, qui tapent à côté, qui tapent à la porte, qui
traînent des casseroles… Tu dis un mot mais tu en as dix derrière et ces dix-là sont
super importants. » (entretien cité)

Le slam peut-il être slaMusic ?

Bastien MP a inventé le mot de slaMusic pour évoquer cette forme dérivée du


slam déclamée avec un accompagnement musical386. En effet, aux dires de la
majorité des slameurs interrogés, la musique peut avoir un rôle à jouer dans le slam,

384
De « archéonéologisme », mot inventé par Lee Harvey Asphalte, il dit : « C’est super beau comme mot je
trouve ! C’est porteur de plein de sens, et dans son texte, il est pas utilisé uniquement pour la beauté du mot, il
a un vrai sens. Je pense que le mot est arrivé pour le sens mais il a une valeur en soi, il a une esthétique ce mot,
il a une géographie intéressante, une sonorité intéressante… Donc il y a les deux. »
385
Poursuivant cette réflexion, il en arrive à l’idée d’un patchwork culturel qui renvoie à une multilocation de la
culture (De Certeau, 1993 : 119) : « j’ai pas la prétention ni l’impression de créer une nouvelle culture mais
juste l’impression d’affirmer ma culture à moi en étant toujours dans l’idée du patchwork, tu vois… Des choses
très actuelles, des choses très anciennes, parce qu’on (est, nait) comme ça. » (entretien cité)
386
Les néologismes « poésique/po&sique » reflètent aussi cette idée de métissage entre poésie et musique.
Voir le flyer 3 en annexe I.4.
131

même si celui-ci était conçu dans sa forme originelle comme une déclamation a
capella387. Les effets de musication388 sont d’abord recherchés au cœur du texte :
« La musique est avant tout pour moi l’art d’organiser le temps, donc je joue
principalement sur l’aspect rythmique des sons et des mots. Le slam permet d’aller plus
loin que la chanson, qui reste coincée dans le carcan de la structure musicale. » (Na,
enquête citée)
Dès lors, il s’agit de faire sourdre une mélodie au sein même du poème, puis
d’accorder la musique instrumentale à cette Musique des lettres (Ro, 2007) :
« Déjà, avant de parler de la musique des instruments, il y a la musique des lettres. Pour
moi, c’est important cette question de forme. Indépendamment d’une métrique musicale,
les lettres sonnent entre elles. Tu sais que c’est le titre de l’album de Rouda : Musique
des lettres. » (MP, entretien cité)
Si les artistes habillent leurs textes de diverses couleurs musicales, c’est bien le flow*
du texte et de la voix qui constitue « Le fil » 389 et assure une certaine unité : « La
seule unité, affirme Marco DSL, se fait sur le textuel, l’écriture et le timbre de voix. »
Aussi le paysage sonore demeure-t-il contingent et secondaire, relégué derrière les
effets poétiques intrinsèques au texte et à son interprétation. Certes, la musique a
une fonction émotionnelle et acoustique390, mais le double écueil à éviter serait
qu’elle masque ou trahisse les effets de musication et le rythme propres au texte391
ou a contrario qu’elle lui serve uniquement de faire valoir alors qu’elle peut être un
véritable révélateur pour des textes qui accèdent à une autre dimension, « une autre
vie » avec la musique :
« C’est cette espèce d’alchimie qui transcende le texte, quelle que soit la qualité du
texte. D’ailleurs, il y a certains textes que je ne faisais pas sur des soirées slam parce
que je ne leur faisais pas confiance à ces textes-là, et qui se révèlent avec la musique.
Parce que la musique apporte quelque chose. » (MP, entretien cité)

387
Rouda précise que « l’évolution française a perversé un peu le sens du mot, parce que pour le commun du
public maintenant, le slam c’est parler sur un piano. Le succès de Grand Corps Malade fait que le mot, la
compréhension du mot s’est un peu déviée, quoi. Nous, on y participe, puisque nous aussi, on fait des projets
en musique, mais à chaque fois qu’on a l’occasion de le dire, on répète bien que c’est pas du slam. Le slam,
c’est a capella. » (entretien cité)
388
Françoise Escal (1990 : 9) voit là un « néologisme inventé pour désigner la priorité donnée à l’aspect sonore
du texte sur les autres aspects, notamment sur le sens »
389
Nous faisons ici référence au titre de l’album de Camille (2005), influence majeure de la slameuse Luciole :
« album au concept étonnant, construit sur le « fil » ou le « bourdon » : une seule note, un si en l'occurrence,
qui forme un long sègue du début à la fin de l'album (et même pendant 35 minutes après la dernière
chanson). » (d’après Wikipedia)
390
« La musique aide beaucoup pour porter la voix, pour la faire sonner, mais si elle trop prenante, elle peut
trahir le rythme propre au texte. On a parfois l’impression que c’est la musique qui impulse le rythme, alors
que c’est le texte en réalité… Emotionnellement, la musique est importante, mais on dit que pour montrer ce
dont on est capable, il faut dire ses textes a capella. En ce qui me concerne, mes textes ont été mis en musique
en improvisation pour la plupart… » (Katia/Boutchou, entretien du 7/11/07).
391
« Mon texte est relativement libre par rapport à la musique, il a son rythme à lui, comme je l’ai dit plus haut.
Je ne place pas les mots exactement au même moment à chaque exécution. » (Narcisse, enquête du 15/05/10)
132

Dès lors, on peut se demander quel est ce supplément d’âme que la musique
apporte au slam. Elle représente une source d’inspiration pour certains slameurs qui
s’en imprègnent pour composer leurs textes, à l’instar d’un Frédéric Nevchehirlian ou
d’un Souleymane Diamanka qui s’inspire aussi de la musique des voix et des
langues. Au sujet de son futur album LittORAL, ce dernier nous a expliqué :
« Le concept, c’est que j’ai pris des cassettes de mes parents, des cassettes audio
comme les gens font dans le rap avec des vinyles qu’ils échantillonnent pour les
remettre au goût du jour. Là, ce sont des cassettes audio et vidéo de mes parents que
j’échantillonne et que je remets au goût du jour avec de la musique d’aujourd’hui. (…)
Voilà, c’est la base de la musique et par-dessus, j’ai travaillé avec des musiciens de
Bretagne. J’ai mélangé le violon peul avec la bombarde. » (entretien cité)
Enfin, la musique, alliée au défilement synchrone de sous-titrages en français, nous
paraît susceptible de favoriser l’intercompréhension dans un contexte exolingue :
« C’est un langage international alors que la traduction ne vaut que pour une
langue.» précisera l’artiste allemand Bas Böttcher lors de l’entretien qui a suivi sa
représentation à l’Université Stendhal.

Le slam est-il Hardcorps et âme392 ?

Bastien Mot Paumés et Bas Böttcher ont souligné que le mouvement leur était
nécessaire au sein même du processus de création393 :
“Sometimes you have to walk around to get your ideas… I have to move around when
writing or I feel the rhythm with my hands, to check, if it works or count the syllables.”
(BB, entretien cité)
En outre, ils nous ont expliqué que la mise en corps du texte, sa respiration et la
gestualité associée étaient à anticiper et à intégrer à sa genèse :
“When I write, I know already how it should sound like and also I know when to breath
and when to make pauses: all this is part of the poem. When I compose the poem, I
know all that. This is something you always have to consider when you write for the
stage, and this is what I think that makes the poetry sound organic, something that has
to do with heart beat and breathing and gesture.” (entretien cité)
Tous les slameurs rencontrés s’accordent à reconnaître l’importance du corps dans
l’interprétation, la nécessité qu’il participe au dire : « It’s a physical thing » conclut
Bas Böttcher. D’après Marc Smith, la gestuelle est un outil parmi d’autres au service
de la performance poétique :
“Everything on stage in the spotlight is part of your performance – your voice, your eyes,
your movements, your gestures. It all communicates. (…) Gesture is just one tool in the
art of performing.” (enquête du 1/01/11)

392
Titre de LHA, slameur lyonnais (voir la transcription en annexe V et l’illustration vidéo du chapitre 6).
393
MP a d’ailleurs tenté une collaboration avec le danseur/chorégraphe Bouba Landrille Tchouda, comme
relaté dans l’entretien.
133

Pour Katia Bouchoueva, les gestes servent à « maintenir un équilibre », là où le


corps est déstabilisé par la profération (Prigent, 2011 : 7). Si le geste assure souvent
une fonction rythmique, de soutien à la scansion, il peut aussi aller à l’encontre du
rythme :
« C’est comme un parasite, le corps devient un parasite. Si la main se tend c’est aussi…
Je sais très bien que si je reste 10 minutes comme ça et qu’au bout d’un moment, je fais
ça [geste de la main], ça donne quelque chose. » (F, entretien cité)394
Aussi la slameuse Katia/Boutchou s’interroge-t-elle sur sa propre capacité à
déclamer un texte en s’interdisant ces gestes de la main qui l’accompagnent
spontanément. La gestuelle semble ici avoir une fonction quasi phonogène.

A contrario, Souleymane Diamanka s’est longtemps présenté sur scène comme


une « statue qui parle » :
« Avant le concept, c’était d’être une statue qui parle, mais ça n’empêche pas le
mouvement intérieur. Etre immobile et voir si ça peut fonctionner sur les gens, de leur
donner juste l’oralité nue, juste les mots d’une façon monocorde. » (entretien cité)
Dans ces conditions, il a pu vérifier que « les mots se sont débrouillés jusqu’aux gens
et ce sont les gens qui ont créé le mouvement après, avec leur sensibilité ». Comme
en témoigne l’étymologie de ce terme, c’est donc à travers l’émotion395 poétique des
mots mis en mouvement que le poème se perpétue. Pour Barbie tue Rick, « il y a
une vie dans le texte », le slam se définissant – ou s’indéfinissant – comme poésie
vivante « qui deviendra ce qu’on en fera ». De même pour Rouda, le slameur anime
son texte, lui insuffle la vie en le déclamant sur scène : « A partir du moment où le
texte est baptisé, il va vivre sur scène », en sachant que certains textes
« fonctionnent » mieux que d’autres, opérant une sorte de déclic dans le public.

En allant plus loin – comme nous y invite la formule « Hard corps et âme »396 –,
le slam peut véhiculer une dimension polémique voire une velléité d’engagement. Si
un slameur qualifie ses textes – ou certains d’entre eux – de manifestes (F), Marco
DSL va jusqu’à décrire le slam non seulement comme harangue mais aussi comme
« le cancer de la pensée unique et l’hépatite B du politiquement correct. »

394
Voir l’illustration vidéo de notre prochain chapitre.
395
Dérivé de émouvoir, du latin populaire exmovere, réfection du latin classique emovere composé de ex- et
movere, « mettre en mouvement ». D’après A.Rey (2007 : 1221), le verbe est d’abord attesté (1080) avec le
sens étymologique de « mettre en mouvement », qui ne subsiste que dans un emploi très littéraire.
396
L’expression « punk hardcore » fait référence à une première vague d'artistes punk radicalisés et engagés.
134

Le slameur est-il passeur, slamtimbanque ou slambassadeur ?

Passeur de mots397 : tel semble être l’une des missions fondamentales du


slameur. Le slam aurait-il vocation à ouvrir les frontières ? Sur un plan poétique, ce
dépassement des frontières passe d’abord par une évolution des représentations :
“We really had to convince people: it was a kind of mission to introduce this term of
“poetry slam”, to introduce the spoken word culture. German literary scene was tight to
the books in these days… Now you can think of literature without the book, it’s just a
voice, it’s in your head.” (BB, entretien cité, nous soulignons)
Libérer la poésie des carcans du livre et de la poésie classique : telle est la première
mission des slameurs. De là à la faire circuler dans l’espace public, il n’y a qu’un pas,
qui pourra être franchi par la diffusion d’un livre-DVD, à défaut de scène live : “That’s
just to bring the atmosphere of poetry slam across for people who don’t have the
possibility to attend a poetry slam.”398 Dès lors, le slameur apparaît non seulement
comme un colporteur mais comme un tisseur de liens :
« Quand j’écris pour une scène slam, je pense pas tant à la poésie qu’à une façon de
créer des liens entre la culture classique et ce qu’on vit maintenant… » (BTR, entretien
cité)
La plupart des slameurs que nous avons rencontrés se présentent donc comme des
passeurs au sens culturel de ce terme : ils s’accordent sur l’importance d’une
démarche de transmission qui se concrétise notamment par l’animation d’ateliers
slam. Or le terme-même d’atelier, s’il renvoie directement aux ateliers d’écriture,
connote en outre une conception de l’artiste comme artisan : « artisan de la langue,
artisan du sens, de l’image… » (MP, entretien cité)399

Bas Böttcher, Rouda et Lyor400, mais aussi Marco DSL, Katia/Boutchou et


Bastien Mots Paumés ont donc développé une démarche méthodologique plus ou
moins aboutie et formalisée autour de l’animation d’ateliers slam, réflexion qui va
bien au-delà du seul effet de mode :
« je crois qu’au départ, il y a eu cette mode des ateliers slam parce que les profs
s’imaginaient que l’étiquette allait plaire aux élèves alors que « poésie » risquait de leur
faire peur… C’est la culture institutionnelle bien reconnue mais il y a pas beaucoup de
jeunes qui peuvent te citer un poète vivant ! » (BTR, entretien cité)

397
Titre d’un article de presse consacré à « Frédéric Nevchehirlian, le passeur de mots » (voir en sitographie).
398
Le slameur allemand a intégré un DVD à sa dernière publication (2009).
399
Voir aussi notre partie didactique et la réflexion plus globale sur les ateliers d’écriture.
400
Le collectif* 129H a rédigé un livret à cet effet sous le titre « Ecrire et dire, petit guide méthodologique pour
l’animation d’ateliers slam ». Quant à Bas Böttcher, il a publié une sorte de « manuel scolaire » (2009).
135

Le premier atout de ces ateliers est de faire vivre à des élèves de tous âges une
aventure poétique incarnée par un poète vivant. Or celle-ci se doit d’être ludique aux
yeux de la plupart des slameurs interrogés :
« Le groupe ne favorise pas forcément l’écriture mais peut favoriser l’envie d’écrire par
contre, ça peut être un facteur déclenchant si on trouve une entrée ludique. » (BTR)
Outre cette entrée ludique dans l’écriture, le slam peut-être appréhendé comme une
passerelle vers d’autres textes, plus « classiques ». Dans cette perspective, il s’agit
aussi de travailler l’écoute, en développant une posture active :
« L’atelier peut permettre de transformer des gens qui étaient assez éloignés de cet
univers de l’écriture, ou en tout cas des auditeurs passifs du texte, qu’il s’agisse de
chansons ou autres, en auditeurs actifs. » (BTR, entretien cité)
Dès lors se pose une question fondamentale, soulevée par Boutchou lors de
l’entretien réalisé en duo401 : le slam doit-il considéré comme un outil au service
d’apprentissages linguistiques, voire un prétexte, ou un objet d’étude à part entière?
« Moi je trouve que c’est intéressant de le voir à la fois comme objet d’étude et
comme outil… » affirme la slameuse et animatrice qui sait s’adapter à tous les
publics en différencians les objectifs :
« Si c’est dans le cadre scolaire, alors dans ce cas que ça s’inscrive vraiment dans la
continuité de ce qui est étudié. Sinon, avec un public étranger, ce sera dans la visée de
se familiariser avec une langue étrangère : apprendre à être créatif avec une langue
étrangère ou qu’on ne maitrise pas parfaitement… » (entretien cité du 26/12/10)

Marc Smith voit dans le slam – performance poetry précise-t-il entre parenthèses –
un outil éducatif majeur402: “It has bolstered interest in reading, and performing poetry
around the word”, constate le “papy du slam”. Pour Frédéric Nevchehirlian, il s’agit
essentiellement de « chercher en chacun la possibilité de se connecter avec son
propre univers », soit d’aider les participants « à trouver leur propre souffle, leur
propre rythme ». En allant plus loin, c’est bien en termes de mission que le
québécois Ivy appréhende le rôle du slameur :
« Ma comparaison favorite : Si le poète (de l’écrit) est un prêtre qui prêche à des
convertis (on sait que les lectures de poésie n’attirent souvent que les passionnés du
genre, les poètes et leurs amis – ce n’est pas une critique, c’est une observation), le
slameur est un missionnaire qui porte la bonne nouvelle aux païens. » (enquête citée)

Mission qui peut franchir les frontières géographiques et le slameur de


slamtimbanque403 devient slambassadeur404 à l’image d’un Grand Corps Malade, et

401
Nous émettons ici l’hypothèse que la dynamique de cet entretien a été favorisée par le dispositif proposé.
402
« a major tool to engage and educate young people about poetry” (enquête citée).
403
Nom d’un collectif* de slameurs de Limoges. (voir notre précédent chapitre)
404
Mot-valise emprunté à un journaliste (voire l’article québécois sur GCM en annexe II.11 )
136

d’un Bas Böttcher, parmi tant d’autres : Lauréline Kuntz, Luciole, Souleymane
Diamanka et 129H contribuent à diffuser le slam français à l’étranger et dans la
Francophonie405 en participant à diverses manifestations et en animant des ateliers
dans des pays divers comme l’Allemagne (L), le Liban (LK), le Maroc (MP), le Mali et
l’Egypte (129H), le Sénégal (Ro, SD)406 et l’Afrique du Sud (SD)407.

Un slameur sachant slanimer…

Dans son mémoire sur la Poétique de Bas Böttcher, Adrienne Ferré (2008 : 50)
propose de différencier « être slameur », c’est-à-dire « aller dans des soirées et des
concours présenter ses textes pour gagner la compétition » et « évoluer dans
l’espace du Slam », soit « connaître cette scène, et l’utiliser comme un réseau de
diffusion de l’œuvre mais ce en dehors de la compétition ». Elle en arrive alors à la
conclusion que Bas Böttcher, sorti de la compétition, se démarque aussi de
« l’espace du slam » dès lors que « ses textes ne vont plus tout à fait partager
l’esthétique de slameurs qui continuent à se confronter à cette donnée primordiale. »
Ce dernier point nous paraît discutable d’une part parce qu’une telle esthétique n’est
pas clairement définie, d’autre part parce que l’artiste allemand continue à organiser
des évènements autour du slam, à animer scènes et ateliers pour faire vivre et
partager sa discipline. Afin d’affiner cette distinction, il nous semble nécessaire
d’ajouter une troisième formule – par exemple « faire du slam » –, qui rende compte
de la distinction entre la démarche et le texte produit, s’agissant d’artistes qui utilisent
le slam comme la chanson408, en tant que label et vecteur de diffusion, sans pour
autant évoluer dans l’univers du slam et poursuivre une démarche active tournée
vers l’organisation d’événements ou l’animation d’ateliers. Abd al Malik et le
marseillais Ysae nous semblent relever de cette dernière catégorie d’artistes reliés
au slam sans être « slameurs dans l’âme ». S’ils ne se posent pas en slameurs, il
n’en demeure pas moins que certains de leurs textes s’apparentent à du slam et sont
susceptibles d’être étiquetés comme tels : on s’approche alors du Spoken word,
généralement accompagné de musique. Au dire de Marc Smith, l’enjeu est pourtant

405
Si GCM va régulièrement au Québec, Frédéric Nevchehirlian s’est rendu à la Réunion en février 2011.
406
Voir l’article sur la toile concernant le concert du 20/12/10 de Souleymane Diamanka à Dakar dans le cadre
ème
du 3 festival mondial des arts nègres (FESMAN). Voir en sitographie.
407
Inventaire non exhaustif.
408
L’entretien avec Abd al Malik (Télérama n°3010, 2007 : 16) est éloquent à ce sujet : « Je suis un rappeur,
explique l’artiste, un rappeur qui utilise le slam comme il utilise la chanson ou le jazz. » Plus récemment, Olivier
Nuc, journaliste du Figaro, a titré « Abd al Malik, chanteur français » (le 4/11/08, nous soulignons).
137

tout autre, le Spoken word étant marqué par l’aspect commercial409. Le slameur, pour
être reconnu comme tel au sein de la slam family, doit s’impliquer en tant qu’activiste
du slam, à l’image de Rouda, « l’enchanteur » d’après la journaliste Lucie Souliac :
« Ce qui demeure permanent chez lui, c’est son dévouement à la discipline. Entre son
propre avenir et celui de son association, le collectif* 129H qui anime ateliers d’écriture
et organise des spectacles, Rouda œuvre chaque jour un peu plus à la promotion du
slam. »410
Si l’écriture n’est pas un état permanent, la constance nait ici de la démarche
d’animation d’ateliers et de scènes ou de l’organisation d’évènements autour du
slam : le slameur ne se limite pas à slamer ou à animer ses propres textes sur scène
mais participe à la dynamique de transmission de la discipline. Dans une interview,
Rouda présente son album, non comme album de slam, mais plutôt comme l’album
d’un slameur411, ce qui permet d’insister sur la singularité et la diversité de styles
inhérente au slam ainsi que sur l’importance des ambiances musicales propres à
chaque texte412. Katia/Boutchou a attiré notre attention sur ce point en évoquant le
cas des artistes « issus de la scène slam » qui ambitionnent d’aller plus loin dans
l’écriture des textes, tout en gardant cet esprit de paroleurs libre413. De fait :
« Beaucoup de slameurs précisent qu’ils se sentent véritablement slameurs quand ils
animent une scène ouverte*, quand ils donnent la parole aux gens tout en participant. »
(entretien cité du 7/11/07)
Ce faisant, ils accomplissent une « mission » que Marc Smith décrit en ces termes :
“trying to open the doors for everyone to be involved with poetry.”414 Le slam
apparaît alors comme un lieu éminent d’expérimentation poétique :
« Performance poetry can be presented in dozens and dozens of ways. Experiment. Try
them all. Be bold. But always be bold in service to your audience and community.” (Marc
Smith, enquête citée)

409
““Spoken word” is a phrase used by the recording industry to brand a type of music that leans toward the
poetic, mostly rap. (…) Slam is not a commercial industry...” (enquête citée)
410
Article publié sur le site d’Arte TV (voir notre sitographie).
411
La formule « album de slam » est inadéquate au dire du slameur puisque le slam se définit comme a capella
et qu’il s’agit en outre d’une « pratique oratoire collective » dont un album ne saurait rendre compte. Interview
consultable sur la toile, voire en sitographie.
412
A minima, un texte de l’abum est a capella, règle que les slameurs s’imposent lorsqu’ils sortent un disque.
413
Nous pressentons ici une distinction entre l’appellation de parolier et celle, néologique, de paroleur
(proposée par Boutchou dans l’entretien cité), réflexion que nous développerons à la fin de ce chapitre).
414
Enquête écrite du 1/01/11.
138

3.3. Le slam en un mot : enquête complémentaire

« Pour nous, le slam, c’est un mot… » nous a expliqué Rouda en entretien : un


mot qui représente néanmoins « une sorte de label de traçabilité » (MP). Si le sens
en a été dévié, voire perversé, - selon le mot de Rouda - par le succès d’un Grand
Corps Malade, nous nous sommes intéressées aux représentations véhiculées par
un tel terme. Dans cette perspective, nous avons mené une enquête
complémentaire, via les réseaux Internet, sur le thème : « Le slam en un mot »415.

3.3.1. Modalités de l’enquête complémentaire

Pour ce faire, nous avons d’abord interrogé les slameurs rencontrés à ce sujet,
puis nous avons profité de leur collaboration pour diffuser l’enquête au sein de leurs
propres réseaux de diffusion. Nous avons fait évoluer la formulation initiale du
questionnement afin d’obtenir des réponses adéquates à notre principal objectif :
rendre compte des représentations spontanément associées au slam, au sein d’un
public sinon initié, du moins concerné par le sujet. En effet, les personnes ayant
répondu à notre enquête se sont révélées plus averties que la moyenne des français,
ce qui s’explique par le fait qu’ils sont intégrés à un réseau de slameurs, et donc,
sinon activement impliqués dans ce réseau, du moins régulièrement informés de son
actualité. Par ailleurs, le fait même d’avoir répondu à une question non contrainte
témoigne d’un intérêt porté au sujet. Aussi avons-nous publié sur la page Facebook
de cinq slameurs, puis du fondateur du slam, un message invitant leurs amis virtuels
à se prononcer librement mais de façon concise (en un mot) sur ce qu’évoquait le
slam à leurs yeux. Nous avons souhaité que ce message soit posté par les slameurs
eux-mêmes, afin que les réponses ne soient pas conditionnées par la visée
universitaire de l’enquête416. C’est pourquoi nous avons renoncé à la diffusion par
mail dans un premier temps : celle-là aurait impliqué la rédaction d’un message plus
élaboré qui nous semblait nuire à la spontanéité escomptée des réponses417. C’est
aussi la raison pour laquelle nous avons reformulé la première question - postée par
Narcisse et Boutchou -, la requête étant initialement présentée en ces termes :

415
Nous avons évolué (enquête M.Smith) vers la possibilité de le définir en 3 mots maximum.
416
Ce qui semble avoir été le cas pour les réponses collectées par Narcisse, particulièrement intellectualisées
pour certaines : « Slam pour soi = soliloquie, slam pour les autres = aparté... pour affirmer le côté confidentiel
de ce riche monologue ».
417
Nous émettons ici l’hypothèse que le medium utilisé pour notre enquête influe sur la forme et les contenus
des réponses apportées, les réseaux sociaux de type FB induisant des commentaires plus spontanés et
expressifs (étant susceptibles d’être lus par d’autres) qu’un mail adressé personnellement à une chercheuse.
139

« Amis slameurs et slamophiles... Dans le cadre d'un projet de recherche, je me livre à


un recueil des représentations associées au mot "slam". Merci à ceux qui accepteront de
répondre (spontanément) à la question suivante : Si vous deviez résumer le slam en un
mot, quel serait ce mot? »
Cette première question a donné lieu à 27 réponses et commentaires418 sur le mur
de Narcisse slam (le 13/12/10) contre seulement 3 réponses sur celui de
Katia/Boutchou (le 14/12/10). Nous en avons conclu qu’il nous fallait la reformuler en
des termes plus simples afin d’atteindre notre objectif de recueillir des
représentations spontanées.

Dès lors, nous avons demandé à Mots Paumés (le 21/12/10) de diffuser le
message suivant : « Si je vous dis slam, quel est le premier mot qui vous vient à
l’esprit ? » Cette nouvelle question a provoqué 18 réponses et commentaires, dont
une majorité consistait en une recherche de mot d’esprit pour reprendre la formule
freudienne. En effet, la tournure prise par les réponses peut s’expliquer à la fois par
la formulation même de la question postée en son nom419 et par le néostyle propre
au slameur supposément initiateur de l’enquête. En d’autres termes, nous pensons
que cette question est apparue comme un défi lancé par Mots Paumés aux
internautes qui ont cherché à y répondre par un jeu de mots proche de ceux qu’il met
lui-même en œuvre dans ses slams. A titre d’exemple, le verlan graphique « mals »
est apparu plusieurs fois, ainsi que des rimes ou homophones partiels, telles le mot
« âme » (4 occurrences). Notons par ailleurs que nous nous sommes heurtée ici à
l’une des limites de notre méthodologie : les commentaires publiés étant visibles sur
la page (à la manière d’un forum), il s’est ensuivi une dynamique plus ou moins
linéaire qui a pu influer sur les réponses. Aussi la plupart des internautes ont-ils
répugné à énoncer un mot qui avait déjà été cité, allant précisément à l’encontre de
notre intention de mettre en valeur des récurrences. En revanche, certains échanges
ont pu être féconds en termes de créativité : à « indéfinissable » a succédé par
exemple le mot-valise « indéfinislam ».

Dans ces conditions, nous avons reformulé à nouveau notre question afin de la
simplifier au maximum et d’orienter le moins possible les réponses apportées : « Si je
vous dis slam, vous me dites… ? » Cette question a été postée sur le mur de Selecta

418
Réponses collectées le 31/12/10.
419
La présence du mot « esprit » a pu ici susciter l’envie de « faire de l’esprit », étant perçue comme un défi
lancé par le slameur à ses amis. La forme interrogative a pu corroborer cette dimension de défi.
140

Seb420 qui a obtenu 55 commentaires (collectés le 29/12/10) divers et variés,


ponctués par la réponse du slameur lui-même en tant que représentant de la Ligue
Slam de France421. Le slameur lyonnais Marco DSL, sollicité à son tour pour relayer
l’enquête, l’a reformulée avec ses propres mots, suscitant alors 76 réponses (le
29/12/10) : « Quelle est la première chose (en un mot) qui vous vient à l'esprit
lorsque l'on dit le mot "SLAM"? » Là-encore, les jeux de mots ont foisonné parmi les
réponses proposées, à commencer par les délexicalisations (« Grand Marco
Malade », « harcèlement textuel ») ou les siglaisons inversées en chaîne (« Système
de Louvoiement Autour de la Mélopée », « Soutiens la Langue Aime les Mots »…),
procédé dont le slameur lyonnais use à l’envi422.

Marc Smith nous a enfin apporté sa collaboration en postant à son tour sur son
mur Facebook le message suivant, reformulé par ses soins :
“Camille Vorger in France has started a project to collect three word
answers (from around the world) to the question: "What is slam for you?"
Send them to her at [email protected] or post them here as a
comment. Remember -- 3 words maximum.”

Notons d’emblée l’insistance sur la règle imposée des trois mots qui n’est pas sans
rappeler les trois minutes attribuées à un slameur lors d’une scène ouverte423 et la
possibilité offerte – à notre insu – de répondre individuellement par mail. Suite à ce
message, nous avons obtenu 19 réponses (collectées le 10/01) postées directement
sur la page et quatre réponses adressées par mail.

3.3.2. Premières conclusions

Sur un total de 179 réponses « brutes », nous en avons retenu 100, en excluant
les commentaires incohérents et digressifs, certains visant un rappel de la consigne
(« En un mot ! »), ou encore les réponses trop longues et donc non conformes à la
contrainte. Les slameurs nommément interrogés ont apporté les réponses suivantes :

420
Slameur rémois (collectif* « Slam Tribu ») et activiste du slam, organisateur de Reims Slam d’Europe.
421
« Pour ma part, le Slam c'est pas un genre de poésie, c'est pas une marque de basket bio à la mode, c'est
pas un genre musical, le slam c'est un moment de partage et d'écoute, quelques minutes pour briller et se faire
entendre ! »
422
Voir infra le jeu sur les initiales de son patronyme.
423
Lorsqu’un internaute essaira de contourner la consigne (voire infra), Marc Smith le rappellera à l’ordre en
ces termes : « Philippe, I think one or two or even three is enough. »
141

Nom ou blase* du slameur/ de la Mot énoncé Complément de réponse


slameuse (le cas échéant)
Barbie tue Rick mouvement
Bas Böttcher haßliebe amour-haine ou
« hainamour » (mot-valise)
Boutchou espace
Frédéric Nevchehirlian Zorro
Grand Corps Malade partage
Lauréline Kuntz immédiateté
Luciole partage
Marc Smith here to stay « pas prêt de disparaître »
Marco DSL bavardeur « je suis un néologiste »
Mots Paumés j’existe !
Narcisse poésie
Selecta Seb Tribu liberté
Silvia reto « défi »
Souleymane Diamanka oralittérature
Zedrine verbe libre

Tableau 8 : Réponses des slameuses et slameurs à l’enquête « le slam en un mot »

Sur 15 réponses, seules deux sont identiques (partage, nous soulignons), deux
contiennent un trait commun (liberté, verbe libre). C’est donc la diversité des
réponses apportées qui apparaît ici significative : le terme « Zorro » suggère une
certaine dérision vis-à-vis d’un mot à la mode qui est arrivé comme un justicier au
secours des citoyens. Notons que deux slameurs ont proposé un néologisme : Marco
DSL a précisé qu’il avait choisi ce mot parce qu’il se définit non seulement comme
bavardeur mais aussi – et pour cause – comme néologiste. Oralittérature et haßliebe
sont deux mots-valises : nous reviendrons sur le premier dans notre prochain
chapitre, alors que le second reflète l’oxymore inhérent à un art vécu sur un mode
passionnel.

Quant aux 100 réponses retenues parmi les propositions des internautes, nous
les avons rassemblées dans ce second tableau :
142

Mot Nombre Explicitation/complément de réponse


d’occurrences
Mots (mot) 13 (+2) « Mots » a souvent été intégré à des
polylexicaux ou groupes nominaux tels que
« musique des mots », « mots à maux »,
« des mots contre les maux », « amour des
mots », jeux de siglaison ou d’homophonie
(« Mals-maux-mots »)
Liberté 7 (12) Liberté d’écriture
Libre +3
Librement 1
Freedom 1
Poésie 7 « poésie orale contemporaine », « terrain de
poésie »
Partage 5
424
Convivialité 1
Parole 3
Emotion 2
Frisson 1
Instant 2
Respect 1
Diversité 1
Paix 1
Remède 1
Exutoire 1
Dire 1
Proférer/profération 1
Diction 1
Déclame 1
Musique 2 « idée reçue comme quoi c’est en musique »
Rap 2 « rap politiquement correct »
Hip-hop 2 « idée reçue comme quoi c’est du hip-hop »
Son 1
Tournoi 2 « tournoi des 6 nations »
Mals 3 « mals à l’envers »
Ame 3 « Cri d’âme en cœur et en os »
Ame, amertume
425
Ramdam d’âme
Délexicalisations/néologismes 5 dont :
426
Slam l’homme géant 2 Référence à un festival lyonnais
Slamalicoum 1
Slam fast 1
Indéfinislam 1
Siglaisons 5 « Système de Louvoiement Autour de la
Mélopée »
« Scène Libre Animée par Mouch »
« Soutiens la langue Aime Les Mots »
« Simplement et Librement Aime Les Mots »
« Super Lieu Autour des Mots »
Référence à un slameur : 9 dont :
GCM 4
« Grand Marco Malade » 1
Marco 1

424
Les seules occurrences isolées relevées sont celles que nous avons pu associer sémantiquement à un autre
mot, en l’occurrence « convivialité » avec « partage ».
425
On peut voir ici une référence à l’association « Ramdamslam » (voir en sitographie : le slam.org).
426
Une internaute a mis des tirets « Slam-l’homme-géant » pour en faire un mot unique conformément à la
contrainte.
143

Lee Harvey Asphalte 1


Narcisse 1
427
Piéton 1
Selecta Seb 1
Référence à un collectif* : 2
Tribu 1
« sauvage » (129H) 1
Référence à un film : 3 dont :
« Le film avec Saul Williams » 2
« Slam ce qui nous brûle » 1
Référence à l’émission télévisée 3
ou « jeu télé » +1
Référence au livre Slam de Nick 1
Hornby ou à une filiation
(Kerouac) 1
Tableau 9 : Réponses des internautes à l’enquête « le slam en un mot »

Si 12% des réponses sont axées sur le mot liberté et ses dérivés, notons que
15% sont centrées sur le mot/les mots en général comme matière première du slam.
Le lexème maux, énoncé comme homophone de mots apparait également suite à
l’énoncé du néologisme mals, conçu comme verlan graphique de slam. De
nombreuses manifestations de créativité et autres jeux de mots peuvent être
relevées, à commencer par les siglaisons, délexicalisations et autres formations
néologiques intégrant le lexème slam, certaines étant plus fréquentes
(« Slamalicoum »428) que d’autres (« indefinisslam »). Outre cette dimension ludique,
la référence à des évènements comme le festival « Slam l’homme géant » montre
que le slam est aussi conçu et perçu à travers l’évènementiel ou l’expérientiel.
L’émission de télévision a été citée par boutade ou provocation, avec un
commentaire du type « OK, je sors… »429. L’évocation du roman de Nick Hornby ou
celle du tournoi des six nations répond à l’envie de se singulariser en formulant une
réponse originale et décalée par rapport aux attentes. En outre, 11% des internautes
ont cité un blase* de slameur ou de collectif*, ce qui semble indiquer que le slam est
aussi une histoire de rencontres humaines. Les références à Grand Corps Malade
comme prototype sont généralement contestées, au même titre que les idées reçues
– présentées comme telles – associant le slam au rap ou à la musique, alors que
plusieurs internautes nomment précisément le slameur ami qui a publié le message
et qui constitue en quelque sorte leur référence en la matière. Notons enfin la

427
« Slameur voyageur, PIETON écume du nord au sud, de l'ouest à l'est, toutes les scènes slam de France et
même de Belgique ! » (voir le site le slam.org)
428
Formule rituelle d’ouverture des slam sessions. (voir notre glossaire)
429
Par ce commentaire fréquent sur les forums, les internautes expriment le fait qu’ils méritent d’être « punis »
(« mis à la porte ») pour une réflexion hors de propos, s’excusant en quelque sorte d’avoir dépassé les bornes.
144

présence de formes verbales qui traduit la dimension performative inhérente au


slam : « Si on me dit slam, ben je déclame » répond un internaute.

Parmi les réponses sollicitées outre Atlantique et en excluant les digressions


portant sur une demande d’explication et autres extrapolations quant aux motivations
supposées de Marc Smith, nous avons retenu les formules suivantes :
Share. Friendship. Freedom.
gladiator poet games
points are pointless
beautiful bardic battles
poetry's regained inspiration
Obsession holding place.
Literature's gateway drug
Brains guttural scream!
My Funny Bone~ Silvana Straw
My Truth Serum ~ Silvana Straw
le slam: c'est le partage intergenerations et intercultures sans
jugement
Chansons! Musique!
Share, open mind
I'm Marc Smith
Grand, Corp, Malade
Poetic politics of Love
U TOWARDS US
Thinking
Live populist art
Libération. Empowerments.Points. Marc’s Gift Shared
Love’s Poetic Politics430
In your face431

La présence de réponses en français s’explique sans doute par la popularité du


fondateur américian au sein de la French slam community et par sa récente
participation à l’évènement « Reims Slam d’Europe ». L’une mentionne l’absence de
jugement, contrairement aux réponses américaines qui stipulent, pour deux d’entre
elles, l’importance des points attribués dans le cadre d’un tournoi. Deux autres
réponses font référence à l’idée d’affrontement (battle) voire au combat de
gladiateurs, et à la claque du sens originel : in your face. Si le sème de libération
apparaît à deux reprises (liberation, freedom), celui de partage (share) semble
prégnant avec quatre occurrences (en comptant le mot français). Aux trois termes
poet, poetry et poetic s’ajoutent ceux de Literature et de bardic, ce dernier mot
pouvant se référer à un poète dans l’acception générique de ce terme sans référence

430
Réponse reformulée et envoyée par mail puis explicitée à ma demande : « Poetic politics of Love » a été
traduit par « La politique poétique de l'Amour. Ou la poésie politique de l'Amour. ça n'a pas tout a fait le même
sens, bien sûr, mais rythmiquement, c'est toutefois plus proche de la version anglaise. » (mail du 9/01/11, signé
« Le bon slamaritain »)
431
Réponse reçue le 26/01/11 par mail (objet : « 3 words to describe slam »).
145

précise à la culture celtique432. L’évocation du fondateur Marc Smith est précédée


d’une double allusion à Silvana Straw, performance poet qui a reçu le titre de DC’s
Original Poetry Slam Champion en novembre 2010. Quant aux formules “My funny
bones” et “My Truth Serum”, on peut émettre l’hypothèse – confirmée par la
présence de majuscules – qu’il s’agit de titres de cette poétesse/slameuse, mais
nous n’avons pu en avoir la confirmation. Une slameuse marseillaise a cité « Grand,
Corps, Malade », usant de virgules pour insister sur la présence des trois mots
induits par la consigne. Enfin, un internaute – slameur de Tours – a contourné la
contrainte en composant un texte entier – envoyé par mail –, les mots étant groupés
trois par trois et répartis en autant de commentaires que de vers.433

3.3.3. Du mot au texte, de l’enquête au manifeste434

Pour Bastien Maupomé, le slam représente une façon de dire « J’existe » et


répond à une urgence esthétique :
« Urgence esthétique. Cherche sursaut immédiat, instant sauvage,
Open mic. A pen, a voice, a punch line. Open mic, open mind.
Scène ouverte. Offre 3 minutes pour exister…»435
Suite à notre enquête, le slameur grenoblois nous a proposé de composer un slam à
partir des mots cités par les slameurs et internautes (nous les avons soulignés). Il en
a intégré 50, s’autorisant à les mêler, à les emmêler, voire à les démuseler pour
mieux les renouveler436 en les contextualisant :
« Encre. Cherche rimailles de Chine, pour ruiner murailles de chaînes,
Démuseler les mots isolés dans les désolants mausolées.
Contrebande-sonore. Cherche petite musique intérieure.
Paroles en prose, professées entre profération et prophétie.»

432
« Bardic » apparaît comme une forme néologique dérivée du nom bard attesté par Longman pour « poet »,
the Bard faisant référence à William Shakespeare.
433
Voici le texte intégral envoyé par Philippe Jacquet (mail du 8/01/11) : "slavery is... OVER!!!!/ SL'AM
ALIVE./ So Let AM/ "LET IT BE".../ Listen & Understand/ Tell & Drink/ Slam is On/ war... IS
OFF./ Palabras del Mundo/ Caminos de Palabras/ Palabras del Camino/ U & US/ I TOWARDS U/ U
TOWARDS US/ Z & Y/ Alpha & Omega.” Ce texte nous semble offrir un bel exemple de contrainte libératrice
de créativité, s’agissant d’un « délire » selon les termes de son auteur qui nous a expliqué certaines allusions :
"Z&Y" désignant par exemple les « initiales des pseudos de Mr Zurg & de Yopo, les fondateurs de l'assoc' SLAM
37 & co-fondateurs de la LSF » grâce auxquels il a découvert le slam. La créativité passe aussi par une matrice
externe puisque le slameur a intégré, à son texte rédigé en anglais, des micro-alternances en espagnol. Il a usé
de procédés appelés ronds (Léon, 1993) ou queues (Pinon, 1993) : « Caminos de palabras / Palabras del
camino » (nous soulignons).
434
Le slam « Huitième Merveille » (MP, 2011) s’ajoute aux textes auxquels nous avons attribué la portée de
« manifestes » (voir en annexe IV).
435
Voir le texte en annexe VI.33. Nous avons souligné les mots qui constituent des réponses à l’enquête.
436
Litérorateur est un mot-valise présenté comme une variante de l’oralittérature de SD. Rimaille est une
forme néologique, issue de rimailler (« faire de mauvais vers »).
146

« Momunent aux mots », ce texte constitue, au dire de son auteur, une sorte de
manifeste du slam et pourra servir, en tant que tel, de prologue à une scène
ouverte*. Il représente aussi une sorte de « déclaration d’amour » à cet art, ce qui
rejoint le mot énoncé par Bas Böttcher (Haßliebe) : « L’amour comme art mûr, la
plume au poing, la poésie sur les os… »437 Intitulé « Huitième merveille » - d’où la
« muraille de Chine » et autres métathèses (Dupriez, 1980 : 289) comme
« vermeilles » -, ce slam se caractérise par une densité qui s’explique à la fois par la
contrainte d’intégrer un maximum de mots issus de l’enquête et par la forme
adoptée, celle d’une succession de petites annonces. Lors d’une scène à laquelle
nous avions assisté438, le potentiel rythmique et prosodique inhérent à cette forme
avait été éprouvé par les slameurs et animateurs qui s’étaient essayés à déclamer
des annonces extraites de la presse439. S’agissant d’une transposition (Millet, 1992 :
120) d’un type d’écrit vers une forme discursive orale, il en résulte une densité
sémantique dûe à des phrases elliptiques, un style « télégraphique ». Par là-même,
ce texte nous semble illustratif d’une recherche d’efficacité et de concision, alliée à
des effets de déconstruction du rythme, plus généralement d’une quête
d’expressivité et de créativité lexicale : les slameurs se voient successivement
qualifiés de récréateurs, bavardeurs, littérorateurs et obsédés textuels. En outre,
Mots Paumés fait référence aux origines du mouvement en intégrant des emprunts à
l’anglais - relevant parfois d’un technolecte du rap (punch-line440) mais révélant
surtout la formule privilégiée dans le slam français de scène ouverte* (open mic) - et
rend hommage à Marc Smith en lui laissant littéralement le dernier mot : « Here to
stay »441.

437
Un internaute a proposé : « cri d’âme en cœur et en os ». D’où une nouvelle délexicalisation de MP.
438
Vallon Pont d’Arc le 3/12/10.
439
Voir notre chapitre 14 et le concept d’affordance.
440
Voir notre glossaire.
441
On note ici la présence des guillemets, s’agissant d’une citation.
147

Conclusion partielle

Au vu de toutes les représentations collectées lors de ces entretiens et enquêtes,


de tous ces mots érigés en monuments442, être slameur ne se limite pas, dans le
contexte du slam français, à la participation aux tournois, mais s’applique par
essence à une dynamique de circulation de la parole poétique et de transmission de
la discipline. De fait, le slam tel que les slameurs nous l’ont décrit – et tel qu’ils l’ont
dérivé en l’émancipant du modèle américain – correspond, bien au-delà du dispositif
premier qui est celui d’une compétition ou d’une scène ouverte* à l’expression libre, à
une démarche dans laquelle ils s’impliquent activement. Notre dernier entretien avec
Grand Corps Malade443 nous a confortée dans cette idée de l’importance du rôle
d’animateur*, à un double titre, s’agissant à la fois d’animer sur scène ses propres
textes, d’animer des scènes ouvertes le cas échéant, et d’animer encore des ateliers
dans différents contextes444. En outre, ou peut-être en vertu de cette fonction de
slanimateur, une telle démarche s’avère particulièrement favorable à la créativité
lexicale : les slameurs se posent ainsi en paroleurs libres plus qu’en paroliers, et
l’apparition de ce lexème néologique – exprimant la singularité du slam par rapport à
la chanson – traduit une dynamique lexicale dont ils témoignent en entretien.
Créativité qui s’origine dans leur conception même de l’écriture comme une
hybridation de l’écrit par l’oral qui pourra se décliner, selon les distinctions établies
par Agnès Millet (1992 :118), en termes de transcription, transposition (écrit oralisé)
ou translation (jeux graphiques), englobées par le concept d’oralittérature.

442
Voir notre chapitre 4 pour l’opposition entre monuments et documents d’après le médieviste Zumthor.
443
Voir notre chapitre 14.
444
Voir l’entrée « animateur » de notre glossaire.
148
149

Chapitre 4
Entre oralité et jeux
d’écriture : le slam ou
l’oralittérature

4.1. De la poésie orale


4.2. De la chanson
4.3. De l’écriture à la performance
4.4. Vers une poétique du slam

Illustration : Fredéric
éric Nevchehirlian,
« J’ai des milliers de gestes… »

Photo 11 : Frédéric Nevchehirlian à Autrans (le 20 mai 2011)


150
151

« C’est de l’art ignare et dieu sait si c’est beau


C’est de l’art ignare a dit le gosse peul
Mais les anciens ont-ils appris le solfège pour faire le gospel
Enfant du soleil et de la soul approche et rince-toi l’oreille »445

Le concept d’oralittérature – proposé comme définitoire du slam par Souleymane


Diamanka -, et la formule d’art ignare, sont à interroger : nous les confronterons dans
ce chapitre à des apports théoriques sur la poésie orale, la chanson et la
performance, afin d’établir dans quelle mesure l’objet de notre étude emprunte à ces
différentes traditions et pratiques. De fait, le slam s’inscrit dans un continuum :
« Slameur, c’est le plus vieux métier du monde » (GdB, 2009 : 51). Il procède d’un
retour aux sources, pour peu qu’on y voie la manifestation contemporaine d’une
tradition qui remonte à l’Antiquité avec l’actio de la rhétorique, consacrant l’art de
mettre le texte en voix et en gestes. A la question « Est-ce que vous vous considérez
comme des aèdes ? », le slameur et éditeur Félix J. répond :
« On a pléthore de mots à notre disposition, c’est une fonction sociale qui a toujours
existé. Selon les époques et les régions, on nous appelle différemment : griots, conteurs,
troubadours… Le terme rend compte de la présence du poète dans la vie et la société.
C’est une typologie universelle. (…) L’exutoire d’un côté, l’éphémère des performances*
de l’autre, une des conditions pour que ce genre soit distingué des autres. » (Peillon,
2009 : 184, nous soulignons).
A chaque époque et à chaque civilisation son mot pour désigner ce poète-récitant qui
va sur la place publique : nous avons évoqué la tradition libanaise des Zajals, joute
poétique déclamée et improvisée que d’aucuns considèrent comme l’« arrière-grand-
mère du slam » (Peillon, 2009 : 118). Inspirés de ces traditions empreintes d’oralité
et de musicalité – conformément au sens original du mot lyrique – les slameurs n’en
accordent pas moins d’importance à l’écriture, les improvisateurs étant rares si l’on
excepte le freestyle*446. Après avoir convoqué des références théoriques
incontournables et susceptibles d’éclairer notre objet, nous nous intéresserons aux
influences dont ils se réclament en matière d’écriture avant d’énoncer en guise de
synthèse, quelques caractéristiques fondatrices d’une poétique du slam.

445
Souleymane DIAMANKA (2007), « L’art ignare », L’Hiver Peul.
446
Terme relevant du technolecte du rap : Barret (2008 : 50) définit le rap freestyle comme « une trame qui se
contruit mot à mot ». Arthur Ribo et Dgiz pratiquent ce type d’improvisation : voir notre glossaire.
152

4.1. De la poésie orale

4.1.1. Oralité, orature, oraliture, oralittérature447

Dans son analyse du rapport entre oralité et écriture, Claude Hagège (1987)
oppose les verbophiles aux scriptophiles : les slamophiles relèveraient-ils de l’une
ou de l’autre de ces catégories ou des deux conjointement ? Quelle est la part de
l’oralité et de l’écriture dans la poétique du slam ? Le texte écrit, nous rappelle
Hagège, est « un sillon mort », ou encore « un dialogue à distance, où s’abolit le
voisinage des bouches, des oreilles et des yeux ». (1987 : 94) En revanche, la
communication orale est non seulement « chargée de tout le sens d’origine » mais
en outre « elle est multiplanaire. » (108, nous soulignons) En effet, elle permet le
recours à « la gestuelle articulatoire et (à) des sémiotiques expressives comme celle
du visage », auxquelles s’ajoute l’intonation : « phénomène capital dont aucun
système d’écriture ne conserve la trace » (108-109). Cette dernière permet de
« stratifier le discours oral en une structure hiérarchique. » (109) Dès lors, si
l’ « invention de l’écriture a contribué à occulter l’exercice vivant de la parole », le
slam serait-il le lieu d’une réinvention de l’oralité ?

Claude Hagège précise les notions fondamentales de style oral, qu’il distingue du
style parlé448, et d’orature :
« Le style oral est un véritable genre littéraire. Il s’agit d’une tradition culturelle qui paraît
apporter une justification à la création d’un terme, orature, lequel deviendrait symétrique
de la notion d’écriture, entendue comme littérature (souvent à l’exclusion de la tradition
orale, certes tout aussi littéraire elle-même, au sens où elle conserve les monuments
d’une culture, mais ne laissant pas de trace matérielle). » (1987 : 111, nous soulignons)
Nous reviendrons sur ce concept d’orature449, ainsi que sur celui de monument,
avant de nous interroger sur les aspects génériques. Le fait est que ce style oral se
traduit par un certain nombre de caractéristiques énumérées par le linguiste :
« refrains, syllabes de déclenchement, mots d’appel, noms-agrafes, expressions
inductrices, profusion de quasi-synonymes, assonances, rimes, allitérations et autres

447
Si le concept d’orature est attribué à Claude Hagège (voir supra), celui d’oraliture a été proposé par Ernest
Mirville (Interview sur le concept d'oraliture accordée à Pierre-Raymond Dumas par le docteur Ernest Mirville»
Conjonction, n° 161-162, mars-juin 1984, p. 162). Il sera principalement lié à la réflexion sur la littérature des
Caraïbes et repris par Chamoiseau dans son analyse du conte créole (1991: 56). Cependant, l’approche du
médiéviste Zumthor que nous développerons ici nous semble la plus adéquate à rendre compte des
fondements de ce concept que nous rapprocherons de l’oralittérature définie par Souleymane Diamanka.
448
« Cette dernière désignant l’usage ordinaire, plus ou moins éloigné de la langue écrite, qui est fait de la
parole en situation d’interlocution. » (Hagège, 1987 : 110)
449
Le mot semble conçu comme une sorte de mot valise fusionnant les deux mots « oralité » et « écriture »
autour du phonème commun [i] ou encore comme une déformation par substitution du morphème « ora » à
« écri » au sein du lexème « écriture », par analogie.
153

échos phoniques et sémantiques, parallélismes lexicaux et grammaticaux, couples de


sens, rythmisation par le geste et par les mouvements de la bouche » (1987 : 111)
Autant de moyens qui assurent une efficacité mnémotechnique, à l’instar de la
répétition qui apparaît comme le procédé fondamental, coiffant ces manifestations :
« la répétition est foncièrement constructrice de l’oral. » affirme le linguiste (111),
s’appuyant sur l’exemple des proverbes du monde entier caractérisés par des
structures symétriques et des formules en écho. Si la poésie – en tant que genre – a
intégré un certain nombre de ces traits définitoires d’un style oral qui se décline sous
des formes diverses450, les conteurs témoignent aussi du rôle de la répétition au sein
de « cette onde sonore dont le souvenir risque toujours, s’il n’est pas aidé, de
s’évanouir à mesure même de sa progression » (111). Et le linguiste de citer le griot
Malien H.Hampaté Ba : « En Afrique, un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui
brûle » (112) : citation qui sera reprise par Souleymane Diamanka dans le texte
éponyme de son album intitulé L’Hiver Peul (2007). Le slameur d’origine
sénégalaise témoigne ainsi de la prégnance de l’art griotique au cœur de son slam.

Dans l’un de ses textes de l’Hiver Peul, il qualifie son œuvre d’art ignare, en
référence à Jean-Michel Basquiat451: « C’est de l’art ignare et Dieu sait si c’est laid »
Refrain versatile qui évolue au fil du poème et au gré du poète : « C’est de l’art
ignare et Dieu sait si c’est beau » (nous soulignons). Ainsi le slameur se présente-il
comme poète de la rue452 ou encore un « peul bordelais aux cordes vocales
barbelées » ayant baigné dans l’oralité depuis sa plus tendre enfance : celle d’une
culture griotique empreinte de dictons et de sagesse populaire453, celle de la voix
peule de son père qui s’était enregistré pour sa famille et dont de lointains échos
nous parviennent dans l’album. Nourri d’une double culture, il conçoit ses textes à la
lisière de l’oral et de l’écrit : « J’ai trouvé ma voix dans cette écriture » confie-t-il au
détour d’un slam.454 Dès lors, la question se pose de la littérarité de cette écriture :
« J’ai des plaies plein le palais quand je te lis mes ratures/ Dis-leur que c’est tout
sauf de la littérature » En interview, il a introduit le concept d’oralittérature qui s’inscrit

450
« Elle spécialise à son profit certains des procédés du style oral, en particulier le rythme et là où elle existe, la
rime, en les vidant de leur finalité mnémotechnique et didactique. » (Hagège, 1987 : 112)
451
L’artiste aurait utilisé cette formule pour présenter ses tableaux « format carte postale » à Andy Warhol.
452
« J’ai toujours fait ce rêve et je remercie la rue/ Tout ce que j’ai pu écrire c’est sur ses lèvres que je l’ai lu »
(« L’art ignare », L’Hiver Peul, 2007).
453
« Son premier héritage, c’est déjà les mots. On lui raconte des contes remplis de métaphores et de
proverbes anciens. » (Guay de Bellissen, 2009 : 147)
454
« Moment d’humanité », Hiver Peul, 2007.
154

pour nous dans la lignée de l’orature d’un Hagège ou de l’oraliture d’un Chamoiseau
(1999), avec cette syllabe supplémentaire qui confère à ce terme le statut de mot-
valise sans apocope ni aphérèse 455 :
« L’oralité m'a aidé à développer une mémoire considérable. L'oralité, c'est aussi la
confiance, lorsque les choses ne sont pas écrites. Je crois que nous avons perdu
quelque chose avec l’avènement de l'écrit, en même temps que l'on en a gagné. C'est
pour ça que, lorsque je parle de mon travail, je parle “d'ora-littérature”. C'est un trait
d'union entre l'oralité qui est très importante pour moi et la littérature qui me nourrit. »456
Dès lors, le slam apparaît comme un trait d’union ou passerelle entre deux univers
« apparemment lointains, mais contigus en réalité, et qui se prolongent. »

A la lumière de ces observations, nous nous interrogerons sur ce qui fonde la


littérarité propre à cette oralittérature, à commencer par les différentes formes
d’échos sonores qui, dans le slam, produisent un effet de répétition. Dans cette
perspective, l’homophonie caractéristique de la rime dite équivoquée (Aquien &
Molinié, 1999 : 646) nous semble jouer un rôle essentiel dans la poétique du slam,
slalomant entre écriture et oralité. Le slam serait-il, à l’instar de la poésie médiévale,
le lieu de l’équivoque généralisée (Zumthor, 1978 : 269) ? Peut-il être appréhendé
comme une forme contemporaine de chanson de geste ?

4.1.2. Poésie orale et fonction poétique

Dans son Introduction à la poésie orale (1983), le médiéviste Zumthor revient sur
la définition de la littérature orale, expression attribuée à Paul Sébillot en 1881 :
« Elle désigna tour à tour, dans un sens étroit chez les ethnologues, une classe de
discours à finalité sapentielle ou éthique ; et dans le sens large, chez les rares historiens
de la littérature intéressés par ces problèmes, toute espèce d’énoncés métaphoriques
ou fictionnels, dépassant la portée d’un dialogue entre individus. » (Zumthor, 1983 : 45)
A partir de là, comment définir la littérarité propre à cette littérature orale sinon par
sa portée métaphorique, sa teneur fictionnelle ou sa finalité sapentielle ? Voici ce
que suggère Paul Zumthor :
« Est poésie, est littérature, ce que le public, lecteurs ou auditeurs, reçoit pour tel, y
percevant une intention non exclusivement pragmatique : le poème en effet (ou, d’une

455
Nous avons concrétisé ce « trait d’union » dans la transcription de ce lexème néologique. Orature étant
conçu comme symétrique d’écriture, oraliture apparaît comme une forme intermédiaire. Ora-littérature
apparaît plus clairement comme la fusion des mots « oralité » et « littérature » autour du morphème commun
[litE], ce qui nous semble traduire la reconnaissance d’une littérarité propre à la poésie orale. Notons
cependant que ce terme fait état de l’appartenance à un « champ » tandis que orature fait référence à une
activité relevant du même paradigme que écriture, ou encore auditure. (Bobillot, 2009 : 68) Voir notre chapitre
8 pour une analyse lexicogénique de ce type de mot-valise.
456
Propos recueillis par Monia Zergane pour Evene.fr, en juin 2007 (voir notre sitographie).
155

manière générale, le texte littéraire) est senti comme la manifestation particulière, en un


temps et un lieu donnés, d’un vaste discours constituant globalement un trope des
discours ordinaires tenus au sein du groupe social. » (1983 : 38-39, spn)
En d’autres termes, ce serait la réception – et par là-même l’intention perçue à
travers des signaux spécifiques – qui déterminerait la littérarité d’un texte. Zumthor
convoque alors la distinction entre document (« manifestation discursive de base »)
et monument (« manifestation discursive poétique »)457. Ces deux formes se
distinguent par un « niveau poétique, défini par une structuration seconde –
intentionnelle et résultant d’un travail » : celle-là intervient à un double niveau, textuel
et modal, la structuration dite modale pouvant s’appliquer autant au plan graphique
(écriture) qu’au plan vocal (oralité)458. C’est à ces conditions que le monument peut
être conçu comme un objet poétique et perçu comme tel :
« Ce texte devient art au sein d’un lieu émotionnel, manifesté en performance, et d’où
procède et où tend la totalité des énergies constituant l’œuvre vive. C’est ainsi la
performance qui, d’une communication orale, fait un objet poétique, lui conférant
l’identité sociale en vertu de quoi on le perçoit et déclare tel. » (1983 : 81-82, nous
soulignons)
« Mot ? Moment ? Monument ? » interrogent les auteurs du guide Ecrire et dire (sd :
27), avant d’introduire des éléments de définition du slam comme performance*. Ce
dernier concept apparaît justement comme la pierre de touche de la réflexion de
Zumthor :
« La performance apparaît comme une action orale-aurale complexe, par laquelle un
message poétique est simultanément transmis et perçu, ici et maintenant. (…) Dans la
performance se recoupent les deux axes de toute communication sociale : celui qui joint
le locuteur à l’auteur ; et celui sur quoi s’unissent situation et tradition. » (1987 : 248)
De performance à performatif, il n’y a qu’un pas, comme nous le rappelle le
médieviste :
« On rapprocherait sans calembour performance de performatif, dans le sens que l’on
donne à ce terme depuis Austin. On poserait par là en principe que le langage poétique
médiéval comporte toujours un aspect performatif. » (1987 : 245)
Zumthor interroge en outre la notion de genre appliquée à ce champ de la
littérature orale et choisit de l’employer au sens large, comme résultant de
l’identification de traits communs au sein de séries :
« Il me servira donc à désigner des séries entre les unités desquelles se constatent des
ressemblances soit fonctionnelles, soit résultant de configurations de traits lexicaux,
457
Cette distinction nous semble aller à l’encontre du sens étymologique de ces deux termes : documentum,
« exemple, modèle, leçon, enseignement » de doceo, « enseigner, montrer, faire voir », et monumentum,
« tout ce qui fait songer, se souvenir, y compris un écrit », de moneo, « faire songer, faire souvenir, avertir ».
458
« La part respective des structures textuelle et modale dans la constitution du monument diffère
sensiblement dans la poésie écrite et dans l’orale. Le textuel domine l’écrit ; le modal les arts de la voix. »
(Zumthor, 1983 : 39)
156

grammaticaux, parfois sémantiques. Encore faut-il que ces ressemblances soient assez
nombreuses et oralisées pour apparaître comme une figure programmatique, une
ébauche au moins de modèle commun, tel que chaque « œuvre » y ait son lieu en
même temps que, partiellement, elle s’en évade. » (1983 : 47, nous soulignons)

Dans cette perspective - qui revient à l’élaboration d’une poétique propre à la poésie
orale -, il tente d’expliciter ses caractéristiques : « Lorsque la vocalité d’un texte
s’inscrit dans son dessein initial, écrit-il, un trait général caractérise son style (…) on
le définirait à l’aide de termes tels que discontinuité ou fragmentarité » (1987 : 180,
nous soulignons). Il en résulte des ruptures dans le ton, le style, le registre, la
syntaxe, des alternances relevant clairement de stratégies expressives : de fait,
celles-ci diffèrent foncièrement de celles d’un texte conçu initialement – et
exclusivement – en vue d’une transmission écrite. Cette fragmentarité se double d’un
formulisme qui peut être une ressource stylistique pour les poètes oraux :
« Le formulisme en poésie est donc redondance fortement fonctionnalisée, et
formellement stylisée. » (1987 : 221)
Notons d’ores et déjà, dans la perspective de la deuxième partie de cette étude, que
l’utilisation de proverbes ou aphorismes, dictons et autres formules plus ou moins
figées donnent lieu à de nombreux détournements ludiques dans le slam :
« Approche et rince-toi l’oreille »459
Ainsi, nous verrons à l’œuvre dans le slam ce formulisme poétique (1987 : 218) qui
« fonctionne à l’aide de modèles d’ordre divers, syntaxiques, rythmiques,
sémantiques, opérant, dans la constitution du texte, de manière générative,
produisant en surface des séquences à la fois attendues et imprévisibles. »460
S’agissant du slam, la vocalité apparaît bien inhérente au dessein du texte, ce
dernier étant précisément élaboré dans la perspective d’être oralisé sur une scène.
Selon le poéticien, la tradition orale s’appuie sur un langage séparé, spécifique et
éloigné de l’usage quotidien. Il relève par exemple la présence d’archaïsmes, que
nous pourrons vérifier au sein de notre corpus :
« Le dioxyde de carbone peut t'intoxiquer, t'occire à petit feu »461

Zumthor rappelle en outre l’importance de la fonction phatique telles que l’a définie
Malinowski : « jeu d’approche et d’appel, de provocation de l’Autre, de demande, en
soi indifférent à la production d’un sens. » (1983 : 32).

459
Souleymane Diamanka (voir la citation en exergue de ce chapitre).
460
Ainsi pourrons-nous analyser ce « formulisme » comme une source de créativité, voire une matrice de
création verbale (voir à ce sujet nos chapitres 7 et 9).
461
Mots Paumés, « Apnée » (Songes déments, 2009).
157

« Remonte à la surface, reprends tes esprits, suis ton instinct, respire ! » (MP, ibid.)

Celle-là pourra se manifester sous des formes diverses : « digressions prospectives,


rétrospectives, justificatives, stases ornementales, apostrophes, exclamations,
questions rhétoriques, passages du il, eux, au je, au vous, usage de présentatifs tels
que voyez, écoutez, schématisations descriptives, énumérations. » (1983 : 134). De
la vocalité, le médieviste passe à l’intervocalité (1987 : 161), notion qu’il rapproche
de l’intertextualité :
« d’une intervocalité comme l’intertextualité dont on parle depuis quelques années, et
que je considère ici sous son aspect d’échange de paroles et de connivence sonore ;
polyphonie perçue par les destinataires d’une poésie qui leur est communiquée –
quelles qu’en soient les modalités et le style performanciel – exclusivement par la voix. »
Dans le slam, l’exemple du collectif* toulousain « Enterré sous X »462 illustre
parfaitement ce concept, s’agissant de performances* collectives caractérisées par
des jeux de voix et une véritable mise en scène de l’interprétation. Dans La Lettre et
la voix (Zumthor, 1987), il est aussi question d’interdiscours, concept qui nous paraît
opératoire dans le cadre de cette étude463 :
« Ainsi se constitue un interdiscours poétique - au sens où l’on parle d’intertexte : un
réseau mémoriel et verbal, très inégalement serré mais qui vise à embrasser de ses fils
la parole entière d’une communauté. » (1987 : 217)
Ancrée dans une situation qui impose des conventions particulières, « la
performance est présent. » (1983 : 59). Discours circonstanciel, elle n’est jamais
reproduite à l’identique mais nécessairement mouvante :
« Le texte à performance libre (…) varie constamment au niveau connotatif, à tel point
qu’il n’est jamais deux fois le même : sa surface est comparable à celle d’un lac sous le
vent. » (1983 : 148, nous soulignons)
Si l’improvisation* pure (ou « performance libre ») est rare dans le slam français, une
certaine mouvance lui est pourtant inhérente : « J’ai nommé la mouvance, désignant
ainsi l’instabilité radicale du poème. » (1983 : 252). Le poème garde sa mobilité et le
slameur sa liberté d’interprétation : « Toujours il divague... » (1983 : 14). D’où un
certain nombre de variantes pour un même texte :
« Je regroupe sous le terme de variantes les différences de toute espèce et de toute
ampleur par où se manifeste, dans l’action performatrice, la mouvance de l’œuvre. »
(1983 : 255, nous soulignons)
Le fait est que, dans le slam, la mouvance peut être due à une difficulté
mnémotechnique, à la remembrance qui engendre une re-création (1983 : 225),

462
Voir la page Myspace de ce collectif* (voir notre sitographie).
463
Nous reviendrons dans le prochain chapitre sur ce concept d’interdiscursivité déjà présent dans le rap.
158

évoquée par plusieurs slameurs en entretien, ou à une volonté d’ancrer la


performance* dans le lieu précis de son actualisation, ce que Zumthor qualifie
d’intervention circonstancielle (1987 : 160). A titre d’exemple, Souleymane Diamanka
a introduit une variante au sein du refrain de son poème « Mademoiselle à vol
d’oiseau » lors de la scène « Slam la confiance »464, afin de l’inscrire dans le
contexte de cette manifestation :
« Mademoiselle danse, mademoiselle danse…
Pendant que nous ici ce soir, nous slamons la confiance » (nous soulignons)

En outre et pour accéder au statut d’œuvre plénière (Zumthor, 1987 : 269), la


performance est nécessairement mouvement du corps, « mise en scène corporelle »
(195). Ainsi dans le slam en particulier comme dans la poésie orale en général :
« Les mouvements du corps sont aussi intégrés à une poétique. » (193)
Enfin, la poésie orale est par essence publicité, le message étant publié au sens
premier de ce terme (de « rendu public »):
« La performance est publicité. Elle est refus de cette privatisation du langage en quoi
consiste la névrose. » (1983 : 157, nous soulignons)
La performance apparaît alors comme la rencontre entre une voix et une écoute,
aspirant par là-même à « une coïncidence presque parfaite des dénotations, des
connotations principales et des nuances associatives » (1983 : 127). En tant que
telle, elle répond à l’horizon d’attente des participants, tandis que le texte répond à
une question intime (64) :
« Quant à la réception, un certain « horizon d’attente » la détermine : les circonstances,
l’opinion, la publicité, mon propre désir me poussent à participer à telle performance
comme à un concert, à un spectacle, ou à récital poétique ; une fois ce dessein formé, il
devient difficile de n’en pas rester prisonnier. » (1983 : 182, nous soulignons)
Le concept d’horizon d’attente s’inscrivant dans une esthétique de la réception qui
s’applique aux textes écrits (Jauss, 1978465), nous lui préfèrerons celui d’horizon
d’écoute que nous proposons pour rendre compte de ce phénomène : lors d’une
scène slam, cet horizon doit être ouvert à une diversité de modalités d’interprétation.
Zumthor revient d’abord sur l’opposition entre dit et chanté :
« Dans le dit, la présence physique du locuteur s’atténue plus ou moins, tend à se fondre
parmi les circonstances. Dans le chant, elle s’affirme, revendique la totalité de son
espace. C’est pourquoi la plupart des performances poétiques, dans toutes les
civilisations, ont toujours été chantées » (1983 : 178)

464
Concert au Trabendo (Paris), le 20/10/10 : voir notre premier chapitre).
465
Jauss le définit en ces termes : «Le texte nouveau évoque pour le lecteur (ou l'auditeur) tout un ensemble
d'attentes et de règles du jeu avec lesquelles les textes antérieurs l'ont familiarisé et qui, au fil de la lecture,
peuvent être modulées, corrigées, modifiées ou simplement reproduites.» (1978 : 51, nous soulignons)
159

Mais cette distinction apparaît bientôt comme un lieu mouvant :


« Où passe, dans cette pratique, la frontière entre chant et non-chant ? Frontière
mouvante, qu’il importe peu de délimiter. » (1987 : 205, spn)
En d’autres termes, une telle dichotomie ne saurait suffire à rendre compte du
continuum :
« Empiriquement, on admettra l’existence, non de deux, mais de trois modalités : la voix
parlée (dit), le récitatif scandé ou psalmodie (ce qu’exprime l’anglais to chant) et le chant
mélodique (anglais to sing). (…) Le dit de la poésie orale, ainsi marqué, se trouve en
continuité avec le récitatif et celui-ci diffère du chant par la seule amplitude. De l’un à
l’autre se produisent des glissements. » (1983 : 178, nous soulignons)
Nous verrons que le slam oscille en permanence entre ces trois modalités. Le chant
pourra se déployer à l’occasion d’un refrain – lieu de mouvance privilégié – comme
dans « Perpendiculaire » de Luciole, ou encore dans un texte polyphonique où une
voix chantée – parfois en langue étrangère – se superpose à la voix parlée466. Force
est de constater qu’ « en toute poésie orale, il y a présomption de chant. » (1983 :
178). En outre, la musique pourra venir souligner la fonction incantatoire du langage
(Jakobson, 1963 : 21), à travers un accompagnement ou un simple prélude :
« C’est pourquoi la plupart des performances, quel qu’en soit le contexte culturel,
commencent par un prélude non vocal, battement d’un objet, pas de danse, mesure
musicale préliminaire : le cadre est ainsi exposé, où va se déployer la voix. » (1983 :
163)
Si Paul Zumthor voyait dans le blues « le genre le plus accompli de la poésie
orale contemporaine. » (1981 : 190), le slam peut être conçu comme une
manifestation contemporaine de cette thèse fondamentale :
« Le désir de la voix vive habite toute poésie, en exil dans l’écriture. » (1983 : 140)
En tant que performance, il répond à cette exigence de voix vive, par opposition aux
voix dites médiatisées467. Au-delà de cette forme originale, la voix du slameur pourra
néanmoins être médiatisée par un enregistrement en vue d’une commercialisation ou
d’une diffusion sur la Toile, ou encore par un dispositif tel que la « Text box »468.
Quant aux fonctions de la poésie orale, elles restent à interroger :
« Marquée par sa préhistoire, la poésie orale remplit ainsi une fonction plus ludique
qu’esthétique. » (1983 : 267)

466
Souleymane Diamanka, « L’automne des blocs-notes » (2007), en duo avec Kayna Samet ; Abd al Malik,
« Fleurs de Lune » (2004), en duo avec Souad Massi qui chante le refrain en arabe.
467
« Le trait commun de ces voix médiatisées, c’est qu’on ne peut y répondre. Leur réitérabilité les
dépersonnalise, en même temps qu’elle leur confère une vocation communautaire. L’oralité médiatisée
appartient ainsi, de droit, à la culture de masse. » (Zumthor, 1983 : 28)
468
Concept créé par Bas Bottcher (voir notre chapitre 1 et l’entretien avec ce slameur en annexe III.11).
160

Dans ces conditions, il nous semble opportun de revenir aux six fonctions
définies par Jakobson. Certes, la fonction poétique, définie comme « l’accent mis sur
le message pour son propre compte », (1963 : 218) paraît prédominante dans le
slam, mais Jakobson souligne que :
« Toute tentative de réduire la sphère de la fonction poétique à la poésie, ou de confiner
la poésie à la fonction poétique n’aboutirait qu’à une simplification excessive et
trompeuse. »
Aussi les autres fonctions peuvent-elles se manifester « dans un ordre hiérarchique
variable » selon les divers genres poétiques, de sorte que :
« La poésie épique, centrée sur la troisième personne, met fortement à contribution la
fonction référentielle ; la poésie lyrique, orientée vers la première personne, est
intimement liée à la fonction émotive ; la poésie de la seconde personne est marquée
par la fonction conative (…) » (1963 : 219)
Le slam nous semble se construire à la conjonction – voire la conjugaison – de ces
fonctions, se rapprochant selon les auteurs et les textes des poésies épique et
lyrique, ou d’une poésie adressée et impressive dont le rap fournit des exemples469.
Ainsi, le texte « Slam » de Tô ne comporte par moins de 43 occurrences du « je » au
sein d’un slam de 54 lignes selon la disposition adoptée dans l’anthologie Le slam,
poésie urbaine (2007)470. Ce constat nous semble révélateur de la prégnance d’une
fonction émotive, mais la fonction conative se manifeste aussi à travers la récurrence
des phrases injonctives (11 occurrences). En outre, l’interprétation de ce texte se
caractérise par une intervocalité qui en souligne la fonction expressive. Jakobson
développe un exemple emprunté au théâtre pour mettre en valeur la possibilité de
donner une infinité de nuances expressives (Jakobson, 1963 : 215) attribuées à une
même formule. Quant à la fonction poétique, elle se traduit par la recherche d’effets
sonores proches de la musication :
« Slam, c’est l’halalli du crime, c’est le lalala du drame » (slam cité)

Dans Questions de poétique, Jakobson approfondit le rapport de connexité entre


musicologie et linguistique (1973 : 102). A la question « Qu’est-ce que la
poésie ? », reformulée en « Comment la poéticité se manifeste-t-elle ? », il répond :
« En ceci, que le mot est ressenti comme mot et non comme simple substitut de l’objet
nommé ni comme explosion d’émotion. En ceci, que les mots et leur syntaxe, leur
signification, leur forme interne et externe ne sont pas des indices indifférents de la
réalité, mais possèdent leur propre poids et leur propre valeur. » (1973 : 124, nous
soulignons)

469
Voir notre prochain chapitre.
470
Voir en annexe I.4.
161

Dans un chapitre ultérieur, il illustrera sa théorie par une analyse – menée en


collaboration avec Claude Lévi-Strauss – des « Chats » de Baudelaire. Remarquant
le rôle saillant des liquides [R] et [l] dans la texture phonique du sonnet, il évoque le
caractère abrupt du [R] par opposition au glissando du [l], le recul de l’un devant
l’autre traduisant une évolution sémantique : « le passage du félin empirique à ses
transfigurations fabuleuses. » (1973 : 408). Si les figures étymologiques (amoureux,
amis, aiment) et autres liens paronomastiques (sphinx allongés/songeant : 411)
contribuent à l’harmonie poétique, c’est en termes de modulations que le linguiste
analyse la progression du poème :
« Par cette brusque oscillation, et de ton et de thème, le distique remplit une fonction qui
n’est pas sans évoquer celle d’une modulation dans une composition musicale. » (416)

4.1.3. Du style vocal au phonostyle : la vive voix

Tel est le titre de l’ouvrage fondateur d’Ivan Fonagy. Partant du constat que « la
vivacité est inhérente à toute communication orale » (1983 : 9), le linguiste évoque la
métaphore de la « danse buccale » selon André Spire (1949). A ses yeux, toute
vocalisation est une source de plaisir, une forme d’érotisme oral fondé sur des bases
pulsionnelles dont l’expression réduit la tension psychique. Il s’agit donc d’une
catharsis narcissique via les organes de parole : « Mais déjà la structure du style
vocal elle-même pourrait être une source de plaisir. » (1983 : 24). Dans un chapitre
consacré à cette notion, Fonagy décrit la communication orale comme résultant d’un
double encodage :
« un encodage linguistique qui transforme un message global, une idée, en une
séquence de phonèmes, et un deuxième codage – qui coïncide admirablement avec
l’acte de mise en sons des phonèmes - au cours duquel le message secondaire,
gestuel, est greffé sur le message primaire. » (1983 : 14)
Lors du passage à l’écrit, cet enjeu stylistique se manifeste à travers la mise en
œuvre de « ruses graphiques » visant à rendre compte de l’isomorphisme entre
l’expression, la forme du message, et son contenu :
« L’importance stylistique des messages vocaux, gestuels, amène souvent l’écrivain à
se servir de ruses graphiques lui permettant de signaler les distorsions articulatoires
dans les cadres du texte écrit ou imprimé. » (1983 : 16)
D’où l’emploi à visée expressive de majuscules, italiques et autres marques
graphiques :
« Les majuscules ou les italiques suggèrent l’emphase, le redoublement des lettres
l’allongement expressif d’une syllabe, les tirets séparant les syllabes un débit ralenti,
saccadé, etc. » (1983 : 16)
162

En atteste la double page extraite de l’album Slamérica (2008) du québécois Ivy471.


S’agissant d’un livre objet incluant l’album, les effets typographiques sont étroitement
corrélés aux effets de mise en voix dont témoigne l’enregistrement. D’une part,
l’emploi des majuscules traduit l’accentuation du lexème « Dire » (9 occurrences sur
cette seule page472) situé à la rime (équivoquée) qui plus est le titre du texte ; les
mots « moi » et « nous » sont mis en relief par le même procédé, ce qui souligne le
jeu d’homophonie (moi/mois, nous-rire/nourrir). Dans les deux cas, l’emploi des
majuscules a donc une incidence sur la néologie et la mise en valeur de ce
phénomène dans la géographie de la page (para…DIRE)473. D’autre part, l’emploi
des points de suspension contribue à créer un effet d’attente, à l’écrit comme à l’oral
où il se traduit par un allongement de la syllabe précédente, d’où une forme de rejet.
Enfin, les blancs nous confortent dans l’idée d’une utilisation lyrique ou dramatique
des pauses au sein de la mélodie du texte.

Ivan Fonagy nous rappelle la double fonction, démarcative et sémantique, de


l’accent dit d’intensité ou dynamique :
« L’accent établit d’autre part une certaine hiérarchie sémantique dans la phrase, en
prêtant plus ou moins d’intensité aux mots conformément à leur poids sémantique. »
(1983 : 107)
Dans cet exemple issu d’un texte d’Ysae (2010), nous avons souligné les accents
relevant de ce type :
« Quand je quitte mon pays, j’suis alter-mondialiste,
Quand j'arrive sur leur terre, nanti-capitaliste. »
S’agissant d’alexandrins, l’accent tonique (en gras) se situe à l’hémistiche et en fin
de vers. Quant à l’accent dynamique, il assure ici une double fonction d’écho sonore
marqué par une allitération en [t] et une assonance en [i] et de soulignement du jeu
sémantique (« nanti-capitaliste »). Ce rythme est fondamentalement binaire474,
comme en témoignent les groupes de souffle et la structure anaphorique.

En allant plus loin, la recherche d’effets de musication pourra aboutir à une


métaphore mélodique (Fonagy, 1981 : 242).
« Libérant l’énergie des sons qui constituent les mots, le poète complète le texte par une
mimesis sonore. (…) Dans l’espace poétique, il n’y a pas de hasard et le « bruit »
devient significatif. » (319)

471
Voir notre chapitre 2 (page 78).
472
Même si la seconde occurrence, soit le premier mot du texte, n’est pas mise en relief par ce procédé.
473
Voir nos chapitres 7 et 8.
474
Nous verrons qu’il s’agit là de l’une des caractéritiques de l’écriture rapologique (voir notre prochain
chapitre).
163

A l’instar d’Ivy, les slameurs usent à l’envi de procédés visant une mimesis sonore ou
harmonie imitative475 (Aquien et Molinié, 1999 : 505) dont l’expressivité – voire
l’affectivité connotée à travers les redoublements hypocoristiques emblématiques du
langage enfantin – pourra être appuyée par la gestuelle lors de la performance :
« Qu’il était pas plus grand que mon bras
Et dire que bientôt il m’arrivera là ou là
La la la human step by step bye bye bébé »476
De fait, cette musique des lettres est souvent première dans le slam, l’enjeu étant de
faire sourdre une mélodie à l’intérieur d’un texte :
« Le poète quand il écrit son poème, a généralement déjà une mélodie, un rythme, il
cherche un texte, il construit son texte à partir d’une mélodie, d’une vision mélodique de
l’ensemble. » (Fonagy, 1983 : 320)
Si l’interprétation matérialise l’une des réalisations possibles du texte, elle vise une
parfaite adéquation entre les vers et la voix qui la portent :
« Cette voix scandait les vers qui m’avaient semblés prédisposés à une telle
interprétation. » (1983 : 279)
Dans son Précis de phonostylistique – sous-titré « Parole et expressivité » –
Pierre Léon (1993) se propose d’établir un « traité de l’oralité, envisagée au plan de
l’expression vocale » ou encore « un répertoire de styles sonores ou phonostyles. »
(3) A cet effet, il précise la notion de phonostyle en la distinguant du style oral que
Claude Hagège envisageait dans sa littérarité. Le phonostyle de Léon se différencie
aussi du style vocal de Fonagy que ce dernier conçoit comme un effort volontaire et
conscient. Pierre Léon soutient qu’ « il y a place pour une phonostylistique des effets
produits sur l’interlocuteur, même s’il n’était pas l’intention du locuteur de faire rire,
sourire, pleurer… » (1993 : 22). Dans ces conditions, la notion de style en général –
et de phonostyle en particulier – s’applique à tout locuteur et ne saurait être
réservée « aux spécialistes dont c’est le métier de faire du style, les écrivains et les
acteurs. » (23) Dès lors, la phonostylistique se définit comme « l’étude de la
variabilité phonique » (7). Force est de constater, nous dit Léon, « que toute parole
proférée comporte des significations qui vont bien au-delà des sens véhiculés par les
mots et la syntaxe. » (5). Alors que la stylistique traditionnelle n’étudiait que les effets
volontaires, soit les signaux, la phonostylistique se propose d’élargir le champ
d’investigation aux indices qui sont involontaires mais néanmoins porteurs d’une

475
Dictionnaire de Poétique et de Rhétorique, article « Cratylisme ».
476
Ivy, « Dire », Slamérica, 2008, nous soulignons.
164

expressivité aux multiples facettes. Si l’accentuation et l’intonation sont souvent


mobilisées à des fins expressives, certains choix du locuteur ont une valeur oratoire :
« Une fausse coupure, un silence prolongé, la voix qui reste en suspens, sont autant de
marques d’un phonostyle oratoire. » (1993 : 9)
A l’instar d’un Fonagy, Léon évoque le recours à des ruses graphiques permettant de
pallier « les pertes du passage de l’oral à l’écrit » (33) dues à l’encodage du texte
poétique. Il revient sur la phonétique impressive de Grammont :
« les vibrantes [l] et [R] sont propres à exprimer une impression de fluidité révélée par
leur nom impressionniste de liquides » (1993 : 47)
A cet égard, ces premiers vers du slam de Narcisse « Petite pluie » sont
emblématiques d’un symbolisme sonore tendant à la musication :
« Coule coule petite pluie
Mets du gris dans leur vie
Mélancolise-les peu à peu
Qu’il pleure dans leur coeur
Les longues larmes de Verlaine
Les cent spleens de Baudelaire »477
A l’inverse, la structuration consonantique « t-k » symbolise un coup sec et constitue
par là-même « le champ protosémantique de frapper » (1993 : 51). Là encore, et
comme son nom l’indique478, le slam nous offre des exemples à foison :
« Et je tanne des mots de titane
Des mots de trames, de trimes, de trappes, de tripes et d’organes.
Et je slame et j’assène ces mots sur l’enclume de ta peau sublime. » 479
Léon évoque ensuite les aspects rythmiques et l’impression de staccato qui peut
résulter d’« un rythme accentuel et syllabique fait de syllabes courtes » (78), commun
aux deux exemples cités :
« Slam, c’est l’âme qui rime, c’est la lame, c’est la lime
C’est la langue qui trime pour dire la trame.
Slam, c’est l’hallali du crime, c’est le lalala du drame »
Quant à la diction poétique, il note qu’elle était soumise à de nombreuses contraintes
jusqu’à une époque récente où « on a pu constater une marque mélodique moderne,
celle d’une diction plane, connotée avec la gravité et le lyrisme » (163) De fait, le
phrasé d’un Grand Corps Malade ou d’un Souleymane Diamanka témoignent de ce
type de phrasé fluide et neutre, ou perçu comme tel. Il n’en demeure pas moins que

477
Notons la présence de 26 mots monosyllabiques (évoquant la brièveté de la chute d’une goutte d’eau),
contre 4 mots polysyllabiques.
478
Ce champ sémantique renvoie au sens premier du verbe to slam, « claquer » (voir notre chapitre 6).
479
Antoine Faure, « Le slam », Le slam poésie urbaine (2006 : 4).
165

« le bon conteur tend à introduire de la variété dans son discours, qui n’est plus alors
prévisible » (174), au-delà des stéréotypes prosodiques.
Léon aborde enfin le « jeu des distorsions phonématiques et prosodiques »
(1993 : 277), à commencer par les virelangues, contrepèteries, glossalalies480 et les
ronds fondés sur la reprise d’une syllabe de manière circulaire481. Autant de
procédés dont les slameurs usent à l’envi482. Et le phonéticien d’évoquer pour
conclure sur « les désordres du poétique » :
« En ce sens, les poètes qui parlent, eux aussi, des langues étranges, sont plus proches
des enfants que des adultes. » (1993 : 282)

4.1.4. Du rythme, de la prosodie et de la poétique

Le Traité du rythme des vers et des proses est le lieu d’une synthèse voire d’une
redéfinition par Henri Meschonnic (2005) de ce concept flou, dont l’étymologie – du
verbe grec rhein, couler – nous rappelle qu’il est par essence mouvement, flux.
Quant au terme de rythmique, il désigne « la configuration du rythme propre à un
texte. » (2005 : 41). Il en résulte une poétique du rythme « quand l’organisation du
mouvement de la parole dans l’écriture est le fait d’un sujet spécifique. » (43) De là
émerge une sémantique sérielle marquée par « une paradigmatique et une
syntagmatique rythmiques et prosodiques – l’organisation des signifiants
consonantiques - vocaliques en chaînes thématiques, qui dégagent une signifiance »
(44). Si l’oral est caractérisé par un primat du rythme et de la prosodie dans le
mouvement du sens, alors l’oralité est le lieu d’une subjectivité maximale : « L’oralité
est alors le mode de signifier où le sujet rythme, c’est-à-dire subjective sa parole au
maximum. » (Meschonnic, 2005 : 46). Aussi la littérature représente-t-elle « le lieu
même où s’accomplit au maximum cette oralité. » (45)

Henri Meschonnic s’attache donc à préciser la notion de rythme, objet de


confusions multiples, à tel point qu’il peut signifier « le même et son contraire », par
exemple « la cadence et la rupture de la cadence » (2005 : 51). Il insiste d’abord sur
la nécessité de distinguer la diction – soit la « réalisation phonique individuelle » - et
le rythme d’un texte, soit « l’organisation syntaxique, pausale, inscrite comme

480
Les neuropsychologues désignent comme glossalalie tout discours fluent, bien articulé qui est formé de
néologismes et reste incompréhensible aux auditeurs (définition de Pierre et Guy Lavorel, 1938, p. 221).
481
Roger Pinon a défini ce procédé en termes de « queues » dont l’enchaînement est conditionné par le fait
que la finale d’un mot devient l’initiale du suivant » (1993 : 89).
482
Voir l’exemple de Mots Paumés (chapitre 8).
166

organisation du texte »483. Meschonnic revient alors sur la notion de prosodie qui
recouvre l’étude des accents et de la durée des phonèmes. Ainsi :
« Pour la poétique, il s’agit, à la différence du rythme accentuel et du rythme des
pauses, de la composition consonantique et vocalique de mots dans un ensemble, et qui
participe spécifiquement au rythme, par ses effets éventuels de séries. » (62)
Là encore, le recours à l’étymologie apporte un éclairage intéressant :
« Le grec ancien prosôdia désignait le chant accompagné de musique, puis les
variations de hauteur de la voix parlée, les modulations montantes et descendantes,
particulièrement les trois accents (aigu, grave, circonflexe), et les différences de
longueur. » (62)
Cette idée fondamentale de chant et d’accompagnement sera reprise par le latin
accentus, issu de ad cantus.

Nous rappelant que pour Jakobson (1976), la fonction de l’accent est triple –
émotive, expressive, emphatique – Meschonnic évoque le rôle essentiel des
consonnes en tant que matrice d’un mot484, notamment pour les écrivains
dramatiques. Citant Paul Claudel :
« La voyelle est la matière, la consonne est la forme, la matrice du mot, mais aussi
l’engin propulseur dont la voyelle avec tout son charme n’est [que] le projectile »485
Si toute marque rythmique a une valeur sémantique, elle peut apparaître à travers un
rythme visuel, le blanc jouant un rôle rythmique dans la page, la ligne (109). De fait :
« Le rythme du poème est graphique par une théâtralisation des blancs. »
(Meschonnic, 2005 : 195). A travers les extraits de manuscrit de Frédéric
Nevchehirlian486, les blancs semblent annoncer les pauses lors de l’interprétation,
mettant en relief les répétitions. Le poète slameur joue sur l’espace de la ligne et
construit une sorte de géographie de la page. La densité de l’écriture reflète à ses
yeux une gradation dans l’intensité487. Notons que le rythme est ici doublement
visuel, matérialisé par les blancs sur l’espace de la page et par la gestuelle sur
scène.

Concernant la terminologie, Meschonnic suggère de préférer le terme d’écho à


ceux d’assonance et d’allitération qui renvoient à une représentation traditionnelle du
langage. Evoquant la figure de paronomase (« inclusion partielle ou totale d’un

483
Dans ses emplois courants, le mot peut renvoyer à une triple acception : tantôt comme tempo ou débit (on
parle d’un « rythme rapide »), tantôt comme structure métrique (il peut être qualifié de « binaire »), ou encore
comme énergie (quand il est question par exemple d’un « rythme vigoureux »)
484
Notons qu’il fait référence à la structure de l’hébreu et aux langues sémitiques.
485
Lettre de Paul Claudel, in Joseph Samson, Paul Claudel poète-musicien, Ed. Milieu du monde, 1947, p.80.
486
Voir notre chapitre 2, page 90.
487
Entretien du 27/11/09, voir en annexe III.5.
167

signifiant dans un autre »), il relève des « couplages prosodiques » (2005 : 171).
D’une manière générale, il décrit la valeur d’un poème par la tenue corrélative de ces
trois éléments que sont la rythmique, la prosodie et la sémantique. Dès lors, le
recours à un système de marquage simple, visant à « faire apparaître la spécificité
rythmique du texte commenté » (6) s’avère nécessaire en vue d’une analyse
poétique. Il s’agira donc de mettre en évidence les différents types d’accent :
l’accentuation de groupe ou rythmique488 ; l’accentuation prosodique, souvent fondée
sur la répétition489, et l’accentuation métrique dont le linguiste nous rappelle qu’elle
est, en français, fondée sur le comptage des syllabes et non des pieds.
D’une manière générale, le point de vue adopté par Meschonnic – et développé
dans sa Critique du rythme (1982) – l’amène à réviser les orientations ethnologiques
d’une oralité figée dans le passé d’une tradition orale. Il s’agit de reconsidérer les
relations entre oral et écrit490, d’où une remise en question de l’opposition entre
littéraire et non littéraire, entre littérature savante et littérature populaire :
« Une anthropologie critique de la voix, et de l'oralité, ne peut plus soutenir l'opposition
traditionnelle, entre une littérature savante et une littérature populaire, une littérature
écrite et une littérature orale » (1982 : 705).
Le slam représente ainsi l’illustration contemporaine d’une aspiration à dépasser ces
frontières entre oral et écrit, culture populaire et savante, individu et collectivité :
« Les lectures de poésie, ces dernières années, sont devenues fréquentes. Mais ces
évènements sociaux ne rassemblent en France, au mieux, chaque fois qu’une centaine
de personnes. La différence est nette avec d’autres cultures. La nôtre est très
désoralisée. Ce n’est peut-être pas sans rapport avec l’illettrisme poétique du signe.
Avec la coupure, à la française, entre culture populaire et culture savante, qui s’inscrit
bien dans le dualisme de la voix et de l’écrit. De l’individu et du social. La poésie, comme
expression sentimentale de l’individu. » (1989 : 138, nous soulignons)
Emblématique d’une musique intrinsèque de la langue, le slam-poésie fait feu de tout
langage et « langage de tout », réconciliant La rime et la vie (1989). Et le linguiste de
plaider pour une « poétique de la voix » (310) et de l’invention (255), au sein de
laquelle la musique est, à l’opposé du langage, un lieu de continuité :
« la musique ressentie comme un liquide, la matière symbolique du continu. » (378)

488
Notée dans notre étude par l’utilisation de caractères gras.
489
Nous la mettrons en relief par un soulignement (voir supra).
490
« L’absence d’écriture dans la production et la transmission, qui paraît constituer l’oralité, pour l’opinion
courante, paradoxalement masque l’oralité. Elle donne à croire que l’oralité est absence d’écriture, que
l’oralité s’oppose à l’écriture. » (1982 : 706)
168

Dans Pour la Poétique I (1973), il revient sur la poétique de Jakobson qui, lui semble-
t-il, « demeure statique, parente du structuralisme (…) voyant l’œuvre comme un
modèle » (30), alors même que « l’œuvre est système, mais elle est aussi à la fois
l’antinomie résolue de la langue et de la parole, symbole autant que signe, intention,
non seulement création mais créativité. » Il en arrive alors à énoncer sa propre
conception d’une poétique :
« Ainsi la visée d’une telle poétique est l’œuvre, dans ce que son langage a d’unique.
C’est l’œuvre unité de vision syntagmatique et l’œuvre unité de diction rythmique et
prosodique -, système et créativité, objet et sujet, forme-sens, forme-histoire. » (62)

4.2. De la tradition orale à la chanson

Dans son Edito à un numéro de la revue Bacchanales491, Laurent Marielle-


Tréhouart évoque le divorce entre chanson et poésie : « Couple tumultueux, qui se
reconnaît, s’aime, se jalouse, s’ignore. Que dire de leur relation ? » Que dire, sinon
que le slam pourrait être le lieu d’une réconciliation ?

4.2.1. De la tradition orale et du rapport entre Langue, corps et société

La tradition orale a fait l’objet d’un ouvrage de Louis-Jean Calvet (1984), au sein
duquel le linguiste réaffirme un certain nombre de principes fondateurs, tels la
mouvance inhérente à toute production orale et le style oral :
« les variantes du texte oral ne sont pas des trahisons d’un texte ne varietur qu’elles
tenteraient de restituer, elles s’inscrivent dans un certain style qui, s’il facilite la
mémorisation, répond aussi à d’autres fonctions, le style oral » (1984 : 41)
Aussi le diseur ne représente-t-il pas seulement un « sac à paroles », selon la
formule du griot Mamadou Kouyaté, un messager porteur de la mémoire d’un peuple,
mais aussi un artiste, un créateur, un « jongleur de mots », à l’instar des Grands
Rhétoriqueurs que Zumthor qualifiait de « jongleurs de syllabes » (1978 : 244) :
« la forme de ses textes l’aide à les mémoriser, mais il sait en jouer dans le ton, la
diction, l’agencement syntaxique, pour retomber toujours là où il veut arriver : il est
jongleur, au sens médiéval de ce terme. » (Calvet, 1984 : 43)
Louis-Jean Calvet souligne l’importance des noms – des anthroponymes – comme
élément caractéristique de la tradition orale : il rapproche ainsi la généalogie du
conteur et la bibliographie du chercheur qui lui semblent représentatives des deux
types de sociétés, l’une de tradition orale, l’autre de tradition écrite. On retrouve
chez le slameur – et jongleur – Souleymane Diamanka cette déclinaison liminaire
des noms de ses ancêtres en guise d’inscription dans une lignée généalogique :
491
Revue n°35 de la Maison de la poésie Rhône-Alpes, octobre 2004, page 5e.
169

« Je m’appelle Souleymane Diamanka dit Duajaabi Jeneba


Fils de Boubacar Diamanka dit Kanta Lombi (…)»492
En effet, dans la tradition orale en général et dans le slam en particulier avec la
question des blases* (ou noms de scènes) sur laquelle nous reviendrons, les noms
ont une résonance particulière :
« Nous voyons que le nom sert bien de support physique à la transmission d’un sens qui
peut être allusif, contextuel, incantatoire, mais qui n’en demeure pas moins un sens. »
(Calvet, 1984 : 86)
Dans Langue, corps et société (1979), Louis-Jean Calvet se propose d’analyser
le rapport complexe qui lie ces trois éléments :
« Langue, corps et société se trouvent liés en un rapport didactique, non dichotomique,
qui nous permet d’approcher de façon satisfaisante des faits de langue dont le modèle
structural ne peut rendre compte qu’imparfaitement : la pression paronomastique qui
pèse sur l’élocution. » (1979 : 55)
Ce constat est fondé sur le postulat de deux compétences, l’une linguistique (la
priorité à la fonction communicative de la langue), l’autre rythmique (la prééminence
de la fonction poétique), qui s’équilibrent différemment selon les situations. Si l’on
considère l’exemple des slogans, nous dit-il, force est de constater que « les
contraintes rythmiques émises par le corps et la marche imposent à la langue une
certaine forme » (33). En l’occurrence, cette « intuition linguistico-poétique qui joue
sur les longueurs, les accents toniques, les rimes internes pour des raisons
mnémotechniques » (34) se traduit par un rythme binaire qui est celui de la marche.
D’une manière générale, c’est « un grand principe paranomastique et rythmique »
(35) qui apparaît sous-jacent à ce type de productions, déformant la langue, la pliant
à la loi et pouvant aller jusqu’à la désémantiser dans certains cas. D’où l’idée d’une
linguistique du rythme qui trouve sa parfaite illustration non seulement dans les
slogans, mais aussi dans la langue des chansons, et a fortiori dans le slam, où une
écriture rythmique* et paronomastique (Frontier, 1992) est bien souvent à l’œuvre.
Quant aux griots, ils se distinguent par une compétence poétique particulière,
doublée d’une recherche stylistique propre à chaque conteur. (Calvet, 1979 : 39)

Louis-Jean Calvet nous rappelle que parole et chanson ne correspondent pas à


des catégories distinctes mais se trouvent insérées dans un continuum. (47) La
poésie, quant à elle, ne se laisse pas facilement enfermer dans une définition : « La
poésie existe pour tout le monde et tout le monde pense savoir ce qu’elle est. » (69)

492
« L’Hiver Peul » (2007). Cette déclinaison généalogique est reprise par le poète en prologue d’autres textes
comme « Les poètes se cachent pour écrire » (voir notre vidéo illustrative du chapitre 14).
170

Le linguiste réaffirme que la fonction poétique telle que l’a définie Jakobson se trouve
à l’œuvre dans de nombreuses productions linguistiques quotidiennes au caractère
faussement prosaïque : « Vous entendez dans le tramway des plaisanteries fondées
sur les mêmes figures que la poésie lyrique la plus subtile… » observait Jakobson
(1973 : 114). Selon la thèse de Calvet, c’est la conjonction d’une fonction sybillique
et d’une fonction mnémotechnique qui produit une résultante poétique (76). Ainsi :
« C’est dans l’oralité, sous la pression de la compétence rythmique, que naît et vit la
poésie » (79)
Autant d’exemples – slogans, chansons, conte, poésie orale – qui témoignent d’une
sorte de « linguistique intuitive, d’un savoir inductif » (107) dont le slam porte la trace.

Dans Chanson et société (1981), Calvet développe ce qu’il appelle « le champ


des gestes » : « Dans le champ du geste, affirme-t-il, s’inscrivent l’artiste et sa vision
du monde. » (1981 : 61) Etablissant une distinction entre chanson écrite, chanson
chantée et chanson reçue, il en arrive à expliciter les fonctions de la gestuelle sur un
plan communicatif et sémantique ou sémiotique :
« Là se trouve l’un des effets du geste, pris ici au sens large comme nous le verrons :
rendre patent le latent du texte. » (1981 : 47)493
Il souligne l’importance du rapport entre un lieu et un type de chanson qui lui semble
être « l’un des moteurs de l’évolution du genre, déterminant la forme musicale,
gestuelle, textuelle (…) » (1981 : 68-69). Or cette question du lieu nous interpelle
s’agissant du slam qui, à la différence du théâtre, de la chanson, du cinéma, n’a pas
de lieu spécifiquement attribué et peut faire irruption dans tout lieu public, selon le
principe du « slam sauvage ». Nous pouvons alors émettre l’hypothèse que le choix
du lieu influe nécessairement sur la forme de la performance, ce qui revient à dire
qu’on ne slame pas dans un café comme on slame dans une bibliothèque municipale
ou un TGV. Du lieu dépendent un certain nombre de paramètres – tels que la
présence d’une scène délimitée et d’un micro le cas échéant, l’attention plus ou
moins soutenue des auditeurs – qui ne sont pas sans conséquence sur
l’interprétation494.

493
De fait, les gestes peuvent avoir une fonction d’explicitation en cas d’ambiguïté sémantique ou de forme
néologique. Voir notre tableau page 97.
494
Ce constat nous renvoie à l’idée d’une incidence du contexte de la performance – en termes de lieu et durée
– sur la forme poétique elle-même, ce que nous envisagerons à partir du concept de médiopoétique fondé par
Jean-Pierre Bobillot. Ce dernier distingue au sein d’une « constellation médiologique » le sémio-medium (la
langue), le physio-medium (l’espace), le bio-medium (parties du corps impliquées dans l’écriture et la
phonation) et le techno-medium (appareillage technologique). Enquête du 27/12/10 (voir en annexe III).
171

Enfin, la chanson peut être appréhendée comme un métissage entre texte et


musique, selon le titre d’un article publié par Calvet (1985), au sein duquel il analyse
les difficultés – notamment rythmiques – qui peuvent surgir de cette rencontre (72).
Au delà de ces « zones de conflit potentiel », il définit le produit chanson comme
« résultat de la convergence de deux ordres différents (l’ordre musical, l’ordre
linguistique) »(1985 : 74). D’où cette idée fondamentale de métissage que nous
approfondirons, appliquée au slam495. Calvet constate la présence d’un « texte sous
le texte » (75), d’un « squelette lexical » constitué de « mots pesant plus lourd que
les autres » (77) et résultant du compromis entre la langue et la musique. Ainsi la
mise en valeur sémantique peut-elle être accentuée par des effets de musicalité :
« Le jeu des longues et des temps forts ménage comme des sautoirs, des plages sur
lesquelles le texte peut prendre son élan. » (1985 : 77)
A défaut d’être essentielle dans le slam comme elle peut l’être dans la chanson496, la
musique pourra néanmoins contribuer aux effets lexicosémantiques, voire
lexicogéniques, comme en atteste l’exemple de « nanti-capitaliste » (voir supra).

4.2.2. Chanson et voix chantée

Dans son ouvrage intitulé Le français chanté ou la langue enchantée des


chansons (1999), Colette Beaumont-James évoque l’approche de Calvet – la
chanson comme mélange de linguistique, de mélodique et de rythmique – tout en
précisant qu’ « elle (la chanson) a cette particularité de créer un rapport corporel
(dynamogène), ludique (jeux de langage), et affectif (émotions, emphase, etc…) à la
langue. » (1999 : 15) En tant que telle, elle apparaît nécessairement comme un objet
mal circonscrit, car « hybride entre deux systèmes et décrite au moyen de traits
empruntés aux sous-systèmes de la poésie et de la musique » (51). Il est donc
nécessaire de dépasser le sens littéral pour accéder à une signifiance qui peut être
appréhendée en termes de style oral tel que le conçoit Jousse (1981 : 71) :
« Le style oral, c’est l’expression humaine
Pleine de gestes
Pleine de mélodies
Pleine de rythmes
Parce que pleine de pulsations organiques »

495
« au départ deux ensembles différenciés, la langue et la musique, que la chanson va mettre en relation (…)
pour aboutir à quelque chose qui n’est réductible à aucune de ces deux composantes. » (Calvet, 1985 : 77)
496
Voir notre précédent chapitre et le suivant.
172

Non contente d’aborder l’expressivité inhérente à la forme sonore en termes de


« relation motivée entre signifiant et signifié » et de « valeur symbolique des
phonèmes » (1999 : 133), Colette Beaumont-James approfondit la question de la
voix en s’appuyant sur l’étude de Cornut (1983 : 111-114) :
« - La voix est une énergie vitale qui trouve sa source dans un élan intérieur lié aux
émotions fondamentales.
- La voix est une fonction neuromusculaire complexe qui met en jeu le corps dans sa
totalité.
- La voix est un message sonore que l’on projette dans l’espace avec l’intention d’avoir
un impact sur l’auditeur. »
Or d’après ce dernier, l’allongement syllabique est l’un des traits définitoires de la
voix chantée (Cornut, 1983) : « Le chant, de syllabique, tend à devenir vocalique »
(151) A contrario nous émettons l’hypothèse que la voix slamée se distingue de la
voix chantée par une structure essentiellement consonantique. Si « le dit ou le parlé
évoluent dans un espace maximum d’une octave, beaucoup plus étroit que celui du
chanté » (Arrivé, Gadet, Galmiche, 1986 : 584), c’est aussi le mode d’accentuation
qui diffère du parlé au chanté, devenant « fortement emphatique » et non plus
« essentiellement syntaxique » (Beaumont-James, 1999 : 216). Ainsi la prosodie se
définit-elle comme le chant associé aux paroles et apparaît, en tant que telle, comme
« un sous-système musical propre à l’oral » (133).
Colette Beaumont-James a recours à la notion d’isotopie définie par Rastier
comme « la récurrence des sèmes et leurs interrelations dans un énoncé » (1987 :
210). De fait :
« La récurrence de certains éléments de sens permettra de construire des isotopies
(thématiques) dominantes et secondaires » (Beaumont-James, 1999 : 158).
Outre les aspects thématiques, l’analyse d’une chanson nous amène à nous
interroger sur sa structure en général et sur les fonctions du refrain en particulier :
« A-t-il une fonction tantôt gaie et ludique tantôt obsessionnelle (…) ou une fonction
d’enchaînement (…) ? » interroge Beaumont-James (1999 : 93). S’il n’est pas la
règle dans le slam, il arrive néanmoins qu’il joue un rôle structurel important dans
certains textes. Lieu de mouvance, il pourra intégrer une variante visant à baliser la
progression textuelle. A cet égard, l’exemple du texte « Pères et Mères » (GCM,
2008) est éloquent. Cette première version du refrain est introduite à mi slam :
« Moi, mon père et ma mère sont carrément hors pair
Et au milieu de ce récit
Je prends quelques secondes, je tempère
Pour dire à ma mère et à mon père « Merci ! » (nous soulignons)
173

Elle sera sujette à variation dans la suite du texte, assurant non seulement une
fonction d’enchaînement et de cohérence, mais même une fonction de
macrostructuration497.

Enfin, Colette Beaumont-James souligne l’importance de l’environnement


socioculturel du message délivré par les chansons : un tel message ne saurait
demeurer univoque et figé (1999 : 58) tant il est tributaire des conditions, du contexte
de la réception. La chanson étant souvent associée à des activités quotidiennes,
celles-ci influent nécessairement sur la qualité d’écoute :
« il est donc nécessaire de s’interroger sur les pratiques de la chanson : écoute
active, écoute tronquée, écoute essentiellement non attentive ou écoute plus ou
moins attentive que l’on peut qualifier (…) d’écoute en « état d’attention flottante »,
c’est-à-dire selon des degrés d’attention variable. » (1999 : 62)
En ce qui concerne le slam, notons que ce dernier type d’écoute est plutôt rare dans
le slam français, où les textes sont peu médiatisés et rarement diffusés dans un
contexte où l’attention n’est pas focalisée sur l’écoute498. Avant d’être diffusés le cas
échéant, les slams sont d’abord oralisés lors d’une scène qui constitue leur acte de
naissance en même temps qu’une épreuve initiatique499. Or la qualité d’écoute
manifestée lors des slam sessions nous a semblé remarquable, d’où notre concept
d’horizon d’écoute qui, appliqué au slam, permet de rendre compte d’une focalisation
sur l’action orale-aurale (Zumthor, 1987 : 248) alliée à une grande tolérance quant à
la qualité des textes écoutés. En d’autres termes, cet horizon nous paraît
fondamentalement ouvert au sens où l’on parle d’une oreille ouverte au
plurilinguisme par exemple. Tout se passe comme si cette écoute pleine et entière se
caractérisait par une forme de neutralité, susceptible d’accueillir une grande diversité
de productions. Elle n’en demeure pas moins active dans la mesure où les auditeurs
d’une scène slam, qu’ils soient eux-mêmes slameurs ou juste slamophiles, sont
pleinement impliqués dans la performance. Plus le public sera initié, plus l’horizon
d’écoute sera conditionné par la connaissance préalable du répertoire du slameur et
autres indices relevant du péritexte (blase*, titre du texte…).

497
Voir à ce sujet notre chapitre 10 « Pères et mères ou l’art de la dispositio ».
498
Cela étant, si l’on se réfère aux origines du slam, rappelons que le slameur se doit de captiver l’écoute des
auditeurs et ce, dans une atmosphère bruyante comme cela peut être le cas par exemple lors de salons du
livre. Le concept de Text Box développé dans ce contexte par Bas Böttcher permet d’explorer un autre type
d’écoute permettant une forme de « connection » avec des auditeurs accédant ainsi à une relation « directe »
et « interindividuelle » avec le slameur et avec le texte qu’il leur livre ou leur délivre comme un « secret »
chuchoté à l’oreille. (entretien du 14/10/10, voir en annexe III.11)
499
Voir en annexes III nos entretiens avec Rouda et Lauréline Kuntz qui nous a confié qu’elle allait
immédiatement vérifier que son slam fonctionnait en le slamant dans un café après l’avoir écrit.
174

4.3. De l’écriture à la performance

Dans la mesure où nous avons constitué un corpus de slams qui ont une
existence écrite même s’ils ont été conçus en vue d’une performance orale, nous ne
pouvons nier l’importance de cette écriture – fût-elle « à haute voix » –, confirmée par
notre série d’entretiens. Nous nous sommes donc référée à des sources théoriques
diverses pouvant rendre compte de ce caractère hybride et de la multiplicité
d’influences dont se réclament les slameurs.

4.3.1. D’une écriture à haute voix aux résonances diverses

Si l’on se réfère à la distinction établie par Barthes (1976 : 10), le slam relève
bien du scriptible, opposé au lisible, en tant qu’il laisse une place au travail créatif du
lecteur, ce dernier pouvant à son tour devenir créateur de texte. En ce sens, il
apparaît comme une source potentielle de plaisir textuel, forme moderne de ce que
Barthes nomme « écriture à haute voix » ou écriture vocale (1982 : 88), et qu’il
distingue de la parole :
« Eu égard aux sons de la langue, l’écriture à haute voix n’est pas phonologique, mais
phonétique ; son objectif n’est pas la clarté des messages, le théâtre des émotions ; ce
qu’elle cherche (dans une perspective de jouissance), ce sont les incidents pulsionnels,
c’est le langage tapissé de peau, un texte où l’on puisse entendre le grain du gosier, la
patine des consonnes, la volupté des voyelles, toute une stéréophonie de la chair
profonde : l’articulation du corps, de la langue, non celle du sens, du langage. Un certain
art de la mélodie peut donner une idée de cette écriture vocale ; mais comme la mélodie
est morte, c’est peut-être aujourd’hui au cinéma qu’on la trouverait aujourd’hui le plus
facilement. »
Il est vrai que plusieurs slameurs ont souligné l’influence de l’art cinématographique
sur leur écriture. Parmi les multiples influences qu’ils revendiquent500, notons aussi la
référence à l’Oulipo dont témoignent les remerciements Ouliposapiens501 du
Lyonnais Marco DSL (2006), qui semblent inscrire le collectif* dans la lignée de ce
mouvement fondé en 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais. De fait,
le slameur lyonnais nous a confié en entretien son recours à la contrainte d’utiliser
certaines lettres – en fait certains phonèmes502 – à l’exclusion d’autres. A cet égard,
l’exemple du texte éponyme « Allons à l’essentiel » qu’il qualifie d’exercice de style
est significatif :

500
Voir notre précédent chapitre.
501
Néologisme que l’on peut interpréter comme un mot constitué de « Oulipo » pour « Ouvroir de littérature
potentielle » et « sapiens ».
502
Voir en annexe III.3.bis le tableau correspondant à ce classement (entretien complémentaire).
175

« les seules lettres qui sont acceptées dans ce texte-là à part les voyelles, en
phonétique évidemment, c’est quand même le « m », le « n », le « v », le « w », le [nj],
tout ce qui est [j], et le « l », le « j » et le « g » qui fait [j]. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de
« p », aucune percutante, pas de « d », de « t », de [k] ; il n’y a pas de sifflantes, pas de
« x », pas de [f], pas de « s », pas de « z », pas de « r ».503
Ainsi le slameur a-t-il conçu ce texte en se fixant pour contrainte de n’utiliser que
des « coulantes » selon sa propre terminologie, à l’inverse du texte intitulé « Seuls
les forts survivent », saturé en sons « chaotiques », qui précède le texte éponyme
dans la track list de l’album. Du côté des « coulantes », on trouve en effet des
consonnes dites « liquides » (nous les soulignons) ainsi que des fricatives (en gras) :
« Les voilà venus les nouveaux jeunes loups à jeun, amenés à animer les vilains jeux »

Quant aux « chaotiques », ce sont surtout des occlusives ou « explosives » :


« Déstabilisé par de tactiles reptiles opaques qui scalpent le tact… »

Outre la reprise de contraintes oulipiennes, certains slameurs citent le Surréalisme :


dans quelle mesure le slam s’inscrit-il dans la lignée de ces mouvements ? Notre
enquête menée auprès de deux professeurs d’Université corrobore, outre l’idée de
familiariser les étudiants avec cette discipline, le projet d’une étude possible du slam
en tant que mouvement. Philippe Meizoz (Université de Lausanne) envisage une
poétique dans la lignée de certains courants littéraires504. Jean-Pierre Bobillot
(Université de Grenoble) considère qu’il serait « hautement souhaitable de les
éclairer sur l’histoire (30 ans déjà !) de ladite innovation », ainsi que « sur les
conditions et les conséquences de sa transplantation, hors de son milieu d’origine,
dans de tout autres milieux, sur ses caractéristiques stylistiques, pragmatiques, etc.,
et sur ce qui les rapproche aussi bien que sur ce qui les différencie de mouvements
tels dada, les futurismes, le lettrisme, les beat, les « sonores », etc. »505

4.3.2. Du Surréalisme

Dans son Manifeste du Surréalisme (1924), André Breton énonce la définition


suivante :

503
Entretien du 27/11/08 (voir en annexe III.3).
504
Voir le programme annexé à l’enquête (annexe III.10.bis). Un lien possible avec le Futurisme est aussi
envisagé par Philippe Meizoz dans l’élaboration de sa trame de cours. Parmi ces résonances littéraires
multiples, nous avons choisi de développer deux mouvements principaux dont l’influence nous semble majeure
en vue d’une Poétique du slam : Le Surréalisme et l’Oulipo.
505
Enquête écrite du 27/12/10 (voir en annexe III.15).
176

« SURREALISME, n.m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose


d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le
fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle
exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique et morale. » (1995 :
37)
Une définition qualifiée d’encyclopédique précise ensuite que le Surréalisme repose
sur « la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’association négligées
jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. » (37)
A cet égard, les mots de Souleymane Diamanka sont éloquents :

« Et si nos souvenirs s’endorment, c’est que nos mémoires sont des chambres »506 (SD)

Entre autres « Secrets de l’art magique surréaliste » (41), André Breton évoque la
différence de potentiel inhérente à l’image :
« La valeur de l’image dépend de la beauté de l’étincelle obtenue ; elle est, par
conséquent, fonction de la différence de potentiel entre les deux conducteurs » (1995 :
49)
La comparaison du slameur Rouda en est la parfaite illustration :
« Ma vie sans l’écriture, c’est comme une chaussure sans lacets. » 507 (2007)

A l’image des papiers collés de Picasso et de Braque, une certaine disparité semble
caractéristique de l’esthétique surréaliste508. Tel est bien l’effet produit par le duo
« Soleil jaune » (JB/SD, 2007509) qui se construit au fil d’un jeu d’échos sonores
fondé sur la paronymie :
« L’âme hurle une larme
à la lune (…)
Le visage d’un rêve
Le rivage d’une vie
L’encre devient divine
Que deviennent les vagues ? »

Du Surréalisme, on retiendra un éclatement de la rime classique qui cède la place à


des échos sonores aux formes et aux combinaisons multiples510. Quant à la
prééminence du jeu sur le signifiant – s’élaborant parfois aux dépens de la trame

506
« Marchand de cendres », L’Hiver Peul, 2007.
507
Les quatre éléments (nous soulignons) sont pour le moins éloignés, l’association incongrue étant ici
renforcée par la rime (écriture/chaussure): « Ma vie sans l’écriture est comme une chaussure sans lacets. »
508
« Les papiers collés de Picasso et de Braque ont même valeur que l’introduction d’un lieu commun dans un
développement littéraire du style le plus châtié. Il est même permis d’intituler POEME ce qu’on obtient par
l’assemblage aussi gratuit que possible (…) de titres et de fragments de titres découpés dans les journaux. »
(Breton, 1995 : 53, nous soulignons)
509
Voir le texte en annexe VII.
510
Cette mise en relation pourra être approfondie lors de notre expérimentation didactique en classe de
première, l’étude du Surréalisme étant au programme de cette classe.
177

sémantique – elle n’est pas sans lien avec des jeux surréalistes tels que l’écriture
automatique511, à cette différence près que « les associations de mots y sont dictées
non par l’inconscient de l’auteur, mais par leur sonorité, ce qui revient peut-être au
même » (Barret : 2008 : 152). D’Aragon (« Nous ne comprenons rien à ce que nos
fils aiment / Aux fleurs que la jeunesse ainsi qu’un défi sème / Les roses de jadis vont
à nos emphysèmes »512) à Souleymane Diamanka (« pour que même ta peau aime
mes poèmes » 513), un même lyrisme se déploie : « Musique du verbe, et plus encore
musique du vers » (Escal, 1989 : 9). Quant à l’Oulipo, on en retrouve la trace dans le
rap et le slam à travers la recherche de règles et la mise en œuvre de jeux
langagiers comme autant d’exercices de styles.

4.3.3. De l’Oulipo

D’après Hervé Le Tellier qui a consacré un ouvrage à L’esthétique de l’Oulipo


(2006), il s’agit pour ses fondateurs et membres de proposer « une démarche
novatrice de création littéraire » en rompant avec la vision mythique du poète inspiré,
héritée par les Romantiques et prolongée par les Surréalistes (2006 : 8). Or « la
pierre fondatrice du groupe sera l’exploration du lien entre mathématiques et
littérature » (7). A partir de cette pierre de touche, les membres de l’Oulipo ont
développé ce que Le Tellier qualifie d’esthétique de la complexité, qui induit le
risque, du point de vue du lecteur, d’une esthétique de la perplexité. Comme l’indique
la première syllabe, il s’agit pourtant d’ « Ouvrir » la littérature :
« L’ouvroir est bien un lieu où l’on travaille, où l’on « ouvre » la littérature, où l’on œuvre
à plusieurs à son devenir. » (2006 : 14-15)

En ce sens, le slam rejoint l’Oulipo dans cette préoccupation d’ouverture d’un champ
poétique visant à « ranimer la langue » (2006 : 128) :
« On ne peut pas être et avoir été. On ne peut pas laisser la poésie se scléroser. C’est
presque notre devoir de nous affairer pour la faire évoluer.(…) Elle a besoin d’une cure
de DHEA, de jouvence pour se repaître, de rencontrer d’autres êtres compulsifs face
aux lettres, d’autres façons de la faire danser, d’autres dictions plus condensées »514

511
procédé inventé par Breton et Soupault dans les Champs magnétiques en 1920 et évoqué par plusieurs
slameurs en entretien.
512
Aragon cité par Mazaleyrat, Eléments de métrique française, p.212. à vérifier
513
SD, « Muse amoureuse »(2007)
514
Marco DSL, « Vous n’êtes plus seuls », Allons à l’essentiel… (2006).
178

Le « Li » de « littérature » renvoie pour les oulipiens à une conception très ouverte


englobant « toute production langagière, du bottin téléphonique à la Bible » (20) : « Il
n’y a de littérature que volontaire » écrivait Queneau. A l’instar d’un Perec, les
Ouliposapiens lyonnais nous ont confié qu’ils étaient friands de dictionnaires.515
Enfin, le « Po » de « potentialité » exprime non seulement « le but de l’Oulipo » mais
aussi « la diversité des pistes manipulatoires et combinatoires de la langue et de la
littérature, grâce à la « contrainte », qui y apparaît comme une stratégie pour
atteindre cette potentialité. » (2006 : 22). Or le fait est que des slameurs ont réinvesti
certaines de ces contraintes, potentiellement explicites si l’on considère par exemple
« l’Abécédaire » de Lyor, précédemment cité516. En outre, les règles du slam, à
commencer par la durée de 3 ou 5 minutes, ne sont-elles pas une forme de
contrainte, inhérente au medium ou à la modalité propre à cette parole poétique ?
D’une manière générale, l’Oulipo se caractérise par un retour au poiesis, le « faire »
de l’artisan compagnon, vers l’écriveron (Queneau, 1947 : 80). Cette conception
artisanale de la création, selon laquelle l’écrivain est avant tout faber (292) nous
semble aussi caractériser le slam, dans la lignée du rap qui se définit
comme artisanat de la rime selon la formule titulaire de Julien Barret (2008). Un
slameur comme Souleymane Diamanka se dit autant artisan qu’artiste, ce dont ses
carnets nous offrent un aperçu517.

Force est de constater que les aphorismes sont un lieu privilégié de


détournement pour les slameurs comme pour les oulipiens : « Chacun purge sa
pénombre. » slame un Souleymane Diamanka518. En outre, l’Oulipo consacre l’art de
l’insert (201) et celui d’intégrer des « fragments protéiformes de l’univers littéraire et
linguistique (qui) viennent s’enraciner dans une mémoire collective » (198). Là-
encore, à l’instar du rap, le slam nous offre des exemples à foison, à commencer par
ce texte où le poème « le cancre » de Prévert sert d’hypertexte (Genette, 1982 : 10) :
« Nous sommes le cancre au fond d’la classe
Echappé du poème du Prévert, mais nous avons grandi :
Nous disons oui avec la tête nous disons non avec le cœur…»519

515
Voir les entretiens avec Marco et DSL et Bastien MP en annexes III.
516
Voir la page Myspace du slameur.
517
Voir chapitre 2 page 66.
518
« L’automne des blocs-notes », L’Hiver Peul, 2007.
519
Damien NOURY, « Erythèmes impudiques », Slam entre les mots, (2007 : 107).
179

Il en résulte un pacte de lecture spécifique « où interviennent la combinatoire et la re-


création », et qui implique non seulement l’activité mais la complicité du lecteur :
« On lui demande d’être actif, joueur, en un mot complice. » (Le Tellier, 2006 : 10)
Pour Marc Lapprand (1998), le destinataire est invité à une « lecture-jeu, une lecture
active, participative, qui s’avère parfois fort compliquée. » (1998 : 143) Or ce
nouveau lecteur, convoqué par un texte qui « veut que quelqu’un l’aide à
fonctionner » selon la formule d’Umberto Eco (1985 : 63), se rapproche de l’auditeur
de slam auquel on suggère parfois d’utiliser « un décodeur »520 : « Le lecteur oulipien
est en effet un homo gaudens, un homme qui jouit, mais aussi un homo ludens, un
homme qui joue. » (Le Tellier, 2006 : 65) Le slamophile, comme le lecteur oulipien,
devra « plus encore que simplement recevoir l’œuvre, l’accepter, lui donner
l’hospitalité. » (2006 : 67) et c’est en ce sens que ce que nous nommons l’horizon
d’écoute se doit d’être ouvert à tous les possibles poétiques. Sa seule participation à
une slam session semble garante de cette ouverture. A défaut, il se condamne
assurément à une esthétique de la perplexité :
« On avance en louvoyant mais en nous voyant vous vous dites encore une langue de
voyou / Pourtant ma langue est belle et bien pendue et elle vous regarde vous »521
Si lecteur oulipien comme l’auditeur slamophile doit « défaire les nœuds » selon
l’image de Souleymane Diamanka, c’est que l’auteur a d’une certaine façon « noué
les mots » en un savant tissage ou les a mêlés en un savoureux breuvage :
« son bouillonnement incessant est un chaudron de sorcière, où la langue élabore son
élixir de jeunesse » (Le Tellier, 2006 : 131)
Le texte se construit ainsi dans un « double jeu de destruction et de séduction »
(131) au sein duquel « chaque mot trouve sa place et chaque phrase trouve sa
rime » (SD)522. Dans cette perspective, les slameurs comme les oulipiens abusent du
« jeu sur la faute de la langue » comme en témoigne le nom des tournois
« Bouchazoreilles » où une liaison erronée est transcrite523. Certains usent en outre
de jeux propres à la modernité, à l’instar de la slameuse Rim – au nom révélateur
d’une écriture phonétique - qui s’inspire de l’écriture texto dans son texte « D chiffres
et D lettres »524 : « On 10525 quand on M on n’compte pas… » D’autres usent à

520
Voir à ce sujet l’entretien avec le slameur Rouda (annexe III.2).
521
ROUDA, « Je parle votre langue », Musique des lettres, 2007.
522
« Les poètes se cachent pour écrire », L’Hiver Peul, 2007.
523
Voir notre chapitre 1, page 41.
524
Voir le texte en annexe V.14 et notre chapitre 7 pour l’analyse de ces néographies.
525
Notons l’à-peu-près phonétique : [dis]/[di]
180

l’envie de contrepèteries, tel un Marco DSL en duo avec Mots paumés : « J’suis
friand de vermicelles en potage ou effrayé par les demi-cervelles qui pataugent ? »526
Procédé que les oulipiens ont largement exploité :
« Le contrepet est aussi un travail sur la langue, méthode créative qui triture le son, et
ouvre du sens autour de lui » (Le Tellier, 2006 : 224)
Entre contrepèteries et mots-valises – sur lesquels nous reviendrons -, Marcel
Benabou est l’inventeur des locutions introuvables, obtenues « en greffant le début
d’une expression et la fin d’une autre » (Le Tellier, 2006 : 226)527. Marc Lapprand
(1998) évoque les perverbes ou locutions-valises du même Marcel Benabou. A
l’instar d’un Marcel Benabou qui « combine des aphorismes ayant un segment
commun, surdimensionnant ainsi la valeur proverbiale de chacun d’eux. » (1998 :
115), le slameur détourne ou accole à l’envi proverbes et locutions comme en
témoignent les « bouches à bouches d’évacuation » de son texte « Apnée »528.
Enfin, la « devinette homophonique » (264) est autant prisée par les slameurs que
par les oulipiens : « Toi qui étudies la quiétude qui es-tu ? » (SD)529 Si l’on admet, avec
Le Tellier, que « l’oulipisme est un humanisme » comme l’affirmait François Le
Lionnais (cité par Le Tellier, 2006 : 292), force est de constater que le slam le rejoint
en tant qu’ « ouvroir collectif et fraternel ».

En s’attachant à définir quelques règles en vue d’établir ou d’esquisser une


Poétique de l’Oulipo, Marc Lapprand (1998) a démontré « comment ces poèmes
véhiculent une charge affective, émotive, qui ressortit au connotatif, et qui ne saurait
trouver d’explication au seul titre d’une manipulation acrobatique de lettres, syllabes,
mots ou syntagmes » et en tant que tels relèvent d’une démarche poétique, « à la
fois dans le langage et hors du langage » (1998 : 13). S’il est d’abord forme éclatée –
mosaïque, puzzle et même « kaléidoscope aux multiples reflets » – le texte oulipien
est aussi sens « indissocié de la recherche esthétique poussée à l’extrême avec, ça
et là, une touche ludique » (14). Jeu du texte ou texte à jouer, il répond à un certain
nombre de règles que Lapprand résume en autant de chapitres que d’équations :
« Chiffres et lettres » (1), « Imagination et contrainte » (2), « Economie et
saturation » (3), « Transformation et réécriture » (4), « Humour et liberté » (5). De la

526
« Le King et le kong » (2006). Notons que la contrepèterie est ici complète, contrairement à l'usage qui veut
qu'on ne donne jamais la solution d'une contrepèterie, laissant à l’auditeur le soin de la trouver lui-même.
527
Exemple : « tuer la poule aux œufs d’or »
528
Voir à ce sujet notre chapitre 8.
529
« L’automne des blocs-notes », L’Hiver Peul, 2007.
181

première règle, nous retiendrons « ce goût vertigineux des chiffres et des


lettres » (21) et cette combinatoire que l’on retrouve à l’œuvre chez Rim (voir supra).
Quant à la contrainte – qui associée à l’imagination est génératrice de liberté
poétique – elle peut être implicite ou explicite, visible ou invisible selon un essai de
typologie établi par Marc Lapprand. Notons que s’agissant du slam, « le texte est
livré sans préavis » (51), à moins que son actualisation sur scène ne fasse l’objet
d’une introduction susceptible d’orienter l’horizon d’écoute en mettant l’auditeur sur la
voie (Lyor, voir supra). En l’absence de contrainte explicite, celle-ci pourra
néanmoins être audible, à défaut de visibilité. En tout état de cause, « l’auteur
s’ingénie à aiguiser l’appétit textuel du lecteur » (54) et tel peut être l’enjeu d’un
prologue de la part du slameur. Dans un cas comme dans l’autre, le jeu demeure
fondamental : « Jeu dans le langage même, mais aussi jeu dans la machine
textuelle » (57) De fait, les slameurs comme les oulipiens s’affranchissent des
canons littéraires et prônent une liberté d’écriture – « un haut degré de liberté » (123)
– qui se manifeste en un jeu savant doublé d’une authentique réflexion poétique :
« Les travaux de l’Oulipo constituent une réflexion linguistique authentique, dans
laquelle la théorie se cache derrière le jeu. » (Yaguello, 1981 : 14)
Ainsi la langue des oulipiens apparaît-elle comme « un terrain de jeu où se déploient
librement leur imagination et leur humour » (Lapprand, 1998 : 124). De ce jeu
relèvent les suffixations diverses et variées du terme Oulipo auxquelles le slameur
Marco DSL fait écho en entretien : oulipoétique, oulipolémique530.... Pour Marc
Lapprand, cette « formidable invention langagière » s’inscrit dans la lignée des
Grands Rhétoriqueurs auxquels s’est intéressé Paul Zumthor (1978) et à sa suite,
Julien Barret (2008) dans son ouvrage consacré au rap.

4.3.4. De l’OudOpo ou de la poésie action à la performance vocale

« Ouvroir d’Oralité potentielle » : telle est la formule apposée au recueil de Jean-


Pierre Bobillot intitulé « Prose des rats », et sous-titré « TeXtes pour la
lecture/aXion » (2008). Cette « Littérature à contraintes vocales » est aussi
présentée comme rhétorique à rebours, s’agissant d’écrire et de construire le texte
en partant de la forme sonore, soit de l’actio qui contraint l’elocutio et la dispositio531.

530
Voir l’entretien en annexe III.3.
531
Texte de quatrième de couverture rédigé par Eric Blanco.
182

Partant de l’idée que le poète est « créateur de beauté sonore » – selon la formule
d’André Spire – Jean-Pierre Bobillot, qui se définit lui-même comme poète bruyant, a
développé les concepts de poésie sonore et poésie action, tout en apportant des
Eléments de typologie historique (2009). La première désigne :
« un ensemble de pratiques hétérogènes et diversement novatrices, apparues dès les
années 50, mettant en jeu la voix et recourant à un appareillage électro-acoustique qui
peut aller du simple microphone, lors d’improvisations publiques (…) à l’utilisation
créatrice du magnétophone ». (2009 : 26)
Quant à la formule de poésie action, elle a été fondée comme appellation alternative
par Heidsieck dès la fin des années 60, pour rendre compte d’un « type
d’intervention scénique faisant la part belle à l’action elle-même » (Bobillot, 2009 :
29). Le même Heidsieck qualifiait ses propres poèmes de poèmes-partitions afin de
mettre en valeur la « vocation sonore des poèmes et le fait que leur nouvelle
disposition sur le papier, à l’image simpliste d’une partition musicale (…), fournissait
certaines indications de lecture, à savoir le rythme, les durées, la vitesse, les
hauteurs de ton… » (Bobillot, 2009 : 28). Préférant « le face à face live au tête à tête
avec le Livre » (19), l’artiste a évolué de fait vers des « lectures/diffusions/actions où
le poète est physiquement impliqué dans la concrétisation du poème, en présence
d’auditeurs/spectateurs. » (31) Dès lors, ne peut-on voir dans ces performances un
précurseur du slamming ? Filiation revendiquée pour certains slameurs qui s’essaient
aux lectures actions.532

Cet autre poète qu’est Christian Prigent a forgé le concept de « voix-de-l’écrit »


pour rendre compte de la trace sonore et rythmique du geste appelé « écriture ».
Dans un article de la revue TxT533, il a explicité cette dimension médiologique, et le
phonostyle spécifique qui en résulte, inhérent aux lectures publiques et autres
performances* vocales :
« On voit bien qu’il existe un tissage sonore spécifique à ce qu’un style a de plus
étroitement déduit de l’expérience intime du sujet qui s’y engage. On peut même dire
que la coloration particulière d’un style tient surtout au passage étranglé d’une voix, à
une participation rythmique qui traverse et secoue la constitution sémantique d’un
écrit. »

532
Frédéric Nevchehirlian que nous avons sondé à ce sujet (mail du 24/12/10) nous a parlé d’Heidsieck – avec
lequel il a fait une lecture – en ces termes : « peu de slameurs connaissent l'existence de ce merveilleux poète,
ponte de la poésie orale en France et ami des plus grands, grand lui-même, le refrain de "dans le stade", mon
poème qui ouvre mon album, contient une interpolation de son merveilleux poème "Vaduz" ». Notons que la
mise en scène du geste (voir notre photo page 74) semble relever de ce type d’influence, le slameur effectuant
celui de tenir le texte lu même s’il le connaît par cœur et jetant les feuilles au fil de sa lecture.
533
Article consulté en ligne (votre notre sitographie), non paginé.
183

La voix-de-l’écrit, précise-t-il, se distingue de celles du comédien, de l’orateur et du


chanteur :
« C’est l’envers de la voix du comédien, qui calcule ses effets émotionnels et silhouette
des postures subjectives. L’envers aussi de la voix de l’orateur, qui module la plénitude
de contenus discursifs. Mais ce n’est pas la voix chantée : pas de sortie radicale hors du
naturalisme de la parole, pas de soumission rhétorique à une partition et à la pure
profération soufflée que porte la musique. »
Elle maintient l’ambiguïté et les contradictions, tout en étant profération et action,
condensation et exagération :
« Méthode : constituer une condensation chargée des sons, une exagération du volume
sonore, une rétention de la modulation « naturelle » (adéquate à la ligne sémantique »),
un raclage qui réifie la voix »
Cette analyse nous semble applicable à notre objet, lieu d’une voix réifiée, qui
« concrétise un moment de mobilisation énergétique. Concentration et diffusion,
dans le même instant ». Notons que le corps pourra incarner cette tension : « Une
performance orale, note Prigent, est à chaque fois l’expression stylisée d’un
affrontement entre langue, voix et corps » (2011 : 7).

De nos jours, la voix du poète résonne comme « Voix dans la jungle des sons »,
selon le titre d’un article de Jean-Claude Pinson (2008 : 22). D’après ce poète et
maître de conférence en philosophie du langage, le développement de la poésie
sonore, et à sa suite, du rap et du slam, s’inscrit dans un climat de « montée en
puissance du son » et d’un « essor plus général des arts du spectacle et de la
scène » : « C’est l’acte créateur en lui-même qui s’est trouvé modifié » observe le
poète qui voit dans l’émergence du rap et du slam la conséquence directe de « cette
incidence du son de notre époque sur la façon d’articuler et de scander la langue ».
Dès lors : « le texte est entré dans une notre ère rhétorique ». A l’instar de la
chanson, le slam a fait siennes « les innovations linguistiques issues de la révolution
poétique moderne » et apparaît emblématique d’une poésie contemporaine « à
l’école de la musique » (2008 : 22). Notons que cette poésie contemporaine se
renouvelle aussi à l’école des nouveaux modes de communication, qui modifient le
rapport à la création en favorisant une écriture néonomade (Bas Böttcher, 2009)
possiblement partagée534: « les sites communautaires ont bouleversé l’univers de la
création» constate un journaliste du Monde535.

534
Voir nos chapitres 9 et 14 pour un développement de ce concept qui rend compte de l’utilisation faite des
réseaux sociaux par des slameurs qui associent les internautes à leurs jeux d’écriture, à l’instar de S.D.
535
Oliver Zibertin, Le Monde (supplément télévision) du 31/07/11, page 2.
184

4.4. Vers une poétique du slam

En confrontant ces éléments de réflexion théorique à notre corpus, il nous


appartient d’établir quelques principes ou traits qui nous semblent représentatifs,
sinon fondateurs, d’une poétique du slam.

4.4.1. Une poésie vivante536 et vocale

Le texte de Léo Ferré « Poètes vos papiers » représente une sorte de manifeste
pour les slameurs, comme en témoigne cet habitué des scènes slam grenobloises537
qui prend le micro pour le déclamer :
« La poésie est une clameur. Elle doit être entendue comme la musique.
Toute poésie destinée à n'être que lue et enfermée dans sa typographie n'est pas finie.
Elle ne prend son sexe qu'avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec
l'archet qui le touche. (…) A l’école de la poésie, on n’apprend pas, on se bat ! »538
Aux yeux de Félix Jousserand, le slam se situe « aux confins du rap, de la poésie
scandée, du talk over » (2009 : 181). Ce dernier terme renvoie à un mode de
déclamation de phrasé, consistant à poser des mots sur un fond musical, tel qu’ont
pu le pratiquer un Ferré ou un Gainsbourg539. Cependant, la musique demeure
secondaire dans le slam comme nous le rappelle Felix J. :
« La musique est un vecteur, elle a permis à une certaine forme de poésie de sortir des
livres et de l’écrit dans lesquels elle était enfermée, en créant un espace de
déclamation. » (181)
En d’autres termes, la poésie doit se suffire à elle-même :
« Quand j’écris, ça passe par le sonore en premier. La question musicale vient
s’incarner dans le travail d’écriture par le choix d’une langue, qui doit en permanence
être dite, être oralisée…(182) »
Le slameur et co-fondateur d’une maison d’édition consacrée au slam (Florent
Massot) demeure conscient de l’impossibilité de restituer sur le papier « l’énergie
déployée sur une scène ouverte* avec tout ce qui vient de l’auditoire » : « Ça se joue
à un mot, à un souffle, une respiration qui va changer le sens, créer un effet dans
l’auditoire » souligne-t-il (2009 : 184). De l’auditoire à l’auditure, il n’y a qu’un pas…

536
Par essence « œuvre vive » selon la formule de Zumthor, portée par la « vive voix » (Fonagy, 1983).
537
Café concert associatif « La Bobine », slam session du jeudi soir.
538
Léo Ferré (1973), Il n'y a plus rien.
539
Notons que ces deux artistes sont cités de manière récurrente dans les entretiens et interviews de slameurs.
185

Dans son poème « Poésie c’est… », Jean-Pierre Bobillot a convoqué « l’écrié


(les criées) de l’encrier », soit les sonorités cryptées dans l’écrit, et proposé par
ailleurs le terme d’auditure – qu’il distingue de l’orature540 – pour désigner :
« l’ensemble des caractéristiques, esthétiques aussi bien que techniques, propres à une
poésie intégrant, dans sa conception même, l’appareillage et les procédures
technologiques et compositionnelles électro-acoustiques, ainsi que les modes de
divulgation et de publication qui y sont liés » (2009 : 66)
De là, il développe le concept de musiture – « qui consiste dans le recours plus ou
moins généralisé à des procédés de « musication » du signifiant. »541, puis ceux de
claviture et d’écranture appliqués à la poésie numérique (2009 : 68). Il souligne par
là-même l’importance déterminante du medium qu’il décline en termes de
médiopoétique : « les poésies scéniques modernes, souligne-t-il, relèvent de toute
évidence d’un quatrième mode d’« écriture » que je propose de baptiser, on
comprendra assez aisément pourquoi : vocature. »542 Il semblerait que le slam relève
de ce dernier mode d’écriture poétique : le medium fondamental – la langue – est
alors porté par la vive voix, même si la diffusion ultérieure peut emprunter d’autres
voies comme la Text-Box ou la publication. Acceptant de répondre à notre enquête,
Jean-Pierre Bobillot a précisé :
« Ce qui est sûr, c’est qu’il relève, de plein droit, de la poésie scénique. Peut-être plutôt
du côté d’une néo-orature (à l’instar des beat) que d’une authentique auditure. (…) Du
point de vue de la forme spécifique, que revêt ladite prestation, c’est le plus souvent une
récitation-action, le terme « action » désignant ici la simple part gestuelle liée à la
profération devant un public, et non une action spécifique comme le suggèrerait plus
précisément l’appellation générique de « poésie-action »… »543

4.4.2. Une poésie hybride, adressée et métissée

Objet hybride comme l’indique son titre en forme de mot-valise Slamérica,


l’album du québécois Ivy nous semble emblématique d’une démarche poétique qui,
pour être scénique dans son essence originelle, n’en accède pas moins à d’autres
canaux poétiques. Le slameur québécois se plait à slamer entre oral et écrit en usant
d’un procédé d’oralisation des marques typographiques de la phrase, soit du
métalangage de la langue écrite, avec une visée clairement poétique :

540
Défini comme « l’ensemble des caractères spécifiques à la poésie marquée par les procédures
compositionnelles et les modes de divulgation liés à l’oralité traditionnelle. » (2009 : 67)
541
Concept défini par Françoise Escal en ces termes : « Un néologisme a été inventé pour désigner la priorité
donnée à l’aspect sonore du texte sur les autres aspects, notamment sur le sens : musication. » (1990 : 9)
542
Article à paraître, qui nous a été communiqué par l’auteur.
543
Voir notre enquête du 27/12/10 en annexe III.15. Jean-Pierre Bobillot nous a cité l’exemple d’ « Heidsieck
déroulant la partition de Vaduz tout le temps de la lecture/diffusion, expirant et respirant ostensiblement
durant celle de Sisyphe, ou se rasant pendant la diffusion de La semaine »
186

« La ville pâlit : deux points, ouvre les guillemets / Et le jour point, mais…»544
De même, Abd al Malik, qui bénéficie d’une solide culture littéraire, aime à jouer sur
cette frontière entre oral et écrit. Ses textes présentent généralement une structure
nettement définie, au sein de laquelle émergent des caractéristiques textuelles
inhérentes à l’écrit. Ainsi « Lettre à mon père » se présente-t-il comme une véritable
lettre, avec oralisation de tous les indices faisant référence à ce type d’écrit, y
compris les signes de ponctuation :
« Très cher papa
J'aurais voulu partager avec toi
Cette lettre le prouve
Prend pour preuve mon cœur que je t'ouvre (…)
Rien de bon peut être basé sur la haine
Et dans le cas présent le regret n'entraîne que la peine virgule
Ton fils qui t'aime, P.S : T'embrasse avec tendresse Je t'aime » (nous soulignons)545
Ainsi se développe au sein même des textes une réflexion plus ou moins explicite sur
cette « oralité manuscrite » (SD) qui fonde le slam. Dans « J’écris à l’oral » (2007),
Grand Corps Malade développe ce même paradoxe des « criées de l’encrier » -
selon la formule citée de Jean-Pierre Bobillot - à grand renfort de métaphores et de
rimes équivoquées : « Quelques instants après j’ai déterré l’encrier / En criant sans
prier pour hurler sans crier / Sans accroc sans vriller, dans la voix l’encre y est… »

Par essence, le slam poésie est adressé à un public et ancré dans le discours –
tout en étant encré en amont de la performance - ce qui se traduit formellement par
la prégnance des déictiques et autres marques d’adresse : « J’ai oublié de vous
préparer avant d’entrer en action. » slame un Grand Corps Malade (2006). Il est
marqué par un métissage fondamental, qu’illustrent les textes du slameur de Saint-
Denis : non seulement sur un plan sémiotique entre texte et musique - ou entre texte,
musique et mimogestualité - mais aussi sur un plan linguistique entre différents
registres ou sociolectes546. Une forme de métissage s’applique aussi à un niveau
culturel : entre culture populaire et culture savante, ou culture légitime (Bourdieu), le
slam s’impose alors comme trait d’union entre Monde nouveau (et) Monde ancien

544
« Montréal », op.cit., p.23. L’utilisation symbolique du lexique de la ponctuation se double ici de jeux
d’homophonie et d’homographie (du verbe « poindre » et du substantif « point »). « Nous sommes loups dans
la bergerie / Lus dans les librairies » conclut Ivy.
545
Le face à face des coeurs, 2004 (voir en annexe IV.3). La récurrence de la formule introductive (« Très cher
papa »), ainsi que l’énoncé auto-référenciel et redondant du type d’écrit (« cette lettre »), montrent bien
comment le slameur joue avec les conventions. La présence de ces indices est néanmoins remarquable dans le
cadre d’un discours destiné à être socialisé dans sa forme orale, à l’image de la chanson de Gainsbourg « En
relisant ta lettre » (1961) : « Je t’en supplie/Point sur le i/Fais-moi confiance… »
546
Voir notre chapitre 10.
187

comme le suggère le titre de l’album de Nevchehirlian (2009). Ce dernier se plait à


slamer aux frontières d’une poésie rock et d’une chanson au caractère universel et
intemporel. Ainsi a-t-il composé un texte – chanté sur l’album – au sein duquel
affleurent les chansons traditionnelles « Sur le pont d’Avignon » et « Ainsi font font
font… ». Ce faisant, il s’appuie sur une mémoire collective tout en abordant les
relations amoureuses dans leur universalité et leur immuabilité :
« Ainsi font font les garçons et les filles / Sous le pont de la ville
C’est comme ça depuis / la nuit des temps »547

4.4.3. Une poésie colludique et créative

Dans les interstices du texte – telles les notes de bas de page d’Ivy – ainsi que
dans l’interprétation scénique, c’est la fonction colludique – que nous définissons
comme cette nécessaire connivence visant à faire fonctionner le potentiel ludique de
la langue – qui prime. D’où le plaisir du jeu, qui nait au cœur même du texte :
« Ecrire dans le plaisir m’assure-t-il – moi, écrivain – du plaisir de mon lecteur ?
Nullement. Ce lecteur, il faut que je le cherche (que je le drague)... que les jeux ne
soient pas faits, qu’il y ait un jeu.» (Barthes, 1982 : 10)
Aux six fonctions développées par Jakobson, plusieurs linguistes ont suggéré
d’ajouter la fonction ludique. Ainsi Marina Yaguello considère-t-elle que « toute
activité ludique et poétique qui a pour moyen d’expression le langage constitue une
survivance du principe de plaisir » (1981 : 31). Reprenant la terminologie de
Jakobson et l’idée selon laquelle « la fonction poétique ne se limite pas au champ de
la poésie » (33), elle accorde à certaines formes langagières, et notamment aux jeux
de mots, une double fonction poétique et ludique. S’agissant précisément des jeux
de mots auxquels Guiraud (1976 : 104) a consacré un ouvrage, la fonction ludique
semble presque tautologique. Il n’en demeure pas moins que le détournement
ludique du langage, qui est une des composantes de l’argot, foisonne dans l’univers
de la modernité, de la publicité notamment. En tant que telle, la fonction ludique peut
être liée au phénomène de la néologie comme le suggèrent Pruvost et Sablayrolles
(2003 : 86). Enfin, les écrivains n’ont de cesse d’explorer ce potentiel ludique du
langage548 . Or cette ludicité repose précisément sur le postulat d’une participation

547
« Les filles, les garçons » (2009 : Ce refrain sera repris avec une variante jouant sur la paire minimale
vont/font : « Ainsi vont vont les garçons et les filles (…) » (nous soulignons)
548
« Le discours simulacre de contenu peut être à lui-même sa propre fin, tout comme un jouet entre les mains
d’un enfant. (Hagège, 1985 : 263) Voir à ce sujet notre chapitre 7.
188

active du lecteur/auditeur, d’où l’idée d’une fonction colludique - de colludere -,


immanente au slam, s’agissant de « jouer ensemble » avec les mots :
« [Slam] POésie C’EST pas qu’toi ou moi • […] POésie SANS voix • POésie DES sans-
voix • POésie C’EST la voix (ça va d’soi !) • POésie C’EST sans foi ni loi • […] POésie
C’EST ramage & plumage, grammage, grimage, image, inimage, rage, orage, mirage,
&cetera »549

Conclusion partielle

Nous avons donc suivi et approfondi des liens de filiation avec la tradition
oulipienne des jeux d’écriture, mouvements littéraires et mouvances contemporaines
de poésie orale, poésie sonore, poésie action. Certes, les avant-textes et contraintes
reprises à leur compte par des slameurs nous ont mise sur la voie de l’Oulipo mais
ce dernier accordant le primat à l’écriture, nous avons dû réorienter notre réflexion
vers l’Oudopo, la voix-de-l’écrit et d’autres concepts qui rendent compte de
performances vocales. Si nous avons pu rapprocher les slameurs de certains
performeurs, il apparaît que cette notion recouvre aujourd’hui des pratiques fort
diverses et véhicule des connotations autres que l’emploi fait par Zumthor pour
désigner une « action orale-aurale » (1987 : 248). Quant au slam, nous pouvons
d’ores et déjà le décrire comme poésie vivante et vocale, au caractère hybride,
adressée et métissée, mais aussi – et sans doute en conséquence de cette hybridité
même – une poésie colludique et créative. Or ce potentiel était déjà contenu en
germe dans le rap, autre filiation rarement revendiquée, mais fréquemment évoquée
a priori.

549
J.P. Bobillot : « Poésie c’est… » (op.cit., voir aussi en annexe III.15)
189

Chapitre 5

Du rap au slam,
slam
du flow au flot

5.1. De la culture hip--hop et du rap


5.2. Entre rap et slam : influences,
confluences et diffluences
5.3. Le slam comme Musique des
lettres,, des voix et des corps

Illustration : Rouda, « Le hurlement


du sourd »

Photo 12 : Rouda, Double 6 à Lyon (le 12/11/08)


190
191

« Rafale de mots j’affole le mic au fond de moi un filament qui fout le waï
Donc voulez-vous un peu de folie dans le flow ? »550

Le slam se rapproche du rap en tant qu’art de « jongler avec les mots » (Bazin,
1995 : 212), et par là-même, nous ramène aux sources de la poésie orale :
« Quelles que soient les branches musicales qui supportent le rap, les racines puisent
dans les mêmes origines, celles du paroleur, du tchatcheur, du prédicateur. Du conteur
au rappeur, du griot au journaliste social des temps modernes, une filiation recomposée
est revendiquée, celle qui suit le chemin de la « littérature orale » et se produit dans la
« poésie urbaine ». (1995 : 217)
Les entretiens que nous avons menés rendent compte, pour de nombreux slameurs,
d’une évolution du rap au slam qui nous invite à interroger cette filiation supposée.
Souvent qualifié de « poésie urbaine », le slam relève-t-il pour autant des cultures
dites urbaines en général et de la culture hip-hop en particulier? Dans cette
perspective, nous chercherons à établir d’éventuels points de convergence au regard
d’un état des lieux des exégèses – sociologiques, sociolinguistiques, linguistiques et
philosophiques – portant sur le rap français, puis nous analyserons dans quelle
mesure le slam se démarque de ce genre musical et de la culture dans laquelle
s’inscrit ce dernier : « C’est une main à laquelle il manque le pouce » dira du hip-hop
le slameur Marco DSL551, déplorant l’absence de véritable recherche en matière
d’écriture et rejoignant le rappeur Oxmo Puccino qui reconnaît précisément que « le
552
slam permet d’aller là où le rap n’est pas allé dans l’écriture » . Si certaines
analyses ayant trait au rap pourront être partiellement réinvesties dans le cadre de
notre étude, nous envisagerons les divergences entre rap et slam et leurs
conséquences formelles sur ce dernier, en tant que Musique des lettres (Rouda,
2007) –, mais aussi des langues, des voix et des corps. Afin d’appréhender cette
musicalité intrinsèque qui distingue potentiellement le slam du rap, nous nous
appuierons sur des textes-frontières, dont les auteurs, à l’instar de Rouda, se jouent
de cette filiation. Nous vérifierons alors l’hypothèse selon laquelle le slam apporte un
espace de liberté (« de folie dans le flow* » pour reprendre la citation mise en
exergue), là où le rap reste enfermé dans un carcan rythmique et un style musical.

550
Rouda, « Les blancs ne savent pas rapper », Musique des lettres, 2007.
551
Entretien du 27/11/08, voir en annexe III.3.
552
Documentaire Traits portraits (2009) : « je parle de vocabulaire, d’univers, de codes, de règles à respecter
selon l’art…Ce que tu ne peux par utiliser dans le rap, tu l’utilises dans le slam » précise-t-il. (voir chapitre 3)
192

5.1. De la culture hip-hop et du rap

Afin d’apporter à notre analyse l’éclairage d’études menées sur le rap français,
nous progresserons d’une réflexion générale sur la culture hip-hop dont il relève, vers
une analyse textuelle plus approfondie.

5.1.1. Eléments de définition

Hugues Bazin (1995) est l’auteur d’un ouvrage de référence sur la culture hip-
hop qu’il analyse à travers ses diverses formes et manifestations. Le sociologue
commence par rappeler le sens originel de cette formule qui désigne une culture de
la rue :
« Le « hip » est un parler propre aux ghettos des Noirs américains (vocabulaire,
sonorité, rythme de parole). Il est dérivé de « hep » qui signifie dans la « jive talk » (argot
de la rue) « être affranchi, à la cool ». Il atteste de la virtuosité du locuteur cherchant
l’admiration de l’auditeur. « To hop » veut dire danser : allié au « hip », cette indication
nous révèle que la danse fut l’une des premières composante artistique à rendre visible
le hip-hop » (1995 : 17)
Il précise qu’il s’agit d’un mouvement à part entière, selon la double acception de ce
terme : « celle d’une dynamique et celle d’une appartenance » (24). Or une telle
dynamique reflète un esprit de défi : celui-ci représente non seulement un moteur
pour la création, mais aussi « une motivation qui catalyse les émotions » (30). Le rap,
en tant qu’expression parlée et musicale, constitue l’une des formes de la culture hip-
hop. Ce « texte scandé, improvisé ou non » est à rapprocher du Spoken word :
« Bien qu’ils n’atteignirent pas la renommée des rappeurs actuel, les Last Poets
(« Poètes du temps qui passe ») imposèrent dans les années 1960/70 le « spoken
word », ce parler si particulier rythmé par des percussions dont s’inspirent tous les
groupes de rap. » (1995 : 211)
« Bavarder », « jacter », « baratiner » sont les sens attribués au verbe « to rap »
rappelle Bazin (211). Non content d’être un « tchatcheur », le rappeur est aussi
l’Auteur des textes qu’il scande et c’est bien là l’essentiel :
« Le rappeur est l’Auteur, l’Unique. Il ne laisse à personne le soin de scander ses mots à
sa place. Au plaisir de l’écriture, de cette richesse écrite, s’ajoute la jouissance de dire
ses mots aux autres, de les faire partager. Il possède la magie du verbe qui libère la
conscience, révèle les rouages de l’oppression.» (1995 : 222)
Dans la lignée de Jacqueline Billiez qui a approfondi la thèse de Bazin en
s’appuyant sur un corpus de deux cent textes de rap (1997), Cyril Trimaille est
l’auteur de plusieurs articles553 ayant trait au rap français. Dans son article intitulé
« Le rap français ou la différence mise en langue » (1999), le sociolinguiste revient

553
Voir aussi son mémoire de DEA réalisé sous la direction de Jacqueline Billiez (1999)
193

d’abord sur les acceptions du verbe to rap qui signifie non seulement « baratiner » ou
« tchatcher », mais aussi, selon un sens inédit « rapporté par un informateur ayant
passé une partie de sa jeunesse à New-York », « se plaindre ». En France, depuis le
milieu des années quatre-vingts, force est de constater que « les jeunes issus de
l’immigration se sont appropriés cet art des mots, l’émancipant du modèle
américain. » De fait :
« Ils prennent la parole comme on prend les armes (…) pour sortir de la spirale de la
relégation ou de la délinquance » (Trimaille, 1999 : 79)
Il en résulte une certaine théâtralité – voire une spectacularisation -, inhérente à cette
forme d’expression :
« Le rap est une tribune, et chaque morceau une représentation (au sens théâtral). »
(Trimaille, 1999 : 82)

Pour Lapassade et Rousselot (1998), le rap exprime la « fureur de dire »,


s’agissant d’un genre musical mais aussi d’une performance de rue :
« Le rap song ou rap, c’est la diction, mi-parlée mi-chantée, de textes élaborés, rimés et
rythmés, et qui s’étend sur une base musicale produite par des mixages d’extraits de
disques et autres sources sonores. Cette pratique est apparue de manière explicite et
désignée, étiquetée en tant que performance de rue, au cours des années 70, à New-
York » (1998 : 9)
Ces auteurs s’attachent à le présenter comme « une nouvelle forme de poésie
orale », qui plus est « urbaine et moderne » (14), et même une « école de virtuosité
langagière » (107). Poète de la rue, le rappeur réenchante les mots du quotidien :
« Le rap utilise le langage de tous les jours, s’approprie des codes linguistiques qui se
font et se défont dans la rue. Mais le rappeur les sort de leur quotidienneté et leur
accorde une nouvelle forme grâce à des techniques qui sont typiques de l’oralité
formalisée, c’est-à-dire poétisée (…) » (1998 : 14-15)
Dans la lignée des traditions du griot et du majdoub554 maghrébin, il doit faire la
preuve à travers sa performance de sa capacité d’improvisation et de ses capacités
vocales. Il en résulte « une sorte de coproduction interactive des œuvres orales des
auteurs et des auditeurs » (15). Lapassade et Rousselot nous rappellent aussi que le
rap doit beaucoup aux Last Poets, cette poésie du ghetto née dans les années 70 :
« La parole, le mot sont les fondement de ces prestations qui, pour les oreilles de
l’époque, tiennent davantage de la litanie que de la chanson. La musique est ravalée au
rang de ligne mélodique. Tout est soutenu par la scansion, où l’accent tonique tient le
rôle habituellement échu aux percussions. » (1998 : 32)

554
Littéralement « le ravi, l’illuminé, en état de transe ». Défini par Lapassade & Rousselot comme « poète des
rues et des souks qui dit et improvise souvent ses poèmes, en arabe dialectal rythmé, en s’accompagnant d’un
tambourin » (1998 : 15). Voir aussi la tradition du « Zajal » au Liban (chapitre 3).
194

Le rôle de la rime y est essentiel : « bien au-delà du simple plaisir prosodique, elle
crée la ligne rythmique. » (33) De même, la rime apparaît comme le défi majeur du
rappeur : « Un grand rappeur sera un grand rimeur : tel est le défi qui fonde le rap. »
affirment Lapassade et Rousselot (1998 : 34). Ces derniers identifient notamment la
paronomase en chaîne comme l’un des repères introduits par les Last Poets et
« l’une des figures de style les plus répandues du rap, qui consiste à accumuler dans
un même vers le plus de mots phonétiquement proches. » (34) La revendication du
chant comme cri, l’utilisation d’idiomes noirs – associée à l’éloge de l’Homme Noir –
et de termes d’argot dans la rime sont d’autres caractéristiques de l’écriture des Last
Poets. Le rap se caractérise en outre par « un martèlement de mots » et autres
« flashs sonores et des significations qui fusent, des chocs répétés de mots courts ou
longs, dont le seul rapport est parfois phonétique. » (51) Les dozens555 – ou vannes
rimées ayant pour cible principale la mère de celui à qui l’on s’adresse – témoignent
d’une fonction de combat (58). D’une manière générale, « le rap cultive l’insulte »
(60). Ainsi :
« Le rap aime la boxe. C’est lui qui le dit. Il suffit d’écouter les mots du jargon, et leurs
fortes connotations. Le beat, le rythme, ne peut se comprendre si l’on oublie que to beat,
c’est battre quelqu’un. » (1998 : 63)
Si le rap consiste en une « Boxe avec les mots »556, que dire du slam dont certains
représentants ont choisi Uppercut comme nom de collectif* ?

Manuel Boucher (1999) cite la définition du rap formulée par Lapassade et


Rousselot évoquant des « textes élaborés, rimés et rythmés », au-delà du sens
littéral du verbe to rap, « baratiner ou tchatcher » (1999 : 17). En préface, Bazin
souligne que la base rythmique – définitoire du rap en tant que genre musical –
reste immuable quelle que soit la langue utilisée :
« La base d’un rap (rythme, tempo, ligne musicale en boucle, etc…) reste la même que
l’on rappe en allemand, en français ou en japonais. » (1999 : 10)
Au sein de cette structure fixe, des divergences peuvent néanmoins surgir :
« La façon dont cette forme est travaillée par les individus pour gérer leur rapport au
monde dépend de l’environnement social et culturel. Ainsi peut-on distinguer un hip-hop
brésilien, sénégalais, français, belge, allemand ou américain. »

555
« terme générique retenu par Labov pour désigner ces vannes structurées » (Lapassade & Rousselot, 1998 :
54)
556
Titre d’Arsenik (1998). Voir aussi le flyer n°6 en annexe I.5.
195

Telle sera l’une de nos interrogations concernant le slam : en l’absence de cette


base rythmique commune, y a-t-il des points de convergence entre les différentes
formes à travers lesquelles le slam se développe en Europe et dans le monde ?557

Plus récemment, Manuel Vicherat (2001) est revenu sur le sens premier du
verbe to rap soit « donner des coups secs et rapides »558, avant de développer une
approche essentiellement thématique et textuelle visant à réhabiliter un rap français
dont il déplore la méconnaissance (2001 : 17). Telle est aussi la visée de Julien
Barret qui, dans son ouvrage intitulé Le rap ou l’artisanat de la rime (2008), énumère
les traditions poétiques auxquelles le rap peut être rattaché, depuis les agônè
réunissant les acteurs de la comédie grecque, les troubadours et autres « Grands
Rhétoriqueurs » du Moyen-âge jusqu’aux « ambiguillages » (Calvet, 2007) d’un Boby
Lapointe, en passant par le Surréalisme et l’Oulipo. De Boby Lapointe, il retient
notamment « la faute d’orthographe consciente » qui désigne une forme de
calembour par homophonie (appelé « homme aux faux nids »), s’agissant de
remplacer un mot par son « homme au faune »559. Le chanteur a aussi décrit la figure
de l’à peu près (Dupriez, 1980 : 59) que Julien Barret qualifie de « calembour par
paronomase in absentia » (2008 : 155) et dont le slam, à l’instar du rap, nous offre
des exemples à foison : « le petit Sulitzer » (Ysae, « Vol XL 69 ») pour le « prix
Pulitzer ». Chez Boby Lapointe, « le facteur d’organisation est la charpente sonore »
(Barret, 2008 : 156).560 Si Julien Barret s’attache à décrire « cette tendance propre au
rap consistant à faire bruire la langue sans renvoyer à un signifié particulier » (158),
le slam nous apparaît tout aussi porteur de textes visant à « faire briller la langue, à
la faire chanter au travers de récurrences sonores allant jusqu’à la musication »
(159). Au travers de son analyse stylistique, Julien Barret entreprend de réhabiliter le
rap en tant qu’objet littéraire :

557
A cet égard, le texte « Langues étranges » de Sancho (Tout feu tout slam, 2007) apparaît significatif d’une
quête d’universalité qui se manifeste à travers un texte plurilingue, où la même trame est développée dans
quatre langues différentes.
558
La présence du sème “rythme saccadé” est attestée par la définition du Longman dictionary of
contemporary English : “1. to hit or knock something quickly and lightly “, 2. “to say something loudly,
suddenly, and in a way that sounds angry”, 3. “a word meaning to criticize something angrily used in
newspaper”, 4. “to say the words of a rap”, 5. “to talk in an informal way to friends.”
559
Intégrale des enregistrements, 2 CD + avant-propos inédits de l’auteur, Polygram distribution, 1990.
560
De façon similaire, il arrive dans le slam que « la forme sonore du texte (soit) si prégnante qu’elle en éclipse
le sens ». Ainsi le texte de Narcisse « Niki Nikita » n’est-il pas sans lien avec la chanson de Boby Lapointe « Ta
Katie t’a quitté », d’autant que les syllabes qui constituent la matière sonore de ces deux textes sont en partie
communes (voir notre chapitre 2)
196

« il serait abusif de réduire le rap à sa composante sociale ou révoltée. Il s’agit aussi


d’une danse avec les mots, d’une recherche de la rime parfaite, d’un exercice de style
presque désintéressé. » (2008 : 22)
Loin de se réduire à un « sous-genre musical », cette forme représente à ses yeux
« l’avatar le plus contemporain de la poésie orale » (32), en tant qu’elle réactive – et
réactualise – les caractéristiques originelles de la poésie : « une poésie technique,
lyrique et accentuée » (33). Dans la lignée des oulipiens, les rappeurs sont des
techniciens qui se distinguent par « l’exploitation acharnée des ressources sonores
du langage » (42) : ils exploitent la langue « pour un profit sonore maximal » (77).
D’où le titre choisi pour cet ouvrage consacré au rap :
« Cette minutie dans le travail sur la rime, le modelage, si précis, des échos sonores
apparaît comme une caractéristique fondamentale du rap, procédant de ce que
j’appelle un artisanat de la rime. » (2008 : 79, nous soulignons)

5.1.2. Du métissage langagier au message engagé

Lieu de métissage et de médiation

Aux yeux des sociolinguistes Jacqueline Billiez et Cyril Trimaille, le rap est un art
remarquablement inventif, lieu privilégié d’un métissage intralingual et interlingual.
Dans « Poésie musicale urbaine : jeux et enjeux du rap » (1997), Jacqueline Billiez
s’intéresse au travail d’écriture poétique ainsi qu’aux « effets ludiques et de
connivence » (1997 : 136) visés, mettant en valeur « une inventivité verbale
généralement insoupçonnée ». Celle-là se manifeste notamment à travers la
combinaison de « langues diverses qui côtoient une langue française travaillée dans
toutes ses variétés entremêlées, argot, verlan, verlan du verlan, régionalismes et
lexiques spécifiques. » A travers ces innovations, il s’agit « de dessiner de nouveaux
espaces sociaux et identitaires qui intègrent et qui raccordent » (136). Le langage
apparaît non seulement comme un instrument de combat, mais aussi comme un
espace de jeu, de plaisir, de vérité et de liberté : une arme de paix, pourrait-on dire,
selon la formule – titulaire et oxymorique – d’Oxmo Puccino (2009). En se saisissant
de l’arme des mots, les rappeurs appellent leur public à les suivre dans cette voie
non-violente, à mettre des mots sur leurs maux. Ils invitent à l’expression verbale et
encouragent les apprentissages linguistiques, en valorisant le plurilinguisme. Ils
usent et abusent de détournements de proverbes, dictons et autres « jeux
d’intertextualité qui raccordent les générations et les cultures tout en les
transformant » (Billiez, 1997 : 144). Ces citations sont le plus souvent subverties ou
197

détournées dans une intention parodique selon divers procédés de délexicalisation :


de fait, « l’effet comique est d’autant mieux réussi que les signifiants sont très
proches et les signifiés très éloignés. » (1997 : 145)561. Ce procédé de
déconstruction/reconstruction562 pourra s’appliquer par exemple à des fragments de
chansons enfantines. Jacqueline Billiez cite l’exemple de MC Solaar dont le titre
même de l’album offre un bon exemple de délexicalisation (Qui sème le vent récolte
le tempo563, 1991, nous soulignons) : « Ainsi font font font les petites filles
coquettes ». Quelques décennies plus tard, le slameur Nevchehirlian détournera à
son tour ce refrain : « Ainsi font font les garçons et les filles » (2009).

Dans son article intitulé « Poésie musicale urbaine : langue et identité


entrelacées » (1996), la sociolinguiste développe une approche du rap comme
manifestation d’une recherche de solidarités et d’un « mouvement de recomposition
identitaire » (1996 : 359) :
« Véritable art de jongler avec les mots, avec les langues, avec les cultures, qui, avec
une fluidité extraordinaire, sortent de leurs compartimentages » (1996 : 360)
En effet, les jeunes issus de l’immigration peuvent se trouver « tiraillés entre deux
cultures » (1996 : 360), celle du pays d’accueil et celle de leurs parents. D’où une
« stratégie identitaire qui oppose un refus à l’imposition d’une identité unique et
affirme une volonté d’unification identitaire » (361). Il s’agit, pour Jacqueline Billiez,
d’une stratégie de « renversement du stigmate » ou de retournement de valeurs.
Celle-là se traduit par une revalorisation des groupes minoritaires et de leurs
langues, le mélange linguistique étant appréhendé comme une richesse. Le rap
apparaît ainsi comme lieu d’une réflexion voire d’une recherche sur les langues, d’où
« une profusion d’innovations linguistiques » (362) :
« S’accompagnant d’une jouissance manifeste de la parole, cette créativité emprunte
toutes les voies, celles des diverses langues mariées sous tous les régimes possibles
pour des effets ludiques et identitaires entremêlés » (1996 : 363)
« L’alternance des langues en chantant » : tel est le titre d’un autre article de
Jacqueline Billiez (1998a) qui se propose d’analyser les alternances codiques et
leurs fonctions dans l’écriture rapologique. En effet, « chacun tente d’apporter dans
l’écriture ses différences en cherchant à tisser de nouvelles solidarités et à construire
une identité collective plurielle. » (1998a : 126) Etant donné le caractère

561
Constat qui n’est pas sans rappeler la différence de potentiel chère à André Breton (voir notre chapitre 4).
562
Voir notre deuxième partie (notamment le chapitre 9) pour un développement sur ce sujet.
563
Notons ici la filiation phonique avec un segment homophone : tempête/tempo
198

extraordinaire des alternances liées à la situation publique de leur emploi, elles


peuvent être considérées comme « totalement réfléchies et délibérément affichées »
(127). Il s’agit donc de marqueurs d’identités revendiquées, en tant que « choix
libres et créatifs qui proclament des valeurs et véhiculent des significations sociales »
(128). Pour les jeunes issus des migrations, l’enjeu est d’ « échapper au dilemme de
choix contradictoires, rester dans une identité d’origine héritée à laquelle chacun est
attaché ou la renier pour s’assimiler. » (129) Au sein des alternances codiques,
Jacqueline Billiez distingue les macro-alternances – ou « choix de la langue de
base du texte » – des micro-alternances - ou « passages momentanés à d’autres
langues » (130). Notons que les segments rédigés dans d’autres langues « peuvent
être traduits ou ne pas l’être et, ce faisant, apporter encore un supplément de sens à
ce choix » (134). Une autre forme de macro-alternance consiste dans la cohabitation
de plusieurs langues au sein d’un même morceau qui s’apparente presque, dans ces
conditions, à une « leçon de langue » (136)564. D’une manière générale, le rap fait
entendre « une autre voie(x), celle de la diversité des langues, du multilinguisme et
des identités, pluralité rimant avec solidarité.» (130).

Dans le prolongement de cette réflexion, Cyril Trimaille a émis l’hypothèse du


discours rap comme « lieu d’élaboration d’un code "nôtre" (1999 : 81)565, étant issu d’
« un réseau de métissages ouvert et évolutif (…) jalonné de marqueurs linguistiques
d’identité ». Non seulement, « les rappeurs (marseillais) font s’interpénétrer écrit et
oral » et mêlent les registres, mais en outre « des langues étrangères ou de
l’immigration s’immiscent dans un français mâtiné d’argots ou d’un brin de
provençal… » (81). L’anglais – lié aux origines du rap – se manifeste à travers un
technolecte, aux côtés de « nombreuses insertions d’éléments des langues des
origines » (91). Or les alternances endolingues contribuent, autant que ces
alternances exolingues, à la construction d’un we-code (82). Citant Hugues Bazin,
Cyril Trimaille souligne que le rappeur ne parle pas mal, mais qu’ « il parle autrement
parce qu’il est autre. » A contrario, « la maîtrise du verbe, instrument de domination,
sert aussi le renversement du stigmate » (85) selon la formule de Jacqueline Billiez.
Aussi les rappeurs proclament-ils leur maîtrise verbale par la création de
néologismes construits sur un mode savant, comme l’illustre cette citation d’IAM566 :

564
Le slam cité (Sancho, « Langues étranges », Tout feu tout slam, 2007) relève bien de cette catégorie.
565
En référence à Calvet (1994) et à Gumperz (1982).
566
« Je viens de Marseille, De la planète Mars (1991).
199

« Un conseil / surtout veille mec / essaye d’assimiler la balistique linguistique / des


phraséologistes / kamikazes mythologiques / rimologistes / scientistes à la technologie
du style » (nous soulignons)

Ce faisant, ils se placent en position « d’utilisateur(s) légitime(s) de variété non-


légitimes » (Trimaille, 1999 : 87) et se distinguent par un « niveau élevé de
conscience épilinguistique ». C’est un français à géométrie variable qui nait du
« métissage intralingual » où des variantes vernaculaires (argot, verlan parisien)
côtoient des formes normées voire surnormées, classiques voire archaïques. Or ces
variations de registre se combinent avec « un jonglage codique entre écrit et oral, qui
montre un autre aspect d’une relation ambiguë à la norme, passant du respect à la
transgression. » (89) En effet, les textes de rap sont le fruit d’un double transcodage,
de l’oral à l’écrit lors de la conception et de l’écrit à l’oral lors de l’interprétation.

A travers une analyse de ce jeu avec les normes, Cyril Trimaille soulève la
question de la légitimité – y compris dans le champ scolaire – du rap français,
« forme institutionnalisée de poésie contemporaine urbaine et engagée » (1999 : 82).
Il propose alors de l’appréhender comme un « input plus authentique et impliquant
qu’un manuel scolaire de textes classiques » (88), voire un « moyen de médiation »
(96). D’où l’idée de concevoir « une exploitation pédagogique dans des classes où
l’appropriation de la langue de l’école pose des problèmes », à la suite l’expérience
mise en place par Boris Seguin et Frédéric Teillard (1996). Dans cette perspective,
l’article « A travers le rap français : un exemple de médiation linguistique et sociale »
(Lambert & Trimaille, 2004) vise à approfondir « le caractère potentiellement
médiateur de ces productions linguistiques, oscillant entre des normes et des contre-
normes » (2004 : 205. Le rap apparaît bien comme un lieu de médiation en tant qu’il
permettrait de réduire « la distance linguistique et culturelle entre certains
enseignants et certains de leurs élèves », à commencer par ceux qui ont construit
des identités négatives :
« Les cours c’était pas cubique / un Q.I élevé n’explique pas les bulletins d’un cancre
chronique. / J’ai arrêté l’école avant de la quitter / Hélas en dessous de mes
capacités… »567
En acceptant d’endosser le rôle de médiateurs, certains rappeurs peuvent influer, à
ce titre, sur les représentations, et inciter à l’appropriation linguistique :
« Si tu écoutes IAM, achète un dictionnaire » 568

567
Oxmo Puccino, « Tirer des traits », L’arme de paix, 2009.
200

Le jeu sur les normes et le thème du pouvoir conféré par la maîtrise du verbe
apparaissent comme des points d’ancrage possibles pour faire évoluer les
représentations associées au langage. Dans ces conditions, le rap représente « un
support d’identification et un levier potentiel d’action pédagogique sur les pratiques et
les représentations des apprenants » (207). Par là-même, il peut constituer « un
déclencheur privilégié, dans des situations d’appropriation linguistique difficile », à
plus forte raison s’il est bien ancré dans la culture extrascolaire des élèves, auquel
cas l’enseignant pourra s’appuyer sur une sorte de transaction culturelle.

Du métissage au Message

Pour Manuel Boucher (1999), le rap ne se résume pas à l’expression des lascars
mais apparaît aussi – et surtout comme un objet potentiellement médiateur. « Forme
en évolution constante entre l’individuel et le collectif » (1999 : 10), il oscille entre le
particulier et l’universel et se veut porteur d’un message qui, « tel un miroir, renvoie
aux réalités quotidiennes » (13). Sur un plan artistique, ce message qui
« couvre plusieurs strates » ouvre une relation esthétique tout en étant un facteur de
cohésion du groupe sur un plan socio-culturel (14). En tant que performance, le rap
représente une œuvre ouverte et mouvante : « œuvre en mouvement où le
processus s’avère aussi important que le résultat auquel il mène. Le public n’est pas
passif, il est inclus dans le processus même. » (15) Si « l’identité musicale du rap est
multiforme et cosmopolite » (199), il apparaît alors comme un mode privilégié
d’interculture » (197). Manuel Boucher emploie ce terme d’interculture au sens où
l’on parle d’interlangue comme passerelle permettant l’accès à la culture, soit « une
culture facilement réappropriée par les jeunes issus de familles immigrées. » (197,
nous soulignons) La langue, comme la culture, semblent ici désinvesties, d’où la
nécessité d’une réappropriation.

Lapassade et Rousselot affirment l’essentialité du Message tourné vers l’autre :


« Avec le Message, le rap se trouve une vocation ; il ne parle plus, il dit. » (1998 : 108)

En effet, le rappeur dit « je » en pensant « nous » et « ce « je » collectif* est celui


d’une communauté, d’un cercle » (1998 : 90). Cette analyse rejoint celle de Bazin qui
insiste sur l’authenticité de la parole du rappeur et du message qu’il délivre, en jouant
sur la double acception de ce verbe : le rappeur livre un message et ambitionne de

568
« La tension monte », De la planète Mars, 1991.
201

délivrer les mots en « sortant des usages convenus et stériles pour développer une
parole vraie » (219), tout en délivrant ses pairs d’un certain nombre de maux :
« Travailler les mots est aussi une façon de travailler les maux, ceux de son
environnement. » (Bazin, 1995 : 223)
Il apparaît bien comme un médiateur : porte voix et porte parole, « il parle au nom
des sans-voix » (1995 : 230). « Je rappe pour ceux que la vie comprime » scande un
Rouda569, dont le cœur balance entre rap et slam.

Si le rap se caractérise par sa diversité – « Le rap s’inspire de tout, puise dans


tout et prend toutes les formes » (1995 : 270) – et sa réflexivité – « le rappeur parle
de soi en train de parler » (225) – le message dont il est porteur est nécessairement
adressé : le « je » est inséparable du « tu », et le « nous » du « vous », tandis que
« le eux et le ils déclarent une opposition entre le locuteur ou le groupe qu’il
représente et les « Autres ». « C’est pas moi, c’est les Autres… » déclame un Abd al
Malik570. D’une manière générale, l’activité poético-réflexive du rappeur est un autre
trait qui le caractérise : « Un des traits essentiels du rap, c’est qu’il se montre très
souvent en train de se faire. » (Lapassade & Rousselot, 1998 : 96) En témoigne cet
exemple issu du texte d’Ysae, rappeur-slameur marseillais :
« Si j’ déverse ces vers, / C'est qu'ils transgressent ces règles. »571

5.1.3. Des thèmes et des rimes : approche thématique, esthético-poétique

Mathias Vicherat a œuvré « Pour une analyse textuelle du rap français » (2001),
évoquant un problème de reconnaissance révélé par des propos « anti-rap » tenus
dans la presse (2001 : 17). Il nous rappelle que le rap, pour être apprécié
esthétiquement, gagne à être appréhendé dans sa globalité, à travers ses trois
dimensions : textuelle, mais aussi sonore et musicale, sans oublier la gestuelle. Par
la suite, l’approche s’avère essentiellement thématique. Le rapport au temps et le
rapport à l’espace font l’objet d’une étude approfondie mettant en relief certains traits
récurrents, dont la noirceur des propos (35) associée à la nostalgie d’un âge d’or qui
correspond à l’enfance ou à l’adolescence. Par ailleurs, l’auteur souligne l’importance
de l’ancrage dans un lieu de vie, un quartier qui fait souvent l’objet d’une
personnification : « le quartier est souvent présenté comme une entité vivante, une
569
Musique des lettres, 2007.
570
Gibraltar, 2006.
571
Notons que ce même texte, que l’on pourrait qualifier de néolyrique, comporte 19 occurrences au total de
pronoms personnels ou possessifs de la première personne du singulier.
202

personnalité agissante et consciente. » (41) La notion d’identité territoriale est


intéressante à plus d’un titre pour les rappeurs et la « fierté qu’ils expriment de venir
d’un département ou d’une ville spécifique » traduit une forme de reconquête ou de
réappropriation artistique « d’un territoire dont ils paraissaient
exclus économiquement et socialement » (47). L’intégrité, la vanité, le rapport à
l’argent, à la morale, à la religion sont autant de sujets abordés par Mathias Vicherat
comme des topos de l’écriture rapologique. Le rapport à l’argent génère une
fascination pour les marques qui peut se traduire par l’usage fréquent de la
métonymie. Par ailleurs, l’intimité et la vanité sont mises en avant via l’évocation
paradoxale des erreurs commises et des regrets ressentis. Quant à la religion, on
note une « proximité formelle entre l’énonciation des rappeurs et celle des
prêcheurs » (2001 : 75), déjà relevée par Lapassade et Rousselot. Au-delà de cette
approche thématique, Mathias Vicherat aborde quelques aspects formels en
soulignant que « le rap innove sur un plan formel en redonnant leur place aux mots »
(119). En tant que tel, il est le lieu d’une recherche sur le langage que Claude
Hagège (1996) n’a pas manqué de valoriser, voyant dans les rappeurs de « vaillants
défenseurs de la langue française ».

Pour le philosophe Christian Béthune (1999), le rap se caractérise au contraire


par une esthétique hors la loi. De fait, il manifeste l’« aspect ludique de l’œuvre »
(1999 : 11) « en réhabilitant l’espace de jeu dans le processus de re-production de
l’œuvre – conçue comme une performance du côté du créateur » (12). Du même
coup, le plaisir se trouve restauré du côté de la réception, tandis que la prestation
artistique est rapprochée de la performance sportive. L’invention verbale apparaît
comme le premier pas d’une transgression :
« De même qu’il réorganise les sons, le rap réinvente les mots et fait subir à l’invention
verbale un curieux mouvement de va-et-vient entre oralité et écriture, mettant sur pied
une stratégie poétique qui bouleverse l’idée reçue d’une exclusion mutuelle de genres
présupposés irréconciliables. » (1999 : 12)
En donnant droit de cité à des parlers marginalisés ou « culturellement dévalorisés et
jugés inaptes à occuper le terrain du poétique », tels que le Black english, le Black
american slang, ou encore l’argot ou le verlan, le rap traduit une réappropriation de la
langue (12). Cette émancipation linguistique s’étend d’ailleurs aux parlers régionaux
comme en témoignent les groupes Massilia Sound System ou encore les Fabulous
Trobadors qui mêlent français, anglais et occitan.
203

Si « la parole retrouve dans le rap le simple plaisir de dire » (1999 : 13), « Oralité
et technicité » (35) sont les maîtres-mots de cette esthétique. En effet, le rap est à la
fois technique dans les procédés d’écriture utilisés et technologique dans les moyens
musicaux mis en œuvre. Il est voyage entre oral et écrit :
« Les rappeurs sont des lettrés qui investissent l’écriture en y faisant prévaloir des
tournures langagières et des structures de pensée propres à l’expression verbale. Et
s’ils donnent l’impression d’écrire comme on parle, c’est que, bousculant les canons de
la sacro-sainte forme rédigée, ils voyagent sans complexe entre l’oral et l’écrit. » (1999 :
39)
Fruit du mixage, il est le lieu d’un brouillage des frontières et en tant que tel, tend à
accomplir une nouvelle transgression :
« Alors que, par le biais de l’école, la culture traditionnelle insiste sur la nécessaire
séparation des genres, les rappeurs induisent leur mutuelle contamination. » (1999 : 39)
D’une part « la référence explicite à l’écriture affleure en maints endroits » (40) ;
d’autre part, le rap réactive une dimension performative qui renvoie à ses origines.
Ainsi :
« le discours du rappeur conquiert, grâce à la technique, l’ubiquité de la forme écrite.
Désormais, les paroles ne s’envolent plus, elles se martèlent. » (1999 : 45)
Par l’usage de la répétition et d’un style formulaire572, le recours aux assonances et à
la scansion rythmique du propos, les rappeurs réinvestissent « une tactique oratoire
qui cherche à maintenir en éveil l’esprit du spectateur en stimulant sa mémoire » si
bien que « ce sont finalement les impératifs du discours qui confèrent au style oral sa
forme caractéristique. » (Béthune, 1999 : 48) Et le philosophe de conclure :
« le rap se charge d’ouvrir de nouveaux horizons et de faire vivre une culture en devenir
qui, sans renoncer aux ancrages de son oralité originaire, investit le champ de
l’expression poétique sous ses aspects les plus diversifiés. » (49)

Plus récemment, le journaliste et linguiste Julien Barret (2008) s’est attaché à


analyser les figures de style et autres traits poétiques inhérents à l’écriture
rapologique, à commencer par la paronomase qu’il identifie – à la suite de
Lapassade et Rousselot – comme la pierre de touche de cette esthétique : c’est la
« figure du rap par excellence » affirme-t-il (2008 : 72). Variante de la répétition, elle
produit un effet de surprise dû à une « indécision quant à la localisation de l’écho
phonique » :
« Au caractère convenu de l’association sonore réalisée par la rime, j’oppose l’aspect
mystérieux, brut et subtilement efficace de la paronomase. » (2008 : 73)

572
Qui renvoient à des caractéristiques générales de la poésie orale telles que nous les avons évoquées dans le
précédent chapitre. Voir Zumthor (1987 : 218) pour la notion de « formulisme ».
204

Il en résulte des « cascades de paronomases » et autres rimes équivoquées


appariant des syntagmes « dont l’identité sonore renforce l’opposition sémantique »
(41). Au sein du rap egotrip, le je du rappeur est au cœur du jeu :
« Le je égocentrique dont il vient d’être question s’inscrit dans un jeu : il s’agit de briller
en utilisant une langue imagée, émaillée de toutes sortes de procédés phoniques. » (44)
A cette occasion, le MC (« Maître de cérémonie ») répète et épelle avec emphase
son nom – son blaze* selon la formule consacrée, empruntée au vieil argot573 –
comme le taggeur appose sa signature sur les murs de sa ville. Julien Barret note
que la figure de l’à-peu-près (98) – très utilisée par les humoristes – est fréquente
dans l’egotrip. Si l’enchaînement virtuose de paronomases peut aboutir à « un
sentiment de vertige sonore » (117), cette fluidité n’a d’égale que le flow* du rappeur
qui se déploie à l’intérieur d’un cadre rythmique souvent binaire. D’où une « structure
fermée, contraignante qui participe de l’esprit de contrainte propre à l’esthétique de
l’egotrip » (122). En d’autres termes :
« le rythme s’apparente à un cadre très rigide au sein duquel le flow* du chanteur serait
comme une onde faite de vaguelettes, avec ses points d’accumulation, ses
accélérations et ses pauses. » (2008 : 124)
Art mimétique574 porté par un flow*, le rap consacre un retour aux sources de la
poésie :
« Ce sont finalement les deux éléments fondateurs de la poésie que le rap réactive : la
rime et le rythme » (2008 : 163)575
Et Julien Barret de conclure avec cette théorie de la littérarité appliquée à l’art en
évoquant l’artisticité d’un Genette ou l’artisation d’un Molinié576 dans la lignée d’un
Zumthor (1983 : 38), traduisant la capacité d’un objet à accéder au statut d’œuvre
d’art à travers le regard du spectateur :
« Désormais, tout est matière à œuvre d’art, tout est artisable et l’existence de l’art est
conditionnée par le regard et la réception du lecteur-spectateur-auditeur. » (2008 : 162)

573
Voir notre chapitre 3 à ce sujet.
574
Ce mimétisme nous semble lié à ce que Frontier (1992 : 266) nomme « écriture paronomastique » (voir
supra) et pourra aller, dans le slam, jusqu’à la mise en œuvre d’une matrice onomatopéique (voir chapitre 7).
575
Une resémantisation du lexème « Rap » en fait un sigle pour « Rhythm And Poetry » (voir chapitre 6).
576
George Molinié a dirigé le travail de recherche de Julien Barret sur le rap en DEA.
205

5.2. Entre rap et slam : influences, confluences et diffluences

5.2.1. Du rap au slam : une question de légitimité

Le philosophe Richard Shusterman a choisi d’intituler son chapitre « l’art du rap »


bien que « sa prétention à un statut artistique (soit) submergée sous le flot des
critiques, des actes de censure et des récupérations commerciales. » (1991 : 193). Il
en appelle à une légitimation du rap, « débat que seul l’avenir permettra de
résoudre » précise-t-il (1991 : 231). Près de 20 ans plus tard, Julien Barret a apporté
une contribution à l’ouvrage collectif* intitulé La langue littéraire à l’aube du XXIème
siècle (2010), sous le titre « Stylistique du rap et du spoken word : un retour à la
tradition poétique française ». Après une mise au point terminologique, il évoque le
« problème générationnel et socioculturel » posé par la réception du rap. Bien que
« les rappeurs (soient) victimes d’un double discrédit par rapport aux slammeurs577 »,
le rap témoigne à ses yeux « d’une littérarité première, matérielle, facilement
observable ». (2010 : 81) Julien Barret préfère le terme de spoken word à celui de
slam dans la mesure où ce dernier s’applique dans son acception originale – ou l’une
de ses acceptions, apparentée au mot chelem – au dispositif, au tournoi de poésie à
proprement parler. Il postule que la stylistique du rap s’applique au moins
partiellement aux textes de slam puisque certains slameurs sont précisément issus
de la scène rap et revendiquent une écriture rapologique. Qu’il s’agisse de rap ou de
slam, « les moyens de cette poésie orale sont mimétiques ». Or c’est essentiellement
de mimétisme sonore qu’il s’agit :
« faire résonner la langue, s’entrechoquer les sons, marquer l’auditoire avec des
manipulations langagières qui fassent sursauter l’oreille » (2010 : 83)
D’une manière générale, les slameurs comme les rappeurs usent et abusent de jeux
de mots, qui émergent « à la croisée du phonétique et du sémantique » (83).
« Technique, structure, forme » : tels sont, d’après Julien Barret, les maîtres mots de
la poétique du rap et du slam. En admettant qu’un certains nombre des techniques
mises en œuvre soient communes, des divergences nous paraissent notoires, sur un
plan fonctionnel, structurel et formel. Julien Barret revient d’abord sur la scansion et
la diction propre au rappeur :
« Celui-ci ne chante pas, il scande : cette modalité orale est baptisée flow, (de l’anglais,
couler), sorte d’équivalent rythmé du chant. On pourrait dire du flow qu’il est au rap ce

577
Julien Barret orthographie ainsi le mot slammeur, par analogie avec le mot rappeur, soit en le calquant sur
l’anglais. Voir notre chapitre 6 à ce sujet.
206

que le chant est à la chanson, à ceci près qu’il procède de l’accentuation et du rythme
quand la chanson repose sur la mélodie. » (2010 : 84)578
Nous reviendrons sur ce concept de flow* qui nous semble tout autant applicable au
slam, à cette différence près que la voix du slameur – sauf exception579 – n’est pas
« posée sur l’instrumental ». Pour Julien Barret, le rap innove là où le slam exprime
le retour « à un certain classicisme, en instituant à nouveau la nécessité des rimes
pour marquer la fin des mesures, puisqu’aucune version instrumentale n’est là pour
assurer la base rythmique de la performance » (2010 : 86). Nous verrons que le slam
innove en bien d’autres aspects que celui de la versification. Après un détour par
l’egotrip – haut lieu de la parole performative – les punchlines580 et autres dirty
dozens581 propres à l’écriture rapologique, Julien Barret observe que les métaphores
sont plus fréquentes dans le slam – la « poésie orale » –, alors que les comparaisons
des rappeurs sont « à la fois moins convenues et littéraires que celles des poètes-
slameurs » (92). Il évoque enfin une oscillation entre tradition et modernité qui nous
semble tout autant apte à rendre compte du slam que du rap :
« Au-delà d’un certain classicisme formel, les traits stylistiques les plus modernes dans
le rap semblent être le recours à la paronomase et à une parole performative. » (93)
Il rappelle que le mouvement hip-hop procède d’une esthétique de la compétition où
prime la recherche d’efficacité. Il s’agit de choquer l’auditeur, d’où un art « parfois
mimétique de la boxe ». Si cette image et « l’élan cathartique et libérateur » qu’elle
traduit n’est pas étranger aux origines du slam, ce dernier nous paraît moins
révélateur d’une violence verbale qui s’exprimerait par un cataclysme selon le mot
d’Aragon dans son Traité du style. De là à conclure, avec Julien Barret, que le slam
est « danse avec les mots » (2008 : 22) plutôt que « boxe avec les mots » (Arsenik),
il n’y a qu’un pas...

578
Voir notre glossaire.
579
A commencer par Abd al Malik qui accorde beaucoup d’importance à la musique et se voit catégorisé
comme « chanteur ».
580
Ce terme désigne les phrases choc, drôles, percutantes que les slameurs échangent en forme de joute.
581
Blagues versifiées et rimées qui cherchent à décontenancer l’adversaire.
207

5.2.2. Un lieu de réflexivité ou comment les slameurs se démarquent des


rappeurs

Les slameurs qui aiment à se présenter comme « cracheurs de rap porteur (…),
tchatcheurs en rade auteurs »582 s’inscrivent-ils pour autant dans la filiation du rap ?
Certes, des références à la culture hip-hop affleurent dans les textes de slam. « Mon
Hip Hop m’accompagne de la ville à la campagne » déclame Rouda qui se définit
comme rappeur de gouttière583 :
« C’est juste un rappeur de plus sur Paris
Une brindille qui a poussé dans un couloir de bus »584
Dans son évolution du rap au slam, l’écriture est le dénominateur commun :
« J’ai tellement répété mes textes que je suis le premier à m’en lasser
Pourtant ma vie sans l’écriture, c’est comme une chaussure sans lacets
J’ai tellement rappé et slamé que mes lèvres sont toutes gercées. »585
Qu’il soit catégorisé comme rappeur ou slameur, Rouda se définit essentiellement
comme poète : « Je suis un rappeur qui se dit poète et je fais plein de trucs avec les
mains ». Il semble reléguer la musique au second plan : « Poète a capella qui parle
debout qui tente le coup ». La question de la légitimité émerge ici en maints endroits,
à travers les représentations associées aux rappeurs :
« On a beau être rappeurs sans oublier d’être bête
Peut-être slameurs pour les esthètes (…) »
Et le slameur de conclure son texte non sans humour :
« Appelez ça du rap de la soupe du spectacle ou du slam
Ça reste et restera sauvage car nos lyrics nos textes s’abattent sur la table »
L’emploi du terme lyrics (pour « paroles ou textes ») suivi de sa traduction relève
bien de ce que Cyril Trimaille (1999) désigne comme un technolecte du rap,
essentiellement construit sur la base d’emprunts à la langue anglaise. Dans ce
même texte de Rouda, les nombreuses occurrences – synthétisées dans le tableau
suivant – semblent corroborer l’hypothèse d’une filiation avec la culture hip-hop :

582
Barbie tue Rick & Marco DSL, « Slam obsession » (2006)
583
« Le conte des 1001 peines », Musique des lettres, 2007.
584
« Donnez-moi ma chance », op. Le mot « brindille » fait ici référence à la signification du blaze « Rouda ».
585
« Train de vie poétique », op.cit.
208

Mot anglais (emprunt) Formation Définition Nombre


d’occurrences
le mic double apocope : microphone ou « Magic 5
microphone → micro Instrument Combat »
prononcé [majk]
→ mic (p.474).
les backs apocope pour « appuis des rappeurs (…) 1
« background » sur certains mots ou
phrases du rappeur
principal. » (p.467)
le MC siglaison le « Maître de Cérémonie » 2
(p.474)
le beat dérivé du verbe to « le rythme, mesure ou 1
beat tempo qui structure un
morceau musical » (p.468)
le break apocope pour « prolongement d’un break 1
« breakbeat » instrumental grâce au
double enregistrement d’un
même morceau. » (p.468)
le flow* Cf verbe to flow « le style, la manière de 2
rapper qui révèle toute la
finesse, la créativité du
MC » (p.471)
les lyrics Cf adjectif lyric « textes, paroles des 1
rappeurs » (p.474)

Tableau 10 : Les mots empruntés au technolecte du rap et leurs définitions d’après Manuel
Boucher (1999)

En outre, ce texte apparaît fondamentalement métissé du fait de l’intégration de


variations inter et intralinguales, les deux pouvant d’ailleurs se conjuguer à la faveur
d’une combinaison bimatricielle (Tournier, 1988 : 156). A titre d’exemple, un babtou
est le terme verlanisé pour toubab (« français de souche »), dérivé de l’arabe tebib
selon le dictionnaire de Goudaillier (1997 : 177). Si certains éléments semblent
relever d’une esthétique rap, comme l’épellation du blaze* – « J’te répondrai le R le
O le U et j’ajouterai le D le A » – d’autres attestent d’une distanciation via
l’humour des parenthèses discursives :
« Stop ! Tu vas voir un babtou qui joue là son va-tout
Mmmh pardon pour la quinte de toux
Tais-toi où vas-tu t’étais où t’es pas fou
Cet été on t’a vu en tutu faut que t’avoues » (nous soulignons)
Le sens se dilue progressivement au profit des jeux de mots et autres figures comme
ce chiasme :
« Rien à branler rien à foutre à part foutre des branlées »
Au vu du titre (« Les blancs ne savent pas rapper »), on comprend alors que Rouda
se saisit de ce cliché pour pasticher le style des rappeurs dont il se démarque :
209

« Paraît que les blancs savent pas rapper mais passez moi le mic’
Une p’tite minute a capella laissera plus d’un MC stoïque »
Cet autre texte de l’album Musique des lettres (2007) résonne comme un pastiche de
l’egotrip586 :
« Entre rappeurs c’est la coutume à un moment faut qu’on s’la pète
Malheureusement j’ai pas le costume et aucune tresse sur ma tête
Je dis toujours « je » et parle de moi au singulier »
Ce slam s’intitule « Je suis un grand mytho » ce qui traduit, là-encore, la distance
prise avec les topoï, lieux communs ou codes propres au rap. Enfin dans « Merci
maman », le slameur/rappeur semble prendre le contrepied des dirty dozens587 qui
consistent en insultes adressées à la mère de l’adversaire :
« Merci à toi, pour le toit, pour tout et pour le temps que t’aurais passé pour toi.
Maman, j’te remercie tous les jours, même si le gosse que j’suis toujours
T’a causé des soucis, accepte ce récit d’amour »
A l’instar d’un Rouda ou d’un Oxmo Puccino dix ans plus tôt588, Grand Corps Malade
remerciera chaleureusement « Pères et mères » (2008, voir supra).
Si une partie des thématiques abordées dans le slam recoupe les topos propres
au rap, les slameurs se singularisent donc en abordant d’autres sujets ou en tournant
en dérision certains traits voire certains travers du rap. A cet égard, le titre du texte
de Rouda « Parlez-moi d’amour » constitue un paradoxe éloquent. Ce texte consiste
en l’énumération de sujets graves tandis qu’une voix off chuchote en forme de
refrain « Parlez-moi d’amour » comme une alternative du poétique au polémique ou
au politique :
« Tu veux que je te parle des 39 heures d’un standardiste
Du ventre vide d’un Rmiste du sourire satisfait de nos patrons sinistres »
On voit ici en quoi le slam se différencie potentiellement du rap en termes d’horizon
d’écoute : la dimension polémique tend à s’effacer au profit d’un lyrisme
contemporain. Grand Corps Malade exprime à son tour cette envie de changer de
registre dans un texte qui se construit à rebours de la noirceur inhérente au rap :
« Je voulais pas écrire un texte « petite maison dans la prairie »
Mais j’étais de bonne humeur et même mon stylo m’a souri
Et puis je me suis demandé si j’avais le droit de pas être rebelle
D’écrire un texte de slam pour affirmer que la vie est belle » 589

586
Pour Julien Barret, il s’agit d’une « forme de rap dans laquelle le MC cherche à prouver aux autres qu’il est le
meilleur, à travers des vannes et des rimes percutantes » (2008 : 179)
587
Julien Barret les définit comme « vannes rimées et versifiées qui ont souvent pour objet la mère ou la
famille de l’adversaire qu’il s’agit de faire sortir de ses gonds » (2008 : 178)
588
« Mama Lova » (Sad Hill, 1997) est un texte du rappeur au sein duquel il rend hommage à sa mère. On en
retrouve certaines formules dans le slam de GCM : « Grandir sans père c'est dur même si la mère persévère ».
589
« Je dors sur mes 2 oreilles », Midi 20, 2006.
210

A contrario, on retrouve dans un certain nombre de ses textes des topoï ou lieux
communs du rap, à commencer par la nostalgie de l’âge d’or – enfance ou
adolescence – dans un slam comme « Rétroviseur » (2008). L’ancrage dans un lieu
de vie, doublé d’une personnification de ce lieu, est tout aussi fréquent :
« J’voudrais faire un slam pour une grande dame que j’connais depuis tout petit
J’voudrais faire un slam pour celle qui voit ma vieille canne du lundi au samedi
J’voudrais faire un slam pour une vieille femme dans laquelle j’ai grandi » (2006)
De fait, le souci de réhabiliter la cité dont il est originaire (« Saint Denis ») résonne
comme un leitmotiv dans « Vu de ma fenêtre » (2006) ou « Je viens de là » (2008).
Le slameur saisit alors l’occasion de rendre hommage au rap :
« Je viens de là où on aime le Rap, cette musique qui transpire
qui sent le vrai, qui transmet, qui témoigne, qui respire
Je viens de là où y’a du gros son et pas mal de rimes amères
Je viens de là où ça choque personne qu'un groupe s'appelle Nique Ta Mère »
Enfin, l’évocation paradoxale des erreurs commises et des regrets ressentis
(Vicherat, 2001 : 67) trouve une illustration dans le texte « J’ai oublié » (2006). Le
slameur garde néanmoins un regard lucide la « mise en avant narcissique du moi »
(Vicherat, 2001 : 109) qui caractérise l’egotrip :
« Dans ces vers, j’ai oublié d’arrêter de parler de moi
J’ai oublié de m’oublier comme un premier samedi du mois
J’ai l’impression de me mettre à poil depuis bientôt un quart d’heure
Sur ce coup là j’ai oublié de garder pas mal de pudeur »

Le schéma ci-dessous représente les principaux points de confluence et de


diffluence entre rap et slam :

RAP SLAM

Musique (beat) Texte a capella

Rythme binaire Thématiques

Featuring, dédicace Interdiscusivité

Flow* délimité, régulier Intertextualité

Gestualité codifiée Flow* et gestuelle libres

Figure 3 : Points de convergence et de divergence entre rap et slam


211

5.2.3. Une quête d’identités (individuelle, collective, artistique)

L’ego slam ou l’expression d’une identité complexe

A l’instar de l’ego rap (Trimaille, 1999) où le rappeur se prend pour sujet de son
texte, l’ego slam n’est pas rare. A cet égard, le choix du pseudonyme « Narcisse »
par le slameur suisse semble révélateur590. En d’autres termes :
« Il est entendu que les slameurs parlent de tout, mais surtout d’eux-mêmes. »
(Martinez, 2007 : 16)
Dans leurs textes, cela se traduit par l’omniprésence du « je » que l’on peut vérifier à
partir du relevé suivant, appliqué à un seul et même texte de 54 lignes :

Nomenclature Formes relevées Nombre d’occurrences


Pronom personnel Je / j’ 27
(forme atone)
Pronom personnel Moi 2
(forme tonique)
Adjectif possessif mes 14
Total 43
Tableau 11 : Relevé des occurrences du « je » dans le texte « Slam » de « Tô »591

La fonction expressive est ici prégnante, dans un texte où la force des mots jaillit de
la structure phonétique et rythmique qui les porte.

Nombreux sont les slameurs qui témoignent d’une identité – ou d’identités si l’on
tient compte du caractère polymorphe d’une notion qui intègre les aspects ethniques,
nationaux, religieux, sociaux, générationnels – problématique. Cette identité plurielle
« bricolée » – selon la formule de Jacqueline Billiez (1996 : 130) – est néanmoins
« montrée et soutenue par les différents jeux de langues et les stratégies langagières
mises en œuvre dans l’expression musicale contemporaine » : « Jouer avec
désinvolture de cette identité qui me fuit (…) Car de toute façon, je ne sais
absolument pas qui je suis » slame Catel Tomo dans un texte intitulé
« Anonyme »592. D’une manière générale, l’identité dont ces slams portent
l’empreinte ne saurait être appréhendée comme une réalité homogène et stable. Le
texte d’Abd al Malik intitulé « Mourir à 30 ans » – dont le titre interpelle d’emblée –
reflète cette instabilité. Il est entièrement construit sur une structure anaphorique
mettant en relief contrastes et paradoxes autour du thème central « Un jour je suis » :
« Un jour je suis noir
Un jour je suis blanc
590
Voir l’enquête renseignée par ce slameur en annexe III.7.
591
Le slam poésie urbaine (2006 : 4) : voir en annexe II.2.
592
Ibid. (2006 : 22).
212

Un jour arc en ciel


Un jour j’suis grisonnant (…)
Un jour chez les bourges
Un jour chez les cailles » 593
Du fait de cette structure répétitive, le rythme se fait martelant puis s’accélère, la voix
devient grinçante : il en résulte une impression d’enfermement, d’oppression. Un tel
texte semble le reflet d’un état d’instabilité qui peut être analysé en lien avec le
départ du père évoqué dans d’autres textes comme « Lettre à mon père » (2004) :
« Malgré l’absence de mon père j’ai quand même grandi
Y’a pas de chance ni de malchance c’est juste la vie
Et si j’ai écrit cette lettre c’est pour te le dire
L’amour pas la haine pour reconstruire »
Ainsi la structure de ce poème traduit-elle un morcellement identitaire potentiellement
lié au départ d’un père, ainsi qu’au sentiment de « se sentir étranger chez soi ».
Abordant le thème du retour au pays à travers le personnage du « Grand frère »,
Abd al Malik (2007) évoque cette difficulté :
« Au pays on lui dit : T’es un blanc maintenant, ça s’voit que tu connais pas la misère »
Dans Qu’Allah bénisse la France (2007), il décrit en termes d’aliénation le malaise
identitaire dont sont victimes de nombreux expatriés :
« La vie de ces expatriés du Congo et du Zaïre oscillait entre vice et vertu, entre espoir
et résignation. Pour la plupart, la France était un théâtre, une scène figée, où ils étaient
à peine acteurs ; eux n’étaient plus que des bouts d’Afrique vidés de son esprit et jetés à
la dérive. C’est sur le terreau de la cité, en me nourrissant de cette culture aliénée, que
je devais grandir. » (2007 : 20)
De fait, l’identité apparaît inévitablement fragilisée par la rupture migratoire :
« L’émigration, comme tout changement important de la position sociale objective du
sujet, met inéluctablement en cause les sentiments sociaux d’appartenance, et partant
de là, le sentiment d’identité. »594
Les alternances codiques relevées au sein de l’œuvre d’Abd al Malik reflètent cette
complexité du positionnement identitaire. Après un détour par la langue arabe –
portée par la voix chantée de Souad Massi dans le texte « Fleurs de lune » (2004) –
le rappeur/slameur/chanteur d’origine congolaise a introduit une micro-alternance en
alsacien dans son album Dante (2009) :
« Et on discutera sans doute à l’infini, dans les cités comme dans les salons, sur Conte
alsacien, dans lequel il prend soudain la parole en langue alsacienne – une audace
jamais tentée dans la variété française, assumée en 2008 par un Noir d’origine
congolaise qui revendique tranquillement être alsacien. »595

593
AAM, « Mourir à trente ans », Gibraltar, 2007.
594
CALIN, «Construction identitaire et sentiment d’appartenance» (article consulté en ligne, voir en sitographie)
595
Article consulté sur le site de RFI musique (voir notre sitographie)
213

Choix d’autant plus significatif qu’Abd al Malik a choisi de donner à son album le
nom de l’un des premiers auteurs à avoir écrit en italien, soit dans la langue du
peuple. Notons que cette alternance codique est suivie de sa traduction en français
au sein d’un refrain bilingue :
„Mr dat seye s’elsass von Brazza bis Kinshasa.
Mr dat seye s’elsass von Oujda bis Tlemsen.
Mr dat seye s’elsass do wo d’harze sich versteckle.
Mr dat seye s’elsass do wo d’ard er harz het.”596
De la même façon, Souleymane Diamanka aime à se présenter comme « peul
bordelais aux cordes vocales barbelées » ce qui traduit, au-delà du jeu de
paronomase, la revendication d’une double appartenance :
« Leur ambition est humaine, ils ont réussi le plus dur
Voir leurs enfants grandir en France et devenir des sculptures
D’adultes debout en équilibre sur deux cultures »
Au sein du texte éponyme de son album intitulé « L’Hiver Peul », le slameur décrit
avec émotion son « baobab généalogique » et « les orages identitaires (qui) abîment
son écorce » :
« Nous sommes loin de là où nous sommes nés
Dans une brousse urbaine et hostile
Capable de dresser la barrière de la langue
Au sein d’un foyer comme un désaccord au sein d’une ligue
Alors que les mots sont presque le seul héritage que les parents lèguent » (slam cité)
Et la langue peule – via la voix lointaine de son père – de résonner sur plusieurs
morceaux de l’album : « Si seulement je pouvais vous traduire / Ce que mon père
est en train de dire »

On retrouve chez Rouda, notamment dans ce texte dédié à sa mère, le thème du


père dont l’absence laisse une empreinte douloureuse :
« La vie est faite de choix difficiles à assumer
Tu es parti laissant tes deux fils ici assommés (…)
Et les autres me demandaient pourquoi je ne dansais pas
Je leur disais seulement que moi j’avais pas le cœur à ça
Ça cicatrise les blessures mais une famille sans père n’en est plus une c’est une
cassure »597
Poursuivant son ego slam dans son texte intitulé non sans humour « Je suis un
grand mytho », Rouda décrit l’écriture en termes de réparation, comme la sublimation
possible d’une souffrance profonde :
« J’écris pour moi faut pas que je me noie c’est comme une bouée de sauvetage »

596
« On dirait l’Alsace de Brazza à Kinshasa. / On dirait l’Alsace d’Oujda à Tlemsen. / On dirait l’Alsace partout
où les cœurs se terrent. / On dirait l’Alsace où la terre a un cœur. » (« Conte alsacien », Dante, 2009).
597
« Merci Maman », in Musique des lettres, 2007.
214

Tout se passe comme si l’écriture, la mise en mots et en texte, permettait une forme
de restructuration, de recomposition, là où l’identité a été morcelée et fragilisée :
l’identité narrative (Ricoeur, 1998) semble avoir permis une médiation salvatrice598.
Notons d’ailleurs le paradoxe inhérent au concept même d’identité : être à la fois
semblable (du latin idem) et différent, unique et pareil aux autres (Lipiansky, 1992).
En allant plus loin, on pourrait analyser « comment le souffle à l’œuvre dans le Rap
et le Slam peut véhiculer quelque chose du père symbolique » (Tyszler, 2007)599,
mais tel n’est pas notre propos aujourd’hui. Nous retiendrons néanmoins que « le
souffle prosodique du Rap et du Slam (…) porte quelque chose de la marque d’une
origine, d’une transmission. » Nous pourrions ajouter : d’une quête identitaire, dont le
choix du blase* – où l’absence de blase* comme marque de cette filiation –
constitue un premier indice.

La quête d’une identité artistique : du blase* au nom de collectif*

Lapassade et Rousselot (1998) ont attiré notre attention sur une esthétique des
pseudonymes (91) et sur la fonction cryptique qu’ils peuvent assurer :
« Le déchiffrement du nom du rappeur est bien souvent une gageure pour « celui qui ne
sait pas »(…) Plus encore, l’argot pose une frontière, celle que ne peuvent franchir les
non-initiés. » (1998 : 91)
Nous reviendrons sur cette question dans la mesure où le choix des pseudonymes
représente dans le slam un haut lieu de créativité lexicale600. Les exemples abondent
dans ce sens tels YSAE, nom de graffeur et anagramme (ou métaplasme selon la
terminologie de Molinié) de EASY. Au-delà de cette fonction cryptique, le choix d’un
blase* peut avoir valeur d’emblème, ou émaner d’une volonté de se singulariser, de
« s’affirmer comme différent face à un ensemble social uniformisé. » (Boucher,
1999 : 426) En tout état de cause, ce choix apparaît déterminant sur un plan
identitaire601 comme sur un plan poétique : ce faisant, le slameur ou la slameuse
affirme et affiche ses appartenances, mais aussi son identité scénique ou artistique.
Jacqueline Billiez a analysé le « pouvoir magique » du pseudonyme (1998b : 12), qui
pourra assurer une « variation identito-ortho-ludo-graphique » dans le hip-hop (125) :

598
Paul Ricoeur la définit comme « la sorte d’identité à laquelle un être humain accède grâce à la médiation de
la fonction narrative » : « l’interprétation de soi, à son tour, trouve dans le récit, parmi d’autres signes et
symboles, une médiation privilégiée. » (Article consulté en ligne, revue Esprit, voir en sitographie).
599
Article consulté en ligne, non paginé.
600
Voir à ce sujet notre chapitre 7.
601
En témoignent les blases qui relèvent d’emprunts à des langues étrangères (Rouda, Nada, Neggus…) ou de
filiations (Narcisse a choisi le nom de son grand-père). Voir à ce sujet notre chapitre 3.
215

notons que le détour par une identité fictive s’avère essentiel dans le slam où la
fonction cryptique n’est pas aussi pertinente que pour les tags, d’où le potentiel
créatif voire poétique du pseudonyme. Bazin (1995 : 190) précise qu’« il doit être
court (2 à 3 syllabes maximum), et posséder une sonorité agréable à l’oreille, facile à
mémoriser ». De fait, un certain nombre des pseudonymes choisis par les slameurs
nous semblent conformes à ces exigences – Bas, RiM, Dgiz, Ysae, Rouda, Souley –
et font l’objet de jeux graphiques602 autant que phonologiques. Cette question des
blase*s se prolonge dans le slam à travers la notion de collectif* qui nous semble
représentative des solidarités et des liens qui se tissent au sein de la slam family. De
fait, de nombreux noms de collectif*s attestent de cette quête d’une identité collective
ou groupale : « Slam tribu », « La tribut du verbe », « La rime team »… Ainsi :
« Loin d’être une utopie, c’est déjà une réalité : le slam de poésie rassemble »603
La quête de solidarités ou le phénomène d’interdiscursivité

Dans le « Conte des 1001 peines » (2007), Rouda laisse libre cours à une
écriture lyrique qui fonctionne « comme un gilet pare-balle » :
« J’ai usé mille et une consonnes pour mille et une syllabes
Epuisé le verbe sous toutes ses formes pour en tirer les plus belles fables
Car ce qui nous tue pas nous rend plus fort comme dit si bien Grand Corps malade »
Cette dernière citation témoigne d’une forme de solidarité entre slameurs qui se
traduit par un phénomène que nous qualifierons d’interdiscursivité. De fait, les
slameurs se citent ou s’interpellent fréquemment entre eux et semblent en quête
d’une identité collective contenue en germe dans l’idée de slam family. Ainsi,
Souleymane Diamanka dans le texte qui constitue le prologue de L’Hiver Peul
décline son titre « Les poètes se cachent pour écrire » sous la forme d’un refrain
évolutif intégrant trois interpellations successives (nous soulignons) :
« Les poètes se cachent pour écrire
C’est pas une légende Rouda regarde nous (…)
C’est pas une légende John Banzaï regarde nous (…)
C’est pas une légende Grand Corps Malade regarde nous »
En entretien, le slameur a explicité le rôle de ces « interventions circonstancielles »
(Zumthor, 1987 : 160) qu’il adapte à la situation de communication, au contexte :
« Des fois, je peux laisser des prénoms à l’intérieur : « Les poètes se cachent pour
écrire, c’est pas une légende, euh… Etienne, regarde-nous. » Selon à qui je dis le texte,
je peux rajouter des éléments.»604

602
Voir par exemple le bloc-notes de Souleymane Diamanka en page 50.
603
Dossier Ligue Slam de France consulté en ligne (voir en sitographie).
216

Ce phénomène d’adresse se distingue des dédicaces et du featuring605, ou encore


de l’insert606, pratiques courantes dans le rap et occasionnelles dans le slam607, et
traduit un réseau de solidarités qui s’étend bien au-delà des « collectifs* » de
slameurs constitués comme tels. Nous avons schématisé ce réseau ci-dessous,
autour de cinq slameurs majeurs de notre corpus 608 :

« Le meilleur ami des mots »

1
SD JB
1 3

8 1 4 2
GCM
7

5 9
R L
6

129H
Figure 4 : Une représentation de l’interdiscursivité entre cinq slameurs609

Au vu de ce schéma, force est de constater que le phénomène d’interdiscursivité


dépasse les relations au sein d’un même collectif*. Si Grand Corps Malade
représente un pôle central, les deux slameurs Rouda et Souleymane Diamanka se
distinguent en tant qu’ils entretiennent des relations interdiscursives privilégiées et

604
Entretien du 24/09/10, voir en annexe III.9. Voir aussi notre chapitre 14 à ce sujet.
605
« On parle de featuring lorsqu’un artiste en invite un autre à collaborer » précise Julien Barret (2008 : 179).
606
« Les inserts sont toutes les paroles (ou les bruitages, ou les musiques de fond) généralement non
imprimées dans le livret accompagnant le disque, insérées entre deux titres, voire au cœur d’une chanson, et
qui ne font pas partie de ce qu’on entend traditionnellement par ‘chanson’ » (M.Gasquet-Cyrus, 1999 : 124)
607
GCM recourt à l’insert au début du texte « ça peut chémar » (2006) : on entend alors un message sur un
répondeur en guise de prologue. Rouda (2007) dans « Pardon Docteur » recourt à la polyphonie pour donner la
parole au docteur qui finit par s’indigner : « Nous ne sommes pas dans un cabinet de musique ! »
608
Cette représentation du réseau interdiscusif entre 5 slameurs rend compte d’une part des featuring ou duos
(symbolisés par une flèche double), d’autre part des interpellations ou adresses (flèche simple).
609
Grand Corps Malade, Souleymane Diamanka, John Banzaï, Rouda, Lyor. Les flèches épaisses indiquent
l’appartenance à un collectif commun, les flèches fines représentent les textes supports des références
interdiscursives, soit :
1. « Les poètes se cachent pour écrire » (SD, 2007)
ème
2. « Au bout du 6 silence » (SD, 2007)
3. « Soleil jaune » (SD, 2007)
4. « Dernière cartouche » (R, 2007)
5. « Juste une période de ma vie » (R, 2007)
6. « Paris canaille » (R, 2007)
7. « Parole du bout du monde » (GCM, 2006)
8. « Les poètes se cachent pour écrire » (R, 2007)
9. « Mental » (GCM, 2008)
217

apparaissent comme vecteurs d’interdiscursivité. En outre, la mise en relation de ces


textes traduit une forme d’intertextualité, certains textes se faisant explicitement écho
d’un slameur à un autre. A titre d’exemple, le titre de Rouda « Les poètes se cachent
pour écrire » répond à celui de Souleymane Diamanka qu’il interpelle dans ce même
texte et dont il reprend le titre610. De même, le titre de Souleymane « Au bout du 6ème
silence » sonne comme un écho au « Sixième sens » de Grand Corps Malade, avec
lequel il interprète ce texte en duo. Ce constat nous paraît significatif d’une
interaction inhérente au slam en tant que créateur de liens. Ainsi, les slameurs
interagissent entre eux, fût-ce en dehors de la présence de l’autre en l’intégrant dans
leurs textes.

Par ailleurs, le phénomène d’intertextualité (Genette, 1982 : 8) excède le réseau


que nous avons présenté comme un échantillon représentatif mais non exhaustif. Il
peut s’agit d’une part d’une intertextualité que nous qualifierons d’externe ou
hypertextualité (Genette, 1982 : 11) – « le cancre » de Prévert sert d’hypotexte à un
texte de Damien Noury611 – ; d’autre part d’une intertextualité interne à l’œuvre d’un
slameur. Cette dernière forme pourra se traduire par une référence plus ou moins
explicite : « Fini de faire l’intéressant avec mes voyages en train » (GCM, 2008612).
Le slameur Frédéric Nevchehirlian a scindé en deux l’un de ses textes fleuves, dont il
a intégré la première partie à son second album, tandis que la seconde partie
constituait l’un des morceaux de son premier album613. La flèche suivante représente
cette linéarité inverse entre les dates de sortie des albums et la macrostructure d’un
texte dont la fin a été révélée avant le début, afin de créer une attente :

La mer sait décliner les bleus (2) « La mer » (1)


2005 2009

Figure 5 : Représentation de l’intertextualité interne à l’œuvre de Frédéric Nevchehirlian

610
Voir l’illustration vidéo du présent chapitre (Rouda) et celle du chapitre 14 (SD).
611
« Erythèmes impudiques », Slam entre les mots (2007 : 105).
612
« Comme une évidence » (Enfant de la ville, 2008), fait référence aux « Voyages en train » (Midi 20, 2007).
Voir à ce sujet notre chapitre 10.
613
« La mer sait décliner les bleus » (2), Vibrion (2005), « La mer » (1), Nevchehirlian (2009). Voir à ce sujet
l’entretien que ce slameur nous a accordé en annexe III.5.
218

Si la quête d’une identité collective et artistique se manifeste, dans le slam


comme dans le rap, à travers les phénomènes d’interdiscursivité et d’intertextualité,
cette identité ne se construit pas, s’agissant du slam, comme un we code en
opposition à un they code selon la distinction établie par Gumperz (1982). A
contrario, les slameurs semblent viser l’établissement d’un dialogue comme le
suggère le titre « Je parle votre langue » d’un Rouda (nous soulignons). Certes, le
slameur commence par évoquer les réticences que le rap a rencontrées sur sa route:
« On la parle en la criant certains diront en l’aboyant
Les poètes sans moyens savent aussi être flamboyants
On avance en louvoyant mais en nous voyant vous vous dites encore une langue de
voyou / Pourtant ma langue est belle et bien pendue et elle vous regarde vous »
Mais il conclut par la possibilité de trouver un terrain d’entente à travers un you code
qui rejoigne le we code :
« Je parle votre langue vous la trouvez parfois sauvage
Pourtant elle vous ressemble il se pourrait qu’elle nous rassemble
Car nos langues se partagent il s’agit juste d’apprentissage
Elles prendraient tout leur sens si on les parlait tous ensemble » (nous soulignons)
Le texte de Sancho « Langues étranges »614 reflète cette idée de rassemblement
autour d’une langue commune. En faisant se succéder quatre micro-alternances au
sein d’un même morceau, il s’apparente presque à une « leçon de langues » qui
constitue un topos du rap français. En effet, Sancho réitère la même séquence
traduite en anglais, en allemand, en portugais et en français. Notons que la macro-
alternance en portugais est précédée de l’injonction « Représente un peu ton
pays ! », traduisant ce souci de représentativité des minorités linguistiques tandis que
la séquence en français – en fin de texte – intervient en réponse à l’exigence d’être
compris par tous. En l’occurrence, les alternances de langues sont véritablement
mises en scènes par un slameur qui s’auto-proclame citoyen du monde615.

D’une manière générale, la fonction cryptique ne semble pas prégnante dans le


slam où les emprunts, micro-alternances et autres variations sociolectales peuvent
assumer une fonction conniventielle, mais aussi une fonction purement poétique. A
titre d’exemple, le québecois Ivy recourt à des emprunts à l’anglais qui fonctionnent

614
Original slam poésie urbaine, 2006.
615
De la même façon, l’album Crache ton cœur, édité par un collectif* de slameurs drômois (sd) intègre deux
macro-alternances, l’une en arabe, l’autre en grec (« Poème chypriote »).
219

comme autant de clins d’œil de connivence avec un public majoritairement


bilingue616. Mais ces emprunts peuvent tout autant résulter de choix poétiques :
« T’as pas d’casque, pas d’froque, pas d’job, c’est dull
Toi qui rêvais d’être une idole »617 (nous soulignons)

5.3. Le slam : musique des lettres, des langues, des voix et des corps

A l’instar du rap, le slam « a besoin d’être écouté et ressenti immédiatement afin


d’être apprécié comme il convient. » (Shusterman, 1991 : 196). A la différence du
rap, il nous semble pourtant relever d’une fonction expressive plus qu’impressive.
Alena Podhorna explicite ces fonctions telles que les a définies Karl Bülher :
« Nous pouvons envisager l’expressivité dans l’optique des intentions du locuteur et
l’impressivité dans l’optique des effets sur l’interlocuteur » (2009 : 231)
Ainsi la « poétique de l’obscène » décrite par Christian Béthune (1999 : 111) comme
caractéristique du rap relèverait-elle davantage de la fonction impressive618. En ce
qui concerne le slam, il répond par essence à une visée expressive. Or cette
expressivité apparaît comme multimodale en tant qu’elle se décline non seulement
sur un plan lexical, mais aussi aux niveaux sonore, vocal et gestuel. L’expressivité
lexicale inhérente et afférente (Podhorna, 2009 : 141) sera abordée dans la suite de
cette étude. Concernant l’expressivité vocale et gestuelle, nous émettons l’hypothèse
qu’elle résulte, dans l’évolution du rap au slam, d’un transfert ou d’une transposition
d’éléments d’ordre musical sur un plan textuel, formel et gestuel. En d’autres termes,
le flow* tel qu’il se manifeste dans le slam se substituerait au beat en tant que
cadrage rythmique dans le rap. Quant à la gestuelle, elle aurait aussi une fonction
principale d’appui rythmique et de soutien à la scansion.

5.3.1. « Entre rap et slam, un souffle nouveau dans la langue ? »

Tel est le titre de l’article de la psychanalyste Corinne Tyszler (2007) qui se


propose d’étudier « en quoi le travail sur la langue par le biais de cette forme
particulière de rythmique et de scansion peut permettre un jeu métaphorique et
constituer un point d’appui symbolique. » Son analyse s’applique autant au Slam

616
« Slame sur ta crazy carpet/ 3 minutes sans prise de tête/Man, ça va être/ta fête. » (« Slam à toi »,
Slamérica, 2007 : 91)
617
« Montréal », ibid. (2007 : 23, nous soulignons).
618
Celle-ci nous semble proche de la fonction conative, mais s’en distingue néanmoins en ce qu’elle vise à
impressionner plus qu’à convaincre.
220

qu’au Rap619, s’agissant dans les deux cas d’« une démarche intéressante consistant
à déconstruire le langage pour le reconstruire ». D’après elle, le slam remet en
perspective, à l’instar du rap, « la prévalence de la phonie sur le logos » : « L’écriture
du texte précède la diction, mais c’est la diction qui fait advenir l’œuvre »620. Or la
maîtrise du flow* passe par une appréhension corporelle de la langue. Elle préfère
alors le terme de pulsation621 à celui de scansion appliqué au slam :
« Pulsation qui ne donne pas une forme définitive ou arrêtée de l’écriture, de la même
façon qu’elle ne donne pas une forme définie d’interprétation. (…) Avec cette pulsation,
le souffle propre à la langue, à chaque langue, se fait mieux entendre. » (2007)
Le souffle renvoie donc à la respiration et au corps, à une incarnation du langage :
« le souffle est dans le langage, l’inscription de celui qui parle. Il inclut des sonorités,
mais aussi, et je le disais pour le Rap, une gestuelle, une corporalité. »
Corinne Tysler affirme que les slameurs « réinventent le souffle » en ranimant la
langue de leurs origines et de leurs pères622. D’une manière générale, le souffle ne
se réduit pas à « ponctuer la phrase mélodique ou parlée », mais sert de support à
des textes dont la qualité est parfois « d’une beauté à couper le souffle ». Le souffle,
c’est aussi celui d’une poésie vivante qui reflète « un combat pour la vie » dont
Grand Corps Malade apparaît comme l’incarnation :
« Il utilise le Slam en guise de combat pour la vie. A l’opposé, il se peut que d’autres se
réclamant du Rap ou d’autre chose, utilisent ces supports artistiques pour un combat qui
n’est pas celui de la vie mais de la mort. »623 (2007)

Au demeurant, ce souffle prosodique impulse « un mouvement de création


permettant de déployer un véritable jeu sur la langue avec ses différentes
combinaisons métaphoriques. » La langue peut alors devenir « abri où le sujet peur
y trouver un idéal, et où, transmettant des signifiants, il peut s’y forger un avenir ».
Langue-abri ou caravane, elle se métamorphose au gré du souffle du poète :

619
Notons qu’elle orthographie ces deux mots avec une majuscule, ce qui peut s’expliquer, dans le cas du mot
Rap, par l’hypothèse étymologique d’un rétro-acronyme (voir notre chapitre 6).
620
Corinne Tysler avance à ce propos (2) que l’emploi du verlan dans l’écriture rapologique serait davantage
guidé par des contraintes rapologiques que par des résonances identitaires, proposition que nous reprenons à
notre compte appliqué au slam de GCM (voir notre chapitre 10).
621
Ce terme relève à la fois d’un lexique ayant trait à la musicologie et d’une appréhension métaphorique
partagée par plusieurs slameurs : BB (entretien du 14/10/10) décrit le texte comme « quelque chose
d’organique, qui n’est pas sans lien avec les battements du cœur », soit d’une poésie vivante et pulsatile. De
même, Frédéric Nevchehirlian évoque « le rythme diastolaire et systolaire » du cœur (voir en annexe III.5)
622
Notons que pour plusieurs slameurs de notre corpus (SD, AAM), la voix du père est prégnante. SD parle
d’ailleurs de langue natale, et non de langue maternelle, pour la langue peule (voir supra).
623
Notons que la mort est un thème sinon récurrent du moins présent dans le slam de Grand Corps Malade
(« J’ai pas les mots », 2007) et surtout de Rouda (« L’avenir dans les larmes », 2007).
221

« Les rappeurs et les slameurs infligent ainsi des torsions, des brisures à la langue
française, qui nous obligent du même coup à ne pas oublier que la langue appartient à
tous ceux qui la parlent. » (Tyszler, 2007)

5.3.2. Musique des lettres et des mots

Par essence, le slam est Musique des lettres comme le suggère le titre du
premier album de Rouda (2007). Dans un certain nombre de textes, nous avons
observé que l’effet sonore de claquement procède d’une prégnance des consonnes
occlusives orales dites explosives – notamment à l’initiale – et des mots qui claquent
d’autant plus qu’ils sont monosyllabiques :
« DIRE qu’on s’endort en plein après-mi…DIRE
Qu’on travaille trop, c’est pas nouveau à DIRE
Qu’on cherche encore un coin de para…DIRE »624
Sur le plan rythmique, la répétition du mot-titre « dire » est ici déterminante et
amplifiée par des effets d’allitération en [d] (5 occurrences), [k] (5 occurrences) et [p]
(4 occurrences). Or la suite de ce texte révèle une forme d’harmonie imitative : au
niveau sonore – et aussi spatial si l’on admet la présence d’un rythme visuel
(Meschonnic, 2005 : 109) – le texte se fait mimétique de son contenu si bien que les
effets phonétiques tendent à la logorrhée ou à la musication625. Dans ce texte du
slameur suisse Narcisse, on observe la récurrence des consonnes dites liquides
pour évoquer la pluie. Le mimétisme sonore est alors remarquable, renforcé par la
présence d’onomatopées :
« Coule coule petite pluie
Plic plac applique-toi implacable
Accomplis ton cycle au complet
C’est cool
Coule des jours durant
Noie tout dans ta colère tranquille
Que tout coule se décolle
En désastre écol-
ogique sans logique »
La transcription de cet extrait en caractères SAMPA626 montre la prégnance de
certains phonèmes, notamment consonantiques, à commencer par les liquides que
sont [R] et [l]. Notons que la fréquence d’occurrence du [l] dans le passage transcrit
est de 13,4% contre 5,6% de fréquence habituelle en discours (Wioland, 1991 : 30).
Ce constat nous apparaît d’autant plus significatif que ce phonème porte souvent
l’accent, qu’il soit placé à la rime ou contenu dans la syllabe support de l’accent
624
Voir en annexe IV.3 pour la transcription de ce slam.
625
Voir notre chapitre 3 pour une définition de ce terme (page 131).
626
Voir en annexe V.12.
222

tonique, en fin de groupe rythmique. En position finale – en fin de mot et/ou en fin de
vers – et par le recours à un rejet interne au mot « écol/ogique », son allongement se
fait mimétique de la pluie qui s’écoule paisiblement (« cool », « tranquille »,
« décolle »…). Notons d’ailleurs la rupture à partir du vers 4 (« C’est cool ») : l’arrivée
des trois constrictives continues [s], [Z], [R] traduit l’écoulement anarchique de l’eau,
par contraste avec les trois premiers vers où la présence d’occlusives et de groupes
consonantiques complexes tels que [pl] (7 occurrences en 3 vers) exprime la chute
régulière des gouttes sur le sol. A l’instar des onomatopées « plic plac ploc», la
structure-même de ce groupe consonantique mime le mouvement de la goutte d’eau,
l’impact ([p]) étant suivi d’un ruissellement ([l]) : cette métaphore mélodique (Fonagy,
1983 : 242) s’étend de manière filée à l’ensemble de la strophe. A l’occasion de notre
enquête écrite627, Narcisse a confirmé l’importance de cette recherche de musicalité
dans sa poétique. A la question « Les effets de musication sont-ils recherchés en
tant que tels dans tes textes ? », le slameur - musicologue de formation – a répondu :
« Oui, clairement. Et la musique est avant tout pour moi l’art d’organiser le temps, donc
je joue principalement sur l’aspect rythmique des sons et des mots. Le slam permet
d’aller plus loin que la chanson, qui reste coincée dans le carcan de la structure
musicale. Plutôt que d’écrire en octosyllabes ou en alexandrins, j’accentue des
assonances ou des allitérations pour créer une structure rythmique qui n’est pas
forcément synchronisée avec la structure rythmique de la musique qui accompagne mes
textes. »

Outre les effets sonores, c’est la structure métrique et prosodique qui impulse une
musique des lettres. Dans ce texte du rappeur marseillais Ysae, la structure
anaphorique s’ajoute aux rimes suivies dites équivoquées – parfois doublées de
rimes internes – pour renforcer la régularité d’un rythme binaire, avec une césure
classique à l’hémistiche (6 / 6) selon la règle propre aux alexandrins :
Lorsqu'à travers cette vitre // j'aperçois leurs regards,
Lorsqu'ils me tendent leurs mains // quand je descends du car,
J'ai l'impression d'un être // qui ne laisse rien paraître,
Sentiment de mal être,// envie de disparaître.
Quand je quitte mon pays,// j’suis alter-mondialiste,
Quand j'arrive sur leur terre,// nanti-capitaliste.8

Ces procédés métriques – ajoutés à une allitération en [R] – corroborent l’impression


de régularité d’un flow* qui se caractérise aussi par un accent méridional. On voit là
combien le carcan métrique du rap reste prégnant, même s’il n’est plus présent
musicalement.

627
En date du 15/05/10, voir en annexe III.7.
223

5.3.3. Musique des voix et des langues

Si la voix peut jouer le rôle de signal identitaire (Barbéris, 2007 : 11) et en tant
que telle représenter un élément de stylisation, la musique des voix dans le slam
peut être analysée à la lumière de la notion de flow*. Dans son analyse du rap, Julien
Barret (2008 : 167-177) décline son analyse de ce concept autour de quatre traits
fondamentaux que sont le rythme – le tempo – du débit, l’articulation des sons, les
intonations (accents et variations de hauteur) et la voix (modulation du timbre).
L’articulation et les intonations sont sujettes à variations selon les accents régionaux,
ce qui engendre des différences notoires au sein de notre corpus en termes de
phonostyles (Léon, 1993). En outre, la voix semble tantôt chantée, tantôt
chantante628 : nous proposons cette dernière qualification pour rendre compte d’une
voix intermédiaire entre le parlé et le chanté, qui « chante malgré elle », c’est-à-dire
indépendamment d’un choix délibéré qui serait celui d’un chanteur proprement dit.
Notons que les alternances entre ces différentes modalités peuvent répondre, dans
le slam, à des exigences macro-structurelles. De fait, les refrains sont fréquemment
chantants ou chantonnés et se détachent le cas échéant de par cette modalité629.

D’après Julien Barret (2010), les slameurs « cherchent à créer un rythme


entraînant en martelant leurs propos ». Il déplore une « monotonie de l’énonciation »
emblématisée par un Grand Corps Malade qui « déclame ses textes d’une façon qui
peut rappeler l’énonciation poétique de jeunes écoliers » (2010 : 84). A ce rythme
monotone il oppose « une élocution confondante de vélocité » qui caractérise des
slameurs comme Dgiz ou Rouda. Il en déduit que « l’a capella est souvent plaqué sur
une musique sans forcément qu’il y ait de correspondance rythmique entre la
scansion du poète et le rythme de l’instrumental » (85). Or cet effet de décalage peut
être précisément recherché par les slameurs, à l’image d’un Narcisse (voir supra) qui
nous a expliqué comment il en jouait. De notre point de vue, l’absence de carcan
rythmique confère précisément au flow* du slameur une liberté prosodique dont ne
jouissent pas – ou dans une moindre mesure – les rappeurs.

En outre, les textes de slam sont fréquemment polyphoniques, composés de


duos ou d’une alternance de voix qui fusent. A cet égard, le texte de Rouda « Pardon
docteur » est emblématique d’une mise en scène énonciative du dialogue entre un

628
Cette dernière modalité se rapprocherait de la « voix chantonnée » telles que l’a définie Fonagy (1983).
629
Voir par exemple le texte « Perpendiculaire » (Luciole, 2009) en annexe V.9.
224

psychanalyste et son patient : « Votre cas est complexe, il faudrait revenir me


voir… » conclut l’analyse, dont la voix fait l’objet d’une stylisation parodique. Dans un
slam qui tend à la théâtralisation, la dimension scénographique des paroles se trouve
mise en valeur de sorte que « les locuteurs sont montrés en action, et en action de
langage. » (Barbéris, 2007 : 208).

Le duo « Soleil Jaune » (2007) de Souleymane Diamanka et John Banzaï630 est


un texte foncièrement dialogique qui commence par ces mots :
« On s’connaît non ?
Paraît qu’on nous compare
Certains disent qu’on est la
Même personne…
Faut qu’on parle !
Souley – John
Le vœu exaucé
Le vent divin (…) »631
Il s’ensuit une succession de paronomases, dont la première est contenue dans le
titre et induite par les prénoms des deux slameurs : « soleil » (pour Souley-mane) et
« jaune » (pour John).

Dans d’autres textes issus du premier album L’Hiver peul (2007) de ce slameur
d’origine sénégalaise, la musicalité est inhérente à des micro-alternances en langue
peule. Dans la lignée des griots africains, c’est alors la musique des noms qui se
déploie dès les premiers mots de ce texte éponyme :
« Je m’appelle Souleymane Diamanka dit Duajaabi Jeneba
Fils de Boubacar Diamanka dit Kanta Lombi
Petit-fils de Maakaly Diamanka dit Mamadou Tenen
Arrière-petit fils de Demba Diamanka dit Lenngel Nyaama, etc etc »

En entretien, le slameur a explicité son intuition phonético-poétique en ces termes :


« J’ai travaillé avec un collègue d’origine polonaise et lui, dans son lexique français, tu
ressens toutes les sonorités liées à sa langue. Les polonais, c’est des gens qui parlent
la bouche fermée à cause du froid, c’est beaucoup de « ch », de « tch »… Des sonorités
les dents serrées. En Afrique, il fait chaud, c’est que des « a », des « o » … »632
En effet, Souleymane s’est livré à un « échange de langues » avec son ami d’origine
polonaise John Banzaï au sein d’un duo intitulé « Le Meilleur ami des mots », où les
deux slameurs conjuguent leurs poésies et leurs langues maternelles respectives :

630
Voir en annexe VII pour la version intégrale.
631
Les italiques indiquent ici l’intervention du second slameur, visualisant l’alternance des voix – ou jeu
d’intervocalité (Zumthor, 1987 : 151) – dont les effets, en termes d’expressivité et de poéticité, sont décuplés.
632
Entretien du 24/09/10, voir en annexe III.9.
225

« Je m’adresse à lui en peul, il me répond en polonais, puis on inverse, je parle polonais


et il parle peul. Après, on parle en même temps sauf que la phrase commence en peul
et se termine en polonais. Les deux trucs se fondent, les deux langues se fondent l’une
dans l’autre et les gens ne savent plus ce qu’ils sont en train d’entendre. Des fois, t’as
des sonorités qui sont proches. Le mot « leki » en polonais, ça veut dire médicament et
en peul aussi. Il y a des magies comme ça… » (entretien cité)

5.3.4. Musique des corps ou musique « décor » ?

Shusterman écrivait du rap qu’il exigeait, pour être pleinement apprécié


esthétiquement, « non seulement qu’on l’écoute, mais qu’on le danse, afin de
ressentir son rythme en mouvement » (1991 : 206). Une musique des corps que
certains rappeurs tels Abd al Malik excellent à mettre en œuvre et que l’on retrouve
parfois au détour d’un slam. Le documentaire Traits portraits633 met en scène
l’interprétation à deux voix du texte « Soleil Jaune ». Les deux slameurs théâtralisent
cette interprétation en associant un mouvement de tête à la déclamation :
positionnés l’un derrière l’autre, ils tournent la tête à tour de rôle vers leur partenaire
au moment où ils déclament. Cette gestualité très simple – en miroir comme en
atteste la partition gestuelle de ce texte634 – permet de matérialiser – et pour le
spectateur/téléspectateur de visualiser – l’alternance des voix et le jeu d’échos. En
l’occurrence, les mouvements de la tête permettent de donner corps au « duel qui
devient duo » selon la formule de Souleymane Diamanka635. Grâce à cette mise en
scène – paradoxalement réalisée hors scène pour la caméra de Jérôme Thomas –,
les deux slameurs se retrouvent « en tête à tête » de façon cyclique ce qui contribue
à rythmer le texte, y compris au niveau sonore par un effet de projection de la voix
liée au mouvement.

D’une manière générale, le slameur anime son texte, au sens où Goffman


l’entend (1981 : 144). Entre autres manifestations de corporéité (Barberis, 2007 : 9),
on observe chez les slameurs – à l’instar des rappeurs à cette différence près que la
gestuelle n’est nullement codifiée ici636 – une rythmisation par le geste : un
mouvement du bras qui souligne la scansion, le flow*, ainsi que des effets sonores
tels que des allitérations et autres formes d’échos637. Tout se passe comme si ce
geste – congruent par rapport à la voix – visait à rendre visible la prosodie et à
633
Documentaire réalisé par Jérôme THOMAS (2009) et accessible en ligne : voir notre sitographie.
634
Voir notre chapitre 9, page 384.
635
Voir le poème “Si on te parle avec des flammes » sur la page Myspace de ce slameur.
636
Le geste « typique » des rappeurs consiste à serrer le poing en relevant l’index et l’auriculaire. (chapitre 2)
637
Voir la partition gestuelle du texte « C’est qui le capitaine ? » de Boutchou en annexe IV.5.
226

souligner la répétition dont la double fonction mnémotechnique et rythmique apparaît


évidente. Il en résulte une sorte de « danse avec les mots » pour reprendre la
formule de Julien Barret (2008 : 22) : c’est le corps tout entier qui est en jeu dans
l’interprétation. Si la gestuelle du slameur joue un rôle important, il arrive que le
public soit impliqué, « enrôlé » à son tour, voire sollicité pour compléter le texte dans
une démarche colludique : ainsi le public est-il amené à formuler la chute dans le
texte « Niki Nikita », précédemment cité. Dans certains cas, le public pourra
accompagner un slam en recourant par exemple à des percussions corporelles638.
Cette variante ludique et collective de la human beat box permet de porter le rythme
du texte sans le trahir ou le masquer, d’en souligner au contraire la scansion et la
mélodie interne.

Dans d’autres cas, le slameur souhaitant superposer à la couleur vocale de son


slam une couleur musicale invitera un musicien à composer ou à improviser sur ce
même texte. Si cette pratique n’est guère conforme à la définition originelle du slam –
en tant que texte déclamé a capella – force est de constater que ce dernier est
souvent sublimé par une musique qui ne se réduit pas, nous semble-t-il, à une
« ligne mélodique plutôt indigente », à un décor ou une « illustration sonore dont le
poète se sert peu ». (Barret, 2010 : 85). Qu’elle soit improvisée ou composée à partir
du texte, corporelle ou instrumentale, acoustique ou électronique, la musique
contribue à préparer et à amplifier des effets divers. A cet égard, le choix de
musiques électroniques dites amplifiées apparaît tout à fait adéquat à des
thématiques proches de la science-fiction ou du texte d’anticipation : en témoigne le
texte de Bastien MP intitulé « Apnée »639 qui traite de la pollution dans les villes et
dont l’ambiance musicale contribue à accroître la tension dramatique640. Le slameur
grenoblois désigne cette alchimie entre slam poésie et musique par le mot-valise de
« slaMusic », la fusion entre ces deux lexies étant réalisée autour du « M » commun
mis en relief par la graphie. Dans ce texte, la musique permet précisément d’amplifier
les résonances du texte, de laisser le sens se déployer dans des espaces où les jeux
de mots affluent et nécessitent un temps de latence. Plus généralement, elle
représente une entrée privilégiée pour ouvrir un horizon d’écoute en adéquation avec
le texte slamé. Cet horizon qui se déploie le temps d’une scène apparaît

638
Par exemple lors du concert de Luciole à l’Internationale (voir entretien du 12/04/10 en annexe III.6).
639
Voir l’illustration de notre chapitre 8.
640
Voir l’illustration sonore de notre chapitre 8.
227

fondamentalement ouvert – à l’image du slam lui-même – à des formes diverses de


créativité. Autant de zones potentiellement néologènes qu’il nous appartient
d’explorer dans la suite de cette étude.

Conclusion partielle

Rap et slam entretiennent un rapport de cousinage641 qui s’explique à la fois par


des influences communes et des parcours individuels influant, de facto, sur la
trajectoire collective du mouvement. Si l’on retrouve, à l’œuvre dans le slam, un
certain nombre de traits caractéristiques et potentiellement définitoires du rap (des
axes thématiques mais aussi des phénomènes discursifs et langagiers), le premier
se distingue du second par une autonomisation vis-à-vis de ce style musical issu de
la culture hip-hop. Il en résulte une musicalité intrinsèque, qui repose sur des effets
prosodiques et rythmiques, soutenus par ce que nous avons appelé Musique des
corps : étant moins condifiée dans le slam que dans le rap, la gestuelle peut assurer
une fonction rythmique essentielle, qui s’ajoute à d’autres fonctions visant
notamment l’interactivité avec le public. Ainsi le champ du geste peut-il se déployer
librement, alors même que le poème, en alliant accents prosodiques et autres effets
sonores de musication, tend à devenir chant : « Le poème n’est accompli que s’il se
fait chant, parole et musique en même temps » (Senghor). Si les slameurs se
démarquent des rappeurs dont l’écriture est rarement aussi aboutie et libre, nous
semble-t-il, il n’en demeure pas moins que le flow de certains garde l’empreinte d’une
écriture rapologique. Celle-là contenait d’ailleurs les germes d’une créativité dont le
slam a favorisé l’éclosion voire l’explosion : du flow a surgi un flot de mots en
liberté642.

641
Voir notre entretien avec Rouda en annexe III.2.
642
Expression empruntée au titre de Marinetti (1919), fondateur du Futurisme.
228
229

DEUXIÈME PARTIE
UN POTENTIEL NÉOLOGIQUE

« Appelle moi… Archéonéologisme


J’invente des mots quand le futur s’impatiente »
(LHA)
230
231

Chapitre 6

Le mot slam

6.1. Le mot « slam » : signifiant


et signifiés
6.2. Du mot au moment :
analyse sémantique
6.3. Du mot en contexte :
corpus d’articles de presse
6.4. Du mot aux textes : le mot
« slam » dans les textes de slam

Illustration : Lee Harvey


Asphalte, « Hard corps et âme »

Photo 1 : Trophée de la coupe d’Europe de Slam


(Reims, décembre 2010)
232
233

« Slam ! Pour toutes les portes fermées au nez


Slam ! Pour tous les plongeons dans la foule.
Slam ! Pour tous les derniers points marqués
à la dernière minute sur la dernière base
Slam !1

L’objet du présent chapitre est d’interroger le lexème slam, depuis ses


fondements anglophones conformément à son odyssée, afin d’en explorer
l’épaisseur sémantique : « un mot qui voyage dans les bouches mais dont les racines
sont le plus souvent méconnues » (129H : 9). Ce flou lexicologique s’explique par la
contemporanéité d’un objet aux contours mouvants, dont l’identité est en cours de
construction. Or la nécessité d’en dessiner les contours répond aussi à l’exigence de
légitimer l’emploi du lexème slam par rapport à d’autres mots issus d’emprunts
comme spoken word ou de combinaisons lexicales telles que « soirée poésie » : « La
différence entre une scène slam et une soirée poésie, c’est que si tu dis que c’est
une soirée slam, tu as 10 fois plus de gens. » affirme Félix J. (2007 : 11). Dans ces
conditions, l’emploi – aujourd’hui en pleine essor – de ce terme répond-il à un
phénomène de mode ou à des motivations sémantiques réelles ? L’apparition du
lexème slam et son emploi quasi-générique – appliqué à des « évènements où il se
passe quelque chose en public autour du poème » – nous semblent susceptibles de
répondre à une exigence de dénomination homogène de ce type d’ « évènements
poétiques qui travaillent sur le frottement entre la poésie et la scène »2 : d’une
multiplicité de termes, il résulte un certain flottement, peut-être inhérent à la nature
même d’une poésie nécessairement protéiforme3. Il reste à savoir si ce mot sans
frontières4 aboutira à une réelle homogénéisation ou s’il sera à son tour, à l’instar du
mot poésie, au centre d’une constellation et d’une combinatoire similaires dont nous
nous attacherons à offrir un aperçu. Pour ce faire, nous envisagerons les
associations, compositions et autres procédés lexicogéniques mis en œuvre. Sur un
plan méthodologique, nous nous inspirerons de la démarche adoptée par Catherine

1
Antoine Faure/Tô, « Slam », in Le Slam, poésie urbaine, Editions Mango, collection « Albums Dada » (2006 :4).
2
Joanny (2008 : 182) ne dénombre pas moins de 78 formules désignant ce type d’évènement, nous livrant « en
vrac, le résultat de (sa) cueillette » : « Nuit de la poésie, lecture de poésie, lecture-rencontre, lecture-spectacle,
performance… ».
3
« On sait que le protéiforme est l’une des données fondamentales du poème. C’est peut-être là aussi son
intérêt quand on le porte à la scène. » (Joanny, 2008 : 182)
4
La résonance en est internationale, comme l’illustre le trophée de la première « Coupe d’Europe du slam » où
le mot apparaît aux côtés du mot « poésie » traduit dans toutes les langues des participants : poesie, poësie,
poésie, poesia, poesi, luule, poezija, költészet et poetry (voir la photo en page de garde de ce chapitre).
234

Beaumont-James dans son « Analyse sémantique du mot chanson » (1995). Si sa


problématique diffère de notre approche – en cela qu’elle cherche à redéfinir un mot
dont le référent « nous est si familier(e) que nous croyons le (la) connaître. » (1995 :
163) – l’objectif qu’elle vise à travers cette étude sera aussi le nôtre, à cette
différence près que l’apparition du mot slam en France est un phénomène récent,
contrairement à chanson : il s’agira de faire émerger les traits attribués à cet objet et
les questions posées par l’organisation de ces traits et leur hiérarchisation. Dans
cette perspective, nous commencerons par repérer les composants définitionnels
avant d’envisager leur organisation sous la forme d’une analyse sémique. Notre
étude sera conduite en synchronie à partir d’un double corpus composé de discours
lexicographiques – émanant de spécialistes de la langue – d’une part, de définitions
paratextuelles – formulées par des professionnels du slam – d’autre part, afin de
rendre compte de la complexité de cet objet :
« A quoi nous ajouterons qu’il est indispensable d’en appeler aussi à ceux qui la font, les
professionnels : compositeurs, auteurs, chanteurs, producteurs, etc., et à ceux qui
l’écoutent. » (Beaumont-James, 1995 : 163)

Après avoir réfléchi aux relations entre les mots rap et slam, nous analyserons
donc un corpus de définitions du mot slam, empruntées aux dictionnaires ainsi qu’à
d’autres sources paratextuelles émanant des slameurs eux-mêmes. Puis nous
envisagerons les associations lexicales privilégiées au sein d’un corpus d’articles de
presse et de certains textes de notre corpus, en vue d’en contextualiser les emplois.

6.1. Le mot « Slam » : signifiant et signifiés

6.1.1. Des mots « au signifiant très significatif »5 : du Rap au Slam

Rap et Slam ont en commun l’expressivité de leur signifiant et sont tous deux
issus d’un verbe dont les différentes acceptions (voir infra) reflètent la complexité
sémantique. Si une autre interprétation peut être avancée pour RAP – comme
acronyme ou plus précisément sigle6 –, nous verrons que ce même procédé pourra
donner lieu à de nombreuses innovations lexicales autour du mot slam.

5
Selon le titre d’un article de J.-F.Sablayrolles (2002) : "Des néologismes au signifiant très significatif".
6
Cette hypothèse selon laquelle RAP serait un « rétro acronyme » pour « Rythm And Poetry » est évoquée par
Corinne Tysler (2007) et confirmée par des sites retraçant les origines et l’histoire de ce genre musical (voir en
sitographie) ou encore par Wikipedia. De notre point de vue, il s’agirait le cas échéant d’un sigle dont Corinne
Tysler énonce aussi une remotivation : « Rock Against Police ».
235

En premier lieu, notons que le lexème slam – comme le mot rap – se distingue
par une expressivité sonore inhérente à son signifiant : il comporte trois consonnes
pour une seule voyelle et une seule syllabe, par opposition au mot poésie qui à
l’inverse, comprend trois voyelles et deux consonnes pour trois syllabes orales. Aussi
la durée de réalisation de ces deux mots est-elle différente : très brève pour le
premier et plus longue pour le second. En d’autres termes, poésie sonne « coulant »
là où slam serait plutôt « chaotique » pour reprendre les adjectifs proposés par le
slameur Marco DSL7. Or force est de constater, avec Pierre Roger Léon (1993 : 55),
que :
« Les consonnes, parce qu’elles ont des points d’articulation plus précis que les
voyelles, fonctionnent davantage comme des éléments significatifs. »

Si l’hypothèse d’une origine onomatopéique est parfois évoquée pour rap8, le mot
slam est précisément répertorié comme onomatopée dans le Précis de lexicologie
anglaise de Jean Tournier pour indiquer un claquement sec (1985 : 88) et utilisé
comme tel dans des comics américains. En outre, il est remarquable que la voyelle
« a » – la plus ouverte du système phonétique du français – soit ici en position
centrale et donc accentuée. Sans verser dans le cratylisme, il semble alors que le
mot, à travers son expressivité sonore, soit emblématique de la forme d’expression
poétique qu’il tend à désigner : une poésie possiblement lyrique, mais néanmoins
concise et expressive, voire incisive, efficace comme un coup de feu ou un coup de
poing, et ouverte par essence à la diversité. Notons enfin la proximité phonétique
avec le terme slang désignant un argot pouvant aller jusqu’à l’insulte (slanging
match). Or si l’insulte n’est pas cultivée en tant que telle dans le slam - à la différence
de certaines formes de rap telles que les dirty dozens9 -, l’argot pourra néanmoins y
être intégré à la faveur d’une forme de métissage langagier10.

En ce qui concerne les signifiés, le tableau suivant rend compte des sèmes
communs (nous les avons soulignés) aux définitions du dictionnaire Longman pour
les mots rap et slam :

7
Entretien du 27/11/08. (voir en annexe III.3 )
8
Selon le Wiktionnaire (voir en sitographie) : « Du moyen anglais, probablement onomatopée. »
9
Voir notre précédent chapitre.
10
Voir notre chapitre 10.
236

Rap Slam
verb noun verb noun
Hit : to hit or knock Knock : a quick light hit Door (shut with a loud the noise or action of a
something quickly and or knock noise) door, window etc
lightly slamming
Say : (also rap out) to Music : a type of Put sth somewhere Grand Slam (also adj.):
say something loudly, popular music in whitch (with a fast violent 1.The winning of all of
suddenly, and in a way the words of a song movement) a set of important
that sounds angry are not sung, but sports competitions in
spoken in time to the same year
music with a steady 2. A hit in baseball
beat. which get four runs
3. The winning of all of
the tricks possible in
one game of cards,
especially in bridge.
Criticize : a word Crime (Am.informal) : a Hit with force (attack) Slam dunk (also verb)
meaning to criticize statement by the state 1. When a basketball
someone angrily used that someone is player jumps high
in newspapers responsible for a above the net and
serious crime/time throws the ball down
spent in prison as through it
punishment for a crime 2. American English
(to beat the rap = informal : a very
escape punishment) impressive act
Music : to say the Take the rap (for sth): Criticize (strongly) In the slammer (slang):
words of a rap to be blamed or in prison
punished for a mistake
or crime, especially
unfairly
Conversation (old Criticism : a rap Slam on the brakes : to
fashioned) : to talk in on/over the knuckles make a car stop very
an informal way to (informal) strong suddenly by pressing
friends criticism for sth you the brakes very hard
have done wrong
Rap sb over the 6. Not fair : a bum rap To slam the door on
knuckles : to criticize (Am.slang) unfair somebody’s face : to
someone, often treatment or shut a door hard/ to
officially, for something punishment rudely refuse to meet
they have done wrong someone or talk to
them
Tableau 1 : Rap et Slam d’après Longman dictionary of contemporary English

De la confrontation des définitions attribuées à ces deux mots – soit d’une


analyse constrastive – nous pouvons dégager un certain nombre de sèmes
communs, à commencer par ceux de « frapper » (hit) et de « claquer
bruyamment (loudly) et soudainement (suddenly) ». Dans les deux cas, le terme peut
s’appliquer à une « attaque » (attack) ou « critique » (criticize) virulente, forte
(strongly, rudely) voire agressive (angrily), notamment dans le domaine
journalistique. Cependant, le verbe et le substantif (to) rap connotent plus clairement
l’idée d’une accusation qui fait suite à un délit (a statement by the state that someone
is responsible for a serious crime), de la peine qui s’ensuit (time spent in prison as
237

punishment for a crime) ou d’une sanction parfois injustifiée (unfair treatment)11.


Notons que les deux termes – slam et rap – peuvent renvoyer à la prison comme en
témoigne l’expression dérivée du second in the slammer. Quant au verbe to slam, il
peut connoter, à travers l’image de « claquer la porte au nez (de quelqu’un)», l’idée
de refus (refuse) ou de rébellion contre une injustice ou une oppression12. Enfin,
seul le mot slam renvoie au domaine compétitif à travers le sport ou les jeux de
cartes – auquel cas il dénote soit un « coup gagnant » (slam dunk) soit le gain lui-
même (the winning) –, alors que le verbe to rap peut avoir trait au champ
conversationnel, s’appliquant à un registre familier (in an informal way).

Julien Barret (2009 : 13) résume ainsi les principales acceptions du mot rap, sans
évoquer les sens se rapportant à la critique journalistique ou à la sanction juridique,
ce dernier s’appliquant plutôt au substantif :
« Les différents sens du verbe anglais to rap évoquent aussi bien le caractère scandé
du débit vocal que l’aspect rythmique de la musique. Le verbe signifie à la fois bavarder,
jacter et donner un coup sec, communiquer ou annoncer au moyen de coups »

Quant au mot slam dont les diverses définitions sont examinées très précisément par
le collectif 129H, il est glosé en ces termes :
« La combinaison des différentes définitions américaines pourrait donner : monter sur
scène pour projeter des mots qui claquent » (129H : 27, nous soulignons)

6.1.2. Slam : définitions lexicographiques

Si l’on en revient aux origines du slam, il nous semble opportun d’expliciter la


complexité sémantique du terme lui-même, extrêmement polysémique13. D’après le
Longman dictionary of contemporary English, les principaux sens du verbe to slam
renvoient d’abord à « claquer la porte », ensuite à « percuter un objet », enfin à
« critiquer avec virulence », en particulier dans le domaine journalistique14. Le
dictionnaire Oxford confirme et précise ces acceptions : le verbe peut ainsi
s’appliquer à une porte (ou une fenêtre) claquée, à un objet déplacé, propulsé,
projeté avec force (forcefully) et fracas (loudly), d’où une collision (collide) soudaine
(suddenly). Par extension et glissement métaphorique, le verbe (actif ou passif) est
employé pour « critiquer avec sévérité » et, aux Etats Unis, pour « marquer des

11
D’où le sens rapporté par Cyril Trimaille (voir notre précédent chapitre) de « se plaindre ».
12
« Claquer la porte aux symboles de l’oppression » précise Bastien Mot Paumés (Voir en annexe I.5).
13
Polysémie que les slameurs exploitent à l’envi comme en témoigne ce nom de collectif : « Les polysémiques »
14
Nous proposons ici une traduction du dictionnaire Longman (voir le tableau p.16)
238

points ou gagner une compétition ». De là, le substantif désigne non seulement le


bruit provoqué par le claquement (a loud bang), mais aussi la prison, la taule, (par
apocope de slammer), et même (chiefly) une compétition de poésie : « a poetry
contest in which competitors recite their entries and are judged by members of the
audience, the winner being elected after several elimination rounds. »

Appliqué au bridge, le mot « slam » est présenté comme homonyme du


précédent : “a grand slam (all thirteen tricks) or small slam (twelve tricks), for which
bonus points are scored if bid and made.” Le terme dénote alors le gain de toutes les
manches d’un jeu, qu’il s’agisse de cartes ou de tournois sportifs (small/little slam,
grand slam). Il s’ensuit l’énoncé de formes composées à l’aide du substantif : « slam-
bang » (informal, chiefly, N.Amer.) évoquant comme adjectif quelque chose
d’énergique (exciting and energetic), de direct (direct and forceful), de soudain voire
violent (comme adverbe) ; « slam-dancing » désignant une danse hard rock dont les
participants se jettent les uns contre les autres ; « slam dunk », au basketball,
s’appliquant à un tir, un panier marqué avec force, et par glissement sémantique, à
quelque chose d’infaillible (reliable ou unfailing) ou au contraire à un forfait déclaré
lors d’une compétition (defeat or dismiss decisively), en lien avec le sème de
« chute » (du ballon de basket ou encore en skateboard).

Au-delà de ces acceptions principales, les sens dérivés issus de l’argot


américain, restent à explorer – comme nous y invitent les auteurs du guide
« Ecrire/Dire » (Collectif 129H, sd) – pour ce qu’ils nous révèlent en termes de
connotations. En prison, l’expression in the slammer désigne un cachot, ce qui n’est
pas sans rappeler le film Slam de Marc Levin. D’où l’idée d’une parole libératrice, le
slam devenant alors l’art de la parole libre. Lors d’un concert, faire un slam consiste à
se jeter de la scène dans le public, ce qui traduit une dimension spectaculaire. Au
basket, un slam dunk est un panier marqué avec force et au base-ball, on fait un
slam lorsqu’on projette la balle hors du terrain : ces deux acceptions traduisent
clairement l’idée d’une parole projetée sur scène. Au skate-board, enfin, le terme
désigne une chute, et nous pouvons remarquer que la recherche d’une « chute » -
au sens textuel du terme - n’est pas étrangère aux effets recherchés par les
slameurs. Le sème commun à toutes ces acceptions est celui d’un choc, d’un impact
soudain : il peut s’agir de connoter non seulement la claque sonore, l’arme des mots
239

brandis voire assénés, mais aussi l’impact, le choc éprouvé en tant que récepteur à
l’écoute de ces textes15 :
« Claque parce qu’entendre ou écouter un slam, c’est ressentir un impact intérieur, et
chelem parce que c’est à l’origine un tournoi de poésie. » (GdB, 2009 : 45)

Notons que l’idée de compétitivité est au cœur de la locution Grand slam,


également répertoriée dans le dictionnaire Longman, comme équivalent au « Grand
Chelem », c’est-à-dire au fait de remporter plusieurs victoires successives lors de
tournois importants. Cette étymologie (« schelem ») est souvent évoquée dans les
articles de dictionnaires que nous avons retenus pour cette étude comme en atteste
cette double définition du Wiktionnaire16 :
slam masculin
1. Sorte de plongeon dans une foule, afin d’y être porté.
2. Déclamation publique faite pour surprendre, émouvoir l’auditoire. Poésie orale et
publique.

En amont, l’étymologie est développée dans une double direction :


(Sens 2) Viendrait de l’argot américain slam (« claque, impact »). Comme dans to
slam a door (« faire claquer une porte »).
Une autre explication du terme est donnée par l’initiateur du mouvement, Mark Smith
(intervention en 2005 au Grand Slam national de Nantes) : il explique avoir choisi ce
terme pour son sens sportif et ludique de schlem (en basket, bridge…)
Une autre origine serait scandinave, slam serait de même origine que le norvégien
slamre et le suédois slemma.
Enfin, les dictionnaires d’argot mentionnent d’autres acceptions, à l’instar du
dictionnaire Harrap’s slang (2008) qui énonce des emplois métaphoriques :
To slam :
a. (criticize) Ereinter, descendre en flammes
To get slammed : se faire éreinter, descendre en flammes
b. Am (have sex with) baiser, s’envoyer
c. (drink quickly) descendre, écluser

Le tableau suivant présente la synthèse des définitions énoncées précédemment :

15
Voir à ce sujet l’illustration sonore de notre chapitre 10 (extrait de l’entretien avec GCM).
16
Consulté le 30/07/10. Comme explicité au sein de notre chapitre méthodologique (2), le recours à des
ressources en ligne nous a été précieux, s’agissant de rendre compte d’un objet contemporain, en mouvement
et en devenir. Nous avons néanmoins utilisé cette ressource avec un recul critique de façon sélective.
240

Slam verb 1.door (shut with a loud noise)


2.put sth somewhere (with a fast violent movement)
Longman dictionary of contemporary English (on line)

3.hit with force (attack)


4.criticize (strongly)
Slam on the brakes
To slam the door on somebody’s face
noun the noise or action of a door, window etc slamming
Grand slam noun 1.the winning of all of a set of important sports competitions in
the same year
2.a hit in baseball which gets four points because it is a home
run and there are players on all the bases
3.the winning of all of the tricks possible in one game of cards,
especially in bridge
adjective a Grand Slam sports event is one of the set of most important
competitions in a particular sport
Slam dunk noun 1.when a basketball player jumps high above the net and
throws the ball down through it
2. American English informal: a very impressive act
Slam-dunk verb to put a ball through the net in basketball, by jumping very high
and throwing the ball down through the net
Slam verb Shut forcefully and loudly
Crash into, collide heavily with
Hit sth with great force
Put sth into action suddenly
Move violently
Criticize severely
Score points
noun 1. (usu. in sing.) A loud bang caused by the forcefully shutting
The new Oxford dictionary of English (1998)

of sth such as a door


2.(usu. the slam) N.Amer.informal : prison (abbreviation of
slammer)
3.Chiefly US : a poetry contest (…)
Slam > noun Bridge: a grand slam (all thirteen tricks) or small slam (twelve
schlem tricks), for which bonus points are scored if bid and made
Slam-bang adjective Informal, chiefly, N.Amer.: exciting and energetic, direct and
forcefull, with no niceties
adverb Suddenly and forcefully or violently
Slam- noun Chiefly, N.Amer. : a form of dancing to rock music in which the
dancers deliberately collide with one another
dancing
Slam dunk noun Basketball : a shot in which a players thrusts the ball down
through the basket
US informal : sth reliable or unfailing
verb Thurst (the ball) down through the basket
US informal : defeat or dismiss decisively
Slammer noun 1.(usu. the slammer ) informal : prison
2.chiefly N.Amer : a person who deliberately collides with
others when slam-dancing
3.also tequila slammer : a cocktail made with tequila and
champagne (…)
Slam verb a.(criticize) éreinter, descendre en flammes
slang (2007)

to get slammed : se faire éreinter, descendre en flammes


b. [!] Am (have sex with) : baiser, s’envoyer
Harap’s

c.(drink quickly) : descendre, écluser


Slammer noun (prison) : taule, cabane in the slammer : à l’ombre

Tableau 2 : Slam, du verbe au nom


241

6.1.3 : De l’anglais au français : emplois « hors champ »

Il est remarquable que certains de ces sèmes soient réactivés dans notre univers
contemporain, ne serait-ce
ce qu’à travers les
l cartes de Slam – représentant des
catcheurs – que les enfants et adolescents brandissent pour jouer dans les cours
d’école. On retrouve d’ailleurs un emploi répondant à l’acception
l’acception de chute (en
skateboard)) sous la forme d’un titre de littérature jeunesse : celui du roman de Nick
Hornby, paru en 2008 chez Plon, qui relate les aventures d’un jeune skateboarder.
Quant au jeu télévisé intitulé « Slam », créé à l’été 200917, il consiste
te en une grille de
mots croisés à remplir à l’antenne, soit en un jeu de lettres. Si un candidat décide de
slamer,, il s’engage à remplir toute la grille sans qu’aucune définition ne lui soit
donnée. En d’autres termes, le verbe slamer est ici assimilé à une
ne performance de
type lexicale et foncièrement ludique, même s’il s’agit d’une forme de match18. De la
même façon,, un jeu de plateau intitulé « Boogle slam » (en France, document 1) ou
19
« Scrabble slam » (aux Etats-Unis)
Etats propose un challenge aux participants qui
doivent épeler des mots le plus vite possible. Le flyer ci-dessous (MP,
( document 2)
illustre cette dernière acception en faisant allusion au Scrabble :

Document 1 : Jeu « Boogle slam » Document 2 : Flyer « Mots Paumés »

17
Slam était diffusé sur France 2 du lundi au vendredi à 11h00 du 29 juin 2009 au 2 septembre 2009,
remplaçant le jeu Motus (du même animateur) pendant l'été. l' Trois candidats s'affrontent pour répondre à des
questions ayant pour réponse des lettres de l'alphabet et doivent remplir une grille de mots fléchés.
fléchés [Source :
Wikipedia, le 18/11/10)]] Certaines réponses de notre enquête « Le slam en un mot » ont nt fait référence à ce jeu.
18
Il est précisé,
é, dans les règles du jeu, que deux manches se succèdent, suivies d’une finale.
19
Dans Boggle Slam!, des cartes permettent de construire un mot de quatre lettres. Il s’agit de faire évoluer ce
mots au cours de la partie en changeant les lettres une à une, un peu à la manière de Motus. Aux États-Unis
d'où le jeu est originaire, il s'appelle Scrabble Slam!
242

6.2. Du mot au moment : analyse sémantique

Après avoir situé l’apparition du mot « slam » dans l’usage et dans les
dictionnaires français, nous développerons une étude en synchronie de ce terme qui
peut encore apparaître aux yeux de certains comme un néologisme ou un emprunt. Il
s’agira donc de faire émerger, à travers un corpus de sources lexicographiques
croisées avec des définitions émanant des acteurs du slam, les traits, principaux et
secondaires, attribués à l’objet de notre étude.

6.2.1. Quelques éléments d’analyse en diachronie : l’apparition du lexème


« slam » en France

D’après les témoignages de Nada20 et Katia Bouchoueva21, les premiers


slameurs français étaient « orphelins de mot », même si le slam était déjà en germe
dans leurs réunions hebdomadaires dans un bar exigu du 18ème
arrondissement parisien :
« Il n’est pas à cette époque question de slam, mais plutôt d’un point de chute où je
bénéficie d’une réelle écoute et d’une motivation à écrire le plus fréquemment possible,
afin d’offrir à mes aficionados un ou plusieurs inédits lors de chacun de mes passages
sur cette estrade de deux mètres carrés faisant office de scène. » (2007 : 11, nous
soulignons)
Quelques fondements des principes d’une scène slam sont déjà posés ici : le terme
d’aficionados – attaché à la corrida – reflète une conception spectaculaire, héritée de
la tradition américaine. La notion d’inédit peut renvoyer à l’idée de textes destinés
exclusivement à la scène – et non à l’édition – ou encore la volonté de surprendre
l’auditoire par des textes nouveaux. Enfin, l’écriture semble d’ores et déjà finalisée
par la perspective d’une oralisation scénique, qui suppose une réelle qualité
d’écoute. Au dire de Nada, il faudra pourtant attendre trois ans - de 1995 à 1998 -
pour que le terme soit employé pour la première fois dans un article de presse :
« Tex me présenta Laure, une journaliste envoyée par Nova Mag pour préparer un sujet
sur le Slam. Laure revenait de New-York, avait vu le film de Marc Levin et assisté à des
compétitions au « Nuyorican Poet Café », de mon côté je n'étais pas pris au dépourvu,
je savais pour avoir lu un article dans Libération quelques mois plus tôt que le Slam était
étroitement lié à la parole. Je lui interprétais quelques textes, répondais aux questions
qu'elle me posa durant l'interview, elle prit des notes, quelques photos et l'article parût
dans Nova Mag de novembre 1998 »22

20
Préface de l’anthologie Blah Blah Blah ! (2007)
21
Entretien du 7/11/07, voir en annexe III.1.
22
« Slam story : un aperçu du slam en France par Nada », article consulté sur le blog Webzine maker (voir en
sitographie).
243

Plus que le film « Slam », consacré la même année à Cannes et dont le titre
sonnait encore comme un xénisme, cet emploi dans la presse écrite marque une
étape décisive dans le devenir francophone de ce mot, même s’il s’écoulera près de
dix ans avant qu’il ne soit intégré au dictionnaire (voir infra). Pilote le Hot ne tardera
pas à déposer en son nom le mot « slam » à l’Institut National de la Propriété
Intellectuelle (I.N.P.I), acte peu conforme, au dire d’autres slameurs, à l’intention
première de « démocratiser la poésie » (129H : 21). Le mot n’en suivra pas moins
son cheminement au sein du lexique francophone, du xénisme à l’emprunt intégré –
potentiellement objet de dérivations – en passant par le stade de pérégrinisme. En
effet, si « le xénisme demeure un mot étranger mentionné dans son propre code », le
pérégrinisme représente une étape intermédiaire : « Entre les deux (xénisme et
emprunt intégré), il a connu un stade de pérégrinisme ; lorsqu’il renvoyait à des
réalités qui sont devenues familières en langue d’accueil. » (Gaudin, 2000 : 296)23

6.2.2. Analyse en synchronie à partir d’un corpus de définitions

En vue d’une analyse en synchronie, nous nous appuierons sur un corpus de dix
définitions qui rendent compte d’une double approche – sources lexicographiques et
paratextuelles – et se répartissent ainsi :
- quatre définitions extraites de dictionnaires ou encyclopédies24 ;
- deux définitions issues de sites de référence ayant trait au slam ;
- deux définitions de collectifs de slameurs ;
- deux définitions individuelles de slameurs.
Depuis 2007, le lexème objet de notre étude constitue une entrée du Petit Robert
où il est défini en ces termes :
[slam] n.m. 1991 ◊ mot anglais, littéralemt « claquement » ■ Anglic. Forme d’art
oratoire consistant à déclamer de manière très libre des textes poétiques.25
Tournoi de slam n. slameur, slameuse
Il est apparu simultanément dans le Larousse (« Poésie orale, urbaine, déclamée
dans un lieu public, sur un rythme scandé. ») alors que les dérivés « slameur,
23
Voir dans la suite de ce chapitre ces différents stades illustrés (en diachronie) par notre corpus d’articles de
presse.
24
Aux deux définitions des dictionnaires en version papier s’ajoutent deux définitions collectées en ligne. Les
ressources Internet nous ont semblé particulièrement nécessaires en l’occurrence pour rendre compte du
caractère contemporain, et en tant que tel, évolutif, de notre objet.
25
Notons que l’édition 2012 du « Robert de poche » fait état d’un autre sème avec l’idée de narration :
« Poésie, narration scandée librement, de manière rythmée. »
244

slameuse » ne seront ajoutés qu’à l’édition 2009 de ce même dictionnaire. Notons


que le substantif « slameur » est d’ores et déjà intégré au Dictionnaire des mots
nouveaux des sciences et des techniques, 1982-2003 (Murcia et al., 2005), sous le
domaine « art, sociologie » : « Poète qui se produit dans les rues et les bars ».

Si le Wiktionnaire définit le slam comme « Déclamation publique faite pour


surprendre, émouvoir l’auditoire. » ou encore « Poésie orale et publique »,
l’encyclopédie Wikipedia présente une définition plus complète, en deux temps.
D’une part, le dispositif est expliqué en termes de compétition : « Basé sur le principe
de la joute oratoire, le slam de poésie est un type d'expression dans laquelle des
poètes s'affrontent et reçoivent les notes d'un jury choisi au hasard parmi le public. »
D’autre part, le mouvement est ainsi décrit :
« Le slam est une forme de poésie sonore considérée comme un mouvement
d'expression populaire, initialement en marge des circuits artistiques traditionnels,
aujourd'hui largement reconnu et médiatisé. C'est un art du spectacle oral et scénique,
focalisé sur le verbe et l'expression brute avec une grande économie de moyens, un lien
entre écriture et performance. Si des poètes, en particulier issus de la mouvance hip-
hop, le revendiquent comme issu de la rue ainsi que le rap à ses débuts, il est
néanmoins pratiqué par des poètes de tous styles, de tous milieux sociaux, en ville
comme à la campagne. » (nous soulignons)
Forme poétique dont le lien avec la poésie sonore reste à interroger, le slam est
appréhendé non seulement comme un mouvement « d’expression populaire », mais
aussi un art fondé sur le verbe, l’écriture et la performance scénique.
En outre, la définition est assortie de l’énoncé de sept règles précises :
 inscriptions ouvertes à toutes et tous.
 pas de décorations sonores, lumineuses ou vestimentaires.
 liberté de l'expression.
 temps de parole de 3 minutes maximum.
 un texte dit, un verre offert (non cumulable).
 textes issus de sa propre création.
 un jury, choisi au hasard dans la salle, note les poètes ou équipes de poètes
(poèmes collectifs).
Cependant, les règles ne sont pas mises en exergue dans la définition proposée
par la Fédération Française de Slam Poésie qui suggère d’établir une distinction
entre le slam - en tant qu’« outil de démocratisation et art de la performance
poétique » - et une scène slam dont elle précise le déroulement et l’organisation :
« Qu’est-ce que le slam ? Le Slam est un spectacle sous forme de rencontres et de
tournois de poésies. Créé à Chicago dans les années 80, il a suscité un engouement
populaire et médiatique qui lui permet de se propager dans le monde entier. Le slam est
ainsi un outil de démocratisation et un art de la performance poétique. Le slam est le lien
entre écriture et performance, encourageant les poètes à se focaliser sur ce qu'ils disent
et comment ils le disent. (…) L'entrée est libre. La plupart des scènes slam se déroulent
245

sans enjeu ni compétition, avec un alibi convivial, " l'exception culturelle " à la française,
servant de signe de ralliement aux poètes hexagonaux : 1 poème dit = 1 verre
offert. (…)
Qu’est-ce qu’une scène slam ? Une scène Slam est un événement à l'occasion duquel
des poètes présentent leur travail et sont jugés par le public. Généralement
l'organisateur sélectionne les juges, qui doivent noter les poètes (une note de zéro à dix)
en fonction du contenu du poème et de la performance. Les rencontres de Slam se
déroulent dans des lieux publics, bars, cafés, salles de spectacles, MJC, cinémas,
toutes sortes de lieux pouvant réunir poètes et spectateurs. Le Slam permet aussi de
proposer de la poésie dans des espaces insolites ou inhabituels, tels que bureaux de
poste, librairies, médiathèques, écoles, hôpitaux, prisons ou marchés en plein air par
exemple. » 26 (nous soulignons)

Une telle définition permet d’entrevoir en quoi le slam français se distingue


potentiellement du slam américain, à travers l’émergence des scènes dites ouvertes
par opposition aux scènes compétitives, qui se présentent sous forme de tournois.
En outre, elle insiste sur la pluralité de lieux, s’agissant nécessairement de lieux
publics plus ou moins insolites. Si cette approche renvoie aux origines du slam, elle
est actualisée par des slameurs contemporains qui se livrent à des attentats verbaux
(GCM) ou slam sauvage (129H), déambulant à travers des lieux aussi variés que le
métro parisien (129H), le TGV (Ysae), les bureaux de poste (projet « Slam la
confiance »), les prisons (MP) et autres médiathèques ou piscines municipales.
« Planeteslam », site fondé par Tsunami et considéré comme un « carrefour du
slam », présente en page d’accueil une définition qui nous conforte dans la
représentation du slam comme art oratoire et poétique, terrain d’expression libre :
« Le slam, c’est quoi ? C'est un art oratoire de la performance poétique, un spectacle de
poésie libre et vivante. C’est un mouvement social, culturel, artistique. C’est une pratique
égalitaire, démocratique, communautaire où tout le monde est invité à s’inscrire pour
interpréter, dans une totale liberté de style, de genre, sujet traité, en trois minutes temps
limité, sans musique, à égalité, un poème, une ode, une histoire, sans costume, décor,
accessoire. Poétesses et poètes d’un jour ou d’un soir se voient offrir un verre à boire.
Le slam n'a pas pour vocation de glorifier l'individu mais de célébrer la poésie et la
communauté humaine des poètes. Le slam n'est pas un terrain élitiste mais un cadre
d'expression égalitaire. (…) Un tournoi slam est une parodie de compétition, un prétexte
au spectacle et à l’interaction avec le public. »27 (nous soulignons)
Art, spectacle, pratique, « poésie libre et vivante », le slam apparaît surtout comme
un espace, un terrain où tout le monde est invité à s’exprimer, et ce en dehors de
tout enjeu compétitif réel. L’essentiel est dans l’interaction avec le public, précise-t-
on, le tournoi n’étant alors qu’un prétexte, une « règle du jeu ». Cette règle se veut

26
Site de la FFDSP (voir en sitographie).
27
Voir en sitographie.
246

donc, en tant que cadre, libératrice de l’expression. L’aspect communautaire semble


ici prégnant, comme en témoigne la double occurrence de ce terme.
Le slam est précisément appréhendé comme « art collectif » par le collectif
« 129H » :
« Il n’existe a priori aucun équivalent en français, mais la combinaison des différentes
définitions américaines pourrait donner : monter sur scène pour projeter des mots qui
claquent. (… ) Le slam est un art collectif, oratoire et acoustique, où la parole mise à nu
fait face à l’auditoire. Seul compte le texte, qu’il soit lu, scandé, crié, pleuré, improvisé,
récité. Tribunes de libre expression, les scènes slam se déroulent dans des espaces où
la parole peut circuler librement. Chaque scène réunit poètes, novellistes, rappeurs,
improvisateurs et chanteurs, tous animés d’une même passion pour l’écriture. Un
présentateur anime la scène (…) : il veille à l’équité du temps de parole. Le slam donne
à chacun la possibilité de s’exprimer sans discrimination, et le public est toujours invité à
participer.» (129H, sd : 27-28, nous soulignons)
En l’occurrence, l’accent est mis sur une expression libre (« libre/librement ») et
accessible à tous, le slam étant le lieu de « la parole mise à nu ». Si cette dernière
formule contient implicitement la règle du texte dit a capella, elle exprime
conjointement l’enjeu d’une expression brute et sincère, qui peut avoir quelque chose
d’impudique. La forme de cette expression est étayée par la référence au sens
premier du lexème (« projeter des mots qui claquent »), même si elle demeure
ouverte à des modalités variées (« lu, scandé, crié, pleuré, improvisé, récité ») :
celles-ci laissent place aux émotions du dire et à une « passion pour l’écriture » qui
constitue le trait d’union entre les participants.
De fait, l’émotion apparaît comme le maître-mot de cette autre définition, énoncée
par le collectif lyonnais « La tribut du verbe » :
« En américain, slam signifie faire claquer les mots. Le slam est un espace d’expression,
une prise de parole libre en public, la slam session. Les règles originales sont simples :
la scène est ouverte à tout le monde sur inscription préalable, à l’appel de son nom on
dispose de 5 minutes maximum sur scène, le choix du texte et l’interprétation sont libres,
il n’y a pas de support musical, et un verre est offert après le passage. Un slam est le
texte qu’on dit sur une scène pendant la Slam Session. Le slam est une pratique encore
essentiellement amateur, même si les premiers artistes issu des scènes slam
apparaissent. Du fait qu’il s’agit d’une scène ouverte, accessible à tous, les prestations
peuvent être jugées de niveaux inégaux. Mais la diversité d’une slam session en est un
des intérêts majeurs. (…) Malgré ce ‘laisser-faire’, les slam sessions sont très denses
dans l’intensité des mots et des voix. Et la qualité d’un slam ne se mesure pas
simplement à la force de l’interprétation et à l’inspiration du texte, mais aussi à l’émotion
et à l’énergie dégagées. »28

Si les règles originales sont formulées – avec cette différence de timing qui veut
qu’en province on dispose de cinq minutes sur scène, contre trois minutes sur une

28
Voir en sitographie le blog de ce collectif (nous soulignons).
247

scène parisienne – elles semblent s’effacer derrière l’enjeu véritable d’un moment
intense, riche en émotions et en énergie. Dès lors, le « laisser-faire » est la porte
ouverte à une diversité de styles qui fait toute la saveur et la singularité d’une slam
session.
De la même façon, la définition d’un Grand Corps Malade nous invite à prendre
des distances avec les fameuses règles dont il se défie entre parenthèses, la règle
d’or du slam étant l’ouverture à une pluralité d’approches reflétée par un oxymoron :
« Il y a évidemment autant de définitions du slam qu’il y a de slameurs et de
spectateurs des scènes slam.
- les textes doivent être dits a cappella ("sinon c’est plus du slam" ?)
- les textes ne doivent pas excéder 3 minutes (oui mais quand même des fois, c’est 5
minutes…)
- dans les scènes ouvertes, c’est "un texte dit = un verre offert" (sauf quand le patron
du bar n’est pas d’accord…)
Bref, loin de toutes ces incertaines certitudes, le slam c’est avant tout une bouche qui
donne et des oreilles qui prennent. C’est le moyen le plus facile de partager un texte,
donc de partager des émotions et l'envie de jouer avec des mots. (… ) Le slam est peut-
être un art, le slam est peut-être un mouvement, le slam est sûrement un Moment… Un
moment d’écoute, un moment de tolérance, un moment de rencontres, un moment de
partage. »29
Comme en témoigne la répétition du mot « moment », le slam se définit comme un
espace-temps partagé : espace privilégié pour une expression libre et ludique, temps
de partage et de rencontres. Il est un art de l’instantané, comme en attestent ces
deux mots proposés lors de notre enquête : « Instantané » (LK) et « espace » (B)30.
Porte ouverte aux métissages de toutes sortes, le slam s’inscrit aussi en tant que
porte « fermée au nez » de toutes formes d’oppression, comme nous le rappelle le
slameur grenoblois Mots Paumés, faisant référence aux origines du mouvement :
« L’objectif est de donner un espace d’expression à tous ceux qui souhaitent l’occuper.
Une façon de retrouver le pouvoir de la parole et de l’écoute, pour des gens qui en sont
habituellement privés, du fait de leur statut social, de leurs marginalités culturelles, de
leurs origines ethniques, de leurs opinions politiques, etc. Faire claquer les mots et
claquer la porte aux symboles multiples de l’oppression. (…) Qu’il s’agisse d’une lecture
(le slameur lit ses feuilles de texte sur scène) ou d’une interprétation (le slameur a appris
ses textes, ou il improvise), le slam se définit à l’origine, par l’absence d’instrumentation
et d’accessoires. (…) Le slam est un lieu de croisements, de partage de créations
variées, différentes. N’importe qui peut être slameur s’il/elle le souhaite. »31

29
Voir le site officiel du slameur (nous soulignons).
30
Voir aussi l’article « Le slam, c’est l’instantané » en annexe II.10.
31
Voir le document en annexe I.5 (nous soulignons).
248

6.2.3. Analyse sémique et tableau de synthèse

Nous avons soumis ce corpus de définitions à une analyse sémique afin de


hiérarchiser les traits définitoires et distinctifs synthétisés dans le tableau suivant :

Définitions/traits Dispositif Formes et contenus Enjeux et


valeurs

déclamation,

performance

d’expression

Démocratisa
Mouvement,
compétition,
Art oratoire,

Rencontre,
contraintes

poétiques,
interaction
spectacle

Emotions

tolérance
Règles32,

claquent,
poèmes,

Mots qui
Tournoi,

partage,

explicite
collectif,

sonnent

Ecoute,
écriture
Poésie,

Liberté
oralité,
parole

-tion
Lieu
Petit Robert (PR) + + + (+) +
Petit + + + (+)
Larousse (PL) (urbai
ne/
lieu
public
)
Wiktionnaire (W1) + + + (+) +
Wikipédia (W2) + + + (publi + +
(1, que)
2, 3, +
4, (ville/
5) camp
agne)
FFSP + + + + + + +
(5) (lieux
public
s,
espac
es
insolit
es)
Planeteslam (PS) + + + + + + +
(1,
2, 3,
4,
5)
GCM + + + + + +
(2,
4,
5)
129H + + + + + + + +
(4)
La Tribut du + + + + + +
verbe (TV) (1,
2, 3,
4,
5)
Mots Paumés + + + + + +
(MP) (2,
3)
Total 10 7 5 5 4 6 6 (3) 4 7 6

Tableau 3 : Analyse des sèmes présents dans les définitions du slam

Sur un plan méthodologique33, nous nous démarquons ici de la démarche de


Catherine Beaumont-James (1999 : 26) qui, dans la lignée de Rastier, se livre à une

32
Règles : 1/ Inscription préalable auprès d’un « MC » 2/ Texte dit a capella (pas de musique préenregistrée)
3/Absence d’accessoires ou de costumes 4/ Durée maximale = 3 minutes (5) 5/ 1 texte dit = 1 verre offert
249

analyse contrastive différenciant les sèmes génériques des sèmes spécifiques. Notre
propos n’est pas tant d’opposer le slam à la poésie ou même à la chanson que de
mieux cerner un objet qui nous paraît indissociable du contexte culturel contemporain
dans lequel il émerge, les définitions pouvant évoluer au sein de l’espace mondial34.
Dans cette perspective, nous nous situons dans une approche de contenus qui n’est
pas sans lien avec la sémantique du prototype de Rosh diffusée en France par
Kleiber35 et du réalisme expérienciel de Lakoff (1987) : en tant qu’objet de
représentations, le slam suscite des stéréotypes et les slams d’un Grand Corps
Malade tendent à être perçus comme emblématiques, voire prototypiques36.

Figure 1 : Le slam et ses définitions, incluants et spécifiants

A la lecture de ces définitions et au vu du schéma ci-dessus, nous observons


que l’incluant le plus fréquent est « Art » (6) - souvent assorti de l’adjectif « oratoire »

33
Justifier le passage de l’analyse sémique à une analyse plus approfondie.
34
Nous avons envisagé (chapitre 1) les approches américaines, allemandes et espagnoles du slam.
35
« La sémantique du prototype rompt avec la conception classique, « aristotélicienne », de la catégorisation,
en proposant une théorie de la catégorisation nouvelle, qui ne fait plus de l’existence de propriétés communes
partagées par tous les membres la condition nécessaire à l’établissement d’une catégorie. De catégories dites
logiques, définies par une liste de conditions nécessaires et suffisantes, on passe à une analyse de catégories
dites naturelles, qui vise avant tout à décrire leur organisation interne et externe en relation avec leur
fonctionnalité. Le processus de catégorisation n’est plus alors la découverte d’une règle de classification, mais
la mise en relief de covariations et de similitudes globales et la formation de prototypes de référence. »
(Kleiber, 1990 : 14)
36
Nous nous démarquerons cependant de cette approche sur un plan poétique, en nous gardant de considérer
les slams d’un Grand Corps Malade comme prototypiques : « Le prototype est le référent qui paraît le meilleur
représentant de la catégorie ; ses propriétés sont considérées comme typiques de la catégorie. » (Mortureux,
1997 : 95).
250

- suivi de « Mouvement » (3). « Forme » (2), « Espace » (2) ou « Lieu » (1) et


« Spectacle » (2) sont d’autres incluants possibles. « Poésie » (2) est incluant dans
les définitions lexicographiques, mais souvent évoqué en combinaison binominale
avec d’autres termes : « spectacle de poésie », « forme de poésie », « tournoi de
poésie », « slam de poésie »37. Quant aux spécifiants, nous en arrivons à un double
constat. D’une part, en ce qui concerne le cadrage du dispositif, seul le sème
« oralité » est commun à toutes les définitions (10/10). L’énoncé des règles est loin
d’être systématiquement intégré à la définition du slam (7/10). Notons d’ailleurs que
le sème « tournoi » n’est représenté que dans 50% des définitions. Le lieu (4/10) est
énoncé comme trait définitoire en tant que « lieu public » voire « insolite » (FFSP),
alors que le sème « poésie urbaine » (PL) est rarement évoqué, une définition allant
même à l’encontre de cette dichotomie entre ville et campagne (W2). Les notions de
« rencontre », de « partage » (3 occurrences dans la seule définition de GCM), le
caractère « convivial » (FFSP), procèdent essentiellement des définitions de
collectifs ou de slameurs individuels, mais ne sont guère présentes dans les
définitions officielles (5/10), ce qui révèle la part d’appréhension subjective. D’autre
part, en ce qui concerne la forme et les contenus, le sème « poésie » (en lien avec
l’écriture) n’apparaît pas véritablement comme un sème générique puisqu’il n’est pas
commun à toutes les définitions (6/10). Quant à la référence au sens premier du
lexème (to slam, claquer), elle est également convoquée dans 6 définitions sur 10,
mais sémantiquement intégrée à la définition (« les mots qui claquent ») dans
seulement trois cas. Notons que l’article de Wikipédia cite l’étymologie « chelem ».
Le sème « émotions » ressort dans 4/10 des définitions comme un trait essentiel.
Enfin, concernant les enjeux et les valeurs véhiculées par le slam, le sème
« liberté » (d’expression, de forme…), associé à ceux d’écoute et de tolérance, est
représenté dans la majorité des définitions (7/10) et apparaît en tant que tel comme
un autre trait définitoire, le slam se définissant alors comme art de la parole libre38.
Soulignons enfin que 6/10 des définitions font référence au slam en tant que
mouvement dont l’enjeu originel était de « démocratiser la poésie ».

En conclusion, le lexème slam se décline à travers des définitions diverses qui


renvoient à des sémantèmes différents. En effet, le terme s’applique non seulement

37
Nous nous intéresserons aux combinaisons lexicales autour du mot slam (voir infra).
38
Ce point confirme les représentations communément partagées – du moins au sein d’une communauté slam
élargie aux amis des slameurs - selon notre enquête complémentaire : « le slam en un mot » (voir chapitre 3).
251

à la scène slam ou slam session en tant que dispositif plus ou moins ouvert
permettant à ceux qui le souhaitent de s’exprimer voire de participer à un tournoi de
poésie, mais aussi au slam en tant qu’art issu de ce dispositif mais pouvant se
dérouler dans d’autres cadres (albums, concerts, publications…)39. Enfin, nous
verrons qu’un slam peut désigner, par synecdoque, un texte de slam, soit un texte
slamé pendant une scène slam ou encore un texte de slameur. On pourra se référer
à ce propos à la définition complète proposée par le grenoblois Mots Paumés40.

6.3. Du mot en contexte : analyse des occurrences et cooccurrences du lexème


« slam » dans la presse

Au vu de cette complexité sémantique, il nous apparaît nécessaire d’analyser


dans un deuxième temps la combinatoire propre à ce lexème. Au premier abord et
d’après nos sources primaires, il est fréquemment employé en combinaison avec le
terme « session », soit slam session ou session slam41, ou encore « scène slam »
pour désigner le dispositif précédemment défini. En outre, il peut être associé avec le
terme de poésie - « slam (de) poésie » - afin de mieux cerner une forme qui n’est pas
nécessairement induite par la définition du slam, foncièrement ouverte. Enfin,
l’association slam family est récurrente dans le champ anglophone, désignant la
communauté de poètes qui se construit autour du slam et contribue à le construire en
tant que mouvement. Marc Smith, fondateur du mouvement, la décrit en ces termes :
“Don’t be in your little corner and that’s what the slam is, less competitive poetry and
more a family of poets, an international family of poets. People now are connected all
over. The slam is open to anybody who walks in the door.”42
Afin d’étudier plus précisément les associations lexicales privilégiées autour du
lexème slam, nous l’analyserons en contexte, à travers un corpus d’articles de
presse qui témoigne de la circulation du mot et des représentations qu’il véhicule43.

39
Voir notre glossaire.
40
Voir en annexe I.5.
41
La première étant calquée sur l’anglais, la seconde rétablissant l’ordre conventionnel en français.
42
Interview de Marc Smith sur le site Arte.tv (voir en sitographie).
43
Ce corpus nous intéresse dans la lignée d’une sémantique du prototype, en tant que révélateur de
représentations associées au mot « slam » et diffusées dans les medias. En outre, ces articles attestent de la
vitalité et de l’évolutivité de notre objet de recherche dans les medias. L’intégralité des articles retenus au titre
de ce corpus sont reproduits en annexe II.
252

6.3.1. Présentation du corpus

Notre corpus est constitué de dix-sept articles : quatre sont issus de la


cyberpresse internationale44, les autres étant extraits de la presse nationale ou
régionale, quotidienne ou hebdomadaire45, de quotidiens francophones suisse
romand et québécois, d’un hebdomadaire libanais46. Afin de collecter ces articles,
nous avons eu recours au logiciel « Pressens », ainsi qu’à la collaboration des
slameurs et slameuses rencontré(e)s qui nous ont eux-mêmes communiqué des
dossiers de presse les concernant. Cela nous a permis d’ouvrir notre corpus à la
presse francophone (Québec, Suisse, Liban), ce qui nous semblait particulièrement
opportun en vue de notre exploitation didactique en Français Langue Etrangère et/ou
Français Langue seconde, ainsi qu’à la presse internationale (Royaume-Uni,
Espagne). En vue d’une analyse en diachronie, ces articles ont été sélectionnés sur
la période récente de 2004 à 2011 qui est la plus prolifique sur ce sujet : si les
premiers articles datent de 2004, c’est surtout à partir de 2007, suite à la sortie du
premier album de Grand Corps Malade, que « le slam enflamme » selon la formule
titulaire de l’article issu de Télérama. Ce corpus comprend donc sept articles
généraux sur le slam47, trois articles ayant trait à des ateliers slam menés par des
slameurs, auxquels s’ajoutent sept portraits – croisant interview et critique d’albums :
le premier se présente comme la critique de « Vibrion », trois portent sur l’œuvre de
Grand Corps Malade, un sur celle de Souleymane Diamanka, un sur Ivy et le dernier
sur l’artiste allemand Bas Böttcher. Rendant compte d’une interview, ce dernier
article est rédigé en anglais, ce qui nous permettra d’aborder l’environnement lexical
du mot slam en contexte anglophone. Quant à l’article publié dans la presse
espagnole, il nous amènera à envisager le mot comme pérégrinisme, stade qu’il

44
Nous avons justifié ce choix de recourir à des ressources en lignes afin de rendre compte de la
contemporanéité et de la vitalité de notre objet. Il nous a en outre permis d’accéder à une presse
internationale : Le soleil (S) est un site d’informations québécois. L’article consacré à Bas Böttcher a été
consulté sur le site de l’Institut Goethe (voir en sitographie). Le point.fr a été consulté pour l’article sur la
Coupe d’Europe de Slam, ainsi que le site du quotidien espagnol 20 minutos.
45
Les quotidiens suivants ont été retenus : La Croix, Le Dauphiné Libéré, Le Figaro, L’Humanité, Libération, La
Liberté, Métro, 20minutos (V). S’y ajoutent les hebdomadaires Le Monde des livres, Le Nouvel Observateur,
Télérama, Al Ayam, Le Point. Nous les désignerons par leurs initiales (C, DL, F, H, L, LL, M, V, ML, NO, T, AA, P)
suivies de l’année de parution de l’article.
46
La Liberté est un journal suisse Romand ; l’article nous a été transmis par le slameur Narcisse. Métro est un
quotidien distribué dans le métro de Montréal, l’article est consultable en ligne. Quant à la revue Al Ayam, elle
nous a été envoyée par Lauréline Kuntz, suite à notre entretien en date du 4/12/10.
47
Ils traitent des thèmes suivants : Les origines américaines, slam et rap, la mode du slam, la compétition et les
tournois « Bouchazoreilles », le Grand Slam National, la Coupe d’Europe de slam, le slam en Espagne.
253

semble avoir dépassé en France. Un tel corpus ne prétend nullement à l’exhaustivité


mais à une certaine représentativité : d’une part, l’analyse des contenus nous
apportera un éclairage complémentaire aux éléments de définition précédemment
énoncés48 ; d’autre part, une analyse lexicale nous permettra d’établir quelques
associations privilégiées autour du lexème « slam » et de mettre en lumière des
phénomènes d’innovation à partir de ce mot. De fait, la presse écrite apparaît comme
un lieu privilégié de la néologie et il sera donc question de saisir, s’agissant du slam,
comment elle contribue à la diffusion d’une créativité qui nous semble émaner de
l’objet lui-même : les journalistes ont-ils néologisé ou néologisent-ils encore pour
rendre compte de la nouveauté du phénomène et de sa vitalité ? Si Jean-François
Sablayrolles (2000 : 370) s’est intéressé à la fonction d’appel voire d’appât
caractéristique des néologismes issus de la presse, nous vérifierons son efficience
appliquée à notre corpus, et notamment aux formules titulaires des articles retenus
ainsi qu’aux titres de notre corpus complémentaire (1991-2010)49.

6.3.2. Analyse des contenus

Sur le plan de l’analyse des contenus, notre corpus de titres apparaît illustratif du
champ sémantique du mot slam dans le lexique français. En effet, les 52 titres de
presse obtenus en effectuant une recherche à partir du mot « slam » dans la base
documentaire informatisée de la BPI sont ainsi répartis :
- 5 articles traitent du roman Slam50 et d’un autre roman qualifié de slam littéraire : le
mot slam est ici employé comme indicatif d’un style51 ;
- 9 articles traitent de la sortie du film Slam en 1998 et un article de la diffusion du
documentaire Slam Nation (Paul Devlin, 1998) ;
- Les 37 autres articles ont trait au slam objet de notre recherche dont GCM (10
articles) est considéré comme l’emblème voire le prototype, se voyant qualifié de
« marathonien du verbe », « Villon du 93 » ou encore de « malade imaginatif ».

48
Même si les discours journalistiques sur le sujet n’ont pas nécessairement de valeur définitoire, ils nous
semblent néanmoins porteurs de représentations inhérentes à notre objet en tant qu’objet socioculturel.
49
Voir en annexe II.18 le tableau de titres issus d’une recherche dans les archives de la Bibliothèque Publique
d’Information (le 11/05/11).
50
« Attention, titre trompeur : le dernier roman de l’Anglais Nick Hornby, Slam, n’évoque en rien l’art vocal de
GCM. En effet, le terme « slam » désigne, dans le vocabulaire du skate-board, une grosse chute. » (L’Express, 29
mai 2008).
51
« Etrange roman, écrit en vers libres et mettant en scène des hommes, des chiens et des loups-garous, Crocs
constitue le premier « slam » littéraire. (…) Toby Barlow (…) a choisi d’employer une langue faite de vers libres,
une sorte de slam littéraire aussi surprenant que séduisant. » (Livres hebdo, 2008)
254

Notons d’ailleurs la présence de sèmes ayant trait au sport, voire au combat : « La


poésie comme sport de combat » titre le Nouvel Observateur du 12 novembre 1998.

La vague du slam : « Slam de fond »

Notons que le premier article étudié (ML, 2004) est précurseur puisqu’il aborde le
slam comme « un phénomène de mode assez récent » à Paris tandis qu’ « à New-
York, on pratique la poésie orale depuis les années 90. ». Il s’intéresse donc aux
origines américaines du mouvement, sous la forme de joutes poétiques qui s’ancrent
dans un contexte urbain (« au milieu d’une petite rue aux murs couverts de graffitis »)
et visent une mixité socio-ethnique : « Latinos, Blancs, Noirs et Asiatiques viennent
s’affronter à coups de strophes. » Dans le cadre de ces « compétitions très
ritualisées, des poètes de tous bords montent sur scène pour donner voix – en trois
minutes et dix secondes – à des compositions éclectiques ». L’article suivant (NO,
2004) aborde, la même année, la question de la légitimité du Rap et du Slam –
orthographiés avec des majuscules – en retraçant leurs histoires respectives. Si le
rap « traîne derrière lui une mauvaise réputation », le journaliste cite l’exemple d’Abd
al Malik pour illustrer un renouvellement salvateur : « Le genre dont on annonce
périodiquement la fin ne cesse pourtant de se renouveler. ». Le slam est présenté
comme « son cousin très éloigné » : « un art du texte, du partage de la parole, a
capella, et non un genre musical. » Robert Migliorini revient sur les origines du slam
et cite l’anthologie de Serge Martinez, avant de conclure que « rap et slam ont acquis
droit de cité, après avoir cheminé longtemps à contre-courant. »52 Deux ans plus
tard, la sortie de l’album « Vibrion » (T, 2006) annonce la vague du slam : « Depuis
que le genre, ni rap clicheton, ni rimaille que vaille, a envahi l’Hexagone, ça scande
dans tous les coins, sans esclandre, sans tintouin, mais avec talent souvent. » note
le journaliste. Il s’ensuit une glose du nom de ce collectif marseillais autour du poète
Frédéric Nevchehirlian : « Vibrion, c’est une sorte de bactérie mobile, chantée en son
temps par Aragon lui-même53. Un patronyme adéquat pour ce quatuor vibratile » Et
le poète de préciser le dessein/design poétique : « Nous voulons sortir du cadre54,
être des poèmes qui se disent, des poèmes qui se lisent fort ». Collectif inclassable,

52
Cette affirmation nous semble discutable dans la mesure où le slam et le rap ne nous semble pas jouir de la
même reconnaissance en France. La question de la légitimité nous paraît plus problématique appliquée au rap
dont le caractère contestataire et le cheminement « à contre-courant » sont plus marqués. (voir le chapitre 5)
53
« Remuez, remuez désespérément, vibrions tragiques entraînés dans une aventure complexe. » est la
citation d’Aragon que l’on trouve dans le dictionnaire (PR) à l’entrée « vibrion ».
54
Nevchehirlian cite ici le premier vers de son texte « Large » (2005).
255

mais néanmoins catégorisé « slam » par le journaliste qui commence son article par
ces mots « Slam de fond ». Avec la sortie du premier album de Grand Corps Malade,
la voie (voix) est libre pour les « obsédés textuels » qui sont au cœur de l’article de
Télérama (2007). Dès lors, le slam apparaît au grand jour et « cette poésie urbaine,
devenue une alternative au rap »55 fait l’objet d’une véritable ruée56. Grand Corps
Malade est alors cité comme le principal acteur de ce succès qui gagne les
établissements scolaires où ce « filon pédagogique (qui) vire parfois au quiproquo. »

Les ateliers slam ou l’expérience d’une langue « vivante »

Dans un article intitulé « Plaisir des mots » (DL, 2007), Laurence Veuillen expose
une expérience d’atelier slam en collège. Dans ce contexte, la leçon de slam –
dispensée par le lyonnais Marco DSL – est valorisée comme « une grande
nouveauté dans l’Education Nationale ». Le slameur initie les élèves à plusieurs
techniques d’écriture rythmique et le tour est joué pour ainsi dire : « La langue
française devient un jeu. » De son côté, le slameur Narcisse (S, 2010) se livre à un
cours de slam, dont il précise qu’il s’agit non seulement de « frapper le mot, fouetter
le verbe, faire mousser la phrase », mais aussi d’ « être libre ». Faisant écho au nom
du journal romand, le slameur entend par là qu’il est important de se détacher de ses
modèles pour créer son propre personnage. Le nom de son spectacle « Regardez-
vous » constitue d’ailleurs un clin d’œil à son nom de scène. La liberté, c’est aussi la
licence poétique inhérente au slam : « L’utilisation de l’argot, du verlan, de l’ironie, de
la poésie sonore : tout est permis ou presque… » Enfin, Lauréline Kuntz a animé un
atelier au Liban qui s’est révélé une expérience très enrichissante comme le souligne
l’article paru à ce sujet dans la presse nationale (AA, 2010). Les participants y ont été
confrontés à une langue ouverte et vivante : « Ils se sont exprimés avec cette langue
qui jusqu’ici, pour la plupart d’entre eux, se présentait surtout sous forme de cours de
grammaire chronophages ou de dictées interminables. » Et le journaliste de préciser
que la notion de langue vivante prend ainsi tout son sens, à travers cette expérience
de la matérialité – et de la fertilité – des mots. Si « le Slam est une forme
d’expression artistique ayant pour terroir une langue et son vocabulaire et pour
terreau une dose d’imagination fertile », alors il va dans le sens du « combat que

55
Cette idée d’alternative nous questionne aussi : le slam ne se définit pas, nous semble-t-il, en creux par
rapport à un genre musical dont il se distingue par essence même si des points communs sont envisageables.
56
Notons qu’il s’agit là d’une métaphore filée, le slameur étant défini comme « chercheur de phases » par un
Grand Corps Malade, ce qui évoque, par métaphore in abstentia, un orpailleur.
256

mène la langue française pour consolider sa place de langue préférée des libanais. »
Ainsi l’expérience du slam peut-elle influer favorablement sur le rapport à la langue
en général et les représentations associées à la langue française en particulier,
hypothèse que nous nous proposons de vérifier dans la troisième partie de cette
étude.

La dimension compétitive : « Boxe slam »

Dans l’Humanité (2007), le slam est décrit comme « joute verbale » à travers le
collectif « Bouchazoreill’ » : « une expérience slam originale donnée sur une scène
transformée en ring de boxe. » Telle est aussi l’entrée choisie par Stéphanie Binet (L,
2007) qui évoque cette même « expérience » en termes de rock-poésie. Au-delà du
tournoi où « les slameurs s’affrontent dans un ring en improvisant sur un thème », la
journaliste décrit « une poésie moins scolaire et moins sage, plus habitée que les
quelques disques de slam disponibles aujourd’hui ». Le slam est alors appréhendé
en termes de « tribune politique » dont le principal objectif est de « faire circuler la
parole ». « On est plus proche du jeu de paume que d’une rencontre artistique »
conclut la journaliste. Quant à l’article du Point, il rend compte de la « Coupe
d’Europe de slam » organisée à Reims en décembre 2010 : le slam est ici décrit
dans sa dimension compétitive, l’évènement devant aboutir à la désignation du
« premier champion d’Europe de l’histoire du slam », et ce en présence du fondateur
Marc Smith. Enfin, la journaliste espagnole n’hésite pas à titrer « Bataille de rimes
poétiques » et à aborder à son tour le slam comme compétition. Elle souligne qu’il
s’agit là d’un mouvement qui contient le germe d’un renouvellement de la poésie
orale traditionnelle et qui est en passe de s’affirmer en Espagne57.

Portraits de slameurs

Souleymane Diamanka est au cœur de l’article de Bernard Loupias (NO, 2007).


Certes, le slam y est présenté comme une « auberge poétique », mais la prudence
reste de mise au dire du journaliste : « cet espace libre est un terrain de jeu idéal
pour les vrais talents, il peut aussi devenir le tout à l’ego de légions de poètes ratés,
le bac à sable des râpés du rap. » A l’occasion de la sortie de son deuxième album
(2008), Grand Corps Malade fait l’objet de trois articles en forme de portraits. Dans le

57
“Es une manera de darle una buena vuelta a la tradicional poesía oral y un movimiento que empieza a
afianzarse en nuestro país.” (C’est un moyen de donner une nouvelle forme à la poésie orale traditionnelle et
un mouvement qui commence à s’affirmer dans notre pays.)
257

premier (C), c’est un « slam arc-en-ciel, métissé » qui est mis en valeur, à travers les
« pages existentielles, à l’écriture dense », de celui qui est désigné comme
« chanteur urbain » ou encore « poète de l’urbain ». Le deuxième (F) se présente
comme une interview de ce « ciseleur des mots » qui définit le slam comme « art de
l’instantané » et « culture de l’oralité ». Dans l’article de Cyberpresse du 12 juillet
2008, Grand Corps Malade est présenté comme ambassadeur du slam au Québec,
ce qui permet d’aborder la question du slam francophone. Le portrait d’Ivy, titré « Il
danse avec les mots »58, le décrit non seulement comme « amoureux des mots »
mais aussi comme slameur engagé, qui plus est instigateur des scènes de « slam de
poésie » québécoises. Aux yeux du slameur, « le slam » - soit les scènes ouvertes
« à la française » - et « un slam de poésie » sont deux choses distinctes : « le slam
c’est une manière de s’exprimer, tandis que, dans un slam de poésie, c’est le public
qui s’exprime.» Si les deux peuvent coexister en un « slam métissé », ouvert à des
formes diverses, la journaliste souligne néanmoins, à l’instar d’Ivy, que le slam d’un
Grand Corps Malade « n’est pas du ‘vrai’ slam ». Dans l’interview de Bas Böttcher
(2009), le journaliste semble d’ailleurs hésiter entre « Spoken word poetry » et « slam
poetry », cette dernière formule étant reliée à l’art de la performance59. Au dire de
l’artiste allemand, les principaux ingrédients en sont le son, le temps et le sens
(« sound, time and meaning ») : « Combine sound and time and you have rhythm.
Combine rhythm with meaning and your work has the potential to convince…»

6.3.3. Analyse lexicologique

Slam poetry et spoken word poetry

Aussi ce dernier article nous amène-t-il à nous interroger sur la distinction entre
slam poetry et spoken word poetry, le premier visant précisément à convaincre (voir
supra). La lexie « slam poetry » est employée à quatre reprises, contre trois
occurrences de « spoken word poetry ». Notons que « slam » n’est jamais employé
indépendamment de « poetry »60, ce qui semble témoigner d’un degré de figement
avancé dans cette expression, à la différence de ses emplois en français où le mot

58
Ce titre apparaît comme un détournement du titre de film : Danse avec les loups (1990).
59
“Above all the music of language can be heard in spoken word poetry, in which the art of performance is
inseparable from the act of creation.”
60
Constat corroboré par l’examen de flyers présentés dans l’ouvrage de Bas Böttcher « Die Poetry-Slam-
Expedition » (2009 : 122-123).
258

peut être utilisé de façon autonome. Le binominal61 « slam poetry » est convoqué
pour une désignation élogieuse du slameur allemand – « the prince of German slam
poetry » - mais aussi en référence aux origines américaines du slam et aux tournois
remportés par le slameur : « Böttcher Won the German Poetry Slam Prize time and
time again. » précise le journaliste. L’ordre des mots est ici inversé (Poetry slam) en
raison de la combinaison avec le terme « Prize ». Le titre de l’ouvrage cité comme
manuel scolaire (« school text book ») répond à ce même schéma syntagmatique,
les mots étant d’ailleurs séparés par des tirets selon les conventions propres à la
langue allemande : « Die Poetry-Slam-Expedition ». La lexie « slam poetry » est
aussi convoquée dans l’article espagnol (V, 2011), où elle est employée à 6 reprises
entre guillemets ou en italiques. Notons que le lexème simple slam n’est utilisé qu’à
trois reprises, avec une seule occurrence autonome (el slam). Les deux autres sont
intégrées à des polylexicaux tels sesiones de slam (« sessions de slam ») ou
campeonato (« championnat ») nacional de slam. L’utilisation du dérivé anglais
slammer (5) nous semble témoigner d’un degré d’intégration moins avancé qu’en
français où un dérivé a été créé62.

Relevé des occurrences et analyse des variations typo- et orthographiques

En ce qui concerne l’analyse lexicologique en contexte francophone, nous avons


utilisé le concordancier « Antconc » qui a relevé 235 occurrences63 du morphème
lexical « slam » dont 179 (soit 76 %) correspondent au lexème « slam »64. Au sein de
notre corpus d’articles francophones, notons que ce mot fait l’objet de quelques
variations typographiques et/ou orthographiques. L’emploi de la majuscule
correspond essentiellement aux titres (Original Slam, Slam expérience, le film Slam)
ou à la formule consacrée « Grand Slam ». Seul le journaliste libanais en fait un
usage systématique. Quant à l’emploi des guillemets, il semble réservé à des
citations ou formules traduites de l’anglais (« Slam de minuit»), à l’exception d’un
emploi qui traduit un effet de style ou de mise en relief : « une crédibilité "slam" »
équivaut à l’énoncé d’une marque ou d’un label. Robert Migliorini (NO, 2004) emploie
les guillemets pour les dérivés « slameur » et « slamer » qui ne sont pas encore

61
On peut cependant émettre l’hypothèse d’une utilisation adjectivale du lexème slam.
62
Cette hypothèse est corroborée par la consultation d’articles en ligne sur le blog du collectif madrilène (voir
en sitographie).
63
Nous avons inclus dans notre décompte le péritexte (titres et légendes de photos le cas échéant).
64
Nous avons comptabilisé les formes composées (slam-poésie, slam poetry, Slam tribu…).
259

attestés. Ces emplois traduisent une étape décisive dans le cheminement du mot
« slam » : il est ici objet de dérivations, mais la présence des guillemets attire notre
attention sur l’étrangeté de ces mots. Ainsi :
« L’étrangeté de la forme dit l’étrangeté de la chose » (Sablayrolles, 2002 : 102)
Une variation orthographique oppose les dérivés calqués sur l’anglais avec double
« m » (slammeur) aux dérivés conformes à l’orthographe attestée (slameur). Cette
hésitation graphique traduit la tension entre deux conceptions, la conception
américaine et le slam « à la française » qui se cherche encore65 :
« C’est au niveau de la connotation que tout se joue. La graphie anglo-américaine se
charge de valeurs traditionnellement associées aux Etats-Unis et les reporte sur l’objet
dénommé. » (Sablayrolles, 2002 : 106)
La seconde graphie – soit la graphie francisée – est cependant majoritaire : seules 5
occurrences (dont 4 au sein d’un même article) répondent à la première. Ainsi :
« Le rapprochement graphique dit la possible adaptation et tend à minimiser ce qui fait la
spécificité de l’objet, son exotisme. » (Sablayrolles, 2002 : 102)
Le tiret est employé à trois reprises pour des formules comme « slam-poésie » ou
encore pour souligner un néologisme formé par composition « slam-cap ? » En
revanche, notre corpus ne comprend aucune occurrence de « slam poésie » (sans
tiret), lexie complexe qui serait calquée sur l’anglais.

Détermination

Quant à la détermination, l’article défini (« le slam ») est largement


majoritaire alors que l’emploi métonymique (« un slam » pour désigner un « texte de
slam ») demeure marginal. Il semble réservé aux slams prototypiques d’un Grand
Corps Malade dont le texte « Saint Denis » commence précisément par ces mots :
« J’voudrais faire un slam pour une grande dame… » (2006). Seuls les journalistes
du Dauphiné Libéré (« lorsqu’il crée un slam »), de La liberté (leur slam, le thème du
slam), de Al Ayam (« afin de réaliser leurs slams ») s’autorisent cet emploi
métonymique. La journaliste québécoise utilise systématiquement l’article indéfini
appliquée au binominal : « (un) slam de poésie ». Quant à la détermination zéro, elle
s’applique surtout aux titres et formules empruntées à l’anglais (slam artists).

65
Un slameur (Bastien MP : entretien du 2/04/09) nous a d’ailleurs renvoyé cette question orthographique :
« slamer » ou « slammer » ?
260

Combinatoire et associations privilégiées

Les associations sont multiples autour du terme « slam », de la plus simple –


traduite de l’anglais slam session66 – à la plus originale, telle « Boxe slam » mise en
relief par sa position titulaire (H, 2007). « Bijou de slam », formule métaphorique
appliquée à l’œuvre de Souleymane Diamanka (NO, 2007), procède d’une
métaphore filée à partir du titre « Diamant noir », lui-même dérivé de nom du
slameur. En l’occurrence, la combinatoire de cette formule apparaît comme une
manifestation de créativité, relayée par d’autres figures de style qui sont essaimées
au fil de l’article. « Soirée slam » (6) ou « soirée de slam (de poésie) » (2), « scène
slam » (11) ou « scène de slam de poésie » (1) sont les lexies les plus fréquentes
pour désigner le dispositif ou l’évènement, alors que les groupes prépositionnels
« spectacle de slam »67, « performance de slam » demeurent des occurrences
isolées. « Ligue de slam » (2 occurrences) et « Coupe d’Europe de slam » semblent
évoquer une discipline sportive. Seul le journaliste libanais parle de « représentation
de slam. »68 L’article québécois (M, 2009) totalise 7 occurrences du polylexical
« slam de poésie » désignant le concept créé par Marc Smith par opposition aux
scènes ouvertes qui sont « dérivées du slam ». A la formule « atelier (d’écriture)
slam », la journaliste du Dauphiné Libéré préfère « leçon de slam » (2007), tandis
que celle de La Liberté (2010) parle de « cours de slam », par analogie avec « cours
de français »69. « Boxe slam », « expérience slam » et « planète slam »70 sont des
associations originales réunies au sein d’un même article (H, 2007). « Sonnet slam »,
« Haiku slam », « Slam érotique » et « Slam de minuit » apparaissent comme des
formules calquées sur l’anglais et sont citées en tant que telles.

66
La formule traduite littéralement « session slam » est absente de notre corpus d’articles, mais présente en
filigrane (par homophonie) dans le texte « Obsession slam » (voir infra).
67
La formule « spectacle slam » apparaît dans l’article de La Liberté mais il convient ici de préciser le co-texte et
le contexte qui est celui de l’annonce dudit spectacle : « Spectacle slam, musique et vidéo »
68
Formule choisie par l’Allemand Bas Böttcher (en français) dans l’entretien qu’il nous a accordé.
69
Cette formule s’explique par le contexte et le co-texte : les élèves expliquent avoir choisi de suivre ce
« cours » pour « remonter (leur) note de français », l’atelier d’écriture étant proposé à l’initiative de deux
enseignantes. Narcisse précise qu’ « un cours de poésie aurait certainement attiré moins de monde ».
70
Une référence implicite au site planeteslam.com peut-être contenue dans cette lexie, qui fait aussi écho au
titre d’IAM : De la planète Mars. De même, « expérience slam » peut être mise en relation avec le sous-titre
« Slam experience » de l’album Bouchazoreilles, cité en fin d’article.
261

Dérivation et néologie

Les principaux dérivés sont couramment employés, notamment « slameur » (30


occurrences + 5 de « slammeur »71). En revanche, le substantif féminin « slameuse »
est absent de notre corpus, ce qui peut s’expliquer par la minorité de slameuses
citées, hormis Laureline Kuntz qualifiée de « Championne de France de Slam »72.
Une occurrence (P, 2010) est fondée sur la composition « poète-slameur », dérivée
du binominal « slam-poésie », lui-même calqué sur l’anglais. Le verbe « slamer » (8
occurrences + 1 de « slammer ») est parfois utilisé comme verbe transitif direct – « le
slamer » (F, 2008), « slament (…) leur création » (M, 2009) – ou avec un
complément circonstanciel : « slamer sur tous les tons » (NO, 2004) et « slamer en
polonais » (NO, 2007). On relève une occurrence de l’adjectif « slammé », employé
comme épithète de « théâtre »73.

Les néologismes « slamiste » et « slambassadeur » sont créés par suffixation


pour le premier74, par fusion ou amalgame (Tournier, 1985) pour le second :
procédés qui peuvent être analysés en termes de productivité voire de créativité.
Notons que le second apparaît dans un titre où, mis en relief par la typographie, il
exerce une fonction d’appel caractéristique, contribuant à piquer la curiosité du
lecteur (Sablayrolles, 2000 : 371). S’y ajoutent la composition avec des associations
originales comme « slam-cap » ou « slam arc-en-ciel » - formule titulaire - et le
détournement « Chacun cherche son slammeur » (T, 2007) sonne comme un
palimpseste75 de « Chacun cherche son chat. » La journaliste du Métro cite
Slamérica, mot-valise choisi comme titre de l’album d’Ivy ; celle du Dauphiné Libéré
(2007) énonce la « Section Lyonnaise des Amasseurs de Mots » comme « rétro-
sigle » de SLAM. En effet, il s’agit là d’un exemple de création lexicale « inversée »
par siglaison :
« au lieu de partir du groupe des mots nécessaires à la dénomination de l’objet et
d’extraire les initiales de ces mots pour former le sigle, on part de ce que veut être le
sigle, à cause de sa ressemblance avec une lexie bien attestée et on cherche ensuite
quels mots fournissent les lettres nécessaires à l’initiale. » (Sablayrolles, 2002 : 109)

71
Notre corpus ne comprend aucune occurrence du terme anglais « slammer » utilisé comme substantif.
72
Dans un autre article (Le Point n°1960 du 8 avril 2010, hors corpus), Lauréline Kuntz est présentée comme
« comédienne slameuse » (légende de la photographie).
73
Nous avons relevé une autre occurrence de cet adjectif dans un emploi similaire : son spectacle « Dixlesic »
est qualifié de « one-man-show slammé » (Le Point, op.cit.)
74
On peut observer l’analogie avec « (i)slamiste ».
75
Voir nos prochains chapitres (notamment chapitre 9) pour plus de précisions sur ce concept.
262

Quant au journaliste de Télérama, il enchaîne les délexicalisations : à « Slam de


fond » (palimpseste pour « lame de fond ») comme formule d’accroche de son
article, succède « vague à slam » (« vague à l’âme »), formule appliquée à Grand
Corps Malade dont la notoriété commence à poindre, alors que la vague du slam
n’en est encore qu’à ses prémices. Si l’on ajoute à ce corpus principal notre corpus
périphérique de titres, on relève 11 titres (sur un total de 52) manifestant diverses
formes de créativité lexicale autour du mot « slam », s’agissant notamment de
délexicalisation avec substitution de ce lexème à un paronyme comme « âme » ou
« lame » : on retrouve ainsi « slam de fond », mais aussi « vague à slam »,
auxquelles s’ajoutent « slamicalement vôtre », « du slam à l’âme », « slam qui vive »,
« tout feu tout slam », « slam suffit »76… Force est de constater que les journalistes
usent à l’envi de ce procédé de défigement, a fortiori dans les titres :
« Le défigement consiste à ouvrir les paradigmes là où, par définition, il n’y en a pas. Ce
« coup de force » s’observe de plus en plus dans la presse qui se sert du défigement en
vue de certains effets particuliers destinés à attirer l’attention du lecteur. L’effet de
surprise attendu met en évidence le phénomène du figement. Le défigement ainsi
pratiqué n’est pas considéré comme une « faute » […] mais comme une activité ludique
(Gross, 1996 : 20) ».
On note d’ailleurs l’emploi substantival du lexème avec la question « Savez-vous
parler le slam ? » qui assimile par là-même le slam à une langue nouvelle. Deux
formules (Slamnation77 et Slam city) sont directement issues de l’américain,
rappelant les origines du concept. En outre, le nom de GCM fait l’objet de créations
de type locution valise construites par imbrication « Grand corps malade de poésie »
(Grand corps malade + malade de poésie) ou par substitution « Grande gloire
saine »78.
La carte heuristique reproduite à la page suivante rend compte de la productivité
et de la créativité – à l’œuvre dans notre corpus d’articles de presse – autour du mot
« slam » :

76
Notons la récurrence de certaines de ces formules, telles « Tout feu tout slam » qui sera reprise comme titre
d’une compilation.
77
La graphie choisie (pour Slam Nation) fusionne les deux termes, d’où l’hypothèse d’une forme néologique
conçue par analogie à Damnation.
78
Voir notre chapitre 10 pour un développement sur ce point. « Petit corps malade », construit selon le même
schéma, est le titre d’un autre article (Le Nouvel observateur du 9 octobre 2008, p.107).
263

Figure 2 : Carte heuristique du mot « slam » dans la presse

6.4. Du mot aux textes

Nous avons observé une dimension réflexive propre au slam qui est souvent le
lieu d’une mise en abyme, d’où de multiples définitions et images intégrées aux
textes.

6.4.1. Les définitions et images mises en abymes dans les textes

L’image du combat de boxe surgit parfois au détour d’un slam, comme un écho
aux précurseurs qui montaient sur scène tels des boxeurs79 :
« Mon slam, c’est comme Brahim Asloum, en somme,
J’assène des coups et j’assume !
Et même quand mes mots se répercutent, j’assomme !
Comme ses uppercuts… »80
Tel est précisément le nom - « Uppercut » - choisi par un collectif de slameurs81 :
« Coup d'poing d'une poésie orale rythmique musicale à la frontière du théâtre et du
concert/ Coup d'sample d'une musique qui pulse de la bouche à la boucle/ Coup d'état
d'une langue poétiquement engagée pour les gens d'aujourd'hui »
D’une manière générale, les slameurs défendent l’idée de la poésie comme
arme symbolique : « Nos rimes sont nos seules armes » scande Arthur Ribo en
introduction à la compilation Original Slam, poésies urbaines (2007). Le texte de
Grand Corps Malade intitulé « Attentat verbal » (Midi 20, 2006) constitue une
« entrée en slam » pour le moins abrupte en ce qu’il rend compte du caractère invasif

79
Voir aussi le flyer n°7 en annexe I.6.
80
Loubaki (David Loussalat), « Je vous présente mon slam », in Slam entre les mots (2007 : 87).
81
Sandra Brechtel de la Compagnie « Uppercut », message publié le 9/01/10 sur sa page Facebook.
264

voire explosif d’une scène improvisée dans un lieu public : « C’est quoi, c’est qui, ces
mecs chelous qui viennent pour raconter leur vie ? ». Tout se passe alors comme si
les auditeurs étaient pris en otage, ce qui n’est pas sans évoquer les performances
des slameurs de Chicago, surgissant de manière impromptue dans des lieux
inattendus :
« Le principe est clair : lâcher des textes là où et quand tu t’y attends pas
Claquer des mots un peu partout et que ça pète comme un attentat
Dans des salles ou en plein air, laisser des traces, faire des ravages
Va demander au 129H ce qu’on appelle le slam sauvage » (nous soulignons)
De fait, les images guerrières sont récurrentes dans des textes où le slam est
présenté comme un assaut, une attaque inattendue ou encore un « attentat verbal »
pour reprendre le titre du texte cité : les mots sont « lâchés », « claqués » puis on les
entend « résonner comme une bombe dans un bocal ». Dès lors, l’impact de cet
« homicide amical » sur le public apparaît essentiel : « On a faim de se faire
entendre, moi j’ai l’appétit cannibale ». La formule « slam sauvage » - associée au
collectif 129H dont fait partie le slameur Rouda - est ici développée à travers la
récurrence de verbes soulignant la violence de « l’accident » : « faire irruption »,
« débouler », « faire des ravages »… Il s’agit de jouer sur l’effet de surprise afin de
conquérir un public déstabilisé par l’ « interruption sonore », comme « giflé » par les
mots qui font irruption. L’incitation à participer à l’attentat est formulée de façon
insistante dans le slam, à l’instar d’un Grand Corps Malade qui, filant sa métaphore,
invite le lecteur à « s’enflammer » à son tour :
« C’est un poème, c’est une chanson, c’est du rap ou du slam
ça nous ferait tellement plaisir qu’après ce texte tu t’enflammes »
Dans « J’écris à l’oral » (2008), il relate sa première scène slam au sein d’un texte
apaisé mais toujours réflexif, où sont mis en abyme les principes fondateurs :
« Des êtres humains dans un café sont regroupés pour s’écouter
Ils prennent la parole un par un et mes oreilles sont envoutées
Des humains à égalité, chacun est libre de se lancer
Le principe est très simple, encore fallait-il y penser (…)»82

Il s’ensuit une « révélation », « une avalanche de rimes et une cascade de


thèmes » ; l’heure est venue d’enterrer la hache guerrière pour « déterrer l’encrier » :
« A la recherche de ces ambiances dans tout Paris je vais zoner
C’est décidé ma voix est libre et son timbre va résonner »

82
« J’écris à l’oral », Enfant de la ville, 2008.
265

Enfin, une métaphore de la rencontre amoureuse fait écho au texte « Rencontres »,


extrait de son premier album, ainsi qu’à la tragédie racinienne :
« La poésie dans les bars a rendez-vous avec la vie
Je l’ai vu et tu le vis, je l’avoue je l’ai suivie »

Dans la compilation intitulée Tout feu tout slam (2006), Ami Karim développe la
métaphore de la recette pour décrire la magie du slam :
« Evidemment, je vais pas te mentir, on fait attention à la forme. / Dans nos shakers on
met des rimes, des métaphores / et de la grammaire dans la norme »
Le texte se fait ensuite conatif, invitant l’auditeur à passer à l’action, à rejoindre la
slam family :
« Je te dis pas que c’est facile, mais je t’assure que ça vaut le coup.
Et on sera là pour t’accueillir si tu veux faire partie du crew »

Quant à Zedrine, du collectif toulousain « Enterré sous X », il a développé la


métaphore filée de la drogue – en jouant de la rime riche avec « came » – dans son
texte « Le gramme de slam » :
« Quand on manque de came, on est prêt à tout pour sa dose de prose,
Prêt à tous les crimes pour une bonne paire de rimes… »83
84
Si les slameurs sont conscients de la dimension performative (Austin) voire
polémique inhérente à leurs slams ou à certains d’entre eux, ils aiment à brouiller les
pistes génériques, revendiquant le caractère hybride propre au slam :
« J’ai usé mille et une consonnes pour mille et une syllabes
Epuisé le verbe sous toutes ses formes pour en tirer les plus belles fables (…)
Et si ce texte vous a plu s’il vous plait n’applaudissez pas
J’aurai mille et une poésies de plus si celle-ci ne suffit pas. »85
Ainsi le slam est-il successivement – ou simultanément en tant que point de
confluence des genres – conte, fable, poésie des mille et une nuits, à l’image de ses
définitions multiples et souvent métaphoriques mises en abyme dans les textes.
A l’instar d’un Lee Harvey Asphalte, nombreux sont les slameurs qui expriment leur
réticence à dé-finir, à dé-nommer cette « poésie sans cage » : « Ne m’appelle pas,
ne me nomme pas… Je suis cette poésie de rue qui ne dit pas son nom. » Il la
nomme pourtant à mots ouverts, à travers une délexicalisation en forme de locution-
valise (Hardcore + corps et âme) : « Slam hard corps et âme »…

83
Il est problable que ce slam fasse référence aux ex-toxicomanes et pionniers du slam français qui se
réunissaient autour de Nada dès la fin des années 90 (voir notre chapitre 1).
84
« On réinvente les lendemains et chaque parole est comme un acte. » (« Je parle votre langue », 2007)
85
« Le conte des mille et une peines » (Rouda, 2007) : voir en annexe IV.4.
266

6.4.2. Le mot “slam” dans les textes de slam

Outre les emplois relevés et commentés précédemment, nous avons soumis une
partie de notre corpus à un relevé systématique des occurrences du lexème
« slam ». L’album de Rouda (2007) en compte sept, à commencer par la formule de
« slam sauvage » citée comme emblématique de son collectif. Les autres
occurrences révèlent :
- un emploi en association avec le substantif « soirée » (« soirées slam »)86 ;
- un emploi mis en relief par une rime interne : « Ce n’est qu’du slam, messieurs
mesdames »87 ;
- un emploi au sein d’un contexte parodique : « Appelez ça du rap de la soupe
du spectacle ou du slam »88 ;
- un emploi verbal et fléchi sous la forme d’un participé passé : « j’ai tellement
rappé et slamé »89 ;
- un second emploi verbal non fléchi : « je slam sur douze temps »90 ;
- un emploi du dérivé « slameur » : « on a beau être rappeurs sans oublier
d’être bêtes / peut-être slameurs pour les esthètes »91.

Notons que dans trois cas sur sept, le cotexte fait référence au rap, ce qui semble
indiquer un positionnement relatif du slam par rapport à ce dernier.

Les trois albums de GCM contiennent 27 occurrences du lexème « slam » ainsi


réparties : 16 occurrences pour le premier album, 8 pour le second, 3 pour le dernier.
Force est de constater l’importance quantitativement décroissante de ce mot au sein
de l’œuvre du slameur considéré comme prototypique. Le tableau suivant fait état
des co-occurrents relevés :

86
« Le hurlement du sourd », Musique des Lettres (2007) : « Parce qu’en six ans, ouais j’en ai fait des soirées
slam / Dans ces cafés à savourer tous ces instants qui caressent l’âme ». Dans ce contexte (celui de l’album et
un contexte socio-culturel où le mot était encore peu diffusé), l’emploi du lexème – souligné par une rime
léonine – revêt une importance particulière (comme pour « Attentat verbal ») : il nous semble avoir une portée
quasi-initiatique, au sens premier du terme puisque ce slam constitue l’ouverture de l’album, et par là-même,
vise à ouvrir un horizon d’écoute adéquat.
87
« Juste une période de ma vie », en duo avec GCM (2007). Nous soulignons.
88
« Les blancs ne savent pas rapper » : voir le chapitre 5 pour l’étude de ce texte.
89
« Je suis un grand mytho » (2007).
90
« Train de vie poétique » (2007) : l’orthographe est celle du livret accompagnant le CD.
91
« Les Blancs ne savent pas rapper » (2007).
267

Titres album Titres textes Relevé Total


(année) occurences
Midi 20 (2006) « Saint Denis » Faire un slam (8) 16 dont
Soirée slam (1) 14 slam
« Je dors sur mes 2 Un texte de slam + 2 slame/slamé
oreilles »
« Midi 20 » J’ai slamé mes joies mes peines
« J’connaissais pas (apprendre à) faire du slam
Paris »
« Attentat verbal » Va demander au 129H ce qu’on
appelle le slam sauvage
C’est un poème c’est une chanson
c’est du rap ou du slam
« Vu de ma fenêtre » C’est ça l’âme de mon slam »
« Toucher l’instant » Que l’on rappe ou que l’on slame
Enfant de la ville « J’écris à l’oral » Soirée slam 8 dont
(2008) 4 slam
Le slam 4 slamer/slamé
« Enfant de la ville » Slam et hip-hop
« Underground » Slamer (2)
« Du côté chance » Slamé (2)
Un texte de slam
er
Troisième temps « 1 janvier 2010 » Elles slament (les mamies) 3 dont
(2010) 3 slamer
Faire slamer (les écoles, les
prisons) 2
Tableau 4 : Occurrences du lexème « slam » et de ses dérivés dans l’œuvre de GCM

On note que le mot « slam » était surreprésenté dans le premier album où il


apparaissait le plus souvent comme substantif (dont 8 occurrences d’emploi
métonymique), alors que l’usage des dérivés – verbaux et substantivaux – n’émerge
que dans les deux albums suivants. C’est l’action de « slamer », ou le cas échéant
de « faire slamer », qui devient l’enjeu prioritaire aux yeux du slameur dont la mission
de transmission s’avère fondamentale : « J’ai compris dans vos yeux d’enfants que
mes mots avaient de l’utilité. » (2008)92

Comme l’indique son titre, le texte « Le Slam » d’Antoine Faure (Tô)93 résonne
comme un manifeste du mouvement. De fait, il ne comporte pas moins de 32
occurrences de cette lexie, dont 11 sous la forme du verbe dérivé et conjugué – au
présent de l’indicatif et de l’impératif – sur la base d’un verbe du premier groupe :
«(je) slame ». Ce texte nous semble avoir une valeur emblématique, tant dans sa
forme que dans ses contenus. Notons que la répétition – amplifiée par des jeux de
voix – du mot « slam » – dont on ne distingue pas les formes verbales et nominales à
l’oral – détermine l’empreinte sonore, soit la structure phonétique du texte. La

92
Voir à ce sujet notre chapitre 14.
93
Voir le texte en annexe IV.2.
268

transcription en caractères SAMPA révèle en effet la prégnance des phonèmes


constitutifs de ce mot, à savoir : le [s] (127 occurrences), le [l] (157), le [a] (189), le
[m] (161). Le début du texte se caractérise par l’irruption de l’explosive [k]
(« enclume »), suivie des dentales [d]/[t] et des bilabiales [p]/[b] (« de ta peau
sublime »), mise en relief dans un contexte dominé par le [s] (8 occurrences) et le [m]
(15) de « slame » :
« Je slame et j’assène ces mots sur l’enclume de ta peau sublime.
Je slame et j’aime cette gym et j’aime ce jam
Comme un hymne à l’homme, comme un hymne à l’âme. »
Si l’on admet qu’un sème peut être dégagé à partir de la récurrence de phonèmes et
actualisé par un ou plusieurs noyau(x) sémantique, il s’agit des mots assénés
comme autant de coups qui nous renvoient à l’une des acceptions premières du mot
slam :
« Et je tanne des mots de titane
Des mots de trames, de trimes, de trappes, de tripes et d’organes.
Et je slame et j’assène ces mots sur l’enclume de ta peau sublime. »
L’allitération en [t] (8 occurrences) est ici renforcée par la sonore [d] (9 occurrences).
Par ailleurs, la redondance de la conjonction « et » souligne le rapport entre écrit et
oral : on relève 8 occurrences de « t » à l’oral, et 7 occurrences à l’écrit de « t »
muets qui frappent le regard. La répétition des monosyllabiques « et » et « de »
contribue à produire un rythme scandé, ou staccato. Celui-ci est d’ailleurs corroboré
par la densité de mots monosyllabiques : seuls cinq mots (sur 32) – dont trois sont
placés à la rime, ce qui permet une rime féminine riche – sont plurisyllabiques à
l’oral. L’analyse lexicosémantique de ce passage révèle une référence explicite aux
origines du slam. En effet, la présence d’emprunts à l’anglais (jam, dream team, slim
fist, slim fast) entre autres variation interlinguales (riddim94, vista) et intralinguales
(termes d’argot comme « clim », « crame ») contribue à une forme de métissage
linguistique95. En outre, certaines formules renvoient explicitement aux formes
originelles du slam et à l’ambition du fondateur Marc Smith :
« Je slame et je sème sur la scène la somme de mes cimes
Je slame et je somme les cimes de descendre sur la scène. »
Or la résonance de ces deux vers, répétés au sein de ce qui s’apparente à un
refrain, est amplifiée par des jeux de polyphonie. L’extrait cité en exergue de ce

94
Le terme riddim, déformation de l'anglais rhythm (« rythme ») provient du patois jamaïcain. (d’après
Wikipedia, consulté le 10/12/10)
95
Voir le chapitre 10 pour un développement à ce sujet.
269

chapitre semble en outre faire écho à l’analyse sémantique du mot slam, dont trois
des principales acceptions sont rappelées (« Pour toutes les portes fermées au
nez… »). Enfin, l’idée d’une libération par les mots n’est pas sans évoquer le film
éponyme de Marc Levin : « Et la rime est ma lame contre le crime. Le crime ? Ce
cercle intime, ces barreaux que je lime »

6.4.3. Un mot néologène ?

Le texte « Slam obsession » de Marco DSL et Barbie tue Rick (2006) illustre la
productivité voire la créativité96 inhérente à ce mot. Le nom du collectif auquel
appartiennent ces deux slameurs lyonnais est un premier exemple de création
lexicale avec la rétro-siglaison du mot : « Section Lyonnaise des Amasseurs de
Mots »97. Au seuil du texte, une autre manifestation de créativité apparaît avec cette
unité binominale (« slam (ob)session ») qui donne son titre et son refrain (5
occurrences à chaque refrain) au texte. Au sein du slam lui-même98, des formes
néologiques sont générées à partir de ce mot. « Cahiers mal slamés » et « mur des
slamentations » sont des exemples de délexicalisation appliquée à des lexies
complexes, mais le détournement peut aussi opérer sur des unités textuelles :
« Scions, slamons, qu’un son impur abreuve nos sillons »99. La slameuse Barbie tue
Rick se plait à néologiser à partir du mot « slam » comme en témoigne cet autre
exemple :
« Et si c’est ça qui t’émoustille, j’serai slamnifère pour qu’tu roupilles… »100

L’épitexte recèle aussi quelques formations néologiques autour du mot « slam »


tels que le mot « slaMusic » inventé par Bastien Mots Paumés pour désigner un slam
qui déroge à la règle de l’a capella. « Je slammise » est un autre néologisme qui
figure sur la page d’accueil du site de Narcisse101 : formule sur laquelle il convient de

96
Nous reprenons ici la distinction rappelée par Bauer (1983 : 63) qui définit la productivité “as rule-governed
innovation, as opposed to creativity, which is said to be rule-changing.”
97
Un collectif suisse a eu recours à ce même procédé (avec ajout d’un « A » pour le féminin): « Société
Lausannoise des Amateurs et Amatrices de Mots ». Nous proposerons aux élèves de se livrer à une recherche
lexicale similaire (voir notre chapitre 12).
98
Voir en annexe IV.2.
99
Chacun reconnaitra ici ce refrain de la Marseillaise : « Marchons, marchons, qu’un sang impur abreuve nos
sillons ». Ce palimpseste sera analysé plus précisément dans notre prochain chapitre.
100
Barbie tue Rick, « Bouffonne », in Textes à claques (2010 : 39).
101
Ce mot figure, entre autres formations verbales néologiques : « je concerte, je musiciente, je portraite, je
contactise, je biographise, je pagedaccueille ». (voir le site du slameur)
270

cliquer pour accéder aux textes de ce slameur. Slamzine et slamothèque102 figurent


également sur la toile pour désigner respectivement un magazine consacré au slam
et une « bibliothèque slam ». Notons que ce dernier néologisme a été repris par le
collectif 129H pour développer un concept d’ « installation itinérante et dynamique
autour du slam »103. Le péritexte représente donc une autre zone potentiellement
néologène : Tout feu tout slam - délexicalisation de « tout feu tout flamme » - et
Slamérica104 sont les titres correspondants d’une compilation (2007) et d’un album
(Ivy, 2008). « Le bon Slamaritain », « Les slamtimbanques », « Am slam gram »,
« Slam sensible » sont d’autres exemples de délexicalisations choisies comme noms
de scène ou de collectifs. Enfin, le paratexte contextuel peut être un lieu
éminemment néologène : « Slamaleikoum » et « Se slam ouvre-toi » sont des
formules utilisées de façon rituelle pour ouvrir une slam session, d’où l’apocope
« se(ssion) slam »105 qui peut donner lieu à un jeu d’homophonie (« C’est slam », voir
infra). De fait, le mot peut être le substrat de créations homonymiques et
paronymiques multiples comme en témoignent les flyers ci-après :

106

Document 3 : Flyers de sessions slam collectés sur la toile

Un ensemble d’affiches et flyers collectés sur la toile107 nous amène à ce double


constat : d’une part, celui d’une grande hétérogénéité dans la désignation des
évènements autour du slam108, à l’image de ceux consacrés à la poésie en

102
Mots-valises fondés sur l’aphérèse du second constituant (magazine, bibliothèque). Voir notre chapitre 8.
103
Voir sur le site de ce collectif, rubrique « Ressources » (voir en sitographie) pour un développement sur ce
dispositif qui s’articule autour de trois axes : exposition, transmission, création.
104
Mot-valise ou amalgame selon la terminologie de Tournier (voir notre prochain chapitre), résultant de slam
+ América (l’accent indiquant que ce dernier composant est espagnol).
105
Le titre de Marco DSL et Barbie TR (« Ob-session slam », voir supra) joue aussi sur la frontière de ces mots.
106
La formule « C’est slam » est homophone de « Se slam » (forme tronquée par apocope de « session slam »).
107
Voir en annexe I.6.
108
Slam session (calqué sur l’anglais), scène slam, scène ouverte, scène (de) slam-poésie, slam de poésie, soirée
slam, tournoi ou grand slam, cabaret slam, nuit du slam ont été relevés dans un corpus de 24 affiches ou flyers.
271

général109 ; d’autre part, celui d’une certaine créativité autour de ce mot intégré à de
nombreuses délexicalisations ou défigements de collocations : « Saison slam »
(session slam) « Slam dirait bien » (ça m’dirait bien), « Dis-moi dix mots dans tous
les slams » (dans tous les sens), « Au slam citoyens » (Aux armes citoyens), « Je
slam donc je suis » (Je pense, donc je suis). Ce dernier détournement illustre une
forme verbale non fléchie – soit un exemple de néologie combinatoire – comme dans
cet autre exemple d’emploi verbal transitif : « Slam la confiance ». Dans ce contexte,
la néologie semble bien assurer une fonction d’ « appât » (Sablayrolles, 2000 : 372),
tout en permettant d’établir une connivence a priori. Dès lors, toutes les conditions ne
sont-elles pas réunies pour ouvrir un horizon d’écoute et par là-même un espace
potentiellement néologène pour les slameurs qui vont se succéder sur la scène ?

Le hors-série Slamzine – numéro unique d’une revue publiée en octobre 2004


qui nous a été communiqué par son rédacteur en chef – comporte un éditorial qui
résume un certain nombre des interrogations soulevées tout au long de ce chapitre :
« Slam poésie ou slam-poésie, Slam ou slam ? Slamming ? Slameur, slammeur, slamer
ou slammer ? Slamer ou slammer (verbe) ? Slam, slamique ou slamesque (adjectif) ?
Slam session, session slam, scène slam ou slam party ? Animateur, MC, emcee, MJ
(Meneur de Jeu), slammaster, slam master ou ambianceur ? Atelier slam, atelier
d’écriture ou laboratoire slam ? Slamitude ou slam attitude ? »

Conclusion partielle

Autant de mots interrogés attestant d’une dynamique lexicale réelle au sein du


« laboratoire slam » qui fonctionne comme un catalyseur de créativité. Si le français
semble avoir fait le choix d’intégrer le mot « slam » en le dérivant plutôt que de
conserver des calques de l’anglais, certaines formules demeurent des
pérégrinismes : slam session cohabite par exemple avec session slam. Force est de
constater, au vu de notre corpus d’articles de presse, que le lexème « slam » se
trouve lui-même au cœur d’un champ dérivationnel et lexicogénique en pleine
expansion. La créativité se manifeste ainsi dès le seuil des textes, dans une zone
épitextuelle ou péritextuelle qui nous offre un condensé des procédés à l’œuvre une
fois franchi le cap du titre ou de la formule d’ouverture des slam sessions qui, en soi,
est déjà une invitation à néologiser : « Seslam ouvre-toi… ».

109
Voir le relevé en début de chapitre.
272
273

Chapitre 7

Fondements,
facteurs, formes
et fonctions de la
néologie dans le slam

7.1. La création lexicale


7.2. Les facteurs néologènes
7.3. Les formes de la néologie
7.4. Des fonctions aux néostyles

Illustration : Lyor, « Barbareurs


eurs » (extrait
entretien Rouda & Lyor)

Photo 2 : Lauréline Kuntz au festival d’Avignon


Avignon (le
( 28/07/11)
274
275

« Bavards bavardeurs braves hardeurs


Allitérophiles dont rien n’altère l’ardeur
Friands de fruits
Speech concis au goût de squetshes
Salade de bruits »110

Dans son Cours de Linguistique générale (1916), Saussure affirmait déjà que le
dynamisme créateur réside dans la parole, dans l’activité langagière de chaque
individu, plutôt que dans la langue :
« C’est dans la parole que se trouve le germe de tous les changements ; chacun est
lancé d’abord par un certain nombre d’individus avant d’entrer dans l’usage. Mais toutes
les innovations de parole n’ont pas le même succès et tant qu’elles demeurent
individuelles, il n’y a pas à en tenir compte, puisque nous étudions la langue ; elles ne
rentrent dans notre champ d’observation qu’au moment où la collectivité les a
accueillies. » (1973: 138)
Voilà posée d’emblée la question du devenir – langagier et/ou linguistique – de ces
innovations. Dans la théorie de Chomsky, le rapport entre la créativité, l’usage et la
norme se résout à travers l’opposition entre compétence et performance111. Or le
slam semble résolument s’inscrire du côté de la performance, même si la polysémie
de ce terme est à interroger112 : parole et performance, parole performancielle, n’est-
il pas en tant que tel un lieu privilégié de créativité ? D’où notre hypothèse d’un lieu
d’inventilation113, soit d’une créativité lexicale susceptible de se manifester sous des
formes diverses, à l’image du mouvement lui-même. Hypothèse corroborée par ces
« allitérophiles » de slameurs, dont rien n’altère l’ardeur ni le dynamisme créateur,
telle Lauréline Kuntz « mickael-jacksonnifiée »114. Pour autant, et même si certaines
de ces créations sont d’ores et déjà reprises et diffusées – ou en passe de l’être –
l’avenir de ces lexies néologiques reste incertain. Dès lors, la question se pose du
rapport entre création individuelle et diffusion au sein de la collectivité, au-delà du
cercle d’initiés de la slam family : dans quelles conditions une création intégrée à un
slam est-elle susceptible d’accéder à la « félicité lexicale » (Sourdot, 1998) ?

Après avoir exploré les concepts ayant trait à la créativité lexicale et les avoir
réactualisés comme il se doit pour rendre compte d’un objet contemporain, nous les

110
Marco DSL/Barbie tue Rick : « Slam obsession » (2006). Le texte intégral est reproduit en annexe IV.2.
111
Il ne s’agit là que de jalons bien connus que nous jugeons cependant utile de rappeler à l’orée de ce chapitre
afin de baliser les fondements théoriques de la créativité lexicale.
112
Voir notre glossaire ainsi que le chapitre 4 pour le sens de Zumthor appliqué à la poésie médiévale (1987 :
248) et le sens moderne appliqué à des actions artistiques « publiques et éphémères » (Espitallier : 2006 : 228).
113
Néologisme issu de deux mots créés par Lyor (« inventiler ») et LK (« inventivation »). Voir notre chapitre 3.
114
Voir la photo en page de garde de ce chapitre, la comédienne-slameuse proposant elle-même ce terme.
276

interrogerons à la lumière de notre corpus, puis nous envisagerons méthodiquement,


à la suite de M. Sourdot et de son ensemble des 4B (voir infra), les 3F que sont les
Facteurs néologènes, les Formes et les Fonctions de la néologie dans le slam.

7.1. La création lexicale

7.1.1. La créativité lexicale

Dans la lignée d’un Saussure, Louis Guilbert affirme que « le changement


linguistique se produit d’abord au niveau de l’oral. » (1975 : 26). Abordant la création
lexicale proprement dite, il avance que le « jugement de néologie » (37) présuppose
une compétence néologique, fondée sur la connaissance du système linguistique :
« La définition de la compétence néologique se ramène au problème de la relation entre
la langue et la parole, entre la compétence lexicale commune et la compétence lexicale
de l’individu parlant qui, dans la performance de son discours, use non seulement des
termes du lexique commun selon la fonction de communication du langage, mais aussi
des formes qu’il crée pour les besoins de son expression propre. » (1975 : 38)
Certes, nous avons observé que la plupart des slameurs usent à l’envi de cette
« faculté de création permanente qui s’accompagne de la connaissance du
processus de création et du sentiment de la valeur exacte de ce processus » (50) : et
pour cause, c’est bien de spécialistes du verbe qu’il s’agit. Mais cette compétence
néologique ne se résume-t-elle pas à une compétence lexicale pleinement assumée,
libérée du carcan de la norme et doublée d’une capacité à relever les innovations
produites au sein du discours? N’est-ce pas en termes de conscience ou de
sentiment (homophonique, néologique) que la question se pose ? Les entretiens
avec les slameurs nous ont révélé un haut degré de conscience épilinguistique et
homophonique115 qui nous semblent favoriser cette capacité créative.

Guilbert oppose à la néologie dénominative ou néologisme de chose la néologie


dite stylistique, soit les néologismes d’auteur ou de parole116. « Fondée sur la
recherche de l’expressivité du mot en lui-même ou de la phrase par le mot », cette
seconde forme de création est « à proprement parler poétique » dès lors qu’ « on
fabrique une matière linguistique nouvelle et une signification différente du sens le

115
Nous entendons par là une capacité à repérer des phénomènes d’homonymie et d’homophonie partielle.
116
Il ajoute « les néologismes de langue » : « formations verbales qui ne se distinguent nullement des mots
ordinaires du lexique au point qu’ils ne se remarquent pas lorsqu’ils viennent d’être employés pour la première
fois. » (43) Cette distinction nous semble renvoyer à l’opposition entre créativité et productivité (voir infra).
277

plus répandu ». En outre, « elle est liée à l’originalité profonde de l’individu parlant, à
sa faculté de création verbale, à sa liberté d’expression.» Ainsi :
« Elle est le propre de tous ceux qui ont quelque chose à dire, qu’ils sentent bien à eux,
et qu’ils veulent dire avec leurs mots, leurs agencements de mots. » (1975 : 41)117
Les entretiens réalisés avec des slameurs ont montré l’importance décisive – voire
définitoire – de la liberté d’expression alliée à la recherche d’expressivité dans le
slam. Dans ce contexte, l’exercice de la créativité lexicale n’a-t-il pas valeur
d’emblème pour cet art de la parole libre ? Certes, Guilbert n’ignore pas que la
création littéraire est régie par des codes qui renvoient à « une certaine pratique
sociale de la littérature », mais il suggère néanmoins d’ouvrir cette définition :
« Rien n’interdit, cependant, de définir la création néologique littéraire à travers toute
activité verbale donnant lieu à un texte écrit. Cette définition englobe notamment toutes
les formes nouvelles apparues dans la presse écrite et même dans les énoncés diffusés
par la radio et la télévision. » (1975 : 42, nous soulignons)
Si le slam relève bien, a priori, de la création néologique dite littéraire118,
l’interpénétration des niveaux de langue constitue l’un des traits caractéristiques
d’une invention verbale qui « peut prendre la forme spontanée de l’expression
argotique aussi bien que celle du raffinement littéraire. »(1975 : 52)119 Après avoir
cité des exemples de la fantaisie verbale d’un Ionesco ou d’un Michaux révélant la
fonction poétique de la langue, Guilbert envisage la néologie comme une
manifestation d’énonciation (47) et souligne l’exigence de communicabilité. En effet,
« les créateurs de néologismes éprouvent le plus souvent le besoin de s’assurer de
la compréhension des destinataires du message. (48) Cette préoccupation est
manifeste chez la plupart des slameurs qui soulignent parfois le jeu de mots d’un
geste éloquent de la main – invitant à la réflexion – ou d’une incise manifestant cette
recherche de connivence que nous traduirons par la notion de fonction colludique120.

Louis Guilbert entreprend d’élaborer une typologie en différenciant la « néologie


phonologique » (1975 : 63) – avec l’exemple de la création onomatopéique ou de la
« coagulation phonétique » telle filovan d’un Queneau121–, la « néologie
sémantique » comprenant la néologie « par conversion », la néologie « par

117
Nous soulignons : Guilbert souligne ici l’importance potentielle de la combinatoire dans la créativité.
118
S’agissant cependant d’une littérature orale où s’interpénètrent le cas échéant l’oral et l’écrit, le texte écrit
donnant lieu à une activité verbale.
119
Nous y reviendrons quand nous traiterons du métissage lexical et langagier appliqué au corpus GCM. (voir
notre chapitre 10)
120
Voir à la fin de ce chapitre pour un développement sur ce sujet.
121
Dans le slam les termes de « Bouchazoreilles » (titre) et de « Boutchou » (pseudonyme) constituent des
exemples de ce type de néologie par coagulation phonétique avec transcription d’une liaison erronée.
278

emprunt »122 et la néologie dite « syntagmatique »123. Il évoque enfin le cas de


l’hapax qui « mort-né, (…) offre seulement de l’intérêt comme témoignage d’une
possibilité offerte par le système linguistique ou pour caractériser le parti qu’a su en
tirer un locuteur, sa personnalité langagière » (80) Autant de questions soulevées
que nous approfondirons en les appliquant à notre corpus : comment savoir si un
néologisme est mort-né ou mot-né ? Tout néologisme produit dans le slam n’est-il
pas susceptible d’être réitéré et diffusé, ne serait-ce qu’au sein d’une slam
family grandissante ?

7.1.2. Des concepts à interroger

Le concept-même de créativité est à interroger. Lipka (2007 : 3), s’intéressant


aux problèmes de métalangage, nous rappelle qu’il est à distinguer de celui de
productivité : “Bauer (1983 : 63) - following Lyons – defines productivity as rule-
governed innovation, as opposed to creativity, which is said to be rule-changing.” La
créativité lexicale apparaît ainsi comme un lieu de stylisation ; elle se situe du côté de
la performance, alors que la productivité relèverait plutôt de la compétence :
“While it is evident that productive word formation rules explain the majority of novel
complex words at the level of competence, other explanations must be sought at the
level of performance. Stylistic effects and individual authorial style are among the
motivations identified (…)” (Munat, 2007 : 163)
Quant au concept de néologie – foncièrement évolutif –, il a fait l’objet de
nombreuses études et réexamens à la lumière de nouveaux corpus.

D’Alain Rey à Jean-François Sablayrolles : la néologie, un pseudo-concept ?

Alain Rey, dans un article des Cahiers de lexicologie datant de 1976, s’interroge
sur le concept-même de néologisme : ne s’agit-il pas d’un pseudo-concept ? La
réponse apportée à cette question initiale sera finalement négative : « On pourra
considérer qu’il s’agit d’un concept pragmatique, méthodologique, sans doute trivial,
mais non pas d’un pseudo-concept. » (17). Le linguiste énonce néanmoins les
problèmes soulevés par ce concept de néologisme qu’il définit d’emblée

122
Guilbert établit ici une distinction entre xénisme et pérégrénisme : le xénisme (1975 : 92) est « le terme
étranger qui reste toujours étranger » ; le pérégrénisme (93) « vise le terme dans la première phase de son
installation », et qui n’étant « même plus perçu comme étranger, (…) est intégré morpho-syntaxiquement en
tant que base de dérivés ». La trajectoire du mot « slam » (voir notre précédent chapitre) illustre ces concepts.
123
« Le principe de la néologie syntagmatique réside dans la combinaison de plusieurs segments reconnus
comme signes différents, c’est-à-dire comme union d’un signifiant et d’un signifié. » (101)
279

comme « une unité nouvelle, de nature lexicale, dans un code linguistique défini. »
(1976 : 4) A partir de cette amorce de définition, il met en évidence trois types de
difficultés :
« Premièrement, de quelle unité s’agit-il ? Puis, de quelle nouveauté ? Enfin, quelle
définition du code (ou du système) est la plus pertinente, et quels sont les rapports entre
l’unité néologique et l’ensemble où elle se manifeste ? » (1976 : 4)
En effet, ce concept implique non seulement de délimiter l’unité lexicale, mais aussi
d’envisager le sentiment néologique124, et enfin de réfléchir au contexte ainsi qu’au
cotexte dans lequel surgit le néologisme, que d’autres ont analysé en termes de
zone néologène125. Guilbert avait déjà observé que « la création de néologisme ne
peut être dissociée du discours tenu par le créateur, individu intégré à une
communauté, s’exprimant dans une situation donnée. » (1973 : 18) Quant à l’unité
lexicale envisagée, elle ne saurait s’étendre, d’après Alain Rey (1976 : 10), à une
unité phrastique : « On peut admettre provisoirement qu’il peut être un groupe
syntagmatique, aussi complexe qu’on voudra, mais pas une proposition ni une
phrase. » précise-t-il. Enfin, la « nouveauté » du néologisme pourra être caractérisée
selon le linguiste par trois qualités : formelle, sémantique et pragmatique.

Jean-François Sablayrolles, revenant sur cet article d’Alain Rey, confirme que
« le concept de néologie est un vrai concept, pertinent pour l’étude du lexique »
(2006 : 146), même s’il doit être appréhendé dans toute sa complexité :
« Ce n’est pas, pour reprendre le jugement d’Alain Rey (1976), un pseudo-concept, mais
un concept variable selon les centres d’intérêt de ceux qui s’en occupent. » (1996 : 39)
Il s’agit en outre d’un concept scalaire, d’un continuum au sein duquel on pourra
repérer des degrés divers de néologicité :
« la néologie n’est sans doute pas un concept discret, mais comporte plutôt différents
degrés sur une échelle » (Sablayrolles, 2000 : 13)
Concernant la nature de l’unité linguistique pertinente – soit le logos de néologie –, il
propose d’adopter le terme de « lexie », là où « mot » et « morphème » semblaient
inadéquats : « Les lexies sont de plusieurs types : simples, affixées, composées,
prépositionnelles, complexes et phrastiques. » (2006 : 141). Nous reprendrons à
notre compte cette terminologie inspirée de Tournier, appliquée à la lexicologie

124
Voir à ce sujet l’article de Gardin et al. (1974) : les auteurs évoquent précisément la néologie en termes de
pseudo-concept : « L’intervention de cette théorie dans les faits de langage détermine un domaine soumis à la
théorie et un domaine nommé mais non défini, c’est-à-dire un pseudo-concept. »
125
Article cité (Gardin et al., 1974).
280

anglaise126. D’après Jean-François Sablayrolles, les néologismes du niveau du mot


sont nombreux, à la différence des lexies d’un niveau inférieur, résultant d’une
troncation par exemple127. Des lexies plus ou moins complexes – locutions,
expressions, titres – peuvent être objets de détournements, et en tant que telle,
néologisées, ce qui revient à inclure des lexies phrastiques. En revanche, les lexies
textuelles ne sont pas considérées comme des néologismes :
« Plus longues que ces lexies prépositionnelles ou complexes, il y a les lexies textuelles,
mais nous ne pensons pas qu’on puisse considérer comme néologismes les
détournements complets de textes. » (1996 : 11)

Quant à la nouveauté - le néos de néologie -, la question se pose en ces


termes : « à partir de quand une nouvelle unité lexicale est-elle néologique ? »
(2006 : 143) En outre, que signifie l’adjectif « nouveau » ? S’agit-il d’un mot créé ou
d’un mot récent ? (1996 : 11) « Ne le considèrera-t-on comme nouveau que lors du
tout premier emploi ? » interroge Jean-François Sablayrolles (1993 : 57), observant
qu’ « un même néologisme peut être créé par deux locuteurs complètement
indépendamment l’un de l’autre »128 et « qu’un même mot peut être plusieurs fois
néologique. » En effet, le sentiment néologique est fluctuant par nature et les
néologismes apparaissent temporairement comme « des espèces de SDF, des sans
dictionnaires fixes » (2006 : 143). Dès lors qu’ils entrent dans la circulation du dire,
leur sort n’en demeure pas moins imprévisible, leurs trajectoires souvent complexes
ou inattendues : ainsi, « l’avenir des mots n’est guère plus certain que celui des
humains » (Sablayrolles, 1993 : 59).

La question de l’hapax

Pour Jean-François Sablayrolles, le problème des hapax est « moins celui de la


nouveauté (…) que celui du statut à leur accorder. » (1996 : 2) De fait :
« Les néologismes de RABELAIS, de PLAUTE ou d’ARISTOPHANE, qu’ils constituent
ou non des hapax, continuent de l’être pour leurs nouveaux lecteurs des siècles après
leur création. » (1996 : 31)

Dans son article intitulé « De l’hapax au Robert : les cheminements de la néologie »,


Marc Sourdot (1998) se propose de « reconstituer le cheminement qui l’a conduit de

126
Tournier (1985) distingue : lexies primaires, affixées, composées, prépositionnelles, lexies complexes
(jusqu’à la phrase lexicalisée) et textuelles.
127
Nous verrons que ce phénomène est plus fréquent dans notre corpus, s’agissant d’apocopes ou d’aphérèses
fréquentes dans la langue populaire (corpus GCM), ou encore d’onomatopées (voir notre chapitre 10).
128
Le slameur Mots Paumés nous a confié s’être rendu compte qu’une autre slameuse (Barbie TR) avait trouvé
le mot « déglinguistique » qu’il a intégré à l’un de ses textes (enquête du 02/04/09, voir en annexe III.4).
281

l’hapax, de sa première attestation dans l’usage parlé, au dictionnaire de langue, et


ce en essayant de cerner les conditions de cette félicité lexicale, de déterminer les
raisons de cette intégration, ou de ce rejet. » (1998 : 111) Distinguant néologismes
de forme, néologismes de sens et néologismes de forme et de sens, il affirme que
ces derniers répondent à « l’expression nouvelle d’un besoin nouveau dans le
groupe où ils émergent » (112). En premier lieu :
« Pour s’installer plus durablement dans la langue, pour passer de l’état d’hapax, de
création individuelle hic et nunc à l’état de néologisme, unité lexicale ressentie comme
récente mais utilisée dans l’échange, l’unité postulante doit répondre à de réels besoins
pour les membres du groupe qui l’emploient. » (1998 : 113)
En témoigne l’exemple du mot slam lui-même, et de ses dérivés, pendant lexical de
l’apparition du phénomène. Cependant, la diffusion du lexème concerné au sein du
sous-groupe où il est apparu ne signifie pas ipso facto que ce mouvement va se
continuer et s’étendre à la langue commune. En d’autres termes, il s’agirait là d’une
condition nécessaire, mais non suffisante : « d’autres raisons peuvent entrer en ligne
de compte pour baliser le trajet qui conduit de l’hapax au dictionnaire », à
commencer par « le critère de beauté, au sens où le candidat à l’intégration doit être
conforme aux habitudes phoniques, sinon euphoniques, de la langue d’accueil. »
(Sourdot, 1998 : 116). A ce critère s’ajoutent des raisons de brièveté et de
bienséance qui ont pu favoriser ou a contrario freiner l’accès de l’unité néologique au
dictionnaire (117). Marc Sourdot conclut en formulant la « règle des 4 B » :
« Le néologisme doit d’abord correspondre à un véritable besoin dans l’échange social.
Il doit, en outre, concilier brièveté, beauté et bienséance. Cette convergence de faits
économiques et fonctionnels, résumée dans cet ensemble des 4B, nous semble une
condition nécessaire à la félicité néologique. » (1998 : 118, nous soulignons)

Dans un ouvrage récent consacré aux Verbes sages et verbes fous (2010),
Michel Arrivé revient sur cette question du devenir des néologismes tout en nous
mettant en garde contre les dangers de la « futurologie linguistique » :
« Les aventures de la langue sont difficilement prévisibles : les quelques imprudents qui,
dans le passé, ont succombé à la tentation de la futurologie linguistique, se sont, sans
exception, lourdement trompés dans la quasi-totalité de leurs prévisions. » (2010 : 6)
Mais la littérarité de ces mots inventés n’est-elle pas un gage de leur diffusion ?

La question de la poéticité

Dans son article intitulé « Poétique du néologisme », Rifaterre (1973) souligne la


littérarité potentielle de ce dernier qui « suspend l’automatisme perceptif, contraint le
lecteur à prendre conscience du message qu’il déchiffre » : « prise de conscience qui
282

est le propre de la communication littéraire. » ajoute-t-il (1973 : 59). En raison même


de sa forme singulière, le néologisme attire l’attention et « réalise idéalement une des
conditions essentielles de la littérarité. » Rifaterre précise cependant que, pour être
pleinement appréhendée, cette littérarité exige que l’on décrive le fonctionnement du
néologisme dans le système que constitue le texte, dans sa trame (60). Aussi nous
attacherons-nous à analyser non seulement des occurrences décontextualisées
(noms de collectifs et blases), mais aussi, et surtout, des néologismes intégrés à un
système – souvent complexe – de significations et de formes. De fait, il représente
un lieu de rencontre, d’interface et d’interférences sémantiques, voire d’intensification
stylistique (66). A titre d’exemple, Rifaterre cite le mot « grouillis » que Claudel
emploie pour désigner les monstres sculptés sur les cathédrales, et que nous
pouvons mettre en relation, d’un point de vue morphologique, avec le grifouillis d’un
Prévert129 et autres grafouillis d’Aragon130. Plus ou moins crypté, un tel néologisme
peut être éclairé par le cotexte et provoquer une emprise sur le lecteur (ou sur
l’auditeur le cas échéant) qui se trouve captivé par un sens tendant à lui échapper.
Lieu de condensation, il peut jouer un rôle important à cet égard, ce dont témoignent
nos corpus de titres :
« Le néologisme littéraire, loin d’être arbitraire, loin d’être un corps étranger dans la
phrase, est le signifiant le plus motivé qu’on puisse trouver dans un texte. (…) Sa
fonction est donc de réunir ou de condenser en soi les caractéristiques dominantes du
texte. (1973 : 76)

7.1.3. Un concept à actualiser

Gaudin et Guespin (2000) ont exposé l’histoire des lexèmes néologie, néologique
et néologisme qui remontent au XVIIIème siècle :
« La série de mots formés sur neos et logos s’implante en français au XVIIIème. Les
attestations dont nous disposons ne suivent pas la logique de la dérivation : néologique
est attesté en 1726, néologisme en 1734, néologie en 1758. » (2000 : 233)
Le terme de néologisme désignait alors « une forme de préciosité, une affectation
dans la manière de parler », avant l’apparition du mot néologie au sens « d’art,
d’activité langagière consister à créer, à utiliser des mots nouveaux ». Le premier ne
prendra son sens linguistique qu’à la fin du XIXème siècle et sera attesté, en 1900,
dans le vocabulaire de la psychiatrie pour désigner un mot créé par un délirant. (235)

129
Titre d’un poème de son recueil posthume Soleil de nuit (1980).
130
Cité par Grésillon (1994 : 33).
283

L’histoire de la néologie ou la néologie dans l’histoire de la littérature

Avant de « se débrider, de façon organisée, sous la Révolution » (Gaudin &


Guespin, 2000 : 237), la néologie connaît une période faste au XVIème siècle « où la
diffusion du livre imprimé suscite de nombreuses traductions pour lesquelles il faut
enrichir le français. » (238). Les poètes de la Pléiade jugent que le vocabulaire du
français est pauvre, comparativement à ceux du grec et du latin. Dès lors, il s’agit
d’enrichir la langue par tous les moyens, comme le suggérait Du Bellay dans sa
Défense et Illustration de la Langue française :
« Je veux bien avertir celui qui entreprendra un grand œuvre, qu’il ne craigne point
d’inventer, adopter et composer à l’imitation des Grecs quelques mots français, comme
Cicéron se vante d’avoir fait en sa langue. »
Aussi de nombreuses créations de cette époque sont-elles calquées sur le grec et le
latin. Au Vème siècle avant Jésus-Christ, Aristophane était déjà allé assez loin dans
l’invention verbale, comme nous le rappelle Frontier (1992 : 280) en créant, pour sa
comédie L’Assemblée des femmes, un mot de 171 lettres, formé à partir de 28 mots
différents, afin de désigner un mets servi lors d’un banquet :
« Et voici que vous sera servi un
lépado-témacho-sélaco-chien-de-mer-cranio-reste-amer-sauce-aux-herbes-
silphio-tome-au-miel-saupoudré-grive-au-merle-pigeon-ramier-colombe-
poulet-rôti-p’tit’tête-de-merle-d’eau-pigeonneau-lièvre-au-vin-bien-trempé-
dévoré-jusqu’à-l’aile ! »131
Notons que le slameur allemand Bas Böttcher, qui se réfère à la tradition des
rhapsodes, a recours à ce type de matrice néologique, qui semble particulièrement
féconde appliquée à la langue allemande132. Ainsi les poètes de tous temps se
donnent-ils parfois cette liberté suprême d’inventer des mots, à l’instar d’un
Aristophane, d’un Rabelais133, d’un La Fontaine134 ou encore d’un Voltaire. Dans
Candide, ce dernier a inventé la métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie – soit un
mot de 35 lettres –, pour désigner la science fantaisiste enseignée par Pangloss.
Pour certains de ces auteurs, « l’accumulation de mots inventés exhibe la volonté

131
Ce mot est constitué de 182 symboles :
λοπαδοτεμαχοσελαχογαλεοκρανιολειψανοδριμυποτριμματοσιλφιοκαραϐομελιτοκατακεχυμενοκιχλεπικοσσυ
φο- φαττοπεριστεραλεκτρυονοπτεκεφαλλιοκιγκλοπελειολαγῳοσιραιοϐαφητραγανοπτερυγών
132
“Wenn-er-sich-nicht-meldet-meld-ich-mich-nicht-loop” (2009 : 36).
133
Celui-là est un éminent créateur de mots-valises tels que le célèbre « gargamelle » (gargantua + gamelle),
mais aussi « empaletoquer » (empaler + paletot+toqué), « hypocritiquement » (hypocrite + critique),
« météorique » (météore + théorique)…
134
Voir par exemple la Fable L’Aigle, la Laie et la Chatte, où le poète fabrique les adjectifs marcassine et
aiglonne à partir des substantifs marcassins et aiglons (Fables, III, 6). Dans L’Ane chargé d’éponges, celui-là est
qualifié d’« épongier ».
284

d’invention elle-même, et le désir de transformer la langue » (Frontier, 1992 : 282).


En témoignent les poèmes d’un Jules Laforgue ou d’un André Martel (voir infra). Si
l’on doit à Lewis Caroll l’appellation de mot-valise135 – de portemanteau word – Joyce
a aussi joué un rôle décisif en la matière si bien qu’« on peut dire qu’après Joyce, la
technique du mot-valise a enrichi l’invention poétique d’une nouvelle figure ».
(Frontier, 1992 : 288) Henri Michaux, quant à lui, a inventé des mots qui semblent
dénués de signification dans « Qui je fus » et « Le Grand Combat » : « Mais si les
inventions verbales de Michaux sont dénuées de signification, elles sont employées
comme de vrais mots, sont intégrées à une grammaire parfaitement correcte et sont
porteuses d’une énergie qui leur tient lieu de sens » (Frontier, 1992 : 291).136

Formes contemporaines de la néologie

Ce bref panorama de l’histoire de la néologie nous amène à l’époque


contemporaine : quelles sont les formes nouvelles de ce concept éminemment
évolutif que représente la néologie ? En quoi ces formes sont-elles intrinsèquement
liées à la modernité ? Tel était précisément le sujet de l’article de Jean-Claude
Boulanger (1990) intitulé « La création lexicale et la modernité » :
« Le lexique d’une langue n’est jamais clos, jamais figé, jamais en veilleuse. Il recèle en
lui-même une dynamique d’évolution. (…) La créativité lexicale, en tant qu’œuvre
linguistique, forme l’une des composantes essentielles et la plus sensible de l’avenir
d’une langue. » (1990 : 234)
Evoquant les technolectes et les langues de spécialité, Jean-Claude Boulanger
souligne que « les notions et les pensées nouvelles exigent des néotermes » (235).
En admettant que « toute révolution sociale appelle une révolution linguistique »
(1990 : 236), on peut émettre l’hypothèse que l’avènement de la créativité lexicale
dans le slam reflète un idéal de renouvellement socioculturel. Si certains domaines
lexicaux semblent particulièrement fertiles en matière de néologie – désignés comme
autant de « zones de productivité lexicale » – le slam ne représente-t-il pas un
espace privilégié en matière de créativité lexicale ? Force est de constater que le mot
lui-même et ses dérivés répondent à l’exigence de nommer cette nouvelle forme de
poésie qui a partie liée avec la modernité : « Demain nous harcèle ».137

135
Voir notre prochain chapitre pour une analyse plus précise de ce concept.
136
Ces recherches seront poursuivies par le Lettrisme qui succèdera au mouvement Dada, et par certains
poètes sonores.
137
LHA, « Hardcorps et âme » (voir la citation mise en exergue de cette partie et le slam intégral en annexe V.6)
285

Dans le slam, la néologie apparaît aussi comme un moyen de tisser des liens et de
métisser une langue mouvante : « source de créations incessantes que les individus
attendent impatiemment afin de pouvoir mieux communiquer l’ancien et le
moderne. » (Boulanger, 1990 : 237) Tel est bien l’enjeu du slameur cité (LHA) et de
son archéonéologisme, mot-valise oxymorique. Et le linguiste de conclure :
« A condition d’avoir foi en sa langue, créer en français, néologiser en français, n’est pas
une utopie ni un rêve interdit, comme l’histoire de cette langue l’a prouvé à de multiples
reprises. C’est une manière d’occuper de nouveaux territoires fertiles, de voguer sur les
flots de la modernité, de s’assurer le respect des autres… » (Boulanger, 1990 : 238)

Françoise Gadet, dans un article publié en 2008, s’est intéressée « aux impacts
linguistiques et langagiers de certaines innovations technologiques », et notamment
aux phénomènes d’interpénétration entre oral et écrit. Dans la lignée de Gumperz,
elle a souligné que certaines activités impliquent les deux ordres, et donc des
moments de passage de l’un à l’autre. Dans le slam comme dans d’autres types
d’« évènements discursifs élaborés », un écrit précède un oral. De fait, « le passage
de l’écrit à l’oral épouse la forme d’une oralisation d’un texte rédigé avec l’objectif
d’être délivré par oral. » (2008 : 134) Or il ne s’agit pas tant de pénétration de l’oralité
dans l’écrit que de « manifestation de l’immédiat dans le graphique. » (135) Les
formes modernes d’écriture se caractériseraient en ce sens par le fait que les
« procédés linguistiques de l’immédiat, surtout présent dans l’oralité, se voient moins
censurés que dans une écriture plus élaborée »(135). Loin d’en conclure qu’il s’agit
là d’une écriture peu « élaborée », nous verrons qu’elle intègre, au cœur même de
son élaboration, des procédés qui relèvent d’une poétique de l’immédiateté. Avec les
possibilités nouvelles portées par les nouveaux media, les propriétés des deux
ordres se voient ébranlées et l’immédiat graphique se traduit par un foisonnement de
néographies (138). Nous verrons que le slam, en tant que forme d’écriture orale,
n’est pas hermétique à ces possibilités nouvelles induites par les nouveaux canaux.
Françoise Gadet conclut que « nous nous trouverions ainsi à un tournant culturel » et
évoque la possibilité du retour à un primat de l’oralité, cette dernière tendant à être
réinventée sur de nouvelles bases. Quant à Michel Arrivé (2010 : 8), il envisage les
potentialités créatives offertes par ces nouveaux media :
« C’est sur la Toile que se déchaînent aujourd’hui les compétences néologiques, à peu-
près complètement libérées des contraintes que comporte la manifestation écrite
traditionnelle.»
286

7.2. Les facteurs néologènes

Le concept de « zone néologène » a fait son apparition dans l’article intitulé « A


propos du sentiment néologique » (Gardin et al., 1974) : « Des phrases du texte sont
fortement soulignées et apparaissent comme plus néologènes que d'autres. »138
observe-t-il. Avant de revenir sur cette question à travers notre relevé des formes,
nous nous intéressons au seul adjectif néologène que Bernard Gardin, dans cet
autre article « La néologie : aspects sociolinguistiques », explicite en ces termes :
« Notre époque semble en effet plus néologène que d'autres (…) D'une manière plus
générale, une sorte de fonction néologène semble à l'œuvre dans certains textes
publicitaires ou journalistiques. Il s'agit de créer du changement au niveau du langage à
défaut d'en créer ailleurs» (1974 : 49, nous soulignons)
Trente sept ans plus tard, nous nous interrogerons sur ce qui, dans la société
contemporaine en général, et dans le slam en particulier – en tant que forme
poétique potentiellement miroir de cette société – serait de nature à favoriser
l’éclosion voire l’explosion de formes néologiques. A l’instar de Jean-Pierre
Goudaillier (2002) qui s’est intéressé aux pratiques argotogènes139, nous chercherons
à identifier dans le slam certains facteurs, traits contextuels ou thématiques
néologènes. Force est de constater que « certaines circonstances peuvent même
favoriser l’éclosion de formes néologiques » (Sablayrolles, 1993 : 62).

7.2.1. Medium, Métissage et Modernité

Medium

C’est d’abord le medium poétique même qu’il nous faut envisager pour en faire
ressortir le potentiel créatif. Dans un article intitulé « Naissance d’une notion : la
médiopoétique » (à paraître), Jean-Pierre Bobillot explore les potentialités poétiques
inhérentes au medium :
« Loin de se réduire à un « support » ou à un « vecteur » inertes, le medium, s’il ne
constitue pas à proprement parler « le message », y joue incontestablement un rôle,
incitatif autant que limitatif : il le conditionne, il en est le conditionnement autant que la
condition – et, s’agissant de poésie, le condiment. Il le contraint et le permet (le suscite,
même). »

138
« Cette observation conduit à une autre présentation des résultats : on appelle zone la séquence la plus
longue soulignée par le groupe en tant qu'informateur collectif (dans ce cas précis : « ne manque pas de
surface internationale ») et foyer la séquence la plus courte commune aux différents relevés (ici, « surface »). »
(1974 : 48-49)
139
« Aujourd'hui on tend vers une définition de l'argot d'un point de vue sociologique, sociolinguistique et
linguistique ; on peut parler de structure et dire " ceci est de l'argot ", de pratiques (d'utilisations qui en sont
faites) et on peut socialement identifier les groupes qui sont argotogènes. » (interview consultée en ligne, voir
notre sitographie).
287

S’agissant du slam, nous avons pu démontrer qu’il était par essence une forme non
médiatisée de poésie, même s’il peut donner lieu à des formes secondes
médiatisées telles que l’enregistrement, la publication ou encore le clip poétique ou
la Text box de Bas Böttcher. A ce stade de notre réflexion, il nous apparaît
cependant que la langue est le premier medium140, la voix permettant son
incarnation : Jean-Pierre Bobillot parle à ce sujet de sémio-medium141 et de bio-
medium, qu’il distingue des techno-media soit de l’appareillage technologique
nécessaire à l’enregistrement. Le concept de constellation médiologique142 semble
particulièrement apte à rendre compte de notre objet qui intègre un ensemble de
composantes diverses :
« Le slam, comme toute poésie scénique, relève d’une telle constellation, incluant du
sémio-medium (langue, éléments relevant de la « fonction poétique », etc.), du physio-
medium (l’espace et les vibrations de l’air entre poète/lecteur et auditeurs/spectateurs, la
durée, la vitesse, le rythme de la lecture) et en particulier du bio-medium (…), et enfin du
techno-medium (l’équipement technologie d’amplification, de restitution, et souvent
d’enregistrement…) »143
Quant à la durée – plus ou moins fixe144– et à l’espace scénique – plus ou moins
ouvert et adapté à des performances poétiques –, ils relèvent aussi de ce qu’on
pourrait appeler, à la suite de Jean-Pierre Bobillot, physio et socio-medium :
« Le lieu relève également du physio-medium, mais plus encore, selon des proportions
variables, du techno-medium (…). Mais si l’on prend en compte les caractéristiques
sociales, idéologiques, culturelles, de l’auditoire, le nombre d’individus qui le composent,
sa plus ou moins grande assiduité, et donc le mode d’organisation des lectures dans
ledit lieu, leur régularité ou non, les habitudes qui s’y établissent, les autres activités qui
s’y déroulent en même temps (consommations, etc.), on doit peut-être parler d’un socio-
medium, dont l’influence ne saurait être négligeable… » (enquête citée)
De fait, la durée dévolue à un texte déclamé lors d’une slam session nous apparaît
comme une contrainte potentiellement créative, y compris sur le plan lexical. En effet,

140
J.-P.Bobillot emploie ici le terme de medium au sens de Régis Debray : « le terme de médium pourra aussi
bien s’appliquer au langage naturel utilisé (anglais ou latin), à l’organe physique d’émission et d’appréhension
(voix qui articule, main qui trace des signes, œil qui déchiffre le texte), au support matériel des traces (papier
ou écran), au procédé technique de saisie et de reproduction (imprimerie, électronique)… » (1991 : 24-25)
141
« En premier lieu, donc, la langue elle-même : lexique, sémantique, syntaxe, morphologie, phonétisme,
prosodie, graphies, etc. Toutes déterminations, point spécifiques au champ appelé « poésie » (elles se
manifestent dans toute « performance » linguistique, littéraire ou non) – et que l’on caractérisera comme
sémio-medium (ou -a) non spécifique(s) –, mais dont la poésie serait le champ d’investissement esthétique
spécifique. »
142
Jean-Pierre Bobillot donne l’exemple du « dispositif bouche / microphone / main / clavier / écran / œil /
haut-parleurs / oreille, hautement intégré. »
143
Enquête écrite du 21/12/10 (voir en annexe III.15).
144
Le slam se distingue en cela, la durée étant fixée par des règles, de la poésie sonore : J.-P. Bobillot cite à ce
sujet l’exemple du célèbre « Hommage à Carl von Linné » de Paul-Armand Gette : « 6 heures de lecture
ininterrompue du Species plantarum de Linné à l’Université de Nanterre, le 29 novembre 1975… »
288

l’une des règles définitoires du slam restreint la durée d’un texte à 3 ou 5 minutes, ce
qui est susceptible d’engendrer une recherche de condensation. D’une manière
générale, nous pouvons avancer que les règles de la scène slam sont fécondes.
D’une part, l’unité de lieu, alliée à l’ouverture voire à l’exiguïté de ce même lieu,
conduisent le slameur à déployer des trésors d’inventivité pour s’adapter à un
auditoire – à un socio-medium – qui ne lui est pas spontanément acquis. Quand une
scène slam se déroule dans une piscine, une rame de métro ou encore un café où
les gens discutent et consomment, le slameur doit captiver l’écoute et il y a fort à
parier qu’il intègre cet enjeu au sein-même d’un texte conçu dans cette perspective.
D’autre part, la diversité des lieux possibles est susceptible de contribuer à la
mouvance du texte slamé : si nous appelons topo-medium, à la suite de Jean-Pierre
Bobillot, le lieu investi pour la performance, alors force est de constater que ce lieu
n’est pas sans conséquence sur l’actualisation de cette dernière145. Quant au
contexte de la compétition, l’enjeu du gain peut aussi influer sur une recherche
d’expressivité et d’originalité susceptible d’attirer les faveurs du jury.

Métissage

Le métissage inhérent à un tel medium nous semble être un autre facteur


potentiellement néologène146. Foncièrement métis - « Je métisse ma toile » slame un
Bastien Mots Paumés tandis que Rouda prétend accoucher « d’une écriture
métisse »147 -, le slam se construit et se conçoit à la frontière des codes, des langues
et des variations linguistiques. Les emprunts à la langue anglaise sont fréquents,
qu’ils relèvent du technolecte du hip-hop148 ou d’un renvoi explicite aux racines
américaines du slam149. Outre ces micro-alternances codiques, le slam intègre des
variations diastratiques et diatopiques comme le terme de gones150 qui fonctionne
comme marqueur ou emblème identitaire (Billiez, 1996) pour les slameurs lyonnais.
En tout état de cause, la maîtrise de plusieurs langues151 apparaît bien comme un
facteur néologène selon Jean-François Sablayrolles : « La gymnastique de l’esprit
liée au plurilinguisme ne peut que favoriser la néologie. » (1993 : 64) En témoigne

145
Voir aussi le concept d’affordance, développé à la fin de cette thèse (chapitre 14).
146
Voir à ce sujet notre prochain chapitre.
147
MP, « Cybercaféine » ou « Le réseau » (2009) et Rouda, « Noir et Blanc » (2007).
148
Voir par exemple le texte de LHA (annexe IV).
149
Voir par exemple le texte « Slam » de Tô cité et analysé dans notre précédent chapitre.
150
Voir le texte de MDSL/BTR (annexe V).
151
Que nous avons pu vérifier chez les plupart des slameurs rencontrés (voir notre chapitre 3).
289

cette formule rituelle – néologique autant que néologène – par laquelle de nombreux
slameurs/animateurs de scène slam ouvrent le feu – i.e. la slam session :
« Slamaleikoum ! »152

Modernité

Ainsi, la modernité et les caractéristiques du medium, le métissage et le caractère


hybride sont autant de facteurs néologènes constitutifs de cette forme de poésie
contemporaine qui se conçoit à la confluence de l’oral et de l’écrit, d’une culture
populaire et d’une culture savante. Or certaines thématiques nous semblent
particulièrement propices à un déploiement de la créativité lexicale, à commencer par
des sujets ayant trait à la modernité153, telles les nouvelles technologies
(« Cybercaféine », MP) qui induisent un technolecte spécifique, ou encore la
dénonciation de certains travers de notre société - la pollution des villes avec le texte
« Apnée » (MP). Enfin, le slam en tant qu’art urbain récent et réticent à se laisser dé-
finir se distingue comme un thème récurrent et néologène : lieu/objet de réflexivité et
de créativité comme en témoignent certains textes de Grand Corps Malade
(« Attentat verbal ») ou d’autres slameurs cités (« Hardcorps et âme », « Slam
obsession »). Tout se passe comme si, refusant de se laisser imposer des règles
strictes, les slameurs refusaient du même coup de se laisser enfermer dans la norme
lexicale. D’où le recours à la néologie comme signe de libération voire de
transgression, mais aussi de dynamisme et de modernité, emblème d’une identité en
construction pour le mouvement slam :
« il (le néologisme) semble être une extension au-delà du domaine des signifiants
possibles et comme l’image des bornes franchies ; le langage, littéralement, se
surpasse. » (Rifaterre, 1973 : 69)

152
Mot-valise par insertion du lexème « slam » dans la formule empruntée l’arabe : « Salamaleikoum ! ». Voir
notre glossaire.
153
Voir notre chapitre 10 (corpus GCM)
290

7.2.2. Un genre discursif situationnel

Un genre de discours

D’après Todorov dans sa période structuraliste, « l’opposition entre littérature et


non-littérature cède la place à une typologie des discours. » (1978 : 25). Toutefois,
cette notion de genres de discours ne se substitue pas à la question de la littérarité :
reconnaître le slam comme genre discursif ne revient pas, de notre point de vue, à
l’exclure du champ littéraire. La réflexion de Todorov nous intéresse néanmoins en
tant qu’il s’interroge sur l’existence « dans le langage (puisqu’il s’agit ici des genres
du discours) de(s) formes qui, tout en annonçant les genres, ne le sont pas
encore » : « Comment se produit le passage des uns aux autres ? » se demande-t-il
(1978 : 47). Le genre étant « la codification historiquement attestée de propriétés
discursives », (51), il nous semble prématuré, alors que le slam français est encore
un phénomène récent, d’attester comme propriétés ce que nous pouvons relever
comme traits potentiellement caractéristiques. Todorov souligne le lien entre genre et
acte de parole :
« le genre coïncide avec un acte de parole qui a aussi une existence non littéraire, ainsi
la prière ; ou enfin il dérive d’un acte de parole moyennant un certain nombre de
transformations ou d’amplifications. » (1978 : 53)
Nous pouvons alors émettre l’hypothèse que la plupart des textes produits sur une
scène slam répondent partiellement aux traits stylistiques que nous nous attachons à
mettre en lumière. En d’autres termes, les deux ensembles ne coïncident que
partiellement, une scène slam pouvant donner aussi lieu à des textes qui relèvent du
conte ou du sketch dès lors que les slameurs viennent de tous horizons. Ainsi :
« l’identité du genre lui vient de l’acte de parole qui est à sa base, se raconter ; ce qui
n’empêche pas que, pour devenir un genre littéraire, ce contrat initial doit subir un
certain nombre de transformations » (1978 : 59)
En d’autres termes, l’identité du slam lui viendrait de la scène qui constitue l’acte de
naissance ou le « baptême » - selon la formule de Rouda - d’un texte élaboré en
amont, et de l’intégration des règles inhérentes à cette situation, mais il va de soi que
cette considération ne suffit pas à définir la littérarité du texte. Certes, le slam est
moment, il est l’art de l’instantané, mais pour pouvoir être reconnu et diffusé en tant
que tel, un texte de slam doit faire ses preuves, montrer qu’il « fonctionne » sur
scène et se prolonge au-delà à travers une résonance poétique.
291

Un genre situationnel

Si l’on postule un renouvellement constant des genres, il se définit plus


précisément comme un genre situationnel au sens de Patrick Charaudeau (2002 :
280). En effet, les contraintes situationnelles sont inhérentes au contexte-même de
l’oralisation d’un texte qui a été produit dans cette perspective, à savoir une « scène
slam » ou slam session. En oralisant son texte, en l’animant (Goffman, 1981 : 144),
le slameur lui donne vie et cet acte est en lui-même fondateur et créatif, mais il induit
une forme d’art éphémère, qui se vit et se partage dans l’instant. Quant aux
récepteurs qui constituent l’audience d’une scène slam, ils sont liés par un contrat de
communication particulier fondé sur l’écoute et l’échange. Le plus souvent, il en
résulte une qualité d’écoute remarquable lors des scènes slam – une fois l’horizon
d’écoute mis en place –, au cours desquelles les participants peuvent d’ailleurs être
amenés à réagir ou à interagir selon le principe d’une scène ouverte. Or cet horizon
d’écoute particulièrement ouvert nous paraît favorable à l’émergence de formes
néologiques dans ce contexte. Si celui qui monte sur scène pour déverser ses vers
gagne précisément un verre, les auditeurs « boivent » littéralement les textes qui leur
sont offerts : « J’ai vu des oreilles plein leurs yeux » slame un Grand Corps Malade.

Une performance locutoire dialogique

Il s’agit en outre d’une performance locutoire – pour reprendre les termes de


Barbéris (2007 : 212) – intégrant une forme de dialogisme au sein même du texte :
« Les discours se caractérisent par leur aspect éminemment adressé, formaté selon le
recipient design (point de vue du destinataire) » (2007 : 211)
Si le phénomène de double énonciation peut intervenir dans le slam comme dans la
chanson ou le théâtre154, nous pouvons émettre l’hypothèse que la mixité du public
d’une scène slam conduit les slameurs, par un effet de miroir, à intégrer à leur
écriture orale de nombreuses variations diastratiques, mais aussi diaphasiques ou
stylistiques (Barbéris, 2007 : 213), ce qui induit une source de créativité via le
métissage langagier et linguistique. A l’instar de la chanson, le slam se caractérise
par cette « oralité dialogique » et par un « coefficient d’oralité fort » (222) qui sont
des facteurs potentiellement néologènes. Il est communiversation et en tant que tel,
offre un contexte favorable :

154
Voir par exemple le texte d’AAM « Lettre à mon père » ou encore « Merci Maman » de Rouda (chapitre 4).
292

« les échanges langagiers entre pairs (…) sont plus favorables à l’émission de formes
néologiques que lorsqu’on se trouve, d’une manière réelle ou illusoire, en situation
d’infériorité, ou que les circonstances sont empreintes de solennité. » (Sablayrolles,
1993 : 62)

7.2.3. De la recherche de concision et d’expressivité à la néologie

D’après Freud (1905), le mot d’esprit – appelé « trait d’esprit » par Lacan155 – vise
la fulgurance et répond au principe de concision, résultant d’un processus de
raccourcissement ou de condensation :
« la condensation demeure la catégorie à laquelle sont subordonnées toutes les autres.
Une tendance à la compression, ou mieux, à l’épargne, domine toutes ces techniques. »
(1983 : 67)
De fait, l’exigence de brièveté inhérente au slam peut induire une condensation des
effets sonores mais aussi sémantiques. D’où le recours à des procédés qui
s’apparentent bien au « mot d’esprit » tel que Freud le décrit :
« employer un seul et même mot – le nom – de deux façons différentes, une première
fois dans son entier, une seconde fois décomposé en syllabes, à la façon d’une
charade. » (1983 : 49)
Ainsi les néologismes bavardeurs et allitérophiles dans la citation mise en exergue
(Marco DSL et Barbie TR) constituent-ils des « charades » ou des « mots à tiroirs » :
le premier fait l’objet d’un double jeu de décomposition homonymique et
paronymique (bave ardeur, braves hardeurs) ; le second est un mot-valise dont le
composant principal (haltérophile) intègre aussi le verbe altère, homophone de
haltère. Il s’ensuit une « série de glissades, jouant sur les signifiants phoniques et
graphiques » (Martin, 1976 : 188). « La condensation » : tel est précisément le titre
de l’article que Jean-Paul Martin a consacré à la poésie de Joyce, qu’il analyse -
dans la lignée de Freud et de son analogie entre le rêve et l’écriture - comme « un
analogue écrit du rêve » (1976 : 180). Dans ces conditions, le mot-valise apparaît, à
l’instar du rêve, comme un lieu de condensation : « condensation de signifiants »
(189).

En outre, la recherche d’expressivité peut constituer un facteur néologène. A


l’image du paralloïdre d’André Martel, le slameur Lyor a renforcé la rugosité de son
texte foisonnant de monstres de la langue par une allitération en [R] contenue en
germe dans le titre « Barbareurs ». De fait, une analyse phonétique de ce slam

155
Lacan proposait de traduire ‘Witz’ par ‘trait d’esprit’ (Ecrits, p.522) : choix qui a le mérite de souligner la
fulgurance, l’éclat de la trouvaille.
293

révèle 53 [R] / 504 phonèmes, soit 10,5 %, contre 7, 25% de fréquence habituelle
dans le discours (Wioland, 1991 : 30) 156.

Jean-François Sablayrolles évoque le cas des « néologismes au signifiant très


significatif », dont le signifiant attire l’attention visuelle ou auditive :
« Leur singularité tient ainsi au fait que leur forme, phonique ou graphique, provoque un
surcroît d’attention… » (2002 : 97)
Si dans le slam, c’est le plus souvent sur un plan phonique que la forme interpelle, il
peut arriver que les slameurs jouent avec les formes graphiques à l’occasion d’une
publication, comme en témoigne cet exemple de titre de Souleymane Diamanka et
John Banzaï : « L’homme en ?uestion » (2007 : 64). Alena Podhorna (2009 : 141), se
référant à la stylistique de Bally et de Zima, distingue l’expressivité inhérente –
essentiellement liée à la forme phonique du mot ou à son procédé de formation –,
des expressivités adhérente – repérable dans un contexte précis – et contextuelle,
cette dernière résultant d’un emploi inhabituel ou d’une transgression des registres
de langues. Ainsi, les néologismes « au signifiant très significatif », ou plus
généralement les néologismes dits « de forme » relèveraient du premier type
d’expressivité, alors que la néologie sémantique et syntaxique procèderait du
deuxième. Quant à la troisième catégorie, elle apparaît liée à des effets de stylisation
du discours (2009 : 143), en vertu d’enjeux identitaires ou littéraires157. De cette
étude du rapport de la néologie à l’expressivité, Alena Podhorna conclut :
« La néologie proprement dite (sémantique ou formelle), mais également la revivification
de termes expressifs oubliés, notamment les expressions du vieil argot, sont des
piments qui apportent au discours des traits expressifs, des traits nécessaires pour que
le locuteur se démarque par rapport à son environnement et pour qu’il marque son style
langagier non-conformiste. » (2009 : 144)
Dans ces conditions, nous pouvons avancer que, dans du slam, la recherche
d’expressivité représente un facteur néologène, s’agissant de lutter contre la
banalisation de mots qui, initialement expressifs, ont perdu leur charge émotive.

156
Se reporter à l’illustration sonore de ce chapitre et à la transcription de « Barbareurs » en annexe V. De
même, André Martel (Bizarre 32-33, 1964 : 120) dit du « r » son « paralloïdre » que « c’est un son de
renforcement qu’(il a) introduit pour donner au mot paralloïdre plus de rugosité dans son barbarisme ».
157
« Il s’agit là d’une pratique assez typique de la littérature où l’auteur insère volontairement des lexèmes qui
attirent l’attention à cause de leur caractère marqué (…), à cause de la substitution d’une partie d’une locution
figée par un mot inattendu ou bien, à cause d’une attraction paronymique… » (Podhorna, 2009 : 142)
294

7.3. Les formes de la néologie : typologie, inventaire et classements

Sur un plan méthodologique, nous nous ne livrerons pas ici, à l’instar de Jean-
François Sablayrolles auquel nous nous référons sur ce point (1997), à un examen
minutieux et critique des typologies existantes. Tout en ayant conscience de la
complexité de cette question que l’on se saurait réduire à une bipartition158 ou une
tripartition159 classique, nous nous inspirerons de la typologie établie par Tournier, et
à sa suite, Jean-François Sablayrolles, en aménageant ce classement afin de rendre
compte de la richesse de notre corpus.

7.3.1. Proposition de typologie

Dans son Précis de lexicologie anglaise, Tournier (1991) établit un classement


très hiérarchisé fondé sur les douze matrices dites « lexicogéniques » : celles-là
rendent compte de « la nature très variée des divers processus » (2004 : 25), qu’ils
relèvent d’une dynamique interne ou externe à la langue concernée. A partir d’un
corpus d’exemples160, il énonce successivement : la préfixation, la suffixation, la
dérivation inverse, la composition (par juxtaposition), l’amalgame, l’onomatopée, la
conversion, la métaphore, la métonymie, la troncation, la siglaison et l’emprunt. Il
regroupe ensuite ces divers processus dans le tableau ci-après :

158
Néologismes de sens et néologismes de forme, soit néologie formelle d’une part et sémantique d’autre part.
159
L’emprunt peut constituer pour certains une troisième catégorie (Guilbert, 1975).
160
Voici les exemples illustrant les matrices (Tournier, 2004 : 21, nous soulignons), les numéros correspondant
à l’ordre dans lequel elles sont énoncées : The ecologists will organize an antinuclear campaign (1). Is there a
kitchenette in this caravan ? (2) They were burgled while they were on holiday. (3) Sheep-dogs are very reliable
animals. (4) There might be some patches of smog in the morning. (5) “Old Mac Donald had a farm… here a
quack, there a quack…” (6) They’ll have to tunnel through the hill. (7) What a bear! I hate him! (8) This castle
belongs to the Crown. (9) You’d better phone the vet. (10) I was treated like a VIP. (11) Isn’t she sweet in her
tutu? (12)
295

Tableau 5 : les matrices lexicogéniques d’après Tournier (2004 : 27)

Notons d’abord que Tournier appelle amalgame ce que d’autres nomment mot-
valise, ce qui permet de différencier le procédé du produit résultant de cette fusion161.
En outre, il précise que ces douze matrices – dont il souligne la récursivité – peuvent
se combiner entre elles, d’où l’idée d’une combinatoire matricielle162. Il distingue les
« combinaisons à grande fréquence » (« les plus productives ») des « combinaisons
attestées »163 et des « combinaisons multiples » (2004
bi-matricielles non-attestées ( : 184)164.
Parmi les ressorts de la création lexicale, il évoque
évoque non seulement la connaissance
et la communication, l’économie linguistique – soit la « loi du moindre effort » (195) –,
mais aussi la « pulsion ludique » (196) qui se manifeste à travers toutes les matrices
lexicogéniques. Il ne semble pas établir de corrélation entre cette pulsion et certaines
matrices qui pourraient être plus créatives que productives.
Pruvost & Sablayrolles (2003) s’inscrivent dans la lignée de Tournier en
reprenant la subdivision en trois types de matrices – morpho-sémantique,
sémantique, syntactico-
syntactico
sémantique et morphologique – auxquelles ils ajoutent la matrice pragmatique visant
à rendre compte du détournement d’une unité lexicale « longue et complexe » (115).
Cette matrice étant particulièrement féconde appliquée à notre corpus, nous en
proposerons un nouvel aménagement (voir infra).

161
Nous reviendrons sur ce concept de mot-valise
mot dans notre prochain chapitre.
162
« l’analyse de certaines formations peut faire apparaître le jeu combiné de quatre, voire cinq et même six ou
sept processus. » (2004 : 174)
163
Il précise alors qu’il n’y a pas « d’impossibilité absolue,
absolue, d’autant moins que la pulsion ludique (…) peut jouer
dans ce cas un rôle moteur. » (20042004 184)
164
A titre d’exemples, des titres d’albums comme Slamérica ou Loverdose résultent d’une combinaison d’une
matrice externe (emprunt) et d’une matrice interne,
interne, l’accent sur América attestant d’un emprunt à l’espagnol.
296

Tableau 6 : Les procédés de création d’après Pruvost & Sablayrolles (2003 : 118)

Notre propre classement consiste donc en un aménagement de cette typologie à


la lumière des spécificités de nos propres corpus : la principale modification se
rapporte à la notion de « matrice phraséologique »165 qui nous semble adéquate à
rendre compte d’un procédé envisagé dans sa linéarité et sa littérarité potentielle,
étant entendu que cette matrice peut se combiner avec d’autres modes de formation.
Elle se substitue dans notre tableau à la matrice dite « pragmatique » (Pruvost &
Sablayrolles, 2003 : 115) définie comme :
« Le détournement d’une unité lexicale longue et complexe, locution ou séquence
mémorisée par de nombreux sujets parlants (proverbes, titres d’œuvres, citations de
classiques, petites phrases d’hommes célèbres, fragments de comptines enfantines,
etc.), combine à la fois ce qui est figé et ce qui est mémorisé que de l’innovation dans la
modification (ajout, suppression, remplacement) d’un élément de cet ensemble. »

En outre, notre typologie rend compte de deux autres aménagements du classement


initial :
- La matrice onomatopéique a été intégrée à une matrice phono-morphologique du fait
de la prégnance des jeux de sonorités ou d’hybridation entre écrit et oral, d’où l’ajout
des néographies dont certaines s’apparentent à l’écriture texto (RiM) voire à la
clavécranture (Bobillot) : « LaurentEtienne.com ».
- L’homonymie a été ajoutée comme procédé de déformation, la décomposition
homophonique (ou équivoque) pouvant être mise en relief par la prosodie166.

165
La phraséologie étant entendue au sens générique d’ « ensemble des expressions, collocations, locutions,
phrases codées dans une langue » (Lehmann et Martin-Berthet, 1998 : 62).
166
Voir par exemple (corpus MP, annexe VI) : « une opération hacker ouvert » avec « h » aspiré (« Le réseau »).
297

D’où le tableau suivant, illustré par des exemples issus d’un corpus péritextuel, soit
25 noms de slameurs et slameuses, ajoutés à 12 noms de collectifs (en italiques) :
Types de Domaines Modes de Procédés Exemples
matrices création
Matrices Morpho- imitation onomatopée Ramdam slam
internes phonologique Am slam gram
167
(sémantique) réduction de la troncation Säb (Sabine)
forme Ange (Angélique)
siglaison Marco DSL
La SLAM/ La SLAAM
hybridation écriture texto Rim, K-phare
168
(oral/écrit) néographie M’sieur Dam
169
LaurentEtienne.com
Morpho- construction affixation Plume slameuse
sémantique composition composition Grand corps malade
170
binominaux Slam Tribu
fusion amalgame Ninanonyme
mot-valise Vagablonde
171
Frangélique
Les slamtimbanques
déformation homonymie Barbie tue Rick
paronymie Boutchou, Luciole
172
fausse coupe La tribut du verbe
verlan Ysae
Syntactico- changement de conversion Luciole
173
sémantique fonction combinatoire Narcisse
changement de métaphore Luciole, Ebène slam
sens métonymie Uppercut
Phraséologique détournement délexicalisation Le Bon Slamaritain
défigement Chant d’encre
Slam sensible
Am slam gram
Enterré sous X
174
Matrice externe emprunt Rouda , Nada
175 176
Nëggus , Ivy
177
Lyor
Combinaison externe + interne Pilote le hot
178
Selecta Seb
Ramdam slam
Tableau 7 : Classement des procédés de création (noms de slameurs et de collectifs)

167
La dimension sémantique est cependant présente en filigrane, même si elle ne nous paraît pas première ici.
168
Ce slameur du collectif « Slam Tribu » présente son pseudonyme comme un oxymoron, en tant que figure
rapprochant deux mots de sens contraire. La formule est issue d’une ellipse (Aquien et Molinié, 2002 : 527)
pour « Messieurs et mesdames ». Voir l’interview de « Slam Tribu » sur France culture. (voir notre sitographie)
169
Ce dernier pseudonyme dit la contemporanéité du slam et son lien possible avec les nouveaux medias.
170
La position relative de ces deux lexèmes suggère un calque de l’anglais.
171
Fusion des deux prénoms : Franck + Angélique.
172
Voir infra pour l’analyse de ce nom de collectif.
173
Il s’agit dans les deux cas d’antonomases, soit de l’utilisation d’un nom commun en nom propre (le terme
s’appliquant aussi au cas inverse, d’après Dupriez, 1980 : 58).
174
Emprunt à l’arabe pour « la brindille » (entretien du 27/10/08, voir en annexe III.2
175
Pseudonyme « choisi en référence au titre que portaient les empereurs en Ethiopie » (Martinez, 2007 : 131)
176
Emprunté à l’anglais pour « le lierre » (enquête du 15/09/10, voir en annexe III.8)
177
Emprunté à l’hébraïque d’après l’intéressé : « Lyor, c'est mon deuxième prénom et c'est d'origine
hébraïque. Ça veut dire : ma lumière ou pour moi la lumière, selon les interprétations. » (mail du 31/01/11)
178
Selecta, en jamaïcain, renvoie au « selecteur », soit au DJ. Cet emprunt est ici suivi d’une troncation « Seb ».
298

7.3.2. Répartitions quantitatives

L’examen de l’ensemble de notre corpus nous révèle que la matrice morpho-


phonologique est la plus féconde. Il nous faut cependant tenir compte du fait que 89
néographies et 15 graphies relevant d’une « écriture orale » (soit 104 sur un total de
113) sont issues du même texte de Rim, d’où une représentativité limitée à l’échelle
du corpus entier. A l’inverse, l’importance des onomatopées et des phénomènes de
troncation n’est pas négligeable, même si elle est quantitativement faible, car mieux
répartie dans les différents textes de notre corpus (4 textes). En ce qui concerne la
matrice morpho-sémantique, ce sont les phénomènes de fusion (ou amalgame) qui
sont les plus fréquents, suivis par les déformations paronymiques. L’affixation reste
minoritaire : nous pouvons émettre l’hypothèse que ce procédé est plus productif que
créatif. Quant à la matrice syntactico-sémantique, notons que les conversions et
modifications affectant la combinatoire syntaxique dépassent quantitativement les
métaphores et métonymies. Il faut cependant souligner que la métaphore est
souvent filée sur l’ensemble du texte et de ce fait, difficile à circonscrire au sein d’une
lexie potentiellement néologique. Enfin, la matrice phraséologique – que nous
étudierons plus en détail dans nos prochains chapitres – peut entrer en jeu dans les
combinaisons bimatricielles qui sont fréquentes à l’échelle de notre corpus.

A cet égard, l’exemple du nom de collectif « La Tribut du verbe » nous semble


révélateur des combinaisons possibles :
- sur un plan morpho-phonologique, un jeu sur la coupe avec une triple
homonymie (La tribu / l’attribut / le tribut179) ;
- sur un plan phraséologique, un détournement du syntagme « attribut du
sujet » par substitution du lexème « verbe » en jouant sur sa polysémie ;
- sur un plan syntactico-sémantique, une référence à la tribune et aux tribuns,
mais aussi au tribut (de tributum, « impôt ») qui, de « rétribution, salaire »,
peut évoluer vers le sens figuré d’ « hommage » (Rey, 2007 : 3915).
Au-delà des noms de slameurs et de collectifs, nous avons soumis notre corpus
C1 à une analyse systématique des procédés de création180. Ces graphiques
rendent compte des répartitions entre matrices et procédés identifiés :

179
La néographie (pour « la tribu ») ou le changement de genre (« le tribut ») nous mettant sur la voie (à l’écrit)
de cette triple interprétation possible.
180
Au total, 15 textes ont fait l’objet d’une analyse détaillée, dont 9 d’un traitement intégral et 6 de l’analyse
subséquente s’agissant d’occurrences isolées (voir les textes en annexe V et les tableaux correspondants).
299

180
160
140
120
100
80
60
40
20
0

Figure 3 : Répartition par matrices (corpus C1)

onomatopées troncations affixation


siglaison néographies composition
amalgame (mots et locutions-valises)
4%
déformations paronymiques
1%
13%
11%
4%

82% 35%
50%

Figure 4 : Répartition interne Figure 5 : Répartition interne


(matrice morpho-phonologique) (matrice morpho-sémantique)

17

conversion/combinatoire
58
métonymies

Figure 6 : Répartition interne (matrice syntactico-sémantique)181

181
La métaphore est cependant difficile à circonscrire dans la mesure où elle se superpose aux autres procédés.
300

7.3.3. Analyses qualitatives

Matrice morpho-phonologique : des onomatopées aux néographies

D’une part, nous avons noté que le slam se caractérise par une prégnance du
mimétisme sonore. D’autre part, la présence de néographies au sein de notre corpus
ne manque pas de nous interpeller : quelle peut en être la portée dans le cadre d’un
texte destiné à être oralisé ? Dans quelle mesure reflètent-elles cette langue hybride
et mimétique ? Comment anticipent-elles sur l’oralisation, la prosodie ?

Dans certains slams, nous avons pu identifier une forme de matrice


onomatopéique (Calvet, 1999 : 113) qui semble prédominante dans le choix et
l’agencement des mots : « Limousine lang wie'n TrUCK / auf einmal kenne ich den
TrICK! Ich mache Flickflack und spACK.»182 Ce sont bien les structures
onomatopéiques (Guiraud, 1986 : 94) qui sont ici prégnantes et particulièrement
expressives183. Le recours aux onomatopées peut en outre permettre de dépasser la
frontière des langues (« La la la human step by step bye bye bébé », I) et
d’accentuer la musicalité d’un texte184 en contribuant à une forme d’harmonie
imitative185 : « Coule coule petite pluie / Plic plac applique-toi implacable… » (Na)
Notons que la présence de rejets internes aux mots186 - soit de néographies rendant
compte d’un allongement syllabique - contribue à filer la métaphore mélodique :
« Coule à verse déverse cal-
mement ton déluge… »187
Dans cet autre exemple, l’utilisation du rejet pour segmenter une lexie ne répond pas
seulement à la recherche d’effets poétiques ou prosodiques mais à une forme
néologique obtenue par amalgame dont la formation se trouve mise en relief :
L’éléctro
locution188

182
Bas Böttcher « Taktik ». Cette version nous ayant été transmise par son auteur, nous pouvons émettre
l’hypothèse que la présence des majuscules permet de souligner non seulement les allitérations, mais plus
généralement, les accents prosodiques, puisque l’onomatopée « Flickflack » n’est pas en majuscules ici.
183
D’après Guiraud (1986 : 94), « dans la racine T.K, la plus simple et la plus dynamique de cette série, la pointe
de la langue se porte en avant contre les dents, puis se retire vivement, avec une explosion, la racine de la
langue venant heurter la partie postérieure du palais. C’est très exactement l’image d’un poing… ». Ce
caractère « explosif » peut être accentué par l’usage du micro (voir l’enregistrement vidéo du chapitre 2).
184
Voir aussi le texte de Saul Williams traduit en annexe I.2 : « Je ne suis pas le fils de Sha Clack Clack… »
185
D’après le Littré : « un arrangement de mots par le son desquels on cherche à imiter un bruit naturel ».
186
Pour Mazaleyrat (1974 : 119), il y a rejet quand « un élément verbal bref, placé au début d’un vers ou d’un
hémistiche, se trouve étroitement lié par la construction au vers ou à l’hémistiche précédent, et prend de par
sa position une valeur particulière. » Le rejet peut être interne (au vers) ou externe.
187
Un autre exemple se trouve dans cette même strophe : « Que tout coule se décolle / En désastre écol- /
ogique sans logique… » Les slashes marquent un retour à la ligne (version transmise par l’auteur).
301

En d’autres termes, il ne s’agit pas seulement d’une néographie mais bien d’une
lexie néologique relevant de la matrice morphosémantique. De même pour la
forme pro-thésiste, le tiret induit une resémantisation du terme attesté prothésiste189.
Plusieurs exemples issus de notre corpus témoignent d’une utilisation des
majuscules visant à marquer une accentuation expressive et démarcative :
« Dire directement sans salmigon…DIRE / Avant que la mort vienne nous rai…DIRE » (I)
Dans trois sur vingt-cinq occurrences de « DIRE », ce procédé – ajouté aux points de
suspension qui créent un effet d’attente – attire notre attention sur une lexie tendant
à l’amalgame190 :
« DIRE qu’on s’endort en plein après-mi…DIRE (…)
Qu’on cherche encore un coin de para…DIRE » (I, nous soulignons)
Dans cet autre exemple, les points de suspension sont utilisés pour souligner un jeu
sur la coupe, la frontière des mots : « les verbes d’éta…ble de conjugaison » (I)191

Quant à la slameuse et chanteuse Rim, elle introduit de nombreuses


néographies192, formes hybrides relevant de l’écriture texto et traduisant une
interpénétration entre écrit et oral. Comme le suggère son titre – « D chiffres et D
lettres » –, ce slam repose sur le principe d’une phonétisation193 des chiffres et des
lettres qui sont intégrés à la formation de néographies résultant de combinaisons
multiples194 : « L’impression de nouveauté tient à un certain art de la combinatoire »
(Mourlhon-Dallies, 2010 : 102). De fait, les lettres – mises en relief par la
typographie195 – et les chiffres sont utilisés avec des valeurs différentes :
- valeur syllabique (1 signe = 1 syllabe correspondant au nom de la lettre196) ;
- valeur homonymique (1 signe = 1 mot homonyme au nom de la lettre) ;

188
Marco DSL/Barbie tue Rick (typographie adoptée sur le livret).
189
De même le titre du texte de John Banzaï « Pro-verbe » (Original slam, 2006) induit une resémantisation de
la lexie « proverbe », mettant en valeur le lexème « verbe » au sens latin de « parole, suite de paroles » (1050)
ou littéraire (1802) d’ « expression verbale, orale ou écrite, de la pensée » (Rey, 2007 : 4029).
190
La fusion n’est pas complètement réalisée mais matérialisée par la graphie et la ponctuation.
191
Formation néologique de type « locution-valise » (voir chapitre 8) : « verbe d’état + tables de conjugaison ».
192
Nous utiliserons ce terme, à la suite d’Anis, pour désigner « toutes les graphies s’écartant de la norme
orthographique ». Anis nous rappelle que ces combinaisons ne sont pas nouvelles (voir les rébus et les
abréviations utilisées lors des prises de notes) mais que leur combinaison peut néanmoins être originale.
(article consulté en ligne, non paginé, voir en sitographie)
193
Par phonétisation, nous entendons ici « divers procédés qui jouent sur la valeur phonologique des
monosyllabes ou des rimes, et qui passent par l’épellation des consonnes, l’encodage phonétique des
chiffres… » (Fairon & Klein, 2010 : 114)
194
Le texte « D chiffres et D lettres » a été publié dans l’anthologie Slam entre les mots (2007 : 177) si bien que
nous avons pu l’analyser sous sa forme écrite, après l’avoir découvert sur scène (Double 6 à Lyon, le 12/11/08).
195
Les lettres détournées de leur usage selon la norme orthographique sont en majuscules. Il s’agit d’indice de
phonétisation, soit de « marqueur de passage à l’écriture par syllabogramme » (Mourlhon-Dallies, 2010 : 106).
196
Par exemple « M » équivaut à la syllabe ou au lexème [Em] et non au seul phonème [m].
302

- en vue d’une simplification orthographique avec réduction fréquente – mais non


systématique - du phonème à un graphème simple (une « tenU »197).
Nous pouvons d’ailleurs émettre l’hypothèque que certaines de ces majuscules ont
une visée accentuative en vue de l’oralisation (« casA »)198, soit une portée
stylistique en tant qu’elles mettent en relief le principe même de cet exercice de style.
En tout état de cause, il s’ensuit des « réductions spectaculaires » (Mourlhon-Dallies,
2010 : 103) de digramme ou trigramme à une lettre (bO pour « beau »), sans oublier
les syllabogrammes (I2 pour « hideux ») et les logogrammes199 (∆ pour « des tas ») :
« Les lettres et les chiffres sont utilisés pour la valeur phonétique de leurs noms, sans
tenir compte des frontières de mots. » (Anis, 2006, article cité)
Du mot le plus simple (A pour « à ») au plus élaboré (Ojourd8 pour « aujourd’hui »),
toutes les combinaisons sont possibles200 : les lettres et les chiffres peuvent être
utilisés de façon autonome (1 lettre/1 chiffre = 1 mot), ou intégrés à un lexème (1
lettre/1 chiffre = 1 syllabe). Ils pourront ainsi être combinés de manière homogène
(combinaison de lettres ou de chiffres) ou hétérogène (combinaison de plusieurs
procédés mettant en jeu des chiffres et des lettres)201, de sorte que « Un mot peut-
être transcrit par la combinaison de plusieurs procédés. » (Anis, 2006, article cité).
Notons la présence d’à-peu-près phonétiques (∆ pour « des tas »), et de liaisons
tantôt transcrites (LzM bien pour « elles aiment bien »), tantôt ignorées (OK où). En
outre, on relève des marques d’oralité (ptetre pour peut-être, y a pour « il y a ») avec
des élisions202, aux côtés de nombreux termes et expressions argotiques -
notamment en ce qui concerne l’isotopie des hommes et des femmes - ou
verlanisées (cainri), ainsi que des apocopes (tass pour pétasses). Enfin, la présence
de métonymies (une 1664 pour « une bière ») et d’expressions lexicalisées basées
sur des chiffres (les 1001 nuits) favorise la connivence avec le lecteur/auditeur,
certaines de ces références faisant appel à des connaissances culturelles : le cheval

197
Soit l’omission d’un mutogramme en finale (Anis, 2006, article cité).
198
La majuscule correspond ici à une marque d’accentuation puisque la forme proposée ne diffère de
l’orthographe normée (« casa ») que par la présence de cette majuscule accentuant le phonème final.
L’oralisation de ce texte révèlera toute la dimension colludique contenue en germe dans le texte écrit :
l’auditeur pourra ainsi retrouver tous les jeux fondés sur l’intégration de chiffres et de lettres à des mots ou
expressions. A l’écrit, la visée nous semble plutôt sybillique car le cryptage est tel que certains mots
s’apparentent à des rébus.
199
« On traite ici de signes-mots et de séquence de signes-mots. » (Anis, 2006)
200
Voir le classement proposé en annexe.
201
Par exemple « 2moizL » (pour « demoiselle ») représente une combinaison originale de lettres et de chiffres.
202
Phénomènes d’écrasement phonétique et de remplacement du « e » caduc par une apostrophe (pass’ra).
303

2 3 pour le cheval « de Troie »203. Plus généralement, on observe des traits propres
à une langue orale et populaire voire argotique, un allègement graphique – soit une
simplification orthographique – alliée à un effet de concision et de densité manifeste
à l’écrit – qui traduisent une pulsion ludique.

Jacques Anis (2006) voit dans ce type d’écrit une « nouvelle variété du
français », qui plus est « affectif (expression des sentiments favorisant le
relâchement du contrôle), ludique (s’exprimant par la néographie, le jeu de mot) » et
« socialisant (dominance de la fonction phatique dans les messages, partage de
codes communs). » Si les effets d’iconicité ne sauraient être perceptibles dans
l’actualisation orale de ce texte, les autres fonctions citées demeurent efficientes : le
caractère ludique favorisant la connivence – soit la fonction colludique (voir infra) – et
la poétique de l’immédiateté sont des traits communs à l’écriture texto et au slam.
Notons d’ailleurs que le cryptage d’un texte aussi long – à la différence des SMS –
implique une oralisation en vue de son décryptage :
« Un texte long de ce genre serait illisible, car il ne permettrait plus la lecture visuelle
mais exigerait d’être déchiffré à haute voix. » (Anis, article cité).

Matrice morpho-sémantique : déformations et amalgames

Lauréline Kuntz, dans son texte « Dixlesic »204, use à l’envi de lexies déformées,
dont le détournement se justifie par le sujet même de son slam : la dyslexie. Comme
pour le texte de Rim, une dimension ludo-parodique apparaît en filigrane dans un
slam qui progresse de mélangements de mots en inventivations. Au demeurant, la
slameuse ne se contente pas de jouer sur la forme des lexies qu’elle détourne mais
convoque aussi des aspects sémantiques en procédant notamment à des
amalgames : le défaut de prononciation de son personnage devient par exemple
« défaut de pornotiation », forme issue d’une substitution de la syllabe por à la
syllabe pro205, d’où l’intégration du morphème « porno » à cette lexie qui s’apparente
alors à un « mot-valise » (porno + prononciation = pornotiation)206. Au vu du tableau
de synthèse des procédés de création207, la matrice morphosémantique ressort

203
Selon les locuteurs, le « e » instable peut se réaliser actuellement [9] ou [2], d’où la possibilité d’utiliser le
chiffre « 2 » [d2] pour « de ».
204
Ce néologisme est aussi le titre de son spectacle. En tant que tel, il exerce une fonction d’appât (voir infra)
évidente, contribuant à susciter la curiosité du lecteur/spectateur. Ce texte est lui a permis de remporter une
épreuve de Grand Slam (entretien du 3/12/10 en annexe III.13, voir le texte en annexe V)
205
Confusion fréquente, de la même façon qu’on parle d’infractus pour infarctus.
206
Substitution paronymique par fusion autour des deux syllabes porno/prono(n).
207
Voir en annexe V.16.
304

comme la plus féconde208, mais elle est souvent associée à une matrice morpho-
phonologique209 : la slameuse parvient à doubler d’effets sémantiques ce qui peut
sonner comme de simples déformations dues à un défaut de prononciation, celui-là
étant théâtralisé lors de la déclamation. Par exemple, l’expression détournée prendre
ses tics et ses tocs prend tout son sens dans la bouche d’un personnage qui semble
précisément souffrir de tics langagiers et peut-être aussi de Troubles Obsessionnels
Compulsifs. Enfin, de nombreuses combinaisons et associations sont possibles, tant
la concentration néologique est importante : « (ils) me saupoudraient sans fesse ».

Des mots-valises sont créés par Ivy (salmigon…DIRE, para…DIRE, après-


mi…DIRE)210, John Banzaï (délichieuse, agarce), Marco DSL, Lee Harvey Asphalte
et surtout Lyor. Le texte de ce dernier se distingue par une profusion de lexies
hybrides, dont l’identification – et l’interprétation – n’est pas toujours aisée : pour
créer dislong ou unibleu, il a mis en œuvre le principe d’une « réanalyse fallacieuse »
(Grésillon, 1983 : 90) : les segments -cour(s)- et -ver(s)- sont assimilés aux lexèmes
« court » et « vert », d’où la substitution de « long » et « bleu » à ces
kénomorphèmes211. Dans ce texte, des néologismes comme prafur tendent à
l’opacité, le formant directeur étant difficilement identifiable212. Dans d’autres cas, on
se heurte à l’indécidable (1985 : 91), plusieurs hypothèses d’interprétation étant
plausibles213. Chez Lee Harvey Asphalte, le titre « Hard Corps et âme » constitue
une première locution-valise (Hardcore + corps et âme). Dans ce slam, les lexies
néologiques sont mises en valeur par l’anaphore « Appelle moi… » - qui, suivie d’une
pause - crée un effet d’attente, et sont amplifiées par des métaphores filées :
l’isotopie de la fresque (renvoyant au graffiti) constitue un fil sémantique qui relie la
plupart des innovations lexicales et facilite leur interprétation (archéonéologisme,
hiérogriffure, aérosolfège…). Les emprunts à l’anglais (MC), ainsi que le recours à

208
Sur un total de 58 lexies néologiques, on relève treize mots-valises (soit environ 22%) et dix détournements
(17%) ou défigements (matrice phraséologique).
209
« Un tiens vaut mieux que deux tralalas et un falafel ».
210
Le poète québécois se définit d’ailleurs comme « un redoutable calembourgeois » (enquête du 15/09/10).
211
A.Grésillon cite l’exemple du mot désespomme créé selon la même matrice : « le segment kénomorphe –
poir- est indûment identifié au lexème poire ; celui-ci est ensuite indûment identifié au lexème pomme. »
212
Autre principe qui se voit ici contrarié par cette forme analysée par son auteur comme « la contraction de
passé, présent, futur » : celui du « maintien de la continuité d’au moins un constituant. » (Grésillon, 1983 : 102)
213
Nous entrevoyons ici les limites de notre classement, notamment pour les lexèmes où l’hypothèse du mot-
valise et de la dérivation peuvent être émises sans que l’on puisse trancher, à moins de nous confronter au
discours méta-néologique des auteurs comme nous l’avons fait pour Lyor (illustration sonore de ce chapitre).
305

des métonymies issues de noms de marques (« paire de Nastase »), contribuent à


ancrer ce texte dans l’univers du hip-hop, cadre confirmé par le clip vidéo214.

Marco DSL et Barbie tue Rick mettent en œuvre une grande diversité de
procédés de création comme en témoigne le tableau en annexe V.16. Les
suffixations sont nombreuses, de même que les amalgames et les détournements de
type phraséologiques. La « fausse coupe » est féconde (« ils ont des canuts l’art »)
et mise en valeur par la polyphonie215, ainsi que la combinaison bi-matricielle : des
emprunts peuvent être intégrés à des mots-valises comme en atteste l’exemple de
l’amalgame « apocalipstick » (apocalypse + stick). Chez Mots Paumés, on assiste
aussi à un brouillage des frontières : les matrices et les procédés se combinent si
bien que certaines lexies néologiques peuvent relever tout autant de la matrice
phraséologique que de matrice morphosémantique. Les frontières entre les mots
sont floues du fait de télescopages qui se concrétisent à travers les mots et locutions
valises216. En outre, les amalgames se doublent de métaphores filées qui sont autant
de clés pour l’interprétation des néologismes : la science « asphyxion » prend ainsi
tout son sens dans une isotopie de l’étouffement217, mimée par la trame sonore,
notamment consonantique : « La ville tousse, titube, telle le titanique, tout entière
atteinte de tétanie... » La lexie « titanique » (sic) peut alors être perçue comme
néologique dans ce contexte, tant l’empreinte sonore est prégnante218.

Si l’affixation est un procédé relativement productif, la composition reste limitée à


notre corpus Grand Corps Malade, s’agissant notamment des composés autour des
lexies simples pères et mères, d’où : père-fiction, père-pulsion, père-crédit219. Quant
à la verlanisation – qui se traduit aussi par une mise en relief des schèmes
consonantiques –, elle apparaît comme un phénomène essentiellement parisien
(Goudaillier, 1997b) : seuls le slameur de Saint-Denis et Rim y ont recours220.

214
Certaines de ces références sont particulièrement cryptées comme les allusions à la Bande dessinée (Code
Quantum), à Munia Abu Djamal des Black Panthers ou aux esclaves des plantations (contre-champ de coton).
215
Voir la transcription en annexe IV.2. (les italiques indiquant la deuxième voix) : « ils ont des canuts l’art ».
216
Nous appelons ici « locution-valise » un syntagme issu de l’imbrication de deux lexies autour d’un lexème
commun, comme dans cet exemple : impôt + pot d’échappement = impôt d’échappement. Voir notre prochain
chapitre pour un développement sur ce point.
217
Le titre « Apnée » mais aussi des termes comme « tousse, souffle, étrangle, bronche, trachées » renvoient à
ce champ sémantique.
218
Outre l’allitération en « t », notons la récurrence du schème consonantique [ttn]: titanique/tétanie
219
Fondés sur la paronymie avec les termes perfection, percussions et mercredi.
220
Voir notre chapitre 10 pour un développement sur ce sujet.
306

Matrice syntacticosémantique : conversions et néologie combinatoire

La matrice syntacticosémantique semble particulièrement féconde dans les


slams touchant au registre amoureux, le procédé le plus fréquent étant la conversion
d’un nom en verbe. D’une manière générale, le changement de catégorie ne
s’accompagne pas d’une flexion verbale. Seules trois occurrences se distinguent par
une marque de ce type : « l’Afrique qui soleille sa peau » (AAM), « Mélancolise-
les »221 (N) et « je m’amitie de toi » (B). Pour ce dernier cas, la modification
(substitution d’un « e » au « é ») du substantif marque un changement phonétique :
[amitje] → [amisi]. Certains adjectifs sont aussi convertis en verbes dans le texte de
Luciole, un seul portant un morphème grammatical qui peut être interprété comme la
marque du féminin appliquée à la forme adjectivale : « je t’exaspérante ». La
motivation de ces néologismes obtenus par conversion est souvent métaphorique
(« on s’graine ») et la progression de l’un à l’autre rend compte d’une matrice tantôt
homophonique (« je te peau/tu me poésie »), tantôt sémantique (« je te
perpendiculaire et tu m’horizontale ») ou des deux combinées : « tu me corsage, je te
corps tout court222 ». Notons une occurrence de possessif converti en verbe : « je te
tiens, tu me mienne » (JB). Dans la plupart des cas, un jeu sur les pronoms
s’instaure pour traduire le désir, quitte à trahir la combinatoire du verbe qui,
d’intransitif devient transitif : « Je te nage » (L) « Je t’accours » (JB), « Je te viens »
(JB)223. Quelques emplois traduisent une liberté prise avec la syntaxe au profit des
effets sonores : « Pleut, pleut, petite pluie… » (N) ; « De quoi tu te tais… » (K).
Enfin, Nevchehirlian crée un pluriel pour le substantif issu de l’adjectif « large ». La
licence poétique - « les larges » - renforce ici l’isotopie de la liberté (« être au large »,
« prendre le large ») qui caractérise ce poème, pour qui sait lire entre les lignes ou
entendre entre les mots : « Où nous allons, il n’y a que des larges, / On n’y sera pas
à l’étroit, tu sais, / Des larges, on n’y sera pas à l’étroit./ Large » (nous soulignons).
Notons que la néologie combinatoire peut être mise en exergue soit par la répétition,

221
La suffixation en –ise est utilisée par le slameur sur son site (voir en sitographie) pour la conversion nom →
verbe (« je slammise », « je biographise », « je contactise ») de façon concurrente à une flexion simple sur la
base des verbes en –er (« je pagedaccueille », « je concerte », « je musiciente », « je portraite »). Notons
d’ailleurs que « mélancolisé » avait été créé par Balzac : il est cité par Galisson (1991 : 49) comme mot-valise
pour « mélancolique + alcoolisé ».
222
La lexie « corsage » est ici décomposée en « corps sage », d’où le second terme de la proposition « corps
tout court » qui se caractérise en outre par la reprise du schème consonantique [kORtukuR].
223
On trouve ce procédé chez Prévert : « Je ne peux pas t’avoir, mais comme je t’aime, je peux t’être » (In
Choses et autres, 1972) et Ghérasim Luca dans le poème « Prendre corps » (In Paralipomènes, 1986).
307

soit par des commentaires métapoétiques : « Non ? On ne dit pas comme ça ?


Comme on dit, alors ? » (K)

Matrice phraséologique et combinaisons bi-matricielles

La matrice que nous qualifions de phraséologique se révèle relativement


productive – ou plutôt créative – dans nos textes de slam, qu’elle soit employée
ponctuellement (AAM, LHA) ou plus largement (LK, I, MP, M/B, Ly). Le détournement
affecte des unités de taille variable : depuis le groupe nominal ou synapsie (« salade
de bruits », M) jusqu’à la lexie phrastique (« Scions, slamons… », M). Locutions ou
expressions (« les alcooliques unanimes », I), collocations (« contrôle pariétal »,
LHA ; « réchauffement chaotique », MP), proverbes (« Un tiens vaut mieux… », LK)
et titres (« Un tramway nommé douleur », AAM) sont objets de défigement ou
délexicalisation par substitution paronymique (nous soulignons)224.

Les combinaisons bi-matricielles (Tournier, 2004 : 182) sont souvent mises en


œuvre dans nos textes de slam. On observe par exemple l’association d’une matrice
externe à une matrice interne comme chez Narcisse (« Inspire leur des singing in the
rain ») qui associe un emprunt à une conversion (substantivation) qu’il souligne d’une
rime (« et autres débiles rengaines »). Dans le texte d’Ivy, le mot « tsé » qui peut être
interprété comme un emprunt – du bantou – doublé d’une troncation (de « tsé-tsé »)
est en fait une interjection (pour « t’sais »), fréquemment utilisée par les québecois.
En outre, on peut émettre l’hypothèse qu’il a été choisi pour sa valeur
onomatopéique. De même, chez Lauréline Kuntz, le mot « falafel » (de l’arabe :
225
‫)فالفل‬ est intégré à un détournement (« un tiens vaut mieux que deux tralalas et un
falafel ») opéré par substitution de « tralalas » à « tu l’auras » et ajout de ce second
terme « falafel » dont on peut supposer qu’il répond à une matrice phonologique.
Chez Marco DSL et Barbie TR, ce procédé est récurrent comme dans l’expression
« take care tocard » : la première unité étant empruntée à l’anglais, la seconde y fait
écho par la reprise du schème consonantique226. On voit donc comment ces
différentes matrices s’entremêlent constamment. Si les emprunts à l’anglais sont
majoritaires, on relève néanmoins quelques mots camerounais (Rim, GCM) et
arabes (LK, GCM). Les régionalismes sont peu nombreux et leur emploi s’intègre

224
Voir notre chapitre 9 pour un développement sur ce sujet.
225
Désignant une spécialité culinaire du proche Orient.
226
Les deux lexies sont paronymes : [tEjkkERtokaR]
308

généralement à une combinaison bimatricielle comme chez Ivy (« les mots montent
en mottons »227) et chez Marco DSL et Barbie TR (« Impolis gones ouverts »).

7.4. Des fonctions aux néostyles

Les fonctions assumées par la néologie dans le slam sont-elles communes aux
fonctions identifiées dans d’autres contextes ? Observons que d’une manière
générale, les fonctions qui lui sont assignées influent directement sur ses formes :
« Selon les buts que l’on s’assigne, on ne recherche pas les mêmes néologismes »
remarque Jean-François Sablayrolles (1993 : 59). Ce dernier, dans un article
consacré aux « Fonctions des néologismes », a différencié les fonctions centrées
sur l’interlocuteur (visant à susciter une conduite, à inculquer une idée ou à
provoquer des sentiments), des fonctions centrées sur la langue (fonction ludique et
de dynamique lexicale ou de défense et illustration de la langue) et des fonctions
centrées sur le locuteur (souci d’économie, d’exactitude, désir d’intégration dans le
monde…). Si dans le slam, la fonction d’appel ou d’accroche est importante, captatio
benevolentiae oblige – a fortiori si la forme néologique correspond à un titre ou à un
nom de scène – ce sont les fonctions ludique et conniventielle qui apparaissent
décisives, autant que les fonctions proprement stylistique, poétique et/ou polémique.

7.4.1. Fonction d’appel et d’accroche : des mots-appâts

Parmi les fonctions centrées sur l’interlocuteur, cette première fonction d’appel
ou d’accroche était la plus manifeste à travers notre analyse du corpus journalistique.
S’agissant de nos autres corpus, elle peut aussi intervenir d’une part dans l’énoncé
du nom de scène par l’animateur, en amont de la déclamation, qui contribue à ouvrir
ce que nous avons appelé un horizon d’écoute, et d’autre part, dans le choix d’un
titre d’album ou de texte. L’importance des titres nous a été confirmée par plusieurs
entretiens, à l’image d’un Souleymane Diamanka, dont les formules titulaires sont
particulièrement élaborées. A titre d’exemple, « LittORAL » - titre d’un album à venir
(2011) - est doublement néologique : formellement - la mise en relief du morphème
« oral » par la typographie engendre une néographie - ; sémantiquement, comme
remotivation du lexème comme forme syncopée pour « Littérature orale »228. Un tel

227
Notons que l’allitération en [t] se trouve ici renforcée par la liaison : « montent en mottons ».
228
De même, « LOVERdose » titre de l’album de John Banzaï (2010), attire l’attention sur la resémantisation par
rapport à l’overdose.
309

néologisme joue sur les dimensions graphique (du mot dans sa forme écrite) et
métaphorique (de l’image229) : « Le néologisme imagé est plus parlant »
(Sablayrolles, 1993 : 69). De la même façon, les titres des albums respectifs d’Ivy
(Slamérica, 2007) et de Bas Böttcher (Neonomad, 2009), interpellent le lecteur-
auditeur en jouant sur l’étrangeté de mots hybrides. Quant à Mots Paumés, il use et
abuse de jeux de mots dans ses titres : le titre de son album - Songes déments
(2009) - représente à la fois un oxymore et un calembour par inversion (« des
mensonges ») ; le titre de l’anthologie grenobloise Textes à claques résulte d’une
délexicalisation (« tête à claques ») doublée d’une référence au sens premier de to
slam (« claquer »). Enfin, les titres des spectacles peuvent aussi assurer cette
fonction d’appât (Sablayrolles, 2000 : 372), à l’image de Métamorphonic, spectacle
du collectif « La tribut du verbe »230. Quant aux titres des textes, notons que
« Barbareurs » annonce d’une certaine façon des barbarismes. Ainsi, « le désir de
retenir l’attention par ces néologismes est d’autant plus frappant qu’ils sont souvent
un peu mystérieux et piquent donc la curiosité du lecteur. » (Sablayrolles, 1993 : 68)

7.4.2. Fonction poétique, poiétique ou polémique ? Des mots-coups de poing

Dans son ouvrage sur Les Jeux de mots, Pierre Guiraud (1979 : 78) évoque les
fonctions subludiques – qu’il situe en deçà et au-delà du langage – et explore le
potentiel rhétorico-poétique des accidents de la langue comme les lapsus :
« En effet, ces formes aberrantes peuvent être reproduites intentionnellement à des fins
expressives ou ludiques. C’est pourquoi on les retrouve à la base de la plupart des
figures de rhétorique ou des diverses formes de jeux de mots. »
Si la fonction poétique semble clairement visée dans le slam (centrée sur la langue),
l’enjeu poiétique tel que la définit Guiraud ne lui est pas étranger. En effet, « une des
fonctions de la littérature est d’enrichir l’idiome en créant des mots de des
constructions nouvelles. » (1979 : 87) La recherche poétique nous semble pourtant
prédominer dans la mesure où la plupart des néologismes apparaissant dans un
slam sont associés à des figures de sens : une métaphore pourra ainsi faire résonner
un jeu de mots bien au-delà du seul terme ludant231 (Guiraud, 1979 : 105), comme

229
Le littoral correspond ici, d’après l’auteur, au littoral breton qu’il a découvert et exploré en résidence
d’écriture, ainsi qu’au littoral peul de ses origines. (entretien du 24/09/10)
230
Voir le blog de ce collectif.
231
Dans la lignée de la terminologie sausurrienne, Guiraud distingue le ludant du ludé : « Le « ludant » est le
texte tel qu’il est donné (celui qui joue) et le « ludé » le texte latent (sur lequel on joue) » (1979 : 105)
310

en attestent les exemples de titres cités. A défaut, il en résulte un risque de


néologismes hermétiques (Sablayrolles, 1993 : 85) qui pourraient bien relever, le cas
échéant, d’une fonction poiétique, à l’image du slam « Barbareurs » de Lyor.
Evoquant Rabelais mais aussi le Surréalisme et l’Oulipo comme « modes d’invention
par la forme », dans la lignée de la Grande Rhétorique, Guiraud rappelle l’importance
des jeux de mots pour André Breton232 qui s’inscrit dans une « entreprise de
disruption systématique du langage »(91). Sablayrolles (1993) souligne aussi que
certains néologismes peuvent traduire une remise en question de l’ordre établi233.
Dans le slam, il arrive en effet que le néologisme ait une fonction clairement
polémique, où que le poétique – voire le poiétique – soit au service du polémique.
« On peut décocher un néologisme comme on décoche un coup » écrit Jean-
François Sablayrolles (1993 : 65), rejoignant par là-même les origines du slam. Force
est de constater que certains néologismes ont bien valeur de « coup de poing »,
s’agissant de dénoncer certains travers de notre société. A titre d’exemples, ces trois
mots « offerts » par Lyor à son co-slameur Rouda – « Pauvricide médialiénation
télémagogique »234 – ou encore le texte « Apnée » du grenoblois Mots Paumés qui
traite de la pollution des villes, de l’« asphyxion » et autre « surchauffe
mécaniculaire » qui en résultent. Sans oublier les gaz à effets d’ulcère (de serre) et
les jardins d’enfer qui attendent nos enfants…235 Jean-Pierre Martin voit dans les
mots-valises de Joyce « l’attentat ouvertement perpétré dans la langue – dans l’ordre
lexical de la langue. » (1976 : 180). Les mots débordent de leur moule – « signifiants
produits en bousculant la configuration du moule, ou en le fragmentant. » (188) –
pour mieux livrer leur poésie :
« La langue y est dénaturée, en vue d’obtenir un effet que Joyce désigne parfois comme
musique. (…) Percevoir cet écoulement. » (1976 : 181)

232
« Nous sommes plusieurs à y attacher une importance extrême. Et qu’on comprenne bien que nous disons
jeux de mots quand ce sont nos plus sûres raisons d’être qui sont en jeu. Les mots, du reste, ont fini de jouer.
Les mots font l’amour. » (A.Breton, Littérature, 7 décembre 1922)
233
« Ceux de Rimbaud, de Céline, des surréalistes, ne sont pas qu’esthétisme, mais ont de plus vastes
ambitions : derrière la langue, c’est la société, le monde qui est visé, avec une volonté de remise en question,
de bousculer des situations établies. » (1993 : 79)
234
Ces trois mots sont insérés dans le texte « Parlez-moi d’amour » (Rouda, 2007), mais Rouda nous a confié
(entretien du 27/10/08) que Lyor en était l’auteur, lui ayant généreusement offert ces mots.
235
Dans ce slam aux relents de science-fiction ou de récit d’anticipation, la densité de mot et locutions
néologiques crée une tension dramatique qui est amplifiée par les effets de mise en voix et de mimogestualité :
d’où une dramatisation par la prosodie qui met en relief les phénomènes d’innovation lexicale.
311

7.4.3. Fonction réflexive ou expressive? Des mots-miroirs

Si l’expressivité est recherchée sur un plan lexical comme sur le plan vocal et
gestuel, c’est aussi la réflexivité qui caractérise une langue chargée en signaux
(Léon, 1993 : 6) et autres effets concourant à une forme d’expression poétique que
nous qualifierons de langue-miroir. Par analogie avec les paysages que les auteurs
romantiques nous donnent à lire comme autant de miroirs des états d’âme de leurs
personnages, les slameurs nous amènent à découvrir – à entendre dans leurs textes
et à voir sur scène – une langue qui apparaît comme le miroir d’une quête, d’un
questionnement, d’un mouvement en construction et en devenir. Cette langue-miroir
– ou kaléidoscope – reflète une identité individuelle plurielle (avec des
appartenances multiples), une identité collective (l’appartenance éventuelle à un
collectif de slameurs), une identité artistique en construction (celle du mouvement
« slam ») et une identité stylistique (ou artistique) que nous analysons à travers le
concept de néostyles. De fait, tous ces mots et locutions-valises, ajoutés aux
procédés de délexicalisation, témoignent d’une logique de déconstruction-
reconstruction plus que d’une logique parodique ou impressive à l’œuvre dans la
culture hip-hop. C’est bien la réflexion qui est ici suscitée : réflexion sur la société, la
culture, sur le slam lui-même en tant qu’élément de cette culture métissée. Nous
qualifierons donc cette fonction de réflexive voire prospective s’agissant de
néologismes tournés vers l’avenir : « Quand arrêtera-t-on la compétition pour
l'ascension des pics de pollution ? »236 Si le domaine politique apparaît comme un
terrain privilégié pour les néologismes dits émotionnels (Sablayrolles, 1993 : 65),
l’expression de sentiments en général et du sentiment amoureux en particulier (voir
supra) peut aussi générer ce type de néologie :
« Je t’aime, je te tendresse, je m’amitie de toi peut-être » (Boutchou, 2009)

7.4.4. Fonction conniventielle ou colludique ? Des mots-clins d’œil

A contrario d’une fonction cryptique qui demeure marginale, les néologismes


dans le slam nous semblent résolument tournés vers l’auditure (Bobillot, 2009). Qu’il
s’agisse de néologismes « coups de poings » ou de néologismes « clins d’œil », ces
diverses manifestations de créativité lexicale visent le plus souvent à entrer en
relation avec un public supposément slamophile. La connivence est recherchée à

236
Mots paumés, “Apnée” (Songes déments, 2009) : voir en annexe VI.
312

travers une écoute active, dans la mesure où la co-interprétation prend appui sur la
référence à une culture partagée. Pour Galisson (1995), ces « téléscopages de
formes » que constituent les palimpsestes237 fonctionnent comme une marque de
connivence : le concept même de « palimpseste verbal » – en fait verbo-culturel – fait
référence à une mémoire collective, à un fonds culturel commun mais hétéroclite qui
relève autant d’une culture savante que d’une culture « populaire » ou métissée.
Notons d’ailleurs que lors d’une scène, le slameur est susceptible de mettre en
œuvre des stratégies favorisant cette connivence : indices mimo-gestuels, pauses
musicales ou silences, voire questionnements du public. En d’autres termes, le
cotexte – les isotopies et champs lexicaux qui en émergent – autant que le contexte
– en l’occurrence, celui d’un concert ou slam session – contribuent à la co-
interprétation des néologismes et autres jeux de mots. L’appui de cet environnement
inter-sémiotique combinant communication verbale et visuelle238 permet d’éviter le
risque d’opacité pour des textes où la fonction cryptique pourrait s’avérer prégnante.
De fait, si la fonction conniventielle nous paraît ici essentielle, il s’agit plus
précisément de jouer avec les mots, et ce, avec le public. D’où l’idée d’une fonction
que nous qualifierons de colludique (de colludere, « jouer ensemble »)239, faisant
appel non seulement à la connivence du public, mais aussi à ses connaissances
lexiculturelles (Galisson), ainsi qu’à son horizon d’écoute ouvert à des formes
néologiques et autres jeux de mots. Au demeurant, la néologie partage avec l’argot
certaines fonctions, et s’en démarque par d’autres : la fonction dite emblématique
(Calvet, 1999 : 89) se rapproche de ce que nous avons qualifié de fonction réflexive
et qui renvoie à une identité collective ou groupale à la différence de la fonction
expressive. Le schéma suivant résume les fonctions associées à la néologie dans le
slam :

237
Voir notre chapitre 9 pour un développement sur ce concept que nous employons ici au sens générique
pour « détournement ».
238
Lipka (2007 : 8) « an inter-semiotic environment which combines both verbal and visual communication »
(related to cartoons)
239
Cette fonction va au-delà des seuls « néologismes ludiques » (Sablayrolles, 2000 : 382).
313

LANGUE

Fonction poétique

Fonction crypto-
losange
ludique

Fonction polémique Fonction emblématique/


réflexive ou expressive

AUDITEURS SLAMEUR(S)
Fonction colludique

LEXICULTURE
Figure 7 : Représentation des fonctions de la néologie dans le slam240

7.4.5. Le concept de néostyle

Le concept de néostyle que nous proposons et développerons dans les prochains


chapitres est fondé sur la tentative de mettre en relation les fonctions des
néologismes et les procédés de formation dont ils résultent (Sablayrolles, 1993 : 91),
via une analyse poético-stylistique. S’agissant de la fonction expressive, nous
pouvons avancer une première hypothèse : au vu de notre corpus, il nous apparaît
que la néologie par conversion est fréquente pour les néologismes liés à l’expression
du sentiment amoureux, comme en attestent les exemples cités de John Banzaï
(« La tourmente »), Luciole (« Perpendiculaire ») et Boutchou (« Comme au début »).
Tout se passe comme si le brouillage des frontières lexicales et catégorielles
(grammaticales), des règles syntaxiques, reflétait un effacement symbolique des
frontières entre le poète et l’objet de sa quête, soit un fantasme de fusion : « Je te
chair, tu me bouche / Je te clavecin, tu me touche » (L, 2009). Chez John Banzaï,
les amalgames disent toute l’ambivalence du sentiment amoureux (attirance et
agacement) alors que les conversions expriment la quête et l’ambiguïté du désir.
L’unicité de la formule néologique dit aussi l’unicité de l’être désigné ou convoqué
par cette même formule : « C’est une vénusienne / Elle n’est pas de la même
planète… » (R, 2007). Outre ce néostyle privilégié pour l’expression du sentiment
amoureux, nous analyserons d’autres styles de néologismes propres à tel ou tel
slameur, ou corrélés à des thématiques comme la modernité (mots-valises).

240
Un schéma en 3 dimensions montrerait que langue et lexiculture se rejoignent.
314

Conclusion partielle

Nous avons vérifié la prodigieuse diversité de procédés de création lexicale à


l’œuvre dans les textes de slam comme le reflétaient, en miroir, nos corpus de titres
et d’articles de presse. Si la matrice phraséologique s’avère efficiente – commune à
l’ensemble des slameurs –, les matrices morphophonologique et morphosémantique
sont souvent mises en jeu, en vertu d’une recherche de concision et d’expressivité. Il
reste que les matrices se superposent souvent, du fait même de cette densité, ce qui
implique que nous approfondissions notre classement, et ce, dans trois directions :
- celle de la matrice morphosémantique, des mots et locutions-valise en
particulier ;
- celle de la matrice phraséologique, des détournements d’énoncés figés ou
semi-figés ;
- celle des combinaisons bimatricielles impliquant des emprunts et variations
inter- et intralinguales.
Quant aux fonctions prises en charge par la néologie dans ce contexte, nous avons
insisté sur l’importance du jeu, dont le potentiel poétique et colludique se déploie via
la conjugaison de procédés multiples faisant appel à la complicité du récepteur :
« Dire les raisons et les verbes d’éta…ble de conjugaison
Les excuses et les exceptions
Am stram grammatical et collé gram
Tous les mots de la langue s’empilent l’un l’autre et me montent au cerveau »241

241
Ivy, « Dire » (Slamérica, 2008).
315

Chapitre 8

Mots Paumés ou les


mots composites
(néostyle 1)

8.1. Du mot d’esprit aux mots


composites
8.2. Traitement du corpus
8.3. Analyse néostylistique : des mots
paumés aux mots filés

Illustration : Mots Paumés, « Apnée »


(Songes déments , 2009)

Photo 3 : Mots Paumés au Musée de l’Ancien Evêché, Grenoble


(29/07/11)
316
317

« De bouches à bouches d'évacuations en bouffées délirantes


De stimulation des zones cancérogènes, en constats à l'amiante,
De grenelles infructueux en grenades à diaphragmentation ?
L'énigme du spharynx résonne dans tous les points d'infrasuture de la ville :
Quand arrêtera-t-on la compétition pour l'ascension des pics de pollution ? » 242

Quoi de plus énigmatique qu’un mot-valise ?

Lieu par excellence de la condensation, le mot-valise pourrait bien, en tant que


tel, offrir un condensé d’une poétique du slam que nous avons abordée en termes
d’oralittérature (SD), de styloratoire243 et autres microyons (MP, voir infra). La
première question soulevée par notre étude est celle de la dénomination de ces
lexies hybrides construites par amalgame (Tournier). Nous réfléchirons donc à la
pertinence du choix de ce mot composé (mot-valise) et envisagerons d’autres façons
de nommer ces lexies tout en rendant compte de leur étrangeté voire de leur
monstruosité (Grésillon244) : du mot d’esprit (Freud) au mot composite (Martin), en
passant par le mot articulé (Galisson), nous interrogerons ces concepts en évoquant
les exégèses de celles et ceux qui ont entrepris de les analyser et d’en esquisser
une typologie. Nous confronterons notre propre tentative de classement à une
première étude de néostyle à travers le corpus de Mots Paumés qui s’avère
prolifique en la matière. Au seuil de ce chapitre, reprenons donc à notre compte ce
projet initié par Jean-Paul Martin qui s’est intéressé aux textes de Joyce (1976 :
181)245 : « A un moment où à un autre, il faut déballer les mots-valises. C’est ce que
nous allons essayer de faire (…) » Soit, dévalisons les mots-valises, dispersons les
mots condensés, démembrons les mots monstres et décomposons les mots
composites…

8.1. Apports théoriques : du mot d’esprit aux mots composites

8.1.1. Eléments de définition

242
Mot Paumés, « Apnée », Songes déments, 2009.
243
Mot inventé par La Tribut du verbe : voir le blog de ce collectif.
244
La Règle et le monstre (1984) est le titre de l’ouvrage qui a fait suite à sa thèse.
245
« Joyce produit un texte énigmatique, qui se donne comme un analogue écrit du rêve » (1976 : 180) décrit-
il en faisant référence à l’analyse de Freud.
318

Freud et le mot d’esprit

De l’analyse du rêve, Freud est passé à celle du mot d’esprit : la condensation


est ce qui lui permet de relier l’un à l’autre : « J’ai décrit comme un des éléments de
l’élaboration du rêve un processus de condensation qui présente les plus grandes
analogies avec celui de la technique du mot d’esprit… » (1983 : 45) Comme il a
décomposé le travail du rêve, il entreprend alors d’analyser le mot d’esprit en tant
que formation mixte : « En quoi consiste la technique de ce mot d’esprit ? » (28)
s’enquiert-il. Différentes strates peuvent se superposer au sein d’une même lexie, en
jouant sur l’homonymie, la polysémie et autres formes de néologie telles que les
mots ou locutions-valises. A partir de l’exemple de « famillionnaire », Freud propose
une représentation graphique de ces différentes strates réunies en un mot composite
issu d’une fusion ou Wortverschmelzung (30) :
FAMI LI ERE
MI LIONNAIRE
FAMI LIONNAIRE
Ce mot correspond à « une condensation avec formation substitutive » (1983 : 31),
résultant d’une compression – via une ellipse – de la phrase : « R. m'a traité tout
familièrement, c'est-à-dire autant qu'il est possible à un millionnaire. » Freud
remarque alors « l’interpénétration des diverses parties constitutives des deux
composantes. » (39) S’intéressant à la technique des mots d’esprit relevant de ce
premier type, il note qu’il s’agit d’une « condensation avec légère modification »,
ajoutant que « plus cette modification est légère, plus le mot est spirituel. » (40) Il
précise un peu plus loin que ce type de formation peut être décrit « comme une
modification du terme fondamental par le second élément. » (44) Tous ces mots
d’esprit, affirme-t-il, mettent en jeu la matérialité plastique du langage : « Les mots
représentent une substance plastique et malléable à merci.» (54) Il entreprend de
résumer les principales techniques en trois catégories principales (65-66) : la
condensation - précédemment décrite - constitue la première246, suivie de « l’emploi
du même matériel »247 et du « double sens »248. Certes, le mot d’esprit peut être un

246
Elle pourra être accompagnée de la formation d’un mot mixte ou d’une modification.
247
En jouant sur le tout et les parties, la modification de l’ordre des mots, une légère modification, ou le même
mot pris au sens plein et au son sens vide.
248
Ce dernier pourra reposer sur le nom et sa signification concrète, sur une signification métaphorique et la
signification concrète, sur le double sens proprement dit (jeu de mot), l’équivoque et le double sens
accompagné d’une allusion.
319

mot-valise, mais il n’y a pas de correspondance entre ces deux ensembles qui ne se
recouvrent que partiellement :

Mots Mots-
d’esprit valises

Famillionnaire (Heine)
Figure 8 : Mots d’esprit et mots-valises

En d’autres termes, tous les mots d’esprit ne sont pas analysables comme des mots-
valises et tous les mots-valises ne ressortissent pas du mot d’esprit :
« Ceux-ci tiennent leur qualité de mot d’esprit d’un jeu sur un nombre réduit, deux en
général, de signifiants parfaitement déterminés. Il y a un fonctionnement, un mécanisme
du mot d’esprit, dans la mesure où il est tourné vers l’interprétation. » (Martin, 1976 :
188)
Si le mot d’esprit est résolument tourné vers la communication en général, vers la
conversation en particulier, le terme de mot-valise s’applique à des champs divers et
variés en tant qu’il rend compte d’un procédé de formation et non d’une fonction
précise ou d’un domaine d’application. S’agissant du slam, la visée communicative
est essentielle, bien que certains néologismes tendent paradoxalement à l’opacité.

De Lewis Carroll à James Joyce : des mots-valises aux mots composites

C’est à Lewis Carroll avec De l’autre côté du miroir (1871), que l’on doit le terme
de « mot-valise », traduction de portmanteau word. Dans ce passage, Alice demande
à Humpty Dumpty de lui expliquer le poème « Jabberwocky »249 :
‘Let’s hear it’, said Humpty Dumpty. ‘I can explain all the poems that ever were invented,
and a good many that haven’t been invented just yet.’
This sounded very hopeful, so Alice repeated the first verse:
‘’Twas brillig, and the slithy toves (…)”

249
Voir en annexe IX.1 le texte anglais assorti de deux traductions différentes, placées en vis-à-vis par les
ème
auteurs de ce manuel dans le cadre d’un parcours intitulé « Traduire les mots » (Français 5 , Hatier, 1995).
Notons d’emblée que Parisot (texte 1) a essayé de traduire le titre (« Bredoulocheux ») tandis que Papy (2) s’y
est refusé. Si l’on considère la première strophe, les traductions divergent pour seulement 2 néologismes sur
11 : reveneure/grilheure et allouinde/alloinde (variante orthographique). Les deux traducteurs ont renoncé à
traduire les néologismes « toves et boregoves » car il ne s’agit pas de mots-valises, comme le précisent les
auteurs du manuel. Ils s’accordent sur le signifié de « slictueux » : « souple, actif, onctueux », soit « trois
significations contenues dans un seul mot »/ « trois sens empaquetés en un seul mot ». Notons que cette
dernière explication (Papy) constitue une métaphore filée par rapport à l’image de la valise (portemanteau).
320

‘That’s enough to begin with’, Humpty Dumpty interrupted: ‘there are plenty of hard
words there. “Brillig” means four o’clock in the afternoon – the time when you begin
broiling things for dinner.’
‘That’ll do very well,’ said Alice : and “slithy”?’
‘Well, “slithy” means “lithe and slimy.” “Lithe” is the same as “active”. You see it’s like a
portmanteau – there are two meanings packed up into one word.’ (1994 : 101-102, nous
soulignons)
Tout en gardant à l’esprit cette définition fondatrice de « deux sens empaquetés
dans un seul et même mot », nous voyons une double objection à reprendre à notre
compte cette appellation : d’une part, l’image du portemanteau nous semble sinon
obsolète, assurément moins parlante aujourd’hui ; d’autre part, Lewis Carroll l’a
conçue comme limitée à deux composants pour un même mot qui se diviserait en
deux parties égales. Or « pourquoi n’emballerait-on pas plus de deux significations
dans la valise ? » (Martin, 1976 : 1987)250. Si l’on retrouve cette image dans d’autres
langues251, il semble néanmoins opportun de se poser la question de sa validité
aujourd’hui :
« Cette espèce de sacoche en deux parties justifiait la métaphore de Lewis Caroll (le
mot portemanteau est formé de deux autres mots), mais le portemanteau que nous
connaissons aujourd’hui (…) ne rend plus compte de l’analogie originelle entre le type
de mot désigné et la chose désignante. » (Galisson, 1991 : 48)
Le fameux mot-valise proposé comme traduction est-il plus éloquent ? Galisson a
proposé de réviser cette terminologie :
« Il me semble aussi que les appellations successives dont il a hérité (« mot
portmanteau » en Grand Bretagne, « mot-valise » en France), ne l’ont pas aidé à se
faire une image de marque respectable et respectée. (…) Personnellement, je
suggèrerais « mot articulé » en raison du recouvrement (de l’articulation) des formants
deux par deux. »
Sans reprendre à notre compte cette idée d’articulation – qui nous semble renvoyer
plus généralement à la double articulation du langage – et sans tomber dans la
brachygraphie gigogne252 qui ne nous paraît pas adéquate à décrire des procédés où
la lexie obtenue dépasse très largement les frontières de ses composants initiaux – il

250
Notons cependant que la traduction proposée par Henri Parisot (pour le poème) et Jacques Papy (coll.
« Folio junior », 1981) intègre trois composants : « « slictueux » signifie : « souple, actif, onctueux ». Vois-tu,
c’est comme une valise : il y a trois sens empaquetés en un seul mot… »
251
Si les Allemands parlent de Wortverschmelzung ou de portemanteau-Wörte , on retrouve en espagnol
l’image de la valise/malette (palabra maleja). A. Clas observe « que la même richesse synonymique existe en
anglais où l’on parle de blends, de blend-words, de blending, name-fusion, portemanteau-words ; (…) les
Italiens intitulent le procédé de façon fort poétique parole macedonia, soit "parole macédoine" » (1987 : 347).
252
Voir à ce sujet l’article de Clas (1987) proposant d’étudier les mots-valises comme autant « d’écritures
tronquées qui s’emboîtent ».
321

ne s’agit pas le cas échéant d’emboîtement mais plutôt d’imbrication253–, nous


proposons l’appellation de mot (ou lexie) composite que l’on trouve sous la plume de
quelques auteurs comme Martin (1976 : 190) ainsi que des traducteurs de Freud. Ce
dernier utilise les termes de Wortverschmelzung (littéralement « mots mêlés,
fondus ») et de Wortkontamination qui a le mérite de désigner le procédé
(l’amalgame dans la terminologie de Tournier) tout en suggérant, si l’on se réfère à
l’étymologie de ce mot (du latin contaminare, « toucher, atteindre ») une relation de
contiguïté et de fusion. Partant du constat d’une certaine similitude avec le procédé
de composition (voir infra), cette terminologie a le mérite de refléter le caractère
hybride de telles lexies, tout en insistant sur la coprésence de différents composants.
Elle suggère en outre la plasticité du matériau verbal et la mise en relation
d’éléments disparates en vue d’obtenir des propriétés spécifiques254. De fait, Jean-
Paul Martin analyse le mot composite comme une sorte de précipité issu d’un
« travail patient qui porte sur les mots, les décape de leur sens jusqu’à ce qu’ils
s’épanouissent dans le silence en merveilleux vocables inexpliqués. » (1976 : 181).
Le signifié semble s’être dilué voire dissous au profit d’un jeu sur le signifiant :
« Le mot-valise est une empreinte, d’une part phonique, d’autre part graphique, qui n’est
pas un signifiant ; elle n’a pas de signifié propre. » (1976 : 188)
Ainsi un tel mot est-il porteur d’un « principe dissolvant » qui pourra atteindre des
formes attestées comme en témoigne l’exemple de « littORAL » (SD). Résultant d’un
travail sur la plasticité du langage verbal et la superposition de différentes strates, il
implique en retour un travail d’effeuillage ou d’archéologie (Martin, 1976 : 193) : et ce
mot « inscrit dans une chaîne souterraine » (188) de « s’ouvrir pour libérer des
multiplicités, pour essaimer sans fin » (201).

D’André Frontel à Almuth Grésillon : les mots monstres

Aux yeux de J.-P. Martin, le nom d’Humpty Dumpty est déjà porteur d’une
certaine monstruosité :
« Humpty Dumpty : son nom s’espace, s’articule entre deux parties distinctes, mais
presque identiques. Au lieu d’avoir deux choses différentes (tête et ventre) à la même
place, on a une seule et même chose (‘umpty), ou presque, qui occupe deux espaces
différents. » (1976 : 200)

253
L.Hesbois (1986 : 101) distingue « mots-gigognes » (dont les composantes s’emboîtent successivement l’une
dans l’autre » et « mots-sandwiches » (dont une composante s’intègre entre les syllabes de l’autre).
254
Composite : « 1.Qui participe de plusieurs styles d’architecture. 2. Formé d’éléments très différents, souvent
disparates. 3. Matériau composite, formé de plusieurs constituants (dont une matière plastique) pour obtenir
des propriétés mécaniques particulières. » (PR, 2003 : 493)
322

C’est précisément la monstruosité du mot-valise qu’Almuth Grésillon (1985) s’est


proposé d’interroger à travers l’étude d’un corpus de mots affectés d’une « double
monstruosité : celle de la langue et celle du corps souffrant » (1985 : 246). Elle fait
d’abord référence à André Martel, qualifié de « fou littéraire » et auteur du
paralloïdre, mot composite qu’il a explicité en ces termes :
« Le mot « paralloïdre est formé par trois éléments. Un radical « parall », qui vient de
« parallèle », naturellement. Une terminaison, « oïde », c’est-à-dire forme. Et une lettre
d’ajout, « r », qui s’incorpore dans la dernière syllabe oïde pour la transformer en
« oïdre ». Littéralement, paralloïdre désigne donc un langage qui est à côté, en marge
du langage officiel. (…) Remarquez aussi qu’en transformant la sonorité du vocable,
c’est une image inattendue qui a surgi, celle d’une hydre, cette bête fantastique qui
terrorisait les hommes dans les légendes antiques… » (Martel, 1964 : 32-33)
De fait, cet auteur a composé en 1949 un poème dans une langue entièrement
inventée dont voici les premiers mots :
« Le poéteupote
Par le paralloïdre des çorfes ;
Bralançant les rétricences des tamériaux
Les cimentectes ont labellisé255 les lapinçages (…) »
Près de soixante ans plus tard, le texte du slameur Lyor intitulé « Barbareurs » est
constitué à plus de 45% de mots inventés et saturé en [R] 256 afin de renforcer une
rugosité contenue en germe dans le titre257 :
« Cette virtéalité ne conrien pas d’imots ossez forts
Pour décririer l’horrageur abscène de la guorre !
Il ne faut pas troublier, juste construgir,
Avec émovement, apprengesse, sans se solitarir… »

Seuls les mots outils, ainsi que quelques adverbes, adjectifs et formes verbales
simples, échappent à la fantaisie verbale de ce slameur qui avertit d’ailleurs ses
auditeurs, en amont de sa déclamation, de la nécessité d’utiliser « un décodeur ».
D’après Frontier, (1992 : 285), le paralloïdre crée un lexique ouvert et illimité :
« André Martel ne se contente pas de puiser dans une réserve de mots déjà existants,
ou qu’il aurait inventés une fois pour toutes, il ne cesse d’en inventer de nouveaux ;
écrire pour lui, n’est pas seulement inventer chaque phrase, c’est inventer chaque mot. »
Mais Almuth Grésillon (1985 : 245) n’a de cesse d’en souligner la monstruosité. En
effet, ces « monstres issus de l’imbrication de deux mots » (246) sont comparables à
une chimère ou une hydre : « une chimère ou une hydre n’existent pas plus dans le
réel que n’existe dans le vocabulaire français le mot famillionnaire. » (248). Or ce
255
Le lexème « labelliser » n’a été attesté qu’en 1983 : il s’agissait donc en 1949 d’une forme néologique.
256
10,5% contre 7,25 % de fréquence habituelle dans le discours (Wioland, 1991 : 30)
257
Lyor a choisi pour titre un néologisme contenant déjà 3 occurrences du [R], à l’instar d’André Martel qui a
introduit à dessein ce « son de renforcement » pour « donner au mot paralloïdre plus de rugosité dans son
barbarisme. » (1964 : 20). Voir l’illustration sonore de notre précédent chapitre.
323

principe d’imbrication entre en contradiction flagrante avec celui de concaténation qui


fonde toute la structuration de la langue. Basés sur une relation de co-prédication,
ces mots-valises provoquent inexorablement « rupture de la linéarité du signifiant,
mise en cause de l’arbitraire du signe », et par là-même, portent « atteinte aux
frontières de la langue. » (252) D’où un discours « où le signifiant s’en va dans tous
les sens, littéralement » (255) : des mots paumés, pour ainsi dire. Le texte « Apnée »
(MP) – cité en exergue258 – se caractérise par une forte densité de ces lexies
hybrides construites par amalgame. On y retrouve d’ailleurs une certaine rugosité :
« De grenelles infructueux en grenades à diaphragmentation
L'énigme du spharynx résonne dans tous les points d'infrasuture de la ville »259
Force est de constater, avec Almuth Grésillon que « tous les télescopages, y compris
les plus fous, semblent possibles » (1983 : 85). Fondés sur une condensation, les
mots-valises permettent une économie sur le plan du signifiant, appréhendé dans sa
matérialité phonique, tout en préservant la richesse d’un signifié complexe qui pourra
être « dévalisé » :« Dévaliser les mots-valises, c’est voler, prendre au vol, récolter,
collectionner, partout où l’on en trouve, ces petits corps verbaux pour les constituer
en corpus. » (1983 : 83) Dès lors, il s’agit de « donner une définition exacte du mot-
valise et d’en indiquer les propriétés linguistiques » (983 : 84). L’imbrication –
principe récursif – et l’homophonie en constituent les principes fondateurs :
« Quelle que soit la physionomie du produit X par rapport à ses constituants de base, il
s’instaure toujours une relation d’homophonie entre X d’une part et les constituants
d’autre part » (1983 : 85)
Almuth Grésillon attire notre attention sur les cas d’identification fallacieuse
(désespomme ou unibleu de Lyor)260, d’ambiguïté structurale voire d’indécidabilité :
« il est impossible de savoir – c’est-à-dire indécidable – si l’on a affaire à un mot-valise
ou à l’un des types réguliers de la formation des mots » (91)261
Foyer d’irrégularités, le mot-valise pourra tendre à l’opacité, nécessitant alors le
recours à un « traducteur » ou un « interprète » selon la fonction qui leur est
attribuée et le type de discours dans lequel ils s’insèrent :
« Lieux d’équivoque, où le même et l’autre se confondent, où le discernable s’évanouit,
où les signifiants se chevauchent, où l’analyse en unités minimales parfois n’obéit qu’au
hasard des rencontres phoniques, lieux aux frontières brouillées. » (1983 : 104)

258
Ce slam constitue l’illustration sonore du présent chapitre.
259
Nous soulignons. Notons que l’un des articles d’Almuth Grésillon (1985) s’applique précisément à la
littérature fantastique, registre qui n’est pas étranger à notre texte.
260
Il s’agit dès lors de « détecter les tours de passe-passe, les faux et usages de faux… » (Grésillon, 1983 : 83).
261
L’exemple de « bavardeur » (M) en témoigne : s’agit-il d’un mot-valise issu de « baver + ardeur » (hypothèse
confirmée par son auteur) ou d’un dérivé par suffixation de « bavard » ?
324

Alain Finkielkraut (1979) a décrit le fruit de ce mariage improbable comme un


« bâtard », aussi étrange que familier :
« il faut que ces deux termes fusionnent ; vous devez les croiser afin que naisse de cette
union un petit bâtard bizarre (puisqu’il ne se rencontre dans aucun dictionnaire vivant) et
familier (puisqu’on reconnaît en lui la présence des deux mots d’origine). » (1979 : 1)
Blanche Grunig (1990), revenant sur les mots-valises dans les Mots de la publicité,
évoque la monstruosité et la bâtardise que leur attribuent respectivement Grésillon et
Finkielkraut, pour conclure à leur impertinence : « Il reste en commun cette idée d’un
être linguistiquement hybride, né d’une désobéissance fondamentale, mais souvent
joyeuse. » (1990 : 59) Au delà du simple « manège des mots » (11), il s’agit d’un
dépassement des frontières du mot, voire d’une « hérésie linguistique » (67) : « on
ne sépare plus le ciel syntaxique de la terre phonologique », métaphorise-t-elle (72).

Mots à tiroirs ou mots miroirs ?

Bernard Fradin (1997) a étudié le phénomène des mots-valises comme « forme


productive d’existants impossibles » : il reprend à son compte l’opposition entre
créativité et productivité, cette dernière étant assurée par des mécanismes
grammaticaux (103). Dans cet article, il revient sur l’hypothèse – émise par Almuth
Grésillon – selon laquelle « leur formation serait à mettre sur le compte de
mécanismes extragrammaticaux ou marginaux de la langue » (103), d’où leur
prétendue « monstruosité ». Pour Fradin, les mots-valises sont très fréquents et
répondent à des patrons phonologiques qui « sont en nombre finis et obéissent à des
contraintes fixes » (104). Il envisage donc de remettre en question leur caractère
agrammatical, à l’instar de Bat-El (1995) qui a décrit la phonologie des mots-valises
hébreux et conclu « que les mots-valises ne relèvent pas de mécanismes
particuliers. » (104). A la différence de Grésillon, Fradin ne s’intéresse qu’aux mots-
valises créés « sous-contrôle », excluant par là-même ceux qui résultent de lapsus et
troubles mentaux, ce qui est aussi notre cas. Il envisage alors les mots-valises en les
mettant en relation avec d’autres formes de créativité lexicale : le défigement – qui
s’en rapproche par la dimension du décodage – mais aussi, et surtout, les mots
composés et les acronymes. En effet : « dans la mesure où la construction du mot-
valise fait intervenir au moins deux lexèmes, elle s’apparente à celle des lexèmes
composés. » (105) Il évoque aussi les syntagmes-valises, dans la lignée de
Grésillon.
325

Fradin rejoint ici l’analyse de Galisson qui s’est intéressé au « statut comparé »
(1991 : 79) du mot-valise. En le comparant au mot composé comme « agglomérat de
deux lexèmes soudés ensemble » (portefeuille), il remarque que la construction de
ce dernier est régie par des règles d’enchaînement (ordre des composants) et de
statut grammatical de l’unité lexicale obtenue, à la différence du mot-valise dont la
construction « n’obéit à aucune obligation de cette espèce » mais uniquement aux
procédés de « recouvrement et déformation » (Fradin, 1997 : 80). Il en arrive à la
conclusion que « la structure du mot-valise est infiniment plus souple que celle du
mot-composé et (qu’) il n’y a pas lieu de les confondre, quand on sait leur mode de
construction. » Il le rapproche ensuite de l’acronyme, considérant que « le mot-valise
et l’acronyme relèvent de l’abréviation, puisque le télescopage de leurs constituants
aboutit à une économie formelle. » (80) Au-delà de cette ressemblance indubitable –
mais qui n’est qu’apparente –, il met en évidence les différences entre ces deux
modes de formation : l’acronyme est une expression réduite « qu’il est possible de
restituer tout entière par développement, puisqu’elle a une existence reconnue dans
la langue » (81). Il n’en va pas de même du mot-valise qui ne ressortit pas d’une
expression préexistante mais de mots isolés et non co-occurrents. Ainsi « l’économie
ne porte pas sur la même chose et n’est pas du même ordre » (81) et l’analogie
s’arrête là. Galisson s’intéresse en outre à la question de la viabilité du mot-valise : il
oppose « néovialogisme » - tout néologisme présentant un certain nombre de
facteurs favorables à un « pronostic de survie » - à « nécrologisme » désignant un
néologisme « mort-né » (1991 : 78). Il souligne que les mots-valises sont soumis à
une « malédiction » qu’il explique par le fait que « ces néologismes relèvent du
ludique plutôt que du fonctionnel ». Ils procèdent en effet d’une démarche
sémasiologique262, alors que les néovialogismes relèvent plutôt d’une démarche
onomasiologique263. Il observe cependant « le développement rapide d’un
phénomène de lexicogénèse demeuré longtemps en réserve… de la production
langagière » (43). Avant d’illustrer son propos par un « spicilège de mots valises
créés pas des écrivains français au cours des siècles » (49), il souligne qu’ils se sont
démocratisés en proliférant sous la plume « des écrivants de tous horizons » tels que
les journalistes et les publicitaires. De fait :
262
« c’est la forme, une forme aléatoire, qui détermine à son tour un contenu aléatoire ; la convergence de la
forme et du contenu est rare, or ce n’est que si elle existe – ex : midinette, franglais, boursicoter – que le
néologisme a des chances de devenir un « néovialogisme ». » (Galisson, 1991 : 78)
263
Cela nous renvoie à l’article de Marc Sourdot (1998) et sa règle des 4B, le Besoin étant l’une de ces règles.
326

« le mot-valise paraît se multiplier chez les écrivains, à l’échelle des siècles, comme il
prolifère aujourd’hui chez d’autres types de producteurs, jusqu’à descendre dans la
rue. » (1991 : 53)264
Des exemples ont été recueillis chez une bonne trentaine d’écrivains : depuis
Rabelais (hypocritiquement) jusqu’à Boris Vian (sarcastifleur), en passant par
Baudelaire (caméléopard), Rimbaud (patrouillotisme), Aragon (concubiste), Paul Fort
(rhinocerossignol), Francis James (tranquilitude), Michaux (papatrie) et Ponge
(vertécalité). De ce spicilège, il ressort que les auteurs les plus prolixes en la
matière sont Céline (10 mots cités), Lacan (11), Christiane Rochefort (16), Prévert
(18) et surtout Queneau (24). A l’issue de ce relevé, Galisson émet l’hypothèse
« qu’après avoir été longtemps un jeu de langage pour initiés (les écrivains), à
l’échelle des siècles, il s’est vulgarisé pour devenir un objet du langage courant. »
(52). D’où un intérêt accru dans le champ didactique sur lequel nous reviendrons
dans la troisième partie de cette étude. Le fait est que le mot-valise peut être étudié
non seulement dans sa monstruosité, mais aussi dans sa modernité :
« En tant que néologisme souvent lié aux circonstances ou aux évènements dont il rend
compte, il figure parmi les mots les plus symptomatiques ou les plus emblématiques de
notre temps. Donc les plus chargés de connotations. » (Galisson, 1991 : 106)
Voilà qui nous amène à réfléchir aux fonctions d’un tel mot : n’est-il pas en soi
emblématique du slam comme art de la confluence ou du métissage ?265 N’est-il pas,
dans son opacité même, un mot-miroir reflétant certains aspects de notre société ?
Nous verrons à la fin de ce chapitre qu’il peut aussi exercer une fonction de
séduction ou d’attraction qui n’est pas étrangère à notre concept de néostyle.

8.1.2. Vers une typologie des mots et locutions composites

Dès 1983, Almuth Grésillon a entrepris d’étudier les propriétés linguistiques des
mots-valises et d’en esquisser une typologie : « j’ai déconstruit les objets finis afin de
trouver les règles de formation » relate-t-elle (1983 : 83), impliquant tour à tour dans
cette analyse phonie, morphologie, syntaxe et sémantique. Afin de définir ces règles
du jeu, elle a d’abord exposé les « irrégularités constitutives » de ces formations
répondant au double principe d’imbrication et d’homophonie. A partir de là, elle a

264
De fait, le mot-valise a aussi sa place, désormais, au sein d’une poésie urbaine matérialisée par l’art du
graffiti : « Exilée volonterre, j’écris dans la marge des mots dits… », poétise Misstic sur les murs parisiens.
265
Notons que plusieurs mots-valises nous ont été cités pour notre enquête « le slam en un mot » : bavardeurs
(Marco DSL), oralittérature (SD). L’Allemand Bas Böttcher nous a proposé « Hassliebe » qu’il traduit par le mot-
valise « hainamour ».
327

identifié trois types de mots-valises au sein de cette « poésie du bricolage »266 (85-
87). Soient les constituants A et B du mot-valise X :

Types généraux (principes) Exemples Types d’imbrication Types de


types (selon la part configuration (selon
d’homophonie) la position du
segment
homophone)
Type 1 : Débricolage A et B comportent un Segment homophone
« Le mot-valise X comporte un = débris + segment homophone en position médiane :
segment homophone commun bricolage (spn) et des segments chevalchimie
267
à A et à B, ici /bri/. » non communs Segment homophone
en position initiale :
---A--- instinctestins
---B--- Segment homophone
------X------ en position finale :
délivicieuse

B est homophone de A Position médiane :


auquel il s’intègre (B est immamance
inclus dans A) Position initiale :
-----A----- sangsuel
--B-- Position finale :
-----X----- étourdit

A est quasi-homophone (= paronyme) de B


A et B ont plusieurs segments homophones
Type 2 : Somorrhe =
« Le mot-valise X ne comporte Sodome + ----A----
pas de segment homophone Gomorrhe ----X------
commun à A et B » Brunch = ----B----
Mais « une partie de X est breakfast +
homophone de A ou d’un lunch
segment de A tandis que
l’autre partie de X est
homophone de B ou d’un
segment de B »
Type 3 : Floribond = ----A[----]
« Le mot-valise se caractérise florissant + ----X-----
par la présence simultanée moribond [---]B----
d’un segment homophone et Confipote =
des phénomènes de confiture +
troncation » compote
Tableau 8 : Typologie établie d’après Almuth Grésillon (1983)

A travers cette typologie, Almuth Grésillon souligne à la fois « le pouvoir fondateur de


l’homophonie » (87) et la multiplicité des configurations auxquelles elle peut donner

266
Expression qu’elle emprunte à Claude Lévi-Strauss (La pensée sauvage).
267
Le segment homophone peut être de longueur variable : entre un seul phonème (cinémabscons) et un
lexème. (Saint-Siège éjectable). A.Grésillon remarque que ce dernier cas est particulièrement fréquent dans la
langue allemande, selon la loi de composition et, citant Ferdère (1957 : 998), souligne que l’allemand « garde
au fond de lui le regret inconscient de ne pouvoir tout écrire en un seul mot ».
328

lieu. Or cette complexité engendre une rupture de la linéarité du signifiant qui oblige
le lecteur à un « retour en arrière droite-gauche » :
héresistance

Figure 9 : « Héresistance » (d’après Grésillon)

André Clas (1987) s’est intéressé plus précisément aux phénomènes de


troncation qui lui permettent de décrire la brachygraphie gigogne :
« La brachygraphie gigogne repose fondamentalement sur l’utilisation combinée de trois
procédés à savoir l’apocope, l’aphérèse, et la syncope. » (1987 : 347)
De là, il a élaboré un classement que nous avons synthétisé dans le tableau suivant :
Modèle Principe Exemple type Remarques
Modèle 1 Apocope et Stagflation = Modèle très productif
aphérèse stagnation+inflation
Modèle 2 Apocope + Modem = La majorité des
apocope modulateur+démodulateur formations peuvent
être classées
comme emprunts.
Modèle 3 Aphérèse + Nylon = vinyl + coton Très rare
aphérèse
Modèle 4 Apocope simple Infographie = informatique Le modèle conserve
+ graphie intact le second
élément.
Modèle 5 Aphérèse simple Bureautique = bureau + lombricompostage268
informatique
Modèle 6 Apocope ou Limonette = limette + Proche de
aphérèse et lemon l’acronymie
syncope
Tableau 9 : Classement d’après A.Clas (1987)269

Si le premier modèle est assurément très productif, la concaténation qui le


caractérise incite à traiter ce type de formations comme des emprunts, de même que
pour le modèle 2. Il s’agit néanmoins « d’un bel exemple de fertilisation
terminologique ». Ainsi « les formations s’intègrent à la langue et peuvent donc
former des dérivés normaux. » (1987 : 348) Les mots-valises relevant du troisième
modèle sont beaucoup plus rares, alors que celles résultant du sixième (franglais) se
rapprochent des acronymes. D’une manière générale :

268
Ce terme est inventorié par A.Clas comme relevant de ce modèle : l’aphérèse est cependant discutable dans
ce cas, puisque la fusion est réalisée autour d’un phonème commun [k], final du premier terme, initial du
second. De notre point de vue, il n’y a pas de troncation ici.
269
Nous avons réinvesti ce classement en fonction du type de troncation des formants initiaux en l’appliquant à
notre corpus MP dans notre tableau MC3 (voir en annexe VI).
329

« le cas le plus simple, et c’est certainement pour cela qu’on parle de croisement ou
d’amalgame, est celui où deux syllabes ou deux phonèmes sont identiques dans les
deux unités de formation et se fondent, c’est le phénomène de l’hapaxépie ou
haplologie. » (1987 : 350)
André Clas en conclut que la brachygraphie gigogne n’est qu’un cas particulier de la
composition. Telle est bien l’interprétation de Tournier (1985 : 30) :
« Morphologiquement, la seule différence est que les éléments de l’amalgame sont plus
ou moins emboîtés les uns dans les autres ou, comme on dit, ‘télescopés’, alors qu’ils
sont juxtaposés dans les autres composés. »
Syntaxiquement, les choses sont plus complexes comme le montre l’analyse
d’Adams, citée par Tournier (1985 : 132), appliquée à la langue anglaise. En effet,
d’un point de vue syntactico-sémantique, Clas (1987 : 351) distingue les deux types
suivants, les deux composants A et B donnant le résultat C :
- Le résultat C est un A et un B : « il y a formation d’un nouveau signifié. » (ex : le
caméscope)
- Le résultat C est modifié par A ou par B : « plapier est un B (papier) en A
(plastique). »
En tout état de cause, André Clas voit dans la brachygraphie gigogne « un procédé
bien vivant » qui représente « à la fois un procédé de création authentique pour
chaque langue et en même temps un procédé qui permet l’absorption facile
d’emprunts. » (352)

Galisson (1991) a mis en évidence des critères d’identification des mots-valises


au sein desquels il distingue deux grands types : « le premier grand type relève de
l’insertion, le second de l’imbrication » précise-t-il (1991 : 54). Il établit alors une
distinction entre formant directeur – défini comme « le mot du répertoire à l’origine de
la création » (55) – et formant(s) auxiliaire(s) en soulignant qu’ « il peut y avoir
plusieurs formants auxiliaires par mot-valise. » Par convention :
« le formant directeur est celui qui est le mieux représenté en nombre de lettres, dans le
mot-valise. Et quand deux formants affichent le même nombre de lettres dans le mot-
valise, celui d’amont est réputé directeur. Les autres sont dits auxiliaires, ou
secondaires. »270

D’où la typologie suivante :

270
Si l’on considère l’exemple du mot-valise de Lyor prafur (= passé + présent + futur), futur est le formant
directeur, passé et présent sont les formants auxiliaires.
330

Type Exemple Remarques


Insertion : « le mot-valise Sans changement KIDNAPPER Mot homophone et
se construit à l’intérieur graphique 1 homographe du
des limites du formant 2 formant directeur
directeur » (55) 3
Redécoupage du
Kidnapper (1) = kid (2) mot du répertoire
271
+ napper (3)
Avec changement MELANCOLIS Mot non
graphique 1 homographe mais
2 homophone
3
Redécoupage +
Mélancolis (1) = réécriture
mélancolie (1) + colis
272
(2)
1 : formant directeur
2 : formant auxiliaire
Avec altération NEOPHYTE Ni homographe ni
1 homophone du
274
2 formant directeur

Redécoupage +
frite altération
NEOFRITE = néophyte
273
(1) + frite (2)
Avec substitution CHAUSSETTE Redécoupage +
275 277
partielle 1 substitution
2

Froid
FROISSETTE =
chaussette (1) + froid
276
(2)
278
Imbrication : (se) GARGARISER
« l’assemblage des 1
formants dépasse les + RINGARD
limites du formant 2
directeur » (59) = (se)
279
RINGARGARISER
Tableau 10 : Typologie établie par Galisson (1991)

271
« Définition du produit : KIDNAPPER : [recouvrir ses viandes ou ses gâteaux d’une couche de chair d’enfant,
enlevé à l’affection de ses parents] » (56)
272
« Définition du produit : MELANCOLIS : [paquet en souffrance, à la poste] » (56)
273
«Définition du produit : NEOFRITE : [personne qui se rend en Belgique pour la première fois] » (58)
274
« Le mot-valise de ce type n’est ni homographe, ni homophone de son formant directeur, mais il en est
suffisamment voisin pour provoquer sa mobilisation immédiate » (57) La substitution est de type paronymique.
275
« La substitution s’établit le plus souvent sur un rapport d’opposition entre substitué et substituant ; ainsi
les couples père/mère… » (58) La substitution est ici opérée en vertu de critères sémantiques.
276
« Définition du produit : FROISSETTE : [bas léger, pour tenir le pied au frais] » (58)
277
« Le mot-valise de cette nature diffère assez de son formant directeur, mais il le rappelle très fort par une
partie commune et une structure analogue. » (58)
278
Formant directeur = GARGARISER (10 lettres dans le mot-valise)
279
«Définition du produit : (se) RINGARGARISER : [se complaire dans ce qui est passé de mode] » (60)
331

Galisson note que les mots-valises relevant du premier type peuvent poser un
problème d’identification, s’agissant d’ « un mot du répertoire, redécoupé par l’auteur,
pour faire émerger des formants que l’usage proscrit ». Difficulté à laquelle nous
avons été confrontée : seuls la définition et/ou le contexte permettent de l’identifier
comme tel. Pour les mots-valises qui résultent de l’imbrication, la reconnaissance du
formant directeur n’est plus aussi évidente : « elle passe par le dénombrement des
lettres qu’affiche chaque formant au sein du mot-valise. » (1991 : 59)

Parmi ces différentes typologies, nous nous proposons d’adopter celle de


Galisson, en l’aménageant au vu de notre corpus. En effet, Mots Paumés tend à
subvertir les frontières des mots et des locutions, d’où de nombreuses locutions-
valises que nous appellerons « collocutions » : il s’agit en effet d’un amalgame
réalisé à un niveau syntagmatique. Ce procédé nous semble témoigner d’un degré
ultérieur dans le dépassement des frontières. Pour l’insertion, « l’assemblage des
formants s’inscrit dans les limites du formant directeur. » (Galisson, 1991 : 60)280
tandis que pour l’imbrication, « (l’assemblage des formants) déborde les limites du
formant directeur » (60). D’une certaine façon, précise Galisson, « les formants se
recouvrent entre eux » mais « alors que le couvrement du formant directeur par le(s)
formant(s) auxiliaire(s) est soit total, soit partiel dans l’insertion, il est toujours partiel
dans l’imbrication. » (60) Dans le cas de ce que nous appelons collocution,
l’assemblage dépasse les limites du lexème, les formants étant de nature
syntagmatique.

Figure 10 : Assemblage et recouvrement des formants d’après Galisson (1991 : 60-61)

280
Par « limites du formant directeur », nous entendons ici le nombre de syllabes orales.
332

En ce qui concerne les locutions et autres collocations, notons que le recouvrement


pourra s’appliquer à un lexème entier, comme dans l’exemple de « bouche à bouche
d’évacuation (= bouche à bouche + bouche d’évacuation »).

Exemple 1 : bouche à bouche d’évacuation

bouche à bouche (1)

+ bouche d’évacuation (2)

= bouche à bouche d’évacuation


Figure 11 : Collocution (locution composite par imbrication)

Exemple 2 : mise à flow

Mise à flot (1)

+ flow (2)

= mise à flow

Figure 12 : Locution composite par insertion

Dans le premier cas, il y a télescopage de deux locutions, dans le second il s’agit


plus précisément d’une substitution (par homophonie partielle) au sein de la locution
initiale, soit d’un défigement (matrice phraséologique). On retrouve donc les deux cas
de figures précédemment définis appliqués à ces syntagmes, imbrication et insertion.
333

En résumé :

Mot Obtenu par insertion Avec OpiNION


composite changement ArchipElle
graphique Sou-fran-si-lence

Avec Infrasuture = infrastructure


substitution + suture
paronymique
281
Avec oralgésique =
substitution analgésique + oral
sémantique
Obtenu par imbrication mécaniculaire =
mécanique + caniculaire
vocabulldozer =
vocabulaire + bulldozer
Locution Obtenue par insertion/fusion d’1 Jardin d’enfer = jardin
composite lexème (non néologique) qui se d’enfant + enfer
substitue à un autre au sein du impôt d’échappement =
syntagme initial (défigement) pot d’échappement +
impôt
marécage d’escalier =
cage d’escalier +
marécage
les pieds et les demains =
les pieds et les mains +
demain

Obtenue par imbrication/télescopage (l’obligation du) port du


de 2 syntagmes accolés (collocution) masque agace = port du
casque/masque + masque
à gaz/agace
Tableau 11 : Typologie des mots et locutions composites (exemples corpus MP)

Notre concept de collocution rend compte de cette dernière configuration, soit d’un
syntagme composite obtenu par imbrication de deux autre syntagmes, présentant un
élément commun qui permet la collision. Trois cas de figure sont envisageables :
- locution + locution (Exemple : la main dans votre sac… de nœuds !)
- collocation + locution (Exemple : une vie conjugale à égal)
- collocation + collocation (Exemple : l’ascension des pics de pollution)
- collocation + locution + locution (Exemple : (passer de) bouche à bouche à
oreiller)282

281
Procédé que Grésillon appelle «réanalyse fallacieuse » par production de « kénomorphèmes » (1985 : 90) :
anal/gésique → oral/gésique. Ce découpage va cependant à l’encontre de l’étymologie, du grec analgesia.
282
Cet exemple résulte d’une collision des locutions « bouche à bouche » et « bouche à oreille », auxquelles
s’ajoute, du fait du cotexte amont (passer de…) la collocation : « passer de main en main ».
334

8.2. Traitement du corpus MP

Les slams
lams du grenoblois Mots Paumés regorgent de mots et locutions
composites. Outre ceux de son album (Songes
( déments, 2009), ce slameur nous a
transmis de nombreux textes dont il nous a commenté la genèse et le contexte de
création, qu’ilil s’agisse de répondre à des commandes, dans le cadre d’évènements
d’
tels que la journée de la femme ou la journée contre le racisme, ou de monter des
spectacles musicaux (Un sans avec le pianiste Roberto Negro, en 2009283).
Un jour sans,
Cela nous a permis de mieux contextualiser ces slams afin d’analyser la fonction
dévolue aux lexèmes
xèmes et syntagmes composites et le néostyle correspondant. Nous
avons retenu 30 textes, parmi quarante slams composés entre 2005 et 2010, en
vertu d’un critère de présence de locutions ou mots composites284, auxquels nous
avons ajouté un texte, transmis ultérieurement
ult (2011) : s’agissant de la réécriture
d’un texte antérieur, nous nous proposons d’en étudier l’évolution. Nous nous
sommes en outre intéressée au péritexte qui nous a semblé corroborer l’importance
de la création lexicale en général, de ces formations
formations composites en particulier : il
s’agit pour ainsi dire d’un fil rouge au sein de l’œuvre de ce slameur.

8.2.1. Le péritexte : flyers,, blog et titres


Document 4 : Flyer
Les flyers285 MP « Microyon »

A l’instar des documents publicitaires, les affiches et flyers


représentent un haut lieu de créativité lexicale, comme nous
avons pu le remarquer concernant le mot slam. A travers un
subtil dialogue entre mots et images, ils assurent une fonction
d’accroche dont nous avons
avo souligné qu’elle n’est pas
étrangère aux néologismes relatifs au slam. Mots Paumés y
accorde une importance particulière, comme l’illustrent les
flyers présentés en annexe I.5.
I.5 Les mots y sont parfois en retrait (voir par exemple le
flyer ci-contre, nommé microyon286) mais ils rendent compte le plus souvent de

283
Production Grenoble jazz festival.
284
Nous avons numéroté ces textes et les désignerons désormais, à défaut d’en citer expressément le titre, de
la façon suivante : MP + numéro du texte (correspondant à l’ordre chronologique adopté dans l’annexe VI).VI
285
Terme de marketing désignant un tract au format papier qui est distribué ou déposé dans des endroits de
passagee pour promouvoir un évènement ou une soirée. soirée Le dictionnaire Longman propose la définition
suivante : « a sheet of paper advertising something, which is given to people in the street or is pushed through
their door » Notons l’évolution du mode de transmission, avec la diffusion fréquente sur le réseau d’un flyer au
format numérique, même si la diffusion en version papier demeure possible.
possible
335

créations ou d’associations originales. A titre d’exemples, nous avons relevé


« slaMusic », mais aussi « poésique/po&sique »287 et enfin « poésologie »288.

Le blog289

En ce concerne le péritexte disponible sur le blog du slameur, précisons


d’emblée que pour être moins flagrante que sur le site de Narcisse – qui slammise,
concertise et néologise à l’envi –, la création lexicale n’en est pas moins riche. Là
encore, le slameur
meur réunit mots et images en procédant à un détournement de logos
qui témoigne d’une démarche de déconstruction/reconstruction. A l’instar de
l’Allemand Bas Böttcher qui se plait à jouer avec les marques pour dénoncer les
travers de notre société de consommation,
consommation, Bastien Maupomé recourt à ce type de
détournement logographique pour générer des logos-valises à effet parodique ou
subversif. Ainsi, sur le blog du slameur, le réseau social « Facebook » devient
« Spacebook », et les sites « Dailymotion » et « You Tube » sont détournés par
imbrication et substitution en « Dailymopaumés » et « Paumés tube »290; l’abréviation
« MP3 » est développée en « MPtrio »291, comme en témoignent les images
suivantes :

Figure 13 : Logos-valises sur le blog de Mots Paumés

286
Ce mot composite, issu de la fusion de micro + crayon, nous a été présenté par son auteur (nom du fichier)
mais ne figure pas sur le flyer, ce qui indique une tendance à néologiser qui reste parfois en marge des
créations telles qu’elles sont publiées. De même pour les titres, nous verrons que certains ont été remplacés
par des formules moins néologiques pour des raisons éditoriales. Notons cependant
cependant que les titres des œuvres
d’art peuvent représenter un haut lieu de néologie comme en témoigne ce titre de d l’artiste Arman :
« Encroragie ».
287
Le premier néologisme figure sur le flyer n°3 (annexe I.5), le second n’a été qu’une création transitoire
transitoir qui
nous intéressait néanmoins pour la néographie confirmant l’hypothèse d’un mot construit par amalgame
(« poésie + musique »), avec apocope du premier formant et aphérèse du second, par rapport à l’hypothèse
d’une simple suffixation (poésie, poésique).
288
Il s’agit là aussi d’un mot composite (flyer
( n°5), résultant de l’amalgame « posologie + poésie », le premier
lexème relevant d’une isotopie du médicament qui prend sens par rapport à l’iconographie. En associant ce
lexème à poésie,, le mot composite permet
per de resémantiser le suffixe « logie », de λόγος,, « parole, discours ».
289
Voir en sitographie.
290
Notons la resémantisation du terme « tube » qui est ici réactivé dans son sens premier de conditionnement
(« tube de dentifrice ») alors que le nom de « You tube » joue sur l’acception dérivée (par métonymie) de
« tube » pour « chanson à succès ». « Il fournit la dénomination familière du téléphone (v.1950), autrefois du
pneumatique (1903). Il est entré dans la locution a plein(s) tube(s) (1935), allusion auxx gaz d’échappement pour
« à toute vitesse ». D’abord dans l’argot des musiciens, il est devenu (v.1960) l’appellation d’une chanson ou
d’une pièce à succès » (Rey, 2007 : 3945)
291
En référence au trio constitué du slameur et de ses musiciens.
336

Dans la rubrique « Portrait », nous avons repéré une série de défigements fondés sur
une substitution homonymique ou paronymique (nous soulignons) : « être à la auteur
de sa propre vie » (hauteur), « oser le passage en farce » (en force), « vivre à l’âge
de vers » (de fer), « que la poésie sur les os » (la peau), « je ne parlerai qu’en
présence de mon art vocal » (avocat)… On retrouve un certain nombre d’entre eux
dans les textes du slameur.

Les titres

Les titres de spectacles, d’albums et de textes représentent aussi un espace où


la créativité est exacerbée, tout en y étant – et pour cause – condensée. Le titre de
l’anthologie collective Textes à claques (2010) constitue un bon exemple de locution
défigée et recomposée, alors que celui de l’album de Mots Paumés (Songes
déments, 2009) correspond à une forme de calembour pour « des mensonges ». Afin
d’approfondir ce point concernant l’importance dévolue aux titres et les procédés
néologique dont ils résultent, nous avons synthétisé dans le tableau ci-après les
titres de l’ensemble des textes transmis par Bastien Mots Paumés à ce jour292. A la
différence de la présentation adoptée pour notre corpus de textes présenté en
annexe – selon un ordre chronologique, en fonction de la date de genèse –, ce
classement fait état du support de publication (anthologie, CD…) et/ou du contexte
de création, ce qui permet de contextualiser les slams, tout en attirant l’attention sur
les réécritures multiples, qu’elles soient contextuelles – occasionnées par des
exigences éditoriales ou des évènements réitérés chaque année – ou contingentes.
Nous avons usé des notes pour apporter ces éclaircissements épitextuels. Quant à la
désignation des textes, nous utiliserons par la suite la convention suivante : les
initiales MP pour « Mots Paumés », suivies du numéro du texte dans l’ordre
chronologique (voir en annexe VI).

292
Nous avons intégré, pour ce corpus péritextuel, les textes de mars 2011, à la différence de notre corpus
textuel - présenté précédemment - ces textes nous ayant été transmis trop tardivement pour pouvoir les
analyser en détail. Ces derniers slams ont été composés en vue du spectacle « Hommes/OFF » (26/03/11), one
slam show sur le thème de l’esclavagisme : le slameur y évoque les glissements vers les servitudes invisibles et
les escalavagismes ordinaires. Bastien Mots Paumés.
337

Album/anthologie/autre Titre retenu (titre initial) Procédés /justification du


changement de titre
Anthologie L’Âge de vers Délexicalisation
Textes à claques Mise à flow idem
293
(2010) Sous l’émail des mots Echo sonore (un émail, des émaux)
Album Bienvenue (Bienvenue sur Prologue de l’album
294
Songes déments terre/La joie du bruit) Raccourcissement
295
(2009) Avec des fleurs (Le Simplification
Bourgeon gentilhomme)
296
Le réseau (Cybercaféine) Simplification
297
Soda Maso Contrepèterie
Amnésie internationale Délexicalisation (Amnistie)
298
Couleurs (Couleur est-il ?) Raccourcissement
Apnée
Icare
299
Peur (Prestidigitapeur) Simplification
300
Friction de secondes Délexicalisation (fraction)
L’Amante Religieuse (La Simplification, réécritures
Belle hait la Bête, la Bête successives
s’est fait la Belle, Vogue
301
l’âme )
Songes déments (Songes Titre éponyme
déments et mensonges)
Anthologie La ruée vers l’oralité Délexicalisation (l’or)
S.L.A.M. Session
(Asile éditions, 2009)
Spectacle « Un jour sans » Des avenues, des avenirs Paronymie
(duo avec Roberto Negro, On transpire en commun Délexicalisation (transports)
2009)
Journée de la femme Talons aiguilles vaudou Collocution
302
(8 mars) (Talons aiguilles)
ArchipElle sans Il (IL ELLE) Néographie
Immortelle un Phoenix
Journée « Rester libre » Les mains seules Délexicalisation (sales)

293
Ces trois textes ont été conçus à l’origine pour les 38èmes Rugissants dont le thème de l’édition 2009 était
« le verbe » (Grand Slam à L’Hexagone de Meylan, décembre 2009).
294
Ce titre a été réduit dans un souci de brièveté, d’ « efficacité ».
295
Le slameur nous a expliqué ce changement de titre en ces termes : « c’est un jeu de mots peu porteur de
sens par rapport au texte, et trop alambiqué pour un titre édité. Je ne veux pas faire des jeux de mots
hermétiques pour des non initiés aux jeux de mots empilés, mais parler au ''grand public.'' » (Entretien
complémentaire du 23/02/11)
296
Nous ajouterons ici aux motifs précédemment invoqués que la version « électro » (MPTrio) comporte un
refrain constitué d’échos polyphoniques portant sur ce mot « Le réseau » : le titre a donc une valeur
cataphorique, anticipant sur ce refrain.
297
Si l’on considère l’inversion des syllabes qui fonde ce jeu de mots, il s’agit là d’une sorte de contrepèterie,
appliquée au sein d’un lexème.
298
Au motif précédemment invoqué, MP motive ce changement de titre par la volonté de ne pas trop anticiper
sur le texte, pour garder la surprise du jeu de mots.
299
MP trouvait joli ce mot composite mais ne lui ayant pas trouvé de place dans le texte, il a renoncé à ce titre,
jugé là encore « trop alambiqué », mais il a conservé prestidigicode dans le corps du texte.
300
Le sous-énoncé fera l’objet d’autres détournements que celui du titre au sein du texte : « effraction de
secondes ».
301
Ce texte a fait l’objet de réécritures multiples à l’occasion de chaque 8 mars (Journée de la femme), d’où ses
titres successifs. Le titre considéré comme le plus abouti (« L’amante religieuse ») était, au dire du slameur, « le
plus beau et le plus évident, le court et donc le plus impactant ». Il s’agit d’un jeu de mot trouvé après la
rédaction.
302
Les textes créés pour cette journée donnent lieu à des versions évolutives, d’années en années, d’après MP.
338

Spectacle « Citadelles » Le Racisme S’Enracine! Paronymie


(2005-2006) Mille Haines Errent… Homophonie
Sang Sur … Homophonie
Sous France, Silence Homophonie
303
Squelette Métaphore
Spectacle « Hommes/Off » sur Anguillotine sous roche Mot composite/délexicalisation
l’esclavagisme (mars 2011) Morsure Nord-Sud Echo sonore
Hommes/OFF Délexicalisation (on/off)
nde
Guetteurs du jour Titre conservé dans sa 2 version
304
Autres (divers) Allumeur de rêves Délexicalisation (réverbères)
Caresses (Caresses & co) Chaîne paranomastique dérivée du
patronyme de la « muse »
Eboueurs de sauvetages Délexicalisation (bouée de
sauvetage)
305
L’avodka du diable Mot composite / délexicalisation
Légendes du voyage Homonymie : les gens du voyage
Les fruits racontent des
salades
Livre penseur Délexicalisation (libre penseur)
Mutinerie contre la minuterie Contrepèterie
On ne va pas en faire un Délexicalisation (Little Boudha)
fromage (Little Gouda)
Peine : capital Délexicalisation (peine capitale)
Réveillez-vous, déments de Délexicalisation (démons de minuit)
minuit
Sévice après vente Délexicalisation (service)
Tableau 12 : Titres (corpus MP)

Au vu de ces quarante trois titres de textes306, notons l’importance quantitative des


délexicalisations (17/43, soit 39,5%), fondées sur des substitutions (locutions
composites par insertion). Deux mots composites (Cybercaféine et Prestigitapeur)
n’ont pas été conservés comme titres307, à la différence de ce néologisme (l’Avodka
du diable) inséré dans une locution308 et d’une collocution obtenue par imbrication
(Talons aiguilles vaudou)309. En outre, 14 titres (soit 35%) qui s’ajoutent aux 15
occurrences de délexicalisation, mettent en jeu une figure sonore de type

303
Dans ce texte en forme de scénario, le slameur a mis en mots la trame de son spectacle (le squelette), soit
les textes correspondant aux transitions entre les slams.
304
Un autre texte donne le complément de cette forme apocopée de l’expression « l’allumeur de réverbères » :
« l’allumeur de rêves, Herbert » (« Mutinerie contre minuterie »).
305
Cet amalgame par insertion (« avocat + vodka ») s’inscrit dans une isotopie des noms d’alcools qui constitue
le thème central de ce texte.
306
44 textes nous ont été transmis mais le slam « Guetteur du jour » qui a fait l’objet de deux versions, a gardé
le même titre.
307
Le premier figure cependant dans le texte (« A chaque injection intra vénéneuse de cybercaféine… »), alors
qu’il ne subsiste du second – jugé trop alambiqué – qu’un mot composite proche « prestidigicode ».
308
Cette locution composite figure non seulement en titre, mais aussi dans le corps du texte, ce qui permet de
la cotextualiser : « Je ne vais pas me faire l’avodka du diable… » (MP8)
309
Le sens de cette locution composite obtenue par imbrication ou télescopage de deux locutions (talons
aiguilles + aiguilles vaudou) est développé dans le corps du slam : « J'ai des talons … AIGUILLES plantés dans le
pied, l'impression d'être la figurine d'un rituel vaudou » (MP29)
339

calembour310 par décomposition/recomposition homophonique (« L’amante


religieuse »), écho paronymique (« Des avenues des avenirs ») ou contrepèterie
(Songes déments)311. Ne prétendant pas ici à un relevé exhaustif de toutes les
formes de créativité lexicale (néographie, fausse coupe, conversions312, suffixations,
emprunts…), nous avons limité notre analyse aux mots et locutions dits composites
ou pouvant s’y apparenter.

8.2.2. Le corpus textuel : mots composites

Nous avons identifié 64 mots composites répartis sur 20 textes : « Soda maso »
(7 mots), « Apnée » (7), « Sous l’émail des mots » et « Guetteurs du jour » (5) sont
les slams les plus denses en la matière. Au sein de ces mots dits composites, nous
avons distingué ceux qui sont objets d’une néographie mettant en évidence leur
décomposition associée à une resémantisation (11), ceux créés par insertion (23) et
ceux obtenus par imbrication (30).

Néographies significatives

Nous avons relevé quelques lexèmes qui, faisant l’objet d’une décomposition
mise en relief par la graphie et par là-même d’une resémantisation, s’apparentent à
des mots composites. Dans le texte « Sans sur… », « opiNION » ainsi typographié
prend sens par rapport au vers qui précède : « Un coup : OUI/ OpiNION… ». La
présence de majuscules – en tant qu’indication prosodique313 – attire notre attention
sur une remotivation sémantique, potentiellement double, de ce lexème : d’une part,
le « NON » qui répond au OUI ; d’autre part, le « gnon » qui fait écho au « coup ».
Ces deux sèmes nous paraissent présents dans le lexème hybride obtenu, dont la
graphie interpelle. De même pour « IL lui scie les ELLES » (MP30) où les majuscules
– en tant que marque prosodique d’intensité – mettent en relief l’homonymie
(« ailes »). En outre, plusieurs lexies font l’objet d’une décomposition syllabique ou
morphémique. Le lexème « habitudes » est décomposé en « habit-udes », ce qui

310
Nous utiliserons ce terme au sens de Guiraud (1979 :10) : « Le calembour, au sens restreint du terme, est
une équivoque phonétique ».
311
De même nous emploierons ce terme dans un sens générique pour un jeu fondé sur une inversion de
syllabes ou de phonèmes au sein d’une phrase ou d’un syntagme (« Soda Maso »).
312
Nous évoquerons les cas de conversion quand elles apparaissent liées à une forme composite (combinaison
bi-matricielle) comme pour « babas roucoulent » (voir infra).
313
Ces textes nous ayant été transmis directement par leur auteur et leur mise en page ayant été conservée,
nous pouvons avancer l’hypothèse que ces indications sont autant d’indices en vue d’une mise en voix.
340

souligne une métaphore induite par le verbe : « j’essaie d’enfiler vos habit-udes »314.
Quant au verbe « déblatérer », il subit une décomposition tout aussi signifiante :
« dé-bla-tère » permet de suggérer les lexèmes « blatte » et « terre », le premier
figurant d’ailleurs dans le cotexte aval315. Ainsi décomposé, ce lexème s’apparente
donc à un mot-valise, contenant plusieurs « sens empaquetés », tout comme « vent-
to-line » (MP15)316. La forme décomposée du verbe « dé-chaîner » (MP29) suggère
un jeu relatif au cotexte aval (« sur mes chevilles »). Enfin, « sous-fran-si-lence »
est une décomposition syllabique développée dans le slam intitulé « Sous France,
silence » (MP6)317. A l’oral, l’équivoque est souvent marquée par une micro-pause ou
un allongement de la syllabe précédente : « Métamorphe…ose » (MP3) ; « Demain,
nous serrons la saint…ture »318 (MP16) ; « au bord…d’elle » (MP12). D’une
manière générale, notons que si l’usage des majuscules permet d’attirer l’attention
sur un néologisme (PORNOCRATIE), les tirets peuvent aussi mettre en relief une
décomposition (« radio-actif ») ou une composition signifiante319 et les points de
suspension indiquer une fausse coupe.

Mots composites obtenus par insertion

« PORNOCRATIE » (MP12) est précisément transcrit en majuscules320, si bien


que ce néologisme saute aux yeux du lecteur comme aux oreilles de l’auditeur.
Savamment construit par analogie avec « démocratie » et substitution du morphème
lexical « porno » à « démo », il relève bien du premier type de mot composite
construit par insertion ou substitution partielle (selon la terminologie de Grésillon), de
même que « VIPcratie » (MP18) pour lequel les majuscules se justifient cependant
par la siglaison pour « Very Important People ». Un troisième néologisme est formé
selon un principe similaire : « oralgésique » (MP28) fait écho à « analgésique » dont

314
Cette métaphore est filée par la délexicalisation suivante : « je me sens toujours trop serré (…) dans votre
prêt à déporter » (MP11)
315
« Regardez-moi : j’erre tel une blatte, on m’appelle Cafard ! » (MP19).
316
Ce lexème (de ventoline, « traitement contre l’asthme ») est resémantisé par insertion dans le syntagme :
« se disperse aux 4 vent-to-line ». D’où la graphie proposée, qui anticipe sur le découpage syllabique à l’oral.
317
Notons que les autres décompositions homophoniques ne sont pas transcrites : « Souffre en silence »,
« Souffrance silence ». La décomposition syllabique a ici une valeur prosodique, permettant à l’auditeur de
percevoir les différents possibles homophones.
318
Le jeu d’homonymie (« ceinture ») est ici introduit par l’ambiguïté (à l’oral, mais aussi à l’écrit avec cette
forme intermédiaire) de la forme verbale (nous serons/nous nous serrerons) qui s’inscrit sémantiquement dans
le contexte – et le cotexte - d’un bulletin météo.
319
« C'est l'ère du trauma-térialisme radio-actif, télé-addictif… » (MP18).
320
De même que cette locution composite « COU-LEUR-DE-PROPOS : la décomposition syllabique facilite la
perception du jeu de mot, le lexème initial « Couleur de peau » figurant d’ailleurs dans le cotexte amont.
341

on a remplacé le premier morphème par relation sémantique. De même,


« culturocentrismes » (MP7) précède « ethnocentrismes », de sorte que l’analogie
est aisément repérée. Quant à « cumulautobus » (MP22), il concentre une double
isotopie : celle – métaphorique – du nuage (« le brouillard du réseau ») et celle de
l’embouteillage. Un seul des mots-valises relevés dans cette catégorie répond à une
homophonie parfaite, s’agissant d’une réécriture (Grésillon) : il s’agit de « l’eau-
delà » (MP8) – obtenu par substitution de l’homonyme « eau » à la préposition
« au » dans le mot-composé « au-delà » – qui prend sens dans une isotopie des
boissons (MP8) 321. Les autres mots composites résultent d’une substitution de type
paronymique (altération), à l’instar de ces trois verbes qui se succèdent dans le texte
« Sous France Silence » (MP6) : « Fransgresser, Fransfigurer, Fransformer ». La
présence de la majuscule met en relief le formant dit auxiliaire (Galisson) « France »
qui est pourtant décisif – et récursif - en l’occurrence. Outre les néologismes cités,
nous avons relevé les exemples suivants322 :

• génocidre (**) = génocide + cidre (MP8)


• l’avodka du diable (**) = l’avocat (du diable) + la vodka (MP8)
• (à vos) terrorisques (*) (et périls) = terroriste + risques (MP14)
• (la science) asphyxion (**) = l’asphyxie + la fiction (MP15)
• (les points d’) infrasuture (***) = (les points) d’infrastructure + suture (MP15)
• le (cordon) ombilicâble (**) = le cordon ombilical + câble (MP17)
• le numérisque (**) = numérique + risque (MP17)
• transglucides (**) = translucides + glucides (MP18)
• agroalimenteurs (*) = agroalimentaire + menteurs (MP18)
• réveil-martyre (**) = réveil-matin + martyre (MP21)
• (depuis) l’aborigine (*) = aborigène + origine (MP27)
• cosmétoc (*)= cosmétique + toc (MP29323)
• aujour nuit (*) = aujourd’hui + nuit (MP25, MP31)
• massacréé (**) = massacré + créé (MP31)

Sur un plan morpho-phonologique, la majorité de ces mots composites procèdent de


l’ajout d’un phonème au sein du formant directeur (génocide → génocidre**) ;
d’autres résultent de la substitution d’un phonème (aborigène → aborigine*) ou de

321
D’après Hesbois : « Il arrive que le coup de pouce ainsi donné à un mot en fasse surgir un autre, presque
identique, qui se substitue au premier, sans toutefois parvenir à l’évincer complètement » (1986 : 105)
322
Les astérisques indiquent le type de modification apportée au formant principal : substitution (*), ajout (**)
ou suppression (***).
323
Notons que le formant directeur est ici convoqué par écho sonore ou métathèse que Dupriez définit comme
« altération d’un mot par déplacement, inversion d’une lettre, d’un élément phonétique » (1986 : 289) :
« cosmétoc sans éthique ».
342

modifications multisyllabiques (infrastructure → infrasuture***). Les deux composants


du mot obtenu ont un ou plusieurs segments homophones en commun (nous les
avons soulignés). Dans le tableau MC2 (en annexe VI), nous avons différenciés ces
lexies composites selon le type d’insertion : homophonique (l’eau-delà), paronymique
(fransgresser) ou sémantique/morphémique (oralgésique).

Mots composites obtenus par imbrication

Les slams de Mots Paumés se caractérisent par une forte densité de mots
composites obtenus par imbrication. Il est d’ailleurs fréquent que ces lexies
néologiques forment une sorte de chaîne ou de séquence, tels pithécanthropiques
et lycanthropiques qui succèdent à philanthropiques (MP3), ce qui facilite
l’interprétation. Ce dernier lexème, présent dans le vers précédent, fournit la clé des
deux mots composites cités : ils résultent respectivement de pithécanthrope324 - qui
figure dans un autre texte (MP7) - et lycanthrope amalgamés à anthropique325 autour
du segment homophone [a~tR]. De même, pro-pornographique succède à pro-
politique, pro-polémique et pro-polysémique, ces quatre lexèmes résultant d’un
amalgame avec propos. En outre, les mots composites suivants ont été identifiés :

• (secousses) racismiques = racisme + sismique (MP7)


• chèvrefeuilleton = chèvrefeuille + feuilleton (MP9)
• prestidigicodes*= prestidigitateur + digicode (MP14)
• (surchauffe) mécaniculaire = mécanique + caniculaire (MP15)
• (grenades à) diaphragmentation = diaphragme + fragmentation (MP15)
• (l’énigme du) spharynx** = sphinx + pharynx (MP15)
• (la diffusion des) fumigénocides = fumigènes + génocides326 (MP15)
• Monétéo** (France) = Météo + Monéo (MP16)
• Wi-Fidèle (parmi les fidèles) = wifi + fidèle (MP17)
• cybercaféine = cybercafé + caféine (MP17)
• trauma-térialisme**= traumatisme + matérialisme327 (MP18)
• abstractivisme* = abstrait + activisme328 (MP18)
• compost-moderne = compost + post-moderne (MP18)329
• déglinguistique = déglingué + linguistique (MP28)
• orgymnastique = orgie + gymnastique (MP28)

324
Terme d’anthropologie désignant un « mammifère primate fossile », et par dérivation « un homme brutal,
primitif » (PR).
325
Du grec ancien ἄνθρωπος, anthrôpos (« être humain »).
326
Notons cependant l’opposition entre [e] fermé/ [E] ouvert.
327
La présence du tiret nous interroge ici, alors qu’elle se justifie pleinement pour « Wi-Fidèle » (Wi-fi).
328
C’est la racine abstract- (abstraction, du bas latin abstractio) qui permet la fusion ici.
329
Le tiret (calqué sur post-moderne) attire l’attention sur cette locution valise.
343

• verballadeuse = verbal + balladeuse (MP28)


• vocabulldozer ** = vocabulaire + bulldozer (MP28)
• publiciternes = publicitaires + citernes330 (MP29)
• photoshopés = photoshop + chopés331 (MP29)
• métropolluées = métropoles + polluées (MP31)
• déclinventé = déclin + inventé (MP31)
• opprimaginé** = opprimé + imaginé (MP31)
• cauchemarché = cauchemar + marché (MP31)

Pour la plupart de ces amalgames, le télescopage ne repose pas sur des


phénomènes de troncation, les deux formants étant conservés phonétiquement à
défaut de l’être graphiquement, ce qui, là encore, apparaît comme un élément
facilitateur en vue de la réception. Seules les occurrences marquées d’un * résultent
d’une apocope du premier formant (prestidigi[tateur]) ou encore (**) d’un
déplacement de la syllabe finale du formant principal à la fin du mot obtenu par
amalgame (comme le phonème [ER] dans vocabulaire → vocabulldozer). De même
pour monétéo, radio-addictif, trauma-térialisme et spharynx, on retrouve en fin de
mot composite la syllabe finale du premier formant. Dans le tableau MC3 (enn
annexe VI), nous les avons classés selon les troncations – ou l’absence de
troncation le cas échéant – de leurs composants :

Types Position du segment Exemples


homophone
Type 1 : sans apocope ni Segment homophone en fin Lycanthropique =
aphérèse de composant a /début de b lycanthrope + anthropique
Type 2: apocope du Segment homophone en Prestidigicode =
composant a position médiane dans a prestidigitateur + digicode
Type 2bis : apocope de a Plusieurs segments Vocabulldozer =
avec déplacement du homophones dont un en vocabulaire + bulldozer
segment final position finale pour a et b
Tableau 13 : Typologie des mots composites créés par imbrication

Mots composites insérés dans une synapsie ou expression figée

Force est de constater qu’un certain nombre des mots-valises repérés s’insèrent
dans un syntagme, locution ou synapsie qui en facilite l’interprétation : les exemples
de « l’avodka du diable », « à vos terrorisques et périls », « points d’infrasuture »,
« cordon ombilicâble », « secousses racismiques », « science asphyxion »,
« grenade à défragmentation », « énigme du spharynx » et « Monétéo France »

330
Une autre interprétation serait « publicitaire + terne » ce qui relèverait de l’insertion..
331
Une autre hypothèse serait celle d’une simple dérivation de Photoshop avec suffixation.
344

attestent de l’importance décisive du cotexte et des collocations qui suggèrent le


formant directeur in abstentia. Nous nous refusons cependant à les catégoriser
comme locutions valises, car c’est bien le lexème qui, certes intégré à une locution,
constitue un mot composite en lui-même.

8.2.3. Le corpus textuel : locutions composites et collocutions

Locutions construites par insertion

Dans notre corpus, nombreuses sont les locutions construites par insertion (140),
notamment dans les formules titulaires : chacun des slams de notre corpus en
comporte au moins une, si bien qu’elles se font parfois écho d’un texte à l’autre.

Globe trotters Science fiction

globules trotters blog trotters science asphyxion science friction332


(MP15) (MP17) (MP15) (MP31)

Figure 14 : Défigements multiples d’une même locution

Nous les avons synthétisées dans le tableau présenté en annexe en les classant en
fonction du type d’altération par rapport au patron phonologique de la locution initiale.
Soient « A » la locution initiale, « a » le lexème objet d’une substitution, « b » le
lexème inséré et « X » la locution composite obtenue par insertion de b dans A.

332
Cette locution a fait l’objet d’un autre défigement par substitution du premier terme : « France fiction » (JB
& SD, 2011).
345

Types Principes Exemples


Type 1 : altération graphique/homophonie A et X sont homophones. Le droit du sans
(le droit du sang)
Type 2 : altération à 2α : altération de A et X sont paronymes (ne Couleur est-il ?
l’intérieur du patron type paronymie diffèrent que par 1 phonème) (Quelle heure
phonologique est-il ?)
2β : altération de A et X ne diffèrent que par une Ascenseur pour
La structure, la trame 333
type métathèse inversion (phonème, les fachos (pour
phonologique et le graphème, syllabe) l’échafaud)
nombre de syllabes 2γ : altération A et B ne diffèrent que par la Le naufrage du
restent identiques. monosyllabique modification d’une syllabe. botanique
(Titanic)
2δ : altérations A et B diffèrent par des Une aurore de
multisyllabiques altérations multi-syllabiques. jeunesse (une
erreur)
2ε : altération A fait l’objet d’une double Papis croulants
multi-lexémique substitution paronymique. (tapis roulants)

Type 3 : altération du patron phonologique A et B sont partiellement Couleur de


par ajout d’une (voire deux) syllabes homophones, le lexème b propos (couleur
334
incluant le lexème a de peau)
(phonétiquement).
Type 3bis : altération du patron A et B sont partiellement Allumeur de
phonologique par troncation homophones, b étant inclus rêves (de
dans a réverbères)
Tableau 14 : Typologie des locutions composites créées par insertion

Notons que si ce type de locutions composites est représenté dans tous les textes de
notre corpus, elles y figurent en proportion variable : de la seule formule titulaire
(« L’âge de vers ») à une douzaine de locutions dans des textes comme « L’Email
des mots » et « Apnée ». Nous pouvons alors émettre l’hypothèse que certains
sujets induisent une densité plus importante de ces jeux de mots qui peuvent
témoigner d’une mise en abyme (« Sous l’émail des mots » nous incitant
précisément à aller chercher les mots cachés sous l’émail) ou d’une valeur
subversive (« les résidus clandestins », « la France fiction »).

Locutions construites par imbrication

Les locutions composites formées par imbrication sont plus rares : nous en
avons néanmoins relevé 20 réparties sur 15 textes, dont deux textes qui en
contiennent quatre (MP15) et trois occurrences (MP12). Pour chaque collocution,
nous avons souligné le lexème ou morphème homophone qui a permis l’imbrication,
les astérisques indiquant sa place dans la lexie (voir infra).

333
Nous utilisons ce terme au sens général d’inversion (du grec μετάθησις, metáthêsis, « permutation »), quelle
que soit l’unité sur laquelle porte cette inversion.
334
Pour cet exemple, une autre hypothèse interprétative consisterait à y voir une collocution construite par
imbrication de couleur de peau + hors de propos.
346

Locution composite (X) Locution A Locution B (C)


La crise de prise de conscience ***(MP7) La crise de La prise de conscience
conscience
Une histoire de cul de sac** (MP12) Une histoire de cul Un cul de sac
Une vie conjugale… à égal** (MP12) Une vie conjugale D’égal à égal
Nos regards s’effacent à face…** (MP12) S’effacer Face à face
Ma main à couper…la parole des Ma main à couper Couper la parole
autres**(MP13)
L’écran total du téléviseur…*(MP14) L’écran total L’écran du téléviseur
L’obligation du port du masque agace** Port du casque Masque à gaz
(MP15)
De bouches à bouches Bouches Bouche à bouche
d’évacuation**(MP15) d’évacuation
L’ascension des pics de pollution** (MP15) L’ascension des Des pics de pollution
pics
Les moyens de locomotion de Les moyens de Une motion de censure
censure**(MP15) locomotion
Gagner le maillon jaune de la chaîne de Gagner le maillot Le maillon de la chaîne + la
grande distribution**/** (MP16) jaune chaîne de grande distribution
Illusion de fibre optique *** (MP17) Illusion d’optique Fibre optique
335
Prêt à porte-monnaie ** (MP18) Prêt à porter Porte-monnaie
(malappris) la main dans votre sac…de (pris) la main dans Un sac de nœuds
nœuds !** (MP19) le sac
Epris de marcher à découvert** (MP21) Prix de marché Marché à découvert
Traîne-savates, en guerre** (MP22) Traîne-savates S’en-va-t-en guerre
(éblouir) de mille feux… follets** (MP23) (briller) de mille Des feux follets
feux
Se pourlèche les vitrines** (MP24) Se lécher les Faire du lèche-vitrine
babines
(passer) de bouche à bouche à oreiller** Le bouche à Le bouche à oreilles
(MP28) bouche
Talons aiguilles vaudou** (MP29) Talons aiguilles Aiguilles vaudou
Tableau 15 : Collocutions ou locutions composites créées par imbrication

Le segment homophone qui permet la fusion peut correspondre à un lexème


commun aux deux locutions, à un paronyme (casque/masque, maillot/maillon), soit
un lexème tronqué (porter→ porte), ou encore à un morphème constitutif du lexème
(conjugal→ égal, s’effacent→ face, se pourlèche→ lèche). Quant à la position de ce
lexème ou morphème commun, elle est le plus souvent médiane (**, 17/20
occurrences), très rarement initiale (*, 1 occurrence) ou finale (***, 2 occurrences).
On peut observer la présence d’un phénomène d’imbrication en chaîne ou récursive :
Gagner le maillon jaune de la chaîne de grande distribution (MP16)

= gagner le maillot jaune

+ le maillon de la chaîne

+ la chaîne de grande distribution


Figure 15 : Imbrications en chaîne336
335
Notons le lien avec l’expression précédemment citée : prêt à déporter (MP11).
347

Autres formes néologiques, détournements et délexicalisations

Au vu de ce relevé, les mots et


Répartition par types de procédés
locutions composites constituent les
Mots formes néologiques prégnantes au
composites
Locutions sein du corpus MP, comme en
composites
Délexicalisations témoigne la répartition schématisée
ci-contre337.
Autres
Figure 16 : Répartition par types de
procédés (corpus MP)

Nous avons néanmoins repéré quelques autres formes néologiques satellitaires


qui peuvent d’ailleurs se combiner avec les procédés précédemment analysés :

- la conversion : « j’me jette 27 » (MP8), « la détresse me casse-tête » (MP11),


« j’ai HTTP » (MP17), « les pieds et les demains » (MP25) ;
- la suffixation : « on se synergise » (MP18), « l’impactance » (MP18) ;
- les métaphores et métonymies : « quelques nuages de nœuds papillons »
(MP24) ;
- l’emprunt à l’anglais « geek »338 (MP17), « biatch »339 (MP18), « opération hacker
ouvert » 340

Nous avons aussi relevé une micro-alternance en espagnol dans le refrain du texte
« Des avenues, des avenirs » (MP21) : « En vuestro mundo loco… ».

Enfin, les délexicalisations et détournements de lexies phrastiques sont fréquents


dans les slams de Mots Paumés. Nous verrons dans notre prochain chapitre que
certains s’apparentent précisément à ce que Galisson nomme palimpsestes-valises.
Outre les délexicalisations opérées par le biais des locutions composites, nous
avons relevé et classé ces détournements en fonction du type d’énoncé :

336
Notons que cette imbrication dite en chaîne comporte précisément comme charnière le mot « chaîne ».
337
Précisons qu’une partie des locutions composites sont formées par délexicalisation, d’où un recoupement
partiel de ces deux procédés.
338
“Slang especially AmE someone who is boring and wears clothes that is unfashionable” (Longman).
339
Anglais argotique, voire vulgaire : déformation de bitch.
340
Le « h » aspiré permet ici d’attirer l’attention sur cet emprunt intégré à la locution composite.
348

Type d’énoncé Détournement Sous-énoncé


341
Proverbes (4) Nos oreilles ont des murs (MP4) Les murs ont des oreilles.
Tous les chemins me ramènent au rhum. Tous les chemins mènent à
(MP8) Rome.
Les scélérats quittent le navire. (MP19) Les rats quittent le navire.
Vos vitrines flamboient, et ma caravane Les chiens aboient et la caravane
342
passe. (MP21) passe .
ème
Citations (10) « Le 3 millénaire sera spiritueux… ou « Le troisième millénaire sera
ne sera pas. » (MP8) spirituel ou ne sera pas. »
(Malraux)
« Au commencement était le « Au commencement était le
souffle. » (MP15) verbe. » (citation biblique)
« Casino ergo sum ! Je dépense donc je « Cogito, ergo sum. » (Descartes)
343
suis ! » (MP16)
« Science sans dépense n’est que ruine « Science sans conscience n’est
de l’homme. » (MP16) que ruine de l’âme. » (Rabelais)
« Le centre commercial a ses rayons que « Le cœur a ses raisons que la
la raison ne comprend plus » (MP16) raison ne connaît point. »
(Pascal)
« Même s’ils ne sont pas cigales, ils crient « Elle alla crier famine chez la
famine à la porte du FMI qui avoisine » fourmi sa voisine. » (La Fontaine)
(MP16)
345
« Le réseau a ses raisons que la raison Voir infra (Pascal)
344
ne comprend pas… » (MP17)
« Nul n’est prophète entre Alsace « Nul n’est prophète en son
Lorraine et Gabriel Péri » (MP22) pays » (citation biblique)
« Que chaque bipède soit prophète en Idem
son pays. » (MP27)
« Mouroir, mon beau mouroir » (MP29) « Miroir, mon beau miroir… »
Expressions figées Sang sur les murs, et des lamentations, Le mur des lamentations
ou semi-figées (16) c’est sûr (MP2)
Il mène le monde à la braguette. (MP12) Mener à la baguette
Une ombre qui chinoise (MP13) Une ombre chinoise
Les contes se sont fées… la malle Les contes de fées + se faire la
346
(MP16) malle
Diviser pour mieux régler (MP16) Diviser pour mieux régner
Notre compte est bon ! (MP16) Le compte est bon
Je métisse ma toile. (MP17) Tisser sa toile (araignée)
347
Je donne ma langue au tchat. (MP17) Donner sa langue au chat
Avoir les dés en mains (MP20) Clés en main
A se pendre sur place ou à s’emporter A prendre (sur place) ou à
(MP24) emporter
Que la poésie sur les os (MP27) N’avoir que la peau sur les os
Le mot est rictus. (MP27) L’homo erectus
Je donne ma langue au charme. (MP28) Voir infra
L’addiction est salée. (MP28) L’addition est salée.
Qu’est-ce qui tourne cette fois dans ta Tourner sa langue sept fois dans
bouche… ? (MP28) sa bouche

341
Ce détournement est déjà présent dans une chanson de Guy Béart (« Les proverbes d’aujourd’hui », 1973).
342
Proverbe d’origine arabe : ‫اﻟﻛﻼب ﺗﻧﺑﺢ واﻟﻘﺎﻓﻠﺔ ﺗﻣﺷﻲ‬
343
Noter la présence des guillemets dans le texte pour ce détournement de citation et le suivant. Il est
d’ailleurs introduit en ces termes : « La philo de René Descartes n’a plus aucun crédit. »
344
Cette citation de Pascal est donc détournée à deux reprises.
345
Détournement intégré au refrain, avec une variante finale : « Le réseau a ses raisons que ma raison ne veut
plus comprendre. » (voir aussi notre chapitre 10, GCM ayant aussi détourné cette citation).
346
Télescopage de deux expressions.
347
Cette expression a donc été doublement détournée : « Je donne ma langue au tchat/au charme. »
349

348
Qu’un revers, et jamais de médaille Le revers de la médaille
(MP30)
Titres (7) L’Indao Jones et les CAC40 voleurs Indiana Jones + Ali Baba et les
349
(MP16) 40 voleurs (cité comme film)
(le nombre de chômeurs) et de “The show must go on”
chômeuses GO ON ! (chanson)
A l’ombre des junkies en fleurs (MP18) A l’ombre des jeunes filles en
fleurs
Jackpot pour les éventreurs (MP19) Jack l’éventreur
Dépendances avec les lourdeurs (MP21) Danse avec les loups
Les aventuriers de la marche du temps Les aventuriers de l’arche perdue
perdu (MP21) + A la recherche du temps
350
perdu
351
Ni dieu ni parcmètre ! (MP21) Ni Dieu ni maître
Tableau 16 : Détournements et délexicalisations (corpus MP)

Sur ces 37 détournements, la majorité s’applique à des collocations ou expressions


lexicalisées, dont certaines sont démembrées, syntaxiquement déstructurées et
sémantiquement remotivées : « une ombre qui chinoise ». Notons que les citations
détournées sont nombreuses dans le texte « Peine : Capital » qui se distingue par
une forte densité de ces énoncés à valeur parodique. Ce slam ayant trait à la
consommation occasionne un jeu avec les slogans et les discours publicitaires :
« Elle est un peu forte de café, la grand-mère… » (MP22) D’une manière générale, le
défigement permet d’ouvrir un espace fondamentalement colludique :
« Démembrée et donc niée en tant qu’unité codée, l’expression primitive fournit les
matériaux d’une construction nouvelle où se joue la fantaisie du locuteur(…). C’est
l’écart entre les deux qui constitue le jeu. » (Hesbois, 1986 : 109)
Quant aux détournements de titres, ils révèlent un métissage culturel fondamental
sur lequel nous reviendrons : le télescopage – palimpseste-valise – de deux titres
traduit ici des références culturelles hétérogènes.

8.3. Analyse néostylistique : des mots paumés aux mots filés

8.3.1. La réception : aspects sémantiques et didactiques

Ralentir, mots valises ! Tel est le titre de l’ouvrage de Finkielkraut, indiquant par
là-même la difficulté soulevée par l’interprétation des mots composites :
« En mélangeant les significations des mots qui son enfermés dans votre valise, vous
ferez advenir un sentiment compliqué, une réticence impalpable, un animal chimérique,
ou un concept fou. » (1979 : 2)

348
Il s’agit là d’un palimpseste avec « déstructuration syntaxique maximale » selon Galisson (1995 : 51).
349
Télescopage de deux titres.
350
Idem : métissage de deux titres, l’un d’origine littéraire (Proust), l’autre cinématographique (Spielberg)
351
Titre du journal fondé en 1880 par Blanqui, l’expression étant devenue la devise du mouvement anarchiste.
350

Si Freud avait abordé, à la suite de Heymans, la réception du mot d’esprit en termes


de « sidération et lumière » - la lumière engendrant un effet comique352-, Galisson
(1991) s’est intéressé à l’obstacle que peut représenter le mot-valise dans une
perspective didactique, notamment pour des étudiants étrangers : « Mon intention
initiale était donc de venir en aide aux étrangers, en essayant de les éclairer sur la
manière d’identifier un mot-valise. » (1991 : 45) Après avoir esquissé une typologie
des formes, il s’est donc intéressé aux contenus, qu’il a matérialisés par des tableaux
de définitions simples (mots-valises issus de deux formants) et complexes (plus de
deux formants). Voici un exemple de ce tableau appliqué au mot « po&sique » (flyer
MP) dont la néographie (pour « poésique ») induit une resémantisation :

Po&sique Formant directeur Formant auxiliaire 1 Formant auxiliaire 2


Signifiant poésie & musique
(→ po par apocope) (→ « é » de poésie) (→ sique par aphérèse)
Signifiés poésie et musique
Tableau 17 : Analyse de po&sique

Les signifiés renvoyant aux fragments de sens empruntés à chaque formant, la


définition se fragmente et se complexifie quand le nombre de formants augmente
(63). Notons en outre que l’ordre des formants ne permet pas de prédire le schéma
interprétatif : la hiérarchie établie entre ces formants est-elle plus significative ?

A la suite de Grésillon (1984) qui a distingué les relations sémantiques


contextuelles des relations sémantiques constitutives de coprédication propres aux
mots-valises, Fradin (1997) a abordé les problèmes sémantiques généraux posés
par leur interprétation, en différenciant les occurrences décontextualisées – par
exemple dans un dictionnaire comme celui de Filkenkraut (1981) – des mots-valises
intégrés à un texte : ces derniers sont rattachés à un cotexte favorisant la prise
d’indice en vue de l’élaboration d’un signifié « grâce aux éléments d’information qu’il
(le cotexte) apporte et aux effets de paradigme qu’il induit » (Fradin, 1997 : 106).
Nous n’avons de cesse de souligner l’importance de ce cotexte. Outre ces questions

352
« Heymans (Zeitschr. f. Psychologie, XI, 1896) nous montre comment l'effet d'un mot d'esprit résulte de la
succession « sidération et lumière ». Il illustre son opinion d'un excellent mot d'esprit de Heine : Un de ses
personnages, le pauvre buraliste de loterie Hirsch-Hyacinthe, se vante d'avoir été traité par le grand baron de
Rothschild d'égal à égal, de façon toute famillionnaire. Tout d'abord le mot, qui est la cheville ouvrière de
l’exprit, apparaîtrait comme un néologisme défectueux, comme une chose inintelligible, incompréhensible,
énigmatique. Par là, il sidérerait. Le comique résulterait de ce que la sidération cesse, de ce que le mot devient
intelligible. » (1983 : 17-18?)
351

liées au contexte de réception du mot-valise, Fradin soulève un autre problème


factuel, à savoir la pluralité d’interprétations souvent possibles, et parfois plausibles :
« Pour toutes ces raisons, la description de l’interprétation des mots-valises doit être
envisagée d’un double point de vue : constructiviste, en essayant de déterminer l’apport
sémantique de chacun des constituants du mot-valise, et holistique en prenant en
compte la manière dont le contexte oriente ou détermine l’interprétation. » (1997 : 106)
S’il regrette de ne pouvoir aborder le second point de vue dans son article, nous
nous proposons de l’approfondir dans cette étude, à partir de notre concept de
néostyle qui nous permet de replacer les mots et locutions composites repérés dans
leur cotexte et ce faisant, d’en analyser le potentiel poétique. Quant au point de vue
constructiviste, il le développe en émettant l’hypothèse de patrons interprétatifs
permettant d’élaborer la ou les bonnes interprétations. Il se livre alors à un inventaire
de ces patrons interprétatifs dont voici un échantillon :

MOT-VALISE LEXEMES-BASES SEMANTIQUE


Aberrifique aberrant, horrifique aberrant & horrifique
Alicament aliment, médicament aliment & médicament
Pleurire pleurer, rire pleurer de rire
Istambulversant Istambul, bouleversant Istambul est bouleversant
Chirouette Chirac, girouette Chirac est une girouette

Les trois premiers patrons rendent compte d’une relation de coprédication, alors que
les deux suivants s’en distinguent « dans la mesure où l’un des lexèmes-bases
correspond à un argument dans une relation instanciée par l’autre » (1997 : 108).
Bernard Fradin en conclut que « l’interprétation d’un mot-valise peut osciller entre
plusieurs patrons » et que « les patrons mentionnés n’existent que comme résultat
d’une stabilisation interprétative. » (109) Dans notre corpus en général et concernant
certaines occurrences à valeur polémique en particulier, nous avons identifié les
patrons suivants qui rendent compte de relations sémantiques diverses :

MOT-VALISE LEXEMES-BASES SEMANTIQUE


Wi-Fidèle fidèle, wifi fidèle à la Wifi
Le numérisque risque, numérique Le risque du numérique
Le réveil-martyre réveil-matin, martyre Le martyre dû au réveil matin
Les fumigénocides fumigène, génocide Le génocide dû aux fumigènes
(Secousses) racismiques racisme, sismique Le séïsme dû au racisme 353

Notons cependant que la stabilisation interprétative est difficilement envisageable


s’agissant d’un corpus contemporain constitué de textes à vocation poétique. Le

353
Les deux composants entretiennent ici une relation de causalité, d’où la valeur potentiellement subversive
de la lexie ainsi obtenue.
352

dernier exemple atteste de la complexité sémantique liée à une structure


métaphorique difficilement réductible à un « patron ». D’une certaine façon, cette
idée de patrons interprétatifs rejoint le concept de diagrammaticité qu’Apothéloz
définit comme « un paramètre permettant d’évaluer la conformité d’un mot construit
relativement à un type idéal » (2002 : 49). Il distingue deux facettes de
diagrammaticité : formelle – la lisibilité de la structure interne – et sémantique – « la
calculabilité du sens à partir de la forme » (2003 : 57). C’est bien cette dernière qui
nous questionne ici, dans la mesure la plupart des mots composites sont
transparents quant aux formants qui les constituent, mais plus opaques quant aux
relations sémantiques qu’ils entretiennent. Mais cette pluralité d’interprétations
possibles n’est-elle pas précisément un indice de littérarité ? Si l’on en croit Barthes
dans le Degré zéro de l’écriture (1953), la transparence de l’énoncé littéraire est un
leurre ou une utopie. Sous l’émail des mots, l’opacité laisse entrevoir un bruissement
du sens qui constitue l’essence même de la littérature.

8.3.2. Des mots d’accroche et de connivence

Force est de constater que le récepteur est fortement – et essentiellement -


impliqué dans l’interprétation de ce type de formations hybrides :
« C’est lui (…) l’artisan de cette interprétation, c’est lui qui procède à l’édification de la
construction interprétative » (Grunig, 1990 : 26)
Afin de « caractériser plus précisément le type de jeu de langage que sollicitent les
mots-valises », Fradin (1997) a entrepris un parallèle avec le défigement qui consiste
à « utiliser une expression dont la signification n’est plus compositionnelle (…) dans
un contexte qui rend de nouveau visible l’articulation sémantique. » (105) Si le
défigement « réveille » des images préexistantes, les mots valises font naître des
associations inédites. Au dire de Fradin, ces deux phénomènes se rapprochent
cependant par la dimension du décodage : comme le défigement, « le mot-valise
s’inscrit dans un projet de séduction intellectuelle » et établit « rapport de proximité
interpersonnelle » (105), soit de connivence entre l’énonciateur et le décodeur. Dans
la mesure où un certain nombre des locutions composites relevées dans notre
corpus s’apparentent précisément à des défigements, cet enjeu de connivence nous
semble d’autant plus essentiel : il s’agit en d’autres termes de susciter ce que nous
avons appelé la fonction colludique, soit d’initier l’auditeur au plaisir partagé du jeu
353

de mots et à la révélation du mot d’esprit354. Dans cette perspective, Mots Paumés


élabore des stratégies tournées vers la réception, mettant ses auditeurs sur la voie
de l’interprétation. Si les indices typographiques attestent d’une prosodie adéquate -
les points de suspension correspondant par exemple à des micro-pauses du slameur
-, les répétitions sont autant d’indices et de points d’accroches pour l’auditeur. Nous
avons parfois observé la présence du sous-énoncé (ou formant principal d’une
locution dite composite) dans le cotexte ou d’isotopies qui se déploient à partir du
titre : ce dernier contribue à créer un horizon d’écoute adéquat. D’une manière
générale, nous avons souligné l’importance du cotexte dans l’identification de la lexie
composite qui est le plus souvent associées voire intégrées à des figures telles que
des métaphores et autres jeux de mots de type calembour ou contrepèteries :
« Suppôt de sa peur, il s’attend au pire… » (MP14). Figures des sons et figures de
sens se trouvent alors inextricablement liées.

8.3.3. Des mots de passe et de passage

La création de mots-valises engendre un dépassement des frontières :


« Inscription vivante de la langue dans le corps de la langue, le mot-valise doit son effet
au bonheur précieux et précaire de cette rencontre : dire un indicible, nommer un
innommable et ce faisant, l’instant d’une profération, subvertir des frontières. »
(Grésillon, 1983 : 105)
Au-delà des mots mêlés au sein de ces lexies composites, le tissage du texte se
traduit par une forme de circularité. En effet, les phénomènes d’imbrication que nous
avons analysés ne sont pas sans lien, nous semble-t-il, avec celui des ronds,
caractéristiques de la littérature orale et des comptines enfantines en particulier
(« Trois petits chats, chapeau de paille… »). Léon (1993 : 279) a souligné comment
ces comptines peuvent être désémantisées par un enchaînement qui « repose sur la
reprise de la dernière syllabe comme première syllabe du mot suivant ». A cette
différence près que le jeu n’est pas purement formel mais aussi sémantique, ce
procédé – parfois appelé anadiplose355 – affleure en maints passages des slams de
MP qui se caractérisent par une progression thématique à thème linéaire :

354
Nos trois études néostylistiques se rejoignent d’ailleurs sur ce point : les fonctions sont communes, même si
les formes de créativité apparaissent diversifiées. (voir nos prochains chapitres).
355
« Au début d’une phrase, on reprend en guise de liaison (parfois emphatique), un mot de la phrase
précédente. (…) Une suite d’anadiploses est une concaténation. » (Dupriez, 1980 : 44)
354

« La vie est à bout de souffle... Comme un souffle au cœur... Au cœur de la ville »356

Figure 17 : Progression thématique selon le principe des ronds

Notons la circularité du fait de la paronymie (vie/ville) et l’effet de glissement ou de


fluidité renforcé par l’allitération en [l]357.
Au niveau syntagmatique, un tel enchaînement est aussi possible :
« Bleu uni, Uniforme, formidable machine à formater, à mater (…) » (MP1)

Figure 18 : Progression syntagmatique selon le principe des ronds

D’une certaine façon, le phénomène des collocutions rend compte d’une construction
circulaire, progressant par analogie, mais à la différence des ronds, la collocution
évite la redondance du terme charnière (nous l’avons souligné) qui fait le lien entre
les deux locutions amalgamées :

bouche à bouche + bouche à oreille

bouche à bouche à oreille(r)


Figure 19 : Non redoublement de l’identique dans les collocutions

De même, le mot composite est fondé sur le « non redoublement de l’identique »


(Grunig, 1990 : 59) – soit du segment ou lexème homophone commun aux deux
composants et permettant l’imbrication ou le glissement de l’un à l’autre358 –, à
l’instar du rond qui consiste à « enchaîner les unes aux autres (…) des mots ou des
locutions choisies de telle manière qu’ils se recoupent partiellement, c’est-à-dire que
la première syllabe de chacun doit être phonétiquement identique à la dernière
syllabe de celui qui précède » (Hesbois, 1986 : 34).

356
MP15, nous soulignons.
357
Heybois (1986 : 23) remarque « une préférence marquée pour les liquides » caractéristique des glossolalies
et autres ritournelles enfantines.
358
Grunig (1990 : 62) parle de « mots-valises glissés, au nom de la dynamique qu’on peut leur associer. »
355

8.3.4. Créativité, réflexivité et réécriture

La langue et les pérégrinations poétiques sont l’objet de certains slams de Mots


Paumés comme la série thématique « Mise à flow », « L’âge de vers » et « Sous
l’émail des mots ». Ce dernier texte ne comporte pas moins de 5 mots composites et
12 locutions ajoutées à 3 collocutions. D’où une remarquable affluence de ces lexies
hybrides qui s’inscrivent dans un champ sémantique ayant trait à la langue :
« Orgasme déglinguistique, pour agité du buccal,
Orgymnastique verballadeuse, tourne en rond dans son vocal,
L'addiction est salée : crises d'épilepsie lexicale,
Pétage de vocâble, défenestration par voie orale ! »
Au-delà de cette dimension réflexive, la langue étant appréhendée comme matière et
en tant que telle sujette à de nombreux remodelages et autres modulations, le texte
lui-même étant susceptible d’évoluer au fil de ses déclamations. En témoigne
l’exemple de « Guetteurs du jour » dont nous avons confronté deux versions
successives, rédigées à deux années d’intervalles. Précisons d’emblée que la
réécriture (2011) s’inscrit dans un contexte particulier qui a pu influer sur la forme et
les contenus de ce slam, puisqu’il s’agit d’un spectacle « slam solo » sur le thème de
l’esclavage comme indiqué précédemment. De la première à la seconde de ces deux
versions, notons que la densité de mots et locutions composites a considérablement
augmenté, puisque 5 mots et 2 locutions valises – concentrées dans un même
couplet ajouté à la version initiale – s’ajoutent aux occurrences déjà présentes. Nous
pouvons alors supputer que notre étude ait influé sur l’émergence de ces lexies
hybrides. De l’analyse comparée de ces deux versions359, il ressort que la dimension
phatique est accentuée, comme en témoigne l’ajout de l’injonction « Regarde ! » à
l’incipit du texte. Les répétitions (« Qu’est-ce qu’on cherche au bout du chemin ? »),
en tant que caractéristique majeure de la poésie orale, sont aussi plus nombreuses,
ainsi que les ellipses : « sous sols : essoufflés, forêt : raréfiées, océans : acidifiés ».
Outre ces aspects qui renforcent les traits d’oralité d’un texte conçu pour et baptisé
sur une scène slam, au gré de laquelle il a évolué dans le sens d’une adéquation à
cet enjeu scénique, le slam a gagné en densité, d’où une mise en relief des lexies
relevées comme composites, et trouvé un rythme essentiellement ternaire : « On a
tout déclinventé, tout opprimaginé, tout massacréé ». La création lexicale se trouve
ainsi portée par le rythme et porteuse d’un message poético-polémique.

359
Voir en annexe VI.32.
356

Conclusion partielle

Au fil de ce chapitre, nous avons progressé de l’étude de la néologie – ici


appréhendée sous l’angle et la dénomination de mots composites – à l’analyse d’un
néostyle : notion visant à rendre compte des effets stylistiques engendrés par la
création lexicale dont le potentiel poétique se déploie à l’échelle d’un texte et même
d’une œuvre. Nous touchons là, semble-t-il à l’essence d’une poétique conçue
comme « système et créativité, objet et sujet, forme-sens, forme-histoire ».
(Meschonnic, 1969 : 31) Des mots paumés aux mots filés, nous avons mis au jour
des lexies composites qui piquent la curiosité, essaimées dans des textes dont le
néostyle fait écho au blase du slameur : des mots qui décomposent et dérangent,
fusent en tous sens et finissent par fusionner. L’auditeur risquerait alors d’être
paumé, s’il n’était rappelé au sens grâce aux métaphores filées, le slameur
« métissant sa toile » en conjuguant les figures de style et les styles de figure. En
mariant les mots à l’envi, il répond à cette injonction d’Alain Finkielkraut : « il faut
mêler les mots, les contaminer, les confondre : il faut métisser le vieux dictionnaire. »
(1979 : 7) Non content de mêler lexies simples, complexes et phrastiques, il
entrelace les lexies textuelles et réécrit sans fin, au gré d’une écriture que l’on
pourrait qualifier de palimpsestuelle ou palimpsestueuse selon le néologisme
proposé par Lejeune et repris par Genette dans Palimpsestes (1982 : 452).
357

Chapitre 9

Souleymane
Diamanka ou
l’écriture palimpseste
(néostyle 2)

9.1. Le concept de palimpseste


9.2. Traitement du corpus SD
9.3. Analyse néostylistique

Illustration : Souleymane Diamanka,


« Papillon en papier » (clip vidéo)
vidéo

Photo 4 : Souleymane Diamanka au Parc Paul Mistral,


Grenoble (9 juillet 2011)
358
359

« Qui aime mes poèmes me suive »360

Rares sont les mots-valises dans l’œuvre de Souleymane Diamanka. Ils


surgissent néanmoins dans l’épitexte, le slameur se présentant non seulement
comme auteur d’oralittérature, mais aussi poète métaphoriste361 et afropéen362, sans
oublier le mot hybride d’architexture363 relevé sur une page de bloc-notes (voir infra).
En outre, nous avons identifié d’autres formes d’une créativité qui, contenue en
germe dans ses pages d’écriture, foisonne dans ses poèmes. L’importance de la
rature dans ces avant-textes nous a mise sur la voie d’une écriture palimpseste :
concept qui rend compte à la fois, sur un plan génétique, d’une forme de poésie
fondamentalement mouvante, et sur un plan linguistique, d’énoncés polyphoniques
qui intègrent une parole autre sous la forme de réécritures ou de détournements.
Quant aux sources théoriques, nous nous appuierons d’une part sur les réflexions de
Genette dans Palimpsestes (1982), et d’autre part sur celles de Galisson concernant
les « palimpsestes verbo-culturels » qu’il décrit comme autant de « révélateurs
culturels remarquables, mais peu remarqués » (1995). Nous convoquerons en outre
les écrits des linguistes spécialistes de néologie (Grésillon, Sablayrolles) afin
d’approfondir l’analyse de ces manifestations phraséologiques de créativité. S’il est
vrai que le détournement est un procédé dont les slameurs usent à l’envi, l’œuvre de
Souleymane Diamanka nous est apparue comme la plus riche en la matière, tant
quantitativement que qualitativement. Aussi, à travers un corpus constitué de 56
textes de ce slameur, tenterons-nous non seulement de repérer, d’identifier et de
décrypter ces palimpsestes, mais aussi de les classer et de les analyser en tenant
compte, à l’instar de Galisson, du type de culture mobilisée, et de la façon dont ils
sont conçus, poétisés et intégrés à un néostyle.

360
Souleymane Diamanka, « L’automne des blocs-notes », L’Hiver Peul, 2007.
361
Ce terme peut aussi être interprété comme simple dérivé de « métaphore », mais nous privilégions
l’hypothèse d’un mot composite créé par imbrication, sans apocope ni aphérèse (de « métaphore +
aphorisme »), car les aphorismes sont une ressource poétique importante pour le slameur.
362
De « Afro + européen », avec aphérèse du formant principal.
363
De « architecte (architexte) + texture » (voir infra pour le lien avec Genette).
360

9.1. Le concept de palimpseste

9.1.1. De Genette à Grésillon : de l’hypertextualité au détournement

En quatrième de couverture de Palimpsestes : la littérature du second degré


(1982), Gérard Genette expose en ces termes l’image centrale de son essai :
« Un palimpseste est, littéralement, un parchemin dont on a gratté la première inscription
pour lui en substituer une autre, mais où cette opération n’a pas irrémédiablement effacé
le texte primitif, en sorte qu’on peut y lire l’ancien sous le nouveau, comme par
transparence. »
Galisson (1995 : 43) – désignant sous les initiales « PV » le concept de palimpseste
verbal, puis verbo-culturel ou « PVC » (52) – lui fera écho :
« Dans ma terminologie, le PV évoque le parchemin dont le texte initial a été effacé, puis
remplacé par un autre. En s’y opposant, il fait aussi référence au palimpseste iconique :
tableau qui en appelle, en parodie, ou en cache un autre (par recouvrement). »
Le terme de parodie nous met ici sur la voie de ce qui, d’après Genette, relève d’un
processus d’hypertextualité. Celle-là se distingue de l’intertextualité, mais aussi de la
paratextualité, de la métatextualité et de l’architextualité qui touche à l’appartenance
générique, et désigne un autre type de relations transtextuelles :
« J’entends par là toute relation unissant un texte B (que j’appellerai hypertexte) à un
texte A (que j’appellerai bien sûr hypotexte) sur lequel il se greffe d’une manière qui
n’est pas celle du commentaire. » (1982 : 11)
Il s’agit donc d’un texte – nommé hypertexte – dérivé d’un texte antérieur – ou
hypotexte – par transformation simple ou encore par imitation, d’où l’idée sous-
jacente de parodie (1982 :14)364. Genette insiste sur la dimension ludique propre à
ce type de détournement : « le plaisir de l’hypertexte est aussi un jeu » souligne-t-il
(1982 : 452). Littérature relationnelle ou palimpsestueuse selon le néologisme
emprunté à Lejeune, elle se caractérise en effet par une complicité, une implication
accrue du récepteur dans la lecture, ou, s’agissant de poésie orale, dans
l’auditure (Bobillot) :
« Un texte peut toujours en lire un autre et ainsi de suite jusqu’à la fin des textes. (…)
Lira bien qui lira le dernier. » (1982, 4ème de couverture)
Procédant par là-même à une double substitution (temps → textes, rira → lira), soit à
un double palimpseste, Genette illustre son propos avec efficacité.

Ce dernier a d’ailleurs cité l’exemple des détournements de proverbes qu’il a


analysés comme autant de « déformations parodiques » (1982 : 43) et conclu, en

364
Nous en avons relevé et cité un exemple dans un texte de Damien Noury (in Slam entre les mots, 2007 :
107) : « Nous sommes le cancre au fond d’là classe / Echappé du poème de Prévert, mais nous avons grandi :
nous disons oui avec les yeux, nous disons avec le cœur (…) ».
361

examinant diverses formules, titres, slogans publicitaires et autres pratiques


oulipiennes, qu’il s’agit là d’une sorte de « bricolage » entre deux textes ou énoncés
dont la duplicité nous ramène à l’image du palimpseste. Deux ans plus tard, Almuth
Grésillon crée le mot composite de « bricollage » : « littéralement né d’un collage
bricolant des éléments hétérogènes » (1984 : 116). Elle fait alors référence à la
terminologie Genettienne, soulignant que la notion de parodie recouvre partiellement
ce qu’elle appelle « détournement subversif » mais s’en distancie néanmoins de par
l’approche choisie :
« Notre mode d’approche se veut délibérément linguistique – ce qui explique d’ailleurs
qu’à la différence de Gérard Genette, nous nous soyons restreints aux phénomènes
microstructurels. » (1984 : 125)
De fait, Almuth Grésillon s’est intéressée plus spécifiquement au détournement de
proverbe, qu’elle envisage en tant que discours rapporté ou polyphonique, tout en
évoquant les liens étroits que ce procédé discursif entretient avec la fonction
poétique jakobsonnienne (1984 : 113). Elle observe la duplicité de fonction propre
aux détournements, même si les frontières peuvent être floues :
« Cette pratique peut être mise en œuvre sous deux régimes très différents : l’un
ludique, l’autre militant. Il y a détournement ludique lorsque ce détournement entre dans
le cadre de purs jeux de mots. »
Elle précisera sa pensée en opposant stratégie de captation et de subversion (1984 :
115). Si la captation, précise-t-elle, se distingue de la captatio benevolentiae des
traités de rhétorique, cette dernière n’est pas étrangère à la stratégie de séduction
immanente à notre objet. Grésillon précise en outre les « conditions de réussite »
d’un détournement. D’une part sur un plan morphologique, le détournement apparaît
d’autant plus réussi que la modification apportée au proverbe originel est minimale
(116), qu’il s’agisse de subversion ou de captation. D’autre part, sur un plan
sémantique et de façon différenciée :
« Une captation sera d’autant plus réussie que sera nette la convergence sémantique
entre EO et E1. Une subversion sera d’autant plus réussie que sera plus nette la
contradiction sémantique entre EO et E1. (1984 : 116)
Cette opposition nous semble pertinente pour rendre compte d’une divergence entre
rappeurs et slameurs qu’illustre ce double exemple de détournement, l’un subversif,
à visée polémique, l’autre captatif et dont la vocation poétique est renforcée par une
rime interne365 :

365
Notons en l’occurrence (exemple E2) l’écho sonore généré par l’ajout du syntagme « mes poèmes », d’où la
répétition de la syllabe [Em] qui met en relief le lexème correspondant : aime.
362

Proverbe (E0) : Qui m’aime me suive

Détournement rap (E1) : Que ceux qui m’aiment ne me suivent pas (Booba)

Détournement slam (E2) : Qui aime mes poèmes me suive (SD)

Figure 20 : Détournements subversifs et captatifs, du rap au slam

Un autre exemple de Booba vient corroborer notre hypothèse. La citation de


Nietzsche « Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » – reprise sans
modification par GCM (2006) – est ainsi détournée par le rappeur : « Ce qui ne tue
pas rend plus fort ou handicapé »366. En l’occurrence, c’est bien la subversion qui
ressort de cette célèbre punchline. A l’instar des surréalistes qui ambitionnaient de
s’éloigner des stéréotypes de la langue ordinaire pour mieux libérer les mots, les
rappeurs prennent leurs distances par rapport aux clichés et autres références à une
culture « académique » comme les sentences de La Fontaine qui sont souvent
tournées en dérision (voir infra). Grésillon souligne donc l’ambivalence du
détournement qui se prête autant à la captation qu’à la subversion voire à la
perversion :
« La perversion de proverbes offre un exemple de la pratique oulipienne que F. le
Lionnais nomme « prothèse littéraire » ». (1984 : 122)
Elle illustre son propos par d’autres exemples littéraires tels que les 152 proverbes
d’Eluard et Péret (1925)367, Le Mariage des proverbes de Richard Pietrass (1980)368,
les poèmes à perverbes de Matthews (1987)369 et les Dédicaces. Proverbes de
Meschonnic (1995)370. Enfin, Almuth Grésillon pose les bases d’une typologie en
indiquant que les procédés de détournement les plus courants consistent à :
« a/ substituer des phonèmes
b/ substituer des termes sans similitude phonique nette
c/ adjoindre des éléments au proverbe E0
d/ jouer avec la négation
e/ fondre deux proverbes » (1984 : 116)
Une typologie que Galisson s’attachera, quelques dix années plus tard, à préciser.

366
« Tout ce qu’on connaît ». Ce détournement est réputé pour être l’un des meilleurs punch lines du rap (voir
notre glossaire).
367
Genette (1982 : 44) cite aussi ce texte comme “l’exploitation la plus systématique, ou la plus copieuse, du
procédé”, soulignant que “à de très rares exceptions près, le principe est celui de la substitution : çà et là par
métaplasme phonique (…), le plus souvent sans aucune motivation formelle.”
368
Hochzeit der Sprichwörter, in Richard Pietrass (1980), Notausgang, Aufbau Verlag, Berlin-Weimar, pp.37-39.
369
Détournements fondés sur la combinaison de moitiés de proverbes cités littéralement : « Araignée du
matin, chagrin d’amour dure toute une vie ».
370
« J’avais besoin de m’enfouir, pour me trouver, dans cette étrange parole des autres que sont les
proverbes », expliquera Henri Meschonnic (entretien consulté en ligne : voir notre sitographie).
363

9.1.2. Les Palimpsestes Verbo-Culturels

Galisson a repris à son compte l’image genettienne du palimpseste, tout en se


positionnant en tant que linguiste et didacticien des langues-cultures. De fait, il a
entrepris de montrer en quoi la délexicalisation des objets phraséologiques met en
œuvre des savoirs culturels (lexiculturels) partagés par les natifs - mais très souvent
ignorés par les étrangers - et de repérer les principaux types de culture mobilisés
dans cette pratique. Obstacle potentiel à la compréhension d’un locuteur étranger, le
palimpseste verbal – ou verbo-culturel en tant qu’il contient ce que Galisson nomme
la charge culturelle partagée ou CCP (1991 : 120) – est ainsi défini :
« J’intitule donc palimpseste verbal (PV) : un énoncé complet (auto-suffisant) ; ou un
élément d’élément d’énoncé suivi, qui a fait surépaisseur, par rapport à l’énoncé complet
ordinaire, ou dans la linéarité de l’énoncé suivi. Cette surépaisseur (implicite) est le
produit du chevauchement : d’un sous-énoncé lexicalisé et d’un sur-énoncé résultant de
la déconstruction (délexicalisation) du sous-énoncé de base. » (1995 : 43)
En d’autres termes, il s’agit d’un télescopage de formes dont la rencontre improbable
peut même aboutir à ce que le linguiste qualifie de « palimpseste valise » (1995 : 52)
et dont nous avons eu un premier aperçu avec le corpus de Mots Paumés. Le
palimpseste représente un haut lieu de créativité, s’agissant de « revisiter, rajeunir
les clichés » en transformant un groupement stable en groupement libre : « La
délexicalisation consiste à braver les interdits » (1995 : 45). Dès lors, il peut être
conçu non seulement comme un « jeu de l’esprit, générateur de plaisir partagé » et
balisant un « espace d’inventivité/fécondité langagière tout à fait estimable », mais
aussi comme un moyen pour le locuteur ou l’auteur « de manifester sa solidarité
avec ceux qui se réclament de la même culture partagée » (1995 : 45). Ainsi le
palimpseste prend-il en charge des fonctions ludique, phatique et parodique, à la fois
cryptique et conniventielle, voire des stratégies identitaires371. Par la référence à une
mémoire collective, à un fonds culturel commun, il constitue en effet une marque de
connivence, « un clin d’œil complice », un élément pouvant s’inscrire dans une
stratégie de séduction :
« C’est ce qui donne aux interlocuteurs le moyen de se reconnaître, de baliser leur
espace de communication. C’est aussi ce qui permet à l’émetteur de faire basculer le
récepteur dans son camp, de le manipuler (il est suggesteur, l’autre suggesté), de le
fidéliser au discours qui lui est tenu… » (1995 : 44)

371
« Cette manière d’afficher son identité, donc sa différence, et de manifester, a contrario, du détachement,
de l’humour, de la dérision vis-à-vis de sa propre culture, est une façon intéressante, parce que non convenue,
de briser les stéréotypes et le carcan de l’ethnocentrisme, pour s’inscrire dans l’universel. » (1995 : 45)
364

S’agissant du slam, force est de constater que cet enjeu pourra être décisif, dans
la perspective d’une recherche d’interactivité avec un public qu’il peut être
nécessaire, dans certains contextes, de conquérir. Notre propos rejoint ici la réflexion
de Jean-François Sablayrolles (2003), concernant les détournements dans les
slogans publicitaires. Le linguiste fait état de la fonction d’accroche et de séduction
propre à ce type de détournements qui repose aussi sur l’ « auto-satisfaction du
récepteur dont l’amour propre est flatté » – en quoi le détournement rappelle le mot
d’esprit freudien – et sur « un sentiment de complicité, connivence, qui fait appel à un
aspect ludique, à des connaissances partagées » (2003 : 38).

En outre, Galisson s’est intéressé aux aspects didactiques : si la « signification


bourgeonnante très caractéristique du palimpseste » (1995 : 46) représente une
difficulté indéniable, il n’en constitue pas moins un objet intéressant, ne serait-ce que
pour la charge culturelle qu’il véhicule372. Ainsi :
« le PV est à la fois une citation masquée (par altération), qui appelle des souvenirs
communs et une porte didactique, qui ouvre sur les formes de culture que privilégie la
communication ordinaire. » (1995 : 44)

En vue d’établir une typologie des modes de délexicalisation, le linguiste a distingué


d’une part, les délexicalisations avec ou sans filiation phonique, d’autre part, les
délexicalisations avec ou sans déstructuration syntaxique (1995 : 46) : typologie que
nous revisiterons en l’appliquant à notre propre corpus dans la suite de ce chapitre.
Nous l’avons synthétisée dans le tableau ci-après :

372
Nous y reviendrons dans la troisième partie de cette étude, notamment dans notre chapitre 13.
365

1. Délexicalisation avec 1.1.Sans 1.1.1.Conservation à l’identique


filiation phonique modification 1.1.2.Substitution 1.1.2.1.Mot à mot,
homonymique sans ou avec
conversion
1.1.2.2.Mot(s) à mot(s),
avec changement de
catégorie
1.2.Avec 1.2.1.Substitution 1.2.1.1.Sur un
modification paronymique phonème
1.2.1.2.Sur deux
phonèmes
1.2.2.Suppression phonémique
1.2.3.Adjonction phonémique
1.2.4.Permutation 1.2.4.1.Mot à mot
phonémique,
syllabique ou
morphémique 1.2.4.2.Mot(s) à mot(s)
(contrepèterie)

1.2.5.Agglutination morphémique
1.2.6.Fragmentation morphémique
2. Délexicalisation sans 2.1.Sans 2.1.1.Substitution d’un 2.1.1.1.nom
filiation phonique déstructuration mot de même 2.1.1.2.verbe
syntaxique catégorie 2.1.1.3.adjectif
2.1.2.Substitution de plusieurs mots de même
catégorie
2.2.Avec 2.2.1.Substitution de 2.2.1.1.D’un nom
déstructuration mots ou groupes de propre à un nom
syntaxique mots de catégories ou commun
fonctions différentes 2.2.1.2.D’un adjectif à
un nom propre
2.2.1.3.D’un syntagme
à un nom propre
2.2.1.4.D’un nom
commun à une lexie
2.2.1.5.D’un épithète à
un complément de
nom
2.2.2.Substitution de 2.2.2.1.De l’affirmation
mots avec à la négation
transformation du 2.2.2.2.De la négation
mode ou du temps à l’affirmation
2.2.2.3.De la négation
à l’interrogation
2.2.2.4.Du passé au
présent
2.2.3.Déstructuration syntaxique maximale
2.2.4.Collision de deux 2.2.4.1.Palimpseste-
sous-énoncés valise
2.2.4.1.Palimpseste
amalgame

Tableau 18 : Typologie formelle des modes de délexicalisation (d’après Galisson, 1995 : 47-
52)

Il s’est aussi livré à une analyse thématique des contenus, d’où une seconde
typologie en vertu des modes de cultures mobilisées, au sein desquels il différencie
366

« culture cultivée (ou institutionnelle) », « culture culturelle (ou expérientielle) » et


« culture croisée (ou métissée) » (1995 : 53).

1. Culture cultivée 1.1.Titres (œuvres 1.1.1.littéraires 1.1.1.1.romans


(ou institutionnelle) légitimées) 1.1.1.2.pièces de
théâtre
1.1.1.3.poésies
1.1.1.4.nouvelles
1.1.2.philosophiques
1.1.3.artistiques 1.1.3.1.musique
1.1.3.2.peinture
1.2.Citations (œuvres 1.2.1.littéraires
légitimées) 1.2.2.religieuses
1.2.3.philosophiques
1.3.Connaissances 1.3.1.historiques 1.3.1.1.évènements
générales 1.3.1.2.personnages
1.3.2.mythologiques
1.3.3.linguistiques
1.3.4.scientifiques
2. Culture culturelle 2.1.Titres de 2.1.1.films
(ou expérientielle) productions 2.1.2.chansons
médiatisées 2.1.3.émissions et jeux télévisés
2.1.4.ouvrages non légitimés
2.1.5.bandes dessinées
2.2.Paroles de 2.2.1.chansons
productions 2.2.2.films
médiatisées 2.2.3.bandes dessinées
2.2.4.discours politiques
2.3.Formules d’usage 2.3.1.lexies
courant 2.3.2.gallicismes
2.3.3.proverbes
2.3.4.dictons
2.3.5.préceptes
2.3.6.devises
2.3.7.adages
2.3.8.aphorismes
2.3.9.slogans 2.3.9.1.publicitaires
2.3.9.2.politiques
2.3.10.autres expressions
2.4.Connaissances 2.4.1.évènements 2.4.1.1.politiques
diverses actuels 2.4.1.2.sportifs
2.4.2.évènements rituels
3. Culture croisée (ou 3.1.Titres et paroles 3.1.1.chansons populaires
métissée) 3.1.2.contes
3.2.Citations religieuses banalisées
3.3.Connaissances historiques folklorisées
Tableau 19 : la culture mobilisée dans les palimpsestes d’après Galisson (1995 : 53-62)

Au vu de cette « carte des savoirs culturels nécessaires pour repérer et décoder les
palimpsestes » (1995 : 62), il a souligné que :
367

- dans l’ordre du cultivé, les titres des œuvres dites légitimées sont plus fréquemment
mobilisées que des citations issues de ces mêmes œuvres373 ;

- dans l’ordre du culturel, la phraséologie (en l’occurrence, les « formules d’usage


courant ») constitue un réservoir privilégié des sous-énoncés des palimpsestes ;

- dans l’ordre du croisé, les contes pour enfants, chansons populaires et


connaissances historiques folklorisées sont des sources actives de sous-énoncés.

D’une manière générale, le détournement consiste à « faire du neuf avec du


vieux » (Sablayrolles, 2003 : 36), à renouveler et recycler des mots éculés en
redonnant « vigueur à des locutions, des mots composés, auxquels, habituellement,
on accorde peu d’importance » (Habert & Fiala, 1989 : 86). Il s’agit aussi de parier
sur l’éphémère, ce qui rejoint une poétique de l’immédiateté qui n’est pas sans
rappeler la fulgurance du mot d’esprit freudien : « On crée un éclair langagier. »
(Habert & Fiala, 1989 : 97)

9.1.3. Les palimpsestes dans le rap français

Jacqueline Billiez (1997) et à sa suite, Cyril Trimaille (1999), ont prolongé la


réflexion de Galisson en l’appliquant à un corpus de textes de rap. La sociolinguiste
a identifié la délexicalisation avec filiation phonique comme le procédé le plus
fréquent, soulignant que « l’effet comique est d’autant mieux réussi que les
signifiants sont très proches et les signifiés très éloignés » (1997 : 145). Elle a illustré
son propos par des exemples de modification par agglutination morphémique et
déstructuration phonique (« Un pour tous, tous pourris »), de suppression d’un
phonème (« Les bons cons font les bons amis ») ou de substitution paronymique
portant sur deux phonèmes (« Chassez le naturel, il revient au ballon »). Elle a
observé que dans le rap, les fables et chansons enfantines ou comptines célèbres
sont souvent l’objet d’une déconstruction/reconstruction à visée parodique voire
satirique. De même pour les titres d’œuvres littéraires ou – le plus souvent –
cinématographiques comme en atteste l’exemple de « Primate des caraïbes », titre
récent de la rappeuse Casey (2009) et résultant d’une double substitution pour
« Pirate des Caraïbes ». Nous voyons là une différence majeure avec nos textes de

373
Selon l’analyse genettienne : « Tout énoncé bref, notoire et caractéristique et pour ainsi dire naturellement
voué à la parodie. Le cas le plus typique et le plus actuel est sans doute celui du titre. » (1982 : 44)
368

slam : l’effet polémique ou comique y est plus rarement visé comme en témoigne
notre corpus SD, où la recherche poétique apparaît dénuée de toute intention
satirique. Ce slameur étant issu du rap, son écriture reste empreinte de certains topoï
et procédés dont il tend cependant à se distancier.

Cyril Trimaille a analysé plus précisément, outre les phénomènes formels, les
contenus culturels véhiculés par les palimpsestes qu’il décrit, à la suite de Grésillon,
en termes d’énoncés polyphoniques (1999 : 89). Il s’est référé à la pensée de
Richard Shusterman (1991) qui interprète le rap comme une rupture avec le
caractère unique, sacré, définitif et inviolable de l’art, illustrant cette thèse par une
comparaison avec les séries de Warhol, où l’artiste s’approprie du “vulgaire” et
l’agence en le reproduisant pour en faire son œuvre, pour établir que « le rap est
souvent décrit comme un art de la réappropriation, de la reprise. C’est aussi un art de
la parodie. » (Trimaille, 1999 : 76). Au-delà de la polyphonie proprement dite, que
nous avons analysée en termes d’intervocalité (Zumthor), nombreuses sont les
références culturelles et autres proverbes qui font l’objet de « mutations
polyphoniques » (Trimaille, 1999 : 80) : celles-là affectent notamment les formes
ordinaires (77), par opposition aux formes dites cultivées (86)374. Libérés de leur
forme figée, les proverbes et citations accèdent ainsi à une valeur contestataire ou
pédagogique, comme en témoigne l’exemple de « Petit frère » : « Petit frère veut
grandir trop vite/ Mais il a oublié que rien ne sert de courir […] Il vient à peine de
sortir de son œuf/ Et déjà Petit frère veut être plus gros que le bœuf » (IAM, 1997).
Pierre-Antoine Marti (2006) a exploré les références à La Fontaine au sein de
l’écriture rapologique :
« Leur caractère à la fois moral et subversif convient bien à l’esprit du rap, et les artistes
reprennent à leur compte les sentences du fabuliste pour les transposer dans leur
époque, en vue de transmettre une certaine sagesse. » (2006 : 145)
Au sein de notre corpus SD, nous avons relevé une référence à La Fontaine dans le
duo avec GCM intitulé « Sixième silence » : « J’ai entendu rompre le chêne et plier le
roseau. » Même si certains auteurs comme La Fontaine ont les faveurs des
rappeurs, le rapport à la littérature est généralement distancé dans le rap, ce que
Marti explique par « le lien ambigu entretenu avec l’enseignement scolaire et la
374
Parmi les formes dites « cultivées », Trimaille relève de nombreuses références à la mythologie. Il évoque
aussi des formes « intermédiaires », catégorie hybride intégrant des éléments de culture scolaire, religieuse ou
connaissances d’ordre « général » : « On y trouve des formes qui pourraient être qualifiées de cultivées, mais
auxquelles les modalités d’acquisition ou la familiarité et le caractère quotidien confèrent un aspect
“vulgarisé” », précise-t-il (1999 : 83).
369

culture académique française » (144). Une ambiguïté que l’on retrouve


ponctuellement à l’œuvre dans certains poèmes de Souleymane Diamanka qui
décrit, à l’instar de Jean-Michel Basquiat, son art comme de « l’art ignare » :
« Je n’ai pas beaucoup fait l’école, les profs m’appelaient espèce d’idiot/
Si tu les croises, dis-leur que je gagne ma vie à la sueur de mon stylo »
Il s’agit là d’un topos de l’écriture rapologique, d’après P.-A. Marti qui constate « une
auto-définition du rap comme un « art sale », par opposition consciente ou
inconsciente aux « Beaux-Arts » » (2006 : 56). De la même façon, on retrouve dans
les textes du poète-slameur des thématiques chères aux rappeurs comme la
dialectique du bien et du mal qui culmine dans le texte « Des voix dans ma tête »375.
Au dire de son auteur376 (entretien du 24/09/10), ce slam est inspiré du film « Le
silence des agneaux ». P.-A.Marti nous rappelle d’ailleurs que « certains raps sont
construits comme des séquences de cinéma. » (2006 : 53) et que « le media
télévisuel est un moteur essentiel dans la construction de la mythologie du rap. »
(2006 : 137) Quid de la mythologie du slam que nous nous proposons d’explorer?

9.2. Traitement du corpus SD

S’agissant des textes de Souleymane Diamanka, notre corpus est ainsi réparti :
• d’une part, 15 textes issus de son premier album solo, L’hiver peul (2007377) ;
• d’autre part, 41 textes composés « à quatre mains » - avec John Banzaï – et
publiés sous le titre J’écris en français dans une langue étrangère (2007)378.

Ces 56 textes379 seront soumis à un double classement : nous distinguerons d’abord


les titres en fonction des types de sous-énoncés, puis nous analyserons les
palimpsestes identifiés dans les textes sur un plan morphologique en les différenciant
selon les procédés formels, soit les types de modifications apportées du sous-
énoncé au sur-énoncé380.

375
« La confrontation avec la figure du mal prend souvent la forme d’un combat direct avec lui, à valeur
symbolique » (Marti, 2006 : 155)
376
Entretien du 24/09/10, voir en annexe III.9.
377
Ce corpus sera noté SDα (+ numéro du texte) dans la suite de ce chapitre.
378
Ces textes ont d’abord été déclamés lors d’une émission de radio (voir notre chapitre 2). Ce corpus sera
noté SDβ (+ numéro du texte). La numérotation des textes renvoie aux annexes, l’ordre choisi étant conforme à
la présentation adoptée pour le recueil, à la playlist pour l’album. L’ensemble des textes figure en annexe VII.
379
A ce corpus nous ajoutons, pour les besoins de l’analyse stylistique et en vue de notre exploitation
didactique, le texte « Je t’aime Ndeysaan » que nous avons transcrit à l’écoute (voir en fin de chapitre).
380
Nous reprendrons ici à notre compte la terminologie de Galisson, précédemment établie.
370

9.2.1. Péritexte : les titres

Le slameur d’origine sénégalaise n’a de cesse de réaffirmer l’importance


attribuée aux titres dans son œuvre : une fois choisi, le titre constitue en quelque
sorte le fil rouge de son slam qu’il écrit alors « à reculons » jusqu’à retomber sur
cette émotion initiale. Dans ces conditions, il nous est apparu particulièrement
opportun de nous livrer à une analyse des titres choisis. S’agissant du premier
corpus – que nous appellerons SDα –, nous avons relevé 3 palimpsestes, soit 1/5
des 15 titres. Quant au second corpus (SDβ), il comprend 44 titres – 3 titres de
« sections » ou chapitres s’ajoutent aux 41 titres de textes – dont 1/3 (13) se
caractérise par une structure palimpsestuelle : on peut alors émettre l’hypothèse que
la polyphonie résultant d’une écriture en duo est ici intégrée au cœur même des
énoncés, ou encore que le détournement fait l’objet d’une sorte d’exercice de style
encourageant l’émulation entre les deux slameurs. Nous les avons classés selon le
type de sous-énoncé, de façon complémentaire au classement établi en annexe VII :
Type de sous-énoncé Sur-énoncé Sous-énoncé
Titres (4) Les poètes se cachent pour Les oiseaux se cachent
381
écrire (SDα1) pour mourir
382
Le rideau me méduse Le radeau de la méduse
(SDβ17)
383
Il a vraiment neigé sur Il a neigé sur Yesterday
Yesterday (SDβ24)
Au nom des liens (SDβ28) Au nom de tous les
384
miens
Injonctions/pragmatèmes (voir infra) Mon prochain t’aime (SDβ7) Aime ton prochain
formules orales (2) Suivez le vide (SDβ8) Suivez le guide
Synapsies, collocations et locutions (9) Marchand de sable (SDα3) Marchand de cendres
Sixième silence (SDα10) Sixième sens
Cours de chance (SDβ9) Cours de chant
Exercice de fiction (SDβ15) Exercice de diction
Bleue ma rime (SDβ19) Bleue marine
Etoile insolente (SDβ20) Etoile filante
Marées brunes (SDβ22) Marée noire
(j’apporte) la prose à ta (faire du) porte à porte
porte (SDβ30)
La clé porte-bonheur Porte clé + porte-
385
(SDβ33) bonheur
Trou de deux mémoires Trou de mémoire
(SDβ38)
Tableau 20 : Classement des titres (corpus SD)

381
Feuilleton télévisé américain réalisé par Daryl Duke d'après le roman best-seller de Colleen McCullough et
diffusé en 1983 sur ABC. Nous avons souligné les termes qui ont fait l’objet d’une substitution ou modification.
382
Tableau peint de Géricault (1817 -1819), exposé au Louvre.
383
Chanson composée par Jean-Claude Petit (paroles Michel Jourdan) et interprétée par Marie Laforêt (1977),
en hommage aux Beatles (Yesterday, 1965).
384
Livre autobiographique de Martin Gray dont le récit est recueilli par Max Gallo et paru en 1971.
385
Il s’agit d’un palimpseste-valise (voir infra).
371

Sur le plan des contenus culturels mobilisés, on observe donc au seuil de ces
textes la prégnance d’un certain formulisme (Zumthor) caractéristique de la poésie
orale386. Au vu de ces titres, nous pouvons d’ores et déjà émettre l’hypothèse que le
néostyle de ce slameur sera empreint d’une culture essentiellement orale, de l’ordre
de l’expérientiel, avec la phraséologie comme réservoir privilégié de sous-énoncés.
S’agissant de Souleymane Diamanka, cette culture est d’autant plus métissée
(Galisson, 1995 : 53) qu’il se définit comme peul bordelais :
« La plus grande richesse que j'ai reçu du peuple peul c'est la culture. C'est à dire la
langue, l'éducation, les chants, les contes, l'Histoire. Il y a tout dans la culture c'est la
387
véritable richesse. »
Sur un plan formel, la déstructuration syntaxique - du sous-énoncé au sur-
énoncé - demeure exceptionnelle ; nous en avons repéré seulement deux exemples :
« Le rideau me méduse » et « Mon prochain t’aime ». La substitution paronymique
simple est le procédé le plus fréquent (guide → vide, fiction → diction), permettant
une identification aisée du sous-énoncé. Un seul cas d’absence de filiation phonique
apparaît : « marée brune ». Outre les détournements de type paronymique ou
homonymique, notons la présence d’une néographie à travers le titre « L’homme
en ?uestions » - particulièrement inventif - s’agissant du dernier texte du recueil.

9.2.2. Classement des palimpsestes d’après le type de filiation

a/ Avec filiation phonique

• Avec substitution graphique

Exemple : L’homme en ?uestions


questions

« L’homme en ?uestions » (β41) constitue un exemple de palimpseste avec


modification purement graphique par substitution du point d’interrogation au « q » de
questions : outre la ressemblance graphique, il s’agit d’une mise en abyme de ce
signe de ponctuation emblématique de la question.

• Avec substitution homonymique

Exemple : le feu passe au vers


au vert

386
Nous reviendrons sur ce concept de formule (voir infra).
387
D’après l’interview consultée sur le site Agenda Dakar : « Que le mot soit perle » (voir en sitographie)
372

Un second type de palimpseste se caractérise par une substitution de type


homonymique, comme dans les exemples suivants dont les deux premiers reposent
sur la double homonymie vers/vert et voie/voix388 :

 « Le feu passe au vers » (α1) pour « au vert »


 « J’ai trouvé ma voix dans cette écriture » (α4) pour « ma voie »
 « en vers et contre tous » (β19) pour « envers »
 « une voix de fée » (β22) pour « une voie de fait »389

Ce dernier exemple résulte d’une double substitution homonymique.

• Avec substitution paronymique : modification d’un phonème ou d’une


syllabe, voire de plusieurs (la trame phonologique étant conservée)

Exemple de substitution simple : l’école des flammes


des femmes
des fans

Exemple de double substitution390: baiser les cieux [z] [s]


baisser les yeux [s] [z]

Par substitution paronymique, nous entendons tout remplacement d’un lexème par
un autre qui s’en approche phonétiquement, et par paronomase la figure de style
associée391. Si une telle figure s’apparente à l’à-peu-près392, nous éviterons toutefois
d’employer cette dénomination péjorative qui ne nous semble pas apte à rendre
compte du potentiel poétique d’un tel procédé. En effet, Françoise Gadet (1992 :
119) y voit l’une des manifestations d’un rapport ludique à la langue relevant du
discours populaire voire d’un registre argotique. En ce qui concerne notre corpus,
nous verrons que ce procédé est poétisé de diverses manières.

La suppression d’un phonème (nous l’avons souligné) par rapport au sous-


énoncé demeure un procédé minoritaire, dont nous avons relevé deux occurrences :
« rimes passionnelles » (α4) pour « crimes passionnels » et « en additionnant des

388
Notons l’auto-référencialité de ces lexèmes qui font référence à l’écriture poétique et à l’oralité.
389
Notons cependant l’opposition [e]/[E] (fée/fait) qui tend à disparaître en syllabe ouverte.
390
En l’occurrence cette substitution est double en tant qu’elle affecte deux lexème mais basée sur une même
alternance [s]/[z] de façon croisée : [bese] → [beze], [lezj2]→ [lesj2].
391
« Rapprochement de mots dont le son est à peu près semblable mais dont le sens est diffèrent. (…) Les
paronymes (c’est-à-dire les mots qui sont presque homonymes) fournissent naturellement les meilleures
paronomases, mais non les seules valables » (Dupriez, 1980 : 333).
392
« Double sens obtenu par un léger déplacement, sans contrepartie, d’un ou deux phonème(s) d’une phrase
ou d’un syntagme. (Il) ne peut s’établir que dans le cadre d’une expression figée ou bien connue (…) Au sens
large, l’à peu près désigne un « emploi légèrement impropre », une « tournure un peu gauche », un « langage
approximatif » » (Dupriez, 1980 : 59)
373

ombres » pour « des nombres » (β28)393. L’ajout d’un phonème n’est guère plus
productif dans notre corpus. Seules les trois occurrences suivantes relèvent de ce
procédé : « les bastons du diable » (α7) pour « bâtons du diable »394 ; « les crayons
du soleil » (β39) pour « rayons du soleil » ; « l’école des flammes » (β40) pour
« l’école des fans / des femmes »395. En revanche, la substitution d’un phonème
est fréquente comme en témoignent les dix-huit exemples suivants :

 « la crime-team » (α8) pour la « dream-team » [k/d]


 « les douleurs de peau » (α12) (β31) pour « les couleurs de peau » [d/k]
 « ces questions s’opposent » (α12) (β31) pour « se posent » [o/2]
 « l’école fraternelle » (β2) pour « l’école maternelle » [fR/m]
 « suivez le vide (β8) pour « suivez le guide » [v/g]
 « un grain de fable » (β10) pour « un grain de sable »396 [f/s]
 « exercice de fiction » (β15) pour « exercice de diction » [f/d]
 « remonter le vent » (β17) pour « remonter le temps » [v/t]
 « bleue ma rime » (β19) pour « bleue marine » [m/n]
 « les ratures mortes » (β23) pour « les natures mortes » [r/n]
 « absent ! grave » (β23) pour « accent grave » [b/k]
 « le sommeil brille » (β24) pour « le soleil brille » [m/l]
 « au nom des liens » (β28) pour « au nom des miens » [l/m]
 « enfermée à double tort » (β33) pour « à double tour » [O/u]
 « sauvez les guides » (β33) pour « suivez le guide »397 [o/ui]
 « une raison hantée » (β 37) pour « la maison hantée » [r/m]
 « la concordance des vents » (β37) pour « la concordance des temps » [v/t]
 « les doutes de naissance » (β40) pour « les dates de naissance » [u/a]398

D’autres palimpsestes sont créés par mutation syllabique, soit par ajout, soit par
suppression (une occurrence, marquée*), soit par mutation (une occurrence**), d’une
syllabe (nous l’avons soulignée) au lexème initial, comme les quatorze exemples
suivants :

 « chacun purge sa pénombre » (α1) pour « sa peine »


 « il n’y a pas un chagrin dehors » (α5)399 pour « un chat »
 « je brise la loi des saisons »** (α5) pour « des séries »
 « avec un chagrin dans la gorge » (α5) pour « un chat »
393
La suppression d’un graphème à l’écrit se traduit par une substitution à l’oral : [deno~bR]→ [dezo~bR].
394
Voir infra : Notons ici la parenté étymologique entre les deux lexèmes (bâton venant de l’ancien français
baston) et le rôle du cotexte amont dans l’identification du sous-énoncé (« ils jouent aux… »).
395
Ce titre d’émission télévisée résulte lui-même d’un détournement (par le même procédé) du titre de la
pièce de Molière : L’école des femmes.
396
« un grain de folie » peut aussi être interprété comme sous-énoncé, mais il est plus éloigné phonétiquement.
397
A la substitution paronymique s’ajout ici une mutation syntaxique : passage du singulier au pluriel.
398
Notons que la majorité des oppositions (14/18) sont consonantiques, la structure vocalique étant conservée.
399
Ce palimpseste est mis en relief par le mode d’insertion dans le discours : « regarder par la fenêtre et dire…»
374

 « sixième silence » (α10) pour « sixième sens »


 « ingénieur du songe » (β6) pour « du son »
 « le cours de chance » (β9) pour « de chant »
 « son tour de chant »* (β9) pour « de chance »
 « mon professeur de chance » (β9) pour « de chant »
 « collées au murmure » (β11) pour « au mur »
 « s’apprendre l’affection » (β22) pour « se prendre d’affection »400
 « cent une étoiles ont effilé » (β25) pour « filé »
 « Pardonnez-moi une seconde chance » (β39) pour « donnez-moi »
 « Quelle erreur est-il ? » (β39) pour « quelle heure »
 « l’encyclopédie des silences » (β41) pour « des sciences »401

On observe que pour la majorité de ces palimpsestes, la modification apportée


procède d’un ajout : le sous-énoncé étant inclus dans le sur-énoncé s’avère d’autant
plus aidément identifiable. Enfin, un certain nombre d’occurrences relèvent de
mutations multisyllabiques avec altération de la trame consonantique, la structure
vocalique étant le plus souvent conservée :

 « Je traînais, je traîne et je traînerai » (α7) pour « je t’aimais, je t’aime et je


t’aimerais »
 « Nul n’est poète en son pays » (α7) pour « Nul n’est prophète… »
 « Embrasser la nuit sur les rêves » (β4) pour « sur les lèvres »
 « la prose à ta porte » (β30) pour « le porte à porte »402
 « en rendant grâce aux yeux » (β39) pour « grâce à Dieu »

Plus rarement, une double substitution paronymique est opérée : « baiser les cieux »
pour « baisser les yeux » (β28). Nous avons identifié un dernier type de substitution
où la filiation phonique est réduite à un seul phonème. Ce phonème se situe le plus
souvent en position initiale (nous l’avons souligné) :

 « marchand de cendres » (α3) pour « de sable » = phonème initial commun [s]


 « chacun cherche sa veine » (β8) pour « sa voie » = [v]
 « le vent exaucé » (β9) pour « le vœu » = [v]
 « vaincre ou mourir » (β28) pour « vivre ou mourir » = [v] + [R]

Le phonème commun pourra cependant se trouver en position finale, à la rime :


 « rince-toi l’oreille » (α2, α5) pour « rince-toi l’œil = [l] + [j]
 « effacez les guillemets » (β14) pour « ouvrez » = [E]
 « étoile insolente » (β20) pour « filante »= [la~t]

400
La construction syntaxique fait ici l’objet d’une variation : se prendre d’affection → s’apprendre l’affection.
401
Notons la double occurrence de cette substitution : sens/science → silence.
402
On retrouve ce même palimpseste chez Rouda (2007) : « nous ferons du prose à porte ». Notons cependant
l’opposition fermeture/ouverture [o]/[O] : [pRoz]/[pORt].
375

b/ Sans filiation phonique :

Exemple de substitution simple : je gagne ma vie à la sueur de mon stylo


front

Exemple de double substitution : le sens inverse des aiguilles d’une montre


gouttes pluie

Les palimpsestes qui font l’objet d’une délexicalisation sans filiation phonique sont
plus rares dans notre corpus. Certains énoncés sont produits sans déstructuration
syntaxique – la matrice d’articulation des constituants étant conservée – ce qui
facilite le repérage du sous-énoncé : ils résultent de la substitution métaphorique
d’un nom à un nom - « à la sueur de mon stylo » (α2) pour « de mon front » - ou d’un
adjectif à un adjectif relevant du même champ sémantique - « la lune brune » (α13)
pour « la lune rousse », « marée brune » (β22) pour « marée noire », « l’étoile
bleue » (β22) pour « l’étoile jaune » - ou encore d’un nom à un pronom : « envers et
contre brise » (β14) pour « envers et contre tout/tous ». On observe une occurrence
de double substitution : « Le sens inverse des gouttes d’une pluie » (β1) pour
« des aiguilles d’une montre ». Enfin, certains détournements procèdent par ajout
d’un lexème, qui peut produire un écho sonore (aime/poème) :

Qui / aime / mes poèmes/ me suive.403

Qui /m’aime / me suive.

 « Qui aime mes poèmes me suive » (α5) pour « qui m’aime me suive »
 « Il a vraiment neigé sur Yesterday » (β24) pour « Il a neigé… »
 « Trou de deux mémoires » (β38) pour « trou de mémoire »

c/ Avec déstructuration syntaxique « maximale » (Galisson, 1995 : 51)

Quant aux détournements avec destructuration syntaxique, ils rendent compte le


plus souvent d’une inversion, soit d’une permutation de deux lexèmes au sein d’un
même énoncé, par exemple pour « une étoile danseuse » (α11), « Mon prochain
t’aime » (β7), « de lois sans toits » (β22) et « Ouvre-moi ces âmes » (β33) :

403
Notons ici une déstructuration syntaxique « minimale » avec un changement de complément d’objet.
376

Une étoile danseuse Mon prochain t’aime

Une danseuse étoile Aime ton prochain

De lois sans toits Ouvre-moi ces âmes !

Sans toit ni loi404 Sésame ouvre-toi !

Figure 21 : Palimpsestes avec déstructuration syntaxique

Notons que les catégories grammaticales sont le plus souvent conservées même si
des transferts peuvent avoir lieu : ces âmes → Sésame. Quant au binominal
« danseuse étoile », il tend à l’adjectivation de danseuse qui devient collocatif dans
la seconde configuration « étoile danseuse » : il s’agit donc d’une forme de
conversion. De fait : « Il y a de la néologie dans la combinatoire » (Sablayrolles,
2003 : 40). Force est de constater que le cryptage du sous-énoncé est renforcé par
une déstructuration syntaxique plus avancée :

 « Le rideau me méduse » (β17) pour « le radeau de la méduse »405


 « Nos doigts comptent sur nos mains » (β32) pour « compter sur ses doigts »
 « Les fleurs sans peau » (β32) pour « les pots de fleurs » et « à fleur de
peau »

A travers ce dernier exemple, on observe comment une même locution peut être
interprétée différemment à l’oral et à l’écrit : à l’oral, l’interprétation est orientée vers
l’homophone « pot » qui appartient au champ sémantique de « fleur » - d’où la
synapsie pot de fleur - ; à l’écrit, le lexème « peau » attire l’attention sur
l’interprétation métaphorique correspondant au sous-énoncé « à fleur de peau ».406
Ainsi :
« L’oral réunit des interlocuteurs autour de l’étincelle de la signification tandis que l’écrit
laisse couver le feu d’un sens qui se rallume à la demande. » (Bellemin-Noël, 1988 : 29)

d/ Palimpsestes valises

Exemple : on nous demande des mots de passe partout.


= mots de passe
+ passe partout

404
Il s’agit là d’un double palimpseste : le sous-énoncé direct étant le titre du film « Sans toit ni loi » (Agnès
Varda, 1985), le sous-énoncé de ce titre étant l’expression « sans foi ni loi ».
405
Ce palimpseste résulte d’une substitution paronymique (radeau→ rideau) associée à une conversion jouant
sur l’homonymie du substantif « méduse » avec le verbe « méduser ».
406
A cet égard, le choix de GCM de ne pas transcrire l’un de ses textes (« Pères et mères », 2008) sur le livret
accompagnant l’album est révélateur : « Personne ne va vous mâcher le travail », précise-t-il.
377

Nous avons relevé trois occurrences de « palimpsestes valises » (Galisson, 1995 :


52) ou collocutions résultant de la collision de deux énoncés. Le lexème permettant
la fusion est soit en position médiane, soit à l’initiale :

 « Dehors on nous demande des mots de passe partout » (α1) = mots de


passe + passepartout
 « les parties d’échec scolaire » (α7) = parties d’échec + échec scolaire
 « La clé porte-bonheur » (β33) = porte-clé + porte-bonheur

9.2.3. Répartition d’après le type d’énoncé détourné

Nos tableaux présentés en annexe VII exposent un double classement :


lexicologique (selon le type de lexie et le degré de figement) et lexiculturel (selon la
source de l’énoncé et le domaine correspondant le cas échéant). Sur un plan
lexiculturel, les détournements titulaires reflètent une culture plurielle ou métissée qui
va des chansons (2 titres) aux émissions et feuilletons télévisés (2), en passant par
une pièce de théâtre et un roman qui relèvent d’un même sur-énoncé, sans oublier la
référence à un tableau « classique ». Cette hétérogénéité nous apparaît révélatrice
de ce que Michel de Certeau décrit comme « multilocation de la culture » :
« On assiste à une multilocation de la culture. Il devient possible de maintenir plusieurs
types de références culturelles. Par rapport à ce monopole que détenait l’école, une plus
grande liberté devient possible avec ce jeu d’instances culturelles différentes. » (1993 :
121)

Si les proverbes étaient convoqués dans l’album, ils sont absents du recueil, la
phraséologie constituant dans les deux cas un réservoir de formules privilégié. Sur
un plan lexicologique, on remarque l’importance quantitative des énoncés de type
parémique au sens large rappelé par Munoz407 et la présence de pragmatèmes
(Melc’uk, 2011408). D’une manière générale et sur un plan discursif, nombreuses
sont les formules409, ce qui nous renvoie au formulisme d’un Zumthor (1987), même

407
« La parémie est, d'après nos études, un énoncé mémorisé en compétence qui se caractérise par la brièveté,
la fonction utilitaire et didactique (fournir un enseignement) et l'enchâssement dans le discours (…) Les
parémies comprennent plusieurs groupes, d'après leur usage : a. populaire (p. ex. : proverbes, dictons, phrases
proverbiales, maximes, principes, sentences, weïlérismes) ; b. scientifique (p. ex. : aphorisme, axiome, adage
juridique, sentence philosophique) ; с. publicitaire (slogan) » (2000 : 100)
408
« Un pragmatème est un phrasème qui est figé par rapport à la situation d’énonciation de ce phrasème ».
(article consulté en ligne, non paginé) « Suivez le guide » nous semble être un bon exemple de pragmatème.
409
Nous employons ce terme au sens générique repris par A. Krieg-Planque qui définit les 4 propriétés que sont
le caractère figé, la dimension discursive, le référent social et l’aspect polémique (2009 : 63) et qui peuvent être
accomplies à différents degrés : s’agissant de notre corpus SD, la dimension polémique est loin d’être
prégnante.
378

si le terme de formule n’a pas le même sens appliqué à la poésie médiévale. Si elle
se caractérise par des degrés de
d figement divers – relevant du structurel et/ou du
mémoriel selon la distinction établie par Habert & Fiala (1989 : 87) –, la formule fait
toujours référence à une matérialité linguistique410 : elle « a un caractère figé par
laquelle elle s’identifie à une matérialité linguistique particulière. » (Krieg-Planque,
(Krieg
2009 : 69). Le tableau et le graphique suivants détaillent la répartition de ces
formules au sein de notre corpus :
Type de sous- SDα SDβ Total
énoncé
titres 2 5 7
proverbes, dictons 3 0 3
citations, formules 6 6
rituelles
locutions/collocations 3 10 13
verbales
locutions/collocations 12 34 46
nominales
Total 20 55 75
Tableau 21 : Répartition des palimpsestes en fonction du type de sous-énoncé
énoncé (corpus SD)

Types de sous-énoncés
sous (corpus SD)
7 3
6 titres
proverbes
59 citations
locutions et coll.

Figure 22 : Types de sous-énoncés (corpus SD)

Au vu de cette répartition, il apparaît que les locutions et collocations nominales


constituent une source privilégiée de palimpsestes.

9.2.4. Un exemple de défigement (étude de cas) : « les bastons du Diable »

Nous avons relevé l’exemple des bâtons du Diable comme emblématique d’un
procédé récurrent chez ce slameur et révélateur de son univers poétique. Issu de la
locution terminologique « bâtons du diable », le repérage du palimpseste repose sur

410
S’agissant d’énoncés circulant « en bloc » et perçus comme un tout (Habert & Fiala, 1989 : 88).
379

cette combinaison lexicale spécialisée411 relevant du technolecte des arts du


cirque412. Or ce domaine renvoie implicitement à la biographie du slameur qui nous a
confié en entretien son talent de jongleur. Le terme baston substitué au premier
(bâton) dans le sur-énoncé renvoie à un registre argotique : il est répertorié par Jean-
Pierre Goudaillier (1997 : 47) pour « bagarre », comme déverbal de bastonner,
bâtonner, « donner des coups de bâton ». On entrevoit ici la filiation étymologique
entre les deux termes dont atteste l’accent circonflexe de bâton413 qui est une forme
postérieure. Si la connaissance de l’univers de référence du poète nous a aidée à
identifier ce palimpseste, notons que le paratexte – en l’occurrence le titre « le
chagrin des anges » – et le cotexte révèlent une double isotopie du bien et du mal
(l’ange et le Diable) qui constitue un topos de l’écriture rapologique (voir supra). Tout
se passe comme si le slameur avait gardé l’empreinte de son passé de rappeur :
« Dans leurs histoires de bagarre des coups de coudes dessoudent des nez
Ils jouent aux bastons du Diable et se foutent d’être soupçonnés
Les anges se sont perdus entre silence et colère
Après avoir gagné les parties d’échec scolaire » (SDα7)
Cette double isotopie se décline aussi à travers l’opposition des univers diurne et
nocturne, le mode de vie des artistes étant en phase avec ce dernier comme le
souligne Marti (2006 : 156) : « Ils passent des nuits à attendre que le jour se
relève ».414 On entrevoit là comment un tel procédé – en l’occurrence, le défigement
– peut nous donner des clés pour entrer dans l’univers poétique du slameur.

9.3. Analyse néostylistique : du palimpseste filé et d’autres figures

A la différence d’un corpus de slogans publicitaires ou titres de presse – pouvant


aussi mettre en jeu la fonction poétique de la langue –, notre corpus est constitué de
textes intégraux, si bien que le palimpseste – qu’il s’agisse ou non d’un titre – y est
souvent filé, ou du moins intégré à la trame sémantique et phonologique d’un slam.
Nous étudierons donc, afin de rendre compte de la spécificité et la poéticité de ce
corpus, les éléments stylistiques contribuant à mettre en valeur les palimpsestes,

411
Marie-Claude L’Homme (2003) oppose ainsi les collocations en langue générale (CLG) aux collocations en
langue spécialisée (CLS).
412
Il s’agit de baguettes de bois de forme conique que manipule le jongleur.
413
« D’abord bastun (1080), baston (1172-1175), écrit baton (1440), puis bâton (1680), est issu d’un latin
populaire basto (…), lui-même dérivé du bas latin bastum, "morceau de bois long et allongé" » (Rey, 2007 : 353)
414
On retrouve ce topos par exemple chez Abd al Malik : « Moi, moi quand j'étais petit j'avais... Le style
vampire. Dormir la journée, et roder une fois le soleil coucher » (« Les autres », 2006).
380

après un détour par les fondements de cette écriture,


écriture, tels qu’ils se laissent entrevoir
dans les poèmes.

9.3.1. Réflexivité

« L’art ignare » ou l’écriture à haute voix

Au sein de ses propres textes, Souleymane Diamanka s’interroge sur la nature


de son art et la façon de le caractériser, ne serait-ce
serait que comme « art ignare » :
« J’ai trempé ma plume dans de la sale sève
Pour écrire les poèmes d’un mauvais élève (…)
J’ai des plaies plein le palais quand je lis mes ratures
Dis-leur
leur que c’est tout sauf de la littérature
l » (SDα2)
On observe qu’il semble ici reprendre à son compte l’un des topos de l’écriture
rapologique (voir supra)415. S’il s’agit de littérature, c’est bien de littérature orale ou
littORAL selon le titre de son futur album. Celle-là
Celle résulte en effet d’une « écriture à
haute voix » qui rejoint l’écriture orale d’un GCM : « J’ai trouvé ma voix dans cette
écriture » affirme le slameur (SDα4), formule qui n’est
est pas sans faire écho à la
« voix-de-l’écrit » d’un Christian Prigent416. Au cœur de cette orature ou oralittérature
telle qu’il la nomme, les ratures sont particulièrement signifiantes : « à la fois perte et
gain », elles ouvrent un « trésor de possibles »
(Grésillon, 1994 : 67). Ainsi toutes
outes les traces et autres
« griffoullis » - selon le mot d’Aragon - méritent-elles
attention : le slameur nous a d’ailleurs avoué son souci
de « raturer lisible » à l’aide d’un simple trait de biffure
permettant de conserver les différentes strates du
Michel Basquiat417 et à la
texte, à l’image d’un Jean-Michel
manière d’un graffiti qui se superpose à d’anciennes
traces418. Il s’agit là, à proprement parler, d’une
écriture palimpsestuelle.

Photo 5 : Rature (blocs-notes


notes SD)

415
Chantal Vieuille, éditrice du recueil y voit « les mots d’une génération qui s’ennuie à l’école mais qui sait
s’enthousiasmer pour une image, un rythme, une idée. » (2007, « Introduction »)
416
Voir notre chapitre 4 et l’article (en sitographie) paru dans la revue TxT.
417
Le lien avec Jean-Michel
Michel Basquiat – cité par le slameur comme l’inventeur de l’art ignare,
ignare formule reprise
dans l’un de ses textes – nous apparaît ici : « Je raye less mots pour qu’on les voie davantage… » disait l’artiste.
(d’après le documentaire de Tamara Davis, The Radiant chid, 2010)
418
« Les fresques murales peuvent être comparées à des pages d’écriture. » (Bazin, 1995 : 181)
381

En outre, l’artiste n’a de cesse de revendiquer l’importance de culture orale et


familiale qui lui a été transmise et dont les dictons offrent une ressource poétique et
philosophique inépuisable : « Haal Pulaar peuple d’amour dont le pays est un poème
/ Et le drapeau une mosaïque de milliers de proverbes » (SDα14).

C’est au travers d’une écriture sensible, voire sensuelle, que le slameur se livre :
« Je t’écris une pleine page de caresses
Pour que même ta peau aime mes poèmes » (SDα11)
A l’isotopie du toucher – évoquant le « grain du texte » de Barthes – s’ajoute celle du
goût, le poète se délectant de la saveur des mots : « Pourquoi dans ta bouche / Les
mots de la langue ont un autre goût ? » Cette dialectique entre oralité et écriture,
entre voix et plume, verba et scripta, parcourt toute son œuvre, tel un fil rouge tissant
une double isotopie :
« Pourquoi choisir l’écriture
Et prendre la parole en son nom ?
Pourquoi ce poème étrange
Est-il si loin de son papier d’origine en ce moment ? » (SDβ18, nous soulignons)

Le « Meilleur ami des mots » ou l’écriture à deux voix

John Banzaï et Souleymane Diamanka, réunis au sein du collectif « le Meilleur


ami des mots », décrivent leur duo dans l’ultime poème du recueil :
« Je suis le meilleur ami des mots
Papier à lettres hybride mi-homme mi-encre (…)
Je suis à la fois le Peul aux yeux bleus
Et le polonais à la peau noire » (SDβ41)
Etre hybride, conçu non seulement à haute voix, mais même à deux voix, le poème
n’en est pas moins métrique comme l’attestent « Désert de cinq pieds » ou « Douze
doux alexandrins » qui constituent le « Trou de deux mémoires » : « Trois quatrains
dits à deux disent adieu pour toujours » (SDβ38). Des pages de manuscrit ont été
publiées par Chantal Vieuille pour les éditions « Complicités », en guise de prologue
et d’épilogue au recueil. Là encore, les ratures émergent sur la page comme autant
de traces d’une encre vivante (2007 : 36), fruit d’une écriture à quatre
mains traduisant « la conjugaison des paroles et des styles » (2007 : 67) :
« Les jumeaux impossibles
Diseurs de jeux de mots impensables
Réaniment les ratures mortes »419 (SDβ23)

419
Notons d’ailleurs de jeu de défigement par substitution paronymique (« nature morte »→ « rature morte »)
qui fait référence à l’art pictural.
382

A travers ces « ratures mortes » réanimées par les voix des slameurs, ce sont les
« voix du texte » qui se donnent à lire, à
voir sur la page, la polyphonie étant
matérialisée par deux encres
différentes : l’une, noire, est celle du peul
bordelais (SD), l’autre, bleue, est celle
du poète d’origine polonaise (JB).
« Maintenant,
ant, conclut l’éditrice, je
comprends comment deux écritures
peuvent se conjuguer ensemble pour
n’en faire qu’une. » (2007 : 7) De fait, le
texte se construit par un jeu d’échecs ou
d’échos : « On a écrit comme une partie
d’échecs : on met une feuille sur la table,
j’écris une phrase, tu en écris une
autre…. » 420
Document 5 : Ecriture à deux voix (manuscrit)
(

Réécriture : de « Désert de 5 pieds » à « Soleil Jaune »

Le titre du recueil « Désert de cinq pieds » a fait l’objet d’une réécriture sous le
titre de « Soleil jaune », à l’occasion de la sortie de l’album, réécriture que nous
proposons de commenter afin d’analyser l’évolution palimpsestuelle de ce poème.
Les deux versions ayant été publiées la même année, nous nous sommes enquise
auprès de leur auteur de leur genèse respective : Souleymane Diamanka nous a
confirmé que la version recueil – soit « Désert de cinq pieds » – était antérieure.
Notons
ons d’emblée le changement de titre, celui-là
celui là donnant la clé métrique du poème
constitué de vers de cinq pieds. Dans la seconde version, cette « clé » n’apparaît
qu’en fin de poème, au sein d’une nouvelle strophe liminaire :
« Désert de cinq pieds…
Souley – John
Soleil – Jaune
Le voeu exaucé – le vent divin
L’âme – hurle – une – larme –
A – la – lune
Quand le miracle devient évident… »

420
Entretien cité, voir en annexe III.9.
383

Dans cette seconde version, la polyphonie est triplement mise en valeur :


- par le titre « Soleil jaune », soit un écho paronymique des deux prénoms des
slameurs (Souley pour Souleymane et John) ;
- par la typographie, les italiques étant utilisés pour la voix de John Banzaï ;
- par le prologue et l’épilogue qui soulignent la dimension dialogique.

En effet, la dimension de joute apparaît ainsi dès les premiers vers de ce poème
composé à quatre mains et interprété en duo :
« On s’connaît non ?
Paraît qu’on nous compare
Certains disent qu’on est la
Même personne…
Faut qu’on parle ! »
Il s’ensuit une chaîne paronomastique mise en relief par des jeux de voix ou
d’interprétation (voir infra) :
« Souley – John
Soleil – Jaune
Le voeu exaucé – le vent divin
L’âme – hurle – une – larme –
A – la – lune »

On observe donc que la trame sonore se trouve mise en exergue – y compris


graphiquement dans le livret – pour la version album qui nous semble, par là-même
et par la polyphonie qui s’y manifeste plus explicitement, représentative d’un slam.
Dénuée d’un prologue et d’un épilogue explicitement dialogiques, la version recueil
s’apparente davantage à un poème surréaliste construit sur la base d’analogies
sonores. La partition gestuelle suivante rend compte de l’interprétation du texte cité
à l’occasion du documentaire Traits portraits (2009). En l’occurrence, la gestuelle –
notamment les mouvements de tête symbolisés par « O » – traduit une écriture
duelle, mimant la dialectique entre parallélisme (symétrie) et croisement. Notons que
les gestes sont exclusivement coverbaux, exécutés alternativement par l’un et l’autre
des deux slameurs et de façon corrélée à la profération.

Codes utilisés :

O→ : mouvement de tête vers la droite (angle de 90°)


→O : mouvement de tête vers la droite (position face à la caméra)
←O : mouvement de tête vers la gauche (angle de 90°)
O← : mouvement de tête vers la gauche (position face à la caméra)
O↓ : mouvement de tête vers l’avant
Les italiques indiquent les répliques du second locuteur (JB)
384

Souley – John D’une lumière bruyante


→O O← →O
Soleil – Jaune Et teintée de tons
←O O→
Le vœu exaucé – le vent divin D’antan j’entends des
O↓ O← →O
L’âme – hurle – une – larme – Tam-tam dans tes rimes
O↓ ←O O→
A – la – lune Une présence lointaine
O← →O
L’encre devient divine Des futurs reproches
O← →O ←O O→
Que deviennent les vagues ? Des traces de passé
←O O→ O← →O
Comment va ton vœu ? De faces sans avis
O← →O ←O O→
Où vont ceux qui viennent ? Le jeu nous pardonne
←O O→ O← →O
De se souvenir Sais-tu qui s’est tu ?
O← →O ←O O→
De ce qu’il a plu ? Ces questions s’opposent
←O O→ O← →O
Que l’amour se parle Désert de cinq pieds…
O← →O O↓ ←O
Que la mort se calme Souley – John
←O O→ →O ←O
Les douleurs de peau Soleil – Jaune
O← →O →O ←O
Sous leurs arcs-en-ciel Le vœu exaucé – le vent divin
←O O→ →O ←O
Sur une carte ancienne L’âme – hurle – une – larme –
O← →O O↓ ←O ←O
Coupée aux ciseaux A – la – lune
←O O→ ←O O↓
Silence transparent Quand le miracle devient évident…
O← →O →O O↓
Traversé d’un souffle
←O O→

Document 6 : Partition gestuelle de « Soleil Jaune » (d’après Traits portraits, 2009)

On observe ici comment la poésie dialoguée est non seulement mise en voix mais
aussi mise en scène et en espace à travers un jeu d’interprétation qui tend à la
chorégraphie. En phase, les corps des deux poètes s’associent au flow de chacun
d’eux pour rythmer le texte421.

421
Voir notre chapitre 5 et ce que nous avons appelé « Musique des corps ».
385

« Encre vivante » : de la page au partage

L’écriture de Souleymane Diamanka est tournée vers le partage, le duel qui


devient duo selon ses propres mots422. En tant que telle, elle est essentiellement
dialogique comme en témoigne le texte « Encre vivante » (SDβ18)423, construit sur
une succession de questions, portées par la voix du premier (SD), suivie d’une
cascade de réponses, énoncées par le second (JB), les unes et les autres explicitant
métaphoriquement les fondements de cette poésie nommée oralittérature424.

Force est de constater que dans ce poème, les rimes sont essentiellement
croisées ou alternées, léonines (écarte/de cartes) ou semi-équivoquées
(odeur/auteur). Par ailleurs, l’adresse se manifeste par la prégnance du « tu » : on
relève en effet 8 occurrences du pronom ou adjectif possessif de la deuxième
personne du singulier, contre 2 occurrences du « je » et 4 du « nous » (nous les
avons soulignées). Il s’agit d’une double adresse – au coslameur comme à l’auditeur
– soit d’une double énonciation quasi-théâtrale.

Or l’architecture du poème, et surtout la façon dont il est performé par les deux
artistes, traduit ce dialogisme fondamental : à l’image des questions en quête de
réponses, les deux voix se cherchent avant de se rencontrer. D’où une progression
en trois temps que nous avons représentée par une mise en espace afin de rendre
compte sur la page de cette poésie dialoguée qui fondamentalement, se partage, et
de l’organisation in vivo du discours (Savelli, 2003 : 49). La colonne de gauche
correspond à la voix de Souleymane Diamanka qui ouvre le questionnement, celle
de droite à John Banzaï qui lui répond, et la colonne centrale représente le troisième
temps caractérisé par une alternance.

422
« Si on te parle avec des flammes… » (voir la page Myspace de l’artiste pour ce texte inédit).
423
Ce texte fait écho à cet autre slam « Toucher l’instant » (GCM, 2006) : « On voit et on entend l’encre devenir
vivante ». Souleymane y est d’ailleurs interpellé : « Là où j’ai croisé Souleymane au bout du sixième silence ».
424
Voir les extraits mis en exergue de nos introduction et conclusion. L’enregistrement est intégré au DVD (15),
d’après la version en duo enregistrée pour l’albums de Bam (De ce monde, 2005)..
386

Pourquoi en voyant venir ta voix


L’immense océan du silence s’écarte ?
Pourquoi l’inspiration te laisse respirer
Comme un roi au cœur de son château de cartes ?
Pourquoi la poésie que tu proposes est si digne
Qu’elle donne l’air d’être debout ?
Pourquoi dans ta bouche
Les mots de notre langue ont un autre goût ?
Comment peux-tu écrire
La nuance qui sépare le parfum de l’odeur ?
D’où viennent les horizons de la raison
Qui appartiennent à l’auteur ?
Pourquoi choisir l’écriture
Et prendre la parole en son nom ?
Pourquoi ce poème étrange est-il si loin
de son papier d’origine en ce moment ?
Parce que la terre tremble quand tes mots
s’enracinent dans les Sables du temps
Parce que mes batailles éviteront des guerres
Comme l’encre le sang
Parce qu’elle porte les âmes de tous les êtres
qu’elle croise
Parce que j’ai bu comme toi… l’envers d’une
autre phrase
Comme tu sais allier le soleil à la nuit et puis
l’éveil au rêve
Certaines questions s’allongent
Et les réponses se soulèvent
C’est l’écriture qui nous prend
Et s’articule dans nos bouches
Parce qu’on pose des questions
A des réponses qui les touchent

Pourquoi en voyant venir ta voix


L’immense océan du silence s’écarte ? Parce que la terre tremble quand tes mots
s’enracinent dans les Sables du temps
Pourquoi l’inspiration te laisse respirer
Comme un roi au cœur de son château de Parce que mes batailles éviteront des guerres
cartes ? Comme l’encre le sang

Pourquoi la poésie que tu proposes est si Parce qu’elle porte les âmes de tous les êtres
digne Qu’elle donne l’air d’être debout ? qu’elle croise

Pourquoi dans ta bouche Parce que j’ai bu comme toi… l’envers d’une
Les mots de notre langue ont un autre goût? autre phrase

Comment peux-tu écrire Comme tu sais allier le soleil à la nuit et puis


La nuance qui sépare le parfum de l’odeur? l’éveil au rêve

D’où viennent les horizons de la raison Certaines questions s’allongent


Qui appartiennent à l’auteur ? Et les réponses se soulèvent

Pourquoi choisir l’écriture C’est l’écriture qui nous prend


Et prendre la parole en son nom ? Et s’articule dans nos bouches

Pourquoi ce poème étrange est-il si loin de son Parce qu’on pose des questions
papier d’origine en ce moment ? A des réponses qui les touchent
Document 7 : Mise en espace du slam
« Encre vivante »
387

« Papillon en papier » : l’écriture d’un métaphoriste ou l’écriture partagée

Scripta manent, verba volant : aux yeux du slameur, son poème est « Papillon en
papier » (SDα6) et il appartient à l’auditeur de se l’approprier, dès lors que ses mots
« se débrouillent tout seuls jusqu’à lui… »425. Cela suppose cependant « Que chaque
mot trouve sa phrase et que chaque phrase trouve sa rime » (SDα4) en amont de la
métamorphose, afin que le papillon trouve sa destination et le poème son
destinataire. En d’autres termes, il s’agit de trouver « la bonne phase », selon le
technolecte du slam et les mots d’un GCM qui se dit « chercheur de phases »426.
Pour Souleymane Diamanka, la quête poétique passe par une précision qui permet
justement d’atteindre cette subtile alchimie427 :
« Haal Pulaar ses métaphores sont précieuses car elles sont précises » (SDα14)
Le poète se décrit lui-même comme métaphoriste, conciliant au sein de ce
néologisme son goût pour les métaphores et les aphorismes qu’il aime à détourner :
« un horizon de vers où je mets ta force
Elle contient l’univers dans ses métaphores » (SDα13)
En vue de cet « horizon de vers », l’artiste se livre à des exercices d’écriture qui
témoignent d’une recherche poético-ludique, les mots étant fondamentalement
appréhendés comme matière, objet à tisser 428 :
« J’écris en français dans une langue étrangère
Une réalité fugitive
Où le mot mirage est un anagramme du verbe imager » (SDβ41)
Souleymane Diamanka travaille l’architecture de ses textes autant que leur texture.
D’où le néologisme architextural (document 8 bis) qui n’est pas sans évoquer
l’architexte d’un Genette même si le sens diffère largement ici429. Tout en usant de la
magie des images430, le poète est constamment en quête d’anagrammes (document
8) et autres palindromes (document 8 bis), quête dont ses carnets portent la trace :

425
Entretien cité, voir en annexe III.9. Voir aussi le clip (illustration vidéo de ce chapitre).
426
« Quand je trouve une bonne phase, pour moi plus rien n'existe » (GCM, 2006). Voir notre prochain chapitre
et le glossaire pour un développement sur ce mot.
427
« Si un système thermodynamique est entièrement homogène, physiquement et chimiquement, on dit qu'il
constitue une seule phase » d’après Wikipédia, entrée « phase » (thermodynamique). (voir notre glossaire)
428
Le slameur nous a d’ailleurs confié que son père était tailleur et qu’il reprenait à son compte cette image de
l’artisan-tisseur. (entretien cité).
429
Voir Introduction à l'architexte (1979). Le terme est défini dans Palimpsestes (1982 : 7) : "L’objet de la
poétique, disais-je à peu-près, n’est pas le texte (…) mais l’architexte (…) c’est-à-dire l'ensemble des catégories
générales, ou transcendantes - types de discours, modes d'énonciation, genres littéraires, etc.- dont relève
chaque texte singulier ». Pour Genette, ce terme s’inscrit dans une série créée par préfixation, tandis que sous
la plume du slameur, il s’agit d’un mot composite créé par insertion, de « architectural + texture ».
430
Nous faisons ici référence à la célèbre équation du photographe surréaliste Man Ray : « Magie = Image »,
anagramme proche de celui que nous venons de citer.
388

Photos 6 et 6 bis: Anagrammes


nagrammes et palindromes (blocs-notes
(blocs SD)

En outre, l’image du papillon en papier suggère que le récepteur soit impliqué dans
la création : « Si tu l’as aimé et qu’il t’a plu, ce n’est plus mon poème…
poème » De fait,
l’artiste aime à associer son public à ses exercices et autres gammes : Souleymane
Diamanka est à ce point dans l’écriture partagée qu’il profite de sa page Facebook
pour diffuser
fuser ses trouvailles poétiques, susciter commentaires et échanges autour
d’exercices de style divers.431

9.3.2.. Palimpsestes et autres figures de sons


son et de sens

« Muse amoureuse » ou l’écriture paronomastique

Julien Barret (2010) reconnaît en Souleymane Diamanka un « orfèvre de la


langue », qui plus est « le plus grand artiste français actuel de spoken word » :
« Ses textes obéissent à certaines règles du rap (abondance de rimes équivoquées et
de paronomases), en même temps qu’ils renvoient à une poésie plus littéraire,
litté écrite,
imagée (métaphores filées), tandis que son élocution est simplement parlée. » (83)
Le texte « Muse amoureuse » nous semble révélateur de cette poésie à la fois
littéraire et parlée, l’orfèvre étant précisément créateur de perles : « Que le mot soit
plait à répéter432, jouant sur la paronymie et sur
perle et que l’amour se parle » se plait-il
la symétrie de la trame consonantique autour du « et » central qui divise cet
hendécasyllabe en deux parties égales : k2l2moswapERl/e/k2lamuR
uRs2paRl.

431
L’artiste initie régulièrement, sur sa page Facebook,, des exercices de type palindromes et anagrammes ou
soulève des questionnements autour de la poésie (« Qu’est-ce que la poésie ? » publié le 5/09/11 a suscité
s plus
de 60 réponses). Voir notre chapitre 14 pour une réflexion approfondie sur ce concept d’écriture partagée.
partagée
432
Interview citée sur le site Agendakar (voir en sitographie).
389

L’importance du titre pour Souleymane Diamanka a orienté notre analyse de la


trame sonore du poème « Muse amoureuse » : nous avons alors émis l’hypothèse
d’une empreinte phonologique du titre sur l’ensemble du texte, soit d’une récurrence
des phonèmes et schèmes vocaliques et/ou consonantiques présents dans ce titre.
La transcription figurant en annexe VII.11 permet de visualiser l’empreinte ainsi
définie : la fréquence des phonèmes constitutifs du titre – notamment [R], [a], [2], [m]
et [z] – concourt à l’impression d’une formule qui reste présente en filigrane au fil du
poème433. Le texte se fait ainsi suggestif et onirique, à l’instar du credo mallarméen :
« (le) suggérer, voilà le rêve… » De même que l’auteur de Crise de vers, du Coups
de dés et autres « Cygne » - ce sonnet se caractérisant par 35 apparitions du
graphème « i » -, le slameur suggère phonologiquement la présence de sa « Muse
amoureuse » tout au long du poème : « la répétition d’un son met un relief le mot-clé
qui le contient » (Argod-Dutard, 1996 : 176). De fait, si l’on examine ces trois vers, on
constate que 26/70 phonèmes (soit 37% environ) font écho à ce titre :
« Ce soir tu seras cette muse s2swaRtys2RasEtmys
Comme une étoile danseuse sensuelle et en sueur kOmynetwalda~s2zsa~syElea~su9R
Au cœur d’une chorégraphie voluptueuse » ok9RdynkoRegRafivolypty2z

La rime doublement batelée (muse/danseuse/voluptueuse) – qui plus est féminine –


en [Z] se double ici d’une allitération en [s] (8 occurrences) produisant un effet
mimétique de douceur et de sensualité, alors que la répétition de la syllabe [a~s]
souligne le jeu palimpsestuel. Notons d’ailleurs le positionnement du syntagme étoile
danseuse en fin d’hémistiche, s’agissant d’un alexandrin (6/6). Lors de la
déclamation, la césure est bien marquée par une pause qui met en relief ces deux
lexèmes. Tissant un fond sonore, les allitérations génèrent un accent prosodique qui
contribue à dynamiser le texte et à mettre en relief cette même formule :
« D’une part, la rime marque l’accent fort de fin de vers, d’autre part les
correspondances internes induisent d’elles-mêmes un relief tonique sur les syllabes
concernées : c’est ce qu’on appelle l’accent prosodique. » (Argod-Dutard, 1996 : 184)
La rime équivoquée – ou semi-équivoquée434 – apparaît comme la figure reine du
poète slameur et peut aller jusqu’à l’holorime :
« La peau hésitante. La poésie tente ».

433
Dans le texte transcrit, nous avons surligné les phonèmes constitutifs du titre.
434
Nous rappelons ici que la rime équivoquée « peut se présenter de deux manière, soit fondée sur
l’homonymie entre deux vocables de sens différent, soit sous la forme d’un calembour lorsqu’elle englobe
plusieurs mots. » (Aquien & Molinié, 2002 : 646). Exemple : « Pour que même ta peau aime mes poèmes ».
Nous appellons « rime semi-équivoquée » une rime fondée sur une paronomase.
390

De même, cette rime semi-équivoquée interne est fondée sur une triple paronomase,
dont l’effet est renforcé par une allitération en [pR] qui s’étend au-delà de la figure :
« En empruntant au printemps sa propre empreinte »435
On relève aussi des rimes annexées, fratrisées, senées et dérivatives (ou figura
etymologica), comme en témoigne ce nouvel exemple :
« Une muse pose nue dans une métaphore
Et métamorphose son poète en peintre »
Ces vers s’apparentent à une rime annexée436 ou fratrisée437, du fait de la reprise du
morphème « méta » de la fin du premier vers au début du second.
« Depuis quand ton prénom se prononce /
Dans la pénombre d’un préau (…) »
Cet exemple constitue une rime quasi-senée438 puis les principaux lexèmes – hormis
les mots-outils – commencent par [p] ou [pR].
« Guidés par la plume d’un poète peul et amoureux
Qui saura t’aimer mieux ? Une question se pose »
Ces vers engendrent une rime batelée, puisque la fin du vers rime avec le mot situé
à la césure du vers suivant (Aquien & Molinié, 2002 : 648). A la suite de ces deux
vers, on trouve enfin un exemple de rime dérivative ou figura etymologica :
« Qui saura t’aimer mieux ? Une question se pose
Mon grand cœur sain te propose »
D’une manière générale, les rimes internes sont très fréquentes, qu’elles soient
pauvres (toi/soi) ou équivoquées (ôter/beauté). Dans ce dernier cas, c’est de rimes
riches voire léonines qu’il s’agit :
« Mes mots se posent sur toi comme des jolis dessous de soie
Que je me ferai un plaisir d’ôter
J’ai la nuit pour parcourir ta peau et je te promets
De compter le nombre exact de tes grains de beauté »
A travers ce dernier exemple, on entrevoit comment figures de sons (paronomase) et
figures de sens (comparaison) sont entrelacées et se renforcent mutuellement : les
diverses formes de répétition et d’écho sonore fondent la résonance poétique, « non
seulement en ajoutant au poème des sonorités impressives, des éléments de
richesse harmonique, mais également, et surtout, en créant et en soulignant, par des
ressemblances phoniques, des rapports sémantiques. » (Argod-Dutard, 1996 : 184).

435
Notons d’ailleurs la neutralisation de l’opposition [e~]/[9~], d’où une homophonie partielle
[a~pre9~ta~]/[pRe~ta~].
436
« La dernière syllabe de la rime est reprise au début du vers suivant ». (Aquien&Molinié, 2002 : 647).
437
« annexée et fondée sur un calembour comme pour la rime équivoquée » (Aquien&Molinié, 2002 : 647)
438
Aquien et Molinié (2002 : 648) la définissent comme un « cas extrême d’allitération où tous les mots
commencent par la même lettre », ajoutant qu’on appelle ce type de vers « tautogramme ».
391

Sur le plan de l’architecture du poème, la disposition des rimes favorise la fluidité


des enchaînements d’un vers à l’autre, les rimes suivies étant largement majoritaires.
Sur un plan de la texture sonore, les liaisons jouent un rôle essentiel à l’oral,
enrichissant l’écrit par l’ajout du phonème [z] qui fait écho à « muse amoureuse » :
J’ai étudié l’oralité en remontant à ses origines ZeetydjeloRalitea~R2mo~ta~asezoRiZin
Pour faire de tes silences des zones érogènes puRfERd2tesila~sdezonzeRoZEn

Ces liaisons sont aussi révélatrices d’un phonostyle recherché (Léon, 1993 : 72),
porté par un flow lent et posé qui semble congruent à la thématique amoureuse439 :
la tessiture de la voix souligne alors la texture sonore du poème. Au fil du texte et au
gré du souffle du poète, les vers se tissent en une structure binaire et croisée
(symétrique), mêlant homophonie (correspondance/danse, responsable/sable) et
paronymie (désert/désir):
« Correspondance des sables du désert

Corps responsables des danses du désir »

Or cet entrelacs se prolonge souvent bien au-delà de deux vers successifs comme
dans cet exemple où l’allitération en [m] et doublée d’une assonance en [e]/[E], d’où
une cascade d’échos sonores filés avec virtuosité autour de la syllabe [Em]440:
« Je t’ai aimé comme une muse émue

dans un musée muet

le lendemain d’une nuit d’émeute. »

Si le slameur – qui s’avère être un versificateur notoire441-– conçoit lui-même chaque


rime comme « une cascade », force est de conclure, avec Julien Barret, que :
« Souleymane Diamanka est un orfèvre de la langue qui cherche à tisser ses vers rimés
le plus longuement possible, en un souffle qui ne semble pas s’éteindre » (2010 : 92)
Offrant pléthore de figures sonores, l’écriture du poète d’origine sénégalaise est
essentiellement paronomastique (Frontier, 1992 : 266), à l’image du « Papillon en
papier » qui, pour peu que l’on prononce en diérèse le second terme, offre un bel
exemple de paronomase et de conjugaison des figures de sons et de sens. Là
encore, les effets d’allitération et de paronymie amplifient la résonance de la
métaphore :

439
Notons d’ailleurs que les rimes féminines sont le plus souvent majoritaires, notamment dans les poèmes
relevant de ce registre comme « Marchand de cendres » (voir notre exploitation didactique de ce texte).
440
L’archiphonème [E] totalise 125 occurrences sur l’ensemble du poème.
441
« Versificateur notoire, chaque rime est une cascade. » (SD, « Les poètes se cachent pour écrire », 2007).
392

« Même s’il est né de ma plume, si tu l’as aimé et qu’il t’a plu

Ce n’est plus mon poème mais un papillon en papier »

« Les poètes se cachent pour écrire » ou l’écriture palimpsestuelle442

Cet autre poème, extrait de L’Hiver Peul, ouvre un album dont il annonce la
couleur poétique : nous l’analyserons donc en tant que tel, emblématique d’une
écriture que l’on peut qualifier de paronomastique si l’on considère la trame poétique
et de palimpsestuelle s’agissant de sa trame lexiculturelle. De fait, « Les poètes se
cachent pour écrire » ne contient pas moins de quatre palimpsestes, à commencer
par ce titre qui sera répété à quatre reprises. Comment ces détournements sont-ils
poétisés ? Comment s’intègrent-ils à la trame poétique et comment s’articulent-ils
avec des éléments que nous avons analysés comme caractéristiques du slam ?
Telles sont les questions que notre étude néostylistique vise à explorer.

Le poème commence par un bel exemple de double paronomase, assortie d’une


métaphore :
« Les mots sont les vêtements de l’émotion,

Et même si nos stylos habillent bien nos phrases

Peuvent-ils vraiment sauver nos frères du naufrage ? »

Il se poursuit par une première occurrence du palimpseste titulaire, suivie d’une


interpellation du poète slameur Rouda :
« Les poètes se cachent pour écrire / C’est pas une légende Rouda regarde nous… »

Par la suite, deux autres occurrences de ce palimpseste seront intégrées à la trame


du texte, dont elles balisent la progression à la manière d’un refrain :
« Les poètes se cachent pour écrire / C’est pas une légende John Banzaï regarde nous
Toi et moi c’est l’écriture qui nous lie443… »

« Les poètes se cachent pour écrire / C’est pas une légende Grand Corps Malade
regarde nous… »

Il en résulte une mise en relief de cette formule titulaire, par la répétition et


l’association à ce phénomène que nous avons analysé en termes d’interdiscursivité.

442
Voir l’illustration vidéo du chapitre 14.
443
Notons le jeu sur l’homophonie lie (lier)/lit (lire), ce dernier étant lié à l’isotopie de l’écriture.
393

Enfin, une quatrième occurrence de ce palimpseste – fil rouge de ce slam – apparaît


suivie d’un nouveau détournement, poursuivant la dialectique du même et de l’autre :
« Les poètes se cachent pour écrire
Chacun purge sa pénombre… »
La métaphore contenue dans ce dernier palimpseste est ensuite filée par l’isotopie
de l’ombre (« La poésie opère comme une lumière mangeuse d’ombre »), celle-là
étant d’ailleurs réitérée à travers la rime équivoquée, doublée d’une équivoque
sémantique : « On somme les mots de s’additionner comme les nombres »444.

« Le feu passe au vers et l’oralité passe par nous » constitue un nouveau


palimpseste, jouant sur l’homonymie vert/vers, l’isotopie de la parole poétique étant
relayée par le lexème « verbe ». Le « nous » évoque la communauté des poètes
slameurs convoqués – au sens premier de ce terme – dans le texte. Il s’ensuit une
métaphore filée sur les deux vers suivants, favorisant l’identification d’un dernier
palimpseste que l’on peut qualifier de palimpseste valise :
« Le verbe est une clé indispensable
Dehors on nous demande des mots de passe partout » (nous soulignons)
La formule « des mots de passe partout » est issue d’un amalgame des « mots de
passe » et du « passepartout » lié à l’isotopie de la clé. Le poème se clôt de manière
circulaire par une strophe qui figurait au début :

« On a traversé des rivières de boue à la nage,

On a dormi à jeun dans la neige et on est encore debout … »

Le « nous » devient « on », ce dernier étant mis en relief par une structure


anaphorique. Cette structure croise homophonie (debout/de boue) et paronomase (la
nage/la neige) et la boucle est bouclée puisqu’il était question de « sauver nos frères
du naufrage ». L’isotopie de l’eau est d’ailleurs présente tout au long du texte :
« chaque rime est une cascade… » (SDα1). Notons qu’elle est presque
systématiquement associée à l’écriture445 : « Dans ma vie j’ai écrit plus de textes/
que ne reflète d’étoiles le grand lac Tchad ».

Les origines du slameur surgissent enfin au détour d’un vers à travers une micro-
alternance codique en langue peule : « J’ai répondu Hamiini quand ma mère m’a dit
Mbaalen he jam » (nous soulignons). Ainsi, la langue et la culture peule – souvent

444
Notons le jeu sur l’homonymie du substantif (la somme) et du verbe (sommer).
445
Lors de l’entretien que le slameur nous a consacré (voir en annexe III.9), il a repris cette isotopie en
comparant l’écriture d’un poème au fait de nager dans une piscine, et celle d’un roman à la nage dans l’océan.
394

portée par la voix du père sur l’Hiver Peul – représentent-elles


elles une ressource
poétique inépuisable, à l’image de ce proverbe dont la traduction a donné lieu à un
titre : « Si quelqu’un te parle avec des flammes, réponds-lui l’eau »446
réponds lui avec de l’eau.
« Souleymane parle peul et français mais pour moi, il parle
parle surtout sentiment…»
conclut Héloïse Guay de Bellissen. Il parle aussi métaphore, serait-on
serait on tenté d’ajouter.
Il parle une langue métisse, tissée de sentiments, d’émotions, d’images et de mots.

« Je t’aime, Ndeysaan » ou l’écriture tissée métisse

Sur un plan didactique447, il pourra être intéressant d’étudier la façon dont les
mots se tissent, dont la trame se construit au fil du texte qui progresse sur la page,
avant de se déployer dans l’espace de la scène. A cet égard, le manuscrit suivant
nous semble éloquent,, mêlant anagrammes (voilée/violée), paronymes (décidé/des
cités, ingénieur/intérieur) et ce, au sein de rimes riches ou léonines voire
équivoquées (Eve/rêve) :

Jeune fille au pair


p
Femme au foyer
Mère nourricière
nourrici
Fille des cités
Femme décidée
Femme d’intérieur
Mère isolée
Femme ingénieur
Femme du monde
Femme de lettre
Femme féconde(…)
Fille adoptive
Femme voilée
Femme active
Femme violée
Fille d’Eve
d’
Sœur d’infortune
d’infort
Fameux rêve
Fille de la lune
l
Mère de famille
Femme de chambre
Mère Patrie (…)

Photo 7 : « Je t’aime, n’deysaan » (bloc-notes SD)

Non content de tisser les mots sur son blocs-notes,


blocs notes, le slameur d’origine sénégalaise
métisse son poème en intégrant une micro-alternance
micro alternance en langue peule. Le titre est

446
Voir sur la page Myspace du slameur.
447
Voir notre chapitre 14.
395

suivi de sa traduction dont l’écho se propage dans une version aboutie du texte écrit
à l’occasion de la journée de la femme448 :
« Jeune fille au pair, je t’aime
Femme au foyer, je t’aime
Mère nourricière, je t’aime
Fille des cités, Ndeysaan (…) » (nous soulignons)
On voit là que la micro-alternance se répète périodiquement, venant clore chaque
quatrain à la manière d’un refrain. Au-delà de l’enjeu identitaire, elle joue donc un
rôle poétique, soulignant la régularité de la structure métrique (4/2) du poème.
Notons de surcroît que le flow se du poète se révèle ici particulièrement lent avec un
débit de 0, 89 mot/seconde449.

9.3.3. L’art du palimpseste, du slam au graffiti

Outre les arts du cirque auxquels nous avons fait allusion – métaphoriquement,
le poète jonglant avec les mots et lexicalement, car il mobilise le technolecte associé
– Souleymane Diamanka s’est doublement illustré dans le hip-hop en tant que
rappeur et danseur. Comme nous le rappelle Bazin (1995 : 180), la culture hip-hop
intègre aussi les arts graphiques que sont le tag, le graff et le graffiti. Dans ces
conditions, il nous a semblé intéressant d’établir un lien avec ce dernier comme lieu
éminent de palimpsestes, au sens premier – du fait de la superposition de tags sur
les murs qui gardent ainsi la trace des différents passages450 – et linguistique du
terme. Souleymane Diamanka a d’ailleurs été confronté, lors d’une émission de radio
sur France Inter451, à la graffeuse Miss Tic bien connue pour ses pochoirs assortis de
452
détournements – « Silence, on détourne ! » – et autres manifestations de
créativité lexicale telles que la néologie par dérivation (« Après le repentir, le
rementir », op.cit.) ou conversion (« Tu m’hirochimes »453). Parmi pléthore de
palimpsestes, notons que la thématique amoureuse occasionne des délexicalisations
448
Accessible sur la page Myspace du poète (voir notre sitographie).
449
Le débit moyen correspondant aux textes de L’Hiver Peul est de 1,524 mots/seconde, moyenne qu’il nous
faut interpréter avec précaution car le calcul s’applique autant à des textes a capella qu’à des textes interprétés
en musique, qui s’apparentent à du spoken word. Voir le tableau présenté en annexe VII.
450
«Les murs, comme un terrain géologique, absorbent les différents époques du graff et forment de véritables
livres ouverts sur son histoire (…) Les murs gardent la mémoire des différents passages : les styles, les
messages, les signatures. Ils concourent à construire la culture des graffitis. » (Bazin, 1995 : 181).
451
Emission « Voulez-vous sortir avec moi ? » du 17/11/10 (voir en sitographie).
452
Citations extraites de l’ouvrage paru chez Grasset (2008, réédition 2010) sous le titre Je prête à rire mais je
donne à penser, non paginé.
453
Citation extraite d’un ouvrage paru chez « Critères » sous le titre palimpsestuel de A la vie à l’amor (2010).
Miss Tic fait ici référence à Marguerite Duras (Hiroshima, mon amour).
396

communes avec celles que nous avons pu relever dans notre corpus SD : « Nos
peaux aiment d’amour »454. Jean-Pierre Goudaillier (1991) s’est interrogé sur le
fonctionnement de ces pochoirs muraux, observant qu’il s’agit souvent
de détournements d’énoncés figés qui sont autant de références culturelles sollicitant
la connivence du destinataire, soit de clins d’œil : « Se met alors en place une
rhétorique de l’allusion, qui utilise différents procédés formels, essentiellement celui
de la substitution. » a-t-il conclu (1991 : 38), en quoi l’art du graffiti rejoint celui du
slam455. Or cet art déconstructeur du détournement peut être interprété comme le
pendant verbal de la méthode du sampling, basé sur le recyclage de bandes
sonores, qu’elles soient ou non musicales, procédé dont le slameur use à l’envi456.
Aussi peut-on dire des palimpsestes que « leur utilisation peut être esthétiquement
justifiée comme faisant un pendant verbal à la méthode d’appropriation et de
sampling qui constitue la technique majeure du rap » (Shusterman, 1991 : 216). Les
sous-énoncés choisis reflètent précisément « ces éléments de la culture populaire
(qui) fournissent le fonds culturel commun nécessaire à la création et à la
communication artistique. » (Shusterman, 1991 : 197).

Conclusion partielle

Les slams de Souleymane Diamanka nous parlent de création et de


communication poétique, via une écriture interactive et vocale qui tend à réanimer les
« ratures mortes » couchées sur la page en enrôlant le lecteur-auditeur dans un jeu
qui devient partage. Plus généralement, le recours au défigement témoigne d’un
enjeu de libération du verbe et du langage : il s’agit de « briser le carcan » des
expressions figées (Gross, 1996 : 20). Autant de formules renouvelées (« ratures
mortes », « école fraternelle ») dont la structure palimpsestuelle et métaphorique, au-
delà de la diversité de procédés à l’œuvre, nous donnent des clés pour entrer dans
la poétique propre à cet auteur-orateur en révélant ce qui fait système et se décline
en termes de créativité : « l’œuvre unité de vision syntagmatique et l’œuvre unité de
diction rythmique et prosodique » (Meschonnic, 1969 : 31). Œuvre fondamentalement
ouverte et vivante, tournée vers l’autre, écriture palimpseste et métisse, propre à
tisser des liens.

454
Palimpseste jouant sur l’homophonie « peau aime/poème » et sur la collocation « poème d’amour ». De
même pour Souleymane Diamanka : « Pour même que ta peau aime mes poèmes » (2007).
455
Voir à ce sujet la collection « Slam graffiti » dont un échantillon (Nada, 2003) est reproduit en annexe I.4.
456
Souleymane Diamanka a utilisé les voix de ses parents ou encore la chanson de Barbara « L’aigle noir ».
397

Chapitre 10

Grand Corps Malade


ou l’écriture métisse
(néostyle 3)

10.1. Métissage inter et intra lexical


10.2. Métissage inter et intra lingual
10.3. Tissage intratextuel et rhétorique
10.4. Tissage interdiscursif et
intertextuel (allégorie et poéticité)

Illustration : GCM (extrait


extrait de l’entretien)
l’entretien

Photo 8 : Grand Corps Malade aux Rencontres Brel (Saint-


(Saint
Pierre de Chartreuse, le 21/07/11)
398
399

« J’ viens de là où on fait attention à la marque de ses textiles


Et même si on les achète au marché, on plaisante pas avec le style
J’ viens de là où le langage est en permanente évolution
Verlan, rebeu, argot, gros processus de création
Chez nous les chercheurs, les linguistes viennent prendre des rendez-vous
On n’a pas tout le temps le même dictionnaire mais on a plus de mots que vous »457

Si l’on trouve ausse quelques palimpsestes chez Grand Corps Malade, ces
détournements s’intègrent à une écriture qui se caractérise par un métissage
fondamental. Ainsi, dans ce slam issu de son deuxième album, le slameur de Saint-
Denis s’affirme comme Enfant de la ville, à la fois porte-parole de la banlieue dont il
est originaire et qu’il a allégorisée dans son premier album, et chantre du métissage
linguistique, de la créativité, de la dynamique langagière qu’elle recèle à ses yeux.
Au-delà du constat d’une richesse lexicale manifeste et valorisée en termes de
« maîtrise de vannes » ou « DEA de chambrettes » - dans la lignée du rappeur qui
se vante d’être « diplômé d’argot littéraire »458 -, Grand Corps Malade évoque le
style : ne peut-on voir dans cette évocation du style vestimentaire une syllepse de
sens, le terme s’appliquant aussi, de façon réflexive, au style littéraire du slameur459?
A fortiori si l’on considère que le mot « texte » est inclus dans le lexème « textile »
situé à la rime, s’agissant d’ailleurs d’une rime riche. Ne peut-on l’interpréter, d’une
certaine façon, comme l’affirmation d’une posture d’auteur telle que l’a redéfinie
Jérôme Meizoz460? Notons que le slameur ne manque pas une occasion de rendre
hommage à ses influences majeures, au rap en général et à NTM en particulier :
« Je viens de là où on aime le Rap, cette musique qui transpire
qui sent le vrai, qui transmet, qui témoigne, qui respire
Je viens de là où y’a du gros son et pas mal de rimes amères
Je viens de là où ça choque personne qu'un groupe s'appelle Nique Ta Mère »
En allant plus loin, on observe une similitude de structure avec un texte de rap qui
commence par ces mêmes mots :
« J’viens d’là où on emmerde le système
De là où les rues craignent / De là où la haine imprègne
De là où les gens enfreignent / De là où l’bien et l’mal règnent. »461

457
Grand Corps Malade, « Je viens de là », Enfant de la ville, 2008.
458 er
La Rumeur, « le coup monté », 1 volet, le poisson d’avril, Fuas/Pias, 1997.
459
La notion de style peut aussi être approchée en termes de variation diaphasique : « la souplesse linguistique
dont sont capables les locuteurs, selon l’analyse qu’ils font de la situation au sens large » (Gadet, 2008 : 17).
Voir notre chapitre 13 concernant les enjeux didactiques de cette notion.
460
Soit comme « Une façon personnelle d’investir ou d’habiter un rôle voire un statut : un auteur rejoue ou
renégocie sa «position» dans le champ littéraire par divers modes de présentation de soi ou «posture». (article
de Jérôme Meizoz consulté sur Vox poetica, voir notre sitographie)
461
Fonky Family, « Mystère et suspens », Art de rue, 2001.
400

S’il aborde des topoï de l’écriture rapologique, le slameur de Saint Denis s’en
démarque aussitôt par la façon de les traiter. De fait, le slam apparaît moins comme
un lieu de tensions que comme un lieu de tissage : il manifeste l’art de tisser des
liens, non seulement sur un plan socioculturel mais aussi sur un plan proprement
textuel. A la différence de la chanson qui a pu être décrite comme métissage entre
langue et musique (Calvet, 1985), le slam est, par essence, musique des lettres,
poésie déclamée a capella. Le métissage se situe donc ailleurs, mais où ? En tant
que « poésie urbaine » – tel qu’il se voit souvent qualifié – est-il, à l’instar du rap,
emblématique d’un parler dit urbain ? Du tissage au métissage, nous l’envisagerons
successivement dans ce chapitre, au travers des textes de GCM, comme lieu de :
- métissage intra- et inter-lexical, lexiculturel (mots-valises et palimpsestes) ;
- métissage intra- et inter-lingual, langagier (alternances codiques, variantes
diatopiques et diastratiques, argot et verlan) ;
- tissage intra-textuel, intertextuel et interdiscursif

S’agissant de l’œuvre du slameur considéré comme prototypique, notre analyse


s’appuiera sur 45 slams, soit de l’ensemble de ses trois albums publiés en l’espace
de quatre ans : Midi 20 (2006), Enfant de la ville (2008) et Troisième temps (2010)462.

10.1. Métissage intra et inter-lexical (lexi-culturel)

A un niveau lexical tout d’abord, le slam apparaît comme un lieu éminent de


créativité : les mots sont tissés et mêlés entre eux. Il s’agit là d’un métissage que
nous pouvons qualifier d’intralexical d’une part, quand les lexèmes sont fusionnés ou
amalgamés et d’interlexical d’autre part, lorsque des lexies complexes et
phrastiques, figées ou semi-figées, font l’objet d’une forme de délexicalisation ou
défigement que nous avons traduits en termes de palimpsestes.

10.1.1. Mots et locutions composites

Rares sont les mots composites dans les slams de Grand Corps Malade. Nous
en avons néanmoins relevé trois :

462
Nous désignerons ces trois albums par les initiales de leurs titres : M20, EV, TT. Les numéros qui suivent les
initiales de l’album correspondent à la playlist, dont l’ordre a été conservé : voir en annexe VIII pour l’ensemble
du corpus.
401

- aristocrasseux de « aristo (forme apocopée pour « aristocrates ») + crasseux »


(« Saint-Denis », M20) qui peut faire l’objet, à l’écoute, d’une double interprétation463,
mais qui est transcrit, dans le livret accompagnant l’album, en un seul mot ;
- intermitteux de « intermittent + miteux » (« Attentat verbal », M20)464 ;
- oxmose de « Oxmo (Puccino) + osmose » dans un trio avec le rappeur cité et Kery
James (« A la recherche », EV).
Notons que ces deux derniers lexèmes sont construits par insertion, à la différence
du premier qui peut être analysé comme une forme obtenue par imbrication465.

Par ailleurs, nous avons identifié un lexème qui s’apparente à un cas de néologie
par conversion, du substantif à l’adjectif, d’où l’accord en genre de ce dernier : « les
douleurs vives deviennent pastelles » (TT13, nous soulignons466). Nous reviendrons
sur les occurrences de verlan, parfois inédites pour les besoins de la rime ou de la
prosodie, ainsi que sur la néologie par composition, développée dans « Pères et
Mères » (2008). Quant aux locutions composites, elles sont relativement
fréquentes chez Grand Corps Malade : comme chez Souleymane Diamanka, la
phraséologie – en l’occurrence les expressions figées ou semi-figées et les
collocations – constitue un réservoir incontournable de formules à détourner. La
forme la plus fréquente est celle obtenue par insertion homonymique ou
paronymique. Nous avons repéré 3 occurrences de substitution homonymique :

- « ma voix est libre » (EV9) pour « la voie est libre » ;


- « c'est peut-être pour ça que j'écris en vers » (EV) jouant sur l’homonymie vers/vert
éclairée par le cotexte amont : « Donc la nature je la respecte… » ;
- « la souffrance qui nous serre le coup » (TT12) pour « qui nous serre le cou » dont
on peut envisager qu’il s’agisse là d’une confusion.

La substitution paronymique donne lieu à 6 occurrences de délexicalisation portant


sur des syntagmes nominaux ou verbaux. La substitution d’un phonème est le cas
le plus fréquent, en jouant sur des phonèmes proches ou paires minimales :

- « Quand je ferme les yeux, c’est pour mieux ouvrir les cieux » (M20.3) : [z/c] ;
- « une vie de poèmes » (M20.7) : [p/b], « bohême » étant présent dans le cotexte ;
- « la cerise sur le ghetto »467 (M20.13) pour « sur le gâteau » : [a/E] ;
- « Enfant de la ville » (EV10) pour « enfant de la balle » où la substitution porte sur
une syllabe entière [ba]→ [vi].
463
A l’écoute, le syntagme peut être interprété comme une simple apocope de aristocrates, suivie de l’adjectif.
464
Le cotexte amont favorise l’interprétation à l’aide d’une paronomase : « un auteur comptant pour rien ».
465
Notons qu’une autre hypothèse d’interprétation consiste à voir dans aristocrasseux l’insertion de l’adjectif
« crasseux » par substitution paronymique au sein du lexème « aristocratie ». Le pluriel nous a cependant
amenée à privilégier la première hypothèse : aristo(crates) + crasseux.
466
Nous pouvons cependant émettre l’hypothèse d’une orthographe « fantaisiste ».
467
La Cerise Sur Le Ghetto est le titre du premier album du collectif Mafia K'1 Fry (2003, Small/Hostile).
402

La suppression d’un phonème par rapport au sous-énoncé rend compte d’une


occurrence : « établissement solaire » (TT2) pour « scolaire ».
Enfin la dérivation peut engendrer un détournement :
« Bien sûr qu’il est croyant, il est musulman pratiquement » pour « pratiquant » (TT9).
Quelques exemples de substitution sans filiation phonique ont été relevés :
- « chercheur de phases » (M20. 8) pour « chercheur d’or » présent dans le cotexte ;
- « J’attends que l’inspiration vienne frapper à ma feuille » (TT5) pour « à ma porte » ;
- « si tu sais lire entre les rimes » (TT5) pour « entre les lignes »468 ;
- « se dégourdir le cœur » (M20.11) pour « se dégourdir les jambes ».
Notons l’importance des palimpsestes in praesentia, le terme ayant fait l’objet d’une
substitution figurant dans le contexte, ce qui facilite le repérage du sous-énoncé.
Enfin, nous avons repéré un cas de collocution obtenue par imbrication et
développée par une métaphore filée (nous soulignons) :
« Au milieu des tours, y’a trop de pions dans le jeu d’échec scolaire » 469 (TT4)
= jeu d’échecs
+ échec scolaire

10.1.2. Palimpsestes

Les palimpsestes portant sur des lexies phrastiques sont obtenus par des procédés
similaires :

• substitution paronymique simple :


- « Dans l'obscurité, j'avance au clair de ma plume » (M20.4) pour « au clair de la
lune » (titre chanson) ;
- « Dans la musique, je suis venu, j’ai vu, j’ai du cul » (TT1) pour « je suis venu, j’ai vu,
j’ai vaincu » (citation traduite du latin, Jules César) ;
- « Car l’amour a ses saisons que la raison ignore » (TT3) pour « l’amour a ses raisons
que la raison ignore » (citation Pascal)
- « Car la mort a ses raisons que la raison ignore » (TT12) où le sous-énoncé est
identique au précédent mais la substitution opérée sur un autre lexème (voir infra).

• substitution sans filiation phonique :


- « J’espère, donc je suis » (M20.13) pour « Je pense, donc je suis » (citation traduite
du latin, Descartes)
- « A la recherche du présent » (EV6) en référence au titre de Proust ;
- « je remets à aujourd’hui ce que j’ai envie de faire demain » (TT5) où l’on devine
l’expression « remettre à demain ce qu’on peut faire aujourd’hui ».
- « Les voyages en train finissent mal en général » (M20.11) pour « Les histoires
d’amour finissent mal en général », la substitution étant ici d’ordre métaphorique.

468
On note cependant la conservation du [i].
469
Notons qu’un palimpseste similaire figure chez SD : « les parties d’échec scolaire » (SDα7).
403

• double substitution :
- « Le monde appartient à ceux qui rêvent trop » (M20.14) pour « l’avenir appartient à
ceux qui se lèvent tôt » (proverbe) ;
- « La nuit, tous les stylos sont pris » (EV11) pour « La nuit, tous les chats sont gris »
(proverbe). La première substitution est opérée sans filiation phonique (chats →
stylos), la seconde par paronymie (gris→ pris) ;
- « Car l’amour a ses maisons que les darons ignorent », « Car l’amour a ses liaisons
que les biftons ignorent », « Car l’amour a ses horizons que les poisons ignorent »
(TT3) : la citation de Pascal faisant ici l’objet de trois détournements successifs sur
lesquels nous reviendrons ;
- « Je pense donc je suis et tu es donc j’apprends… » (TT6) où la citation de
Descartes est rappelée avant d’être détournée (palimpseste in praesentia) ;
- « un dernier vers pour la déroute » (TT9) pour « un dernier verre pour la route » où
l’expression – dont on relève deux occurrences dans ce même texte – repose sur
une double substitution, la première homonymique, la seconde paronymique ;
- « Si vous prenez la vie, naissez plutôt au nord » (TT10) où la collocation « prendre la
route » est déconstruite, le détournement d’appliquant aussi à la seconde proposition
« naissez plutôt au nord » pour « passez plutôt… ».

• déstructuration syntaxique :
- « La vie n’est pas un long fleuve tranquille » (EV1) pour « La vie est un long
fleuve… » (destructuration minimale) ;
- « J’ai oublié d’être fort comme Achille et son talon » (M20, 12) qui peut être interprété
en lien avec deux sous-énoncés (le « talon d’Achille » et Achille Talon, le personnage
de Bande Dessinée) ;
- « après la nuit il va faire jour » (TT13), paraphrasé en ces termes « Après l’orage, les
éclaircies, aucun ciel ne reste encombré » et pouvant résulter d’un amalgame de ces
deux proverbes que sont « Après la pluie, le beau temps » et « Demain, il fera jour » ;
- « sachant que la mort est à nos trousses », en référence au film d’Hitchcock (TT12).

Dans certains cas, ces énoncés sont insérés de façon explicite, de sorte que le
slameur nous met sur la voie du sous-énoncé, qu’il s’agisse :

- d’une citation : « Je t’ai déjà dit que tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts »
(M20.3) renvoie à la citation de Nietzche.
- d’un slogan : « Je ne crois pas tout le temps qu'avec la SNCF c'est possible »
(M20.11) reprend ironiquement le slogan de la SNCF.
- d’un titre de chanson : « Il parait que les voyages en train finissent mal en général »
(M20.11) est une variante du titre des Rita Mitsouko ;
- d’un titre de nouvelle : « La vie c'est Mister Hyde, pas seulement Docteur Jekyll » fait
référence à la nouvelle de R.L. Stevenson (1886) ;
- d’un titre de film : « J'ai vu le film depuis longtemps, la vie n'est pas un long fleuve
tranquille » (EV1) reprend en le niant le titre du film d’Etienne Chatiliez (1988).
- d’un proverbe : « A ce qui paraît, la nuit tous les stylos sont pris » (EV11)

Notons que l’insertion du discours ou fragment de discours permet la focalisation du


palimpseste, aide à son décryptage, tout en fonctionnant comme une marque de
distanciation par rapport aux éléments cités. En atteste cet exemple où l’énoncé
404

initial est nié syntaxiquement : « La vie n’est pas un long fleuve tranquille ». D’une
manière générale, on observe que tous les moyens sont mis en œuvre pour faciliter
une connivence qui passe en premier lieu par l’identification du sous-énoncé. En
outre, les palimpsestes « en chaîne » - parfois au sein d’un même texte intégrés au
refrain - sont relativement fréquents, comme pour cette pensée de Pascal (XXVIII)
qui a aussi été revisitée par le slameur grenoblois Mots Paumés. « Le cœur a ses
raisons que la raison ne connaît point… » est fondée sur une antanaclase470 et a été
détournée par l’un et l’autre des deux slameurs selon des modalités différentes mais
avec une visée commune : celle de baliser la progression du texte à travers le
refrain. Le schéma ci-dessous rend compte de ces détournements slamologiques du
sous-énoncé pascalien :

Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. (Pascal)

Le réseau a ses raisons que la raison ne comprend pas. (MP)

Le réseau a ses raisons que ma raison ne veut plus comprendre. (MPbis)

L’amour a ses saisons que la raison ignore. (GCM, TT3)

L’amour a ses maisons que les darons ignorent. (GCM, TT3a)

L’amour a ses liaisons que les biftons ignorent. (GCM, TT3b)

L’amour a ses horizons que les poisons ignorent. (GCM, TT3c)

La mort a ses raisons que la raison ignore. (GCM, TT12)

filiation sémantique (synonymie) filiation phonique (paronymie ou rime)

substitution sans filiation


Figure 23 : Palimpsestes en chaîne (corpus GCM + MP)

C’est essentiellement au profit de « Roméo et Juliette » que GCM détourne la


pensée de Pascal : à une première substitution paronymique simple (raisons →
saison) succède une double substitution avec filiation phonique autour de la syllabe

470
Du grec anti ("contre") et anaklasis ("répercussion"), il s’agit d’une figure de style qui consiste en une
répétition d'un mot ou d'une expression en lui donnant une autre signification. Pour Dupriez (1980 : 50), elle
prend place dans un dialogue, voire une plaidoirie : « Il s’agit de reprendre les mots de l’interlocuteur (ou de la
partie adverse) en leur donnant une signification autre, dont on pourra tirer avantage. »
405

[zo~] puis du phonème [o~]. Ce sur-énoncé fera à son tour l’objet d’un détournement
au sein du texte « Nos absents », la substitution paronymique portant ici sur le
premier terme - l’amour devenant la mort - ce qui évoque le topos d’eros et thanatos.

10.1.3. Une culture plurielle et métissée

Si l’on observe la répartition des palimpsestes en fonction du type de sous-


énoncé, on ne peut que conclure avec Michel De Certeau à une culture au pluriel ou
métissée (Galisson) dont le slam se fait le reflet :
« La culture croisée (ou métissée) peut aussi bien relever de l’école que de la société,
dans la mesure où celle-ci, (la famille et les médias en particulier) joue aussi le rôle
d’école parallèle, donc de substitut, ou de relais ». (Galisson, 1995 : 53)
De fait, nous avons relevé, sur un total de 36 palimpsestes et locutions composites :
- 17 locutions ou collocations ;
- 10 citations ;
- 6 titres (dont 2 chansons, 2 roman/nouvelle et 2 films) ;
- 3 proverbes.

Palimpsestes GCM

locutions et coll.
citations
titres
proverbes

Figure 24 : Répartition des palimpsestes en fonction du type de sous-énoncé (GCM)

Au vu de cette répartition, on remarque que les citations détournées sont plus


nombreuses que chez Souleymane Diamanka où la déconstruction opère
essentiellement sur des sous-énoncés discursifs de type phrasèmes lexicaux471.
Variées, les références renvoient à une culture tantôt télévisuelle (« Les mots sont
nos alliés, on les aime comme maître Capello », M20.10) tantôt cinématographique

471
Nous utilisons ici ce terme au sens générique d’ « énoncé multi-lexémique non libre » (Melc’uk, 2011).
406

(« On passe du coté obscur de la terre »472, EV11). La Bande Dessinée, dont Marti
(2006 : 146) a remarqué qu’ « elle occupe une place d’honneur dans l’imaginaire du
rap », est évoquée à travers l’allusion à « Achille et son talon » qui renvoie
simultanément à une référence mythologique. En outre, quelques personnages
littéraires sont mobilisés, comme dans cet extrait qui nous semble faire écho, à
travers une allégorie, au personnage de Phèdre :
« La poésie dans les bars a rendez-vous avec la vie
Je l'ai vu et tu le vis, je l'avoue je l'ai suivie » (EV9)
On note enfin une certaine distanciation par rapport aux proverbes qui sont parfois
tournés en dérision :
« Et on m'a dit qu'en avril,
faut pas se découvrir d'un fil
Mais moi j'ai peur de rien
alors malgré les dictons vieillots
J'ai enlevé une de mes deux vestes… » (EV4)473
De la même façon, dans « La nuit » (EV), deux proverbes sont cités comme tels :
« Si t’as peur du lendemain tu penses aux proverbes un peu balourds / « La nuit
porte conseil » ou bien « Demain il fera jour » »), le troisième faisant l’objet d’un
détournement : « La nuit, tous les stylos sont pris ».

10.2. Métissage inter et intra-lingual

Le slam intitulé « Du côté chance » (EV16) est l’occasion pour GCM de revenir
sur sa tournée, sur la chronique de son succès :
« On a d’abord slamé dans des bars, c’était nos tours de Babel
L’histoire est devenue aventure et l’aventure est devenue belle » (EV16)
Or cette allusion à la Tour de Babel évoque non seulement l’idée d’une ambition et
d’une ascension, mais aussi celle d’un projet collectif conforté par le possessif
« nos ». A travers sa portée étiologique sur l’origine des langues, le mythe évoque
l’altérité, la diversité et cet aspect nous paraît révélateur du slam comme lieu de
rencontres et d’ouverture à l’autre. De fait, les textes de GCM reflètent un éclectisme
qui se traduit par des alternances codiques, mais aussi des variations diatopiques,
diastratiques et diaphasiques. Du rap au slam, la continuité réside dans un
métissage langagier que Marti a décrit en ces termes :

472
On note ici une double référence au film Star Wars et au titre d’IAM « L’Empire du côté obscur » in L’école
du micro d’argent (1997).
473
La référence aux « dictons vieillot » se double ici d’une mobilisation, en filigrane, des expressions « prendre
une veste » et « retourner sa veste ».
407

« A cette appropriation de la langue à travers l’argot, il faut ajouter le métissage des


mots avec des parlers étrangers : les productions de rap sont bien souvent des
« auberges espagnoles » linguistiques, des souks de mots, où se mêlent français,
anglais, arabe, créole… A l’image du métissage ethnique et culturel de la génération
rap » (2006 : 55)
On retrouve ce métissage linguistique dans les textes de slam qui traduisent le
métissage langagier et ethnique des participants aux ateliers :
« Le slam apparaît surtout comme une langue travaillant au corps la parole
d'aujourd'hui : langue des cités, langue des banlieues, verlan, sabir incluant des mots
arabes, portugais, africains… (selon les origines ethniques des habitants d'une cité par
exemple) C'est cet aspect du phénomène qui interroge le plus la poésie
contemporaine. » 474
A la veille du XXIème siècle et dans un numéro de Lidil consacré aux Parlers
urbains475, Jacqueline Billiez insistait déjà sur l’importance d’une mise en scène de
ces pratiques langagières urbaines, notamment à travers l’expression artistique :
« Ces pratiques de métissage linguistique à des fins identitaires se laissent aussi voir
et entendre, sur la scène publique cette fois, au sein de mouvement hip-hop »
(1999 : 8). Dans son article intitulé « Le rap français ou la différence mise en
langue », Cyril Trimaille a aussi analysé cette mosaïque, ce réseau de métissages
intégrant des éléments endogènes et exogènes (1999 : 88). A l’instar du rap mais
avec une légitimité qui semble avoir été déniée à ce dernier, le slam – poésie dite
urbaine – reflète-t-il ces parlers urbains, dont le métissage est emblématique ?

10.2.1. Le slam, auberge espagnole linguistique ?

« Saint-Denis » (M20) est le premier slam de GCM porteur d’un métissage


langagier valorisé et mis en scène en tant que tel, à travers emprunts et alternances
codiques. Outre la personnification quasi allégorique - Saint-Denis étant décrite
comme une grande dame476-, le texte s’élabore en un voyage au cœur de la « cité-
mère » :
« Prends la ligne 13 du métro et va bouffer au Mac Do ou dans les bistrots d’une ville
pleine de bonnes gos et de gros clandos/ Si t’aimes voyager, prends le tramway et va au
marché. »

474
Voir en sitographie le blog du collectif rémois « Slam tribu ».
475
en référence à Calvet (Les Voix de la ville, 1994 : 13).
476
« J’voudrais faire un slam pour une grande dame que j’connais depuis tout petit (…) »
J’voudrais faire un slam pour une vieille femme dans laquelle j’ai grandi » (2006)
408

Comme s’il semblait induit par le contexte, l’argot surgit alors, sous la forme de
lexèmes d’origine exogène – go477, originaire du bambara –, de mots issus du vieil
argot (bistrot478) ou encore d’origine onomatopéique (bouffer479). Dès lors, l’auditeur,
porté par une musique des noms qui se superpose aux bruits urbains, est conduit à
travers des lieux qui offrent un condensé du monde :
« En une heure, tu traverseras Alger et Tanger
Tu verras des Yougos et des Roms, et puis j’t’emmènerai à Lisbonne
Et à deux pas de New-Deli et de Karashi (t’as vu j’ai révisé ma géographie),
j’t’emmènerai bouffer du Mafé à Bamako et à Yamoussoukro »
Notons que l’apocope, outre sa valeur argotique – assure ici une fonction
phonologique, renforçant la musique des noms - Yougos rejoignant par là-même
Bamako et Yamoussoukro – et contribuant à la scansion du vers par des échos
sonores internes : « de bonnes gos et de gros clandos480 ». Après un détour par la
Bretagne et le Finistère, marqué par une rime en [ER] (« Et si tu préfères, on ira juste
derrière manger une crêpe là où ça sent Quimper et où ça a un petit air de
Finistère »), le voyage en slam amène l’auditeur aux Antilles qui se voient incarnées
à travers une alternance codique en créole (nous soulignons) :
« Et puis en repassant par Tizi-Ouzou, on finira aux Antilles, là où il y a des grosses
renoi qui font « Pchit, toi aussi kaou ka fé la ma fille ! »481
Au cœur de « la grande métisserie » (Rey, 2007), le verlan se mêle aux variations
interlinguales, ce qui se confirme dans la suite du texte :
« Au marché de Saint-Denis, faut que tu sois siquephy
Si t’aimes pas être bousculé tu devras rester zen
Mais sûr que tu prendras des accents plein les tympans et des odeurs plein le zen
Après le marché on ira chémar rue de la République, le sanctuaire des magasins pas
chers / La rue préférée des petites rebeus bien sapées(…) » (nous soulignons)
On voit ici comment le slameur tire profit de la verlanisation pour produire des effets
phonologiques : rime interne (Saint-Denis/siquephy), verlan graphique zen pour
477
Goudaillier (1997 : 107) l’interprète soit comme apocope de gorette (du wolof), soit, en argot bambara,
comme déformation phonétique de l’anglais girl : « ce terme s’entend dans une zone géographique allant de
Dakar (Sénégal) à Bamako (Mali). » Le récent Lexik des cités » (2007 : 169) préfacé par Alain Rey le confirme.
478
D’origine discutée (Rey, 2007 : 408), ce terme (bistro, 1884, puis bistrot, 1892) peut être issu du russe bystro
« vite » ou rattaché au poitevin bistraud « petit domestique » ou encore à bistingo « cabaret » (1845).
479
D’après Alain Rey (2007 : 461) : « formation expressive (1160-1170) se rattachant au radical onomatopéique
°buff-, qui évoque le gonflement et suggère plus particulièrement l’action de lâcher l’air après avoir gardé la
bouche close et gonflée. »
480
Le lexème clandos étant issu d’une apocope suivie d’une resuffixation de clandestin (Goudaillier, 1997 : 73).
Ce terme est ici prononcé [kla~do], et non [kla~dOs] comme indiqué dans le dictionnaire cité, pour les besoins
de la rime.
481
Alternance codique en créole qui peut se traduire par : "Mais enfin, que fais-tu ici ma fille ?". Il y a là une
approximation : « pchit » pour « tchip ». Le Lexik des cités (2007 : 327) décrit l’interjection tchip comme
« aspiration latérale proche du sifflement, accompagnée d’un regard en coin. Décrit le mépris ou
l’agacement. »
409

« nez » mis en balancement avec l’adjectif zen issu du japonais482 , chaîne jouant sur
la paronymie (marché/marcher) et la reprise par homophonie partielle (cher). Au fil de
ce voyage, le slameur se fait guide, sans oublier d’être pédagogue (« Après
géographie, petite leçon d’histoire… »), métissant son slam pour mieux décrire cette
ville métisse « aux cent mille visages ». En intégrant la parole de l’autre au cœur
même de son texte, le slameur met en scène et en voix ce métissage langagier et le
sublime par des effets poétiques.

Dans « Vu de ma fenêtre », il introduit une micro-alternance dialogale qui fait


rimer salam (apocope de Salamaleikoum !) et slam483 :
« Quand je vois ces deux hommes qui boivent un coup ensemble en riant, alors qu’ils
sont soi-disant différents, parce que l’un dit « Shalom » et l’autre dit « Salam » mais
putain ils se serrent la main, c’est ça l’âme de mon slam »
Rencontre symbolique et emblématique d’un slam qui aspire à rassembler, en dépit
des différences et des divergences. Dans « Je viens de là » (EV), GCM choisira
même de donner la parole symboliquement aux habitants de Saint-Denis, par un
effet de play-back qui caractérise le clip484. Par là-même, il rejoint l’enjeu de
démocratisation – celui de donner la parole à ceux qui en sont privés du fait de leurs
origines – et l’enjeu intégrateur propre au slam tel qu’il se définit à l’origine :
« Je viens de là où on échange, je viens de là où on se mélange
Moi c'est l'absence de bruit et d'odeur qui me dérange
Je viens de là où l'arc-en-ciel n'a pas 6 couleurs mais 18
Je viens de là où la France est un pays cosmopolite »
Dans « Underground » (EV14), le slameur développe, à la suite d’un insert où ses
amis se moquent de sa notoriété, une sorte de parodie d’ego-trip qui tourne au
pastiche par l’abus de termes et autres procédés « branchés »485 tels que :
- la métonymie : « J'ai des jeans en peau de serpent et des Stan Smith en lézard »
(pour « baskets » ou « tennis », du nom d’un joueur de tennis).
- l’aphérèse ou l’emprunt : « Rassurez-vous je reste underground, parc'qu'underground
c'est dans la tête / J'ai pas changé de numéro de phone486, mais je réponds pas, j'ai
pas le temps… ».
- l’emprunt du terme Underground qui renvoie à un univers musico-artistique.

482
Mot japonais du chinois chan, du sanskrit dyana « méditation ». (PR)
483
« Slamaleikoum », qui traduit ce métissage, est une formule devenue rituelle issue du nom des soirées
animées par GCM et ami Karim au café culturel de Saint-Denis. (voir notre glossaire)
484
Voir en sitographie l’adresse du clip.
485
Par exemple la métonymie consistant à désigner un objet par sa marque : « J'ai des jeans en peau de
serpent et des Stan Smith en lézard » (pour « baskets » ou « tennis », du nom d’un joueur de tennis).
486
Ce lexème peut-être interprété comme un emprunt à l’anglais ou comme aphérèse du mot français.
410

Hormis quelques emprunts à l’anglais relevant du technolecte du rap (lyrics, M20.3),


le texte « L’Heure d’été » (TT) - interprété en duo avec Elise Oudin-Gilles » - est le
seul qui comprenne une alternance codique dans cette langue, localisée dans le
refrain et portée par la voix de l’artiste/chanteuse. Enfin, le slam « Montréal » (2010)
se caractérise par des variations diatopiques en québécois, introduites en tant que
telles : « Mis à part quelques mots désuets ils parlent le même langage que nous ».
Par la suite, ces termes sont repérés typographiquement sur le livret, mis en relief
par un accent d’insistance et par une parenthèse discursive :
« Dans les lumières de l’après-midi, j’ai ‘chillé’ sur Sainte Catherine
Et là j’ai ‘magasinné’, pas question de faire du shopping » (nous soulignons)

Et le slameur de Saint-Denis de conclure :


« Mon petit hommage sur cette ville où je me suis senti adopté
Sur ses habitants tellement ouverts qui parlent un drôle de patois
Et qui m’ont offert leur écoute à 6 mille bornes de chez moi
Je reviendrai à Montréal car j’ai eu ‘ben du Fun’
Cette ville où les ‘chums’ ont des ‘blondes’ et où les ‘blondes’ ont des ‘chums’ »487

10.2.2. Le slam, porteur de thématiques verlanogènes ?

Parmi les formes endogènes, le slameur de Saint-Denis use et abuse du verlan,


procédé repéré comme étant essentiellement parisien (Goudaillier, 1997b). Une
analyse de la répartition de ces formes nous amènera à repérer des thématiques
potentiellement verlanogènes488.

Etude quantitative : répartition des occurrences de verlan dans l’ensemble du


corpus

Notons d’emblée la différence quantitative de lexèmes verlanisés d’un album à


l’autre : de 37 occurrences en 2006 à 12 en 2008 et seulement 2 en 2010.

40
Figure 25 : Evolution quantitative du
20 verlan dans les trois albums de GCM

0
2006 2008 2010
487
Gageons que le terme de patois a été choisi pour sa proximité avec « adopté » et la rime avec « chez moi ».
488
Terme formé par analogie avec argotogène et néologène : voir notre chapitre 7.
411

Si l’on considère l’ensemble des trois albums, on observe une répartition très
inégale et nettement décroissante – en diachronie – de ces formes verlanisées. Dans
le premier album (2006), 28 sur 36 (soit près de 80%) des occurrences de verlan ont
été relevées dans cinq textes traitant de la ville ou de l’amitié, de l’adolescence.

Textes Thèmes Nombre de termes Termes


verlanisés
« Saint Denis » La cité 6 re-noi, « noir »
siquephy,
« physique »
caillera, « racaille »
zen, « nez »
rebeu, « beur »
chémar, « marcher »
« Midi 20 » L’adolescence 4 Chelou, « louche »
Tebê, « bête »
Meufs, « femmes »
Thomy, « mytho »
« Ça peut chémar » L’amitié 11 Ouf, « fou »
chémar (9)
bébar, « barber »
« Attentat verbal » Le slam 3 chelou (2)
geon-pi, « pigeon »
« Vu de ma La cité 4 rebeus
fenêtre » meuf (2)
keufs, « flics »
Tableau 22 : Répartition des occurrences de verlan par textes dans Midi 20 (2006)

Outre ces occurrences localisées dans les textes énoncés, nous avons repéré
dans ce premier album des formes isolées : Ris-Pas (« Paris »), chelou (« louche »,
2 occurrences : M20.7, M20.15), pécho (« choper »489, 3 occurrences : M20.8,
M20.15), meufs (« femmes », M20.12) et relou (« lourd », M20.14). Au vu de cette
répartition, nous pouvons émettre l’hypothèse de thématiques verlanogènes qui
agissent comme catalyseur, favorisant le surgissement de cette forme de créativité.
De fait, dans le deuxième album (2008), le seul texte « Rétroviseur » se distingue par
le nombre de formes verlanisées : ayant trait à la nostalgie de l’enfance et de
l’adolescence, à l’amitié en général, il comprend 5 sur 12 des occurrences de verlan
relevées dans l’ensemble de l’album. Cette thématique semblerait donc verlanogène,
comme le suggère l’observation du texte « ça peut chémar » issu du premier album.
En d’autres termes, la langue se fait ici le reflet de pratiques langagières
sociolectales traduisant la recherche de connivence au sein du groupe. Notons

489
Notons que le sens le plus fréquent est celui de « conclure avec quelqu’un » d’après le Lexik des cités (2007 :
251), hormis une occurrence qui s’inscrit dans le champ de l’écriture : « pécho de l’inspiration » (M20.8).
412

cependant que le slam « Avec eux » ne confirme pas cette hypothèse, puisqu’il ne
comporte qu’une occurrence de verlan. Au sein de ce dernier texte, la verlanisation
n’est qu’une forme de stylisation parmi d’autres telles que l’emprunt à la langue
arabe (walou490), l’apocope doublée d’une double allitération (potes à perpet’) et les
variantes argotiques (« glander, c’est taffer 491»).

Lexème Textes Nombre Nombre


d’occurrences/lexème d’occurrences/textes
Chémar « Mental » 1
(marcher)
Rebeu (beur) « Je viens de là » 1
Du-per « Pères et mères » 1 Total « Pères et Mères »
(perdu) =2
Reu-mères Idem 1
(mères)
Relou (lourd) « Rétroviseur », 1+1 Total « Rétroviseur » = 5
« Enfant de la ville »
Pain-co « Rétroviseur » 1
(copain)
Rés-soi Idem 1
(soirée)
Teuf (fête) Idem 1
Meuf idem 1
(femme)
Charclos « La nuit », « Avec 2
(clochards) eux »
Tableau 23 : Répartition des lexèmes verlanisés dans Enfant de la ville (2008)

Dans le dernier album, on retrouve « chémar » (TT1) et on découvre « véner » (TT3)


qui cumule verlanisation et contraction : énervé → vééner→ véner492.

Distribution par lexèmes

Si l’on observe la répartition par lexèmes dans l’ensemble des trois albums, on
aboutit à un total de 50 occurrences pour 24 lemmes différents, ainsi distribués :

490
Rien : « Y'a walou en c'moment au ciné ! » étym. De l'arabe (maghrébin) walou (rien). D’après le
Dictionnaire de la zone consulté en ligne (voir notre sitographie).
491
Verbe formé à partir du substantif argotique taf, « prix, travail » (Goudaillier, 1997 : 165).
492
d’après le Lexik des cités (2007 : 343).
413

Lexème verlanisé Lexème initial Localisation Total occurrences


bébar barber M20.5 1
caillera racaille M20.2 1
charclos clochard EV11, EV13 1+1=2
chelou(s) louche M20.4, M20.7, M20.10, M20.15 1+1+2+1=5
chémar marcher M20.2, M20.5, EV1, TT1 1 + 9 +1 + 1 = 12
du-per perdu EV5 1
geon-pi pigeon M20.10 1
keuf flic M20.13 1
meuf femme M20.13, EV8 1+1=2
meufs femmes M20.4, M20.12, M20.13 1+ 1 + 1 = 3
ouf fou M20.5 1
pain-co copains EV8 1
pécho choper M20.8, M20.15 2+1=3
rebeu beur EV2 1
rebeus beurs M20.2, M20.13 1 +1 = 2
relou lourd M20.14, EV8, EV10 1+1+1=3
renoi noir(s) M20.2 1
ré-soi soirées EV8 1
reu-mères mères EV5 1
Ris-Pas Paris M20.7 1
siquephy physique M20.2 1
tebê bête M20.4 1
teuf fête EV8 1
thomy mytho(mane) M20.4 1
véner énervé TT3 1
zen nez M20.2 1
26 (24) 50
Tableau 24 : Répartition du verlan par lexèmes (corpus GCM)

Analyse du cotexte pour « chelou » (étude de cas)

Hormis le verbe chémar dont la répétition est surtout localisée dans le texte
intitulé « ça peut chémar » - formule qui apparaît comme un leitmotiv dans ce
slam493-, c’est l’adjectif chelou qui se distingue avec 5 occurrences, réparties dans 4
textes. Or si l’on s’intéresse au cotexte, on observe une grande diversité de co-
occurrents et de valeurs sémantiques pour ce lexème issu d’un adjectif qualificatif :
« Je suis né tôt ce matin, entouré de plein de gens bien
Qui me regardent un peu chelou et qui m'appellent Fabien » (M20.4)
Dans cet exemple, le lexème est employé avec une valeur adverbiale (« d’un air
louche »), résultant d’une combinaison bi-matricielle, des matrices
morphosémantique (verlanisation) et syntacticosémantique (conversion), cette

493
Notons que ce verbe semble figé dans sa forme infinitive, n’étant pas fléchi le cas échéant (« pour que ça
chémar », nous soulignons EV1).
414

dernière étant un procédé potentiellement caractéristique de la « langue des jeunes


des cités » 494.
« Moi j’ai choisi une voie chelou, on dirait presque une vie de bohème
Mais je suis sûr que ça vaut le coup, moi j’ai choisi une vie de poèmes » (M20.7)
Ici, le lexème est utilisé comme adjectif appliqué à un inanimé, pour « bizarre,
originale ». Notons sa mise en relief à la césure, celle-là étant marquée par une rime
brisée (chelou/coup), un rythme binaire régulier (8/8) et un parallélisme. Dans cette
occurrence au pluriel, on retrouve le sens de « bizarre, louche », l’adjectif étant
appliqué à un animé au sein de la même configuration (8/8) :
« C’est quoi, c’est qui, ces mecs chelous qui viennent pour raconter leur vie »495

Enfin, cette dernière occurrence relève d’un emploi adjectival associé à un inanimé :
« Que les demoiselles nous excusent si on fait des trucs chelous
Si un jour on est des agneaux et qu'le lendemain on est des loups »
Là-encore le terme verlanisé est mis en valeur par sa position à la rime.

Analyse morpho-phonologique et typologie

Ces deux dernières occurrences de « chelous » nous amènent à observer que la


forme verlanisée est ici porteuse du morphème de nombre « -s » de même que
« charclos ». Nous avons pourtant relevé un contre-exemple qui témoigne de la non-
systématisation de l’accord : « de grosses renoi » (M20.2). Pour les lexèmes
dissyllabiques dont les deux syllabes sont séparées par un tiret, l’absence de marque
du pluriel est fréquente comme pour « ré-soi » et « pain-co ». A l’inverse, la forme
« reu-mères » est accordée, ce qui peut s’expliquer par l’attestation du lexème mère
en tant que tel, à la différence des morphèmes « soi » et « co ». Notons d’ailleurs
que cette forme vise un effet stylistique et prosodique – en balancement avec le
paronyme repères – car la forme verlanisée attestée pour « mère » est le
monosyllabique « reum » (Goudaillier, 1997 : 152). Le sociolinguiste a noté la
multiplicité de formes possibles pour un même lexème, d’où un potentiel
néostylistique dont témoigne notre corpus : « Dans de nombreux cas, un même mot
peut être le point de départ de plusieurs formes verlanesques. » (1997 : 25) Dans
ces conditions, le choix de telle ou telle forme répond à une recherche d’effets

494
Pour Marc Sourdot, il s’agit d’une « caractéristique de la langue des jeunes des cités, trait que l’on relevait
déjà dans les parlures argotiques traditionnelles » (2009 : 498). Voir par exemple l’adjectif « grave » employé
comme adverbe.
495
Double occurrence avec reprise de cette phrase en fin de texte : « Maintenant tu sais qui c’est, ces mecs
chelous qui viennent pour raconter leur vie »
415

stylistico-prosodiques. Quant à l’utilisation du tiret pour certaines occurrences


dissyllabiques, nous pouvons émettre l’hypothèse qu’elle est indicative de
nouveauté, par opposition à des termes lexicalisés ou en passe de l’être comme
relou. Renoi et résoi – ce dernier étant orthographié avec un tiret chez GCM – sont
pareillement attestés dans le Dictionnaire de la zone et le Lexik des cités (2997 :
284), à la différence de « pain-co », « geon-pi » et « Ris-Pa ». Quant à « du-per », la
présence du tiret permet de le distinguer de son homonyme, le verbe « duper », mais
cette graphie n’est pas proposée par GCM puisque ce dernier a refusé
symboliquement de transcrire le texte496. Une autre interprétation consiste à voir
dans l’utilisation du tiret une marque prosodique de syllabation, hypothèse confirmée
par la forme « reu-mères » (EV5) dont la graphie attire l’attention sur la fermeture du
[2] : [R2/mER] s’opposant à [R9m].

Jean-Pierre Goudaillier s’est livré à une première analyse morphologique des


procédés de verlanisation à l’occasion de la parution de son dictionnaire (1997). Il a
d’abord observé les diverses configurations du verlan dit « monosyllabique » :
- Avec passage par un mot de type dissyllabique : reum, de « mère » ;
- Permutation simple entre voyelle et consonne : ouf de « fou » ;
- Verlan basé sur la graphie497 : zen pour « nez ».

La première configuration mérite qu’on s’y attarde : « Lorsque l’on transforme un mot
monosyllabique en son correspondant verlanisé, a-t-il expliqué, le passage d’une
structure de type C(C)V(C)C à sa forme verlanisée nécessite un passage obligé par
un mot de type dissyllabique avant même que ce mot ne devienne à nouveau du fait
d’une troncation (apocope) un monosyllabe, toujours de type C(C)V(C)C. » (1997 :
24). Si l’on analyse les exemples de meuf et de keuf, présents dans notre corpus, le
schéma suivant rend compte de ces transformations :

496
« Si vous voulez les détails de ce texte, personne ne va vous mâcher le travail » peut-on lire sur le livret. Les
graphies commentées sont donc celles adoptées sur la toile et approuvées par l’auteur (émission de radio
citée), en l’absence de transcription sur le livret.
497
Nous le désignerons comme « verlan graphique ». Goudaillier (2003 : 60) parle de verlan
« orthographique ».
416

lexème de base lexème verlanisé

femme = [fam] → [fam@] → [m@fa] → [m9f] = meuf

verlanisation apocope + ouverture du « e » 498

flic = [flik] → [flik@] → [k@fli] → [k9f] = keuf

base verlan
Figure 26 : Verlanisation suivie d’une apocope (d’après Goudaillier, 1997 : 24)

Nous pouvons constater, à la suite de Jean-Pierre Goudaillier, que la structure


syllabique du lexème de base demeure inchangée : seul l’ordre des consonnes est
modifié. Quant à la voyelle centrale : « quel qu’en soit le timbre, elle est remplacée
par [œ] » remarque-t-il. Au sein de notre corpus, l’exemple de teuf confirme cette
analyse. Le deuxième type de verlanisation monosyllabique consiste en une simple
permutation, la structure syllabique du mot verlanisé étant le « miroir » du lexème
initial : CV→ VC (fou → ouf). Enfin, Jean-Pierre Goudaillier observe une « nouvelle
tendance dans le processus de verlanisation », qui s’est confirmée depuis, basée sur
la graphie des lexèmes de base, et non sur leur phonie. Dans notre corpus, le
lexème « zen » relève de cette dernière catégorie que nous qualifierons de verlan
graphique et dont nous avons déjà observé l’efficience pour un blase de
rappeur/slameur (Ysae ← easy).

Dans la lignée de ces analyses, nous avons confronté notre propre corpus de
slams de GCM à cette typologie et distingué quatre principaux types de verlanisation
en fonction de la structure syllabique – en nous basant sur les syllabes orales – du
lexème initial et du lexème obtenu par verlanisation, comme synthétisé dans le
tableau ci-après.

498
Utilisant les caractères Sampa, nous avons utilisé les signes [@] et [9] pour marquer l’ouverture progressive
du « e », d’abord en position finale puis interconsonantique.
417

499
Types Schéma Lexèmes Remarques Attestation
phonétiques
1. Monosyllabiques CV → VC ouf CTT, LC, DZ, PR
500
→ CVc → zen La finale muette est CTT, DZ
monosyllabiques CVC sonorisée, d’où l’ajout
= verlan d’un phonème et
graphique l’ouverture du « e »
interconsonantique.
[ne] → [zEn]
C(C)VC→ keuf apocope + voyelle → CTT, LC, DZ, PR
CVC [9]
[flik] → [flik@]→
[k@fli]→ [k9f]
CVC → CVC meuf Voyelle → [9] CTT, LC, DZ, PR
teuf Voyelle → [9] CTT, DZ, PR
2. Monosyllabiques CVC→ CVCV chelou [luS]→ [luS@] → [S2lu] CTT, LC, DZ
→ dissyllabiques rebeu [b9R]→ [b9R@] → CTT (reubeu), LC
[R2b2] (rebeu), DZ (rebeu ou
reubeu), PR
relou [luR]→ [luR@]→ [R2lu] CTT, DZ, PR
renoi [nwaR]→ [nwaR@]→ LC, DZ
[R2nwa]
reu- [mER]→ [mER@] → CTT (reum), DZ (reum)
mères [R2mER]
teubê [bEt]→ [bEt@] → [t2be] CTT (teubé)
3. Dissylabiques → CVCV geon-pi tiret
dissyllabiques pain-co tiret
pécho modification CTT, LC, DZ
orthographique (er→ é)
ré-soi tiret LC (résoi), DZ (résoi)
Ris-Pa tiret CTT (Ripa), R (Ripa)
thomy verlanisation à partir du
lexème apocopé
[mitoman]→ [mito]
CVCCV → bébar CTT, LC, DZ
CVCVC chémar
du-per tiret
C(C)VCVC→ caillera CTT, DZ (caillera ou
CVCC(C)V kaïra)
charclos CTT, DZ
siquephy
4. Trisyllabiques → vénèr CTT (vénèr), LC
dissylabiques (vénèr), DZ (vénère),
PR (vénère)
Tableau 25 : Classement morphophonologique des formes de verlan (corpus GCM)

Sur le plan morpho-phonologique, nous avons distingué 4 principaux types de


formes verlanisées, le premier générant des lexèmes monosyllabiques tandis que les
3 autres produisent des dissyllabiques. D’où la répartition suivante :

499
Voir infra pour un développement sur ce point, les initiales indiquant les dictionnaires consultés.
500
Nous utilisons ici la minuscule pour indiquer une consonne finale qui n’a pas une valeur consonantique le
cas échéant (dite « muette »), comme dans « nez ».
418

phonologique des
Répartition morpho-phonologique
Figure 27 : occurrences de verlan
Répartition Type 1
4% 21%
morpho-phonologique Type 2
du verlan
50% 25% Type 3

Type 4

On remarque que le type 3 est le plus productif au sein de notre corpus : il s’agit du
plus simple si l’on se place du point de vue de la production et du moins crypté du
point de vue de la réception. Les mots de trois syllabes et plus sont rarement
verlanisés, et le verlan
an graphique, appliqué à des textes de slam dont la diffusion est
principalement orale, semble peu adéquat. Notons enfin que les types 1, 2 et 4
génèrent une mise en valeur des schèmes consonantiques, ce qui n’est pas étranger
aux aspects prosodiques inhérents
inhér au slam. En effet, Jean-Pierre
Pierre Goudaillier a
remarqué que le verlan de type monosyllabique contribuait au fonctionnement « en
miroir » des variétés langagières des cités (1997 : 25) : CV→ VC. Selon lui, cette
hypothèse est corroborée par des phénomènes
phénomènes tels que l’émergence de l’aphérèse
au détriment de l’apocope (phone
( pour téléphone),
), un déplacement accentuel vers la
première syllabe, et surtout, pour les monosyllabiques verlanisés avec phase
dissyllabique (type 1) – qu’il souligne étant comme « le procédé
océdé le plus fréquent » –
une neutralisation des timbres vocaliques au profit de la voyelle [oe]/ [2] (flic→
( keuf),
d’où une mise en valeur des schèmes consonantiques. De fait, si l’on observe la
chaîne keuf, teuf, meuf,, c’est bien la consonne initiale qui
qui constitue le trait distinctif ;
à l’inverse, c’est la consonne finale qui distingue keum et keuf.. Appliqué à notre
corpus, ce constat nous apparaît significatif d’une recherche d’expressivité sonore
qui peut se traduire, s’agissant de faire claquer les mots, par un grand nombre de
lexèmes monosyllabiques et par la mise en relief des schèmes consonantiques501.
Cette dernière résulte non seulement du choix de ces formes verlanisées mais aussi
de la configuration du vers et leur position au sein de celui-ci.
celui ci. Ainsi le verlan prend-il
prend
corps et sens, poétiquement parlant, au sein de slams qui s’élaborent comme
écriture orale.. En outre, l’idée d’un fonctionnement « en miroir » nous amène à poser
la question de la représentativité
eprésentativité de cette langue portée par le slam de GCM en tant
501
En outre, ce sont généralement les schèmes consonantiques qui permettent de distinguer les paronymes
comme « reu-mères » et « repères ».
419

que reflet de parlers urbains métissés : d’une langue « en miroir » à une « langue
miroir », il n’y a pas si loin. Force est de constater que la plupart des formes
verlanisées identifiées dans notre corpus s’inscrivent dans ce que Goudaillier a pu
qualifier de FCC pour Français Contemporain des Cités :
« Les formes lexicales du F.C.C. sont puisées d’une part dans le vieux français et ses
variétés régionales, d’autre part dans le vieil argot502 mais aussi dans les multiples
langues des communications liées à l’immigration (…). Par ailleurs, le F.C.C. comporte
aussi un nombre important de créations lexicales spécifiques, qui ne sont pas
uniquement du verlan… » (2003 : 56)

Attestation : formes lexicalisées et lexèmes néologiques ou hapax

En ce qui concerne l’attestation des formes relevées, nous nous sommes


référées à quatre dictionnaires et lexiques que nous désignons (voir le tableau supra)
par les initiales de leurs titres503 :
- Le dictionnaire de « Français Contemporain des Cités » (Goudaillier, 1997) :
Comment tu tchatches? (noté CTT) ;
- Le Lexik des cités (2007), ouvrage collectif d’un groupe de jeunes d’Evry
« approche empirique d’un univers insoupçonné nommé linguistique (…)
conçu comme un outil ludique et didactique », préfacé par A. Rey (noté LC).
- Le dictionnaire de la zone : tout l’argot des banlieues (consultable en ligne)
comme outil contemporain et interactif (noté DZ) ;
- Le Petit Robert, édition 2010, afin de valider ou d’invalider l’attestation de ces
lexèmes dans un dictionnaire général de langue et de référence (noté PR).

Au vu du tableau (voir supra), on peut observer d’une part que 7/24 – soit un peu
plus d’¼ – de ces formes sont indexées dans l’édition 2010 du PR504 ; d’autre part
que 6/24 formes relevées dans notre corpus – soit ¼ – ne sont citées dans aucun
des outils consultés. Il s’agit donc de créations inédites, que d’aucuns pourraient
considérer comme des hapax si l’on ne tenait compte du succès des albums de GCM
comme vecteur important de diffusion. L’exemple le plus significatif nous semble être
le lexème chémar que nous n’avons trouvé dans aucun dictionnaire et que GCM a
pourtant choisi comme emblème de son premier album et de sa première tournée, et

502
On trouve par exemple chez GCM le terme daron (4 occurrences) pour « père ».
503
Tout en ayant conscience du caractère hétérogène de ces dictionnaires, il nous semblait incontournable de
nous référer non seulement à un dictionnaire de référence (PR) mais aussi à des dictionnaires d’argot, dans la
lignée du Français Contemporain des Cités de J.P.Goudaillier. Dans un souci de contemporanéité, nous avons
eu recours au dictionnaire en ligne appelé « Dictionnaire de la zone » (voir notre sitographie).
504
Par exemple pour meuf (« Fam. » ou « arg. fam »).
420

donc de son succès. Dans l’introduction au Lexik des cités, Alain Rey (2007 : 17)
nous rappelle que les deux premières expressions de verlan intégrées au
dictionnaire ont été « laisse béton » (à cause de la chanson) et « les ripoux » (à
cause du film). Dès lors, ne peut-on pas avancer que le verbe chémar, ainsi diffusé,
réunit toutes les conditions pour dépasser le statut d’hapax et accéder ainsi à la
félicité lexicale (Sourdot, 1998) ? A cet égard, le réemploi de ce verbe dans le dernier
album de GCM n’est-il pas significatif d’un terme en voie de lexicalisation ?
Employée dès le premier texte de cet album, la formule fait écho à celle de 2006 :
« alors tu sais ça peut chémar » (TT1, spn). Nous pouvons alors confirmer ce que
pressentait ce journaliste du Point : « Déluge de rimes et d’assonances, argot
métissé, souffle vital de la scansion, émotion qui jaillit sans prévenir des mots les
plus triviaux (…) certaines de ses trouvailles pourraient bien devenir des mots de
passe »505. Le « ça peut chémar » du premier album, qui s’est confirmé lors de la
deuxième tournée, sonne désormais comme un mot de passe ou cri de ralliement
autour du slameur.506

Analyse fonctionnelle

Au niveau fonctionnel, Jean-Pierre Goudaillier a d’abord repéré une évolution


des argots de métiers aux argots sociologiques et au verlan, ainsi schématisée507 :

argots de métiers argots sociologiques verlan (slam)

1. fonction cryptique fonction identitaire fonction ludique colludique

2. fonction ludique fonction cryptique fonction identitaire (stylistique)

3. fonction identitaire fonction ludique fonction cryptique


Figure 28 : De l’argot au verlan, importance des fonctions exercées (d’après Goudaillier,
1997 : 14)

Par la suite, le sociolinguiste a regroupé les fonctions cryptiques et ludiques au sein


d’une fonction dite crypto-ludique (2003 : 57). De même, nous proposons de réunir
les fonctions ludique et identitaire à travers la notion de fonction colludique qui
intègre la dimension conniventielle et les aspects stylistiques. La ludicité et la

505
Le Point du 02/03/2006.
506
« ça peut chémar » est le nom d’un collectif créé par GCM, mêlant au sein d’un même spectacle différentes
disciplines telles que slam, rap, stand-up, street football, human beat-box et improvisation. Voir aussi les
T.shirts et autres produits commerciaux reprenant cette phrase qui s’apparente dès lors un slogan publicitaire.
507
Les deux premières colonnes du tableau correspondent à la schématisation proposée par Goudaillier. Nous
y ajoutons la colonne de droite, qui s’applique aux fonctions du verlan identifiées dans notre corpus.
421

connivence nous semblent en effet principalement recherchées dans le slam, la


visée cryptique étant exceptionnelle à l’échelle d’un slam (voir par exemple Lyor).
Nous avons observé qu’elle pouvait être cependant mise en œuvre localement à
travers le blase, comme la réminiscence d’un passé de graffeur ou de taggeur.

10.2.3. Le slam ou la poésie du métissage : « Rétroviseur », du vers au verlan

Porteur d’une langue qui fonctionne non seulement en miroir d’un point de vue
linguistique mais aussi comme un miroir sous un angle sociolinguistique - en tant que
reflet de parlers urbains contemporains -, le slam peut ainsi être analysé comme
révélateur de ce métissage fondamental. La question se pose alors en ces termes :
comment le slameur parvient-il à styliser voire à poétiser ces parlers urbains
hétéroclites ? Comme l’a souligné Marc Sourdot dans son analyse du Français
Contemporain des Cités tel qu’il se manifeste dans Kiffe kiffe demain, roman de
Faïza Guène, « ce vocabulaire ne peut être isolé de l’ensemble dans lequel il prend
corps », ensemble ou style qui sont en phase avec la vie et la langue de l’héroïne
(2009 : 497). Aussi commenterons-nous ce métissage stylistique à la lumière du
texte « Rétroviseur » dont nous avons observé la densité en matière de verlan.
Ce slam est composé de 15 quatrains dont 3 s’apparentent à un refrain : le
premier ouvre le texte, le deuxième se trouve en position centrale et le troisième en
finale. Ces trois refrains balisent donc la progression textuelle, l’insertion « c’est vrai
que » - à valeur emphatique - s’ajoutant au refrain initial dans le suivant et se
trouvant réduite à « c’est que » dans le dernier (nous soulignons) :
« J’ai le souvenir tenace, et la mémoire tonique
De ces temps pas si lointains de cette époque magique
J’sais pas si c’est normal, on peut trouver ça tragique
Mais putain j’ai pas 30 ans et je suis déjà nostalgique (…)

C’est vrai que j’ai le souvenir tenace et la mémoire tonique


De ces temps pas si lointains de cette époque magique (…)

C’est que j’ai le souvenir tenace et la mémoire tonique (…) »

Le texte est ainsi structuré par ces trois refrains qui le scindent en deux parties
égales constituées de six couplets en forme de quatrains. Or si l’on s’intéresse à
l’insertion des occurrences de verlan dans ce slam, on remarque qu’elles sont toutes
localisées dans le même passage – à savoir la première partie (quatrains 3, 5 et 6) –
422

et qu’elles sont mises en exergue de par leur position dans le vers. Conformément à
son habitude, Grand Corps Malade tourne autour de l’alexandrin, ce qui fonctionne
assez bien dans le refrain : « J’ai le souvenir tenace / et la mémoire tonique » (6/6).
Dans les quatrains ou couplets, les vers comprennent souvent 15 ou 16 syllabes,
réparties autour de la césure en 7/8, 8/8 ou 7/9 :
« Nostalgique de cette enfance, un môme casse-cou pas trop casse-couilles (7/8)
Nostalgique de cette innocence, un début de vie sans grosse embrouille (8/8)
A l’école j’avais de bonnes notes, mais on peut pas dire que j’étais très sage » (7/9)
Dans cette configuration, les formes verlanisées (nous les avons soulignées) sont
systématiquement placées avant la césure, soit en fin de groupe de souffle :
« C’est vrai que je devais être relou, mon attention était réduite » (7/8)
« La joie des premières ré-soi, l’émotion des premiers rendez-vous (7/9)
D’ailleurs ça me rappelle cette meuf, j’crois qu’elle s’appelait Gaëlle (7/6)
C’était en rentrant d’une teuf, je lui dois mon premier roulage de pelle » (7/9)
Notons que cette dernière rime est brisée (Aquien &Molinié, 2002 : 648), puisque les
vers se font écho non seulement par la fin mais aussi par la césure. Cela contribue à
une impression de zapping (Sourdot, 2009 : 496), traduisant le rythme effréné propre
à l’adolescence. D’une manière générale, on observe dans ces vers que le terme
verlanisé est mis en relief par une accentuation prosodique, due à une position en fin
d’hémistiche ou de groupe de souffle :
« Et ça y’est je me revois déjà dans le bus qui part en colo (7/7)
Avec tous mes pain-co, avec des petites gos et avec mon gros sac à dos » (6/5/8)
Cette dernière occurrence est soulignée par l’assonance en [o] qui produit une rime
interne. Il s’agit là d’une rime batelée (Aquien &Molinié, 2002 : 648), le mot pain-co
placé à la césure faisant écho à la fin du vers précédent. Créée pour les besoins de
la rime, cette forme néologique se trouve ici doublement mise en valeur par le tiret et
par sa position dans le vers renforcée par l’assonance. A la différence de Faïza
Guène, GCM utilise le verlan non seulement comme moyen de stylisation des traits
d’oralité mais aussi comme procédé lexicogénique, soit comme activité de production
lexicale (Sourdot, 2009 : 500) : la fonction ludique ou colludique semble alors
prendre le pas sur la fonction identitaire. Pour le slameur de Saint Denis, l’emploi du
verlan est porteur d’une connotation nostalgique, ce lexème étant d’ailleurs répété et
souligné par une anaphore : il est essentiellement associé à une période de sa vie –
l’adolescence – ce qui explique son absence de la deuxième partie du texte. Au
verlan s’ajoutent d’autres procédés relevant du F.C.C. : les emprunts (go emprunté à
423

l’argot bambara et beat qui relève du technolecte du rap), l’apocope (mythos), et la


métaphore : « J’ai des souvenirs par packs de douze (…) ». En outre, GCM use de la
chaîne paronomastique que nous avons identifiée comme prégnante dans de
nombreux slams : « Putain, j’envie cette vie ravie que je revis d’temps en temps ». Il
réactive enfin la fonction phatique par de nombreux connecteurs, embrayeurs et
autres phatèmes traduisant la recherche d’une connivence avec l’auditeur :
« Mais t’inquiète, j’suis pas là pour pleurer, juste revivre avec vous… »
« Et les jours de grève, croyez moi, ça aussi c’était du sport… »
En balisant ainsi la progression de son texte, le slameur s’efforce de ménager un
certain suspens, le slam se définissant aussi comme art de la chute :
« Mais y’a quelque chose que je dois avouer, que j’suis obligé de vous dire… »
En l’occurrence, la chute est attendue puisqu’il s’agit d’une reprise du refrain, mais
dans d’autres slams, elle est un lieu de mouvance et fait l’objet d’une préparation
spécifique qui se déroule au fil du texte508.

10.3. Tissage intratextuel et rhétorique

Les slams de GCM se caractérisent par un tissage intrinsèque au texte mais qui
se trouve ici mis en évidence par des commentaires métatextuels : le slameur tisse
et métisse sa toile, au fil de ses textes. Il manifeste des qualités d’élocution, de
disposition et d’invention dignes d’un grand rhétoriqueur. Nous étudierons donc trois
de ses textes en tant que manifestations d’une éloquence dont les cinq parties
fondamentales sont, conformément aux traités de rhétorique : l’invention, l’élocution,
la disposition, la mémoire et l’action. Si ces deux derniers aspects ne sauraient être
dissociés de la performance orale, les trois autres sont analysables au cœur même
des slams.

10.3.1. « Chercheur de phases » ou l’art de l’inventio

L’invention est la première des cinq grandes parties de la rhétorique et


« fondamentalement, c’est le choix de la matière à traiter dans le discours » (Aquien
& Molinié, 2002 : 209). Dans « Chercheur de phases » (M20.8), le slameur décrit sa
quête poétique à travers une allégorie (voir infra), en se comparant à un orpailleur :
« Il retourne toutes les rivières en secouant son tamis
Il traque la moindre lueur, il en rêve même la nuit

508
Voir infra notre commentaire du texte « J’ai oublié ».
424

Il soulève chaque caillou pour voir ce qu’il y a en dessous


Il lui arrive même de chercher jusqu’à s’en rendre saoul
Il ausculte tous les grains de sable pour dénicher la pépite
Il sait prendre son temps, ne jamais aller trop vite »
Du chercheur d’or au « chercheur de phases », du « il » au « je », il n’y a qu’un pas :
« Je retourne toutes les phrases en secouant mon esprit
Je traque la moindre rime et j’en rêve même la nuit
Je soulève chaque syllabe pour voir ce qu’il y a en dessous
Il m’arrive même de chercher jusqu’à m’en rendre saoul
J’ausculte tous les mots pour dénicher la bonne terminaison
Je sais prendre mon temps, la patience guide ma raison » (nous soulignons)
Grand Corps Malade utilise un parfait parallélisme entre les deux couplets : il se
contente de substituer au champ lexical de l’orpailleur celui de la langue poétique. Et
le « chercheur de phases » de nous décrire sa recherche d’inspiration :
« Même quand je sors de chez moi, je profite de la moindre occaz
Pour pécho de l’inspiration, j’suis un chercheur de phases »
Quant à la nature de ces phases, il en explique aussi la teneur :
« Et puis trouver le bon mot et le mettre à la bonne place
C’est peut-être ça le plus kiffant, la bonne rime efficace »
A la lumière de ces quelques vers, la phase représenterait « le bon mot à la bonne
place », soit « la bonne rime efficace », ou encore, selon la formule de Souleymane
Diamanka : « Que chaque mot trouve sa phrase et que chaque phrase trouve sa
rime »509. Notons cependant que phase se distingue de phrase et qu’il s’agit là, nous
semble-t-il, d’un emploi néologique du substantif510. Si la phase se rapproche ici de
la punch-line relevant du technolecte du hip-hop511, nous pouvons émettre
l’hypothèse que la valeur sémantique de ce terme se construit à la confluence de ses
diverses acceptions attestées :
- « ASTRON. : chacun des aspects que présente la Lune et les planètes à un
observateur terrestre, selon leur éclairement par le soleil.→ Apparence ;
- PHYS. : constante angulaire caractéristique d’un mouvement périodique (d’où la
locution être en phase pour être en accord, en harmonie) ;
- CHIM. : dans un système chimique, chacune des différentes parties homogènes,
mais physiquement distinctes, qui ont leur situation propre dans l’espace et sont
limitées par des surfaces de séparation ;
- COUR. : chacun des états successifs d’une chose en évolution. » (PR : 2010)
Nous avons souligné les sèmes qui nous paraissent pertinents appliqués à la quête
poétique : la recherche d’un équilibre, d’une harmonie voire d’une homogénéité,
509
« Moment d’humanité », L’Hiver Peul, 2007.
510
Voir le « Petit dictionnaire de slam improvisé » d’Héloïse Guay de B. : « Phase : nom féminin. Du dionysien :
« trouver la rime ». Terme employé principalement pour la poésie slam. On dit : « trouver la bonne phase. »
(2009 : 174) Voir aussi notre glossaire pour un développement sur le sens attribué à ce lexème.
511
« Punch line : image, combinaison de mots ou vers percutant qui interpellent immédiatement l’auditoire,
également appelé « phase » dans le vocabulaire hip-hop. » (Collectif 129H, Ecrire et dire, sd : 77).
425

entre différents éléments ou parties qui font système et dont l’aspect peut évoluer au
fil de l’inspiration et de la création. Nous rejoignons là Héloïse Guay de Bellissen :
« La phase, c’est la rime qui fait mal, c’est-à-dire le bon mot à la bonne place qui va
faire un enchaînement « mortel » (…) Rappelons que « phase » est aussi employée en
sciences physiques. Elle est un milieu dans lequel les paramètres varient de manière
continue, cela inclut notamment la composition chimique et la densité. » (2009 : 174)
Ami Karim, slameur et auteur de la préface de cet ouvrage, évoque quant à lui une
quête « de la rime philosophale, qui changerait l’ordinaire, le banal, en quelque
chose de rare et précieux » (GdB., 2009 : 19). En d’autres termes, il s’agit de trouver
l’alchimie entre les constituants tout en étant en phase avec l’auditeur :
« Moi je veux écrire des tas de phases et te les sortir avec un bon phrasé

Je veux t’envahir de phrases quitte à ce que tu te sentes déphasé » (nous soulignons)512

A travers cette rime brisée et équivoquée, on voit bien ici comment le slameur joue
de l’ambiguïté entre phrase – et son dérivé phrasé – et phase – et son dérivé
déphasé. Si les deux premiers relèvent d’un champ lexical attendu dans ce contexte,
les deux suivants sont moins congruents à la thématique et d’autant plus
susceptibles de déconcerter l’auditeur. Tout se passe comme si le slameur appliquait
simultanément à son slam les règles et les enjeux qu’il expose. Il estime avoir atteint
son but en 2008 où il décrit le chemin parcouru en modifiant le verbe associé, la
formule « chercheur de phases » s’apparentant désormais à une collocation :
« Notre dur labeur paye, on voit les portes qui s’entrouvrent
Dorénavant, les phases, on les cherche plus, on les trouve » (nous soulignons)

10.3.2. « J’ai oublié » ou l’art de la dispositio

La dispositio peut être entendue comme « une utile distribution des choses ou
des parties, assignant à chacune la place et le rang qu’elle doit avoir » (Aquien &
Molinié, 2002 : 138). Si l’on considère le slam « J’ai oublié » (M20.12), on constate
qu’il est entièrement construit sur la base d’une anaphore de cette forme verbale
titulaire dont le développement prédicatif balise la progression du texte :
« J’ai oublié de commencer ce texte par une belle introduction
J’ai oublié de vous préparer avant d’entrer en action »
Les premiers vers de ce slam s’apparentent donc à un exorde, préparant l’action à
laquelle le slameur semble faire allusion et qui correspond d’un point de vue
rhétorique à « ce qu’on désignerait aujourd’hui sous le nom d’interprétation ou, en

512
Les flèches pleines indiquent le lien étymologique (dérivation), les pointillés correspondant aux rimes.
426

linguistique, de performance » (Aquien & Molinié, 2002 : 40). Il s’ensuit un texte


particulièrement riche en matière de métatextualité, GCM commentant son discours
au fur et à mesure de sa performance et se gardant de l’egotrip : « Dans ces vers, j’ai
oublié d’arrêter de parler de moi ». Il s’agit d’exprimer la recherche d’une écriture
décentrée (Laronde, 1996 : 7) en un texte qui se décentre effectivement à travers
une pluralité de voix. Quant à la chute, il l’annonce en tant que telle par un procédé
qui s’apparente là aussi à de l’antiphrase puisqu’il déplore l’absence de chute alors
même qu’il la prépare :
« A ce putain de texte, j’ai oublié de trouver une chute
Comme un cascadeur qui saute d’un avion sans parachute
Mais chut ! Faut que je me taise, car maintenant c’est la fin…
…. A vrai dire pas tout à fait car pour l’instant j’ai encore faim » (nous soulignons)513
En effet, cette fin – qui n’en est pas une – joue sur une double homonymie
(chute/chut, fin/faim) afin de différer la véritable péroraison514 qui intervient quelques
vers plus tard :
« J’ai oublié des tas de sujets, vous avez compris le concept
Alors pour pas trop vous saouler je vais m’arrêter d’un coup sec. »515

10.3.3. « Pères et mères » ou l’art de l’elocutio

L’élocution est la partie de l’éloquence « qui préside à la fois à la sélection et


l’arrangement des mots dans le discours. » (Aquien & Molinié, 2002 : 147) Or le slam
« Pères et mères » nous apparaît aussi éloquent que bien disposé. En effet, la
structure de ce texte est marquée par la récurrence d’un refrain avec des variantes.
En l’occurrence, le refrain initial - « Moi, mon père et ma mère sont carrément hors
pair/ Et au début de ce récit / Je prends quelques secondes, je tempère / Pour dire à
ma mère et à mon père « Merci ! » - devient « Moi, mon père et ma mère sont
carrément hors pair/ Et au milieu de ce récit (…) » dès le deuxième refrain. Par
ailleurs, la répétition - fondatrice de la poésie orale (Hagège, 1987) - prend des
formes diverses, dont l’homonymie et la paronymie, ainsi que l’anaphore. Dans le
texte cité, nous avons inventorié les répétitions suivantes :

513
Notons ici le décrochage typographique, les points de suspension marquant une pause à l’oral.
514
« Moment ultime, qui est le dernier feu de l’orateur, et doit de ce fait produire l’impression décisive pour
emporter la conviction des auditeurs. » (Aquien & Molinié, 2002 : 311).
515
On trouve chez Rouda (2007) le même type de chute : « Au fait, la fin de mon texte est muette… » (le
slameur feignant de parler dans le micro). In « Arrêtez-les » (Musique des lettres, 2007).
427

Types de répétitions Pères Mères


a. Répétitions à l’identique 39 39 + reu-mères
(lexèmes516)
b. Homonymie 4 (pair) 3 (mer)
c. Homophonie syllabique 44 [pER] + 3 [peR] = 47 16 [mER]
d. Syllabes (a+b+c) [pER] = 90 [meR] = 59
e. Allitérations [p] = 119 [m] = 111
[R] = 223
Tableau 26 : Les différentes formes de répétitions dans « Pères et mères » (EV5)

En ce qui concerne le lexème « père », on remarque que sa répétition à l’identique


est moins importante quantitativement que sa reprise par homophonie partielle.
Certes, les occurrences du lexème « mère » sont moins nombreuses, mais les
choses s’équilibrent lorsqu’on considère la structure phonologique – et notamment
consonantique – du texte. En d’autres termes, la répétition se trouve renforcée
phonétiquement dans un slam où la trame phonologique est tout aussi travaillée que
la trame sémantique. En outre, la répétition de ces deux lexèmes donne lieu à des
formes néologiques créées par composition (père-fiction, père-primaire, père-crédit,
père-pulsion) ou verlanisation (reu-mères, en balancement paronymique avec
repères). La paronymie représente une matrice privilégiée, si bien que l’on peut
parler, là encore, d’écriture paronomastique (Frontier, 1992 : 266). La prosodie joue
un rôle important, comme en témoigne la forme « reu-mères » préférée à « reum »
pour les raisons précédemment évoquées. De fait, « la qualité essentielle de
l’élocution est la clarté ; c’est l’élocution qui doit recevoir les ornements du discours.
Elle est le support de l’emphase et le lieu de manifestation des sentences. Enfin,
l’élocution accepte naturellement les figures. » (Aquien & Molinié, 2002 : 147)

S’ils illustrent certaines des règles inhérentes à l’éloquence et au discours


rhétorique, les slams de GCM ne s’inscrivent pas pour autant dans un registre
judiciaire. Souleymane Diamanka va plus loin en prêtant sa voix à un serial killer qui
développe une sorte de plaidoirie dont la narration ne nous épargne aucun détail
sordide : « Je ne suis pas un assassin mais j’ai des crises de démence
monstrueuses / Un jour j’ai massé une fillette avec une tronçonneuse » (SDα8).
Quant à la péroraison, elle est tout aussi éloquente et dramatisée en tant que telle :
« Maintenant je vais me taire votre honneur mais sachez
Que vous ne me ferez jamais plus de mal que je m’en suis déjà fait
Et pour la dernière fois je le répète / C’est à cause des voix qui parlent dans ma tête »517

516
Dont mots composés (pères-fictions). Nous n’avons pas compté les mots du titre.
517
« Les voix dans ma tête », L’Hiver Peul, 2007.
428

Sans aller jusqu’à faire parler « les voix dans (sa) tête », c’est bien une forme de
polyphonie que nous avons observé dans l’écriture de GCM qui se rapproche en ce
sens de celle de Faïza Guène. Dans les deux cas, on observe une « complicité que
l’auteur a su établir avec ses lecteurs à travers ce métissage linguistique qui mêle à
la langue des jeunes une grande pluralité de voix (Sourdot, 2009 : 502).

10.4. Tissage interdiscursif et intertextuel, allégorie et poéticité

Au tissage rhétorique interne s’ajoutent des liens tissés avec d’autres textes et
discours que nous avons analysés en termes d’intertextualité et d’intervocalité
(Zumthor, 1987 : 161).

10.4.1. Du featuring à l’intervocalité, de la dédicace à l’interdiscursivité

Dans le slam, l’intervocalité s’inscrit dans la lignée de la tradition rapologique du


featuring : « On parle de featuring lorsqu’un artiste en invite un autre à collaborer »
précise Julien Barret (2008 : 179). Sur les trois albums cumulés de GCM, nous avons
relevé cinq slams qui se distinguent comme lieu d’intervocalité :
- « Parole du bout du monde » (2006) avec le slameur Rouda ;
- « ça peut chémar » (2006) avec le slameur John Pucc’ ;
- « A la recherche » (2008) avec les rappeurs Kery James et Oxmo Puccino ;
- « Tu es donc j’apprends » (2010) avec le chanteur Charles Aznavour ;
- « L’heure d’été » (2010) avec l’artiste Elise Oudin-Gilles.
Le slam apparaît ainsi comme un lieu de rencontre des artistes et au-delà, de leurs
arts. C’est aussi à travers le phénomène d’interdiscursivité518 que les slameurs
interagissent entre eux. Même en dehors de la présence de l’autre, Grand Corps
Malade parvient à l’intégrer dans ses textes, voire dans ses mots, qui se révèlent
porteurs d’une adresse (« Oxmose » dans le featuring avec le rappeur Oxmo
Puccino) ou d’un enjeu identitaire et solidaire (« ça peut chémar » sonnant comme
un cri de ralliement). Le slam « Mental » (2008) - qui constitue l’ouverture du
deuxième album et traite de la ressource de l’amitié pour affronter les épreuves de la
vie -, ne cumule pas moins de quatre interpellations successives :
« Personne n'y échappe, Rouda c'est pas toi qui vas me contredire »
« Jacky, tu m'as dit que l'ascenseur social était bloqué »
« Y'a pas de chemin facile, Brahim t'as rien demandé à personne »
« Toi Sami t'es notre moteur parce que tu sais depuis longtemps » (GCM, 2008)

518
Voir notre chapitre 5 pour un développement sur ce concept.
429

Notons que ce slam évoque « Les poètes se cachent pour écrire » qui ouvre l’album
de Souleymane Diamanka (2007) : ces textes s’avèrent porteurs d’un message de
solidarité et d’ouverture aux autres qui annonce la couleur d’une poésie conçue
comme fondamentalement ouverte et interactive519. L’interdiscursivité rejoint
l’intertextualité lorsque Grand Corps Malade cite des textes de slameurs qui font
parfois écho à ses propres slams :
« Là où j’ai croisé Souleymane au bout du sixième silence » (M20.16)
La formule « Sixième sens » résume le lieu de cette rencontre entre l’auteur de
« Sixième sens » (GCM, 2006) et celui du texte intitulé « Au bout du sixième
silence » (SD, 2007), interprété en duo avec le slameur de Saint-Denis. Les mots et
les voix se croisent à travers ce palimpseste emblématique né d’une expression :
(Avoir) un sixième sens → Sixième sens → (Au bout du) sixième silence
(GCM, 2006) (SD, 2007)

10.4.2. Intertextualité et allégorie

A l’instar d’autres slameurs520, Grand Corps Malade recourt à l’intertextualité


même si celle-là est le plus souvent interne, comme nous l’allons démontrer.

Intertextualité externe

Nous avons relevé un exemple d’intertextualité dite externe, celui de « Roméo et


Juliette » (GCM, 2010) où le slameur fait explicitement référence à Shakespeare tout
en modifiant la trame dramatique de la pièce originale qui constitue
l’hypotexte d’après la terminologie Genettienne :
« Mais Juliette et Roméo changent l’histoire et se tirent
A croire qu’ils s’aiment plus à la vie qu’à la mort
Pas de fiole de cyanure, n’en déplaise à Shakespeare
Car l’amour a ses horizons que les poisons ignorent » (nous soulignons)
Le cadre et les personnages sont modernisés et rendus familiers (« Malgré son pote
Mercutio… ») tandis que les amants profitent des moyens de communication
modernes : « Un texto sur l’i-phone et un chat Internet ». Grand Corps Malade insiste
alors sur la portée atemporelle du mythe shakespearien ainsi transposé à l’univers
de la cité : « Un amour et deux enfants en avance sur leur temps ».

519
Voir notre précédent chapitre.
520
Frédéric Nevchehirlian use d’une intertextualité tantôt externe (« Le stade », 2009, étant une extrapolation
du poème « Vaduz » de Heidsieck) tantôt interne (« La mer », 2005 & 2009, voir notre chapitre 5).
430

Intertextualité interne à l’œuvre de GCM

Par intertextualité interne, nous entendons les échos au sein de l’œuvre de


GCM, les fils tissés d’un album à l’autre, dont nous avons relevé les sept exemples
suivants :
- De « Vu de ma fenêtre » (2006) à « Je dors sur mes deux oreilles » (2006) :
« Vu de ma fenêtre, y a qu’des bâtiments
Si j’te disais que j’vois de la verdure, tu saurais que je mens »

→ « Moi quand j’regarde par ma fenêtre, j’vois que le béton est en fleurs »

- Des « Voyages en train » (2006) à « Comme une évidence » (2008) :


« J'crois que les histoires d'amour c'est comme les voyages en train
Et quand je vois tous ces voyageurs parfois j'aimerais en être un
Pourquoi tu crois que tant de gens attendent sur le quai de la gare »

→ « J'ai quitté le quai pour un train spécial, un TGV-Palace


On roule à 1000 kilomètres-heure au dessus de la mer en première classe »

- De « Rencontres » (2006) à « Du côté chance » (2008) :


« J'suis pas au bout d'mes surprises, là-dessus y'a aucun doute
Et tous les jours je continue d'apprendre les codes de ma route »

→ « Les codes de ma route ont soudain été très surprenants


Nouvelle signalisation, nouveaux panneaux, nouveaux tournants »

- De « Midi 20 » (2006) à « Du côté chance » (2008) :


→ « Et si je reprends l’horloge de mon unique journée
Il est Midi 40 quand s’achève la tournée »

- De « Chercheur de phases » (2006) à « Avec eux » (2008) :


→ « Dorénavant, les phases, on les cherche plus, on les trouve »

- De « J’connaissais pas Paris le matin » (2006) à « Rachid Taxi » (2010) :


→ « Il connaît bien Paris le matin et démarre souvent avant le soleil »

- De « Enfant de la ville » (2008) à Montréal (2010) :


→ « J’me sens bien dans ces différences, j’suis un enfant de toutes les villes »

Autant de liens établis – au sein d’un même album comme à quatre années
d’intervalle – qui relèvent de métaphores et autres allégories filées, traduisant par là-
même la profonde cohérence propre à l’œuvre du slameur.
431

Allégories et autres métaphores

Dans La langue littéraire à l’aube du XXIème siècle (2010), Florence Mercier-Leca


a étudié l’allégorie comme « héritage poétique inattendu » dans le slam de Grand
Corps Malade. Elle est partie du postulat que le slam, à travers ce que nous avons
qualifié de langue-miroir, devait fournir « un bon instantané d’une forme de langue
artistique du XXIème siècle où l’écart entre la langue littéraire et la langue parlée serait
amoindri, puisque s’adressant à un public populaire et n’exigeant pas de lui des
connaissances académiques. » (2010 : 96). Elle a observé que la rhétorique
ostentatoire dont nous avons pu analyser l’empreinte est dominée par l’emploi de
l’allégorie. D’où la « fusion harmonieuse et surprenante d’un lexique et d’une syntaxe
empruntés à l’oral et à l’argot des cités (éléments qui figurent pleinement dans
l’horizon d’attente de l’auditeur de slam) et d’un type de figure désuet, inattendu en
tout cas dans ce contexte. » (96-97). Si nous ne cautionnons pas l’idée d’un horizon
d’attente – que nous appelons du reste horizon d’écoute – tourné vers l’argot des
cités, ce qui nous semble un peu schématique et contraire à l’esprit de mixité propre
au slam, nous pouvons en effet observer l’alliance d’une langue empreinte d’oralité
et de modernité et de figures de style remontant à l’époque des Grands
Rhétoriqueurs, soit au tout début de la Renaissance. Force est de constater que
Grand Corps Malade renoue ainsi avec une forme de classicisme, par exemple à
travers ces quelques vers désignant les slameurs : « le souffle et l’enthousiasme
d’une brigade de poètes sortis tout droit de l’obscurité » (M20.1)521

Très proche du symbole, l’allégorie – du grec allegorein, « parler autrement »522


– se manifeste sous des formes variées, notamment dans le premier album de GCM.
On en distingue deux formes principales, toutes deux actualisées dans notre corpus :
d’une part, l’allégorie comme « suite de métaphores (…) continuées, dont le
comparant (…) désigne des êtres animés » (Aquien & Molinié, 2002 : 48) - soit
comme un cas particulier de la personnification qui consiste à représenter sous des
traits humains un concept ou une idée abstraite -; d’autre part, au sens générique,
l’allégorie comme mode de lecture ou phénomène d’interprétation523. De fait, un

521
En effet, on peut y voir une référence aux poètes de la Pléiade (la « Brigade ») dans un texte où il est
précisément question de renaissance poétique.
522
De ἄλλον / állon, « autre chose », et ἀγορεύειν / agoreúein, « parler en public ».
523
« une image qui se développe dans un contexte narratif de portée symbolique, selon une isotopie concrète
entièrement cohérente, et qui renvoie terme à terme, de manière le plus souvent métaphorique, à un univers
référentiel d’une autre nature, abstraite, philosophique, morale, etc. » (Aquien & Molinié, 2002 : 446).
432

certain nombre des textes de GCM se prêtent à une lecture allégorique, à travers des
topoï et autres symboles qui parcourent l’œuvre du slameur. Dans la lignée d’Ulysse,
le voyage représente une odyssée poétique (« Chercheur de phases »), ou une
quête amoureuse (« Les Voyages en train »). Quant à la fenêtre (« Vu de ma
fenêtre »), elle symbolise la réceptivité d’après le dictionnaire de symboles (Chevalier
& Gheerbrant, 1997 : 1027), d’où la réflexivité et la conscience poétique du slameur,
sa capacité à sublimer le réel : « Moi quand j’regarde par la fenêtre, j’vois que le
béton est en fleurs ». (M20.13). Enfin, l’isotopie de la route est omniprésente et
déclinée à travers des métonymies modernes telles que les codes de la route ou
encore le « Rétroviseur »524, version modernisée du chemin de la vie : « La route est
sinueuse, je veux être l’acteur de ses tournants » (M20.7). Si l’on considère le relevé
effectué par Florence Mercier-Leca (2010 : 102), on constate que cette isotopie –
sous-tendue par la métaphore du chemin de la vie – est présente dans 11 textes sur
32, soit plus d’un tiers des slams issus des deux premiers albums de GCM.

L’allégorie entendue comme personnification est aussi une ressource dont le


slameur use à l’envi. La présence d’une majuscule, « leur conférant ainsi le statut de
nom propre » (Aquien et Molinié, 2002 : 446) en favorise le repérage : « Je l’ai écrit
avec une copine : elle s’appelle Sérénité » (M20.3)525. Outre cette occurrence, nous
avons relevé celles-ci qui concernent :
- Des villes : « Saint-Denis » (« J’voudrais faire un slam pour une grande dame que
j’connais depuis tout petit » M20.2) et « Montréal » (« Montréal est la petite sœur de
New York (…) Montréal est la cousine de Paris » TT11) ;
- Un pays « Mère Patrie » (« Un hymne à Mère Patrie qui brise le talent et passe son
cri sous silence » M20.5) ;
- Un personnage mythologique : « Morphée » (« J’ai mis Morphée à l’amende en plus
dehors y’a un pur temps » M20.7)526 ;
- Des faits de société : « Progrès et Dérive » (« Quand Progrès et Dérive s’accordent
et nous enfoncent » TT10).

D’autres occurrences relèvent de personnifications sans que l’emploi de la majuscule


ne permette d’identifier clairement une allégorie :
524
Notons ici le lien avec les auteurs de la Beat Generation, à commencer par le roman fondateur On the road
(Kerouac, 1957).
525
L’allégorie rejoint ici la figure de style appelée antonomase, consistant à prendre un nom commun pour un
nom propre ou inversement (Dupriez, 1980 : 58).
526
S’agissant d’un Dieu, la majuscule est requise ici, mais l’emploi nous paraît allégorique en tant qu’il renvoie
au sommeil, via l’expression « dans les bras de Morphée ».
433

- De la réalité : « C’est ce moment là, hors du temps, que la réalité a choisi / Pour
montrer qu’elle décide et que si elle veut elle nous malmène (M20.6) ;
- Des parties du corps comme lieux d’émotions contradictoires : « La tête, le cœur, les
couilles discutent mais ils sont jamais d'accords » (M20.15) ;
- Des saisons : « le printemps allait emménager », « l’automne était déterminé »
(EV4) ;
- Du bitume comme métonymie et miroir de la cité : « Quand on le regarde dans les
yeux, on voit bien que s'y reflètent nos vies » (EV10)
- De la nuit comme source d’inspiration : « Comment exprimer ce que la nuit m’inspire
/ Ce qu’elle nous suggère et ce qu‘elle respire… » (EV11)
- De la poésie : « La poésie dans les bars a rendez-vous avec la vie / Je l'ai vu et tu le
vis, je l'avoue je l'ai suivie (…)/ Elle t'enlace et une fois qu'elle te tient elle prend son
temps » (EV9)
Cette dernière personnification s’apparente d’autant plus à une allégorie qu’elle est
reprise en tant que telle dans d’autres slams, à commencer par « Rencontres » dont
les personnages sont explicitement présentés comme allégoriques : « Ces
personnages que j'ai croisés c'est pas vraiment des êtres humains / Tu peux parler
avec eux mais jamais leur serrer la main » (M20.14). Le slameur nous donne ici des
clés de lecture ou d’auditure (Bobillot) en nous invitant à une interprétation
allégorique. De fait, l’innocence, le sport, la poésie, la détresse, l’amour (et « sa
demi-sœur, la haine »), la tendresse, la nostalgie, l’amitié, l’avenir sont autant de
« sacrées rencontres » qui se sont révélées décisives dans son parcours. Notons
que ces « personnes » - ou « éléments » - se répartissent entre masculin et féminin
en fonction du genre du substantif : à titre d’exemple, le sport est décrit comme « un
mec physique un peu grande gueule » alors que l’amitié est désignée comme
« meilleure copine ». En outre, l’allégorie confine à la prosopopée527 :
« Puis il (l’amour) m'a dit qu'il devait partir, il avait des rendez-vous par centaines
Que ce soir il devait dîner chez sa demi-soeur : la haine
Avant d'partir j'ai pas bien compris, il m'a conseillé d'y croire toujours
Puis s'est éloigné sans s'retourner, c'était les derniers mots d'amour » (nous soulignons)

On voit là comment le slameur d’une part introduit la prosopopée – par l’insertion


explicite du discours – et d’autre part joue des expressions figées ou semi-figées –
en l’occurrence « mots d’amour » – en les resémantisant. On s’attendrait à lire ici,
dans la logique de l’allégorie : « C’était les derniers mots d’Amour ».

527
Figure macrostructurale qui « consiste à faire parler les morts, les absents, les animaux, les inanimés ou les
abstractions » (Aquien & Molinié, 2002 : 325).
434

Si l’on s’intéresse aux fonctions de l’allégorie qui représente une forme de


créativité dans ce contexte, on observe qu’elle s’inscrit essentiellement dans le
prolongement de métaphores filées qui tissent à la fois la cohérence de l’œuvre et la
complicité avec l’auditeur. Il en résulte une poésie vivante et incarnée, dialoguée (via
la prosopopée) et porteuse d’un enjeu colludique doublé d’une réflexion méta-
poétique. Celle-là va en s’affinant au fil des albums : « Fini de faire l’intéressant avec
mes voyages en train » (EV3). Notons que le slameur nous met généralement sur la
voie de l’interprétation allégorique en attirant l’attention sur la portée métaphorique :
« Le jour se lève (…) et quand je dis ça, c’est pas juste une métaphore » (M20.1)

« Son grand Ouest, c’est mon petit bureau, t’as vu le parallèle, frérot ? » (M20.8)

« Y’a des soleils et des orages, et j’te parle pas qu’de météo » (EV1)

On peut donc conclure, avec Florence Mercier-Leca (2010 : 106), que Grand Corps
Malade, soucieux d’afficher ses positions esthétiques et d’affirmer sa défense et
illustration de la langue des banlieues dit « non à la poésie poussiéreuse, au
vocabulaire suranné connoté « romantique », non aux associations clichés livrées
telles quelles (…), mais oui au cliché détourné (…), oui à la récupération de
matériaux ancestraux incorporés à la langue de la tribu, oui donc à la poésie
allégorisée, si elle parle comme une petite « rebeu bien sapée ».

10.4.3. « J’ai rencontré la poésie » : slam et engagement par rapport à l’école

Au fil de ses albums, le slameur précise son positionnement par rapport à l’école.
En 2006, il s’inscrit encore dans la lignée des rappeurs et autres slameurs528 qui se
présentent traditionnellement comme « mauvais élèves » : « Nous ne sommes pas
bons élèves mais l’envie nous enivre… » (GCM, M20.1). De même, en 2008,
« Rétroviseur » le ramène à ses souvenirs d’élève hésitant entre rage et sagesse :
« A l’école j’avais de bonnes notes, mais on peut pas dire que j’étais très sage
Insolent avec les profs, le corps enseignant avait la rage
C’est vrai que je devais être relou, mon attention était réduite
Et j’osais pas rentrer chez moi, les jours d’avertissement de conduite (EV8)

528
Nous avons cité Oxmo Puccino, Souleymane Diamanka et Damien Noury : « Nous sommes le cancre au fond
d’la classe /Echappé du poème de Prévert, mais nous avons grandi… » (Martinez, 2007 : 107).
435

Dans ce contexte, sa rencontre avec la poésie est présentée comme


salvatrice même si elle semble peu attrayante au premier abord :
« J'ai rencontré la poésie, elle avait un air bien prétentieux
Elle prétendait qu'avec les mots on pouvait traverser les cieux
J'lui ai dit j't'ai d'jà croisée et franchement tu vaux pas l'coup
On m'a parlé d'toi à l'école et t'avais l'air vraiment relou »
A mots couverts, c’est ensuite sa rencontre avec le slam qui est décrite :
« Mais la poésie a insisté et m'a rattrapé sous d'autres formes
J'ai compris qu'elle était cool et qu'on pouvait braver ses normes
J'lui ai demandé tu penses qu'on peut vivre ensemble ? J'crois qu'j'suis accro
Elle m'a dit t'inquiète le monde appartient à ceux qui rêvent trop » (nous soulignons)
Le slam se résumerait donc à une « autre forme » de poésie, plus « cool » car moins
enfermée dans des « normes »529. A travers le palimpseste qui conclut cette
rencontre poétique, on perçoit une forme de subversion ou de renouvellement, l’idée
de faire du neuf avec de l’ancien : telle est bien l’impression produite par le
métissage entre les figures plus ou moins désuètes précédemment décrites et
l’emploi d’un lexique relevant d’une langue moderne hors-normes (accro).

Dans « L’école de la vie » (TT), on relève pléthore de métaphores filées, les


sentiments se substituant aux disciplines scolaires : se succèdent les cours
d’insouciance, de curiosité, de faiblesse, de grosses galères et d’histoires d’amour,
de prise de recul et d’adaptation, de naïveté – avec les filières mensonge ou vérité –,
de solitude et de bordel, d’humanité, de liberté, d’égalité et de fraternité, d’enfance
en ville et de bonheur. Dans la lignée du « Blues de l’instituteur » (2008), le slameur
réaffirme alors son engagement contre un enseignement « à deux vitesses » :
« Au cours de liberté, y’avait beaucoup d’élèves en transe
Le cours d’égalité était payant, bravo la France
Pour la fraternité, y’avait aucun cours officiel
Y’avait que les cours du soir, loin des voies institutionnelles » (TT3)
Dans « Education Nationale » (2010), il va plus loin en abordant la question des
budgets alloués aux écoles classées REP, plaidoyer porté par la voix d’un élève :
« Je m’appelle Moussa, j’ai 10 ans, je suis en CM2 à Epinay
Ville du 93 où j’ai grandi et où je suis né
Mon école elle est mignonne même si les murs sont pas tout neufs
Dans chaque salle, y’a plein de bruits, moi dans ma classe on est 29 » (TT5)
Le slam se fait alors cri d’alarme en filant une nouvelle métaphore partir d’une
formule que nous avons analysée comme collocution (nous soulignons) :
« Au milieu des tours, y’a trop de pions dans le jeu d’échec scolaire
Ne laissons pas nos rois devenir fous dans des défaites spectaculaires »

529
Voir l’illustration sonore de ce chapitre (extrait de l’entretien).
436

Il rejoint là Souleymane Diamanka dans « Le Chagrin des anges » :


« Les anges se sont perdus entre silence et colère
Après avoir gagné les parties d’échec scolaire
Chacun tourne le dos à son avenir
Comme s’il avait une mauvaise réputation à tenir
Je caresse l’espoir que les choses changent
Mais les punitions soignent-t-elles le chagrin des anges? »

Conclusion partielle

A l’issue de ce chapitre, il nous apparaît que cette « écriture orale » faite de


tissages et de métissages, dont le slameur de Saint-Denis s’est fait le porte-parole,
révèle des caractéristiques plus générales. Outre les traits d’une poétique qui lui est
propre telle la prosopopée concrétisant une poésie vivante et adressée, nous avons
identifié, en croisant les néostyles de trois slameurs, des points de convergence :
- la recherche d’expressivité et de densité qui peut se traduire par la présence de
mots et locutions composites, constitués de plusieurs strates ;
- la dialectique du même et de l’autre, qui renvoie à la création en général et à la
création lexicale en particulier, que nous avons aussi abordée en termes de
palimpsestes, de mouvance et de réécritures ;
- la mise en abyme d’un parler sinon « urbain », du moins « métissé » qui dit la mixité
inhérente au slam, son ouverture à une langue évolutive et créative ;
- la fonction colludique qui sous-tend la plupart de ces manifestations de créativité,
dont le repérage implique la complicité d’un lecteur-auditeur : ce dernier se voit
activement impliqué dans la réception, alors même que semble se profiler un
nouveau positionnement d’auteur/orateur/animateur.

D’une écriture décentrée à une écriture engagée, d’une langue du je à la langue du


jeu, le slam poursuit sa route, « Des patelins aux grandes villes, des petites salles
aux festivals/ De mes envies à mon réel, de Saint-Denis à Montréal » (GCM, 2008).
Ainsi la portée et l’universalité des mots d’un Grand Corps Malade ouvrent-elles la
voie à un potentiel didactique inhérent au slam, chemin qu’il nous appartient
d’explorer dans la troisième partie de cette étude.
TROISIÈME PARTIE
UN POTENTIEL DIDACTIQUE

« Nous serons les meilleurs élèves de l’école fraternelle »


(SD, 2007)
438
439

Chapitre 11

Exploration du
champ didactique,
état des lieux et
premières
expérimentations

11.1. Articles et pistes de réflexion


didactique
11.2. Ressources
ources et propositions
pédagogiques
11.3. Le slam dans les manuels
11.4. Premières expérimentations

Illustration : scène finale à la Chaufferie


avec Boutchou (le 5/06/08)
5/06/08

Photo 1 : Atelier slam en CLIN avec Boutchou


440
441

« Bien sûr on y croyait mais personne ne pensait


Qu’y aurait des textes de slam au programme du bac français (…)
Merci Renaud et Gaétan et merci à Timothée
J’ai compris dans vos yeux d’enfants que mes mots avaient de l’utilité »1

Après avoir analysé la richesse et la dynamique lexicale à l’œuvre dans le slam,


il nous reste à en approfondir la portée didactique, en termes de renouvellement des
pratiques et d’impulsion créative. « ça va chémar en classe de langue » a titré une
didacticienne du FLE (Urbano, 2007) : à quelles conditions cela peut-il marcher ?
Force est de constater que la didactisation du slam est en marche et que la plupart
des slameurs, à l’instar d’un Grand Corps Malade, y sont favorables. Quels sont ses
enjeux ? Quelle peut être son utilité ? A la jonction de l’action culturelle et de
l’expression artistique, à la croisée des genres et des didactiques (du FLE et du
FLM), cette nouvelle forme a fait une apparition timide - mais néanmoins précoce -
dans les programmes de français2, les sujets du bac3, les manuels scolaires, et une
entrée massive dans les établissements, de l’école primaire à l’université4. Au-delà
du paradoxe entre le peu d’articles de recherche publiés sur le sujet et le nombre
d’expériences menées sur le terrain, nous tenterons d’aborder ces pratiques
multiples et plus ou moins exploratoires en les confrontant à notre propre réflexion.
Autant de tentatives d’approche de « textes qui constituent cette « culture urbaine »
ou underground dans laquelle baignent les élèves, mais que les manuels scolaires
reflètent encore trop peu. » (Lamarche, 2011 : 17) et qui nous amèneront au
questionnement suivant : Quels sont les modalités et objectifs adéquats aux
différents publics touchés par les ateliers? Comment didactiser le slam sans pour
autant le dénaturer ou l’instrumentaliser ? En vue d’alimenter une réflexion
didactique préalable à l’exposition de notre démarche, nous ferons état d’éléments
de réflexion parus dans des revues et ouvrages, ainsi que de l’intégration du slam
aux manuels scolaires (en FLE et FLM), puis nous présenterons nos premières
expérimentations.

1
Grand Corps Malade, « Du côté chance », Enfant de la ville, 2008.
2
« Surtout, la poésie est probablement le genre qui aujourd’hui dialogue le plus avec les autres langages,
intègre l’image (…), s’ouvre aux ressources des nouvelles technologies et à de nouveaux lieux de diffusion
(succès du slam, poésie urbaine et sociale venue de Chicago). Elle est par là-même un espace privilégié pour
réfléchir à cette particularité de la littérature contemporaine que bouscule les catégories établies. »
(Programmes de Terminale, 2002 : 30, nous soulignons)
3
Notamment dans les listes de textes présentés aux oraux, ce que nous a confirmé GCM (entretien du
21/07/11, voir en annexe III.17).
4
Par exemple l’université de Lausanne (voir notre enquête écrite en annexe III.10 bis)
442

11.1. Quelques articles et pistes de réflexion didactique

11.1.1. La parole aux slameurs

« Les mots à la bouche »

Tel est le titre choisi par le slameur Frédéric Nevchehirlian - ex professeur de


lettres, musicien et chanteur du groupe « Vibrion » - pour son article précurseur paru
dans Lecture jeunes (2005). Au delà de l’enjeu social du mouvement - le slam
rendant possible « à l’occasion de la déclamation d’un poème, la reconstitution d’un
tissu social aujourd’hui mis à mal par tout ce que notre monde fabrique d’inégalités,
de violence et d’incompréhension » - il le décrit comme « lieu d’expression poétique,
d’ouverture, de tolérance » (Nevchehirlian, 2005 : 20). Quant à l’intérêt des jeunes
pour cette forme d’expression, il nous invite à y réfléchir : « Comment passe-t-on des
bars aux bancs de l’école ? », interroge-t-il. Tel est aussi l’un des enjeux de la
présente recherche : la didactisation du slam ne risque-t-elle pas de tendre vers son
instrumentalisation ? De fait, certains - acteurs sociaux ou enseignants - y voyaient
déjà, en 2005, un formidable outil, et ce, à plus d’un titre :
« D’abord, il permet de faire écrire et travailler l’écriture sous toutes ses formes, ensuite,
il permet de faire dire et découvrir l’expression orale, enfin il permet d’apprendre à
écouter les autres. » (2005 : 21)
Nouveau vecteur pour la poésie et outil de démocratisation – s’agissant de « donner
la parole poétique à tous » –, il vise en outre à « faire se rejoindre toutes les poésies
bien loin des cloisonnements intellectuels » et permet de « remettre la poésie au
milieu de la place publique et de la faire circuler » :
« Comme un pied de nez à tous les clichés (…) : la poésie est élitiste et ringarde, la
poésie est ce que l’on apprend par cœur à l’école… » (2005 : 21)
N’y a-t-il pas là un enjeu essentiel de renouvellement des pratiques poétiques, en
inscrivant l’écriture dans « une pratique éclectique et décloisonnée » ? Soulignant
que « l’écriture reste première », le poète d’origine arménienne insiste sur la
nécessité de trouver un rapport subjectif à la langue :
« Partant de contraintes ou de jeux d’écriture et d’oral simples pour aller vers des formes
plus complexes, plus intimes, les ateliers amènent les participants à prendre conscience
de leur écriture, de leur voix propre, de leur souffle intérieur. Ils pèsent les mots, les
nettoient, leur donnent une charge personnelle. » (2005 : 21)
En d’autres termes, et pour reprendre le titre de l’article de Serge Martin qui précède
celui de Vibrion, les ateliers d’écriture slam visent à concilier – ou réconcilier – « les
443

rimes et la vie pour trouver sa voix »5. Dès lors, le slam apparaît comme une voie
médiane, s’il en est, entre tradition et modernité, culture cultivée et culture culturelle
ou expérientielle pour reprendre les termes de Galisson (1995 : 53) : « Scolairement,
la tradition met la poésie au programme et, médiatiquement, le contemporain met la
poésie dans la chanson. » (Martin, 2005 : 8). De fait, il s’agit d’une expérience
corporelle, qui répond à « la nécessité physique de s’emparer des mots, de se
réapproprier notre langue » (Nevchehirlian , 2005 : 22)6. La confiance en soi est
également impliquée, d’où l’importance d’une valorisation du travail fourni. Lyor,
membre du collectif « 129h », décrit l’enjeu des ateliers slam comme « d’utiliser
l’écriture comme moyen d’expression poétique efficace, et surtout de façon ludique,
loin de l’univers scolaire » (Lyor, 2005 : 23) : le slam est bien conçu comme un outil à
vocation pédagogique mais dissocié du scolaire. Lyor souligne la nécessité de
démystifier ces mots qui effraient, à savoir « poésie », « art », «création » : « Faire du
slam semble plus facile » précise-t-il. Et le slameur d’ajouter que les ateliers offrent
au poète l’occasion de « s’entraîner » : « Nous faisons les exercices au même titre
que les participants » (2005 : 25), dit-il de cette expérience d’écriture partagée.

Aux passeurs de poèmes

Passeurs de mots, de poèmes et plus généralement, de culture7, les slameurs se


montrent particulièrement conscients des enjeux éducatifs de la discipline qu’ils
transmettent. Gérard Mendy a apporté une contribution intitulée « Le slam comme
outil pédagogique » à l’ouvrage Aux passeurs de poèmes (2008) : « Le slam,
explique-t-il, célèbre la poésie et l’art oratoire ». Partant de ce constat, l’atelier slam
tel qu’il le conçoit et l’anime consiste, outre le « travail ludique d’écriture », à
approcher la rhétorique, l’éloquence, la gestuelle au travers d’exercices variés
relevant de l’articulation, la scansion, la diction, le regard et la gestuelle, la gestion de
l’espace, du volume de sa voix et du débit du texte (Mendy, 2008 : 127). En outre, le
slameur suggère la mise en relation avec des ateliers complémentaires : théâtre,
musique, danse, photographie, vidéo ou multimédia. Citant Piaget et « la fin du
professeur conférencier », le slameur préconise un renouvellement des pratiques et
des représentations, le slam pouvant ressusciter un intérêt pour les textes poétiques

5
Formule qui fait écho au titre de Meschonnic : La Rime et la vie (1990).
6
Voir à ce sujet le chapitre 13 qui résulte de notre expérimentation dans un contexte d’enseignement du FLE.
7
Voir notre projet « Passeurs de mots : slam au musée », présenté au chapitre 14, page 608.
444

« classiques » et les auteurs « poussiéreux » (Mendy, 2008 : 129) en ouvrant aux


élèves les portes d’une écriture devenue accessible, d’une poésie rendue vivante :
« Les slameurs dans leur interprétation savent mettre les mots en jeu. La rencontre est
immédiate, dans la façon que le slameur a de présenter son travail, dans l’élaboration de
textes, dans la mise en bouche des mots. » (Mendy, 2008 : 129)

11.1.2. La parole aux didacticiens et aux professeurs

Le texte « Saint-Denis » est à ce point propre à un usage didactique, que dès


décembre 2006 - soit quelques mois après la sortie du premier album de GCM - un
article était publié sur le site, bien connu des professeurs de FLE, Franc-parler8.
Geneviève Barona y expose sa vision d’un slam nouvellement apparu dans le
paysage culturel et médiatique français :
« Dire à voix haute le monde d’aujourd’hui, c’est ce à quoi s’emploient les slameurs,
dans une langue contemporaine, sur le mode créatif, en improvisant. »
Elle le définit comme « poésie urbaine » ou encore, citant Pilote le Hot, comme « un
sport collectif fondé sur le rassemblement de gens différents », et y voit surtout « un
moyen ludique de raccrocher les élèves à la langue française. » Dans la lignée d’un
Prévert, les slameurs, nous dit-elle, ont un rôle à jouer dans la transmission de cette
langue contemporaine appelée « argot du XXIème siècle » que Goudaillier nommait
Français Contemporain des Cités :
« Ayant acquis, par son passage par l’école, ses droits à l’exportation, à travers la
didactique de l’oral, les textes slam, tout comme les chansons, peuvent servir de
supports à l’apprentissage de la langue-culture pour l’apprenant étranger. »
Suite à cette entrée en matière, Geneviève Barona aborde l’exemple de Grand Corps
Malade et propose une exploitation – sous forme de fiche pédagogique – du texte
« Saint-Denis », utilisant notamment le support du clip9.

Cette autre didacticienne du FLE qu’est Brigitte Urbano s’est intéressée au slam
de Grand Corps Malade : « ça va chémar en classe de langues » augure-t-elle,
reprenant en guise de titre pour son article (2007) la célèbre formule du slameur.
D’une manière générale, le slam se distingue à ses yeux non seulement comme un
« outil de performance poétique », mais aussi comme « nouveau genre, plus audible
que les chansons traditionnelles » et par là-même riche de potentialités didactiques :
« il s’avère, observe-t-elle, un formidable outil pour l’écoute, la récitation, le débit, la

8
On y trouve aussi un dossier consacré aux ateliers d’écriture (voir en sitographie).
9
Le manuel de FLE Alors ? (2009) proposera une exploitation du même type à partir du clip (voir infra).
445

lecture à haute voix et la création ». (2007 : 84) Le slameur de Saint-Denis y est


décrit comme un « poète de l’actualité » qui « scande et cisèle soigneusement les
paroles de ses textes », d’où une audibilité accrue. Cette modalité appelée « récitée
ou chantée parlée »10 a déjà été explorée par des chanteurs français, comme nous le
rappelle Brigitte Urbano, alors que le thème de la banlieue et l’emploi du verlan
évoquent un Renaud (« Laisse béton »). Dans la classe de FLE, le slam pourra alors
jouer le rôle de passerelle vers des œuvres plus classiques. Un premier article
propose une exploitation du slam « Saint-Denis » (2006) comme document
authentique permettant un entraînement à la lecture à haute voix et un
approfondissement mené à travers une démarche multiculturelle et interdisciplinaire.
En effet, ce texte se présente comme un carrefour de cultures et met en valeur une
réalité culturelle plurielle. En référence au Cadre Européen Commun de Référence
pour les Langues (2001), les objectifs visés seront à la fois linguistiques
sociolinguistiques et pragmatiques. D’où des activités portant sur le repérage des
marques d’oralité (« les mots qui transcrivent la langue parlée ») et du « français
familier des jeunes », ainsi qu’une analyse des formes verlanisées suivie d’une
production écrite consistant à « inventer quelques mots en verlan ». Dans le cadre
d’une approche interdisciplinaire, des savoirs géographiques sont aussi en jeu, avec
l’identification des mots correspondant à des lieux et leur repérage géographique :
« Et à deux pas de New-Deli et de Karashi (t’as vu j’ai révisé ma géographie),
j’t’emmènerai bouffer du Mafé à Bamako et à Yamoussoukro… » (nous soulignons)
En histoire, les élèves pourront alors se livrer à des recherches auxquelles Grand
Corps Malade invite explicitement, en fin pédagogue :
« La rue de la République mène à la Basilique où sont enterrés tous les rois de France,
tu dois le savoir ! Après géographie, petite leçon d’histoire… » (nous soulignons)
A travers ces deux exemples, on voit comment le slameur use des parenthèses
discursives pour baliser son slam et le présenter comme un texte édifiant : Brigitte
Urbano a donc saisi la perche tendue par le slameur. Après quelques activités visant
à développer la compétence interculturelle en étudiant par exemple le vocabulaire de
la gastronomie à travers les spécialités culinaires – françaises ou autres comme le
mafé – citées, les apprenants se voient proposer une production écrite consistant à
écrire un slam d’une dizaine de lignes, en binômes, afin « d’exercer leur créativité et
de découvrir l’utilisation poétique de la langue » (88). Cette activité pourra être

10
Proche, semble-t-il, du récitatif scandé ou psalmodié d’un Zumthor (1983) ou du sprechgesang allemand.
446

étayée grâce à l’élaboration d’un glossaire thématique qui fournira une base lexicale
pour des apprenants de niveaux A1-A2. Notons enfin l’idée intéressante de « donner
des couleurs » à ce slam afin d’en structurer le lexique. L’article publié en espagnol
(2009) développe cette piste. En effet, « Saint Denis » y est transcrit et annoté à
l’aide d’indices qui permettent un repérage lexical :
1) lengua hablada y francés familiar(a) ; verlan(b) → [langue parlée et français familier]
2) geografía(c) ; historia(d) → [géographie ; histoire]
3) nacionalidades(e); cultura(f): vida cotidiana(g) y gastronomía(h) → [nationalités,
culture, vie quotidienne et gastronomie] (2009 : 150)
Dans ce second article, le slam est explicitement assimilé à un genre et même à une
« technique poétique » dont l’origine et les règles sont exposées (2009 : 148)11. Les
activités y sont détaillées, à commencer par cet exercice de reconnaissance des
bruits de fond intégrés à la bande-son qui pourra donner lieu à une activité
d’expression orale, à la manière des devinettes sonores12. Au-delà du succès obtenu
et de l’enthousiasme soulevé13, le bilan de cette double expérimentation – dans le
cadre d’un cours de civilisation française destiné à des étudiants de première année,
futurs professeurs de FLE14 – s’avère mitigé :
« Le langage poétique qui pouvait, à un premier moment, leur poser quelques difficultés
pour appréhender le sens, en revanche les aida pour la récitation. Quant à la répétition
de sons, ce fut une grande aide pour la production écrite. Cependant, les jeux de mots
et le verlan ont gêné leur compréhension. » (2007 : 89)
L’accès à la compréhension a, semble-t-il, été entravé par une langue
particulièrement inventive qui a servi a contrario de support privilégié pour
l’oralisation15 - l’entraînement à la fluence16- et la production écrite. En outre, les
étudiants ont pu assister, dans le prolongement de ce cours, à des scènes in vivo si
bien que l’intérêt suscité par le slam a dépassé les frontières scolaires17.

11
“El género al que pertenece este documento es el “slam”. (…) El “slam” es, entre otras cosas, une técnica
poética en lengua oral.” (2009 : 147-148)
12
Un autre slam pourra donner lieu à un exercice similaire : il s’agit de « Paumé dans Paname » de Bissao
(compilation Tout feu tout slam, 2007).
13
“Está teniendo un gran éxito en las clases de FLE porque toca muy de cerca el corazón de los jóvenes por su
lenguaje, sus temas y su estilo.(…) es capaz de suscitar una gran participación y entusiasmo.” (2009 : 156) « Il a
connu un grand succès dans les classes de FLE parce qu’il touche de près le cœur des jeunes, de par son
langage, ses thèmes et son style. (…) Le slam est capable de susciter participation et enthousiasme. »
14
Diplomatura de Maestro de Lengua extranjera (Francés) de la Universidad de Granada, curso : « Aspects
socioculturels de la langue française » (2009 : 151).
15
« la producción del flujo adecuado para la lectura en voz alta » (2009 : 157) : la production du flux adéquat
pour la lecture à voix haute.
16
Voir nos prochains chapitres pour les notions de fluence et de fluidité verbale, le glossaire pour celle de flow.
17
“Este gusto por el “slam” traspaso el contexto de la aula, asistiendo a varias “soirées slam” organizadas por la
“Maison de France” en Granada.” La première soirée a été inaugurée par Frédéric Nevchehirlian.
447

Un dernier article de Brigitte Urbano aborde le slam « Sixième sens » (2010)


dans la perspective de sensibiliser les futurs enseignants aux questions de tolérance,
de respect, d’intégration et de différences18. En d’autres termes, il s’agit de
développer, en formation initiale, la sixième des dix compétences professionnelles
établies par le ministère français de l’Education Nationale, à savoir « prendre en
compte la diversité des élèves. »19 Ainsi le texte choisi fera-t-il l’objet d’une série
d’activités communicatives (langagières) et de réflexions personnelles sur le
handicap (2010 : 5). L’étude du slam de GCM s’inscrit ici au cœur d’un dispositif de
formation, avec un enjeu de savoir-être et de prise de conscience, préalable poétique
à un approfondissement multidisciplinaire (2010 : 5). Sur un plan lexicologique, nous
avons observé que le lexème slam est ici utilisé entre guillemets, et ce en 2010
comme en 2007, ce qui nous conforte dans l’idée d’une intégration moins avancée
de ce mot dans le lexique espagnol. Brigitte Urbano a néanmoins recours, dès 2007,
à l’emploi métonymique en italique : un slam pour « un texte de slam ». Dans l’article
en espagnol, la didacticienne emprunte au français le binominal « Soirées slam »
(2009 : 158) et va jusqu’à justifier en note de bas de page sa création du verbe
slamear : « Este verbo es nuestro. Lo hemos formado siguiendo la regla de
rapero/rapear »20 (2009 : 154).

Du côté du FLM, un article publié en janvier 2011 dans la Nouvelle Revue


Pédagogique pour le collège, sous le titre « Nouveaux poètes, nouvelles poésies et
nouvelles pratiques », a retenu notre attention ; il est accompagné d’une interview de
Grand Corps Malade sur le site de la revue21. L’article cité a été rédigé par Léo
Lamarche, professeur de lettres, qui propose en outre un exemple de séquence
destinée à des élèves de cinquième. A ses yeux, le slam est emblématique d’« une
pédagogie fondée sur l’appropriation subjective des textes, l’ouverture d’un espace
de liberté et de créativité offert à chacun par les mots et leurs résonances. » (2011 :
16). En lien avec les instructions officielles, l’objectif principal est de créer un
environnement adéquat à une libre circulation des textes poétiques, classiques ou
modernes, dans l’espace et le quotidien de la classe. D’où l’idée d’introduire « des
textes qui leur parlent et leur donnent envie de prendre à leur tour la parole pour dire,

18
Cet article fait suite au Congrès International de Didactique 2010 (CiDd). Voir en bibliographie.
19
D’après l’arrêté du 19-12-2006.
20
« Ce verbe est le nôtre. Nous l’avons formé par analogie avec rapero (rappeur)/ rapear (rapper). »
21
Voir en sitographie et notre chapitre 14 pour un développement sur cette interview.
448

chuchoter, murmurer, crier, slamer (…) Des textes engagés (…), des mots qui
engagent à son tour le lecteur, ne serait-ce qu’à force de l’interpeller. » (2011 : 17)
En témoignent les mots d’un Grand Corps Malade : « ça nous ferait tellement plaisir
qu’après ce texte tu t’enflammes » (2006). Léo Lamarche déplore que ces textes
directement en prise avec « la vie comme elle va » et avec une culture urbaine dans
laquelle baignent les élèves soient encore si peu représentés dans les manuels
scolaires. Se référant à l’ouvrage co-écrit par Pilote Le Hot (voir infra), le professeur
suggère : « Organiser des tournois de slam en classe, et pourquoi pas ? » En
laissant affleurer le plaisir des textes et des mots, organiser une « slam session »
permet que chacun ait voix au chapitre et puisse être évalué autrement. Ainsi, « les
productions ne seront pas jugées comme les autres travaux, mais évaluées par tous
en fonction de l’émotion ressentie et offerte » (2011 : 19). Léo Lamarche prône une
évaluation via « un groupe d’élèves tirés au sort, à l’applaudimètre », ou encore « au
cours d’échanges avec d’autres classes », cela afin de « (re)donner à ces nouvelles
poésies leur dimension oratoire » (2011 : 20). Cette question demeure cependant
problématique et l’on entrevoit les dérives de pratiques comme celles de
l’applaudimètre, transférées dans un contexte scolaire. Et le professeur de souligner
l’efficacité d’un tel dispositif qui pourra donner lieu à des projets interdisciplinaires :
« Disloquer l’alexandrin (…), inventer des néologismes et des mots-valises, convoquer
les sons et les résonances, en un mot transgresser les lois du langage s’avèrent plus
formateur que les discours et analyses… » (2011 : 19).
Nous avons synthétisé la séquence qui fait suite à l’article dans le tableau présenté
en annexe IX. Visant à « permettre à chacun de découvrir le plaisir de créer, sans
préjugés ni esprit d’évaluation », elle est essentiellement basée sur des activités
ludiques, et sur l’enjeu de mémoriser les textes en vue d’une performance, consistant
à « dire de façon expressive les textes produits, à les slamer pour faire de la diction
et de la gestuelle une performance » (2011 : 21). Un « espace de jeu » est d’ailleurs
aménagé à cet effet. Léo Lamarche distingue les phases « de création proprement
dite » des phases dites « d’écriture créative à partir d’inducteurs ». Il souhaite
favoriser la circulation des feuilles, des idées et des mots : cette idée de circulation
apparaît bien inhérente à l’esprit du slam. Si les trois premiers ateliers sont menés
sans textes de référence, les trois suivants font appel à des textes, classiques ou
modernes. Seuls deux slams sont intégrés, en fin de séquence, mais on ne précise
pas à quelle fin et à quel usage. On regrettera d’une part que des documents audio
ou vidéo ne soient pas prévus comme inducteurs, et d’autre part, que certaines
449

activités ou jeux d’écriture classiques n’aient pas été renouvelées par des apports
originaux : à titre d’exemple, l’exercice des « prénoms acrostiches » aurait pu donner
lieu à une activité inventive de recherche d’un blase ou pseudonyme22. On ignore
d’ailleurs si l’atelier est animé par un(e) artiste. Notons enfin cette remarque que
nous confronterons à nos propres expérimentations : « l’activité sera menée avec
profit au CDI. » (2011 : 22)

Parmi les nombreux articles collectés en ligne, tous ne sont pas également
intéressants dans la perspective qui est la nôtre23. Une question récurrente a
cependant retenu notre intérêt : en quoi le slam est-il un outil particulièrement
adéquat pour des élèves dits en difficulté ?

11.1.3. Le slam comme réponse aux difficultés ?

Dans l’article de la NRP, Léo Lamarche (2011) souligne à quel point l’expérience
du slam peut se révéler « salutaire » pour des élèves sinon en difficulté ou « en
délicatesse avec le système scolaire », auxquels il peut permettre de trouver leur
voix dans l’univers des mots et des images (2011 : 17). Nous avons repéré deux
articles qui témoignent de projets visant une réconciliation avec la langue, voire avec
l’école : « Comment rétablir, chez des élèves de Segpa, un rapport à l’écrit valorisant
et désangoissé ? » interroge Fabien Piquemal (2011 : 47), qui relate, dans un
numéro récent des Cahiers Pédagogiques, « un projet où l’écriture slam est un
chemin qui contribue à leur réconciliation avec un travail sur la langue. » Il s’agit là, à
travers un projet de classe mettant en jeu les notions de coopération et
d’engagement, de dédramatiser l’accès à l’écriture, soit de restaurer le lien entre les
élèves et la langue de l’école, par la médiation du slam. L’écoute servant à « créer
une forme d’émotion nouvelle préalable à tout engagement dans le projet », l’atelier
d’écriture était étayé par des activités de conscience phonologique et de
renforcement lexical, à travers la constitution de corpus de mots. Les élèves ont pu
ainsi accéder aux codes de l’écriture poétique, tout en travaillant la langue dans son
ensemble. Cependant :

22
Nos autres commentaires et suggestions figurent dans la colonne de droite du tableau, en vis-à-vis des
activités proposées. (annexe IX.2)
23
Voir par exemple en sitographie le dossier publié sur le site du « café pédagogique ».
450

« le slam ne peut être résumé à la conduite d’ateliers d’écriture traditionnels, il fait de la


poésie un spectacle total dans lequel chaque acteur du projet apprend à se mettre en
jeu pour lui, mais surtout pour et avec le groupe. » (nous soulignons)
Par là-même, Fabien Piquemal souligne, outre la dimension collective inhérente au
slam, la nécessité de prendre en compte la spécificité de l’objet pour ne pas
l’instrumentaliser et l’originalité d’un dispositif qu’il résume en trois mots : projet, jeu,
groupe. Il a noté l’émergence de « débats de création » (2011 : 48), soit des
moments où les élèves se donnaient des mots « qui faisaient mieux » : pratique
témoignant de l’accès à une posture méta que nous avons pu observer lors de nos
entretiens avec des slameurs confirmés24. De la communauté d’appartenance de
Françoise Chébaux (2006)25 à la communauté d’apprentissage (Lafferière, 2005), il
n’y a qu’un pas, qui nous amènera à réfléchir aux pratiques d’écriture partagée26.

Un autre article des Cahiers pédagogiques (2010) rend compte d’une expérience
menée en microlycée27. Les auteures de cet article partent du constat d’un blocage
dans le rapport à l’écrit : « Nous, professeurs de français, connaissons bien le
rapport douloureux de nos élèves à l’écrit » (2010 : 61). A leurs yeux, ce blocage
s’explique en partie par la représentation, largement partagée, « qu’un texte doit être
parfait… ou ne pas être ! ». Or écrire un slam, « c’est devenir auteur, se confronter à
la création et à ses aléas ». C’est entrer dans la petite fabrique de littérature pour
paraphraser le titre d’un ouvrage (Duchesne & Leguay, 1986), comme nous y invitent
les instructions officielles pour la classe de seconde : « l’analyse des rapports entre
sources, projets, brouillons, texte et variantes, permet de montrer que la production
d’un texte est un processus singulier. »28 Les professeures et auteures de l’article
mettent en garde comme une forme de démagogie et d’instrumentalisation du slam :
« La pratique de cette poésie urbaine ne répond pas à un simple effet de connivence qui
serait contreproductif. Il permet d’aborder des objets d’étude. » (nous soulignons)
Quant à l’’animatrice de l’atelier, elle expose sa façon d’aborder la formation « sous
l’angle du jeu pour démystifier l’acte d’écriture, en prouvant à chacun qu’il est à sa
portée, petit à petit, l’air de rien. » Elle suggère aux apprenants de se choisir un

24
Lyor donnant par exemple des néologismes à Rouda (voir l’entretien du 27/10/08 en annexe III.2.)
25
citée par Piquemal (2011 : 48).
26
Voir notre chapitre 14 pour un développement de ce concept.
27
« Un microlycée est une structure expérimentale publique de petite taille destinée à accueillir des jeunes
déscolarisés » nous explique-t-on (2010 : 61). Florence L’Homme, professeure de français ; Cécile Di Rollo, CPE
et professeure de français, et Anne Cheneau, directrice culturelle de l’association « Slam &Cie » sont les
auteures de l’article.
28
BO Hors-Série du 31/08/11 pour la rentrée 2011. Toutefois, le terme de « production » ne nous semble pas
adéquat à rendre compte de cette singularité.
451

blase, un « nom de sioux » : « une nouvelle identité, ça peut aider », précise-t-elle,


rejoignant en cela nos propres expérimentations. Les progrès manifestés par certains
élèves semblent à la hauteur de l’investissement, tel Simon qui, « comme auteur de
slam, s’est questionné sur le mot, sa place dans le texte, son sens, l’effet qu’il
produit. » même si, à l’écrit, il peine encore « à passer par l’étape salutaire du
brouillon » (2010 : 62) De belles victoires qui ne doivent pas nous faire croire à une
« solution miracle ». Il serait d’ailleurs réducteur de considérer le slam comme une
pure remédiation : « il serait dangereux de croire que le slam ne s’adresse qu’à des
couches de population dites en difficulté… » met en garde le collectif 129H (sd : 33).
De même, Bastien Mots Paumés, dans le document d’accompagnement aux ateliers
slam qu’il anime, précise que le slam ne saurait être « un remède miracle aux
difficultés sociales ou aux difficultés personnelles », ni « une pratique qui s’adresse
exclusivement à des jeunes, ou à des personnes issues de milieux défavorisés » :
« Le slam n’a pas lieu d’être ghettoïsé. Le slam n’est pas un ersatz de poésie… »
conclut-il avec lucidité29.

11.2. Ressources et propositions pédagogiques

11.2.1. Du côté du FLE

A ce stade de notre réflexion, la question se pose en ces termes : l’approche du


slam en classe de FLE peut-elle être respectueuse de la richesse du mouvement, de
la littérarité des textes qui en sont issus, et ce, quel que soit le niveau des
apprenants ? Cette approche a-t-elle évolué ces cinq dernières années ?

Entrée en matière : les fiches pédagogiques du Français dans le monde

Surfant sur « La vague du slam » - titre d’un article publié dans un numéro
antérieur de la revue (n°345, 2006 : 27) -, Le Français dans le monde a présenté
plusieurs fiches pédagogiques relatives à cette pratique : nous en avons retenu
trois30, les deux premières ayant été publiées en 2007 et 2008, la troisième étant
parue plus récemment (2011), afin de mesurer une éventuelle évolution dans la
façon de traiter et d’exploiter cet objet. Les deux premières fiches proposent
successivement une découverte du slam en tant que « poésie urbaine » aboutissant

29
Voir le blog du slameur.
30
Voir en annexe IX.2
452

à un atelier d’écriture, puis un approfondissement à travers l’étude du « poème


chanté Midi 20 », titre éponyme du premier album de Grand Corps Malade. Dans le
premier cas (n° 352, 2007), la démarche est axée sur l’expression écrite, après une
brève entrée en matière : la définition de Wikipédia vise à situer les
slameurs/rappeurs cités (GCM et AAM) dans le mouvement, tout en précisant les
règles d’une scène slam ; un exemple de slam - dont la source n’est pas précisée, ce
qui semble indiquer que l’auteur n’est pas reconnu comme tel - fait ensuite l’objet
d’une analyse « poético-linguistique », axée sur la versification et l’utilisation de
l’impératif. Il s’agit donc de faire jouer l’interaction lecture-écriture pour amener les
apprenants à produire leur propre texte. Dans cette perspective, on leur propose des
« réservoirs » de mots relevant d’un champ lexical donné, et de rimes, autour de trois
thèmes, au choix : « slam social » (sur le thème des « Sans Domicile Fixe »), « slam
intimiste » (à partir de leurs expériences personnelles), ou encore « slam
linguistique » (autour de la disparition des langues régionales). Si l’idée d’une
progression « du mot à la phrase au texte » semble sous-jacente, quid de la mise en
texte ? Les contraintes imposées relèvent essentiellement des domaines lexical et
grammatical, notamment syntaxique - « Leur slam devra comporter différents temps
(…), des phrases négatives et des adverbes de quantité/d’intensité et/ou de
fréquence. » - si bien que les contraintes poétiques semblent reléguées au second
plan : « Il fera au moins quatorze lignes (ayant, si possible, le même nombre de
syllabes) et il devra rimer ! » Quant à l’interprétation, elle est présentée comme une
simple lecture à haute voix, avec ou sans fond musical. Dans ces conditions, on
entrevoit le risque du « texte-prétexte » à des apprentissages linguistiques,
conformément à l’un des objectifs cités (« Réviser différents points de grammaire et
le vocabulaire spécifique à certains thèmes. »), quitte à brider la créativité des
apprenants et à leur imposer une vision réductrice du slam.

La seconde fiche (n° 358, 2008) est aussi basée sur l’exploitation de « Midi 20 »,
et présente une démarche aboutissant à l’écriture d’un texte poétique, en passant
par la découverte du langage familier, voire argotique, et du verlan. Notons au
passage que ces variations sont présentées comme « la langue des jeunes
Français » (nous soulignons), ce qui ne manque pas de nous interroger. A une
phase de prélecture – ou préaudition – qui consiste en un « remue-méninges » sur le
slam, suivie de la formulation d’hypothèses à partir du nom de scène de l’artiste et du
453

titre, succèdent une approche globale de la « chanson », puis une lecture


approfondie et fractionnée du texte distribué aux élèves. Celle-ci permettra
notamment l’explicitation de la métaphore filée de l’horloge, utilisée à des fins
d’écriture autobiographique, ainsi que la compréhension des différentes étapes du
texte, de sa progression thématique. L’étude de la biographie du slameur est
d’ailleurs posée comme préalable à la compréhension du texte, grâce à une
recherche sur la toile. Le passage de la compréhension à l’interprétation est finalisé
par un débat sur le thème de l’écriture, qui permet d’assurer la transition vers
l’activité d’expression écrite proprement dite. On regrettera la brièveté du paragraphe
consacré à cette dernière activité (« A vos plumes ! ») dont l’objectif est formulé en
des termes très évasifs31.

Plus récemment, la revue le Français dans le Monde a publié une nouvelle fiche
– accessible en ligne – sur le texte « Attentat verbal » (GCM, 2006). Dans la rubrique
« Interludes » de la version papier, le slam est ainsi décrit :
« Pas la poésie ésotérique ni celle des recherches formelles de certains, mais des
textes directs, spontanés qui n’ont pas d’autres règles que de susciter pendant quelques
minutes une rencontre, une émotion partagée… » (n°373, 2011 : 17)
Au vu de ces quelques mots, il semble que la représentation du slam comme poésie
libre et quasi-improvisée persiste, en dépit des commentaires épitextuels du slameur
de Saint-Denis qui n’a de cesse de répéter que ses textes sont travaillés, écrits et
réécrits32. Si l’entrée en slam n’a guère varié – à travers l’entrée slam de Wikipédia –,
la démarche présentée a le mérite de souligner la spécificité de l’objet qui n’est plus
assimilé à une chanson comme il l’était en 2008 : « Peut-on parler d’une chanson ? »
interroge-t-on33. Dès lors, le slam est appréhendé comme un objet poétique et
étudié en tant que tel, l’activité de compréhension faisant l’objet d’un relevé des
syntagmes associés aux deux isotopies du jour et de la nuit. Il s’ensuit une étape dite
de conceptualisation portant notamment sur la métaphore, sans oublier les multiples
allitérations et assonances. On évoque alors « la possibilité de travail sur l’intonation
et la prosodie en soulignant les syllabes accentuées. » Enfin, une activité de
production consiste en l’écriture d’un slam « à la façon de Grand Corps Malade », à
partir d’une matrice issue du texte original, en substituant aux poètes de la banlieue

31
S’agissant d’« écrire un texte représentatif de ce qu’ils sont, de leurs états d’âme, de leur vie quotidienne, en
reprenant les caractéristiques principales des textes de slam (rimes, verlan ou expressions familières). »
32
Voir par exemple l’entretien précédemment cité, publié sur le site de la NRP collège (voir supra).
33
Voir la fiche pédagogique reproduite en annexe IX.2
454

« une équipe de foot » ou encore « des boulangers ». Tandis qu’une partie du


groupe oralise les textes produits, l’autre se voit confier une « consigne d’écoute »,
s’agissant de deviner de qui il est question. On précise en outre que l’enregistrement
pourra occasionner un « retraitement de la prosodie ». D’une manière générale,
l’exploitation de ce slam nous semble refléter une évolution de positionnement
didactique par rapport à cet objet nouveau devenu plus familier. Les arguments
didactiques avancés insistent d’ailleurs sur la nécessité d’apporter « un point de vue
positif sur la banlieue », sur la compréhension de textes « longs et exigeants »,
chargés d’implicite, sans oublier la compétence dite « de médiation » qui permet
l’appropriation d’un contenu en vue de sa transmission et le passage de la réception
à la production orales, et la compétence phonologique (place de l’accent
phrastique)34.

Approfondissement avec le coffret « Slamophonie » et le dossier TV5 monde

Dans le numéro 29 de la revue Respect (avril-juin 2011), le slam trouve sa place


dans le cadre d’un dossier consacré à l’éducation. Le titre « Urgence innovation »
attire notre attention sur le potentiel non seulement intégrateur mais aussi innovateur
du « Slam au programme ». Outre la valorisation d’expérimentations comme celle de
Fabien Piquemal, enseignant en SEGPA (voir supra), le projet « Slamophonie » est
évoqué comme « la rencontre du slam, poésie des temps modernes, et de la
francophonie ». Ce mot composite est « né de l’imagination fertile du styliste-
designer Mike Sylla »35 qui résume les enjeux du projet en ces termes :
« Donner aux jeunes un outil éducatif, didactique, pour leur apprendre la langue
française via le slam. Et surtout, libérer la parole. » (article cité, 2011 : 51)
Projet qu’il a concrétisé à travers un livre-CD, conçu comme un moyen ludique
d’appropriation de la langue française – langue vivante appréhendée à travers une
poésie vivante – et de confrontation avec « l’argot du quotidien ». D’après Jean-René
Bourrel, membre de l’Organisation Internationale de la Francophonie et auteur de la
préface, le projet vise à renouveler l’approche de l’enseignement du français « en
laissant d’abord la liberté de parole et de création verbale aux élèves avant de les
amener à mesurer d’eux-mêmes l’écart par rapport au français standard » (2009 : 3).
Il s’agit donc de mettre en œuvre une « pédagogie de la parole libérée », soit « une
34
Ces compétences font référence au niveau C1 du CECR : « comprendre une grande gamme de textes longs et
exigeants, ainsi que saisir des significations implicites ».
35
Styliste-designer, initiateur du projet et créateur de plusieurs Slam opéras, autour des textes de Senghor
(2007) et René Char (2008) notamment. (voir en sitographie)
455

pédagogie qui prend acte des français parlés ». En tant que telle, cette approche se
veut « profondément innovante », s’agissant de faire écrire et réciter des textes de
slam et de « jouer ainsi de l’écart par rapport aux normes de la langue et amener à la
compréhension de celles-ci par la perception des limites de celui-là. » Selon cette
approche, le slam est envisagé comme une médiation mais aussi comme un objet à
part entière : comme parole rythmée, il fait s’entrechoquer les mots et tire ses effets
mélodiques du phrasé ; comme parole partagée, il se conçoit et s’écrit pour être dit,
pour circuler dans l’espace public et pour impulser d’autres prises de parole. Il se
prête ainsi à une « création libre et spontanée qui fait appel à tous sans
discrimination aucune », a fortiori en vue de la réappropriation par des jeunes en
grande difficulté d’une parole qui s’est « dérobée » à eux (2009 : 4). Ainsi le slam
peut-il permettre une redécouverte de la langue, de la joie de la création et le plaisir
du texte : « celui que l’on invente et celui qu’on lit comme on ne l’avait jamais lu
auparavant ». Parole libérée et libératrice par laquelle les élèves trouveront ou
retrouveront « le goût de parler français, d’inventer en français, d’oser "se dire" en
français. »

L’aventure de Slamophonie consacre ainsi la rencontre du slam – « art poétique


populaire qui trouve son inspiration dans le monde urbain et sa réalisation ultime de
l’écriture dans la diction, la performance orale en public » (2009 : 7) – et de la classe
de FLE dont l’enjeu est de développer les compétences des apprenants en
compréhension et expression orales et écrites, tout en entretenant le désir
d’apprendre. Grâce à la collaboration du CAVILAM de Vichy36, le livret accompagné
d’un CD propose un « scénario pédagogique » à partir de vingt slams émanant de
dix auteurs différents, auxquels s’ajoute GCM qui ouvre, avec « Attentat verbal », et
clôt, avec « Saint-Denis », le parcours. Le livret aborde cinq thèmes successifs que
sont "La vie dans les banlieues", "Les villages et campagnes", "Les autres et moi",
"Modernité et tradition" et "Chansons et fables" à travers des textes illustrés en vis-à-
vis et suivis de fiches pédagogiques. Chacune de ces fiches présente une
exploitation en quatre étapes : la mise en route, l’oral, l’écrit et la production. Le souci
de varier les modalités de travail est omniprésent comme en atteste l’exemple
reproduit en annexe IX.2. « L’arbre à parl’arbre » est un slam de Laurent Lesceve qui
s’inscrit dans la thématique « Villages et campagnes » et donne lieu à des activités
36
Conception pédagogique : Michel Boiron et Fabrice Darrigrand (Centre d’Approches Vivantes de Langues et
des Médias).
456

lexicales de « mise en route », suivies d’exercices de discrimination auditive et


visuelle du son [o~] et de repérage de la graphie « tion ». Le travail oral est complété
par une lecture à voix haute, en s’entraînant à suivre le flow du texte, soit du
slameur. Sous la rubrique « Ecrit », trois activités sont proposées successivement,
individuellement et en binômes, progressant de la liste au texte en passant par
l’élaboration de phrases injonctives. En guise de production, les apprenants doivent
ensuite écrire un poème-réponse au vieil arbre, puis le mettre en scène. La référence
au « Sac à trouvailles » renvoie à des fiches jeux qui se trouvent en fin de livret. En
l’occurrence, le jeu intitulé « La maison des mots » occasionne une approche à la
fois lexicale et phonologique, avec une recherche de paronymes : au néologisme
titulaire « pal’arbre » (mot composite issu de « palabre + arbre ») s’ajoutent les
paronomases détritus et détruis tout, cheminées et chemins minés37. Les élèves sont
libres de procéder à des regroupements divers. La paronomase semble donc avoir
été implicitement identifiée comme la figure reine du slam. D’autres jeux comme « La
fabrique des mots » invitent à la création lexicale et à l’élaboration de définitions
imaginaires dans la lignée des Surréalistes, ou encore à la conception de poèmes-
affiches (« le dessin slamé ») à partir des mots du slam. Un certain nombre
d’activités s’avèrent plus classiques, à l’instar du jeu « Jakadi », du « Ni oui ni non »,
des « Acrostiches » ou du « Cadavre exquis ». Dans l’ensemble, ce parcours
apparaît riche et cohérent : il tire pleinement profit des textes qui sont explorés en
vue d’une appropriation et d’une production écrite, en passant par une étape de mise
en bouche, mise en voix et/ou mise en scène. Le livret pédagogique nous semble à
la hauteur des enjeux annoncés.

Sur TV5 Monde, un dossier pédagogique a été élaboré par le même CAVILAM
sous la rubrique « L’émission du mois » autour du documentaire de Pascal Tessaud
Slam, ce qui nous brûle (2007)38. Cette approche a le mérite de montrer le slam dans
son éclectisme à travers divers témoignages et extraits vidéo : il vise à « capter
l’essence du slam » en représentant les différentes facettes de cet art urbain trop
souvent assimilé au seul GCM. Dans la perspective d’une exploitation en
FLE/FLS/FLM pour des collégiens, lycéens ou apprenants de niveaux A2 à B2, le
film est entièrement séquencé et fait l’objet d’un accompagnement didactique

37
Ces exemples ne sont pas tirés du texte qui en recèle d’autres : passer/trépasser, grapiller/gaspiller…
38
Voir en annexe les différentes étapes de l’unité didactique proposée ainsi qu’un exemple de fiche
pédagogique conçue par Fabrice Darrigrand, du CAVILAM de Vichy.
457

intéressant. Les séquences sont généralement utilisées comme point de départ pour
l’analyse d’un texte. En témoigne l’exemple de la fiche reproduite en annexe IX où la
poésie de Souleymane Diamanka est d’abord découverte via le documentaire : sa
déclamation d’un extrait de « Muse amoureuse » donne lieu à une question préalable
(« Quelles sont les couleurs de ce poème ? ») à son étude plus précise, à partir de la
transcription. Les apprenants peuvent ainsi accéder à l’émotion avant d’élucider les
codes et techniques poétiques et de les réinvestir avec leurs propres mots. Cette
approche nous apparaît d’autant plus riche qu’elle s’appuie sur des textes variés – à
l’image du documentaire lui-même –, amenant les apprenants à découvrir un atelier
d’écriture et une soirée slam, ce qui peut introduire un futur projet autour du slam.
Une grille d’évaluation est même esquissée, destinée à un jury composé de 3
apprenants qui attribuera aux participants une note sur 10 en fonction des six critères
suivants : la durée (moins de 3 minutes) ; le péritexte (titre et pseudonyme)39 ; les
techniques poétiques ; la qualité de l’interprétation ; l’originalité.

Vers une exploitation lexicale

Dans Le vocabulaire en classe de langue (Cavalla, et al., 2009), deux fiches ont
retenu notre attention dans la perspective de la présente recherche : l’une portant sur
la charge culturelle partagée - en référence à Galisson - proposant le repérage et le
décodage des palimpsestes verbaux collectés au sein de différents médias40 (2009 :
217) ; l’autre consistant dans l’exploitation du texte « Pères et Mères » (GCM, 2008)
en vue d’une analyse lexicale. Cette dernière activité est destinée à des apprenants
de niveaux C1 et C2 dont on souhaite « éveiller l’esprit de recherche sur la langue
par un travail où les unités lexicales « père » et « mère » seront étudiées hors
contexte, pour elles mêmes et dans leurs rapports avec le système de la langue » à
travers des regroupements morphologiques et sémantiques (2009 : 203). Outre une
approche culturelle du slam qui se voit qualifié de « chanson », il s’agit de mettre en
évidence les « symétries et dissymétries morphologiques et sémantiques
débouchant sur les différences de statut accordé au père et à la mère dans la langue
et la société », soit d’amener les apprenants à percevoir, là encore la culture dans les
mots à travers une démarche lexiculturelle résolument galissonienne. Le slam
intervient ici en prolongement d’une recherche dans le dictionnaire des lexèmes

39
Ce critère nous semble intéressant, au vu de l’importance du péritexte soulignée par notre étude.
40
Notre corpus de palimpsestes issus de slams pourrait tout autant se prêter à ce type d’exercice, comme nous
le verrons lors de nos expérimentations présentées dans les prochains chapitres.
458

pères et mères - visant à faire émerger les dérivés, mots-composés, collocations et


représentations sous-jacentes -, suivie d’un débat. Le texte est transcrit, même si les
auteures soulignent que Grand Corps Malade s’y est refusé et qu’« il faut d’abord
écouter, écouter, écouter encore pour goûter le jeu des sonorités » afin de saisir la
virtuosité des paroles de ce texte qui « saute aux oreilles » (2009 : 206). Il s’ensuit un
exercice de discrimination des séquences [pER] et [mER], puis un repérage des
qualificatifs, des couples d’antonymes et de synonymes utilisés pour l’un et l’autre.
Enfin, les apprenants sont invités à « trouver les mots en verlan » : du-per et reu-
mères41 sont présents dans le texte et méritent des commentaires. Le premier nous
semble un jeu sur l’ambiguïté sémantique – levée dans la transcription par l’usage du
tiret – avec le lexème duper qui fait sens ici : ces deux strates sont à prendre en
compte, de notre point de vue, car l’ensemble du texte est construit sur des jeux de
ce type. Quant à la seconde forme verlanisée, elle est mise en balancement avec
repères qui peut être orthographié reup-pères comme le suggèrent les auteures de
l’ouvrage, pour mettre en valeur le verlan reup contenu dans ce lexème par
homophonie partielle, même si l’ouverture du [2]/[9] est susceptible de varier. D’une
manière générale, cette approche nous semble intéressante en vue d’une analyse
métalexicale et métatextuelle : nous nous proposons de la transférer au slam de
Souleymane Diamanka « Je t’aime, Ndeysaan » qui pourra permettre de travailler les
combinaisons lexicales multiples autour des lexèmes femme, mère, sœur et fille42.

11.2.2. Du côté du FLM

20 ateliers de slam poésie ou le slam compétitif

L’ouvrage intitulé 20 ateliers de slam poésie et sous-titré « De l’écriture poétique à


la performance » (Duval et al., 2008) ambitionne de mettre le slam à la portée de
tous, et notamment d’enfants et d’adolescents scolarisés en cycle 3 ou en 6ème :

41
En l’absence de transcription par l’auteur, nous transcrivons reu-mères en fonction de la prosodie, le slameur
différenciant bien les deux syllabes par une micro-pause et prononçant un [2] fermé, par opposition au [9]
ouvert de [R9m]. Les auteures ont néanmoins choisi une transcription qui fait apparaître la forme verlanisée
classique reum-mères : il s’agit donc d’une analyse différente de ce néologisme comme une forme composée
associant le lexème verlanisé au lexème originel, alors que nous l’avons interprété comme une forme
verlanisée originale (voir notre précédent chapitre).
42
Voir notre exploitation de ce poème présentée au chapitre 14 (page 588 et suivantes).
459

« Il vise à permettre à chacun, y compris aux enfants en difficulté scolaire, de


s’approprier la poésie : en écouter, en écrire et en dire, sous la forme de performances
« sportives » et ludiques. »43
L’intérêt de cette démarche qui se veut « simple, concrète et efficace » est de mettre
en valeur la pratique du slam comme lieu possible de réconciliation avec la langue
pour des élèves qui peuvent s’en sentir exclus, du fait de difficultés diverses44 :
« Ce sont ces élèves que la pratique active de la poésie libère en leur donnant une place,
leur place, dans cette langue-à-l’école dont ils pouvaient se sentir exclus. » (2008 : 7)
En d’autres termes, les auteurs – dont les slameurs Pilote le Hot et Catherine Duval
– introduisent cette démarche comme une aide à l’appropriation de la langue, en
offrant aux élèves « la liberté et la capacité d’entrer en poésie pour y trouver sa (leur)
voix. » Il n’en demeure pas moins que le choix de l’adjectif « sportives » associé au
terme de « performances », s’il renvoie aux origines du slam, reflète une dérive
possible, que nous qualifierons de compétitive ou sportiviste :
« Les scènes slam peuvent prendre la forme d’une rencontre sportive et bon enfant,
impliquant une participation du public, un jury populaire étant désigné dans l’audience. »
(2008 : 27)
Ainsi les auteurs prétendent-ils transférer le principe des scènes compétitives dans le
cadre scolaire, formalisant à cet effet une « Charte des ateliers de slam poésie »
ainsi qu’un « Mode d’emploi » destiné aux élèves. Ces derniers alternent donc les
rôles de slameurs et de membres d’un jury qui se voit confier une « Feuille de
notation » à remplir45. Si cette démarche présente l’intérêt de prévoir une modalité
d’évaluation impliquant les élèves eux-mêmes (co-évaluation), elle peut paraître un
peu rigide et excessivement codifiée. On regrettera en outre que le déroulement de
ces ateliers de « slam poésie », détaillé sous forme de fiches, n’intègre aucun texte
de slam au groupement thématique, soit à l’analyse poétique proprement dite.
S’agissant du thème du voyage, on aurait pu inclure dans le corpus des textes de
Souleymane Diamanka (« Je te salue vieux Sahara »), de Grand Corps Malade
(« Les voyages en train », « Parole du bout du monde »), ou encore de Pilote le Hot
cité en bibliographie et co-auteur de l’ouvrage. En réalité, on ne retient du
mouvement slam que la scène finale, comme aboutissement du travail d’écriture,
« véritable partage artistique, culturel et social où chacun peut trouver sa place. »
(19). Autant dire que la littérarité du slam n’est aucunement mise en valeur, celui-ci

43
Quatrième de couverture de l’ouvrage cité. Voir les extraits en annexe IX.2.
44
Vertu « de réconciliation » que Catherine Tauveron attribue à la littérature en général (2002).
45
Voir en annexe IX.2.
460

étant essentiellement envisagé sous l’angle utilitaire et pragmatique de la scène, du


spectacle ou tournoi de poésie qui permet de finaliser et de socialiser les productions
écrites. Une telle démarche semble s’inscrire dans la lignée du « slam américain »
qui se distingue du « slam français » comme nous le rappelle le slameur Lyor :
« Une grande méconnaissance réduit le slam à l’improvisation, aux joutes verbales.
Sans compter qu’il existe aussi une différence entre le slam américain et français ;
l’américain reposant plus sur les compétitions, avec des notes attribuées par des jurys,
tandis que le français fonctionne avec des scènes ouvertes où l’expression est libre,
dans l’esprit des caves poésies. » (2005 : 24)

Ecrire et Dire ou l’élaboration d’une démarche méthodologique

Ecrire et dire se présente comme un « Petit guide méthodologique pour


l’animation d’ateliers slam » élaboré par le collectif 129H (sd). Accessible sur la toile,
cet outil nous a été commenté par ses auteurs et membres du collectif46. Pionniers
dans l’histoire du slam français, ils ont été les premiers – outre l’ouvrage cité (Duval
et al., 2008) – à tenter de formaliser leur démarche méthodologique. La préface de
Nicolas Roméas47 annonce la couleur et surtout la valeur poético-culturelle du slam
en tant qu’art vivant relevant de cette source orale dont Homère est la figure
emblématique : « ce tisserand dont le métier est de ramener à lui les mille fils d’une
parole collective pour en faire le poème qui parlera à ce peuple de son histoire. »
(sd : 5) Tels des rhapsodes ou des aèdes modernes, les slameurs se sentent
concernés par ce « mouvement de transmission et d’invention », d’échange, de
partage et de circulation de l’art/par l’art visant à abolir les frontières entre un art dit
populaire et celui que s’est approprié une élite. Conscients de la richesse d’une
oralité qui représente « l’une des matrices de notre culture », ils détiennent ainsi :
« la capacité à créer une collectivité humaine ouverte, généreuse, portée par une
langue. Le pouvoir de rendre leur efficacité aux valeurs et aux symboles véhiculés par
cette langue. » (sd : 6)
La préface est suivie d’un préambule qui précise les enjeux du guide, issu de
« témoignages d’expériences approfondies » et « du croisement de pratiques déjà
éprouvées » qui relèvent du théâtre, de l’improvisation ou d’ateliers d’écriture
oulipiens. Les auteurs font état du flottement sémantique autour du mot slam et
proposent alors, en réponse à cette méconnaissance, d’établir quelques repères

46
Entretien du 27/10/08.
47
Fondateur et directeur de la revue Cassandre/Horschamp, revue Européenne qui interroge les pratiques de
l’art et de la culture dans la société.
461

historiques et d’apporter des éléments de définition, avant d’en arriver à la


méthodologie proprement dite, ainsi résumée :
« L’idée est de présenter l’écriture comme un moyen d’expression personnelle,
esthétique et ludique qu’il faut s’approprier en respectant son identité propre. » (sd : 27)
Le cadre méthodologique est ensuite exposé au travers de principes comme « la
familiarisation à la discipline », « le recours systématique au jeu », « l’aller-retour
entre l’écrit et l’oral » et une attention particulière portée à l’expression personnelle. Il
est entendu que le lexique disponible sera ouvert à des formes telles que l’argot et le
verlan et que l’orthographe ne saurait être « un facteur pénalisant ». En effet :
« Le slam se joue à l’oral, et ce type d’obstacle ne doit pas dévaloriser le potentiel de
chaque participant. » (sd : 27)
Quant à l’esprit des ateliers, il est décrit à travers ces injonctions :
« Montrer que l’écriture n’est pas une contrainte, qu’elle peut être un terrain de jeu et de
création. Créer, s’exprimer et échanger au sein du groupe.
Acquérir de façon ludique des outils et des techniques d’écriture.
S’exposer au regard des autres et se mettre en scène.
Développer l’écoute, le style littéraire, la créativité, l’imagination et la présence scénique
de chaque participant. »
Si certains enjeux relèvent à l’évidence d’une pratique théâtrale (nous les avons
soulignés), l’importance des échanges au sein du groupe nous semble pouvoir
donner lieu à des pratiques originales et collectives d’écriture. L’enjeu de
dédramatisation48 et de démocratisation des pratiques d’écriture apparaît donc
primordial, s’agissant de « révéler le potentiel de chacun à la création » à travers
« une forme renouvelée de l’expression écrite » (sd : 41). La créativité est
encouragée, via « l’approche positive des mots, du langage comme outil
d’expression poétique, libérée des contraintes purement scolaires. » Est-ce à dire
que l’atelier slam s’élabore à rebours de la langue scolaire ? Question que nous
confronterons à nos propres expérimentations. Quant aux fiches proposées, elles
pourront être exploitées dans le cadre de cycles courts (de 1 à 5 séances) ou longs
(sur une année) et se répartissent en quatre catégories :
- les fiches dites pédagogiques qui apparaissent comme des fiches-outils en réponse à
des questions (la place de l’animateur-slameur), blocages et éventuelles difficultés ou
étapes de la démarche (La banque de mots, la réécriture) ;
- les fiches présentant des jeux d’écriture, des plus classiques (Portrait chinois) aux plus
originaux (la parodie)49 ;

48
Celle-là passant pouvant paradoxalement passer par une forme de « dramatisation » à travers le recours à
des activités théâtrales.
49
Ce dernier jeu peut être mis en relation avec un texte comme « Les Blancs ne savent pas rapper » de Rouda,
qui tend au pastiche (chapitre 5). Voir des exemples de fiches en annexe IX.2.
462

- les fiches donnant lieu à des jeux d’oralité, inspirés de pratiques théâtrales (le crayon
dans la bouche) ou autres (la Mélodie des mots / le Flow) ;
- les fiches traitant de jeux scéniques pouvant toucher à l’improvisation (Le chapeau) ou
à la préparation au micro, accessoire incontournable de la phono-technè
(Bobillot, 2011).
Si certains de ces jeux font explicitement référence à des pratiques surréalistes (celui
des cadavres exquis étant transposé sous le titre d’« exquises amorces »50), d’autres
abordent plus spécifiquement la métrique autour de la notion de flow51, ou encore la
recherche de phases ou de punch-lines, selon le technolecte du hip-hop. Sur scène
comme lors d’un atelier, le slam se conçoit donc à la croisée des genres et des gens,
des influences littéraires et des flux musicaux, de l’écriture et de l’oralité. Mais cette
forme hybride a-t-elle sa place dans les manuels scolaires ?

11.3. Le slam dans les manuels

En vue d’établir une sorte d’état des lieux des tentatives de didactisation du slam,
nous nous sommes livrée à un repérage au sein des manuels scolaires. Dans la
double perspective de notre expérimentation, nous avons exploré des manuels
destinés aux collégiens de troisième et lycéens francophones (FLM) ainsi que des
ouvrages conçus pour des apprenants adultes ou grands adolescents (FLE), tout en
essayant de réfléchir aux apports mutuels de ces deux didactiques52. Les dix
manuels au sein desquels nous avons identifié une séquence/unité consacrée au
slam – ou une entrée en matière – se répartissent ainsi :
- 5 manuels de FLM, dont 2 manuels destinés à des élèves de troisième ; 1
manuel qui s’adresse à des élèves de première (bac général) et 2 manuels
destinés à des élèves de seconde et première professionnelle ;

- 5 manuels de FLE/FLS qui s’adressent à des apprenants – adultes et grands


adolescents – de niveaux A2, B1 et B2.

50
Il s’agit d’intégrer à cette écriture collective les contraintes du schéma narratif par des amorces (de type
connecteurs) induisant les différentes étapes du récit. (sd : 69)
51
Définie dans notre glossaire et dans le lexique comme « terme anglais désignant la mise en oralité du texte,
en fonction du rythme, du choix des mots et de leur syntaxe. Il existe des scansions lentes ou rapides,
saccadées ou fluides… » (sd : 77)
52
Pour ce faire, nous avons pris le parti d’analyser conjointement démarches de FLE et de FLM, afin de faire
émerger les points communs et différences.
463

Nous avons exclu les manuels qui n’intégraient pas de texte de slam mais se
contentaient d’inclure des documents péritextuels53. La grille qui figure en annexe
synthétise le détail de nos analyses, ici résumées.

11.3.1. Présentation des manuels et objectifs visés d’après les IO

Du côté du FLM, un premier manuel de Français 3ème (Nathan, 2008) intègre à


sa séquence consacrée à la poésie lyrique la découverte d’un « poème lyrique
actuel » à travers le slam « Les voyages en train » (GCM, 2006)54. Un autre manuel
de troisième (Hachette, 2008) exploite ce même slam de Grand Corps Malade
qualifié de « conteur des temps modernes » en amont d’un article de presse placé en
vis-à-vis du texte. Là encore, les élèves se voient engagés dans la découverte
d’ « une forme de lyrisme moderne : le slam55 ». Parmi les manuels de lycée général,
nous avons repéré un livre de première publié chez Nathan (2011), collection
« Calliopée », adéquat aux nouveaux programmes dont voici les finalités :
« - la constitution et l'enrichissement d'une culture littéraire ouverte sur d'autres champs
du savoir et sur la société ;
- la construction progressive de repères permettant une mise en perspective historique
des œuvres littéraires ;
- le développement d'une conscience esthétique permettant d'apprécier les œuvres,
d'analyser l'émotion qu'elles procurent et d'en rendre compte à l'écrit comme à l'oral ;
- l'étude continuée de la langue, comme instrument privilégié de la pensée, moyen
d'exprimer ses sentiments et ses idées, lieu d'exercice de sa créativité et de son
imagination ;
- la formation du jugement et de l'esprit critique ;
- le développement d'une attitude autonome et responsable, notamment en matière de
recherche d'information et de documentation. » 56
La séquence élaborée, intitulée « Poésie et présent », s’inscrit donc dans le cadre du
sujet d’étude « Ecriture poétique et quête du sens, du Moyen-âge à nos jours »,
s’agissant en l’occurrence d’aborder les « Ecritures contemporaines, de Michel
Deguy aux slameurs ». Elle est suivie d’une double page qui situe le mouvement
53
Côté FLE, Le Nouveau Taxi 1 (2008) qui propose une leçon intitulée « Enfant de la ville » avec pour point de
départ l’interview d’un fan de GCM (pp.88-89), Latitudes 3 (2010) qui soumet les apprenants (B1) à une
compréhension orale à partir d’une interview d’AAM (p.11). Dans Scénario 1 (niveaux A1-A2, 2008 : 152-153),
un article sur GCM sert de support à une compréhension écrite suivie d’une double production écrite et orale,
sans lien réel avec le slam. C’est du personnage et non du slam comme objet poétique qu’il est ici question,
même si une définition en est esquissée en légende de la photo. De même du côté du FLM, le manuel de
nde
Français 2 professionnelle publié chez Magnard intègre un article de presse sur AAM (2009 : 74). Un manuel
de troisième publié sous le titre A suivre (Belin, 2008) propose un « Arrêt sur Le slam, poésie urbaine », soit la
présentation de l’anthologie parue chez Mango (2006), assortie d’un « Petit guide de lecture » qui ponctue la
séquence consacrée à « La poésie, lyrisme et engagement »
54
Voir en annexe IX page 322.
55
Le BO n°5 du 30 janvier 1997 précise, quant à l’approche des genres : « Poésie : on met l’accent notamment
sur la poésie lyrique et la poésie engagée y compris la chanson. »
56
Consultation sur les nouveaux programmes (voir notre sitographie). Nous soulignons.
464

dans l’« Histoire littéraire » (2011 : 122) conformément aux Instructions officielles57.
Entre autres ouvrages destinés aux élèves de bac professionnel, le nouveau manuel
publié aux éditions Delagrave pour les classes de Seconde (2009) propose un
groupement de textes intitulé « A nouvelle génération, nouvelle forme d’expression
artistique ». Comme le précédent, ce groupement s’étend sur deux doubles pages et
correspond à l’objet d’étude « Des goûts et des couleurs, discutons en »58, qui
renvoie aux nouvelles orientations officielles :

« L’enseignement du français dans les classes préparatoires au baccalauréat


professionnel vise l’acquisition de quatre compétences :
- entrer dans l’échange oral : écouter, réagir, s’exprimer ;
- entrer dans l’échange écrit : lire, analyser, écrire ;
- devenir un lecteur compétent et critique ;
- confronter des savoirs et des valeurs pour construire son identité culturelle.
En lien avec les enseignements d’histoire, de géographie, d’éducation à la citoyenneté,
de langues vivantes, d’arts appliqués, d’histoire des arts, l’enseignement du français
participe à l’enrichissement de la culture commune par la connaissance de mouvements
et d’œuvres, par la fréquentation de productions artistiques variées, par la pratique
d’activités culturelles. » (nous soulignons)
Notons ici l’importance de l’échange oral59 et de la construction d’une identité
culturelle qui pourra s’appuyer non seulement sur la connaissance des mouvements
mais aussi sur la fréquentation d’œuvres et la mise en pratique de démarches
culturelles60. Quant au manuel publié chez Foucher en 2010 destiné aux élèves de
première (bac professionnel), il utilise le slam de Grand Corps Malade
« L’appartement » comme support d’une fiche d’évaluation61.

Du côté des manuels de FLE, Alter ego 2 (niveau A2, 2008) comporte dans la
rubrique « Carnet de voyage » un dossier intitulé « Slam alors ! » autour de Midi 20.
Un bref encadré aborde, dans Echo 1 (2008 : 83), la poésie de GCM à travers un

57
Voir les extraits reproduits en annexe IX. 1 page 323-324.
58
« Les goûts varient d’une génération à l’autre. Ceux d’aujourd’hui sont-ils « meilleurs » que ceux des
générations précédentes ? Comment faire partager ses goûts dans une démarche de dialogue et de respect ?
En quoi la connaissance d’une œuvre et de sa réception aide t- elle à former ses goûts et/ou à s’ouvrir aux
goûts des autres ? » (Bulletin Officiel spécial n°2 du 19 février 2009 sur Education.gouv). Voir en annexe, p.325.
59
« Les objets d’étude permettent la pratique de l’expression orale sous forme de productions orales
individuelles et collectives, spontanées et préparées, telles que l’exposé, l’entretien, l’interview ou le débat. »
60
Notons que pour les deux années suivantes, le slam pourra être étudié en lien avec les objets suivants : « Du
côté de l’imaginaire » (Comment l’imaginaire joue-t-il avec les moyens du langage, à l’opposé de sa fonction
utilitaire ou référentielle ?) en classe de première ; « La parole en spectacle » en terminale (Dans le dialogue,
utilisons-nous seulement des mots ? Comment la mise en spectacle de la parole fait-elle naître des émotions
(jusqu’à la manipulation) ? Qu’apporte à l’homme, d’hier et d’aujourd’hui, la dimension collective de la mise en
spectacle de la parole ?)
61
Voir en annexe IX.1. page 325.
465

extrait de « Vu de ma fenêtre »62, tandis que « Gibraltar » d’AAM est survolé dans
Echo 3 (2009 : 83). Le manuel Alors ? (niveau B1, 2009) va plus loin en proposant
l’étude du clip vidéo « Saint Denis » de GCM63. Enfin, dans l’édition récente du
Nouvel Edito (2010) destiné à des apprenants de niveau B2, c’est le slam « Avec
eux », traitant de l’amitié, qui est choisi comme support64. Outre « l’utilisation ludique,
esthétique ou poétique de la langue » (CECR, 2001 : 47), le slam mérite d’être traité
en tant que texte. « Jusqu’à quel point les apprenants doivent-ils traiter des textes
mais également en produire ? » : interrogent les auteurs du Cadre (2001 : 112),
question qui nous paraît essentielle et que nous reprendrons à notre compte.

Au vu de cet aperçu des manuels analysés, on observe une différence


quantitative significative entre les dix documents didactiques cités – d’un tiers de
page à une double page et demie –65, qui reflète différents statuts, parmi lesquels :
- un élément de séquence didactique en FLM (FLM1, FLM2, FLM3, FLM4) ;
- un élément d’unité didactique en FLE (FLE4, FLE5) ;
- des rubriques annexes : dossier « Carnet de voyage » (FLE1), rubrique « Evasion »
(FLE2 &3) ;
- Une fiche d’évaluation (FLM5).
Dans ces conditions, on peut supposer que le slam ne sera pas abordé sous le
même angle : tantôt assimilé à un sujet d’actualité et appréhendé à travers le prisme
des médias, tantôt envisagé comme un objet d’étude ou un outil d’apprentissage
visant des objectifs linguistiques et sociolinguistiques, voire interculturels.

11.3.2. Approches du slam : définitions et ancrage culturel, littéraire, générique

L’ancrage culturel est commun à tous les manuels de FLM avec une esquisse de
définition du slam comme forme poétique contemporaine, même si la définition se
réduit parfois à deux lignes (FLM5). En revanche, dans les manuels de FLE, le slam
est rarement traité comme un objet spécifique, mais plutôt abordé par le biais de ses
représentants prototypiques (FLE2&3) ou assimilé à une chanson et traité, en tant
que tel, comme un outil d’apprentissage parmi d’autres. Hormis ces deux manuels
qui éludent la définition (FLE2&3), nous avons relevé les définitions suivantes et

62
Voir en annexe IX.1, page 326.
63
Voir en annexe IX.1. page 327.
64
Voir p. 328 et notre chapitre 13 pour une analyse plus précise des activités proposées dans le Nouvel Edito.
65
Voir notre tableau de synthèse page 329.
466

souligné les sèmes récurrents en vue d’une analyse sémique du mot slam tel qu’il est
ici présenté :
Manuels Définitions principales Définitions complémentaires
FLM1 Le slam est un outil de démocratisation de la
poésie, un moyen de la rendre vivante et accessible
à tous. Il s’inscrit dans la tradition poétique en
traitant les thèmes lyriques habituels (amours,
temps, vie…). Il est aussi une performance*
poétique, qui ramène aux origines orales de la
poésie. On trouve donc dans cette forme
d’expression des marques d’oralité (langage
courant, voire familier, culture des jeunes…).
FLM2 Né à Chicago dans les années 80, le slam a connu Article de presse sur GCM « Le
un rapide succès aux Etats-Unis avant d’arriver en slam dans la peau » (Le Monde des
France 10 ans plus tard. En anglais, slam signifie ados n°163, avril 2007) : « J’ai tout
« claquement », ce qui correspond à la façon dont de suite adoré l’ambiance, les
ces textes sont scandés et à la façon dont ils textes a capella, les artistes qui
doivent secouer l’auditoire. » partagent une scène… »
FLM3 « poésie de rue ou de scène », « poésie textuelle » Définition GCM :
Dimension compétitive (p.123). Au-delà des « Le slam, c’est avant tout une
caractéristiques formelles énoncées (rimes ou bouche qui donne… » (p.121)
assonances, rythmes et cadences), le slam apparaît
comme « un exercice ouvert à tous les thèmes et à
toutes les inspirations ». Pour autant, le slam n’est
pas un exercice d’improvisation. Il est soumis à un
code de la performance poétique dont les règles
sont exposées.
FLM4 Le slam, expression musicale issue du mouvement Définition GCM (p.53)
culturel hip-hop, est considéré par beaucoup
comme une des formes les plus vivantes de la
poésie contemporaine, un mouvement d’expression
populaire, initialement en marge des circuits
artistiques traditionnels. C’est un art du spectacle,
oral et scénique, fondé sur le verbe et l’expression
spontanée avec une grande économie de moyens
= définition Wikipedia
FLM5 Le slam est une poésie sonore, populaire qui se
caractérise par sa liberté d’expression. Le texte est
dit, lu, scandé, chanté, sans accompagnement
sonore devant un public.
FLE1 Dans les rues, les librairies, les boulangeries, les
cafés… les slameurs déclament leurs vers à qui
veut les entendre. Le mouvement est apparu dans
les bars de l’Est parisien, selon le principe « un
poème dit, un verre offert ».
FLE4 Le slam est un art d’expression populaire, c’est de
la poésie déclamée.
FLE5 Poésie sonore, mouvement d’expression populaire, Définition Wikipedia
art du spectacle, oral et scénique, expression brute
avec une grande économie de moyens, lien entre
écriture et performance
Tableau 1 : Définitions du slam dans les manuels scolaires (2008-2011)

Au vu de ce tableau, notons d’emblée que dans deux cas sur huit, on s’appuie
sur la définition prototypique de GCM (FLM3, FLM4) ; de même, un quart des
définitions s’inspirent de Wikipedia, l’une explicitement (FLE5), l’autre implicitement
467

(FLM4). Parmi les incluants, le sémantème mouvement n’est présent que dans la
moitié des définitions, de même qu’ « art » ou « artistique ». Seul le sème « poésie
orale » et/ou « sonore » est présent dans une majorité de définitions (6/8). Vient
ensuite le sème « déclamation publique » (5/8), et celui d’expression « populaire »
(4/8) avec un glissement de l’expression libre vers l’expression spontanée ou
« brute » (3) : l’idée d’improvisation est ici sous-jacente ; elle n’est réfutée que dans
une définition (FLM3) qui range le slam du côté de la poésie dite « textuelle ». Si le
sème de poésie scénique ou de performance est souvent représenté, l’allusion aux
origines américaines du slam demeure rarissime (1/8) de même que l’enjeu originel
de démocratisation de la poésie (FLM1). Quant à la référence aux origines et
traditions orale, voire à la poésie lyrique, elle n’est présente que dans les manuels de
FLM, à l’exception de ceux qui préparent au bac pro. Notons que l’un de ces derniers
(FLM4) catégorise le slam comme expression musicale, issue du hip-hop, cette
pseudo-filiation étant suggérée dans d’autres manuels qui insèrent des photos de
graffitis (FLE5).

La mise en perspective littéraire ou artistique – en lien avec l’histoire des arts –


est circonscrite aux manuels de FLM. Les deux premiers (FLM1, FL2) inscrivent
l’étude du slam dans un cadre plus général qui est celui de la poésie lyrique, en
invitant les élèves à repérer images, registres et procédés lyriques, à analyser
l’expression des sentiments et à comparer ce texte contemporain à des poèmes dits
« traditionnels ». Le troisième (FLM3) destinés aux élèves de première, décrit sous
l’intitulé « Poésie, chanson et musique » l’histoire littéraire depuis le mythe d’Orphée
et les aèdes, en passant par les troubadours, trouvères et autres ménestrels,
jusqu’au slam contemporain, sans oublier la chanson, les poèmes chantés et le
rap66. Le slam est alors envisagé comme un objet contemporain dont l’histoire est
certes très courte, mais dérive de traditions ancestrales ancrées dans notre culture.
On retrouve ici une perspective d’analyse comparée par rapport aux autres poèmes
de la séquence, qui relève plus généralement d’une approche générique, dans la
lignée des manuels de 3ème où les élèves sont déjà invités à s’interroger sur le
renouvellement de la poésie lyrique.

66
De la distinction entre chanson - où les mots du texte ont « besoin de la voix du poète pour exister » – et
poème écrit – où les mots sont « absolument premiers » – on passe à l’opposition entre rap – « davantage du
côté de la musique et de la gestuelle » - et slam qui se situe « du côté de la poésie textuelle » et apparaît
comme « un phénomène social et culturel » (2011 : 123). Voir en annexe IX.1
468

11.3.3. Choix des textes et modalités de présentation

Dans la majorité des manuels, les slams sont tronqués, ce qui peut s’expliquer
par des contraintes éditoriales. En effet, en dépit de la règle des 3 minutes,
nombreux sont les slams-fleuves, portés par un flow dense et rapide. Seuls les
manuels de FLM et destinés à des élèves de séries générales présentent des textes
intégraux (FLM1, 2 &3). Les manuels de FLE procèdent généralement en deux
temps : un extrait est intégré à l’unité, la version intégrale étant consultable en fin de
manuel (FLE4&5). Quant au choix des textes, on remarque la prégnance de slams
de GCM (9/11), surtout issus de son premier album (6/11), suivi d’AAM (2/11). Le
manque de recul par rapport aux albums récents peut expliquer ce choix :
« L’appartement », « J’écris à l’oral » et « Avec eux » (2008) sont pourtant
convoqués dans des manuels très récents (FLM5, FLM4, FLE5). De même que
« Les voyages en train », le slam « Toucher l’instant » fait l’objet de deux études
(FLE1, FLM3), présenté en version tronquée dans le premier cas, intégrale dans le
second. Ce slam s’avère particulièrement intéressant du fait de sa dimension
réflexive, relative à l’écriture et à l’expérience poétique de l’encre devenant vivante.

En ce qui concerne les modalités de présentation de ces textes, notons le peu


d’importance attribuée aux titres des slams, qui sont parfois relégués derrière le titre
de l’album dont ils sont extraits : ainsi « Toucher l’instant » disparaît-il au profit de
Midi 20 dont la jaquette est reproduite (FLE1). Certains titres sont pourtant
particulièrement significatifs, à l’instar de « J’écris à l’oral » de GCM (FLM4) dont le
« nom de sioux » n’est jamais commenté. Quant aux documents iconographiques et
péritextuels, il s’agit essentiellement de représentations et autres interviews du
slameur de Saint-Denis, auxquelles s’ajoutent quelques photos à visée illustrative
pouvant interagir avec le texte commenté (FLM1, FLE4). A cet égard, les documents
iconographiques composant la première page du manuel Alors ? (FLE4) nous
semblent anticiper utilement sur les images animées du clip. Elles peuvent alors
servir de déclencheur à une activité d’expression orale visant l’émergence des
représentations, et constituer un appui à la compréhension. Aussi l’Objet Poétique
Non Identifié pourra-t-il prendre forme et se préciser à travers les différentes
modalités qui lui sont inhérentes : non seulement comme texte à lire, mais aussi
comme voix à entendre et performance scénique à voir.
469

11.3.4. Analyse de la langue, activités orales et écrites

L’analyse de la langue est mise au service de l’analyse littéraire dans les


manuels de FLM destinés aux élèves de séries générales auxquels on demande par
exemple de réfléchir aux « choix (lexique, énonciation) répondant à une intention
intellectuelle ou esthétique » (FLM3)67. Ce faisant, les élèves sont invités à repérer
les originalités (FLM1) ou particularités (FLM5), soit les caractéristiques de cette
forme d’écriture. S’ils sont susceptibles de répondre en termes de procédés
poétiques, ils peuvent tout autant relever des termes d’argot traduisant l’ouverture de
cette forme poétique au registre familier. Dans les manuels de FLE, les analyses
sont souvent schématiques, le slam étant assimilé soit à une chanson (FLE5), soit à
de l’expression orale « brute et sans détours », ce qui nous semble discutable dans
les deux cas. Qu’il s’agisse d’un texte oral ou écrit, la notion de tissage est
exclusivement prise en compte dans les manuels de FLM : l’idée de réseau lexical –
proche du concept d’isotopie – pourra alors induire une analyse de la cohérence
textuelle, en lien avec le titre (FLM4). Certes, l’analyse de la macrostructure est
souvent compromise par la troncation des textes, mais on observe néanmoins une
tentative d’étude de la progression thématique de la description (FLM5). Si les livres
destinés à des filières bac pro sont centrés sur les contenus et l’explicitation du sens
(FLM4), les auteurs des manuels de FLE privilégient les activités lexicales centrées
sur les registres familier et argotique (FLE2&5), le verlan (FLE 4&5) et les marques
syntaxiques d’oralité (FLE3). Dans Alors ? (FLE4), un questionnement original du
slam « Saint-Denis », dans l’esprit de l’article cité (Urbano : 2007), conduit les élèves
à exercer leurs compétences sociolinguistiques et interculturelles.

La moitié des manuels fait interagir l’écoute avec une activité d’oralisation et/ou
d’écriture, ce qui signifie qu’un manuel sur deux présente le slam dans sa seule
dimension écrite. Seuls les manuels de troisième invitent les élèves à s’approprier le
slam de GCM en le récitant « de manière expressive et personnelle », tout en les
amenant à une réflexion sur le phrasé propre au slameur (FLM1, FLM2). Or cette
étape de mise en voix nous semble un passage obligé vers l’appropriation d’un texte
en particulier et vers une appréhension du slam en général comme poésie vivante68.

67
Dans le manuel FLM1, on observe des renvois hypertextuels aux « outils de la langue » suivants : figure de
style, procédés de reprise, versification.
68 ème
Un manuel récent de 4 (Magnard « Jardin des lettres », 2011) suggère aux élèves de s’entraîner à faire
claquer les mots du slam et d’oraliser certains vers pour mieux percevoir les figures de sons.
470

En référence au mot slam, le manuel FLM2 invite les élèves à lire le texte en
scandant les mots de manière à « secouer l’auditoire », avant de se livrer à une
récitation collective et rythmée, tout en veillant à l’enchaînement des strophes. Un
manuel de FLE (FLE4) propose une mémorisation du début du texte suivi d’une
autodictée, ce qui constitue un exercice original. Le débat est l’activité orale la plus
fréquente, qu’il s’agisse de manuels de FLE (FLE4&5) ou de FLM (FLM4) :
« Connaissez-vous le slam ? Qu’en pensez-vous ? », sonde-t-on, a priori, les
utilisateurs du Nouvel Edito. Quant aux activités d’expression écrite, loin d’être
systématiques (absentes des manuels de troisième et du manuel FLM4), elles sont
souvent déconnectées de l’objet slam, s’agissant de rédiger une description (FLM5,
FLE2)69 ou encore une sorte d’apologie (« un texte de chanson en hommage à
quelqu’un », FLE3). Notons que dans le manuel de première générale, le sujet
proposé initialement (2011 : 121) se prolonge par une étude de corpus : le slam de
GCM s’insère dans un groupement de trois poèmes à partir desquels les élèves
devront disserter70. En outre, il sera à nouveau abordé dans la rubrique « Regards
croisés », via la présentation du documentaire de Pascal Tessaud. On voit là une
profonde cohérence à l’œuvre qui traduit une réelle intégration du slam, non
seulement en tant que phénomène perçu à travers la médiatisation de GCM, mais
surtout en tant que mouvement et objet poétique. Dans le manuel FLE1, le dossier
sur Midi 20 donne lieu à un atelier consistant en une interprétation théâtralisée (lire et
mimer) réalisée par binômes. Il s’ensuit une ouverture vers d’autres formes poético-
ludiques (chansons, berceuses, virelangues…) qui pourront être partagées en classe
et permettre une valorisation des langues d’origine des apprenants71. Dans ces
conditions, le slam apparaît comme le déclencheur d’un moment de partage poétique
ritualisé ; il se prolonge par un travail autour de la créativité lexicale, sous le titre
« Poète en herbe », s’agissant de comprendre un texte écrit à la manière du « Prince
de Motordu », puis de créer des « expressions bizarres » avec substitution
paronymique (« château à voile »). Certains slams auraient pu alimenter cet
exercice, telle l’expression « au clair de ma plume « (GCM, 2006). A travers ces

69
« Décrivez en une vingtaine de vers un lieu particulier », demande-t-on, en guise d’évaluation (FLM5).
70
Les deux autres poèmes sont de Fourcade (« En laisse ») et d’Ancet (« Lumières des jours ») et la question
posée en ces termes : « Quels rapports au monde les poèmes de ce corpus établissent-ils ? Mettez en évidence
les points communs et les différences entre les textes. » (p.131)
71
Voir notre séquence présentée dans le chapitre 13.
471

deux derniers exemples, on entrevoit comment le slam peut être pleinement intégré à
un manuel et impliqué dans une démarche de projet.

11.3.5. Un exemple d’exploitation dans le manuel Nouvel Edito (FLE5)72

Le Nouvel Edito intègre le slam « Avec eux » (GCM, 2008) à sa septième unité
didactique intitulée « Je l’aime, un peu, beaucoup… », dont le premier objectif est
formulé en ces termes : « Parler du sentiment amoureux et amical » (2008 : 117).
Dans le tableau des contenus, on observe les micro-objectifs suivants qui font
référence à l’étude du slam : d’une part, « comprendre un slam parlant de l’amitié »
(CO) ; d’autre part « donner sa conception de l’amitié » (EO). « Avec eux » est
présenté au début de l’unité, à la suite d’un répertoire de vocabulaire ayant trait aux
« Sentiments et émotions » (2008 : 120). Un extrait du texte – environ la moitié –
figure dans cette unité, alors que l’intégralité est reproduite en fin de manuel afin que
les élèves puissent éventuellement s’y reporter lors de l’écoute du document sonore.
Voici l’exploitation de ce slam telle qu’elle est proposée dans le manuel :
Types d’activités Etapes Contenus mobilisés
Compréhension Entrée en matière Définition Wikipedia
orale → brainstorming
1ère écoute : 2 Compréhension globale : identification thème +
questions interprétation titre
2ème écoute : 4 Compréhension locale et littérale
questions
Vocabulaire 3 questions Synonymie
Registre : recherche (standard → argot)
Registre : reformulation (argot → standard)
Production orale Débat sur la conception de l’amitié
Tableau 2 : Exploitation du slam de GCM dans le Manuel Le Nouvel Edito (B2, 2008)

Si l’entrée par Wikipédia ne nous semble pas des plus riches, on peut aussi regretter
que ce slam ne fasse pas l’objet, dans l’exploitation proposée73, d’un exercice
d’oralisation valorisé en tant que tel et qui aurait permis de rendre compte de ses
caractéristiques en termes de phrasé, soit d’entraîner les apprenants sur un plan
phonétique et prosodique. En outre, le travail sur le vocabulaire, visant à affiner la
compétence sociolinguistique, aurait mérité un dépassement de la dichotomie

72
Nous avons choisi d’approfondir l’analyse de cette exploitation en vue de notre expérimentation présentée
au chapitre 13, qui inclut l’utilisation de ce manuel.
73
Le guide pédagogique (2010 : 11) précise « prise de notes individuelle puis mise en commun en sous-groupes
(avec possibilité de lire le texte) » : autant dire que ce qui est relégué entre parenthèses et présenté comme
une simple possibilité paraît secondaire. (nous soulignons)
472

argot/standard par le repérage de termes relevant d’une langue plus soutenue74.


Quant à l’activité de production, elle se limite à une expression d’opinion sous la
forme d’un débat qui n’est pas sans rappeler l’objet d’étude « Des goûts et des
couleurs, discutons-en » du bac professionnel, mais qui ne tient aucunement compte
de la spécificité de l’objet slam. Dans ces conditions, il est à craindre que ce dernier
ne soit instrumentalisé, traité exclusivement en tant qu’outil. En ce qui concerne
l’intégration à l’unité didactique, notons que sur la même double page figure, en vis-
à-vis du slam de GCM, un texte de Françoise Mallet-Joris (« Lettre à moi-même »)
qui donne lieu à une activité de production écrite. Le terme d’auteur apparaît ici, alors
qu’il était absent de l’exploitation du slam, au profit de constructions
75
impersonnelles . De là à conclure à une dichotomie entre écrivain et écrivant
(Barthes)76, il n’y pas si loin.

11.3.6. Premières conclusions

Ce parcours oscillant entre unités et séquences didactiques nous a éclairée


quant aux positionnements respectifs des didactiques du FLE et du FLM sur un
même objet, et sur la façon dont le slam commence à être intégré et exploité – trop
souvent exploité à défaut d’être réellement intégré – dans les manuels. Au-delà de
l’aspect médiatique dont certains ont tiré parti en citant des documents issus de la
presse, il est principalement appréhendé à travers des exemples supposés
prototypiques. Or AAM ne se définit pas comme slameur, mais plutôt comme rappeur
ou chanteur : constat qui nous semble significatif du fait que le slam est bien souvent
approché comme un genre musical et situé par rapport au hip-hop. D’une manière
générale, l’entrée par unité didactique privilégiée en FLE implique une approche
thématique – le slam étant assimilé à une poésie urbaine traitant de Paris et de sa
banlieue77– ; l’entrée par séquence didactique78 induit une approche générique : le
slam est alors envisagé comme objet poétique contemporain dans la lignée de
traditions orales. Or cette mise en perspective nous semble nécessaire à une prise

74
Voir la séance correspondante et le TBi5 (page 547)
75
Il est d’ailleurs édifiant de constater que l’encart biographique figurant pour les auteurs reconnus comme
tels dans le guide pédagogique est ici absent (2010 : 112).
76
Voir notre chapitre 13.
77
A titre d’exemple, la double page consacrée à l’étude du slam dans Alors ? (FLE4) relève de l’unité 7 intitulée
« Paris, banlieue », ce qui contribue à ancrer le slam dans un cadre urbain.
78
Voir cette distinction développée infra.
473

en compte de la spécificité de l’objet et à un déploiement de ses potentialités


didactiques originales et spécifiques. L’ancrage littéraire peut permettre d’éviter
l’instrumentalisation du slam comme un outil didactique parmi d’autres. En outre, il
permet de soulever la question de l’appartenance générique d’une forme souvent
assimilée à la chanson : « Qu’est-ce qui vous surprend dans cette forme
poétique ? », demande-t-on aux élèves invités à « écouter la voix du poète »79. En
revanche, les manuels de FLE intègrent un travail sur l’oral et une dimension
interactive qui nous semblent particulièrement adéquate à rendre compte du
slam dans ses trois dimensions. En matière de diversification des supports et
d’approche multimédiale80, ils se révèlent plus convaincants : 3/5 comportent un CD
ou un DVD. Un manuel (FLE4) va jusqu’à proposer une analyse précise du clip de
« Saint-Denis ». Les manuels de FLM se contentent de faire référence à des
documents accessibles sur la toile, que ce soit en vue d’une recherche documentaire
(FLM3) ou pour écouter le slam déclamé par son auteur avant de s’y essayer.

Quant aux outils spécifiques et périphériques sur le slam, nous retenons la


nécessaire articulation entre l’écrire et le lire, le dire et l’écouter. Pour autant, un
guide comme Ecrire et dire, aussi riche soit-il, ne présente pas à proprement parler
de séquence ou d’unité didactique, mais des activités essentiellement ludiques qui
rendent compte du slam comme outil (pour travailler l’oral, pour faire écrire les
élèves…). Pour être décontextualisées de l’univers et des exigences scolaires, ces
activités n’en sont pas moins susceptibles d’être intégrées à une démarche
cohérente. Il nous reste donc à trouver l’équilibre entre ces recettes ou méthodes de
slameurs et les séquences/unités didactiques qui tendent à faire abstraction de ces
mêmes slameurs au profit du seul GCM, à occulter ou à stéréotyper l’objet slam.
Force est de constater que « le slam remplit de plus en plus les fonctions d’outil
pédagogique » (129H, sd : 33) et qu’il est, en tant que tel, soumis au risque d’une
instrumentalisation. En conséquence, « l’engouement actuel brouille parfois la
compréhension de cette expression poétique, qui englobe autant les fonctions d’un
art à part entière que celle d’un outil pédagogique. » (129H, sd : 9). D’où la nécessité
de l’intégrer dans les manuels non seulement comme un outil émergent mais aussi

79 ème
Manuel de 4 cité (Magnard, 2011)
80
Nous proposons cet adjectif pour rendre compte d’une multiplicité de supports et d’entrées possibles,
reflétant les différentes formes d’enregistrement et transcription (audio, vidéo, texte) d’une performance.
474

comme objet d’étude81 : objet linguistique et textuel, objet discursif dont la littérarité,
l’ancrage culturel et générique restent à interroger. En ce sens, la dialectique entre
unité82 et séquence didactique (Dolz & Schneuvly, 1998) nous ouvre des pistes
intéressantes : la séquence, dont les documents sont choisis comme exemples
illustratifs d’un genre et les activités conçues comme des ateliers ou mises en
situation, ne pourrait-elle pas permettre de réintroduire une approche générique dans
la didactique du FLE ? Si elle se caractérise par sa modularité et son adaptabilité à
une diversité de situations83, nous nous proposons de transférer notre séquence
initialement conçue pour des élèves à profil FLM ou FLS à un contexte
d’enseignement du FLE, jusqu’à aboutir à une trame modélisée, non linéaire et
transposable à d’autres situations d’enseignement/apprentissage : c’est à la
confluence des didactiques et méthodologies du FLM et du FLE, à la frontière entre
scolaire et périscolaire, que nous pourrons alors élaborer notre propre parcours84.

11.4. Premières expérimentations (en CLIN et en LP)

Ce parcours commence, en amont des deux expérimentations qui feront l’objet


de nos prochains chapitres, avec deux expériences préalables, menées dans une
perspective exploratoire lors de notre année de Master 2. Le point commun entre ces
deux expérimentations réside dans un contexte d’enseignement du FLE/FLS,
s’agissant, dans le premier cas de notre propre classe d’élèves allophones lors de
l’année scolaire 2007-2008, et dans le second d’un groupe de lycéens bénéficiant
d’un cours de soutien en FLE/FLS analogue à un dispositif de type CIPPA FLE85.
Dans les deux cas, nous avons proposé un projet autour du slam : l’un se résume à
une séance insérée dans une simulation globale ; l’autre s’étend à une séquence
complète, pour laquelle la classe a bénéficié de l’intervention d’une artiste slameuse.

81
« Le slam peut être considéré comme un outil (pédagogique, éducatif, scolaire), mais il est surtout et avant
tout une pratique artistique et donc une fin en soi » explique MP (voir son blog, « Descriptif des ateliers »).
82
Définie comme « fil conducteur qui propose l’enchaînement des activités suivant une logique communicative
et cognitive, allant des activités de compréhension aux activités d’expression en passant par un travail sur la
langue (…), le tout formant un parcours visant l’appropriation d’une langue étrangère (…). Les contenus et
activités sont sélectionnés en fonction des thèmes ou des situations choisies… » (Laurens, 2003 : 72)
83
Conçue comme « un système modulaire qui permet des ajouts et des suppressions en fonction de la diversité
des situations de communication et des classes. » (Dolz & Schneuvly, 1998 : 91)
84
Voir le livret de parcours présenté dans notre chapitre 14.
85
Cycle d’Insertion Pré-professionnelle Par Alternance.
475

Enfin, l’entrée thématique choisie constitue un autre lieu de convergence puisque le


thème de la ville a été retenu pour ces deux projets.

11.4.1. Séquence en CLIN

Mise en œuvre en CLasse d’INitiation au français86, ce premier exemple répond


à un désir d’ouverture - de l’école à son environnement, et au delà, à la culture
contemporaine - si l’on tient compte du contexte dans lequel le projet a été conçu87.
Les divers partenariats et interventions - à celle de Katia/Boutchou, l’artiste-slameuse
s’ajoute la collaboration active de S., intervenante musicale, et celle de P.,
bibliothécaire - ont contribué à une diversité de lieux et de partenaires conforme à
l’esprit du mouvement slam : certaines séances se sont déroulées à la bibliothèque,
d’autres en salle de musique de l’école, avant d’en arriver à la salle de spectacle
pour la présentation finale88. L’essentiel du projet – les cinq premières séances –
était planifié sur le premier semestre, mais la nécessité s’est imposée de
« réactiver » l’atelier en fin d’année en vue de préparer la scène finale.

S3 (12/07) : cm
S1 (11/07) : b S2 (11/07) : S4 (01/08): c S5 (05/08) : c S6 (06/08) : m Scène finale : le
Familiarisation Jeux d'oralité &
Découverte Réécriture Atelier d'écriture 4 Mise en voix, en 5/06/08 à La
d'interprétation
atelier d'écriture 1 Atelier d'écriture 2 Interprétation Analyse de la langue corps, en scène Chaufferie
Atelier d'écriture 3

Figure 1 : Chronologie de la séquence menée en CLIN

Les documents joints en annexe IX.3 rendent compte de l’ensemble de la séquence :


- le tableau synoptique reflète ses objectifs ;
- le plan de séquence résume sa planification ;
- le synopsis d’observation, ajouté à la transcription de l’interaction entre deux élèves,
permettent d’approfondir le déroulement de l’une d’entre elles.

86
Classe accueillant 15 élèves dits « ENA » (Elèves Nouvellement Arrivés) âgés de 6 à 12 ans et originaires de
pays divers (Algérie, Allemagne, Angola, Arménie, Espagne, Iran, Macédoine, Maroc, Portugal).
87
Mis en place dans le cadre d’un Grand Projet de Ville associant les villes de Grenoble et de Saint-Martin-
d’Hères par l’intermédiaire de leurs réseaux de bibliothèques municipales. Les financements correspondants
ont permis d’obtenir l’intervention de Katia, slameuse, pour un cycle d’ateliers ainsi que pour la présentation
finale de la scène slam à « La Chaufferie ». Voir la vidéo illustrative de ce chapitre.
88
Dans la frise chronologique ci-dessous, nous avons utilisé les initiales suivantes : b pour « bibliothèque », c
pour « salle de classe », m pour « salle de musique ».
476

Si l’on considère les objectifs du projet en lien avec les programmes officiels89, on
constate que la poésie apparaît comme le lieu privilégié d’une expérimentation
ludique des possibles de la langue, et ce, aux différents niveaux de l’école primaire.
La démarche de projet contribue à donner sens et cohérence à des activités
d’écriture et pourra occasionner de véritables rencontres avec des œuvres ou des
auteurs. S’agissant du slam, soit d’un objet contemporain, la rencontre est incarnée
par l’artiste slameur qui transmet ainsi une poésie vivante. En l’occurrence, la
finalisation, via la socialisation du projet, est induite par la démarche même qui
consiste en une déclamation publique. La présence d’un auditoire permet non
seulement d’expérimenter la voix et ses effets, mais aussi d’ajuster son texte à cet
enjeu : comme nous avons pu le montrer, certains slameurs soumettent leurs textes
à des réécritures successives en fonction du feed-back de l’auditoire. Dans le cas
d’Elèves Nouvellement Arrivés en France, soit « nouvellement francophones », il
s’agit enfin d’explorer et d’éprouver la langue dans sa matérialité sonore afin de
mieux se l’approprier, de « trouver sa voix » dans une nouvelle langue90.

Le déroulement du projet traduit l’importance des activités ludiques, qu’il s’agisse


de jeux d’oralité ou de rythme (le jeu des claques91) ou de jeux d’écriture (avec les
lettres du prénom lors de S1 par exemple). Tout au long de la séquence, les
interactions ont été favorisées : entre l’écouter et le dire, entre l’écouter et l’écrire,
entre le lire et l’écrire, mais surtout entre l’écrire et le dire, et aussi entre les élèves
par l’exploration de modalités de travail diversifiées. Outre les slams proposés à
l’écoute (« L’Hiver Peul » de SD, « Soleil Jaune » de SD & JB, « Paris Canaille » et
« Merci maman » de R) ou déclamés par Katia (« Capitaine », « Petit »), les clips et
extraits vidéo (« Saint-Denis » de GCM92, extrait du film Slam), nous avons utilisé
des entrées diversifiées tels que des documents iconographiques (les illustrations de
l’album Le slam poésie urbaine) et autres supports plus ou moins « ordinaires » : à
titre d’exemple, un plan du réseau des transports en commun de la ville de Grenoble
a été fourni aux élèves comme déclencheur d’une activité d’écriture géopoétique (S2)

89
Voir en annexe IX.3
90
Nous avons pu observer que de nombreux slameurs ont une langue maternelle autre, d’où un rapport
différent au français (langue seconde) : l’intervention de Katia Bouchoueva, d’origine russe, est ici décisive.
91
Ce jeu consiste, en référence au sens original du mot slam, à claquer des mains en diffusant le son le plus vite
possible ou en reproduisant un rythme donné, les élèves étant disposés en cercle.
92
Dont nous avons repéré les bruits urbains comme autant d’appuis pour la compréhension.
477

qui s’est révélée particulièrement créative93. En effet, la présence d’un support visuel
a mis en confiance des élèves habitués à se déplacer en bus ou en tram pour venir à
l’école, si bien que les noms des arrêts s’avéraient plus ou moins familiers à
l’écoute : d’où une sensibilité accrue à la musicalité de ces mots parfois dénués de
sens pour eux. A l’image de cette production d’écrits qui a été réalisée en binômes,
les interactions entre les élèves ont été encouragées tout au long de la séquence,
notamment en vue d’une différenciation dont rend compte le synopsis d’observation
de la séance 394.

Différenciation
Collectif

Collectif
Dire et écouter Ecouter et comprendre Ecrire / jouer avec les
- jeux de rythme et - Ecouter un slam et mots
d'expressivité débattre de son - Ecrire en duo un slam sur
interprétation : "Paris sa ville (cycle 3)
- Interprétation d'un canaille"
texte en duo : "Soleil - Repérer des rimes, en
- Relever des procédés
jaune" poétiques pour pouvoir les trouver = entraînement
réinvestir phonologique (cycle 2)

Transcription interaction

Enregistrement vidéo = synopsis d’observation (durée = 1h40)


Figure 2 : Déroulement de S3

Le recours au synopsis d’observation de classe95 a permis d’affiner l’analyse


du dispositif, mais aussi de la progression de la séance, de sa dynamique, par une
mise en valeur de sa structure hiérarchique, ainsi que des interactions mises en jeu
selon les formes sociales de travail proposées. La longueur de celui-ci traduit la
complexité d’une séance durant laquelle plusieurs étapes se succèdent, marquées
par des changements de lieu ou interruptions telles que la récréation96. Notons
d’emblée que le fait de taper dans les mains pour produire un rythme fait écho au
« jeu des claques » proposé lors de la première séance. En outre, cet exercice
rythmique aide les élèves à être ensemble, à être en phase : recherche d’une
cadence commune qui peut favoriser, en tant qu’acte social (Meschonnic, 1982 :

93
La consigne impliquait de choisir un itinéraire, de relever les arrêts correspondants et de s’en servir de trame
pour écrire les textes en binômes, à la manière de « Saint-Denis » ou de « Paris canaille » qui évoque des arrêts
de métro. Si le choix de ce support était induit, en l’occurrence, par celui de la thématique urbaine, Gérard
Vermeersch (1996 : 45) propose dans sa Petite fabrique d’écriture une activité nommée « Géopoétique »
consistant à intégrer dans un poème la liste des communes de Loire-Atlantique.
94
La CLIN se caractérisant par une grande hétérogénéité des âges et niveaux (de A1 à B1), la différenciation
entre les cycles (a minima) apparaît comme une nécessité et une pratique quotidienne.
95
Inspiré du cours de Sandra Trevisi, cet outil méthodologique a été conçu par l’équipe GRAFE dans le cadre
d’un projet de recherche.
96
Nous proposons une analyse détaillée de cette séance à partir du synopsis et de la transcription figurant en
annexe IX. Les élèves dont l’échange a été enregistré sont désignés par les initiales (N & M) de leurs prénoms.
478

650), l’identification de l’élève comme membre du groupe-classe97. L’entrée par la


musique - d’où le choix du lieu - permet une activité commune, accessible à tous
quel que soit leur niveau de langue, et donc intégratrice. Elle vise à préparer un
travail sur l’oralisation et l’interprétation des textes qui constitue l’essence du slam,
en tant que poésie orale. Lors d’une séance ultérieure de préparation à la scène
finale, nous ferons intervenir le professeur de musique afin de travailler à
l’accompagnement musical des textes, mais l’objectif principal de cette première
séance axée sur l’interprétation est de sentir et d’accentuer le rythme de la langue et
la rythmique propre à chaque texte98, selon l’effet visé. Si le slam se construit à la
croisée des arts, la première activité proposée (jeu de rythme ou mise en bouche)
suggère une référence à la chanson. Celle-ci est bien perçue par les élèves puisque
l’un d’entre eux reprend le rythme d’une chanson traditionnelle ; N. va plus loin en
précisant qu’il faut transformer son texte en chanson pour pouvoir le dire avec un
rythme particulier. Lorsqu’il sera amené à oraliser son propre texte, c’est d’ailleurs
avec une voix chantante qu’il se livrera à cet exercice. La seconde activité (jeu
d’interprétation ou mise en voix) s’inscrit davantage dans une perspective de
théâtralisation, car le slam emprunte aussi à cet art. Enfin, la troisième (l’atelier
d’écriture ou mise en mots) relève à la fois du conte et de la poésie, les élèves se
montrant hésitants quant à la forme à adopter : la consigne d’écriture se voulait
ouverte (« Ecrire un slam sur sa ville en la comparant à un animal ») et induite par le
slam support (« Paris ma ville aux yeux de loup »99), pour leur permettre de se
construire leur définition du slam, à partir de leur double expérience d’auditeur et
d’auteur. Au fil de l’atelier, des compétences transversales ont été mobilisées, à
commencer par un travail sur l’écoute, la prise de parole, la coopération dans
l’écriture et l’interprétation. Les élèves ont dû apprendre à interpréter un texte en duo
et à collaborer en vue d’une activité d’écriture : la transcription de l’échange au sein
d’une dyade (voir infra) traduit la difficulté inhérente à cette tâche. Notons enfin que
la référence intertextuelle à une poésie apprise en classe illustre la mise en place de

97
Enjeu de taille en l’occurrence, s’agissant d’Elèves Nouvellement Arrivés en France et pour certains Non
Scolarisés Antérieurement. Voir nos prochains chapitres pour un développement de ce travail sur le rythme.
98
Nous distinguons ici rythme et rythmique à la suite de Meschonnic qui définit une rythmique comme « la
configuration du rythme propre à un texte (2005 : 41) soulignant qu’elle constitue par là-même « la matière
première de l’effet de sens » (175).
99
« Paris canaille » de Rouda (2007).
479

« réseaux » : la découverte de nouveaux textes – en l’occurrence de slams – fait


écho à d’autres textes littéraires, notamment poétiques.

La transcription rend compte de l’interaction orale entre les élèves N et M en


situation de coproduction écrite lors de la séance 3. Nous avons privilégié l’écriture
en dyade qui « stimule l’invention, l’autonomie et la vigilance métalinguistique »
(Fabre-Cols, 2002 : 176). En l’occurrence, les deux élèves ont bien perçu la
dimension ludique inhérente au slam. Comme l’indique leur titre (« Normat »)100, ils
ont joué sur la matière visuelle (les lettres) et sonore de leurs prénoms. C’est à une
dimension colludique (de colludere, « jouer ensemble »101) qu’ils accèdent alors :
enjeu essentiel dans les ateliers slam, s’agissant de jouer ensemble avec les mots.
L’échange métalinguistique qui s’ensuit traduit néanmoins des désaccords portant
sur la mise en mots (syntaxe) et la mise en forme (ponctuation) du texte. M.
manifeste des inquiétudes quant au transcodage que représente le passage à l’écrit :
il s’agit d’un élève lusophone, en difficulté à l’écrit. Pour cet élève, la prégnance du
contrat didactique ralentit considérablement le processus d’écriture. N., quant à lui,
se laisse porter par son inspiration, jouant au passage sur le sens propre et le sens
figuré de l’expression « avoir un mot sur le bout de la langue ». De fait, cet échange
apparaît révélateur d’un travail possible sur le défigement des expressions figées
comme déclencheur de créativité lexicale et d’un investissement affectif pour ces
élèves « nomades ».

Les productions écrites issues de ces séances attestent d’une grande


hétérogénéité. Lors de la première séance, des élèves de niveau CP ont produit une
phrase à partir des lettres de leur prénom (« Eric écrit sans un cri. »), tandis que
d’autres (cycle 3) ont rédigé un texte élaboré :
Le nid d’or se situe dans le Nord. L’oiseau Nordine dort. L’oiseau dort, Nordine va dans le nord
et trouve dans un nid des œufs d’or. Les deux petits enfants dorment, dans leurs rêves vont
dans le Nord et trouvent des morts… C’est le Nord qui m’amène au grand livre d’histoire. Mon
rêve se construit avec de l’or et voilà je me rendors.
Document 1 : Production de Nordin, 10 ans (S1)
Lors de la deuxième séance, le travail en binômes a permis de compenser
l’hétérogénéité des âges et des niveaux. A titre d’exemple, le binôme dont la
production figure ci-dessous était constitué d’un élève âgé de 6 ans, non lecteur, et
d’un autre âgé de 9 ans, de niveau avancé :

100
Il s’agit d’un mot-valise résultant de leurs deux prénoms apocopés : Nor(din) + Mat(hieu) = Normat
101
Notons qu’en anglais, le verbe to collude signifie « conspirer » (d’où « collusion »), d’après le Longman.
480

Nous sommes allés à Saint-Bruno


Saint
En marchant dans l’herbe à Malherbe.
A MC2, nous nous sommes mmes retrouvés tous les deux.
A Mounier, on a vu entrer des araignées.
Elles se sont assises sur les sièges.
er
A l’arrêt Albert 1 de Belgique, nous avons
av rencontré une jolie Belge.
Document 2 : Production
uction d’Eric et Michel,
Michel 5 et 9 ans (S2)
Outre la production de N et M reproduite en annexe, le texte ci-dessous,
ci intitulé
« Les grands-mères
mères de Grenoble », est le fruit du travail de deux autres élèves lors
de cette même séance et témoigne de leur prise en compte de la principale consigne
– comparer sa ville à un animal – ainsi que des contraintes poétiques telles que la
paronomase (Grenoble/grenouille, gris/crie) :
Quand il pleut à Grenoble
Les grand-mères ont froid
Et nous on va acheter des caramels
Pour qu’elles soient belles
Grenoble gris
Grenoble crie
Comme une grenouille
Et nous on écrit !
Document 3 : Production de Liana et Ava (S3)
Enfin, la production de Sara et Mustafa a fait l’objet d’une réécriture
iture dont atteste le
brouillon reproduit ci-contre
contre. « Lieu où sont conservées toutes les traces du débat
interne à celui qui lit-écrit » (Oriol-Boyer,
(Oriol 2002 : 7)102, ce dernier illustre le recours au
dessin visant à s’approprier le jeu de mots (polysémie) - et met en relief les quelques
termes (« fontaine, capitaine, lointaine ») qui serviront de trame au texte à construire.
Notons
otons d’ailleurs que le terme de capitaine fait écho à l’un des textes slamés par
Katia lors d’une précédente séance. Le
passage du brouillon à la production finale
témoigne de l’aide apportée par l’adulte,
notamment pour les verbes (« je prends ») et
l’utilisation
ilisation des pronoms personnels atones
et toniques (« Moi, je… »). Outre l’aide
syntaxique et orthographique, la mise en
forme - disposition en vers - du texte permet
de mettre en valeur la rime riche
(capitaine/fontaine), ainsi que la structure du
texte produit, sa progression.

Document 4 : Brouillon de Sara et Mustafa


102
Préface à l’ouvrage de Claudine Fabre (1990).
481

De ma fenêtre, je vois les montagnes,


Et Fontaine : un morceau de la France.
Moi je mange des fruits avec bruit.
Je prends le bateau de mon père.
Je suis capitaine, ett je promène
Mes
es bateaux dans la fontaine
Document 5 : Production de Sara et Mustafa (S4 : réécriture)
Lors de la représentation finale, des duos sur les prénoms (S1) ont permis de
mettre en scène une forme de joute oratoire conforme aux origines du mouvement.
Quant aux transitions musicales et autres jeux de voix accompagnant l’interprétation
de certains textes (« Soleil Jaune »), ils visaient à renforcer
enforcer le caractère collectif de
cette présentation, tout en accentuant les aspects interculturels par la présence
d’instruments africains. Là encore, le plaisir était au rendez-vous,
rendez vous, à la hauteur du
plaisir éprouvé lors des ateliers d’écriture : « Le slam,
am, c’est une chose qui rime, qui
nous fait plaisir (…). Il y a beaucoup de choses dans le slam : des fois, c’est rigolo,
d’autres fois, c’est triste… », dirait Sara en guise de bilan à cet atelier,
atelier tandis que
Nordin conclurait : « Le slam, c’est des jeux de mots, c’est des cliques et des
claques » 103. La principale difficulté posée par la scène finale était liée à l’utilisation
du micro qui aurait dû faire l’objet d’une activité de préparation, de même que
l’occupation de l’espace scénique. En revanche, les exercices préalables de diction,
comme celui du « Porte-voix
voix », ont porté leurs fruits et favorisé l’audibilité des textes
pour des enfants initialement non francophones. La qualité d’écoute était d’autant
plus remarquable que les élèves, mêmes spectateurs,
spectateur , étaient toujours actifs dans
l’accompagnement sonore ou musical. Enfin, l’enjeu
’enjeu culturel semble avoir été atteint
dans la mesure où certains élèves ont participé à une scène slam « tous publics »
ots Paumés104.
animée à la bibliothèque de quartier par le slameur grenoblois Mots

Photo 2 : From the page… to the stage Photo 3 : Scène à la bibliothèque avec MP

103
Entretien mené le 17/06/08 à l’école Malherbe
104
Voir les photos reproduites en annexe IX.3et qui reflètent le paradoxe entre le caractère intime de la phase
d’écriture – l’élève s’isole derrière un livre – et la phase de socialisation où l’élève monte sur une chaise, à
défaut de scène, pour interpréter son texte…
482

11.4.2. Séance en LP

Nous avons également conçu, mené et analysé une séance d’activités autour du
slam dans une classe de FLE/FLS ou plutôt de FLSco (« Français Langue de
Scolarisation ») accueillant des Elèves Nouvellement Arrivés en France (ENA)
scolarisés en lycée professionnel. Cette activité de découverte du slam, suivie d’un
atelier d’écriture,
criture, s’inscrivait dans un projet de plus grande ampleur, consistant
dans la mise en place d’une simulation globale, « L’immeuble », par les deux
intervenantes : en une douzaine de séances, les élèves avaient commencé à poser
les jalons de cet univers fictif
ictif qu’implique la simulation globale, à se familiariser avec
le fonctionnement de cette démarche. A ce stade de la progression, l’intervention de
l’atelier slam répondait au besoin de faire vivre l’immeuble, de l’animer, et à la
volonté d’introduire d’autres
utres supports – plus littéraires – que les documents
authentiques utilisés jusqu’alors. Dans cette perspective, les élèves ont été conviés à
« Découvrir le slam avec Grand Corps Malade », par un courrier visant à susciter leur
curiosité – à faire naître un
n « horizon d’attente » tout en induisant un « effet de réel ».
La fiche de préparation présentée en annexe expose les objectifs et le déroulement
détaillé d’une séance qui a fait interagir deux slams de GCM (« Vu de ma fenêtre » et
le clip « Saint-Denis »),
), en vue d’une production écrite, et qui a donné lieu à des
développements métalexicaux intéressants. Une discussion
iscussion sur les registres de
langue à partir de termes comme « blindé » a induit des digressions sur les usages
de ce registre familier, voire argotique.
arg

Découverte du Collecte de Ecoute, lecture, inte Atelier


slam (EO/CO) mots rprétation (CO/EO) d'écriture
(CO, lexique) •Ecrire un slam
•Remue- sur le thème
méninges •Clip "Saint- •Texte"Vu de ma
fenêtre" (CD + "Vu de ma
•Fiche : Denis" (en
fiche) fenêtre" en
définition + salle
intégrant jeux
illustration informatique)
de mot & mots
collectés

Figure 3 : Déroulement de la séance « Vu de ma fenêtre » (lycée


lycée Prévert, le 30/01/08)

Le « remue-méninges » proposé en guise d’entrée en matière s’est nourri de toute la


richesse de l’illustration extraite de l’album Le slam, poésie urbaine (2007), que nous
avionss choisi de placer en vis-à-vis
vis du texte sur la fiche élève105. Cette
C image donne
à voir l’essence du slam comme poésie urbaine ou du quotidien,
quotidien ce que GCM

105
Voir la fiche de préparation et la fiche élève reproduites en annexe IX.3.
483

résume ainsi : « Moi, quand je regarde par la fenêtre, je vois que le béton est en
fleurs. » Ainsi le « slam-poésie » naît-il au détour d’une rue, dans un décor urbain et
banal dont il fait surgir, à travers le regard du poète, des images poétiques : la forme
de l’oiseau dessinée par la juxtaposition des photos de bâtiments, illustre la
déconstruction-reconstruction que nous avons analysée comme inhérente au slam.
Enfin, le détour par les images animées du clip de « Saint-Denis » a permis aux
élèves de se constituer leur propre réservoir de mots, au sein duquel puiser
l’inspiration et les ressources lexicales pour écrire. Certes, le passage à l’écrit a été
laborieux pour un certain nombre d’entre eux, et aurait mérité que l’on prolonge la
séance par une étape de réécriture, mais quelques élèves se sont néanmoins
risqués à une oralisation de leur texte, bien qu’inachevé. Le contexte dans lequel
s’ancrait cette séance a assurément favorisé la créativité d’élèves qui se trouvaient
d’ores et déjà plongés dans un univers fictif, la simulation globale fonctionnant
comme un véritable catalyseur de l’activité106.

106
Voir le dossier : « Une simulation globale en classe d’accueil pour élèves primo-arrivants comme outil
d’intégration et d’éducation à la citoyenneté » (sur site Franc Parler, voir en sitographie).
484

Conclusion partielle

En passe d’être reconnu dans les programmes et manuels scolaires comme un


objet d’étude à part entière et non seulement comme un outil ou un sujet « en
vogue », le slam révèle pleinement son potentiel didactique lorsqu’il est intégré à un
projet dont le sens se construit à la croisée des arts : non seulement des arts du
langage en relation avec le théâtre, mais aussi des arts en général tels que la
musique et les arts visuels107. Aussi nos premières expérimentations ont-elles
confirmé ce potentiel, non seulement rythmo-ludique et en tant que tel socialisant,
mais aussi artistique et linguistique, en vue d’une appropriation du Français comme
Langue Seconde : la langue française, devenant à l’instar du slam lui-même « une
maison qu’on aménage sans cesse avec les sensibilités de chacun » selon l’image
d’Ami Karim (GdB, 2009 : 14), une maison commune où chacun doit se sentir chez
soi. Tel est l’enjeu du parcours d’intégration des élèves nouvellement arrivés en
France : « Lui permettre d’être chez lui dans la langue française, c’est faire le pari
généreux de son devenir citoyen »108. Or cela passe nécessairement, selon l’image
chère à Wioland (1991, 2000 : 14), par une familiarisation avec « le système
phonologique du français comme une société dans laquelle vivent les phonèmes
dont les habitudes de vie sont comme dans toute société arbitraires, certes, mais
bien établies et hiérarchisées ». Nous postulons que l’intégration de ces « habitudes
culturelles » permettra de mieux généraliser le fonctionnement de l’expression orale
au-delà des diversités individuelles (phonostylistiques) et que l’expérience du slam
peut contribuer à cette acculturation.

107
Dans la lignée de l’album cité (Mango, 2007), le thème de la ville peut donner lieu à des activités
intéressantes.
108
« La scolarisation des élèves nouvellement arrivés en France », Actes des journées nationales d’étude et de
réflexion organisées par la DESCO, Discours d’ouverture de Jack Lang, octobre 2001.
485

Chapitre 12

Expérimentations
en FLM/FLS
/FLS

12.1. Contextualisation et objectifs


de la séquence
12.2. Corpus didactique, analyse des
supports et du déroulement
12.3. Analyse des productions et de
l’évolution des représentations

Illustration : extrait du
documentaire Traits portraits (2009)

Photo 4 : Entrée en slam avec Katia


Bouchoueva/Boutchou (lycée Prévert, janvier 2011)
2011
486
487

« Nous sommes le cancre au fond d’la classe


Echappé du poème de Prévert, mais nous avons grandi :
Nous disons oui avec les yeux, nous disons non avec le cœur
Et sans craie ni tableau, sous le dédain cireux des adultes prodiges
Nous crachons à la face de ce faux bonheur »109

Néopoètes, les slameurs tendent à s’échapper du poème de Prévert pour


s’engager sur des chemins buissonniers. A l’opposé du flow régulier d’un Grand
Corps Malade, certains s’attachent à déconstruire voire à parodier l’exercice
traditionnel de la récitation, tel Frédéric Nevchehirlian déclamant sur un ton et un
rythme lancinants ce poème de Prévert110. Or ces cancres évadés des salles de
classe ou anciens professeurs devenus slameurs par vocation tendent à y revenir
pour assumer pleinement un rôle de médiateurs qu’ils conçoivent comme une
mission111. Le slam apparaît alors comme une passerelle, un lieu possible de
renouvellement des pratiques autour de la poésie, de réconciliation ou
d’apprivoisement de l’écriture. Relatant sa rencontre avec la poésie à l’école, Grand
Corps Malade lui trouve d’abord « un air bien prétentieux », puis « vraiment relou »,
tandis que sa découverte du slam s’annonce sous de bien meilleurs auspices :
« Mais la poésie a insisté, elle m’a rattrapé sous d’autres formes
J’ai compris qu’elle était cool et qu’on pouvait braver ses normes » (2006)
Si cette question de la norme peut générer un blocage, l’envie d’écrire, de dire,
d’écrire pour dire, devient alors le maître-mot et un levier potentiel d’action
pédagogique : « Nous ne sommes pas bons élèves mais l’envie nous enivre. » (GCM)

Comment l’intervention d’un slameur, en tant que poète vivant incarnant une
forme de « parole libre », peut-elle renouveler l’approche de la poésie à l’école ?
Dans quelle mesure l’expérience d’un atelier slam peut-elle contribuer à libérer
l’expression en influant positivement sur le rapport à la langue et à la poésie ? En
quoi se distingue-t-il d’un atelier d’écriture « traditionnel » ? Telles sont les
principales questions que nous confronterons à notre double expérimentation d’un
atelier slam mené dans deux classes de lycées professionnels, avec des élèves qui a
priori ne sont pas acquis à la cause poétique, ce dont témoignent nos enquêtes.
Après avoir contextualisé cette séquence et exposé ses objectifs en lien avec les
instructions officielles, nous nous intéresserons plus précisément aux supports et à la
109
Damien Noury, « Erythèmes impudiques » in Slam entre les mots (2007 : 107).
110
Le slameur marseillais a intégré ce poème à son projet autour des textes de Prévert : Le soleil brille pour tout
le monde (à paraître).
111
Voir notre chapitre 3.
488

démarche mise en œuvre, puis nous analyserons les productions d’élèves et les
questionnaires soumis à ces lycéens.

12.1. Contextualisation et objectifs de la séquence

12.1.1. Contextes d’expérimentation

Dans la lignée des recherches de Patricia Lambert et Cyril Trimaille (2004), et


des premières expérimentations menées dans un contexte de FLE/FLS112 qui nous
ont ouvert des perspectives intéressantes, nous avons choisi d’expérimenter notre
séquence didactique dans deux classes de lycée professionnel : public dont le
rapport à la langue – écrite en particulier – peut s’avérer complexe voire conflictuel,
la littérarité des textes risquant alors d’être appréhendée comme un obstacle
potentiel. D’où l’enjeu d’une réconciliation via la langue et l’expérience poétique.
Pour ces deux terrains d’expérimentation, nous avons co-animé l’atelier slam avec la
slameuse Katia Bouchoueva en présence des enseignantes ; la même trame de
séquence a donc été appliquée à ces deux contextes, avec quelques modifications
visant à l’adapter à un public sensiblement différent.

Pour la première classe (B)113, il s’agissait d’élèves préparant un bac


professionnel EDPI (13 élèves) et TU114 (7 élèves). La majorité de ces 20 élèves était
masculine (2 filles), âgée de 17 à 19 ans. Le contexte de ce lycée voironnais peut
être qualifié de périurbain115, de même que celui du lycée Prévert à Fontaine, situé
dans la banlieue grenobloise. La deuxième classe (P) comportait 21 élèves de
première préparant un bac professionnel de secrétariat (9 élèves) et comptabilité (12
élèves). Parmi les 6 garçons et 15 filles âgés de 16 à 18 ans, 6 élèves étaient
repérés par l’enseignante comme « à profil FLS » : 1 élève nouvellement arrivée du
Congo, 2 élèves originaires d’Algérie et de Tunisie, 3 élèves d’origine turque dont les
difficultés en français persistent bien qu’ils soient nés en France. L’enseignante de la
classe B n’a pas ciblé de difficultés particulières. Le tableau suivant vise à
caractériser le profil des deux classes concernées :

112
Voir la séance présentée en fin de chapitre précédent et menée au lycée Jacques Prévert de Fontaine.
113
Nous nous situons ici dans la chronologie de nos expérimentations et utilisons les initiales des deux lycées
pour désigner les classes correspondantes, soit B pour « Buisson », P pour « Prévert ».
114
Pour « Etude et Définition de Produits Industriels et « Techniciens d’Usinage ».
115
Nous pouvons émettre l’hypothèse que ces élèves manifesteront une moins grande familiarité vis-à-vis de
l’objet slam que des élèves scolarisés en milieu urbain (enquête citée menée au lycée Argouges de Grenoble).
489

Intitulé de la classe Classe B Classe P


(première bac pro)
Localisation Lycée Buisson (Voiron, 38) Lycée Prévert (Fontaine, 38)
Type de bac pro préparé EDPI (13 élèves) Secrétariat (9 élèves)
(sections) TU (7 élèves) Comptabilité (12 élèves)
Répartition filles/garçons 18 garçons / 2 filles 15 filles / 6 garçons
Nombre d’heures de 2 heures 3 heures
français hebdomadaires
Tableau 3 : Les deux contextes d’expérimentation en Lycée Professionnel116 (LP)

Les différences entre ces deux contextes ont donc a priori partie liée aux profils des
deux classes, l’une étant majoritairement masculine (B), l’autre à dominante féminine
avec des difficultés en français identifiées et annoncées en tant que telles (P). Les
élèves de la classe B bénéficiaient de 2 heures de français hebdomadaires, ceux de
la classe P de 3 heures, et dans les deux cas, le premier trimestre a été consacré à
l’objet d’étude « Du côté de l’imaginaire » (voir infra), envisagé notamment à travers
le Surréalisme. Notre séquence s’inscrit donc dans le prolongement de ce travail.

12.1.2. Objectifs de la séquence et articulation avec les instructions officielles

Les Instructions Officielles : texte de cadrage

Les nouveaux programmes de français pour la préparation au bac professionnel


sont régis par le Bulletin officiel spécial n°2 du 19 février 2009 qui rappelle que
« l’enseignement du français participe à l’enrichissement de la culture commune par
la connaissance de mouvements et d’œuvres, par la fréquentation de productions
artistiques variées, par la pratique d’activités culturelles. » Dans cette perspective,
les textes littéraires sont le lieu d’une confrontation avec les idées, les valeurs, les
sentiments qui ont marqué l’histoire de la pensée humaine :
« La médiation de la littérature permet une approche du monde et de soi essentielle
dans un parcours de formation. »
Si la pratique de l’oral est encouragée sous toutes ses formes (productions orales
individuelles et collectives, spontanées et préparées), la lecture et l’étude des
mouvements littéraires demeurent ouvertes aux réalités contemporaines117. Quant à
l’écriture, elle donne lieu à des pratiques variées (écrit de travail et de mémorisation,
écriture personnelle, écriture à partir de contraintes et de déclencheurs, écriture de

116
Nous utiliserons désormais les initiales LP pour désigner le lycée professionnel en général.
117
« Ces références ne constituent pas un cadre de lectures et d’activités exclusif qui interdirait la lecture de
textes et l’étude d’œuvres appartenant à d’autres périodes ou à d’autres mouvements littéraires. » (BO cité).
490

commentaire, écriture d’argumentation) et gagnera à être mise en relation avec


l’analyse de la langue, la maîtrise progressive des codes oraux et écrits étant
constamment recherchée en vue d’une amélioration de l’expression. Enfin,
l’enseignement du français pourra être croisé avec celui de l’histoire des arts,
s’agissant notamment des arts du langage et du spectacle vivant. Des parcours
seront élaborés afin que « la fréquentation régulière d’œuvres artistiques permet(te)
aussi à l’élève d’exprimer des émotions, d’émettre un jugement personnel et
critique » et d’approfondir ainsi « sa connaissance du monde et de soi. » Des objets
d’études sont exposés comme celui-ci, intitulé « Du côté de l’imaginaire » :
« Comment l’imaginaire joue-t-il avec les moyens du langage, à l’opposé de sa
fonction utilitaire ou référentielle? » (BO cité) Le tableau suivant rend compte de cet
objet et des capacités, connaissances, attitudes qu’il met en jeu :
Capacités Connaissances Attitudes
Interpréter le discours tenu sur le réel à Champ littéraire : Goûter la
travers le discours de l’imaginaire (en Période : le surréalisme. puissance des
particulier romanesque et poétique). Le registre fantastique. mots et
Champ linguistique : des ressources du
Réaliser une production faisant appel à Lexique : langage.
l’imaginaire. imagination/imaginaire,
peur/étrange. Être curieux des
Contextualiser et mettre en relation des Lexique des émotions. représentations
œuvres traitant, par l’imaginaire, un Types de phrases, variées de la
même aspect du réel à des époques ponctuation. réalité.
différentes. Point de vue, modalisation
du doute.
Comparaison, métaphore.
Histoire des arts :
Domaine artistique : « Arts
du langage »
Thématique : « Arts, réalités,
imaginaires »
Tableau 4 : Objet d’étude « Du côté de l’imaginaire » (d’après les programmes de LP)

Analyse critique des nouveaux programmes

Marie-Cécile Guernier, dans un numéro de Lire au lycée professionnel (2009), a


lu entre les lignes de ces nouveaux programmes. Au-delà du constat d’une place
importante accordée à la littérature, de nombreuses questions subsistent quant à la
conception du littéraire qui apparait en filigrane dans ces programmes et à sa
fonction dans la construction d’une « identité culturelle » énoncée au singulier. Dans
491

la mesure où les programmes s’arrêtent « à l’aube du XXème siècle »118, on ne peut


que regretter que la littérature contemporaine et les « nouvelles formes de poésie »
soient reléguées en marge d’une conception somme toute « assez académique ».
Par ailleurs, on constate que si la lecture se pratique essentiellement à partir d’un
corpus littéraire, les activités d’écriture sont plus explicitement tournées vers le non-
littéraire, ce que confirme notre analyse des manuels scolaires destinés aux élèves
de LP. La didacticienne observe enfin que « la pratique de l’oral aussi peut être
l’occasion de travailler l’expression littéraire », en quoi le slam offre des pistes
intéressantes. Examinant de plus près la conception de la poésie et de son
enseignement dans les programmes de Bac pro, elle part du constat – que nous
confronterons à nos propres enquêtes – d’une poésie « appréciée des élèves de
lycée professionnel », à condition d’être conçue comme jeu sur le langage, voire
« expression de la subversion » : les élèves y voient alors « une occasion de se
libérer du carcan des écritures académiques et scolaires » (Guernier, 2010). D’où
l’intérêt didactique des formes poétiques récentes que sont le rap et le slam
permettant à l’apprenti-poète de « travailler la langue de manière personnelle, voire
originale, et certaines fois, provocatrice. » En découvrant le lyrisme et ses « vertus
expressives », les élèves « en rupture avec la langue, ou du moins avec une
approche scolaire de la langue » pourront ainsi la redécouvrir et se l’approprier. C’est
la question de la norme et la fonction de médiation du rap ou du slam qui se trouvent
ici posées (Trimaille, 2004). Aussi Marie-Cécile Guernier déplore-t-elle que les
langages poétiques contemporains, « ceux par lesquels les élèves pourraient le
mieux mesurer la spécificité de cette parole », ne soient pas explicitement proposés
à la découverte. Nous pouvons nuancer ce propos par le constat de l’apparition du
rap et du slam dans les manuels récents. En revanche, force est de constater que
l’activité d’expression poétique comme « lieu de renouvellement du langage »
demeure limitée, même si le « pouvoir transformateur de la parole poétique » peut
être éprouvé à travers l’étude du surréalisme.

Ancrage de notre séquence par rapport à ces orientations officielles

Notre séquence de slam s’inscrit plus précisément dans le prolongement de


l’objet d’étude cité : « Du côté de l’imaginaire ». En termes de capacités, la

118 ème
S’agissant du XXI siècle, les programmes incluent surtout des textes issus des médias ou de type
documentaire.
492

découverte du slam a permis d’approfondir l’interprétation d’un texte poétique. En


outre, cette rencontre est intervenue de façon complémentaire à l’approche du
surréalisme, dont nous avons pu observer qu’elle était souvent mise en relation dans
les manuels avec cet objet contemporain qu’est le graffiti119. Dans le champ
linguistique, le lexique des émotions, les comparaisons et métaphores ont été
mobilisés afin que les élèves puissent « goûter la puissance des mots et des
ressources du langage » sur le plan des attitudes. Plus généralement, amener ces
lycéens à rencontrer le slam visait à impulser une démarche culturelle active de
fréquentation d’œuvres artistiques. Aussi le projet a-t-il été finalisé par la participation
à une slam session en tant que lieu de poésie vivante et interactive, le slam
devenant poésie scénique ou « parole en spectacle »120. De fait, « en reliant ainsi les
études littéraires aux expériences culturelles des élèves, on en montrera la pérennité
et on fournira aux élèves des éléments pour mieux comprendre les œuvres et les
productions culturelles et artistiques qu’ils fréquentent. » (Guernier, 2010). Le tableau
synoptique intégré au livret pédagogique 1 (en annexe X) fait état des objectifs visés
à travers la séquence, soit :
- En matière de lecture : lire, analyser des textes mais aussi des documents faisant
interagir les mots et les images (flyers/affiches, clips vidéo…) ;
- En matière d’écriture : entrer dans l’échange écrit, produire des mots, phrases, textes
selon différentes modalités et en réinvestissant des procédés identifiés dans le slam ;
- En matière d’analyse de la langue : mettre en relation des codes écrit et oral, maîtriser
les registres, mettre en œuvre des stratégies d’analyse métalexicale ;
- En matière de pratique de la langue orale : entrer dans l’échange oral, s’écouter, réagir,
s’exprimer par le slam ;
- En matière d’histoire littéraire et d’histoire des arts : exprimer ses émotions, émettre un
jugement personnel et critique, faire le lien avec le Surréalisme (entre autres), s’initier
aux arts du langage et au spectacle vivant.

119
Deux pochoirs de Miss.Tic sont reproduits, aux côtés d’un calligramme d’Apollinaire - connu pour être
l’inventeur du terme surréalisme (premier emploi du mot dans sa lettre à Paul Dermée, mars 1917) - dans le
manuel Bac pro première (Abensour, 2010) : « Quand les poètes jouent avec les mots », p.37. Cet encart est
mis en relation avec l’objet d’étude « Du côté de l’imaginaire », l’attitude visée étant formulée en ces termes :
« Etre curieux des représentations variées de la réalité. »
120
« La parole en spectacle » est un objet d’étude destiné aux classes de Terminale bac pro, au sein duquel le
slam peut aussi trouver sa place, s’agissant notamment de « comprendre comment la mise en scène de la
parole contribue à son efficacité » (Capacités), d’étudier « les procédés de l’éloquence » (Connaissances) et d’
« être conscient des codes culturels et des usages sociaux du langage » (Attitudes). D’après le BO cité.
493

12.1.3. Pistes de réflexion didactique et état des lieux des représentations

Outre l’éclairage des instructions officielles par Marie-Claire Guernier, les pistes
de réflexion didactique subséquentes, issues de la revue Lire au lycée professionnel,
visent à ancrer notre atelier slam dans les réalités d’un terrain spécifique, tout en
problématisant sa conception et sa mise en œuvre.

La venue d’un artiste dans la classe : de l’écrivain au slameur

Dans un numéro remontant au printemps 2004 – soit aux prémices du slam


français –, Vincent Massart-Laluc s’interroge sur l’intervention d’un écrivain dans une
classe : « comment la venue d’un écrivain et sa proposition d’écriture entrent-elles en
cohérence avec les objectifs didactiques auxquels est soumis l’enseignant ? »
(2004 : 2). De fait, l’intervention d’un artiste influe non seulement sur la dynamique
du groupe-classe, mais sur la relation pédagogique et la médiation culturelle
interroge la nature même de l’activité scolaire. D’où la nécessité de bien définir la
nature du projet didactique : quels sont les apprentissages visés ? Comment se
répartissent les rôles ? En ce qui concerne notre séquence, notons que ma
présence en tant que co-animatrice de l’atelier, mais aussi doctorante et à ce titre
observatrice, n’a pas été sans effets sur le déroulement de l’atelier. Quant aux deux
enseignantes des classes qui se sont soumises à nos expérimentations, elles ont
manifesté des attitudes très différentes : l’une (classe B) se positionnant
volontairement en retrait lors des séances121, l’autre (classe P) s’impliquant plus
activement dans leur déroulement. La co-animation – dans la continuité d’une co-
conception de la séquence avec l’artiste – pose aussi question : quel est le rôle
dévolu à l’une et à l’autre ? Les élèves se retrouvent-ils dans cette triade constituée
de l’artiste, de l’enseignante et d’une observatrice participante ? Il nous semble donc
essentiel d’envisager ces modifications apportées au contexte et au contrat
didactiques d’une situation de classe ordinaire. Le lieu de l’intervention a été choisi
soit en concertation avec l’enseignante et la documentaliste, impliquée dans le projet
B, soit avec la seule enseignante (classe P), si bien que la première séquence s’est
déroulée dans une salle annexe du Centre de Documentation, tandis que la seconde
a eu lieu dans la classe attribuée pour le cours de français : aménagement qui n’a
pas été sans incidences sur l’investissement des élèves et les productions obtenues.
Quant au statut de l’intervenant, il nous apparaît que le terme d’écrivain induit des
121
Ce que l’enseignante a justifié par le constat qu’il y avait « trop d’adultes dans la classe. »
494

représentations très différentes de celui de slameur. En effet, ce dernier se définit


avant tout à travers une pratique sociale qui fait référence à un univers
contemporain, a priori plus familier pour les élèves122. Le mot slam induit des
représentations que le mot poésie ne connote pas : « La poésie est ce que l’on
apprend par cœur à l’école » avance de manière provocatrice le slameur
Nevchehirlian (2005 : 21)123.

La lecture à haute voix : quid de la déclamation slamée et de la fluence ?

Dans un autre numéro de la revue Lire au lycée professionnel (été 2004),


Françoise Montloi propose de « revisiter l’acte de lire à voix haute, pour le plaisir de
l’écoute » (2004 : 2). Partant du constat que les élèves scolarisés en lycée
professionnel connaissent souvent des difficultés ou des réticences par rapport à
l’écrit – la lecture étant appréhendée comme une contrainte scolaire –, elle souligne
l’intérêt de la lecture à haute voix qui permet « à des jeunes de culture orale
d’entendre une écriture et de prendre plaisir à l’écouter » : « Car la voix donne du
sens, fait vivre un texte et favorise la compréhension. » conclut-elle. (2004 : 2) Or le
slam se définit précisément comme une écriture destinée à l’écoute et de ce fait, se
prête tout particulièrement à ces pratiques de mise en voix, s’agissant de transmettre
et de communiquer à l’auditoire le plaisir des mots. Cette communication poétique
implique un travail sur la diction – plus généralement sur la voix, mais aussi le corps
et les gestes124– qui passe par le « repérage des mots inducteurs de rythme ».
Notons que dans le slam, cet aspect est souligné par la scansion, le flow du slameur
qui pourra faire l’objet d’un travail spécifique en atelier. Dans cette même revue,
Catherine Thomas (2004 : 7) s’interroge sur la nature de l’acte (« Qu’est-ce que lire à
voix haute ? ») et nous met en garde contre les stéréotypes, la lecture oralisée étant
souvent conçue comme un outil de vérification de la compréhension ou comme un
préalable à une analyse littéraire. A contrario, il lui apparaît important – et nous la
rejoignons sur ce point – d’« accepter d’en faire un projet d’apprentissage en soi et
au-delà le support d’une expérience esthétique » (2004 : 7). En outre, les élèves se
sont vus asséner tout au long de leur scolarité cette exigence de « mettre le ton » :

122
Nos enquêtes (voir infra) témoignent cependant d’une familiarité moins affirmée avec le slam que pour les
classes du lycée Argouges.
123
Voir notre prochain chapitre pour une réflexion sur le rôle de l’artiste-slameur.
124
D’après Meschonnic (1982 : 161), « on a du corps plein la bouche ».
495

mais de quel ton parle-t-on ?125 « Mettre le ton, précise-t-elle, c’est jouer les mots du
texte c’est-à-dire créer un effet de redondance entre le texte et la façon dont il est
lu ». Quand elle suggère de « déplacer l’énergie du texte vers la relation avec
l’auditoire » (2004 : 8), nous pouvons remarquer qu’il s’agit là de l’un des enjeux
essentiels du slam qui se construit précisément dans l’interaction avec l’auditoire.

Tout se passe donc comme si ces orientations didactiques prônaient du slam


avant l’heure ou plutôt avant sa didactisation officielle126. Catherine Nicolas insiste
sur la nécessité d’ « un désapprentissage et d’une libération par rapport à des codes
spécifiquement scolaires pour échapper à des modèles induits ». Force est de
constater qu’une lecture en mettant le ton tend à l’uniformisation, pour ne pas dire à
la monotonie. La pratique et l’écoute du slam, à travers la diversité des flows des
slameurs, nous invitent à un renouvellement par rapport aux pratiques traditionnelles
de la récitation127 ou d’une lecture dite expressive « en mettant le ton ». Du flow - ou
flux de mots - à la fluence128 ou de la fluence au flow, il n’y a qu’un pas, et c’est aussi
l’un des objectifs visés à travers l’atelier slam que de favoriser une lecture oralisée
aisée qui amène à l’interprétation et par là-même à l’appropriation du texte littéraire.
Notons cependant que la question se pose différemment si la déclamation porte sur
un texte dont l’animateur – en l’occurrence l’élève – est aussi l’auteur, ce qui est
généralement la règle dans le slam. Aussi le statut d’apprenti-slameur induit-il une
posture différente par rapport à celle de simple lecteur ou interprète d’un texte
d’auteur qui lui est foncièrement autre voire étranger129.

L’enseignement de la poésie : quelles représentations et quelles difficultés ?

Dans un article intitulé « De la difficulté à enseigner et évaluer la poésie »


(2010)130, Vincent Massart-Laluc évoque un « malentendu à analyser » et se

125
Est-il question de tonalité ? d’intonation ? d’inflexions ? Le terme fait référence, de manière générique, à la
qualité de la voix humaine, en hauteur, en timbre et en intensité.
126
Des ateliers étaient déjà mis en place à cette période, comme en atteste l’article précurseur publié dans la
revue Lecture Jeunes (2005) : voir notre précédent chapitre.
127
C’est précisément à cette déconstruction du mode « récitation » que le slameur Nevchehirlian s’attache
dans son adaptation du poème de Prévert « Le cancre », recherchant le décalage.
128
Du latin fluentia, « écoulement », la fluence se définit comme la capacité à lire avec aisance, rapidement,
sans erreurs et avec une intonation adaptée. Les auteurs de langue anglaise Wolf et Katzir-Cohen (2001)
définissent une lecture fluente comme : « Précise, assez rapide, réalisée sans effort et avec une prosodie
adaptée qui permet de centrer son attention sur la compréhension. »
129
Ce passage de l’interprète à l’auteur-interprète de ses propres textes a été décisif dans le parcours de
plusieurs slameurs/slameuses interrogé(e)s, issu(e)s de la chanson ou du théâtre. (voir notre chapitre 3).
130
Notons que les articles parus dans ce numéro de la revue Lire au lycée professionnel ne sont pas paginés car
ils ne sont désormais plus accessibles que sur Internet.
496

propose de commenter des productions de futurs enseignants sur leurs propres


conceptions131, ayant demandé à des enseignants en formation à l’IUFM de définir
ce qu’est la poésie. Or les réponses lui sont apparues symptomatiques d’une relation
« périphérique » ou « non assumée » à la parole poétique, d’un rapport « peu
nourri » à la poésie en général puisque la moitié des enseignants interrogés n’ont
pas répondu à son enquête : « S’y dit la conviction de l’importance de la poésie mais
132
une conviction qui peine à sortir des clichés scolaires » . Vincent Massart-Laluc
souligne qu’il est difficile, dans ces conditions, d’attendre de ces mêmes enseignants
une approche du texte poétique qui aille au-delà des études de textes convenues :
« C’est avoir oublié que le premier rôle de la poésie c’est de porter – ou d’apporter –
l’être au langage. C’est peut-être aussi la conséquence de l’absence d’outils
méthodologiques et conceptuels pour appréhender le fait poétique et de recul pour
analyser sa propre expérience poétique… »
D’où la nécessité de faire intervenir des poètes dans les classes et d’intégrer des
pratiques du type ateliers slam ou ateliers d’écriture dans la formation.

En ce qui concerne les représentations des élèves, deux enseignantes – Khadija


Ben Brahim, professeure de lettres, et Carine Miletto, professeure-documentaliste –
du lycée Argouges se sont livrées à une enquête générale sur la poésie que nous
comparerons à nos propres enquêtes, plus spécifiquement axées sur l’objet slam.
Elles ont restitué les résultats et conclusions de cette enquête dans un article de la
revue citée (2010), intitulé « Vous avez dit poésie en lycée professionnel : des
réponses encourageantes de nos élèves ». Il s’agissait de faire émerger les
représentations et attentes des élèves vis-à-vis de la poésie classique et
contemporaine :
« Comment la poésie étudiée en classe est-elle perçue par nos élèves ? (…) Vibrent-ils
en entendant les vers de Baudelaire, de Rimbaud ou préfèrent-ils des auteurs
contemporains comme Bastien Maupomé, Grand Corps Malade et autres virtuoses du
slam ? »
Le questionnaire conçu par les deux auteures de l’article a été distribué en classe en
décembre 2009, dans la continuité d’une séquence sur la poésie, à 40 élèves âgés
de 15 à 20 ans et issus de trois classes différentes133. Les quinze questions étaient

131
Conceptions qui sous-tendent leur manière d’évaluer ou même d’annoter des productions d’élèves qui
peuvent prendre la forme d’avant-textes, ce qui pose le problème du contrat didactique : « Est-ce un essai
d’écriture poétique avec la prise de risque afférente ou bien attend-on un texte formaté comme dans les
manuels ? » interroge-t-il.
132
Ce qu’il développe en ces termes : « son rapport à la parole poétique est si peu nourri qu’il est dans
l’incapacité d’en repérer l’émergence. »
133 ère ème
Sections CAP prêt à porter, 1 année bac pro comptabilité et 2 année BEP métiers de la mode.
497

réparties autour des trois axes suivants : définition de la poésie et connaissance des
élèves, lecture et écriture poétique, et poésie actuelle : le slam. Concernant le
premier point, les réponses montrent que, si les élèves côtoient la poésie dès leur
plus jeune âge, ils ne retiennent de cet enseignement que des traits généraux et
schématiques, à savoir : un poème est écrit en vers, un poème contient des rimes.
Les auteures et professeures se sont alors interrogées sur « le pourquoi de cette
vision caricaturale et réductrice » :
« La poésie moderne et contemporaine, plus libre dans sa forme et apparemment plus
difficile d’accès, est peut-être moins étudiée et moins mise en valeur. Ou bien est-ce
simplement parce que rimes et versification imposent un rythme, une musique, dont les
élèves se souviennent d’autant plus qu’ils ont souvent appris ces poèmes par cœur à
l’école primaire. »
Si les poètes connus et cités révèlent une connaissance classique, les termes
associés à la poésie par les élèves (« beau », « doux », « mignon », ou encore
« romantique ») reflètent « une vision parcellaire et caricaturale de ce genre
littéraire. » Du deuxième point, il ressort pourtant que la poésie est souvent en
adéquation avec leurs préoccupations d’adolescents si bien que 40% d’entre eux
déclarent lire de la poésie. Il apparaît d’ailleurs que les poèmes lus traitent du
sentiment amoureux, d’un point de vue thématique, et qu’ils sont issus de blogs ou
de manuels scolaires, d’un point de vue médiologique : « le support scolaire les
rassure » précisent les auteures de l’article134. En tout état de cause, il semble que
les élèves différencient clairement la poésie de la sphère scolaire de celle qui relève
de leur intimité. Le thème de prédilection des poèmes lus se retrouve dans les
poèmes écrits puisque « 20% des élèves interrogés écrivent des poèmes et le thème
de l’amour est prépondérant. ». En revanche, la moitié des élèves qui déclarent se
livrer à des activités poétiques ne les oralisent pas et « seulement 10% des
adolescents interrogés font lire leur production à des membres de leur entourage
proche », ce qui ne signifie pas pour autant, nous semble-t-il, qu’ils renoncent à tout
type de diffusion135. Enfin, les quatre questions finales portant sur le slam ont révélé
que si 25 % des élèves interrogés ne connaissent pas le slam, 25 % ont déjà assisté
à une scène ouverte et 10 % y ont participé : pourcentages non négligeables que
nous confronterons à nos propres enquêtes (voir infra). En outre, 45 % des
adolescents considèrent le slam comme de la poésie, mais les réponses sont

134
A moins que ce constat ne soit imputable à un simple manque de nourritures poétiques autres que celles
intégrées au manuel, dans le contexte familial, et d’un manque d’initiative d’en emprunter en bibliothèque.
135
Voir les modes de diffusion actuels des écrits extrascolaires des jeunes, via les réseaux sociaux et blogs.
498

souvent nuancées voire réservées : ils le définissent comme étant « presque de la


poésie », « pas vraiment de la poésie », « du même genre » que la poésie ou de la
poésie « mélangée à quelque chose ». Slam et poésie semblent appartenir à des
sphères différentes à leurs yeux : alors que la poésie, de par son « statut » et sa
reconnaissance dans l’institution scolaire, bénéficie d’une « haute considération » et
« vient ainsi naturellement se placer en haut d’une hiérarchie », le slam est encore
catégorisé comme « extrascolaire » et appréhendé avec davantage de
circonspection : « Souffre-t-il de son jeune âge ? Ses origines populaires le
dévalorisent-ils aux yeux des adolescents ? » s’interrogent les auteures. En voie
d’intégration dans le cursus scolaire à travers de multiples projets et manuels, il nous
semble pourtant en passe d’être reconnu comme un objet poétique qui, pour être
encore non identifié, n’en suscite pas moins d’intérêt.

Marie-Claude Penloup, suite à une enquête d’une tout autre ampleur, s’est
intéressée à L’écriture extrascolaire des collégiens et a pu montrer que,
contrairement à l’idée reçue selon laquelle les élèves n’écrivent pas, les adolescents
écrivent, ce qui nous amène à « corriger l’image d’un adolescent absolument
étranger ou hostile au monde de l’écrit » (1999 : 41), même si « ces pratiques
déclineraient avec l’entrée dans le monde adulte » (1999 : 45) et se répartissent de
manière différenciée entre garçons et filles. Si elle a souligné l’absence de corrélation
systématique entre le niveau de français et la fréquence des pratiques d’écriture
(1999 : 16), il apparaît qu’une représentation-obstacle associe l’idée d’écrire à celle
de produire un écrit littéraire. D’où une difficulté à répondre à la question posée dans
l’enquête citée (2010) : comment les lycéens peuvent-ils identifier comme poèmes
leurs propres écrits ?136 C’est ici la question de la frontière entre écriture ordinaire et
écriture littéraire qui est soulevée, remise en cause au profit d’un continuum entre
ces deux pôles (Penloup, 1999 : 46), l’écriture littéraire étant sous-tendue par celle
de l’intention esthétique. Or le slam vise précisément à brouiller ces frontières en
désacralisant l’objet poétique et en démocratisant sa pratique. Il invite non seulement
à l’écriture, mais au-delà à une publication – au sens premier de ce terme (« rendre
public ») – via l’oralisation des écrits, soit à un moment de partage poétique. Il est un
appel aux vocations poétiques : « Le jour se lève et la joie se livre, la soif se lit sur
nos lèvres, tu devrais nous suivre » (GCM, 2006)
136
Le slameur Bastien Mot Paumés (entretien du 02/04/09) parle d’écriture hémorragique à l’adolescence, tout
en répugnant à désigner comme « poèmes » le fruit de cette écriture.
499

12.2. Présentation du corpus didactique, analyse des supports et déroulement

En vue d’élaborer notre séquence, la constitution du corpus didactique répondait


à une triple exigence : s’inscrire dans le prolongement du programme des classes
concernées et de l’objet d’étude précédemment défini, permettre la découverte d’un
objet nouveau, potentiellement déclencheur de créativité, de curiosité artistique et
culturelle, et favoriser – par la médiation et l’apport de cet objet – une évolution des
représentations vis-à-vis de la poésie voire du rapport à l’écriture137. En concertation
avec les enseignantes, nous avons fait le choix de sélectionner des supports distincts
de ceux proposés par les manuels, même si des liens pouvaient être tissés138, afin
de bien différencier le projet du déroulement ordinaire de la classe. De fait, ce projet
d’atelier d’écriture slam se conçoit à travers la médiation de l’artiste comme :
« un espace-temps institutionnel, dans lequel un groupe d’individus, sous la conduite
d’un « expert », produit des textes, en réfléchissant sur les pratiques et les théories qui
organisent cette production, afin de développer les compétences scripturales et
métascripturales de chacun de ses membres » (Reuter, 1989 : 75, nous soulignons)
Une fois posé ce cadre inhérent au dispositif d’atelier d’écriture – s’agissant de
mettre un groupe en situation de produire des textes tout en développant des
stratégies méta – , nous avons entrepris de concevoir des situations d’écriture
diversifiées et plus ou moins distanciées, à partir de nombreux supports constituant
une approche multivariée (Reuter, 2000 : 161)139 et surtout multimédiale.

12.2.1. Elaboration d’un corpus multimédial

Un documentaire pour entrer en matière et interroger le rapport à l’écriture

Un premier support nous est apparu comme une entrée en matière intéressante,
s’agissant notamment de réfléchir voire d’infléchir les représentations vis-à-vis de
l’acte d’écriture et de la posture d’écrivant140. Plus que Slam ce qui nous brûle
(Pascal Tessaud, 2008) qui juxtapose des parcours de slameurs, le documentaire

137
Christine Barré de Miniac (1995 : 4) l’entend comme « l’ensemble des relations à l’écriture, c’est-à-dire les
images, représentations, conceptions, attentes et jugements que l’enfant se forge au contact de l’écriture elle-
même et des adultes qui l’entourent, que ceux-ci en fassent un usage personnel ou se situent dans une
perspective d’enseignement »
138
Voir par exemple le poème « Cortège » de Prévert (Belin, 2010 : 33) et le slam « Saint-Denis » présent dans
le manuel publié chez Nathan (2010 : 37-38), ce dernier étant utilisé dans la classe P.
139
Nous reviendrons sur ce concept (voir notre chapitre 14). Reuter propose ici d’élaborer une « approche
multivariée des lois de fonctionnement et d’élaboration textuels » en multipliant les entrées dans la littérature.
140
Voir notre prochain chapitre pour une réflexion plus approfondie sur ce terme.
500

Traits portraits (Jérôme Thomas, 2009)141 offre une réflexion de fond sur l’écriture.
Celle-là se voit envisagée depuis ses origines et ses fondements, à travers un
générique éminemment didactique qui retrace l’histoire de l’écriture des tablettes
d’argile en Mésopotamie jusqu’à ses manifestations les plus modernes. Les aspects
techniques de l’écriture y sont envisagés, et peuvent être mis en perspective avec
une poétique du medium ou médiopoétique (Bobillot, 2009). Si le slam se distingue
du graff par le fait qu’il ne nécessite aucun appareillage technique142, la matérialité
du sémio-medium linguistique n’en demeure pas moins essentielle :
« Dire encore que l’écriture s’effectue avec un outil et sur un support, c’est d’abord
insister sur la « matérialité » de l’écriture en tant qu’elle influe sur cette pratique »
(Reuter, 2000 : 65)
L’écriture se voit ainsi contextualisée, conceptualisée et désacralisée car
appréhendée à travers ses manifestations les plus diverses et les plus concrètes. En
outre, l’impact pédagogique de ce documentaire naît d’un pêle-mêle de
témoignages plus ou moins édifiants : D. de Kabbal évoque les enseignements de
l’un de ses professeurs de français qui lui affirmait que « l’intelligence, c’est le
nombre de mots qu’on a à sa disposition » alors que le rappeur Konhdo était invité à
« travailler son deuxième jet ». En écho à Alain Bentolila d’après lequel les meilleurs
slameurs se distinguent par un vocabulaire extrêmement étendu, le slameur Lyor
(collectif 129H) voit dans les ateliers slam qu’il anime un moyen d’ « aider les jeunes
à sortir du ghetto linguistique ». Quant à Souleymane Diamanka, il affirme que la
diversité et l’écoute constituent des valeurs incontournables du slam, soit les « bons
ingrédients d’une scène slam » : « des gens qui se réunissent autour d’une passion à
peu près commune, qui partagent un temps de parole. » De la parole partagée à
l’écriture partagée, il n’y a qu’un pas qui nous amènera à des pratiques d’écriture
collective, à l’image de SD et JB se faisant écho dans le texte « Encre vivante », écrit
à deux mains et dit à deux voix. De fait, l’encre est destinée à devenir vivante dans le
slam, ce que reflètent les multiples extraits de scène et de textes – certains étant
exploitables en tant que tels143 – intégrés au film. Traits portraits se caractérise donc
par sa polyphonie, par l’alternance de témoignages d’écrivains ou écrivants, de

141
Nous avons fait référence à ce documentaire dès notre deuxième chapitre mais le situons ici dans une
perspective différente, en nous focalisant sur ses enjeux didactiques, et donc sur les séquences et aspects qui
nous semblent intéressants de ce point de vue (voir les extraits que nous avons sélectionnés comme illustration
de ce chapitre). Nous en proposons donc une relecture en vue de sa didactisation, qui se traduit d’ailleurs par
le séquençage présenté en annexe XII (fin du livret de parcours).
142
La phono-technè (Bobillot, 2011) - le micro et le matériel nécessaire à l’enregistrement - étant contingente.
143
Voir notre exploitation du texte du collectif 129H « Venez nous écouter » dans le prochain chapitre.
501

textes slamés, rappés ou lus, d’analyses à caractère sociolinguistique ou littéraire :


l’écriture surréaliste y est décrite comme l’écriture du premier jet : « écriture sans
ratures » d’après Roger Dubois, relayant une représentation largement partagée et
susceptible de faire obstacle aux apprentissages car elle stigmatise la rature comme
trace d’une incompétence (Penloup, 1999 : 21).144 A rebours de cette conception
d’une écriture d’un seul trait, les rappeurs et slameurs reconnaissent un processus
parfois laborieux et souvent physique145, véritable artisanat de la rime. (Barret, 2009).

Aussi ce documentaire nous apparait-il particulièrement riche de potentialités


didactiques, tant par les valeurs qu’il véhicule, la prise de recul par rapport aux
représentations traditionnellement associées à l’écriture et les pistes qu’il suggère146,
que par la mise en valeur et en perspective de ces formes d’écriture moderne
appréhendées à travers des entrées diverses. Nous l’avons séquencé afin d’en
faciliter une exploitation visant à :
 Situer le slam et d’autres formes d’expression contemporaine (cultures dites urbaines)
par rapport à l’histoire de l’écriture (idée d’un continuum) ;
 Faire percevoir sa spécificité (notamment par rapport au rap) à travers différents
témoignages qui concourent à le présenter comme écriture vivante ;
 Faire prendre conscience des enjeux de l’écriture et saisir comment elle peut influer sur
le rapport à la langue ;
 Faire réfléchir à l’écriture en tant qu’outil et objet désacralisé ; infléchir ses
représentations par rapport à cet objet ;
 Aborder certaines thématiques en vue d’activités comme la recherche de blases et
certains extraits comme supports ou déclencheurs d’activités.

Du choix du thème à l’élaboration d’un corpus de textes

Le choix d’un thème a présidé au choix des textes, s’agissant de constituer un


groupement autour de « la rencontre amoureuse ». Au vu du profil de la première
classe147 et en accord avec l’enseignante concernée, nous avons élargi cette
thématique initiale à celle de la rencontre en général, qu’elle soit amicale ou

144
Il appartient donc à l’enseignant de faire évoluer cette représentation : « celle qui associe l’expertise en
écriture à une production en un seul jet, sans rature et voit, par conséquent, la rature comme un stigmate
d’incompétence » (Penloup, 1999 : 21).
145
« C’est une vraie gymnastique de trouver ses mots, un travail corps à corps » confie le rappeur Kesiah.
146
La recherche du blase, les pratiques d’écriture collectives sont des activités possibles que nous avons
intégrées à la séquence présentée ci-après.
147
La présence de deux filles pour l’ensemble du groupe-classe nous a amenée à faire évoluer la thématique
choisie initialement, afin d’éviter la mise à l’écart de ces deux élèves contre laquelle l’enseignante nous avait
mises en garde.
502

fantastique, voire rencontre avec soi-même. En effet, nous prenions le risque, avec
cette première proposition, d’aborder un thème délicat et supposé peu porteur dans
une classe majoritairement constituée de garçons, d’où notre aménagement du
thème initial dont témoigne le titre choisi pour cette séquence : « A la rencontre du
slam ». Le thème de la rencontre reflète la conception du slam comme rencontre
poétique qui se concrétise, à l’occasion de l’atelier, par la rencontre avec un artiste
slameur, et au-delà comme lieu de rencontre ou de confluence artistique. En outre,
cette thématique a favorisé une approche du texte de slam comme potentiellement
polyphonique tout en occasionnant une réflexion sur la tolérance, la différence. Nous
avons introduit le thème par le texte « Soleil jaune » dont un extrait figure dans le
documentaire cité. Dans ce slam, la rencontre amicale se traduit par une écriture et
une déclamation en duo du « Meilleur ami des mots » :
« On s’connait non ? Paraît qu’on nous compare…
Certains disent qu’on est la même personne, Faut qu’on parle ! » (JB/SD, 2007)
D’autres textes sont venus compléter cette approche thématique :
- le slam « D chiffres et D lettres de Rim » (Slam entre les mots, 2007 : 177) ayant trait à
la séduction, aux rapports garçons/filles ;
- le texte « La Vénusienne » de Rouda dont le personnage éponyme est décrit en termes
métaphoriques comme l’indique le néologisme titulaire et qui nous a amenés au registre
fantastique impliqué dans l’objet d’étude précité « Du côté de l’imaginaire » ;
- le poème « Marchand de cendres » de Souleymane Diamanka (2007) dont le titre
annonce là encore un contenu métaphorique voire onirique ;
- le slam de GCM (« Un verbe ») qui nous a permis de parachever l’orientation thématique
tout en occasionnant un travail spécifique sur le rythme et la progression textuelle148 et
en tirant profit du « goût des listes » que partagent écrivains et élèves (Penloup, 2000b :
32).

Ces textes ont été livrés à l’écoute avant d’être découverts dans leur forme écrite, à
l’exception de celui de Rim (« D chiffres et D lettres ») pour lequel l’exploitation
proposée nécessitait une entrée écrite.

Du slam comme poésie vivante, appréhendée en acte, en vidéo et in vivo

Des clips vidéo se sont ajoutés à ces textes supports : nous avons considéré
qu’ils pouvaient jouer un rôle rituel d’ouverture de la séance, voire de « mise en

148
Notre choix de présenter les textes de GCM en fin de séquence devait permettre un dépassement des
représentations et de favoriser l’ouverture à d’autres slameurs, d’autres styles et façons de slamer.
503

conditions » préalable aux activités proposées149. En outre, il nous paraissait


essentiel que le slam soit envisagé dans ses trois dimensions, qu’il soit vu, lu et
écouté, tout en étant le déclencheur d’activités d’écriture et de jeux d’oralité. Le choix
de supports diversifiés visait à rendre compte des différentes facettes du slam afin de
permettre un dépassement des représentations initiales : de fait, la diversité qui s’y
manifeste nous amène bien au-delà du « parler sur un piano » prototypique de GCM.
Le tableau suivant synthétise les supports utilisés au cours de la séquence :

Type de support 150 Titre (auteur) Localisation / titre album


ou recueil
Vidéo Trait portraits (Jérôme Internet
Thomas)
Clip « Hardcorps et âme » idem
(Lee Harvey Asphalte)
Clip « L’écho ainsi danse » idem
(JB)
Clip « Papillon en papier » idem
(SD)
Audio « La vénusienne » (Rouda) Musique des lettres (2007)
« Marchand de cendres » L’Hiver Peul (2007)
(SD)
« Un verbe » (GCM) Troisième temps (2010)
« Lettre à mon père » (AAM) Le face à face des cœurs
(2004)
« Des chiffres et des lettres » Crache ton cœur (sd)
(Kacem)
Texte écrit (exclusivement) « D chiffres et D lettres » Slam entre les mots
(Rim) (Martinez, 2007)
« Inventaire » (Prévert) Paroles (1991)
« Rencontres » (GCM) Midi 20
Tableau 5 : Supports utilisés pour la séquence « A la rencontre du slam »

L’efficacité d’un tel dispositif réside donc dans la succession d’approches différentes
du texte/du fait poétique et dans l’idée que ce dernier soit aussi appréhendé en
acte à travers Katia, la slameuse incarnant cette poésie vivante. Aussi l’artiste a-t-elle
slamé ses propres textes tout au long de l’atelier, quand l’horizon d’écoute lui
semblait favorable à la réception de ces slams offerts151.

149
Soit l’ouverture d’un horizon d’écoute et d’écriture créative propice aux activités proposées.
150
Les supports sont classés par type de medium privilégié lors de l’atelier (première présentation), l’entrée par
l’écoute n’excluant pas la présentation du texte écrit en fin de séance (au sein du livret de parcours).
151
Nous différencions les slams offerts des slams supports, en nous inspirant pour cette formule de la Poétique
du texte offert de J-M. Maulpoix (1996). C’est une question importante que le choix « stratégique » du moment
où texte support et texte offert sont présentés à la classe ou au groupe : voir notre chapitre 14 à ce sujet.
504

12.2.2. Analyse du déroulement

Une démarche de projet et un livret de parcours

La frise chronologique qui figure ci-après résume le déroulement de l’atelier slam


dans les deux classes, réparti en 6 séances - notées S(n) - d’une durée variant de 1h
à 1h45, réalisées tantôt en demi-classe tantôt en classe entière, sur une période de 4
à 6 mois152. Selon le principe de la socialisation inhérente à la pédagogie de projet,
l’atelier était finalisé par l’invitation à une scène slam publique et commune aux deux
classes :
« Le produit final est socialisé à l’extérieur de la classe et, si possible, de l’école, ce qui
doit contribuer à fonctionnaliser et à finaliser les activités. » (Reuter, 2000 : 26)
De notre point de vue, il s’agit là d’une différence majeure avec un atelier d’écriture
traditionnel dont le fonctionnement peut se caractériser par une certaine « autarcie »,
les textes produits ne faisant pas nécessairement l’objet d’une diffusion orale153. A
l’opposé du « règne du fragment » (Boniface, 1992 : 22) s’impose la nécessité d’une
progression dans un contexte didactique :
« l’idée de progression (au sens pédagogique du terme) est souvent absente des
ateliers. Chaque séance forme un tout et ce qui a été proposé avant aurait pu l’être
après. » (Boniface, 1992 : 18)
Afin d’éviter le risque de dispersion né d’une multiplicité de supports, et de pallier une
difficulté potentielle pour les élèves à se situer dans le déroulement de l’atelier mené
en parallèle au travail de classe, nous avons élaboré un livret de parcours avec une
fiche restituant chacune des séances menées. Ce livret répondait à la nécessité d’un
fil conducteur et d’une trace écrite balisant chaque étape154.

En amont de nos expérimentations, nous avions planifié une séance préliminaire


(S0) visant à exposer la nature du projet - ses tenants, ses aboutissants et ses
enjeux en termes d’apprentissages - à nous présenter afin de préciser la distribution
des rôles, et à faire émerger les représentations vis-à-vis de l’objet central du projet.
Les élèves se sont soumis à notre enquête préliminaire dont nous rendrons compte à
la fin de ce chapitre, puis le titre de la séquence a été énoncé et noté au tableau, en
vue de faire émerger un horizon d’attente vis-à-vis de cet objet nouveau et peu
familier pour la plupart des élèves. A partir de là, la séquence s’est ainsi déroulée :
152
Entre S1 et la scène finale, se sont écoulés 6 mois pour la première classe (B) et 4 mois pour la seconde (P).
153
Claire Boniface a noté un fonctionnement autarcique de certains ateliers : « Dans de nombreux ateliers, les
textes qui y sont écrits n’existent que dans l’atelier » (1992 : 21)
154
Des extraits de ce livret figurent en annexe X, nous désignerons les fiches correspondantes par « fiche é(n) »
pour « fiche élève numéro n ».
505

Docu.
Traits portraits
« Soleil Jaune »
« Hardcorps et âme » / « L’écho ainsi danse »
« D chiffres et D lettres » Textes et clips (en italique)
« La Vénusienne »
supports/déclencheurs
« Marchand de cendres »
« Papillon en papier »
« Un verbe »

S0 : S1 : Portraits du slam / S6 Scène finale : le 14


S2 : slam entre oral et S3 : de la néologie à S4 : des mots inventés
Présentations, représ chacun cherche son S5 : GCM revisité Mise en voix, en /04/ 2011 à La
écrit l'écriture collective aux palimpsestes
entations blase corps, en scène Chaufferie

Situations de
Situations
productiondeet
production
enquêtes
sit.1(B) sit.2 (B&P) sit 3&4 (P) sit.5 (P) sit.6 (B) sit.7(P) sit.8 (B&P)
pré-enquête post-enquête
Figure 4 : frise chronologique de la séquence menée en LP

Une telle progression visait à doter les élèves, au fil des textes de slam
rencontrés, d’outils d’analyse et d’écriture poétique autour des axes suivants :
- l’homophonie (jeu sur les frontières entre oral et écrit, les frontières entre les mots) ;
- les figures de sens et notamment la métaphore (jeu sur le signifié) ;
- les figures de sons (jeux sur le signifiant, rythmiques et phonologiques) ;
- le rythme et la structure (jeux rythmiques et composition) ;
- l’invention de mots et les détournements de type palimpseste.
A travers des situations d’écoute et d’écriture ludique, les procédés et figures
associées (homonymie, paronymie/paronomase) seraient non seulement
abordés mais éprouvés par les élèves. Outre la progression détaillée étape par étape
en annexe X, nous présentons ci-après un tableau de synthèse visant à baliser les
étapes de la séquence et à préciser les principaux objectifs de chaque séance. Si la
trame était commune à ces deux expérimentations, des divergences ont pu
apparaître dans la mise en œuvre, dans un souci d’adaptation au profil de la classe
et aux attentes de l’enseignante, ou en raison d’impératifs divers155 : les séances
notées S(n)bis correspondent à des aménagements par rapport à la séance telle
qu’elle avait été conçue et mise en œuvre lors de notre première expérimentation.

155
Certaines séances ont été perturbées par des contrôles en cours de formation, grèves des transports en
commun et autres chutes de neige. Les plannings étant soumis à des impératifs de stages, la planification de la
séquence a dû être réaménagée en conséquence.
506

156
Etapes Séances Objectifs Modalités
Séance préliminaire S0 Découvrir le projet, construire un horizon d’attente C
Entrée en slam et en S1 Découvrir le slam via un documentaire C
créativité Commencer à jouer avec les mots, à interpréter I
(écouter/entendre/dire) des slams G
S1bis S’exprimer sur son rapport à l’écriture I
Ecrire en duo D, C
Slam entre oral et S2 Réfléchir à l’écriture texto et envisager son potentiel I
écrit poétique (le slam comme Musique des lettres) C
S2bis Ecrire en respectant une contrainte G
+ texte de Kacem (« slam offert ») C
Slam et mots S3 Participer à un jeu phonologique, à une création G
inventés collective, analyser des mots composites C
I
Des mots inventés S4 Décrypter des détournements C
aux palimpsestes S’en inspirer pour écrire un texte I
S4bis Développer un champ associatif à partir d’une C
formule métaphorique, s’en inspirer pour écrire un I/D
texte
Vers une écriture S5 Saisir le rythme d’un slam, se l’approprier C
rythmée Créer un slam à partir d’une structure rythmique I
157
S5 bis Déconstruire le slam de GCM, le réécrire I, C
Préparation à la S6 Améliorer sa fluence, son aisance à oraliser son G
scène texte
Mettre en voix et en corps
S6bis Jouer avec les sons, les rythmes, les intonations G
Scène finale La Participer à une scène ouverte C
Bobine
Tableau 6 : Déroulement de la séquence dans les 2 classes de LP

De la géographie de la classe et de son impact sur la dynamique créative

Nous avons pu observer la différence de lieux (CDI/salle de classe) pour l’une et


l’autre de ces expérimentations. Notons d’ailleurs que dans un cas (classe B),
l’organisation spatiale par îlots de tables a pu favoriser une dynamique de groupes,
alors que pour l’autre classe (P), les bureaux doubles incitaient, de facto, à un travail
en dyades. Outre les répercussions sur les formes sociales de travail, nous pouvons
émettre l’hypothèse que la dynamique induite par le lieu même et par la géographie
de ce lieu a pu influer sur les manifestations de créativité, ainsi que sur la façon dont
les élèves des deux classes ont investi l’atelier : d’un côté (B), le contexte
apparaissait propice à un affranchissement de certaines règles inhérentes au contrat
didactique – encouragé par le positionnement en retrait de l’enseignante –; de l’autre
(P), il semblait moins décroché du déroulement traditionnel du cours.

156
Concernant les modalités/formes sociales de travail, nous utilisons les initiales « C » (collectif), « I »
(individuel), « D » (en dyades) et « G » (en groupes), différentes formes pouvant alterner dans une
même séance.
157
Voir la fiche « Parodie » du livret Ecrire et Dire (en annexe IX).
507

Entrée en slam et en créativité

A l’orée de cet atelier, l’entrée en matière s’est faite d’une part à travers le
documentaire cité – visionné en amont dans un cas (classe B) et en classe de façon
fractionnée dans le second (classe P) –, d’autre part à travers une activité de
recherche de blases introduite par une séquence du film, poursuivie par une réflexion
sur le nom de scène « Boutchou »158 et parachevée par un réinvestissement
individuel. Si l’entrée par le film visait un double enjeu culturel et réflexif – commenté
précédemment –, elle a pu donner lieu à analyse métalexicale du titre : derrière
Traits portraits (noté au tableau), les lycéens ont peiné à identifier un jeu de mots
consistant dans le défigement de l’expression trait pour trait, locution que peu d’entre
eux connaissaient. Un élève a néanmoins observé la présence du pluriel, s’agissant
de portraits croisés de rappeurs, slameurs, graffeurs, « liés par les mots » :
« Toi et moi, c’est l’écriture qui nous lie » (SD/JB, 2007)

A été aisément repérée la redondance d’un titre qui relève d’une figura etymologica
(trait portrait) et qui a permis d’introduire l’homophonie, totale ou partielle, comme un
procédé dont les slameurs et autres rappeurs usent à l’envi. Nous sommes aussi
parties du documentaire pour introduire le texte « Soleil Jaune », dont le titre illustre
cet autre procédé fécond qu’est la paronomase (pour Souley/John) et dont
l’interprétation par ses deux auteurs est ici mise en scène. En vue d’une
appropriation de ce slam – d’emblée repéré comme « poème en dialogue » au vu
des indices typographiques –, nous avons proposé un exercice de mise en voix dont
la préparation (en groupes) a donné lieu à des propositions intéressantes, dans la
lignée de notre réflexion préalable sur le renouvellement des pratiques de lecture à
haute voix : un groupe a émis et mis en œuvre l’idée de dire le texte à l’envers. Cette
demande nous a offert l’occasion d’évoquer les palindromes, tout en attestant de la
créativité dont ces élèves se montraient capables, une fois rassurés sur la question
du contrat didactique159. Le rythme du slam a ensuite été commenté à partir de
l’indice du « désert de cinq pieds » qui donne la clé métrique du poème, le terme de
pied étant relevé comme appartenant au métalangage poétique. Plus généralement,

158
Du patronyme russe « Bouchoueva » [buSueva] et du surnom « bout de chou » prononcé par assimilation
[butSu]. Invités à décomposer ce patronyme en ses homonymes et paronymes, les élèves ont aussi cité
« Eve »/ « rêve », « bouche »…
159
On voit aussi comment l’intervention de personnes extérieures en présence de l’enseignante référente
induit un questionnement des règles et usages implicites.
508

ce sont les échos sonores de tous types qui ont attiré l’oreille des élèves160,
notamment autour des structures consonantiques : « Tam tam dans tes rimes ». A
travers ce poème et sa « mise en bouche », les élèves ont donc goûté au slam
comme forme poétique vive et vivante, révélatrice d’une créativité sonore qui se
déploie via une écriture paronomastique.

L’activité de recherche des blases visait plus spécifiquement à stimuler la


créativité lexicale. La fonction du pseudonyme étant explicitée par plusieurs slameurs
du film, nous avons soumis aux élèves un corpus à analyser (voir la fiche é2), que
nous avions constitué en vue d’un double enjeu : comme représentatif de divers
procédés de création lexicale qu’ils pourraient réinvestir dans leurs propres
productions, et comme révélateur de valeurs ou traits définitoires du slam. Si de
nombreux pseudonymes sont créés par homophonie ou paronymie, notons que le
verlan peut être productif (ysae/mosde) et formé selon des procédés différents
(graphique/syllabique) que les élèves n’avaient pas conscientisés. L’examen de ces
blases et noms de collectifs a donc abouti à des développements intéressants :
- d’un point de vue lexical et métalexical, Mosde161, de « demos », occasionne une
recherche de dérivés, alors que les triporteurs de mots donnent lieu à des commentaires
sur le préfixe « tri » (indicateur d’un trio), sur le verbe paronyme « tripoter » – les mots
étant traités comme matériau verbal – et « porter », mis en relation avec les
saltimbanques ;
- d’un point vue plus généralement linguistique et métalinguistique, des emprunts
comme Rouda (de l’arabe, « brindille ») ou des graphies phonétiques comme Rim
amènent à une réflexion sur la norme et les variations intra et interlinguales ;
- d’un point de vue littéraire et métalittéraire, des pseudonymes comme Luciole,
Tsunami ou Uppercut permettent d’aborder la métaphore ;
- d’un point de vue culturel, des noms de collectifs comme La Tribut du verbe162, les
Slamtimbanques ou encore les Ouliposapiens163 font référence à l’histoire littéraire qui
donne sens à une pratique contemporaine s’inscrivant dans la lignée de traditions
fondatrices voire matrices de notre culture.
160
La mise en voix présentait ici un intérêt certain pour permettre à ses élèves de percevoir ces échos sonores
qui déterminent la progression du texte.
161
Nom d’un graffeur grenoblois.
162
Dans cet exemple, les homophones multiples sont repérés : la tribu est identifiée par un élève d’origine
africaine en référence à un « village » ; l’attribut comme notion grammaticale ; les tribuns et la tribune sont
introduits par moi-même, les invitant à se rendre sur la page Myspace de ce collectif dont les membres se
posent en tribuns. Le mot « verbe » est resitué dans son acception générale de « parole » : « Au
commencement était le verbe ».
163
La référence à l’Oulipo permet de revenir sur un mouvement étudié en cours.
509

D’une part, cette activité s’est révélée inductrice de créativité lexicale : les élèves se
sont essayés à réinvestir le verlan (Rim
( devenant Mir vaisselle !), ainsi qu’à
resémantiser la formule « Am slam gram » : « Am comme Amsterdam, Slam comme
Slam, Gram comme Grammaire » a suggéré un élève. D’autre part, elle a engagé
une réflexion sur les traits définitoires du slam : Chant d’encre a été interprétée par
décomposition homophonique (champ, ancre) avant d’être comprise comme
délexicalisation de l’expression « (se faire un) sang d’encre »164 ; le Cercle des
poètes sans instru a illustré la troncation et le principe du slam comme texte déclamé
a capella, tout en faisant écho au titre du film (1989). Uppercut constitue un bel
exemple de métaphore qui a suscité des développements sur le flot de mots, la
violence, la vague de rire, de pleurs, d’émotions ou l’idée de « faire des vagues ».
Dans la lignée de cette
te analyse de noms de collectifs et afin de conjuguer entrée en
slam et entrée en créativité, nous avons proposé une activité consistant en l’écriture
d’acrostiches à partir du mot « slam », à la façon de la « Section lyonnaise des
Amasseurs de Mots » (voirr infra les productions, situation 1).

Enfin, une entrée par le biomedium a été imaginée par la slameuse et mise en
œuvre dans la classe P, ajoutant un enjeu médiopoétique et expérientiel aux
objectifs énoncés. A partir des questions « que faut-il pour écrire ? » (« le cœur, la
tête, la main »), « pour d ?»
dire (« la bouche, la langue ») et « pour
entendre/comprendre un texte ? » (« des oreilles, un
cerveau, un cœur »), l’artiste a conçu un schéma au
tableau et la conclusion – la définition première du slam
comme dispositif poétique – s’est imposée : « un cœur qui
parle à un autre cœur, en passant par un cerveau, une
bouche, une main165, des oreilles ». C’est ainsi toute une
constellation médiologique (Bobillot) qui est impliquée, au-
delà du seul couple « bouche-oreilles
bouche » d’une vision
prototypique du slam (GCM),
(GCM) le plaisir du texte slamé
étant d’ordre musculaire autant que poétique166. Photo 5 : Constellation
médiologique (Boutchou,
lycée Prévert, le 13/01/11)
164
Cette métaphore décrit l’écriture comme effusion, expression possible d’angoisses et aussi moyen de
s’ancrer, selon le jeu d’homonymie
’homonymie évoqué par un élève.
165
La main correspond tout autant au geste scripteur qu’au geste accompagnant la déclamation (voir la photo
en page de garde de ce chapitre).
166
En référence
rence au titre d’André Spire : Plaisir poétique et plaisir musculaire (1986) cité par Bobillot (2011).
510

Slam entre oral et écrit : du clip vidéo à l’écriture texto

Les tentatives de définitions du slam par les slameurs eux-mêmes convergent


sur l’idée d’un entre-deux : entre oral et écrit, entre écriture orale (GCM) et oralité
manuscrite (SD)167. Nous avons introduit des clips poétiques pour sensibiliser les
élèves à cet aspect, potentiellement libératoire : dans le clip « Papillon en papier »,
l’écriture est mise en exergue dans ses aspects matériels (le papier, le bloc-notes) et
la métaphore résonne paradoxalement comme un lointain écho au « Verba
volant… » mais aussi au « Lector in fabula », invitant l’auditeur à s’approprier le
poème. Dans « L’écho ainsi danse », ce sont les lettres qui dansent et le phénomène
d’homophonie - jeu sur les frontières contenu dans le titre - se trouve par là-même
mis en scène, les mots se décomposant et se recomposant au fil du poème, du flow
du slameur. Enfin, le clip « Hardcorps et âme » a permis de revenir sur des formes
de créativité et autres formules définitoires que les élèves avaient pour tâche de
relever168 : les mots aérosolfège et arythmétrique169 ont fait l’objet de commentaires
et d’hypothèses morphosémantiques. Au fil de la séquence et selon le moment de la
séance auquel nous les avons introduits, nous avons remarqué que ces clips
jouaient un rôle dans l’émergence d’un horizon d’écoute en début de séance, d’un
horizon d’attente vis-à-vis de la suite de l’atelier en fin de séance, et plus
généralement dans l’émergence d’un pacte colludique au sein du groupe.

Pour sensibiliser les élèves à ce jeu sur les frontières entre oral et écrit, et les
amener à une prise de conscience métalinguistique des écarts, nous avons aussi
exploité des slams mettant en œuvre une forme d’ « écriture texto ». Le texte de Rim
a été présenté aux élèves dans sa forme écrite170, d’abord à travers son titre « D
chiffres et D lettres » qui a été recopié au tableau afin de susciter des commentaires.
Si les élèves ont d’emblée reconnu « un jeu télévisé » - qui peut être mis en relation
avec le jeu intitulé « Slam » - ils ont peiné à identifier l’écriture texto en tant que telle.
Nous pouvons émettre l’hypothèse qu’ainsi détachée de son support médiologique –

167
Notons que ces deux slameurs ne disent pas exactement la même chose à travers la configuration de ces
deux syntagmes, potentiellement révélatrice d’un primat accordé à l’écrit ou à l’oral, et surtout de la place de
l’un et de l’autre dans la genèse des textes : la première formule suggère un « écrit oralisé » (GCM), là où la
seconde fait référence à un oral mémorisé avant d’être transcrit (SD).
168
Le travail sur les clips a été un fil rouge de la séquence, donnant lieu à un travail en autonomie (sur la toile).
Il visait une finalisation par la réalisation d’un clip qui n’a pas été possible par manque de temps.
169
Nous ne pouvons trancher pour l’orthographe de ce néologisme, en l’absence de version écrite de l’auteur.
170
Ce slam a d’ailleurs fait l’objet d’une publication dans une anthologie, à la différence du texte de Kacem,
dont la forme écrite n’est pas diffusée, son auteur revendiquant un texte exclusivement fixé dans sa mémoire.
511

à savoir le téléphone, le chat, les réseaux sociaux, blogs ou forums internet – cette
graphie ne fait pas sens pour eux, à tel point qu’ils ne la repèrent pas. L’exercice
proposé dans la perspective d’une analyse métalinguistique de cette façon d’encoder
un message s’est donc avéré particulièrement utile, favorisant une prise de recul et
une conscientisation de certaines limites et ambiguïtés propres à un tel encodage171.
Lors de notre deuxième expérimentation, les élèves ont exprimé une conscience
accrue de ces phénomènes : différence que nous pouvons imputer au fait qu’une
partie de la classe P se destine à des métiers de secrétariat, d’où une familiarité avec
des techniques de prise de notes. Avec cette classe, nous avons pu aller au-delà de
la simple transcription – d’une écriture texto à une écriture orthographiquement
normée – vers la production individuelle d’un texte bref, nourrie par une écoute
complémentaire, un slam offert : le texte de Kacem intitulé « Des chiffres et des
lettres »172 repose sur un jeu similaire avec les expressions173. Nous avons donc
imposé la contrainte du titre qui unit ces deux textes, tout en définissant l’orientation
thématique à l’aide du proverbe qui sert de point de départ au slam de Rim :
« Quand on M on n’compte pas » (sic). Cette formule étant écrite au tableau, nous
l’avons explicitée collectivement en déployant la polysémie propre au verbe
« compter »174, puis nous avons annoncé la contrainte – choisir une lettre et un
chiffre – avant de la resserrer pour aider certains élèves175 (voir infra les productions
correspondantes).

Au-delà des enjeux orthographiques, cette séance visait une approche poétique
du slam comme musique des lettres : approche que ce type d’écriture, en
matérialisant une contrainte précise, permet d’illustrer car elle met en valeur la trame
sonore du poème. Dans le slam de Rim, les mots « cadeaux », « Casio », « quasi »,

171
Les ambigüités de certains signes, qu’il s’agisse de chiffres ou de lettres, sont relevées : le 2 peut signifier
« de », « deux » ou encore « two »/ « to ». Les élèves observent qu’ils ont parfois recours à l’anglais, par
exemple : U= you.
172
Compilation d’un collectif de slameurs drômois : Crache ton cœur (sd). Notons qu’à la différence de Rim, ce
slameur a choisi d’orthographier son titre en toutes lettres.
173
Le slameur intègre des expressions comme « Se mettre sur son 31 », « 1 homme averti en vaut 2 », « jamais
2 sans 3 », tout en jouant sur l’homophonie ou la paronymie « 7, 13 et 3, c’est très étroit ».
174
Ce verbe est envisagé dans ses différentes acceptions/emplois transitifs direct et indirect : compter sur
quelqu’un (« faire confiance » propose un é), compter pour quelqu’un (« être important »), compter quelque
chose (« l’argent, le temps… »).
175
Nous leur avons proposé de se focaliser sur le « t » (thé, t’es, tes, tais-toi !) et le 3 (trois, Troie, crois, croix,
toit, roi, proie).
512

« Casa »176 se rejoignent autour de la syllabe « ca », transcrite par la lettre « k ».


Bien que les graphies soient différentes à l’écrit, l’écriture texto met en relief ces
similitudes, et par là-même fait ressortir la trame sonore du poème. Au-delà de
l’intérêt manifeste pour un type d’écriture qui leur est familier, nous avons observé
des difficultés à isoler le sens d’une lettre (pour un mot) au sein d’une séquence177.
Ce travail a donc aidé les élèves à développer leur conscience épilinguistique et
phonologique178. Le slam slalomant non seulement entre les mots – selon le titre
d’une anthologie citée (Martinez, 2007) – mais aussi entre oral et écrit, il nous
paraissait essentiel d’introduire cette réflexion. En considérant qu’il se définit aussi,
d’une certaine façon, comme écriture de l’instant, il nous semblait intéressant de le
mettre en relation avec l’écriture électronique et la concision qui la caractérise, qui
fait pendant à la brièveté inhérente au slam. De fait :
« l’écriture électronique, à condition d’en choisir des exemples instructifs faisant
système, est d’une grande richesse du point de vue de la conceptualisation linguistique.
Ses innovations les plus singulières sont même particulièrement stimulantes, quand on
les envisage comme le prolongement de pratiques littéraires instituées » (Mourhlon-
Dallies, 2010 : 110)

Des jeux d’écriture à l’écriture-jeu en passant par la joute

Des jeux d’écriture ont été proposés pour délier les plumes, à commencer par les
acrostiches, à partir des lettres du mot « slam » dont témoignent les productions
analysées ci-après. Notons que l’oralisation de ces acrostiches a donné lieu à une
forme de joute traduisant une émulation naissante au sein du groupe et
potentiellement favorable à la créativité : à une élève proposant « Situation légère
avec un mec », un élève a répliqué « Situation légendaire avec une meuf »,
procédant à un détournement paronymique de la première proposition.

Nous avons en outre intégré à notre séquence des situations d’écriture ludique
moins « classiques », plus en phase avec l’originalité du slam. Ainsi, le texte « Soleil
Jaune » a été conçu, au dire de ses auteurs « comme une partie d’échec », soit
comme un dialogue en se répondant « phrase pour phrase », trait pour trait. Nous

176
Les élèves ont repéré une ambigüité inhérente à ce terme, qui désigne soit « la maison » par emprunt à
l’espagnol, soit la ville de Casablanca, par apocope.
177
Par exemple, ils utilisent la séquence JTM sans avoir conscience que le « M » est utilisé pour « aime ».
178
A titre d’exemple, un élève ayant écrit « ad2 » pour « ado » ne comprenait pas que je puisse m’en étonner.
Le constat de cette difficulté majeure a été étudié : Liliane Szadja-Boulanger (2003 : 59) qui a analysé les
productions d’élèves de SEGPA est arrivée à la conclusion que « les élèves ne sont pas capables de faire une
analyse de la chaîne sonore. L’identification d’un son parmi les autres sons n’est pas toujours possible »
513

avons alors proposé aux lycéens de se livrer à leur tout à une écriture en duo, à la
manière de ce slam et à partir d’une phrase-amorce issue du documentaire « J’écris,
donc… ». A l’oralisation de ces productions en duo a succédé le slam de Boutchou
« Moyens de transport »179 : la slameuse a précisé qu’elle l’avait aussi construit sur
des oppositions, qu’il contenait plusieurs voix, un dialogue intrinsèque à son poème :
polyphonie que nous avons identifiée comme un trait récurrent dans le slam. En
outre, l’arrivée de ce texte en fin de séance, comme slam offert, a contribué à
désacraliser l’écriture de l’artiste.

Cette démarche ludique ou colludique – le groupe jouant un rôle décisif dans la


dynamique du jeu – repose sur l’articulation de différents types de jeux d’écriture et
d’oralité qui ne visent pas les mêmes enjeux, comme schématisé ci-dessous :

Jeux d’écriture Jeux d’oralité

Joute

mise en mots jeux de lettres entraînement mise en bouche,


= écriture-jeu (acrostiches) et phonologique en voix, en corps
(écriture en duo) écriture texto et rythmique = préparation à la scène

projet d’écriture préparation à l’écriture


= écrire pour dire oralisation des = mise en conditions
textes et avant-textes (collecte de mots)

Figure 5 : Jeux d’oralité et d’écriture

On voit là l’articulation entre jeux dits d’oralité et jeux d’écriture, ces derniers pouvant
aboutir à une écriture-jeu du fait du dispositif proposé, et interagir avec un projet
d’écriture lié à la finalisation de l’atelier. L’oralisation des textes et avant-textes
produits donne lieu à une forme de joute susceptible de se répercuter favorablement
sur la créativité. Quant aux jeux dits d’oralité, ils peuvent aussi servir de préparation
collective à l’activité d’écriture et en tant que tel jouer le rôle de catalyseurs.

179
Voir à la fin de la séquence proposée comme illustration vidéo du prochain chapitre.
514

Des jeux d’oralité à l’interprétation et à la réécriture

La « bombe de rimes » (voir la fiche en annexe IX) est un exemple de jeu


préparatoire à une activité d’écriture : il consiste en un échange rapide de rimes, le
rebondissement des mots étant matérialisé par une balle ou une boule de papier
lancée de mains en mains, illustrant d’ailleurs au sens propre cette formule
palimpsestuelle de Rouda : « On marche mots dans la main ». Tout en visant un
entraînement phonologique, ce jeu permet de tirer profit de la dynamique de groupe
pour stimuler la créativité, de constituer un corpus de mots en vue d’une création.
D’autres jeux ont contribué à délier les langues, s’agissant non seulement de jouer
avec les sons, les rythmes, les intonations de sa voix, de s’entraîner à faire rebondir
et claquer les mots conformément au sens originel du mot slam ( « mise en
bouche »), mais aussi d’améliorer sa fluence, son aisance à oraliser un texte ou son
texte (« mise en voix »), et enfin d’être en confiance en vue d’une déclamation
publique (« mise en corps »). Dans la perspective de la scène finale, un certain
nombre d’exercices ont été menés par la slameuse, les participants - dont
l’enseignante - étant placés en rond. Pour le premier jeu, les participants devaient
faire passer un « courant électrique » en tapant dans leurs mains et en le diffusant à
leur voisin180. Il s’agissait de faire circuler une énergie, tout en travaillant l’attention et
la réaction, la claque évoquant aussi le sens premier du verbe « to slam ». Un
deuxième jeu, visant à travailler l’écoute et la polyphonie, a été présenté : le fait de
compter collectivement, sans que les voix ne se télescopent impliquait d’être attentif
aux autres pour ne pas couper la parole. Il a été ensuite réitéré avec des mots, par
association d’idées, dans le prolongement de la dernière séance. Pour le troisième
exercice, les textes écrits - corrigés et mis en page de façon neutre - par les élèves
lors de la séance précédente devaient être lus simultanément par leurs auteurs et ce,
de plus en plus fort, la slameuse passant et « éteignant » certains élèves par un
signal ou augmentant l’intensité par un autre signal. La cacophonie obtenue renvoie
à un contexte « défavorable » qui n’est pas sans rappeler les premières slam
sessions dans les bars de Chicago : une telle « déstabilisation »181 incite à hausser
la voix et à se concentrer sur son texte en s’isolant des autres. Boutchou a évoqué
l’intérêt de connaître « par cœur » son texte, « ce qui l’arrache de la page où il est

180
Le sens pouvait être détourné quand l’un d’entre eux le décidait, ce qui impliquait que chacun soit attentif
afin de réagir le plus rapidement possible
181
Parmi les « jeux scéniques », une fiche intitulée « Déstabilisation » (129H, sd : 51) résume cet exercice.
515

enfermé » : « ça sort vraiment de nous, de nos tripes », a-t-elle précisé. Et la boucle


(celle du cœur qui parle au cœur) était presque bouclée... Pour réaliser l’exercice
suivant, les élèves devaient lire leur propre texte à deux voix le plus rapidement
possible, tout en articulant pour qu’il reste audible. Le cinquième jeu portait sur le
rythme, s’agissant de percevoir les mesures ou les groupes rythmiques d’un texte
oralisé, et de découper son propre texte en groupes prosodiques dans une intention
mélodique et expressive. A l’aide de slashes, les élèves ont alors annoté leur texte
de façon à déconstruire le rythme et à reconstruire un flow182. Un dernier exercice a
consisté dans l’expérimentation de différentes façons de mettre en relief un
syntagme en jouant sur l’intensité, la longueur, l’intonation, l’écho et l’intervention de
plusieurs voix. Ce jeu a abouti à une exploration de la voix chuchotée et - par
contraste - de la voix projetée, la slameuse insistant sur l’idée de faire sonner les
consonnes dites explosives. Elle est sortie en indiquant qu’elle devait entendre les
mots depuis le couloir (« jeu du porte-voix »), d’où la nécessité d’augmenter
l’intensité et de projeter ses mots, en quoi l’activité a rejoint l’essence originelle du
slam : « Monter sur scène pour projeter des mots qui claquent » (129H, sd : 27).

Enfin, un jeu d’interprétation a été proposé, outre la déclamation initiale et


collective de « Soleil Jaune », à partir du slam de GCM « Un verbe » : ce dernier se
présente comme une énumération dont la poéticité réside dans le rythme et les
échos sonores fondant la progression. Une mise en voix, d’abord en duo, puis
collective, a concrétisé la lecture interprétative et l’appropriation de ce texte et permis
d’aborder des aspects techniques de la lecture oralisée, comme la question de la
reprise du souffle183 ou des liaisons184. Un travail sur les groupes de souffle a permis
de mettre en évidence une dispositio faussement aléatoire. Le flow du slameur étant
perçu comme « lent, monotone, régulier voire ennuyeux », nous avons suggéré de
déconstruire le rythme de ce texte, d’introduire des ruptures et des accents pour en
briser la monotonie185. La notion d’accent prosodique ou expressif – mis en relief par

182
Cet exercice rejoint la fiche « La mélodie des mots » (129H, sd : 76).
183
Un élève est confronté à la difficulté de reprendre son souffle, car il tend à lire le texte d’une seule
traite « parce qu’il n’y a pas de point, c’est comme une cascade », a-t-il précisé. Le rôle de la ponctuation est
alors explicité : ce texte s’apparente à une liste, avec une énumération de GN séparés par des virgules.
184
Une élève a omis la liaison pour « un après » alors qu’elle l’a réalisée pour « un avenir » : la conversion
(substantivation) l’a déconcertée, semble-t-il.
185
A cet effet, ils ont utilisé des slashes pour marquer des pauses (voir le texte de Wafa en annexe X, sit. 8).
516

des jeux de voix et d’échos au sein du groupe186 – a pu ainsi être approchée, ainsi
que la recherche d’expressivité via une forme de mimétisme prosodique : « une
seconde » étant dit très brièvement, tandis qu’ « une heure » est allongé, afin de
traduire l’attente. Une mise en espace187 aurait permis de prolonger cet exercice de
mise en voix expressive et potentiellement créative, la révision de l’interprétation
conduisant à la réécriture. Dans la lignée de cette mise en voix visant à déconstruire
et reconstruire le texte, il a été soumis à une réécriture ou transformation, consistant
à l’annoter en intercalant ou en supprimant certains mots : « Réinventer le poème
(récréation et création) c’est déjà Ecrire » observe Gérard Vermeersch (1996 : 10)188.
En partant du constat de l’homogénéité syntaxique et des formulations elliptiques189
qui nous semblent emblématiques d’une concision propre au slam, nous avons
conduit les lycéens à lire et écrire entre les lignes et entre les mots de ce slam. Il
s’agissait donc de l’enrichir, en déployant des possibles sémantiques et en recourant
à des procédés d’expansion du groupe nominal que nous avons rappelés à cette
occasion en réactivant le métalangage grammatical adéquat190. Les élèves, jugeant
ce texte « trop naïf », ont pu ainsi le recolorer, l’habiller en ajoutant détails et
nuances, « le tuner » selon la métaphore énoncée par un élève ! Les productions
citées (voir infra) attestent là-encore de la créativité que les élèves ont manifestée en
réinvestissant des procédés comme la conversion (« un pourquoi, un comment »).

Des mots aux amorces et phrases tremplins : vers la créativité et l’imaginaire

Yves Reuter distingue l’imaginaire « comme matériau culturel structuré et


structurant » de la créativité appréhendée « comme mécanismes spécifiques de
production (génération/transformation) de contenus. » (1996 : 26) Afin d’impulser la
créativité, nous avons usé de mots et d’amorces, « caravanes de mots » (Galisson)
et autres palimpsestes, la créativité permettant « de transformer et de recombiner ce
qui apparaissait comme figé » (1996 : 27). A titre d’exemple, le néologisme la

186
De nombreuses propositions d’interprétation ont été formulées par les élèves, comme celle de répéter un
mot « en chœur » après une pause plus longue.
187
Dans cette perspective, des pistes ont été avancées au tableau, rejoignant des pratiques courantes sur la
toile, telle la répétition de la finale pour marquer l’allongement d’un mot (Ex : une heureeeeeee), ou encore
l’utilisation de caractères de tailles différentes. L’écriture électronique récèle ici un potentiel de poésie visuelle.
188
Jeu oulipien : soulignons que le sous-titre de l’ouvrage La littérature potentielle paru en édition de poche
(1973) était « Créations Re-créations Récréations ».
189
« Un battement… de cœur? de cils? d’ailes? » ont interrogé les élèves, conscients de la pluralité
d’interprétations possibles.
190
Adjectifs, mais aussi groupes prépositionnels, propositions relatives ont été mobilisés. Des questions comme
celle de la place de l’adjectif ont été également soulevées à travers cette activité.
517

Vénusienne a servi de déclencheur à une activité de « génération collective »


(Reuter, 1996 : 35)191. Si le slam de Rouda n’a été présenté à la classe que dans un
deuxième temps, c’est ce mot-titre que nous avons choisi de mettre en exergue (au
tableau) afin de susciter réactions et hypothèses d’interprétation. Le lexème Vénus a
été d’emblée identifié comme formant principal de ce néologisme, mais les élèves
l’ont associé non seulement au nom de la déesse et de planète, mais à un produit
commercialisé. Certains ont énoncé le paronyme « Vénitienne », la ville de
Venise étant évoquée, ainsi que Sienne et la Seine. « Vendredi » a été cité par une
élève, en référence à l’étymologie de ce mot, de veneris dies, « jour de Vénus », ce
qui nous a permis de revenir, en vue d’une structuration du lexique, sur les planètes
associées aux noms des jours192. Un autre élève a identifié la marque du féminin,
alors que d’autres ont repéré la présence du possessif « sienne ». D’où l’idée que ce
slameur a pu écrire « pour sa copine », s’agissant d’une femme « bizarre, marginale,
venue d’ailleurs » : hypothèse interprétative formulée par un élève qui s’est vu traiter
de « philosophien » par un camarade193. Pour finir, l’analogie avec Martien,
martienne a été suggérée par l’enseignante, car les élèves ne parvenaient pas à la
formuler explicitement. Après un détour ludique par « la bombe de rimes » et sa
variante « la bombe de paronymes », qui ont permis la constitution d’un corpus de
mots, une amorce a été écrite au tableau : « C’est une vénusienne… ». Les élèves
devaient émettre des propositions pour la compléter à la façon des cadavres exquis.
Enfin, le texte de Rouda a été découvert : d’abord écouté, puis distribué et lu, il a fait
l’objet d’une analyse plus précise de la versification. Les répétitions ont été d’emblée
repérées, à commencer par celle du mot-titre, dont la trame phonologique est filée
sur l’ensemble du poème. L’observation des échos sonores de type allitérations (en
[s]), assonances, (en [E]) et procédés tels que la paronymie a permis le
réinvestissement du métalangage lexico-poétique. Nous avons introduit les termes
de rimes suivies et féminines à cet effet, les élèves étant invités à identifier les deux
seules rimes masculines. Après une activité de type métalexical consistant dans

191
« La génération collective peut porter, très classiquement, soit sur l’activation des idées (via le
braintorming) qui peut se pratiquer en grand groupe, soit sur la construction d’un texte – d’abord à l’oral et en
allant le plus rapidement possible – chacun enchaînant une séquence après l’autre. »
192
Ce dont témoigne la prise de notes en amont de la production X. Les élèves sont invités à retrouver le nom
de planète caché dans chaque jour. Pour « dimanche », le détour par l’anglais se révèle utile. Le morphème
« di » est identifié comme venant du latin dies par un élève.
193
Cette remarque d’un élève moqueur vis-à-vis de son camarade se prenant au jeu de ce parcours
interprétatif né d’un mot sibyllin traduit à nos yeux et en acte le potentiel de créativité suscité par cet exercice.
518

l’analyse d’un corpus de mots-valises (fiche é4), la consigne d’écriture a été formulée
en vue de la prochaine séance, s’agissant de « nommer et de décrire un personnage
venu d’une autre planète » (voir les productions infra, situation 6). La slameuse a
noté au tableau des mots inducteurs (La Grand Ourse, Mercure, Jupiter, Pluton, la
Voie Lactée, un trou noir…), occasionnant un détour par la mythologie (Mars…), tout
en incitant les élèves à proposer des mots « nouveaux » : « Quelqu’un qui vient du
soleil, comment s’appelle-t-il ? » a-t-elle demandé. « C’est Soleil man,
Souleymane ! » s’est écrié un élève, tout aussi « philosophien » que son camarade...

Nous avons aussi usé de palimpsestes - potentiellement déclencheurs d’une


créativité filée sémantiquement sur l’ensemble d’un texte - pour susciter une écriture
créative et métaphorique, à commencer par cette formule de SD : « Marchand de
cendres ». Ce poème été soumis à l’analyse à partir de son titre et selon une double
démarche, onomasiologique puis sémasiologique. La formule titulaire évoquait là-
encore un personnage énigmatique, sur lequel les élèves ont émis des hypothèses
interprétatives selon une démarche onomasiologique194. C’est seulement lors de la
découverte individuelle du texte qu’ils ont saisi la métaphore à travers le récit d’une
rencontre. Nous les avons alors amenés à repérer comment cette image est filée, à
identifier d’autres métaphores en les distinguant des comparaisons195. Dans un
deuxième temps, les élèves ont dû trouver d’autres images pour évoquer la cigarette,
selon une démarche sémasiologique196. Enfin et après un détour par une analyse –
d’après l’écoute – de la structure métrique et prosodique de ce poème, c’est le clip
« Papillon en papier » qui a constitué le déclencheur d’une dernière mise en activité.
Les élèves ont observé que le papillon évoque la légèreté, le mouvement et l’« effet
papillon », puis la slameuse a mis en relation cette métaphore avec le registre et la
tonalité poétiques197, d’où un détour par la poésie lyrique et sa lyre originelle. En
guise de conclusion, la fiche é5 a été distribuée, s’agissant d’un exercice sur les
proverbes et expressions détournées. Une fois les sous-énoncés reconnus, les

194
S’ils ont fait référence à la légende du marchand de sable, restituant ainsi le sous-énoncé de ce palimpseste,
ils ont associé les cendres à la crémation, au bûcher, à la mort, plus qu’à la cigarette.
195
La phrase « C’était un beau combat Ali gagnait par KO à la douzième reprise » est interprétée comme
potentiellement métaphorique de cette rencontre qui le laisse KO. Certains verbes métaphoriques sont ici
relevés comme resémantisés (s’évaporer) à travers la métaphore filée de la fumée.
196
Ont été cités le passeur (qui fait passer d’une rive à l’autre, d’un âge à l’autre…), la faucheuse (qui fauche
parce qu’elle nous prend la vie et qui prend aussi beaucoup d’argent !), la baguette de cendres.
197
L’image du papillon fait référence à une poésie lyrique alors qu’une formule « cafard en carton » suggère un
poème dur, polémique, « qui clashe » selon la formule proposée par un élève.
519

élèves ont dû répondre à la consigne suivante : « A la manière de Souleymane


Diamanka qui choisit ses titres avant de déployer ses poèmes, trouvez un titre (sous
la forme d’un proverbe ou expression détournée) et essayez de le développer en
quelques mots, quelques phrases, quelques vers. » Un élève a énoncé « Jamais toi
sans moi », un autre « A la vie à la mort(gue) »198 ; un autre élève a développé « La
nuit porte chance » par « On n’est jamais mieux servi que par la lune ». L’expression
« effet papillon » – citée en référence à la chanson de Benabar – a été détournée en
« effet cendrillon » et « effet oisillon ». « On ne jardine/chagrine pas avec l’amour »,
« Chacun cherche son chemin/ sa Schéhérazade », « Je donne ma langue au
charme »199 (utilisé par MP dans l’un de ses slams), « Quand on M on se DmN »
(démène) sont des détournements créés par les élèves de la classe P, attestant de
leur créativité et de leur capacité à réinvestir les procédés rencontrés. Les
palimpsestes ont donc révélé leur valeur potentielle de tremplins vers la créativité et
vers un imaginaire qui se déploie à partir des images induites par les énoncés. Ainsi
la formule initiale « Marchand de cendre » a-t-elle donné lieu à des détournements200
formulés comme autant de titres et de pistes – avec le développement du champ
sémantique afférent – vers une future production.

Comme nous l’avons pu observer, les flyers représentent un réservoir de


palimpsestes et autres jeux de mots dont l’analyse a permis la réactivation de
procédés identifiés dans un contexte poétique. Si le flyer de MP (voir en annexe I.5,
flyer n°4) a permis de faire connaître une scène locale – le slam étant aussi poésie
de proximité – où ils pourraient se confronter au slam in situ, il nous a amenés à
revenir sur diverses formes de créativité lexicale abordées précédemment : les
notions d’homonymie (vers/verre), de paronymie (Medhi 10/Midi 10) et de polysémie
(composition) ont été réactivées via l’observation d’un document dont l’iconographie
métaphorique représente une boîte de médicaments. La métaphore filée à travers
mots et images201, a pu être commentée ainsi que d’autre figures et procédés
comme le mot-valise (poésologie202) ou encore l’apocope et l’équivoque qui en
résulte (Labo Bine = La Bobine). Enfin, la formule palimpsestuelle issue du
198
Cette proposition se rapproche du titre de Miss.Tic « A la vie à l’amor » (2010).
199
Cet élève rejoint ici MP dans l’un de ses textes (MP28).
200
Marchand de neige, de pluie, de rêves, de mots, d’âme, de soleil, de bonheur, de peine, de haine…
201
Le slam est comparé à un remède visant à dénoncer certains travers de notre société, et aussi, au niveau
individuel, à exprimer des sentiments, émotions (fonction cathartique).
202
Un élève repère dans ce mot le suffixe –logie qu’il réfère à « la parole », ce qui permet d’aborder la racine
grecque. Les élèves citent d’autres lexèmes comme démagogie.
520

documentaire « J’écris donc je suis » – cogito ergo sum Kantien dont un autre
détournement figure sur un flyer (« Je slam donc je suis ») – a amené
amen les élèves à
s’exprimer sur leur propre rapport à l’écriture, sous la forme d’un poème écrit en duo.
De fait, la formule a donc été reprise comme amorce ou matrice pour un exercice de
production orale en trois temps
tem (voir les productions situation 3 en annexe X)
X :
- d’abord, par substitution du premier verbe (Je + verbe, donc je suis)
- ensuite, par substitution du second verbe (J’écris, donc je + verbe)
- enfin par ajout d’un épithète (J’écris, donc je suis + adjectif ) sur le modèle de « J’écris,
donc je suis libre » qui clôt la séquence.
L’exercice
exercice visait autant à faire réfléchir aux enjeux de l’écriture qu’à stimuler la
créativité à partir d’une contrainte simple appliquée à une situation d’expression orale
avant de passer à l’écrit. Cet avant-texte oral nous semblait être un élément
facilitateur pour des élèves dont le français n’est pas la langue maternelle (classe P).

Du « verbe » à l’ « Inventaire » à la Prévert : le slam passerelle

« Un verbe » de GCM a servi non seulement d’entrée en créativité, déclencheur


d’une activité d’écriture, mais aussi de passerelle vers le poème de Prévert. En effet,
ce slam est construit à la manière d’un inventaire, par association sémantique et/ou
phonologique
logique jusqu’au verbe annoncé à l’horizon du titre. Suite aux réécritures de
ce texte et projets d’écriture à partir d’autres
verbes, un prolongement a été proposé avec la
découverte de l’« Inventaire » qui a permis
l’ouverture à une culture plus « classique » ou
académique203. Distribué aux élèves, ce poème a
été commenté du point de vue de sa mise en page,
les retours à la ligne étant identifiés comme autant
d’indices pour une déclamation, là où le slam de
GCM était présenté en un seul bloc204. En outre, un
lien a pu être établi avec le Surréalisme à travers
certaines associations
ations incongrues qui renvoient à
une forme de palimpseste (un
( face-à-main).

Document 6 : Page d’« Inventaire » (Prévert, 1991 : 208)

203
En lien avec les pré-acquis
acquis de ces élèves, le texte « Cortèges » figurant dans le manuel utilisé en classe.
204
Pour aller plus loin, nous aurions pu proposer uneune mise en espace de ce texte (Savelli, 2003 : 51), activité
que nous avions initialement planifiée.
521

12.2.3. Premier bilan

Une première évaluation positive du projet s’est traduite par le fait que 25 élèves
sur 41 ont assisté à la scène finale205 : s’ils ne sont pas montés sur scène pour
interpréter leurs slams, ils y ont néanmoins fait l’expérience d’une poésie vivante et
scénique comme aboutissement d’un atelier d’écriture - au sens artisanal de ce
terme - susceptible d’influer sur leur rapport à l’écrit. Au fil de l’atelier, leur motivation
à écrire ne s’est jamais démentie et a pu se traduire sous la forme facilitatrice d’une
écriture orale revendiquée en tant que tel par ses auteurs et représentants206. Ainsi :
« Grâce à cette écriture entre l’oral et l’écrit, les élèves en difficulté s’autorisent à écrire
sans posséder pleinement cette maîtrise de l’écrit jugée indispensable à l’école »
(Szajda-Boulanger, 2003 : 70).
Il reste une difficulté à évaluer les productions, soulignée par Yves Reuter, qui
préconise de « suspendre l’évaluation elle aussi, à certains moments, pour ne pas
risquer d’enrayer les appels à l’imaginaire et la mise en œuvre des mécanismes de
créativité » (1996 : 39). Au demeurant, le didacticien insiste sur la nécessité de sortir
des critères et modalités traditionnelles d’évaluation afin de mettre en cohérence les
principes de cette évaluation avec ceux d’une didactique de l’écriture, d’où des
« évaluations portant non seulement sur les aspects locaux mais aussi sur la
globalité du texte, son adéquation communicationnelle, ses effets (ce qui implique
des renvois de lecteur et non simplement d’évaluateur scolaire) » (Reuter, 2000 :
167, nous soulignons). Reuter suggère que l’évaluation soit prise en charge par des
évaluateurs diversifiés. En ce qui concerne le slam, les auditeurs – élèves et adultes
– pourraient être co-impliqués dans une évaluation portant à la fois sur la prestation
orale du point de vue des effets, soit l’expressivité et les manifestations de créativité
intrinsèques aux textes slamés.

12.3. Analyses des productions et évolution des représentations


12.3.1. Analyses des productions
Outre un tableau de synthèse des situations d’écriture proposées qui figure en
annexe X, nous avons analysé ci-après des exemples significatifs de productions
d’élèves.

205
Cette proportion d’environ 61% nous a été commentée comme significative par les enseignantes des classes
concernées : s’agissant d’une sortie facultative impliquant un déplacement nocturne (la scène ayant lieu à
20h30), de nombreux élèves mineurs n’y ont pas été autorisés par leurs parents.
206
GCM et SD mais aussi le collectif « La tribut du verbe » qui parle de « styloratoire » (voir leur blog).
522

Situation 1 : acrostiches et acronymes

La production reproduite ci-contre


témoigne d’une évolution de la consigne
initiale « produire un acrostiche à partir du
mot slam » vers une activité de remotivation
de sigles existants (TGV, SNCF, EDPI207).
En outre, la ligne verticale procède de la
recherche de blase, l’élève mobilisant à cet
effet le verlan graphique (Remi → Imer) et
l’homophonie (Imer → imer j’ai →imergé). Document 7 : Acrostiches (situation 1, classe B)

Les autres productions – restituées oralement – rendent compte d’une


dynamique lexicale confortée par l’émulation née de la situation, s’agissant d’écrire
pour dire. D’où la dimension éventuellement polémique (« Sans leurs avis
minables », ci-dessus), voire provocatrice (« Soirée Légèrement Arrosée mais
Modérée ») de certaines propositions. Malgré la reprise de certains schémas
syntagmatiques (« Situation Légèrement à risque Avec Maman », avance un élève,
« Situation Légèrement Avantageuse pour M208 », réplique un autre), on note une
réelle diversité dans la structure syntagmatique des vingt propositions relevées209 :
Composition syntagmatique Configuration Nombre d’occurrences
210
Noms + adjectifs N + Adj + N + Adj 2
N + Adj + N + N 1
N + Adj + Adj + N 1
N + Adj + Adj + Adj 1
Noms + adjectifs Prép + Art + N + Adj 1
+ articles + prépositions & préfixe N + Adj + Préf + N 1
N + Adj + Préf + Adj 1
211
N + Adj + Prép + N 3
Adj + N + Préf + Adj 1
N + N + Préf + Adj 1
N + Adj + Préf + N 1
212
Noms + adjectifs N + Adv + Adj + N 2
+ adverbes N + Adv + Adj + Adj 1
Nom + adjectifs N + Adj + Prép + Vi 1
+ prépositions + pronoms + verbes V + Art + N + Adj 1
V + Pron. + Prép + Pron 1
213
Tableau 7 : Classement selon la composition syntagmatique des productions (classe B, sit. 1)

207
Ce sigle correspond à la section de cet élève : « Etude et définition de produits industriels ».
208
L’élève cite ici le nom de l’un de leurs professeurs.
209
Corpus oral : il s’agit là des syntagmes énoncés par les élèves, pris en notes par nous-même (annexe X).
210
Nous avons utilisé les initiales suivantes : N pour « noms », Adj « adjectifs », Art « articles », Adv
« adverbes », Prép « prépositions », Préf « préfixes », Vc « verbe conjugué », Vi « infinitif ».
211
Dont une occurrence avec une forme néologique : « anti-mirovoyante ».
212
Dont une occurrence avec un groupe prépositionnel à valeur adjectivale : « Situation à risque »
523

Les élèves ont donc fait preuve de créativité dans la combinatoire, en explorant
toutes les combinaisons possibles. Notons en outre l’apparition du mot-valise
mirovoyante, commenté par son auteur comme la contraction de mirobolante et de
voyante, création oxymorique si l’on considère le lexème miro (ou miraud de
« mirer », via le moyen français mirauder) comme premier formant. On peut
cependant regretter que les productions soient, pour la plupart, sans lien avec l’objet
poétique, ce que nous pouvons imputer à une consigne trop peu explicite à cet
égard214. Une dernière formule témoigne pourtant d’une recherche poétique :
« Sensation laiteuse des Amours Monotones ». On observe ici le double pôle défini
par Yves Reuter (2000 : 36) : « un pôle idéel (celui du sens, du signifié) et un pôle
matériel (celui du signifiant – graphique et phonique – des formes, des rythmes…).
Le texte « intéressant », ajoute Reuter215, est celui qui a tissé « le maximum de
relation entre ces deux pôles. » Notons d’ailleurs la récurrence du préfixe « anti » qui
renvoie à une dimension polémique inhérente au slam, notamment américain216.

Situations 2 et 3 : du mot à la phrase

Les situations 2 et 3 ont donné lieu à des avant-textes dont le classement figure
en annexe X : les phrases énoncées résultant d’une recherche à la fois lexicale et
phonologique, un certain nombre de propositions émergeant par glissement
sémantique (« J’écris, donc je pleure »→ « J’écris, donc je ris ») ou paronymique
(« J’écris, donc je ris »→ « J’écris, donc je crie »). Ainsi les élèves ont-ils joué autant
sur le signifiant que sur le signifié (« J’écris, donc j’ai plus d’encre ! ») et la
dynamique de groupe a-t-elle bien fonctionné. Ils ont aussi profité de cette occasion
qui leur était fournie de parler d’eux à mots couverts : « Je danse, donc je suis »,
« Je rime, donc je suis » sont autant de propositions qui expriment des goûts
personnels. Si l’on observe la répartition des réponses par matrice, on note que les
réponses adjectivales (matrice 3) semblent plus pauvres217.

213
Nous avons tenu compte pour notre classification des lexèmes dont les initiales sont accentuées à l’oral (en
majuscules à l’écrit), correspondant aux lettres du mot slam, ce qui peut induire une ambiguïté lorsque des
mots charnières ont été intercalés : « Situation Légèrement A risque avec Maman ».
214
Lors que nous proposerons cette même situation aux étudiants de FLE, en fin de séquence, les productions
seront plus en phase avec cet enjeu définitoire du slam.
215
Il se réfère ici à des didacticiens comme Claudette Oriol-Boyer.
216
Voir notre prochain chapitre, les étudiants américains ayant une représentation du slam comme « anti-
politique ».
217
D’où l’hypothèse que les élèves disposent de plus de verbes que d’adjectifs qui nous a amenée à redéfinir
l’enrichissement lexical ciblé sur les adjectifs comme l’un des objectifs de l’atelier.
524

Situation 4 : écriture en duo

La production ci-contre résulte la


situation 4 : il s’agit d’une écriture en duo,
conçue comme une partie d’échecs218 et
comme le réinvestissement des deux
situations précédentes. On voit là aussi
que l’un des deux élèves a néologisé en
convertissant son blase d’origine
onomatopéique (Few) en verbe par l’ajout
d’une désinence verbale (Few → fewe),
tandis que sa camarade a converti le sien
(créé par lien sémantique à partir du Document 8 : écriture en duo (situation 4, P)
patronyme « Marce ») sans marque de flexion.

Situation 6219 : écriture individuelle

Cette autre production (document 9) fait état d’un apport préalable lexical sur
l’origine des noms des jours (voir supra). L’élève a intégré la consigne d’évoquer un
personnage venu d’une autre planète, à la
manière de la « Vénusienne » de Rouda. Il
a cependant omis de le nommer, ce qui était
induit par la consigne et pouvait se traduire
par un titre. Son slam se distingue par
l’adresse à ce personnage imaginaire, d’où
la prégnance du « tu », et le
réinvestissement de procédés comme
l’homonymie (Fou/fous), la paronymie
(fous/nous), la présence d’une rime
étymologique (vie/envie) et d’une structure
anaphorique. Un autre élève (Hamza, classe
B) a réinvesti dans cette situation la
Document 9 : Brouillon Thibault (situation 6, B)
contrainte de l’acrostiche (voir en annexe).

218
La croix en vis-à-vis de certains vers rend compte de cette écriture en dyade.
219
La situation 5 n’a fait l’objet que d’une production collective qui figure dans le tableau (voir en annexe X).
525

Document 10 :
Situation 8 : vers une écriture rythmique220 Production d’Hamza (situation 8, B)

Enfin, le brouillon d’Hamza


(document 10) traduit le cheminement et
des strates de son écriture : les ratures
peuvent être analysées dans la lignée
des travaux de Claudine Fabre (2002)
comme attestant de procédures de
suppression, substitution, et
221
déplacement . Ce dernier procédé
permet de mettre en relief la gradation,
renforcée par un effet de paronomase :
« on m’a plaqué, craqué, troqué. » En
outre, ce slam illustre la prise en compte
du schéma rythmique proposé –
représenté au tableau – que l’on retrouve
ici à travers les « cases » marquant la trame de son texte : il en résulte un rythme
ternaire, avec des effets de rimes internes. On voit là combien la contrainte
rythmique a été efficiente, si l’on compare à ce texte celui de Dimitri (en annexe), qui
s’apparente à un écrit de type « liste », à la manière de GCM (« Un verbe »). On
observe donc que cette contrainte a suscité une recherche formelle plus poussée :
« Un mal-réveillé, un lit, une couette (5/2/2)
Un mal-luné, la nuit, une chouette (4/2/2) »
En l’absence de contrainte rythmique, les productions témoignent d’une progression
essentiellement sémantique, à l’image du slam de Wafa (annexe X) conçu une
réécriture de celui de GCM sur la base d’oppositions sémantiques (aimer/haïr).

12.3.2. Evolution des représentations d’après nos enquêtes et bilan

Lors de ces expérimentations, nous avons soumis les élèves des deux classes à
des questionnaires visant à évaluer d’une part leurs connaissances préalables
éventuelles vis-à-vis du slam (définition, noms de slameurs et titres), d’autre part

220
La situation 7 a abouti à des avant-textes phrastiques de type palimpsestes restitués à l’oral. Nous utilisons
ici la formule « écriture rythmique » dans une acception différente de l’usage qu’en font les slameurs lyonnais
(voir notre glossaire) même si des effets induits par la structure ternaire proposée rejoignent ce procédé.
221
Le déplacement permettant de mettre en relief une gradation, renforcée par un effet de paronymie :
« plaqué, craqué, troqué. »
526

leurs représentations a priori vis-à-vis de cet objet, leurs attentes et leur


positionnement plus général par rapport à l’écrit. Nous avons donc conçu un
questionnaire progressant en 3 temps : 7 (pré-enquête) puis 6 (post-enquête)222
questions portant sur les connaissances et expériences éventuelles (du slam en
général, des slameurs en particulier et des sujets qu’il aborde), suivies de 4
questions visant l’expression d’un positionnement personnel - par rapport au slam et
à l’écriture en général -, puis 1 ou 2 questions traitant des attentes (pré-enquête) et
du bilan (post-enquête). Nous avons en effet procédé en deux temps (en amont de la
séquence et en aval), afin de mesurer l’évolution des représentations suite à
l’expérience de l’atelier. Si l’on considère les réponses apportées initialement (pré-
enquête), on observe une nette différence par rapport aux élèves du lycée Argouges
(enquête citée)223 : on peut émettre l’hypothèse que le contexte urbain a favorisé les
expériences de slam session224. Au total, sur 38 élèves interrogés dans les deux
classes P et B, seuls 4 élèves (soit 10,5%) avaient déjà assisté à une scène, aucun
d’entre eux n’ayant participé à un atelier. Ces élèves manifestent donc peu
d’expériences préalables liées au slam et des connaissances très vagues : si 71 %
avaient déjà « entendu parler » de GCM, tous n’étaient pas pour autant capables de
citer de titre précis225. De même, pour les 42 % qui déclaraient connaître AAM. Au-
delà d’une définition générique – comme texte, poésie ou chanson (B) ou encore
« art de la parole rimée » (P) – témoignant d’un manque de familiarité avec cet objet,
les élèves ont exprimé un a priori plutôt favorable, surtout dans la classe P. Le
rapport à l’écriture (Barré de Miniac, 1995) semble plus conflictuel et c’est d’ailleurs
sur ce point que l’évolution des représentations s’avère la plus significative : de 10/38
à 22/37 élèves déclarant aimer écrire, soit de 26 à 59%, la proportion a plus que
doublé à l’issue de l’atelier, comme illustré ci-dessous, ce qui nous semble indiquer
un changement de posture vis-à-vis de l’acte d’écrire. En revanche, les réponses du
post-test témoignent d’une réticence persistante à oraliser ses textes, même si le
bilan reste positif dans l’ensemble, surtout pour les élèves de la classe P.

222
La question portant sur la connaissance du terrain (as-tu déjà assisté à une scène/atelier slam) n’a pas été
reprise, car la réponse en était induite par l’atelier même, lors de la post-enquête.
223
Nous rappelons que selon les résultats de l’enquête citée précédemment : seulement 25 % des élèves
interrogés ne connaissent pas le slam ; 25 % ont déjà assisté à une scène ouverte* et 10 % y ont participé
224
Cette différence s’explique aussi par la mise en place, depuis plusieurs années, d’ateliers slam au sein du
lycée Argouges, ce dispositif étant plus récent (2009) au lycée Buisson et absent du lycée Prévert, si l’on
excepte la séance de découverte que nous avions proposée en 2008.
225
Notons que sur les 6 titres cités (pré-enquête), 2 relèvent de duos avec le rappeur Kery James (« Je
m’écris ») et le chanteur Calogero (« De l’ombre ou de la lumière »), d’où un relais médiatique important.
527

Est-ce
ce que tu aimes écrire? Est-ce
ce que tu aimes écrire?
(P+B1) (P+B2)

oui oui
non non
nspp nspp

Figure 6 : Evolution des représentations sur l’acte d’écrire, du pré-test


pré test au post-test
post 226

Quant à la définition du slam, elle a évolué dans le sens du travail sur les mots,
les jeux de mots, ce qui résulte de l’orientation délibérément lexicale d’une séquence
axée sur la créativité. Des items comme « écriture », « expression », « libération »,
« plaisir » émergent dans le post-test.
post En outre, l’appréhension du slam apparaît
davantage centrée sur l’acte poétique : un élève évoque un « passage à l’acte » ; un
autre cite le « verbe », sans que l’on ne puisse déterminer s’il s’agit là du titre de
GCM ou d’une réflexion sur le sens de ce mot. D’une manière générale, le travail sur
l’expression – écrite et orale – répond à un besoin réel : « Le verbe est une clé
indispensable / Dehors on nous demande des mots de passe partout » (SD, 2007).
Si l’on se réfère aux parties de la rhétorique, notons que l’inventio
inventio a été largement
sollicitée mais que la dispositio aurait mérité un travail plus approfondi227, limite que
Claire Boniface évoque pour les ateliers d’écriture en général : « l’atelier donne
l’occasion de faire des gammes, de jouer des morceaux, improviser, mais pas de
composer » observe-t-elle
elle (1992 : 22). Enfin, un travail sur la mémorisation – la
mémoire étant d’ailleurs considérée comme l’une des parties de la rhétorique –.aurait
permis une approche plus aboutie de l’actio.
l’ D’où une réflexion à mener tant sur la
distribution des rôles au sein de l’atelier slam que sur l’espace-temps
emps consacré à un
tel projet. En effet, les deux contextes de nos expérimentations se distinguaient,
outre le profil des classes,, par le lieu et le positionnement des
es enseignantes, l’une
accordant plus de liberté créative à ses élèves dans un lieu significativement plus
ouvert sur l’extérieur et propice aux interactions. Quant au temps consacré au projet,
il nous a manqué pour mettre en place un travail sur la macrostructure,
macros la
composition proprement dite,
dite qui aurait nécessité des réécritures successives.
successives

226
Nous présentons ici des résultats globalisés afin de rendre compte d’une évolution globale de
représentation et de posture vis-à-vis
vis de l’acte d’écrire à l’issue de l’atelier.
l’atelier
227
Par exemple à travers un travail possible (en prolongement de la séance sur « Un verbe ») de mise en espace
des textes dans la perspective d’une mise en voix. Nous avions prévu ce type d’activités, mais nous n’avons
disposé du temps nécessaire à sa mise en œuvre.
528

Conclusion partielle

L’atelier d’écriture slam a donc confirmé son efficacité en influant favorablement


sur le rapport à l’écriture de ces élèves scolarisés en lycée professionnel :
« Tel ou tel des "mauvais élèves" qui écrivent beaucoup chez eux pourrait bien, parce
qu’on aurait réussi à lui montrer le lien, fût-il discret, entre sa démarche et celle d’un
écrivain, accéder enfin à cette Littérature qu’il croyait lui être étrangère. » (Penloup,
2000b : 33)
Gageons qu’il puisse se répercuter sur leur rapport à la Littérature en tissant des
liens entre la poésie d’un Prévert (dont leur établissement porte le nom) souvent
découverte via la pratique de la récitation et celle d’un Grand Corps Malade qu’ils ont
pu s’approprier par la réécriture en évoluant de la répétition à la re-création, de
l’assimilation à l’appropriation, du « Cancre » classique au « Verbe » contemporain.
Des ateliers d’écriture « traditionnels », le slam se distingue par l’apport d’une
démarche colludique qui tire pleinement profit de la dynamique de groupe, en vue
d’impulser la créativité tout en suscitant le développement de capacités
d’analyse métalexicale, métatextuelle et métadiscursive. De fait, la finalité d’oraliser
son texte pour le publier, le passage du je au jeu via la joute ont un effet libérateur
sur la créativité. Le travail sur les palimpsestes occasionne un détour par l’imaginaire
qui pose cependant le problème des pré-acquis des élèves en matière lexiculturelle :
pour décrypter un palimpseste, encore faut-il en (re)connaître le sous-énoncé. A cet
égard, les étudiants étrangers nous ont étonnée…
529

Chapitre 13

Expérimentation
érimentation
en FLE (CUEF)
(CUEF

13.1. Contextualisation
ntextualisation et objectifs de
la séquence
13.2. Analyse des supports,
aménagement et déroulement
13.3. Analyse des productions, bilans
et témoignage d’étudiants
13.4. Réflexion sur le rôle du slameur,
fondements et statut des ateliers slam

Illustration: Slam au CUEF (jeux


(
d’oralité et rencontre avec Katia)
Katia

Photo 6 : Etudiante du CUEF (février 2011)


530
531

« A la recherche de l’argot perdu on la met à nu on lui retire son masque


On lui donne vie sur scène ou dans la rue entre elle et nous y a comme un pacte
On marche mots dans la main certains restent collés à nos basques
On réinvente les lendemains et chaque parole est comme un acte »228

Si les slameurs ont l’art et la manière de réinventer les mots et les modèles en
donnant vie à leur poésie, en l’animant non seulement sur scène mais aussi dans les
classes, en marchant mots dans la main, on peut alors s’interroger sur les
fondements et les modalités de cette approche de l’écriture à la fois ludique et
artisanale. De la Petite fabrique d’écriture (1996) à la Petite fabrique de slam en
passant par la Petite fabrique de Littérature (1999), les slameurs n’inventent pas ex-
nihilo mais s’appuient sur des techniques et méthodes éprouvées : ils sont d’ailleurs
les premiers à reconnaître cette pédagogie de l’emprunt – dont témoignent nos
entretiens –, même si certains outils demeurent originaux. Dans quelle mesure et à
quelles conditions nous amènent-il à reconsidérer certaines questions et frontières, à
infléchir favorablement les représentations ou les rapports à l’écriture des apprenants
et peut-être au-delà – ou en-deçà – des enseignants ? L’image d’une langue mise à
nu et la formule palimpsestuelle de la citation mise en exergue - « A la recherche de
l’argot perdu »229 - nous invitent à nous interroger sur la place dévolue à l’argot et
autres variations diastratiques ou diaphasiques dans l’enseignement du Français
Langue Etrangère. Dans un article joliment intitulé « Le livre, le caméléon ou le singe
savant », Françoise Gadet (2008), attire notre attention sur le nécessité de réfléchir à
cette question de l’apprentissage du style230 aux non-natifs. Quid de leur
confrontation aux néostyles des slameurs et du rôle de la créativité – fil d’Ariane de
notre étude et des ateliers slam que nous avons co-animés – dans l’apprentissage,
l’appropriation d’une langue étrangère ? Questions que nous confronterons à
l’expérimentation ici présentée, menée au Centre Universitaire d’Etudes Françaises
de Grenoble, avec des apprenants de niveau avancé (B2) qui, en ayant atteint ce
niveau de compétences, se rapprochent d’élèves natifs. C’est précisément cette
zone de confluence qui a rendu possible notre adaptation d’une même trame de
séquence à des publics, besoins et objectifs divers.

228
Rouda, « Je parle votre langue », Musique des lettres (2007).
229
Sur-énoncé qui renvoie à un double sous-énoncé, l’un relevant d’une culture cinématographique, l’autre
d’une culture littéraire : « Les aventuriers de l’arche perdue », « A la recherche du temps perdu ».
230
Dans la lignée de ses écrits antérieurs, Françoise Gadet entend ici (2008 : 17) par style « la souplesse
linguistique dont sont capables les locuteurs, selon l’analyse qu’ils font de la situation au sens large » et
regrette « la part modeste accordée au style dans les méthodes » ou qu’il soit abordé « comme cerise sur le
gâteau. » (31).
532

13.1. Contextualisation et objectifs de la séquence

13.1.1. Les objectifs et le CECR

Si l’on se réfère au Cadre Commun de Référence pour les Langues (CECR,


2001), l’atelier slam que nous avons mené au CUEF s’inscrit d’abord dans la
perspective d’une « utilisation ludique » et poétique de la langue. De fait, les auteurs
du cadre soulignent que « l’utilisation de la langue pour le jeu ou la créativité joue
souvent un rôle important dans l’apprentissage et le perfectionnement » (2001 :47)
et citent l’exemple des jeux de mots (calembours, etc.) issus de la publicité, des titres
de journaux, des graffitis. Or nous avons pu constater que le slam représente aussi
un haut-lieu de créativité, à cette différence près qu’il offre un cotexte susceptible
d’étayer la compréhension et l’interprétation des jeux de mots. Quant à « l’utilisation
poétique de la langue » - formule qui interroge -, les auteurs nous en rappellent
l’importance « non seulement au plan éducatif mais aussi en tant que telle ». Ainsi :
« Les activités esthétiques peuvent relever de la production, de la réception, de
l’interaction ou de la médiation et être orales ou écrites. Elles comprennent des activités
comme le chant, la réécriture, l’audition, la lecture, l’écriture ou le récit oral de textes
d’imagination (bouts rimés, etc.), le théâtre, la production, la réception et la
représentation de textes littéraires… » (2001 : 47)
Qu’elles soient à vocation esthétique ou à dominante ludique, « pour le rêve ou pour
le plaisir », les activités de ce type ont donc leur place dans une démarche
d’appropriation de la langue étrangère : « j’avais l’ambition de devenir française par
la langue » nous a confié Katia Bouchoueva231.

Sur le plan des apprentissages lexicaux, notre séquence visait


l’approfondissement de compétences sémantiques et sociolinguistiques, ainsi que de
capacités d’analyse métalexicale. D’un point de vue sémantique (2001 : 91), il
s’agissait d’étudier à la fois la relation du mot au contexte et les relations inter-
lexicales, tout en mobilisant le métalangage associé. D’un point de vue
sociolinguistique, le cadre fait référence à des expressions de la sagesse populaire
(proverbes, expressions idiomatiques et familières…) que nous avons pu aborder par
le biais des détournements et autres palimpsestes. Quant aux registres, nous les
avons introduits à travers un slam de GCM, d’abord en réception : les auteurs du
CECR suggèrent en effet de travailler les registres plus formels ou plus familiers
« dans un premier temps en réception, peut-être par la lecture de textes de types

231
Entretien du 7/11/07, voir en annexe III.
533

différents », tout en insistant sur la prudence de rigueur « car leur usage inapproprié
risque de provoquer des malentendus ou le ridicule » (2001 : 94). Nous voilà donc à
nouveau devant l’alternative du singe savant ou du caméléon évoquée par Françoise
Gadet :
« On pourrait résumer le rapport au style chez les non-natifs à travers les deux extrêmes
(…) : "parler comme un livre" ou "faire le caméléon" » (2008 : 19-20)
Sur le plan communicationnel, nous visions à améliorer l’aisance requise pour le
niveau B2 (2001 : 61)232 ainsi que la communication non verbale :
« Le comportement paralinguistique comprend le langage du corps, l’utilisation
d’onomatopées, l’utilisation de traits prosodiques » (2001 : 73)
Dans cette perspective, les éléments prosodiques ont pu être appréhendés à partir
de l’expérience du slam en tant que lieu d’expressivité multimodale : « La
combinaison de la qualité de la voix, du ton, du volume et de la durée permet de
produire de nombreux effets. » Outre les aptitudes phonétiques (2001 : 85), nous
avons mis en place des activités visant un travail sur la conscience phonologique, à
commencer par la capacité à segmenter la chaîne parlée en éléments significatifs233.

Nous avons en outre défini des objectifs périphériques et non spécifiques, tels
l’entraînement à la compréhension orale d’émission de radio (2001 : 56)234, à la prise
de notes (77)235, ou encore à la préparation et la réalisation d’une interview (68)236.
Par ailleurs, le CECR interroge la place des textes, qu’ils soient authentiques ou
didactisés (112) : Quel rôle doivent-ils jouer ? Jusqu’à quel point les apprenants
doivent-ils non seulement « traiter des textes » mais également en « produire » ? Si
le slam relève plutôt des genres de textes oraux, s’inscrivant en tant que poésie
scénique dans la lignée des spectacles et aux côtés du théâtre, des lectures
publiques et chansons (76), il pourra faire l’objet d’un double traitement soit
d’activités orales et écrites. A l’oral, sont suggérés « des textes écrits lus à haute
voix, la récitation de textes appris par cœur, des exercices à deux et en groupes » -

232
Cette aisance peut être déclinée en termes de fluidité verbale (voir infra et glossaire, entrée « flow »). Il est
précisé qu’un apprenant de niveau B2 « Peut utiliser la langue avec aisance, correction et efficacité dans une
dans une gamme étendue de sujets d’ordre général. »
233
« La capacité, comme auditeur, de retrouver dans la chaîne parlée, la structure significative des éléments
phonologiques (c’est-à-dire de la diviser en éléments distincts et significatifs). » (2001 : 85)
234
« Peut comprendre les enregistrements en langue standard (…) et reconnaître le point de vue et l’attitude
du locuteur ainsi que le contenu informatif »
235
« Peut comprendre un exposé bien structuré sur un sujet familier et peut prendre en note les points qui lui
paraissent importants même s’il (ou elle) s’attache aux mots eux-mêmes au risque de perdre de l’information »
236
« Peut conduire un entretien avec efficacité et aisance, en s’écartant spontanément des questions
préparées et en exploitant et en relançant les questions intéressantes »
534

autant d’activités auxquelles le slam se prête fort bien -, tandis qu’à l’écrit il est
question de « rédactions » (113). Ce dernier terme soulève la question du sens et de
la finalisation de l’activité rédactionnelle : n’y a-t-il pas un risque d’artificialité inhérent
à ce concept de rédaction ou à la formulation de certains sujets ? Yves Reuter attire
notre attention sur ce point :
« Il s’agit de s’adresser au professeur en feignant de ne pas lui écrire ou d’écrire à
quelqu’un d’autre. » (2000 : 16)
A cet égard, le slam résout une partie du problème en induisant une finalité
pragmatique contenue dans son fondement même, à savoir celui d’une scène ou
d’un moment de partage poétique.

Se pose enfin la question des difficultés induites par les slams proposés à
l’analyse, soit des caractéristiques formelles, lexicales, syntaxiques et discursives de
ces textes que nous explorerons à travers l’étude préalable du support choisi dans
Le Nouvel Edito intégré à notre séquence didactique. La complexité linguistique, le
type de texte, la structure du discours, les conditions matérielles, la longueur du texte
et l’intérêt qu’il présente pour l’apprenant (2001 : 126) sont autant de caractéristiques
qu’il nous a fallu envisager avant d’en proposer l’exploitation (p.539). Notons que la
place dévolue aux slams étudiés dans la progression de la séance influe sur cette
question de la difficulté d’un texte : un « slam offert » pourra être résistant et même
proliférant (Tauveron, 2002237), là où un texte faisant l’objet d’une analyse axée sur
la compréhension littérale et détaillée devra offrir une réticence238 moindre.

13.1.2. Contextualisation

Le groupe et le cadre de l’expérimentation

Le groupe d’apprenants avec lequel nous avons mis en œuvre l’atelier était
constitué de 16 étudiants de niveau B2, soit 8 filles et 8 garçons. Ils étaient
originaires de pays divers – la Chine, la Corée, les Etats-Unis, l’Allemagne,
l’Espagne, la Lybie – et destinés à séjourner en France pour une période variant d’un
mois à une année universitaire voire plus, selon la poursuite d’études ou de contrat

237
« Est " proliférant " un texte qui se laisse déployer de manière plurielle, parce que ses mots, ses phrases en
plein, ses non-dits, ses ambiguïtés, ses contradictions sont susceptibles d'une lecture conjecturale sinon
polysémique. » (article consulté sur Eduscol, voir notre sitographie)
238
« Est " réticent " tout ce qui concourt délibérément à créer des énigmes : silences, gommage des relations
de cause à effet, brouillage ou contradictions des voix… » (article cité)
535

le cas échéant. Scolarisés au CUEF de Grenoble, ils bénéficiaient d’un


enseignement intensif en français (20 heures hebdomadaires) assuré par deux
enseignantes en binôme. Nous avons proposé cette séquence en co-animation avec
l’une de ces professeures, Christelle Bagnard. Les séances avaient lieu l’après-midi,
tantôt en salle de classe (15 heures), tantôt en laboratoire (5 heures) : d’où la
conception d’activités spécifiques (notamment en phonétique) et complémentaires à
celles proposées en classe, en adéquation avec ce dispositif.

Le projet : planification et finalisation

Le projet a été planifié sur un mois – à raison d’une ou deux séance(s)


hebdomadaire(s) – et doublement finalisé par une scène animée par Boutchou et par
la réalisation d’un blog visant à prolonger la rencontre. Nous avons donc proposé à
ces apprenants un parcours « A la rencontre du slam » échelonné sur 6 séances
d’une heure et demie en février 2011 :

Clip « L’écho ainsi danse » Clip « Les voyages en train »

« Le souk «D
« Soleil « Marchand
de la chiffres et « Avec
Jaune » de cendres »
parole » D lettres » eux »

S6:
S1 : Entrée S2 : Jeux Rencontre S7: Bilan
S4 : Etude S5:
en slam et S3 : Jeux avec et atelier
d'oralité du slam Détourne
en d'écriture Boutchou mise en
"Avec eux" ments
créativité + scène voix

Labo 1 : Traits Labo 2 : CO : Labo 4 : les CE :


portraits Soleil Jaune radio voyages en train article

Figure 7 : Déroulement chronologique de la séquence au CUEF

Aux six séances constituant la trame initialement prévue de cet atelier s’est ajoutée
une séance complémentaire visant à retravailler la mise en voix et la mise en corps,
suite à la scène proposée lors de la séance 6. En effet, ce travail s’est imposé
comme une nécessité au fil des séances de l’atelier, certains élèves manifestant non
seulement des difficultés d’ordre phonétique, mais un blocage à l’idée de prendre la
parole devant un public qui n’était autre que le groupe d’apprenants. En outre, des
séances réalisées en laboratoire sont venues compléter, en matière de phonétique et
de compréhension orale, le travail réalisé en atelier.
536

13.1.3. Variations par rapport aux expérimentations précédentes

Si l’on observe les divergences par rapport à notre contexte expérimental


précédent, on ne peut que constater une différence majeure de profils d’apprenants :
dans ce second cas, il s’agit d’étudiants plus âgés pour lesquels le français est
langue étrangère ou une langue seconde239. Aussi les élèves du CUEF suivent-ils un
enseignement intensif en français, sur une période très brève, alors que notre
séquence en lycée professionnel s’étendait sur plusieurs mois. En revanche, ces
apprenants n’ont pas bénéficié de l’intervention filée de la slameuse sur l’atelier. A
défaut, ils ont pu profiter d’une rencontre avec « Boutchou » venue se présenter – les
étudiants ayant préparé une trame d’interview – slamer et animer la scène lors de la
sixième séance. En conséquence, nous avons dû réaménager la trame de séquence
telle qu’elle était conçue initialement, afin de l’adapter aux objectifs et besoins
propres à ce groupe d’apprenants. Nous avons donc augmenté la part dévolue aux
jeux d’oralité et intégré des documents périphériques ayant trait au slam mais
tendant à le traiter à la fois comme objet d’étude et comme outil d’apprentissage.
Dans cette perspective, nous avons mis l’accent sur les compétences métalexicales
et sociolinguistiques qui ont été sollicitées à travers la découverte d’un registre
familier voire argotique. En outre, nous avons bénéficié pour ce second contexte de
moyens techniques favorisant le recours à des supports disponibles sur la toile, tout
en nous permettant de garder une mémoire collective des séances grâce au Tableau
Blanc Interactif. En termes de données recueillies, nous disposons donc, outre les
productions individuelles ou en dyades, d’enregistrements des tableaux tels qu’ils ont
été construits et complétés lors des séances de l’atelier.

13.2. Analyse des supports, aménagements et déroulement

13.2.1. Nouveaux supports et aménagements

Nous avons réinvesti le support du documentaire Traits portraits dans la lignée


de notre précédente exploitation, en le séquençant de la manière suivante :
• Séquence 1 : Histoire de l’écriture
• Séquence 2 : Le slam et ses définitions
• Séquence 3 : Les slameurs et leurs pseudonymes
• Séquence 4 : « Soleil jaune » en duo (JB/SD)

239
Un étudiant a évolué dans un contexte familial bilingue.
537

A la différence de la séquence en LP, nous en avons extrait deux textes afin de les
traiter plus précisément : d’une part, le prologue retraçant l’histoire de l’écriture a fait
l’objet d’un entraînement phonétique portant sur les groupes consonantiques
complexes (cr, pr, tr, fr, gr…)240 ; d’autre part, nous avons retenu le slam du collectif
129H, interprété collectivement par ses auteurs, « Le souk de la parole », en vue
d’un premier entraînement à la mise en voix (lecture oralisée) d’un texte, et
d’exercices de correction phonétique241.

Outre les textes de slam, nous avons sélectionné des documents périphériques
ou épitextuels traitant de cet objet et de ses représentants à travers la presse : à
l’émission de radio qui a réuni GCM et Alain Rey s’ajoute l’article du Nouvel
Observateur sur Souleymane Diamanka qualifié de « Diamant noir », article que
nous avions retenu dans notre corpus issu de la presse. Si l’émission a fait l’objet
d’une compréhension orale réalisée en classe, l’article a servi de support à une
compréhension écrite donnée en prolongement de la séance 5. L’émission « Café
découvertes » de Michel Field sur Europe 1 a confronté GCM et Alain Rey : nous en
avons séquencé, après la présentation des invités par l’animateur, un court passage
consistant en un portrait de GCM entrecoupé d’extraits de ses slams : il s’agit donc
d’un récit de type biographique au contenu informatif d’autant plus aisément
repérable que le débit du journaliste est très lent. De même, l’article cité (voir la fiche
é7) apporte des informations biographiques sur SD ainsi que des éléments
définitoires du slam. En effet, il se caractérise par un certain nombre de procédés qui
témoignent d’une créativité à l’image de celle que l’on a pu étudier dans des slams
(homonymie, paronymie, métaphore filée, palimpsestes242…). Notons que ces deux
supports médiatiques ont aussi contribué à préparer la rencontre avec la slameuse
Boutchou (S6). L’ajout de ces documents authentiques à la séquence « A la

240
Voir en annexe XI la fiche laboratoire 1.
241
Pour les apprenants sinophones, nous avions repéré les oppositions [p]/[b] et [t]/[d] qui posent souvent
problème, la sonore n’existant pas en chinois ; pour les élèves hispanophones et anglophones, l’opposition
[y]/[u] peut être une source de difficultés, de même que l’opposition [s]/[S]. D’où dans le premier cas, un
entraînement à la répétition des vers « Venez chiper des chapelets d’histoires / dans nos chapeaux / sous une
chape de bambou », et dans le second : « Je vous en prie par ici il fait chaud / Sans dessus ni dessous / C’est le
souk plein de sens… » (Voir l’illustration vidéo de ce chapitre).
242
Métaphore filée : « Diamanka, diamant noir » (titre) sort un « bijou de slam » (chapeau). Homonymie : « ses
poèmes doux comme ces caresses que la « peau aime ». Paronymie : « les rapés du rap ». A-peu-près : « le tout
à l’ego de légion de poètes rapés » (voir la fiche é7).
538

rencontre du slam » témoigne de notre volonté de nous adapter aux attentes et aux
besoins de ce nouveau groupe d’apprenants243.

Enfin, nous avons proposé des exercices et textes en prolongement ou


approfondissement des séances de l’atelier, qu’il s’agisse d’activités phonétiques ou
lexicales. L’apport d’autres textes susceptibles d’étayer certains points abordés a
permis de tisser des liens culturels : notre ambition était de présenter une approche
du slam le valorisant dans sa singularité tout en le mettant en relation avec d’autres
textes poétiques, comme le texte de Queneau sur les homonymes (Abry, 2007 :
162). Dans un souci d’adaptation à un enjeu très différent et à une mise en œuvre
plus condensée dans le temps, la séquence a donc évolué dans le sens d’une
diversification des supports, comme en témoigne le tableau ci-dessous :
244
Type de support Titre (auteur) Localisation / titre
Slam vidéo Trait portraits : texte d’introduction, « Le souk de la Internet
parole » (129H) et « Soleil jaune » (SD/JB)
Clip « L’écho ainsi danse » (JB) idem
Clip « Les voyages en train » (GCM) idem
Slam audio « Avec eux » Enfant de la ville (2008)
« Marchand de cendres » (SD) L’Hiver Peul (2007)
Slam écrit « D chiffres et D lettres » (Rim) Slam entre les mots
(exclusivement) (Martinez, 2007)
« Rencontres » (GCM) Midi 20
Documents Emission de radio : GCM et Alain Rey au « Café Internet (voir en
péritextuels découvertes » (le08/11/2010 à 13:30) sitographie)
Flyers et affiches de scènes slam Fiche é3
Article de presse : « Diamanka, diamant noir » Fiche é7
Autres supports Exercice à partir du texte de Sacha Guitry La phonétique (Abry,
(exercices) 2007 : 99)
Exercice à partir du poème de Raymond Queneau Idem (Abry, 2007 : 162)
Fiche « Proverbes » A propos 1 (2003 : 126)
Tableau 8 : Supports utilisés lors de la séquence « A la rencontre du slam au CUEF »

A la demande de l’enseignante et dans la perspective d’une utilisation du manuel


en usage dans cette classe, nous avons introduit deux nouveaux slams de GCM :
« Les voyages en trains », dont le clip a servi de point de départ à des activités
diverses réalisées en laboratoire245 ; « Avec eux » qui figure dans Le Nouvel Edito
niveau B2 (2008 : 122) et dont nous avons analysé l’exploitation dans notre chapitre
11. Si l’on observe de plus près les caractéristiques de ce texte (CECR, 2001 :

243
Dans la mesure où ces étudiants préparaient le niveau B2, il nous fallait prendre en compte les objectifs
correspondants et précités du CECR, au titre lesquels figuraient la compréhension d’une émission de radio et
l’élaboration d’un questionnaire ou interview.
244
De même que pour le chapitre précédent, les supports sont classés par type de medium privilégié lors de
l’atelier (première présentation).
245
Voir la fiche laboratoire 3 en annexe XI.
539

126)246 et les difficultés qu’il est susceptible de poser à un apprenant de FLE, on note
que :
- Le type de texte indiqué fait référence à une chanson (on indique que « la
chanson est transcrite intégralement » et le métalangage correspondant –
« couplet » - est réinvesti) mais la typographie et la troncation ne permettent pas
de distinguer un éventuel refrain (« Avec eux j’ai moins de failles… ») ; en
revanche, la disposition adoptée met en exergue les rimes suivies par une forme
de rejet qui invite à associer les fins de vers et à repérer les échos sonores ;
- La complexité linguistique réside dans l’utilisation d’un registre familier ou
argotique, aux côtés de termes appartenant à un registre soutenu (« cruciale »,
« l’intégrité », « l’adversité »), et d’une syntaxe orale (élisions, utilisation du
« ça ») ; les temps verbaux sont essentiellement discursifs (présent/passé
composé) avec quelques imparfaits (concordance) ;
- La structure du discours se caractérise par une progression à thème constant
(Combettes, 1983), parfois soulignée par une structure anaphorique, avec
alternance du « je » et du « nous »/« on » reflétant la dialectique
singularité/solidarité ;
- Concernant la longueur du texte, le slam est réduit de moitié, si bien que la
transcription intégrée à l’unité (première partie du texte) occupe une colonne, soit
53 lignes ;
- L’intérêt qu’il présente est à la fois thématique (identification possible à l’auteur)
et lexical (« langue des jeunes »).

Quant au Tableau Blanc Interactif (TBI247), il nous a été précieux comme support
d’une approche multimédiale que nous avions entreprise lors des expérimentations
précédentes mais qui s’est révélée grandement facilitée par cet outil permettant
d’intégrer des hyperliens vers des vidéos ou fichiers audio.

13.2.2. Analyse des activités et des enjeux sous-jacents

Dans un souci de concision et afin d’éviter les redondances par rapport au


scénario pédagogique présenté dans notre précédent chapitre, nous présentons le
déroulement des séances de façon synthétique à travers le livret pédagogique 2 qui

246
Voir la reproduction de la page du manuel correspondante en annexe IX.
247
Une partie des supports utilisés et enregistrés sur le Tableau Blanc Interactif sont reproduits en annexe XI.
540

figure en annexe XI. Nous en explicitons ci-après les enjeux, depuis les objectifs
fonctionnels et communicationnels jusqu’à la portée artistique et culturelle, poétique
et expérientielle, d’une telle démarche. A la suite de Gisèle Pierra, nous pouvons
soulever, en l’appliquant à notre objet, « la question d’un accès esthétique à la parole
en langue nouvelle par la mise en œuvre (théâtrale) d’un travail du sujet amené à
créer, à se mettre en jeu et à se décentrer de ses habitus, par son corps devenant
actif et réactif dans l’autre langue, au contact des différences culturelles » (2006 :
115). En effet, il s’agissait essentiellement pour les apprenants de « réaliser avec le
plaisir de la découverte progressive du goût des mots, la mise en scène
problématique de sa propre parole en langue étrangère » (2006 : 140).

A la rencontre du slam et des slameurs : le slam comme poésie vivante (enjeux


culturels, fonctionnels et communicationnels)

En guise d’entrée en matière, nous avons demandé aux étudiants ce qu’évoquait


pour eux le mot « slam » afin de faire émerger leurs représentations a priori de cet
objet : une partie du groupe étant originaire des Etats-Unis, nous avions émis
l’hypothèse de connaissances préalables du slam en tant que mouvement. De fait,
les étudiants américains ont évoqué des discours « antipolitiques » et explicité le
sens du verbe to slam : « claquer la porte », mais aussi « plaquer au sol »248,
« marquer un panier » et « critiquer » (voir le TBI1, document 10). La valeur
onomatopéique a été citée, en lien avec la BD. Une étudiante tchèque l’a décrit
comme un « style de musique », tandis qu’un autre a parlé de « bataille de poèmes »
qu’il rapprochait des battles, en référence à la culture hip-hop :

Document 11 : TBI 1 (S1)

248
Acception que nous n’avions pas trouvée dans les dictionnaires consultés mais qui confirme l’usage fait de
ce terme sur les cartes de jeux représentant des catcheurs.
541

Document 12 : TBI 2
(S1)

Comme en témoigne la reproduction ci-dessus (document 12), des exercices


conçus sur TBI ont été réalisés collectivement afin de préparer la compréhension du
documentaire Traits portraits qui visait, sur un plan culturel, une découverte du slam
et des slameurs comme incarnation vivante et communicante de cet objet. Le script
du texte introductif sur l’histoire de l’écriture a fait l’objet d’une explicitation préalable
à la compréhension globale. L’énonciation (focalisation interne) pouvait poser
problème pour la compréhension, le discours étant formulé comme une énigme : à la
question « qui suis-je ? », un élève a répondu qu’il s’agissait de l’écriture, identifiant
par là-même une forme de prosopopée (voir supra le TBI2). Le champ lexical
correspondant aux supports d’écriture et aux adjectifs adéquats à ces techniques
(gravé, sculpté…) a été introduit par un exercice d’association des mots aux images
extraites du documentaire (TBI2bis, voir en annexe XI). Cette explicitation en amont
a facilité l’accès au contenu, de sorte que les élèves ont pu être attentifs à la forme,
au signifiant, en l’occurrence au phrasé du locuteur qui parlait « en rap » selon la
formule d’un étudiant. Afin d’expliciter ce qui pouvait contribuer à donner cette
impression en l’absence de musique rap, le rythme, les allitérations ont été
repérées ; la récurrence du groupe consonantique [kr] a été interprétée en référence
à l’écriture. Sur un plan lexical, cette activité a permis de construire ou de réactiver le
champ dérivationnel (écrit, écriture, écrivain) ainsi que les faux dérivés comme le
terme de sanskrit (TBI4). La première séquence du film s’arrêtant sur la formule
« J’écris donc je suis… libre », nous avons invité les étudiants à identifier le sous-
énoncé (l’un a cité Descartes) et à le détourner à leur tour, après avoir débattu de ce
postulat de l’écriture comme affirmation d’existence, voire comme libération, afin de
les amener à s’exprimer sur leur propre rapport à l’écriture. Ils ont cependant
542

manifesté des difficultés à improviser oralement à partir de cette structure : la


médiation de l’écrit et celle du groupe se sont révélées nécessaires dans cette
situation. Placés en groupes de 3, 4 ou 5, ils se sont livrés à l’exercice avec
beaucoup plus de facilité et d’entrain (voir les productions situation 1). La deuxième
séquence du film que nous avons sélectionnée était ciblée sur un texte du collectif
129H déclamé par ses auteurs : nous l’avons écouté puis commenté, les étudiants
l’ayant sous les yeux (fiche é1). Ont été repérés l’allitération en [S] et les jeux d’écho
sonore (paronomase), tandis que certains termes familiers comme « chiper » ou
empruntés (le souk249), ont fait l’objet d’explicitations qui nous ont amenés à une
esquisse de définition : « des mots qui fusent ». Tel était précisément l’enjeu de cette
séquence, visant à redéfinir le slam à rebours des représentations. Après un détour -
via la deuxième séquence du documentaire - par la question des pseudonymes (voir
infra), la dernière séquence a permis d’introduire le texte « Soleil jaune » comme
illustratif d’une poésie dialoguée et reflet d’un double je/jeu de paronymie sur les
prénoms des deux auteurs et d’échos sonores filés tout au long du slam, l’écriture à
deux mains – à deux voix – se traduisant par un jeu d’interprétation.

Outre cette première entrée en matière par le biais du documentaire, nous avons
invité les élèves à une rencontre virtuelle avec GCM, d’une part à travers un exercice
de compréhension orale à partir de l’émission de radio citée ; d’autre part via la
découverte de ses textes « Avec eux » - figurant dans le manuel -, « Rencontres »
(fiche é10) et « Les voyages en train » dont le clip vidéo a été étudié en laboratoire.
Notons que certains étudiants ont souhaité prolonger cette rencontre en poursuivant
leurs investigations sur la toile, comme en atteste le témoignage de Tianhao à la fin
de ce chapitre. Enfin, la rencontre réelle de Katia Bouchoueva/Boutchou a permis
d’incarner cette rencontre symbolique avec le slam et de finaliser le projet de l’atelier
puisqu’elle a occasionné une scène au cours de laquelle les étudiants ont slamé
leurs propres textes250. Ils lui ont d’abord soumis un certain nombre de questions,
préparées en amont et concourant à une interview collective, dont le tableau ci-après
résume les contenus :

249
Le texte est contextualisé – et conceptualisé – dans le cadre d’un projet de spectacle collectif intitulé « le
souk de la parole ». La notion de désordre est évoquée : les mots qui fusent dans tous les sens.
250
Voir l’illustration vidéo de ce chapitre.
543

Questions Réponses
Comment a-t-elle K. assisté à sa première scène au Café de Paris en 2006. Elle a été
rencontré le slam ? Quelle saisie par l’impression de liberté et la mixité qui caractérise une scène
a été sa première ouverte.
impression ?
Qu’est-ce qui est le plus Il y a une grande diversité au niveau des influences et des parcours des
important dans le slam ? slameurs : certains viennent du rap, de la chanson, du théâtre, de la
poésie, d’où des approches différentes. Les rappeurs vont accorder
beaucoup d’importance au rythme, ceux qui sont passés par la chanson
travaillent vraiment la musicalité de la langue alors que ceux qui
viennent du conte seront plus attentifs à la structure, à la construction du
texte par exemple. Les slam se définit vraiment comme un lieu de
rencontre, des gens et des genres à travers les gens.
Est-ce que le rythme est Non, chaque slameur a son flow, il n’y pas de rythme imposé si ce n’est
toujours rapide ? la durée. On peut varier le rythme au sein d’un même texte. Le flux de la
parole peut être déformé dans une intention précise.
Est-ce que le slam ne Non, il est vraiment indépendant par rapport à l’industrie du disque et il y
risque pas d’être a tout un état d’esprit, presqu’une philosophie du slam. Mais il n’y pas de
« absorbé » par le rap ? style uniforme comme dans le hip-hop où il y a des codes vestimentaires
par exemple. Au slam, on monte sur scène comme on est dans la vie,
on essaie d’être vrai, naturel, spontané.
Est-ce que les scènes Les scènes sont gratuites (il répond à l’idée de démocratiser la poésie)
slam sont toujours mais les concerts peuvent être payants. Cela dit, beaucoup de slameurs
gratuites ? Comment les sont dans une situation précaire. Les scènes sont ouvertes, ce qui
slameurs gagnent-ils leur permet aux gens d’entrer et de sortir si bien que l’écoute peut être
vie ? précaire aussi !
Est-ce que Katia est son Non, son nom de scène est Boutchou. [Le mot est écrit au tableau : un
nom de scène ? étudiant pense au chou mais l’expression « bout de chou » n’est pas
connue. L’assimilation [de] → [t] devant [S] est soulignée, ainsi que la
valeur affective de cette expression, souvent utilisée pour les enfants]
Ce n’est pas seulement parce qu’elle est petite de taille mais aussi par
homonymie partielle avec son nom de famille.
Tableau 9 : Interview collective de Katia/Boutchou lors de la séance 6

Après avoir répondu à cette interview, Katia a déclamé un slam de son répertoire
(« Moyens de transport »), puis donné des clés de lecture en explicitant certaines
images251. La scène étant ouverte, les étudiants ont alors oralisé leurs propres
textes. La plupart sont restés assis et ont préféré dire leurs slams à plusieurs voix.
Un étudiant chinois a récité un poème traditionnel qu’il a lui-même traduit, en français
puis dans le texte. Il a expliqué que la poésie du 8ème siècle était plus rythmée que la
poésie contemporaine, si bien qu’il y voyait une analogie avec le slam252. Deux
autres étudiants ont tenté un jeu d’interprétation assorti de mouvements de têtes, à
la manière de SD et JB pour « Soleil jaune » dans Traits portraits. L’invitée s’est
montrée admirative des textes produits, elle a conclu par un nouveau texte. Le slam
étant aussi l’art de la chute, elle a expliqué que la fin de son poème donne des clés :

251
Le train qui tourne autour de l’ours en peluche illustre un voyage dans l’espace et dans le temps, historique
et géographique. Voir le texte déclamé à la fin de la séquence vidéo.
252
Voir infra notre entretien avec cet étudiant (étude de cas), transcrit en annexe XI.
544

c’est comme si on arrivait au bout d’un chemin obscur et qu’on se retournait avec cet
éclairage rétrospectif sur ce qui pouvait paraît opaque au commencement ».

A la rencontre des mots et des « caravanes de mots » : le slam comme


métissage (enjeux lexicaux, lexiculturels et métalexicaux)

C’est d’abord à travers un corpus du blases et noms de collectifs que nous avons
confronté les apprenants à des mots inventés, avant de les mettre en situation d’en
créer eux-mêmes, ce qui impliquait un réinvestissement de capacités métalexicales.
A partir du corpus rassemblé sur la fiche é1 (annexe XI), les étudiants ont repéré et
explicité les procédés lexicogéniques correspondants. Des dictionnaires ont été mis
à leur disposition pour des lexèmes comme « saltimbanques », des expressions
comme (se faire un) « sang d’encre » et autres collocations (« réfugiés
poétiques »253). « Mots paumés » faisant appel à un terme familier et à une
métaphore254, un étudiant a expliqué que « un paumé, c’est quelqu’un qui vit en
marge de la société. » Le sens de « perdu » a été énoncé, pour signifier que « les
mots vont dans tous les sens » comme dans le « souk de la parole ». Les étudiants
se sont alors mis en quête de leur propre pseudo255 (voir les productions situation 2).
Certains en avaient déjà un en anglais, qu’ils ont essayé de traduire en français
(Esther devenant par exemple « Etoile de l’Est »). D’autres ont cherché des
anagrammes, paronymes (« Calebasse »), ont eu recours à la siglaison (TSPB) ou
encore à la métaphore (« Rivière Froide »). Notons que l’exigence d’explicitation de
leur choix impliquait la mobilisation du métalangage adéquat. Ces pseudonymes
seraient ensuite réinvestis sur le blog (voir infra), favorisant l’accès à l’écriture de soi
par le détour paradoxal d’une identité fictive : « il (l’apprenant) pourra dire « je »
également dans la langue qui devient peu à peu la sienne » (Pierra, 2006 : 110, nous
soulignons256).

253
Les étudiants expliquent que la poésie peut être un refuge, un abri, « comme un parapluie ».
254
Dérivé verbal de paume, ce verbe signifie d’abord, d’après Alain Rey (2007 : 2618), « toucher de la main le
livre saint en guise de jurement », puis « frapper, donner ou recevoir un coup » ; il a développé en argot le sens
de « prendre, arrêter sur le fait », puis celui de « perdre (une chose) », déjà attesté chez Villon en 1489. Si l’on
resémantise ce mot, on observe l’analogie avec l’image de Rouda : « On marche les mots dans la main » (2007).
255
Nous avons préféré l’usage de ce terme apocopé, dans ce contexte, à celui précédemment introduit de
blase, car le premier, outre le procédé de troncation qu’il permettait d’aborder, nous semblait plus générique
et en tant que tel, susceptible d’être réinvesti dans d’autres contextes, par exemple sur la toile.
256
Nous serions tentée de nuancer ce propos en supprimant ici l’article (qui devient la sienne), afin d’insister
sur l’idée de répertoire plurilingue.
545

Des noms de collectifs aux flyers (voir la fiche é3), nous avons étendu ce travail
sur la créativité lexicale aux « caravanes de mots » et autres détournements
mobilisant des contenus pragmatiques lexiculturels. Aussi avons-nous ouvert, à la
suite de Galisson (1995), la porte didactique des palimpsestes qui « mobilisent des
images de comportements sociaux inscrits dans la mémoire patrimoniale, qui
permettent à l’étranger d’accéder, par fragments, à la culture de l’Autre, après avoir
compris le sens et l’origine de ces mystérieuses caravanes de mots » (1999 : 49).
Les flyers choisis étaient porteurs d’une structure palimpsestuelle dont le sous-
énoncé devait être identifié par les apprenants. Dans la lignée de l’exercice de
détournement du Cogito, ergo sum, l’énoncé « Je slame,
donc je suis » a été facilement interprété, de même que la
plupart des expressions et aphorismes sous-jacents. Cette
activité a constitué une préparation à une production écrite
ultérieure, ce procédé étant à l’œuvre non seulement dans
les flyers et autres discours ordinaires257 (Cavalla et al.,
2009 : 217), mais au cœur même de certains slams étudiés
comme « Marchand de cendre ».
Document 13 : Flyer « Je slam donc je suis »

A partir d’un corpus de palimpsestes issus des cultures urbaines (rap, graffiti), les
étudiants ont donc été mis en situation de décrypter ces énoncés, ce qui présente un
intérêt culturel : titres ou citations de pièces de théâtre (Marivaux258), proverbes,
chansons patrimoniales ont été rappelées ou introduites à cette occasion. La formule
de Grand Corps Malade « J’écris au clair de ma plume » a permis d’aborder – et
partant, d’écouter – une chanson traditionnelle du patrimoine que les étudiants ne
connaissaient pas. Ils ont eu recours au dictionnaire pour certaines expressions
figées, comme « donner sa langue au chat (tchat) » ou encore « avoir un chat
(chagrin) dans la gorge ». D’autres expressions impliquant la référence à des
animaux domestiques ont été énoncées et élucidées (« écrire comme un chien »,

257
Ce procédé est commun dans la publicité comme en atteste cet exemple : « Je chine, donc je suis »
(campagne actuelle de publicité pour le site « le bon coin.fr »).
258
Avec « On ne radine pas avec l’amour », la graffeuse Miss.Tic fait référence à la pièce de Marivaux, mais a pu
aussi être mis en relation, d’après un élève qui a cité avare comme synonyme de radin, à la pièce de Molière.
En effet, ce verbe nous semble ici porteur d’un double sens ou équivoque : il peut être interprété au sens
familier du verbe radiner pour « revenir » ou « rappliquer » (de l’adjectif ancien et dialectal rade, issu par voie
populaire du latin rapidus qui a donné rapide par voie d’emprunt, d’après Alain Rey, 2007 : 3063) ou encore
comme dérivé néologique de radin pour « avare ».
546

« un temps de chien ») et les apprenants se sont alors mis en quête d’équivalents


dans leurs langues maternelles : si en français, on parle volontiers de « pattes de
mouche », les américains utilisent l’expression chicken scratch (« comme un
poulet »), et les chinois écrivent « comme le chien marche » ! Entre autres
proverbes, « Qui aime mes poèmes me suive » a occasionné un développement sur
l’emploi du subjonctif. La formule titulaire « Marchand de cendres » a été décryptée
comme délexicalisation de « Marchand de sable » (sandman en anglais) dont la
légende a été contée.
Outre ces aspects relevant de la lexiculture259, nous avons pu aborder la
question des variations diastratiques à travers le texte de GCM dont nous avons
approfondi l’exploitation présentée dans Le Nouvel Edito260. Afin de compléter
l’approche développée dans ce manuel – qui nous a semblé réductrice et peu en
phase avec les potentialités inhérentes au slam –, nous avons poursuivi en classe un
travail visant à familiariser les élèves avec les différences de registre, tout en les
amenant à saisir les nuances afin d’éviter le risque du caméléon ou du singe savant
(Gadet, 2008). Certains lexèmes familiers ont été recherchés dans le dictionnaire :
s’agissant d’un dictionnaire récent (Robert de poche édition 2011), la plupart de ces
termes y sont attestés. Nous aurions pu proposer, en guise de prolongement pour
cette séance, un travail sur le Lexik des cités (2007) dont les articles nous sont
apparus particulièrement didactiques dans la mesure où leur conception intègre un
encart étymologique (« Etymo d’où ? ») ainsi qu’une illustration à travers deux
vignettes de BD permettant de contextualiser le lexème concerné261. Le recours au
dictionnaire a facilité la transition avec l’activité sur les registres de langue, le tableau
(TBI5, document 13) étant conçu comme un récapitulatif en vue d’une fixation du
lexique. Les étudiants devant rechercher les correspondances dans les trois
registres, l’attention a été attirée sur les abréviations trouvées dans le dictionnaire :
litt. (pour « littéraire »), fam. (« familier »). Certains mots ont donné lieu à des
développements métalexicaux intéressants : pour « le débat est clos », un élève a
suggéré « laisse béton », formule découverte dans la chanson de Renaud ; pour

259
Celle-là peut être définie comme « la culture mobilisée et actualisée dans et par les mots de tous les
discours » (Galisson, 1995 : 6).
260
Voir notre analyse de cette exploitation dans notre chapitre 11.
261
Le lexème barre (2007 : 48) y figure, décrivant « une pièce de bois longue et rigide », et de là « une crispation
douloureuse à l’estomac », d’où le sens de « prendre un fou rire » pour « se taper des barres », formule utilisée
par GCM. De même, certains termes relevant du technolecte du slam ou du rap comme blase* (2007 : 67) et
flow* (2007 : 153) sont intégrés à ce lexique (voir notre glossaire).
547

« galères », des étudiants ont évoqué


la prison et le bateau, d’où une mise
en relation avec l’emploi imagé et
familier du verbe ramer pour « avoir
des difficultés ».

Document 14 : TBI 5 (S4)

Le slam comme lieu d’expériences ludiques et colludiques : jeux d’oralité et


d’écriture (enjeux poético-phonétiques et phonologiques)

Les activités orales ont été privilégiées dans cette séquence, réaménagée au vu
des besoins spécifiques à ce groupe d’apprenants. Selon Gisèle Pierra, reprenant
l’idée de Jean-Marie Prieur dans sa Linguistique Barbare (2005), les langues
s’apparentent à des vêtements « que l’on porte sur soi » et leur appropriation
s’effectue nécessairement « sur la base de leur matérialité phonétique ou vocale »
(2007 : 106). Dans le cadre d’un cours de FLE, il nous appartenait donc de créer les
conditions favorables à cette appropriation, en confrontant les apprenants à cette
matérialité, première dans le slam, qui conduit des mots aux émotions, des textes
aux œuvres. De fait : « Les mots sont les vêtements de l’émotion » (SD, 2007).
Certaines de ces activités orales ont été réalisées en laboratoire (voir les fiches
en annexe XI), d’autres ont été initiées en classe et poursuivies en laboratoire,
individuellement. Enfin, des situations ludiques et collectives ont été proposées en
classe telles que :
- Un jeu articulatoire portant sur la prononciation des groupes consonantiques
complexes (voir supra) ;
- Un jeu phonologique (« la bombe de rimes »262) ;
- Un jeu portant sur l’intensité (« le porte-voix », réalisé en duo et appliqué au slam
« Soleil Jaune », voir infra) ;
- Un jeu sur la lecture oralisée263/fluence et le rythme/flow264 (« Avec eux »).

262
Jeu qui peut présenter un double intérêt, à la fois phonologique et de structuration ou d’enrichissement
lexical, dès lors qu’il met en jeu des procédés comme la suffixation (voir la fiche en annexe IX).
548

Les étudiants se sont aussi livrés à des jeux d’écriture tels que la production
d’acrostiches à partir du mot slam, la portée de cette activité étant très différente de
la situation proposée aux lycéens : alors qu’il s’agissait d’un exercice mis en place
dès la première séance aux élèves de LP, nous avons soumis aux étudiants du
CUEF, en guise de situation d’écriture finale, le projet de construire un acrostiche à
partir des lettres de ce mot afin de rendre compte, à travers ce texte, de leur
rencontre avec le slam265. Les productions obtenues (voir infra) témoignent d’une
créativité lexico-poétique « allumée » (selon le mot d’une étudiante) par le projet et
qui s’est déployée du simple groupe nominal prépositionnel (« Stupéfiant Légal Avec
des Mots ») à la phrase infinitive (« Se Livrer Au Monde ») ou syntagme nominal
développé par une relative (« Source Linguistique qui Allume les Mots »), au poème
élaboré en tant que tel, dont les mots se tissent et réinvestissent les procédés
abordés : « Sa muse s’amuse » propose un étudiant (voir infra). Si certaines
productions contournent la contrainte en insérant des lettres (« les Scientifiques de la
Langue Amélioré(e) par les éMotions »), d’autres attestent d’une appropriation de
caractéristiques essentielles : « Allez-y, se joindre à nous / Monter en ligne ! »
conclut un élève266. N’est-ce pas là une invitation explicite au colludique ?

Le slam comme lieu de rencontre entre oral et écrit (enjeux méta- et


sociolinguistiques), écriture ordinaire et littéraire (enjeu littéraire et lexiculturel)

Nous avons pu définir le slam comme se construisant à la confluence de l’oral et


de l’écrit et avons donc choisi des supports et situations d’écriture révélatrices de
cette dimension : le clip « L’écho ainsi danse » (JB) et le texte de Rim ont été
réinvestis à cet effet. Le premier a permis d’introduire l’homophonie, de la montrer en
acte à travers les jeux de lettres, et de redéfinir le slam comme poésie collective et
publique pour ne pas dire urbaine : « Banzaï poète disparu/pour être dix par rue ».
Le second a donné lieu à des développements orthographiques (sur les homonymes
a/à) et phonologiques (sur les liaisons : « au cas où ») - la matrice paronymique étant
repérée (casio, casa, (au) cas où, caser, quasi) - ou relevant de la compétence

263
Le caractère ludique est ici lié à la situation de « play back » par rapport au slam enregistré, dont
l’enregistrement était parfois coupé pour entendre les apprenants.
264
Voir notre glossaire pour ce concept de flow et ses applications didactiques en termes de fluence et fluidité
verbale.
265
Cet acrostiche étant destiné à figurer sur la quatrième de couverture du livret. (voir en annexe XI)
266
Si la formulation est maladroite du fait de l’utilisation d’un infinitif là où on attendrait un impératif,
l’injonction comme invitation au colludique nous semble très pertinente dans ce contexte.
549

sociolinguistique au sens défini par le CECR (2001 : 94). En effet, des mots
appartenant au registre familier ont été explicités : « se caser » a pu être interprété
en relation avec l’espagnol (de casarse, « se marier »267), tandis que le sens du
proverbe « Quand on aime, on n’ compte pas » a été débattu selon la sa construction
syntaxique268. Au-delà de ces développements métalinguistiques, les étudiants ont
été amenés à rédiger un message en « écriture texto », exercice fonctionnel visant à
les familiariser avec un type d’écriture « ordinaire » potentiellement poétique. Cet
exercice a d’ailleurs soulevé des problèmes d’ordre phonologique, « nous » étant par
exemple graphié « nu » par une élève hispanophone (voir la fiche é4 en annexe).

Slalomant entre oral et écrit, clip vidéo et écriture texto, notre approche visait
aussi à valoriser diverses formes d’écriture « ordinaire » comme lieux potentiels de
créativité. Nous l’avons prolongée, via l’ouvrage de Dominique Abry sur La
Phonétique (2007), par deux exercices visant à tisser des liens avec d’autres
manifestations de ce type de jeux sur le signifiant : d’une part, le poème de Queneau
fondé sur l’homophonie « Texticules » (1981) ; d’autre part, le court texte de Sacha
Guitry que l’on peut lire comme précurseur de l’écriture texto, « Economie
d’NRJ »269 :
« Monsieur, je suis très OQP
Et maintenant j’en ÉAC
Vous m’ennuyez, vous m’NRV
Vous m’assommez, vous m’emBT »

En outre, le travail sur les proverbes et expressions figées a permis de faire le


lien entre écritures ordinaires et écritures littéraires. Zone de confluence, les
palimpsestes se sont avérés de précieux tremplins pour la créativité, ces échantillons
de phraséologie pouvant être poétisés et filés dans les textes créés. Suite à l’analyse
du slam « Marchand de cendre » - dont le seul titre permet l’émergence d’un horizon
d’écoute encourageant la créativité -, la consigne suivante a été formulée : « Avec
l’aide de la rubrique « proverbes et expressions » du dictionnaire et la possibilité

267
Remarque très pertinente puisque si le verbe français (se) caser est issu de case, l’espagnol casarse (« se
marier ») vient de casa pour « maison », les deux se rejoignant par leur origine latine, de casa, « chaumière ».
D’où case (vers 1298, emprunté au latin casa, mot populaire d’origine inconnue), puis caser (1562), au sens de
« loger », se caser pour « s’établir » (1798) et aussi « trouver à se marier ». D’après Alain Rey (2007 : 641).
268
Que peut-on compter en amour ? Que signifient compter pour quelqu’un et compter sur quelqu’un ? La
marque Casio a été interprétée comme référence métonymique à une montre ou une calculatrice, de même
que les « tables de multiplications » qui ont été glosées par « les règles de base ».
269
Sacha Guitry, Ô mon bel inconnu (comédie musicale, 1933) dans « Théâtre complet » (tome 7), Club de
l’honnête homme, 1974. L’exercice issu de l’ouvrage de Dominique Abry implique de « Réécrire en alphabet
normal ce poème ». (2007 : 99)
550

d’écrire en duo, choisir un proverbe ou une expression avec laquelle on a envie de


jouer en la détournant par substitution ; ce détournement sera le titre, à partir duquel
le texte pourra se déployer »270. En s’appuyant sur les chaînes paronymiques
élaborées en situation de jeu (« la bombe de rimes » puis « de paronymes »), il a été
conseillé de choisir cinq mots à partir du terme substitué et d’écrire un texte à partir
de cette trame lexicale271 : c’est donc une écriture à la fois paronomastique et
palimpsestuelle qui a été initiée. Or cette consigne s’est révélée porteuse de
créativité comme en attestent les productions issues de cette séance (voir infra).

L’atelier voix ou quand le slam rencontre le théâtre (enjeu phonétique et


expérientiel)

Les jeux d’oralité – que nous avons qualifiés de mise en bouche272, s’agissant
essentiellement de goûter au plaisir des mots dits –, ont contribué à délier les
langues, à stimuler la créativité en vue d’activité de production, à dynamiser le
groupe d’apprenants, mais il semble cependant que ces derniers aient éprouvé des
difficultés à réinvestir les aspects travaillés lors de situations ludiques pour
l’interprétation de leurs propres textes. Nous avons donc proposé des activités
d’interprétation, que nous pouvons qualifier de mise en voix, d’abord appliqués à des
textes autres, tout en essayant d’en varier les modalités (collective, en duo…).
L’enjeu en était, pour les apprenants de FLE, de « se relier à la matière étrange de
l’écriture apparemment lointaine d’une œuvre, se l’approprier en la sonorisant, la
prosodiant, la gestualisant » (Pierra, 2006 : 139). Dans cette perspective et dès la
deuxième séance, en guise d’échauffement et de mise en condition collective273, le
texte du collectif 129H « Le souk de la parole » a été réinvesti comme support d’une
oralisation visant à « faire claquer les mots », en référence au sens original du verbe.
Les vers de ce slams ont été dits alternativement en voix chuchotée, normale, et
projetée, selon un geste codifié par l’enseignante. La classe a été ensuite répartie en
trois groupes qui se sont succédés pour déclamer le texte, vers après vers, en
alternant et en variant l’intensité, selon le même codage. L’attention des apprenants

270
Nous utilisons ici le terme de consigne au sens de « formulation d’une tâche d’écriture » (Garcia-Debanc,
1996 : 74), d’où l’emploi des guillemets.
271
Par exemple : Marchand de cendres (décembre, défendre, descendre, des ombres, des chambres) ; On ne
radine pas avec l’amour (radin, radis, radeau, badauds, radoter).
272
Voir notre précédent chapitre (schéma page 513).
273
Ces activités visent à préparer l’oralisation par les étudiants de leurs propres textes, qui est apparue comme
une réelle difficulté lors de la première séance. Voir la vidéo illustrative de ce chapitre.
551

était attirée sur l’intonation et plus généralement, sur la recherche d’expressivité


intrinsèque au slam : « Pas de CHUT ni de OH ! ». Dans un deuxième temps, les
étudiants ont repris « Soleil jaune », poème qui se prête à une interprétation en duo.
Nous en avons préparé la lecture oralisée par un repérage préalable de l’opposition
entre [e] et [E]274 (voir TBI 4 en annexe) : les apprenants devaient repérer ces
oppositions en amont, selon un codage établi au tableau, puis le texte affiché au TBI
a été dévoilé progressivement. Ce repérage s’est avéré difficile, à la différence des
liaisons qui ont été aisément anticipées suite à un travail précis sur ce point.
L’opposition et/est a été révisée à cette occasion, alors qu’un enjeu de correction
phonétique était ciblé, comme précédemment, sur les sonores b/d pour les
sinophones : « Et la pente est raide / Autant d’heures que d’air/ Autant d’or qui dort /
Que de livre à dire… » . Les étudiants se sont entraînés à oraliser ce texte en duo,
puis livrés au jeu du porte-voix, en réponse à une difficulté à mettre en œuvre la voix
projetée. Pour ce jeu, le dispositif proposé était le suivant : debout et se faisant face,
les apprenants étaient placés deux par deux. A chaque vers déclamé, ils reculaient
chacun d’un pas : l’éloignement progressif induisant une intensité croissante. Comme
l’illustre la vidéo correspondant à ce chapitre, l’exercice en situation de
« déambulation »275 s’est révélé efficace, les inhibitions étant levées par l’exécution
simultanée du mouvement. Le rythme de la déclamation a pu être travaillé de façon
coordonnée aux pas exécutés : les apprenants ont pu ainsi éprouver « le mouvement
de se mettre en harmonie avec la langue par l’évènement de la parole, en faire la
rencontre à travers l’œuvre par son rythme même » (Pierra, 2006 : 126).

Enfin, le texte de Grand Corps Malade « Avec eux » a fait l’objet d’un
entraînement à la lecture oralisée, les étudiants s’efforçant de suivre le flow du
slameur pour améliorer leur fluence. Après avoir déclamé le slam en play-back, la
musique étant coupée régulièrement pour les entendre, ils se sont ensuite entraînés
en duo, en jouant sur le tempo (lent/rapide). Même s’il semblait difficile au premier
abord de suivre une cadence soutenue, cet exercice s’est révélé très utile car il
permettait d’éprouver « la socialisation maximale du rythme » (Meschonnic, 1982 :
650). Au travers de ces activités, le rythme apparaît donc, paradoxalement, comme
lieu de socialisation et de subjectivation, permettant la rencontre, l’appropriation de

274
Notons que l’opposition entre [i] et [e] peut poser problème à l’apprenant arabophone.
275
Pour Beck (200 : 154), cette phase permet « la synchronisation avec les contraintes idiosyncratiques du
corps des repères respiratoires, rythmiques et expressifs ».
552

l’œuvre par le sujet : « Ainsi traversé par l’œuvre en tant que rythme qu’il reprend
pour en faire la rencontre. » (Pierra, 2006 : 128).

Corrélativement à la mise en voix, la nécessité s’imposait de travailler la mise en


corps, afin que l’apprenant puisse, esthétiquement, reprendre langage par le corps et
corps par le langage, via « l’expérience physique du contact avec ces langues-corps
de l’écriture. » (Pierra, 2006 : 113). D’où l’idée de coupler la dernière séance avec
une activité mettant en jeu la voix et le corps, animée par Aliette Lauginie,
enseignante du CUEF et responsable d’un atelier théâtre. Suite à la scène à laquelle
elle avait assisté, cette dernière a apporté sa contribution à notre atelier slam, se
proposant d’amener les étudiants à :
 percevoir le rôle de l'intonation dans la CO/EO et son impact potentiel
(expressivité) sur les différentes façons de prononcer la même phrase ;
 jouer avec la voix pour prendre plaisir dans la langue étrangère à "jongler" avec les
mots, à les faire rebondir ; délier les langues en jouant avec les sons ;
 jouer avec les vers de GCM pour mieux s’approprier le texte ;
 être à l'écoute de l'autre et des autres, s’essayer au « dire ensemble », « en chœur ».
Sur les quatre premières mesures du slam « Les Voyages en train » (GCM, 2006),
ont été mis en œuvre des exercices axés sur la mise en voix et sur la
déconstruction/reconstruction du rythme, à travers une oralisation collective tendant
à la théâtralisation. La recherche d’expressivité s’est traduite par la quête d’une
adéquation entre signifiant et signifié276. Ainsi les apprenants ont-ils fait l’expérience
d’une rencontre sensible qui a pu contribuer à les articuler à cette langue étrangère :
« C’est l’écriture qui nous prend et s’articule dans nos bouches » (SD, 2007β)

En éprouvant la corporéité théâtrale277, les apprenants sont passés « de la prosodie


apprise à la prosodie vécue » (Beck, 2000 : 251). En révélant un rapport vivant au
langage poétique, l’expérience du slam, d’une poésie qui se fait communicante, a
ouvert une voie/ voix émotionnelle et permis ainsi l’accès aux œuvres faites de mots
en mouvements, au-delà des seuls textes :
« c’est par le poème en tant qu’acte de langage (à entendre ici en tant que l’acte de
parler) effectuerait une transition de la langue au discours qui s’opérerait dans un temps
où l’on se met en prise avec la langue » (Pierra, 2006 : 127, nous soulignons).

276
A titre d’exemple, des vers ont été déclamés en mimant le rythme régulier du train, selon une interprétation
mimétique, alors que d’autres mots, plus percutants, furent réitérées et clamées : « POURQUOI ! »
277
Beck (2000 : 251) la définit comme l’ensemble des composantes de la sémiotique corporelle engagée dans
l’interaction verbale. Elle comprend la scénographie de soi (style vestimentaire, port du regard…), la sémiotique
gestuelle et posturale, la communication mimique, les effets de vocalité, etc. » (251)
553

13.2.3. La double finalisation du projet

D’une part, la scène animée par Boutchou au sein de la classe a constitué une
première finalisation du projet278 : la slameuse s’est positionnée non seulement en
tant que poète, mais aussi en tant qu’animatrice, initiatrice et dispensatrice de la
parole279. De fait, les étudiants ont pu oraliser leurs propres slams, qu’ils aient été le
fruit des séances d’atelier ou griffonnés au cours de la rencontre. Nous avons en
outre autorisé les poèmes slamés dans les langues d’origine et pu ainsi goûter à la
poésie chinoise. D’autre part, le blog « Slam au CUEF » a été inauguré lors de la
dernière séance, afin de prolonger la rencontre :
« Bonjour à tous, Slamaleikoum ! Voici le blog qui fait suite à l'atelier slam auquel vous
avez participé pendant ce mois de février 2011. Vous pouvez déposer ici vos textes pour
les partager et les garder en mémoire. Vous pouvez également poser vos questions à
Camille et à Boutchou pour prolonger l'échange. Vous trouverez aussi sur ce blog, des
liens vers des sites intéressants sur le slam français, américain et espagnol. Vous
retrouverez enfin les liens vers les clips que nous avons découverts en classe. Bonne
continuation à tous, et bon slam ! »280
La création de ce blog répondait à un double enjeu : celui d’une mutualisation des
ressources disponibles sur le slam, à l’issue d’une séquence dont la brièveté ne
permettait pas l’exploitation de toutes les pistes évoquées (voir le document 14) ;
celui d’une diffusion des textes créés par les apprenants, soit d’une socialisation
inhérente à la pédagogie de projet (document 15). Nous aurions souhaité pouvoir
intégrer à ce blog des
enregistrements audio et
vidéo, mais nous sommes
heurtées aux réticences de
certains étudiants, quant à
une diffusion sur la toile.

Document 15 :
Blog « Slam au CUEF »
(fonction de mutualisation des
ressources en ligne)

278
Les étudiants avaient la possibilité de participer à la scène ouverte publique dont nous avions analysé le flyer
mais aucun ne s’y est rendu, ce que l’on peut imputer au fait que le lieu soit extérieur à l’Université et qu’il ne
s’agisse pas d’une sortie obligatoire, organisée en tant que telle.
279
Voir notre glossaire, entrée « animateur ».
280
Message publié le 25/02/11, jour de l’inauguration du blog.
554

Document 16 :
Blog « Slam au CUEF »
(fonction de socialisation des
productions)

13.3. Analyses : productions d’élèves, bilans et entretien avec Tianhao

13.3.1. Productions

Situation 1 : « Ecrire à partir d’une structure tremplin » (S1)

La première situation d’écriture consistait en la reprise d’une amorce induite par


le générique du documentaire cité : « J’écris, donc… ». Cette production était
initialement prévue selon une modalité orale proche de l’improvisation, mais l’activité
s’est avérée trop difficile à ce stade. Aussi l’avons-nous réorientée vers une
production écrite, potentiellement limitée à une ou deux phrases, en laissant les
étudiants choisir la forme sociale de ce travail. Comme en témoignent les deux
productions reproduites ci-après, certains ont fait le choix d’une écriture en groupe.
De fait, la production de droite a été composée par 5 étudiants, d’où un
développement sur 10 vers à partir de la proposition initiale du film. Notons une
progression linéaire basée sur des rapports syntaxiques (forme active→ passive),
sémantiques (ris → heureux) et étymologiques (souris → ris) ou phonologiques (aime
→ slam). Les deux productions individuelles présentées à gauche (document 17)
traduisent une difficulté à dépasser une proposition initiale pourtant riche (« je suis
singulière », « je crée »), tant lexicalement que sur le plan des représentations. On
voit donc que le groupe provoque, pour cette première activité de production écrite,
une dynamique intéressante.
555

Document 17 : Production individuelle (S1)281 Document 18 : Production en groupe (S1)

Situation 2 : « Inventer un pseudonyme » (S1)

Cette deuxième situation invitait les étudiants à se mettre en quête de leur


pseudonyme ou nom de slameur, et ce, en réinvestissant des procédés évoqués
dans le documentaire ou la fiche (é1). Les pseudonymes créés procédent de
siglaison (5) ou de remotivation d’initiales (7, 11), d’homonymie (4, 6), de paronymie
(2) ou de jeu sur les lettres du prénom (1), de traduction doublée d’une autre figure
comme la métaphore (8, 9, 10) ou encore du détournement d’une collocation (6, 3).
Des combinaisons multimatricielles, jouant sur la combinaison de matrices externe et
interne, ont été mises en œuvre (4, 5, 8, 10). On note cependant un décalage d’ordre
pragmatique et/ou syntaxique dans certains cas : si « Joue avec la lune » et « Etoile
de l’Est » ont une résonance poétique proche du « nom de sioux », « Tout se passe
bien » et « Ici » posent un problème de cohérence par rapport à la consigne qui
impliquait la recherche d’un surnom potentiellement substituable au prénom. Quant à
« Supérieur l’Homme Arrogant Masculin », il répond en fait à un autre exercice qui
est celui d’une resémantisation du mot slam sur la base d’un sigle : exercice proposé
ultérieurement que l’élève a ici réinvesti en vue de la publication de son texte sur le
blog. Au vu d’une difficulté liée à la place des adjectifs, des schémas de matrices
possibles auraient pu être élaborés pour guider ce travail. Le tableau suivant rend
compte d’une diversité de procédés de création mobilisés pour cet exercice :

281
Ces deux apprenants ont tenté d’écrire « en duo » et ont donc partagé un même support mais leur écriture
ne traduit pas de réel dialogue sur la page. En outre, notons le jeu sur l’homonymie « j’écrie/j’écris » qui
montre un détournement créatif de l’amorce initiale, même si ce choix pose un problème syntaxique.
556

Prénom Pseudonyme choisi Procédé


1. Alejandra Adrénaline Quasi-anagramme
2. Caleb Heikes Calebasse Paronymie
3. Elisabeth La Reine Marguerite Substitution (« La Reine Elisabeth »)
4. Isabelle Ici Diminutif en allemand + homonymie
5. Liu Tchang TSPB pour « Tout se Traduction du patronyme chinois +
passe bien » siglaison
6. Mark Marque déposée Homonymie + collocation
7. Paolo Supérieur l’Homme Remotivation SLAM
Arrogant Masculin
8. Pietra Roche pétillante Traduction (Pierre) +
synonymie/paronymie
9. Sun Kyoung Etoile de l’Est Esther (prénom anglais)
10. Wang Xue Yao Joue avec la lune Dérivé métaphorique de la traduction
du patronyme
11. Yoon Hyung Jun Youpi Habile Joueur Resémantisation des initiales
Tableau 10 : Pseudonymes créés par les étudiants (S1)282

Situation 3 : « Ecrire à partir d’un proverbe ou expression détourné(e) » (S5)

La troisième situation se résume à l’écriture d’un texte à partir d’un proverbe ou


d’une expression détournée, dont le choix pouvait être inspiré du dictionnaire. En ce
qui concerne l’étudiante dont la production figure à gauche (document 19), notons
qu’elle a préféré écrire seule, en partant de l’expression « Jamais deux sans trois ».
On voit là qu’elle a cherché à jouer sur le signifiant (rimes brisées) et sur le signifié
(« Jamais pieux sans croix ») en tissant des liens sémantiques ou étymologiques
(« Jamais soyeux sans soie »). Cela l’a conduite à enrichir et à structurer son lexique
par la constitution de réseaux.

Document 19 : Production individuelle (S4) Document 20 : Production en duo (S4)

282
Les élèves dont les pseudonymes ne figurent pas étaient absents ou ne souhaitaient pas les communiquer,
les jugeant non aboutis.
557

La production en duo reproduite à droite (document 20) montre la mise en œuvre de


procédés similaires, la reprise d’une structure anaphorique (6 premiers vers)
permettant à la créativité lexicale d’émerger avec un jeu intéressant consistant dans
le passage de l’adjectif gris au verbe pronominal se griser. Enfin, pour la dernière
production ici retenue (ci-contre,
document 21), l’élève s’est inspirée des
expressions autour de la tête (« dans les
étoiles »/ « sur les épaules ») en jouant
sur l’antithèse pour construire son texte,
la « tête dans les étoiles » devenant par
substitution paronymique « la fête dans
les étoiles ». S’agissant d’un premier jet,
on observe le souci (en marge) de se
soumettre à des règles intrinsèques à
certains types d’écrits, comme celle
d’utiliser des mots de liaison pour baliser
une argumentation ou un récit linéaire.
Document 21 : Production individuelle (S4)

Situation 4 : « Ecrire un acrostiche à partir des lettres du mot SLAM » (S7)

Sa muse s’amuse parmi les étoiles

L’inspiration se tombe* (s’éparpille) sur les toits des


cathédrales

Avec la mélodie d’harpe (de la harpe)

Murmure des fées

Document 22 : Acrostiche à partir du mot SLAM


(production individuelle, S7)

Cette production individuelle résultant de la dernière situation rend compte d’un


réinvestissement de procédés identifiés dans les slams étudiés, à commencer par
l’homophonie (sa muse/s’amuse), plus généralement l’écho sonore (muse/murmure)
558

et l’allitération (mélodie, murmure). Elle reflète aussi la culture classique de cet


étudiant, le toit des cathédrales évoquant pour lui Notre Dame de Paris. D’autres
productions traduisent une subjectivation positive manifeste à l’issue de cette
rencontre du slam :
« C’est en ce sens que le désir et le plaisir esthétiques induits par les arts de la parole
pourraient éventuellement susciter cet amour de la langue, à savoir une subjectivation
positive. » (Pierra, 2006 : 118)
Une étudiante – dont les premiers essais d’écriture sont manifestes en marge de la
fiche é1 – se dit « tombée en amour avec lui », un autre parle de « fascination ». Une
dernière conclut « Maintenant, je l’aime beaucoup », non sans avoir relaté ses
difficultés initiales en incluant une double référence aux textes de GCM
(« Rencontres » et « Les voyages en train ») : « J’ai rencontré le slam, il parlait trop
vite / Il parlait comme un train, j’ai pas compris tout de suite… » Si l’on compare à
l’exercice proposé (en début de séquence) aux lycéens, on constate que les
étudiants ont ici amorcé un texte à vocation poétique, la contrainte engendrant une
règle de composition, là où les élèves de première n’avaient pas conscience de
l’enjeu poétique, au-delà du jeu et de la joute. En l’occurrence et en fin de parcours,
l’exercice apparaît davantage comme un aboutissement, reflétant un premier bilan.

13.3.2. Bilans

Lors de la dernière séance de l’atelier, nous avons distribué aux étudiants un


Quizz final visant à récapituler les acquis en termes de connaissances
lexiculturelles283 et métalexicales, pragmatiques et sociolinguistiques. Au vu des
modalités définies pour cette activité – avec l’émulation d’un affrontement par
équipes –, nous ne pouvons accorder à ce questionnaire le statut d’évaluation. Un
portfolio des compétences jugées acquises ou renforcées grâce à l’atelier a
cependant permis aux étudiants de s’auto-évaluer : « Après ce travail sur le slam, je
suis capable de… ». Ces compétences étant réparties entre CO/CE, culture et
civilisation, PO et PE284, ils devaient en évaluer le degré d’acquisition par la
médiation de l’atelier sur une échelle de 0 à 4.

283
Trois questions portant sur : les pseudos et le procédé lexicogénique correspondant (1), les détournements
(2) et expressions imagées (8). Voir le questionnaire en annexe XI.
284
Nous désignerons les compétences correspondantes par les initiales de ces rubriques, suivies d’un numéro
correspondant à l’ordre des compétences au sein de chaque rubrique.
559

Note 4 3 2 1 0 Totaux 1 Totaux


2
Compréhension orale et écrite
C1 1 2 8 26 123/4
C2 3 4 5 34 = 30,75
C3 2 4 6 1 33
C4 7 4 1 30
Culture et civilisation
CC1 3 2 5 2 30 119/4
CC2 3 5 4 1 36 = 29,75
CC3 2 4 5 30
CC4 1 9 2 23
Production orale
PO1 2 5 5 33 157/5
PO2 3 6 2 34 = 31,4
PO3 3 3 6 33
PO4 1 2 8 1 27
PO5 3 4 3 30
Production écrite
PE1 3 7 2 37 106/3
PE2 1 7 4 33 = 35,33
PE3 2 8 2 36
Totaux 3 32 71 78 8
Tableau 11 : Compétences ciblées dans le portfolio

Sur 12 étudiants ayant rendu le questionnaire, seul l’un d’entre eux semble avoir
répondu avec un certain détachement, cochant indifféremment « 2 » pour toutes les
compétences. Notons que la compétence PO5 a été omise à deux reprises (sur 3
absences de réponses), ce que l’on peut imputer à la conception typographique du
tableau285. Coutumiers de ce type d’auto-évaluation286, les étudiants se sont prêtés
avec beaucoup de sérieux à un exercice qui mobilisait des compétences de
compréhension écrite, même si le questionnaire avait été oralisé au préalable. Un
récapitulatif des compétences visées en lien avec le CECR leur avait été présenté en
cours de séquence, afin qu’ils n’aient pas l’impression d’un décalage par rapport aux
exigences du DELF B2. (voir en annexe le TBI3) Les résultats synthétisés dans le
tableau 11 montrent une appréciation globalement positive des apports de l’atelier :
plutôt satisfaisante (2), voire satisfaisante (3) ou très satisfaisante (4). Aucun étudiant
n’a jugé que cette expérience ne lui avait rien apporté (0). Dans la répartition des
compétences, on observe que c’est en matière de production écrite que ce travail
leur semble avoir été le plus bénéfique, s’agissant notamment de jouer avec la
285
Cette compétence ne prenant qu’une ligne, tandis que les autres en font deux, tend à se faire oublier ou à
passer pour un titre de rubrique.
286
Il s’agit là, à notre sens, d’un apport possible de la didactique du FLE à celle du FLM car l’usage du portfolio
est encore très marginal en FLM.
560

langue française et de mettre en œuvre des procédés poétiques. La compétence


articulatoire en production orale (PO2), la compréhension fine consistant à repérer
une métaphore (C2), ainsi que la capacité à présenter un slameur français (CC2),
apparaissent en tête des compétences renforcées par cet atelier aux yeux des
étudiants. Notons que cette dernière renvoie à un type d’oral ou d’écrit bien identifié
dans le champ scolaire : l’exposé ou la présentation écrite d’un fait ou d’un
personnage plus ou moins emblématique de la culture française. De fait, l’entretien
mené avec un étudiant afin d’approfondir le bilan global confirme la prégnance de
cette compétence générique/pragmatique dans le contrat didactique287.

13.3.3. Etude de cas : le témoignage de Tianhao

Etudiant chinois scolarisé au sein dudit groupe, Tianhao nous a accordé un


entretien un mois et demi après l’expérimentation, afin de témoigner de ce que cette
expérience poétique lui avait apporté. La transcription de cet entretien semi-directif,
qui a eu lieu à l’Université le 11 avril 2011, figure en annexe XI.

Sa définition du slam à l’issue de l’atelier

Au fil de l’atelier, Tianhao s’est montré particulièrement intéressé par le slam en


tant qu’objet, et non seulement en tant qu’outil d’apprentissage ; il se destine
d’ailleurs à un métier en lien avec les arts et la culture. D’après ses premières
réponses, il perçoit le slam comme un « nouveau genre », une nouvelle forme d’art,
qu’il met en relation a posteriori avec des formes néopoétiques auxquelles il a été
confronté en Chine : « Peut-être que j’avais entendu du slam, mais je ne savais pas
que ça en était ! (…) Il y a des mots, des rythmes, et aussi un contenu qui fait penser
au slam…» (2-6)288. Un obstacle apparaît cependant en termes de représentations :
la poésie, dit-il, se doit d’être « romantique », tandis que le slam se caractérise par
son ouverture, sa capacité à traiter de tous les sujets : « c’est un style très ouvert,
ouvert à tout le monde, et où peut tout exprimer : la colère, les sentiments… Tous les
sujets sont possibles. » (22). En outre, « tout le monde peut participer », souligne
Tianhao qui a bien saisi l’enjeu de démocratisation de la poésie propre au slam.
L’étudiant le conçoit comme une poésie de l’émotion, un lieu de sincérité dans

287
« Ce qu’on a à écrire, c’est surtout des présentations… » (voir infra, 206)
288
Les numéros indiqués correspondent aux tours de parole (voir la transcription en annexe.)
561

l’expression (« une expression vraie », 168), ce qui est tout à fait conforme aux
définitions des slameurs eux-mêmes : « Le plus important, c’est de s’exprimer avec
passion, d’exprimer ses émotions. » (174) Un autre obstacle l’amène toutefois à
opposer slam et poésie : celui de la représentation de cette dernière comme une
activité relevant de l’intime, de l’individuel, alors que le slam est perçu comme une
pratique collective et sociale. « A mon avis, la poésie est dans les livres, elle est
écrite : un poème, c’est plutôt pour lire, « se réfléchir ». (176) Or cet emploi
pronominal du verbe ne reflète-t-il par précisément l’idée d’une poésie-miroir ? Si le
slam lui apparaît comme une forme poétique éminemment moderne – et en tant que
telle miroir d’une société –, Tianhao n’en établit pas moins de liens avec la poésie
chinoise classique, tout aussi rythmée et qu’il s’essaie à traduire (voir à la fin de la
transcription). Cette dernière est cependant soumise à des règles précises, alors que
les règles du slam sont « anecdotiques » (172). Finalement, Tianhao décrit le slam
comme emblématique de la culture française, perçue comme ouverte, éclectique et
tendant à l’universel : « J’ai toujours vu la culture française comme très ouverte,
absorbant tous les pays… un mélange. »(130).

Apports et limites de l’atelier

Aux yeux de cet étudiant, la première spécificité de cette expérience poétique


consiste dans la pratique de la déclamation et de la mise en voix – y compris en voix
projetée – des textes, activité qui lui semble incongrue en classe car inconcevable
dans l’enseignement chinois : « Nous les chinois, remarque-t-il, on ne peut pas crier
pendant la classe ! » (86). Pour autant et pour être limitée au périscolaire en
Chine289, cette pratique ne lui semble pas moins nécessaire à une appropriation de
la langue : « Je crois qu’on doit lire plus de slam ! On doit pratiquer plus la lecture de
slam. Lire à haute voix, c’est plus efficace, parce que la stimulation est plus forte. »
(78). Ainsi, sur un plan communicatif et aussi phonétique, Tianhao a apprécié et saisi
l’intérêt d’« exercer les muscles de la bouche » (118), de « s’habituer à la
prononciation » (124), à la musique de la langue, par répétition et imprégnation, tout
en se familiarisant avec des « expressions très françaises » (126). Sur un plan
lexical, l’entraînement à la compréhension fine – à travers les jeux de mots par
exemple –, à une interprétation qui permette d’aller au-delà du sens littéral, de lire
entre les lignes ou entre les mots, est mis en valeur dans le discours de l’étudiant,

289
Tianhao évoque des « clubs de poésie » qui permettent aux étudiants de déclamer des textes en plein air.
562

avec un réinvestissement possible de ces stratégies d’analyse métalexicale dans la


presse : « Dans le slam il y a beaucoup de jeux de mots, qui sont utilisés souvent
dans l’expression en général et dans les medias en particulier. Pour les étrangers,
c’est très difficile à comprendre » (134). En outre, le slam a contribué à la découverte
d’un registre plus familier qui lui sert dans un contexte de communication avec des
natifs, même si le risque de l’incompréhension par les non-natifs, du décalage ou du
faux pas, le guette (Gadet, 2008 : 20) :
« Le vocabulaire, pour l’expression orale, dans les discussions de tous les jours. Dans
l’expression écrite, on n’utilise pas les mêmes mots. (…) Par exemple, un mot que je dis
souvent maintenant, c’est « paumé » : c’est un mot que j’aime bien ! Je dis toujours
« paumé »… Les Français comprennent mais les étudiants de ma classe ne
comprennent pas ! »
L’enjeu communicatif est de taille pour Tianhao qui conclut sur la nécessité de
« créer les opportunités, pour les étudiants à l’étranger, de travailler la
communication. » « En classe, ajoute-t-il, ce sont toujours les profs qui parlent ! »
(210). Quant au meilleur souvenir qu’il gardera de cette séquence, c’est bien
l’expérience de la création poétique, soit, pour parler slam, celle du « chercheur de
phases » ainsi décrite290 : « Quand on a trouvé les mots exacts, et écrit quelques
phrases avec un bon rythme : c’est le meilleur moment ! » (68) Force est de
constater que cet étudiant était bien en phase avec un atelier dont il a perçu les
enjeux, avec un objet dont il a exploré les multiples facettes (en poursuivant son
investigation sur la toile), avec un outil d’apprentissage dont il a éprouvé les objectifs.
Notons d’ailleurs que Tianhao a perçu l’importance et le paradoxe de la
contrainte créative comme « moyen commode pour passer du langage à l’écriture »
(Benabou, 1983 : 102) :
« Je crois que le professeur doit donner un sujet précis. Quand on n’a pas le cadre,
l’imagination est très ouverte et c’est plus difficile. Peut-être que c’est nous, les chinois,
qui avons besoin de cadres, parce que l’éducation chinoise est très contrainte. Mais la
poésie est une chose très créative, ce n’est pas très carré. » (150)
Aussi certaines de ses observations nous ont-elles renvoyée aux limites de la
séquence telle que nous l’avions conçue : ainsi, de l’art de composer un poème (62).
C’est aussi en termes de limites que Tianhao évoque l’enfermement du slam dans un
manuel, même s’il y a sa place, entre autres formes d’expression : « Je crois que le
manuel, c’est surtout pour la grammaire ! Le slam est bien pour l’expression. » (154)

290
Voir notre glossaire, entrée « phase ».
563

13.4. Réflexion sur le rôle du slameur, fondements et statut des ateliers slam

Si notre utilisation du manuel a été restreinte à une séance, l’absence de la


slameuse est ce qui différencie ce dispositif du précédent (en LP), si bien qu’il nous
faut à présent interroger le rôle de celle-ci, ainsi que le statut de l’atelier slam.

13.4.1. L’atelier slam à la confluence des ateliers d’écriture

Comme le connote le terme d’atelier, les slameurs véhiculent une conception


artisanale de l’écriture, manifeste à travers les entretiens qu’ils nous ont accordés.
Dans la lignée de La petite fabrique d’écriture (Vermeersh, 1996) et de La petite
fabrique de littérature (Duchesne et Leguay, 1999), la petite fabrique de slam291
reprend à son compte cette priorité donnée au poiesis comme « faire » :
« Depuis la disparition de l’enseignement de la rhétorique (à la fin du XIXème siècle),
quelque chose manque singulièrement. En termes plus précis, on écrit aujourd’hui sur la
littérature, mais on n’essaie pas (même modestement) d’en fabriquer soi-même »
(Duchesne et Leguay, 1999 : 5)
Si Marie-Claude Penloup voit dans cette conception artisanale de l’écriture l’une des
caractéristiques majeures de l’auteur du XXème siècle (2000a : 112)292, le slam, en
valorisant cette poésie en acte et en devenir, en brouillant les frontières entre
écrivain et écrivant (voir infra), entre écriture ordinaire et écriture littéraire, confirme et
consacre cette représentation. Par là-même, il contribue à désacraliser l’acte d’écrire
et à démocratiser l’acte de poétiser, ce qui était l’ambition première de son fondateur.
Parce qu’il se situe dans la zone proximale de développement d’une compétence
d’ordre littéraire, parce qu’il favorise l’émergence d’une tentation du littéraire chez le
scripteur ordinaire (Penloup, 2000a : 149), il autorise cette écriture et peut alors
constituer un puissant levier pour l’apprentissage :
« Comment ne pas voir, en effet, que l’école, si elle fabrique du savoir sur l’écriture,
contribue en même temps à renforcer l’insécurité d’une partie des scripteurs ? N’est-ce
pas à partir de cette réalité que s’explique le succès d’ateliers d’écriture dont la mission
avouée est de rassurer et de défaire le travail de sape accompli par l’école pour
autoriser à l’écriture ? » (Penloup, 2000a : 25, nous soulignons)
Une fois encore, le slam se situe à la confluence de différentes filiations et traditions
d’ateliers d’écriture. Nous avons d’emblée repéré - et partant, réinvesti dans nos
ateliers - des points de convergence avec les jeux Oulipiens : d’où les multiples

291
Nous intitulerons ainsi l’une des séances présentées dans notre prochain et dernier chapitre.
292
« Il semble bien que la conception de l’écriture en termes d’ « artisanat » de travail d’ « ouvrier de
ème
précision » ait envahi le 20 siècle » remarque-t-elle.
564

situations de « Créations Re-créations Récréations »293. Du GFEN (Groupe Français


d’Education Nouvelle), le dispositif « Atelier prénoms : un chantier dans la langue » -
tel que l’a décrit Claudine Garcia-Debanc (1996 : 81) - présente des points communs
avec l’activité de « Recherche de blases », s’agissant dans les deux cas de
rencontrer les mots :
« La première rupture pour les sujets écrivants est dans cette rencontre avec les mots,
matière première, et l’écrit prend sa valeur authentique d’objet construit » (Garcia-
Debanc, 1996 : 82, nous soulignons)
On retrouve donc, à l’œuvre dans le slam, cette dynamique visant à introduire un
rapport nouveau à la langue, afin que « se joue une ronde au présent de la langue
poétique en partage » (Vermeersch, 1996 :11).

13.4.2. L’atelier slam ou l’écrire pour dire : les jeux poétiques et leurs enjeux

Dans un article fondateur d’une réflexion sur « L’enjeu du jeu poétique », Delas
(1983 : 81), observe que l’opposition jeu/enjeu recoupe partiellement celle opposant
le jeu au travail, ce que Yves Reuter reformule en soulignant le risque, à défaut d’une
définition précise des objectifs, que « ces jeux restent en marge des apprentissages,
conçus comme des gammes d’écriture (2000 : 34) ». L’enjeu du jeu poétique n’est
autre que de « toucher au réel de la langue » (Delas, 1983 : 91), à lalangue au sens
lacanien de ce mot composite. Quant à ses finalités, elles peuvent s’exprimer en
termes d’écrire pour lire (Vermeersch, Duchesne et Leguay) ou encore d’écrire pour
dire dans le cas du slam. Or cette finalité affichée n’est-elle pas favorable à une
éclosion de la créativité ? Lieu d’une écriture ludique, les ateliers slam oscillent
perpétuellement entre jeux d’écriture et écriture-jeu, jeux ouverts et jeux réglés :
« Pour le second, le ludique vaut en tant que motivant mais le jeu est finalisé »
(Delas, 1983 : 82). Claudine Garcia-Debanc a souligné le rôle décisif des consignes
– terme dont elle a interrogé la pertinence – et autres déclencheurs verbaux de
créativité (1996 : 75). Si le slam est par essence - et au sens premier du terme -
provocation à l’écriture (1996 : 69), il exacerbe, lors d’un atelier mené dans le cadre
scolaire ou universitaire, le paradoxe entre souci de conformité à la consigne et
espoir de divergence : en témoignent certaines des productions analysées (voir

293
Tel était le sous-titre de l’édition de poche (Folio essais) de « La littérature potentielle » parue en 1973.
565

supra)294. « La création commence-t-elle là où la consigne cesse de faire effet ? »


interroge Garcia-Debanc (1996 : 71). Question à laquelle le slameur Rouda, se
proposant de consigner l’instant,295 fait écho : « Est-ce qu’on arrête l’élève quand il
dépasse le maître dans tout ce qu’il écrit ? » (2007).

Art du verbe - volubile par nature mais prétendant néanmoins à l’empreinte de


l’écrit-, l’atelier slam permet de prendre appui sur des déclencheurs verbaux afin
d’initier au Bricolage poétique296 voire à une Grammaire de l’imagination. Des erreurs
créatrices (Rodari, 1973)297 – contribuant non seulement à « introduire du ludisme »,
mais aussi à « ouvrir de nouveaux possibles textuels » (Reuter, 1996 : 37) – aux
détournements palimpsestuels que nous avons identifiés, décryptés et proposés
comme déclencheurs en atelier, il n’y a qu’un pas, qui nous fait avancer sur le
chemin de la créativité. Qu’il s’agisse de textes (« Un verbe », GCM), de locutions et
autres formules titulaires (« Marchand de cendres », SD), ou de lexies néologiques
(« La Vénusienne », R), ces déclencheurs se prêtent à diverses activités de
transformation (« Un verbe »), de génération collective (« La vénusienne ») ou
individuelle (« Marchand de cendres »). Autant de pistes vers le déploiement d’une
créativité qui nous conduit nécessairement à repenser les modalités évaluatives
(Reuter, 1996 : 39).

13.4.3. Le slamming ou l’expérience de la créativité, de l’imaginaire et du


colludique

Dans son article intitulé « Imaginaire, créativité et didactique de l’écriture », Yves


Reuter a affiné la distinction entre imaginaire et créativité (1996 : 26). Or le
palimpseste, étant à la fois dépositaire d’une mémoire collective (sous-énoncé) et
révélateur d’une créativité individuelle (sur-énoncé), apparaît comme un lieu de
confluence entre créativité et imaginaire : il nous semble emblématique de cet
imaginaire « mis en scène de façon archétypale dans certains types de discours »
(Reuter, 1996 : 26). En atteste l’exemple du « Marchand de cendres » (SD)

294
Dans la production d’Esther (S4), construite sur le paradoxe entre « avoir la tête sur les épaules », « être à
l’heure à l’école », et « avoir la tête dans les étoiles », des connecteurs ont été ajoutés en marge.
295
« Je consignerai l’instant où le rêve se crée dans de grands cahiers à dessin » (« Dernière cartouche », 2007).
296
Titre de la revue citée : Pratiques n°89 (1996).
297
« D’un lapsus peut naître une histoire, c’est bien connu (…) Mieux vaut l’explorer, en touristes de
l’imagination. » (1997 : 49).
566

renvoyant à l’expression occidentale « Marchand de sable »298. A cet égard, les


développements lexiculturels occasionnés par la séance 4 ont permis à nos étudiants
d’initier une réflexion approfondie sur les relations entre pensée et langage299.
Derrière les objectifs communs au groupe-classe – en termes de familiarisation avec
une langue-culture – se profilent des enjeux subjectifs tendant à l’appropriation de
cette même langue-culture : « Il y a les programmes, il y a les « objectifs ». Et
derrière, il y aussi des subjectifs, si je puis dire ! », souligne Philippe Lejeune (cité par
Penloup, 2006 : 14). Or s’il existe, à l’instar du pacte autobiographique cher à
Lejeune, un pacte propre au slam, c’est d’un pacte colludique qu’il est question :
« Entre elle (la langue) et nous, y a comme un pacte » (Rouda, 2007).

En effet – et il s’agit là de l’une des justifications de l’orthographe choisie pour ce


néologisme300–, la dynamique émanant du collectif nous semble décisive dans le
déploiement d’une créativité qui se fonde aussi, au-delà d’un horizon d’écoute
particulièrement ouvert et d’une atmosphère créative (Bing, 1993 : 283), sur une
forme d’émulation au sein du groupe301. Comme un écho à la stratégie du ricochet
décrite par Jean-Michel Balpe (1983) et dont le jeu « la bombe de rimes » constitue
une illustration primaire :
« Apprendre à parler, c’est (…) affronter, confronter, mélanger sa parole à celle des
autres, la faire lentement rebondir, dans des ricochets de plus en plus courts, et ce,
jusqu’à ce qu’elle s’y absorbe, sur la surface d’abord réfléchissante du discours
d’autrui. » (Balpe, 1983 : 8).
De fait, le colludique peut intervenir depuis la genèse du texte (lors du brainstorming
préparant à l’avant-texte, lors de l’élaboration en dyades ou en groupes) jusqu’à sur
son actualisation scénique, réception au cours de laquelle le slameur enrôle le public
dans son propre jeu. Si les analyses winicottiennes du jeu – opposant le play ou
playing au game – sont parfois appliquées au jeu poétique (Delas, 1983 : 81)302, le
slameur incarne le dépositaire d’un concept initialement décrit au présent continu :

298
On en trouve le pendant en allemand (« Das Sandmännchen ») et en anglais (« The sandman ») notamment.
299
A titre d’exemple, la récurrence du « chat » dans les expressions figées/défigées retenues pour notre corpus
ont amené les étudiants chinois à nous demander si les expressions autour de cet animal étaient très
fréquentes en français, s’interrogeant par là-même sur ce que cela pouvait véhiculer culturellement parlant.
300
Ce lexème pouvant aussi être interprété comme un mot composite incluant le sème de collectif.
301
A cet égard, l’exemple du lycéen traitant son camarade de « philosophien » lors de la séance dont le
déclencheur était le mot « Vénusienne » (voir notre précédent chapitre), nous semble traduire un potentiel de
créativité qui se manifeste ici dans le discours entre pairs.
302
Winicott opposant le play ou playing (champ du déploiement du désir, acte spontané) au game (jeu
programmé par des règles et doté d’une finalité).
567

celui de slamming. Concept emblématique d’une poésie en mouvement, à la fois jeu


avec son propre je – mobilisant lalangue – et jeu avec les autres.

13.4.4. De la présence et du rôle du slameur lors de l’atelier

Dans le livret Ecrire et dire (129H : sd), la place de l’animateur-slameur fait l’objet
d’une fiche spécifique : il est, nous dit-on, « le moteur de l’atelier ». Si « son
implication est primordiale à chaque étape », il s’agit non seulement d’installer un
climat, une atmosphère créative, mais aussi de « se mettre en jeu et de montrer
l’exemple », de partager son expérience avec tous. A la présentation de la discipline,
il ajoute « une dimension plus spectaculaire et engageante ». Ainsi
« Un animateur d’atelier slam est avant tout un guide qui partage son expérience dans le
processus de création en la présentant de façon simple, ludique et accessible. » (40).
Cela étant admis, comment ce rôle de guide s’articule-t-il avec celui de l’enseignant
dans un contexte scolaire le cas échéant ? Notre protocole expérimental (la
slameuse n’intervenant que très ponctuellement lors du second atelier303) nous a
amenée à interroger la nécessité d’une intervention de l’artiste ou en l’occurrence, de
la slameuse, en atelier. Nous pouvons ainsi opposer un atelier slam in abstentia – le
slameur n’étant présent qu’à travers ses textes – et un atelier slam in praesentia,
opposition que nous développerons dans notre prochain chapitre. Dès lors, la
question se pose en ces termes : en admettant que l’intervention de l’artiste apporte
quelque chose d’essentiel à l’atelier, quid s’agissant du slam ? Concernant les
conceptions et attentes, nous avons déjà avancé que la venue d’un slameur dans la
classe induisait des représentations différentes d’une rencontre avec un écrivain. Il
incarne une forme sociale et contemporaine de poésie, d’autant plus intéressante en
termes d’initiation à une démarche culturelle, et reflète la transmission symbolique
d’une passion, d’un plaisir, qui peut néanmoins révéler un hiatus avec le système
scolaire304. Dans la lignée de l’écriveron d’un Queneau (1947), de l’écrivaillon d’un
Maupassant (1885, repris par Noury en 2007305) le slameur tend à se présenter
comme écrivant (Galisson, 1991, Barthes) :

303
Intervention à titre gracieux, qu’elle en soit ici remerciée.
304
Voir à ce sujet les articles rédigés par les élèves du lycée Deschaux dans notre prochain chapitre.
305
« Erythèmes impudiques » (Martinez, 2007 : 106) : « Nous sommes écrivaillons, histrions turgescents… ». Ce
lexème, dérivé de écrivailler (1611) pour « composer rapidement des ouvrages sans valeurs » (Rey, 2007 :
1183) est déjà employé chez Maupassant : sa connotation négative se trouve ici renforcée par l’homophonie
avec « haillons » et la rime avec « histrion » qui connote une dimension légère, quasi-farcesque.
568

« L'écrivain accomplit une fonction, l'écrivant une activité, voilà ce que la grammaire
nous apprend déjà, elle qui oppose justement le substantif de l'un au verbe (transitif) de
l'autre. (…) L'écrivain est celui qui travaille sa parole (fût-il inspiré) et s'absorbe
fonctionnellement dans ce travail. » (Barthes, 1964 : 148, nous soulignons).
Il se positionne explicitement en tant qu’artiste-écrivant, auteur et orateur ou
littorateur306, qui plus est animateur de ses propres textes. En le désignant par un
gérondif (écrivant), on insiste sur l’acte en train de s’accomplir et c’est précisément
ce qui nous semble essentiel : le slameur comme incarnation d’une poésie vivante,
en acte, et exhibée comme telle, autant dans la déclamation que dans la façon dont il
s’implique lui-même dans le jeu307. En tant qu’orateur, il apporte assurément des
compétences que tout un chacun – que l’on soit ou non enseignant – ne maîtrise
pas, d’où l’idée de coupler la fin de notre séquence au CUEF avec un atelier théâtre.
En tant qu’animateur de ses textes et d’atelier, le slameur se distingue en outre par
une capacité qui peut être analysée en termes d’affordance308. Afin de reconsidérer
l’activité de préparation d’un cours. Sylvie Juliers (2006 : 5) a décrit ce concept
comme la capacité à inférer des propriétés des objets des potentialités didactiques :
« A traits rapides, on peut définir ce concept comme la perception d'une utilité ou encore
le potentiel pour l'action que recèle un objet, c'est-à-dire la capacité de ce même objet à
servir la volonté d'agir d'un sujet. « (p.6, nous soulignons)
Nous pouvons à notre tour convoquer cette notion pour souligner la capacité de
l’artiste-slameur intervenant en atelier et en présence de l’enseignant – ce dernier se
situant plutôt du côté de la préparation et de la planification – à tirer profit des
propriétés notamment médiologiques de l’objet slam309, et ce, non seulement en
termes de conceptions des séances mais aussi en vue d’une régulation des activités.
Nous avons insisté sur la nécessité de bien définir les rôles – d’accorder les voix du
slameur et de l’enseignant – parce qu’ils nous paraissent complémentaires, au-delà
d’un clivage manichéen entre le scolaire (ou la conformité à une norme) et le slam
(ou les mots en liberté). Entre ces deux extrêmes, il nous semble possible de trouver
un espace commun, un terrain d’entente. Si l’enseignant entre dans la danse des
mots en acceptant, via le pacte colludique, de se prêter au jeu sans pour autant
perdre de vue ses enjeux, alors l’atelier slam est en bonne voie, nous semble-t-il…

306
Voir le texte de Mots Paumés « Huitième merveille » en annexe VI.
307
Les slameurs exécutent généralement avec les élèves les jeux qu’ils proposent. (voir l’article de Lyor).
308
Concept emprunté à Gibson (1977), repris par Norman (1988) et par Sylvie Juliers, didacticienne du FLE :
(article consulté en ligne, voir en sitographie). Nous développerons cette notion dans notre prochain chapitre.
309
L’exemple du tableau utilisé par Katia pour son schéma introductif du parcours du poème (du cœur du
poète à celui du récepteur) en témoigne. (voir notre chapitre précédent et la photo en page de garde).
569

Conclusion partielle

Notre analyse de ce second dispositif – étayée par les productions et portfolios


des apprenants ainsi que par une étude de cas – a mis au jour un réel besoin de
travailler l’oral, non seulement « en continu » mais aussi « en interaction » (CECR,
2001 : 60)310. Plus généralement, il s’agit d’approfondir « l’oralité » en tant que
telle311, et ce en cours de FLE, assurément, mais aussi en cours de FLM/FLS. A ce
besoin, les arts du langage s’attachent à répondre, à l’instar du théâtre et de la
chanson, support privilégié en FLE comme le soulignait Debyser, dans une « Lettre
ouverte sur la chanson » (1969) se réjouissant que « la chanson soit poésie et que
les auteurs-compositeurs aient rétabli la communication poétique avec un vaste
public ». Communication poétique que les slameurs ont à cœur de renforcer.

Par rapport à la chanson, le slam nous semble à la fois plus accessible – car
propre à une appropriation qui passe par la mise en voix mais ne repose pas sur une
voix chantée mettant en jeu d’autres compétences – et créatif dans les procédés
utilisés. Porté par un flow proche de la voix parlée tout en étant souvent scandé – du
fait d’un jeu sur les accents prosodiques –, il peut servir de trait d’union entre une
(des) écriture(s) littéraire(s) et des discours ordinaires relayés par la presse et les
medias. Catalyseur d’une libération prosodique, l’atelier slam favorise une approche
phonostylistique et une énonciation corporéisée ; il représente un mode sémiotique
facilitant la découverte et l’appropriation des schèmes interactifs et rythmiques312. A
la différence du théâtre, il propose une mise en voix – voire une mise en corps et en
scène – de ses propres textes, ce qui peut passer par l’apprentissage « par cœur ».
En outre, il permet une diversification des rôles au sein du groupe, l’auditeur
devenant auteur, d’où un effondrement du quatrième mur qui caractérise le théâtre
selon Diderot. Il offre alors la possibilité de trouver sa voix dans une langue
étrangère (Pierra), de se l’incorporer et de trouver son rythme tout en s’accordant à
la cadence du groupe (Meschonnic), via l’expérience d’une poésie animée et vivante,
qui plus est « animante » en termes de créativité.

310
Distinction utilisée en FLE et en usage dans l’enseignement des langues vivantes : voir par exemple la Lettre
du Recteur de l'académie de Grenoble du 18/01/2007 (sur le site de l’Inspection Académique de Grenoble)
311
« Par l’emploi du terme "oralité", nous cherchons d’une part à prendre de la distance par rapport à la
tradition qui a enfermé toutes les activités de communication verbale dans le terme " oral", d’autre part à
régénérer le processus d’apprentissage de tout ce dont dispose l’humain pour communiquer verbalement avec
ses semblables. » (Lhote et al., 2000 : 22)
312
Voir la vidéo illustrative de ce chapitre.
570
571

Chapitre 14
De l’artiste à l’animateur,
l’
de l’école au musée : des
approches multivariées

14.1. Un parcours possible


14.2. Des pistes à explorer :
Une rencontre/un atelier avec…
14.3. Un projet à l’horizon de la
création : Slam au musée

Illustration : Scène au parc


p (« Les
poètes se cachent pour écrire », SD)

Photo 7 : Scène au parc Paul Mistral


(restitution de l’atelier) le 9 juillet 2011
572
573

« Les paumes jointes


Ce sont nos lignes qui se croisent
Et je sais déjà où nous allons
Nous serons les meilleurs élèves de l’école fraternelle »313

Arrivés au terme de la présente recherche, nous nous attacherons à parachever


notre analyse didactique d’une part à travers l’élaboration d’un livret de parcours
synthétisant nos expérimentations, d’autre part à travers un tour d’horizon d’autres
approches des ateliers tels que les conçoivent les slameurs, riches et créatives dans
leur pluralité même. Afin de rendre compte de cette diversité, nous proposons de
réinvestir le concept d’approche multivariée314 – relevant d’un technolecte des
statistiques – en le transférant, à la suite de Reuter (2000), dans le champ
didactique : de l’idée d’une « distribution conjointe de plusieurs variables », nous
inférons la présence de variables contextuelles qui influent sur les enjeux et
contenus des ateliers menés. En l’occurrence et d’un contexte à l’autre, l’atelier slam
est conditionné par les variables suivantes :
- le slameur/animateur et co-animateur le cas échéant ;
- le contexte scolaire, universitaire ou périscolaire ;
- le rapport à la langue (FLE/FLS/FLM) des apprenants et participants ;
- l’âge et l’effectif du groupe315.

En confrontant diverses formes et modalités d’ateliers slam, nous aborderons des


questions fondamentales : quels sont les points communs et les singularités de
chaque démarche ? Quelle est la part de créativité, d’innovation propre à chacune et
celle de la tradition héritée des ateliers d’écriture en général ? Nous envisagerons
alors une corrélation possible entre le style de l’auteur et le modus operandi de
l’animateur. En quoi les choix stylistiques des slameurs retenus pour nos études de
néostyles influent-ils sur leur façon de transmettre la discipline ? Dans quelle mesure
leur propre dynamique créative peut-elle stimuler celle des participants aux ateliers ?
De l’artiste à l’animateur, il n’y a qu’un pas, que nous essaierons de franchir en
retraçant successivement, à la suite de nos études de cas, l’intervention de Mots
Paumés dans un lycée de l’agglomération grenobloise, l’animation d’un atelier par
Souleymane Diamanka dans un contexte périscolaire et la rencontre avec Grand

313
« Fier d’être ton frère », John Banzaï et Souleymane Diamanka (2007 : 16)
314
Ce terme s’apparente à un mot composite qui semble redondant si l’on ne tient compte du sème « variable »
(au sens statistique) ici contenu dans le morphème « varié ».
315
Dans un cadre périscolaire, le nombre de participants est généralement limité à 12-15 personnes.
574

Corps Malade qui assume pleinement son rôle de slanimateur. Afin d’approfondir
l’analyse, nous convoquerons des concepts comme celui d’affordance (Gibson,
Juliers), dont nous avons esquissé les contours et que nous mettrons en rapport
avec la mouvance précédemment définie (Zumthor), l’affordance – en situation de
performance – pouvant donner lieu à une mouvance partielle du texte.
Après avoir synthétisé notre démarche sous la forme d’un parcours « A la
rencontre du slam »316, nous envisagerons les pistes et les pratiques d’ateliers mis
en œuvre par les trois slameurs dont nous avons étudié les néostyles, puis nous
ouvrirons notre recherche à des perspectives de projet multi-artistique.

14.1. Un parcours possible

14.1.1. De la conception du livret et des enjeux en FLM, FLE, FLS

A mi-chemin entre la conception linéaire et générique d’une séquence didactique


(FLM) et l’approche thématique ou fonctionnelle d’une unité didactique (FLE)317, le
livret « A la rencontre du slam » a été conçu comme une synthèse partielle de nos
expérimentations en contextes scolaire et universitaire. Il se présente sous la forme
de fiches pédagogiques adaptables à des dispositifs divers :
- en FLM/FLS (classes d’accueil), un tel parcours peut être mis en place dans le cadre
d’un projet spécifique avec intervention d’un artiste slameur et/ en amont d’une
rencontre ou d’un spectacle ;
- en FLE/FLS (dispositifs de soutien), les séances peuvent être intégrées à des unités
didactiques issues de manuels ou à des démarches de type simulation globale318.

Ces deux contextes peuvent confluer via certains objectifs ou concepts que sont par
exemple ceux de fluence - appliqué à la lecture oralisée en FLM - et de fluidité
verbale319 en FLE. Travailler le flow est en effet susceptible de favoriser ces deux
aspects majeurs d’une pratique orale de la langue, même si chacun implique aussi
des compétences spécifiques et s’applique à un champ différent.

316
Voir le livret présenté en annexe XII.
317
Voir notre chapitre 11 pour la délimitation de ces deux notions de séquence/unité didactiques (p.474).
318
Les élèves intégrés à de tels dispositifs ne bénéficient que de quelques heures hebdomadaires de FLE/FLS,
ce qui ne permet pas nécessairement la réalisation du parcours en tant que tel. Voir l’expérience en CIPPA FLE
relatée dans notre chapitre 11.
319
« La fluidité verbale concerne au premier degré l’aspect temporel et séquentiel de la parole » même si la
notion recouvre plus généralement « la capacité et l’aptitude non seulement à s’exprimer et à comprendre le
sens des énoncés mais aussi à produire des paroles adaptées (…) et à gérer la co-énonciation » (Lhote et al.,
2000 : 34-35).
575

Fluidité verbale (< lat. fluidus) Flow (slam) Fluence (<angl. fluency)320
Didactique FLE (expression orale) Mise en voix expressive et rythmée Didactique FLM (lecture orale)

Figure 8 : Flow et entraînement à la fluence et fluidité verbale


Quant à la notion de créativité qui a constitué le fil rouge de notre démarche, elle
apparaît désormais essentielle en didactique des langues, et ce, quel que soit le
niveau des apprenants :
« En didactique des langues, les méthodes pour débutants, du fait de l’importance
qu’elles donnaient à la répétition, ou à des exercices n’impliquant qu’une seule réponse
conforme à un modèle donné, n’ont longtemps fait aucune place à cette créativité.
C’était méconnaître que la communication sans créativité condamne les échanges à la
platitude et à l’utilisation d’une langue tellement neutre, banale et si prévisible qu’une
machine peut remplacer un énonciateur humain (…) » (Cuq, 2003 : 60-61)
Cela revient à reconnaître la place de la subjectivité dans le langage, d’un
« sentiment de la langue » (Siouffi, 2007 : 267) et d’une « culture langagière »
(2007 : 268) nécessaires à l’apprentissage. D’où un changement de perspective
dans l’enseignement du FLE où, depuis les années 70, on prône l’utilisation de
techniques de créativité dans la classe de langue :
« Ces techniques concernent aussi bien la production orale qu’écrite et ont pour but
d’intégrer à l’apprentissage les motivations expressives et les ressources d’invention de
chaque apprenant, mais aussi du groupe classe tout entier. » (Cuq, 2003 : 61)
De fait, la créativité peut aussi être catalysée par la dynamique du groupe, du
colludique : hypothèse que nos expérimentations ont corroborée. En outre et en
particulier pour des élèves dont le profil relève du FLS, la pratique artistique peut être
offerte comme un lieu de rencontre, un moyen d’entrer dans la connivence culturelle,
mais aussi de construction, d’ancrage individuel : c’est bien dans cette « tension
entre le technique et le créatif de la langue, le mimétique et le subjectif (…) qu’il peut
y avoir un ancrage de la personne » (Auger & Pierra, 2007 : 262).

14.1.2. De la progression proposée

La progression établie repose, pour chaque fiche, sur l’articulation entre un texte,
une situation d’écriture et une forme de créativité – renvoyant aux matrices
précédemment définies – induites par un slam dont l’exploration ou la seule

320
Notons que l’anglicisme fluence (du latin, fluere) n’est pas répertorié dans le PR (2003) alors que « fluidité »
est attesté dans cette acception. Ce dernier s’applique à une aisance (to speak fluently) dans l’EO alors que la
fluence s’approche de la notion de « flux » appliquée à la lecture orale. L’équipe de Michel Zorman
(laboratoire Cogni-sciences, Université Pierre Mendès-France, Grenoble) et les éditions La Cigale ont élaboré un
dispositif d’entraînement à la fluence pour améliorer les compétences des jeunes lecteurs (voir en sitographie).
576

découverte pourront intervenir à différentes étapes de la séance : en guise


d’ouverture comme déclencheur (fiche 8), en guise de conclusion comme « slam
offert » (fiche 4), en cours de séance comme aide à la réécriture (fiche 1) ou comme
support d’un entraînement phonétique (fiche 2). Autant d’activités et de situations
articulant l’écoute, l’écriture, la lecture et la déclamation, visant par là-même à
conduire les apprenants des mots aux émotions, des textes aux œuvres :
« Ainsi l’on touche aux émotions les plus profondes, par la matière même de l’œuvre, à
savoir son rythme, ses sons et ses images » (Pierra, 2006 : 127)
Dans cette perspective, notre parcours intitulé « A la rencontre du slam » s’organise
en huit étapes principales, délimitées par des objectifs fonctionnels (fiche 1 : écrire
un texte pour parler de soi), culturels (fiche 2 : découvrir le slam et explorer son
rapport à l’écriture), linguistiques ou métalinguistiques (fiches 3 et 4 : décrypter des
mots inventés et des combinaisons lexicales, en créer à son tour) et littéraires (fiches
6 et 7 : se familiariser avec le rythme, la musique de la langue, la métaphore…).

Etape Slam Macro-objectifs Type de créativité privilégiée


1. A la L’Hiver Peul Ecrire un texte pour parler de Matrice externe
rencontre de (SD) soi
soi
2. A la Le souk de la Découvrir le slam comme Matrice
rencontre parole (129H) mouvement, s’essayer à la onomatopéique/phonologique
des mise en voix
slameurs
3. A la Soleil Jaune Ecrire en duo, mettre en voix Matrice phraséologique
rencontre de (SD/JB) Ecriture paronomastique
l’autre
4. A la La Décrypter des mots inventés, Matrice morpho-sémantique
rencontre de vénusienne en inventer, se servir de
mots (R) l’horizon d’un mot pour écrire
nouveaux
5. A la Je t’aime, Se familiariser avec des Matrice phraséologique
rencontre de n’deysaan combinaisons lexicales, en
caravanes (SD) jouer
de mots
6. A la Un verbe Se familiariser avec la Matrice syntactico-sémantique
rencontre du (GCM) musicalité de la langue, (conversions)
rythme l’énumération poétique
7. A la Marchand de Percevoir et interpréter une Matrice phraséologique et
rencontre de cendres (SD) métaphore filée, déployer un sémantique
la champ associatif afférent à un
métaphore verbe pour écrire un slam
8. A la D chiffres et D Découvrir l’écriture texto et la Matrice morpho-sémantique
rencontre lettres (Rim) réinvestir comme contrainte (néographies)
d’une pour écrire un slam
écriture jeu
Tableau 12 : Progression du livret « A la rencontre du slam »

A ces huit étapes s’ajoutent des fiches jeux, qui pourront être mises en œuvre au fur
et à mesure des séances, afin de favoriser une entrée dans l’écriture (La « bombe de
577

rimes »), un déblocage de la créativité ou de l’imaginaire, tout en tirant profit de la


dynamique du groupe. Notons que certains de ces jeux (« Le flow », Le « porte-
voix ») peuvent contribuer à l’exploration et à l’appropriation d’un slam (fiche 3).
Quant à la fiche ressources qui figure en fin de livret, elle est destinée à présenter
des outils complémentaires en vue d’une investigation ou d’une exploration au-delà
du parcours proposé. Le séquençage du documentaire Traits Portraits vise à en
faciliter l’exploitation, prévue lors de la deuxième étape, mais qui pourra aussi, le cas
échéant être répartie différemment sur l’ensemble de la séquence.

14.1.3. D’une utilisation en FLE et au-delà

Dans un contexte d’enseignement du FLE, si certaines fiches (5,6) se prêtent à


une exploitation dès le niveau A1-A2, ce que nous avons expérimenté en atelier, la
plupart s’adressent cependant à des apprenants de niveaux B1 (fiches 1, 7) ou B2
qui correspondent, ainsi que les niveaux C1-C2, à une zone de confluence entre
FLM, FLE et FLS. Ces activités pourront alors s’articuler avec des unités didactiques
telles que proposées dans les manuels. A titre d’exemples :
- La fiche 1 s’insèrera aisément dans l’unité « Présentations » de tout manuel ;
- La fiche 2 pourra prendre place dans une unité consacrée aux arts de la rue comme
celle intitulée « En rue libre » (Latitudes 2, 2009 : 28-29321) ;
- Les fiches 3 à 7 correspondront à des unités consacrées à l’amitié ou à l’amour du
type « Je l’aime, un peu, beaucoup… » (Nouvel Edito, B2) ;
- La fiche 8 pourra intervenir en complément d’une unité sur « La langue des jeunes »
(Alors ? B1, unité « Jeunesse », 2009 : 74).
En ce qui concerne les jeux, ils pourront servir de catalyseurs de créativité, plus
généralement permettre d’entrer dans une démarche colludique qui constitue le point
commun, le trait d’union entre tous les slameurs/animateurs d’ateliers slam, et viser
des objectifs phonétiques. De toute évidence :
« Les questions de rythme, de débit, d’intonation, de volume, de quantité, relèvent de la
culture langagière. Celle-ci est à la base des « cultures rhétoriques », formes explicitées
et cultivées des cultures langagières » (Siouffi, 2007 : 268)
Du fait de la disparition de l’enseignement de la rhétorique, ces activités ludiques
tendant parfois à la théâtralité nous semblent tout aussi profitables pour des élèves
de FLM, répondant à un déficit de culture orale dans notre culture contemporaine :
« Où est la culture de la parole ? » interroge Siouffi (2007 : 272). Les réticences

321
Unité 2 intitulée « Vous avez-dit culture ? », cette double page étant consacrée aux Arts de la rue en
particulier, comme l’indique le palimpseste.
578

rencontrées en LP pour la mise en voix des textes produits, qui se sont émoussées
lors de la dernière séance, nous semblent témoigner d’un « mal à parler ». Nous
rejoignons alors Siouffi sur la nécessité de remettre à l’honneur les arts du langage :
« Temps de réconcilier en français les apprenants avec leur propre culture rhétorique,
avec leur propre ressenti, avec leur propre vécu du langage. En bref, le temps est venu
des « arts du langage » ! » (2007 : 276)

14.2. Des pistes à explorer : un atelier/une rencontre avec…

Art du langage émergent et porteur d’une nouvelle rhétorique, le slam se


caractérise par une pluralité d’approches dont notre seul parcours ne saurait rendre
compte. C’est pourquoi nous développons ci-après des pistes intéressantes qui nous
ont été exposées en discours ou en actes.

14.2.1. Une rencontre avec Mots Paumés

Nous avons assisté aux rencontres du slameur grenoblois, les 18 et 25 janvier


2011, avec deux classes de seconde du lycée Roger Deschaux322 à Fontaine.

14.2.1.1. Contextualisation et enquête : le slam en un mot

En nous positionnant comme observatrice et enquêtrice, nous avons soumis les


75 élèves (36+39) de ces deux groupes à une pré-enquête réalisée en amont de
l’intervention, puis à une post-enquête en aval. Dans les deux cas, il s’agissait tout
simplement, dans la lignée de notre enquête précédente, d’exprimer sa
représentation du slam en un mot : Qu’est-ce que le slam pour vous ? 323 Les lycéens
disposaient de bulletins afin de favoriser la confidentialité des réponses. Notons que
les résultats de la deuxième enquête (25/01/11bis) ont été faussés par la sonnerie
qui a conduit un certain nombre d’élèves (14/39) à rendre un bulletin blanc. En
confrontant les résultats de nos deux enquêtes, nous visions à mesurer l’impact de
cette rencontre sur leurs représentations a priori, afin d’apprécier en quoi la
découverte du slam pouvait influer le cas échéant sur leur rapport à la langue.

Dans la présentation des résultats (voir en annexe XII.2), nous avons


volontairement dissocié les deux rencontres, afin de tenir compte des spécificités des

322
Filières bac pro maçonnerie, filières ORGO pour « Organisation et Réalisation Gros Œuvre », FROID (18/01)
et BOIS (25/01). Nous avons assisté à ces deux rencontres en tant qu’observatrice et enquêtrice.
323
Voir notre chapitre 3 : la question « le slam en un mot » a été posée aux slameurs/slameuses sondés et
diffusée par leurs réseaux sociaux, mais ne visait pas, comme c’est le cas ici, à mesurer l’évolution des
représentations.
579

deux groupes et du déroulement de chacune de ces deux animations. L’orthographe


des réponses a été conservée. Pour un même lemme, nous avons généralement
choisi de différencier le singulier du pluriel, notamment pour « parole », dont le pluriel
nous semble faire référence à la chanson324. De même, nous avons distingué le
verbe du substantif, notamment pour « expression » et « s’exprimer » afin de
souligner la valeur potentiellement illocutoire de ce dernier. Nous avons spécifié
entre parenthèses des combinaisons lexicales qui nous paraissaient
signifiantes comme « liberté d’expression ». Si l’on observe les résultats de notre
première enquête (18/01/11), on note la prégnance a priori du verbe « parler »
(5/36), des substantifs « parole » (1) et « paroles » (2), et du lexème « poésie »
(7/36, soit environ 20 % des réponses) parfois qualifiée de « musicale » ou
« parlé(e) ». Le slam est assimilé tantôt au chant (2), tantôt à la rime (3), et souvent à
la musique (5). A l’issue de la rencontre (18/01/11 bis), les réponses se sont
enrichies, puisque l’on passe de 15 à 20 items différents : ont disparu les items
« chant/chanter » et « évasion » ; sont apparus « artiste », « liberté (d’expression) »,
« raconter », « rap », (savoir) « s’exprimer » (4), ainsi que certains jeux de mots
(« Moi paumé » pour Mots Paumés) qui témoignent d’une perception et d’une mise
en œuvre du colludique. D’une manière générale, le sème « expression » est devenu
prédominant à l’issue de la rencontre (8), devant « parler/parole » (5) et « poésie »
(5). En d’autres termes, le slam est ici associé à une tribune de libre expression -
définition véhiculée par les slameurs en général et par Mots Paumés en particulier -
art d’une parole libre à dont le potentiel poétique est fondé sur le maniement des
mots. Lors de notre deuxième enquête (25/01/11), on remarque une nette prégnance
de l’item « poésie » (10/39, soit près de 25% des réponses), devant « musique »
(8/39), « chanson/chanter » et « rap ». Les lexèmes « expression » et « s’exprimer »
demeurent marginaux lors de la pré-enquête, à la différence de la post-enquête où ils
se manifestent de façon significative (6/39), derrière « poésie » (4), « poèmes » (3) et
« poète » (1). L’apparition de ce dernier item, et d’autres comme « inventeur » ou
« artiste » (18/01/11) montre que le slam est désormais perçu comme une poésie
incarnée, appréhendée en acte. Le lexème « art », qui fait écho à « artiste »,
témoigne d’un ancrage dans une démarche artistique plus globale qui répond à l’un
des objectifs visés (voir infra). On relève enfin l’évolution de représentations

324
Comme équivalent de l’anglais lyrics dans le technolecte du rap ou de la chanson.
580

stéréotypées telles que « poésie en musique » ou « poésie urbaine » vers des


qualifications plus personnelles comme « poésie quotidienne » (25/01/11bis). Ce
dernier sème apparaît alors que la tonalité « mélancolique » - dont on peut émettre
l’hypothèse qu’elle était liée au prototype GCM - semble écartée.

14.2.1.2. Objectifs et déroulement de la rencontre

En amont de l’intervention de Mots Paumés, les contenus suivants étaient


annoncés pour une « rencontre courte »325 :
• Interprétation de textes du répertoire de l’artiste ;
• Interprétation de textes par les participants volontaires ;
• Présentation de l’histoire du slam, éthique et philosophie d’une pratique326 ;
• Présentation de l’état des lieux du slam en France, sur l’agglo grenobloise ;
• Vivre du métier de poète et fantasmes des jeunes sur le monde du spectacle ;
• Echange : questions/réponses, idées reçues, débat…
• Micro-atelier collectif (si la rencontre dure 2 heures).

A la différence des ateliers relevant de cycles longs, la spécificité de cette


intervention était donc tournée vers le « métier de poète » et la vie de poèmes (GCM,
2006) qui s’ensuit, orientation qui transparaît dans les résultats de notre enquête
(voir supra). On peut donc s’attendre à ce qu’une telle rencontre se déroule sur le
mode de l’interprétation/démonstration, mais aussi de l’échange, de la discussion et
du « micro-atelier » conçu sur une modalité interactive même si les conditions (2
groupes de près de 40 élèves rassemblés dans le Centre Documentaire) ne s’y
prêtaient guère a priori. Aux yeux du slameur, une telle intervention doit permettre :
 D’approcher une discipline mal connue ou mal perçue ;
 De dépasser représentations partielles et a priori ;
 De préparer l’accompagnement d’un groupe (scolaire ou autre) à un spectacle ;
 De prendre conscience que création, culture et enseignement sont indissociables.

Outre les deux premiers objectifs centrés sur l’objet slam, le dernier enjeu apparaît
fondamental en ce qu’il se détache de cet objet pour atteindre à la démarche de

325
Document d’information et d’accompagnement des projets pédagogiques disponible sur le site du slameur.
326
Exemples indicatifs de contenus : poésie et libre expression ; déroulement d’une slam session ; scène
ouverte et télévision ; slam, écriture et improvisation ; slam et rap, ressemblances et différences.
581

création et au projet artistique en général (voir supra les résultats de l’enquête), d’où
la finalisation possible par un spectacle.

Par rapport à ces objectifs annoncés, la rencontre s’est déroulée selon une trame
commune aux deux groupes, que l’on peut décomposer en quatre étapes
principales : déclamation puis entrée en matière, seconde déclamation suivie d’une
analyse, discussion et création collective.
327
Etapes Contenus Slams (1) Slams (2 )
Déclamation/ entrée en Déclamation + émergence des « Bienvenue »
slam + entrée en matière représentations + éléments de
définition
Déclamation + analyse Texte + pistes d’interprétation « Cybercaféine » « Peine :
capital »
Discussion + déclamation Echange sur le métier de slameur « L’avodka du diable » (choix
des élèves)
Micro-atelier collectif Création collective à partir de mots
proposés par les élèves
Tableau 13 : Déroulement des rencontres avec MP au lycée Roger Deschaux

Pour les deux groupes, l’entrée en slam s’est faite via l’interprétation du texte
« Bienvenue » qui constitue le prologue de l’album Songes déments (2009). A
travers ce slam, Mots Paumés a ouvert un horizon d’écoute adéquat : « Il reste la vie,
la joie et le bruit de la slam poésie… »328 Au cours de la déclamation, un élève a
observé le lien avec la publicité, ce dont le slameur saurait tenir compte en
choisissant le deuxième texte objet de déclamation329. A l’issue de ce slam offert en
guide d’ouverture, il est revenu sur cette remarque en précisant qu’il s’agissait en
quelque sorte d’un échauffement qui visait aussi la mise en place des « règles du
jeu », soit d’un pacte colludique.

Afin de faire émerger les représentations des lycéens et de se donner les moyens
de s’adapter à ce public, Mots Paumés a sondé le premier groupe (18/01/11) quant à
son rapport à l’écriture : à la question « Est-ce qu’il vous arrive d’écrire pour le
plaisir ? », un élève a répondu en citant le réseau social Facebook et le plaisir
d’écrire des commentaires et autres « statuts ». Saisissant au vol cette piste
thématique, il choisirait par affordance le second texte interprété, ayant trait à l’homo
informatis. Pour le second groupe (25/01/11), le slameur a sollicité les
représentations des élèves vis-à-vis du slam et de la poésie : il a d’abord réitéré

327
Le choix du deuxième slam déclamé a différé de la première à la seconde rencontre.
328
Notons que dans le texte initial (voir en annexe VI), seul le lexème « poésie » était présent, alors qu’il est ici
combiné au lexème « slam » : il s’agit là d’une zone de mouvance.
329
« Peine : capital » (voir notre corpus MP)
582

notre enquête écrite en reformulant oralement la question posée afin de mieux


cerner les représentations préalables : « Si je vous dis slam, vous me dites… », a-t-il
lancé. Amorce à laquelle un élève a répliqué par la formule rituelle d’ouverture des
slam sessions : « Slamaleikoum ! ». Et le slameur de gloser cette formule, « Que la
paix soit avec toi » devenant « Que la poésie soit avec toi ». En faisant appel à la
participation des lycéens pour la réplique « Malikoum slam », il a posé les bases
d’une interactivité fondamentale. A la question de l’origine du mot « slam », un élève
a alors répondu, dans la logique de la formule citée, que ce mot venait de l’arabe.
Rétablissant l’origine américaine du lexème, Mots Paumés a énuméré des
acceptions argotiques (faire un slam, un slam dunk…) avant de faire émerger les
représentations traditionnellement associées au mot « poésie ». Aux lycéens qui
évoquaient une « prise de tête » ou se référaient au métalangage poétique (tercets,
alexandrins…), il a opposé le slam, a contrario, comme poésie du quotidien : arme
de séduction ou de défense, outil d’expression et de lutte contre l’oppression. Les
élèves ont alors établi un rapport avec la séquence de poésie « Rupture et
renouvellement » qu’ils étudiaient en français. Après avoir explicité certains termes
relevant du technolecte du hip-hop (MC) et précisé le lien avec le rap à travers l’idée
de canaliser une énergie autodestructrice, Mots Paumés a insisté sur la liberté et la
diversité des styles, chaque slameur se distinguant par un style singulier. A un élève
qui lui a demandé de caractériser le sien, il a répliqué « N’importe quoi dans tous les
sens ! », faisant ainsi référence à son blase : « plein de mots paumés ». Quant à la
genèse de ses textes, il a insisté sur l’approche ludique des mots, avant d’en arriver
au texte élaboré : le jeu de mots, a-t-il ajouté afin d’asseoir le pacte colludique, est
fondamental dans sa façon de « raconter des histoires ». Et le slameur d’expliquer
que son texte se construit d’abord par bribes, matérialisées par des post-it, puis par
réécritures successives au fil des déclamations, le public contribuant ainsi à
l’évolution, à la mouvance du texte.

A l’orée du second texte interprété, MP a formulé une consigne d’écoute non


sans avoir interpellé les élèves par une question rhétorique ou allocution oratoire330
(« Lequel d’entre vous n’a jamais eu de problème avec un ordinateur ? ») : « Soyez
bien attentif, a-t-il insisté, à la façon dont le texte est construit. » Après la déclamation
et pour répondre à certains élèves rendus dubitatifs par la densité en jeux de mots et
330
Question appelée allocution oratoire (Aquien & Molinié, 2002 : 209) « qui consiste à équivaloir à une
assertion négative si l’interrogation est affirmative, ou à une assertion positive si l’interrogation est négative. »
583

autres mots d’esprit, il a souligné son ambition de chercher d’autres façons (outre les
rimes) de faire « sonner la langue » et « rebondir les syllabes ». Dans cette
perspective, il a introduit le concept de rime multisyllabique et donné des clés
d’interprétation en mettant en lumière figures de sons et de sens. Le recours à une
variation du flow - se traduisant notamment par un ralentissement du débit - a permis
de dissocier le signifiant (mis en relief par un flow rapide, scandé) du signifié (avec
un flow plus lent se rapprochant du parlé). Notons d’ailleurs le rôle des micro-pauses
dans la déclamation, nécessaire au repérage d’un jeu de mots, de mots à double
entente, ou à la mobilisation d’un sous-énoncé via une structure
331
palimpsestuelle (« me débrancher de toute cette méprise // électrique » ). Il s’est
ensuite livré à une discussion à bâtons rompus, les questions fusant quant à ses
goûts, ses choix artistiques, son statut d’intermittent du spectacle. Des interrogations
sur ses influences l’ont conduit à évoquer une multilocation de la culture (De
Certeau, 1993). Interpellé sur la filiation entre slam et rap, il a défini le premier
comme un dispositif ou un contenant ouvert, tandis que le rap est conditionné en tant
que genre musical332.

Pour clore la séance, il a proposé un atelier d’écriture collective, qui n’est pas
sans rappeler l’improvisation d’écriture telle que développée et pratiquée par les
slameurs lyonnais de la CIEELL333. Saisissant à la volée des mots énoncés par les
lycéens, et profitant par là-même de l’occasion de démontrer en acte que le slam est
ouvert à tous les possibles et à tous les registres - dont l’argot -, s’agissant
précisément de « repousser les limites du vocabulaire »334, il a commencé à élaborer
au tableau un texte collectif, sous la dictée des élèves. A partir d’un premier mot
(« footballeur »), il a montré comment il procédait pour chercher des rimes

331
« Cybercaféine »/« Le réseau » : la pause permet ici de bien dissocier le lexème « méprise » du lexème
« prise » attendu en combinaison avec « électrique ».
332
Filant la métaphore culinaire, il a expliqué que les recettes du slam sont libres, alors que les ingrédients sont
imposés dans le rap, comme genre musical : « Dans nos shakers, on met des rimes » (Ami Karim, voir p.265)
333
« Constellation d'Improvisation d'Ecriture Ephémère Ludique Lyonnaise » fondée par Marco DSL. Selon la
plaquette de présentation conçue par MP (2009), le public inscrit sur des bulletins des mots, des thèmes, des
syllabes qui seront tirés au sort et auxquels les slameurs ajoutent des contraintes de forme, avant de se lancer
« stylo à la main, à l’assaut de la feuille » : les textes sont ainsi créés sur scène, en direct, et les créations
aussitôt interprétées. Voir aussi notre glossaire (entrée « Improvisation »).
334
Les « Polysémiques », collectif de slameurs rhônalpins auquel MP est associé, prétend justement, dans son
descriptif des ateliers proposés, « repousser les limites du vocabulaire », soit « laisser libre cours au verbe et
permettre à chacun d'exprimer sa création pleinement. » « Tout est mot, précisent-ils, les noms, les prénoms,
les marques, l’argot, le jargon (langage professionnel), les mots étrangers… (…) L'écriture ainsi désacralisée, se
révèle à la portée de tous et chaque parole trouve sa place dans le jeu des mots. Les ateliers sont en réalité un
nouvel espace de liberté apporté aux participants. » (voir en sitographie le blog de ce collectif)
584

multisyllabiques, soit « partout dans le mot »335, en développant un double champ :


homophonique ou phonologique d’une part (cœur, arnaqueur, l’heure, fleur…), et
sémantique d’autre part (stade, Zahia, supporter), avant de fusionner les deux :
« Tous ensemble, tous supporters, les pieds sur terre… » Pour l’autre groupe, la
collecte s’est faite à partir d’un terme argotique « balnaveur » qui a été décomposé
en ses trois syllabes avant de se prêter à des développements homophoniques336
visant à « faire rebondir les syllabes ». La décomposition du signifiant apparaît ici
comme un préalable à l’exploration du signifié, s’agissant d’une poésie pour l’oralité.
Notons que la durée de la séance (1h45) n’a pas permis de développer cette activité,
rendue laborieuse par la coprésence, pour chaque groupe, de deux classes
différentes. D’où une difficulté potentielle à entrer dans une démarche colludique qui
repose sur la cohésion du groupe : obstacle resté latent en réception (les élèves
ayant interagi durant cette phase) qui s’est érigé lors de la phase de production.

14.2.1.3. Bilan et articles des élèves

Horizon d’écoute et pacte colludique

Si Mots Paumés a déclamé « Bienvenue » sans autre préambule, afin d’ouvrir un


horizon d’écoute à travers le texte même337, il a fait précéder les autres slams de
consignes plus précises, tantôt pragmatiques (s’agissant de repérer les noms
d’alcools cachés dans le texte « La vodka du diable »), tantôt analytiques, de façon
à favoriser une analyse distanciée tendant à l’interprétation du texte. A titre
d’exemple, la consigne d’écoute citée en amont du slam « Cybercaféine » (à savoir
de « repérer l’organisation du texte ») devait permettre de poser des jalons en vue de
l’analyse, en différenciant la progression basée sur le signifiant (à un niveau local),
d’une progression plutôt thématique (macrostructure globale), fondée sur le signifié.
De cet horizon d’écoute initial au pacte colludique fondamental et fondateur d’une
slam session, le slameur a donné des clés permettant à l’auditoire d’entrer dans son
univers. Or certaines de ces clés étaient déjà présentes, pour qui sait lire entre les
lignes ou entendre entre les mots, dans son slam d’ouverture « Bienvenue ». Aussi le
pacte colludique s’est-il renforcé au fil de la rencontre et des textes slamés, dont la

335
Ce qui revient à rechercher des paronomases (voir notre glossaire).
336
Balle, ballon, balance, balai… navet, navette, Navarro, naval…
337
Voir ce texte en annexe VI.
585

réception s’est trouvée facilitée par des consignes d’écoute et par une prosodie
expressive. Il a culminé dans la proposition d’écriture collective consacrant
l’aboutissement de la démarche par le réinvestissement des apports et la mise en jeu
de l’interactivité. Notons l’enjeu didactique de ce pacte colludique qui, en contribuant
à désacraliser l’acte d’écrire, est susceptible de faire évoluer le rapport à l’écriture, de
lever des inhibitions liées à des représentations-obstacles (Penloup, 1999).

Choix des textes et affordance

A la suite de Sylvie Juliers (2006, 2008) nous nous proposons de revisiter ce


concept d’affordance en l’appliquant à notre objet, fondé sur une interactivité
essentielle338, le lieu et le public pouvant être impliqués dans la créativité et plus
généralement dans la tournure prise par l’atelier du fait de l’adaptation au contexte.
En l’occurrence, le choix des textes est basé sur une affordance par rapport aux
réactions de l’auditoire, qu’il s’agisse d’un choix explicite (en faisant voter les lycéens
à partir des titres pour choisir le slam) ou d’un lien thématique établi par le slameur à
partir de remarques ou feed-back. D’où le choix de deux textes différents pour la
deuxième étape de la rencontre, en fonction des affordances suscitées par la
situation. En tout état de cause, cette modalité de sélection revient à enrôler les
auditeurs dans le slam, à les impliquer activement, et ce dès l’énoncé du titre qui
permet le déploiement d’un horizon d’écoute propice. D’une manière générale, il
apparaît que les slameurs anticipent rarement sur le choix des textes qu’ils vont
déclamer à l’occasion d’un atelier, se fiant au contexte, à l’ambiance émanant du
groupe, pour choisir celui qui leur semble adéquat à l’ici et maintenant, ce qui pour
l’enseignant semble quasi-inconcevable339. Mots Paumés rend ce phénomène visible
en associant explicitement les élèves à ce choix, qu’il a cependant limité en
circonscrivant lui-même le corpus proposé.

338
Si l’on se réfère à l’origine de ce terme qui n’est pas répertorié comme substantif, il est dérivé du verbe to
afford, pour « to provide something or allow something to happen » (Longman Dictionary of Contemporary
English). Quant à la définition originale de Gibson, elle stipule l’importance de l’interactivité : “He also coined
the term "affordance," meaning the interactive possibilities of a particular object or environment.”
(encyclopédie en ligne, voir en sitographie Il s’agit d’un néologisme par conversion comme le précise le
psychologue : ”The verb to afford is found in the dictionary, but the noun affordance is not. I have made it up. I
mean by it something that refers to both the environment and the animal in a way that no existing term does.
It implies the complementarity of the animal and the environment” (Gibson, 1979 : 127).
339
Ce constat rejoint l’analyse de Sylvie Juliers (2008) observant que les enseignants sont généralement
tournés vers la planification et l’anticipation de leur cours.
586

Portée à son paroxysme, l’affordance se caractérise par la capacité


d’improvisation. Elle peut être emblématisée par le personnage du caméléon, qui
n’est pas sans faire écho à celui de Françoise Gadet, et dont Mots Paumés use lors
de ses one slam shows pour assurer la transition entre ses textes. Une telle image
reflète autant de métamorphoses successives :
« Le sujet poétique, dans bien des œuvres d’aujourd’hui, n’a plus rien de souverain : il
est pris dans un jeu de métamorphoses où il ne cesse de se désapproprier de lui-même
pour laisser parler en son écriture toutes sortes de voix endogènes et exogènes. »
(Pinson, 2008 : 23)

« Mots paumés ne les a pas paumés » !

Suite à la prestation du slameur, les lycéens ont rédigé un article de presse


visant à relater cette rencontre. « Mots paumés ne les a pas paumés »340 : tel est le
titre choisi par un élève, exprimant par là-même d’une appropriation du pacte
colludique qui se trouve réinvesti au cœur des productions.

Document 23 : Production d’élève (lycée Deschaux) suite à la rencontre avec MP

Au vu de cette production, on peut supposer que l’article de presse a été étudié en


tant que type d’écrit, d’où les indications métatextuelles (titre, chapeau). Outre ces
aspects pragmatiques, notons que la formule titulaire résulte d’une première
recherche d’ordre lexical. De fait, le choix de l’adjectif « initiatique », qualifiant le
binominal emprunté à l’anglais slam session, connote une dimension rituelle quasi-

340
Si cet élève se réfère manifestement aux « mots », faisant allusion au blase du slameur, nous pouvons
appliquer cette phrase aux élèves en tant que public que MP a su intéresser et convaincre, en dépit de
réticences manifestes : « j’ai rien compris » a remarqué un élève à l’issue du premier texte slamé.
587

mystique. Dès lors, il semble que la rencontre ait été perçue non seulement comme
une découverte mais au-delà comme une expérience au sein de laquelle les élèves
se sont sentis impliqués, voire enrôlés, soit initiés au sens fort de ce terme. Notons
qu’une combinaison binominale comme « Initiation au slam » aurait été moins
connotée : c’est ici l’adjectivation qui permet d’insister sur cette dimension tout en
conservant le lexème slam – slam session – comme accroche et nœud sémantique.
Au-delà de la définition du slam comme « moyen de s’exprimer », « texte très
réfléchi » et construit avec des mots « recherchés », « à double sens », c’est la
transmission symbolique d’une « passion » qui est perçue par cet élève, ce qui
rejoint notre constat précédent quant aux enjeux de la venue d’un artiste. S’il a saisi
la « philosophie » et la « culture », qui nourrissent l’œuvre du slameur, c’est que
cette initiation l’a amené bien au-delà de la seule rencontre. Sur un mode
expérientiel et collectif, il a été confronté à la « création », au poieien en jeu et en
acte. C’est non seulement à l’histoire du slam mais aussi, et surtout, à « l’éthique et
la philosophie d’une pratique » (voir supra) que les élèves ont été sensibilisés,
plongés dans une atmosphère créative (Bing, 1993) conforme à l’esprit du slam. On
entrevoit là comment le slameur grenoblois a réussi à transmettre aux lycéens le
sens et l’essence de sa discipline, tout en leur donnant accès à la signification qu’il a
lui-même élaborée en se l’appropriant. Au-delà des « mots paumés » et des clés
d’accès à son propre néostyle, ce sont autant de portes ouvertes vers une libération
du verbe.

14.2. 2. Un atelier avec Souleymane Diamanka

En ce qui concerne Souleymane Diamanka, dont les poèmes ont fait l’objet de
notre chapitre 9, nous avons mis en place deux types d’atelier : d’une part, une
séance réalisée au CUEF avec des étudiants de niveaux hétérogènes, où il n’était
présent qu’à travers son texte et la photographie de son bloc-notes ; d’autre part, un
atelier qu’il a animé dans le cadre périscolaire d’une bibliothèque municipale, sur
trois jours consécutifs et qui a donné lieu à une restitution publique en juillet 2011341.
Ce faisant, nous visions aussi à « établir un pont entre deux mondes qui s’ignorent »
(Penloup, 2000b : 33), entre les sphères scolaire et extrascolaire ou périscolaire.

341
Voir la photo en page de garde et la vidéo illustrative de ce chapitre.
588

14.2.2.1. Une séance au CUEF (atelier in absentia) : la petite fabrique de slam

Dans la lignée de La petite fabrique d’écriture (Vermeersch, 1996) que nous


avons croisée, pour les besoins de ce contexte d’enseignement du FLE, avec la
Machine à écriture (Vigner, 1985), nous avons conçu, en amont de la venue du
slameur, une séance intitulée « La petite fabrique de slam »342. De l’approche
développée par Gérard Vermeersch, nous avons retenu comme enjeu du jeu
poétique de stimuler le nécessaire « oser dire » et cette exigence que « l’authentique
situation de communication réconcilie alors, dans le jeu poétique, la rime et la vie »
(1996 : 9). L’idée est la suivante : à partir de « structures syntaxiques tremplins », les
participants empruntent aux poètes pour jouer avec les contraintes. Approche qui se
veut « ouverte, en amont comme en aval, aux adaptations et aux transpositions »
(1996 : 10), et que nous avons justement tenté de transférer à un contexte
d’enseignement du FLE. Nous nous sommes inspirée d’une séance exploitant le
poème surréaliste « J’aime »343, que nous avons rapproché du slam « Je t’aime,
Ndeysaan » (SD)344, en reprenant à notre compte les objectifs suivants :
- Sentir le rapport musicalité/sens dans la structure énumérative ;
- Sentir les appels d’un mot à l’autre ;
- Pratiquer l’énumération rythmée à effet poétique (1996 : 28)

Dans le texte de Souleymane Diamanka comme dans le poème surréaliste, l’effet


poétique résulte de « l’exploration d’un phénomène langagier ordinaire » (Adam,
1983 : 63)345 : déclaration d’amour du slameur aux femmes, à l’occasion de la
journée du 9 mars, poétisée par la formule-refrain en langue peule « N’deysaan »
qui, par son opacité même, contribue à libérer l’imaginaire. La poésie nait ici cœur de
l’énumération, au gré des rencontres sonores et sémantiques entre les mots :
« Un mot peut suggérer un autre mot de sens proche ou de sens opposé, un mot jouant
la rencontre sonore, un mot de même rythme, un mot de même nature grammaticale. Il
en va de même des expressions. De plus, ces différents appels peuvent se combiner. »
(Vermeersch, 1996 : 30)

342
Cette séance s’inscrit dans le prolongement de notre expérimentation précédente (chapitre 13), mais avec
un groupe différent et avec le double enjeu d’explorer plus avant le travail sur la phraséologie et la capacité
d’un texte de slam à se prêter à des exploitations différenciées selon les niveaux des étudiants.
343
D’après J.B. Brunius, cité par Vermeersch (1996 : 29).
344
Ce poème figure sur la page Myspace du slameur (voir en sitographie).
345
Jean-Michel Adam utilise cette formule à propos du poème de Claude Roy « Si », cette conjonction opérant
« la création d’un univers ». En l’occurrence, il nous apparaît que la formule « N’deysaan » joue ce rôle : « la
communication littéraire-poétique s’accomplit dans un contexte de suspension du modèle de vérité social
actuel. » (Adam, 1983 : 163)
589

En effet, la progression du poème de Souleymane Diamanka est basée sur des


enchaînements rythmiques, phonologiques ou sémantiques, des rimes brisées et des
mots qui font couplage (Meschonnic, 2005 : 171)346 :
« Fille adoptive, je t’aime, Femme voilée, je t’aime
Femme active, je t’aime, Femme violée, ndeysaan »
Le texte se tisse ainsi, de mots en mots, de caravanes de mots en caravanes de
mots (Galisson, 1999), et c’est précisément à cette trame que l’auteur de La machine
à écriture (Vigner, 1985 : 5) nous invite à réfléchir : « A quelles conditions une suite
de mots doit-elle répondre pour constituer un texte ? ». Les relations lexicales entre
les mots récurrents (« femme », « fille », « sœur »), mises en relief par la structure
anaphorique, s’élaborent en réseau. S’il s’agit d’une énumération poétique, nous
visions aussi, dans un contexte d’apprentissage du FLE, à favoriser la découverte et
la mémorisation de combinaisons lexicales de type collocations (« mère
nourricière »), locutions (« femme au foyer ») et mots composés (« sage-femme »).

Cette séance – mise en place grâce à la collaboration de Catherine David,


professeure au CUEF – devait donc permettre aux étudiants de ce groupe (16
étudiants de niveaux hétérogènes, de A1 à C1) non seulement de découvrir le slam
en tant que mouvement naissant, mais aussi d’entrer dans sa fabrique, de se
confronter à la création en s’essayant à écrire en français tout en développant des
compétences lexicales sur les collocations, la place des adjectifs et les expansions
du nom. Nous avions observé l’importance de la composante médiologique dans
l’œuvre de SD347 et l’intérêt didactique de permettre aux élèves d’entrer dans le
processus de création au-delà du seul repérage des procédés de créativité. D’où
l’idée de « La petite fabrique de slam » avec une entrée en matière par le bloc-notes,
suivie d’une écoute, puis d’activités différenciées, le poème pouvant se prêter à
différents niveaux d’analyse. Le tableau suivant retrace le déroulement de la
séance :

346
Meschonnic évoque en ces termes la paronomase qu’il définit comme « inclusion partielle ou totale d’un
signifiant dans un autre » (2005 : 166).
347
Voir notre chapitre 9 consacré à l’analyse du néostyle de ce slameur.
590

Etapes Objectifs/activités Supports


Entrée en Consulter des documents multimédias pour se faire En salle multimédia :
matière : une idée du slam et être capable d’en parler à ses liens sur le blog du
348
le slam pairs (niveau avancé ) professeur
Entrée en slam : Observer le bloc-notes du slameur, identifier le type Page du bloc-notes
le poème d’écrit dont il s’agit en prélevant des indices et en les projetée au tableau
explicitant par le recours aux métalangage poétique
Activités Comprendre comment le texte est conçu, construit, Ecoute (page myspace
d’écoute/CO & sous la forme d’une énumération poétique du slameur)
CE Repérer les associations lexicales privilégiées Puis découverte du
texte écrit (fiches
différenciées)
Interprétation et Interpréter ce poème par rapport au contexte dans
débat (EO) lequel il a été créé
Exprimer une appréciation/une opinion sur ce sujet
Lexique et EE Rechercher des combinaisons lexicales à partir de Dictionnaires
mots « homme », « frère », « garçon », « père », en
s’aidant d’un dictionnaire
Les réinvestir dans une production
Exposé (EO) Présenter un court exposé (niveau avancé) à partir
d’une investigation documentaire sur le slam
Tableau 14 : Déroulement de la séance « La petite fabrique de slam »

L’entrée en matière s’est faite en deux temps : en salle multimédia d’abord, pour
une investigation sur la toile, puis en classe pour une incursion dans l’univers
poétique du slameur. En salle multimédia, les élèves se sont livrés à une préparation
de l’activité via une recherche sur le slam (le concept, ses origines et ses modalités).
En amont, l’enseignante avait intégré à la rubrique « culture » de son blog des liens
permettant aux apprenants d’explorer l’histoire et les fondements du mouvement : un
lien vers le site Planeteslam, site de référence sur la question, leur permettait de se
confronter à une définition écrite, puis un second vers le site d’Arte les a amenés à
découvrir le fondateur du slamming, à travers la transcription d’une interview et de
performances filmées. A partir de là, les élèves de niveau avancé devaient prendre
des notes pour pouvoir rendre compte en français de leur recherche sous la forme
d’un exposé. En classe, c’est le bloc-notes du poète qui a servi de support pour une
entrée en matière visant à pénétrer dans le processus de création d’un poème. En
observant les caractéristiques de ce texte, les étudiants ont émis des hypothèses sur
le type d’écrit dont il relevait : une élève a suggéré qu’il s’agissait peut-être d’un
journal intime, d’un agenda (diary) ; une autre a remarqué que cela ressemblait à un
poème, ce qui a permis d’introduire (ou de réactiver) le métalangage poétique
adéquat (vers, strophes, rimes, anaphores). Une fois identifiés la forme poétique et le

348
Cette activité s’adresse à tous les niveaux, l’accès aux investigations documentaires étant facilité par la
présence d’interview en anglais du fondateur, mais l’exercice de restitution sous la forme d’une exposé était
destinée aux élèves de niveau avancé.
591

thème, éclairé par les circonstances dans lesquelles ce poème a été écrit (la journée
du 8 mars), la construction en a été commentée : sur quel type de progression est-
elle basée ? A partir de là ont été repérés les anaphores, liens sonores et
sémantiques d’un mot à l’autre, d’un vers à l’autre. D’une manière générale, cette
entrée en matière via le manuscrit visait à susciter une curiosité, un horizon d’attente
particulier. En découvrant et en décrivant un livre, puis un cahier, avec une main –
supposément celle du scripteur –, les étudiants ont été confrontés à des aspects
médiopoétiques qui tendent à rendre l’écriture plus concrète, plus accessible.

Les activités différenciées étaient conçues afin de prolonger l’écoute et


l’observation par une réflexion d’ordre linguistique. Une première écoute, neutre, a
permis de guider la compréhension du poème, relativement aisée une fois surmontés
les obstacles lexicaux (comme le terme « flic ») et facilitée par le flow du slameur. Ce
dernier a d’ailleurs été commenté et comparé à la mer, avec un rythme lent et doux,
progressant comme par vagues, d’où une resémantisation de ce concept de flow349.
Les échos sonores (paronymes : femme décidée/femme des cités) et oppositions
sémantiques ont été relevées (antonymes : mère noire/ dame blanche, femme du
peuple/ fille de roi), ainsi que certains formules témoignant de créativité dans la
combinatoire : « Mère noire/Mer noire ». Sur un plan syntaxique, ont été repérés les
différents types d’enrichissement du GN (nom + adjectif, nom + nom, nom +
préposition + nom), en vue d’une aide à la production écrite. Dès lors, les étudiants
ont pu s’appuyer sur la structure sonore du poème (rimes, paronomases) pour
retrouver les adjectifs manquants. Nous avons en effet proposé une seconde écoute
assortie d’exercices écrits différenciés selon les niveaux350. Les deux étudiants
débutants (A1.0) disposaient du texte intégral et devaient y repérer les adjectifs
qualifiant les lexèmes « femme », « fille », « sœur » ; les sept apprenants de niveau
A2 avaient pour consigne de compléter le texte avec les adjectifs manquants qui
figuraient en bas de la fiche ; quant aux sept apprenants de niveau avancé (à partir
du niveau B1), ils devaient réaliser cet exercice de closure351 sans l’aide des mots
écrits. La correction a été réalisée par confrontation avec son voisin, puis
collectivement, ce qui a donné lieu à un exercice de mise en voix.

349
Voir notre glossaire, entrée « flow ».
350
Voir les fiches correspondantes en annexe XII.3.
351
Nous utilisons cet anglicisme pour « texte à trous », en l’empruntant à Taylor (1953) qui a défini le test de
closure et de là, la tâche de closure consistant à retrouver dans un texte tronqué les mots manquants.
592

Afin d’approfondir l’interprétation de ce slam, nous avons ouvert un débat sur le


statut de la femme en demandant aux étudiants (dont une très nette majorité
féminine) quel était l’adjectif, le qualificatif le plus éloquent à leurs yeux et pourquoi.
Les syntagmes de « mère nourricière » et de « femme libre » ont été mis en valeur,
tandis que d’autres formules étaient énoncées comme le binominal « femme nature »
pour désigner une femme « sans artifice ». Le débat aurait pu prendre une tournure
philosophique, si nous n’avions eu l’intention de proposer une consigne de
production dans le prolongement de cette découverte : les étudiants ont alors été mis
en situation d’écrire un texte pour la « journée de l’homme », en recherchant des
associations lexicales autour des lexèmes « homme », « fils », « père », « frère ».
Avec l’aide du dictionnaire, chaque binôme devait en relever quatre, afin de
concevoir un texte collectif, à la façon des cadavres exquis. Des propositions
intéressantes, plus ou moins originales, ont été formulées (homme-grenouille,
homme-orchestre, homme de Vitruve…) et les élèves invités à poursuivre leur
rédaction en autonomie. La séance s’est achevée par l’exposé d’une apprenante de
niveau avancé sur le slam : d’origine américaine, cette étudiante a cité l’exemple de
Sarah Kay352 et de son texte « If I should have a daughter », en plus de ses
investigations sur les sites proposés. En guise de prolongement, le texte de Grand
Corps Malade « Pères et Mères » aurait pu être écouté et exploré, dans la lignée de
l’exploitation élaborée par les auteures du Vocabulaire en classe de langue (Cavalla
et al., 2009). A la différence de la démarche citée, la recherche lexicale telle que
nous l’avions conçue n’était pas motivée par la seule analyse du texte, mais finalisée
par une activité de réinvestissement dans une production écrite, et tournée vers une
créativité reposant sur la combinatoire. A l’issue de cet atelier slam in abstentia, il
apparaît cependant que l’atmosphère créative ne saurait naître et se déployer dans
l’espace et le temps (limité à une heure et demie) d’une séance unique. En outre et à
n’en plus douter, la présence du slameur agit ici comme un catalyseur de la
créativité.

352
Qualifiée de “spoken word poet”, cette poétesse est connue pour ses performance*s et son projet VOICE :
“VOICE (Vocal Outreach Into Creative Expression) is a national movement that celebrates and inspires youth
self-expression through Spoken Word Poetry.” (voir en sitographie)
593

14.2.2.2. Un atelier à la bibliothèque (in praesentia)

Contexte

En juillet 2011, nous avons profité de la venue du slameur auteur de ce poème


pour observer l’atelier qu’il a mené à la bibliothèque municipale Teisseire Malherbe.
Cet atelier d’écriture slam était destiné à un groupe d’adolescents issus de divers
quartiers de Grenoble, certains participant à titre individuel, d’autres étant
accompagnés de leurs éducateurs. D’où un groupe de 15 élèves (12 filles pour 3
garçons), foncièrement hétérogène quant aux âges (10-25 ans) et au degré de
familiarité avec la langue française : trois élèves étaient d’origine Kosovare et
nouvellement arrivées en France, l’une d’entre elle servant de tutrice et de traductrice
aux deux autres353 ; une participante se distinguait comme slameuse initiée et se
destinait au professorat. En outre, ce groupe était foncièrement mouvant, avec de
nouvelles arrivées quasi-quotidiennes, car constitué sur la base du volontariat et
corrélé au fonctionnement de structures de quartiers354. L’atelier a eu lieu dans une
salle de formation ouverte sur la bibliothèque et dans un petit amphithéâtre pour la
préparation de la restitution. Les élèves avaient la possibilité de se déplacer dans la
bibliothèque et d’utiliser les ordinateurs ; les dictionnaires et autres livres étant à leur
portée, certains y ont eu recours. Nous verrons que les possibilités offertes par ce
lieu ont leur importance, notamment par rapport au concept d’affordance.

Déroulement

L’atelier s’est déroulé sur trois jours consécutifs, soit trois séances de deux
heures suivies d’une restitution d’une demi-heure sur une scène installée en plein
air355 ; les séances ont eu lieu les après-midis, à un horaire fixe (14-17h). La
progression, basée sur des réécritures successives à partir d’une consigne initiale
simple, de « structures syntaxiques tremplins » (Vermeersch, 1996 : 9), a permis
d’intégrer aisément les nouveaux participants lors des deux premières séances.

353
Elèves intégrées en classe d’accueil (CLA) et désireuses de progresser en français, l’une étant arrivée en
France depuis un an, les deux autres (ses cousines) depuis seulement 3 mois.
354
Les éducateurs de rue se sont efforcés de convaincre des adolescents du quartier de participer, ne serait-ce
qu’« épisodiquement » à l’atelier.
355
Dans le cadre du programme d’animation estivale « Un été au parc Paul Mistral ». Cet atelier relevait donc
d’une pédagogie de projet, avec une finalisation via la socialisation des écrits.
594

Etapes Activités Objectifs


1. Présentations Présentation de la consigne : écrire Lancer l’activité d’écriture à
un texte pour parler de soi/ se travers une consigne simple,
présenter à partir d’amorces simples accessible à tous.
du type « Je m’appelle, j’ai…,
j’aime… »
2. Oralisation Oralisation des premiers jets : Faire connaissance avec le
présentations des participants groupe.
Favoriser une dynamique de
groupe et la valorisation des
langues maternelles (LM)
3. Réécriture 1 + Première réécriture visant un Valoriser et sensibiliser à la
déclamation enrichissement à l’aide de rimes. musique des langues.
Est introduite la possibilité d’intégrer (albanais, turc, arabe) +
des alternances en LM. quelques mots en anglais
Exemple : début de « L’Hiver Peul »
où SD décline le nom de ses
ancêtres peuls
4. Jeu : « La bombe Le jeu est mis en œuvre à la façon Favoriser la conscience
de rimes » d’un tournoi : les élèves qui ne phonologique.
trouvent pas de mot en moins de 3 Donner des outils d’écriture en
secondes sont éliminés. Les sensibilisant aux échos
homonymes sont autorisés (épelés). sonores de différents types.
5. Réécriture 2 Seconde réécriture visant un Découvrir d’autres formes de
enrichissement à l’aide de rimes rimes qui ne jouent pas sur les
multisyllabiques et de « mots qui font seules finales (=
rêver », en référence aux éléments. paronomase).
Cela étant, il est précisé que tous les
mots sont autorisés dans le slam, y Faire réfléchir au potentiel
compris l’argot. d’évocation poétique de
Des aides collectives sont apportées chaque mot en tirant profit de
en cours de réécriture pour les la dynamique et de
élèves qui bloquent. l’hétérogénéité du groupe.
6. Oralisation Seconde oralisation : debout, pour Partager son texte.
que la voix porte Sentir et faire sonner la
musique des lettres, née des
échos sonores.
7. Percussions Des percussions corporelles sont Reproduire un rythme.
corporelles exécutées d’abord collectivement, Réaliser une activité
puis selon des modalités évolutives collective, se synchroniser.
au fil des séances.
8. Slam offert Un poème est déclamé par le Illustrer des procédés cités.
slameur : « Les poètes se cachent Partager un poème qui
pour écrire » ; « Moment implique le public. (voir infra)
d’humanité ».
Tableau 15 : Séance type de l’atelier avec Souleymane Diamanka

D’une séance à l’autre, le même texte a fait l’objet d’enrichissements et de


réécritures successives. Des percussions corporelles ont été exécutées à la fin de
chaque séance, ce qui présente un intérêt certain en vue de la cohésion du groupe
(voir infra) tout en renvoyant à l’approche du slam comme l’art de faire claquer les
mots. Lors de la dernière séance, les textes ont été recopiés et tapés à l’ordinateur,
ce qui a permis des jeux graphiques anticipant sur l’oralisation (voir la production de
Rahim, document 24). Ils ont été ensuite oralisés face au public du groupe qui
595

formulait des conseils sur le phrasé, le débit, l’intensité de la voix, la prononciation et


les liaisons (pour les élèves Kosovares). Cette préparation à la scène a occasionné
une digression sur la présence de mots vulgaires dans un texte : ils tendent à
« prendre toute la place », à monopoliser l’écoute, a mis en garde le slameur, d’où le
conseil de les éviter, même si des termes d’argot ont leur place dans un slam.

Analyse des slams produits

Les trois slams reproduits ci-après nous paraissent révélateurs d’une démarche
dont la simplicité même et la complexification progressive ouvrent un potentiel de
créativité. Les amorces (« je m’appelle, j’ai, j’aime, je viens… ») ont été reprises par
chaque élève, les strates de la réécriture restant apparentes pour Amel comme pour
Donjetta qui a intégré des alternances codiques dans sa langue natale356. La
contrainte des rimes multisyllabiques se traduit par des enchaînements
paronomastiques : Rahim, rime, hymne ; Myriam, slam, âme ; Amel, caramel…
Nombreuses, les rimes internes contribuent à scander le rythme par l’accentuation
des syllabes et des phonèmes assonancés : « J’ai onze ans et demi mais j’trahis pas
mes amis », slame Myriam. « J’ai onze ans et j’ai du cran, si t’en doutes, j’te laisse
dans le vent », clame Rahim. Si la première profite de cette expérience poétique
pour se livrer – jouant elle-même sur l’homonymie de ce lexème dans un lieu où elle
est précisément cernée de livres – et ce, avec sincérité, le second a intégré à son
slam une adresse fondamentale qu’il valorisera, lors de la restitution, par un flow très
scandé, quasi rappé. L’expressivité de son texte est mise en relief par une
typographie (balloooon) qui anticipe sur l’oralisation : Rahim s’est livré à un jeu sur le
signifiant qui se trouve ici matérialisé dans l’espace de la page. Celui qui s’est vu
surnommé « le roi de la rime » traduit ainsi sa quête de musicalité par le recours à
une matrice onomatopéique (« ouste ! »). Si le je est prégnant – les amorces
induisant une forme d’egotrip –, l’adresse émerge à travers une interpellation « si t’en
doute(s) ». L’enjeu identitaire passe alors au premier plan comme en témoignent
l’ancrage dans un quartier et la référence au foot. On peut cependant observer que
le pôle idéel (Reuter, 2000) semble avoir été sacrifié au profit du jeu sur la matérialité
des mots et aurait pu faire l’objet d’une réécriture : « Grenoble ville de nobles… »
apparaît d’ailleurs comme une formule récurrente dans les textes produits.

356
Souleymane Diamanka préfère parler de « langue natale » que de « langue maternelle » et c’est en ces
termes qu’il a présenté aux participants la possibilité d’intégrer cette langue originelle à leurs textes. (voir infra)
596

Document 24 : Productions de Rahim et Myriam (Bibliothèque Teisseire, juillet 2011)

Au vu de cette dernière production, force est de constater qu’Amel s’est


approprié la consigne en intitulant son texte « Carte d’identité », s’agissant à
l’évidence d’un texte de présentation. En
outre, l’usage qu’il fait des tirets et plus
généralement la mise en espace de son texte,
reflètent les différentes strates de son écriture,
par réécritures et enrichissements successifs.
On note enfin le réinvestissement du procédé
de rime multisyllabique, soit de paronomase.
La forme adoptée est plus « scolaire » (titre,
tirets…), ce qui montre la prégnance du
contrat didactique357.
Document 25 : Production d’Amel

L’ensemble de ces productions révèle une conception palimpsestuelle et


polyphonique de l’écriture qui n’est pas sans évoquer le néostyle du poète : écrire en
procédant par touches et retouches successives, en laissant la trace de cette
réécriture patente, en donnant voix à d’autres langues qui habitent en soi. Notons
que la présence de trois participantes albanophones a pu influer favorablement sur
un rapport complexe à leurs propres langues maternelles d’adolescentes

357
Constat que nous pouvons imputer aussi à ma présence, Amel étant le frère cadet d’un élève scolarisé dans
mon ancien établissement.
597

anciennement arrivées en France ou nées en France, et dont l’intégration semble


avoir impliqué, consciemment ou inconsciemment, une certaine inhibition vis-à-vis de
cette langue première358.

Affordance et mouvance

Un premier bilan peut être établi en termes d’affordance : c’est d’abord une
capacité à tirer profit du lieu que nous n’avions guère exploité lors de nos propres
expérimentations (la présence de livres, de dictionnaires, d’une salle de type
amphithéâtre pour travailler l’interprétation) ; c’est aussi la capacité à tirer profit d’un
groupe ouvert et riche dans son hétérogénéité même, afin de faire évoluer une
situation initiale (travail en binômes pour les percussions corporelles, apport de mots
lors du jeu « La bombe de rimes »359) et de délier les langues ; c’est enfin le choix et
la mouvance des textes ou la zone de mouvance instituée au sein de certains d’entre
eux. Ainsi « Les poètes se cachent pour écrire », qui « fonctionne bien » dans ce
contexte, comporte une zone de mouvance localisée dans le refrain qui permet
d’enrôler l’auditeur :
« C’est pas une légende, Rouda, regarde-nous »
→ « C’est pas une légende, mes amis, regardez-nous », (1)
→ « C’est pas une légende, Rahim, regarde-nous » (2)
Cette zone de mouvance dont le slameur avait esquissé les contours en entretien360
permet l’adresse à un public, qu’elle soit collective (1) ou individuelle (2), à travers
une interdiscursivité que le participant ici interpellé a précisément intégrée à son
propre slam (voir supra la production de Rahim). On retrouve là la dialectique entre
l’individuel – à travers l’écriture de soi, de l’intime – et le collectif via le moment de
partage poétique propre au slam. Or ce moment concrétise une capacité
d’affordance qui rejoint, d’une certaine façon, l’idée de slam offert361.

358
La hiérarchie sociale des langues a pu entrer aussi en ligne de compte ici, des langues comme l’arabe et le
turc étant peu valorisées dans notre société.
359
Ainsi les élèves dont le lexique d’avère plus riche peuvent enrichir le corpus de mots communs. Apport de
mots dont certains collectifs de slameurs nous ont confié l’efficience (voir notre entretien avec Rouda).
360
Entretien du 24/09/10, voir en annexe III.
361
Notons que l’un des sens du verbe to afford est précisément d’« offrir ».
598

Démarche : mouvance (interdiscursivité) / statut (slams offerts) & choix des textes

A f f o r d a n c e

Dispositif : lieu/contexte groupe de participants répertoire du slameur

Figure 9 : Représentation de l’affordance en jeu dans les ateliers slam

Slams offerts et écriture partagée

Interrogeons-nous à présent sur le rôle et la place des textes slamés au fil de


l’atelier. On observe que des fonctions diverses leur sont attribuées, en fonction de la
personnalité du slameur et de la façon dont il conçoit l’atelier. Le premier slam
déclamé par Souleymane Diamanka est un extrait de l’Hiver Peul dont il constitue le
prologue : le poète y décline ses origines et la musique des noms peuls s’y déploie.
Cet exemple a été choisi comme illustratif de la consigne formulée à partir des
amorces (« Je m’appelle… ») et représentatif d’une musique des lettres à laquelle les
slameurs aspirent. Les autres poèmes déclamés ont assuré une fonction de clôture
de la séance ou de la scène finale, tels « Les poètes se cachent pour écrire » ou
« Moment d’humanité » (deuxième séance). Contrairement à Mots Paumés qui
appréhende parfois la rencontre comme une démonstration, à aucun moment le
slameur n’a voulu conduire les élèves à l’analyse de ses propres poèmes, qui
demeurent des slams offerts. A la différence du slameur grenoblois, Souleymane
Diamanka ne laisse pas les participants choisir les textes qu’il slame et ne les
introduit aucunement. S’il n’a pas proposé de situation d’écriture collective ou duelle,
il les a pourtant initiés à une forme d’écriture partagée, à laquelle il s’adonne lui-
même en partageant ses « gammes » et autres jeux poétiques sur la toile362. Nous
proposons ce concept en référence aux lectures partagées (Grossmann, 2001)363 : il
s’agit à la fois d’une écriture destinée au partage (en aval) en vertu de sa finalité
scénique, et d’une écriture fondée sur le partage (en amont ou en cours de genèse),
via une interactivité mise en jeu dès la genèse du texte. Ainsi, les situations d’écriture
partagée peuvent non seulement reposer sur des rapports symétriques (entre pairs)
mais aussi tirer profit d’une communication transgénérationnelle si l’atelier est ouvert

362
Voir à ce sujet notre chapitre 9.
363
Francis Grossmann les définit comme « moments de lecture qui réunissent adultes et enfants (…) autour de
la lecture d’albums ou d’histoires ». Moments souvent informels et qui peuvent être considérés comme « des
formes de communication transgénérationnelle » (2001 : 136).
599

à tous publics. Cela revient à favoriser une écriture soutenue par l’échange,
l’échange étant impulsé par l’écriture. Or cette possibilité a été exploitée à plusieurs
étapes de la démarche, en jouant sur l’alternance de phases d’écriture et d’échange :
- à travers les situations de jeu préparatoires à l’écriture ;
- à travers les aides collectives apportées en réponse à des problèmes
d’écriture soulevés en cours d’écriture ou en vue d’une réécriture364 ;
- à travers la mise au propre des textes, le passage par l’écran de l’ordinateur
(autour duquel plusieurs participants étaient regroupés) encourageant de
facto les interactions et commentaires métatextuels.

A l’appui de ce dernier point, Christian Jacomino - linguiste, poète et pédagogue - a


déduit de « l’observation conjointe »365 du texte sur l’écran que « le premier avantage
de l’édition numérique sur l’édition papier consiste en ce qu’elle permet un meilleur
partage du texte. »366

Percussions corporelles, cadence et rythmes

Une autre spécificité de l’atelier slam tel que le conçoit Souleymane Diamanka
est qu’à travers la présence du slameur et sa prestation scénique, il reconnaît et
valorise le rôle du corps, s’agissant précisément de donner corps à un poème en
l’incarnant sur scène. Gisèle Pierra, dans un article intitulé « Le poème entre les
langues : le corps, la voix, le texte », décrit cette tentative de « rejoindre les mots par
le corps et le corps par les mots » : « tel est, il me semble, le pari de l’accès
esthétique au langage par le poème », conclut-elle (2003 : 360) tout en soulignant
que l’apprenant retrouve ainsi, via l’expérience esthétique, sa puissance de sujet
parlant dans et par l’autre langue » (2003 : 361). Qu’ils soient francophones ou
allophones, les slameurs en herbe ont éprouvé, intégré le corps et le rythme de leurs
propres mots. Ils se sont aussi confrontés à la cadence du groupe lors des
percussions corporelles exécutées selon des modalités variées : en collectif frontal
(les participants répondant au slameur-animateur), en duel (face à face, entre
participants) ou en groupes, comme en attestent les photos présentées ci-après.
Cette activité répond donc au besoin de trouver un rythme commun, qui permette

364
Voir aussi l’idée de « débats de création » suggérée par Fabien Piquemal (voir p.450).
365
De même que Francis Grossmann a noté « l’observation conjointe » des images d’un album dans le cadre
des lectures partagées (2001 : 14).
366
Nous soulignons. Article publié sur la toile : « L’apprentissage de la lecture s’est toujours opéré sur le mode
de la lecture partagée » (voir en sitographie).
600

l’intégration de tous au sein d’un groupe foncièrement hétérogène,


hétérogène, mais fédéré par la
réalisation d’un projet collectif. Pour Meschonnic, « le rythme engendre la
collectivité » et le rythme socialisé devient cadence, trait d’union :
« La cadence est d’abord un acte social. Mais cadence ou non, le rythme met le lecteur-
lecteur
auditeur d’accord. Avec une trans-subjectivité
trans subjectivité qui déborde le sens. » (1982 : 650)
Elément commun au langage et au corps, « gardien du corps dans le langage »
(Meschonnic, 1982 : 651), le rythme est catalyseur d’une appropriation de
d la langue :
il est le lieu d’une activité collective qui suppose de se mettre physiquement en jeu et
en phase avec les autres, tout en trouvant dans le langage ses propres phases367.
On entrevoit là comment le colludique peut se concrétiser à partir de ce type de
démarche et comment l’expression corporelle constitue une passerelle
interculturelle/interlinguale pour des élèves dont l’apprentissage du FLS est en cours.

Document 26 : Photos
hotos prises lors de l’atelier à la bibliothèque Teisseire Malherbe (8/07/11)

De la mise en mots à la mise en corps en passant par la mise en voix, les


percussions corporelles ont donc catalysé l’expérience d’une danse avec les mots :
« L’écriture encore moins chez l’enfant que chez l’adulte est chose passant directement
du cerveau à la feuille, mais danse se vivant dans
dans le corps, impulsée par les sens »
(Bing, 1993 : 44)
Si l’on retrouve chez Souleymane Diamanka des traits de son néostyle dans sa
manière d’animer des ateliers, qu’en est-il
est de Grand Corps Malade ?

367
Voir notre glossaire, entrée « phases* ».
601

14.2.3. Une rencontre avec GCM

Le slameur considéré comme prototypique et dont nous avons analysé le


répertoire dans notre chapitre 10 semble avoir à cœur d’animer des ateliers. Il se dit
d’ailleurs proche des préoccupations d’une « Education Nationale » pour laquelle il
s’engage dans l’un de ses slams (2010), deux ans après avoir pris décliné « Le Blues
de l’instituteur » (2008). Au-delà de cet engagement médiatique et symbolique,
comment s’implique-t-il en tant qu’animateur d’ateliers ? C’est à cette question que
nous tenterons de répondre, en confrontant ses propos recueillis par une journaliste
de la Nouvelle Revue Pédagogique aux données issues de notre propre enquête.

De l’interview…

Dans l’interview publiée sur le site de la Nouvelle Revue Pédagogique368,


précédemment citée, « celui qui a donné au slam ses lettres de noblesse » fait part
de son engagement, de ses convictions et d’un style dont ses textes se font le reflet.
Ainsi, à la journaliste qui l’interroge sur « une expérience poétique essentiellement
liée à l’oralité », il répond par son titre « J’écris à l’oral ». Récusant la part
d’improvisation ou d’« élan poétique » le concernant, il décrit une pratique
d’oralisation quasi immédiate de ses textes qui n’est pas sans rappeler l’épreuve du
« gueuloir » d’un Flaubert : « Les phrases mal écrites, écrivait ce dernier, ne résistent
pas [à l’épreuve de la lecture à voix haute] ; elles oppressent la poitrine, gênent les
battements de cœur, et se trouvent ainsi en dehors des conditions de la vie »369.
Invité à répondre aux détracteurs du slam qui décrètent qu’il s’agirait d’un
« appauvrissement de la langue » et lui dénient toute forme de « légitimité littéraire »,
il répond qu’il ne prétend nullement concurrencer les auteurs classiques mais
ambitionne simplement de révéler le potentiel poétique des mots de notre temps
comme le verlan et l’argot. Tel est bien le néostyle métissé, analysé précédemment,
qui caractérise ses textes à nos yeux. Et le slameur de faire référence à Alain Rey
(émission de radio citée) qui, à l’inverse, reconnait le potentiel néopoétique du slam.
Interrogé sur ses influences, littéraires ou autres, il insiste sur une culture de l’oralité
et de la chanson, emblématisée par Brassens, tout en précisant qu’il rêverait de
pouvoir inviter un Rimbaud ou un Verlaine sur une scène slam ! Du « pouvoir des
mots », il souligne qu’ils peuvent « faire du bien », pour celui qui les émet comme

368
Interview citée, disponible sur le site (voir notre sitographie).
369
Lettre à Madame Brenne, 8 juillet 1876, consultée sur le site de la BNF (voir en sitographie).
602

pour celui qui les reçoit. Quant à formuler un message à l’attention des professeurs
de français, le slameur les incite simplement à écrire, ou plutôt à faire écrire de la
poésie et non seulement à en faire réciter. A ses yeux, le « par cœur » ne suffit pas
pour accéder au cœur de la langue : pour que les élèves s’approprient les mots et
constatent leur pouvoir, il faut qu’ils trouvent les leurs, qu’ils expérimentent et
éprouvent rimes, assonances et jeux de mots. D’après le slameur, c’est par ce détour
ludique - ou colludique, serait-on tenté d’ajouter - que l’élève peut redécouvrir le mot
poésie et goûter au plaisir qui s’ensuit370. Dans ces conditions, le slam pourra être
appréhendé comme une passerelle vers la poésie classique, et le slameur assume
pleinement ce rôle de passeur.

… à l’entretien

Au delà des convictions qui l’animent et dont il fait part dans la presse, c’est sur
la façon dont il conçoit et anime les ateliers que nous avons invité GCM à s’exprimer
lors de notre entretien du 21 juillet 2011371. De fait, le slameur de Saint-Denis aime à
faire référence dans ses textes au monde scolaire qu’il côtoie, entre autres lieux où il
anime des ateliers. Dès 2005, il a fondé l’association « Flow d’encre » grâce à
laquelle des ateliers d’écriture fleurissent en Seine Saint Denis372 ; il participe au
projet « 93 La caravane de mots » aux côtés d’autres slameurs et activistes du slam
comme Didier de Kabal, Félix J., Hocine Ben, Ami Karim.373 Fabien Marsaud nous a
donc confirmé qu’il animait encore régulièrement des ateliers ponctuels – le plus
souvent sous la forme de rencontres ou d’interventions de deux ou trois heures – et
ce, dans des lieux divers et variés, soit des établissements scolaires mais aussi des
prisons, des maisons de retraite374 :
« Les petits projets en bas de chez moi qui me font du bien, j’y mets du cœur
Car j’ai besoin de ces heures à la résidence Croizat
Toutes ces mamies sont mes grandes sœurs et quand elles slament, crois-moi
Y’a de l’émotion au-delà des normes quand leur vie devient un thème » (2010)
370
« A partir du moment où l’élève aborde l’écriture sous un aspect ludique – on joue avec les mots – il se les
approprie, il apprend plus facilement et il voit la poésie sous un autre angle. Il voit le mot poème un peu moins
ringard… » (interview citée)
371
Voir en annexe III.17 la transcription de l’entretien et l’extrait en illustration de ce chapitre.
372
Dans des centres sociaux, des écoles, à la maison des adolescents de l’hôpital Avicenne de Bobigny.
373
L’objectif de ces ateliers d’écriture itinérants en Seine Saint Denis étant ainsi formulé : « Par le biais du slam,
mettre en évidence l'énergie créatrice des jeunes de notre département, avec des ateliers menés par des
intervenants soigneusement choisis pour leurs qualités artistiques mais aussi pédagogiques. Prendre
conscience de l'importance de l'espace de parole, créer cet espace, le faire vivre et en faire connaître la
valeur. » (voir le site de Didier de Kabal en sitographie)
374
Pour autant, l’affordance ne semble pas aussi importante pour lui que pour d’autres slameurs comme SD ou
MP dont certains textes sont mouvants, au gré des lieux et des auditeurs.
603

Interrogé sur « l’utilité » de ses mots dont il lit l’impact dans les yeux d’enfants375, il a
évoqué l’identification de certains de ses « petits fans » à son personnage,
indépendamment de toute prétention à dispenser un message376. Plus que
messager, il se dit passeur de mots et d’émotions, passeur d’histoires aussi, qu’il
s’agisse de sa propre histoire comme dans le texte éponyme « Midi 20 » (2006), ou
d’histoires plus ou moins fictives comme dans « Rachid Taxi » (2010). Grand Corps
Malade en revient alors émotions suscitées par ces mêmes histoires, qui sont la
matière première de son écriture. En témoigne la métaphore filée sous le titre de
« L’école de la vie », établissement solaire où il déploie à partir de ce palimpseste377
le champ sémantique afférent à l’univers scolaire en substituant aux disciplines des
sentiments et valeurs :
« Au cours de liberté, y’avait beaucoup d’élèves en transe
Le cours d’égalité était payant, bravo la France
Pour la fraternité, y’avait aucun cours officiel
Y’avait que les cours du soir, loin des voies institutionnelles » (2010)
L’idée de transmettre une émotion, nous a rappelé Fabien Marsaud, est inhérente au
concept même de slam, qui implique de mettre une claque à l’auditoire, soit de
laisser une trace émotionnelle, d’une façon ou d’une autre. Voilà donc l’essence du
slam, ce qui l’anime définitivement378 et le conduit à transmettre sa discipline au sein
des ateliers. Il ne prétend nullement « apprendre à écrire » aux participants, visant en
toute simplicité à impulser le désir d’écrire, en tirant profit de la dynamique du
groupe : « Je suis juste là pour essayer de créer une émulation, de créer une
condition, un climat de confiance pour essayer de faire écrire en groupe. » (14)
Quant aux « méthodes » utilisées, elles procèdent de la même simplicité, à l’image
de cet exercice que nous avons vu mis en œuvre par Souleymane Diamanka (voir
supra) et qui consiste en un quatrain de présentation écrit à partir d’amorces :
exercice emprunté à Gérard Mendy, « ponte des ateliers slam » dont nous avons cité
la contribution à l’ouvrage Passeur de poèmes (2008) et que l’on retrouve dans le
guide élaboré par le collectif 129H sous le titre « Qui suis-je ? ». Cet exercice
simplissime est mis en pratique par de nombreux slameurs en guise d’entrée en
375
Voir la citation mise en exergue à notre chapitre 11 : « Merci Renaud, et Gaétan… » Au sein de chacun de
ses derniers albums, il consacre un slam aux « Remerciements » à son public, à la chronique d’un
er
succès grandissant : il en va ainsi des textes « Du côté chance » (2008) et « 1 janvier 2010 ».
376
Identification joliment mise en scène dans le roman de littérature jeunesse Suivez-moi jeune homme ! (Yaël
Hassan, 2007), dont le héros est un adolescent hémiplégique qui rencontre simultanément son voisin « sauveur
de mots » et le slam à travers les mots de GCM.
377
On voit là comment le palimpseste alimente la portée métaphorique du texte.
378
Nous reprenons ici l’un des titres de son dernier album (2010).
604

écriture car il présente l’avantage de s’adapter à tous les publics. Notons cependant
que chaque slameur se l’approprie en lien avec son propre style : celui d’une écriture
métrique pour Rouda et sa Musique des lettres (2007)379, celui d’une écriture métisse
qui tend parfois à la narration pour Grand Corps Malade. Ce dernier propose en effet
d’ajouter un second quatrain à partir des amorces « Hier », « Aujourd’hui »,
« Demain », « Un jour », inscrivant par là-même une temporalité narrative au cœur
du slam. D’une manière générale, il s’agit de mettre en confiance le participant, en lui
montrant qu’il est « capable de créer » (22), tout en tirant profit de la dynamique du
groupe qui pourra par exemple contribuer à un corpus de mots imposés pour écrire
un slam. Il en résulte une ouverture fondamentale aux variations intra et inter-
linguales, point commun à tous les ateliers que nous avons suivis. En ce qui
concerne la place de ses propres textes dans les rencontres, il nous a dit procéder
fréquemment, comme Mots Paumés, à une mise en situation à travers un de ses
slams à la façon d’un « attentat verbal » qui lui permet de décliner son identité de
slameur tout en illustrant en actes ce que peut être le slam380 : les mots, les
émotions, la parole et la scène en partage.

14.3. Un projet à l’horizon de la création : « Passeurs de mots »

Dans la mesure où le slam fait feu de tout lieu, et où le lieu choisi n’est pas sans
incidence sur la tournure prise par l’atelier, nous avons réfléchi à la possibilité de
faire intervenir des slameurs dans des musées : en tant que passeurs de poèmes et
plus généralement de mots, rôle qu’ils assument pleinement. De l’idée d’organiser
des visites slamées, nous avons évolué vers la possibilité d’animer des ateliers slam
dans ce contexte qui nous semblait propice à une atmosphère créative.

14.3.1. Des visites slamées : Bas Böttcher à Berlin, Ivy à Montréal

Le concept des visites slamées nous a d’abord été exposé par le slameur
allemand Bas Böttcher lors de l’entretien qu’il nous a consacré381. A l’occasion d’un
projet intitulé « Tempête d’images verbales » (Verbaler Bildersturm), l’artiste s’est

379
Dans le guide pédagogique cité (129H, sd : 42), il est précisé que cette activité vise aussi à familiariser le
participant avec les notions de quatrain, rime, mesure.
380
Les slameurs que nous avons suivis et avec lesquels nous avons coanimé des ateliers ne procèdent pas tous
ainsi, certains préférant, à l’instar de Boutchou ou de Souleymane Diamanka, attendre le cours ou la fin de la
séance pour slamer, afin de ne pas induire de blocage ou de conditionnement.
381
Entretien du 14/10/10, voir en annexe III.11
605

attaché à écrire, avec son collègue Timo Brunke, des slams sur des tableaux pour
conduire les visiteurs dans des musées visant à créer des « accès émotionnels » aux
tableaux présentés, à l’opposé de visites « traditionnelles » fondées sur l’histoire de
l’art. Cette expérience témoigne d’une poésie en mouvement et d’une poésie
passerelle, où demeure la préoccupation d’une adresse et d’une accessibilité à tous,
ou plutôt à chacun. A leurs yeux, il s’agissait de créer une œuvre qui mette le
spectateur – le récepteur – en mouvement, qui le provoque au sens premier de ce
terme, qui l’appelle et le captive. A l’instar de Bas Böttcher, le québécois Ivy s’est
livré à des visites slamées au Centre d’Histoire de Montréal et relate cette expérience
dans un article publié sur son blog382. Il dit avoir été saisi par la magie du lieu :
« Il y a un je-ne-sais-quoi là-bas, qui tient autant à l’ingéniosité des expositions qu’aux
lieux eux-mêmes. Ce mélange de modernité, d’astuce architecturale et de générosité
des présentations a fait tilt. Tout de suite j’entendais certains slams, je voyais certains
slameurs prendre possession des lieux. »
Et le slameur québécois de préciser le déroulement de cette visite hors-normes,
conçue comme un voyage dans le temps et dans l’espace du musée :
« J’ouvrais l’expo avec Immi_Grand_Slam (sic)383, dans l’intention de paver le chemin à
la thématique. Je slamais dans l’entrée, tâchant de capter les visiteurs réunis autant que
retenus par notre guide. »
A la différence de Bas Böttcher, les textes slamés durant la visite n’ont pas été créés
in situ mais sont issus du répertoire du slameur et transposés dans ce contexte. Pour
autant, l’expérience n’en a pas été moins interactive :
« Nous avons répété la visite à trois reprises. Étrangement, ce fut éprouvant; car bien
qu’on ait eu peu de textes à faire (toujours les mêmes en fait), il s’agissait à chaque fois
de faire porter sa voix et d’interagir à la manière d’un slam sauvage, ce qui est très
exigeant quand même. Mais les gens ont semblent-ils énormément appréciés. » (sic)

En France, quelques expériences similaires ont été menées dans le cadre des
Journées du patrimoine ou de la Nuit des musées384, sans qu’il y ait nécessairement
d’affordance par rapport à ce lieu. De fait, le musée peut être investi par des
slameurs comme tout autre espace public est susceptible de l’être. Or de notre point
de vue, c’est le potentiel inhérent à ce lieu qui est porteur de créativité, dans le cadre
d’un atelier d’écriture : « La peinture est de la poésie muette. La poésie est de la
peinture aveugle. » résume Léonard de Vinci dans son Traité de la peinture (2003).

382
Visites slamées dans le cadre des Nuits Blanches en 2008 (voir en sitographie).
383
Il s’agit du titre d’un poème de son album-recueil Slamérica (2007) : mot composite et mot-emblème
cumulant amalgame (« Immigrant + Grand Slam ») et composition.
384
Slam haïtien au Quai Branly et au Grand Palais, visite slamée annoncée sous le titre « Un air de vague à
slam », l’idée étant que « les poèmes prennent vie avec la voix d’un passeur de mots. » (voir en sitographie)
606

14.3.2. Des visites aux ateliers et autres animations interactives

Dans cette perspective, le collectif Rémois « Slam Tribu » s’est livré à une
expérience intéressante d’appropriation d’un musée ou d’une exposition par le détour
des mots du slam, dont témoigne le flyer ci-dessous prônant « une autre approche
des œuvres par le biais de pratiques artistiques diverses ». En pratique, deux
séances (avec 2 groupes de 10 participants maximum) ont été consacrées à la
conception des slams et une scène exceptionnelle était prévue pour la restitution385.
Le point de départ était une visite guidée « classique », l’aboutissement étant la
création d’une visite slamée par l’animateur ET les participants. Entre temps, les
ateliéristes386 avaient collecté mots et émotions dans les salles de l’exposition et
choisi librement les tableaux inducteurs, le slameur/animateur ayant aussi apporté
des citations des peintres concernés pour alimenter la création. Les productions
jointes en annexe XII.4, et résultant de scripteurs adultes, traduisent la créativité
lexicale (création par composition/conversion pour la première production, suffixation
pour la deuxième387) et la libération de l’imaginaire par la réécriture palimpsestuelle
du poème de Rimbaud pour J.M., par le dialogue des arts pour M.B. qui a intégré à
ses extrapolations mandolinesques des toiles contemporaines ainsi qu’un album du
chanteur Thomas Fersen. En d’autres termes, le dispositif de visite slamée à
l’horizon de la création apparaît ici doublement libératoire. On entrevoit d’ailleurs
comment les indices prélevés sur le lieu de l’exposition (les noms des artistes) ont
été intégrés comme contraintes (en majuscules dans le texte de M.B.) et comment la
perspective de l’oralisation a pu influer sur la mise en mots
(dé/sar/ti/culé, dé/stru/ctu/ré…). Notons que la mise en espace
sur la page se justifiait non seulement
dans la perspective de la mise en voix,
mais aussi dans celle d’une exposition des
textes aux côtés des tableaux concernés.
388
Document 27 : Flyers Slam au musée

385
Voir le blog du collectif.
386
Terme proposé par l’animateur du collectif « Slam Tribu », Sébastien Gavignet dit Selecta Seb, à l’initiative
de ce projet (mail du 20/07/11).
387
« Lui parle-amant » (jeu de paronymie : parlement), « un Autre-à venir » (J.M.) ; « extrapolations
mandolinesques » (M.B.)
388
Ces deux flyers nous semblent encore révélateurs d’un usage néologisant du mot « slam » : intégré à une
combinaison hybride (« Slam’art ») dans le premier cas ; lieu d’une conversion du substantif en verbe dans le
second cas, sans que cette conversion ne se répercute sur la graphie (flexion verbale) du lexème.
607

A son tour, le slameur Grenoblois MP s’est essayé à aux visites slamées,


notamment au Musée Dauphinois : ces visites guidées collectives et multi-artistiques,
impliquaient le slameur aux côtés de danseuses, de comédiens et d’un musicien,
sollicités à l’occasion d’expositions temporaires ou permanentes389. Ainsi le slam
« Le réseau » a-t-il été déclamé dans le cadre de l’exposition « Vaucanson et
l’homme artificiel, des automates aux robots », tandis que « Apnée » a été slamé
dans les salles « Habiter en Isère » (2010) du même musée. Il est allé plus loin dans
cette expérience en créant un spectacle intitulé « La voix est libre » pour l’exposition
« Rester libre »390, et plus récemment, en animant des scènes ouvertes au Musée
Gadagne de Lyon, à partir d’extraits choisis de son répertoire sur le thème de la ville
et en lien avec la collection permanente de ce musée (2011). En vue d’une animation
interactive391 intitulée « Slam ma ville », il a fait participer le public en lui demandant
de s’exprimer à partir d’amorces liées à la thématique du musée : « Moi, dans ma
ville, j’aime…, je déteste…, je rêve… ». Les flyers correspondants (voir en annexe
I.5) étaient donc conçus de telle sorte que les participants puissent interagir avec
leurs propres mots, portés par la voix du slameur.

14.3.3. Projet « Passeurs de mots »

Quant à notre projet « Slam au musée : passeurs de mots », il consiste en un


parcours culturel réparti sur trois musées de l’agglomération grenobloise et destinés
à des scolaires, plus particulièrement à des classes d’accueil392. Ce projet s’inscrit
dans le cadre d’une réflexion globale sur « Cultures et intégrations », envisageant
l’apport des projets artistiques et culturels en vue de l’intégration des élèves
nouvellement arrivés en France. Visant un accès émotionnel aux œuvres, il doit
permettre le passage des émotions à la mise en mots, catalysée par l’intervention
d’un artiste slameur dont le rapport à la langue française pourra être celui d’une

389
D’autres projets ont été menés avec le musée de la Résistance et le l’Ancien Evêché.
390
Spectacle présenté le 7/06/08 dans la chapelle du Musée Dauphinois. Ont été créés pour ce spectacle avec
prise de notes in situ « Amnésie », « Apnée », « Peine : capital », « Les mains seules », « Livre penseur », « La
peur » et « Songes déments », tandis que les slams « Bienvenue », « Avec des fleurs », « Couleurs » et
« l’Amante » étaient réinvestis pour l’occasion.
391
Concept proposé pour la communication du musée, par opposition aux visites guidées « traditionnelles ».
392
Projet monté en partenariat avec le CASNAV (Centre Académique pour la Scolarisation des Nouveaux
Arrivants et des enfants du Voyage) de Grenoble pour l’année scolaire 2011-2012, dans le cadre d’un groupe de
réflexion (préparation d’une visite d’étude) sur « Cultures et intégrations ».
608

langue seconde393. Le tableau suivant résume les objectifs et la planification de la


démarche :
Projet « Passeurs de mots : Slam au musée »
Objectifs :
 Proposer une approche poétique et interactive avec des parcours sous forme de
visites slamées dans des musées ;
 Favoriser l’acculturation et la mise en relation des différents domaines artistiques et
culturels ;
 Faciliter la mise en mots de l’émotion esthétique (ateliers d’écriture in situ) en
développant un accès émotionnel aux œuvres présentées ;
 Permettre un enrichissement lexical, mais aussi un rapport ludique et créatif à la
langue, en favoriser l’appropriation pour des élèves allophones.

Etapes Slameurs Musées


1. Mise en mots Bastien Mots Paumés
Musée Dauphinois :
découverte de la région et du
patrimoine (lexique
descriptif)
2. Des mots aux Souleymane Diamanka Musée de peinture :
émotions émotions et images verbales
(lexique émotionnel)
3. Mise en voix et en Boutchou + musicien Musée Géo-Charles : visite
musique intervenant slamée, préparée et co-
(déambulation) animée par les élèves

Partenaires :
Ville de Grenoble (musées et bibliothèque municipale)
Maison de la poésie Rhône-Alpes, Printemps des poètes
IUFM de Grenoble (atelier de pratique artistique)

Tableau 16 : Projet de parcours « Slam au musée »

A plus d’un titre, l’intérêt de ce type de projet artistique et culturel s’avère décuplé
pour des ENA, comme l’ont démontré Nathalie Auger et Gisèle Pierra dans l’ouvrage
publié sous le titre « Arts du langage et publics migrants » (2007). C’est d’abord à
l’art comme lieu de rencontre – « avec l’autre texte, l’autre rive, l’autre culture » –
que donne accès un tel projet, relevant autant de l’individuel que de l’universel :
« Les Arts du langage sont un lieu vivant de confrontations problématiques des corps,
des langues et des cultures. La matière sonore des mots, le rythme, la force des œuvres
et le désir tout simple de se traduire au monde en s’exprimant, en écoutant et en créant,
offrent l’altérité en partage (Auger & Pierra, 2007 : 263)
C’est bien dans le partage des mots, l’épreuve de leur matière sonore, le ressenti
corporel du corps des textes et des œuvres données à voir, à entendre, à vivre et à
créer que nos élèves de CLIN, de CLA, de LP, étudiants du CUEF et autres
participants aux ateliers décrits, se sont épanouis et s’épanouiront. C’est aussi, pour

393
Tel est le cas pour deux des slameurs retenus pour ce projet : Katia Bouchoueva et Souleymane Diamanka.
609

les élèves allophones, dans l’art comme lieu de dialogue des langues, comme
tremplin, passerelle entre langue première et langue seconde (Chrifi-Alaoui, 2007 :
351). Si l’art en général a pu être décrit par cette ex-enseignante de CLA comme
« partie entre-deux » (2007 : 352), le slam apparaît emblématique de cette zone de
confluence, de partage et de passage entre deux langues-cultures : lieu d’élaboration
d’un sujet parlant, d’un sujet écrivant, et même d’un sujet apprenant. La slameuse
d’origine marocaine « Tata Milouda », ayant découvert le slam à 60 ans alors qu’elle
suivait des cours d’alphabétisation, témoigne de ce parcours édifiant : « Mon stylo,
mon cahier, c’est ma liberté » conclut-elle dans un slam où elle revient sur le rôle de
l’écriture dans son émancipation et son appropriation linguistique394.

C’est en effet dans un processus de subjectivation que ces élèves et participants


aux ateliers ont su investir au travers de cette expérience la possibilité offerte de
devenir sujet de parole, d’habiter une parole individuelle et authentique, et de se
construire comme sujets d’apprentissage. Dalie Chrifi-Alaoui souligne que « les arts
du langage ont d’abord été un secours pour aider les apprenants à devenir des
sujets leur apprentissage » (2007: 351) : objectif qui nous semble inhérent à la
pédagogie de projet en général – ne serait-ce qu’en vertu de la capacité d’initiative
mise en jeu – mais qui se révèle d’autant plus aisément atteint que les élèves
investissent leurs propres voix, corps et mots dans un tel projet. L’art peut enfin être
découvert comme émancipation et détournement linguistique, « pratique
impertinente » de la langue (Chrifi-Alaoui, 2007 : 358). En atteste l’atelier slam et la
créativité qu’il impulse, propulse et pulse : anglicisme que nous nous autorisons ici
en référence à la pulsation musicale (transférée sur la musique des lettres, le flot de
mots et le flow du slameur) comme à la pulsation corporelle (du cœur), en passant
par l’air pulsé qui représente, d’un point de vue médiopoétique – relevant du physio-
medium d’après Jean-Pierre Bobillot – et selon le slameur allemand Bas Böttcher,
l’un des états de la matière « slam ». Et nous voilà revenue au sens étymologique du
verbe animer, de l’anima comme « souffle vital », de l’animateur qui donne naissance
au texte en le slamant sur scène et insuffle en atelier des envies créatives :
« Mais si t’écoutes un tout petit bout, p’t-être bien que t’en sortiras ravi
Et ça c’est important pour nous, c’est grâce à ça qu’on se sent en vie »395

394
Tata Milouda a apporté son témoignage dans l’émission « Les objets » diffusée le 2/08/11 sur France Culture
(voir notre sitographie) où elle est revenue sur l’importance symbolique de ces deux objets dans son parcours.
395
Grand Corps Malade, « Attentat verbal » (2006).
610

Conclusion partielle

De passeurs de poèmes, les slameurs se font passeurs de mots et de culture.


Ce faisant, ils relaient l’enjeu original d’une démocratisation de la poésie en s’ouvrant
aux différentes formes d’arts et de cultures : d’où l’idée de faire vivre les musées.
D’une capacité d’affordance relative à une pluralité de lieux pour les performances,
ils infèrent une capacité d’adaptation à des publics, situations et contextes d’ateliers
très divers. Or ce que nous apprennent ces ateliers observés et analysés en termes
d’approches multivariées, c’est que les slameurs intègrent la variation au sein de
leurs textes comme au cœur de leurs démarches d’animation. Conformément à notre
hypothèse d’un lien étroit entre l’auteur et l’animateur, on retrouve à l’œuvre dans les
ateliers des approches qui reflètent une diversité stylistique conjuguée à la prise en
compte des spécificités de chaque contexte. D’une écriture condensée pour Mots
Paumés à une écriture palimpsestuelle pour Souleymane Diamanka, sans oublier
l’écriture métisse de Grand Corps Malade, autant de liens tissés et de rencontres qui
ont enrichi notre propre parcours élaboré dans un double contexte - scolaire et
universitaire - d’enseignement. L’enjeu didactique, en tant que tel, n’est pas coupé
de la pratique artistique des slameurs : la transmission leur est essentielle, les « fait
grandir » selon la formule de Souleymane Diamanka. Artistiquement parlant, il
semble en effet que ces pratiques d’écriture partagée – distinctes des situations
d’écriture collective396 – engendrent une dynamique créative née de ces moments
d’échange et de partage.

396
L’écriture partagée procède à notre sens d’une démarche globale et élaborée en tant que telle, alors que
l’écriture collective relève d’un dispositif, d’une modalité ou forme sociale de travail ponctuelle.
611

Conclusion
« Parce que la terre tremble quand tes mots s’enracinent dans
Les Sables du temps
Parce que mes batailles éviteront des guerres
Comme l’encre le sang
Parce qu’elle porte les âmes de tous les êtres qu’elle croise
Parce que j’ai bu comme toi… l’envers d’une autre phrase
Comme tu sais allier le soleil à la nuit et puis l’éveil au rêve
Certaines questions s’allongent
Et les réponses se soulèvent
C’est l’écriture qui nous prend
Et s’articule dans nos bouches
Parce qu’on pose des questions
A des réponses qui les touchent »
612

Des questions au voyage vers le lyrisme contemporain : les voix d’Orphée1

Au terme de notre parcours de thèse, cette citation2 prend une valeur conclusive
en ce qu’elle évoque la poésie comme voyage dans l’espace et dans le temps,
rencontre et métissage, partage et expérience sensorielle qui « nous prend et
s’articule dans nos bouches », mouvement, é-mot-ion, émotivation3 née au cœur
même des mots. Autant de traits révélateurs du slam auxquels il nous faut ajouter un
enjeu néopoétique (« l’en-vers d’une autre phrase »4) qui rejoint l’idée oxymorique
d’un enracinement et d’un envol, entraperçu dès notre citation introductive :
« Pourquoi ce poème est-il si loin de son papier d’origine en ce moment ? » (JB/SD,
2007) De la trajectoire du poète à celle de ses mots, la métaphore du papillon
renvoie au « Verba volent, scripta manent » dont les slameurs se jouent et qu’ils
déjouent : « Parce qu’on écrit un peu partout pour que nos paroles restent fugitives »
(Rouda, 2007). C’est à une écriture de l’éphémère, de l’envers et du divers qu’ils
aspirent, poètes néonomades entraînant dans leur sillage celles et ceux qui ont signé
le pacte colludique d’une poésie destinée à « porte(r) les âmes de tous les êtres
qu’elle croise ». Aussi le slam est-il invitation au voyage, de l’encre de la page au
partage de la scène.

Ce parcours nous a conduite à tisser des liens, en suivant le fil de l’oralité, avec
des traditions qui se déclinent différemment selon les époques et les latitudes.
Depuis l’Odyssée, les aèdes et autres rhapsodes, le mythe d’Orphée a suscité des
voix multiples : celle des griots africains, des majdoubs du Maghreb, des zajals
libanais… A la confluence de traditions diverses, le slam nous invite à une
réconciliation des deux compétences définies par Aristote : celle du « poète des
mètres », expert en maniement des formes, et celle du « poète d’histoires »,
inventeur de fictions et de personnages, auquel Octavio Paz fait écho en distinguant
le contar du cantar (1986). Si le slam est poésie clamée, clameur (Ferré), voire
exclamative (Valéry), il s’avère en outre, conformément à notre hypothèse centrale et
sans doute pour ces raisons mêmes, un haut lieu de créativité lexicale. Doublement
stimulée par l’expression d’un je singulier se traduisant par un néostyle et par la

1
« Parce que, à chaque voix, Orphée change, et recommence. Une Odyssée recommence. (…) Le poète montre
que l’odyssée est dans la voix, dans toute voix. L’écoute est son voyage. Et si l’écoute est le voyage de la voix,
alors s’abolit l’opposition académique entre le lyrisme et l’épopée. » écrit Meschonnic (2006 : 297-298).
2
Il s’agit de la suite du poème dont le début est mis en exergue à notre introduction. (voir l’illustration sonore)
3
Substantif dérivé de l’adjectif « émotivée » créé par Lauréline Kuntz (« Dixlesic », 2009).
4
Nous avons segmenté ce lexème pour souligner l’homophonie : en vers/envers.
613

dynamique (le jeu) d’une collectivité, cette créativité émane à la fois du jeu sur la
langue et du jeu dans la langue. Poète du quotidien dans la lignée d’un Gainsbourg
ou d’un Prévert, le slameur use à l’envi de jeux de mots, distillant tous les mots en
matériau poétique, sublimant5 des termes et tournures ordinaires, des mots situés en
marge et qui relèvent de l’oralité ou de l’invention.

Partant, le slam résonne comme l’une des voix contemporaines du lyrisme, au


double sens de ce terme « recouvrant aussi bien la conception d’une poésie
subjective que celle d’une musique hantant l’énoncé poétique » (Pinson, 2008 : 23).
Du personnage du clown-poète (Lauréline Kuntz) à celui du caméléon (Mots
Paumés)6, du slam de poésie conçu comme un tournoi au One slam show en
passant par les scènes ouvertes, cette forme hybride ne se laisse pas aisément
enfermer dans une approche générique mais les slameurs n’en incarnent pas moins
un lyrisme contemporain, fût-il « sec, sans effusion ni pathos, un lyrisme de la
dissonance » (Pinon, 2008 : 23). Issus de la slam family, les français tendent à se
démarquer de la tradition américaine en s’éloignant du modèle compétitif, renouant
ainsi avec une visée intégratrice originelle : “The European slams are more akin to
the root philosophies that fueled performance poetry’s popularity across the world
(…) Theirs is an ever-expending horizon consistently creating new ways…” dixit le
fondateur7. De fait, ils s’affranchissent de règles qui sont aussi celles de la langue,
d’où une créativité effervescente qui se manifeste au sein de leurs textes comme en
leurs seuils : du Slamburger8 au Slam’art9, les mots se rencontrent à l’instar de ceux
qui se posent en nouveaux tribuns du verbe : « Libérez le verbe et laissez-le
couler… » enjoignent-ils.10 Avènement d’un verbe libre, le slam apparaît alors, à
l’envers d’une autre phrase et à rebours de la porte claquée au nez (to slam), comme
la porte ouverte à ces mots nouveaux qui relient linguistique, littérature et arts : « La
didactique des langues, la linguistique, les lettres et les arts ne se rencontrent-ils pas
au cœur des pratiques qui les renouvellent sans cesse ? » (Auger, 2007 : 262)

5
Selon une acception relevant de la chimie, ce verbe renvoie au passage de l’état solide à l’état gazeux, ce qui
fait écho à la métaphore évoquée par Bas Böttcher du slam passant d’un état à l’autre, de la page à la scène.
6
Personnages que ces deux slameurs ont inventés pour assurer la cohésion, soit les transitions entre les textes
de leurs « One (wo)man shows » respectifs.
7
Marc Smith dans l’éditorial du livret « Reims Slam d’Europe » (2010).
8
Soirée consistant en une formule « slam + hambuger » (voir le flyer en annexe I).
9
Voir le projet « Slam au musée » proposé par le collectif Slam tribu (chapitre 14).
10
Collectif « Enterré sous X », « Le verbe », X marks the spot (2010).
614

Des questions au parcours de recherche

Toutes ces questions soulevées à l’orée de notre recherche nous ont amenée à
nous plonger non seulement au cœur du slam (GdB, 2009), mais aussi - et surtout -
au cœur des univers poétiques propres aux slameurs rencontrés, en nous attachant
à mettre au jour les strates de leurs écritures d’archéonéologistes, à la fois actuelle et
ancrée dans des traditions ancestrales, unique et universelle :
“Ecrire c’est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indirecte, à laquelle
l’écrivain, par un dernier suspens, s’abstient de répondre. La réponse c’est chacun de
nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté; mais comme
histoire, langage et liberté changent infiniment, la réponse du monde à l’écrivain est
infinie : on ne cesse jamais de répondre à ce qui a été écrit hors de toute réponse (…)
les sens passent, la question demeure. » (Barthes, 1963 : 7)
Dans le Degré zéro de l’écriture, Barthes (1953 : 14) voyait déjà dans l’écriture le
moyen de résoudre l’opposition entre langue et style. Ainsi, d’une poétique comme
stylistique du genre (Genette) nous avons évolué vers une poétique de l’œuvre que
nous avons développée en termes de néostyles : de fait, nous avons étudié
comment les néologismes s’intégraient aux répertoires de slameurs comme œuvres-
systèmes (Meschonnic), s’agissant de perles cousues dans la trame de leurs textes.
Œuvre à la fois textuelle et performancielle qui trouve son essence et son
accomplissement lors d’une prestation scénique, œuvre foncièrement mouvante
(Zumthor) et toujours singulière, portée par la voix et le corps du poète.

A la question « le slam est-il néopoétique ? », nous serions tentée de répondre


négativement au premier abord, tant il est vrai que les slameurs s’inscrivent dans la
lignée de traditions qu’ils ont justement à cœur de réanimer et de pratiques ou
poétiques actuelles avec lesquelles ils entrent en dialogue voire en résonance. Au-
delà de l’opposition entre « littéralistes » et « néolyriques », ils incarnent un lyrisme
contemporain et horizontal, une poétique qui se conjugue au présent et à la première
personne du pluriel, se décline en termes de jeu et de partage. Sur un plan poétique,
nous pouvons résumer nos conclusions à travers les formules suivantes :
 Poésie parlée : le slam apparaît comme une parole poétique incarnée, un verbe à la
fois volubile et tendant à la permanence (verba manent !) dans sa réitérabilité même.
 Poésie-partage11 : c’est d’abord le partage du micro et le partage des mots, que les
slameurs nous offrent et s’offrent parfois entre eux comme autant de présents.

11
Il s’agit de l’un des termes récurrents de notre enquête « le slam en un mot. »
615

 Poésie-présence : elle repose sur la présence scénique du poète, une présence que
nous avons tenté de restituer à chaque chapitre de la présente thèse.
 Poésie-perle : pour avoir sorti la poésie de son écrin en la démocratisant et en la faisant
circuler dans l’espace public - passer de mains en mains - ces orpailleurs du quotidien
n’en découvrent pas moins des mots-perles dont la densité est emblématique12.
 Poésie-passage : des mots de passe (parmi lesquels nous avons relevé de
nombreuses formes et formules néologiques) créent une connivence au sein de la slam
family, ouvrant un espace colludique et en tant que tel, néologène.
 Poésie-paronomase : la paronomase (appelée rime multisyllabique), figure reine des
slameurs est mêlée à d’autres figures de sons et de sens, en une subtile alchimie.
A travers ces mots qui claquent sans clasher, ces lettres qui sonnent et résonnent
entre elles, ces rythmes qui nous portent et s’emportent parfois, les slameurs
n’inventent pas ex nihilo mais réactivent des procédés plus ou moins communs dont
ils révèlent et déploient le potentiel poétique, telle l’écriture paranomastique (Frontier)
dont les rappeurs usent à l’envi (Lapassade & Rousselot). Nous pouvons alors
émettre l’hypothèse que l’émulation née d’un certain engouement pour le slam
pousse(ra) ces derniers à aller plus loin dans l’écriture, à l’instar d’Oxmo Puccino.
Sur un plan historico-poétique, la filiation du rap au slam s’avère sociologique, plus
qu’historique : elle est essentiellement le fait de trajectoires d’artistes, de l’évolution
de certains acteurs et activistes du slam qui y ont trouvé leur voix. Sur un plan
phonétique, force est de constater que c’est la paronymie, plus que la simple
homophonie, qui apparaît comme une source de créativité privilégiée. Nous avions
d’ailleurs émis l’hypothèse d’une prégnance de la structure consonantique dont nous
avons pu vérifier l’efficience et dont la paranomase renforce l’empreinte. En allant
plus loin, nous pouvons avancer que cette musique des lettres procède d’un
transfert, d’une traduction du rythme propre à l’écriture rapologique (marquée par le
beat), qui se trouve ici incorporée au flux des textes et matérialisée par les flows de
slameurs parfois issus du rap. Autant de caractéristiques phonético-poétiques que
nous avons reliées aux formes de créativité rencontrées et identifiées :

- la recherche d’originalité et d’expressivité pouvant aboutir à des effets de musication


ainsi qu’à l’invention de nouvelles lexies qui sont autant de mots-clés13 ;

12
« Que le mot soit perle » se plait à répéter SD. A la recherche de phrases chocs (punch-lines) ou de phases
harmonieuses (voir notre glossaire), les slameurs sont en quête de formules aussi condensées qu’efficaces.
13
Ces néologismes sont à la fois révélateurs de l’univers de tel ou tel slameur (Ex : « allitérophiles », Marco DSL)
et points de rencontre entre ces univers (« déglinguistiques », MP et BtR).
616

- la recherche d’une complicité avec le public pouvant engendrer, via le pacte colludique
et l’ouverture de l’horizon d’écoute, des mots d’esprits (Freud) ;
- la recherche de condensation (induite par la règle des 3 minutes) pouvant se traduire
par l’invention de mots-composites et autres formules palimpsestuelles ;
- la recherche d’une certaine permanence (à l’exception des improvisations et autres
freestyles) se traduisant par des traits stylistiques récurrents alliés à la réitérabilité des
textes, et partant, des lexies créées ou resémantisées.

A la question « Le slam est-il néologène ? », nous apportons donc une réponse


résolument positive que nous avons pu vérifier dans les textes de nos corpus (en
français, mais aussi en espagnol et en allemand), ainsi que dans le paratexte (le
péritexte des titres et noms de scène, l’épitexte des articles de presse et entretiens)
et dans notre enquête « le slam en un mot » où la dimension de joute a suscité une
dynamique créative. D’une certaine façon, le néologisme met en abyme la quête
néopoétique des slameurs. Il est d’ailleurs significatif que le mot slam lui-même
donne lieu à des formes néologiques, qu’elles soient créées par dérivation (slamiste),
composition (slam-poésie), amalgame au niveau du mot (slamicalement14) ou du
syntagme (slam (ob)session15), détournement palimpsestuel (Tout feu tout slam16) ou
emprunt (slam session17), ces différents procédés pouvant se combiner : « Seslam
ouvre-toi ! » résulte à la fois d’un détournement par substitution paronymique
(Sésame) et d’une apocope (de « session ») doublée d’un amalgame. Autre formule
rituelle d’ouverture de session slam, « Slamaleikoum » procède d’un emprunt à
l’arabe et d’un amalgame. A la différence du rap où les anglicismes relèvent
essentiellement d’un technolecte, le slam joint l’innovation au métissage en
néologisant à partir des emprunts. Ainsi, nous avons repéré une grande diversité de
procédés lexicogéniques mis en œuvre dans cette zone néologène du slam et de
ses entours, tout en nous heurtant à la difficulté d’identifier telle ou telle matrice dans
un contexte où elles tendent souvent à se superposer, d’où une littérarité potentielle.
Les différentes strates apparues au sein d’un même mot ou lexie néologiques nous
ont confrontée à un indécidable (Grésillon) qui renvoie aussi au tremblé du sens
(Barthes). Nous avons observé que la matrice morphosémantique était souvent
privilégiée dans l’épitexte avec de nombreux mots et locutions composites qui sont

14
Formule fréquemment utilisée par les slameurs, dont GCM qui l’inscrit sur ses dédicaces.
15
Titre du texte de MDsl/BtR (2006, voir en annexe IV).
16
Titre d’une compilation (2006).
17
« Session slam » est plus conforme aux règles syntagmatiques du français.
617

autant d’accroches (Sablayrolles) via les titres et autres blases. Si certains de ces
procédés rejoignent des stratégies publicitaires avec l’enjeu commun de séduire un
public, le potentiel sémantique du mot – soit des réseaux qu’il contient en germe –
est pleinement déployé, voire explicité, dans le slam alors qu’il reste généralement
implicite dans les slogans18. La matrice phraséologique constitue un point commun
entre tous les néostyles analysés. Là-encore, il s’agit d’un trait d’union avec d’autres
formes d’écritures plus ou moins « ordinaires » telles que la publicité et les formules
journalistiques, mais l’écriture palimpsestuelle permet le développement à l’échelle
d’un texte d’une créativité dont les slameurs ne perdent pas le fil. C’est d’ailleurs le fil
d’une écriture orale et résolument créative auquel ils initient les participants aux
ateliers. Ce faisant, ils construisent une posture spécifique d’auteur, que nous avons
décrite comme démarche de slameur/animateur : le colludique (en performance)
trouve son pendant didactique (en atelier) dans les pratiques d’écriture partagée.
Dans le cadre scolaire, la mise en lumière de ce triple statut
d’auteur/orateur/animateur devrait aboutir à une reconnaissance du slam non
seulement en tant qu’outil d’apprentissage, mais aussi en tant qu’objet d’étude à part
entière, ce qui nous semble en bonne voie.

Aussi, à la question des apports didactiques du slam, pouvons-nous répondre


positivement en vertu d’une libération de la créativité (ce potentiel libératoire ayant
déjà été éprouvé dans un certain nombre d’ateliers d’écriture et ayant partie liée à
l’intervention d’un artiste) et d’un renouvellement ou d’un renouement avec des
pratiques « traditionnelles » souvent tombées en désuétude ou frappées
d’infantilisme telles que l’apprentissage « par cœur » - permettant précisément
d’accéder « au cœur de la langue » (Pennac) - et la récitation :
« Cette caisse de résonance, ce volume inouï où faire chanter les plus belles phrases,
sonner les idées les plus claires, il va en raffoler de cette natation sublinguistique
lorsqu’il aura découvert la grotte insatiable de sa mémoire, il adorera plonger dans la
langue, y pêcher les textes en profondeur, et tout au long de sa vie les savoir là,
constitutifs de son être, pouvoir se les réciter à l’improviste, se les dire à lui-même pour
la saveur des mots. » (2007 : 156-157)
Dans le domaine du FLE et dans la lignée des ateliers théâtre, le slam est
susceptible, en tant qu’art du langage, de contribuer à un « apprentissage
prosodique corporéisé » (Beck, 2000 : 251) et plus généralement d’aider un
apprenant de FLS à « trouver sa voix » en langue étrangère.
18
A titre d’exemple, le titre de JB « LOVERdose » (2010) rejoint la campagne publicitaire de la marque Diesel
dont l’accroche (nom du parfum) est précisément le lexème néologique « Loverdose » (septembre 2011).
618

Des mots et des concepts

Afin de rendre compte de la spécificité de notre objet et d’articuler les différents


champs théoriques à la lumière desquels nous l’avons étudié, nous avons été
amenée à revisiter certains concepts voire à en concevoir de nouveaux :
- Le concept de néostyle que nous entendons moins comme l’invention d’un nouveau
style que comme la mise en relation des formes néologiques et des fonctions qu’elles
assurent dans ce contexte, induisant des effets stylistiques ; l’intégration de la néologie –
ou d’une forme de néologie le cas échéant – dans la trame du slam, voire à l’échelle de
l’œuvre d’un slameur, rend compte d’une interaction entre les formes lexicales et les
figures (de sons et de sens) qui permettent de poétiser ces innovations.

- La notion de colludique que nous différencions du crypto-ludique (défini en argotologie


par Jean-Pierre Goudaillier) en guise de synthèse d’une fonction conniventielle et d’une
fonction poético-ludique. Notre insistance sur ce concept traduit la prégnance du collectif
dans le slam, si bien que nous avons évolué de l’idée d’une fonction colludique vers
celle d’un pacte colludique (inspiré du pacte autobiographique de Philippe Lejeune)
impliquant réciproquement slameurs et slamophiles, poètes et récepteurs.

- La notion de collocution que nous avons établie pour désigner la collision de deux
locutions ou collocations, soit une locution-valise obtenue par imbrication (les moyens de
locomotion de censure, MP).

- L’idée (et la pratique) d’écriture partagée qui témoigne aussi de cette dimension
fondamentale d’échange et de partage, pouvant se traduire par des pratiques non
seulement d’écriture collective mais d’écriture partagée (en référence aux lectures
partagées, Grossmann) ; cette notion renvoie à une dynamique interactive et créative
plus qu’à un dispositif précis qui serait celui d’une situation collective19.

- Le concept d’horizon d’écoute que nous distinguons de celui d’horizon d’attente


développé en théorie de la réception et appliqué à des textes écrits ; a contrario, cette
notion d’horizon d’écoute nous semble adéquate à rendre compte de pratiques
d’auditure (Bobillot) dont la réception s’appuie sur des attentes (des représentations)
moins précises. D’où l’idée d’un horizon (d’écoute) fondamentalement ouvert et en tant
que tel, favorable à la créativité, qui repose néanmoins sur des « règles du jeu » (Jauss,
1978) : celles du pacte colludique.

19
Ainsi un atelier d’écriture n’est-il pas forcément le lieu d’une écriture partagée si l’on ne tire profit de cette
dynamique de groupe. A contrario, une situation d’écriture individuelle pourra donner lieu à des recherches et
discussions collectives (en atelier ou sur la toile) potentiellement fécondes.
619

Le slam ou l’ouverture des frontières

Dès lors que les slameurs se font passeurs, ils nous invitent à une ouverture des
frontières : frontière entre oral et écrit, frontières des arts et des genres, frontières
entre écrivains et écrivants, écritures littéraires et écritures ordinaires, frontières des
langues et des mots se trouvent brouillées dans cette tentative d’ouvrir et d’offrir le
verbe et l’acte poétique à tous, d’impulser une dynamique créative dont nous avons
mis en exergue certaines manifestations lexicales. C’est notamment au travers des
amalgames (Tournier, 1988) que se concrétise ce brouillage des limites entre les
mots. Le néologisme apparaît alors comme lieu de rencontres et d’interaction :

- entre les mots et locutions, s’agissant de lexies composites ;


- entre les séquences sémantiques ou isotopies d’un texte ;
- entre les poètes et leur public, via la complicité induite par le décryptage, les
pratiques de « scènes ouvertes » et d’écriture partagée.

Rifaterre (1973) a décrit le néologisme comme lieu éminent de la communication


littéraire : nous avons montré comment le slam consacrait pleinement cette
réalisation par le biais d’une poésie qui se fait communicante, mettant à mal le
« quatrième mur » évoqué par Diderot20. De même qu’ils explorent la dynamique
créative intrinsèque à la langue dans leurs œuvres, les slameurs initient dans leurs
ateliers à une libération qui touche autant la créativité lexicale que l’imaginaire
culturel. Nous avons souligné le continuum de leurs démarches artistiques à leurs
démarches méthodologiques, via des approches multivariées qui sont l’application
didactique de leurs néostyles. Ce faisant, ce sont aussi les clivages entre didactiques
du FLE et du FLM que nous avons interrogées, le FLS pouvant constituer une
interface, une zone de transit et de matérialisation d’un entre-deux. Plus
généralement, nous avons observé que le slam se construit sur la double base d’une
« zone de perméabilité » entre oral et écrit – entre écrit et oral – (Millet, 1992) et
d’une « zone proximale de développement » d’une compétence d’ordre littéraire
(Penloup, 2000 : 149).

20
« Imaginez sur le bord du théâtre un grand mur qui vous sépare du parterre ; jouez comme si la toile ne se
levait pas. » (chapitre 11, « De l'intérêt », 1968 : 231)
620

S’il apparaît que le slam est une poésie qui se cherche et qui questionne, des
questions se profilent encore à l’horizon de notre recherche : quid de l’improvisation
d’écriture appelée CIIEEL par les slameurs lyonnais et de l’improvisation tout court ?
Comment décrire les différents états d’un même slam dont la mouvance n’est pas
nécessairement conscientisée ? En outre, la question du medium demeure ouverte :
un slam enfermé et figé dans un album ou dans un livre reste-t-il slam ? Garde-t-il
une résonance, un impact poétique, alors même que l’essence d’un tel texte semble
résider dans l’instant de sa déclamation, dans la prestation scénique qui lui permet
de prendre corps ? Si la corporéité se perd nécessairement dans la transcription21, la
lecture de certains slams nous incite cependant à conclure, avec Christian Prigent
(2011 : 28), que « ces textes ne s’effondrent évidemment pas une fois déshabillés de
la voix et abandonnés tout nus dans le silence du livre »22. Quant à notre
questionnement didactique, il nous semble ouvrir à des modalités à la fois nouvelles
(l’écriture partagée, réitérée et renouvelée par les nouveaux moyens de
communication) et traditionnelles : l’apprentissage par cœur - ou « par corps »23-
n’est-il pas susceptible de restituer le goût des mots et d’être remis au goût du
jour par l’entraînement à apprendre ses propres textes comme ceux des auteurs
classiques ? Quels peuvent être les apports des ateliers slam en termes de
littéracie/littératie24, via la mise en relation entre l’oral/les oraux et l’écrit/les écrits ?
Enfin, n’est-il pas temps d’intégrer aux cursus universitaires français la possibilité de
suivre des cours d’écriture créative comme aux Etats-Unis où les ateliers de creative
writing permettent à de nombreux écrivains de trouver leur voix en littérature ?

21
Nous ne pouvons que reconnaître, à la suite de Roland Barthes que « ce qui se perd dans la transcription,
c’est tout simplement le corps – du moins ce corps extérieur (contingent) qui, en situation de dialogue, lance
vers un autre corps, tout aussi fragile (ou affolé) que lui, des messages intellectuellement vides, dont la seule
fonction est en quelque sorte d’accrocher l’autre (voire au sens prostitutif du terme) et de le maintenir dans
son état de partenaire. » (1981 : 11).
22
Christian Prigent, dans son dernier ouvrage, évoque en ces termes le parcours de poètes contemporains
comme Christophe Tarkos, Nathalie Quintane, Charles Pennequin…
23
Expression utilisée par le poète Yves Gaudin et titre d’un ouvrage sur la danse : Apprendre par corps. Socio-
anthropologie des techniques de danse (Faure, 2000).
24
Nous avons trouvé les deux graphies, sous la plume de Reuter (2003 : 11) et de Barré de Miniac (2003 : 5).
621

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Nous avons organisé les références en trois sections : bibliographie (sources théoriques), slamographie
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MacLean, R. (2009). Bas Böttcher interviewed by Rory Mac Lean, juillet *.
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El Tibi (2010), M. Une performance de slam à Beyrouth. In Al Ayam, décembre.
Douze poètes en lice pour la première coupe d’Europe de slam à Reims, Le Point.fr, 16
décembre 2010*27.
Hors corpus :
Lehoux, V. (2007). Abd al Malik : l’entretien. Télérama n°3010 du 19 septembre. pp.14-18.
Lehoux, V. (2009). Luciole l’éclaireuse. Télérama n°3084 du 18 février. p.60.

Ressources didactiques

Ouvrages ou livrets pédagogiques


Collectif 129H, Ecrire et dire : petit guide méthodologique pour l’animation d’ateliers Slam,
Commission Européenne/Fond Social Européen, Mairie de Paris.

26
Pour les articles de notre corpus, nous avons adopté un ordre chronologique, les astérisques invitant à se
reporter à la sitographie ci-après pour les articles consultés en ligne. Les numéros de page ne figurent pas en
raison des modalités de recueil de ces données (via le logiciel Pressens).
27
Article non signé.
631

Slamophonie (2009). Livre CD. Myke Sylla (conception artistique). Michel Boiron & Fabrice
Darrigrand (CAVILAM, conception pédagogique). Paris : éditions Sépia.

Fiches pédagogiques
Eh bien, slamez maintenant ! (2007). Le Français Dans le Monde n°352, juillet-août, pp.92-
93.
« Midi 20» de Grand Corps Malade. (2008). Le Français Dans le Monde n°358, juillet-août,
pp. 88-89.
« Le jour se lève » (2011). Le Français Dans le Monde n°373, janvier-février, p.17 (fiche
consultable en ligne, voir en sitographie).

Manuels scolaires de Français Langue Etrangère28


Beacco, J. & Di Giura (2009). Alors ? Niveau B1. Paris : Didier.
Berthet, A., Hugot, C., Kizirian, V., Sampsonis, B. & Waendendries, M. (2010). Alter ego.
Niveau A2. Paris : Hachette FLE.
Brillant, C. & Bazou, V. (2010). Le Nouvel Edito. Niveau B2. Paris : Didier.
Girardet, J. (2008). Echo 1. Niveaux A1-A2. Paris : Clé international.
Girardet, J. & Pécheur, J. (2009). Echo 3. Niveau B1. Paris : Clé international.

Manuels scolaires de Français Langue Maternelle


Abensour, C. (2010). Français 1ère Bac pro. Paris : Nathan.
Bertagna, C. & Carrier-Nayrolles, F. (2008). Français 3ème. Paris : Hachette. Collection
« Fleur d’Encre ».
Bouet, V., Gadebois, V. Gruel, F., Pénisson, C., Rose, S. & Audion, L. (Dir.), Français 2nde
professionnelle (2009). Paris : Delagrave.
Delannoy-Poilvé C., (2010). Français 1ère bac pro. Paris : Belin.
Duminy-Sauzeau, C., Faure, Y., Grappin, D. & Oriol-Boyer, C (1995). Français 5ème.
Collection dirigée par Oriol-Boyer, C. Paris : Hatier.
Guernier, M.-C., Boni, M., Garreau, M., Hoppenot, E., Journé, C., Moreau, C. & Oraison-
Rachidi, J. (2010). Français 1ère professionnelle. Paris : Foucher.
Guillou-Théry, M., Bissay, M.-A., Demongin, C., Lehu, P., Noyère, A., Saysset, N., Tamine &
M, Vandrepotte, M. (2008). Français 3ème (2008). Paris : Nathan.
Rincé, D. & Pailloux-Riggi, S. (2011). Français 1ère. Paris : Nathan. Collection « Calliopée ».

Programmes et Instructions Officielles


Conseil de l’Europe. Division des politiques linguistiques. (2001) Cadre Européen Commun
de Référence pour les langues. Paris : Didier.
Ministère de l’Education Nationale (2001). BO hors-série n° 6 du 31 août concernant le
nouveau programme de seconde.
Ministère de l’Education Nationale (2002). Littérature. Classe terminale de la série littéraire.
Coll. « Lycée ». Série « Accompagnement des programmes ». Paris : CNDP.
Ministère de l’Education Nationale (2007). Qu’apprend-on à l’école élémentaire ? Les
programmes 2007-2008. Paris : CNDP.

28
Nous n’avons référencé que les manuels dont nous avons proposé une analyse, en excluant ceux auxquels
nous avons seulement fait allusion en notes. De même pour les manuels du FLM.
632

SLAMOGRAPHIE
Albums
Abd al Malik. (2004). Le face à face des cœurs [CD]. Universal music.
Abd al Malik. (2006). Gibraltar [CD]. Atmosphériques.
Abd al Malik. (2008). Dante [CD]. Emi.
Banzaï., J. (2010). LOVERdose [CD]. Autoproduit.
Collectif (2009). Crache ton cœur. Cocktail de poésie sauvage [CD]. Autoproduit.
Enterré sous X (2010). X marks the spot. [CD]. La Répartie/Mosaic Music distribution.
Grand Corps Malade. (2006). Midi 20. [CD]. Universal Music.
Grand Corps Malade. (2008). Enfant de la ville. [CD]. Editions Raoul Breton/Anouche
productions.
Grand Corps Malade. (2010).Troisième temps. [CD]. Anouche productions/Jean-
Rachid/Universal music.
Ivy. (2008). Slamérica. [livre-CD]. Les Editions Ad litteram/Ho Tune musique/Editions le
lézard amoureux.
Luciole. (2009). Ombres. [CD]. Mercury France/Universal Music.
Marco DSL. (2006). Allons à l’essentiel, décrochons la lune ! [CD]. Abeille musique, La
Chaudière production.
Mots Paumés. (2009). Songes déments. [CD]. Autoproduit.
Nevchehirlian, F. (2005). Vibrion. [CD]. Autoproduit.
Nevchehirlian, F. (2009). Monde nouveau, Monde ancien. [CD]. Autoproduit.
Rouda (2007). Musique des lettres. [CD]. Harmonia Mundi.
Souleymane Diamanka (2007). L’Hiver Peul. [CD]. Universal music.
Ysae (2010). Pop Art Lyrical. [CD]. Emi.

Compilations
Collectif. (2007). Bouchazoreilles. Slam expérience. [CD-DVD]. Wagram Music.
Collectif. (2006) Original Slam : poésies urbaines. [CD]. Emimusic.
Collectif. (2007). Tout feu tout Slam : poésies urbaines. [CD]. Emimusic.

Recueils29
Banzaï, J. & Diamanka, S. (2007). J’écris en français dans une langue étrangère. Paris :
éditions Complicités.
Böttcher, B. (2009). Die poetry Slam expedition. [livre-CD-DVD] Berlin : Ein Text-, Hör- und
Filmbuch. Schroedel.
Bouchoueva, K. (2009). C’est qui le capitaine ? Paris : L’Harmattan.
Nada (2003). Slam Graffiti. Paris : Les Belles Lettres.

29
Nous avons classé en recueils ou anthologies les livres-CD qui se présentent a priori comme des livres
(format), tandis que l’album d’Ivy se présente sous un format CD, le livre et le CD étant d’importance égale.
633

Anthologies collectives
Le Slam, poésie urbaine (2006). [Album CD]. ill. Jean Faucheur. Paris : éditions Mango.
Blah ! Une anthologie du slam (2007). [Livre CD]. Paris : éditions Florent Massot & Spoke.
Martinez, S., (2007). Slam entre les mots. Paris : éditions « La table ronde ».
Section Lyonnaise des Amasseurs de Mots. (2009). S.L.A.M. Session. Asile éditions.
Textes à claques. Ouvrage collectif. (2010). Association Les MétroTextuels. Editions ThoT.

Albums de rap
Casey. (2010). Primates des Caraïbes. Ladilafé Prod/Anfalsh.
IAM. (1991). De la planète Mars. Virgin.
IAM. (1997). L’école du micro d’argent. Virgin.
Oxmo Puccino (2009). L’arme de paix. Virgin.

Films
Slam. Marc Levin, avec Lawrence Wilson, Saul Williams, Bonz Malone. Long-métrage. Etats-
Unis : Mars Film. 1h40 + 35 min. 1997 (1998 pour la VF).
Slam ce qui nous brûle. Pascal Tessaud avec Luciole, Neggus, Hocine Ben, Julien Delmaire,
Souleymane Diamanka, Grand Corps Malade. Documentaire. Production Temps Noir.
France télévision distribution. 52 min + 74 min. 2008.
Traits portraits. Rap, slam, graffiti et poésie : les formes d’écriture modernes. Jérôme
Thomas avec Miss.Tic, Rouda, Souleymane Diamanka, Oxmo Puccino. Documentaire.
Production Viva Cyber. 43 min. 2009.
Slameuses. Catherine Tissier, avec Camille Case, Rim, Tata Milouda. Documentaire diffusé
sur France ô le 22 juin 2011. Morgane production. 52 min. 2011.

Essai
Abd al Malik (2007. Qu’Allah bénisse la France. Paris : Albin Michel, coll. “Espaces libres”.
634

SITOGRAPHIE30

Dictionnaires en ligne
Trésor de la Langue Française : http://atilf.atilf.fr/tlf.htm
Wiktionary : http://fr.wiktionary.org/wiki/slam http://fr.wiktionary.org/wiki/rap#en
Dictionnaire unilingue Longman : http://www.ldoceonline.com/search/?q=slam
Dictionnaire espagnol (Real Academia) : http://buscon.rae.es/draeI/
Dictionnaire analogique : http://traduction.sensagent.com/PALABRA%20VALIJA/es-fr/
Dictionnaire québécois : http://www.dictionnaire-quebecois.com/definitions-t.html
Dictionnaire de la zone :
http://www.dictionnairedelazone.fr/?sid=9da8d144b4336a9ea9d51acef73a2ff4
Origine des expressions : http://www.expressio.fr/

Méthodologie
Sur l’alphabet SAMPA : http://www.phon.ucl.ac.uk/home/sampa/
Sur les normes typographiques : http://aejcpp.free.fr/regles_typo.htm
Sur les références bibliographiques :
http://benhur.teluq.uqam.ca/spersonnel/mcouture/apa/docsweb.htm

Articles de recherche consultés en ligne


Anis, J. « Communication électronique scripturale et formes langagières » :
http://rhrt.edel.univ-poitiers.fr/document.php?id=547
Bobillot, J.-P. « Naissance d’une notion : la médiopoétique »
http://www.poesie-arts.com/Naissance-d-une-notion-la.html
Calin, D. « Construction identitaire et sentiment d’appartenance » :
http://daniel.calin.free.fr/textes/identite.html
Fiala P. & Habert, B. « La langue de bois en éclat : les défigements dans les titres de la
presse quotidienne française » :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-
6450_1989_num_21_1_1504
Gardin, B. et al., A propos du « sentiment néologique » :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-
726x_1974_num_8_36_2273,
Goudaillier,J.-P. Interview « Imaginaire linguistique » :
http://im-ling.voila.net/interview_Goudaillier.htm
Guernier, M.-C. « Les nouveaux programmes de français en classe de baccalauréat
professionnel » : http://www.educ-revues.fr/llp/ListeSommaires.aspx?som=tous&page=2
« Quelle conception de la poésie et de son enseignement dans les programmes de bac
pro ? » : http://www.educ-revues.fr/llp/ListeSommaires.aspx?som=tous&page=1 (dossier sur
la poésie)

30
Tous les sites ont été vérifiés le 19/08/11.
635

Guilbert, L. « Théorie du néologisme » :


http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-
5865_1973_num_25_1_1020#
Jacomino, C. « l’apprentissage de la lecture s’est toujours opéré sur le mode de la lecture
partagée » : http://www.voixhaute.com/l-apprentissage-de-la-lecture-s,410.html#forum1237
Juliers, S. « L'enseignant-«fabricateur» : éléments pour une modélisation du travail de
l'enseignant de Français Langue Etrangère en tant qu'activité instrumentée :
http://www.ices.fr/BU/documents/koha_99956/pdf/a2_/juliers_sylvie.pdf
Maingueneau, D. « le contexte de l’œuvre littéraire. Enonciation, écrivain, société »
http://dominique.maingueneau.pagesperso-orange.fr/overview.html
Meizoz, J. « Postures » d’auteur et poétique :
http://www.vox-poetica.org/t/articles/meizoz.html
Mel’cuq, I. « Tout ce que nous voulions savoir sur les phrasèmes, mais… »
http://olst.ling.umontreal.ca/pdf/MelcukPhrasemes2011.pdf
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Pinson, J.-C. Entretien (Prétextes, hors-série 9) :
http://pretexte.perso.neuf.fr/PretexteEditeur/ancien-site/revue/entretiens/discussions-
thematiques_poesie/discussions/jean-claude-pinson.htm
Prigent, C. « La voix-de-l’écrit, notes sur la lecture publique et la "performance vocale" » :
http://www.le-terrier.net/TxT/spip.php?article79
Ricoeur, P. « L’identité narrative » :
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Rifaterre, M. « Poétique du néologisme » :
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Tauveron, C. « La lecture comme jeu, à l’école aussi » :
http://eduscol.education.fr/cid46316/la-lecture-comme-jeu-1-a-l-ecole-aussi.html
Zorman, M. et al., « Entraînement à la fluence » :
http://www.cognisciences.com/IMG/Entrainement_a_la_fluence.pdf

Articles de presse, émissions de radio sur le slam et interviews consultés en ligne


Slamzine : http://slamfamily.hautetfort.com/slamzine_hors_serie_n_1/
Coupe d’Europe de Slam : http://www.lepoint.fr/culture/douze-poetes-en-lice-pour-la-
premiere-coupe-d-europe-de-slam-a-reims-16-12-2010-1275935_3.php
Sur Ivy : http://www.journalmetro.com/culture/article/175369--il-danse-avec-les-mots
Sur Bas Böttcher : http://www.goethe.de/ins/gb/lp/prj/mtg/men/wor/boe/enindex.htm
Bas Böttcher et la Text Box : http://pariscultureleurope.blogspot.com/search?q=bas
GCM au Québec : http://www.cyberpresse.ca/
GCM « le Villon du 93 » : http://www.lepoint.fr/archives/article.php/27045
Silvia Nieva et le slam espagnol : « Batalla de rimas poeticas »
http://www.20minutos.es/noticia/949286/0/poesia/show/rima/ (article consulté le 4/02/11)
636

Frédéric Nevchehirlian : « Passeur de mots »


http://www.internexterne.org/IEX/IMG/pdf/presse_nevchvib.pdf (consulté le 3/01/11, page 13)
« Rouda l’enchanteur »: http://www.arte.tv/fr/Vu-par---/1311474,CmC=2007816.html
Interviews Souleymane Diamanka : http://www.evene.fr/musique/actualite/interview-souleymane-
diamanka-hiver-peul-1013.php
http://v1.agendakar.com/index.php?option=com_content&view=article&id=2987:interview-
souleymane-diamanka-quand-le-mot-se-fait-perle&catid=86:interviews&Itemid=121
http://senemag.free.fr/spip.php?article858
Article sur Abd Al Malik « Droit dans son rap » :
http://www.rfimusique.com/musiquefr/articles/107/article_17432.asp
Rencontre avec « Slam tribu » sur France culture : http://www.myspace.com/slamtribu
Emission « Les objets » sur France Culture : http://www.franceculture.com/emission-les-
objets-l%E2%80%99objet-de-france-mon-cahier-mon-stylo-par-tata-milouda-2011-08-
02.html
http://www.franceculture.com/emission-les-objets-l-objet-du-senegal-la-cassette-audio-de-
mon-pere-par-souleymane-diamanka-2011-07
Grand Corps Malade et Alain Rey sur France Inter :
http://www.europe1.fr/MediaCenter/Emissions/Cafe-decouvertes/Sons/Grand-Corps-Malade-
slame-dans-son-nouvel-album-305737/
Souleymane Diamanka et Miss Tic : http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/ete/voulez-
vous-sortir-avec-moi/index.php?id=97815 (le 26/05/11).

Ressources didactiques en FLE et FLM


Les programmes scolaires et Instructions Officielles :
http://www.education.gouv.fr/cid53318/mene1019760a.html (bac général, classe de
seconde, consultation sur les nouveaux programmes)
http://www.education.gouv.fr/cid23836/mene0829953a.html (bac professionnel)
Les ateliers slam vus par les slameurs :
http://nathan-cms.customers.artful.net/nathan/revues/nrp/site-college/2011/01/06/entretien-
avec-grand-corps-malade/#more-1260
http://www.polysemiques.com/ateliers-decriture
http://www.d2kabal.com/ateliers_2.html
Les enjeux didactiques du slam en FLM :
http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/lettres/francais/Pages/2007/88_Doss
ierSlam.aspx
Les ateliers d’écriture en FLE : http://www.francparler.org/parcours/ateliers.htm
Les simulations globales : http://www.francparler.org/dossiers/simulations.htm
Le projet Slamophonie : http://www.francparler.org/fiches/docs/franco_article-bourrel-
slam_parole-liberee.pdf
La fiche pédagogique « le jour se lève » in Le Français dans le monde : http://nathan-
cms.customers.artful.net/fdlm-v2/wp-content/uploads/2011/01/FICHE-P16-FDLM-373.pdf
637

L’exploitation du film Slam ce qui nous brûle (TV5 Monde) :


http://www.tv5.org/TV5Site/enseigner-apprendre-francais/fiche-877-
Slam_ce_qui_nous_brule.htm
Site de la BNF : http://expositions.bnf.fr/brouillons/expo/2/flaubert.htm
Centre George Pompidou : http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-
barthes/ENS-barthes.html

Sites généralistes et événements autour du slam


Sur le rap : http://www.musique-franco.com/genres_musicaux/hip_hop,
http://x-psd99.skyrock.com/1155173732-l-origine-du-rap.html
Arte.tv : http://www.arte.tv/fr/Echappees-culturelles/Le-slam/1772020.html (vidéo & interview
de Marc Smith)
http://www.arte.tv/fr/Echappees-culturelles/Le-slam/WebSlam/1765212.html (Arte Webslam)
http://www.arte.tv/fr/Echappees-culturelles/Le-slam/La-slam-poesie-de-A-a-Z/1773528.html
(Abécédaire)
http://www.arte.tv/fr/Echappees-culturelles/Le-slam/NAV-
Reims/3590018,CmC=3585510.html (Coupe d’Europe)
Planeteslam : http://www.planeteslam.com/dossier/slam%20dossier%20page%204.htm
Fédération Française de Slam Poésie : http://www.ffdsp.com/
Le slam.org : http://www.le-slam.org/index.php (l’actualité du slam)
Slam en Belgique : http://www.lazone.be/slam/
Slam en Suisse : http://www.slaam.ch/definition-slam
Slam Européen : http://www.european-poetryslam.org/
http://www.irma.asso.fr/1eres-journees-europeennes-de (consultées le 12/11/10)
Slam & spoken word américain : http://www.project-voice.net/
Evènements autour du slam et slam au musée :
http://www.dismoidixmots.culture.fr/
http://www.faitesnousconfiance.com/observatoire.html
http://www.quaibranly.fr/en/programmation/the-before/before-2008-2009/before-slam.html
http://www.evous.fr/La-nuit-des-Musees-2011-au-Grand-Palais,1149987.html
http://slam-tribu.over-blog.com/article-20972217.html

Blogs et Myspace de slameurs et de collectifs


http://www.ivycontact.com/
http://www.ivycontact.com/?page_id=14 (articles)
http://www.latributduverbe.com/accueil/31-le-slam
http://marckellysmith.com/#/home/
http://mots-paumes.blogspot.com
http://www.myspace.com/amslamgram
http://www.myspace.com/barbietuerickx
638

http://www.myspace.com/bouchazoreillslam
http://www.myspace.com/boutchoukatia
http://www.myspace.com/compagniedeluppercut
http://www.myspace.com/enterresousx
http://www.myspace.com/johnbanzai
http://www.myspace.com/laureline75
http://www.myspace.com/lemeilleuramidesmots
http://www.myspace.com/luciole1
http://www.myspace.com/lyorhiphopslam/music/songs/l-ab-c-daire-live-68588660
http://www.myspace.com/marcodslslam
http://www.myspace.com/slamtimbanques
http://www.myspace.com/slamtribu
http://www.myspace.com/souleymanediamanka
http://www.narcisse.ch/
http://nevchehirlian.over-blog.fr/article-carnet-de-route-la-mer-40368887.html
http://poetryslammadrid.blogspot.com/
http://www.polysemiques.com/
http://www.rouda.fr/#
http://www.slamtribu.fr/
http://www.latributduverbe.com/
http://www.129h.com

Clips vidéo et films


Extrait du film Slam : http://www.youtube.com/watch?v=ojDKI8JxfLs
Sur le film Slam : http://www.universcine.com/films/slam
Sur le film Slam, ce qui nous brûle :
http://www.lamediatheque.be/mag/taz/documentaires/juin_2008/slam_ce_qui_nous_brule.ph
p?reset=1&secured
Documentaire Traits Portraits : http://www.dailymotion.com/video/x8p9r6_traits-portraits-rap-
slam-graffiti_shortfilms
Clip GCM: http://www.dailymotion.com/video/x2pwf4_grand-corps-malade-saint-denis_music
http://www.dailymotion.com/video/x6zie7_grand-corps-malade-je-viens-de-la_music
Narcisse (« Niki, Nikita ») http://www.youtube.com/watch?v=qMXIGY0vsI0
Nevchehirlian « le nom mode d’emploi » : http://www.dailymotion.com/nevchehirlian
Souleymane Diamanka : http://www.youtube.com/watch?v=mq_1QnemAWc
http://www.myspace.com/souleymanediamanka/videos/video/100088535
John Banzaï : http://www.youtube.com/watch?v=aAvkv9u57pc (« L’écho ainsi danse »)
« Encre vivante » (duo avec SD) : http://www.ladernierephalange.com/bouchees-baclees-36
Lee Harvey Asphalte : http://www.dailymotion.com/video/x7pbmx_lee-harvey-asphalte-
hardcorps-et-am_webcam
639

INDEX DES SLAMEURS ET SLAMEUSES CITÉ(E)S

129H, Collectifs, 27 IAM Plume slameuse


Adb al Malik Rappeurs, 198 Slameuses, 297
Rappeurs, 68 Ivy Poetry Slam Madrid
Am slam gram Slameurs, 44 Collectifs, 53
Collectifs, 75 John Banzaï Ramdam slam
Amaranta Slameurs, 32 Collectifs, 297
Slameuses, 111 John Pucc’ RiM
Ami Karim Slameurs, 108 Slameuses, 76
Slameurs, 59 Julien Delmaire Rouda
Arsenik Slameurs, 108 Slameurs, 76
Rappeurs, 194 Kacem Säb
Arthur Ribo Slameurs, 503 Slameuses, 297
Slameurs, 642 Lara Stoll Sancho
Barbie tue Rick Slameuse, 46 Slameurs, 218
Slameuses, 76 Lauréline Kuntz Saul Williams
Bas Böttcher Slameuses, 60 Slameurs, 31
Slameurs, 47 LaurentEtienne.com Section Lyonnaise des
Booba Slameurs, 297 Amasseurs de Mots
Rappeurs, 362 Laurent Lesceve Collectifs, 40
Boutchou Slameurs, 456 Selecta Seb
Slameuses, 76 Le Bon Slamaritain Slameurs, 140
Camille Case Slameurs, 297 Seth Gueko
Slameuses, 112 Le meilleur ami des mots rappeurs, 110
Casey Collectifs, 118 Silvana Straw
Rappeuse, 367 Lee Harvey Asphalte Slameuses, 145
Catel Tomo Slameurs, 68 Silvia Nieva
Slameurs, 191 Loubaki Slameuses, 53
Catherine Duval Slameurs, 263 Slam ô féminin
Slameuses, 459 Luciole Collectifs, 111
Chant d’encre Slameuses, 63 Slam sensible
Collectifs, 297 Lyor Collectifs, 297
Clack your hands Slameurs, 76 (les) Slamtimbanques
Collectifs, 111 Marc Smith Collectifs, 297
Dgiz Slameurs, 28 Société Lausannoise des
Slameurs, 61 Marco DSL Amateurs et Amatrices de
Didier de Kabal Slameurs, 75 Mots, Collectifs, 118
Slameurs, 110 MC Solaar Souleymane Diamanka
Ebène slam rappeurs, 197 Slameurs, 32
Slameurs, 297 Mots Paumés Tata Milouda
Enterré sous X Slameurs, 62 Slameuses, 111
Collectifs, 40 M’sieur Dam Tô, Slameurs, 233
Félix J. Slameurs, 297 Tribut du verbe
Slameurs, 58 Collectifs, 63
Nada, Slameurs, 38
Fifty One Narcisse Triporteurs de mots
Slameuses, 111 Slameurs, 44 Collectifs, 508
Frangélique Nëggus Tsunami
Collectifs, 297 Slameurs, 108 Slameurs, 13
Frédéric Nevchehirlian Ninanonyme Uppercut
Slameurs, 89 Slameuses, 297 Collectifs, 194
Grand Corps Malade Oxmo Puccino Vagablonde
Slameurs, 39 Rappeurs, 110 Slameuses, 297
Hocine Ben Pilote le Hot Ysae, Rappeurs, 63
Slameurs, 108 Slameurs, 38 Zedrine, Slameurs, 141
640
641

GLOSSAIRE des mots du slam


Animateur
Le slameur est d’abord animateur de ses propres textes (au sens original et Goffmannien du
terme) en tant qu’il leur donne vie (souffle) sur scène, les « publiant » ainsi à l’oral. Il peut
être aussi animateur de scènes ouvertes (ou MC, pour « Master of Ceremony », emprunt qui
relève du technolecte du rap) et animateur d’ateliers visant à transmettre la discipline, le goût
des mots, de l’écriture, de l’expression en général. Le mot d’animateur révèle à notre sens
une nouvelle posture d’auteur : de fait, le slameur se sent investi d’une mission qui consiste
a minima à faire circuler la parole poétique, voire à assumer pleinement un rôle de passeur.

Blase/blaze
Qu’il vienne de blason ou d’un croisement de blair et naze (Rey, 2007), ce mot est répertorié
(pour « surnom ») dans le dictionnaire de Goudaillier (1997), en référence au roman Crame
pas les blases (Seguin, 1995). Dans le slam, il assure une fonction essentiellement ludique
ou colludique plus que cryptique comme dans le hip-hop. Il contribue à ouvrir un horizon
d’écoute propice et propre à l’univers d’un slameur quand ce dernier, lors d’une scène
ouverte, est annoncé par son blase. Il représente à ce titre un haut-lieu de créativité.

Collectif
Dans la philosophie du slam, l’importance de la communauté est contenue dans l’idée de
slam family qui englobe les « équipes » de slameurs (pour la participations collective aux
tournois) et les « slamophiles ». Au sein de la slam family et plus généralement dans l’art
contemporain, la notion de « collectif » désigne des regroupements d’artistes en vue de
collaborer sur des projets de spectacles, d’organisation d’évènements et de publication.
Cette collaboration induit une dynamique de groupe, d’où une émulation entre slameurs qui
se répondent parfois par textes interposés, s’adonnent à des projets d’écriture collective ou
se « donnent des mots » entre eux (Lyor et Rouda). A l’image des blases, les noms de
collectifs sont souvent recherchés et créatifs ; ils peuvent être indicateurs de filiations
revendiquées par les slameurs (les Oulipo sapiens lyonnais). D’une manière générale,
l’empreinte du collectif est telle que nous en avons déduit l’idée d’une fonction colludique.

Ecriture rythmique
Ce concept est essentiellement connu et diffusé par les slameurs Rhône-alpins, à
commencer par Marco DSL qui a formalisé un classement des lettres (basé sur les phonies
associées) visant à caractériser leur potentiel poétique en fonction de l’effet acoustique
produit : les coulantes sont des consonnes « douces » qui s’opposent aux autres consonnes,
et notamment aux « chaotiques » (groupes consonantiques complexes). De ce classement
émanent des contraintes : des slams sont écrits, à l’instar des lipogrammes oulipiens, en
excluant telle ou telle lettre. D’où des rythmiques particulières, nées des accents
prosodiques et assonances, et une écriture dite « rythmique » fondée sur ces contraintes.
Elle s'attache à donner une musicalité (rythme et mélodie) au texte et peut être indépendante
d'un système de métrique versifié qui compte le nombre des pieds, ou le nombre des temps
si le texte est accompagné de musique. Elle peut être démontrée en acte à l’occasion des
sessions d’improvisation d’écriture (voir infra) et travaillée spécifiquement en ateliers.

Flow
Anglicisme relevant du technolecte du rap ou de la chanson, ce terme est emblématique du
« style, (de) la manière de rapper qui révèle toute la finesse, la créativité du MC » (Boucher,
1999 : 471). Le collectif 129H le définit de façon générique comme « la mise en oralité du
texte, en fonction du rythme, du choix des mots et de leur syntaxe », précisant qu’il existe
« des scansions lentes ou rapides, saccadées ou fluides, selon les sonorités choisies, la
ponctuation, l’articulation et le début naturel de l’orateur. » (sd : 77) Le flow représente donc
un espace de liberté et de créativité (voire de stylisation) dans le slam où il n’est aucunement
642

cadré par la musique : autant de slameurs, autant de flows. Il est à la fois signature vocale,
présence rythmique et ponctuation harmonique qui donnent vie et souffle au texte. La notion
de flow intègre aussi les intonations (accents et variations de hauteur) et modulations du
timbre (Barret, 2008 : 167), visant à synthétiser :
- des caractéristiques phonostylistiques propres à l’orateur/slameur ;
- des caractéristiques prosodiques émanant de la matière sonore de son texte
(allitérations/assonances et accents prosodiques, groupes de souffles) ;
- des caractéristiques rythmiques traduisant une recherche d’expressivité voire de
musication (le propre de la déclamation serait de forcer certains accents et de les
répartir de façon à contribuer à une structure métrique avec des temps forts et des
temps faibles).
A l’instar du « récitatif scandé » (Zumthor), le flow se différencie du « style parlé » (Hagège)
par un aspect rythmé et plus ou moins périodique. L’image contenue dans cet anglicisme
reflète la prégnance du rythme (du grec ῥεῖν, rhein, « couler »). Le terme donne lieu à des
délexicalisations et autres métaphores, telles « Flow d’encre », association fondée par GCM
en vue de l’organisation d’ateliers.

Improvisation (d’écriture)
L’équivalent de l’improvisation dans le technolecte du rap serait le freestyle, autre anglicisme
qui s’applique à différents domaines d’activités notamment sportives (pour « figures
acrobatiques libres »). Dans le slam, l’improvisation est un exercice difficile auquel peu de
français se risquent, à la différence de la tradition américaine. Des slameurs reconnus
comme Dgiz ou Arthur Ribo (« Le spectacle dont vous êtes l’auteur ») la pratiquent pourtant,
en s’appuyant sur des mots proposés par les spectateurs qui se voient distribuer à l’entrée
des bulletins blancs : l’ensemble des propositions sont ensuite projetées sur un écran via un
épiscope derrière le slameur qui improvise à partir de cette trame. Si toutes les
performances de slam en freestyle doivent être produites spontanément sur scène, il n’est
pas rare que les poètes utilisent des séquences, enchaînements et formules poétiques
mémorisées.
Fondée par Marco DSL, la CIIEEL (« Constellation d'Improvisation d'Ecriture Ephémère
Ludique Lyonnaise ») consiste en une forme d’improvisation à partir de mots du public et de
contraintes formelles : les textes sont créés sur scène, en direct et en temps limité, et les
créations aussitôt interprétées. Il s’agit donc d’une forme d’improvisation, qui passe
cependant par la phase intermédiaire du texte écrit. S’apparentent à l’improvisation d’écriture
les « performances post-conférences » qui se traduisent par une écriture « en direct », en
temps limité avec une affordance par rapport au contexte et une restitution quasi-immédiate.

Performance
Dans le domaine des arts du spectacle et depuis l’occurrence isolée chez Hugo (L’Homme
qui rit, 1869) au sens de « représentation », le terme de performance s’est étendu à une
manifestation artistique, comme équivalent de l’anglais happening (Rey, 2007 : 2662).
Dans le slam, il désigne la prestation scénique en tant qu’elle finalise et valorise le texte :
lors des tournois, la qualité de cette prestation est souvent décisive aux yeux du jury.
L’interprétation doit être convaincante, expressive, efficace pour que le slameur l’emporte :
on retrouve ici le sème compétitif (« performances sportives ») et celui d’« exploit ». En
dehors des tournois, la performance s’avère essentielle comme finalité du texte créé sur
lequel elle peut influer a posteriori, le slam restant soumis à une mouvance déterminée par le
contexte et les feed-backs de l’auditoire. Interface entre le poète et son public, elle est le lieu
d’une interaction fondamentale et peut être l’occasion de surprendre le public. Notons que le
terme de « scène » est souvent utilisé de façon métonymique pour « performance
scénique » (« faire de la scène »).

Phases (chercheur de) & punch-lines


643

Ce terme est utilisé notamment par GCM (voir notre chapitre 10) en combinaison
(métaphorique) avec « chercheur de » : le slameur se voit ici assimilé à un orpailleur. Pour
le collectif 129 H, ce lexème renvoie à la punch-line des rappeurs définie comme « image,
combinaison de mots ou vers percutants qui interpellent immédiatement l’auditoire » (sd : 77,
nous soulignons). Il nous semble pourtant que la connotation entre ces deux notions diffère :
d’un côté (punch-line), c’est l’efficacité voire l’impressivité qui est recherchée ; de l’autre
(phase), on vise plutôt l’expressivité. Des slameurs comme SD privilégient les phases, les
formules harmonieuses. D’autres préfèrent les punch-lines qui peuvent contribuer à la chute.
Ce concept de punch-line est aussi utilisé dans le graffiti pour désigner les phrases écrites : il
relève donc d’une forme de technolecte du hip-hop, tandis que le terme de phase est plus
libre et ludique (emploi néologique), potentiellement objet d’équivoque (phrase).

Rimes multisyllabiques
L’adjectif « multisyllabiques » est employé par les rappeurs pour désigner des échos sonores
multiples entre deux mots (a minima), à l’intérieur des lexèmes et non seulement en finale.
La plupart des slameurs le réinvestissent en atelier, car il présente l’avantage de la
transparence par rapport à des mots relevant du métalangage poétique (paronomase).
L’image associée est de faire « rebondir » les syllabes, d’où une forme de scansion par un
phénomène d’accentuation prosodique. Ce concept nous paraît emblématique d’une écriture
dont la paronomase est la figure reine, chez les slameurs comme chez les rappeurs. Notons
que la systématisation des rimes multisyllabiques tout au long d'un texte peut amener à une
forme d’écriture rythmique (voir supra).

Slam de poésie (schelem de poésie) / slam poésie & poésie slam


Associée au sens de schelem, le « slam de poésie » désigne un tournoi. Les québecois (Ivy)
semblent très attachés à ce dispositif distinct des scènes ouvertes « à la française ». Il s’agit
d’un concours où les poètes se succèdent sur scène et sont évalués par un jury, à
l’applaudimètre ou par des notes sur dix dont on calcule la moyenne. Lors du Grand Slam,
des présélections régionales permettent d’accéder en finale. Pour les puristes, le terme de
slam (de poésie) désignerait ce seul dispositif tandis que la littérature scénique générée par
un tel dispositif serait appelée « poésie slam » ou « slam poésie », ce second binominal
étant calqué sur l’anglais. Notons qu’en français, le lexème simple est aussi utilisé en ce
sens, par métonymie : « un slam » pour « un texte de slam (poésie)».

Scènes ouvertes (open mic)


Le concept de scènes ouvertes fait référence aux sessions d’open mic où les membres du
public peuvent s’inscrire pour monter sur scène. A l’instar du MC, l’animateur de la scène
prend les inscriptions à l’entrée et appelle les gens au fur et à mesure tout en assurant les
transitions. Il s’assure aussi du respect des règles (notamment de la durée, de 3 à 5
minutes). Cette formule reflète l’enjeu original de démocratisation de la poésie : elle est
particulièrement développée en France. Pour Marc Smith, les open mic pouvaient succéder
aux slam sessions. Par extension, les binominaux slam session (calqué sur l’anglais) et
session slam s’appliquent en français aux deux dispositifs : scènes ouvertes ou tournoi.

« Slamaleikoum ! »
Du nom des soirées slam organisées par GCM au Café culturel de Saint-Denis, ce mot
composite est devenu une formule rituelle d’ouverture des scènes slam. Il contribue à sceller
un pacte en invitant d’emblée le public à répondre (« Malikoum slam ! »), ce qui établit une
base d’interactivité. Certains slameurs (MP) traduisent ce mot-valise par le palimpseste :
« Que la poésie (paix) soit avec toi ! ». Une telle formule - quasi incantatoire - nous semble
emblématique d’un métissage, d’une condensation et d’une recherche d’expressivité : par la
répétition des phonèmes [a], [m] et [l], la trame phonologique du mot slam se trouve
renforcée par un écho sonore. En tant que néologisme, elle nous semble aussi ouvrir un
horizon (d’écoute et de création) propice à des manifestations de créativité lexicale.
644

TABLE DES MATIERES

Exergue ........................................................................................................................................... 3
Remerciements ............................................................................................................................... 5
Avertissement ................................................................................................................................. 7
Sommaire ........................................................................................................................................ 9
Introduction ................................................................................................................................... 11

PREMIERE PARTIE : UN POTENTIEL NÉOPOÉTIQUE .............................................................. 23

Chapitre 1 : La vague du slam. Histoire et état de l’art ............................................................. 25


1.1. L’odyssée du slam ou l’histoire d’une naissance ................................................................................. 27
1.1.1. Naissance aux Etats-Unis ......................................................................................................... 27
1.1.2. Slam : le film et la philosophie ................................................................................................... 31
1.1.3. Slam poetry "here and now" d’après Marc Smith ..................................................................... 34
1.1.4. Un état des lieux du slam américain : The Cultural Politics of Slam
Poetry……..…………… ............................................................................................................ 35
1.2. L’émergence du slam en France et dans la francophonie ................................................................... 38
1.2.1. Arrivée et diffusion en France ................................................................................................... 38
1.2.2. Le slam dans la francophonie .................................................................................................. 43
1.3. Un aperçu du slam européen………………………………………………………………….……… ……. 45
1.3.1. Les journées du slam européen………………………………..…...………………………… . ….. 45
1.3.2. Le slam allemand……………………………………………………....………………………... . … 47
1.3.3. Le slam espagnol……………………………………………..…………………..…………… . …... 52
1.4. Mouvement poétique ou poésie en mouvement ?......................................................................... .. ... 54
1.4.1. A la surface du slam…………………………………… ... ………...……………...……………….. 54
1.4.2. Au seuil du slam : les anthologies……………………………………………………………… ... .. 56
1.4.3. Au cœur du slam : état de l’art…………………………… . ………………………………………. 59
Un art qui questionne ou la quête d’une identité poétique ........................................................ 59
Un art qui sonne et qui résonne/raisonne ou arraisonne .......................................................... 60
Un art vivant et mouvant ........................................................................................................... 62

Chapitre 2 : Orientations méthodologiques………………………………………………… ........ .. 65


2.1. Un objet et une démarche en 3D : Définir, Décrire,
Didactiser………………………………………… ......................................................................................... . 68
2.1.1. Définir……………………… ... ……………………………………………………………………….. 68
2.1.1. Décrire……… ... …………………………………………………………………………………….... 69
2.1.3. Didactiser…… ... ……………………………………………………………………………...………. 71
2.2. Délimitation du corpus périphérique (paratextuel)………………………………………………...… ... ... 71
2.2.1. Le paratexte : éléments de définition…… .. ……………………….…………………………..….. 71
645

2.2.2. Le péritexte : flyers, noms de scène, titres, préfaces et notes…………………… .. ……….….. 74


2.2.3. L’épitexte : entretiens…………………………… .. ……………………………………...…………. 79
2.2.4. Epitexte et avant-textes : manuscrits………………………………… . ………………………..… 86
2.3. Description du corpus principal (textes et vidéos)…………………………………………………... …… 90
2.3.1. Choix et constitution des corpus textes…… . …………………………………………………….. 91
2.3.2. Traitement des données vidéo : multicanalité et partitions gestuelles………………… . …….. 93

Chapitre 3 : Le slam tel que les slameurs le voient et le vivent, le décrivent et le


dérivent….... ............................................................................................................................... 105
3.1. A l’heure du slam : les documentaires ............................................................................................... 107
3.1.1. Slam, ce qui nous brûle…… ...……………………………………………………………….……. 107
3.1.2. Traits portraits……………… ...…………………………………………………………………….. 109
3.1.3. Slameuses………… .. ……………………………………………………………………………… 110
3.2. A la rencontre des slameurs : synthèse des entretiens…………………………………………… …… 112
3.2.1. Chacun cherche son blase : pseudonymes et quête identitaire ............................................. 112
3.2.2. Tous les chemins mènent au slam : parcours et expériences ................................................ 119
3.2.3. La nuit, tous les stylos sont pris : influences, filiations et genèse .......................................... 122
3.2.4. Le slam en ?uestions……………………… ......................... ……………………………………. 127
Le slam est-il communiversation ?........................................................................ .... ............ 127
Le slam est-il un lieu d’inventilation ?... .... ............................................................................. 128
Le slam peut-il être slaMusic ?................................................. ... ......................................... 130
Le slam est-il hardcorps et âme ?.............................. .... ....................................................... 132
Le slameur est-il passeur, slamtimbanque ou slambassadeur ? ............................................ 134
Un slameur sachant slanimer ................................................................................................. 136
3.3. Enquête complémentaire : le slam en un mot .................................................................................... 138
3.3.1. Modalités de l’enquête complémentaire ................................................................................. 138
3.3.2. Premières conclusions ........................................................................................................... 140
3.3.3. Du mot au texte, de l’enquête au manifeste ........................................................................... 145

Chapitre 4 : Entre oralité et jeux d’écriture, le slam ou l’oralittérature .................................. 149


4.1. De la poésie orale .............................................................................................................................. 152
4.1.1. Oralité, orature, oraliture, oralittérature ................................................................................... 152
4.1.2. Poésie orale et fonction poétique ............................................................................................ 154
4.1.3. Du style vocal au phonostyle : la Vive voix ............................................................................. 161
4.1.4. Du rythme, de la prosodie et de la poétique............................................................................ 165
4.2. De la tradition orale à la chanson ....................................................................................................... 168
4.2.1. De la tradition orale et du rapport entre Langue, corps et société .......................................... 168
4.2.2. Chanson et voix chantée ......................................................................................................... 171
4.3. De l’écriture à la performance ............................................................................................................ 174
4.3.1. D’une écriture à haute voix aux résonances diverses ............................................................. 174
4.3.2. Du Surréalisme ........................................................................................................................ 175
646

4.3.3. De l’Oulipo ............................................................................................................................... 177


4.3.4. De l’Oudopo ou de la poésie-action à la performance vocale ................................................. 181
4.4. Vers une poétique du slam ................................................................................................................. 184
4.4.1. Une poésie vivante et vocale................................................................................................... 184
4.4.2. Une poésie hybride, adressée et métissée ............................................................................. 185
4.4.3. Une poésie colludique et créative ........................................................................................... 187

Chapitre 5 : Du rap au slam, du flow au flot ............................................................................ 189


5.1. De la culture hip-hop et du rap ........................................................................................................... 192
5.1.1. Eléments de définition ............................................................................................................. 192
5.1.2. Du métissage langagier au message engagé ......................................................................... 196
Lieu de métissage et de médiation.......................................................................................... 196
Du métissage au Message ...................................................................................................... 200
5.1.3. Des thèmes et des rimes : approche thématique, esthético-poétique .................................... 201
5.2. Entre rap et slam : influences, confluences et diffluences ................................................................. 205
5.2.1. Du rap au slam : une question de légitimité ........................................................................... 205
5.2.2. Un lieu de réflexivité ou comment les rappeurs se démarquent des rappeurs ....................... 207
5.2.3. Une quête d’identités .............................................................................................................. 211
L’ego slam ou l’expression d’une identité complexe ............................................................... 211
La quête d’une identité artistique : du blase au nom de collectif ............................................ 214
La quête de solidarités ou le phénomène d’interdiscursivité .................................................. 215
5.3. Le slam comme Musique des lettres, des langues, des voix et des corps ........................................ 219
5.3.1. « Entre rap et slam : un souffle nouveau dans la langue ? ................................................... 219
5.3.2. Musique des lettres et des mots……… .. ………………………………………………………… 221
5.3.3. Musique des voix et des langues…………………… .. ………………………..………………… 223
5.3.4. Musique des corps ou musique « décor » ?.................................. .. ..................................... 225

DEUXIEME PARTIE : UN POTENTIEL NÉOLOGIQUE.............................................................. 229

Chapitre 6 : Le mot « slam » ..................................................................................................... 231


6.1. Le mot « slam » : signifiant et signifiés en anglais ............................................................................. 234
6.1.1. Des mots « au signifiant très significatif » : rap et slam .......................................................... 234
6.1.2. Slam : définitions lexicographiques ......................................................................................... 237
6.1.3. De l’anglais au français : emplois « hors-champ .................................................................... 241
6.2. Du mot au moment : analyse sémantique .......................................................................................... 242
6.2.1. Quelques éléments d’analyse en diachronie : l’apparition du lexème « slam » en France .... 242
6.2.2. Analyse en synchronie à partir d’un corpus de définitions ...................................................... 243
6.2.3. Analyse sémique et tableau de synthèse ................................................................................ 248
6.3. Du mot en contexte : analyse des occurrences et cooccurrences du mot « slam » dans la
presse ........................................................................................................................................................ 251
6.3.1. Présentation du corpus d’articles de presse ........................................................................... 252
647

6.3.2. Analyse des contenus.............................................................................................................. 253


La vague du slam : « slam de fond » ..................................................................................... 254
Les ateliers slam ou l’expérience d’une langue « vivante ...................................................... 255
La dimension compétitive : « Boxe slam » .............................................................................. 256
Portraits de slameurs............................................................................................................... 256
6.3.3. Analyse lexicologique .............................................................................................................. 257
Slam poetry et spoken word poetry ......................................................................................... 257
Relevé des occurrences et analyse des variations typo- et orthographiques ......................... 258
Détermination ......................................................................................................................... 259
Combinatoire et asssociations privilégiées ............................................................................. 260
Dérivation et néologie .............................................................................................................. 261
6.4. Du mot aux textes : le mot « slam » dans les textes de slam ........................................................... 263
6.4.1. Les définitions et images mises en abyme dans les textes .................................................... 263
6.4.2. Le mot « slam » dans les textes de slam ................................................................................ 266
6.4.3. Un mot néologène ? ............................................................................................................... 269

Chapitre 7 : Fondements, facteurs, formes et fonctions de la néologie dans le slam ......... 273
7.1. La création lexicale ............................................................................................................................. 276
7.1.1. La créativité lexicale ............................................................................................................... 276
7.1.2. Des concepts à interroger ....................................................................................................... 278
D’Alain Rey à Jean-François Sablayrolles : la néologie, un pseudo-concept ? ..................... 278
La question de l’hapax ........................................................................................................... 280
La question de la poéticité ....................................................................................................... 281
7.1.3. Un concept à actualiser ........................................................................................................... 282
L’histoire de la néologie ou la néologie dans l’histoire de la littérature ................................... 283
Formes contemporaines de néologie ...................................................................................... 284
7.2. Les facteurs néologènes ................................................................................................................... 286
7.2.1. Medium, métissage et modernité ........................................................................................... 286
7.2.2. Un genre discursif situationnel ............................................................................................... 290
7.2.3. De la recherche de concision et d’expressivité à la néologie ................................................. 292
7.3. Les formes de la néologie : inventaire et classement ....................................................................... 294
7.3.1. Proposition de typologie .......................................................................................................... 294
7.3.2. Répartitions quantitatives ........................................................................................................ 298
7.3.3. Analyses qualitatives .............................................................................................................. 300
Matrice morpho-phonologique : des onomatopées aux néographies ..................................... 300
Matrice morpho-sémantique : déformations et amalgames .................................................... 303
Matrice syntactico-sémantique : conversions ........................................................................ 306
Matrice phraséologique et combinaisons bimatricielles .......................................................... 307
7.4. Des fonctions aux néostyles............................................................................................................... 308
7.4.1. Fonction d’appel et d’accroche : des mots-appâts ................................................................. 308
648

7.4.2. Fonction poétique, poiétique ou polémique : des mots-coups de poing ................................ 309
7.4.3. Fonction réflexive ou expressive : des mots-miroirs ............................................................... 311
7.4.4. Fonction conniventielle ou colludique : des mots-clins d’œil ................................................. 311
7.4.5. Le concept de néostyle ..................................................................................................................... 313

Chapitre 8 : Mots paumés ou les mots composites (néostyle 1) ........................................... 315


8.1. Du mot d’esprit aux mots composites ............................................................................................... 317
8.1.1. Eléments de définition ............................................................................................................ 317
Freud et le mot d’esprit ........................................................................................................... 317
De Lewis Carroll à James Joyce : des mots-valises aux mots composites ........................... 319
D’André Frontel à Almuth Grésillon : les mots-monstres ....................................................... 321
Mots à tiroirs ou mots-miroirs ? .............................................................................................. 324
8.1.2. Vers une typologie des mots et locutions composites ............................................................. 326
8.2. Traitement du corpus MP .................................................................................................................. 334
8.2.1. Le péritexte : flyers, blog et titres ............................................................................................. 334
8.2.2. Le corpus textuel : mots composites ...................................................................................... 339
Néographies significatives ...................................................................................................... 339
Mots composites obtenus par insertion ................................................................................... 340
Mots composites obtenus par imbrication .............................................................................. 342
Mots composites insérés dans une synapsie ou expression figée ........................................ 343
8.2.3. Le corpus textuel : locutions composites et collocutions ......................................................... 344
Locutions construites par insertion ......................................................................................... 344
Locutions construites par imbrication ...................................................................................... 345
8.2.4. Autres formes néologiques, détournements et délexicalisation .............................................. 347
8.3. Analyse néostylistique : des mots paumés aux mots filés ................................................................. 349
8.3.1. La réception : aspects sémantiques et didactiques ................................................................. 349
8.3.2. Des mots d’accroche et de connivence .................................................................................. 352
8.3.3. Des mots de passe et de passage ......................................................................................... 353
8.3.4. Créativité, réflexivité et réécriture ........................................................................................... 355

Chapitre 9 : Souleymane Diamanka ou l’écriture palimpseste (néostyle 2) ......................... 357


9.1. Le concept de palimpseste................................................................................................................. 360
9.1.1. De Genette à Grésillon : de l’hypertextualité au détournement ............................................. 360
9.1.2. Les Palimpsestes Verbo-Culturels .......................................................................................... 363
9.1.3. Les palimpsestes dans le rap français ................................................................................... 367
9.2. Traitement du corpus SD .................................................................................................................. 369
9.2.1. Péritexte : les titres .................................................................................................................. 370
9.2.2. Classement des palimpsestes d’après le type de filiation ...................................................... 371
Avec filiation phonique ........................................................................................................... 371
Sans filiation phonique ........................................................................................................... 375
Avec déstructuration syntaxique .. …………………………………………………………...…… 375
649

Palimpsestes valises .............................................................................................................. 376


9.2.3. Répartition d’après le type d’énoncé détourné ........................................................................ 377
9.2.4. Un exemple de défigement (étude de cas) : les « bastons du diable » ................................. 378
9.3. Analyse néostylistique : du palimpseste filé et d’autres figures ......................................................... 379
9.3.1. Réflexivité ............................................................................................................................... 380
« L’art ignare » ou l’écriture à haute voix .............................................................................. 380
« Le meilleur ami des mots » ou l’écriture à deux voix ......................................................... 381
Réécriture : de « Désert de 5 pieds » à « Soleil Jaune » ....................................................... 382
« Encre vivante » : de la page au partage ............................................................................ 385
« Papillon en papier » : l’écriture d’un métaphoriste ou l’écriture partagée .......................... 387
9.3.2. Palimpsestes et autres figures de sons et de sens ................................................................. 388
« Muse amoureuse » ou l’écriture paronomastique ................................................................ 388
« Les poètes se cachent pour écrire » ou l’écriture palimpsestuelle ..................................... 392
« Je t’aime ndeysaan » ou l’écriture tissée métisse .............................................................. 394
9.3.3. L’art du palimpseste, du slam au graffiti .................................................................................. 395

Chapitre 10 : Grand Corps Malade ou l’écriture métisse (néostyle 3) .................................. 397


10.1. Métissage inter-/intralexical et lexiculturel ........................................................................................ 400
10.1.1. Mots et locutions composites .............................................................................................. . 400
10.1.2. Palimpsestes ......................................................................................................................... 402
10.1.3. Une culture plurielle et métissée ........................................................................................... 405
10.2. Métissage inter- et intralingual ......................................................................................................... 406
10.2.1. Le slam, auberge espagnole linguistique ? .......................................................................... 407
10.2.2. Le slam, porteur de thématiques verlanogènes ?. ............................................................... 410
Etude quantitative : répartition des occurrences de verlan .................................................... 410
Distribution par lexèmes ......................................................................................................... 412
Analyse du cotexte pour « chelou » (étude de cas) ............................................................... 413
Analyse morpho-phonologique et typologie ........................................................................... 414
Attestation : formes lexicalisées, lexèmes néologiques et hapax ........................................... 419
Analyse fonctionnelle .............................................................................................................. 420
10.2.3. Le slam ou la poésie du métissage : « Rétroviseur », du vers au verlan ............................. 421
10.3. Tissage intratextuel et rhétorique ..................................................................................................... 423
10.3.1. « Chercheur de phases » ou l’art de l’inventio ......................................................................... 423
10.3.2. « J’ai oublié » ou l’art de la dispositio .................................................................................... 425
10.3.3. « Pères et mères » ou l’art de l’elocutio ............................................................................... 426
10.4. Tissage interdiscursif et intertextuel ................................................................................................ 428
10.4.1. Du featuring à l’intervocalité, de la dédicace à l’interdiscursivité .......................................... 428
10.4.2. Intertextualité et allégorie ...................................................................................................... 429
10.4.3. « J’ai rencontré la poésie » : slam et engagement par rapport à l’école ............................... 434
650

TROISIEME PARTIE : UN POTENTIEL DIDACTIQUE............................................................... 437

Chapitre 11 : Exploration du champ, état des lieux et premières expérimentations ............ 439
11.1. Articles et pistes de réflexion didactique ......................................................................................... 442
11.1.1. La parole aux slameurs ......................................................................................................... 442
11.1.2. La parole aux didacticiens et aux professeurs ...................................................................... 444
11.1.3. Le slam comme réponse aux difficultés ? ........................................................................... 449
11.2. Ressources et propositions pédagogiques ...................................................................................... 451
11.2.1. Du côté du FLE ..................................................................................................................... 451
Entrée en matière avec les fiches pédagogiques du Français dans le Monde ...................... 451
Approfondissement avec le coffret « Slamophonie » et le dossier TV5 Monde .................... 454
Vers une exploitation lexicale .................................................................................................. 457
11.2.2. Du côté du FLM .................................................................................................................... 458
20 ateliers de slam poésie ou le slam compétitif ..................................................................... 458
Ecrire ou dire ou l’élaboration d’une démarche pédagogique ................................................. 460
11.3. Le slam dans les manuels ................................................................................................................ 462
11.3.1. Présentation des manuels et objectifs visés d’après les IO ................................................ 463
11.3.2. Approches du slam : définition et ancrage culturel, littéraire, générique............................. 465
11.3.3. Choix des textes et modalités de présentation ..................................................................... 468
11.3.4. Analyse de la langue, activités orales et écrites ................................................................... 469
11.3.5. Un exemple d’exploitation dans la manuel Nouvel Edito ..................................................... 471
11.3.6. Premières conclusions.......................................................................................................... 472
11.4. Premières expérimentations............................................................................................................. 474
11.4.1. Séquence en Classe d’Initiation au français ......................................................................... 475
11.4.2. Séquence en Lycée Professionnel ........................................................................................ 482

Chapitre 12 : Expérimentation en FLM/FLS (Lycée professionnel) ....................................... 485


12.1. Contextualisation et objectifs de la séquence ................................................................................. 488
12.1.1. Contextes d’expérimentation ................................................................................................ 488
12.1.2. Objectifs et articulation avec les Instructions officielles ........................................................ 489
12.1.3. Pistes de réflexion didactique et état des lieux des représentations ..................................... 493
La venue d’un artiste dans la classe : de l’écrivain au slameur .............................................. 493
La lecture à haute voix : quid de la déclamation slamée et de la fluence ? ........................... 494
L’enseignement de la poésie : quelles représentations et quelles difficultés ? ..................... 495
12.2. Présentation du corpus didactique, analyse des supports et du déroulement ................................ 499
12.2.1. Elaboration d’un corpus multimédial...................................................................................... 499
Un documentaire pour entrer en matière et interroger le rapport à l’écriture .......................... 499
Du choix d’un thème à l’élaboration d’un corpus de textes ..................................................... 501
Du slam comme poésie vivante, appréhendée en acte, en vidéo et in vivo .......................... 502
12.2.2. Analyse du déroulement ........................................................................................................ 504
Une démarche de projet et un livret de parcours .................................................................... 504
651

De la géographie de la classe et de son impact sur la dynamique créative ........................... 506


Entrée en slam et en créativité ................................................................................................ 507
Slam entre oral et écrit : du clip vidéo à l’écriture texto........................................................... 510
Des jeux d’écriture à l’écriture jeu en passant par la joute...................................................... 512
Des jeux d’oralité à l’interprétation et à la réécriture ............................................................... 514
Des mots aux amorces et « phrases tremplins » : vers la créativité et l’imaginaire ............... 516
Du « Verbe » à l’ « Inventaire » à la Prévert : le slam passerelle ........................................... 520
12.2.3. Premier bilan .......................................................................................................................... 521
12.3. Analyse des productions et de l’évolution des représentations ...................................................... 521
12.3.1. Analyse des productions ...................................................................................................... 521
12.3.2. Evolution des représentations d’après nos enquêtes et bilan .............................................. 525

Chapitre 13 : Expérimentation en FLE (Centre Universitaire d’Etudes Françaises) ............ 529


13.1. Contextualisation et objectifs............................................................................................................ 532
13.1.1. Les objectifs et le CECR ........................................................................................................ 532
13.1.2. Contextualisation ................................................................................................................. 534
Le groupe et le cadre de l’expérimentation ............................................................................ 534
Le projet : planification et finalisation ...................................................................................... 535
13.1.3. Variations par rapport aux expérimentations précédentes ................................................... 536
13.2. Analyse des supports, aménagement et déroulement ..................................................................... 536
13.2.1. Nouveaux supports et aménagements .................................................................................. 537
13.2.2. Analyse des activités et des enjeux sous-jacents ................................................................ 540
A la rencontre du slam et des slameurs : le slam comme poésie vivante .............................. 540
A la rencontre des mots et des « caravanes de mots » ......................................................... 544
Le slam comme lieu d’expériences ludiques et colludiques .................................................. 547
Le slam comme lieu de rencontre entre oral et écrit ............................................................... 548
L’atelier voix ou quand le slam rencontre le théâtre................................................................ 550
13.2.3. La double finalisation du projet .............................................................................................. 553
13.3. Analyse des productions, bilans et entretien.................................................................................... 554
13.3.1. Productions ............................................................................................................................ 554
13.3.2. Bilan ...................................................................................................................................... 558
13.3.3. Etude de cas : entretien avec Tianhao .................................................................................. 560
Sa définition du slam à l’issue de l’atelier ............................................................................... 560
Apports et limites de l’atelier ................................................................................................... 561
13.4. Réflexion sur le rôle du slameur, fondements et statut des ateliers slam ....................................... 563
13.4.1. L’atelier slam à la confluence des ateliers d’écriture ............................................................ 563
13.4.2. L’atelier slam ou l’écrire pour dire : les jeux poétiques et leurs enjeux ................................ 564
13.4.3. Le slamming ou l’expérience de la créativité, de l’imaginaire et du colludique ................... 565
13.4.4. De la présence et du rôle du slameur lors de l’atelier .......................................................... 567
652

Chapitre 14 : De l’école au musée, de l’artiste à l’animateur, des approches


multivariées .............................................................................................................................. 571
14.1. Un parcours possible : A la rencontre du slam ................................................................................ 574
14.1.1. De la conception du livret et des enjeux en FLM, FLE, FLS ................................................. 574
14.1.2. De la progression proposée .................................................................................................. 575
14.1.3. D’une utilisation en FLE et au-delà....................................................................................... 576
14.2. Des pistes à explorer : un atelier/une rencontre avec MP, SD, GCM ............................................. 578
14.2.1. Une rencontre avec Mots Paumés ........................................................................................ 578
14.2.1.1. Contextualisation et enquête : le slam en un mot ............................................................. 578
14.2.1.2. Objectifs et déroulement de la rencontre ........................................................................... 580
14.2.1.3. Bilan et articles des élèves ................................................................................................. 584
Horizon d’écoute et pacte colludique ...................................................................................... 584
Choix des textes et affordances .............................................................................................. 585
Mots paumés ne les a pas paumés !...................................................................................... 586
14.2.2. Un atelier avec Souleymane Diamanka ................................................................................ 587
14.2.2.1. Une séance au CUEF (atelier in abstentia) : la « petite fabrique de slam » .................... 587
14.2.2.2. Un atelier à la bibliothèque (atelier in praesentia) ............................................................ 593
Contexte .................................................................................................................................. 593
Déroulement ............................................................................................................................ 593
Analyse des slams produits ..................................................................................................... 595
Affordance et mouvance ......................................................................................................... 597
Slams offerts et écriture partagée ........................................................................................... 598
Percussions corporelles, cadence et rythmes ......................................................................... 599
14.2.3. Une rencontre avec GCM ..................................................................................................... 601
De l’interview ........................................................................................................................... 601
à l’entretien .............................................................................................................................. 602
14.3. Un projet à l’horizon de la création : Slam au musée ...................................................................... 604
14.3.1. Des visites slamées : Bas Böttcher à Berlin, Ivy à Montréal ................................................ 604
14.3.2. Des visites aux ateliers et autres animations interactives .................................................... 606
14.3.3. Projet « Passeurs de mots » ............................................................................................... 607

Conclusion .................................................................................................................................. 611


Références .................................................................................................................................. 621
Index ........................................................................................................................................... 639
Glossaire .................................................................................................................................... 641
653

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Première partie
Document 1 : Exemple de flyer ............................................................................................................. 74
Document 2 : Extrait du livre-album Slamérica (Ivy, 2008) ................................................................... 78
Document 3 : « Das Raster » (Böttcher, 2009) ..................................................................................... 88
Document 4 : Manuscrit JD/SD ............................................................................................................. 89
Documents 5 et 5 bis: « La mer » ou les silences du texte (manuscrits F. Nevchehirlian) ................... 90
Document 6 : Partition gestuelle de « Niki Nikita » (Narcisse) ...................................................... 99-101

Figure 1 : Répartition des corpus A, B, C et D ...................................................................................... 70


Figure 2 : Représentation du chevauchement partiel entre nos corpus ............................................... 70
Figure 3 : Points de convergence et de divergence entre rap et slam ................................................ 210
Figure 4 : Une représentation de l’interdiscursivité entre cinq slameurs ............................................ 216
Figure 5 : Représentation de l’intertextualité interne à l’œuvre de Frédéric Nevchehirlian ................ 217

Photo 1 : Marc Smith à Reims pour la coupe d’Europe de slam (décembre 2010) .............................. 25
Photo 2 : Grand Slam de Paname le 21/09/10...................................................................................... 42
Photo 3 : Bas Böttcher à l’Amphidice, Université Stendhal (Grenoble, le 14/10/10) ............................ 65
Photo 4 : Extrait du bloc-notes de Souleymane Diamanka ................................................................... 72
Photo 5 : Bloc-notes SD ........................................................................................................... 88
Photo 6 : Bloc-notes SD ................................................................................................................ 89
Photo 7 : Photo Frédéric Nevchehirlian (Autrans, 20/05/11) ................................................................. 96
Photos 8 et 8 bis : Gestes rythmiques & phatiques (BB, 14/10/10, Université Stendhal) .................. 102
Photos 9 et 9 bis : Gestes mimétiques, phatiques & colludiques ........................................................ 102
Photo 10 : Katia Bouchoueva/Boutchou à La Bobine, Grenoble (8/04/11) ......................................... 105
Photo 11 : Frédéric Nevchehirlian à Autrans (le 20 mai 2011) ........................................................... 149
Photo 12 : Rouda, Double 6 à Lyon (le 12/11/08) ............................................................................... 189

Tableau 1 : Les slameurs et leurs noms de scène dans Slam entre les mots (2007) .......................... 75
Tableau 2 : Titres d’albums, compilations, anthologies, recueils .......................................................... 76
Tableau 3 : Modalités de nos enquêtes ................................................................................................ 82
Tableau 4 : Composition des corpus B et C1 ........................................................................................ 91
Tableau 5 : Répartition du corpus C2 (études de répertoires) .............................................................. 93
Tableau 6 : Classification des catégories fonctionnelles de la mimogestualité d’après J.Cosnier ....... 95
Tableau 7 : Classification fonctionnelle de la kinésie communicative d’après J.M. Colletta ................. 97
Tableau 8 : Réponses des slameuses et slameurs à l’enquête « le slam en un mot » ...................... 141
Tableau 9 : Réponses des internautes à l’enquête « le slam en un mot » .................................. 142-143
Tableau 10 : Les mots du technolecte du rap et leurs définitions d’après M. Boucher (1999) ........... 208
Tableau 11 : Relevé des occurrences du « je » dans le texte « Slam » de Tô ................................... 211

Deuxième partie
Document 1 : Jeu « Boogle slam » Document 2 : Flyer « Mots Paumés » ........................ 241
Document 3 : Flyers de sessions slam collectés sur la toile ............................................................... 270
Document 4 : Flyer MP « Microyon » .................................................................................................. 334
Document 5 : Ecriture à deux voix (manuscrit) ................................................................................... 382
Document 6 : Partition gestuelle de « Soleil Jaune » (d’après Traits portraits, 2009) ........................ 384
Document 7 : Mise en espace du slam « Encre vivante » .................................................................. 386

Figure 1 : Le slam et ses définitions, incluants et spécifiants ............................................................. 249


Figure 2 : Carte heuristique du mot « slam » dans la presse.............................................................. 263
Figure 3 : Répartition par matrices (corpus C1) .................................................................................. 299
Figure 4 : Répartition interne Figure 5 : Répartition interne ........................................... 299
Figure 6 : Répartition interne (matrice syntactico-sémantique)........................................................... 299
654

Figure 7 : Représentation des fonctions de la néologie dans le slam ................................................. 313


Figure 8 : Mots d’esprit et mots-valises ............................................................................................... 319
Figure 9 : « Héresistance » (d’après Grésillon) ................................................................................... 328
Figure 10 : Assemblage et recouvrement des formants d’après Galisson (1991 : 60-61) .................. 331
Figure 11 : Collocution (locution composite par imbrication) .............................................................. 332
Figure 12 : Locution composite par insertion (défigement) ................................................................. 332
Figure 13 : Logos-valises sur le blog de Mots Paumés ...................................................................... 335
Figure 14 : Défigements multiples d’une même locution .................................................................... 344
Figure 15 : Imbrications en chaîne ...................................................................................................... 346
Figure 16 : Répartition par types de procédés (corpus MP) ............................................................... 347
Figure 17 : Progression thématique selon le principe des ronds ....................................................... 354
Figure 18 : Progression syntagmatique selon le principe des ronds.................................................. 354
Figure 19 : Non redoublement de l’identique dans les collocutions .................................................... 354
Figure 20 : Détournements subversifs et captatifs, du rap au slam .................................................... 362
Figure 21 : Palimpsestes avec déstructuration syntaxique ................................................................. 376
Figure 22 : Types de sous-énoncés (corpus SD) ................................................................................ 378
Figure 23 : Palimpsestes en chaîne (corpus GCM + MP) ................................................................... 404
Figure 24 : Répartition des palimpsestes en fonction du type de sous-énoncé (GCM) ...................... 405
Figure 25 : Evolution quantitative du verlan dans les trois albums de GCM ...................................... 410
Figure 26 : Verlanisation suivie d’une apocope (d’après Goudaillier, 1997 : 24) ................................ 416
Figure 27 : Répartition morpho-phonologique du verlan ..................................................................... 418
Figure 28 : De l’argot au verlan, importance des fonctions exercées (Goudaillier, 1997 : 14) ........... 420

Photo 1 : Trophée de la coupe d’Europe de Slam (Reims, décembre 2010) ..................................... 231
Photo 2 : Lauréline Kuntz au festival d’Avignon (le 28/07/11) ............................................................. 273
Photo 3 : Mots Paumés au Musée de l’Ancien Evêché, Grenoble (29/07/11) .................................... 315
Photo 4 : Souleymane Diamanka au Parc Paul Mistral, Grenoble (9/07/11) ...................................... 357
Photo 5 : Rature (blocs-notes SD) ...................................................................................................... 380
Photos 6 et 6 bis: Anagrammes et palindromes (blocs-notes SD)...................................................... 388
Photo 7 : « Je t’aime, n’deysaan » (bloc-notes SD) ............................................................................ 394
Photo 8 : Grand Corps Malade aux Rencontres Brel (Saint-Pierre de Chartreuse, le 21/07/11) ....... 397

Tableau 1 : Rap et Slam d’après Longman dictionary of contemporary English ................................ 236
Tableau 2 : Slam, du verbe au nom .................................................................................................... 240
Tableau 3 : Analyse des sèmes présents dans les définitions du slam .............................................. 248
Tableau 4 : Occurrences du lexème « slam » et de ses dérivés dans l’œuvre de GCM .................... 267
Tableau 5 : les matrices lexicogéniques d’après Tournier (2004 : 27)................................................ 295
Tableau 6 : Les procédés de création d’après Pruvost & Sablayrolles (2003 : 118) .......................... 296
Tableau 7 : Classement des procédés de création (noms de slameurs et de collectifs) .................... 297
Tableau 8 : Typologie établie d’après Almuth Grésillon (1983) .......................................................... 327
Tableau 9 : Classement d’après A.Clas (1987)................................................................................... 328
Tableau 10 : Typologie établie par Galisson (1991) ........................................................................... 330
Tableau 11 : Typologie des mots et locutions composites (exemples corpus MP) ............................ 333
Tableau 12 : Titres (corpus MP) ................................................................................................... 337-338
Tableau 13 : Typologie des mots composites créés par imbrication .................................................. 343
Tableau 14 : Typologie des locutions composites créées par insertion .............................................. 345
Tableau 15 : Collocutions ou locutions composites créées par imbrication ........................................ 346
Tableau 16 : Détournements et délexicalisations (corpus MP) .................................................... 348-349
Tableau 17 : Analyse de po&sique ...................................................................................................... 350
Tableau 18 : Typologie formelle des modes de délexicalisation (d’après Galisson, 1995 : 47-52) .... 365
Tableau 19 : La culture mobilisée dans les palimpsestes d’après Galisson (1995 : 53-62) ............... 366
Tableau 20 : Classement des titres (corpus SD)................................................................................. 370
Tableau 21 : Répartition des palimpsestes en fonction du type de sous-énoncé (corpus SD) .......... 378
Tableau 22 : Répartition des occurrences de verlan par textes dans Midi 20 (2006) ......................... 411
Tableau 23 : Répartition des lexèmes verlanisés dans Enfant de la ville (2008)................................ 412
Tableau 24 : Répartition du verlan par lexèmes (corpus GCM) .......................................................... 413
Tableau 25 : Classement morphophonologique des formes de verlan (corpus GCM) ....................... 417
Tableau 26 : Les différentes formes de répétitions dans « Pères et mères » (EV5) .......................... 427
655

Troisième partie
Document 1 : Production de Nordin, 10 ans (S1)................................................................................ 479
Document 2 : Production d’Eric et Michel, 5 et 9 ans (S2) .................................................................. 480
Document 3 : Production de Liana et Ava (S3) ................................................................................... 480
Document 4 : Brouillon de Sara et Mustafa......................................................................................... 480
Document 5 : Production de Sara et Mustafa (S4 : réécriture) ........................................................... 481
Document 6 : Page d’« Inventaire » (Prévert, 1991 : 208) .................................................................. 520
Document 7 : Acrostiches (situation 1, classe B) ................................................................................ 522
Document 8 : Ecriture en duo (situation 4, P) ..................................................................................... 524
Document 9 : Brouillon Thibault (situation 6, B) .................................................................................. 524
Document 10 : Production d’Hamza (situation 8, B) ........................................................................... 525
Document 11 : TBI 1 (S1) Document 12 : TBI 2 (S1) ............................................................. 540-541
Document 13 : Flyer « Je slam donc je suis »..................................................................................... 545
Document 14 : TBI 5 (S4) .................................................................................................................... 547
Document 15 : Blog « Slam au CUEF » (fonction de mutualisation des ressources en ligne) ........... 553
Document 16 : Blog « Slam au CUEF » (fonction de socialisation des productions).......................... 554
Document 17 : Production individuelle (S1) Document 18 : Production en groupe (S1) ................ 555
Document 19 : Production individuelle (S4) Document 20 : Production en duo (S4) ...................... 556
Document 21 : Production individuelle (S4) ........................................................................................ 557
Document 22 : Acrostiche à partir du mot SLAM (production individuelle, S7) .................................. 557
Document 23 : Production d’élève (lycée Deschaux) suite à la rencontre avec MP........................... 586
Document 24 : Productions de Rahim et Myriam (Bibliothèque Teisseire, juillet 2011) ..................... 596
Document 25 : Production d’Amel ....................................................................................................... 596
Document 26 : Photos prises lors de l’atelier à la bibliothèque Teisseire Malherbe (8/07/11) ........... 600
Document 27 : Flyers Slam au musée (été 2011) ............................................................................... 606

Figure 1 : Chronologie de la séquence menée en CLIN ..................................................................... 475


Figure 2 : Déroulement de S3 ............................................................................................................. 477
Figure 3 : Déroulement de la séance « Vu de ma fenêtre » (lycée Prévert, le 30/01/08) ................... 482
Figure 4 : Frise chronologique de la séquence menée en LP ............................................................. 505
Figure 5 : Jeux d’oralité et d’écriture ................................................................................................... 513
Figure 6 : Evolution des représentations sur l’acte d’écrire, du pré-test au post-test ......................... 527
Figure 7 : Déroulement chronologique de la séquence au CUEF....................................................... 535
Figure 8 : Flow et entraînement à la fluence & fluidité verbale ........................................................... 575
Figure 9 : Représentation de l’affordance en jeu dans les ateliers slam ............................................ 598

Photo 1 : Atelier slam en CLIN avec Boutchou ................................................................................... 439


Photo 2 : From the page… to the stage Photo 3 : Scène à la bibliothèque ............................. 481
Photo 4 : Entrée en slam avec Katia Bouchoueva/Boutchou (lycée Prévert, janvier 2011) .............. 485
Photo 5 : Constellation médiologique (Boutchou, lycée Prévert, le 13/01/11) .................................... 509
Photo 6 : Etudiante du CUEF (février 2011) ........................................................................................ 529
Photo 7 : Scène au parc Paul Mistral (restitution de l’atelier) le 9 juillet 2011 .................................... 571

Tableau 1 : Définitions du slam dans les manuels scolaires (2008-2011) .......................................... 466
Tableau 2 : Exploitation du slam de GCM dans le Manuel Le Nouvel Edito (B2, 2008) ..................... 471
Tableau 3 : Les deux contextes d’expérimentation en Lycée Professionnel (LP) .............................. 489
Tableau 4 : Objet d’étude « Du côté de l’imaginaire » (d’après les programmes de LP).................... 490
Tableau 5 : Supports utilisés pour la séquence « A la rencontre du slam » ....................................... 503
Tableau 6 : Déroulement de la séquence dans les 2 classes de LP .................................................. 506
Tableau 7 : Classement selon la composition syntagmatique des productions (classe B, sit. 1) ....... 522
Tableau 8 : Supports utilisés lors de la séquence « A la rencontre du slam au CUEF ».................... 538
Tableau 9 : Interview collective de Katia/Boutchou lors de la séance 6 ............................................. 543
Tableau 10 : Pseudonymes créés par les étudiants (S1) ................................................................... 556
Tableau 11 : Compétences ciblées dans le portfolio .......................................................................... 559
Tableau 12 : Progression du livret « A la rencontre du slam » ........................................................... 576
Tableau 13 : Déroulement des rencontres avec MP au lycée Roger Deschaux ................................ 581
Tableau 14 : Déroulement de la séance « La petite fabrique de slam » ............................................. 590
Tableau 15 : Séance type de l’atelier avec Souleymane Diamanka ................................................... 594
Tableau 16 : Projet de parcours « Slam au musée » .......................................................................... 608
656

TABLE DES ANNEXES (volume 2)

I. Dossier documentaire et paratextuel ...........................................................................................3


1. Marc Smith, fondateur du slam .........................................................................................................5
2. Autour du film Slam de Marc Levin ..................................................................................................6
3. Epitexte : Au cœur du slam (Gdb, 2009) ..........................................................................................9
4. Péritexte : Le slam, poésie urbaine (2006) .................................................................................... 10
5. Définition et flyers Mots Paumés ................................................................................................... 11
6. Affiches et flyers ............................................................................................................................. 13
II. Dossier de presse ........................................................................................................................ 15
Articles de presse .......................................................................................................................... 17
Tableau de titres (recherche BPI) .................................................................................................. 35
III. Entretiens et enquêtes ................................................................................................................ 37
IV. Corpus générique et partitions gestuelles .............................................................................. 135
1. Tableau des caractères SAMPA.................................................................................................. 137
2. Des textes-manifestes ................................................................................................................. 138
3. Des textes entre oral et écrit ........................................................................................................ 141
4. Des textes entre conte, rap et slam ............................................................................................. 146
5. Partitions gestuelles ......................................................................................................................150
V. Corpus spécifique (étude de la néologie) ............................................................................... 157
Textes et transcriptions ................................................................................................................ 159
Tableaux d’analyse ...................................................................................................................... 177
VI. Corpus Mots Paumés (néostyle 1) ........................................................................................... 191
Textes .......................................................................................................................................... 193
Classements ................................................................................................................................ 227
VII. Corpus Souleymane Diamanka (néostyle 2) ........................................................................... 239
Textes .......................................................................................................................................... 241
Classements ................................................................................................................................ 269
VIII. Corpus Grand Corps Malade (néostyle 3) ............................................................................... 273
IX. Dossier pédagogique ................................................................................................................ 319
1. Extraits de manuels ..................................................................................................................... 321
2. Tableau d’analyse des manuels .................................................................................................. 329
3. Fiches pédagogiques ................................................................................................................... 330
4. Premières expérimentations ........................................................................................................ 344
X. Livret pédagogique 1 (LP) ......................................................................................................... 353
1. Tableau synoptique des objectifs ................................................................................................ 355
2. Etapes de la séquence ......................................................................................................... 355-356
3. Fiches élèves, tableau et exemple de productions ...................................................................... 357
4. Guides d’enquêtes ....................................................................................................................... 366
XI. Livret pédagogique 2 (CUEF) ................................................................................................... 367
1. Fiches enseignant ........................................................................................................................ 369
2. Tableaux Blancs interactifs .......................................................................................................... 373
3. Fiches laboratoire, exercices et fiches étudiants ......................................................................... 375
4. Quizz final et portfolio .................................................................................................................. 388
5. Entretien avec un étudiant (étude de cas) ................................................................................... 389
XII. Livret de parcours : de la séance au projet multi-artistique ................................................. 395
1. Livret de parcours ........................................................................................................................ 397
2. Une rencontre et une enquête : le slam en un mot ..................................................................... 407
3. Une séance différenciée : « La petite fabrique de slam » ........................................................... 409
4. Un projet multi-artistique : Slam au musée .................................................................................. 411
657

MENU DU DVD

Chapitre 1 : « Kiss it » (Marc Smith, Coupe d’Europe de Reims, décembre 2010)


Clip vidéo sur http://www.dailymotion.com/video/xgp178_marc-smith-a-reims-slam-d-europe-
2010_creation

Chapitre 2 : « Taktik » (Bas Böttcher, le 14/10/10 à l’Université Stendhal, Grenoble)

Chapitre 3 : « Capitaine » (Boutchou, le 13/05/09, Double Six à Lyon)

Chapitre 4 : « J’ai des milliers de gestes » (Frédéric Nevchehirlian le 19/12/09 à Marseille)

Chapitre 5 : « Les Blancs ne savent pas rapper » (Rouda, le 12/11/08, Double 6 à Lyon)

Chapitre 6 : « Hardcorps et âme » (Lee Harvey Asphalte, le 13/05/09 ; Double Six à Lyon)

Chapitre 7 : « Barbareurs » (entretien avec Lyor & Rouda, le 27/10/08 à Montreuil)

Chapitre 8 : « Apnée » (extrait de l’album Songes déments)

Chapitre 9 : « Papillon en papier » (SD)


Clip vidéo sur http://www.youtube.com/watch?v=mq_1QnemAWc)

Chapitre 10 : Extrait de l’entretien du 21/07/11 avec GCM à Saint-Pierre de Chartreuse

Chapitre 11 : « Slam en CLIN », scène finale à la Chaufferie (Grenoble, le 5/06/08)

Chapitre 12 : Traits portraits


Documentaire disponible sur http://www.dailymotion.com/video/x8p9r6_traits-portraits-rap-
slam-graffiti_shortfilms

Chapitre 13 : « Slam au CUEF », séquences filmées en cours (CUEF, février 2011)

Chapitre 14 : « Les poètes se cachent pour écrire » (SD, parc Paul Mistral, 9/07/11)

Introduction et conclusion : « Encre vivante » (JB&SD)


Clip audio à écouter sur http://www.ladernierephalange.com/bouchees-baclees-36
658
659

Résumé
Né à Chicago dans les années 80, le slam apparaît désormais comme un phénomène poétique majeur en
France où il tend à être médiatisé et emblématisé par Grand Corps Malade. Au-delà de l’effet de mode et d’un
mot dont le sens original - le plus souvent ignoré - mérite assurément d’être explicité, c’est un slam aux contours
mouvants, un objet poétique non identifié, qui constitue l’objet de cette thèse. S’il s’avère donc nécessaire de
cerner ses points d’ancrage (traditions de poésie orale, relations avec la chanson, le rap), notre propos vise à
explorer les enjeux du slam et sa portée en termes néopoétique, néologique et didactique. Il se définit comme
poésie orale-aurale, vocale et vivante, et c’est précisément dans le dispositif – les dispositifs – qui le fondent plus
que dans les formes très variées qu’il peut revêtir que réside son essence. D’après son fondateur, le slam est
« intégrateur » et vise une démocratisation de la poésie. En tant que tel, il est ouvert (alors même que le sens
premier du verbe to slam peut être traduit par « claquer la porte ») à une langue actuelle, appréhendée dans
toutes ses dimensions et variations (inter et interlinguales). Le slam fait feu de tous lieux, de tous mots, et les
slameurs aiment à jouer avec une langue plurielle : démarche colludique dans laquelle ils impliquent un public
prêt à entrer dans cette danse avec les mots. A travers ce nouveau positionnement d’auteur-animateur, le
slameur se fait tribun et œuvre en faveur d’une libération du verbe susceptible d’ouvrir de nouveaux horizons
lexicaux : de fait, la néologie prolifère autour et au cœur du slam. Notre étude en détaille les formes (matrices
lexicogéniques) et les fonctions dans un tel contexte. Afin de mettre en lumière les traits d’une poétique en
devenir, nous avons approfondi l’œuvre de trois slameurs (Mots Paumés, Souleymane Diamanka, Grand Corps
Malade) et proposé comme clé d’analyse le concept de néostyle visant à rendre compte de l’importance de la
néologie et de la façon originale dont elle est stylisée/poétisée dans le slam. Il s’agit de mettre en relation la
linguistique et la poétique autour de cet objet avant d’en aborder les enjeux didactiques. Partant du constat de
l’intégration récente du slam dans les programmes et manuels scolaires, nous interrogeons les modalités et les
objectifs de cette didactisation naissante et développons – après l’avoir expérimenté – son potentiel en matière
de créativité. S’il tend à être considéré comme un outil d’apprentissage, il peut aussi constituer un objet d’étude à
part entière et son exploitation doit intégrer cette dialectique. Menés dans des contextes et avec des publics
diversifiés – en quoi le slam est aussi potentiellement « intégrateur » – les ateliers slam sont porteurs d’un double
enjeu de renouvellement des pratiques autour de la poésie et d’un renouement avec des pratiques dites
« traditionnelles » dont il est susceptible de réactiver l’intérêt. Dès lors que les slameurs assument un rôle de
passeurs, il peut enfin représenter une passerelle vers la poésie classique ou vers d’autres pratiques artistiques.
Mots-clés : slam, poésie, atelier d’écriture, néologie, créativité lexicale

Abstract
Slam poetry is an emerging literary movement, which originated from the nineteen eighties in Chicago
(USA). Due to the success of Grand Corps Malade and audiovisual media coverage the slam movement is
developing very quickly in France. However, neither the word “slam” itself nor the kind of poetry called “slam
poetry” has been a subject of scientific research yet. The first purpose of this research is to explore these terms
(“slam” and “slam poetry”), to show the relationship of slam literature to traditional literary forms like bards and
rhapsody or musical genres like rap, and how the slam movement can be considered modern both in lexical terms
and in terms of renewing the relations between the poet and his or her audience which is supposed to be the
widest possible. The question whether the slam movement can be considered “neopoetic” will thus be discussed
in this paper. This thesis demonstrates that the slam movement actually redefines the writer's position: slammers
perform their own texts. As a physical and sensual experience, slam is live poetry which can be highly interactive,
immediate and theatrical: it aims at involving everybody in a “colludic” way, essentially by means of word games.
According to Marc Smith (the founder of the ‘slamming’ concept), slam is to be “integrative”. Slamming opens the
door to anyone (whereas “slam” main meaning is “to shut the door with a loud noise”), any kind or form of poetry;
it can include any word, even slang or neologisms. A blend of verses and performance, fusion of genres, it can be
seen as a laboratory for identity, expression and lexical creativity. In this research, is demonstrated the fact that
slam encourages lexical creativity: in the performance texts and also in slam related contexts (flyers or slammers’
pseudonyms for instance), various neologisms playing on different lexicogenic matrixes have been found. This
research identifies these processes and the related functions, linking linguistic analysis to stylistic effects. The
“neostyle” concept is a key to examine how neologisms are integrated in the slam text and mixed with other
figures like metaphors, in a stylistic or poetic way. Therefore, the entire work of three slammers is examined in
detail, in order to define their specific poetics and show how neologisms are part of it. The chosen artists are Mots
Paumés, Souleymane Diamanka and Grand Corps Malade. Finally and in collaboration with slam artists,
workshops have been organized and documented to develop didactic aims focusing on lexical creativity. Slam is
about to be integrated in school books and curriculums and slammers are involved in passing their art down,
therefore it is important to develop didactic concepts and reflection about it: how slam poetry can be integrated as
a project in various contexts, not only as a resource for linguistic purposes, but also as a poetic subject and a
possible link between classical poetry and other artistic approaches.
Key words: slam poetry, writing workshops, neologism, lexical creativity

Cette thèse a été imprimée sur du papier recyclé.

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