Modlededveloppement Marocain
Modlededveloppement Marocain
Modlededveloppement Marocain
Contributeurs
Coordination scientifique
Hicham Sadok
Abdelmoughit Benmessaoud Tredano
les opinions et les idées exprimées dans cette Revue n'engagent
que leurs auteurs
ISSN : 2351-9134
Dépôt légal : 2011 PE 0003
Septembre/Octobre 2019
Impression : Imp. Cham’s Print - Rabat
2
Direction
Directeur fondateur
Abdelmoughit BENMESSAOUD TREDANO
Membres de la direction
Najib Akesbi, Abdelkader Berrada, Mohammed Madani,
Mohamed Sassi, Mohamed Said Saadi
Communication
Karim Aiche
Infographiste
Abderrahmane El mettiti
Abonnement :
Bouchra El ouani
Adresses :
1 - CRESS/Revue
BP N° 5817, Agence Al BaridBank, Temara/Harhoura 12040
ww.sciencepo.ma
GSM : 0661 555 537
3
Revue Marocaine de Sciences Politiques et Sociales
Conseil scientifique
Comité de rédaction
Aziz Tanany, Karim Aiche, Bouchra El Aouni, Lahcen Aqartit, Asma Abkari,
Maryem Chlal, Steve Codjo, Abdelwahad Ghayate, Mustapha Khalid, Hi-
cham Nekkach, Abdelouahad Ghayate, Sanae Kasmi, Hajar Sekher.
4
Publications
Revue Marocaine de Sciences Politiques et Sociales
Numéros parus :
♦ La Transition au Maroc, N°1, Automne-Hiver 2010-2011 (2 volumes).
♦ La question saharienne et méditerranéenne, N°2, Printemps - Été 2011
(volume. III).
♦ Printemps arabe, Hors-Série, Mars 2012(Mars 2012 (volume. IV).
♦ Le système politique et la problématique de la réforme constitutionnelle
au Maroc, N°3, Juin 2012 (Vol. V).
♦ Le code électoral et les élections au Maroc, N°4 (2 volumes), Mars 2013
(Vol VI), Sep 2013 (Vol. VII en arabe).
♦ Mélanges, Hommage à Driss Benali, Hors-Série, Décembre 2013 (Vol. VIII).
♦ Dialogue social au Maroc, N° 5, Mai /juin 2014 (Vol. IX).
♦ Islam politique dans le monde arabe, N°6, Novembre 2014 (Volume. X).
♦ Les Partis politiques au Maroc, N°7, juillet 2015 (Vol. XI).
♦ Religion et politique en terres d’Islam, N°8, janvier 2016 (Vol. XII).
♦ Le parlement Marocain, structure et fonctions, Hors-Série, Novembre
2016 (Vol XIII).
♦ L’économie politique, N. Akesbi, M. Said Saadi, A. Berrada, Hors-Série,
Volume XIV, Avril 2017.
♦ Bilan gouvernement Benkirane , N° 9 , Volume XV, juillet/août 2017.
♦ Palestine : 100 ans après l’accord de Balfour et 70 ans après le partage,
N°10, Volume XVI ; juin /juillet 2018.
♦ La pauvreté au Maroc, M.Oubenal, S .Mizbar, H.Ait Mansour, N° 11,
Volume XVII, décembre 2018, Volume XVII.
♦ L’économie politique au Maroc, N. Akesbi, A. Berrada, M.Said Saadi,
M. Oubenal (en Arabe) , N 12, Volume XVIII, décembre 2018/janvier 2019.
5
6
SOMMAIRE
Présentation ........................................................................................................... 9
Hicham Sadok
7
8
Présentation
Dès juillet 2017, l’OCDE avait présenté la première partie de son rapport sur
l’examen multidimensionnel du Maroc, où a été diagnostiqué de manière détaillée
la situation du Maroc et les insuffisances de son modèle de développement actuel.
Le Roi, lors du discours du Trône du 30 juillet 2017, puis le 13 octobre 2017 devant
la chambre des représentants revient sur le même thème en élargissant le cadre
d’analyse ; il reconnaît que notre modèle s’est révélé « inapte à satisfaire les demandes
pressantes et les besoins croissants des citoyens, à réduire les disparités catégorielles et les
écarts territoriaux et à réaliser la justice sociale ». La Banque mondiale consacre en
2018, dix ans après le dernier, un nouveau Mémorandum économique sur le Maroc
intitulé « Le Maroc à l’horizon 2040 ». Ce rapport propose une analyse exhaustive
des performances économiques récentes du pays ainsi que des perspectives de
croissance pour les vingt prochaines années. Il expose les réformes de la
gouvernance économique susceptibles de faciliter la mise en œuvre d’un scénario
de développement social et humain plus inclusif.
9
Ainsi, la réflexion sur le processus d’élaboration du nouveau modèle de
développement marocain doit non seulement combiner des réponses à la fracture
économique et sociale, dans une approche territoriale et une cohérence nationale,
mais également restaurer la confiance abîmée par la domination des pratiques
informelles sur les lois, le recours à des passe-droits, aux réseaux et à la corruption
pour accéder à ses droits et à l'incapacité de garantir une justice équitable et une
concurrence saine.
Or, ce débat qui anime la société sur les contours de ce nouveau modèle de
développement, certains le trouvent un écran de fumée, inefficace pour répondre
aux nouveaux défis que posent entre autres, la mondialisation, les nouvelles
technologies de l’information et l’ouverture des frontières ; le Maroc ne peut que
confirmer une orientation qui était la sienne depuis l’indépendance : l’économie
libérale sous l’encadrement tutélaire de l’État. D’autres le défendent, affirmant que
le débat actuel est toujours pertinent, adoptant une position à l’opposé des
précédents, invoquant qu’il s’agissait d’un débat appréciable, ne serait-ce
qu’intellectuellement, pour savoir s’il y a modèle, est-il spécifiquement marocain
ou est-il un modèle parmi d’autres ? S’inspire-t-il d’un modèle étranger, comme le
libéralisme ou l’interventionnisme, comme certains le soutiennent ? S’il est
spécifiquement marocain, qu’est-ce qui le caractérise ? Son renouvellement passe-t-
il par un statu quo ou un virage socio libéral ou socio démocrate? N’y aurait-il pas
d’autres modèles que ces deux derniers ?
Ce numéro s’inscrit sur cette voie et essaie d’apporter des éléments de réponse à
ces questions. Ce dossier se compose de sept articles ; les trois premiers
s’intéressent aux aspects concrets du « modèle marocain » pour déceler sa
configuration, ses réalisations, ses limites et ses incohérences ; le quatrième
interroge la littérature théorique pour construire une grille d’analyse du processus
du développement; les trois derniers, parallèlement au dossier thématique du
modèle de développement marocain, les auteurs dans la rubrique Varia, s’arrêtent
profondément dans l’analyse de trois facteurs déterminants du modèle de
développement, à savoir, l’attractivité des investissements, la recherche
scientifique et innovation puis la politique industrielle au Maroc.
10
Abdeslam Seddiki dans « Le nouveau modèle de développement : pourquoi et
comment ? » interroge le modèle de croissance mis en œuvre au Maroc. Si ce
dernier n'arrive pas encore à déboucher sur des perspectives prometteuses,
l’auteur, à travers l’analyse de l’existant, essaie de questionner l'économie
marocaine afin de dépister les forces et les faiblesses qui la caractérisent.
Hicham Sadok dans son article « À la recherche d’une grille d’analyse théorique
pour la problématique du développement au Maroc » analyse les fondements de
la productivité des stratégies de développement au Maroc en faisant appel aux
théories structurelles du dualisme et du ruissellement. L’auteur s’interroge par la
suite sur la nature des pré-requis du développement et se résout à la nécessité
d’une coordination des projets sociétaux pour éviter l’enchevêtrement des
temporalités et des intérêts.
Hicham Sadok
Enseignant chercheur à FSJES Souissi
de l’université Mohammed V de Rabat
12
La crise du modèle
Pourquoi et comment le « modèle de
développement » est en crise
Najib Akesbi1
On peut encore allonger cette liste mais les questions qu’elle soulève sont
encore plus cruciales : Pourquoi, plus d’un demi-siècle après l’indépendance du
pays, l’économie marocaine reste contenue sous un plafond de verre
infranchissable, vivotant dans une sorte d’équilibre sub-optimal, à l’évidence
insuffisant pour améliorer significativement le niveau de vie de la population ?
Pourquoi les inégalités sociales et territoriales demeurent-elles aussi grandes ?
Pourquoi des besoins élémentaires, des droits fondamentaux, comme ceux à
l’éducation, à la santé, au logement, restent encore si peu satisfaits pour une trop
grande partie de la population ? Pourquoi les stratégies, les plans et les
programmes se succèdent depuis cinquante ans sans réussir à atteindre leurs
objectifs proclamés ? En somme, pourquoi, comme le reconnaissent aujourd’hui les
13
plus hautes autorités de l’Etat, le « modèle de développement » du pays a-t-il tant
besoin d’être « repensé » ?
En réalité, et pour s’en tenir au règne de Mohamed VI, de telles questions sont
soulevées, et posées dans le débat public depuis une quinzaine d’années au moins.
Comment oublier le fameux Rapport du Cinquantenaire, son diagnostic lucide quant
aux maux de l’économie marocaine, et sa conclusion que notre modèle de
production, de consommation et de répartition n’était plus soutenable, d’où
l’impérieuse nécessité de changer nombre de nos choix dans les domaines
politiques, économiques, sociaux, culturels ? Surtout, comment oublier ses
« nœuds du futur »1 qu’il fallait absolument « dénouer » dans la perspective d’un
scénario « souhaitable et possible » du Maroc à l’horizon 2025? Comment ne pas se
rappeler que le HCP avait à son tour en 2007 réalisé une étude prospective
d’envergure explorant là encore le devenir de notre pays, en l’occurrence à
l’horizon 2030, et soulignant les défis à relever ? La société civile aussi s’y était
mise, avec notamment le Rapport de la Fondation Abderrahim Bouabid qui, non sans
une certaine dose de provocation, se demandait : « Le Maroc a-t-il une stratégie de
développement économique ? », et proposait « quelques éléments de réflexion
pour un véritable décollage économique et social »2.
On peut donc légitimement regretter que tant d’occasions aient été ratées, que
tant d’opportunités n’aient guère été saisies pour « prendre le taureau par les
cornes », et engager le pays sur la voie des réformes qui s’imposent, à même de lui
permettre d’entrevoir son avenir avec un certain optimisme.
Il reste qu’il a fallu attendre 2014 pour que ce soit cette fois le chef de l’Etat qui
pose les questions qui s’imposent : « Nos choix sont-ils judicieux ? », s’est-il
1 Les cinq « nœuds » en question étaient les suivants : Le Savoir, l’Economie, l’Inclusion, la Santé et la
Gouvernance. Cf. Cinquantenaire de l’indépendance du Royaume du Maroc (2006) - 50 ans de développement
humain et perspectives 2025, Document de synthèse du Rapport général, « L’avenir se construit et le
meilleur est possible », Rabat, janvier 2006, pp.28-30.
2 Fondation Abderrahim Bouabid – Conseil d’Analyse Economique, Le Maroc a-t-il une stratégie de
développement économique ? Quelques éléments de réflexion pour un véritable décollage économique et social,
Salé, juin 2010, p.6.
14
interrogé dans son discours du Trône du 30 juillet 20141. Prenant acte des études
La crise du modèle
portant sur « l'évolution de la richesse du Maroc », le souverain ajoute : « Je
M'interroge, avec les Marocains, non sans étonnement : Où est cette richesse ? Est-
ce que tous les Marocains en ont profité, ou seulement quelques catégories ? La
réponse à ces interrogations n'exige pas d'analyses approfondies. Et si le Maroc a
connu des avancées tangibles, la réalité confirme que cette richesse ne profite pas à
tous les citoyens ». Trois années plus tard, successivement lors du discours du
Trône du 30 juillet 2017, puis le 13 octobre 2017, devant les parlementaires, le Roi
revient sur le même thème en élargissant le cadre d’analyse au « modèle de
développement » qu’il reconnaît s’être révélé « inapte à satisfaire les demandes
pressantes et les besoins croissants des citoyens, à réduire les disparités
catégorielles et les écarts territoriaux et à réaliser la justice sociale »2.
Soit. L’essentiel aujourd’hui est que personne n’ose contester le constat d’échec
du « modèle » et l’impérieuse nécessité de le repenser. Ce pas en avant nous invite
à ne surtout pas rater le suivant. Car pour repenser le modèle, et donc s’entendre
sur les bons remèdes, il faut naturellement s’accorder au préalable sur le bon
diagnostic. Or, une fois de plus, c’est là que le bât blesse. A nouveau, on nous
ressert le plat tellement usé du genre : Le problème n’est pas dans les choix, ni
même dans les politiques engagées, mais dans leur mise en œuvre… Et à partir de
premiere-session-de-la-2-eme-annee .
15
là, on peut aisément glisser vers le marécage fumeux du citoyen qui n’est pas assez
éduqué, du fonctionnaire fainéant et corrompu, de la mentalité traditionnelle des
gens, des partis politiques qui passent leur temps à se mettre des bâtons dans les
roues, des marchés mondiaux qui nous imposent leurs cours volatiles, de
l’intégrité territoriale qui exige encore et toujours des sacrifices…
Nous commencerons par expliciter les « choix fondateurs », qui sont en même
16
temps des paris que l’Histoire se chargera de nous dire à quel point ils auront été
La crise du modèle
perdus. Nous tâcherons ensuite d’articuler cet échec économique au système
politique qui a arrêté les choix et conduit les politiques mobilisées pour les
matérialiser au quotidien. Nous serons alors en mesure d’apprécier à sa juste
mesure la responsabilité de ce dernier dans l’échec dudit « modèle de
développement ».
Au niveau interne, une ferme volonté est affirmée pour construire une
économie de marché, où les ressources sont affectées selon la logique de celui-ci, et
où le secteur privé joue le rôle central du principal acteur du développement. Le
second choix repose sur la théorie –en vogue à l’époque- de la « croissance tirée par
les exportations », et partant du postulat que le pays dispose d’avantages
comparatifs avérés, son insertion dans « la division internationale du travail » (on
ne parlait pas encore de mondialisation) ne pouvant être que gagnante… Il fallait
donc orienter les efforts d’investissement et de production vers la satisfaction
prioritaire de la demande externe, autrement dit du marché international, plutôt
que celle du marché intérieur.
1 Pour de plus amples développements sur cette partie, cf. N. Akesbi, « Economie politique et politiques
économiques au Maroc », In : Economie politique du Maroc, ouvrage collectif, Revue Marocaine de
Sciences Politiques et Sociales, Hors-série – vol. XIV, Rabat, avril 2017, pp. 49-111. Etude traduite et
publiée en arabe sous le même titre aux éditions du Centre d’Etudes et de Recherches Mohamed Bensaïd
Aït Iddir (CERM), Casablanca, septembre 2017.
17
développement, par son aptitude à produire de « l’initiative », à créer et innover, et
donc à investir, offrir de l’emploi, optimiser les conditions de production,
distribuer des revenus; 2. Pari sur les vertus d’une bonne insertion dans les chaînes
de valeur internationales, et sur leur capacité à tirer les taux de croissance vers le
haut.
1 Pour une présentation plus détaillée de ces politiques, cf. N. Akesbi, « Economie politique et politiques
économiques au Maroc », 2017, op.cit.
18
encore pour les deux à la fois.
La crise du modèle
C’est ainsi que, à titre indicatif, les opérations de « marocanisation » (des
exploitations agricoles, des entreprises de l’industrie et des services), de
privatisation ou encore de concession en gestion déléguée de services publics, ont
cherché à étendre l’assise foncière, industrielle et financière du capital privé, et au-
delà à élargir le champ du profit et de ses conditions d’accumulation.
L’engagement tout au long du dernier demi-siècle dans la construction
d’infrastructures économiques (des premières routes nationales aux autoroutes
actuelles, des premiers barrages aux ports et aéroports qui suivront…) avait
d’abord pour objet de socialiser une partie des coûts de valorisation du capital,
permettant ainsi une plus grande rentabilisation des investissements privés. Les
politiques macro-économiques (fiscales, budgétaires, monétaires…), en prélevant
leurs ressources essentiellement auprès des classes moyennes et pauvres, pour les
redistribuer ensuite sous forme de marchés publics, de subventions et de dépenses
fiscales au profit d’intérêts privés bien déterminés, ont clairement affirmé une
volonté de mettre les finances publiques au service des finances privées. Les
politiques de libéralisation des prix et des marchés, intérieurs et vis-à-vis de
l’extérieur, engagées dans le cadre des politiques d’ajustement structurel des
années 80 puis couronnées par les nombreux accords de libre-échange des deux
décennies suivantes, ont eu pour objectif de consolider les bases de l’économie de
marché, permettant au capital privé de tirer avantage des différentes formes de
désengagement de l’Etat (déréglementation, dérégulation…) d’une part et
d’intégration au marché mondial d’autre part.
Des choix ayant bénéficié d’une telle « durabilité » et des politiques conduites avec
autant de constance doivent aujourd’hui être soumis à une évaluation objective, parce
que précisément déterminée par la capacité à atteindre les objectifs visés.
19
Cinquantenaire déjà cité, et qui avait à sa manière tiré la sonnette d’alarme. En
réalité, depuis une décennie au moins, un minimum de lucidité suffit pour porter
un regard objectif sur une expérience malheureuse. Une appréciation objective n’a
pas besoin de jugement de valeur, mais juste d’une confrontation froide des faits,
une mise en face à face des objectifs tels qu’ils avaient été projetés par le « modèle »
lui-même d’une part, et ses réalisations d’autre part. Le premier niveau est celui
des objectifs qu’on pourrait qualifier d’opérationnels, et le second celui des
objectifs fonctionnels.
Ce premier niveau est acté en permanence par le flot des séries statistiques les
plus officielles : croissance « molle », dépendance alimentaire, régression industrielle,
explosion de « l’informel », chômage structurel, pauvreté multidimensionnelle,
inégalités croissantes… En somme, une économie « sous plafond de verre », une
réalité sur laquelle il n’est plus nécessaire de s’attarder, puisque comme on l’a
souligné au début de ce texte, elle fait « consensus », au moins depuis que le Roi en
a acté la substance1. Néanmoins, on trouvera ci-dessous des figures (1 à 6) qui
illustrent des aspects significatifs de cet état de fait.
1 Pour celles et ceux qui souhaitent néanmoins être mieux instruits sur cet aspect de la
« démonstration » (abondantes statistiques à l’appui), je renvoie à mes conférences annuelles,
présentées dans le cadre de l’Université Citoyenne de HEM, et dont les documents ppt sont publiés sur
le site de l’Université dédié. Cf ; notamment : « Le modèle de développement en débat » (UC de
Casablanca et Marrakech, février 2018) ; « Où va l’économie marocaine ? L’économie marocaine en
perspective » (UC de Tétouan, Casablanca, Marrakech, Agadir, Fès, janvier-février 2017). Voir
aussi N. Akesbi, « Pourquoi et comment l’économie marocaine s’installe sous le plafond de verre »,
Finances News hebdo, Spécial 20 ans, Hors série n°36, janvier 2019.
20
La crise du modèle
Une croissance faible et volatile…
8
7.6
7.3
5.9
6
5.2
5 4.7
4.5
4.1
4
3.8
3.5
3.3 3.1
3
3.1
2.6 2.9
2
1.9
1
1.1
15 59
60
57
54 55
51
48
10 50
42
40
5
30
20
-5
10
-10 0
Fig. 3 - Aléa agricole… Source : HCP Fig. 4 - Exports / Imports (%) Source : Office des
changes
21
Le second niveau, celui des objectifs « fonctionnels », révèle des déboires, voire
des effets pervers encore plus lourds de conséquence, tant il montre de manière
analytique, en confrontant nos choix à nos réalités, à quel point nous avons « raté
le coche ».
Ainsi, nous voulions une « économie de marché », avec des marchés ouverts,
pluriels, transparents, où la concurrence serait reine et le vaillant secteur privé le
« chevalier d’honneur » ?! Quiconque peut aisément constater aujourd’hui qu’à la
place, nous avons une économie gangrénée de toute part par « la rente et
l’entente », avec des secteurs clés contrôlés par des oligopoles, voire des
monopoles, bénéficiaires de privilèges et de passe-droits d’un autre âge.
On se contentera ici d’énoncer les secteurs d’activités qui, dans le Maroc de 2019
encore, restent enserrés dans cette logique « de la rente et de l’entente » plutôt que
dans celle du marché, libre, ouvert, transparent, concurrentiel… Ainsi le transport
des voyageurs (petits et grands taxis, cars de transport intra-urbains), ainsi que les
marchés de gros, des fruits et légumes notamment, restent « fermés », la possibilité
d’y accéder étant conditionnée par l’obtention d’un précieux sésame appelé
« agrément », lequel est octroyé par les autorités politiques, sur la base de critères
dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ont peu à voir avec ceux du marché… Il
en va de même pour l’exploitation de la plupart des ressources naturelles, des
carrières de sable à la pêche hauturière, en passant par les eaux minérales, les
forêts… Les concessions en gestion déléguée de services publics communaux
(distribution d’eau, d’électricité, assainissement...) dans les grandes villes du pays
ont toutes été accordées par entente directe, loin de toute procédure d’appel d’offre
publique, ni même des moindres règles de transparence. Dans le monde rural, des
centaines de milliers d’hectares de terres fertiles, autrefois récupérées de la
colonisation et confiées à deux sociétés d’état (Sodea et Sogeta) ont, par le simple
« fait du prince », été « offerts » à des dignitaires du régime voire à une certaine
clientèle politique, en tout cas là encore dans une opacité totale et des règles les
plus élémentaires qu’une logique de marché aurait exigées.
22
Sur le registre des phénomènes de domination du marché, par monopole,
La crise du modèle
oligopole, ou entente, ils restent caractéristiques de secteurs majeurs, essentiels
dans l’économie marocaine aujourd’hui. Dans l’agro-alimentaire, comment
comprendre qu’un secteur aussi important que celui du sucre 1 fasse encore en 2019
l’objet d’un monopole ? Un monopole de surcroît bénéficiant d’un invraisemblable
double privilège supplémentaire : celui d’être à la fois surprotégé de la concurrence
étrangère pour ses approvisionnements et subventionné pour sa production mise à
la consommation ! D’autres secteurs agro-alimentaires pâtissent de situations
oligopolistiques manifestes, tels ceux de l’huile de graines, des engrais, des
semences… Les secteurs des banques et assurances sont également notoirement
oligopolistiques. Le secteur bancaire en particulier, en dépit de sa vingtaine
d’organismes présents, est en fait largement dominé par trois ou quatre groupes
qui s’accaparent les trois quarts des dépôts, des crédits, des réseaux… Et de toute
façon disposent par ailleurs de ce cartel qui ne dit pas son nom qu’est le GBPM 2 et
qui leur offre le cadre où ils peuvent « s’entendre » avec l’ensemble de la
profession, formellement ou non, pour administrer le marché au gré de leurs
intérêts. Quant au secteur des hydrocarbures, l’opération de boycott de trois
marques de grande consommation qui a eu lieu en 2018 a montré non seulement
comment trois ou quatre sociétés de distribution s’accaparent plus des trois quarts
du marché, mais aussi comment, dans le sillage d’une libéralisation du marché mal
réfléchie et mal engagée, ces mêmes groupes ont pu imposer des prix sans rapport
avec la réalité du marché, et partant des gains qui relèvent plutôt de la logique de
la rente que de celle du profit… Au demeurant, ce boycott a mis en évidence aussi
ce mariage malsain entre les « affaires » et la politique, ou en d’autres termes, à
quel point le « politique » et « l’économique » sont encore malencontreusement
imbriqués dans l’économie marocaine3.
1 On peut rappeler que, avec près de 35 kg/tête, le marocain est un des plus gros consommateurs de
sucre dans le monde…
2 Groupement Professionnel des Banques du Maroc.
3 Cf. Ch. Bozonnet, « Au Maroc, le boycott qui dérange les autorités », Le Monde, 10.6.2018 ; Maroc –
« Les patrons de Sa Majesté » boycottés par le peuple, Orient XXI, 7.6.2018 (https://orientxxi.info/);
« Boycott : La revanche du Maroc d’en bas », Economie Entreprise, Dossier, juin 2018 ; « Moroccan
rattles leaders with mass boycott over high prices », Associated Press – The new York Times, 6.6.2018 ; M.
23
Comment s’étonner dans ces conditions que le Conseil de la concurrence, créé
depuis le début des années 2000, ait été maintenu « juste pour la forme », en tout
cas dépouillé de tout pouvoir ou privé de toute possibilité d’action… jusqu’en
2018 ?! Réanimé à la fin de cette année-là, les mois et les années qui viennent nous
diront peut-être ce que ce nouveau Conseil sera en mesure de faire, en conformité
avec les prérogatives qui lui sont attribué par ses nouveaux statuts.
Mounjib, « Sur la relation entre le pouvoir, les affaires et la représentativité politique », Al Quods Al
Arabi (article en arabe), 22.6.2018 ; « Akesbi : le boycott est un cri contre le mariage incestueux entre
les affaires et le pouvoir » (articles en arabe), Akhbar Al yaoum (11.5.2018) et AlYaoum24 (
http://m.alyaoum24.com/ ).
1 Cf. le dernier rapport de la Banque mondiale : « Le Maroc à l’horizon 2040 » (JP. Chauffour), 2018 ;
Ainsi que différentes interventions depuis 2016 du Wali de Bank Al Maghrib, et du Haut-Commissaire
au Plan…. A tel point que face à une Bourse des valeurs agonisante depuis de nombreuses années, et
prenant acte de l’incapacité du secteur privé à s’y engager pour la ranimer, le Wali de Bank Al Maghrib
en est arrivé à demander au secteur public de « revenir à la bourse » pour parer à la défaillance du
secteur privé ! (Cf. Akhbar Al yaoum, 17.10.2014).
24
formation brute de capital fixe (FBCF/PIB). Celui-ci était contenu, des décennies
La crise du modèle
durant, dans des limites plutôt modestes, soit une moyenne de l’ordre de 22%, avec
une composition grosso-modo répartie à raison de 12 points pour le secteur privé
(investissement étranger compris) et 10 points pour le secteur public (y compris les
établissements publics et les collectivités locales). Puis assez rapidement à partir de
2005, ce taux d’investissement est monté à plus de 30%, dépassant même 35% certaines
années1. Le fait est que, à un niveau moyen de l’ordre de 32%, la structure a pour sa
part sensiblement changé, la part du secteur privé étant restée quasiment stable autour
de 12 points, alors que celle du secteur public a doublé, passant de 10 à 20 points.
Autrement dit, l’effort d’accumulation du pays, au demeurant tout à fait appréciable,
se révèle au bout du compte, porté en gros aux deux tiers par le secteur public, le
secteur privé se contentant d’un tiers. En fait, si l’on retire de ce tiers la part due à
l’investissement direct étranger (autour de 3 points de PIB), la part du « privé
marocain » tombe probablement à un niveau proche du quart2.
C’est dire que, quand on voit ce qui fait fonction aujourd’hui de « patronat »
dans ce pays, on peine à imaginer comment a-t-on pu croire un jour qu’il était
possible d’en faire cette « bourgeoisie » audacieuse et entreprenante ayant, sous
d’autres cieux et en d’autres temps, terrassé la féodalité et fait triompher le
capitalisme ! Quant à l’Etat, d’une part, acculé ainsi à continuer de prendre en
charge une aussi grande part de l’effort d’accumulation du pays, alors que les
conditions de son financement se détériorent, avec la chute du taux d’épargne
(figure 8), il peut continuer à le faire en ayant recours à l’endettement, notamment
extérieur (cf. figure 5). D’autre part, il faut savoir que tout dirham ainsi alloué à des
dépenses qui auraient dû être assumées par le secteur privé, est autant une
ressource qui n’aura pas été affectée au financement de services publics de base
autrement vitaux pour l’immense majorité de la population, tels ceux de
1 HCP, Etude sur le rendement du capital physique au Maroc, Rabat, janvier 2016.
2 Les chiffres dont il est question dans cette partie, sans rien perdre de leur capacité à démontrer les faits
en question, restent néanmoins approximatifs car calculés par déduction à partir de l’agrégat de la
FBCF et des montants respectifs des investissements publics et étrangers. Il faut dire que, aussi
étonnant que cela puisse être, le Haut-Commissariat au Plan – qui produit par ailleurs des statistiques
très « fines » dans de nombreux domaines-, ne publie aucun chiffre sur l’investissement privé en tant
que tel !
25
l’éducation, la santé, le transport en commun… Pire, étant lui-même dominé par
des lobbies et des intérêts de classe très minoritaires, l’Etat oriente ses choix vers
des investissements qui s’avèrent en large déconnexion avec les besoins réels du
plus grand nombre, d’où ces « éléphants blancs » qui foisonnent un peu partout, et
cet apparent paradoxe d’un taux d’investissement élevé mais qui ne génère ni
suffisamment de croissance ni assez d’emplois (cf. figures 9 et 10) 1.
45 40
Taux d’investissement
38
40
FBCF 36
35
34
30 32
30
25 Invest
Public 28 Taux d’épargne
20
26
15 24
22
10 Invest Privé
20
5 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016
45
Taux d'investissement
40
35
30
25
20
15
Taux de croissance
10
1 Selon l’étude du HCP précédemment citée (Etude sur le rendement du capital, 2016, p.14), l’ICOR
(FBCF/PIB) atteint 7.2 en moyenne au cours de la décennie 2006-2015 (ce que la figure 9 illustre de
manière graphique), lorsque, à titre d’exemple, il n’est que de 2.9 en Corée du sud, 3.5 en Malaisie, et
4.2 au Chili…
26
2.4. Nous voulions le « tout-export », nous avons le « tout-import »!
La crise du modèle
L’autre pari majeur portait sur la croissance qui devait être « tirée par l’export »,
nous permettant de devenir de nouveaux « dragons », dignes de leurs grands frères
asiatiques ?! Il suffit de prendre connaissance des statistiques régulièrement publiées
par le HCP sur nos échanges extérieurs et leur « contribution » à la croissance pour
constater que, loin d’en être le moteur, ceux-ci en sont devenus une entrave quasiment
insurmontable. Ce que nous disent les statistiques de l’Office des changes année après
année, est que le déficit de notre balance commerciale – jamais « démenti » depuis…
1974 !- atteint au cours de la dernière décennie des sommets compris entre 15 et 20%
du PIB (figure 11), que le taux de couverture de nos importations par nos exportations
reste en moyenne cantonné entre 50 et 55% (figure 4), que nous sommes déficitaires
quasiment avec la totalité des pays avec lesquels nous avons signé des accords de libre-
échange1. Ce que nous disent les statistiques et les rapports du HCP ainsi que du
Ministère des Finances est que l’évolution du solde du commerce extérieur révèle une
contribution négative à la croissance économique de 1 point en moyenne sur la période
2008-2016 (figure 12) 2 . Là encore, on est pleinement dans l’effet pervers, l’exact
contraire de ce qui était recherché. On se voulait super-exportateurs, on se révèle
méga-importateurs !
Finances à partir des données du Haut-Commissariat au Plan. Cf. DEPF-MF, Rapport économique et
financier, Projet de Loi de finances 2018, p.44.
27
Finalement, le moins qu’on puisse dire est que le double pari, sur le secteur
privé et sur le tout-export a été perdu. On voulait le marché, on a la rente, on
voulait l’export, on a l’import !
28
gagnant » -parce que vertueux- qui fait encore défaut dans le système politique
La crise du modèle
marocain.
29
Enfin quand une législature s’achève et que, comme dans tout système de
démocratie représentative digne de ce nom, le pouvoir exécutif doit rendre compte
de sa gestion devant les électeurs, on assiste au Maroc à une situation surréaliste :
D’un côté le Palais, où réside le véritable pouvoir de la « monarchie exécutive », ne
se présentant pas aux élections, n’a de comptes à rendre à personne ; et de l’autre,
le gouvernement ne se sent comptable que des « petites choses », car dès qu’il est
question des stratégies et des grandes décisions lourdes de conséquences, chacun
se hâte de tirer le parapluie des « Hautes Directives de Sa Majesté », ce qui a pour
effet immédiat de clore le débat.
Le plus grave dans un tel système est que, puisque les stratégies et les grandes
orientations royales ne sont pas discutables, elles ne font pas l’objet d’une
évaluation critique, et même lorsqu’il arrive que par des voies détournées, celle-ci
est faite, il ne peut en découler aucune remise en cause des choix fondamentaux
ayant conduit aux résultats déplorés. C’est le cas par exemple de la plupart des
Accords de libre-échange dont il a été question plus haut, et à propos desquels il y
a aujourd’hui un consensus pour admettre leurs nombreux et lourds défauts.
Comme c’est le cas de nombre de plans sectoriels (à commencer par ceux de
l’agriculture, du tourisme, de l’industrie…), ou de tant de « grands chantiers » (y
compris ceux en cours dans les grandes villes du pays…), ou encore de l’immense
majorité des privilèges fiscaux appelés « dépenses fiscales » et que les responsables
eux-mêmes ainsi que les institutions internationales reconnaissent aujourd’hui
aussi inefficaces que inéquitables, en plus d’être excessivement coûteux en termes
de manque à gagner pour le Trésor public… Oui, mais qui peut se hasarder à
30
revendiquer la remise en cause d’une politique qui procède d’une « volonté
La crise du modèle
royale » ? Qui peut oser, avec tout le respect qui lui est dû, dire au Roi qu’il a pu
s’être trompé, et qu’il est temps qu’il change de politique ? Le Roi n’est donc pas
« interpellable » et aucun mécanisme institutionnel ne permet de lui signifier les
erreurs qu’il peut commettre et encore moins la nécessité de remettre en cause ses
choix lorsqu’ils s’avèrent non fructueux.
1 Cf. N. Akesbi, « Quand le système politique entrave le développement économique », Site-In, 5.10.2018
(http://www.site-in.net//article/quand-le-systeme-politique-entrave-le-developpement-
economique ).
31
Zagora, Outat El Haj… Ils ont également pris des formes inédites, notamment en
2018 à travers le boycott évoqué plus haut, un boycott ciblé et massif de produits
de trois entreprises précisément symboliques de ces relations incestueuses entre la
politique et les affaires. Ce faisant, le citoyen ordinaire a innové à travers cette
nouvelle forme de lutte, en cherchant non seulement à faire pression pour la baisse
de prix abusifs parce que « administrés » par des monopoles et des oligopoles,
mais aussi à crier son rejet de l’économie de rente, du népotisme et des passe-
droits1… Quels qu’aient pu être les résultats de ce boycott, cette « première » en
annonce d’autres à venir, tant les mêmes causes continueront de produire la même
rage de protestation.
C’est dire aussi que le préalable à toute réforme économique n’est autre que
politique. De sorte que le futur « modèle de développement » n’aura de chance
d’évoluer favorablement que si, à tout le moins, il s’inscrit dans le cadre d’un
système politique qui conjugue légitimité des choix, plein exercice des
responsabilités et reddition des comptes. Ce faisant, un tel système, démocratique
pour tout dire, est sans doute plus efficace que n’importe quel autre système parce
1 Cf. « Akesbi : Le boycott tourne la page des formes traditionnelles de lutte sociale », Hespress, 8.6.2018
(https://www.hespress.com/societe/394645.html?fbclid=IwAR2k3jqtXOabvSNp6MLWB8HX9qg8Pj
o86s_Ylv-7pPnJnwEijC6StRahccM)
2 Pour une analyse plus focalisée sur l’expérience des deux dernières décennies, cf. N. Akesbi,
« Pourquoi et comment l’économie marocaine s’installe sous le plafond de verre », 2019, op. cit.
32
qu’il crée les meilleures conditions pour atteindre les objectifs prévus, et partant
La crise du modèle
garantir le succès des choix effectués et des programmes arrêtés.
33
34
Le nouveau modèle de développement :
pourquoi et comment ?
Quel modèle ?
Abdeslam Seddiki1
On le voit, un pays peut enregistrer des taux de croissance les plus élevés au
monde sans réaliser pour autant son développement. Ce qui nous laisse croire que
le Maroc, n’a pas connu depuis l’indépendance de « modèle de développement »
35
stricto sensu, du moins dans sa forme élaborée. Les différents « plans de
développement » qui se sont succédé depuis l’indépendance (plan biennal 1958-
1959 ; plan 1960-1964 ; plan triennal 1965-1967 ; plan 1968-1972 ; plan 1973-1977 ;
plan triennal 1978-1980 et plan 1981-1985) ne traduisaient pas une conception
donnée de développement et ne s’inséraient pas dans un modèle de
développement. Ils rassemblaient un catalogue de mesures élaborées par des
technocrates sans aucune prise sur la réalité. Leur échec était garanti d’avance !
D’ailleurs, le plan 1981-1985 fut abandonné au milieu du parcours suite aux
fourches caudines du FMI. Malheureusement, le plan de développement préparé
par le gouvernement d’alternance, couvrant la période 2000-2004 et qui a fait
l’objet d’un véritable débat national est resté à son tour lettre morte pour des
raisons qui demeurent jusqu’à présent obscures. On lui a préféré des programmes
sectoriels sans convergence et sans âme !
36
quel type d’organisation du travail ? Quel mode de régulation et quelles formes de
gouvernance à mettre en place ? Comment intégrer les facteurs non-économiques
Quel modèle ?
(culture, valeurs nationales, …) dans le développement? Quelle articulation entre
démocratie et développement ? Quelles formes d’intégration dans le système
mondial et la nouvelle division internationale du travail?
I- Le diagnostic de l’existant
Alors que le débat sur le modèle de croissance à l'œuvre au Maroc n'arrive pas
encore à déboucher sur des perspectives prometteuses, il serait utile de nous poser
des questions sur l'économie marocaine afin de déceler les forces et les faiblesses
qui la caractérisent. Cette lecture de l'économique doit obéir à une règle
méthodologique dont les jalons ont été jetés par les précurseurs de l'économie
politique, selon laquelle l'économique n'a de finalité que par rapport au social,
c'est-à-dire par rapport à la satisfaction des besoins sociaux de la population. En ce
sens, le progrès économique n'a de sens que s'il se traduit par une amélioration du
niveau de vie des populations. Et c'est à ce niveau que se mesure le bien-être social.
Partant de ces considérations méthodologiques, on s'attachera à faire cette lecture
en deux temps: relever dans un premier temps les points forts de l'économie
marocaine ; déceler, en deuxième lieu, les faiblesses et les goulots d'étranglement
qui risqueraient d'inhiber et de freiner le processus de décollage sans lequel
l'émergence tant attendue et espérée restera un vœu pieux.
37
I. a- Les atouts de l'économie marocaine.
L'analyse des principaux indicateurs et de leur évolution sur les moyens et long
termes nous autorise à déceler les atouts suivants. Ils nous semblent visibles et
lisibles. Nous les exposons sans aucun ordre d'importance.
1 La situation vécue par le Maroc au début des années 80 du siècle dernier, ou celle qu’a connu la Grèce
plus récemment, est riche d’enseignements à cet égard.
38
3. C’est une économie de plus en plus diversifiée. On est passé
progressivement d'une économie primaire, basée sur les matières premières et les
Quel modèle ?
produits agricoles, à une économie secondaire basée sur la transformation des
produits, la remontée dans la chaîne de valeur et la création de valeur ajoutée. Bien
sûr, l'économie n'a pas encore atteint le stade de l'industrialisation qui se traduit
par une «transformation de structure». Le plan d'accélération industrielle à
l'œuvre, s'il est bien mené conformément aux objectifs affichés, pourrait nous y
conduire. Mais on n'en est pas encore là. Et beaucoup d'incertitudes planent sur la
réalisation de ces objectifs, dont notamment le risque de voir ce PAI se réduire à
une simple sous-traitance sans ambitions réelles en matière de transfert de
technologie, condition sine qua non pour la création d'un tissu industriel national.
4. Cette diversification porte également sur nos échanges extérieurs. Bien que
l'Union européenne demeure notre principal partenaire commercial, force est de
constater que sa place se réduit au fil des années au bénéfice de nouveaux
partenaires tels que les pays émergents et le Continent Africain. Mais il faut
relever, dès à présent, que le Maroc n'a pas su (ou n'a pas pu) tirer profit des
opportunités que lui offre cette ouverture et son intégration dans le marché
mondial. Sur une cinquantaine de pays avec lesquels il est lié par des accords de
libre-échange, il enregistre un déficit commercial à l'exception de la Jordanie. Cela
donne sérieusement à réfléchir sur nos capacités productives et notre potentiel
compétitif1.
5. Bien que le Maroc ait abandonné la planification cédant en cela aux effets de
mode d'un certain néo-libéralisme, il a opté, en contrepartie, pour des plans
sectoriels touchant pratiquement tous les secteurs d'activité : Plan Maroc Vert
pour l'agriculture, Plan Halieutis pour la pêche maritime, Plan Emergence devenu
Plan d'accélération industrielle pour l'industrie, Vision 2010 et 2020 pour le
tourisme, Maroc Numeric pour l'économie numérique etc...Malgré leurs limites et
les critiques dont ils font l'objet, dont notamment le manque de convergence, ces
programmes ont donné des résultats relativement satisfaisants. En tout état de
1 Sur l’évaluation des ALE signés par le Maroc, voir notamment l’étude élaborée par l’IRES en 2013.
39
cause, il vaudrait mieux avoir un programme et une vision à moyen terme que de
ne pas en avoir du tout et de continuer à naviguer sans savoir le port de
destination !
7. Pour ce qui est du «capital humain», s'il est admis par tous que notre
système éducatif souffre de plusieurs tares et dysfonctionnements, il ne faut pas
non plus «jeter le bébé avec l'eau de bain». Là où des moyens sont mobilisés et un
système de gouvernance particulier est mis en place, des résultats tangibles se font
montrer. Bien sûr, ce qui est demandé aujourd'hui, c'est de tirer profit de certains
îlots de réussite pour propager le progrès vers d'autres secteurs restés à la marge
de toute dynamique de changement. Le progrès n'est jamais linéaire et homogène.
Il se fait en cascade. Le développement, à son tour, génère forcément des
contradictions. Le rôle du politique, puissance régulatrice, consiste à en accélérer le
rythme et à en réduire les fractures.
40
concurrence, l'Etat de droit (surtout dans les affaires). C'est un atout réel pour le
Maroc qui ambitionne de devenir un pays émergent.
Quel modèle ?
9. Le «capital institutionnel» n'est pas moins important. C'est un facteur
essentiel de développement. Malgré toutes les critiques que l'on pourrait faire et les
faiblesses constatées ici et là, il faut reconnaître que les ingrédients d'un Etat de
droit sont bien réunis. Nos institutions ne sont pas parfaites, mais sont acceptables
dans l'ensemble. Nous avons une Constitution développée dont le contenu n'a rien
à envier aux constitutions des pays ancrés dans la démocratie ; les élections se
déroulent à intervalles réguliers ; l'existence de partis politiques de différentes
obédiences; les syndicats dont la création remonte à des décennies..... Ce «capital
institutionnel» constitue un facteur réel de stabilité politique et sociale et par
conséquent un facteur d'attractivité et de compétitivité. Ce sont des atouts de taille
qui constituent la force de frappe de notre économie.
Cette liste n'est sûrement pas exhaustive. Elle est exposée à titre illustratif. On
peut y ajouter tous les autres facteurs non-économiques dont regorge le pays : sa
diversité culturelle, son ouverture sur les autres cultures, sa richesse
gastronomique, la beauté de ses sites géographiques, la qualité de la vie de ses
citoyens...
Mais chaque médaille a son revers. Le pays connaît aussi des faiblesses et
goulots d'étranglement qui freinent sa marche vers plus de progrès et se dressent
sur la voie de son émergence. Ce sont autant de défis que le Maroc doit absolument
relever s'il veut réaliser les ambitions qui sont aujourd'hui les siennes, à savoir
intégrer le concert des pays émergents.
41
1. Saisir toutes les opportunités offertes par la mondialisation. Nous avons
déjà souligné le fait que le Maroc ne tire pas suffisamment profit des Accords de
libre-échange signés avec divers pays. Il est en ce sens plus un «losing player»
qu'un «winning player». Ainsi, il est grandement utile pour l'avenir de notre pays
de marquer un temps d'arrêt et de procéder à une évaluation objective de ces
accords afin de rectifier le tir éventuellement. Entendons-nous bien: il ne s'agit
nullement d'un plaidoyer pour un certain protectionnisme débridé qui risquerait
de nous isoler du reste du monde quand bien même une telle option serait possible
! Il s'agit, à l'inverse, de minimiser les risques encourus par l'intégration au marché
mondial et de mettre de l'ordre dans l'enchevêtrement de la mondialisation, en
diversifiant au maximum nos alliances stratégiques et en approfondissant plus nos
relations avec le continent africain. En effet, des partenariats triangulaires offriront
de grandes opportunités pour le Maroc dans les années à venir. Nos relations avec
l'Afrique doivent s'inscrire dans le droit fil du Discours de SM le Roi prononcé à
Abidjan le 4 février 2014, dans lequel Le souverain a tracé une véritable feuille de
route pour le partenariat Sud-Sud.
42
3. Persistance des inégalités sociales et spatiales1. La réduction des inégalités
est un impératif économique, social, politique et humain. Dans cette optique, le
Quel modèle ?
développement, on ne le dira jamais assez, n'a de sens que lorsqu'il se traduit par
une amélioration des conditions de vie de la population et l'éradication de la
pauvreté, y compris la «pauvreté intellectuelle». L'on sait aujourd'hui, études
empiriques à l'appui, que les pays qui résistent le mieux à la crise et qui
enregistrent de meilleurs taux de croissance, sont ceux qui connaissent une
répartition moins inégalitaire des revenus et des richesses. Il faut reconnaître que le
Maroc a fait quelques efforts dans ce sens avec le lancement des politiques sociales
destinées aux pauvres : INDH, ADS, Fonds dédiés...Mais force est de constater que
les résultats atteints sont loin des objectifs affichés et surtout loin des espérances de
la population. N'est-il pas temps, là aussi, de procéder à une évaluation, sans
concession, de ces politiques pour y introduire les ajustements nécessaires ?
1 Pour plus de détails voir les travaux réalisés par le HCP, l’ONDH et d’autres institutions.
43
plaident dans ce sens : l'étendue du territoire, la variété de notre relief, la diversité
de notre culture...
6. Last but not least, nous sommes appelés à changer notre approche du facteur
«temps» pour le considérer comme un facteur de production et de compétitivité.
Notre attitude à l'égard du temps, que nous pouvons qualifier sans hésitation de
rétrograde, est lourdement coûteuse: retard dans l'exécution des projets et non-
respect des délais sont monnaie courante. L'indifférence par rapport à la variable
temps est en passe de devenir une véritable gangrène qui risquerait d'anéantir les
efforts accomplis ici et là. Nous sommes appelés à une véritable révolution
culturelle et une modification de notre comportement pour revoir un certain
nombre de stéréotypes et de conformismes ambiants. Le monde change et évolue à
vive allure, la terre tourne à une vitesse qui s'impose à tout le monde et personne
ne peut mettre en veille l'horloge de l'histoire. Rattrapons donc notre retard pour
renouer avec le progrès ! Tel est le gage de la modernité.
44
les questions qui s'imposent, en faisant nôtre la formule du philosophe Karl Marx :
«L'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle est capable de résoudre».
Quel modèle ?
Ce sont justement ces problèmes que se pose la population assoiffée qui aspire à
une vie meilleure! À quoi sert d'ailleurs le développement s'il n'arrive pas à couvrir
les «frais de l'homme» ? À quoi sert l'émergence si le citoyen ne se voit pas
impliqué dans ce projet ? Il faut une mobilisation populaire pour que tous les
acteurs s'impliquent entièrement. Le peuple marocain est capable de tout. C’est à
ces défis que le nouveau modèle de développement se doit d’apporter des
réponses.
Ce modèle a atteint définitivement ses limites et ne peut plus tenir la route : une
croissance incapable d’assurer un emploi décent à chaque marocain, incapable
d’assurer un niveau de dignité humainement acceptable. Il est grand temps, par
conséquent, de changer de paradigme et d’envisager l’avenir du Maroc autrement,
en mettant le citoyen au centre du processus productif.
1 Voir les rapports du CESE et de la Cour des Comptes sur le système fiscal.
45
Il ne s’agit pas, à nos yeux, d’un simple réaménagement de l’actuel modèle et
d’un « lifting » pour un nouveau look, mais plutôt de sa refonte totale en vue de
mettre en œuvre un nouveau modèle qui soit en phase avec les exigences du
moment et en parfaite symbiose avec les attentes des citoyens. C’est un exercice
national auquel nous sommes tous appelés à participer chacun dans son domaine.
Car, en la matière, il faut puiser dans notre intelligence collective et notre créativité
intrinsèque tant il est vrai qu’il ne saurait y avoir de modèle « prêt à porter » ou de
simples recettes de cuisine! L’expérience historique nous a suffisamment enseigné
que ce sont les peuples qui ont su compter sur eux-mêmes qui s’en sont le mieux
sortis. Ce qui n’exclut nullement que l’on puisse s’inspirer de telle ou telle
expérience.
46
empêche pour autant de passer au scanner les accords de libre-échange que nous
avons signés avec différents pays et groupements régionaux, parfois sans avoir fait
Quel modèle ?
d’études préalables d’impact.
47
II.2-Améliorer le niveau de vie de la population.
Cet objectif nécessite que l’on mette le citoyen marocain au cœur de ce projet
national. A cet égard, la priorité doit être accordée dans un premier temps aux
populations démunies des campagnes et des périphéries urbaines pour leur
assurer le minimum vital et un revenu qui préserve leur dignité. A terme, il faut
mettre en œuvre une politique volontariste de partage et de redistribution du
« gâteau national » afin de renforcer les moyens mis à la disposition de l’Etat et les
revenus salariaux. Outre une nouvelle politique salariale à mettre en œuvre dans
le cadre du dialogue social, le nouveau modèle de développement ne peut faire
l’économie d’une véritable réforme fiscale basée sur l’équité et l’efficacité. C’est en
mobilisant des ressources additionnelles via la fiscalité que l’Etat serait en mesure
de jouer son rôle régalien, d’assurer des services sociaux de qualité dont
notamment l’éducation, la santé et la généralisation de la couverture sociale. Le
but étant de réaliser dans des délais raisonnables le « socle de la couverture sociale
universelle ».
48
Modèle et anti -i modèle
L’économie marocaine ou comment faire
un modèle d’un anti-modèle
Abdelkader BERRADA1
49
l’implantation au Maroc se renforce parallèlement à l’affaiblissement des capacités
publiques d’expertise (conception, gestion et évaluation des politiques publiques).
Les organismes financiers internationaux et l’Union européenne, outre leur rôle en
tant que bailleurs de fonds, demeurent cependant la principale usine à idées de
l’administration chérifienne. Elles ont l’oreille des hautes sphères de l’Etat. Durant
la période 2005-2009 uniquement, la Banque Mondiale plus spécialement compte à
son actif 59 travaux d’analyse, parmi lesquels 35 études économiques et
sectorielles, réalisés pour son client numéro un en Afrique. Le programme des
«départs volontaires à la retraite» (2005), conçu à l’origine par une équipe de la
Banque Mondiale conduite par l’économiste Tunisien Mustapha Kamel Nabli
(2001), ne pouvait qu’influencer négativement le fonctionnement et l’organisation
de l’administration dans la mesure où il s’est traduit notamment par la perte de
plus de 20.000 cadres bien formés et expérimentés, des vieux de la vieille (53% des
38.500 fonctionnaires bénéficiaires de cette opération). Cette opération jugée
bénéfique par le cabinet international d’audit et de conseil KPMG s’est plutôt
soldée par une aggravation de la pénurie de personnel administratif qualifié et par
un recours accru de l’Etat à l’externalisation de prestations essentielles,
condamnant ainsi à l’échec de nombreux projets publics.
L’ensemble de ces travaux porte à croire que tout a été dit ou presque sur
l’économie marocaine et qu’à partir du moment où ils s’inscrivent dans la durée
(2025, 2030, etc.), les rapports aussi nombreux que variés de la commission A.
Meziane Belfkih et du HCP ne nécessitent, pour garder intacte leur «pertinence»,
qu’un effort d’actualisation. Dès lors, on est en droit de se demander à quoi cela
sert de réaliser de nouvelles études sur l’économie marocaine si c’est pour répéter
la même chose?
Sans perdre de vue que certaines idées qui ressortent de ces travaux redondants
demeurent d’actualité et de ce fait ne sont pas à jeter aux orties, il n’empêche que plusieurs
interrogations d’importance interpellent l’économiste Perrousien/Myrdalien/Allaisien
concernant notamment le fameux modèle low cost marocain qui fige le classement
du Maroc en tant que pays à revenu intermédiaire tranche inférieure. Il s’agit plus
50
Modèle et anti -i modèle
précisément de nations dont le PIB/habitant se situe depuis 2013 entre 1.036 et
4.085$. Le royaume fait partie de ce groupe de pays depuis bien longtemps avec
un PIB/habitant ne dépassant pas 3.160$ en 2013, ce qui lui permet d’occuper le
123e rang sur un total de 184 nations.
Ce qui pose problème c’est que d’autres pays ne disposant pas des mêmes
atouts que le Maroc ont par contre progressé en passant d’une catégorie de nation
à l’autre (pays à revenu inférieur-> intermédiaire; intermédiaire->élevé) ou d’une
tranche de revenu à l’autre (inférieure ->supérieure) s’agissant d’un même type de
pays. A noter que le Maroc n’enregistre qu’un taux de croissance annuel moyen
inférieur de moitié sinon plus à celui des pays émergents. La contribution des
activités productives au PIB ne fait pour sa part que décroître au moment où celle
des activités de survie qui composent le secteur informel n’arrête pas de gagner du
terrain. Les inégalités économiques et sociales ont rarement été aussi fortes.
Cette stratégie, imposée par la Banque Mondiale des décennies durant, découle
d’une interprétation abusive du modèle de croissance R. F. Harrod - E. Domar. Elle
51
est fondée sur la croyance, jugée erronée par les auteurs cités, qu’il existe une
incompatibilité «entre les objectifs de la croissance et ceux de la recherche de
l’égalité» (G. Myrdal), que les pays sous-développés sont dans l’impossibilité «de
monter deux chevaux à la fois: celui de l’égalité économique et celui du
développement» (W.A.Lewis), que les inégalités de revenus contribuent à la
croissance économique, ce qui aura à terme pour effet de procurer des possibilités
réelles d’amélioration de la situation des groupes aux revenus plus faibles (théorie
du ruissellement ou trickle-down theory). «La justification de l’inégalité repose sur
le fait que seuls les riches épargnent, de sorte que l’inégalité est nécessaire à
l’accumulation» (J.V.Robinson).
52
Modèle et anti -i modèle
instrument de redistribution plus équitable des revenus». Dans le même ordre
d’idées, parmi les principaux objectifs assignés au programme de privatisation
d’envergure lancé à partir de 1992 figure «la nécessité d’éviter que les opérations
de cession d’entreprises publiques ne soient la cause du renforcement de la
concentration capitaliste et une occasion de nouveaux accaparements par les plus
puissants et les plus grands riches». L’Etat s’est engagé à donner «toutes leurs
chances à de nouvelles générations de citoyens, leur ouvrant l’accès aux
responsabilités d’entrepreneur» (discours royal, 8 avril 1988).
53
capitaux et à s’offrir une main-d’œuvre bon marché parce que injustement privée
dans son écrasante majorité d’une couverture sociale. Cet «art de s’enrichir
promptement», qui réserve une large place aux méthodes d’accumulation
primitive, se situe aux antipodes de la «doctrine économique des profits normaux»
que J.M. Keynes juge «indispensable à la justification du capitalisme». Selon cette
doctrine, fréquemment passée sous silence, «l’homme d’affaires n’est tolérable
qu’aussi longtemps que ses gains peuvent être considérés comme ayant un certain
rapport avec ce qui correspond grossièrement à l’utilité de ses activités pour la
société».
54
Modèle et anti -i modèle
l’indispensable condition d’un développement rapide». W.A.Lewis, quant à lui,
s’est montré encore plus explicite: «la création d’une société saine, où les tensions
et les injustices sont réduites au minimum, réclame que même au début la
croissance ne prenne jamais le pas sur le social». J.E.Stiglitz, l’ex-économiste en
chef de la Banque Mondiale, a fini lui aussi par épouser des thèses similaires au vu
de l’expérience réussie de plusieurs pays asiatiques: «la croissance de l’Asie
orientale, écrit-il, a été un phénomène remarquable. Le Japon et les autres pays de
la région ont notamment réfuté deux principes fondamentaux de la théorie
classique du développement. Ils ont montré que l’inégalité n’était pas une
condition préalable à la croissance… Et ils ont prouvé que les phases initiales du
développement ne s’accompagnaient pas forcément par une montée des
inégalités… Bien au contraire, la nouvelle prospérité a été largement partagée et
des millions de personnes sont sorties de la pauvreté».
Le Maroc fondait beaucoup d’espoir sur cet «accord du siècle» pour affranchir
l’économie de l’influence pesante d’une croissance atone et améliorer sa
compétitivité en s’attaquant aux rigidités qu’elle présente. On pensait pouvoir faire
de ce pays l’atelier de l’Europe en attirant capitaux et savoir-faire dans des
proportions beaucoup plus importantes qu’avant l’entrée en vigueur de cet accord
qui ne s’applique, cela vaut la peine d’être relevé, qu’aux biens et services (mars
2000). On pensait pouvoir, en renforçant les capacités d’exportation du pays et
l’attractivité de son économie, réduire autant que faire se peut le déficit de la
55
balance commerciale et impacter positivement le solde de la balance des opérations
courantes.
Par ailleurs, l’effet devises des IDE entrants est limité. Il en est ainsi parce que
les investissements étrangers d’envergure se portent en priorité sur les activités de
substitution d’importation ; en outre, leur financement est en partie assuré par des
prêts contractés au Maroc. En réponse à la question : quelle appréciation portez-
vous sur les investissements directs étrangers ? A. Jouahri, gouverneur de la
Banque Centrale, a tenu à préciser que la part des investissements directs étrangers
financée en devises n’atteint même pas 30% et qu’«on ne peut accepter d’être frit
dans notre propre huile» (Al Makli Fzitou) 1 . Lorsqu’on étend le raisonnement aux
flux de retour (transfert des profits, redevances d’assistance technique, etc.),
l’apport net en devises des IDE fond comme neige au soleil.
L’idée s’impose de plus en plus que cet accord fut mal négocié par la partie
marocaine par manque de préparation, de coordination et de suivi (Etat, CGEM,
UMA, GPBM). A cela s’ajoutent un déficit de compétence de négociateurs
nationaux aussi bien publics que privés et surtout une volonté politique
1 Conférence-débat: le Maroc face à la crise et à l’après crise, centre Links-Université Hassan II, 26
novembre 2009
56
Modèle et anti -i modèle
chancelante. L’économie politique nous apprend à regarder au-delà de l’effet
immédiat. Elle nous apprend en particulier que quand un pays comme le Maroc
ouvre son marché aux pays développés avant d’avoir restructuré son tissu
productif, le bénéfice qu’il peut tirer de cette libéralisation est beaucoup plus réduit
que quand c’est l’inverse qui se produit. Cela est d’autant plus vrai que l’UE n’a
pas laissé assez de temps et alloué suffisamment de ressources au Maroc pour
ajuster son économie en profondeur. Or, s’agissant d’une économie qui souffre
d’un chômage de masse endémique et de nombreuses distorsions structurelles, une
forte réduction des droits de douane ne pouvait que créer de graves tensions,
condamner à la disparition des secteurs d’activité d’import-substitution enclavés.
Les effets de cet accord sur les comptes extérieurs du royaume n’ont pas tardé à se
faire sentir. En plus de l’aggravation du déficit persistant de la balance
commerciale qui se manifeste par une baisse du taux de couverture des
importations par les exportations, la balance des opérations courantes accuse elle
aussi depuis 2008 un solde négatif élevé que l’Etat ne parvient pas à maîtriser, ce
qui se traduit notamment à partir de 2012, par un recours accru à l’endettement
extérieur et plus encore aux dons empoisonnés des pays du conseil de coopération
du golfe (CCG).
57
parasitaire qui constitue la forme dominante du capital privé au Maroc. A. O.
Hirschman en particulier, n’a pas manqué, dans son œuvre maîtresse stratégie du
développement économique (1964 p.146), de souligner que les importations «tout
en préparant le terrain pour la production intérieure, elles opposent également une
résistance à sa mise en œuvre. Elles créent de puissants intérêts s’efforçant à faire
durer éternellement un commerce plus rentable… ». «Les banques s’accoutument»
pour leur part «à donner dans l’octroi de leurs crédits la priorité aux besoins de
financement, comparativement à court terme, du commerce d’importation. Enfin,
les pays d’où proviennent les exportations peuvent exercer des pressions
politiques et économiques pour empêcher ou retarder la perte de marchés
intéressants».
58
Quelle grille d’analyse ?
A la recherche d’une grille d’analyse
théorique pour la problématique du
développement au Maroc
Hicham SADOK1
59
à une norme que des définitions. Elles n’arrivent, comme c’est souvent le cas dans
l'embarras, à définir le phénomène que par ses manifestations (Austry, 1965) 1. On
peut s'interroger sur les raisons d'une telle situation, mais, comme le soulignait
déjà François Perroux il y’a plus d’un demi-siècle maintenant, si les intérêts, les
réalisations sont généralement évoquées en économie, les concepts routiniers,
comme celui du système ou stratégie de développement, ne devraient pas en être
moins concernés2, surtout que la liste des institutions et les auteurs indignés par le
sous développement est substantielle. Mais paradoxalement, la plupart de ces
indignations du 21ème siècle ne sont pas suivies d'une formulation théorique
affinée permettant une correction de la trajectoire des politiques et des projets
économiques de développement adaptée à ces pays à l’image du corpus théorique
proposé au 20ème siècle par les économistes, dit du sud, (Arghiri, Amin, Frank,
Wallerstein..etc) en réfutant de manière cohérente et argumentée les thèses
conventionnelles sur les causes du retard des pays du Sud. Ainsi, on s'aperçoit très
vite lors de la revue de littérature que dans ce domaine, les réflexions théoriques à
notre disposition ne s'accommodent pas assez à la réalité des situations vécues. Il
en ressort, tout de même, lors de l’analyse de l’ensemble de la critériologie du sous
développement au 21ème siècle l'idée de l'existence dans ces pays concernés des
ressources non exploitées de façon optimale : le corollaire immédiat de ce constat
est que la stratégie de développement des économies sous-développées est perçu
comme la faible capacité d’absorption de leurs propres ressources et non pas par
l’inexistence des ressources. Il n’existe donc pas de faible dotation en facteurs, mais
plutôt un manque de structures et de projets adaptés, susceptible d’amener une
politique économique fructueuse.
S’il existe des économies pour lesquelles on se doute que les projets
économiques ne sont pas assez adaptés à sa structure sociétale, c’est
indubitablement celle du Maroc. Malgré les nombreux efforts, la situation du pays
ne s’est guère améliorée mondialement. Plusieurs questions se posent alors en
60
Quelle grille d’analyse ?
matière d’économie politique. Pourquoi malgré l’ampleur des projets consacrés au
développement, l’amélioration des conditions de vie et la croissance ne décollent
pas d’une manière soutenue ? Les modèles de développement appliqués sont-ils à
ce point inadapté? Pourquoi cette économie a échoué avec des modèles avérés là
où d’autres ont réussi ? Comment se fait-il que l’effet des modèles de
développement soit indécelable sur la totalité du territoire ? En quoi résident les
limites des politiques à promouvoir? En quoi réside l’improductivité des stratégies
économiques du développement au Maroc?
61
Les facteurs institutionnels (l’engagement, la légitimité, la crédibilité
politique, la qualité de la fonction et des services publics, le respect de
la loi, la corruption et le maintien de l’ordre) ;
La faiblesse du système technologique, la compétitivité des taux de
change et les régimes commerciaux ;
Les facteurs géographiques comme l’emplacement et les conditions
climatiques ;
Les dotations en ressources naturelles (l’eau, les terres arables,…) et
l’enclavement ainsi que les dotations en capital physique et humain ;
La faiblesse du revenu qui entraîne une demande globale faible et les
facteurs démographiques ;
Un système financier sous-développé qui ne favorise pas le
développement du secteur réel;
Les variables de stratégie économique notamment la politique
budgétaire, monétaire, le niveau de l’épargne et l’investissement ;
L’insuffisance du budget des projets de développement ;
L’affectation ou encore l’utilisation qui est faite du financement du
développement ;
L’impact des stratégies économiques sur les comportements des
acteurs.
62
Quelle grille d’analyse ?
contesté. Plusieurs auteurs considèrent ces facteurs comme critères de sous-
développement, et de ce fait comme des symptômes, et non des structures; le sous-
développement, pour eux, est un problème de structure1.
63
garantir sa pérennité. Au cours de cette période, l’activité économique nationale a
été marquée par une progression du PIB moyenne de 4.2% sur toute la période
observée (1960-2018). La prise en compte de la variation annuelle de la population
globale de 2,7% durant la même période indique que l’accroissement du PIB réel
par habitant a été de l’ordre de 1.5%.
L’analyse du PIB, réparti selon les différents emplois en biens et services, fait
ressortir que la consommation finale intérieure constitue l’agrégat le plus
important de la demande finale globale. Elle a représenté plus des trois quarts du
PIB durant la période 1960 à 2018, avec une contribution à la croissance
économique de 3,6 points.
Sur le plan des échanges extérieurs, l’analyse des résultats réalisés par
l’économie nationale montre que la contribution des exportations nettes à la
croissance était de l’ordre de -0,6 points. De tels résultats peuvent trouver leur
explication dans l’échec de la politique de substitution aux importations, la part
des exportations de biens et services dans le PIB est restée quasi stable à un niveau
moyen de 23% du PIB durant toute cette période.
64
Quelle grille d’analyse ?
En résumé, le Maroc, depuis son indépendance, était conscient des objectifs
visant la réalisation d’une croissance économique suffisante et soutenue en vue
d’améliorer le développement et le niveau de vie de la population ; c’est ce qui
ressort de la plupart des plans et stratégies de développement économique et social
établis depuis 1960 : Les plans envisagés mettaient l’accent sur des priorités quasi
constantes au profit des secteurs de l’agriculture, de l’industrie de base et du
tourisme. Cependant, les résultats réalisés ont été en général en deçà des
aspirations du pays et des objectifs fixés et ce, malgré les différentes stratégies et
mesures entreprises à cet effet.
Ainsi, l’analyse des régimes d’incitation au Maroc indique que les mécanismes
du développement créent, sous certaines conditions, un cercle vicieux dans lequel
des mesures prédatrices paralysent l’assainissement du climat contextuel du
développement et affecte, par conséquent, la productivité même des stratégies
économiques du pays. De ce fait, la non-productivité des stratégies économiques
du développement du Maroc peut paraître comme beaucoup plus un problème de
structure qu’un problème de nature.
Parmi les fondements théoriques avancés pour comprendre cet état de lieu, la
plus répandue et la plus communément admise est la théorie du développement
dualiste. Cette théorie a servi comme justification à l'élaboration et à l'application
des stratégies du développement dans plusieurs pays visant explicitement à
vaincre le sous-développement et à combler le retard accumulé mais qui, en fait,
partout où elles ont été mises en œuvre, n'ont contribué que légèrement, voir qu'à
aggraver le phénomène du sous-développement. Ressusciter la thèse dualiste sous
une autre forme peut éclairer les raisons de cet échec et ouvrir la voie à une autre
interprétation des réalités sociales complexes et changeantes, et surtout à
65
l'élaboration de stratégies d'action alternative, pratiques et efficaces pour le
développement du Maroc.
1 J. Boeke (1953). Economics and Economic Policy of Dual Societies. New York
66
Quelle grille d’analyse ?
orientée soit vers la production de valeurs d'usage pour l'autosubsistance, soit vers
la petite production marchande. De ce fait, ce secteur est demeuré archaïque (faible
niveau de développement des forces productives, performances de production
médiocres), et il est pensé comme une zone d'ombre que le développement et le
progrès n'aurait pas encore réduite. Du point de vue économique et sociologique,
les rapports dominant dans ce secteur sont de type familial et personnel et ces
rapports véhiculent des normes et des valeurs culturelles rigides, incompatibles
avec la modernité et constituant un frein à la diffusion de la pensée économique
rationnelle. La stabilité des structures économiques, sociales et culturelles dans ce
secteur serait telle que le changement ne peut venir que de l'extérieur, précisément
du premier secteur dit moderne, par l’effet contagion.
68
Quelle grille d’analyse ?
réserve de main-d'œuvre pour les entreprises étrangères, susceptibles de
s'implanter dans certaines localités.
Cette dualité est maintenue également dans des secteurs comme la santé et
l’éducation qui sont des points de lecture importants pour les politiques
économiques du développement. Dans cette perspective, une bonne partie du
Maroc n’est considéré que comme une survivance arriérée qui, à l'état final du
développement, ne pourra plus être que le vestige d'un passé honteux.
69
sciences physiques ; le non développement du Maroc n’est que la résultante des
forces économiques et sociales contradictoires qui s'exercent sur son corps et dont
les forces qui lui sont appliquées est nulle, le contraignant à une immobilité dans un
monde en mouvement.
Tout nous oblige à faire retour sur cette interrogation : le développement peut –
il être identifié à la seule rationalisation des décisions économico-politiques ? Mais
ne devons-nous pas, pour le faire, revenir en arrière et nous interroger sur la
nature des autres prérequis du développement ?
S’il est notoire que presque toutes les sociétés sont pénétrées par différentes
formes de modernité, toutes ne sont pas encore sur le chemin du développement.
L’éloge de l’exception et de l’authenticité est de plus en plus artificiel et même
lorsque certaines autorités intellectuelles ou politiques lancent des anathèmes
contre la pénétration de l’économie marchande ou capitaliste, il n’en demeure que
les populations restent attirées, voir émerveillés par ses réalisations. Feindre qu’un
pays peut accéder au développement universaliste et préserver une différence
culturelle absolue est un non sens grossier si on ne peut y voir une conservation
des intérêts et une stratégie de domination. Face à ce constat embarquant tout le
monde vers un processus plus au moins évolué de modernité et de
développement, la seule et grande question de fond qui demeure est de savoir si
c’est comme galériens ou comme voyageurs partant avec des bagages portés par
un espoir en même temps que conscients des inévitables ruptures.
70
Quelle grille d’analyse ?
Marcher sur le chemin du développement est comme un décollage. Il suppose
un effort, un arrachement violent au sol de la tradition et du conservatisme. Puis,
après une phase de tourbillons et de dangers, atteignant une vitesse de croisière,
une stabilité permettrait de se détendre, d’oublier même les points d’arrivée autant
que de départ, et de jouir du détachement des contraintes ordinaires. Cette idée est
très présente aujourd’hui dans ce débat national sur le développement pour se
rappeler que le pays devrait s’imposer des décennies de durs efforts et de conflits
sociaux avant d’entrer dans la tranquillité, abondance, développement et bonheur.
Les premiers pays industrialisés seraient déjà sortis de la zone des tempêtes, les
nouveaux pays industriels d’Asie seraient encore en plein effort, tandis que
beaucoup, y compris le Maroc, attendraient avec impatience le moment d’entrer
dans ce purgatoire du développement. Cette vision optimiste des étapes du
développement lie ce dernier à la rupture des systèmes holistes, en particulier la
séparation de la politique et de la religion, de l’économie et de la politique, la
formation de l’univers de la science, de l’art, de la vie privée qui sont bien des
prérequis et conditions indispensables au développement, car elles font éclater les
contrôles sociaux et culturels qui assuraient la permanence d’un ordre et
s’opposeraient au changement. Le développement s’identifie à l’esprit de libre
recherche, autrement il se heurte toujours à l’esprit doctrinaire et à la défense des
appareils de pouvoir en place. Mais, il faut le répéter, rien ne permet d’identifier le
développement à un mode particulier de modernisation ou d’économie capitaliste
qui se définit par cette extrême autonomie de l’action économique. Dans tous les
pays développés, l’expérience historique a montré, au contraire, le rôle presque
général de l’Etat dans le développement : séparation des sous-systèmes, mais tout
autant mobilisation globale. En dehors de quelques centres du système capitaliste,
le développement s’est fait de manière plus coordonné et dés fois même plus
autoritaire.
72
Quelle grille d’analyse ?
développement les inflexions et les réorientations nécessaires à cet effet et
d’emprunter, ce faisant, la voie de l’appropriation menant à une réelle émergence
entant que société aspirant à ressusciter sa civilisation.
Certes, l’on ne peut nier que l’État cherche à jouer un rôle de locomotive
économique du pays à travers les importants investissements qu’il réalise, les
chantiers des grands travaux qu’il initie et les nombreux programmes sectoriels
qu’il met en œuvre. Néanmoins l’efficience des investissements réalisés et des
programmes mis en œuvre se trouve largement réduite et leur impact
socioéconomique dans le développement très limité.
73
Ainsi, l’analyse historique de la mise en place des stratégies de développement
de la chine durant le siècle dernier est, à cet égard, très illustrative de
l’accommodement de la démarche générale du développement énoncé ci-dessus :
si la Chine de Mao Tsé Toung développe à partir de 1949 son industrie avec l'aide
de l'URSS, qui est alors son modèle et son allié, elle a rapidement rompu avec le
modèle soviétique, dès qu’elle a constaté ses limites, et lance en 1958 le «grand
bond en avant». Cette nouvelle stratégie économique repose sur la collectivisation
des terres agricoles et le développement de l'industrie grâce à des projets
d'infrastructures pharaoniques. Ce projet va être également délaissé, poussant Mao
Tsé-toung à privilégier le développement des ressources humaines en lançant sa
«révolution culturelle». À partir de 1977, le nouveau dirigeant chinois Dien
Xiaoping entreprend de mettre en place une nouvelle stratégie en modernisant la
société, c'est le début du «socialisme de marché» : des petites entreprises sont
créées, les grandes organisations publiques sont en partie privatisées tandis que les
sociétés étrangères sont invitées à investir. C'est aussi le début de la politique de
l'enfant unique destinée à améliorer les conditions de vie de la population. Pour la
Chine, c'est le début d'un développement économique spectaculaire qui continue
jusqu'à aujourd'hui. Le résultat a été trente ans de croissance à deux chiffres, une
accumulation considérable d’excédents commerciaux. Depuis quelques années, ce
modèle a atteint ses limites avec une croissance atteignant rarement les 6%, les
services et les infrastructures rustiques et une pollution altérant gravement la santé
de la population. Ainsi, dès que les autorités chinoises ont pris conscience de ces
retombées négatives du modèle de croissance adopté à la fin des années 1970, elles
ont mis en place une autre stratégie pour transiter de l’investissement, de
l’industrie et des exportations qui tiraient la croissance, vers la consommation, les
infrastructures sociales et le développement humain à travers l’émergence d’une
large classe moyenne.
Dans cette optique, la convergence des plans sectoriels au Maroc dévoile des
incohérences productives d’effets d’éviction. En effet, le plus souvent, les plans
sectoriels nationaux ne suivent pas la même logique ; dans certains cas, ils se
télescopent ou ne s’inscrivent pas dans les mêmes temporalités. Ce genre de
problématique étant formalisé dans le cadre de la théorie des jeux (équilibre
coopératif versus équilibre non coopératif dit de Nash) démontrant que la
coopération améliore le bien-être général et la capacité de chaque acteur à réaliser
ses objectifs.
75
règles formelles de politique économiques ou laissée au libre arbitre des acteurs.
Sachant qu’en théorie, une coordination, notamment à travers le phénomène de
discrétion (au sens de l’arrangement), peut s’avérer moins coûteuse et plus flexible,
mais dans le même temps moins efficient que si elle s’opérait dans un cadre plus
structuré. Les règles limitent en effet la marge de manœuvre des acteurs
économiques et peuvent donc être conçues pour limiter les coûts de l’absence de
coordination entre ces acteurs (sous réserve de respecte des règles). À l’inverse, la
discrétion peut engendrer des coûts de transaction plus faibles (Williamson).
76
Quelle grille d’analyse ?
second lui confère un rôle de transferts- redistributifs pour corriger les injustices et
inégalités dans les dotations initiales entre acteurs, secteurs, territoires et à
permettre aux moins nantis de se développer. À cette vue qualifiée de statique par
les institutionnalistes, s’oppose leur approche dynamique du développement qui
vise l’augmentation des revenus dans certains secteurs et territoires pour les
amener à se prendre en main pour corriger, ainsi, automatiquement l’injustice dans
les dotations en ressources dans tous les autres territoires et entre tous les autres
secteurs.
77
concevoir l'hétérogénéité, le morcellement et la cadence du système de
transformation interne comme origine du retard du développement du pays.
Or si, en parallèle à toutes ces carences, très peu de capital humain qualifié
conditionne la productivité en exerçant dans des secteurs peu productifs et qui ne
sont pas affectés ni par la recherche, ni par l’innovation, l’économie marocaine, clé
de voute pour le développement, ne peut alors décoller durablement, surtout que
les réformes d’éducation financées à partir du projet de relance qualifié « Urgence »
n’avait comme objectif que de combler le déficit en capital humain. Et c’est
paradoxalement, au moment où les incitations dans cette voie devraient
persévérées, que le programme a été abandonné sachant que les résultats escomptés
d’un tel plan ne devraient logiquement fleurir que dans le temps long d’une vraie
politique.
78
Quelle grille d’analyse ?
Conclusion
79
Il n’est pas étonnant que si les différents musiciens du Maroc, dépourvu de
notes et de maestro, insistent à jouer leurs partitions avec des rythmes différents,
nous continuerons à affiner le bruit au lieu d’avoir une symphonie à la Brahms.
Bibliographie
80
Quelle grille d’analyse ?
Harvey, D. (1989). The Condition of Post modernity, Oxford, Blackwell.
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portée et les limites de l’uniformisation planétaire, Paris, Éditions La
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Wallerstein, I. (1984). Tendances et prospectives d’avenir de l’économie-monde,
Revue Études internationales. Vol. 15, n° 4, 789-800.
81
82
Les politiques publiques
Les politiques publiques d’attractivité à
l’épreuve du développement :
d'attractivité
Quel bilan pour le Maroc ?
INTRODUCTION
Depuis le début des années 70, ces investissements internationaux ont connu
une véritable mue dépassant la croissance des capitaux flottants. Grâce à ses
bénéfices long-termistes, les pays industrialisés et les pays émergents « BRICS5 »
accordent une grande importance à cette dynamique internationale en s’engageant
dans des politiques promotionnelles qui cherchent à rendre de l’investissement
étranger un support stratégique de croissance et de développement. La quête aux
capitaux étrangers par les différentes structures institutionnelles politico-
économiques a fait naître une nouvelle forme de concurrence qui couvre la
83
dimension territoriale où les appareils législatif et exécutif tentent, par des
mécanismes incitatifs, à séduire des Investissements Directs Etrangers (IDE) qui
peuvent contribuer à l’atteinte des objectifs stratégiques de développement.
Les flux d’IDE entrants au Maroc ont enregistré, à partir des années quatre-
vingt-dix, une évolution assez singulière à travers la reconversion de la dette
extérieure et la libéralisation de l’activité économique. Au regard des profits
générés par cette opération, les gouvernements marocains n’ont cessé d’appuyer
leurs priorités stratégiques par l’intégration de l’attractivité territoriale dans leurs
politiques sectorielles.
A cet effet, le Maroc s’est engagé, au cours de ces trois dernières décennies,
dans un vaste chantier de réformes ambitieuses accompagné par la mise en place
de plusieurs plans de développement et de stratégies sectorielles ciblant
l’intégration du Maroc dans l’économie mondiale et la dynamisation de son tissu
productif via l’amélioration du climat des affaires. Sur la base de ces choix publics,
l’économie marocaine a-t-elle les capacités et les aptitudes de figurer sur la "short
list" 1 des investisseurs globaux au sens de Michalet C.A. (1997) et d’attirer des
investissements étrangers "Greenfield" 2 durables, catalyseurs du développement?
Cette problématique soulève le questionnement suivant :
1 Anglicisme de « liste restreinte ». Selon Michalet (1997), il s’agit d’un classement où se placent les pays
les plus attractifs qui reçoivent plus d’un milliard de dollars d’investissement direct par an.
2 On entend par Brownfield Investment, l'acquisition d'une entité étrangère déjà existante ou par la
matérialisation d’un transfert de propriété des titres de la filiale acquise. Tandis que le Greenfield
Investment, il s’agit de l’implantation des filiales entièrement nouvelles à l'étranger, avec l’installation
de nouveaux moyens de production et des créations d'emplois.
84
Les politiques publiques
et la répartition sectorielle des IDE, d’identifier les déterminants et les facteurs
d’attractivité et/ou de répulsion et d’étudier la dynamique de délocalisation des
entreprises étrangères et, principalement, le choix d’implantation. Pour cela, nous
d'attractivité
utiliserons un diagnostic stratégique au niveau international, continental et
régional qui se base sur un outil d’analyse économique permettant de mieux
comprendre les raisons d’implantation des firmes multinationales, dénommé
matrice d’attractivité.
1Bellon
B. (1998), "La politique des avantages construits", paru in Bellon B. et Gouia R. (coordinateurs),
Investissements directs étrangers et développement industriel méditerranéen, Économica, Paris, pp.
195-209.
85
pour les inciter à y localiser leurs projets de préférence à un autre territoire… » 1 .
Egalement, la littérature francophone considère l’attractivité, sous un autre angle
de vue, comme un synonyme de séduction dans un espace donné des
investissements étrangers ainsi que la capacité à les retenir (stratégie offensive ou
défensive)2. Selon Michalet (1991), la notion d'attractivité est le produit de deux
approches : celle des Etats qui cherchent à valoriser leurs avantages de localisation
et celle des firmes qui cherchent à maximiser leurs compétitivités par une
localisation optimale de leurs différentes activités. A partir de cette définition, nous
pouvons déduire que l’attractivité d’un territoire est fondée sur des avantages
construits (Bellon, 1998) à travers des politiques publiques de promotion des
investissements étrangers. La conception de ces avantages de localisation repose
sur quatre points (Michalet, 1999a) : (i) Les services alloués aux investisseurs ; (ii)
La promotion ciblée de ces investisseurs ; (iii) Le système d'incitations financières ;
(iv) L'image du territoire.
86
Les politiques publiques
Tableau 1.
Triptyque des politiques publiques d’attractivité
Type Objet
d'attractivité
Il s’agit des aides à caractère financier ou fiscal via la
facilitation à l’accès aux crédits et à travers la création de
niches fiscales, souvent qualifiée par une opération de
Les politiques
dumping fiscal, qui se traduit par la diminution du taux de
incitatives
base de l’impôt sur le bénéfice des sociétés, les exonérations
temporaires d’impôts, les abattements et des exemptions et
ristournes de droits de douane.
Elles se concentrent, précisément, sur la construction de
Les politiques de l’image d’un pays via la correction des stéréotypes, des
promotion idées reçues et des préjugés. En effet, les pouvoirs publics
mobilisent des techniques médiatiques pour y parvenir.
Elles correspondent à l’offre de biens publics qui favorise le
développement de la production des firmes par la mise en
place d’écosystèmes adaptés, d’une infrastructure routière,
ferroviaire, portuaire et aéroportuaire qui répond aux
Les politiques de exigences des firmes transnationales et par l’élargissement
technopôles du réseau de télécommunications.
Il s’agit principalement des grappes industrielles (Clusters)
qui permettent de favoriser l’attraction des projets
d’origines extérieures en offrant un environnement
favorable à l’accueil d’entreprises spécialisées.
Source : Elaboré par les auteurs.
87
marocaine cherchait à apporter des avantages génériques aux firmes et des transferts
financiers directs. Ces efforts déployés se résument autour des éléments suivants1 :
Figure 2.
Modèle d’attraction marocain
1 Direction des Etudes et des Prévisions Financières, Ministère de l’Economie et des Finances, Royaume
du Maroc (2002), " Diagnostic de l'attractivité du Maroc pour les Investissements Directs Etrangers ",
Document de travail, n° 82.
88
Les politiques publiques
La réalisation de ces objectifs s’inscrivait dans l’obligation légitime de l’Etat
marocain de traduire ces éléments sous forme de politiques publiques susceptibles
d’augmenter le bien-être collectif.
d'attractivité
Des réformes législatives, à partir de 1993, considérées comme un nouveau vent
qui souffle sur l’attraction des IDE dont ses dispositions s’intéressaient
particulièrement à l’encouragement de la créativité par la protection de la propriété
intellectuelle et de la propriété industrielle1. De même, l’adoption d’une charte des
investissements, jugée moderne, a remplacé les codes sectoriels par une législation
unique et homogène et donnant lieu à des avantages fiscaux. Au niveau
institutionnel, des mesures ont été instaurées pour améliorer l’environnement des
affaires et précisément la mise en place de Centres Régionaux d’Investissement en
vue d’asseoir les fondements de la gestion déconcentrée de l’investissement en
2002.
Malgré les efforts consentis par les pouvoirs publics, durant ces deux dernières
décennies, le bilan parait mitigé. En effet, l’intégralité de la production des IDE
entrants se concentrent seulement sur des produits à bas coût et à faible contenu
89
technologique, en cherchant à minimiser leurs coûts, ce qui explique le niveau
modeste du transfert technologique. Dans ce sens, l’attractivité par l’innovation et
la recherche scientifique ne constitue pas une priorité pour les autorités publiques
marocaines, ce qui dénote l’absence d’une cohérence entre le système d’innovation
et le système productif national.
Les plans et stratégies qu'a connus le Maroc depuis son indépendance fixent
tous comme cible la dynamisation de l'économie en réalisant une croissance
soutenable, la réduction du chômage et la maîtrise des équilibres
macroéconomiques. Sur le plan chronologique, le processus de développement de
l’économie marocaine, à titre de rappel, a vu le jour à partir du plan biennal 1958-
1959 auquel ont succédé d’autres plans triennaux et quinquennaux.
Graphiquement, nous constatons que l’évolution des flux d’IDE a été sensible à
quatre cycles échelonnés différemment dans le temps.
Graphique 1.
Comportement des IDE face aux choix stratégiques du Maroc
Privatisation
Plan de Plande Plan
et conversion
relance développement émergence PNEI
de la dette
60000 4000
3500
50000
3000
40000
2500
30000 2000
1500
20000
1000
10000
500
0 0
1980
1982
1984
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010
2012
2014
2016
90
Les politiques publiques
Dans des conditions économiques assez laborieuses et rudes, le 5ème plan
quinquennal couvrant la période 1981-1985 a vu le jour dans un contexte marqué
par une croissance très forte du ratio de la dette publique (en passant de 37,24% à
d'attractivité
77,97%), un déficit de la balance des paiements courants qui s’élève 11,5 milliards
de dirhams avec une méfiance aux investisseurs étrangers. Dans ce même ordre
d’idée, le plan de relance économique et sociale a coïncidé avec les accords conclus
avec le Club de Paris à partir de 1983 qui ont débouché sur l’adoption du
Programme d’Ajustement Structurel (PAS).
Ce n’est qu’à partir des années quatre-vingt-dix que les IDE à destination du
Maroc qu’ont connus une évolution importante. Cette tendance haussière
s’explique par le démarrage en 1993 des opérations de privatisation, la conversion
de la dette extérieure en investissement1, la promulgation du décret du 8 janvier
1990 qui veille à l’application des textes de 1973 instituant la marocanisation de
quelques activités économiques et, également, la modernisation de l’arsenal
juridique régissant le commerce extérieur, la fiscalité, le secteur bancaire, les
marchés boursier et monétaire, la refonte du cadre comptable. D’autre part, la
création de plusieurs structures institutionnelles ont renforcé l’attrait de capitaux
étrangers, notamment la mise en place de la direction des investissements
1 La dite conversion financière, qui s’établissait entre 2 à 3 % de la dette extérieure, a été dédiée aux
personnes physiques et morales d’origines françaises et les MRE capables de financer de nouveaux
projets.
91
extérieurs 1 , les tribunaux administratifs et du commerce, la création de
commissions locales et nationales des investissements.
Les flux d’IDE ont enregistré un niveau élevé en 1997 avec 10,5 milliards de
dirhams et ce par la concession d’exploitation des centrales thermiques de
JorfLasfar, la privatisation de la SAMIR et la prise de participation étrangère de
l’ordre de 20 % dans le capital de la BMCE. Vers le début des années 2000, les IDE
entrant ont atteint leurs apogées avec un niveau record de 30,6 milliards de
dirhams en 2001, grâce notamment à l’ouverture du capital de Maroc Telecom 2
suite à la prise de participation du groupe français Vivendi Universal.
Ainsi, grâce aux actions publiques engagées, les IDE ont pu atteindre 39
milliards de dirhams en 2013, et pour la première fois de l’histoire, en 2014 les
exportations du secteur automobile ont dépassé celles du secteur des phosphates et
produits dérivés.
du Maroc (2002), " Diagnostic de l'attractivité du Maroc pour les Investissements Directs Etrangers ",
Document de travail, n° 82.
92
Les politiques publiques
4. Enquêtes d’attractivité
d'attractivité
question d’attractivité économique du Maroc (cf. tableau 2), montrent clairement
que les firmes multinationales privilégient dans une grande proportion la stratégie
verticale.
93
Tableau 2.
Enquêtes pilotes portant sur l’attractivité
Ministère du Commerce et
Firm Analysis and
de l’Industrie avec la 2000
Competitiveness Survey
Banque mondiale
Ministère du Commerce et
Climat de l’Investissement au
de l’Industrie avec la 2004
Maroc « ICA »
Banque mondiale
The Global Competitiveness Production
Forum économique mondial
Report annuelle
Observatoire des Production
KPMG
investissements internationaux annuelle
Production
Baromètres d’attractivité Ernest Young
annuelle
A partir de ces enquêtes, la stratégie adoptée par les investisseurs est verticale
qui est assez cohérente avec la multinationalisation exogène. Celle-ci nous enseigne
que l'investissement direct vertical se déroule à l'intérieur d'un espace économique
où les dotations factorielles sont différentes d'un pays à l'autre.
94
Les politiques publiques
a. Méthodologie et validation empirique
d'attractivité
d’étudier l’attractivité des territoires en terme de performance, d’interpréter les
différents cycles d’attractivité des IDE en fonction de ses déterminants et
d’analyser les probabilités de figurer sur la "short-list" des investisseurs, au sens de
C.A. Michalet (1999a), ou de rester au rang des «pays périphériques».
Techniquement, cette matrice est élaborée, selon F. Boualam, en se référant à
«l’indice des entrées potentielles » (ou indice de potentialité) des investissements
directs étrangers développé par la CNUCED en 1988.
Scénario 1 : Plus l’indice tend vers 1, plus le pays est considéré comme attractif ;
Scénario 2 : Plus l’indice tend vers 0, moins le pays est considéré comme attractif.
Il faut noter que l’indice se calcule d’une manière triennale, porte sur 140 pays
et couvre toute la période d’étude. Il correspond à la moyenne de scores des huit
variables pour chaque pays (F. Boualam, 2010). Selon la CNUCED, le score de
1 Les variables choisies découlent des résultats des études menées sur les déterminants explicatifs des
IDE notamment par J. H. Dunning en 1993 et par la CNUCED en 2002.
95
chaque variable se calcule en prenant la valeur d’une variable pour un pays et en
soustrayant la valeur la plus faible de cette variable de tous les 139 pays. Le
résultat est divisé ensuite par la différence entre la valeur la plus élevée et la valeur
la plus faible de cette même variable entre les 140 pays. Mathématiquement, cela
peut être formulé comme suit :
Où :
1Ibid.
2 A ce niveau, deux éventualités se posent : (i) La première est de collecter les données de l’indice
calculé à partir des rapports de la CNUCED ; (ii) La deuxième est de faire ses propres calculs.
96
Les politiques publiques
Figure 2.Ossature de la matrice d’attractivité
d'attractivité
Michalet
Y : Indice des
entrées
b. Résultats de l’analyse
Graphique 2.
Positionnement de l’attractivité du Maroc au niveau international
« Le monde : 139 pays »
2001/2002/2003
2004/2005/2006
1500
FDI Inflows
1989/1990/1991
1983/1984/1985
1986/1987/1988
0
97
Graphique 3.
Positionnement de l’attractivité du Maroc au niveau continental
« l’Afrique : 37 pays »
2013/2014/2015
Attractivité selon les
critères de Michalet
3000
Zone n°3 :
Attractivité fragile Zone n°4 : Attractivité
importante
2007/2008/2009
2010/2011/2012
2001/2002/2003
2004/2005/2006
1500
FDI Inflows
1998/1999/2000
1995/1996/1997
1992/1993/1994
1989/1990/1991
1983/1984/1985
1986/1987/1988
0
0 0.5 1
Indice des entrées potentielles des IDE
98
Les politiques publiques
Graphique 4.
Positionnement de l’attractivité du Maroc au niveau régional
« la région MENA : 18 pays »
d'attractivité
2013/2014/2015 Attractivité selon les
critères de Michalet
3000
2007/2008/2009
2010/2011/2012
2001/2002/2003
2004/2005/2006
1500
FDI Inflows
1998/1999/2000
1995/1996/1997
1992/1993/1994
1989/1990/1991
1983/1984/1985
1986/1987/1988
0
0 0.5 1
Indice des entrées potentielles des IDE
Nous constatons que malgré le niveau élevé des IDE entrants, sur la période
1983 à 2000, l’attractivité reste toujours très modeste au triple niveau international,
continental et régional (cf. graphique 2, 3 et 4). Cela paraît clairement, vu que
l’économie marocaine figure sur la zone d’attractivité « trop faible », correspondant
à la surface limitée par un indice de potentialité situé dans l’intervalle [0, 0,5] et un
montant des IDE variant de 0 à 1500 millions de $. Il s’agit d’une situation
défavorable pour le pays. Il est possible d’expliquer les IDE reçus dans cette zone
par l’existence de certaines pré-conditions d’attractivité au sens de MichaletC.A.
(1999). Entre 2000 et 2012 le Maroc figure sur la zone qui correspond à une
99
attractivité « fragile » car la surface limitée par un indice de potentialité se situe
dans l’intervalle [0 ; 0,5] et un montant d’IDE reçus variant entre 1500 et 3000
millions de $. Selon C. A. Michalet (1999a), les pays se situant dans cette zone dans
le troisième cercle sont les « pays potentiels ».
CONCLUSION
Le croisement des analyses portant sur les politiques d’attractivité et les plans
de développement marocains montrent de réels progrès économiques au niveau
sectoriel. Cependant, les efforts mobilisés pour drainer ces capitaux étrangers à
l’économie locale ne répondent pas suffisamment aux exigences de la politique
sociale et contribuent au creusement des inégalités régionales suite à l’effet
d’agglomération.
En effet, l'attractivité marocaine des IDE est jugée, par référence à la matrice
d'attractivité, faible voire même fragile. Cela est dû, en partie, à l’essoufflement du
100
Les politiques publiques
modèle d’attractivité marocain qui nécessite une refonte de ses composantes
stratégiques afin de séduire des investisseurs internationaux capables d’assurer la
transformation structurelle et de contribuer à l’émergence économique.
d'attractivité
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104
Modèle et innovation
Sclérose du modèle de recherche scientifique
et d’innovation au Maroc :
une des manifestations de la défaillance
du modèle de développement1
Lahcen EL AMELI2
Introduction
1 Cet article reprend, avec modifications et enrichissements, ce que nous avons développé comme idées
dans le chapitre relatif à « l’investissement intellectuel » dans notre dernier ouvrage : « L’économie de
l’investissement : aspects théoriques et analyses empiriques, le cas du Maroc, 2018.
2 Economiste.
3 Selon le manuel d’Oslo (OCDE), ‘’Principes directeurs pour le recueil et l’interprétation des données
sur l’innovation’’, 3ième édition, 2006, la recherche - développement (R&D) « englobent les travaux de
création entrepris de façon systématique en vue d’accroître la somme de connaissances, y compris la
connaissance de l’homme, de la culture et de la société, ainsi que l’utilisation de cette somme de
connaissances pour concevoir de nouvelles applications. La R&D est un processus qui repose sur la
combinaison des moyens en personnel et en matériel pour aboutir à des innovations dont en
particulier la mise en œuvre de nouveaux procédés et la création de nouveaux produits. Le terme
R&D recouvre trois activités : la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le développement
expérimental. La recherche fondamentale consiste en des travaux expérimentaux ou théoriques
entrepris en vue d’acquérir de nouvelles connaissances sur les fondements des phénomènes et des
faits observables, sans envisager une application ou une utilisation particulière. La recherche appliquée
consiste également en des travaux originaux entrepris en vue d’acquérir des connaissances nouvelles.
Cependant, elle est surtout dirigée vers un but ou un objectif pratique déterminé. Le développement
expérimental consiste en des travaux systématiques fondés sur des connaissances existantes obtenues
par la recherche et/ou l’expérience pratique, en vue de lancer la fabrication de nouveaux matériaux,
produits ou dispositifs, d’établir de nouveaux procédés, systèmes et services ou d’améliorer
considérablement ceux qui existent déjà. Le développement expérimental est effectué au moyen de
prototypes ou d’installations pilotes. L’innovation prend plusieurs formes : l’innovation de produit,
l’innovation de procédé, l’innovation d’organisation, l’innovation de commercialisation.
105
matérielles et institutionnelles nécessaires à la mise en place d’écosystèmes de
l’innovation et de développement de la recherche.
106
Modèle et innovation
I- Des performances en matière de recherche et d’innovation
Deux points vont être traités dans le cadre de cette section : 1- l’importance des
inputs et des outputs de la recherche et de l’innovation ; 2- le classement du Maroc
à travers the Global innovation Index (GII).
107
documents de référence, abonnements à des bibliothèques, la participation à des
sociétés scientifiques…)]. Les dépenses en capital sont « les dépenses annuelles
brutes afférentes aux biens de capital fixe utilisés dans les programmes de R-D des
unités statistiques. Elles devraient être déclarées intégralement pour la période
dans laquelle elles ont eu lieu et ne devraient pas être comptabilisées comme un
élément d’amortissement »1. Les dépenses en capital comprennent les terrains et
constructions, les instruments et équipements et les logiciels.
108
Modèle et innovation
Selon certaines sources, en 2011, la part du PIB consacrée à la recherche et
développement au Maroc s’élève à peu près à 0,8%1, en amélioration donc par
rapport à la performance de 2010 (0,73%) mentionnée au tableau précédent. Dans
son intervention à la huitième édition du colloque X-Maroc sur la recherche et
développement organisé à Casablanca en Janvier 2019 par le Groupe X-Maroc2, le
Ministre de l’Education Nationale, de la Formation Professionnelle, de
l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (Saïd Amzazi) nous
apprend que les dépenses en recherche et développement représentent 0,8% du
PIB en 2017, en progression (toujours selon Amzazi) par rapport à 2016 (0,34%)3.
Mais il faut relever que cette « performance » (0,8%) est loin de l’objectif de 1% du
PIB inscrit dans la Charte pour l’éducation et la formation élaborée par la
Commission Spéciale Education Formation (COSEF) à l’horizon 2010 ; elle est
encore très loin de l’objectif fixé dans le cadre de la stratégie nationale de la
recherche scientifique à l’horizon 20254, à savoir une part du PIB de l’ordre de 3%.
La faiblesse de la dépense en recherche et développement au Maroc serait encore
plus accentuée si l’on savait que les données présentées la concernant portent sur
les ressources allouées et non sur des ressources effectivement dépensées.
Autrement dit, il s’agit des prévisions et non de réalisations. A cela s’ajoute, faut-il
le préciser, le fait que son périmètre n’est pas clairement défini.
3 Nous devons mentionner ici que nous ignorons les sources (enquêtes, études, etc…) de ces données
relatives à la dépense en recherche et développement au Maroc qui sont avancées par le Ministre.
4 Mise en place en 2006 par le Ministère de l’Education Nationale de l’Enseignement Supérieur de la
Formation des cadres et de la Recherche Scientifique, cette stratégie vise à créer un cadre favorable à
la recherche scientifique et à l’innovation. L’intérêt de cette stratégie est d’assurer les fonds, le
potentiel humain et les infrastructures qui sont nécessaires à la recherche scientifique. Aussi, elle
prévoit un dispositif de valorisation pour rapprocher les universités et les centres de recherches à
l’entreprise et au monde socioéconomique.
109
Selon des données de la Banque Mondiale relatives à la dépense en recherche et
développement dans le monde 1, le niveau avancé de la dépense pour le Maroc
(0,79% du PIB) est en deçà de celui de l’Afrique du Nord (0,942) et bien inférieur à
celui concernant la zone des pays à revenu faible et intermédiaire (1,48).
1 Banque Mondiale, Institut des Statistiques de l’Unesco, Dépenses en recherche et développement (en
% du PIB) 1996-2017.
2 Source : CGEM, L’innovation et la PME au Maroc, Mars 2012, étude déjà citée.
110
Modèle et innovation
Pour les auteurs de l’étude de la CGEM précitée, la faiblesse des
investissements des entreprises en recherche et développement tient aux facteurs
suivants :
De notre point de vue, un autre facteur doit être ajouté : le privé au Maroc, et
particulièrement le grand capital, qui dispose de moyens pour engager des
activités de recherche et développement, a une culture de la recherche du profit
rapide et de la préférence à s’engager dans des projets à taux de rotation de capital
élevé ou encore à retour de capital rapide. Or l’activité de recherche et
développement n’est rentable qu’à moyen et surtout à long terme. Il semble que la
« race » d’entrepreneurs schumpetériens n’a pas encore pris place dans le champ
entrepreneurial national.
111
qui exigent du temps et des moyens importants ne sont menés que pratiquement
dans le secteur public, particulièrement dans les universités.
112
Modèle et innovation
34 101. Pour 2010, leurs parts respectives dans l’effectif total du personnel de la
recherche sont de 8,44% et 91,56%.
113
I-1-2- 1 Les brevets
Ainsi, sur la période considérée, 1098 brevets par an en moyenne sont déposés
auprès de l’OMPIC et 265 brevets en moyenne seulement sont d’origine marocaine.
En 2016, sur 1240 brevets déposés, moins d’un cinquième seulement (19%
correspondant à 237 brevets) sont d’origine marocaine, contre 81% pour les brevets
d’origine étrangère.
Selon les données de l’OMPIC (2016), la part des universités est prépondérante
et augmente de façon continue au cours de la période considérée ; en 2016, elles ont
114
Modèle et innovation
représenté plus de 55% du nombre total de demandes de brevets. Quant aux
entreprises, elles n’interviennent que pour 8% de ce total.
1 Selon le manuel de Frascati 2015, cinq critères permettent d’établir ce qui constitue et ne constitue pas
une activité de R&D : l’activité doit comporter un élément de nouveauté (l’activité de R&D doit avoir
pour objectif d’«acquérir de nouvelles connaissances, explorer des champs de connaissance
entièrement nouveaux »), de
Créativité (« reposer sur des notions et hypothèses originales et non évidentes ; appliquer des concepts
nouveaux ou des idées nouvelles de nature à améliorer l’état des connaissances »).
2 Source, Institut Marocain de l’Information Scientifique et Technique (IMIST) qui relève du Centre
115
Tab 3 Position du Maroc en matière de production scientifique
par rapport à certains pays islamiques
Taux de croissance
Pays 2005 2010 2014 Classement 2014/2005
2014
Arabie 2094 5769 15892 4 659%
Saoudite
Indonésie 933 2305 5764 6 518%
Iran 7744 28619 40401 1 422%
Malaisie 3000 14038 25729 3 758%
Maroc 1257 2255 4122 7 228%
Pakistan 2437 7042 10605 5 335%
Turquie 18290 29893 35339 2 93%
La part du Maroc dans les publications mondiales est de 0,32% en 2014 2. A titre
de comparaison, les parts de l’Afrique du Sud, de l’Arabie Saoudite et de la
Turquie, pour 2013 (année pour laquelle nous disposons d’informations), s’élèvent
respectivement à 0,7%, 0,9% et 1,9%.
Dans le cas particulier des sciences humaines et sociales, 47,5% des chercheurs
n’ont produit qu’un article en 17 ans et près de la moitié n’a jamais publié 3.
1 Source : Baromètre de la production scientifique au Maroc, citée par Ahlam Nazih dans un article
publié au journal « L’économiste » du 12 décembre 2017 et intitulé : Recherche scientifique : le difficile
chantier de l’évaluation.
2 La production du Maroc ayant été déjà mentionnée (4122 en 2014), la production mondiale (1 270 425)
est puisée dans ‘’le rapport de l’Unesco sur la science, vers 2030’’, publié sur Internet :
https://fr.unesco.org.
3 Selon Ahlam Nazih dans un article publié à l’économiste du 12 décembre 2017 consacré aux sciences
humaines et Sociales.
116
Modèle et innovation
I-2 Le classement du Maroc à travers the Global innovation Index
Dans l’Indice Mondial de l’Innovation ou GII pour 2017, le Maroc est classé
72ième (sur 127 pays) sur la base d’un score de 32,72. Au niveau du groupe de pays
constituant le monde arabe, il vient en sixième position après les Emirats Arabes
Unis (rang mondial 35), le Qatar (49), l’Arabie Saoudite (55), le Koweït (56) et
1 Créé par l’université américaine Cornell, l’INSEAD (Institut Européen d’Administration des Affaires)
et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI, une institution spécialisée des
Nations Unies). Il est publié chaque année conjointement par ces trois organismes.
2 Ce sous-indicateur est appelé ‘’Innovation input sub-index’’.
117
Bahreïn (66). Mais il devance la Tunisie (74), l’Egypte (105) et l’Algérie (108). Au
sein de l’Afrique, le Maroc occupe la 4ième position après l’Afrique du Sud (57ième au
niveau mondial), l’lle Maurice (64), Brunei (71). Au niveau de la zone de l’Afrique
du Nord et de l’Ouest Asiatique (NAWA), il se trouve au rang 11 ; les cinq
premières places au niveau de cette dernière zone sont occupées par Israël (rang 1),
Chypre (2), Les Emirats Arabes Unis (3), la Turquie (4), le Qatar (5).
1 Rappelons que le ratio d’efficience en matière d’innovation est égal au rapport entre la valeur du sous
indice relatif aux inputs de l’innovation et celle du sous indice concernant les outputs de l’innovation.
118
Modèle et innovation
Le Maroc se trouve à la 7ième place au niveau du Global Innovation Index ; il est
au 6ième rang pour ce qui est de l’Innovation Input Sub-Index et à la 8ième position
au classement sur la base de l’Innovation l’Output Sub-Index. Il ne figure pas dans
la liste des pays sur la base du critère Innovation Efficiency Ratio.
119
étude publiée par l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques en novembre
20121.
120
Modèle et innovation
tutelle (MENFPESR) et par des entités extérieurs (ex OCP). S’agissant de la
coordination des activités du SNRI, les auteurs n’ont pas manqué de souligner
que : « Le SNRI marocain dispose d’un certain nombre d’institutions, de moyens et
d’atouts. Toutefois, malgré des efforts tangibles consentis au cours des 15 dernières
années pour le restructurer, le coordonner et le mobiliser, ce dernier reste
pléthorique, éclaté, peu coordonné et sa production scientifique a connu un
fléchissement au cours des premières années de la dernière décennie». Ils n’ont pas
hésité à caractériser le SNRI marocain comme étant un « simple assemblage
d’institutions » et relèvent que le constat n’est pas nouveau puisqu’ils citent un
autre auteur (Roland Waast) qui dans sa « synthèse « de l’évaluation 2000-2003,
constate que « la recherche ne se voit ici reconnaître que des fonctions auxiliaires
(amélioration de l’enseignement, soutien de l’Etat dans des fonctions régaliennes,
….), excluant de ce fait un « système » : ensemble asservi à une fonction propre,
dont les organes interagissent , s’auto-corrigent et remplacent ceux d’entre eux qui
dysfonctionnent. Le comble est que, selon les auteurs, ce diagnostic est partagé par
nombre d’observateurs et d’acteurs, y compris au plus haut niveau du
gouvernement marocain.
Le manque de moyens est avancé par tous les responsables que nous avons
interviewés. Dans le cas de certains organismes publics censés faire de la recherche
(ex : IAV Hassan II), il n’existe pas tout simplement de budget dédié à la recherche.
Le peu de recherche qui s’y effectue est le fait de quelques enseignants-chercheurs
qui, par des initiatives personnelles, parviennent à obtenir quelques financements
de la part d’organismes ou d’administrations de l’Etat (offices de mise en valeur
agricole, Ministère de l’environnement, de l’énergie…) dans le cadre de projets
déterminés. Au niveau des facultés, il n’y a pas dans les budgets qui leur sont
121
alloués de rubrique consacrée à la recherche. S’agissant d’organismes publics de
recherche, les budgets affectés à cette dernière sont faibles (cas de l’INRA).
122
Modèle et innovation
d’une politique de formation des futurs enseignants-chercheurs qui doit répondre
aux besoins immédiats et futurs du pays.
L’Etat, à travers le Ministère des Finances, contribue dans une large mesure au
blocage du développement de la recherche et de l’innovation. Le recrutement des
enseignants-chercheurs se fait depuis des décennies au compte-gouttes alors que le
nombre des étudiants de l’enseignement supérieur augmente régulièrement dans
des proportions importantes; avec le départ en retraite des anciens, il en résulte un
grand et grave déficit en la matière. Cela se répercute également sur la formation
des étudiants et l’encadrement des doctorants. Ce même ministère excelle aussi
dans le freinage voire le blocage de l’utilisation des fonds obtenus par les
universités ou les autres établissements d’enseignement supérieur dans le cadre de
conventions établies entre ces organismes et les bailleurs de fonds internationaux
et la coopération internationale. L’agent public contrôleur de l’engagement des
dépenses oppose son véto à l’utilisation des fonds obtenus, précisons-le encore une
fois, à la suite des initiatives propres de ces organismes et sans aucun appui
quelconque de l’Etat, pour différents motifs souvent non compréhensibles. Pour le
Ministre de l’ENFPESR (Saïd Amzazi), « même si le budget alloué à la recherche
scientifique et technique au Maroc reste de l’ordre de 0,8% du PIB, ce sont avant
tout les procédures d’engagement de ce financement qui posent vraiment
problème….Des sommes considérables restent non utilisées par les universités tant
les procédures sont complexes, lentes et totalement inadaptées aux particularités et
aux spécificités de la recherche qui exige, souplesse et réactivité ». Il tire cette
conclusion : « cette situation entraîne des répercussions lourdes de conséquences
sur la production scientifique au Maroc »1.
Ce qui est inquiétant, c’est que les ministres des finances se succèdent mais cette
rigidité est toujours vivante, au nom de on ne sait quelle logique. Et on est en droit
de s’interroger : pourquoi les procédures d’utilisation des financements continuent
d’être complexes alors qu’en même temps l’Etat reconnaît la nécessité de la
1 Propos du Ministre lors de la 8ième édition du colloque X-Maroc du 15 Janvier 2019, déjà cité.
123
promotion et du développement de la recherche et de l’innovation comme moteur
de la croissance ?
Un autre aspect du blocage opéré par le ministère des finances réside dans le
fait que beaucoup de doctorants sont privés de bourses pour pouvoir financer leurs
recherches. Bien mieux, il refuse de financer partiellement les bourses aux
doctorants parce qu’il considère que ces derniers vont travailler avec le privé une
fois le travail soutenu.
124
Modèle et innovation
d’innovation mises en place, du nombre d’entreprises accompagnées, de brevets
produits…. L’une des raisons fondamentales se trouvant à l’origine de cette
situation et qui a été avancée par plusieurs responsables que nous avons
interviewés, réside dans la forme juridique de la cité d’innovation. Alors que les
universités ont proposé la forme de fondation qui va leur permettre une certaine
souplesse en matière de gestion, le Ministère des Finances est sur une autre
approche : la cité d’innovation étant rattachée à l’université (secteur public), elle
doit être gérée sur la base de la comptabilité publique. Tout le monde connaît les
implications de cette vision en termes de complexité des procédures, de retards et
de blocages.
L’échec patent de notre système d’éducation nationale qui est mis en évidence
par différents rapports d’évaluation (dont ceux du Ministère de l’Education
125
nationale même) ne peut pas être sans impact sur la situation et le devenir de la
recherche et de l’innovation au Maroc. L’un des aspects saillants de cet échec est la
baisse inquiétante du niveau intellectuel de nos bacheliers. A l’université, à cette
faiblesse de départ vient s’ajouter le manque d’encadrement approprié à cause des
sureffectifs, du manque d’infrastructures suffisantes et équipées et du nombre
insuffisant d’enseignants. Pour ces raisons et tant d’autres, l’étudiant arrive au
doctorat avec un quantum de connaissances et une capacité d’expression qui, pour
la grande partie des étudiants, ne permettent pas de mener dans de bonnes
conditions un travail de recherche.
La fuite des cerveaux que connaît le Maroc pèse de tout son poids sur le
développement du capital humain et se trouve à l’origine d’une grande perte en
matière d’investissement intellectuel. Selon différentes sources, le Maroc figure
parmi les pays les plus touchés par le » brain drain ». En 2011, le ministre chargé
des marocains résidents à l’étranger et des affaires de la migration avait déclaré
que « la fuite des cerveaux marocains à l’étranger concernait 18,5% du total des
diplômés nationaux »1, ce qui place le Maroc à la troisième place mondiale et au
premier rang au niveau du monde arabe. Dans un article publié au journal
‘’Libération’’, R.Baji rapporte les propos du Secrétaire Général de l’Union des
Universités Arabes 2 selon lesquels le Maroc perd chaque année 32% de ses
ingénieurs et 15% de ses scientifiques3. Dans une étude intitulée : ‘’Les dynamiques
d’inclusion/exclusion de la jeunesse en zone Méditerranée’’, l’Agence Française de
Développement montre l’importance du « brain drain » dans le cas du Maroc et
indique que 17% des diplômés de l’enseignement supérieur quittent le pays4. Dans
un autre article publié au journal ‘’Libération’’ relatif à la fuite des cerveaux, il est
précisé que les ressortissants marocains arrivent en tête du peloton des migrants
126
Modèle et innovation
diplômés du supérieur au niveau du Maghreb avec 397 000, soit un taux de 46%
devant l’Algérie (37%) et la Tunisie (12%)1. Dans un papier produit conjointement
par les Nations Unies et l’OCDE sur les migrations internationales en 2013, on
apprend que le taux d’émigration des individus de formation supérieure a été de
14,6% dans le cas du Maroc contre 10,8% pour toute l’Afrique, 9,2% pour l’Algérie,
8,9% pour la Tunisie, 3,2% pour l’Egypte, 3,7% pour la Turquie et 11,6% pour
l’Afrique du Sud 2 . Pour les auteurs de l’étude déjà citée sur « la recherche
scientifique au Maroc et son internationalisation, « 20% des personnes hautement
qualifiées de plus de 25 ans sont expatriés ».
Le phénomène est donc d’une grande ampleur et ne fait que s’aggraver. Une
bonne proportion des cerveaux qui quittent le pays est constitué de médecins,
d’ingénieurs, de chercheurs et spécialistes dans les domaines scientifiques et
techniques, c'est-à-dire, des profils dont le pays a le plus besoin pour son progrès
économique, social, scientifique et technologique. Plusieurs causes sont à l’origine
du phénomène. Outre la difficulté de trouver un emploi adéquat assurant une
rémunération décente et raisonnable correspondant au niveau de formation et de
qualification des concernés, on doit citer également l’absence d’opportunités
d’accomplissement professionnel, l’absence de règles claires et s’appliquant sans
distinction en matière d’avancement dans la carrière et de promotion, la profusion
1 Hassan Bentaleb, La fuite des cerveaux marocains s’amplifie, Libération du 20 avril 2015. L’auteur se
réfère à une étude réalisée par le Centre de Recherche en Economie Appliquée pour le
Développement (CREAD) entre décembre 2014 et février 2015 et portant sur la fuite des cerveaux et le
développement dans l’espace de l’Union du Maghreb Arabe (UMA).
2 Nations Unies et OCDE, Les migrations internationales en chiffres, contribution conjointe au dialogue
de haut niveau des Nations Unies sur les migrations et le développement, 3-4 octobre 2013,
contribution publiée sur Internet.
127
de pratiques relevant d’Al Fassad (népotisme, clientélisme, corruption…) dans
l’attribution des postes. Selon une étude réalisée par Rekrute.com 1, «les conditions
du travail dans les institutions publiques et privées, où priment clientélisme et
corruption, sont les principales causes de la fuite des cerveaux au Maroc». Plus
particulièrement, le recours tous azimuts de l’Etat à des multinationales du conseil
en ce qui concerne des activités stratégiques à forte valeur ajoutée réduit les
possibilités de recruter et de retenir dans le secteur public des cadres hautement
qualifiés (conception, suivi, gestion et évaluation des grands projets nationaux,
régionaux ou locaux).
128
Modèle et innovation
technique et à la croissance 1 et se traduit par une réduction drastique des
opportunités de développement pour le pays.
1 La présence de compétences de haut niveau dans le système productif permet des externalités
positives sur le reste de la société puisque ces compétences (en particulier les scientifiques et les
ingénieurs) contribuent à l’innovation, au progrès technique et permettent l’amélioration de la
productivité.
129
11- Faible impact de L’expérience de mobilisation des compétences
scientifiques et techniques marocaines à l’étranger au service de la science et de
la recherche et du développement du Maroc :
Depuis plusieurs années, Différents dispositifs et institutions ont été créés afin
de mobiliser les compétences marocaines de l’étranger pour un renforcement des
capacités scientifiques et techniques du Maroc et servir le développement du SNRI.
Parmi ces dispositifs figure le Programme FINCOME (Forum International
Compétences Marocaines à l’Etranger), le Ministère Chargé des Marocains
Résidant à l’Etranger et les réseaux de diplômés à l’étranger. Les conclusions de
l’étude déjà citée relative à ‘’la recherche scientifique au Maroc et son
internationalisation’’ montrent que l’expérience n’a pas abouti à des résultats
tangibles. Nous proposons ci-après pour le lecteur une synthèse de ces conclusions.
1 Le programme TOKTEN était conçu comme un outil de développement en s’appuyant sur le principe
que l’expertise nécessaire dans de nombreux projets agricoles, scientifiques, techniques ou autres,
serait plus efficace si elle était fournie par des nationaux expatriés que par des étrangers de même
qualification..
130
Modèle et innovation
s’est pas faite à partir d’une stratégie nationale et d’un besoin identifié au Maroc
mais au gré des circonstances et des invitations spontanées entre universitaires
(amis, collègues rencontrés lors de conférences, etc…) ainsi que le manque de
flexibilité de la procédure administrative
Careers in Morocco : société privée créée en 2007, elle constitue une plateforme
pour le recrutement des talents marocains à l’étranger ; elle joue le rôle de
facilitateur et d’interface entre les entreprises marocaines et les membres de la
diaspora souhaitant retourner au Maroc. Pour Careers in Mrocco, « les dirigeants
des associations des compétences marocaines à l’étranger ont exprimé le regret que
des porteurs de projets très innovants et selon eux très pertinents pour l’économie
et le développement du Maroc et souhaitant rentrer dans leur pays ne suscitent pas
l’intérêt des pouvoirs publics marocains ni ne trouvent de partenariat d’entreprises
ou de financements ».
« Ce sont les institutions publiques qui doivent faire face à la massification des
étudiants aujourd’hui, or on ne leur octroie pas de moyens réels pour améliorer la
qualité de l’enseignement et on ne cherche pas du tout à favoriser la recherche ».
«Aussi longtemps que le statut d’enseignant chercheur restera ce qu’il est, rien ne
131
pourra s’améliorer au niveau des institutions publiques ». « Un enseignement
privé de qualité ne peut fonctionner que si l’enseignement public est aussi de
qualité ».
132
Modèle et innovation
4. La diaspora S&T n’est jamais bienvenue dans son pays d’origine lorsqu’elle
veut y revenir car elle est perçue comme menaçante et porteuse de changements
non maîtrisables. Les politiques d’appel à la diaspora, tout en tenant compte de ces
rejets, ne peuvent les considérer comme incontournables.
En guise de conclusion
2- Il est paradoxal de voir que le Maroc qui paie très fort les conséquences de sa
dépendance technologique et qui accuse un grand retard en matière de
développement, et dont les responsables gouvernementaux reconnaissent la
sclérose dans laquelle se débat le SNRI, continue à ne pas accorder à la notion de
temps (de développement) l’intérêt qui se doit. Il semble qu’on ne se gêne pas pour
différer dans le temps- et indéfiniment, paraît-il- la mise en place d’un système de
133
recherche et développement efficace et dynamique. On ne déploie pas d’efforts
nécessaires pour opérer un saut qualitatif en matière de construction de ce système
d’innovation et atteindre le stade de « spirale vertueuse » impliquant un bon
développement des capacités scientifiques et techniques et une production
soutenue des connaissances scientifiques.
5-Dans le cadre de son rôle, l’Etat doit faciliter l’ancrage industriel des travaux
théoriques réalisés par les chercheurs, naturellement sur la base d’une sélection et
d’un système de hiérarchisation des priorités. Cela va certainement servir le
développement de la recherche et de l’innovation.
134
Modèle et innovation
augmenter les recettes de l’Etat [amélioration de la rentabilité des entreprises
publiques, amélioration des recettes fiscales (recouvrement, élargissement de
l’assiette fiscale….), une gestion saine et efficace du domaine privé de l’Etat et des
terres collectives] et des actions de rationalisation des dépenses publiques (lutte
contre les gaspillages dans l’administration publique, l’octroi de primes et
avantages faramineux souvent sans aucun lien avec la productivité, cumul des
activités, etc…).
- la logique veut que parallèlement –si ce n’est pas avant- à la recherche de cette
mobilisation des compétences expatriées, il faut créer les conditions favorables
pour mobiliser les compétences se trouvant à l’intérieur du Maroc. Il ne faut perdre
de vue aussi le fait que pour attirer une diaspora hautement qualifiée, il faut
d’abord savoir garder celle qui est revenue et savoir la garder à son plus haut
niveau de compétences.
135
8- Il ne faut jamais perdre de vue le fait que les contre-performances
enregistrées dans le domaine de l’enseignement supérieur (plutôt de
l’enseignement tout court) ne peuvent pas ne pas avoir d’impact négatif sur la
recherche et l’innovation. Une réforme radicale et intelligente du système national
d’enseignement, au service du développement économique, social et culturel, doit
être entreprise et mise en œuvre le plus tôt possible,
136
Modèle et industrie
Les politiques européennes dans le secteur
industriel au Maroc: une évaluation par le bas
Introduction
1. Méthodologie
1Cette étude est issue du programme Européen MEDRESET (www.medreset.org) et a donc bénéficié
des fonds Marie-Curie dans le cadre des programmes H2020. Jean-Yves Moisseron est Directeur de
Recherche à l’IRD, Cessma, Université Paris-Diderot, Khaled Guesmi est Professeur à l’IPAG Business
school, Marie Jean-Gérin est chercheur associé au Cessma, Université Paris-Diderot.
137
particulier, cette recherche cherche à comprendre si les politiques de l’UE dans le
secteur industriel marocain garantissent le bien-être des personnes et répondent
aux besoins économiques locaux (par exemple, emploi, diversification industrielle
et impact des multinationales sur les entreprises locales).
Cette étude repose sur plusieurs sources. Premièrement, cela comprend les
documents disponibles concernant le secteur industriel au Maroc, tels que des
articles académiques, la littérature grise et d’autres documents divers. Une analyse
documentaire a donc été réalisée, notamment dans le but de souligner les
préoccupations les plus critiques ou les plus spécifiques. Une deuxième source
importante est le corpus d’entretiens menés avec les acteurs que nous avons
identifiés. Nous avons accordé une attention particulière à la constitution d'un
échantillon hétérogène, comprenant aussi des acteurs exclus par les interventions
de l'UE dans le cadre du dialogue euro-méditerranéen.
138
perdu sa position dominante au profit des services. La part de l'emploi dans le
Modèle et industrie
secteur de l'industrie est restée plutôt stable dans le temps et représente près de la
moitié de l'emploi fourni par le secteur agricole. L’industrie textile représente 40%
de l’ensemble des emplois industriels, ce qui correspond à environ 200 000
emplois, mais ne fournit que 9% de sa valeur ajoutée. Cela indique que le secteur
est stratégique en termes de capacité d'absorption de main-d'œuvre et de limitation
du chômage, mais que sa part du revenu national est relativement modeste (voir
ci-dessous).
36
34
32
30
28
26
24
22
20
70000
Industrie d'extraction
60000
30000
industrie chimique
20000
ind.mécanique,
10000 metallurgique
0 Autres
140
en puissance des secteurs de l’aéronautique (Bombardier) et de l’automobile. Le
Modèle et industrie
Maroc a signé des accords avec Boeing en 2016 et espère produire 40 000 avions
dans les 20 prochaines années. L'arrivée de Renault en 2012 a également entraîné
une forte augmentation du poids du secteur automobile. Le nombre de sous-
traitants et de fabricants est passé de 35 à 150 en 2015. L'usine de Tanger a produit
plus de 200 000 véhicules par an en 2014 et plus de 800 000 en 2017 1; elle emploie
90 000 personnes et représente 4% du PIB. Ce secteur est donc en plein essor et
Peugeot s'installera également au Maroc en 2019. Le secteur automobile a même
dépassé le secteur textile en termes d'exportations.
90000
80000 Industrie d'extraction
70000
Industrie alimentaire
60000
50000 ind. Textile et cuir
40000
industrie chimique
30000
20000 ind.mécanique,
10000 metallurgique
0 Autres
1 «Production automobile: Renault atteint le million de véhicules à Tanger», dans Infomalie, le 6 juin,
https://www.infomediaire.net/?p=3021.
141
représentait 20,1% de l'emploi informel en 2014 (HCP 2018b: 49) et a généré une
valeur ajoutée équivalent au secteur des services et la moitié du secteur
commercial dans l’économie informelle (HCP 2018b: 60). Le secteur informel dans
son ensemble représentait 12,2% du PIB en 2013 contre 10,9% en 2007 (HCP 2018b:
30).
142
significative de la proportion de femmes de 33,8% en 2005 à 24,9% en 2016 (tableau 2).
Modèle et industrie
Ainsi, les différences entre les genres sont plus marquées dans le secteur industriel,
notamment en termes de rémunération des hommes et des femmes (Moisseron et
al. 2017a).
Tableau 2 | Part de l’emploi des femmes par secteur économique (%): niveau
national (2005, 2016)
143
interconnectés et dépendent tous de l'importation de matériaux transformés. Ce
problème n'est pas nouveau (Jaidi 1992).
Une autre faiblesse du secteur industriel réside dans ses caractéristiques duales
en termes de taille et de types d'entreprises. D'une part, les très grandes entreprises
fournissent la majorité de la production et de la valeur ajoutée. D'autre part, un
nombre important de petites et moyennes entreprises (PME) et d'entreprises
informelles emploient la majorité de la main-d'œuvre, mais manquent de la taille
nécessaire pour se moderniser, s'équiper et exporter. En effet, «le secteur industriel
est constitué dans sa majorité à plus de 95% de petites et moyennes entreprises qui
ne produisent que 10 à 20% de la production industrielle et dont 5 à 10% seulement
exercent des activités d'exportation» (Marzak 2014: 35).
144
automobile a créé des distorsions sur le marché du travail ainsi qu'une absence
Modèle et industrie
criante de main-d'œuvre qualifiée ou d'entreprises de taille moyenne.
145
Dans les années 1980, le Maroc a commencé à modifier son objectif. Compte
tenu de ses dettes croissantes, de la saturation du marché local, des difficultés
d'exportation des biens et de sa dépendance croissante à l'égard des financements
internationaux, le Maroc a abandonné sa politique de substitution aux
importations. La nouvelle stratégie visait plutôt à promouvoir le développement
par le biais des exportations, ce qui nécessitait la libéralisation du marché et
amélioration de la compétitivité au niveau international. Ainsi, le contexte
industriel a radicalement changé au cours des années 1980, en particulier après la
mise en œuvre d'un Programme d'Ajustement Structurel (PAS) en 1983. Les
politiques industrielles ont été orientées vers la stabilisation macro-économique et
des mesures visant à attirer les industries internationales, notamment par le biais
des taux de change (Abouch 1992, Alouani 2008). La nouvelle stratégie visait donc
à établir un modèle de croissance industrielle basé sur les exportations, à l'instar de
celui des quatre dragons asiatiques (Marzak 2014: 16).
Le problème associé à une telle stratégie est qu’elle reposait sur l’hypothèse
selon laquelle un tissu industriel ou une chaîne concurrentielle assez fort serait
capable de résister à la concurrence internationale sur le marché intérieur et de
faire concurrence aux entreprises internationales sur les marchés étrangers. Les
146
possibilités d'exportation promues par le commerce intra-industrie supposaient
Modèle et industrie
l'existence de niveaux technologiques et d'un écosystème global favorisant
l'innovation, mais ce n'est pas encore le cas au Maroc.
Le PNEI visait à créer 220 000 emplois (ministère de l'Industrie, 2009: 58).
L’emploi était au centre du plan d’émergence industrielle:
147
Ce programme très ambitieux a été présenté comme une série de mesures
intégrées complétées par des mécanismes de financement et de suivi.
Les principes étaient fondés sur trois lignes directrices principales: (i) s'appuyer
sur des secteurs industriels pour lesquels le Maroc dispose déjà d'avantages
concurrentiels pour relancer le secteur; (ii) s’occuper de tout le tissu industriel sans
exception, au moyen de quatre «projets transversaux: renforcer la compétitivité des
PME, améliorer le climat des affaires, former, développer des parcs industriels de
nouvelle génération appelés» plates-formes industrielles intégrées »; (iii) mettre en
place une organisation institutionnelle qui faciliterait la mise au point de
programmes efficaces et efficients (Ministère de l'industrie, 2009: 14).
Les objectifs ont été fixés pour le programme pour l’année 2015: création de 220
000 emplois, augmentation du PIB industriel de 50 milliards de dirhams,
augmentation des exportations de 95 milliards de dirhams et augmentation de 50
milliards de dirhams en investissements. Afin de mettre en œuvre ce plan, l'État a
fourni un financement de 12,4 milliards de dirhams (environ 1,1 milliard d'euros).
Le système bancaire (BMCE Bank, Attijariwafa Bank et Banque Populaire) s'est
également engagé à fournir 400 millions d'euros.
Les cinq principaux secteurs industriels dans lesquels ce plan a été déployé
étaient la délocalisation, les automobiles, l’aéronautique, l’électronique, les textiles,
le cuivre et l’alimentation. L'État a fourni un soutien à chacun de ces secteurs en
termes d'investissement, de formation et de promotion. L'un des aspects les plus
intéressants concernait la création de plates-formes industrielles intégrées pour
chacun de ces secteurs et dans différentes régions. Ces plates-formes étaient
censées fournir aux investisseurs des installations logistiques intégrées.
148
en 2014, au lieu des 50 milliards attendus en 2015; des emplois ont été créés pour
Modèle et industrie
78 000 personnes au lieu des 220 000 attendus; et les exportations se sont élevées à
24,3 milliards au lieu des 95 milliards attendus (Marzak 2014: 39). Lors de l'examen
des détails relatifs aux différents secteurs, nous avons également constaté que les
objectifs n'avaient pas été atteints, même si des progrès importants avaient été
réalisés dans les secteurs de l'automobile et de la délocalisation. Les exportations
dans les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique ont augmenté de 84% et 82%
respectivement de 2004 à 2011 (Marzak2014: 38). Le succès indéniable de la
stratégie industrielle dans le secteur automobile ne doit pas être négligé malgré le
fait qu’elle a été renforcée par un nombre limité de groupes industriels, notamment
Renault, dont l’arrivée n’était pas prévue à l’origine. Comme l'indiquent Piveteau
et Rougier (2011: 188), «la restructuration du secteur automobile autour d'un grand
constructeur ne figurait ni dans le rapport McKinsey ni dans le premier
programme Émergence».
Pour l'IRES, «le plan d'émergence n'était pas encore en mesure de compenser le
manque de productivité de l'économie marocaine et ne constituait pas une force
motrice en faveur du développement de nouveaux produits industriels» (Marzak
2014: 39). La raison sous-jacente comprenait des caractéristiques révélées par des
études universitaires qui restent pertinentes aujourd'hui:
149
et créé 7 000 emplois entre 2015 et 2017 (HCP 2018d). Sur la base de ces résultats,
les objectifs du plan ne semblent donc pas être atteints.
De plus, pour la première fois dans le secteur du textile, une vision à long terme
a été définie dans le Plan pour le textile 2025 (2015-2020) (Alami 2015).
150
an à partir de 2019. Boeing prévoit de déménager à Tanger en 2019 et de créer 8 500
Modèle et industrie
emplois (Iraqi 2017: 66).
On peut s'interroger sur les stratégies qui sous-tendent ces objectifs par
exemple, que signifie augmenter la contribution de l’industrie de 14 à 23% du PIB,
sachant que lorsque le secteur de la construction est inclus, le PIB est déjà bien
supérieur à cette part ? Si l’on regarde strictement l’industrie sans le secteur de la
construction, l’objectif semble inaccessible. De même, le HCP indique une perte de
7 000 emplois dans le secteur industriel entre le premier trimestre de 2017 et le
premier trimestre de 2018 (HCP 2018d), alors que sur une période similaire, le
ministère le du plan annonçait la création de 89 884 emplois créés en 20171. Pour
les autorités, à mi-parcours, 83% des objectifs du PAI avaient été atteints:
L’Europe est le principal fournisseur du Maroc. Elle achète 64% des produits
exportés par le Maroc contre 4% pour les États-Unis d'Amérique et 6% pour
l’Afrique. Parmi les pays européens, l'Espagne est le principal client avec 23%,
suivie de la France avec 21%. Ces deux pays représentent 44% des ventes
1«Plan d’accélération industrielle: près de 90 000 emplois créés en 2017», in H24info, 22 mars 2018,
https://www.h24info.ma/?p=151647.
151
marocaines, tandis que les autres pays représentent des clients marginaux, à
l'exception de l'Italie (4,6%).
L’Europe est donc le principal partenaire commercial du Maroc, avec une part
particulièrement importante pour la France et l’Espagne. Cependant, au cours des
15 dernières années, la part relative de l'Europe a eu tendance à diminuer en faveur
d'autres partenaires, y compris en Afrique (Fleury et Payet 2016: 19–20).
Il faut noter que dans les dix dernières années, le déficit commercial du Maroc
avec l'Europe a presque doublé, passant de 4,2 milliards d'euros en 2007 à 7,3
milliards en 2017(voir tableau3)
Les principaux produits exportés par le Maroc vers l'UE sont les vêtements
(17,7%) des produits exportés vers l'UE; machines et matériel (40,4%); agriculture
et alimentation (23%); et produits chimiques (5%). Les principales marchandises
importées sont des machines et du matériel (20% des marchandises importées
152
d’Europe au Maroc); produits chimiques (12%); textiles (10%), produits
Modèle et industrie
pétrochimiques (7,4%); moteurs (7,4%); et métaux, électronique et papier (5%) (voir
tableau 4).
Agriculture 3,494 23
Métaux 28 0.2
Chimie 753 5
153
Figure 4 | IDE en provenance des principaux pays européens
(millions de dirhams), 2004-2014
250000
200000
150000 France
Espagne
100000 Allemagne
Italie
50000
0
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
Au niveau de l'industrie, l'action la plus importante menée par l'UE a été la signature
de l'accord de libre-échange avec le Maroc en 1996, entré en vigueur en 2000. La
composante industrielle visait à établir progressivement une zone de libre échange totale
entre le Maroc et l'UE. Avant cet accord, les produits industriels marocains avaient libre
accès au territoire de l'UE. L'accord visait donc à ouvrir le Maroc aux produits industriels
européens, avec une réduction progressive des droits de douanes en fonction des
catégories de produits. À partir du 1er mars 2000, le commerce des biens d'équipement et
de certaines pièces de rechange a été libéralisé. En mars 2003, ils étaient concernaient les
matières premières et les intrants locaux non fabriqués. Selon l'article 11 de l'accord
d'association (AA), les droits de douane devaient être réduits de 10% par an à compter de
2004 pour les produits fabriqués au Maroc. La neuvième réduction a été mise en œuvre
en 2011, correspondant à 90% des douanes, en plus d'une élimination progressive des
douanes pour certains véhicules automobiles, avec une réduction approximative de 90%
des douanes en 2011.
Modèle et industrie
méditerranéenne pour l'investissement et le partenariat (FEMIP) en octobre 2002.
Ce programme avait pour objectif de faciliter l'accès au crédit à long terme, à la
fourniture de capital-risque, à des produits financiers innovants et à bonifications
d’intérêts pour des projets environnementaux. Entre 2002 et 2006, le Maroc a
bénéficié d'un financement de la FEMIP d'un milliard d'euros (à titre de
comparaison, les chiffres pour l'Egypte et la Tunisie étaient respectivement de 2
milliards d'euros et 1,1 milliard d'euros). L'accord d'association UE-Maroc
prévoyait également des mesures de sauvegarde temporaires pour les industries
émergentes en phase de restructuration. En outre, les deux parties se sont engagées
à protéger les droits de propriété industrielle (article 39). L'accord a également
identifié des domaines de coopération scientifique, technique et technologique, en
particulier pour les secteurs industriels (encadré 1).
La coopération vise à:
155
4.3 Programme de mise à niveau industrielle Maroc-UE (1997)
Les fonds MEDA (165 millions d’euros sur la période 1996-1998) ont soutenu
l’économie marocaine et facilité l’amélioration de l’équilibre socioéconomique,
tandis que la Facilité d’Ajustement Structurelle était censée compenser le déficit
fiscal causé par le démantèlement du tarif douanier.
156
faibles investissements et à une faible compétitivité des entreprises, et non de faire
Modèle et industrie
de l'État un acteur proactif dans l'élaboration d'une politique de modernisation
national » (Bougault et Filipiak 2005: 13). Le programme de modernisation visait
donc essentiellement à améliorer les conditions d'accès des PME au financement et
à renforcer les exigences en matière d'offre de prêt. L'État marocain ne se présentait
pas comme un stratège chargé de déterminer la politique industrielle, mais plutôt
comme un régulateur du marché dont le rôle était de limiter les distorsions. Selon
la logique marocaine, les outils mobilisés furent principalement les lignes de crédit
destinées à réduire l’exclusion financière. Il existait également des fonds de
garantie des crédits d’investissement qui aidaient les PME à obtenir des prêts
garantis.
157
4.4 Nouvelle politique de voisinage (2004)
158
des capitaux, les flux de paiements courts ainsi que d'autres secteurs (fiscalité,
Modèle et industrie
concurrence), les subventions gouvernementales, la protection des consommateurs,
des droits de propriété, de marchés publics, de gestion et contrôle des finances
publiques et enfin l’environnement des entreprises.
L'UE intervint donc dans un grand nombre de secteurs qui complètent les
accords de libre-échange, avec un impact probable sur l'industrie au Maroc.
Le plan d'action 2013-2017 discuté et présenté en 2012 tentait de refléter dans les
faits le statut avancé obtenu par le Maroc en 2008. Il constituait une étape dans le
159
cadre de l'approfondissement des relations entre l'UE et le Maroc, dans le cadre de
l’accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA).
Au cours de cette période, l’aide bilatérale apportée par l’Europe au Maroc a été
largement axée sur trois secteurs prioritaires: accès équitable aux services sociaux,
gouvernance démocratique, Etat de droit et mobilité, emplois et croissance durable
et inclusive. En outre, un soutien supplémentaire au renforcement des capacités et
à la société civile était prévu, mais était considéré comme sortant du cadre des
secteurs prioritaires.
160
budgétaire de 60 millions d'euros, non lié à l'industrie. Il visait à soutenir la
Modèle et industrie
réforme de l'appareil de formation professionnelle dans le but de renforcer le
capital humain afin de parvenir à une croissance durable, inclusive et participative,
en accordant une attention particulière aux personnes exclues de la formation et
des compétences.
• Créer des zones pour les pépinières d’entreprises et les activités dérivées avec
un soutien à la R & D dans les secteurs de croissance potentiels pour le Maroc.
1 Le dialogue euro-méditerranéen sur les textiles et les vêtements a été lancé en 2004. Il facilite le
partage d'expériences et d'initiatives visant à promouvoir les investissements dans le secteur. Deux
conférences ont été organisées pour célébrer le dialogue, l'une à son dixième anniversaire en 2014 et
l'autre en avril 2015.
161
• Intensifier les échanges de bonnes pratiques et les discussions entre les
partenaires nationaux impliqués dans l'industrie, non seulement sur les défis
auxquels l'industrie est confrontée, mais également sur les orientations futures
possibles et les actions concrètes visant à moderniser le tissu industriel national et à
accroître la compétitivité industrielle du Maroc.
Il est intéressant d'examiner les détails de ce plan, car ils pourraient aider à
expliquer un aspect important cité par les personnes consultées lors des entretiens:
la relative invisibilité de l'UE en ce qui concerne les politiques d'aide.
Le programme était axé sur trois domaines: (1) lever les obstacles à la
compétitivité en renforçant la mise en œuvre de la politique industrielle marocaine
telle que définie par le PNEI; (2) faciliter l'accès des opérateurs du secteur privé au
marché européen en soutenant la mise en œuvre d'un plan de développement du
commerce extérieur dans la perspective de la zone de libre-échange ; (3)
162
promouvoir la transition vers une économie verte à faible émission de carbone en
Modèle et industrie
soutenant la mise en œuvre d'une stratégie nationale de développement durable.
Le projet a été piloté selon une matrice à trois volets: compétitivité, ouverture
des échanges et économie verte visant à converger vers l’acquis communautaire.
La partie financement complémentaire concerne l'assistance technique et
l'identification conjointe de plusieurs secteurs d'intervention. Enfin, en plus de ces
subventions, une somme supplémentaire de 30 millions d’euros a été affectée à une
facilité d’investissement pour le voisinage (FID) en prévision de la zone de libre-
échange de l’Accord de Libre Échange Complet et Approfondi.
Les institutions des pays membres traitent également des problèmes industriels
au Maroc. Il convient de mentionner en particulier le soutien de l'Agence française
de développement (AFD) au PNEI. L'AFD accompagne MEDZ, filiale du fonds de
dépôt et de gestion, dans la création de plates-formes industrielles intégrées.
L'AFD a fourni au MEDZ un soutien financier de 150 millions d'euros en
complément d'un prêt de 100 millions d'euros de la Banque européenne
d'investissement (BEI). Ce soutien consiste en un financement d'un programme
d'investissement MEDZ de 50 millions d'euros sur la période 2011-2015 et d'un
refinancement d'un montant de 100 millions d'euros pour des prêts déjà contractés
par des parcs offshore. Par ailleurs, l’AFD a accordé une subvention de 500 000
euros pour l’assistance technique en matière de reporting opérationnel, de suivi
financier et de gestion de l’environnement.
Un projet structurel qui devrait affecter l'industrie à l'avenir est le projet d'
Accord de Libre Échange Complet et Approfondi (ALECA). C’est un accord de
«deuxième génération» qui ne vise pas à libéraliser le commerce des biens et
services et les mouvements de capitaux, mais plutôt à harmoniser les
réglementations, procédures, normes et institutions afin d’intégrer les signataires
de l’accord des pays. Ce processus s'apparente à la reprise de l’acquis
communautaire qui a précédé l'intégration des pays d'Europe centrale et orientale
163
dans l'UE. L'ALECA couvre donc plusieurs domaines, notamment le commerce
des services, la protection des investissements, la politique de la concurrence, les
mesures antidumping, le développement durable, les marchés publics, les mesures
sanitaires et la propriété intellectuelle. L'ALECA est plus qu'un simple accord
commercial, car il s'agit d'harmoniser les normes et le rapprochement des
réglementations, ainsi que de réformer les réglementations sanitaires. Ces sujets
sont beaucoup plus complexes et leurs effets beaucoup plus imprévisibles qu'une
simple réduction des droits de douanes dans le cadre d'accords commerciaux.
164
Faso, Bénin, Guinée Bissau, Côte d'Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo), initié en
Modèle et industrie
2008. Maroc négocie actuellement avec la Communauté économique des États de
l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) en vue de l'établissement progressif de zones de
libre-échange, ainsi qu'avec le Cameroun, la République centrafricaine, le Congo, le
Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad.
165
résultats sont moins positifs que ceux anticipés par la littérature. Une étude
prospective menée en 1997 indiquait que les accords de libre-échange auraient des
effets négatifs sur les travailleurs peu qualifiés, même si on s’attendait à une
amélioration de l’emploi. Cet auteur a également insisté sur l’importance des
mesures de soutien (Boughzala 1997).
166
5. Analyse de documents
Modèle et industrie
Les documents fournis par les personnes interrogées étaient principalement des
documents (tels que des dépliants et des présentations) décrivant les secteurs,
l'organisation, les plans industriels successifs (par exemple, émergence et
accélération industrielle), mais rarement avec une perspective critique. Des
évaluations plus élaborées ou des avis critiques émergent de groupes de réflexion
tels que l'IRES ou le centre de gestion d'OCP, ou même des ONG comme ATTAC
(Aziki 2018).
ATTAC affirme que les accords de libre-échange ont contribué au pillage des
ressources du Maroc. Une partie de la critique est basée sur la dégradation de la
balance commerciale, et en particulier sur le déficit avec l’Europe, qui détient la
part la plus importante, mais ne concerne pas directement la politique industrielle
de l’UE. ATTAC concentre son analyse sur les limitations du commerce qui affecte
l'agriculture ou même les produits industriels:
En 2014, l'IRES a réalisé l'une des évaluations les plus complètes des politiques
industrielles au Maroc. Dans ce document de 214 pages, l'UE est mentionnée 29
fois, mais jamais en tant que partenaire de politique industrielle (Marzak 2014).
Les deux conclusions les plus importantes du rapport peuvent être résumées
comme suit. Les nouvelles approches industrielles :
167
notamment en termes de création substantielle de valeur ajoutée et
d'emplois. […] Par ailleurs […] la faiblesse du manque de
compétitivité comparée de l'industrie marocaine est avant tout
systémique (contraintes transversales et institutionnelles) plutôt
que fonctionnelle (clusters, filiales…). » (Marzak2014: 6)
L'IRES indique toutefois que le Maroc est devenu moins attractif pour les IDE
car l'Europe a conclu plusieurs accords fiscaux avec d'autres régions, en plus de
concessions dans le secteur textile pour les pays touchés par le tsunami de l'océan
Indien en 2004 (Marzak2014: 117).
168
Modèle et industrie
Assurer la cohérence des stratégies sectorielles et des relations entre
politique industrielle et politique commerciale;
Poursuivre l'institutionnalisation du dialogue privé-public et optimiser
l'interaction entre les principaux acteurs de la politique industrielle.
Adopter une stratégie d'investissement proactive et poursuivre la
modernisation de la réglementation.
Améliorer l'environnement des entreprises;
Prioriser la standardisation;
Réorienter la structure de l’impôt sur les sociétés et la TVA afin de
soutenir la compétitivité des entreprises;
Mettre la fiscalité au service de l'internalisation de l'économie.
169
économiques et des prévisions financières (Haggouch 2016) est particulièrement
opposé à la politique d'ouverture:
Tout d'abord, l’initiative est externe. Ce n'est pas le résultat d'une dynamique
interne. Le programme d’ajustement structurel mis en place par le processus de
libéralisation de l’économie marocaine a été conçu et dirigé par les institutions
internationales, à savoir le FMI et la Banque mondiale. En ce qui concerne le projet
de libre-échange et de libéralisation, l’UE l’a conçue et proposée à tous les pays
méditerranéens, y compris le Maroc.
170
Modèle et industrie
montre la nature de ces mesures, l’objectif visé est d’attirer les investissements
étrangers. Dans la mesure où tant que de véritables réformes structurelles restent
exclues, par exemple une profonde réforme institutionnelle et la mise en place d'un
système national de gouvernance publique et privée, il semble nécessaire de
recourir à ces investissements pour remédier à la faiblesse des investissements
internes et financer le déficit extérieur. Les autres formes d'incohérence les plus
importantes sont liées à une transformation insuffisante du produit local en faveur
de l'exportation de matières premières et de certains produits agricoles:
phosphates, olives, arganiers, etc., alors que depuis les années 1980, les taux de ces
matières premières continuaient à tomber. De plus, comme elles sont constituées
de micros, petites et moyennes entreprises, le tissu productif marocain souffre de
plusieurs contraintes. Il est entravé par le sous-financement, le manque de
formation, le faible suivi et le développement rapide du secteur informel (qui reste
concentré dans certaines grandes villes: Grand Casablanca, Nord, Est), ce qui
affaiblit sa situation.
171
raisonnement qui sous-tend les plans industriels ne tient pas compte de ses
dimensions territoriales:
6.1 Quelles sont les idées annoncées par les acteurs concernant le secteur industriel et
ces idées sont-elles en conflit, opposées ou coïncidentes-elles avec la politique de l'UE?
Comment ces acteurs perçoivent et évaluent les politiques européennes?
Les idées défendues par les acteurs que nous avons pu interroger, quel que soit
leur type (public ou privé, par exemple) ne sont pas fondamentalement critiques
vis-à-vis des grandes tendances de la politique industrielle du Maroc. Les critiques
ne visaient pas la philosophie générale de la libéralisation économique, selon
laquelle l’État modifiait simplement les règles du jeu, notamment en termes
172
d’avantages ou de soutien, mais aussi lorsque les modifications étaient dictées par
Modèle et industrie
le secteur privé. Dans cette perspective, aucune opposition ni divergence avec les
politiques de l'UE n'est évidente. Les accords d'association n'ont pas été remis en
question même lorsque des préoccupations ont été exprimées concernant certains
secteurs (en particulier le secteur du textile) et que des réserves ont été exprimées
quant à la mise en œuvre du futur Accord de Libre Échange Complet et
Approfondi.
La diversité des programmes européens ou des pays membres rend difficile la distinction
entre les actions de l'UE. Les parties prenantes du secteur privé (personnes
interrogées 14 et 19) ont déclaré que les outils rassemblés dans le plan de mise à
niveau industriel marocain ne sont pas spécifiques au processus de mise à niveau
relevant de l'accord européen; ils sont plutôt pertinents pour toutes les entreprises
et tous les types d’investissement. Ils représentent des outils de financement
classiques mis en place par le gouvernement marocain. Le programme de mise à
niveau industriel a rassemblé des outils qui ne sont pas directement liés au
processus de mise à niveau: Fonds Hassan 2, Fonds de prêts et de garanties pour
les nouvelles entreprises. Enfin, chaque membre de l'UE a mis en place ses propres
outils de mise à niveau: par exemple, le programme de coopération ANPME
Maroc-Allemagne, le Fonds de garantie français pour le Maroc et le Fonds de
173
financement AWEX-Belgique pour le renforcement des fonds internes. Il existe
également des lignes de crédit bancaire italiennes, portugaises, françaises et
allemandes pour le processus de modernisation. Le Fonds FOMAN, créé en 2003,
est le seul fonds constituant un outil de mise à niveau financé par l'UE et le Maroc
à hauteur de 40 millions d'euros. Il est censé financer l'assistance technique.
Pour les répondants du secteur privé, la diversité des sources et le fait que les
financements européens passent par les institutions marocaines rendent les actions
de l’UE invisibles (personnes interrogées 13, 14).
174
continueraient sinon à augmenter au cours des 30 prochaines années. Cependant, il
Modèle et industrie
reste à convaincre l'Europe de faire évoluer ses relations avec le Maroc (personne
interrogée 17).
La position de l’Europe sur la question du Sahara occidental est ambiguë. Bien que
nous n'attendions pas de telles remarques, plusieurs personnes des secteurs
publics (personnes interrogées 10 et 11) et du secteur des ONG (personne
interrogée 16) ont souligné la position ambiguë de l'UE vis-à-vis du Sahara
175
Occidental. L’Europe devrait avoir une position claire sur la question, car elle
affecte directement les accords commerciaux. Selon les personnes interrogées
(personnes interrogées 10 à 18), l'UE a une attitude ambivalente à l'égard du
Maroc. Cette attitude s'est manifestée lors de la résiliation de l'accord agricole en
2012 à la suite d'une plainte déposée par le Front Polisario. La résiliation de
l'accord par le tribunal de l'Union européenne et l'appel de ce jugement par la Cour
de justice des Communautés européennes ne se sont pas révélés satisfaisants, car
ils pourraient compromettre tous les autres accords signés entre l'UE et le Maroc.
Cela constitue un dilemme au sein de l'UE, qui conduit à la défiance. Il est d’autant
plus absurde de vouloir exclure les territoires du Sud des accords commerciaux
qu’il n’est pas pensable de le faire en matière de coopération sécuritaire et dans le
domaine de la lutte contre le terrorisme (Interviewé 10). L’UE doit donc être claire
sur ce point.
Manque d'appropriation des outils européens par les parties prenantes. Les
financements européens dans le cadre du plan de mise à niveau industrielle sont
mal appropriés par les parties prenantes (personne interrogée 14). Par exemple, le
programme EME Euro Maroc Entreprise a été créé en 1998. Cependant, l'utilisation
des fonds disponibles a été très lente entre 1997 et 2003. Un taux de participation
extrêmement faible des entreprises marocaines a été observé. Moins de 300
entreprises ont été enregistrées dans ce secteur stratégique en raison du manque de
diffusion de l'information et du manque d'attractivité de l'aide, en plus des
difficultés rencontrées lors du dépôt des demandes de financement (personnes
interrogées 4, 14).
L'une des principales conclusions (personnes interrogées 2, 14, 15) est le faible
niveau d'appropriation par les autorités et les structures publiques responsables du
plan de mise à niveau industriel élaboré par l'UE. Une autre critique émise par le
secteur privé est que seules les plus grandes entreprises disposent des ressources
requises pour obtenir un financement et un accompagnement (personne interrogée
14). C’est particulièrement le cas du financement européen. L’Europe doit tenir
compte de ces contraintes pour éviter de reproduire la structure segmentée des
176
entreprises marocaines: un plus petit nombre de grandes entreprises et de
Modèle et industrie
nombreuses très petites entreprises.
L’UE n’est guère impliquée au Maroc par rapport à l’Europe de l’Est. Plusieurs
acteurs du secteur public (personne interrogée 10) et de groupes de réflexion
(personnes interrogées 17 et 18) ont souligné le déséquilibre persistant entre les
priorités de l'UE en ce qui concerne les pays d'Europe orientale et les pays du sud
de la Méditerranée. Les fonds MEDA étaient insuffisants au regard des exigences
de l'économie marocaine: le premier pilier s'élevait à quelques euros par habitant et
était 10 fois inférieur au financement accordé par l'UE à l'Europe de l'Est lors de la
phase de pré-inscription (Interviewé 10). En effet, les fonds alloués par l'Europe
pour compenser le déficit fiscal du Maroc ne représentaient que la moitié du déficit
en 1996 (personne interrogée 18).
177
Cela a été corroboré par une estimation du ministère du Commerce et de
l'Industrie: les fonds nécessaires pour ajuster l'économie marocaine s'élèveraient à
900 millions d'euros pour la période 1996-2001, tandis que les fonds octroyés par
l'UE au cours de la même période pour la modernisation industrielle ne couvraient
que 18% de ce qui était nécessaire (Eddiouri 2009: 219).
La nécessité d'une cohérence entre les réformes internes et les politiques de l'UE.
Les parties prenantes du secteur privé (personnes interrogées 4, 14) ont parfois
exprimé des réserves ou des inquiétudes concernant les risques de concurrence
accrue engendrés par l’ALECA. De leur point de vue, il est important d'harmoniser
les négociations de la zone de libre-échange avec la dynamique de réforme interne
au Maroc, en veillant à ce que les deux processus se renforcent mutuellement et
n’entrainent aucune contradiction. Le Maroc s'est engagé à moderniser sa politique
commerciale, notamment en simplifiant les procédures et en mettant davantage
l'accent sur le secteur privé. L’ALECA modifiera les normes réglementaires, ce qui
entraînerait une perte de compétitivité dans le domaine des exportations sur les
marchés extérieurs à l'UE (personne interrogée 4). Il existe également un risque de
résistance à la formalisation pour certains secteurs ou certaines entreprises qui ne
vont pas appliquer les nouvelles réglementations.
178
directement octroyées sous la forme d'une aide budgétaire en particulier) ne
Modèle et industrie
permettent pas de rendre l'UE visible aux parties prenantes, y compris celles qui en
bénéficient directement. En fait, les financements européens ont été fusionnés avec
les politiques publiques nationales et ne sont donc plus visibles (Interviewé 17).
Les entreprises bénéficient du soutien à la compétitivité ou à la formation via les
institutions marocaines sans se rendre compte que d’autres acteurs (y compris
l'UE) soutiennent ces institutions en fournissant des fonds, des procédures et des
politiques spécifiques. Ainsi, l'un des acteurs du secteur industriel (personne
interrogée 14), précédemment soutenu par l'UE, a admis ne pas être au courant du
soutien de l'UE dont son secteur avait bénéficié.
En dépit des efforts déployés par différents bailleurs de fonds, il y réside un manque de
coordination entre les bailleurs de fonds.
Conclusion
Cette étude a rassemblé les représentations des différentes parties prenantes sur
l’industrie marocaine. Contrairement aux autres secteurs, notamment l'agriculture,
l'énergie et les droits de l'homme, l'Union européenne ne met pas directement
l'accent sur le secteur industriel dans le cas du Maroc. Cependant, cela ne signifie
pas que l'UE a peu d'effet dans ce domaine. En fait, les accords de libre-échange
ont probablement eu et continuent d'avoir un impact significatif et décisif sur
l'évolution de l'industrie marocaine. Même si le Maroc a ratifié plusieurs accords
de libre-échange, l'accord signé avec l'Europe est le plus significatif.
180
Outre ces éléments, la politique de l'UE et ses interventions dans le secteur
Modèle et industrie
industriel s’inscrivent dans les programmes de modernisation, de soutien à la
formation ou à l'emploi, ainsi que dans le programme de soutien à la croissance et
à la compétitivité. Ces politiques ne ciblent pas spécifiquement ce secteur d'activité
même si elles concernent les entreprises industrielles.
181
dans l’industrie textile, elle ne semble pas être au centre des préoccupations des
acteurs, ni des politiques nationales et de l’UE.
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186
Annexe 1: Liste des intervenants interrogés (Juin à Décembre 2017)
Modèle et industrie
Entretien 1. Organisation internationale
Entretien 5. ONG
Entretien 7. Think-tank
Entretien 8. Think-tank
Entretien 9. ONG
1) Quels sont selon vous les principaux enjeux et priorités politiques de l’espace
méditerranéen?
2) À votre avis, quelles sont les principales causes, facteurs et parties prenantes
affectant ces questions de politique?
187
4) Selon vous, quels sont les politiques, initiatives, outils et pratiques les plus
pertinents pour l’UE et / ou les pays membres de l’UE en termes d’industrie?
188
7
Modèle et industrie
Est- ce vraiment bien utile de rediscuter, une fois encore, le développement du
Maroc et son modèle ? Le choix de consacrer le numéro de cette revue au modèle
du développement marocain est l’occasion de se pencher sur les réalisations et les
lacunes du modèle voulu par le Royaume pour promouvoir sa marche vers le
progrès et la prospérité, et de discuter, également, les approches devant favoriser
l'articulation d’une réflexion commune à ce sujet pour permettre de tracer les
contours d’une action cohérente visant une émergence économique plus forte et
plus durable dans le cadre d'un modèle de développement social plus inclusif.
Tous les auteurs qui ont contribué à ce numéro questionnent la portée des
changements introduits par « le modèle de développement actuel », tant en ce qui
concerne le partage des responsabilités et des rôles entre les acteurs, en particulier
dans l’élaboration des politiques économiques de développement, qu’en ce qui
concerne les effets de ces politiques sur la croissance et le bien être. La rupture
souhaitée et annoncée avec l’actuel « modèle de développent » suscite des doutes,
et c’est plutôt la persistance d’une vision technocratique du développement que
les auteurs font ressortir: la tendance à ramener les problèmes de développement à
des questions sectorielles et techniques, le refus de faire face à la complexité des
conditions de mise en œuvre des actions de développement. L’introduction des
concepts de choix politiques, redevabilité, stratégie de développement et
d’appropriation du sens montre les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre
des actions de développement. Par conséquent, le manque de stratégie de
développement conduit toujours à la simplification au détriment de la mise en
valeur des savoirs propres et de la recherche de la spécificité du contexte. Or,
comme le souligne les auteurs, chacun à sa manière, le monde du développement
est un monde de l’action politique au sens large où l’on entend transformer de
façon volontariste la réalité.
189