Modlededveloppement Marocain

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 189

Revue Marocaine ‫الـمجلة الـمغربية‬

‫للـعلـوم السيـاسـيـة واالجـتـماعيـة‬


des Sciences Politique et Sociales
N° 13 • Volume XVIII • Sept./Octobre 2019 9112 ‫أكتوبر‬/‫ • شتنبـر‬XVIII ‫ • الجزء‬13 ‫العدد‬

Réflexions sur le modèle de


développement Marocain

Contributeurs

Najib Akesbi, Abdelkader Berrada, Jean-Yves Moisseron,


Khaled Guesmi, Marie Gérin-Jean, Saïd Toufik,
Lahcen El Ameli, Saâd El Baghdadi, Hicham Sadok,
Abdeslam Seddiki

Coordination scientifique

Hicham Sadok
Abdelmoughit Benmessaoud Tredano
les opinions et les idées exprimées dans cette Revue n'engagent
que leurs auteurs

ISSN : 2351-9134
Dépôt légal : 2011 PE 0003
Septembre/Octobre 2019
Impression : Imp. Cham’s Print - Rabat

2
Direction

Directeur fondateur
Abdelmoughit BENMESSAOUD TREDANO

Membres de la direction
Najib Akesbi, Abdelkader Berrada, Mohammed Madani,
Mohamed Sassi, Mohamed Said Saadi

Communication
Karim Aiche

Infographiste
Abderrahmane El mettiti

Abonnement :
Bouchra El ouani

Revue Marocaine de Sciences Politiques et Sociales

RIB N° 181 826 21111 68724104 000 1 70


Banque populaire

Adresses :

1 - CRESS/Revue
BP N° 5817, Agence Al BaridBank, Temara/Harhoura 12040
ww.sciencepo.ma
GSM : 0661 555 537

2 - Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales Souissi,


Université Mohamed V, Rabat
Rue Med Ben abdellah Erregragui BP 6430 Rabat instituts
Siteweb : www.fdes.ac.ma

3
Revue Marocaine de Sciences Politiques et Sociales

Conseil scientifique

Le regretté Driss Benali*


Meryem Aouam, Abderrahman Amrani, Mohammed Ayat, Jamaa Baida,
Mohammed Othman Benjelloun, Mohammed Bennani, Mustapha Bouhand,
Aziz Chahir, Mohammed Chiguer, Abdeslam Cheddadi, Ahmed El Bouz,
Azedine Ghoufrane, Bichara Khader, Mohammed Khachani,Omar Hniche,
Mohamed Khariss, Abdelatif Laabi, Mohammed Margadi, Luis Martinez,
Mohammed Mouaqit, Jean-Yves Moisseron, Jamaleddine Naji, Hassan
Rachik, Ali Seghrouchni, Redouane Taouil, Hassan Tariq, Jean Zaganiaris,
Abderrahmane Zanane

Comité de rédaction

Samir Amghar, Hicham Attouch, Wafae Belarbi, Ilham Doukali,


Abdelmounim El Gueddari, Ayoub Fassi, Soraya El Kahlaoui, Aissam
Hekmi, Abdelhafid Idmino, Ghassane Lamrani, Samira Mizbar, Nizar
Kadiri, Amal Khider, Larbi Koulou, Najia Abdallaoui Maan, Maati Monjib,
Abdelaziz Karraky, Mohamed Oubenal, Hicham Sadok, Benali Sadiqui,
Haoues Seniguer, Abdellatif Zaroual, Hassan Zouaoui.

Liste de correspondants et de collaborateurs

Aziz Tanany, Karim Aiche, Bouchra El Aouni, Lahcen Aqartit, Asma Abkari,
Maryem Chlal, Steve Codjo, Abdelwahad Ghayate, Mustapha Khalid, Hi-
cham Nekkach, Abdelouahad Ghayate, Sanae Kasmi, Hajar Sekher.

* Le regretté Driss Benali : un des fondateurs de la revue.

4
Publications
Revue Marocaine de Sciences Politiques et Sociales

Numéros parus :
♦ La Transition au Maroc, N°1, Automne-Hiver 2010-2011 (2 volumes).
♦ La question saharienne et méditerranéenne, N°2, Printemps - Été 2011
(volume. III).
♦ Printemps arabe, Hors-Série, Mars 2012(Mars 2012 (volume. IV).
♦ Le système politique et la problématique de la réforme constitutionnelle
au Maroc, N°3, Juin 2012 (Vol. V).
♦ Le code électoral et les élections au Maroc, N°4 (2 volumes), Mars 2013
(Vol VI), Sep 2013 (Vol. VII en arabe).
♦ Mélanges, Hommage à Driss Benali, Hors-Série, Décembre 2013 (Vol. VIII).
♦ Dialogue social au Maroc, N° 5, Mai /juin 2014 (Vol. IX).
♦ Islam politique dans le monde arabe, N°6, Novembre 2014 (Volume. X).
♦ Les Partis politiques au Maroc, N°7, juillet 2015 (Vol. XI).
♦ Religion et politique en terres d’Islam, N°8, janvier 2016 (Vol. XII).
♦ Le parlement Marocain, structure et fonctions, Hors-Série, Novembre
2016 (Vol XIII).
♦ L’économie politique, N. Akesbi, M. Said Saadi, A. Berrada, Hors-Série,
Volume XIV, Avril 2017.
♦ Bilan gouvernement Benkirane , N° 9 , Volume XV, juillet/août 2017.
♦ Palestine : 100 ans après l’accord de Balfour et 70 ans après le partage,
N°10, Volume XVI ; juin /juillet 2018.
♦ La pauvreté au Maroc, M.Oubenal, S .Mizbar, H.Ait Mansour, N° 11,
Volume XVII, décembre 2018, Volume XVII.
♦ L’économie politique au Maroc, N. Akesbi, A. Berrada, M.Said Saadi,
M. Oubenal (en Arabe) , N 12, Volume XVIII, décembre 2018/janvier 2019.

Collection Cahiers Libres :


♦ Paix, dialogue et tolérance, ....Le cas du Maghreb et du Moyen‑Orient,
Abdelmoughit Benmessaoud Tredano N° 1, Février 2014.
♦ Dialogue entre religions et civilisations, contribution majeure à la culture
de la paix, Collectif, N°2, Février 2014.
♦ L’accord de libre-échange Maroc-Union Européenne à l’épreuve des faits
N . Akesbi, S. Dkhissi, M. Khachani, N° 3 Septembre 2015.
♦ Les finances publiques du Maroc : quelques éléments d’analyse A. Berrada
N° 4 Juin 2016.
♦ Les élections au Maroc -2007 et 2015- ébauche d’une sociologie électorale,
Abdelmoughit Benmessaoud tredano N° 5, Septembre 2016

5
6
SOMMAIRE

Présentation ........................................................................................................... 9
Hicham Sadok

Pourquoi et comment le « modèle de développement » est en crise ........ 13


Najib Akesbi

Le nouveau modèle de développement : pourquoi et comment ?............ 35


Abdeslam Seddiki

L’économie marocaine ou comment faire un modèle d’un anti-modèle . 49


Abdelkader Berrada

A la recherche d’une grille d’analyse théorique pour la problématique du


développement au Maroc.................................................................................. 59
Hicham Sadok

Les politiques publiques d’attractivité à l’épreuve du développement :


Quel bilan pour le Maroc ? ............................................................................... 83
Saïd Toufik et Saâd El Baghdadi

Sclérose du modèle de recherche scientifique et d’innovation au Maroc : une


des manifestations de la défaillance du modèle de développement .......... 105
Lahcen El Ameli

Les politiques européennes dans le secteur industriel au Maroc: une


évaluation par le bas ........................................................................................ 137
Jean-Yves Moisseron, Khaled Guesmi et Marie Gérin-Jean

7
8
Présentation

La thématique de ce numéro de la Revue Marocaine des Sciences Politiques et


Sociales qui porte sur une réflexion autour du « modèle marocain de
développement », nous interroge sur les insuffisances des réalisations, ainsi que les
politiques et stratégies économiques qui conviendraient pour ce 21ème siècle. Les
articles sont issus de réflexions menées lors des ateliers organisés avant et après la
réactualisation du débat national sur ce qu’il convient d’appeler le « modèle
marocain », et dont l’adoption d’un nouveau devient une urgence.

Dès juillet 2017, l’OCDE avait présenté la première partie de son rapport sur
l’examen multidimensionnel du Maroc, où a été diagnostiqué de manière détaillée
la situation du Maroc et les insuffisances de son modèle de développement actuel.
Le Roi, lors du discours du Trône du 30 juillet 2017, puis le 13 octobre 2017 devant
la chambre des représentants revient sur le même thème en élargissant le cadre
d’analyse ; il reconnaît que notre modèle s’est révélé « inapte à satisfaire les demandes
pressantes et les besoins croissants des citoyens, à réduire les disparités catégorielles et les
écarts territoriaux et à réaliser la justice sociale ». La Banque mondiale consacre en
2018, dix ans après le dernier, un nouveau Mémorandum économique sur le Maroc
intitulé « Le Maroc à l’horizon 2040 ». Ce rapport propose une analyse exhaustive
des performances économiques récentes du pays ainsi que des perspectives de
croissance pour les vingt prochaines années. Il expose les réformes de la
gouvernance économique susceptibles de faciliter la mise en œuvre d’un scénario
de développement social et humain plus inclusif.

Il ressort, unanimement, de l’ensemble des écrits savants, rapports et discours


politiques que le Maroc dispose de plusieurs plans sectoriels, anciens ou récents,
qui peinent cependant à produire des résultats ou favoriser un développement qui
ne profitent pas à tous, générateur de plusieurs déficits et qui ne sont pas
soutenables. Le pays manque d’une vision de développement à très long terme,
avec des objectifs globaux clairs et partagés, des stratégies d’actions cohérentes où
moyens et responsabilités sont bien définis, et une gouvernance nationale et locale
permettant une mise en œuvre efficace et rapide.

9
Ainsi, la réflexion sur le processus d’élaboration du nouveau modèle de
développement marocain doit non seulement combiner des réponses à la fracture
économique et sociale, dans une approche territoriale et une cohérence nationale,
mais également restaurer la confiance abîmée par la domination des pratiques
informelles sur les lois, le recours à des passe-droits, aux réseaux et à la corruption
pour accéder à ses droits et à l'incapacité de garantir une justice équitable et une
concurrence saine.

Or, ce débat qui anime la société sur les contours de ce nouveau modèle de
développement, certains le trouvent un écran de fumée, inefficace pour répondre
aux nouveaux défis que posent entre autres, la mondialisation, les nouvelles
technologies de l’information et l’ouverture des frontières ; le Maroc ne peut que
confirmer une orientation qui était la sienne depuis l’indépendance : l’économie
libérale sous l’encadrement tutélaire de l’État. D’autres le défendent, affirmant que
le débat actuel est toujours pertinent, adoptant une position à l’opposé des
précédents, invoquant qu’il s’agissait d’un débat appréciable, ne serait-ce
qu’intellectuellement, pour savoir s’il y a modèle, est-il spécifiquement marocain
ou est-il un modèle parmi d’autres ? S’inspire-t-il d’un modèle étranger, comme le
libéralisme ou l’interventionnisme, comme certains le soutiennent ? S’il est
spécifiquement marocain, qu’est-ce qui le caractérise ? Son renouvellement passe-t-
il par un statu quo ou un virage socio libéral ou socio démocrate? N’y aurait-il pas
d’autres modèles que ces deux derniers ?

Ce numéro s’inscrit sur cette voie et essaie d’apporter des éléments de réponse à
ces questions. Ce dossier se compose de sept articles ; les trois premiers
s’intéressent aux aspects concrets du « modèle marocain » pour déceler sa
configuration, ses réalisations, ses limites et ses incohérences ; le quatrième
interroge la littérature théorique pour construire une grille d’analyse du processus
du développement; les trois derniers, parallèlement au dossier thématique du
modèle de développement marocain, les auteurs dans la rubrique Varia, s’arrêtent
profondément dans l’analyse de trois facteurs déterminants du modèle de
développement, à savoir, l’attractivité des investissements, la recherche
scientifique et innovation puis la politique industrielle au Maroc.

Dans son article » Pourquoi et comment le « modèle de développement » est en


crise », Najib Akesbi explicite les choix fondateurs de la stratégie économique
marocaine pour la mettre sous la loupe de l’analyse historique afin de nous
dévoiler leurs insuffisances. Il rattache cet échec économique au système politique
pour déceler à sa juste mesure la responsabilité de ce dernier dans l’échec du
« modèle de développement ».

10
Abdeslam Seddiki dans « Le nouveau modèle de développement : pourquoi et
comment ? » interroge le modèle de croissance mis en œuvre au Maroc. Si ce
dernier n'arrive pas encore à déboucher sur des perspectives prometteuses,
l’auteur, à travers l’analyse de l’existant, essaie de questionner l'économie
marocaine afin de dépister les forces et les faiblesses qui la caractérisent.

Abdelkader Berrada dans « L’économie marocaine ou comment faire un


modèle d’un anti-modèle » présente un modèle marocain « low cost » qui fige le
pays. Il attribue cette situation, essentiellement, à une stratégie économique
inappropriée aggravée par des déficiences institutionnelles persistantes et les
retombées négatives de l’accord de libre-échange Maroc-Union Européenne.

Hicham Sadok dans son article « À la recherche d’une grille d’analyse théorique
pour la problématique du développement au Maroc » analyse les fondements de
la productivité des stratégies de développement au Maroc en faisant appel aux
théories structurelles du dualisme et du ruissellement. L’auteur s’interroge par la
suite sur la nature des pré-requis du développement et se résout à la nécessité
d’une coordination des projets sociétaux pour éviter l’enchevêtrement des
temporalités et des intérêts.

Dans l’article « Les politiques publiques d’attractivité à l’épreuve du


développement : Quel bilan pour le Maroc ? » Saïd Toufik et Saâd El Baghdadi
utilisent des outils d’analyse pour déterminer si les politiques publiques
d’attractivité sont pertinentes pour le développement marocain.

Lahcen El Ameli dans « Sclérose du modèle de recherche scientifique et


d’innovation au Maroc : une des manifestations de la défaillance du modèle de
développement » analyse les performances marocaine en matière de recherche et
d’innovation ainsi que les défaillances et les entraves du développement des deux
composantes fondamentales de l’investissement intellectuel, à savoir la recherche
et l’innovation, leviers incontournables pour tout développement durable.

Jean-Yves Moisseron, Khaled Guesmi et Marie Gérin-Jean ont contribué à ce


numéro avec « Les politiques européennes dans le secteur industriel au Maroc: une
évaluation par le bas ». À travers des entretiens avec les parties prenantes concernées,
ils examinent la politique euro-méditerranéenne pour l'industrialisation du Maroc.
11
Cette politique est axée sur le soutien à la mise en œuvre d’accords de libre-
échange et au développement des entreprises, ce qui affecte négativement le
secteur de l'industrie marocain, principalement, en raison de l'impact des accords
de coopération régionale.

Nous espérons que l’ensemble de ces articles contribueront à nourrir la


réflexion sur le débat national autour du nouveau modèle de développement et
rendre, par l’occasion, plus intelligibles les actions pour dynamiser la politique de
développement du Maroc.

Hicham Sadok
Enseignant chercheur à FSJES Souissi
de l’université Mohammed V de Rabat

12
La crise du modèle
Pourquoi et comment le « modèle de
développement » est en crise

Najib Akesbi1

Le constat et les questions que tout observateur objectif se posait depuis de


nombreuses années à propos de l’économie marocaine sont connus : Un PIB de 110
à 120 milliards de dollars (soit à peine 0.14% du PIB mondial) ; Un PIB par tête de
3000 dollars, ce qui le situe au-delà du 120ème rang parmi les nations ; Un rythme
de croissance à la fois volatile (au grès des aléas climatiques et de leur impact sur la
production agricole) et faible (3 à 4% en moyenne sur la dernière décennie 2) ; Un
effort d’investissement, largement public, qui ne génère suffisamment ni croissance
ni emplois ; Un commerce en déficit structurel qui témoigne de l’état d’un pays
important à peu près le double de ce qu’il exporte ; Un déficit de financement
croissant et un niveau d’endettement de plus en plus inquiétant…

On peut encore allonger cette liste mais les questions qu’elle soulève sont
encore plus cruciales : Pourquoi, plus d’un demi-siècle après l’indépendance du
pays, l’économie marocaine reste contenue sous un plafond de verre
infranchissable, vivotant dans une sorte d’équilibre sub-optimal, à l’évidence
insuffisant pour améliorer significativement le niveau de vie de la population ?
Pourquoi les inégalités sociales et territoriales demeurent-elles aussi grandes ?
Pourquoi des besoins élémentaires, des droits fondamentaux, comme ceux à
l’éducation, à la santé, au logement, restent encore si peu satisfaits pour une trop
grande partie de la population ? Pourquoi les stratégies, les plans et les
programmes se succèdent depuis cinquante ans sans réussir à atteindre leurs
objectifs proclamés ? En somme, pourquoi, comme le reconnaissent aujourd’hui les

1 Economiste, professeur de l’enseignement supérieur.


2 A un tel niveau de croissance, il faudrait, selon une simple projection, plus de 40 ans au Maroc pour
atteindre le niveau actuel de PIB par habitant du Portugal, et plus de 50 ans pour atteindre celui de la
France…

13
plus hautes autorités de l’Etat, le « modèle de développement » du pays a-t-il tant
besoin d’être « repensé » ?

En réalité, et pour s’en tenir au règne de Mohamed VI, de telles questions sont
soulevées, et posées dans le débat public depuis une quinzaine d’années au moins.
Comment oublier le fameux Rapport du Cinquantenaire, son diagnostic lucide quant
aux maux de l’économie marocaine, et sa conclusion que notre modèle de
production, de consommation et de répartition n’était plus soutenable, d’où
l’impérieuse nécessité de changer nombre de nos choix dans les domaines
politiques, économiques, sociaux, culturels ? Surtout, comment oublier ses
« nœuds du futur »1 qu’il fallait absolument « dénouer » dans la perspective d’un
scénario « souhaitable et possible » du Maroc à l’horizon 2025? Comment ne pas se
rappeler que le HCP avait à son tour en 2007 réalisé une étude prospective
d’envergure explorant là encore le devenir de notre pays, en l’occurrence à
l’horizon 2030, et soulignant les défis à relever ? La société civile aussi s’y était
mise, avec notamment le Rapport de la Fondation Abderrahim Bouabid qui, non sans
une certaine dose de provocation, se demandait : « Le Maroc a-t-il une stratégie de
développement économique ? », et proposait « quelques éléments de réflexion
pour un véritable décollage économique et social »2.

On peut donc légitimement regretter que tant d’occasions aient été ratées, que
tant d’opportunités n’aient guère été saisies pour « prendre le taureau par les
cornes », et engager le pays sur la voie des réformes qui s’imposent, à même de lui
permettre d’entrevoir son avenir avec un certain optimisme.

Il reste qu’il a fallu attendre 2014 pour que ce soit cette fois le chef de l’Etat qui
pose les questions qui s’imposent : « Nos choix sont-ils judicieux ? », s’est-il

1 Les cinq « nœuds » en question étaient les suivants : Le Savoir, l’Economie, l’Inclusion, la Santé et la
Gouvernance. Cf. Cinquantenaire de l’indépendance du Royaume du Maroc (2006) - 50 ans de développement
humain et perspectives 2025, Document de synthèse du Rapport général, « L’avenir se construit et le
meilleur est possible », Rabat, janvier 2006, pp.28-30.
2 Fondation Abderrahim Bouabid – Conseil d’Analyse Economique, Le Maroc a-t-il une stratégie de

développement économique ? Quelques éléments de réflexion pour un véritable décollage économique et social,
Salé, juin 2010, p.6.

14
interrogé dans son discours du Trône du 30 juillet 20141. Prenant acte des études

La crise du modèle
portant sur « l'évolution de la richesse du Maroc », le souverain ajoute : « Je
M'interroge, avec les Marocains, non sans étonnement : Où est cette richesse ? Est-
ce que tous les Marocains en ont profité, ou seulement quelques catégories ? La
réponse à ces interrogations n'exige pas d'analyses approfondies. Et si le Maroc a
connu des avancées tangibles, la réalité confirme que cette richesse ne profite pas à
tous les citoyens ». Trois années plus tard, successivement lors du discours du
Trône du 30 juillet 2017, puis le 13 octobre 2017, devant les parlementaires, le Roi
revient sur le même thème en élargissant le cadre d’analyse au « modèle de
développement » qu’il reconnaît s’être révélé « inapte à satisfaire les demandes
pressantes et les besoins croissants des citoyens, à réduire les disparités
catégorielles et les écarts territoriaux et à réaliser la justice sociale »2.

Un constat qui raisonne et résume une sorte de bilan autocritique à la fois


courageux et accablant. Il a au moins le mérite d’imposer la reconnaissance par
tous des déboires les plus évidents du « modèle ». Il y a là sans doute un « acquis »
qu’il faut apprécier à sa juste mesure. Car il faut tout de même se souvenir que
jusqu’à ces derniers discours royaux, une certaine « élite » faite de thuriféraires
inconditionnels du régime était à tout instant prête à bondir toutes griffes dehors
pour défendre la « pertinence » des choix effectués, et louer les bienfaits de « notre
modèle de développement » ! Mais maintenant que c’est le roi qui le dit…

Soit. L’essentiel aujourd’hui est que personne n’ose contester le constat d’échec
du « modèle » et l’impérieuse nécessité de le repenser. Ce pas en avant nous invite
à ne surtout pas rater le suivant. Car pour repenser le modèle, et donc s’entendre
sur les bons remèdes, il faut naturellement s’accorder au préalable sur le bon
diagnostic. Or, une fois de plus, c’est là que le bât blesse. A nouveau, on nous
ressert le plat tellement usé du genre : Le problème n’est pas dans les choix, ni
même dans les politiques engagées, mais dans leur mise en œuvre… Et à partir de

1 Discours du Trône, 30 juillet 2014 : http://www.maroc.ma/fr/discours-royaux/discours-de-sm-le-roi-


la-nation-loccasion-de-la-fete-du-trone .
2 http://www.maroc.ma/fr/discours-royaux/sm-le-roi-prononce-un-discours-louverture-de-la-

premiere-session-de-la-2-eme-annee .

15
là, on peut aisément glisser vers le marécage fumeux du citoyen qui n’est pas assez
éduqué, du fonctionnaire fainéant et corrompu, de la mentalité traditionnelle des
gens, des partis politiques qui passent leur temps à se mettre des bâtons dans les
roues, des marchés mondiaux qui nous imposent leurs cours volatiles, de
l’intégrité territoriale qui exige encore et toujours des sacrifices…

Evidemment que chacune de ces « explications » a sa part de vérité. Est-ce pour


autant déterminant ? Peut-on imaginer que ces problèmes –réels sans doute- soient
indépendants des choix majeurs ayant fondé l’ordre établi, et du « système » qui en
est le gardien ? Est-il raisonnable de penser que sans remise en cause des choix
fondateurs et de leur « gouvernance », le « modèle » se mettrait soudain à produire
des résultats conformes à ceux qu’on en attendait ? C’est dire que d’autres
questions, peut-être plus complexes, apparaissent incontournables: Pourquoi cet
entêtement à perpétuer les mêmes choix qui ont conduit aux mêmes échecs ?
Comment les mêmes causes ont-elles obstinément produit les mêmes effets ?
Comment l’économique s’est-il articulé au politique pour aboutir à cet état de fait
d’une économie dont « l’émergence » tarde tant à venir ? Au fond et pour tout
dire : Quelle est la responsabilité du système politique dans le mal-développement
du pays?

La thèse développée dans cette contribution est la suivante : L’échec du modèle


de développement est d’abord celui du système politique qui l’a de bout en bout
porté. Il est celui d’un système de « gouvernance » qui en a arbitrairement arrêté
les choix fondamentaux, en a défini et mis en œuvre les politiques publiques qui
l’ont accompagné, et en dépit des déboires et des échecs répétés, n’a guère tiré les
conséquences de l’expérience, pourtant plus que probante. Certes, le « système » en
question, qui s’incarne dans l’Etat-Makhzen, repose sur des alliances de classe et
défend des intérêts qui le sont tout autant. S’il n’a donc réussi ni à améliorer les
conditions de vie des marocains ni à réduire les inégalités dont ils sont victimes, il
a par contre pleinement réussi à amplifier la prospérité d’une minorité de
privilégiés qui le sert parce qu’elle se sert…

Nous commencerons par expliciter les « choix fondateurs », qui sont en même

16
temps des paris que l’Histoire se chargera de nous dire à quel point ils auront été

La crise du modèle
perdus. Nous tâcherons ensuite d’articuler cet échec économique au système
politique qui a arrêté les choix et conduit les politiques mobilisées pour les
matérialiser au quotidien. Nous serons alors en mesure d’apprécier à sa juste
mesure la responsabilité de ce dernier dans l’échec dudit « modèle de
développement ».

1. Les choix fondateurs et les politiques mises à leur service

A l’origine du « modèle marocain », l’examen scrupuleux de l’histoire


économique de ce pays nous révèle des choix majeurs et fondateurs, faits par la
monarchie exécutive de Hassan II, en étroite « collaboration » avec la Banque
mondiale et le Fonds monétaire international, dès les années soixante et soixante-
dix du XXème siècle, et qui restent à ce jour, à l’ordre du jour. Ces choix sont au
nombre de deux : le premier concerne l’économie nationale, le second son insertion
dans l’économie internationale1.

Au niveau interne, une ferme volonté est affirmée pour construire une
économie de marché, où les ressources sont affectées selon la logique de celui-ci, et
où le secteur privé joue le rôle central du principal acteur du développement. Le
second choix repose sur la théorie –en vogue à l’époque- de la « croissance tirée par
les exportations », et partant du postulat que le pays dispose d’avantages
comparatifs avérés, son insertion dans « la division internationale du travail » (on
ne parlait pas encore de mondialisation) ne pouvant être que gagnante… Il fallait
donc orienter les efforts d’investissement et de production vers la satisfaction
prioritaire de la demande externe, autrement dit du marché international, plutôt
que celle du marché intérieur.

Relevant de la profession de foi, ce double choix est au fond aussi un double


pari : 1. Pari sur la capacité du secteur privé à être le véritable moteur du

1 Pour de plus amples développements sur cette partie, cf. N. Akesbi, « Economie politique et politiques
économiques au Maroc », In : Economie politique du Maroc, ouvrage collectif, Revue Marocaine de
Sciences Politiques et Sociales, Hors-série – vol. XIV, Rabat, avril 2017, pp. 49-111. Etude traduite et
publiée en arabe sous le même titre aux éditions du Centre d’Etudes et de Recherches Mohamed Bensaïd
Aït Iddir (CERM), Casablanca, septembre 2017.

17
développement, par son aptitude à produire de « l’initiative », à créer et innover, et
donc à investir, offrir de l’emploi, optimiser les conditions de production,
distribuer des revenus; 2. Pari sur les vertus d’une bonne insertion dans les chaînes
de valeur internationales, et sur leur capacité à tirer les taux de croissance vers le
haut.

Ces choix-paris resteront immuables jusqu’à aujourd’hui, traversant les


décennies et survivant même au changement de règne qui s’opère en 1999. Le
règne de Mohammed VI en effet ne marque pas une rupture mais une inflexion
dans le cours d’orientations cinquantenaires, en ce sens que les options de base
étant maintenues, de nouvelles initiatives sont prises pour accélérer ou accentuer
une dynamique engagée (investissements d’infrastructures, libéralisation des
échanges…), décomposer un cadre stratégique existant (un plan national auquel se
substituent des plans sectoriels) ou encore introduire une nouvelle gouvernance
plus en phase avec l’air du temps et néanmoins encore plus problématique au
regard des valeurs démocratiques universelles…

Au service de ses choix stratégiques, et tout au long des cinq décennies


précédentes, l’Etat a mobilisé des ressources considérables, et déployé des
politiques publiques multiples et variées. Au fil du temps et des circonstances, ces
politiques ont naturellement évolué, même si elles ont continué de poursuivre les
mêmes objectifs. On ne peut ici qu’en rappeler les têtes de chapitres :
marocanisation, puis privatisations et « partenariats public-privé », investissements
publics dans les infrastructures, codes d’investissements puis charte
d’investissement, politique d’ajustement structurel, avec désengagement de l’état
et libéralisation des prix et des marchés, politiques sectorielles, politiques fiscales,
budgétaires et monétaires, accords de libre-échange 1 … Toutes ces politiques
peuvent être analysées à la lumière du double choix stratégique effectué : les unes
agissent pour la libéralisation des marchés et le renforcement du secteur privé, les
autres pour une extraversion toujours plus grande de l’économie du pays, d’autres

1 Pour une présentation plus détaillée de ces politiques, cf. N. Akesbi, « Economie politique et politiques
économiques au Maroc », 2017, op.cit.

18
encore pour les deux à la fois.

La crise du modèle
C’est ainsi que, à titre indicatif, les opérations de « marocanisation » (des
exploitations agricoles, des entreprises de l’industrie et des services), de
privatisation ou encore de concession en gestion déléguée de services publics, ont
cherché à étendre l’assise foncière, industrielle et financière du capital privé, et au-
delà à élargir le champ du profit et de ses conditions d’accumulation.
L’engagement tout au long du dernier demi-siècle dans la construction
d’infrastructures économiques (des premières routes nationales aux autoroutes
actuelles, des premiers barrages aux ports et aéroports qui suivront…) avait
d’abord pour objet de socialiser une partie des coûts de valorisation du capital,
permettant ainsi une plus grande rentabilisation des investissements privés. Les
politiques macro-économiques (fiscales, budgétaires, monétaires…), en prélevant
leurs ressources essentiellement auprès des classes moyennes et pauvres, pour les
redistribuer ensuite sous forme de marchés publics, de subventions et de dépenses
fiscales au profit d’intérêts privés bien déterminés, ont clairement affirmé une
volonté de mettre les finances publiques au service des finances privées. Les
politiques de libéralisation des prix et des marchés, intérieurs et vis-à-vis de
l’extérieur, engagées dans le cadre des politiques d’ajustement structurel des
années 80 puis couronnées par les nombreux accords de libre-échange des deux
décennies suivantes, ont eu pour objectif de consolider les bases de l’économie de
marché, permettant au capital privé de tirer avantage des différentes formes de
désengagement de l’Etat (déréglementation, dérégulation…) d’une part et
d’intégration au marché mondial d’autre part.

Des choix ayant bénéficié d’une telle « durabilité » et des politiques conduites avec
autant de constance doivent aujourd’hui être soumis à une évaluation objective, parce
que précisément déterminée par la capacité à atteindre les objectifs visés.

2. Les résultats obtenus, témoins des paris perdus

L’expérience économique du Maroc indépendant a déjà fait l’objet


d’évaluations et d’appréciations multiples, dont notamment celle du Rapport du

19
Cinquantenaire déjà cité, et qui avait à sa manière tiré la sonnette d’alarme. En
réalité, depuis une décennie au moins, un minimum de lucidité suffit pour porter
un regard objectif sur une expérience malheureuse. Une appréciation objective n’a
pas besoin de jugement de valeur, mais juste d’une confrontation froide des faits,
une mise en face à face des objectifs tels qu’ils avaient été projetés par le « modèle »
lui-même d’une part, et ses réalisations d’autre part. Le premier niveau est celui
des objectifs qu’on pourrait qualifier d’opérationnels, et le second celui des
objectifs fonctionnels.

2.1. Objectifs opérationnels : Une économie sous « plafond de verre »

Ce premier niveau est acté en permanence par le flot des séries statistiques les
plus officielles : croissance « molle », dépendance alimentaire, régression industrielle,
explosion de « l’informel », chômage structurel, pauvreté multidimensionnelle,
inégalités croissantes… En somme, une économie « sous plafond de verre », une
réalité sur laquelle il n’est plus nécessaire de s’attarder, puisque comme on l’a
souligné au début de ce texte, elle fait « consensus », au moins depuis que le Roi en
a acté la substance1. Néanmoins, on trouvera ci-dessous des figures (1 à 6) qui
illustrent des aspects significatifs de cet état de fait.

1 Pour celles et ceux qui souhaitent néanmoins être mieux instruits sur cet aspect de la
« démonstration » (abondantes statistiques à l’appui), je renvoie à mes conférences annuelles,
présentées dans le cadre de l’Université Citoyenne de HEM, et dont les documents ppt sont publiés sur
le site de l’Université dédié. Cf ; notamment : « Le modèle de développement en débat » (UC de
Casablanca et Marrakech, février 2018) ; « Où va l’économie marocaine ? L’économie marocaine en
perspective » (UC de Tétouan, Casablanca, Marrakech, Agadir, Fès, janvier-février 2017). Voir
aussi N. Akesbi, « Pourquoi et comment l’économie marocaine s’installe sous le plafond de verre »,
Finances News hebdo, Spécial 20 ans, Hors série n°36, janvier 2019.

20
La crise du modèle
Une croissance faible et volatile…

8
7.6
7.3

5.9
6
5.2

5 4.7
4.5
4.1
4
3.8
3.5
3.3 3.1
3
3.1

2.6 2.9
2
1.9

1
1.1

Fig.1 - Croissance… Source : HCP


Fig.2 - PIB par tête

Evolution du PIB et contribution du PIBA 70


% 64
66

15 59
60
57
54 55
51
48
10 50

42

40
5

30

20

-5
10

-10 0

Fig. 3 - Aléa agricole… Source : HCP Fig. 4 - Exports / Imports (%) Source : Office des
changes

Fig. 5 - Dette publique Fig. 6 - Développement humain


Source : Source : PNUD,
HCP, 2019 2018

21
Le second niveau, celui des objectifs « fonctionnels », révèle des déboires, voire
des effets pervers encore plus lourds de conséquence, tant il montre de manière
analytique, en confrontant nos choix à nos réalités, à quel point nous avons « raté
le coche ».

2.2. Nous voulions le marché, nous avons la rente !

Ainsi, nous voulions une « économie de marché », avec des marchés ouverts,
pluriels, transparents, où la concurrence serait reine et le vaillant secteur privé le
« chevalier d’honneur » ?! Quiconque peut aisément constater aujourd’hui qu’à la
place, nous avons une économie gangrénée de toute part par « la rente et
l’entente », avec des secteurs clés contrôlés par des oligopoles, voire des
monopoles, bénéficiaires de privilèges et de passe-droits d’un autre âge.

On se contentera ici d’énoncer les secteurs d’activités qui, dans le Maroc de 2019
encore, restent enserrés dans cette logique « de la rente et de l’entente » plutôt que
dans celle du marché, libre, ouvert, transparent, concurrentiel… Ainsi le transport
des voyageurs (petits et grands taxis, cars de transport intra-urbains), ainsi que les
marchés de gros, des fruits et légumes notamment, restent « fermés », la possibilité
d’y accéder étant conditionnée par l’obtention d’un précieux sésame appelé
« agrément », lequel est octroyé par les autorités politiques, sur la base de critères
dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ont peu à voir avec ceux du marché… Il
en va de même pour l’exploitation de la plupart des ressources naturelles, des
carrières de sable à la pêche hauturière, en passant par les eaux minérales, les
forêts… Les concessions en gestion déléguée de services publics communaux
(distribution d’eau, d’électricité, assainissement...) dans les grandes villes du pays
ont toutes été accordées par entente directe, loin de toute procédure d’appel d’offre
publique, ni même des moindres règles de transparence. Dans le monde rural, des
centaines de milliers d’hectares de terres fertiles, autrefois récupérées de la
colonisation et confiées à deux sociétés d’état (Sodea et Sogeta) ont, par le simple
« fait du prince », été « offerts » à des dignitaires du régime voire à une certaine
clientèle politique, en tout cas là encore dans une opacité totale et des règles les
plus élémentaires qu’une logique de marché aurait exigées.

22
Sur le registre des phénomènes de domination du marché, par monopole,

La crise du modèle
oligopole, ou entente, ils restent caractéristiques de secteurs majeurs, essentiels
dans l’économie marocaine aujourd’hui. Dans l’agro-alimentaire, comment
comprendre qu’un secteur aussi important que celui du sucre 1 fasse encore en 2019
l’objet d’un monopole ? Un monopole de surcroît bénéficiant d’un invraisemblable
double privilège supplémentaire : celui d’être à la fois surprotégé de la concurrence
étrangère pour ses approvisionnements et subventionné pour sa production mise à
la consommation ! D’autres secteurs agro-alimentaires pâtissent de situations
oligopolistiques manifestes, tels ceux de l’huile de graines, des engrais, des
semences… Les secteurs des banques et assurances sont également notoirement
oligopolistiques. Le secteur bancaire en particulier, en dépit de sa vingtaine
d’organismes présents, est en fait largement dominé par trois ou quatre groupes
qui s’accaparent les trois quarts des dépôts, des crédits, des réseaux… Et de toute
façon disposent par ailleurs de ce cartel qui ne dit pas son nom qu’est le GBPM 2 et
qui leur offre le cadre où ils peuvent « s’entendre » avec l’ensemble de la
profession, formellement ou non, pour administrer le marché au gré de leurs
intérêts. Quant au secteur des hydrocarbures, l’opération de boycott de trois
marques de grande consommation qui a eu lieu en 2018 a montré non seulement
comment trois ou quatre sociétés de distribution s’accaparent plus des trois quarts
du marché, mais aussi comment, dans le sillage d’une libéralisation du marché mal
réfléchie et mal engagée, ces mêmes groupes ont pu imposer des prix sans rapport
avec la réalité du marché, et partant des gains qui relèvent plutôt de la logique de
la rente que de celle du profit… Au demeurant, ce boycott a mis en évidence aussi
ce mariage malsain entre les « affaires » et la politique, ou en d’autres termes, à
quel point le « politique » et « l’économique » sont encore malencontreusement
imbriqués dans l’économie marocaine3.

1 On peut rappeler que, avec près de 35 kg/tête, le marocain est un des plus gros consommateurs de
sucre dans le monde…
2 Groupement Professionnel des Banques du Maroc.

3 Cf. Ch. Bozonnet, « Au Maroc, le boycott qui dérange les autorités », Le Monde, 10.6.2018 ; Maroc –

« Les patrons de Sa Majesté » boycottés par le peuple, Orient XXI, 7.6.2018 (https://orientxxi.info/);
« Boycott : La revanche du Maroc d’en bas », Economie Entreprise, Dossier, juin 2018 ; « Moroccan
rattles leaders with mass boycott over high prices », Associated Press – The new York Times, 6.6.2018 ; M.
23
Comment s’étonner dans ces conditions que le Conseil de la concurrence, créé
depuis le début des années 2000, ait été maintenu « juste pour la forme », en tout
cas dépouillé de tout pouvoir ou privé de toute possibilité d’action… jusqu’en
2018 ?! Réanimé à la fin de cette année-là, les mois et les années qui viennent nous
diront peut-être ce que ce nouveau Conseil sera en mesure de faire, en conformité
avec les prérogatives qui lui sont attribué par ses nouveaux statuts.

2.3. Nous voulions le privé, nous avons le public !

Le pari sur l’économie de marché était fondamentalement un pari sur le secteur


privé et sur sa capacité, peu à peu, à relayer l’Etat, forcément omniprésent au début du
processus de développement. Certes fortement encouragé par ce dernier (comme on l’a
vu plus haut : infrastructure, aides, subventions, privilèges fiscaux, crédits…), il lui
revenait de gagner progressivement mais continuellement de nouveaux « espaces » de
l’économie nationale, en investissant massivement dans les secteurs privilégiés, dans la
formation et la recherche, en maximisant la valeur ajoutée locale et les exportations, en
créant des emplois, en distribuant des revenus et de la protection sociale… Or,
aujourd’hui, et après tant et tant d’années de transferts du secteur public en faveur du
secteur privé, force est de constater que le résultat est consternant. Ce ne sont pas
seulement les intellectuels ou les « économistes de gauche » mais les Organisations
internationales et les Autorités marocaines elles-mêmes qui déplorent les défaillances,
le faible dynamisme, voire la frilosité du secteur privé marocain, décidément incapable
d’honorer ses engagements les plus élémentaires1… On peut pour notre part recourir à
un indicateur tout à fait significatif pour témoigner de cette incapacité du secteur privé
marocain, fut-ce seulement à accompagner significativement l’effort d’accumulation
dans le pays, puisqu’il s’agit du taux d’investissement, ou plus précisément du taux de

Mounjib, « Sur la relation entre le pouvoir, les affaires et la représentativité politique », Al Quods Al
Arabi (article en arabe), 22.6.2018 ; « Akesbi : le boycott est un cri contre le mariage incestueux entre
les affaires et le pouvoir » (articles en arabe), Akhbar Al yaoum (11.5.2018) et AlYaoum24 (
http://m.alyaoum24.com/ ).
1 Cf. le dernier rapport de la Banque mondiale : « Le Maroc à l’horizon 2040 » (JP. Chauffour), 2018 ;

Ainsi que différentes interventions depuis 2016 du Wali de Bank Al Maghrib, et du Haut-Commissaire
au Plan…. A tel point que face à une Bourse des valeurs agonisante depuis de nombreuses années, et
prenant acte de l’incapacité du secteur privé à s’y engager pour la ranimer, le Wali de Bank Al Maghrib
en est arrivé à demander au secteur public de « revenir à la bourse » pour parer à la défaillance du
secteur privé ! (Cf. Akhbar Al yaoum, 17.10.2014).

24
formation brute de capital fixe (FBCF/PIB). Celui-ci était contenu, des décennies

La crise du modèle
durant, dans des limites plutôt modestes, soit une moyenne de l’ordre de 22%, avec
une composition grosso-modo répartie à raison de 12 points pour le secteur privé
(investissement étranger compris) et 10 points pour le secteur public (y compris les
établissements publics et les collectivités locales). Puis assez rapidement à partir de
2005, ce taux d’investissement est monté à plus de 30%, dépassant même 35% certaines
années1. Le fait est que, à un niveau moyen de l’ordre de 32%, la structure a pour sa
part sensiblement changé, la part du secteur privé étant restée quasiment stable autour
de 12 points, alors que celle du secteur public a doublé, passant de 10 à 20 points.
Autrement dit, l’effort d’accumulation du pays, au demeurant tout à fait appréciable,
se révèle au bout du compte, porté en gros aux deux tiers par le secteur public, le
secteur privé se contentant d’un tiers. En fait, si l’on retire de ce tiers la part due à
l’investissement direct étranger (autour de 3 points de PIB), la part du « privé
marocain » tombe probablement à un niveau proche du quart2.

C’est dire que, quand on voit ce qui fait fonction aujourd’hui de « patronat »
dans ce pays, on peine à imaginer comment a-t-on pu croire un jour qu’il était
possible d’en faire cette « bourgeoisie » audacieuse et entreprenante ayant, sous
d’autres cieux et en d’autres temps, terrassé la féodalité et fait triompher le
capitalisme ! Quant à l’Etat, d’une part, acculé ainsi à continuer de prendre en
charge une aussi grande part de l’effort d’accumulation du pays, alors que les
conditions de son financement se détériorent, avec la chute du taux d’épargne
(figure 8), il peut continuer à le faire en ayant recours à l’endettement, notamment
extérieur (cf. figure 5). D’autre part, il faut savoir que tout dirham ainsi alloué à des
dépenses qui auraient dû être assumées par le secteur privé, est autant une
ressource qui n’aura pas été affectée au financement de services publics de base
autrement vitaux pour l’immense majorité de la population, tels ceux de

1 HCP, Etude sur le rendement du capital physique au Maroc, Rabat, janvier 2016.
2 Les chiffres dont il est question dans cette partie, sans rien perdre de leur capacité à démontrer les faits
en question, restent néanmoins approximatifs car calculés par déduction à partir de l’agrégat de la
FBCF et des montants respectifs des investissements publics et étrangers. Il faut dire que, aussi
étonnant que cela puisse être, le Haut-Commissariat au Plan – qui produit par ailleurs des statistiques
très « fines » dans de nombreux domaines-, ne publie aucun chiffre sur l’investissement privé en tant
que tel !

25
l’éducation, la santé, le transport en commun… Pire, étant lui-même dominé par
des lobbies et des intérêts de classe très minoritaires, l’Etat oriente ses choix vers
des investissements qui s’avèrent en large déconnexion avec les besoins réels du
plus grand nombre, d’où ces « éléphants blancs » qui foisonnent un peu partout, et
cet apparent paradoxe d’un taux d’investissement élevé mais qui ne génère ni
suffisamment de croissance ni assez d’emplois (cf. figures 9 et 10) 1.

45 40
Taux d’investissement
38
40
FBCF 36
35
34

30 32

30
25 Invest
Public 28 Taux d’épargne
20
26

15 24

22
10 Invest Privé
20
5 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016

0 Taux d'investissement brut (FBCF+VS)(En %)

Epargne nationale brute en % du PIB

Fig.7 – Taux d’investissement et composition Fig.8 – Déficit d’épargne

45

Taux d'investissement
40

35

30

25

20

15
Taux de croissance
10

Fig.9 – investissement et croissance Fig.10 – investissement et emploi

1 Selon l’étude du HCP précédemment citée (Etude sur le rendement du capital, 2016, p.14), l’ICOR
(FBCF/PIB) atteint 7.2 en moyenne au cours de la décennie 2006-2015 (ce que la figure 9 illustre de
manière graphique), lorsque, à titre d’exemple, il n’est que de 2.9 en Corée du sud, 3.5 en Malaisie, et
4.2 au Chili…

26
2.4. Nous voulions le « tout-export », nous avons le « tout-import »!

La crise du modèle
L’autre pari majeur portait sur la croissance qui devait être « tirée par l’export »,
nous permettant de devenir de nouveaux « dragons », dignes de leurs grands frères
asiatiques ?! Il suffit de prendre connaissance des statistiques régulièrement publiées
par le HCP sur nos échanges extérieurs et leur « contribution » à la croissance pour
constater que, loin d’en être le moteur, ceux-ci en sont devenus une entrave quasiment
insurmontable. Ce que nous disent les statistiques de l’Office des changes année après
année, est que le déficit de notre balance commerciale – jamais « démenti » depuis…
1974 !- atteint au cours de la dernière décennie des sommets compris entre 15 et 20%
du PIB (figure 11), que le taux de couverture de nos importations par nos exportations
reste en moyenne cantonné entre 50 et 55% (figure 4), que nous sommes déficitaires
quasiment avec la totalité des pays avec lesquels nous avons signé des accords de libre-
échange1. Ce que nous disent les statistiques et les rapports du HCP ainsi que du
Ministère des Finances est que l’évolution du solde du commerce extérieur révèle une
contribution négative à la croissance économique de 1 point en moyenne sur la période
2008-2016 (figure 12) 2 . Là encore, on est pleinement dans l’effet pervers, l’exact
contraire de ce qui était recherché. On se voulait super-exportateurs, on se révèle
méga-importateurs !

Fig.11 – Ampleur des déficits… Fig.12 – Contribution négative à la croissance

1 Cf. Rapports annuels et ponctuels sur le commerce extérieur :


https://www.oc.gov.ma/fr/publications#wow-book/
2 Statistiques élaborées par la Direction des Etudes et des Prévisions Economiques du Ministère des

Finances à partir des données du Haut-Commissariat au Plan. Cf. DEPF-MF, Rapport économique et
financier, Projet de Loi de finances 2018, p.44.

27
Finalement, le moins qu’on puisse dire est que le double pari, sur le secteur
privé et sur le tout-export a été perdu. On voulait le marché, on a la rente, on
voulait l’export, on a l’import !

Il nous reste maintenant à méditer un tel échec, au regard du système politique,


c’est-à-dire de prise de décision, qui a fait les choix et mis en œuvre les politiques
ayant conduit aux résultats que l’on sait.

3. Le système politique, obstacle au développement économique

Le système de démocratie représentative, à l’échelle d’une organisation comme


à celle d’un pays, est fondé sur une trilogie qui a fait ses preuves : Ce sont les urnes
qui donnent sa légitimité au pouvoir exécutif, lequel met en œuvre son programme
en en étant pleinement responsable, et en rend compte à l’issue de son mandat,
devant les électeurs qui l’ont élu. Ce système a certes été adopté parce qu’il est
« démocratique » mais aussi, et peut-être surtout, parce qu’il est efficace, ou du
moins source d’efficacité. D’abord parce qu’un programme a d’autant plus de
chances de susciter l’adhésion et mobiliser les énergies qu’il émane des besoins de
la « base » et ambitionne de répondre à sa demande et à ses priorités ; Ensuite
parce qu’une direction est d’autant mieux reconnue et fondée à gouverner qu’elle a
été légitimée par le vote d’une majorité, sur la base d’un « contrat » formalisé à
travers un « programme ». Par là-même, cette direction est d’autant en mesure de
mettre en œuvre son programme qu’elle en est pleinement responsable et dispose
pour cela de tout le pouvoir de décision nécessaire. Et enfin, elle est d’autant
incitée à tout faire pour tenir ses engagements et réussir son mandat qu’elle sait
qu’elle est comptable de sa gestion, qu’elle sera régulièrement évaluée et contrôlée,
qu’au terme de ce mandat, elle devra rendre compte à celles et à ceux qui l’ont
élue, desquels dépend son éventuelle réélection…

Légitimité, responsabilité, redevabilité : voilà les trois mots-clés qui fondent


l’organisation et les rapports de pouvoir et de décision, parce qu’ils sont considérés
les facteurs déterminants de l’efficacité, celle-ci étant avant tout mesurée par la
capacité à atteindre les objectifs arrêtés dans les programmes. Or, c’est ce « tiercé

28
gagnant » -parce que vertueux- qui fait encore défaut dans le système politique

La crise du modèle
marocain.

Au Maroc, et au-delà des programmes des partis politiques qui ne vivent en


réalité que le temps que durent les campagnes électorales, le programme dont
chacun peut constater la mise en œuvre au quotidien n’est autre que celui du
Palais. Or, le « programme royal » n’a jamais été soumis au débat public et encore
moins à une légitimation démocratique. Il est le programme du pays parce qu’il est
le programme du Roi. Pour rester dans le domaine de l’économie, les « grands
chantiers » comme les plans sectoriels, les Accords de libre-échange ou encore le
« chantier du règne » qu’est l’INDH1, n’avaient préalablement figuré dans aucun
programme d’aucun parti politique. Tous ces « chantiers » avaient été décidés dans
les arcanes du Palais royal et non dans les cabinets ministériels des gouvernements
(et encore moins dans les partis qui les soutenaient). Ils ont ensuite été mis en
œuvre sans être préalablement validés ni par le Gouvernement ni par le
Parlement…

Toujours est-il que le « programme du Roi » sera mis en œuvre par un


gouvernement qui n’en maîtrise en réalité ni les tenants ni les aboutissants. Il doit
gérer tant bien que mal les conséquences de choix auxquels il n’avait guère été
associé 2 . Le plus souvent, c’est la monarchie qui doit annoncer les bonnes
nouvelles et présider aux inaugurations, mais c’est ensuite le gouvernement qui
doit gérer les déboires et affronter les échecs, dans un climat de dilution des
responsabilités déconcertant. A titre d’exemple, le projet du TGV est aujourd’hui
mis en œuvre par un ministre dont le parti avait clairement critiqué le lancement. Il
doit aujourd’hui justifier ce qu’il considérait injustifiable hier. Il en va à peu près de
même des accords de libre-échange, des accords sectoriels, de la quasi-
défiscalisation de l’agriculture…

1 Initiative Nationale pour le Développement Humain.


2 Le TGV en 2010 ou plus récemment « l’affaire » du maintien de l’horaire d’été en octobre 2018
illustrent de manière caricaturale l’embarras, voire le désarroi de gouvernements de toute évidence
sommés de mettre en œuvre des décisions dont ils ne savaient rien…

29
Enfin quand une législature s’achève et que, comme dans tout système de
démocratie représentative digne de ce nom, le pouvoir exécutif doit rendre compte
de sa gestion devant les électeurs, on assiste au Maroc à une situation surréaliste :
D’un côté le Palais, où réside le véritable pouvoir de la « monarchie exécutive », ne
se présentant pas aux élections, n’a de comptes à rendre à personne ; et de l’autre,
le gouvernement ne se sent comptable que des « petites choses », car dès qu’il est
question des stratégies et des grandes décisions lourdes de conséquences, chacun
se hâte de tirer le parapluie des « Hautes Directives de Sa Majesté », ce qui a pour
effet immédiat de clore le débat.

De sorte que, ce grand moment pré-électoral, précieux dans toute démocratie


parce que ouvert à tous les débats et toutes les remises en cause, à l’évaluation des
bilans, aux controverses sur les causes et les conséquences des choix opérés, sur les
responsabilités des uns et des autres, les enseignements tirés de l’expérience et les
alternatives proposées par chacun, ce moment tourne court au Maroc parce que le
principal acteur politique du pays n’est pas « sur le terrain » mais « au-dessus de la
mêlée ».

Le plus grave dans un tel système est que, puisque les stratégies et les grandes
orientations royales ne sont pas discutables, elles ne font pas l’objet d’une
évaluation critique, et même lorsqu’il arrive que par des voies détournées, celle-ci
est faite, il ne peut en découler aucune remise en cause des choix fondamentaux
ayant conduit aux résultats déplorés. C’est le cas par exemple de la plupart des
Accords de libre-échange dont il a été question plus haut, et à propos desquels il y
a aujourd’hui un consensus pour admettre leurs nombreux et lourds défauts.
Comme c’est le cas de nombre de plans sectoriels (à commencer par ceux de
l’agriculture, du tourisme, de l’industrie…), ou de tant de « grands chantiers » (y
compris ceux en cours dans les grandes villes du pays…), ou encore de l’immense
majorité des privilèges fiscaux appelés « dépenses fiscales » et que les responsables
eux-mêmes ainsi que les institutions internationales reconnaissent aujourd’hui
aussi inefficaces que inéquitables, en plus d’être excessivement coûteux en termes
de manque à gagner pour le Trésor public… Oui, mais qui peut se hasarder à

30
revendiquer la remise en cause d’une politique qui procède d’une « volonté

La crise du modèle
royale » ? Qui peut oser, avec tout le respect qui lui est dû, dire au Roi qu’il a pu
s’être trompé, et qu’il est temps qu’il change de politique ? Le Roi n’est donc pas
« interpellable » et aucun mécanisme institutionnel ne permet de lui signifier les
erreurs qu’il peut commettre et encore moins la nécessité de remettre en cause ses
choix lorsqu’ils s’avèrent non fructueux.

Et c’est ainsi que, objectivement, le système politique peut constituer une


véritable entrave au développement économique du pays1. La constitution de 2011
n’a guère apporté la réponse appropriée et tellement nécessaire à ce problème
majeure qui a fini par faire du système politique de ce pays l’obstacle devant lequel
bute tout effort de son développement. Par la grâce de l’article 49, qui attribue au
Conseil des ministres (présidé par le Roi) le pouvoir de décision en ce qui concerne
les « orientations stratégiques de la politique de l’Etat », se perpétue le
« verrouillage institutionnel» au profit de la « monarchie exécutive ». Par la force
des textes de loi donc mais aussi par la pratique quotidienne, c’est le Roi qui
continue de décider les stratégies du pays, c’est lui qui reste maître des
établissements publics les plus influents dans l’économie nationale, et c’est encore
lui qui garde la haute main sur les Instances de contrôle et de régulation les plus
importantes dans le paysage institutionnel.

Dès lors, comment le commun des citoyens, le jeune en particulier, insatisfait de


son sort, peut-il signifier à celui qui le gouverne son mécontentement, et son désir
de le voir changer de politique ? Quelle autre possibilité lui reste-il s’il ne peut le
faire par la voie démocratique universellement reconnue ? La rue, les réseaux
sociaux, la colère sourde, les cris de désespoir et les chants rageurs dans les stades
de foot-ball, la désertion, l’émigration à tout prix… Ce qu’il fait déjà, et de plus en
plus. Depuis le printemps arabe et sa version marocaine – le mouvement du « 20
février »-, les Hirak n’ont cessé de se succéder et se radicaliser, dans le Rif, à Jerrada,

1 Cf. N. Akesbi, « Quand le système politique entrave le développement économique », Site-In, 5.10.2018
(http://www.site-in.net//article/quand-le-systeme-politique-entrave-le-developpement-
economique ).

31
Zagora, Outat El Haj… Ils ont également pris des formes inédites, notamment en
2018 à travers le boycott évoqué plus haut, un boycott ciblé et massif de produits
de trois entreprises précisément symboliques de ces relations incestueuses entre la
politique et les affaires. Ce faisant, le citoyen ordinaire a innové à travers cette
nouvelle forme de lutte, en cherchant non seulement à faire pression pour la baisse
de prix abusifs parce que « administrés » par des monopoles et des oligopoles,
mais aussi à crier son rejet de l’économie de rente, du népotisme et des passe-
droits1… Quels qu’aient pu être les résultats de ce boycott, cette « première » en
annonce d’autres à venir, tant les mêmes causes continueront de produire la même
rage de protestation.

Finalement, on voit bien que l’échec du « modèle de développement » n’est au fond


que celui de choix fondamentaux, effectués et mis en œuvre dans le cadre d’un
système politique qui ajoute au déficit de démocratie celui de l’efficacité. Dépourvu
des règles élémentaires de « bonne gouvernance », il n’est pas seulement coupable de
commettre de mauvais choix, de les conduire dans la dilution des responsabilités et
l’absence de reddition des comptes, mais il est aussi incapable de tirer les
enseignements nécessaires de ses propres expériences, notamment de ses échecs pour
se corriger, en saisir les causes et en tirer les conséquences2. On comprend ainsi, au
moment où nous sommes interpellés pour repenser ledit « modèle de
développement », l’absolue nécessité de s’entendre sur le bon diagnostic, mettre très
précisément le doigt sur les vraies causes de l’échec en question.

C’est dire aussi que le préalable à toute réforme économique n’est autre que
politique. De sorte que le futur « modèle de développement » n’aura de chance
d’évoluer favorablement que si, à tout le moins, il s’inscrit dans le cadre d’un
système politique qui conjugue légitimité des choix, plein exercice des
responsabilités et reddition des comptes. Ce faisant, un tel système, démocratique
pour tout dire, est sans doute plus efficace que n’importe quel autre système parce

1 Cf. « Akesbi : Le boycott tourne la page des formes traditionnelles de lutte sociale », Hespress, 8.6.2018
(https://www.hespress.com/societe/394645.html?fbclid=IwAR2k3jqtXOabvSNp6MLWB8HX9qg8Pj
o86s_Ylv-7pPnJnwEijC6StRahccM)
2 Pour une analyse plus focalisée sur l’expérience des deux dernières décennies, cf. N. Akesbi,

« Pourquoi et comment l’économie marocaine s’installe sous le plafond de verre », 2019, op. cit.

32
qu’il crée les meilleures conditions pour atteindre les objectifs prévus, et partant

La crise du modèle
garantir le succès des choix effectués et des programmes arrêtés.

La légitimité qui ouvre la voie à la responsabilité, laquelle ne va pas sans


redevabilité… Telle est l’équation politique incontournable dont la résolution
devrait ouvrir la voie à l’émergence d’un nouveau modèle de développement
porteur d’espoir. Autrement, les mêmes expériences plus ou moins malheureuses
peuvent invariablement se suivre et se ressembler, et les mêmes choix conduisant
aux mêmes échecs peuvent se perpétuer. En somme les mêmes causes peuvent
éternellement produire les mêmes effets. D’où ce terrible sentiment de « tourner en
rond », de continuer de piétiner désespérément sous le plafond de verre…

33
34
Le nouveau modèle de développement :
pourquoi et comment ?

Quel modèle ?
Abdeslam Seddiki1

A l’heure où il est question de mettre en place un « nouveau modèle de


développement », nous pensons qu’il serait utile de clarifier les choses pour savoir
au juste de quoi on parle et cadrer le débat sur le plan conceptuel. Car les termes et
les concepts ont bien un sens et une portée. Et c’est en respectant le sens des termes
utilisés qu’on arrive à communiquer et à s’entendre.

En effet, un modèle de développement ne peut se réduire ni à un modèle de


croissance, ni à un programme gouvernemental (ou plan d’action). Le
développement est un concept beaucoup plus large que la notion de croissance.
Alors que celle-ci se mesure par l’évolution du seul agrégat du Produit Intérieur
Brut (PIB), le développement, par contre, intègre d’autres variables relatives à la
répartition de la richesse produite, à l’amélioration des conditions de vie de la
population, aux modifications de structures qu’il induit….On dira avec Aziz Belal
que le développement est «un processus cumulatif socialement maîtrisé et continu de
croissance des forces productives, englobant l'ensemble de l'économie et de la population, à
la suite de mutations structurelles profondes permettant la mise à jour de forces et de
mécanismes internes d'accumulation et de progrès » 2 . D’une façon plus concrète, le
PNUD, en élaborant son indice de développement humain, considère que le
développement est composé de trois paramètres : une vie longue et saine, une
éducation utile et un niveau de vie digne.

On le voit, un pays peut enregistrer des taux de croissance les plus élevés au
monde sans réaliser pour autant son développement. Ce qui nous laisse croire que
le Maroc, n’a pas connu depuis l’indépendance de « modèle de développement »

1 Professeur Universitaire et Ancien Ministre.


2 Aziz Belal, « Développement et Facteurs non économiques », éd. SMER, 1982.

35
stricto sensu, du moins dans sa forme élaborée. Les différents « plans de
développement » qui se sont succédé depuis l’indépendance (plan biennal 1958-
1959 ; plan 1960-1964 ; plan triennal 1965-1967 ; plan 1968-1972 ; plan 1973-1977 ;
plan triennal 1978-1980 et plan 1981-1985) ne traduisaient pas une conception
donnée de développement et ne s’inséraient pas dans un modèle de
développement. Ils rassemblaient un catalogue de mesures élaborées par des
technocrates sans aucune prise sur la réalité. Leur échec était garanti d’avance !
D’ailleurs, le plan 1981-1985 fut abandonné au milieu du parcours suite aux
fourches caudines du FMI. Malheureusement, le plan de développement préparé
par le gouvernement d’alternance, couvrant la période 2000-2004 et qui a fait
l’objet d’un véritable débat national est resté à son tour lettre morte pour des
raisons qui demeurent jusqu’à présent obscures. On lui a préféré des programmes
sectoriels sans convergence et sans âme !

Par conséquent, le modèle de développement ne peut être envisagé plus qu’une


vision sur la société de demain, un choix pour bâtir un type de société, une
philosophie d’avenir. Bref, un cadre de référence pour élaborer les politiques
publiques d’un pays. A ce titre, il peut exister une multitude de modèles à tel
point que chaque pays peut se targuer de disposer de son propre modèle. Ne
parle-t-on pas d’ailleurs de « modèle chinois », de «modèle français », de « modèle
russe », de « modèle ivoirien » et que sais-je encore ? On peut multiplier les
exemples à volonté. Ce qui revient à dire que nous devons mettre en place notre
propre modèle de développement, celui qui convient le mieux à notre peuple, qui
répond le plus à ses attentes légitimes, qui prend en considération nos spécificités
culturelles et historiques, qui utilise au mieux les ressources disponibles et
potentielles, qui cimente notre unité nationale et notre sentiment d’appartenance à
cette maison commune qu’est la patrie.

Nous sommes donc appelés à répondre aux questions fondamentales


suivantes : Quelle (s) finalité(s) du processus de développement et quelle place
accorder au citoyen marocain? Quels rôles pour les différents acteurs : Etat, secteur
privé, société civile? Quel système de production, quelles priorités sectorielles et

36
quel type d’organisation du travail ? Quel mode de régulation et quelles formes de
gouvernance à mettre en place ? Comment intégrer les facteurs non-économiques

Quel modèle ?
(culture, valeurs nationales, …) dans le développement? Quelle articulation entre
démocratie et développement ? Quelles formes d’intégration dans le système
mondial et la nouvelle division internationale du travail?

Les réponses consensuelles à ces questions constitueront le socle du « nouveau


modèle de développement» dans ses multiples dimensions: politique, économique,
sociale, culturelle voire écologique, et la quintessence d’un nouveau compromis
historique en phase avec l’esprit de la constitution de 2011. Pour le reste, la
concurrence restera ouverte entre les principaux acteurs et les forces politiques. Les
règles du jeu seront désormais claires et acceptées par tous. Que le meilleur gagne!
En dernière instance, c’est le pays dans son ensemble qui gagnera. C’est la
démocratie qui s’en sortira renforcée.

I- Le diagnostic de l’existant

Alors que le débat sur le modèle de croissance à l'œuvre au Maroc n'arrive pas
encore à déboucher sur des perspectives prometteuses, il serait utile de nous poser
des questions sur l'économie marocaine afin de déceler les forces et les faiblesses
qui la caractérisent. Cette lecture de l'économique doit obéir à une règle
méthodologique dont les jalons ont été jetés par les précurseurs de l'économie
politique, selon laquelle l'économique n'a de finalité que par rapport au social,
c'est-à-dire par rapport à la satisfaction des besoins sociaux de la population. En ce
sens, le progrès économique n'a de sens que s'il se traduit par une amélioration du
niveau de vie des populations. Et c'est à ce niveau que se mesure le bien-être social.
Partant de ces considérations méthodologiques, on s'attachera à faire cette lecture
en deux temps: relever dans un premier temps les points forts de l'économie
marocaine ; déceler, en deuxième lieu, les faiblesses et les goulots d'étranglement
qui risqueraient d'inhiber et de freiner le processus de décollage sans lequel
l'émergence tant attendue et espérée restera un vœu pieux.

37
I. a- Les atouts de l'économie marocaine.

L'analyse des principaux indicateurs et de leur évolution sur les moyens et long
termes nous autorise à déceler les atouts suivants. Ils nous semblent visibles et
lisibles. Nous les exposons sans aucun ordre d'importance.

1. L'économie marocaine est globalement assainie dans laquelle les équilibres


macro-économiques sont assurés. Ainsi le déficit budgétaire se situe dans une
fourchette de 3,5% - 4% ; le solde du compte courant est de l'ordre de -3% ; le taux
d'endettement du trésor est de 65% (l'endettement public dépasse les 80%) ; le taux
d'inflation ne dépasse pas 2%. Cette question des équilibres macro-économiques a
fait couler beaucoup d'encre et n'arrête pas de susciter une controverse entre les
différentes écoles de pensée. Sans revenir sur ces controverses qui relèvent des
considérations académiques (qui ne sont pas du reste sans intérêt), nous pensons
qu'il faille dépasser les crispations idéologiques et les fondamentalismes
méthodologiques. En ce sens, les équilibres macro-économiques, en premier lieu
l'équilibre budgétaire, constituent pour un pays donné un gage de confiance vis-à-
vis des partenaires et un moyen de sauvegarder son indépendance. Les pays qui se
sont montrés laxistes par rapport à cette «règle d’or» l'ont payé cher, non
seulement sur le plan financier, mais surtout sur le plan social 1.

2. L'économie marocaine enregistre un taux de croissance relativement élevé


bien qu'il demeure insuffisant pour relever les défis notamment en matière
d'emploi. Ce taux est considéré parmi les plus forts au niveau de la région MENA
(Moyen-Orient Afrique du Nord). Qui plus est, il est relativement stable et moins
erratique que par le passé en raison de l'affranchissement relatif de la croissance
par rapport aux aléas climatiques. Ainsi, depuis 1999, l'économie marocaine
enregistre toujours un taux de croissance positif, et ce, quel que soit le niveau de la
production agricole. Ce qui montre à l'évidence qu'elle devient moins dépendante
des conditions climatiques.

1 La situation vécue par le Maroc au début des années 80 du siècle dernier, ou celle qu’a connu la Grèce
plus récemment, est riche d’enseignements à cet égard.

38
3. C’est une économie de plus en plus diversifiée. On est passé
progressivement d'une économie primaire, basée sur les matières premières et les

Quel modèle ?
produits agricoles, à une économie secondaire basée sur la transformation des
produits, la remontée dans la chaîne de valeur et la création de valeur ajoutée. Bien
sûr, l'économie n'a pas encore atteint le stade de l'industrialisation qui se traduit
par une «transformation de structure». Le plan d'accélération industrielle à
l'œuvre, s'il est bien mené conformément aux objectifs affichés, pourrait nous y
conduire. Mais on n'en est pas encore là. Et beaucoup d'incertitudes planent sur la
réalisation de ces objectifs, dont notamment le risque de voir ce PAI se réduire à
une simple sous-traitance sans ambitions réelles en matière de transfert de
technologie, condition sine qua non pour la création d'un tissu industriel national.

4. Cette diversification porte également sur nos échanges extérieurs. Bien que
l'Union européenne demeure notre principal partenaire commercial, force est de
constater que sa place se réduit au fil des années au bénéfice de nouveaux
partenaires tels que les pays émergents et le Continent Africain. Mais il faut
relever, dès à présent, que le Maroc n'a pas su (ou n'a pas pu) tirer profit des
opportunités que lui offre cette ouverture et son intégration dans le marché
mondial. Sur une cinquantaine de pays avec lesquels il est lié par des accords de
libre-échange, il enregistre un déficit commercial à l'exception de la Jordanie. Cela
donne sérieusement à réfléchir sur nos capacités productives et notre potentiel
compétitif1.

5. Bien que le Maroc ait abandonné la planification cédant en cela aux effets de
mode d'un certain néo-libéralisme, il a opté, en contrepartie, pour des plans
sectoriels touchant pratiquement tous les secteurs d'activité : Plan Maroc Vert
pour l'agriculture, Plan Halieutis pour la pêche maritime, Plan Emergence devenu
Plan d'accélération industrielle pour l'industrie, Vision 2010 et 2020 pour le
tourisme, Maroc Numeric pour l'économie numérique etc...Malgré leurs limites et
les critiques dont ils font l'objet, dont notamment le manque de convergence, ces
programmes ont donné des résultats relativement satisfaisants. En tout état de

1 Sur l’évaluation des ALE signés par le Maroc, voir notamment l’étude élaborée par l’IRES en 2013.

39
cause, il vaudrait mieux avoir un programme et une vision à moyen terme que de
ne pas en avoir du tout et de continuer à naviguer sans savoir le port de
destination !

6. Le pays dispose d'une infrastructure relativement satisfaisante même si elle


est mal répartie spatialement, et ce, grâce au lancement, sous l'impulsion du
souverain, de la politique des grands chantiers : qu'il s'agisse des autoroutes, des
ports ou des aéroports, le Maroc a fait, au cours des deux dernières décennies, des
progrès gigantesques. Des réalisations comme celle de Tanger Med suscitent
l'admiration de tout un chacun et incitent tout Marocain à exprimer une certaine
fierté. N'eût été cette infrastructure, les réalisations soulignées précédemment
auraient été inimaginables. Mais le capital physique n'est pas à lui seul suffisant
pour enclencher la dynamique de développement. Le capital immatériel (humain,
social et institutionnel) est également nécessaire.

7. Pour ce qui est du «capital humain», s'il est admis par tous que notre
système éducatif souffre de plusieurs tares et dysfonctionnements, il ne faut pas
non plus «jeter le bébé avec l'eau de bain». Là où des moyens sont mobilisés et un
système de gouvernance particulier est mis en place, des résultats tangibles se font
montrer. Bien sûr, ce qui est demandé aujourd'hui, c'est de tirer profit de certains
îlots de réussite pour propager le progrès vers d'autres secteurs restés à la marge
de toute dynamique de changement. Le progrès n'est jamais linéaire et homogène.
Il se fait en cascade. Le développement, à son tour, génère forcément des
contradictions. Le rôle du politique, puissance régulatrice, consiste à en accélérer le
rythme et à en réduire les fractures.

8. Concernant le «capital social», le pays dispose d'une bourgeoisie plus


qu'embryonnaire avec une composante «traditionnelle» encore influente sur les
politiques publiques au regard de ses ramifications dans l'administration, et une
composante «moderne», voire «moderniste», en émergence. Cette dernière est
constituée essentiellement de «jeunes loups» formés dans des hautes écoles de
renommée et rompus aux principes du libéralisme économique fondés sur la libre

40
concurrence, l'Etat de droit (surtout dans les affaires). C'est un atout réel pour le
Maroc qui ambitionne de devenir un pays émergent.

Quel modèle ?
9. Le «capital institutionnel» n'est pas moins important. C'est un facteur
essentiel de développement. Malgré toutes les critiques que l'on pourrait faire et les
faiblesses constatées ici et là, il faut reconnaître que les ingrédients d'un Etat de
droit sont bien réunis. Nos institutions ne sont pas parfaites, mais sont acceptables
dans l'ensemble. Nous avons une Constitution développée dont le contenu n'a rien
à envier aux constitutions des pays ancrés dans la démocratie ; les élections se
déroulent à intervalles réguliers ; l'existence de partis politiques de différentes
obédiences; les syndicats dont la création remonte à des décennies..... Ce «capital
institutionnel» constitue un facteur réel de stabilité politique et sociale et par
conséquent un facteur d'attractivité et de compétitivité. Ce sont des atouts de taille
qui constituent la force de frappe de notre économie.

Cette liste n'est sûrement pas exhaustive. Elle est exposée à titre illustratif. On
peut y ajouter tous les autres facteurs non-économiques dont regorge le pays : sa
diversité culturelle, son ouverture sur les autres cultures, sa richesse
gastronomique, la beauté de ses sites géographiques, la qualité de la vie de ses
citoyens...

Mais chaque médaille a son revers. Le pays connaît aussi des faiblesses et
goulots d'étranglement qui freinent sa marche vers plus de progrès et se dressent
sur la voie de son émergence. Ce sont autant de défis que le Maroc doit absolument
relever s'il veut réaliser les ambitions qui sont aujourd'hui les siennes, à savoir
intégrer le concert des pays émergents.

I-b. Les faiblesses et l’essoufflement du « modèle » en place

Après avoir passé en revue ci-dessus les atouts de l'économie marocaine, on se


penchera à présent sur l'examen de certains obstacles et de goulots d'étranglement
qui montrent que le modèle de développement en cours a atteint la phase de son
essoufflement et qu’il y a nécessité de mettre en place un nouveau modèle dont il
conviendra de définir les fondements.

41
1. Saisir toutes les opportunités offertes par la mondialisation. Nous avons
déjà souligné le fait que le Maroc ne tire pas suffisamment profit des Accords de
libre-échange signés avec divers pays. Il est en ce sens plus un «losing player»
qu'un «winning player». Ainsi, il est grandement utile pour l'avenir de notre pays
de marquer un temps d'arrêt et de procéder à une évaluation objective de ces
accords afin de rectifier le tir éventuellement. Entendons-nous bien: il ne s'agit
nullement d'un plaidoyer pour un certain protectionnisme débridé qui risquerait
de nous isoler du reste du monde quand bien même une telle option serait possible
! Il s'agit, à l'inverse, de minimiser les risques encourus par l'intégration au marché
mondial et de mettre de l'ordre dans l'enchevêtrement de la mondialisation, en
diversifiant au maximum nos alliances stratégiques et en approfondissant plus nos
relations avec le continent africain. En effet, des partenariats triangulaires offriront
de grandes opportunités pour le Maroc dans les années à venir. Nos relations avec
l'Afrique doivent s'inscrire dans le droit fil du Discours de SM le Roi prononcé à
Abidjan le 4 février 2014, dans lequel Le souverain a tracé une véritable feuille de
route pour le partenariat Sud-Sud.

2. Faiblesse de notre compétitivité et notre offre exportable. Celle-ci est liée à


la qualité de l’éducation-formation, à la précarité du système productif, à l’absence
de l’innovation et à la faiblesse de l’investissement dans la recherche scientifique.
Le but étant, à terme, d'améliorer la productivité du travail en dotant le pays d'un
véritable écosystème de recherche et innovation. Pouvons-nous réellement aspirer
à devenir un pays émergent en consacrant seulement 0,7% de nos dépenses
publiques à la recherche scientifique ? D'autant plus que le niveau de formation
des salariés et le taux d'encadrement des entreprises actuels ne nous permettent
pas non plus de décoller. Ce sont des problématiques qu'il convient de prendre à
bras-le-corps et nécessitent un traitement de choc. Le pays ne peut pas vivre
indéfiniment avec un déficit commercial chronique qui nous occasionne une
«fuite» quotidienne vers l'extérieur de 500 millions DH ! Ce sont des milliers
d'emplois perdus en contrepartie.

42
3. Persistance des inégalités sociales et spatiales1. La réduction des inégalités
est un impératif économique, social, politique et humain. Dans cette optique, le

Quel modèle ?
développement, on ne le dira jamais assez, n'a de sens que lorsqu'il se traduit par
une amélioration des conditions de vie de la population et l'éradication de la
pauvreté, y compris la «pauvreté intellectuelle». L'on sait aujourd'hui, études
empiriques à l'appui, que les pays qui résistent le mieux à la crise et qui
enregistrent de meilleurs taux de croissance, sont ceux qui connaissent une
répartition moins inégalitaire des revenus et des richesses. Il faut reconnaître que le
Maroc a fait quelques efforts dans ce sens avec le lancement des politiques sociales
destinées aux pauvres : INDH, ADS, Fonds dédiés...Mais force est de constater que
les résultats atteints sont loin des objectifs affichés et surtout loin des espérances de
la population. N'est-il pas temps, là aussi, de procéder à une évaluation, sans
concession, de ces politiques pour y introduire les ajustements nécessaires ?

4. La lenteur du chantier de la régionalisation. La régionalisation est un grand


dessein pour le Maroc. Son opérationnalisation selon la nouvelle Constitution et les
modalités de la loi organique vont introduire des changements considérables sur
les plans institutionnel, politique, social et culturel. Il s'agit notamment de
l'effectivité des prérogatives dévolues aux Conseils régionaux et de la mise en
œuvre des deux fonds publics : le Fonds de solidarité (entre les régions) et le Fonds
de mise à niveau des régions. Mais qu'en est-il dans la réalité ? Il est navrant de
constater que ce projet d'essence mobilisatrice, et à contenu révolutionnaire, est en
train de végéter : faiblesse des moyens mobilisés au profit des 12 régions (à peine
2% de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés), retard accablant dans
l'adoption des textes d'application, lenteur dans la préparation des PDR (Plans de
développement régionaux). Ce sont autant de signaux inquiétants sur le sort de ce
projet, et qui nous avertissent que l'espoir ouvert par ce chantier risquerait de
s'estomper ! Il nous incombe donc de raviver cette flamme, car l'avenir du Maroc
est bel et bien dans les dynamiques territoriales et régionales. Toutes les données

1 Pour plus de détails voir les travaux réalisés par le HCP, l’ONDH et d’autres institutions.

43
plaident dans ce sens : l'étendue du territoire, la variété de notre relief, la diversité
de notre culture...

5. Le rôle marginal de la femme dans la vie économique et sociale. L'inclusion


des femmes est une condition essentielle pour assurer l'émergence. Avec un taux
d'activité des femmes à peine supérieur à 25%, soit la moitié de la moyenne
mondiale, nous avons du plomb dans les ailes. Ce taux est d'autant plus
incompréhensible que notre pays adhère aux valeurs de modernité et que notre
Constitution stipule la réalisation de la parité. Cette faible participation de la
femme à la vie active est pénalisante non seulement pour la femme mais pour
l'économie et la société dans leur ensemble. D'après certaines estimations, cela
occasionnerait un manque à gagner de 25% de la richesse nationale. Quel gâchis!!
Sans compter les frustrations ressenties par les femmes exclues de la vie active et
les privations subies par cette exclusion et qui sont difficilement chiffrables. C'est
dire combien il est impératif de relever ce défi dans les prochaines années et de
l'inscrire sur la liste des priorités nationales.

6. Last but not least, nous sommes appelés à changer notre approche du facteur
«temps» pour le considérer comme un facteur de production et de compétitivité.
Notre attitude à l'égard du temps, que nous pouvons qualifier sans hésitation de
rétrograde, est lourdement coûteuse: retard dans l'exécution des projets et non-
respect des délais sont monnaie courante. L'indifférence par rapport à la variable
temps est en passe de devenir une véritable gangrène qui risquerait d'anéantir les
efforts accomplis ici et là. Nous sommes appelés à une véritable révolution
culturelle et une modification de notre comportement pour revoir un certain
nombre de stéréotypes et de conformismes ambiants. Le monde change et évolue à
vive allure, la terre tourne à une vitesse qui s'impose à tout le monde et personne
ne peut mettre en veille l'horloge de l'histoire. Rattrapons donc notre retard pour
renouer avec le progrès ! Tel est le gage de la modernité.

En somme, le Maroc a des atouts réels et un potentiel indubitable. Mais la partie


n'est pas jouée d'avance. Cela dépendra de plusieurs paramètres à la fois internes
et externes. Tâchons donc d'identifier les problèmes qui nous freinent et de poser

44
les questions qui s'imposent, en faisant nôtre la formule du philosophe Karl Marx :
«L'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle est capable de résoudre».

Quel modèle ?
Ce sont justement ces problèmes que se pose la population assoiffée qui aspire à
une vie meilleure! À quoi sert d'ailleurs le développement s'il n'arrive pas à couvrir
les «frais de l'homme» ? À quoi sert l'émergence si le citoyen ne se voit pas
impliqué dans ce projet ? Il faut une mobilisation populaire pour que tous les
acteurs s'impliquent entièrement. Le peuple marocain est capable de tout. C’est à
ces défis que le nouveau modèle de développement se doit d’apporter des
réponses.

II-Les déterminants du nouveau modèle de développement

Comme on vient de le souligner, si le modèle en cours a enregistré des progrès


non négligeables sur le plan quantitatif, force est de constater qu’il a connu, à
l’inverse, un échec patent au niveau de l’inclusion sociale et de la réduction des
inégalités à la fois sociales et spatiales. Ainsi, les chiffres disponibles sont parlants
et montrent l’aggravation de l’exclusion sociale et des inégalités de toutes sortes.
Notre « gâteau national » est très injustement réparti : plus de 50 % sont accaparés
par les détenteurs du capital, à peine 30% de la richesse produite profite à ceux qui
la créent à savoir les salariés et le reste va à l’Etat sous forme de recettes fiscales. Le
fardeau fiscal est supporté essentiellement par les salariés et un nombre très limité
d’entreprises socialement et éthiquement responsables1. L’inégalité ne se limite
pas à la répartition des revenus, elle se manifeste également par une inégalité
d’accès aux services sociaux de base notamment au niveau de la santé et de
l’éducation.

Ce modèle a atteint définitivement ses limites et ne peut plus tenir la route : une
croissance incapable d’assurer un emploi décent à chaque marocain, incapable
d’assurer un niveau de dignité humainement acceptable. Il est grand temps, par
conséquent, de changer de paradigme et d’envisager l’avenir du Maroc autrement,
en mettant le citoyen au centre du processus productif.

1 Voir les rapports du CESE et de la Cour des Comptes sur le système fiscal.

45
Il ne s’agit pas, à nos yeux, d’un simple réaménagement de l’actuel modèle et
d’un « lifting » pour un nouveau look, mais plutôt de sa refonte totale en vue de
mettre en œuvre un nouveau modèle qui soit en phase avec les exigences du
moment et en parfaite symbiose avec les attentes des citoyens. C’est un exercice
national auquel nous sommes tous appelés à participer chacun dans son domaine.
Car, en la matière, il faut puiser dans notre intelligence collective et notre créativité
intrinsèque tant il est vrai qu’il ne saurait y avoir de modèle « prêt à porter » ou de
simples recettes de cuisine! L’expérience historique nous a suffisamment enseigné
que ce sont les peuples qui ont su compter sur eux-mêmes qui s’en sont le mieux
sortis. Ce qui n’exclut nullement que l’on puisse s’inspirer de telle ou telle
expérience.

Ce faisant, on doit changer à la fois de paradigme et de méthode. Il faut revenir


aux fondements de l’économie politique: placer l’homme au centre de l’acte
économique en valorisant le travail et en récompensant l’effort fourni. Ce qui nous
ramène tout droit vers la répartition des revenus et de la richesse du pays. L’idée
bien répandue selon laquelle il faut produire la richesse d’abord avant de la
répartir s’est avérée une simple vue d’esprit car dans la réalité, les choses se
passent autrement : une fois la richesse produite, le plus souvent avec le sang et la
sueur des travailleurs, elle est vite accaparée par les mêmes en recourant à divers
subterfuges. Pourquoi alors ne pas inverser la séquence et songer à répartir ce qui
existe ?

Nous pensons, à la lumière du diagnostic réalisé précédemment et sans


prétendre à l’exhaustivité, que le nouveau modèle de développement doit viser
deux objectifs essentiels : assurer et préserver notre indépendance économique
d’une part et améliorer le niveau de vie des populations d’autre part.

II. a- Assurer l’indépendance économique.

Celle-ci passerait nécessairement par le réexamen en profondeur de nos choix


antérieurs en matière d‘ouverture sur le marché mondial. Sans plaider pour la
« déconnexion » qui nous ramènerait à une forme d’autarcie débridée, rien ne nous

46
empêche pour autant de passer au scanner les accords de libre-échange que nous
avons signés avec différents pays et groupements régionaux, parfois sans avoir fait

Quel modèle ?
d’études préalables d’impact.

La même démarche doit être poursuivie vis-à-vis des programmes sectoriels


pour redéfinir leurs priorités et leurs objectifs. On doit surtout arrêter d’en faire
l’apologie et de présenter des données qui manquent de précision et de rigueur.
Seule une instance indépendante serait habilitée à en faire une évaluation objective.
Par ailleurs, autre exigence de notre indépendance, le pays doit disposer d’un
secteur public fort, géré démocratiquement et capable de tirer vers le haut notre
économie en entrainant dans son sillage une partie du secteur privé dans le cadre
du PPP. Pas de développement sans une véritable industrie dans laquelle l’Etat
jouerait le rôle de locomotive et de facilitateur en veillant à la création d’un tissu
technologique national. Cette indépendance passe également par notre
indépendance énergétique et notre sécurité alimentaire. A cet égard, il convient de
renforcer notre transition énergétique en développant davantage les énergies
renouvelables qui sont par définition des énergies propres et d’avenir. De même, le
premier objectif assigné à l’agriculture consiste à assurer la sécurité alimentaire du
pays. Notre pays doit s’engager totalement dans la prospection des voies ouvertes
par l’économie verte en tant que secteur d’avenir. Le même intérêt devrait être
accordé à l’économie sociale et solidaire qui recèle un potentiel considérable tant
en matière de création de valeur ajoutée que d’emplois.

Enfin, il nous semble impératif de revenir à la planification conformément aux


dispositions de la constitution. Un «plan stratégique» avec des objectifs cohérents
et des priorisés démocratiquement arrêtées, des moyens appropriés pour atteindre
ces objectifs avec la mise en place des instances de suivi et des mécanismes
d’évaluation aiderait le pays à surmonter les turbulences et à réduire la marge des
incertitudes du futur. Car le plan n’est autre que cette «aventure calculée» et ce
«réducteur d’incertitude» pour reprendre les termes d’un grand spécialiste de la
planification (Pierre Massé).

47
II.2-Améliorer le niveau de vie de la population.

Cet objectif nécessite que l’on mette le citoyen marocain au cœur de ce projet
national. A cet égard, la priorité doit être accordée dans un premier temps aux
populations démunies des campagnes et des périphéries urbaines pour leur
assurer le minimum vital et un revenu qui préserve leur dignité. A terme, il faut
mettre en œuvre une politique volontariste de partage et de redistribution du
« gâteau national » afin de renforcer les moyens mis à la disposition de l’Etat et les
revenus salariaux. Outre une nouvelle politique salariale à mettre en œuvre dans
le cadre du dialogue social, le nouveau modèle de développement ne peut faire
l’économie d’une véritable réforme fiscale basée sur l’équité et l’efficacité. C’est en
mobilisant des ressources additionnelles via la fiscalité que l’Etat serait en mesure
de jouer son rôle régalien, d’assurer des services sociaux de qualité dont
notamment l’éducation, la santé et la généralisation de la couverture sociale. Le
but étant de réaliser dans des délais raisonnables le « socle de la couverture sociale
universelle ».

Enfin, il va sans dire que toute politique de développement nécessite un


contexte politique favorable et une volonté politique forte avec un réel Etat de droit
et l’égalité effective des citoyens devant la loi. Il faut bannir, à jamais, les rapports
de clientélisme, les pratiques rentières, les positions monopolistes et les passe
droits de toutes sortes. La constitution, qui a bénéficié d’une large adhésion
populaire doit être appliquée à la lettre. Toute tergiversation dans sa mise en
œuvre ne fera que susciter des interrogations et des frustrations.

En s’orientant dans cette voie, celle du salut national et de la mobilisation des


potentialités dont regorge notre pays, la voie démocratique en somme, il n’est pas
exclu de voir le « miracle marocain» se réaliser.

48
Modèle et anti -i modèle
L’économie marocaine ou comment faire
un modèle d’un anti-modèle

Abdelkader BERRADA1

On assiste durant les dix dernières années à un foisonnement d’études sur


l’économie marocaine. Il s’agit toutefois moins de travaux universitaires, non
publiés pour la plupart d’entre eux, que de rapports officiels. Ces derniers sont
produits par l’Etat ou surtout pour son compte (administration, établissements et
entreprises publics, collectivités locales, etc.).

Dans le premier cas, il y a lieu de mentionner en particulier deux travaux


inédits de plusieurs milliers de pages publiés à une année d’intervalle (2006, 2007):

- Le rapport sur le cinquantenaire préparé sur instructions royales (50 ans de


développement humain-perspectives 2025: 16 rapports transversaux, 1 rapport
général, une synthèse générale, 75 contributions individuelles et «150 intellectuels»
dont beaucoup, il importe de le souligner, mangent à tous les râteliers);

- L’étude « prospectives Maroc 2030» préparée sous l’égide du Haut


Commissariat au Plan (25 rapports sous-traités en partie à des consultants
étrangers et dont bon nombre font double emploi avec le rapport sur le
cinquantenaire).

A ces travaux ponctuels s’ajoutent, sans être largement accessibles, ceux


régulièrement commandés par les divers appareils d’Etat dans le but d’éclairer la
décision publique. En matière de politique économique, financière et commerciale,
l’Etat sollicite fréquemment l’intervention de multinationales du conseil dont

1Professeur émérite à l’Université Mohamed V de Rabat.


La version résumée et légèrement retouchée d’une communication présentée le 25 avril 2015 dans le
cadre du colloque organisé conjointement par l’UMT et le CERAB sur le thème « modèles
économiques : état des lieux et perspectives d’avenir» (« capital privé marocain dominant et
patriotisme économique»).

49
l’implantation au Maroc se renforce parallèlement à l’affaiblissement des capacités
publiques d’expertise (conception, gestion et évaluation des politiques publiques).
Les organismes financiers internationaux et l’Union européenne, outre leur rôle en
tant que bailleurs de fonds, demeurent cependant la principale usine à idées de
l’administration chérifienne. Elles ont l’oreille des hautes sphères de l’Etat. Durant
la période 2005-2009 uniquement, la Banque Mondiale plus spécialement compte à
son actif 59 travaux d’analyse, parmi lesquels 35 études économiques et
sectorielles, réalisés pour son client numéro un en Afrique. Le programme des
«départs volontaires à la retraite» (2005), conçu à l’origine par une équipe de la
Banque Mondiale conduite par l’économiste Tunisien Mustapha Kamel Nabli
(2001), ne pouvait qu’influencer négativement le fonctionnement et l’organisation
de l’administration dans la mesure où il s’est traduit notamment par la perte de
plus de 20.000 cadres bien formés et expérimentés, des vieux de la vieille (53% des
38.500 fonctionnaires bénéficiaires de cette opération). Cette opération jugée
bénéfique par le cabinet international d’audit et de conseil KPMG s’est plutôt
soldée par une aggravation de la pénurie de personnel administratif qualifié et par
un recours accru de l’Etat à l’externalisation de prestations essentielles,
condamnant ainsi à l’échec de nombreux projets publics.

L’ensemble de ces travaux porte à croire que tout a été dit ou presque sur
l’économie marocaine et qu’à partir du moment où ils s’inscrivent dans la durée
(2025, 2030, etc.), les rapports aussi nombreux que variés de la commission A.
Meziane Belfkih et du HCP ne nécessitent, pour garder intacte leur «pertinence»,
qu’un effort d’actualisation. Dès lors, on est en droit de se demander à quoi cela
sert de réaliser de nouvelles études sur l’économie marocaine si c’est pour répéter
la même chose?

Sans perdre de vue que certaines idées qui ressortent de ces travaux redondants
demeurent d’actualité et de ce fait ne sont pas à jeter aux orties, il n’empêche que plusieurs
interrogations d’importance interpellent l’économiste Perrousien/Myrdalien/Allaisien
concernant notamment le fameux modèle low cost marocain qui fige le classement
du Maroc en tant que pays à revenu intermédiaire tranche inférieure. Il s’agit plus

50
Modèle et anti -i modèle
précisément de nations dont le PIB/habitant se situe depuis 2013 entre 1.036 et
4.085$. Le royaume fait partie de ce groupe de pays depuis bien longtemps avec
un PIB/habitant ne dépassant pas 3.160$ en 2013, ce qui lui permet d’occuper le
123e rang sur un total de 184 nations.

Ce qui pose problème c’est que d’autres pays ne disposant pas des mêmes
atouts que le Maroc ont par contre progressé en passant d’une catégorie de nation
à l’autre (pays à revenu inférieur-> intermédiaire; intermédiaire->élevé) ou d’une
tranche de revenu à l’autre (inférieure ->supérieure) s’agissant d’un même type de
pays. A noter que le Maroc n’enregistre qu’un taux de croissance annuel moyen
inférieur de moitié sinon plus à celui des pays émergents. La contribution des
activités productives au PIB ne fait pour sa part que décroître au moment où celle
des activités de survie qui composent le secteur informel n’arrête pas de gagner du
terrain. Les inégalités économiques et sociales ont rarement été aussi fortes.

Ce qui pose également problème c’est qu’en matière de développement


durable, le Maroc non seulement se différencie à peine des pays à développement
humain faible mais fait moins bien que certains d’entre eux s’agissant de la
scolarisation des enfants ou de l’état de santé des femmes en milieu rural. Qui plus
est, près de la moitié des jeunes âgés de 15 à 29 ans n’est ni scolarisée ni active. La
pauvreté de masse, qui frappe durablement les jeunes et la population féminine
surtout en milieu rural, est de plus en plus banalisée, voire traitée comme une
fatalité, ce qui nous renvoie à un autre âge.

Ces tendances lourdes s’expliquent essentiellement par deux facteurs, à savoir,


d’une part, une stratégie économique inadéquate aggravée par des déficiences
institutionnelles et, d’autre part, les retombées négatives de l’accord de libre-
échange Maroc-Union Européenne.

I. Une stratégie économique inappropriée aggravée par des déficiences


institutionnelles persistantes

Cette stratégie, imposée par la Banque Mondiale des décennies durant, découle
d’une interprétation abusive du modèle de croissance R. F. Harrod - E. Domar. Elle

51
est fondée sur la croyance, jugée erronée par les auteurs cités, qu’il existe une
incompatibilité «entre les objectifs de la croissance et ceux de la recherche de
l’égalité» (G. Myrdal), que les pays sous-développés sont dans l’impossibilité «de
monter deux chevaux à la fois: celui de l’égalité économique et celui du
développement» (W.A.Lewis), que les inégalités de revenus contribuent à la
croissance économique, ce qui aura à terme pour effet de procurer des possibilités
réelles d’amélioration de la situation des groupes aux revenus plus faibles (théorie
du ruissellement ou trickle-down theory). «La justification de l’inégalité repose sur
le fait que seuls les riches épargnent, de sorte que l’inégalité est nécessaire à
l’accumulation» (J.V.Robinson).

En dehors de ses fonctions régaliennes, le rôle premier de l’Etat consiste donc à


favoriser la concentration du revenu à l’avantage «des groupes sociaux enclins à
l’épargne et à l’investissement».

Au Maroc, les différentes variantes de politique économique portent, à des


degrés divers, la marque de cette orientation. Qu’il s’agisse de la politique
budgétaire (fiscalité, emprunts, commandes publiques, subventions, infrastructure,
etc.), de la politique monétaire (crédits, etc.), de la politique des prix et des salaires,
etc. aucun mode d’action public n’échappe au cahier des charges du patronat dont
le périmètre s’étend aussi à de hauts fonctionnaires versés dans les affaires.

En plus de ces mesures de soutien traditionnelles, plusieurs vagues de transfert


de propriété ont notamment permis au capital privé marocain dominant d’élargir
ses rangs et de renforcer son poids économique.

En principe, les opérations de marocanisation «progressive et sélective» des


activités contrôlés par des intérêts étrangers (1963-1966, 1973-1975) puis de
privatisation des entreprises publiques (depuis 1992) devaient permettre une
répartition équitable des richesses et stimuler de ce fait la croissance. Les
déclarations d’intention en ce sens ne manquent pas. Comme il est indiqué dans le
plan quinquennal 1973-1977, «l’Etat veillera à ce que la marocanisation ne se fasse
pas au bénéfice des catégories de la population les plus riches, elle servira comme

52
Modèle et anti -i modèle
instrument de redistribution plus équitable des revenus». Dans le même ordre
d’idées, parmi les principaux objectifs assignés au programme de privatisation
d’envergure lancé à partir de 1992 figure «la nécessité d’éviter que les opérations
de cession d’entreprises publiques ne soient la cause du renforcement de la
concentration capitaliste et une occasion de nouveaux accaparements par les plus
puissants et les plus grands riches». L’Etat s’est engagé à donner «toutes leurs
chances à de nouvelles générations de citoyens, leur ouvrant l’accès aux
responsabilités d’entrepreneur» (discours royal, 8 avril 1988).

A vrai dire, que ce soit concernant la marocanisation ou la privatisation, le


résultat atteint est, dans une large mesure, à l’opposé du but recherché. A. Jouahri,
alors ministre délégué chargé de la réforme des entreprises publiques, reconnaît
sans ambages que la marocanisation «a été pour les classes aisées l’occasion de
s’accaparer une part encore plus importante des richesses nationales » et qu’ «on
peut avancer sans risque de se tromper que la marocanisation n’a pas profité aux
moins nantis et qu’elle ne fut guère un instrument équitable de redistribution des
revenus». La privatisation qui n’a pratiquement concerné que des entreprises
publiques rentables a, pour sa part, permis un retour en force du capital étranger
en même temps qu’un renforcement de l’assise économique du capital privé
marocain dominant. La cession de l’exploitation des riches fermes de la SODEA et
de la SOGETA qui couvrent plus de 100.000 ha, la mise à disposition des gros
«promoteurs immobiliers» de milliers d’hectares de terrains urbains à bâtir, etc.
constituent les derniers exemples en date de la volonté affirmée de l’Etat de servir
en priorité les intérêts du capital privé hégémonique dont le périmètre s’est élargi à
des familles de grands notables hassanis, qui vivent de la rente et de la spéculation,
et à de hauts barons de l’or vert (résine de cannabis).

Il se trouve pourtant que ce dernier fait bien peu de cas du patriotisme


économique. Il a de plus en plus tendance à se désengager de l’industrie au profit
de multinationales étrangères, à jeter son dévolu sur des activités spéculatives
(foncier, commerce, placements financiers), rentières ou fortement subventionnés
par l’Etat (immobilier, agriculture, mines), à se laisser tenter par la fuite de

53
capitaux et à s’offrir une main-d’œuvre bon marché parce que injustement privée
dans son écrasante majorité d’une couverture sociale. Cet «art de s’enrichir
promptement», qui réserve une large place aux méthodes d’accumulation
primitive, se situe aux antipodes de la «doctrine économique des profits normaux»
que J.M. Keynes juge «indispensable à la justification du capitalisme». Selon cette
doctrine, fréquemment passée sous silence, «l’homme d’affaires n’est tolérable
qu’aussi longtemps que ses gains peuvent être considérés comme ayant un certain
rapport avec ce qui correspond grossièrement à l’utilité de ses activités pour la
société».

M. Allais va même plus loin puisqu’il croit fermement qu’«une concentration


excessive de la propriété dans quelques mains seulement, qu’il s’agisse d’un petit
groupe d’individus, de communautés religieuses ou autres, ou de l’Etat, doit être
considérée comme constituant, au moins à terme, un facteur d’instabilité et de
décadence». De l’avis de cet économiste libéral pur jus, «l’existence d’une classe
moyenne, forte et indépendante au sein de laquelle une élite peut se développer,
n’est possible que si la propriété est suffisamment dispersée». A. De Tocqueville, ce
penseur politique souligne, pour sa part, que l’agglomération de la propriété
foncière dans un petit nombre de mains est à l’origine de la misère d’un grand
nombre d’agriculteurs. Il ajoute que «parmi les moyens de donner aux hommes le
sentiment de l’ordre, l’activité et l’économie”, il n’en connait «pas de plus puissants
que de leur faciliter les abords de la propriété foncière». J.M.Keynes soutient lui
aussi qu’il est de la plus haute importance de concilier justice sociale et efficacité
économique et que la concrétisation d’un tel objectif passe par une politique de
redistribution des revenus adaptée à une politique de soutien de la demande. Une
fiscalité correctrice des inégalités de revenu est un moyen efficace pour accroître la
consommation nationale et relancer l’activité économique.

Considérées dans leur ensemble, les orientations fondamentales de politique


économique à l’œuvre au Maroc sont à contre-courant des stratégies qui ont fait
leur preuve ailleurs. G. Myrdal, dont les principaux travaux datent déjà des années
soixante, soutient à juste titre que «la recherche d’une égalité plus grande est

54
Modèle et anti -i modèle
l’indispensable condition d’un développement rapide». W.A.Lewis, quant à lui,
s’est montré encore plus explicite: «la création d’une société saine, où les tensions
et les injustices sont réduites au minimum, réclame que même au début la
croissance ne prenne jamais le pas sur le social». J.E.Stiglitz, l’ex-économiste en
chef de la Banque Mondiale, a fini lui aussi par épouser des thèses similaires au vu
de l’expérience réussie de plusieurs pays asiatiques: «la croissance de l’Asie
orientale, écrit-il, a été un phénomène remarquable. Le Japon et les autres pays de
la région ont notamment réfuté deux principes fondamentaux de la théorie
classique du développement. Ils ont montré que l’inégalité n’était pas une
condition préalable à la croissance… Et ils ont prouvé que les phases initiales du
développement ne s’accompagnaient pas forcément par une montée des
inégalités… Bien au contraire, la nouvelle prospérité a été largement partagée et
des millions de personnes sont sorties de la pauvreté».

Ainsi, la preuve est faite que la concentration/centralisation du capital


volontairement encouragée par l’Etat marocain à l’avantage de groupes minoritaires
privés, qui se recrutent aussi parmi la haute bureaucratie véreuse, gagne du terrain sans
pour autant mettre le royaume sur les rails du développement durable.
La » berlusconisation » à vie de l’Etat et de l’économie à laquelle nous assistons au Maroc
est pleine de périls. L’accord de libre-échange Maroc-Union Européenne participe, contre
toute attente, au renforcement de cette tendance lourde.

II. Les retombées négatives de l’accord de libre-échange Maroc-Union


Européenne

Le Maroc fondait beaucoup d’espoir sur cet «accord du siècle» pour affranchir
l’économie de l’influence pesante d’une croissance atone et améliorer sa
compétitivité en s’attaquant aux rigidités qu’elle présente. On pensait pouvoir faire
de ce pays l’atelier de l’Europe en attirant capitaux et savoir-faire dans des
proportions beaucoup plus importantes qu’avant l’entrée en vigueur de cet accord
qui ne s’applique, cela vaut la peine d’être relevé, qu’aux biens et services (mars
2000). On pensait pouvoir, en renforçant les capacités d’exportation du pays et
l’attractivité de son économie, réduire autant que faire se peut le déficit de la
55
balance commerciale et impacter positivement le solde de la balance des opérations
courantes.

C’est vrai, les flux d’IDE entrants en provenance de l’Union Européenne


manifestent une tendance irrégulière à la hausse depuis la conclusion de cet accord
(1996).

Il se trouve néanmoins que la France et l’Espagne sont, à des degrés divers, à


l’origine des 2/3 des IDE reçus par le Maroc et que ces derniers restent modestes
en comparaison avec ceux profitant à des pays d’Asie ou d’Amérique Latine. Il
s’avère également que les opérations les plus importantes correspondent, à
quelques exceptions près, non pas à de nouvelles créations d’entreprises
(greenfield investment) mais au rachat, souvent en l’absence de mise en
concurrence, d’entreprises publiques florissantes (privatisation), voire privées
locales. Plusieurs secteurs d’activités stratégiques sont de ce fait passés sous
pavillon étranger (énergie, télécom, unités de production agroalimentaire, etc.).

Par ailleurs, l’effet devises des IDE entrants est limité. Il en est ainsi parce que
les investissements étrangers d’envergure se portent en priorité sur les activités de
substitution d’importation ; en outre, leur financement est en partie assuré par des
prêts contractés au Maroc. En réponse à la question : quelle appréciation portez-
vous sur les investissements directs étrangers ? A. Jouahri, gouverneur de la
Banque Centrale, a tenu à préciser que la part des investissements directs étrangers
financée en devises n’atteint même pas 30% et qu’«on ne peut accepter d’être frit
dans notre propre huile» (Al Makli Fzitou) 1 . Lorsqu’on étend le raisonnement aux
flux de retour (transfert des profits, redevances d’assistance technique, etc.),
l’apport net en devises des IDE fond comme neige au soleil.

L’idée s’impose de plus en plus que cet accord fut mal négocié par la partie
marocaine par manque de préparation, de coordination et de suivi (Etat, CGEM,
UMA, GPBM). A cela s’ajoutent un déficit de compétence de négociateurs
nationaux aussi bien publics que privés et surtout une volonté politique

1 Conférence-débat: le Maroc face à la crise et à l’après crise, centre Links-Université Hassan II, 26
novembre 2009

56
Modèle et anti -i modèle
chancelante. L’économie politique nous apprend à regarder au-delà de l’effet
immédiat. Elle nous apprend en particulier que quand un pays comme le Maroc
ouvre son marché aux pays développés avant d’avoir restructuré son tissu
productif, le bénéfice qu’il peut tirer de cette libéralisation est beaucoup plus réduit
que quand c’est l’inverse qui se produit. Cela est d’autant plus vrai que l’UE n’a
pas laissé assez de temps et alloué suffisamment de ressources au Maroc pour
ajuster son économie en profondeur. Or, s’agissant d’une économie qui souffre
d’un chômage de masse endémique et de nombreuses distorsions structurelles, une
forte réduction des droits de douane ne pouvait que créer de graves tensions,
condamner à la disparition des secteurs d’activité d’import-substitution enclavés.
Les effets de cet accord sur les comptes extérieurs du royaume n’ont pas tardé à se
faire sentir. En plus de l’aggravation du déficit persistant de la balance
commerciale qui se manifeste par une baisse du taux de couverture des
importations par les exportations, la balance des opérations courantes accuse elle
aussi depuis 2008 un solde négatif élevé que l’Etat ne parvient pas à maîtriser, ce
qui se traduit notamment à partir de 2012, par un recours accru à l’endettement
extérieur et plus encore aux dons empoisonnés des pays du conseil de coopération
du golfe (CCG).

L’ensemble de ces évolutions perverses rend nécessaire la renégociation, sur


une base mutuellement avantageuse, de l’accord de libre-échange Maroc-Union
Européenne.

Il y a de quoi s’inquiéter : la dépendance de l’économie marocaine va


grandissant depuis 1993 à tel point que même les produits pétroliers raffinés sont
importés en totalité depuis l’arrêt des activités de l’unique raffinerie du royaume
(La SAMIR contrôlée, suite à sa privatisation en 1997, par un grand groupe
multinational Saoudien) sous la pression du lobby des pompistes (Août 2015). En
tant qu’acteurs volontaires de la désindustrialisation, ces derniers, avec à leur tête
le groupe AKWA, jugent nettement plus profitable pour eux de distribuer des
produits pétroliers non pas raffinés au Maroc par la SAMIR mais importés par les
sociétés placées sous leur contrôle. C’est le propre du capitalisme rentier et/ou

57
parasitaire qui constitue la forme dominante du capital privé au Maroc. A. O.
Hirschman en particulier, n’a pas manqué, dans son œuvre maîtresse stratégie du
développement économique (1964 p.146), de souligner que les importations «tout
en préparant le terrain pour la production intérieure, elles opposent également une
résistance à sa mise en œuvre. Elles créent de puissants intérêts s’efforçant à faire
durer éternellement un commerce plus rentable… ». «Les banques s’accoutument»
pour leur part «à donner dans l’octroi de leurs crédits la priorité aux besoins de
financement, comparativement à court terme, du commerce d’importation. Enfin,
les pays d’où proviennent les exportations peuvent exercer des pressions
politiques et économiques pour empêcher ou retarder la perte de marchés
intéressants».

Dans ces conditions, desserrer l’étau de la dépendance économique du Maroc


s’impose, pour un motif d’intérêt général, comme une nécessité impérieuse. Encore
faut-il vouloir se donner la peine de casser les ressorts de cette variante perverse
du capitalisme, de renégocier un deal équitable avec l’Union-Européenne et de
remettre sur de bons rails le projet ô combien symbolique et prometteur du Grand
Maghreb.

58
Quelle grille d’analyse ?
A la recherche d’une grille d’analyse
théorique pour la problématique du
développement au Maroc

Hicham SADOK1

Il est symptomatique que la Banque mondiale, à la lecture de son dernier


Mémorandum intitulé « Le Maroc à l’horizon 2040 », donne l’impression d’avoir,
aussi, pris conscience des limites du modèle de développement au Maroc, et
recommande à ce dernier de le revoir.

Or, si le concept de développement est appliqué à une réalité humaine en


désignant le progrès économique, social, culturel et politique, dont le but est
l’amélioration de la qualité de vie, l’acception du terme modèle dénote souvent
l’archétype ou le point de référence pour son imitation ou reproduction. En ce sens,
un modèle est un exemple à suivre du fait de sa perfection. Il est un schéma
théorique d’un système ou d’un cadre de référence pour ceux qui ont la charge
d’élaborer les politiques publiques d’un pays. Cependant, la réussite d’un modèle
dépend de nombreux facteurs: même s’il a bien marché dans un quelconque pays,
cela ne veut pas forcément dire qu’il sera une réussite dans un autre. Les
contradictions objectives et les antagonismes inhérents à son fonctionnement dans
les différents contextes de sa transposition nécessite une actualisation qui soustrait
souvent le modèle de sa cohésion. C’est la raison pour laquelle, dans le présent
article, nous adoptons la notion de système et, encore plus, stratégie de
développement pour sa souplesse de mise en place, que le terme modèle,
beaucoup plus teinté, à notre sens, par la rigidité et le renoncement.

Cependant des tentatives théoriques de conception des stratégies de


développement dans les pays en voie de développement analysent davantage des
critères de sous-capacité de production des économies ou d’inadaptation sociétale

1 Enseignant-chercheur à la FSJES Souissi – Université Mohammed V de Rabat

59
à une norme que des définitions. Elles n’arrivent, comme c’est souvent le cas dans
l'embarras, à définir le phénomène que par ses manifestations (Austry, 1965) 1. On
peut s'interroger sur les raisons d'une telle situation, mais, comme le soulignait
déjà François Perroux il y’a plus d’un demi-siècle maintenant, si les intérêts, les
réalisations sont généralement évoquées en économie, les concepts routiniers,
comme celui du système ou stratégie de développement, ne devraient pas en être
moins concernés2, surtout que la liste des institutions et les auteurs indignés par le
sous développement est substantielle. Mais paradoxalement, la plupart de ces
indignations du 21ème siècle ne sont pas suivies d'une formulation théorique
affinée permettant une correction de la trajectoire des politiques et des projets
économiques de développement adaptée à ces pays à l’image du corpus théorique
proposé au 20ème siècle par les économistes, dit du sud, (Arghiri, Amin, Frank,
Wallerstein..etc) en réfutant de manière cohérente et argumentée les thèses
conventionnelles sur les causes du retard des pays du Sud. Ainsi, on s'aperçoit très
vite lors de la revue de littérature que dans ce domaine, les réflexions théoriques à
notre disposition ne s'accommodent pas assez à la réalité des situations vécues. Il
en ressort, tout de même, lors de l’analyse de l’ensemble de la critériologie du sous
développement au 21ème siècle l'idée de l'existence dans ces pays concernés des
ressources non exploitées de façon optimale : le corollaire immédiat de ce constat
est que la stratégie de développement des économies sous-développées est perçu
comme la faible capacité d’absorption de leurs propres ressources et non pas par
l’inexistence des ressources. Il n’existe donc pas de faible dotation en facteurs, mais
plutôt un manque de structures et de projets adaptés, susceptible d’amener une
politique économique fructueuse.

S’il existe des économies pour lesquelles on se doute que les projets
économiques ne sont pas assez adaptés à sa structure sociétale, c’est
indubitablement celle du Maroc. Malgré les nombreux efforts, la situation du pays
ne s’est guère améliorée mondialement. Plusieurs questions se posent alors en

1 J. Austruy (1965). Le Scandale du développement. Éd. Marcel Rivière, et Cie. Paris, p.


2 Perroux F. (1956). La Méthode de l'économie générale et l'économie de l'homme. Economie et
civilisation. T.2. Éd. Ouvrières, Paris.

60
Quelle grille d’analyse ?
matière d’économie politique. Pourquoi malgré l’ampleur des projets consacrés au
développement, l’amélioration des conditions de vie et la croissance ne décollent
pas d’une manière soutenue ? Les modèles de développement appliqués sont-ils à
ce point inadapté? Pourquoi cette économie a échoué avec des modèles avérés là
où d’autres ont réussi ? Comment se fait-il que l’effet des modèles de
développement soit indécelable sur la totalité du territoire ? En quoi résident les
limites des politiques à promouvoir? En quoi réside l’improductivité des stratégies
économiques du développement au Maroc?

Cet article analyse les fondements de la productivité des stratégies de


développement au Maroc. Dans cet ordre d’idée, sont décortiqués, dans un
premier temps, les théories structurelles des stratégies économiques du
développement en évoquant leurs apports et limites dans l’explication des
problématiques du développement au Maroc (1) ; et, dans un second temps, une
réflexion générale sur les pré-requis du développement avant de mettre l’accent
sur la nécessité d’une coordination des projets sociétaux pour, d’bord, éviter
l’enchevêtrement des temporalités et des intérêts, et, ensuite, hisser
l’interventionnisme étatique au rang d’une politique économique productive,
cohérente et inclusive (2).

1. L’approche des théories structurelles du développement appliquées au


Maroc

L’intérêt scientifique pour la problématique du développement en tant qu'objet


d'étude est très récent relativement au phénomène lui même, saisi empiriquement
à travers les écarts importants entre les niveaux et conditions de vie des peuples et
les grandes inégalités dans la répartition du revenu. En partant de la littérature
économique, les raisons qu’on peut évoquer pour expliquer les difficultés et l’échec
des stratégies économiques du développement sont les suivantes :

 Les conflits d’intérêts et la politique en matière de développement


économique ;

61
 Les facteurs institutionnels (l’engagement, la légitimité, la crédibilité
politique, la qualité de la fonction et des services publics, le respect de
la loi, la corruption et le maintien de l’ordre) ;
 La faiblesse du système technologique, la compétitivité des taux de
change et les régimes commerciaux ;
 Les facteurs géographiques comme l’emplacement et les conditions
climatiques ;
 Les dotations en ressources naturelles (l’eau, les terres arables,…) et
l’enclavement ainsi que les dotations en capital physique et humain ;
 La faiblesse du revenu qui entraîne une demande globale faible et les
facteurs démographiques ;
 Un système financier sous-développé qui ne favorise pas le
développement du secteur réel;
 Les variables de stratégie économique notamment la politique
budgétaire, monétaire, le niveau de l’épargne et l’investissement ;
 L’insuffisance du budget des projets de développement ;
 L’affectation ou encore l’utilisation qui est faite du financement du
développement ;
 L’impact des stratégies économiques sur les comportements des
acteurs.

En toute logique, les facteurs énumérés ci-dessus peuvent se résumer en trois


grands points :

 Les pratiques des agents économiques qui conduisent souvent à des


impasses en matière de politique de développement ;
 Les handicaps structurels qui emprisonnent les économies en mutation
dans un équilibre de trappe ;
 Les effets d’incitation que créent les stratégies économiques notamment
vis-à-vis de la gouvernance des économies en développement.

Cependant, la convocation de certains facteurs classés ci-dessus comme


méthode appropriée pour la connaissance du développement est fortement

62
Quelle grille d’analyse ?
contesté. Plusieurs auteurs considèrent ces facteurs comme critères de sous-
développement, et de ce fait comme des symptômes, et non des structures; le sous-
développement, pour eux, est un problème de structure1.

Partant de ce constat, l’analyse de l’économie marocaine engluée dans une


trappe à la croissance, ne produisant pas d’équipements, peu innovante et ne
disposant pas d’assez de capital humain qualifié de haut niveau, peut servir
comme grille de lecture pour comprendre pourquoi les efforts économiques
accompli pour le développement, du moment qu’ils n’engagent la totalité des
secteurs, de la population et des territoires, sont restés très peu efficaces.
N’empêche, et avons d’approfondir l’analyse structurelle de l’économie marocaine,
il s’avère nécessaire de nuancer le dessein esquissé en soulignant que si les projets
du développement ne soient pas assez dynamisant ne veut pas dire forcément
qu’elles sont improductifs. Il se peut que sans, les choses soient pires et la
croissance quasi-nulle ; Egalement, le choix entre économie étatisée planifiée et
économie de marché, entre autarcie et économie ouverte n’est plus d’actualité, au
moins dans le présent article.

Cependant, à l’examen des comptes nationaux, issus des données de la Banque


mondiale (World Development Indicators WDI (2018) 2), il ressort que la croissance
économique est caractérisée, depuis l’indépendance à nos jours, par une évolution
en dents de scie, marquant des hauts et des bas selon les variations de la
production agricole qui a toujours été fort dépendante des conditions climatiques.
En effet, de 1960 à 2018, la croissance est tombée 10 fois au dessous de zéro et elle a
dépassé rarement les 5%. Les plus importantes performances ont été, en général,
réalisées suite à une forte baisse du taux de croissance l’année précédente, et pire
encore elles sont souvent suivies par une faible croissance.

En conséquence, l’évolution de la croissance est caractérisée par une forte


volatilité. Cette volatilité, qui semble être structurelle, gène le bon fonctionnement
du processus d’accumulation de la richesse à même de générer la croissance et

1 M. Rudloff (1968). Economie Politique du Tiers-Monde. Éd. Cujas, p. 275 et 277.


2 http://datatopics.worldbank.org/world-development-indicators/themes/economy.html

63
garantir sa pérennité. Au cours de cette période, l’activité économique nationale a
été marquée par une progression du PIB moyenne de 4.2% sur toute la période
observée (1960-2018). La prise en compte de la variation annuelle de la population
globale de 2,7% durant la même période indique que l’accroissement du PIB réel
par habitant a été de l’ordre de 1.5%.

L’analyse du PIB, réparti selon les différents emplois en biens et services, fait
ressortir que la consommation finale intérieure constitue l’agrégat le plus
important de la demande finale globale. Elle a représenté plus des trois quarts du
PIB durant la période 1960 à 2018, avec une contribution à la croissance
économique de 3,6 points.

Le taux d’investissement, mesuré par le montant de la FBCF rapporté au PIB,


oscillait autour de 15% en moyenne pour toute la période 1960-2018, avec une
contribution à la croissance économique de 2,8 points. Les efforts d’investissement
durant cette période sont marqués par l’implantation d’une industrie de base et
l’intervention de l’Etat dans le domaine industriel afin de valoriser les ressources
nationales et l’attractivité territoriale.

Le secteur industriel, et en dépit d’un fort potentiel, ne contribue que de façon


très modérée à la création de richesse. La valeur ajoutée manufacturière (VAM) est
confiné autour de 100USD/habitant durant cette période. A titre de comparaison la
VAM par habitant se situe autour de 5000USD dans les pays de l’OCDE. Une
situation qui s’explique par la faible intensité technologique des activités
manufacturières, car l’essentiel de la VAM Marocaine est liée aux activités
industrielles traditionnelles et l’assemblage.

Sur le plan des échanges extérieurs, l’analyse des résultats réalisés par
l’économie nationale montre que la contribution des exportations nettes à la
croissance était de l’ordre de -0,6 points. De tels résultats peuvent trouver leur
explication dans l’échec de la politique de substitution aux importations, la part
des exportations de biens et services dans le PIB est restée quasi stable à un niveau
moyen de 23% du PIB durant toute cette période.

64
Quelle grille d’analyse ?
En résumé, le Maroc, depuis son indépendance, était conscient des objectifs
visant la réalisation d’une croissance économique suffisante et soutenue en vue
d’améliorer le développement et le niveau de vie de la population ; c’est ce qui
ressort de la plupart des plans et stratégies de développement économique et social
établis depuis 1960 : Les plans envisagés mettaient l’accent sur des priorités quasi
constantes au profit des secteurs de l’agriculture, de l’industrie de base et du
tourisme. Cependant, les résultats réalisés ont été en général en deçà des
aspirations du pays et des objectifs fixés et ce, malgré les différentes stratégies et
mesures entreprises à cet effet.

Si des explications à l’anémie des stratégies économiques du développement est


à chercher parmi l’ensemble des facteurs cités préalablement, les raisons les plus
plausibles et régulièrement soulevées par les rapports et écrits savants sont à
relever au niveau de l’incohérence des dites stratégies, ainsi que la qualité de la
coordination et de la gouvernance.

Ainsi, l’analyse des régimes d’incitation au Maroc indique que les mécanismes
du développement créent, sous certaines conditions, un cercle vicieux dans lequel
des mesures prédatrices paralysent l’assainissement du climat contextuel du
développement et affecte, par conséquent, la productivité même des stratégies
économiques du pays. De ce fait, la non-productivité des stratégies économiques
du développement du Maroc peut paraître comme beaucoup plus un problème de
structure qu’un problème de nature.

Parmi les fondements théoriques avancés pour comprendre cet état de lieu, la
plus répandue et la plus communément admise est la théorie du développement
dualiste. Cette théorie a servi comme justification à l'élaboration et à l'application
des stratégies du développement dans plusieurs pays visant explicitement à
vaincre le sous-développement et à combler le retard accumulé mais qui, en fait,
partout où elles ont été mises en œuvre, n'ont contribué que légèrement, voir qu'à
aggraver le phénomène du sous-développement. Ressusciter la thèse dualiste sous
une autre forme peut éclairer les raisons de cet échec et ouvrir la voie à une autre
interprétation des réalités sociales complexes et changeantes, et surtout à

65
l'élaboration de stratégies d'action alternative, pratiques et efficaces pour le
développement du Maroc.

La notion de dualisme utilisée par certains spécialistes du développement du


siècle précédent peut se comprendre autrement, de nos jours, comme l’inexistence
d’un paradigme économique et sociétal cohérent : des forces organisées et
puissantes, prétendant des fois s’approprier même la vérité, s’opposent aux
changements sociales et politiques nécessaires à la mise en place d’une économie
moderne. Il coexiste donc, à côté d’un mode de production moderne au stade
embryonnaire, dit capitaliste à défaut de devenir de marché car il n’arrive à
dépasser l’horreur de l’exploitation, la prédation et la rente, d'autres modes de
production traditionnelle dit non capitalistes.

André Gunder Frank dans son livre « le développement du sous-


développement - l’amérique latine » rappelle que la version de la thèse dualiste a
son origine dans l'interprétation de la société indonésienne par le sociologue
néerlandais J.H. Boeke1. D'après ce dernier, l'Indonésie est devenue une société
dualiste en ce sens que son secteur d'exportation, moderne et capitaliste, a été créé
et intégré par l'économie hollandaise en tant qu'enclave métropolitaine sur le sol
indonésien, alors que la majorité de la population du pays continuaient à vivre
dans leur économie de subsistance, traditionnelle et millénaire, qui se situait bien
en dehors du système centré sur la métropole capitaliste.

Les deux secteurs ainsi identifiés, constitutifs de la structure dualiste,


existeraient dans le même espace, mais chacun des modes serait organisé de
manière indépendante et fonctionnerait selon une dynamique propre. Le secteur
capitaliste est celui dont la loi interne essentielle est organisée sur la base de la
maximisation du profit ; il s'agirait du secteur préindustriel, mais aussi du secteur
agricole orienté vers l’export, ce secteur serait largement ouvert au changement, au
progrès, aux innovations et à la rationalité économique. A ce secteur se juxtapose
le secteur traditionnel ; la forme sociale que revêt le processus de production et
donc de reproduction dans ce secteur est précapitaliste. L'activité productive y est

1 J. Boeke (1953). Economics and Economic Policy of Dual Societies. New York

66
Quelle grille d’analyse ?
orientée soit vers la production de valeurs d'usage pour l'autosubsistance, soit vers
la petite production marchande. De ce fait, ce secteur est demeuré archaïque (faible
niveau de développement des forces productives, performances de production
médiocres), et il est pensé comme une zone d'ombre que le développement et le
progrès n'aurait pas encore réduite. Du point de vue économique et sociologique,
les rapports dominant dans ce secteur sont de type familial et personnel et ces
rapports véhiculent des normes et des valeurs culturelles rigides, incompatibles
avec la modernité et constituant un frein à la diffusion de la pensée économique
rationnelle. La stabilité des structures économiques, sociales et culturelles dans ce
secteur serait telle que le changement ne peut venir que de l'extérieur, précisément
du premier secteur dit moderne, par l’effet contagion.

Si les auteurs du dualisme ont élaboré autant de versions différentes, il est


toutefois possible de dégager une logique commune, autrement dit un nouveau
modèle général qui leur soit commun en filigrane et qui peut servir comme grille
de lecture à la problématique du développement au Maroc : la croissance de
l'économie dualiste se réalise par la volonté politique de l’humanisation du mode
de production capitaliste pour devenir une économie sociale de marché et, in fine,
une restructuration de l'ensemble de l'économie pour devenir cohérente et
inclusive. Plus précisément, on trouve à la base de cette grille de lecture presque
tous les modèles de développement pensés pour des pays comme le Maroc
postulant qu’un noyau capitaliste (ou forme d'organisation capitaliste de la
production) implanté dans une économie précapitaliste tend à résorber
progressivement celle-ci grâce à une réallocation des facteurs de production
(capital, mais surtout main-d’œuvre disponible en quantité illimitée) du secteur
traditionnel vers le secteur moderne dit de marché. Paradoxalement, cette idée
rejoint la théorie, considérée à tort comme libérale du ruissellement (trickle down
theory), qui, en utilisant l’image des cours d'eau qui ne s'accumulent pas au
sommet d'une montagne mais ruissellent vers la base et selon laquelle, sauf
destruction ou thésaurisation, les revenus de l’économie moderne sont infine
réinjectés dans l'économie traditionnelle, soit par le biais de la consommation, soit
par celui de l'investissement, contribuant ainsi, directement ou indirectement, à
67
l'activité économique générale et à l'emploi dans le reste de la société. La croissance
pourra alors, de ce fait, s’auto-entretenir par la suite.

Malheureusement, l'analyse de la structure diachronique du développement de


l’économie marocaine repose toujours sur cette temporalité spécifique qui est
engendrée par cette dualité dans l’organisation, la culture, et les systèmes
économiques dominants. Elle a du mal à faire sa mue et un saut qualitatif pour
englober l’ensemble des secteurs et territoires. La rencontre de ces systèmes
économiques différents peut être perçue comme une juxtaposition des structures
sans relation entre elles, décrite précédemment par le concept du dualisme de
Beoke, qui se présente encore au Maroc, tantôt comme une juxtaposition des
systèmes économiques différents sans interrelations possibles, ne permettant ni la
fécondation ni la fertilisation de la société (le ruissellement), tantôt comme une
confrontation active des systèmes différents, sans pouvoir prouver la capacité de
l’économie dite moderne, à défaut de se hisser aux exigences de celle qualifiée de
marché, à créer les conditions d’émulation de l’économie dite traditionnelle
(version humanisée de la théorie du dualisme).

On peut remarquer qu'ici s'oppose la réalité de deux théories complémentaires,


mais présentées, paradoxalement, comme des théories concurrentes : la théorie du
ruissellement et la théorie du dualisme. Ce conflit théorique peut être ramené au
niveau des concepts comme une conséquence à ce que François Perroux1 qualifie
d’économie désarticulée traduisant la difficulté d’avoir un ensemble cohérent de
théories et d’explications économiques pouvant servir de base pour les choix et les
décisions politiques. La problématique du développement au Maroc peut, sous cet
aspect, être présentée comme une taxonomie de la coexistence pacifique des
systèmes économiques et sociaux différents dans une économie désarticulée et de
ce fait non engageante. Elle correspond à une situation où s’implantaient les
embryons d’une économie capitaliste « dite moderne ou formelle » en parallèle à
une économie traditionnelle, « inutile ou informelle », considérée comme une

1 F. Perroux (1964). L'Economie du XXe siècle. P.U.F. 2e Éd.

68
Quelle grille d’analyse ?
réserve de main-d'œuvre pour les entreprises étrangères, susceptibles de
s'implanter dans certaines localités.

Cette dualité est maintenue également dans des secteurs comme la santé et
l’éducation qui sont des points de lecture importants pour les politiques
économiques du développement. Dans cette perspective, une bonne partie du
Maroc n’est considéré que comme une survivance arriérée qui, à l'état final du
développement, ne pourra plus être que le vestige d'un passé honteux.

Cette conception de l'homme, de l’économie et de l’espace permet de


comprendre autrement notre rapport au développement comme l’absence d’une
cohérence stratégique propre pour s'allier totalement et intégralement aux objectifs
engageants du développement humain dans toutes ses composantes. Cette
conception de faire l’économie et d’aménager l’espace, en gros de penser le
développement de l’homme, permet de comprendre notre lenteur vers le sentier du
développement comme l’absence d’une cohérence politique et stratégique. Les
résultats mitigés qui en découlent provoquent chez l’élite une capitulation pour
procéder à l'imitation et la transposition des modèles ayant fait preuve ailleurs
pour l’expérimenter dans un secteur ou périmètre restreint, sans chercher à
connaître les causes profondes ou les conditions exigées pour la pérennisation et la
généralisation du modèle de développement en question. C'est ainsi qu’on peut
appréhender les travaux de certains auteurs comme Duisenberg, Nurkse,
Gendarme, percevant le non développement comme un "effet de démonstration" 1.

A cet égard, le développement du Maroc, n'est pas une problématique à traiter


à partir de l’angle du modèle économique, mais la résultante de la rencontre dans
l'espace de systèmes économiques différents, contradictoires même, et avec un
rythme de transformation dissemblable. Cette proposition est déterminante
puisqu'elle permet de mettre en évidence les caractères structurels du
développement : c'est l'hétérogénéité de la cadence du système de transformation
des secteurs et des pans entiers de la société qui caractérise et met en lumière le
retard du développement. La stagnation économique est à l’image de la statique en

1 R. Gendarme (1973). La Pauvreté des Nations. Éd. Cujas. 1973.

69
sciences physiques ; le non développement du Maroc n’est que la résultante des
forces économiques et sociales contradictoires qui s'exercent sur son corps et dont
les forces qui lui sont appliquées est nulle, le contraignant à une immobilité dans un
monde en mouvement.

Ainsi, la stratégie de développement que l'on associe, consciemment ou


inconsciemment, à l’interprétation de la théorie du ruissellement et du dualisme est
effectivement dénuée de la superbe d’une explication scientifique pour une
politique économique prometteuse. Ne serait- on pas dans cette discipline à l’aube
du 17ème siècle pour les chercheurs en physique, se référant encore aux théories
d'Aristote pour expliquer les lois du mouvement en classant les corps en deux
catégories : les lourds et les légers !

2. La dextérité du système économique de développement

Tout nous oblige à faire retour sur cette interrogation : le développement peut –
il être identifié à la seule rationalisation des décisions économico-politiques ? Mais
ne devons-nous pas, pour le faire, revenir en arrière et nous interroger sur la
nature des autres prérequis du développement ?

S’il est notoire que presque toutes les sociétés sont pénétrées par différentes
formes de modernité, toutes ne sont pas encore sur le chemin du développement.
L’éloge de l’exception et de l’authenticité est de plus en plus artificiel et même
lorsque certaines autorités intellectuelles ou politiques lancent des anathèmes
contre la pénétration de l’économie marchande ou capitaliste, il n’en demeure que
les populations restent attirées, voir émerveillés par ses réalisations. Feindre qu’un
pays peut accéder au développement universaliste et préserver une différence
culturelle absolue est un non sens grossier si on ne peut y voir une conservation
des intérêts et une stratégie de domination. Face à ce constat embarquant tout le
monde vers un processus plus au moins évolué de modernité et de
développement, la seule et grande question de fond qui demeure est de savoir si
c’est comme galériens ou comme voyageurs partant avec des bagages portés par
un espoir en même temps que conscients des inévitables ruptures.

70
Quelle grille d’analyse ?
Marcher sur le chemin du développement est comme un décollage. Il suppose
un effort, un arrachement violent au sol de la tradition et du conservatisme. Puis,
après une phase de tourbillons et de dangers, atteignant une vitesse de croisière,
une stabilité permettrait de se détendre, d’oublier même les points d’arrivée autant
que de départ, et de jouir du détachement des contraintes ordinaires. Cette idée est
très présente aujourd’hui dans ce débat national sur le développement pour se
rappeler que le pays devrait s’imposer des décennies de durs efforts et de conflits
sociaux avant d’entrer dans la tranquillité, abondance, développement et bonheur.
Les premiers pays industrialisés seraient déjà sortis de la zone des tempêtes, les
nouveaux pays industriels d’Asie seraient encore en plein effort, tandis que
beaucoup, y compris le Maroc, attendraient avec impatience le moment d’entrer
dans ce purgatoire du développement. Cette vision optimiste des étapes du
développement lie ce dernier à la rupture des systèmes holistes, en particulier la
séparation de la politique et de la religion, de l’économie et de la politique, la
formation de l’univers de la science, de l’art, de la vie privée qui sont bien des
prérequis et conditions indispensables au développement, car elles font éclater les
contrôles sociaux et culturels qui assuraient la permanence d’un ordre et
s’opposeraient au changement. Le développement s’identifie à l’esprit de libre
recherche, autrement il se heurte toujours à l’esprit doctrinaire et à la défense des
appareils de pouvoir en place. Mais, il faut le répéter, rien ne permet d’identifier le
développement à un mode particulier de modernisation ou d’économie capitaliste
qui se définit par cette extrême autonomie de l’action économique. Dans tous les
pays développés, l’expérience historique a montré, au contraire, le rôle presque
général de l’Etat dans le développement : séparation des sous-systèmes, mais tout
autant mobilisation globale. En dehors de quelques centres du système capitaliste,
le développement s’est fait de manière plus coordonné et dés fois même plus
autoritaire.

Le débat sur le développement ne porte pas seulement sur l’histoire des


systèmes économiques en place. Il concerne plus généralement une issue pour les
ruines d’un volontarisme étatique depuis longtemps transformé en pouvoir
autoritaire, rentier, clientéliste et bureaucratique. S’agissant du Maroc, c’est
71
seulement par l’économie de marché qu’on peut se débarrasser de l’économie
désarticulée et les privilèges. Mais l’installation du marché, si elle permet tout, ne
règle rien pour le cas présent. Condition nécessaire, elle n’est pas une condition
suffisante pour le développement ; démarche négative de destruction du passé, elle
n’est pas une démarche positive de construction d’une économie compétitive. Elle
peut mener à davantage de spéculation, à l’organisation de la rente et la prédation
ou encore ne conduire qu’à la formation d’enclaves étrangères modernes dans une
économie nationale désorganisée. Le passage de l’économie de marché à l’action
d’une bourgeoisie politisée, entreprenante, responsable et modernisatrice,
souhaitée, n’est ni automatique, ni simple ; l’Etat développementaliste aura partout
un rôle essentiel à jouer. Concluons : pas de développement sans rationalisation,
mais davantage sans esprit politique et économique de modernisation responsable
vis-à-vis de lui-même et de la société. Ne confondons pas le développement avec le
mode purement capitaliste du développement.

C’est donc bien à l’essence du développement elle-même qu’il faut revenir,


concept difficile à saisir comme tel car il s’est caché derrière un discours positiviste
des faits résumés en programmes et plans de relance économique. C’est pourquoi
il se présente de manière plus polémique que substantive. Le développement est
l’anti-tradition, le renversement des conventions, des coutumes et des croyances, la
sortie des particularismes et l’entrée dans l’universalisme, ou encore la sortie de
l’état de nature et l’entrée dans l’âge de raison. Libéraux et marxistes ont partagé
cette même confiance dans l’exercice de la raison et ont concentré de la même
manière leurs attaques contre ce qu’ils appelaient conjointement les obstacles du
développement, que les uns voyaient dans le profit privé et les autres dans
l’arbitraire du pouvoir et les dangers du protectionnisme.

Aujourd’hui l’image du développement au Maroc ne se définit que


négativement et concentre une société d’échange beaucoup plus que de
production. Il se trouve de ce fait à la croisée des chemins, soit il continue sur le
même sentier comme l’y encouragent les institutions internationales et la
technocratie, soit il s’affranchit de leur tutelle en imprimant à son modèle de

72
Quelle grille d’analyse ?
développement les inflexions et les réorientations nécessaires à cet effet et
d’emprunter, ce faisant, la voie de l’appropriation menant à une réelle émergence
entant que société aspirant à ressusciter sa civilisation.

Certes, l’on ne peut nier que l’État cherche à jouer un rôle de locomotive
économique du pays à travers les importants investissements qu’il réalise, les
chantiers des grands travaux qu’il initie et les nombreux programmes sectoriels
qu’il met en œuvre. Néanmoins l’efficience des investissements réalisés et des
programmes mis en œuvre se trouve largement réduite et leur impact
socioéconomique dans le développement très limité.

De ce fait, la question le l’efficacité de ce système économique du


développement reste lancinante et amène à se poser plusieurs questions,
notamment celle-ci : Comment se comportent les plans de relance économiques et
sont-ils élaborées dans un environnement globalisé ?

Il est, tout d’abord, nécessaire de rappeler, à ce niveau, que la pensée consciente


joue un rôle central dans l’élaboration des stratégies efficaces. Elle précède
nécessairement l’action et, par conséquent, l’acteur du développement doit
prendre en compte les facteurs temps-espace et séparer les mécanismes de
conception et d’exécution de la politique de communication qui peut devenir la
seule motivation dans la mise en place d’un plan ou d’une activité économique
brandi comme l’étendard d’une stratégie de modernité et non de développement.
Certes, toutes stratégie en matière de développement est caractérisée par la
nouveauté, la complexité et l’ouverture ; et il est normale que les décisions
économiques qui la soutiennent soient prises dans un premier temps dans
l’ambiguïté ; rien n’est donné ni facilement déterminé. C’est pourquoi, les acteurs
des stratégies devraient ainsi avoir une approche intuitive et rationnelle, teintée de
souplesse et de collégialité car les politiques économiques du développement sont
une force de médiation entre tous les acteurs s’exprimant sous la forme d’un
schéma intégré et d’ajustement constant.

73
Ainsi, l’analyse historique de la mise en place des stratégies de développement
de la chine durant le siècle dernier est, à cet égard, très illustrative de
l’accommodement de la démarche générale du développement énoncé ci-dessus :
si la Chine de Mao Tsé Toung développe à partir de 1949 son industrie avec l'aide
de l'URSS, qui est alors son modèle et son allié, elle a rapidement rompu avec le
modèle soviétique, dès qu’elle a constaté ses limites, et lance en 1958 le «grand
bond en avant». Cette nouvelle stratégie économique repose sur la collectivisation
des terres agricoles et le développement de l'industrie grâce à des projets
d'infrastructures pharaoniques. Ce projet va être également délaissé, poussant Mao
Tsé-toung à privilégier le développement des ressources humaines en lançant sa
«révolution culturelle». À partir de 1977, le nouveau dirigeant chinois Dien
Xiaoping entreprend de mettre en place une nouvelle stratégie en modernisant la
société, c'est le début du «socialisme de marché» : des petites entreprises sont
créées, les grandes organisations publiques sont en partie privatisées tandis que les
sociétés étrangères sont invitées à investir. C'est aussi le début de la politique de
l'enfant unique destinée à améliorer les conditions de vie de la population. Pour la
Chine, c'est le début d'un développement économique spectaculaire qui continue
jusqu'à aujourd'hui. Le résultat a été trente ans de croissance à deux chiffres, une
accumulation considérable d’excédents commerciaux. Depuis quelques années, ce
modèle a atteint ses limites avec une croissance atteignant rarement les 6%, les
services et les infrastructures rustiques et une pollution altérant gravement la santé
de la population. Ainsi, dès que les autorités chinoises ont pris conscience de ces
retombées négatives du modèle de croissance adopté à la fin des années 1970, elles
ont mis en place une autre stratégie pour transiter de l’investissement, de
l’industrie et des exportations qui tiraient la croissance, vers la consommation, les
infrastructures sociales et le développement humain à travers l’émergence d’une
large classe moyenne.

A ce titre, la stratégie de développement du Maroc ne peut faire l’économie de


penser son processus à travers trois composantes qui aideront son économie à
rendre la mission de développement et la vision plus concrètes. Il s’agit de
l’analyse économique, du choix public et de la mise en œuvre des projets de
74
Quelle grille d’analyse ?
développement : l’analyse économique inclut les paramètres des acteurs en matière
de visions, missions et objectifs ; Le choix public renvoie à la création, à la mesure
et à la sélection des politiques les plus adéquates ; La mise en œuvre des projets
consiste à mettre en place des pratiques pertinentes et à formuler des modèles qui
permettront la réalisation des buts et des objectifs de développement. La stratégie
du développement permet par-delà tout d’envisager le futur et de développer des
plans pour agir dans un contexte économique approprié aidant à la coordination
des projets et politiques économiques mises en place.

Il convient, cependant, d’insister sur l’accomplissement de la relation


cohérence-convergence, essentielle pour l’aboutissement à la coordination des
plans de relance afin qu’ils s’érigent en politique économique aboutie. Converger
n’est en effet que la conséquence finale d’un long processus de concertation et de
préparation, d’élaboration des plans et stratégies sectoriels et de coopération entre
divers acteurs institutionnels, avec pour objectif final la réduction des écarts, avec
comme condition de réussite une cohérence à tous les niveaux. Si la notion de
convergence est typique des théories de l’intégration économique entre plans et
projets afin d’instituer une croissance endogène, elle est totalement nécessaire dans
l’analyse de l’approche multisectorielle du Maroc à travers l’ensemble des plans
Maroc Vert, Plan Azur, Halieutis, Émergence, etc.

Dans cette optique, la convergence des plans sectoriels au Maroc dévoile des
incohérences productives d’effets d’éviction. En effet, le plus souvent, les plans
sectoriels nationaux ne suivent pas la même logique ; dans certains cas, ils se
télescopent ou ne s’inscrivent pas dans les mêmes temporalités. Ce genre de
problématique étant formalisé dans le cadre de la théorie des jeux (équilibre
coopératif versus équilibre non coopératif dit de Nash) démontrant que la
coopération améliore le bien-être général et la capacité de chaque acteur à réaliser
ses objectifs.

Or, la littérature sur la coordination recoupe naturellement un débat récurrent


en économie, celui de l’arbitrage entre règles et discrétion. Le dilemme consiste à se
poser la question si la coordination devant être structurée au sein d’un cadre de

75
règles formelles de politique économiques ou laissée au libre arbitre des acteurs.
Sachant qu’en théorie, une coordination, notamment à travers le phénomène de
discrétion (au sens de l’arrangement), peut s’avérer moins coûteuse et plus flexible,
mais dans le même temps moins efficient que si elle s’opérait dans un cadre plus
structuré. Les règles limitent en effet la marge de manœuvre des acteurs
économiques et peuvent donc être conçues pour limiter les coûts de l’absence de
coordination entre ces acteurs (sous réserve de respecte des règles). À l’inverse, la
discrétion peut engendrer des coûts de transaction plus faibles (Williamson).

Plusieurs autres théories économiques ont été développées pour aider à


concevoir la coordination et les arbitrages optimaux entre les divers projets et
instruments, selon la nature des instabilités anticipées. C’est sous cet angle que la
question des arbitrages entre politiques a été abordée par l’école dite
« institutionnaliste ». Cette école définit le cadre d’analyse qui met en relation les
politiques avec les facteurs institutionnels délimitant le champ du « faisable ».
Selon les tenants de cette école, l’objectif et la conduite des projets et politiques sont
définis dans les limites du modèle institutionnel propre à chaque pays, à chaque
période. Ces modèles renvoient à deux grands types d’institutions : le modèle des
institutions inclusives dans lequel les politiques économiques ne sont plus
manipulables pour porter atteinte aux droits de propriété et dans lequel les
détenteurs du pouvoir politique sont soumis au contrôle de la population, et le
modèle des institutions extractives dans lequel les projets économiques
n’atteignent pas le niveau de convergence pour les qualifier d’une politique
économique. Ces projets sont mis au service du transfert des rentes au profit de
l’autocrate et des groupes alliés. Cette politique de complaisance va induire
l’économie sur un sentier dans lequel le gain en productivité devient coûteux, en
raison de l’accaparement des marchés et l’enclavement des projets porteurs de
subventions implicites.

A ces deux modèles institutionnels de développement, deux paradigmes se sont


toujours opposés à propos de la politique du développement: l’un lui assigne un
rôle d’investissements efficients pour promouvoir le développement tandis que le

76
Quelle grille d’analyse ?
second lui confère un rôle de transferts- redistributifs pour corriger les injustices et
inégalités dans les dotations initiales entre acteurs, secteurs, territoires et à
permettre aux moins nantis de se développer. À cette vue qualifiée de statique par
les institutionnalistes, s’oppose leur approche dynamique du développement qui
vise l’augmentation des revenus dans certains secteurs et territoires pour les
amener à se prendre en main pour corriger, ainsi, automatiquement l’injustice dans
les dotations en ressources dans tous les autres territoires et entre tous les autres
secteurs.

Les projets et programmes de développement seraient alors une politique pour


générer des améliorations au sens de Pareto à condition qu’un équilibre de haut
niveau soit possible par le développement financier qui renforcera la
complémentarité dans la chaine de valeur et la concurrence sectorielle. Ceci
entraînera une marge d’intermédiation relativement faible, une croissance
économique forte, une forte incitation à la consommation interne et un marché
financier large avec un effet positif sur la productivité marginale. Ainsi, on
contournera la faiblesse du niveau de revenu qui fait que le niveau de la demande
est faible et qui limite à son tour la production générant des handicaps structurels
(productivité faible, offre économique exigüe, système d’infrastructure défaillant,
un niveau d’éducation de la population peu élevé) entraînant dans ces
économies sous perfusion, une main-d’œuvre peu qualifiée, générant des coûts
énormes pour la modernisation et la création des entreprises à forte valeur
ajoutée : l’économie moderne ayant du mal à éclore et l’une des principales idées
avancées récemment pour expliquer l’inefficacité des programmes de
développement au Maroc consiste en l’existence d’un seuil en deçà duquel le
financement serait inefficace. Autrement dit, même si le taux d’investissement au
Maroc avoisine les 30% du PIB et demeure le plus élevé dans la Région MENA, on
ne peut escamoter l’idée de l’injustice dans la répartition équitable de
l’investissement pour l’ensemble des territoires afin que les projets concentrés dans
certaine localités ne deviennent catalyseur des inégalités. Nous retrouverons ici la
réflexion développée dans la première partie de cet article et qui consiste à

77
concevoir l'hétérogénéité, le morcellement et la cadence du système de
transformation interne comme origine du retard du développement du pays.

En outre, le progrès technique qui assure la pérennité du développement à long


terme, y est influencé au Maroc par le faible niveau des équipements, de la
technologie, des infrastructures, de la recherche, du capital social et des
imperfections du marché. Dans le modèle de croissance de Solow, le progrès
technique est le facteur-clé qui permet au développement de ne pas s’essouffler
notamment lorsqu’on s’approche de l’état stationnaire dans un système
économique international non stationnaire comme l’a mis en évidence Joseph
Schumpeter au début du 20ème siècle.

Or si, en parallèle à toutes ces carences, très peu de capital humain qualifié
conditionne la productivité en exerçant dans des secteurs peu productifs et qui ne
sont pas affectés ni par la recherche, ni par l’innovation, l’économie marocaine, clé
de voute pour le développement, ne peut alors décoller durablement, surtout que
les réformes d’éducation financées à partir du projet de relance qualifié « Urgence »
n’avait comme objectif que de combler le déficit en capital humain. Et c’est
paradoxalement, au moment où les incitations dans cette voie devraient
persévérées, que le programme a été abandonné sachant que les résultats escomptés
d’un tel plan ne devraient logiquement fleurir que dans le temps long d’une vraie
politique.

De tout les points soulevés précédemment, il s’avère clairement que l’économie


politique Marocaine, dans sa quête de son propre modèle de développement, est
appelé à aborder prioritairement un problème méthodologique de fond, celui du
traitement homogène des décisions politiques avec le couple temps/espaces. Si les
fragilités sont connues, elles nécessitent d’être corrigées sur le moyen terme en
ajustant le calendrier des politiques sur une véritable stratégie de cinq à dix ans,
faisant concorder la redevabilité avec le temps politique et le temps économique.

78
Quelle grille d’analyse ?
Conclusion

La gestion de la complexité d’une stratégie de développement où les intérêts et


les logiques s’enchevêtrent, exige une meilleure mise en musique et un esprit de
travail à l’unisson qui transcende les individualismes et les rentes personnelles. Or,
qu’avons-nous aujourd’hui ? Une série de projets et d’intérêts verticaux, d’une
ville, d’un ministère, d’une région, d’une grande entreprise, qui font vivre des
projets juxtaposés. En parallèle, nous relevons l’existence de plusieurs mécanismes
juridiques et réglementaires censés rattacher les uns aux autres, mais très peu
d’ingénierie humaine et sociale pour faire lien dans les faits, concrètement, à partir
d’une vision stratégique que chacun s’approprie à son niveau.

En somme, le Maroc a grandement besoin d’une coordination plus efficace de


ses plans et projets de relance, pour mieux gérer la rareté, les ambitions et les
pressions. Sinon, il court de risque d’une fuite en avant et d’un éparpillement qui
se traduirait en chiffres de croissance, trompeurs, et masquerait à peine les
frustrations et les incohérences qui s’accumulent.

Sur un parallèle peut-être osé d’Adel1, empruntant la métaphore musicale d’un


concerto, il ne viendrait à l’esprit de personne de penser que pour réussir une
mélodie l’instrument musical peut suffire, comme on imaginerait mal jouer avec
un instrument mal accordé ou jouer sans une partition de maître. Ceci rappelle
étrangement l’enchevêtrement dans les temporalités des différents projets et
visions stratégiques. En effet, le plan de développement peut en effet être assimilé
à la partition; l’harmonie serait l’alignement entre l’outil et le musicien, la
cohérence serait l’accord des acteurs jouant leur partition de concert sous l’égide
d’un chef d’orchestre, et la convergence n’est autre que le bouquet final. La fausse
note, quant à elle, pourra être corrigée soit par une improvisation, soit par une
intervention du maestro.

1 La Vie éco du vendredi 17 mai 2019

79
Il n’est pas étonnant que si les différents musiciens du Maroc, dépourvu de
notes et de maestro, insistent à jouer leurs partitions avec des rythmes différents,
nous continuerons à affiner le bruit au lieu d’avoir une symphonie à la Brahms.

Bibliographie

Aghion P. et Howitt P. (2000), Théorie de la Croissance Endogène, Paris, Dunod


Amin, S. (1985). La déconnexion. Pour sortir du système mondial, Paris, La
Découverte.
Arghiri, E. (1969). L’Échange inégal. Essai sur les antagonismes dans les rapports
internationaux, Paris, Maspero.
Azoulay, G. (2002). Les théories du développement. Du rattrapage des retards à
l’explosion des inégalités, Rennes, PUR.
Banque mondiale (2018), World Development Report, Washington DC, World
Bank.
Berg E. (2003), Augmenter la productivité des stratégies économiques du
développement: une critique de quelques points de vue actuels, Revue
d’Economie du Développement, N°4, p. 11-42
Bourgoignie, G. (dir.) (1990). Ajustement structurel et réalités sociales en Afrique,
Ottawa, Institut de développement et de coopération.
Chartier, A.-M. (1996). Essai critique sur le concept de développement, Grenoble,
PUG
Easterly W. & Levine R. (1995), Africa’s Growth Tragedy: a Retrospective, 1960-
89, Policy Research Working Paper N°1503, World Bank, Washington DC.
Frank, A.G. (1970). Le développement du sous-développement: Amérique Latine,
Paris, Maspero.
Friedman Milton (1958), Foreign Economic Aid, Yale Review, 47(4): 501-516
Guillaumont P. (2004), Juger de la Sélectivité des stratégies économiques du
développement de meilleures évaluations sont nécessaires”, mimeo, CERDI,
Clermont-Ferrand.
Hall Robert and Chad Jones (1999), Why Do Countries Produce So More Output
per Worker than Others?, Quarterly Journal of Economics, 114, 83-116.

80
Quelle grille d’analyse ?
Harvey, D. (1989). The Condition of Post modernity, Oxford, Blackwell.
Hugon, P. (1989). Les théories du développement, in P. Hugon, Économie du
développement, Paris, Mémentos Dalloz, 39-80.
Latouche, S. (1989). L’Occidentalisation du monde : essai sur la signification, la
portée et les limites de l’uniformisation planétaire, Paris, Éditions La
Découverte.
Lewis, W.A. (1967). La théorie de la croissance économique, Paris, Éditions Payot.
Morin, E. (1994). Le développement de la crise du développement, in E. Morin,
Sociologie, Paris, Fayard, 439-456.
North Douglass C. (1990), Institutions, Institutional Change and Economic
Productivité. Cambridge: Cambridge University Press.
Parsons, T. (1973a). Le système des sociétés modernes, Paris, Dunod.
Parsons, T. (1973b). Sociétés: essai sur leur évolution comparée, Paris, Dunod.
Rostow W. W. (1960), Les Etapes de la croissance économique– un manifeste non
communiste, Le Seuil, Paris 1970.
Sen A. (1988),Tthe concept of development, in Chenery H. et Srinivasan T. N. (eds),
Handbook of Development Economics. Amsterdam, North Holland.
Sen A. (1993), Ethique et économie, PUF, Paris.
Sen Amartya (2003), Un nouveau modèle économique, Odile Jacob, Paris.
Sen, A. (1985). Commodities and Capabilities, Amsterdam, North-Holland.
Solow R. (1956), A Contribution to the Theory of Economic Growth, Quarterly
Journal of Economics, 70, 1, p 65-94.
Wallerstein, I. (1984). Tendances et prospectives d’avenir de l’économie-monde,
Revue Études internationales. Vol. 15, n° 4, 789-800.

81
82
Les politiques publiques
Les politiques publiques d’attractivité à
l’épreuve du développement :

d'attractivité
Quel bilan pour le Maroc ?

Saïd TOUFIK1 et Saâd EL BAGHDADI2

INTRODUCTION

Jadis, l’investissement à l’étranger a été observé d’une manière très large à


travers les souscriptions à des emprunts publics, les prêts industriels, la prise de
participations ou la création de filiales à l’étranger 3. Ce n’est qu’avec le processus
de mondialisation, où le monde est devenu un village planétaire, que lesdits
investissements commençaient à prendre une place prépondérante dans les
politiques économiques. Avec cette unification planétaire des marchés et
l’interconnexion des places financières, la production mondiale a aujourd’hui un
parfum de globalisation et les produits nationaux, avec les pur-sang du terroir,
deviennent de plus en plus rares4.

Depuis le début des années 70, ces investissements internationaux ont connu
une véritable mue dépassant la croissance des capitaux flottants. Grâce à ses
bénéfices long-termistes, les pays industrialisés et les pays émergents « BRICS5 »
accordent une grande importance à cette dynamique internationale en s’engageant
dans des politiques promotionnelles qui cherchent à rendre de l’investissement
étranger un support stratégique de croissance et de développement. La quête aux
capitaux étrangers par les différentes structures institutionnelles politico-
économiques a fait naître une nouvelle forme de concurrence qui couvre la

1 Enseignant-chercheur à la FSJES Souissi – UM5 de Rabat


2 Doctorant au CEDoc Droit & Economie la FSJES Souissi – UM5 de Rabat
3 R. Gouia (1998), un Siècle d’IDE dans le monde, paru in « Investissements directs étrangers et

développement industriel méditerranéen », Ed. Economica.


4 M. Humbert (1997), Globalisation et tendances de l’investissement direct étranger, paru in « les

investissements directs étrangers : Facteurs d’attractivité et de localisation », Ed. L’Harmattan.


5 Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.

83
dimension territoriale où les appareils législatif et exécutif tentent, par des
mécanismes incitatifs, à séduire des Investissements Directs Etrangers (IDE) qui
peuvent contribuer à l’atteinte des objectifs stratégiques de développement.

Les flux d’IDE entrants au Maroc ont enregistré, à partir des années quatre-
vingt-dix, une évolution assez singulière à travers la reconversion de la dette
extérieure et la libéralisation de l’activité économique. Au regard des profits
générés par cette opération, les gouvernements marocains n’ont cessé d’appuyer
leurs priorités stratégiques par l’intégration de l’attractivité territoriale dans leurs
politiques sectorielles.

A cet effet, le Maroc s’est engagé, au cours de ces trois dernières décennies,
dans un vaste chantier de réformes ambitieuses accompagné par la mise en place
de plusieurs plans de développement et de stratégies sectorielles ciblant
l’intégration du Maroc dans l’économie mondiale et la dynamisation de son tissu
productif via l’amélioration du climat des affaires. Sur la base de ces choix publics,
l’économie marocaine a-t-elle les capacités et les aptitudes de figurer sur la "short
list" 1 des investisseurs globaux au sens de Michalet C.A. (1997) et d’attirer des
investissements étrangers "Greenfield" 2 durables, catalyseurs du développement?
Cette problématique soulève le questionnement suivant :

- Comment peut-on évaluer le modèle marocain d’attractivité et quel


outil d’analyse peut-on proposer ?
- Les politiques publiques d’attractivité sont-elles vraiment au service
du développement ?

Compte tenu d’une littérature empirique pléthorique, notamment les travaux


d’Assiedu (2001), Stiglitz (2002), Dupuch (2004), Mold (2004), Catin et Van Huffel
(2004) et surtout Dunning (2001), l’objectif de cet article est d’analyser la structure

1 Anglicisme de « liste restreinte ». Selon Michalet (1997), il s’agit d’un classement où se placent les pays
les plus attractifs qui reçoivent plus d’un milliard de dollars d’investissement direct par an.
2 On entend par Brownfield Investment, l'acquisition d'une entité étrangère déjà existante ou par la

matérialisation d’un transfert de propriété des titres de la filiale acquise. Tandis que le Greenfield
Investment, il s’agit de l’implantation des filiales entièrement nouvelles à l'étranger, avec l’installation
de nouveaux moyens de production et des créations d'emplois.

84
Les politiques publiques
et la répartition sectorielle des IDE, d’identifier les déterminants et les facteurs
d’attractivité et/ou de répulsion et d’étudier la dynamique de délocalisation des
entreprises étrangères et, principalement, le choix d’implantation. Pour cela, nous

d'attractivité
utiliserons un diagnostic stratégique au niveau international, continental et
régional qui se base sur un outil d’analyse économique permettant de mieux
comprendre les raisons d’implantation des firmes multinationales, dénommé
matrice d’attractivité.

En se référant aux développements de C. Berthomieu et H. El Ourdani (2002) et


F. Boualam (2010), ladite matrice est élaborée, techniquement, en exploitant
« l’indice des entrées potentielles » (ou indice de potentialité) des investissements
directs étrangers développé par la CNUCED en 1988. Celui-ci correspond à une
moyenne non pondérée et repose sur des variables économiques et
institutionnelles, à savoir : PIB par habitant ; Taux de croissance du PIB ; Part des
exportations dans le PIB ; Nombre de lignes téléphoniques pour 1000 habitants ;
Consommation d’énergie du secteur privé par habitant ; Part des dépenses de R&D
publiques et privées dans le PIB ; Pourcentage d’étudiants en troisième cycle dans
la population totale ; Risque pays.

1. Politiques publiques d’attractivité : une notion multidimensionnelle

Selon Bellon (1998), les politiques publiques regroupent un ensemble d’actions


et de mesures extraordinaires du droit commun qui ont pour objet d’accueillir des
opérateurs privés qui décident souverainement de leur stratégie de production et
de distribution1.

Fondée sur des analyses méso-économiques, la politique d’attractivité a


toujours été définie comme la capacité d'une zone géographique à attirer des
activités économiques. Pour Hatem (2004), l’attractivité est « …la capacité pour un
territoire d’offrir aux investisseurs des conditions d’accueil suffisamment intéressantes

1Bellon
B. (1998), "La politique des avantages construits", paru in Bellon B. et Gouia R. (coordinateurs),
Investissements directs étrangers et développement industriel méditerranéen, Économica, Paris, pp.
195-209.

85
pour les inciter à y localiser leurs projets de préférence à un autre territoire… » 1 .
Egalement, la littérature francophone considère l’attractivité, sous un autre angle
de vue, comme un synonyme de séduction dans un espace donné des
investissements étrangers ainsi que la capacité à les retenir (stratégie offensive ou
défensive)2. Selon Michalet (1991), la notion d'attractivité est le produit de deux
approches : celle des Etats qui cherchent à valoriser leurs avantages de localisation
et celle des firmes qui cherchent à maximiser leurs compétitivités par une
localisation optimale de leurs différentes activités. A partir de cette définition, nous
pouvons déduire que l’attractivité d’un territoire est fondée sur des avantages
construits (Bellon, 1998) à travers des politiques publiques de promotion des
investissements étrangers. La conception de ces avantages de localisation repose
sur quatre points (Michalet, 1999a) : (i) Les services alloués aux investisseurs ; (ii)
La promotion ciblée de ces investisseurs ; (iii) Le système d'incitations financières ;
(iv) L'image du territoire.

Dans ce sillage, nous pouvons distinguer entre trois sous-composantes de la


politique publique d’attractivité notamment les politiques d’incitation, de
promotion et de technopôles (Cf. tableau 1).

1 Hatem F. (2004), « Attractivité : de quoi parlons-nous ? », Pouvoirs Locaux, n°61 II/2004.


2Hattab-Christmann M. et Mezouaghi M. (2009), "L’attractivité. Du "concept" aux politiques publiques",
paru in Mihoub MEZOUAGHI (sous la direction de) "Les localisations industrielles au Maghreb.
Attractivité, agglomération et territoires", Editions IRMC-Karthala, Collection : Hommes et Sociétés,
pp. 37-60.

86
Les politiques publiques
Tableau 1.
Triptyque des politiques publiques d’attractivité

Type Objet

d'attractivité
Il s’agit des aides à caractère financier ou fiscal via la
facilitation à l’accès aux crédits et à travers la création de
niches fiscales, souvent qualifiée par une opération de
Les politiques
dumping fiscal, qui se traduit par la diminution du taux de
incitatives
base de l’impôt sur le bénéfice des sociétés, les exonérations
temporaires d’impôts, les abattements et des exemptions et
ristournes de droits de douane.
Elles se concentrent, précisément, sur la construction de
Les politiques de l’image d’un pays via la correction des stéréotypes, des
promotion idées reçues et des préjugés. En effet, les pouvoirs publics
mobilisent des techniques médiatiques pour y parvenir.
Elles correspondent à l’offre de biens publics qui favorise le
développement de la production des firmes par la mise en
place d’écosystèmes adaptés, d’une infrastructure routière,
ferroviaire, portuaire et aéroportuaire qui répond aux
Les politiques de exigences des firmes transnationales et par l’élargissement
technopôles du réseau de télécommunications.
Il s’agit principalement des grappes industrielles (Clusters)
qui permettent de favoriser l’attraction des projets
d’origines extérieures en offrant un environnement
favorable à l’accueil d’entreprises spécialisées.
Source : Elaboré par les auteurs.

2. Modèle d’attractivité marocain : un regard sur les avantages construits

Le Maroc n’a commencé à accorder une grande importance aux politiques


publiques d’attractivité que depuis le début des années 90. Ces politiques visaient le
renforcement de la productivité et le développement des districts industriels (i.e.
clusters) afin d’assurer une restructuration industrielle et territoriale. A travers des
mesures d'ordre législatif, institutionnel, organisationnel et fiscal, l’économie

87
marocaine cherchait à apporter des avantages génériques aux firmes et des transferts
financiers directs. Ces efforts déployés se résument autour des éléments suivants1 :

- Amélioration du climat des affaires ;


- Valorisation du capital humain et émergence de l’économie du savoir ;
- Dynamisation de la diplomatie économique et intégration de la dynamique
régionale ;
- Développement des secteurs d’activité possédant d’avantages comparatifs ;
- Développement des infrastructures et mise en œuvre d’une politique
d’aménagement territorial ;
- Renforcement de la stabilité sociale en développant la solidarité et le partenariat.

Figure 2.
Modèle d’attraction marocain

 Adoption de la charte d’investissement


Climat des affaires
adoptée en 1995 ;
 Création des Centres Régionaux des
Investissements ;
 Simplification des procédures douanières.

Libéralisation  Programme de privatisation ;


économique
 Octroi de concessions.
Actions
Publiques
 Développement des infrastructures par la
Aménagement territorial mise en œuvre d’une politique de
technopôles « P2I ».

 Encouragement de la créativité par la


Innovation protection de la propriété intellectuelle et de
la propriété industrielle.

Source : Elaboré par les auteurs.

1 Direction des Etudes et des Prévisions Financières, Ministère de l’Economie et des Finances, Royaume
du Maroc (2002), " Diagnostic de l'attractivité du Maroc pour les Investissements Directs Etrangers ",
Document de travail, n° 82.

88
Les politiques publiques
La réalisation de ces objectifs s’inscrivait dans l’obligation légitime de l’Etat
marocain de traduire ces éléments sous forme de politiques publiques susceptibles
d’augmenter le bien-être collectif.

d'attractivité
Des réformes législatives, à partir de 1993, considérées comme un nouveau vent
qui souffle sur l’attraction des IDE dont ses dispositions s’intéressaient
particulièrement à l’encouragement de la créativité par la protection de la propriété
intellectuelle et de la propriété industrielle1. De même, l’adoption d’une charte des
investissements, jugée moderne, a remplacé les codes sectoriels par une législation
unique et homogène et donnant lieu à des avantages fiscaux. Au niveau
institutionnel, des mesures ont été instaurées pour améliorer l’environnement des
affaires et précisément la mise en place de Centres Régionaux d’Investissement en
vue d’asseoir les fondements de la gestion déconcentrée de l’investissement en
2002.

Parallèlement, la poursuite du processus de désengagement de l’Etat à travers


le programme de privatisation 2 et l’octroi de concessions 3 ainsi que la
promulgation de la loi sur les zones franches d’exportation et les places financières
offshore ont permis d'attirer plus d'IDE sans omettre, le nombre de lignes de crédit
qui ont favorisé le partenariat entre les entreprises nationales et étrangères, la
révision du code des douanes en vue de s’aligner aux standards internationaux
ainsi que la simplification des procédures douanières en faveur de
l’investissement. Finalement, la mise en œuvre d’une politique de technopôles qui
s'inscrivait dans le cadre du « Pacte National pour l’Émergence Industrielle » en
ciblant l’installation des Plateformes Industrielles Intégrées (P2I) ont contribué
fortement à l'attractivité de grandes firmes multinationales comme "Renault".

Malgré les efforts consentis par les pouvoirs publics, durant ces deux dernières
décennies, le bilan parait mitigé. En effet, l’intégralité de la production des IDE
entrants se concentrent seulement sur des produits à bas coût et à faible contenu

1 Création de l'Office Marocain de la Propriété Industrielle et Commerciale (OMPIC).


2 Vente du tiers du capital de Maroc Telecom à Vivendi Universal.
3 Production indépendante d’électricité à JorfLasfar, parc éolien de Koudia El Beida, distribution d’eau

et d’électricité et assainissement liquide au Grand Casablanca, à Rabat-Salé et à Tanger-Tétouan.

89
technologique, en cherchant à minimiser leurs coûts, ce qui explique le niveau
modeste du transfert technologique. Dans ce sens, l’attractivité par l’innovation et
la recherche scientifique ne constitue pas une priorité pour les autorités publiques
marocaines, ce qui dénote l’absence d’une cohérence entre le système d’innovation
et le système productif national.

3. Bilan rétrospectif de la politique d’attractivité marocaine

Les plans et stratégies qu'a connus le Maroc depuis son indépendance fixent
tous comme cible la dynamisation de l'économie en réalisant une croissance
soutenable, la réduction du chômage et la maîtrise des équilibres
macroéconomiques. Sur le plan chronologique, le processus de développement de
l’économie marocaine, à titre de rappel, a vu le jour à partir du plan biennal 1958-
1959 auquel ont succédé d’autres plans triennaux et quinquennaux.

Graphiquement, nous constatons que l’évolution des flux d’IDE a été sensible à
quatre cycles échelonnés différemment dans le temps.

Graphique 1.
Comportement des IDE face aux choix stratégiques du Maroc

Privatisation
Plan de Plande Plan
et conversion
relance développement émergence PNEI
de la dette

60000 4000
3500
50000
3000
40000
2500
30000 2000
1500
20000
1000
10000
500
0 0
1980

1982

1984

1986

1988

1990

1992

1994

1996

1998

2000

2002

2004

2006

2008

2010

2012

2014

2016

Stock d'investissement étranger direct entrant


Flux d'investissement étranger direct entrant

Source : Elaboré par les auteurs à partir des données de la CNUCED.

90
Les politiques publiques
Dans des conditions économiques assez laborieuses et rudes, le 5ème plan
quinquennal couvrant la période 1981-1985 a vu le jour dans un contexte marqué
par une croissance très forte du ratio de la dette publique (en passant de 37,24% à

d'attractivité
77,97%), un déficit de la balance des paiements courants qui s’élève 11,5 milliards
de dirhams avec une méfiance aux investisseurs étrangers. Dans ce même ordre
d’idée, le plan de relance économique et sociale a coïncidé avec les accords conclus
avec le Club de Paris à partir de 1983 qui ont débouché sur l’adoption du
Programme d’Ajustement Structurel (PAS).

Vu l’état critique de l’économie et l’incapacité de financement des secteurs


productifs, l’attractivité des capitaux étrangers n’était guère une priorité pour
promouvoir une économie moderne et résiliente. Les objectifs de ce plan étaient la
défense de l’intégrité territoriale et la relance de l’activité économique à travers la
mobilisation de l’épargne privée, l’augmentation des investissements,
l’amélioration de l’équilibre extérieur par l’augmentation des exportations, la lutte
contre le chômage et la réforme fiscale.

Ce n’est qu’à partir des années quatre-vingt-dix que les IDE à destination du
Maroc qu’ont connus une évolution importante. Cette tendance haussière
s’explique par le démarrage en 1993 des opérations de privatisation, la conversion
de la dette extérieure en investissement1, la promulgation du décret du 8 janvier
1990 qui veille à l’application des textes de 1973 instituant la marocanisation de
quelques activités économiques et, également, la modernisation de l’arsenal
juridique régissant le commerce extérieur, la fiscalité, le secteur bancaire, les
marchés boursier et monétaire, la refonte du cadre comptable. D’autre part, la
création de plusieurs structures institutionnelles ont renforcé l’attrait de capitaux
étrangers, notamment la mise en place de la direction des investissements

1 La dite conversion financière, qui s’établissait entre 2 à 3 % de la dette extérieure, a été dédiée aux
personnes physiques et morales d’origines françaises et les MRE capables de financer de nouveaux
projets.

91
extérieurs 1 , les tribunaux administratifs et du commerce, la création de
commissions locales et nationales des investissements.

Les flux d’IDE ont enregistré un niveau élevé en 1997 avec 10,5 milliards de
dirhams et ce par la concession d’exploitation des centrales thermiques de
JorfLasfar, la privatisation de la SAMIR et la prise de participation étrangère de
l’ordre de 20 % dans le capital de la BMCE. Vers le début des années 2000, les IDE
entrant ont atteint leurs apogées avec un niveau record de 30,6 milliards de
dirhams en 2001, grâce notamment à l’ouverture du capital de Maroc Telecom 2
suite à la prise de participation du groupe français Vivendi Universal.

Pour le plan de développement de 2000-2004, plusieurs avancées ont été


réalisées, principalement en 2002, par l’instauration des centres régionaux de
l’investissement pour des fins de proximité, le déploiement de la gestion
déconcentrée de l’investissement et la simplification des procédures
administratives des opérations y afférentes. Suite à ce plan, la tendance des
activités localisées sur le sol marocain, en 2004, concernaient les centres d’appels
qui ont évolué de 50 à 143 centres implantés en 2006 par rapport à 2004. Egalement,
le secteur financier a connu une nette progression, qu’elles soient pour les banques
à capital privé ou celles à participation du trésor, par la présence des capitaux
étrangers, précisément, les banques françaises.

Ainsi, grâce aux actions publiques engagées, les IDE ont pu atteindre 39
milliards de dirhams en 2013, et pour la première fois de l’histoire, en 2014 les
exportations du secteur automobile ont dépassé celles du secteur des phosphates et
produits dérivés.

1 Rattachée auparavant au Ministère de l’Economie et des Finances puis au Ministère de l’Industrie et


du Commerce avant de devenir une unité institutionnelle autonome dénommée Agence Marocaine de
Développement des Investissements (AMDI).
2 Direction des Etudes et des Prévisions Financières, Ministère de l’Economie et des Finances, Royaume

du Maroc (2002), " Diagnostic de l'attractivité du Maroc pour les Investissements Directs Etrangers ",
Document de travail, n° 82.

92
Les politiques publiques
4. Enquêtes d’attractivité

Les enquêtes et les rapports institutionnels nationaux et internationaux sur la

d'attractivité
question d’attractivité économique du Maroc (cf. tableau 2), montrent clairement
que les firmes multinationales privilégient dans une grande proportion la stratégie
verticale.

Selon le baromètre d’Ernest Young, le Maroc affiche une évolution significative,


annuellement, par rapport à la satisfaction des investisseurs pour les critères
qualitatifs liés à l’environnement local. A ce titre, ce niveau de satisfaction concerne
la sécurité des biens et des personnes et les aides des pouvoirs publics, le niveau de
qualification de la main d’œuvre, la qualité des infrastructures de transport et de
logistique qui constitue l’une des préoccupations majeures des décideurs
internationaux dans les choix de localisation. Néanmoins, les intentions
d’implantations constatées pour la période couvrant 2005-2006 ont régressé, en
passant de 44% à 39%, suite à la prudence des investisseurs à l’égard d’un pays sur
la voie de la maturité, selon la même enquête. Ces constats s’inscrivent dans la
même lignée des résultats des sondages du cabinet KPMG et les fameuses
enquêtes sur le Climat de l’Investissement au Maroc (2004) et FACS (2000) menées
par le Ministère du Commerce et de l’Industrie avec la Banque mondiale.

Pour le Centre Marocain de Conjoncture, il précise dans ses enquêtes que la


perception des opérateurs économiques sur l’attractivité de l’économie marocaine
est en perpétuel changement vu l’évolution de l’indice de l’attractivité qui
s’établissait à 49,1% en 2016 contre 46,9% en 2015. En analysant les résultats de
l’enquête, nous observons que la qualité des infrastructures, la qualité des
institutions et le coût des facteurs de production restent parmi les facteurs
déterminant et influant la perception des opérateurs.

93
Tableau 2.
Enquêtes pilotes portant sur l’attractivité

Enquêtes Institutions Année

Les délocalisations industrielles Ministère du Commerce et


1998
internationales de l’Industrie

Ministère du Commerce et
Firm Analysis and
de l’Industrie avec la 2000
Competitiveness Survey
Banque mondiale

Ministère du Commerce et
Climat de l’Investissement au
de l’Industrie avec la 2004
Maroc « ICA »
Banque mondiale
The Global Competitiveness Production
Forum économique mondial
Report annuelle
Observatoire des Production
KPMG
investissements internationaux annuelle
Production
Baromètres d’attractivité Ernest Young
annuelle

Attractivité Economique du Centre Marocain de Production


Maroc Conjoncture annuelle
Source : Elaboré par les Auteurs.

A partir de ces enquêtes, la stratégie adoptée par les investisseurs est verticale
qui est assez cohérente avec la multinationalisation exogène. Celle-ci nous enseigne
que l'investissement direct vertical se déroule à l'intérieur d'un espace économique
où les dotations factorielles sont différentes d'un pays à l'autre.

5. Diagnostic stratégique de la politique d’attractivité marocaine

S’agissant d’une méthode exploratoire, notre analyse permettra de mieux


comprendre les raisons d’implantation des firmes multinationales, d’identifier les
déterminants de l’attractivité du Maroc en faisant apparaître le rôle crucial que
jouent les politiques publiques et de vérifier l’apport des investissements directs
étrangers dans la dynamisation de l’économie marocaine notamment la
dynamique potentielle des investissements dans le processus de transformation
structurelle.

94
Les politiques publiques
a. Méthodologie et validation empirique

La matrice d’attractivité est un instrument d’évaluation qui a pour objet

d'attractivité
d’étudier l’attractivité des territoires en terme de performance, d’interpréter les
différents cycles d’attractivité des IDE en fonction de ses déterminants et
d’analyser les probabilités de figurer sur la "short-list" des investisseurs, au sens de
C.A. Michalet (1999a), ou de rester au rang des «pays périphériques».
Techniquement, cette matrice est élaborée, selon F. Boualam, en se référant à
«l’indice des entrées potentielles » (ou indice de potentialité) des investissements
directs étrangers développé par la CNUCED en 1988.

L'indice des entrées potentielles d'IDE correspond à une moyenne non


pondérée reposant sur des variables économiques et institutionnelles 1 qui se
présentent dans quatre blocs:

- Bloc 1 : Situation macroéconomique (PIB par habitant ; Taux de


croissance du PIB ; Part des exportations dans le PIB) ;
- Bloc 2 : Niveau d’infrastructure (Nombre de lignes téléphoniques pour
1000 habitants ; Consommation d’énergie du secteur privé par habitant) ;
- Bloc 3 : Développement du capital humain (Part des dépenses de R&D
publiques et privées dans le PIB ; Pourcentage d’étudiants en troisième
cycle dans la population totale) ;
- Bloc 4 : Stabilité du pays (Risque pays).

Généralement, l’indice est compris entre 0 et 1. Les résultats obtenus, à partir de


cette moyenne, peuvent s’interpréter comme suit :

 Scénario 1 : Plus l’indice tend vers 1, plus le pays est considéré comme attractif ;
 Scénario 2 : Plus l’indice tend vers 0, moins le pays est considéré comme attractif.

Il faut noter que l’indice se calcule d’une manière triennale, porte sur 140 pays
et couvre toute la période d’étude. Il correspond à la moyenne de scores des huit
variables pour chaque pays (F. Boualam, 2010). Selon la CNUCED, le score de

1 Les variables choisies découlent des résultats des études menées sur les déterminants explicatifs des
IDE notamment par J. H. Dunning en 1993 et par la CNUCED en 2002.

95
chaque variable se calcule en prenant la valeur d’une variable pour un pays et en
soustrayant la valeur la plus faible de cette variable de tous les 139 pays. Le
résultat est divisé ensuite par la différence entre la valeur la plus élevée et la valeur
la plus faible de cette même variable entre les 140 pays. Mathématiquement, cela
peut être formulé comme suit :

Où :

- Vi= la valeur de la variable pour le pays (i) ;


- Vmin= la valeur minimale de la variable parmi tous les pays ;
- Vmax= la valeur maximale de la variable parmi tous les pays.

La matrice d’attractivité permet de visualiser les différentes phases de


développement d’une économie quelconque et d’évaluer le rythme de son
évolution et le potentiel de développement du pays. La référence prise est le
montant de l’IDE retenu par Michalet (1999a) comme un seuil pour que le pays
figure dans ce qu’il appelle la "short list" des pays qualifiés d’attractifs. L’auteur
estime qu’un pays doit attirer un (1) milliard de $ par an, pour faire partie de la
"short list", dans la mesure où ce montant reflétera les efforts de chaque pays en
matière d’amélioration de son climat d’investissement. L’indice de potentialité est
calculé sur une période de 3 ans. Donc le montant de l’IDE que le pays doit
recevoir sera le cumul de trois années successives, soit l’équivalent de trois (3)
milliards de $, pour figurer sur la "short list" suivant la condition de Michalet 1.

Pour la présentation de la matrice d’attractivité, l’indice des entrées potentielles


d'IDE2 figurera en abscisse alors que les montants des IDE reçus le seront en
ordonnée (Source : Banque Mondiale).

1Ibid.

2 A ce niveau, deux éventualités se posent : (i) La première est de collecter les données de l’indice
calculé à partir des rapports de la CNUCED ; (ii) La deuxième est de faire ses propres calculs.

96
Les politiques publiques
Figure 2.Ossature de la matrice d’attractivité

Attractivité selon les critères de


potentielles d'IDE

d'attractivité
Michalet
Y : Indice des
entrées

Zone n°3 : Attractivité fragile Zone n°4 : Attractivité importante

Zone n°1 : Attractivité trop faible Zone n°2 : Attractivité faible

X : Montants des IDE reçus

Source : El Ouardani H. et Berthomieu C. (2006).

b. Résultats de l’analyse

Le diagnostic proposé est effectué en trois-temps en répartissant l’échantillon


des 139 pays du monde entre un cercle regroupant les pays africains, 37 pays, et
ceux de la région MENA, 18 pays.

Graphique 2.
Positionnement de l’attractivité du Maroc au niveau international
« Le monde : 139 pays »

2013/2014/2015 Attractivité selon les


critères de Michalet
3000

Zone n°3 : Attractivité Zone n°4 : Attractivité


fragile importante
2007/2008/2009
2010/2011/2012

2001/2002/2003
2004/2005/2006
1500
FDI Inflows

Zone n°1 : Zone n°2 :


Attractivité trop Attractivité faible
faible
1998/1999/2000
1995/1996/1997
1992/1993/1994

1989/1990/1991
1983/1984/1985
1986/1987/1988
0

0.00 0.50 1.00


Indice des entrées potentielles des IDE

97
Graphique 3.
Positionnement de l’attractivité du Maroc au niveau continental
« l’Afrique : 37 pays »

2013/2014/2015
Attractivité selon les
critères de Michalet
3000

Zone n°3 :
Attractivité fragile Zone n°4 : Attractivité
importante
2007/2008/2009
2010/2011/2012

2001/2002/2003

2004/2005/2006
1500
FDI Inflows

Zone n°1 : Attractivité Zone n°2 :


trop faible Attractivité faible

1998/1999/2000
1995/1996/1997
1992/1993/1994

1989/1990/1991
1983/1984/1985
1986/1987/1988
0

0 0.5 1
Indice des entrées potentielles des IDE

98
Les politiques publiques
Graphique 4.
Positionnement de l’attractivité du Maroc au niveau régional
« la région MENA : 18 pays »

d'attractivité
2013/2014/2015 Attractivité selon les
critères de Michalet
3000

Zone n°3 : Zone n°4 : Attractivité


Attractivité fragile importante

2007/2008/2009
2010/2011/2012

2001/2002/2003

2004/2005/2006
1500
FDI Inflows

Zone n°1 : Attractivité Zone n°2 : Attractivité


trop faible faible

1998/1999/2000
1995/1996/1997
1992/1993/1994

1989/1990/1991
1983/1984/1985
1986/1987/1988
0

0 0.5 1
Indice des entrées potentielles des IDE

Nous constatons que malgré le niveau élevé des IDE entrants, sur la période
1983 à 2000, l’attractivité reste toujours très modeste au triple niveau international,
continental et régional (cf. graphique 2, 3 et 4). Cela paraît clairement, vu que
l’économie marocaine figure sur la zone d’attractivité « trop faible », correspondant
à la surface limitée par un indice de potentialité situé dans l’intervalle [0, 0,5] et un
montant des IDE variant de 0 à 1500 millions de $. Il s’agit d’une situation
défavorable pour le pays. Il est possible d’expliquer les IDE reçus dans cette zone
par l’existence de certaines pré-conditions d’attractivité au sens de MichaletC.A.
(1999). Entre 2000 et 2012 le Maroc figure sur la zone qui correspond à une
99
attractivité « fragile » car la surface limitée par un indice de potentialité se situe
dans l’intervalle [0 ; 0,5] et un montant d’IDE reçus variant entre 1500 et 3000
millions de $. Selon C. A. Michalet (1999a), les pays se situant dans cette zone dans
le troisième cercle sont les « pays potentiels ».

Ces résultats sont confirmés par la position enregistrée à partir de l’indice


« liberté économique » au niveau mondial qui est calculé sur la base de la moyenne
des indicateurs de la politique commerciale, la fiscalité, l’intervention de l'Etat
dans l'économie, la politique monétaire, l’investissement, l’environnement des
affaires, la politique financière, la flexibilité du marché de l’emploi, le droit de
propriété et le niveau de corruption. De 2009 à 2017, cet indice est passé du 101 ème
rang mondial et la 12ème position parmi les 17 pays de la région MENA à la 86ème
place au niveau mondial et la 9ème dans la région MENA, ce qui montre une
légère amélioration face à l’effort déployé par les pouvoirs publics.

Selon les enquêtes menées et les statistiques qui se rapportent au degré


d’attractivité, le Maroc peut se classer dans la catégorie des pays potentiels si et
seulement si son modèle de développement a été revu pour améliorer les
conditions nécessaires d’attractivité, notamment la taille et le taux de croissance du
marché, le système des communications et télécommunications, la disponibilité en
ressources humaines qualifiées, l’existence d’un tissu d’entreprises locales
performantes.

CONCLUSION

Le croisement des analyses portant sur les politiques d’attractivité et les plans
de développement marocains montrent de réels progrès économiques au niveau
sectoriel. Cependant, les efforts mobilisés pour drainer ces capitaux étrangers à
l’économie locale ne répondent pas suffisamment aux exigences de la politique
sociale et contribuent au creusement des inégalités régionales suite à l’effet
d’agglomération.

En effet, l'attractivité marocaine des IDE est jugée, par référence à la matrice
d'attractivité, faible voire même fragile. Cela est dû, en partie, à l’essoufflement du

100
Les politiques publiques
modèle d’attractivité marocain qui nécessite une refonte de ses composantes
stratégiques afin de séduire des investisseurs internationaux capables d’assurer la
transformation structurelle et de contribuer à l’émergence économique.

d'attractivité
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Alain Léon, Thierry Sauvin (2010), « L'entreprise et son empreinte territoriale :


quelle politique d'attractivité ? » Mondes en développement 2010/1 (n° 149).
Alexis Abodohoui, Parfait Sègbédji Aïhounhin, Normand Beaudry & Zhan Su
(2015), “Managerial Analysis of the Attraction of FDI in Canada”. International
Journal of Business and Management; Vol. 10, No. 3.
Arnaud Bourgain, Jean Brot, Hubert Gérardin (2010), « L'attractivité : quel levier
pour le développement ? »Mondes en développement 2010/1 (n° 149).
Bellon B. (1998), "La politique des avantages construits", paru in BELLON B. et
GOUIA R. (coordinateurs), Investissements directs étrangers et développement
industriel méditerranéen, Économica, Paris, pp. 195-209.
Bellon B. et Gouia R. (1998), "Théorie et enjeux de l'investissement direct étranger",
paru in BELLON B. et GOUIA R. (coordinateurs), Investissements directs
étrangers et développement industriel méditerranéen, Économica, Paris, pp. 3-
14.
El Ouardani H. et Berthomieu C. (2006), "Libéralisation et investissements directs
étrangers : l’attractivité de la Tunisie pour les PMR étrangères", paru in Maurice
CATIN et Henri REGNAULT (Coordinateurs) "Le Sud de la Méditerranée face
aux défis du libre-échange", Editions l’Harmattan, Collection : Emploi, Industrie
et Territoire, pp. 53-77.
Foued Cheriet et Selma Tozanli (2007), Essai de construction d’un score
d’attractivité sectorielle des investissements directs étrangers : Cas du secteur
agroalimentaire du Sud et de l’Est méditerranéens. Économie rurale, N°302, pp.
40-55.
Frédéric Carluer et Jean-Jacques Foignet (2012), « Les projets d’investissement
internationalement mobiles : recours au yield management pour les politiques

101
territoriales d’attractivité ? »Management international / International
Management / Gestión Internacional, vol. 17, n° 1, pp. 39-56.
Hattab-Christmann M. et Mezouaghi M. (2009), "L’attractivité. Du "concept" aux
politiques publiques", paru inMihoub MEZOUAGHI (sous la direction de) "Les
localisations industrielles au Maghreb. Attractivité, agglomération et
territoires", Editions IRMC-Karthala, Collection : Hommes et Sociétés, pp. 37-60.
Jacques Poirot, Hubert Gérardin (2010), L'attractivité des territoires : un concept
multidimensionnel. Mondes en développement (n° 149).
Jean-Jacques Friboulet (2010), La construction de l’attractivité : une analyse en
termes de capacité. Mondes en développement (n° 149).
Jean-Pierre Chanteau (2008), Quantification et analyse stratégique des
délocalisations : Une étude empirique sur données d’entreprises. Revue
d'économie industrielle N°4 (n° 124), pp. 23-50.
Malika Hattab-Christmann (2009), Mutations dans l’industrie aéronautique
française et nouvelles localisations au Maroc Vers l’émergence de nouveaux
territoires de l’aéronautique ? , Géographie, économie, société N°3 (Vol. 11),
p. 251-274.
Marcel René Gouenet and Christian Lambert Nguena (2014), Instabilité socio-
politique et attractivité des Investissements Directs Etrangers (IDE) au
Cameroun, Association of African Young Economist (AAYE)Issue: 06.
Marouane Alaya, Dalila Nicet-Chenanaf (2009), Une lecture macro-économique des
politiques d’attractivité, paru in Mihoub MEZOUAGHI (sous la direction de)
"Les localisations industrielles au Maghreb. Attractivité, agglomération et
territoires", Editions IRMC-Karthala, Collection : Hommes et Sociétés, pp. 61-86.
Michalet C.-A. (1998), « La Tunisie : Le renforcement de l'attractivité ». In Bellon B.
et Gouia R. (coordinateurs), Investissements directs étrangers et développement
industriel méditerranéen. Économica, Paris, pp. 99-112.
Paula Neto, António Brandão, António Cerqueira (2009), The Macroeconomic
Determinants of Cross Border Mergers and Acquisitions and Greenfield
Investments, No 17, GEE Papers from Gabinete de Estratégia e Estudos,
Ministério da Economia e da Inovação.

102
Les politiques publiques
Slim D. (2007), L'attractivité des investissements directs étrangers industriels en
Tunisie, Région et Développement n° 25.
Sofiane Toumi (2009), Facteurs d’attractivité des investissements directs étrangers

d'attractivité
en Tunisie. Revue d’Analyse Economique, L'Actualité économique,
Volume 85, numéro 2, pp. 209-237
Souad Bannour (2015), The attracting factors of Foreign Direct Investment:
Tunisia’s cause after the revolution. International Journal of Advanced
Research, Volume 3, Issue 2, pp. 369-375.
Toufik S. (2002a), « Les théories de la multinationalisation et l'efficacité technique
dans les industries manufacturières marocaines : Estimation paramétrique de
frontières de production sur données de panel ». Communication à la première
Université de Printemps des Economies Méditerranéennes et du Monde Arabe
(EMMA), Tanger (Maroc), 25, 26 et 27 avril.
Toufik S. (2002b), « Multinationalisation et efficience productive dans l'industrie
marocaine ». Communication au GDRI CNRS EMMA, Sousse (Tunisie), 20 et 21
septembre.
Toufik S. (2007), « Accords de libre-échange et performances économiques des
entreprises étrangères résidentes au Maroc. Cas des entreprises européennes,
turques, américaines et arabes ». Communication au colloque RINOS Réseau
Intégration Nord Sud, Aix-en-Provence (France) 6 et 7 juillet.
Toufik S. (2010), "Investissement direct vertical versus investissement direct
horizontal : quel type d’investissement affecte les spillovers dans le cas des
industries manufacturières marocaines ?", paru in SANDRETTO René, BEN
HAMMOUDA Hakim et OULMANE Nassimn (Coordinateurs) "Emergence en
Méditerranée. Attractivité, investissements internationaux et délocalisations",
Editions l’Harmattan, Collection : Histoire et Perspectives Méditerranéennes,
pp. 63-87.
Toufik S. (2014), « Quelle est la place que réservent les stratégies de localisation des
firmes multinationales au Maroc ? », Cahiers de recherche de la Faculté des Sciences
Juridiques Economiques et Sociales de Souissi, Rabat.

103
Xavier Richet (2013), L’internationalisation des firmes chinoises : croissance,
motivations, stratégies, Revue Tiers Monde n° 219, pp. 59-76, Armand Colin.
Zouhour Karray, Sofiane Toumi (2007), Investissement direct étranger et
attractivité appréciation et enjeux pour la Tunisie. », Revue d’Économie
Régionale & Urbaine, pp. 479-501.

104
Modèle et innovation
Sclérose du modèle de recherche scientifique
et d’innovation au Maroc :
une des manifestations de la défaillance
du modèle de développement1

Lahcen EL AMELI2

Introduction

La recherche-développement et l’innovation 3 constituent aujourd’hui


d’importants déterminants de la croissance et du développement. La création de
conditions favorables à leur développement est une nécessité impérieuse dans la
mesure où elles constituent des leviers de création de la valeur et de pérennité du
tissu économique et permettent d’améliorer la compétitivité des entreprises et de
l’économie toute entière. A l’ère de la mondialisation, les nations qui sont
véritablement conscientes des enjeux de la recherche et l’innovation consacrent à
ces dernières d’importantes enveloppes budgétaires et créent les infrastructures

1 Cet article reprend, avec modifications et enrichissements, ce que nous avons développé comme idées
dans le chapitre relatif à « l’investissement intellectuel » dans notre dernier ouvrage : « L’économie de
l’investissement : aspects théoriques et analyses empiriques, le cas du Maroc, 2018.
2 Economiste.
3 Selon le manuel d’Oslo (OCDE), ‘’Principes directeurs pour le recueil et l’interprétation des données

sur l’innovation’’, 3ième édition, 2006, la recherche - développement (R&D) « englobent les travaux de
création entrepris de façon systématique en vue d’accroître la somme de connaissances, y compris la
connaissance de l’homme, de la culture et de la société, ainsi que l’utilisation de cette somme de
connaissances pour concevoir de nouvelles applications. La R&D est un processus qui repose sur la
combinaison des moyens en personnel et en matériel pour aboutir à des innovations dont en
particulier la mise en œuvre de nouveaux procédés et la création de nouveaux produits. Le terme
R&D recouvre trois activités : la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le développement
expérimental. La recherche fondamentale consiste en des travaux expérimentaux ou théoriques
entrepris en vue d’acquérir de nouvelles connaissances sur les fondements des phénomènes et des
faits observables, sans envisager une application ou une utilisation particulière. La recherche appliquée
consiste également en des travaux originaux entrepris en vue d’acquérir des connaissances nouvelles.
Cependant, elle est surtout dirigée vers un but ou un objectif pratique déterminé. Le développement
expérimental consiste en des travaux systématiques fondés sur des connaissances existantes obtenues
par la recherche et/ou l’expérience pratique, en vue de lancer la fabrication de nouveaux matériaux,
produits ou dispositifs, d’établir de nouveaux procédés, systèmes et services ou d’améliorer
considérablement ceux qui existent déjà. Le développement expérimental est effectué au moyen de
prototypes ou d’installations pilotes. L’innovation prend plusieurs formes : l’innovation de produit,
l’innovation de procédé, l’innovation d’organisation, l’innovation de commercialisation.

105
matérielles et institutionnelles nécessaires à la mise en place d’écosystèmes de
l’innovation et de développement de la recherche.

Au Maroc, Le « système National de Recherche et d’Innovation » (SNRI) est


composé d’un tissu dense d’acteurs aussi bien publics que privés dont notamment:
12 universités publiques dont onze datent de plus de trois décennies ; 10
universités privées reconnues par l’Etat qui sont au nombre de 10 ; plus de 13
établissements de formation des cadres ayant des activités de recherche ; 17
établissements publics de recherche avec des tailles et statuts variés et dont la
plupart d’entre eux sont sous la tutelle de ministères techniques (agriculture, santé,
industrie, mines, etrc…) ; les grandes entreprises acteurs de la R&D ( OCP,
Managem, Maroc Télécom, ONEEP, etc..). A partir de la fin des années 90 du siècle
dernier, L’Etat va commencer à accorder un certain intérêt à la recherche et à
l’innovation. Différentes actions et mesures vont être entreprises pour la promotion
de ces dernières, plusieurs fonds de financements vont être créés, des structures de
programmation, de coordination et de gouvernance vont voir le jour.

Mais l’examen des performances en matière de recherche et du positionnement du


Maroc dans le domaine de l’innovation montre que les stratégies adoptées, les structures
mises en place ainsi que les mesures entreprises et les fonds créés pour promouvoir la
recherche et l’innovation n’ont pas débouché sur des progrès tangibles au niveau de la
production scientifique et encore moins sur la construction d’un écosystème de recherche
et développement dynamique. Les statistiques disponibles attestent du caractère faible
de la recherche au Maroc aussi bien au niveau des inputs qu’en matière d’outputs de la
recherche. Plusieurs défaillances et insuffisances caractérisent notre SNRI. Il est impératif
d’y remédier dans la perspective de la mise en place d’un véritable modèle de recherche
scientifique et d’innovation.

La présente étude a pour objectif de discuter de la portée des performances en


matière de recherche et d’innovation au Maroc ainsi que des défaillances du SNRI et
des entraves à un véritable développement de ces deux composantes fondamentales
de l’investissement « intellectuel » (recherche et innovation). Elle s’inscrit comme une
contribution au débat en cours sur le nouveau modèle de développement.

106
Modèle et innovation
I- Des performances en matière de recherche et d’innovation

Deux points vont être traités dans le cadre de cette section : 1- l’importance des
inputs et des outputs de la recherche et de l’innovation ; 2- le classement du Maroc
à travers the Global innovation Index (GII).

I-1 De l’importance des inputs et des outputs de la recherche et de l’innovation

Toute appréciation de l’effort de recherche et de l’innovation et des


performances obtenues en la matière passe avant tout par la mesure des inputs et
des outputs de la recherche.

I-1-1 Les inputs de la recherche

Les inputs de la recherche comprennent la Dépense Intérieure de la Recherche


d’une part, et le personnel de la recherche, d’autre part.

I-1-1-1 La dépense intérieure de la recherche

I-1-1-1-1 Contenu de la dépense intérieure de la recherche

En matière de dépenses en R&D, l’effort est approché à travers le poids des


dépenses en R&D dans le chiffre d’affaires lorsqu’il s’agit d’une entreprise, et la
part des dépenses en R&D dans le PIB dans le cas d’une nation. A l’échelle de cette
dernière, on parle de la Dépense Intérieure en Recherche et Développement
(DIRD) qui mesure la dépense affectée à l’ensemble des travaux de R&D effectués
dans un pays, qu’ils soient financés par les institutions (entreprises, centres de
recherche…) de ce pays ou par des institutions étrangères. On parle de « dépenses
intra-muros » ; le manuel de Frascati 2002 définit ces dernières de la manière
suivante : « les dépenses intra-muros couvrent l’ensemble des dépenses affectées à
la R&D exécutée dans une unité statistique ou dans un secteur de l’économie
pendant une période donnée, quelle que soit l’origine des fonds ». Elles (dépenses
de R&D) comprennent les dépenses courantes et les dépenses en capital. Rentrent
dans les dépenses courantes les coûts salariaux du personnel de recherche et « les
autres coûts courants » [achat de matériaux, de fournitures et d’équipements qui
ne font pas partie des dépenses en capital (électricité, gaz, livres, revues,

107
documents de référence, abonnements à des bibliothèques, la participation à des
sociétés scientifiques…)]. Les dépenses en capital sont « les dépenses annuelles
brutes afférentes aux biens de capital fixe utilisés dans les programmes de R-D des
unités statistiques. Elles devraient être déclarées intégralement pour la période
dans laquelle elles ont eu lieu et ne devraient pas être comptabilisées comme un
élément d’amortissement »1. Les dépenses en capital comprennent les terrains et
constructions, les instruments et équipements et les logiciels.

I-1-1-1-2 La DIRD en chiffres au Maroc

Pratiquement, avant 1996, la recherche et développement était marginale voire


insignifiante. A partir de cette année, l’Etat va commencer à s’intéresser à la
dimension recherche. Entre 1999 et 2010, la dépense intérieure brute de recherche-
développement (DIRD) a évolué de 1,45 à 5,6 milliards de DH, soit un coefficient
multiplicateur de 3,86. L’évolution annuelle ainsi que la composition de la DIRD
sont présentées dans le tableau suivant :

Tab 1 Evolution de la DIRD 1999-2010 (en M DH)


Année 1999 2001 2003 2006 2010
DIRD 1 456,45 2 367,68 3 116,02 3 693,38 5 606,46
Financement par le secteur 1 335,46 1 905,48 2 578,81 2 819,77 3 832,04
public
Secteur public (%) 91,69 80,47 82,75 76,32 68,35
Financement par le secteur privé 101 443,2 455,9 792,59 1 678,46
Secteur privé (%) 6,93 18,71 14,63 21,45 29,93
Financement par la coopération 20 20 81,31 81,62 95,96
Coopération Internationale (%) 1,37 0,84 2,6 2,21 1,71
PIB 389 786 426 871 476 987 575 271 764 300
Part de la DIRD dans le PIB en % 0,37 % 0,55 % 0,65 % 0,64 % 0,73 %
Part de la DIRD publique dans 0,34 % 0,44 % 0,54 % 0,49 % 0,50 %
le PIB en %
Part de DIRD privée dans le 0,025 % 0,1 % 0,09 % 0,14 % 0,22 %
PIB en %
Part de la DIRD provenant de 0,005 % 0,01 % 0,01 % 0,01 % 0,01 %
la coopération dans le PIB en %
Source : l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques : Développer la
recherche scientifique et l’innovation pour gagner la bataille de la compétitivité,
p.28.

1 Source : Manuel de Frascati 2002, OCDE 2002, p 128.

108
Modèle et innovation
Selon certaines sources, en 2011, la part du PIB consacrée à la recherche et
développement au Maroc s’élève à peu près à 0,8%1, en amélioration donc par
rapport à la performance de 2010 (0,73%) mentionnée au tableau précédent. Dans
son intervention à la huitième édition du colloque X-Maroc sur la recherche et
développement organisé à Casablanca en Janvier 2019 par le Groupe X-Maroc2, le
Ministre de l’Education Nationale, de la Formation Professionnelle, de
l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (Saïd Amzazi) nous
apprend que les dépenses en recherche et développement représentent 0,8% du
PIB en 2017, en progression (toujours selon Amzazi) par rapport à 2016 (0,34%)3.
Mais il faut relever que cette « performance » (0,8%) est loin de l’objectif de 1% du
PIB inscrit dans la Charte pour l’éducation et la formation élaborée par la
Commission Spéciale Education Formation (COSEF) à l’horizon 2010 ; elle est
encore très loin de l’objectif fixé dans le cadre de la stratégie nationale de la
recherche scientifique à l’horizon 20254, à savoir une part du PIB de l’ordre de 3%.
La faiblesse de la dépense en recherche et développement au Maroc serait encore
plus accentuée si l’on savait que les données présentées la concernant portent sur
les ressources allouées et non sur des ressources effectivement dépensées.
Autrement dit, il s’agit des prévisions et non de réalisations. A cela s’ajoute, faut-il
le préciser, le fait que son périmètre n’est pas clairement défini.

1 Nous avons puisé cette performance dans trois sources :


1. La CGEM qui l’évalue à 0,8% du PIB dans une étude intitulée : L’innovation et la PME au Maroc,
Mars 2012, étude publiée sur Internet.
2. L’Association Marocaine des Investisseurs en Capital (Amic) qui mentionne le chiffre de 0,79%
dans une étude intitulée : Etat des lieux sur le financement de l’innovation au Maroc, étude élaborée
par le cabinet conseil Grant Thornton. (sans date de publication).
3. Mohamed Smani, Directeur de l’association Recherche et Développement Maroc (R&D Maroc) qui
avance le chiffre de 0,79% dans une déclaration reprise dans un article publié dans l’hebdomadaire
« La Vie Economique » du 5/7/2012 par Salah Agueniou et ayant pour titre : Recherche et
développement : les investissements représentent 0,79% du PIB et la part du privé est marginale.
2 Association marocaine qui regroupe les anciens élèves de l’école polytechnique, domiciliée au Maroc.

3 Nous devons mentionner ici que nous ignorons les sources (enquêtes, études, etc…) de ces données

relatives à la dépense en recherche et développement au Maroc qui sont avancées par le Ministre.
4 Mise en place en 2006 par le Ministère de l’Education Nationale de l’Enseignement Supérieur de la

Formation des cadres et de la Recherche Scientifique, cette stratégie vise à créer un cadre favorable à
la recherche scientifique et à l’innovation. L’intérêt de cette stratégie est d’assurer les fonds, le
potentiel humain et les infrastructures qui sont nécessaires à la recherche scientifique. Aussi, elle
prévoit un dispositif de valorisation pour rapprocher les universités et les centres de recherches à
l’entreprise et au monde socioéconomique.

109
Selon des données de la Banque Mondiale relatives à la dépense en recherche et
développement dans le monde 1, le niveau avancé de la dépense pour le Maroc
(0,79% du PIB) est en deçà de celui de l’Afrique du Nord (0,942) et bien inférieur à
celui concernant la zone des pays à revenu faible et intermédiaire (1,48).

Un autre aspect tout aussi fondamental caractérisant la R&D et l’innovation au


Maroc, est que la grande partie de la dépense est essentiellement le fait du secteur
public. La contribution du secteur privé, bien qu’elle ait enregistré certains progrès
au cours des dernières années, demeure encore faible. En 2010, elle s’était établie à
29,93% (contre 68,35% pour le secteur public). Quelques grandes entreprises
seulement pratiquent la recherche-développement de façon régulière. Selon un
sondage effectué par l’association marocaine pour la recherche et développement
(R&D Maroc) en 2005, «les activités de recherche et d’innovation s’inscrivent
rarement dans les activités régulières des entreprises de moins de 1000 ETP
(équivalent plein temps) » : pour les entreprises de moins 1000 ETP, la recherche
est une activité régulière dans 38 à 40% seulement des unités sondées 2. En fait, la
recherche et développement est pratiquement le fait de grandes entreprises
relevant de grands groupes tels l’OCP, Lesieur, Cosumar, Managem, Colorado,
Koutoubia, Cooper Pharma. Certaines entreprises font de la recherche de façon
irrégulière, par opportunisme, notamment pour améliorer la qualité d’un produit
et/ou du contenant (emballage). S’agissant du personnel de recherche, la part du
secteur privé au Maroc n’est que de 8% environ.

Les filiales des multinationales n’introduisent que rarement la recherche et


développement dans leur activité sur le territoire national, ce qui réduit les
possibilités de transfert de technologies au profit du tissu productif national et
empêche la participation du capital étranger au développement du système
national d’innovation.

1 Banque Mondiale, Institut des Statistiques de l’Unesco, Dépenses en recherche et développement (en
% du PIB) 1996-2017.
2 Source : CGEM, L’innovation et la PME au Maroc, Mars 2012, étude déjà citée.

110
Modèle et innovation
Pour les auteurs de l’étude de la CGEM précitée, la faiblesse des
investissements des entreprises en recherche et développement tient aux facteurs
suivants :

• Le financement externe de la R&D est encore trop peu accessible et limite la


marge de manœuvre des entreprises.

• 80% des entreprises sont obligées d’avoir recours à l’autofinancement pour


financer leurs projets de R&D ;

• Le capital-risque privé national est encore trop peu développé et ne parvient


pas à favoriser l’émergence de start-up innovantes ;

• Les activités de R&D et d’innovation s’inscrivent rarement dans les activités


régulières des entreprises de moins de 1000 ETP (équivalent travail plein).

De notre point de vue, un autre facteur doit être ajouté : le privé au Maroc, et
particulièrement le grand capital, qui dispose de moyens pour engager des
activités de recherche et développement, a une culture de la recherche du profit
rapide et de la préférence à s’engager dans des projets à taux de rotation de capital
élevé ou encore à retour de capital rapide. Or l’activité de recherche et
développement n’est rentable qu’à moyen et surtout à long terme. Il semble que la
« race » d’entrepreneurs schumpetériens n’a pas encore pris place dans le champ
entrepreneurial national.

La recherche universitaire domine dans les financements alloués. En 2010,


année pour laquelle nous disposons d’informations, l’enveloppe totale qui lui a été
consacrée était de 2,54 milliards de DH, correspondant à une part de 45,28% de la
dépense intérieure pour la recherche et développement (DIRD)1.

Il reste à mentionner que l’activité de recherche et développement au Maroc est


pratiquement de la recherche appliquée. Les travaux de recherche fondamentale

1 Source : Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique et de la Formation des


Cadres, Rapport de l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques : Développer la recherche
scientifique et l’innovation pour gagner la bataille de la compétitivité,

111
qui exigent du temps et des moyens importants ne sont menés que pratiquement
dans le secteur public, particulièrement dans les universités.

I-1-1-2 Du personnel de la recherche

1- Le personnel de recherche comprend fondamentalement tout le personnel


directement affecté à la R&D de même que les personnes qui fournissent des
services directement liés aux travaux de R&D, comme les cadres, les
administrateurs et le personnel de bureau. Le personnel de R-D est composé de
scientifiques et d’ingénieurs hautement qualifiés (chercheurs), de spécialistes dotés
d’un niveau élevé d’expérience et de formation techniques et du personnel d’appui
directement associé à l’exécution de projets et d’activités de R-D au sein d’unités
statistiques qui mènent des travaux de R-D. Relèvent du personnel de recherche les
consultants travaillant sur place (au sein des unités statistiques qui effectuent des
travaux de R&D) ainsi que les doctorants.

2- Les statistiques disponibles1 montrent que les effectifs du personnel de la


recherche scientifique au Maroc s’élevaient en 2010 à 37 246 personnes physiques,
contre 21374 en 1999. Cet effectif (de 2010) est réparti de la manière suivante :
29819 (80%) travaillant dans l’enseignement supérieur (public et privé) 2, 4794 (13%)
exerçant une activité de R&D dans les établissements publics de recherche hors du
système de l’enseignement supérieur tels que l’INRA (Institut National de la
Recherche Agronomique), le CNESTEN (Centre National de l’Energie, des Sciences
et des Techniques Nucléaires), l’INRH (Centre National des Ressources
Halieutiques) et 2633 (7%) seulement effectuant des activités de R&D dans les
entreprises privées.

Durant la période 1999-2010, l’effectif du personnel de recherche dans le secteur


privé est passé de 650 à 3145 alors que celui du secteur public a évolué de 20 724 à

1 Source : l’étude de l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques précitée.


2 Cet effectif est réparti comme suit : 12 133 (33%) sont des enseignants chercheurs (se consacrant plus à
l’enseignement qu’à la recherche); 17686 (47%) sont des étudiants chercheurs préparant une thèse de
doctorat ; 5964 (20%) sont des chercheurs, ingénieurs, techniciens et personnel assimilé.

112
Modèle et innovation
34 101. Pour 2010, leurs parts respectives dans l’effectif total du personnel de la
recherche sont de 8,44% et 91,56%.

La répartition du personnel de recherche par domaine disciplinaire montre que


les sciences humaines et sociales (économie, droit, sciences de l’éducation, histoire,
géographie, philosophie, sociologie, langues, etc…) viennent en tête avec une part
de 40,23%, suivies par les sciences exactes et naturelles (physique, chimie,
mathématiques, biologie, géologie, …) avec 32,09%, puis par les sciences de
l’ingénieur et technologies avec 21,26%, les sciences médicales (5,37%) et d’ «autres
disciplines » avec 1,04%.

Au cours de la période 1996-2009, le nombre de doctorats délivrés s’élève à


9370, ce qui donne une moyenne de 671 doctorats par an, un nombre très faible et
de loin insuffisant pour assurer le renouvellement des enseignants chercheurs
atteints par la limite d’âge. Là aussi, ce sont les sciences humaines et sociales qui
prédominent : leur part dans le nombre total de doctorats délivrés au cours de la
période considérée est de 52,46%. Les sciences exactes et naturelles sont concernées
par une part de 44,86%, alors que les sciences de l’ingénieur n’en représentent que
2,65%.

Les statistiques mondiales relatives au nombre de chercheurs en R&D pour 1


million de personnes indiquent que le score du Maroc est de 725,059 en 2010 et de
1032,542 en 20141. Le score est de 1803,21 (en 2010) pour la Tunisie, de 1672,369
pour la Pologne, de 3922,913 pour le Portugal, de 2781,854 pour la République
Tchèque, de 2889,457 pour l’Espagne.

I-1-2 Des outputs de la recherche et développement

Les outputs de la recherche comprennent essentiellement les résultats liés au


savoir et à la technologie d’une part, et à la créativité, d’autre part. Deux
principaux indicateurs sont retenus : le nombre de dépôts de brevets et le nombre
de publications scientifiques.

1 Source : Banque Mondiale, Chercheurs en recherche et développement (pour 1 million de personnes)


1996-2017.

113
I-1-2- 1 Les brevets

Au cours des cinq dernières années (2012-2016), le nombre de demandes de


dépôts de brevets d’invention est passé de 1017 à 1240. La répartition en brevets
d’origine marocaine et brevets d’origine étrangère est présentée dans le tableau
suivant :

Tab 2 Evolution des dépôts de demandes de brevets

Années Brevets Brevets Total Part (%) des


d’origine d’origine brevets d’origine
marocaine étrangère marocaine
2012 196 821 1017 19%
2013 315 803 1118 28%
2014 353 743 1096 32%
2015 224 797 1021 22%
2016 237 1003 1240 19%
Source des données de base: Office Marocain de la Propriété industrielle et
Commerciale (OMPIC), Rapport d’activité 2016.

Ainsi, sur la période considérée, 1098 brevets par an en moyenne sont déposés
auprès de l’OMPIC et 265 brevets en moyenne seulement sont d’origine marocaine.
En 2016, sur 1240 brevets déposés, moins d’un cinquième seulement (19%
correspondant à 237 brevets) sont d’origine marocaine, contre 81% pour les brevets
d’origine étrangère.

La part du Maroc dans le nombre total de demandes de dépôt de brevets dans


le monde est très négligeable. En 2015, elle s’est établie à 0,03% (1021/2,9 millions).
Sa performance est très en dessous de celle de la plupart des pays émergents :
l’Afrique du Sud (5497 brevets), l’Argentine (4125), le Brésil (30219), l’Indonésie
(9153), la Malaisie (7727), la Corée du Sud (213694), l’Inde (45658), Singapour
(10814), la Chine (1101864).

Selon les données de l’OMPIC (2016), la part des universités est prépondérante
et augmente de façon continue au cours de la période considérée ; en 2016, elles ont

114
Modèle et innovation
représenté plus de 55% du nombre total de demandes de brevets. Quant aux
entreprises, elles n’interviennent que pour 8% de ce total.

L’appréciation par l’OMPIC de la pertinence des demandes de brevets d’origine


marocaine en termes de critères de brevetabilité pour 2016 montre que 38%
seulement des demandes de brevets présentent un caractère nouveau et inventif1. Le
reste des demandes est réparti comme suit : 36% ont un caractère nouveau mais
non inventif et dans le cas de 26%, il y a absence de nouveauté et d’inventivité.

I-1- 2- 2 Production scientifique

En 2014, le nombre de publications scientifiques du Maroc s’est élevé à 4122,


loin derrière l’Algérie (4875), le Nigéria (5089), la Tunisie (5975), l’Egypte (14054) et
l’Afrique du Sud (16372)2. Bien plus, en examinant l’évolution de la production
scientifique d’un certain nombre de pays africains entre 2005 et 2014 (voir tableau
suivant), on constate que le Maroc a reculé dans le classement en passant de la 5 ième
place en 2005 à la 6ième en 2014. Selon l’étude de l’Académie Hassan II
sus mentionnée, le Maroc occupait la troisième place en matière de production
scientifique en 2003, après l’Afrique du Sud et l’Egypte3.

Le Maroc se trouve loin derrière plusieurs pays islamiques en matière de


production scientifique. Selon les données de l’IMIST 4, la production du Maroc en
2014 est égale à 26% de celle de l’Arabie Saoudite, 16% de celle de la Malaisie,
11,6% de celle de la Turquie et 10% de celle de l’Iran.

1 Selon le manuel de Frascati 2015, cinq critères permettent d’établir ce qui constitue et ne constitue pas
une activité de R&D : l’activité doit comporter un élément de nouveauté (l’activité de R&D doit avoir
pour objectif d’«acquérir de nouvelles connaissances, explorer des champs de connaissance
entièrement nouveaux »), de
Créativité (« reposer sur des notions et hypothèses originales et non évidentes ; appliquer des concepts
nouveaux ou des idées nouvelles de nature à améliorer l’état des connaissances »).
2 Source, Institut Marocain de l’Information Scientifique et Technique (IMIST) qui relève du Centre

National de la Recherche Scientifique et Technique (CNRST). Voir baromètre.imist.ma.


3 Académie Hassan II des Sciences et Techniques, Développer la recherche scientifique et l’innovation

pour gagner la bataille de la compétitivité, p 32.


4 IMIST, données Scopus (voir barometre.imist.ma).

115
Tab 3 Position du Maroc en matière de production scientifique
par rapport à certains pays islamiques

Taux de croissance
Pays 2005 2010 2014 Classement 2014/2005
2014
Arabie 2094 5769 15892 4 659%
Saoudite
Indonésie 933 2305 5764 6 518%
Iran 7744 28619 40401 1 422%
Malaisie 3000 14038 25729 3 758%
Maroc 1257 2255 4122 7 228%
Pakistan 2437 7042 10605 5 335%
Turquie 18290 29893 35339 2 93%

En 2016, le Maroc a produit 5 425 publications, en hausse par rapport à 2014.


Cependant, malgré cette hausse, il se trouve classé dernier par rapport aux autres
pays de l’Afrique du Nord dont le nombre de publications scientifiques s’est élevé
à 6255 pour l’Algérie, 7299 pour la Tunisie et 17624 pour l’Egypte 1.

La part du Maroc dans les publications mondiales est de 0,32% en 2014 2. A titre
de comparaison, les parts de l’Afrique du Sud, de l’Arabie Saoudite et de la
Turquie, pour 2013 (année pour laquelle nous disposons d’informations), s’élèvent
respectivement à 0,7%, 0,9% et 1,9%.

Dans le cas particulier des sciences humaines et sociales, 47,5% des chercheurs
n’ont produit qu’un article en 17 ans et près de la moitié n’a jamais publié 3.

1 Source : Baromètre de la production scientifique au Maroc, citée par Ahlam Nazih dans un article
publié au journal « L’économiste » du 12 décembre 2017 et intitulé : Recherche scientifique : le difficile
chantier de l’évaluation.
2 La production du Maroc ayant été déjà mentionnée (4122 en 2014), la production mondiale (1 270 425)

est puisée dans ‘’le rapport de l’Unesco sur la science, vers 2030’’, publié sur Internet :
https://fr.unesco.org.
3 Selon Ahlam Nazih dans un article publié à l’économiste du 12 décembre 2017 consacré aux sciences

humaines et Sociales.

116
Modèle et innovation
I-2 Le classement du Maroc à travers the Global innovation Index

I-2-1 L’indice mondial de l’innovation (Global Innovation Index)

Depuis plus d’une dizaine d’années (2007), un indice mondial de l’innovation


(Global Innovation Index ou GII) 1 a été créé et sert d’outil de suivi de la situation
de l’innovation dans le monde. En présentant cet indice dans la publication du GII
2017, les auteurs écrivent : « le GII va plus loin que les indicateurs traditionnellement
utilisés pour mesurer la R&D et l'innovation dans un pays (par exemple les
dépenses en R&D, le nombre de publications scientifiques, etc…) et se focalise ainsi
davantage sur l'interaction entre les divers agents du système d'innovation
(entreprises, secteur public, enseignement supérieur et société) ». L'indice GII, qui
peut obtenir un score entre 0 (pour les moins bonnes performances) et 100 (pour les
meilleures performances), est calculé sur la base de deux sous-indicateurs : les
inputs 2 (institutions, ressources humaines et recherche, infrastructures,
sophistication du marché et sophistication de l'environnement des affaires) et les
outputs 3 (connaissances et technologie, créativité) du système d'innovation.
L'étude comprend 143 pays (variable selon les années), se base en tout sur
82 indicateurs de base et fait l'objet d'une publication annuelle.

Le rapport annuel relatif au GII propose un classement des capacités et des


performances des économies en matière d’innovation. Il rend compte de l’effort de
chaque pays dans le domaine de la recherche et l’innovation.

I-2-2 Le classement du Maroc à travers le GII

Dans l’Indice Mondial de l’Innovation ou GII pour 2017, le Maroc est classé
72ième (sur 127 pays) sur la base d’un score de 32,72. Au niveau du groupe de pays
constituant le monde arabe, il vient en sixième position après les Emirats Arabes
Unis (rang mondial 35), le Qatar (49), l’Arabie Saoudite (55), le Koweït (56) et

1 Créé par l’université américaine Cornell, l’INSEAD (Institut Européen d’Administration des Affaires)
et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI, une institution spécialisée des
Nations Unies). Il est publié chaque année conjointement par ces trois organismes.
2 Ce sous-indicateur est appelé ‘’Innovation input sub-index’’.

3 Ce sous-indicateur est appel ‘’Innovation Output sub-index’’

117
Bahreïn (66). Mais il devance la Tunisie (74), l’Egypte (105) et l’Algérie (108). Au
sein de l’Afrique, le Maroc occupe la 4ième position après l’Afrique du Sud (57ième au
niveau mondial), l’lle Maurice (64), Brunei (71). Au niveau de la zone de l’Afrique
du Nord et de l’Ouest Asiatique (NAWA), il se trouve au rang 11 ; les cinq
premières places au niveau de cette dernière zone sont occupées par Israël (rang 1),
Chypre (2), Les Emirats Arabes Unis (3), la Turquie (4), le Qatar (5).

En matière de ratio d’efficience relatif à l’innovation 1, le Maroc est classé 71ième


au niveau mondial. Il est devancé par la Tunisie (rang 65), l’Iran (16), le Kenya (50),
la Jordanie (57), le Qatar (68), le Viêt-Nam (10), la Turquie (9), la Malaisie (46). Il se
positionne avant l’Algérie (111), l’Egypte (81), l’Afrique du Sud (97), le Chili (77) et
les Emirats Arabes Unis (104).

Quant à la position du Maroc en fonction du GII, du sous-indice relatif aux inputs


de l’innovation (Innovation Input Sub-Index), du sous-indice concernant les outputs de
l’innovation (Innovation Output Sub-Index) et du ratio d’efficience (efficiency ratio),
dans le classement des dix premiers pays relevant du groupe des économies
intermédiaires tranche inférieure, elle se présente comme l’indique le tableau suivant :

Tab 4 Classement des 10 premiers pays relevant du groupe


des économies intermédiaires tranche inférieure

Rang au Global Innovation Innovation Innovation


sein du innovation input sub-index output sub-index efficiency ratio
groupe index (GII) (IISI) (IOSI) (IER)
1 Viet Nam (47) India (66) Viet Nam (38) Viet Nam (10)
2 Ukraine (50 Mongolie (67) Ukraine (40) Ukraine (11)
3 Mongolie (52) Viet Nam (71) Moldavie (42) Arménie (17
4 Moldavie (54) Moldavie (73) Arménie (47) Moldavie (22)
5 Arménie (59) Ukraine (77) Mongolie (48) Mongolie (27)
6 Inde (60) Maroc (79) Inde (58) Côte d’Ivoire (40)
7 Maroc (72) Tunisie (81) Philippines (65) Indonésie (42)
8 Philippines (73) Arménie (82) Maroc (68) Kenya (50)
9 Tunisie (74) Philippines (83) Kenya (70) Inde (53)
10 Kenya (80) Kyrgyzstan (86) Tunisie (71) Philippines (55)
Source : The Global Innovation Index 2017.

1 Rappelons que le ratio d’efficience en matière d’innovation est égal au rapport entre la valeur du sous
indice relatif aux inputs de l’innovation et celle du sous indice concernant les outputs de l’innovation.

118
Modèle et innovation
Le Maroc se trouve à la 7ième place au niveau du Global Innovation Index ; il est
au 6ième rang pour ce qui est de l’Innovation Input Sub-Index et à la 8ième position
au classement sur la base de l’Innovation l’Output Sub-Index. Il ne figure pas dans
la liste des pays sur la base du critère Innovation Efficiency Ratio.

II- Défaillances du SNRI et Problèmes entravant le développement de la


recherche et développement

Plusieurs défaillances caractérisent le SNRI et une multitude de problèmes


entravent l’amélioration du volume des inputs et des outputs de la recherche-
développement et donc de l’innovation mais aussi de celle de l’efficience de cette
dernière. Ci-après nous exposons certains d’entre eux.

1-Défaillances au niveau du système d’information sur la recherche et


l’innovation :

Il n’existe pas à ce jour, à notre connaissance, d’organisme ou d’entité dédiée


centralisant la production de l’information et de données (quantitatives et
qualitatives) relatives à la recherche-développement et à l’innovation au niveau
national. Les informations sont éparpillées et les quelques données
(particulièrement les chiffres) ayant trait à des aspects importants tels que la
dépense intérieure en matière de recherche et développement et qu’on présente de
temps à autre sont établies par des commissions ad hoc ou des comités
interministériels que l’on désigne pour élaborer une étude ou un document en la
matière et pour un besoin ponctuel déterminé, données qui sont par la suite
reprises par différents auteurs. Il n’y a pas de système d’information approprié
permettant de suivre et d’évaluer l’innovation au Maroc et de faire remonter
l’information nécessaire à une entité (une agence nationale, par exemple) chargée
de la centraliser et par là produire les statistiques utiles au sujet de l’innovation.
Aujourd’hui (2017), le chiffre relatif à l’effort national en matière de R&D (part du
PIB consacré à la recherche) date de 2010, donnée officielle présentée dans une

119
étude publiée par l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques en novembre
20121.

2- Un Système National de Recherche et d’Innovation très éclaté et souffrant


de mal gouvernance et à impact limité:

Au Maroc, un grand nombre d’organismes et entités interviennent dans la


sphère de la recherche et de l’innovation. A l’examen de l’architecture du SNRI, on
s’aperçoit du chevauchement des responsabilités et missions des différentes
structures le composant aussi bien en matière d’orientation que de promotion et de
coordination de la recherche 2 . En matière de financement, il n’existe pas une
agence de financement des activités de recherche et d’innovation, mais une
multitude de fonds qui ont été créés au fil des ans 3. Cette multiplicité n’a pas
manqué de poser des problèmes de gouvernance. Pour les auteurs d’une étude
relative à la recherche scientifique au Maroc4, « cette diversification (des fonds),
tout en introduisant une compétition saine au sein de la communauté scientifique
nationale peut rapidement poser un problème de pilotage ». Ils indiquent que le
CNRST s’est vu confier la gestion de programmes à la fois par son Ministère de

1 Académie Hassan II des Sciences et Techniques, Développer la recherche scientifique et l’innovation


pour gagner la bataille de la compétitivité, un état des lieux et des recommandations clés, publié sur
Internet.
2 Comme acteurs d’orientation, de coordination et de promotion de la recherche, nous pouvons citer :

- Le Ministère de l’Education Nationale, de la Formation Professionnelle, de l’enseignement Supérieur


et de la Recherche ;
- L’Académie Hassan II des Sciences et Techniques (créée au début des années 1990 et mise en place
réelle en 2004) ;
- Le Conseil Supérieur de l’Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique (créé en 2011) ;
- Le Conseil National pour la Recherche Scientifique et Technique (CNRST) créé à la fin des années
1970.
3 On peut citer certains d’entre eux :

- Programme national de développement de la Recherche Sectorielle (2010) ;


- Programme de financement de la R&D orientée marché dans les technologies Avancées (2011) ;
- Fonds National de Soutien à la Recherche Scientifique et du Développement Technologique (2001) ;
- Appels d’offres de l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques ;
- Mécanisme Compétitif de R&D et vulgarisation, Ministère de l’Agriculture (créé en 2010) ;
- Fonds d’amorçage Sindibad (créé en 2002 par le Groupe CDG pour soutenir les entreprises
innovantes ;
- OCP Innovation Fund For Agriculture (créé par le groupe OCP en 2011 pour soutenir l’innovation et
l’entrepreneuriat).
4 Jacques Gaillard, Hamid Bouabid, La recherche scientifique au Maroc et son internationalisation,

Editions Universitaires Européennes, 2017, disponible sur Internet.

120
Modèle et innovation
tutelle (MENFPESR) et par des entités extérieurs (ex OCP). S’agissant de la
coordination des activités du SNRI, les auteurs n’ont pas manqué de souligner
que : « Le SNRI marocain dispose d’un certain nombre d’institutions, de moyens et
d’atouts. Toutefois, malgré des efforts tangibles consentis au cours des 15 dernières
années pour le restructurer, le coordonner et le mobiliser, ce dernier reste
pléthorique, éclaté, peu coordonné et sa production scientifique a connu un
fléchissement au cours des premières années de la dernière décennie». Ils n’ont pas
hésité à caractériser le SNRI marocain comme étant un « simple assemblage
d’institutions » et relèvent que le constat n’est pas nouveau puisqu’ils citent un
autre auteur (Roland Waast) qui dans sa « synthèse « de l’évaluation 2000-2003,
constate que « la recherche ne se voit ici reconnaître que des fonctions auxiliaires
(amélioration de l’enseignement, soutien de l’Etat dans des fonctions régaliennes,
….), excluant de ce fait un « système » : ensemble asservi à une fonction propre,
dont les organes interagissent , s’auto-corrigent et remplacent ceux d’entre eux qui
dysfonctionnent. Le comble est que, selon les auteurs, ce diagnostic est partagé par
nombre d’observateurs et d’acteurs, y compris au plus haut niveau du
gouvernement marocain.

Le CNRST créé en 1970 pour impulser et coordonner l’ensemble des activités de


recherche au Maroc a eu un impact limité du fait de la fragmentation du SNRI et
des tutelles multiples hors le Ministère de tutelle, dont dépendent la plupart des
instituts de recherche et des établissements de formation des cadres.

3- Le manque de moyens pour la recherche

Le manque de moyens est avancé par tous les responsables que nous avons
interviewés. Dans le cas de certains organismes publics censés faire de la recherche
(ex : IAV Hassan II), il n’existe pas tout simplement de budget dédié à la recherche.
Le peu de recherche qui s’y effectue est le fait de quelques enseignants-chercheurs
qui, par des initiatives personnelles, parviennent à obtenir quelques financements
de la part d’organismes ou d’administrations de l’Etat (offices de mise en valeur
agricole, Ministère de l’environnement, de l’énergie…) dans le cadre de projets
déterminés. Au niveau des facultés, il n’y a pas dans les budgets qui leur sont

121
alloués de rubrique consacrée à la recherche. S’agissant d’organismes publics de
recherche, les budgets affectés à cette dernière sont faibles (cas de l’INRA).

4- Défaillances au niveau de l’enseignement supérieur public

Au niveau de l’enseignement supérieur public de façon générale, nombreux


sont les ‘’enseignants-chercheurs’’ qui non seulement n’effectuent aucun travail de
recherche, mais aussi ne participent pas à l’encadrement de doctorants ou
d’étudiants en masters dans la préparation de leurs mémoires. Dans le cas de
certains établissements supérieurs censés faire de la recherche, les enseignants
chercheurs vont chercher en dehors de leur établissement d’attache des projets de
recherche ou entrent, à titre individuel, dans des collaborations de recherche avec
des collègues ou organismes étrangers.

Le statut de l’enseignant chercheur n’a pas évolué depuis plusieurs années et la


grille des salaires de l’enseignement supérieur est loin d’être un facteur de
motivation. Une telle situation conjuguée avec l’absence de budgets pour la
recherche pousse les enseignants à « aller voir ailleurs ».

Dans l’étude déjà citée sur « la recherche scientifique au Maroc et son


internationalisation », les auteurs relèvent que même si la proportion du personnel
de recherche en personnes physiques est de 84% au sein de l’enseignement
supérieur public et privé, de 10% au sein des établissements publics de recherche et
de 6% dans les entreprises privées, « il ne s’agit là que d’un potentiel théorique car
un grand nombre d’entre eux notamment dans les établissements d’enseignement
supérieur ne font aucune recherche et ne publient pas ».

Les travaux de recherche effectués dans le cadre de thèses de doctorats finissent


par être rangés et empilés dans des espaces qui leur sont dédiés au niveau des
établissements d’enseignement supérieur concernés. Rares sont les travaux qui font
l’objet d’une exploitation.

Enfin, en notant que le nombre de diplômes de doctorat délivrés, toutes


disciplines confondues demeure encore faible, il y a lieu de souligner l’absence

122
Modèle et innovation
d’une politique de formation des futurs enseignants-chercheurs qui doit répondre
aux besoins immédiats et futurs du pays.

5- La pesanteur de la complexité des procédures administratives

L’Etat, à travers le Ministère des Finances, contribue dans une large mesure au
blocage du développement de la recherche et de l’innovation. Le recrutement des
enseignants-chercheurs se fait depuis des décennies au compte-gouttes alors que le
nombre des étudiants de l’enseignement supérieur augmente régulièrement dans
des proportions importantes; avec le départ en retraite des anciens, il en résulte un
grand et grave déficit en la matière. Cela se répercute également sur la formation
des étudiants et l’encadrement des doctorants. Ce même ministère excelle aussi
dans le freinage voire le blocage de l’utilisation des fonds obtenus par les
universités ou les autres établissements d’enseignement supérieur dans le cadre de
conventions établies entre ces organismes et les bailleurs de fonds internationaux
et la coopération internationale. L’agent public contrôleur de l’engagement des
dépenses oppose son véto à l’utilisation des fonds obtenus, précisons-le encore une
fois, à la suite des initiatives propres de ces organismes et sans aucun appui
quelconque de l’Etat, pour différents motifs souvent non compréhensibles. Pour le
Ministre de l’ENFPESR (Saïd Amzazi), « même si le budget alloué à la recherche
scientifique et technique au Maroc reste de l’ordre de 0,8% du PIB, ce sont avant
tout les procédures d’engagement de ce financement qui posent vraiment
problème….Des sommes considérables restent non utilisées par les universités tant
les procédures sont complexes, lentes et totalement inadaptées aux particularités et
aux spécificités de la recherche qui exige, souplesse et réactivité ». Il tire cette
conclusion : « cette situation entraîne des répercussions lourdes de conséquences
sur la production scientifique au Maroc »1.

Ce qui est inquiétant, c’est que les ministres des finances se succèdent mais cette
rigidité est toujours vivante, au nom de on ne sait quelle logique. Et on est en droit
de s’interroger : pourquoi les procédures d’utilisation des financements continuent
d’être complexes alors qu’en même temps l’Etat reconnaît la nécessité de la

1 Propos du Ministre lors de la 8ième édition du colloque X-Maroc du 15 Janvier 2019, déjà cité.

123
promotion et du développement de la recherche et de l’innovation comme moteur
de la croissance ?

Un autre aspect du blocage opéré par le ministère des finances réside dans le
fait que beaucoup de doctorants sont privés de bourses pour pouvoir financer leurs
recherches. Bien mieux, il refuse de financer partiellement les bourses aux
doctorants parce qu’il considère que ces derniers vont travailler avec le privé une
fois le travail soutenu.

6- Freins au bon fonctionnement et au développement des « Cités


d’Innovation »

La stratégie « Maroc Innovation » 1 avait prévu la création de « cités


d’innovation ». Il s’agit de plateformes à mettre en place au sein des universités et
devant fédérer des centres de recherche et développement, des entreprises, des
structures de valorisation de la recherche, des incubateurs, des pépinières
d’entreprises innovantes et des services communs. Au titre des objectifs
spécifiques, ces cités visent à créer et développer un écosystème favorisant le
développement d’une culture d’innovation, des liens et des échanges entre
l’université et l’entreprise, incuber des projets innovants, favoriser le transfert
technologique entre les centres de recherche et les entreprises, faire du Maroc un
producteur de technologies. Comme objectifs qualitatifs, il a été prévu de produire
1000 brevets par an à partir de 2014 et d’accompagner 200 start-up innovantes par
année. Quatre cités d’innovation pilotes ont été programmées dans une première
phase et dans quatre régions : Rabat, Casa, Marrakech et Fès. A ce jour, les résultats
sont très en deçà des attentes, en matière de structures de recherches et

1 Stratégie lancée en 2009, en concertation entre les ministères de l’enseignement supérieur et de la


recherche scientifique et de l’industrie d’une part, et de la Confédération Générale des Entreprises du
Maroc, d’autre part. L’objectif affiché est la mise en place d’un système national d’innovation. Selon
l’Association Marocaine des Investisseurs en Capital (AMIC), la stratégie Maroc Innovation a pour
objectifs de :
 Faire de l’innovation un facteur clé de compétitivité ;
 Faire du Maroc un pays producteur de technologies ;
 Exploiter les capacités de R&D des universités marocaines ;
 Faire du Maroc une place attractive pour les talents et les projets de R&D
 Diffuser une culture de l’innovation et de l’entreprenariat.

124
Modèle et innovation
d’innovation mises en place, du nombre d’entreprises accompagnées, de brevets
produits…. L’une des raisons fondamentales se trouvant à l’origine de cette
situation et qui a été avancée par plusieurs responsables que nous avons
interviewés, réside dans la forme juridique de la cité d’innovation. Alors que les
universités ont proposé la forme de fondation qui va leur permettre une certaine
souplesse en matière de gestion, le Ministère des Finances est sur une autre
approche : la cité d’innovation étant rattachée à l’université (secteur public), elle
doit être gérée sur la base de la comptabilité publique. Tout le monde connaît les
implications de cette vision en termes de complexité des procédures, de retards et
de blocages.

Dans certains établissements d’enseignement supérieur, les incubateurs qui


existent ne fonctionnent pas dans des conditions normales ou sont carrément en
arrêt de fonctionnement à cause du manque d’autonomie financière. C’est le cas, à
titre d’exemple, de l’incubateur de l’Ecole Mohammedia des Ingénieurs (EMI).

7- Une très faible exploitation des brevets

Au sujet des brevets, ce qui inquiète est non seulement la faiblesse de la


production nationale, mais aussi celle du nombre de brevets qui réussissent à se
traduire en nouveaux produits, autrement dit à prendre le chemin de la production
et de la commercialisation.

Du fait de toutes ces faiblesses concernant la production et l’exploitation des


brevets (produits au Maroc), le Maroc débourse des sommes très importantes au
titre des « frais pour usage de la propriété intellectuelle » (achats de brevets et de
licences). le solde du compte relatif à cette rubrique de la balance des paiements
accuse un déficit considérable. Pour 2016, alors que le Maroc a payé (débit) 1,023
milliard de DH au titre des redevances et droits de licence, il n’a reçu (crédit) que
45,1 millions de DH, soit un solde négatif de l’ordre de 978 millions de DH.

8- L’impact de l’échec du système d’éducation

L’échec patent de notre système d’éducation nationale qui est mis en évidence
par différents rapports d’évaluation (dont ceux du Ministère de l’Education
125
nationale même) ne peut pas être sans impact sur la situation et le devenir de la
recherche et de l’innovation au Maroc. L’un des aspects saillants de cet échec est la
baisse inquiétante du niveau intellectuel de nos bacheliers. A l’université, à cette
faiblesse de départ vient s’ajouter le manque d’encadrement approprié à cause des
sureffectifs, du manque d’infrastructures suffisantes et équipées et du nombre
insuffisant d’enseignants. Pour ces raisons et tant d’autres, l’étudiant arrive au
doctorat avec un quantum de connaissances et une capacité d’expression qui, pour
la grande partie des étudiants, ne permettent pas de mener dans de bonnes
conditions un travail de recherche.

9- La fuite des cerveaux : un problème inquiétant

La fuite des cerveaux que connaît le Maroc pèse de tout son poids sur le
développement du capital humain et se trouve à l’origine d’une grande perte en
matière d’investissement intellectuel. Selon différentes sources, le Maroc figure
parmi les pays les plus touchés par le » brain drain ». En 2011, le ministre chargé
des marocains résidents à l’étranger et des affaires de la migration avait déclaré
que « la fuite des cerveaux marocains à l’étranger concernait 18,5% du total des
diplômés nationaux »1, ce qui place le Maroc à la troisième place mondiale et au
premier rang au niveau du monde arabe. Dans un article publié au journal
‘’Libération’’, R.Baji rapporte les propos du Secrétaire Général de l’Union des
Universités Arabes 2 selon lesquels le Maroc perd chaque année 32% de ses
ingénieurs et 15% de ses scientifiques3. Dans une étude intitulée : ‘’Les dynamiques
d’inclusion/exclusion de la jeunesse en zone Méditerranée’’, l’Agence Française de
Développement montre l’importance du « brain drain » dans le cas du Maroc et
indique que 17% des diplômés de l’enseignement supérieur quittent le pays4. Dans
un autre article publié au journal ‘’Libération’’ relatif à la fuite des cerveaux, il est
précisé que les ressortissants marocains arrivent en tête du peloton des migrants

1 Selon Tel Quel, mai 2013.


2 Propos tenus par le Secrétaire Général de l’Union des Universités Arabes lors d’un séminaire sous le
thème : « L’enseignement universitaire dans le monde arabe : réalité et perspectives ».
3 Rachid Baji (Maîtrise en management, doctorat en droit public), L’exode des cerveaux marocains à

l’étranger : impacts et recommandations, article publié dans Libération du 6 mai 2014.


4 Etude dont l’auteur est Sébastien Duhaut, avril 2017, publiée sur Internet.

126
Modèle et innovation
diplômés du supérieur au niveau du Maghreb avec 397 000, soit un taux de 46%
devant l’Algérie (37%) et la Tunisie (12%)1. Dans un papier produit conjointement
par les Nations Unies et l’OCDE sur les migrations internationales en 2013, on
apprend que le taux d’émigration des individus de formation supérieure a été de
14,6% dans le cas du Maroc contre 10,8% pour toute l’Afrique, 9,2% pour l’Algérie,
8,9% pour la Tunisie, 3,2% pour l’Egypte, 3,7% pour la Turquie et 11,6% pour
l’Afrique du Sud 2 . Pour les auteurs de l’étude déjà citée sur « la recherche
scientifique au Maroc et son internationalisation, « 20% des personnes hautement
qualifiées de plus de 25 ans sont expatriés ».

En somme, au moment où le Maroc souffre déjà d’une pénurie de compétences,


le « stock » des marocains hautement qualifiés expatriés croît de plus en plus. Le
pays ne peut qu’être affecté sévèrement par l’émigration de personnes hautement
qualifiées. Les étudiants marocains (de plus en plus nombreux) qui terminent leurs
études et se voient accorder un poste dans le pays d’accueil, s’y installe de façon
pérenne, redoutant, en retournant au Maroc, d’affronter une situation endémique
du chômage qui touche cruellement les diplômés.

Le phénomène est donc d’une grande ampleur et ne fait que s’aggraver. Une
bonne proportion des cerveaux qui quittent le pays est constitué de médecins,
d’ingénieurs, de chercheurs et spécialistes dans les domaines scientifiques et
techniques, c'est-à-dire, des profils dont le pays a le plus besoin pour son progrès
économique, social, scientifique et technologique. Plusieurs causes sont à l’origine
du phénomène. Outre la difficulté de trouver un emploi adéquat assurant une
rémunération décente et raisonnable correspondant au niveau de formation et de
qualification des concernés, on doit citer également l’absence d’opportunités
d’accomplissement professionnel, l’absence de règles claires et s’appliquant sans
distinction en matière d’avancement dans la carrière et de promotion, la profusion

1 Hassan Bentaleb, La fuite des cerveaux marocains s’amplifie, Libération du 20 avril 2015. L’auteur se
réfère à une étude réalisée par le Centre de Recherche en Economie Appliquée pour le
Développement (CREAD) entre décembre 2014 et février 2015 et portant sur la fuite des cerveaux et le
développement dans l’espace de l’Union du Maghreb Arabe (UMA).
2 Nations Unies et OCDE, Les migrations internationales en chiffres, contribution conjointe au dialogue

de haut niveau des Nations Unies sur les migrations et le développement, 3-4 octobre 2013,
contribution publiée sur Internet.

127
de pratiques relevant d’Al Fassad (népotisme, clientélisme, corruption…) dans
l’attribution des postes. Selon une étude réalisée par Rekrute.com 1, «les conditions
du travail dans les institutions publiques et privées, où priment clientélisme et
corruption, sont les principales causes de la fuite des cerveaux au Maroc». Plus
particulièrement, le recours tous azimuts de l’Etat à des multinationales du conseil
en ce qui concerne des activités stratégiques à forte valeur ajoutée réduit les
possibilités de recruter et de retenir dans le secteur public des cadres hautement
qualifiés (conception, suivi, gestion et évaluation des grands projets nationaux,
régionaux ou locaux).

On comprend dès lors pourquoi le phénomène du brain-drain qui touche le


Maroc a des effets néfastes sur l’économie nationale. L’impact négatif immédiat est
constitué par la perte nette de l’investissement réalisé pour la formation des
« cerveaux » qui quittent le pays et par une perte énorme des compétences. Du fait
de la fuite des cerveaux, tous les investissements destinés à l’éducation ne se
transforment pas en gains en termes de meilleures ressources humaines. En outre,
la fuite des cerveaux signifie une réduction importante des flux de production de
connaissances (surtout scientifiques et technologiques) et, partant, du stock de
connaissances de la société ; elle se traduit par la réduction de la capacité
d’innovation du pays. Par ailleurs, la fuite des cerveaux implique une rupture dans
la gestion du savoir au niveau de toute la société : l’émigration des « cerveaux »
empêche ces derniers de transmettre le savoir qu’ils possèdent aux nouvelles
générations, d’une part, et de transformer le savoir en action pour servir les
objectifs de développement, d’autre part. Un autre effet négatif de la fuite des
cerveaux sur le pays est constitué par l’accès difficile aux services: la perte de
compétences comme les médecins, les infirmiers (es), les enseignants etc. réduit le
champ des possibilités d’accès de la population aux services dont en particulier la
santé et l’éducation. La fuite des cerveaux constitue en définitive une externalité
négative pour ceux qui restent au pays. Elle représente un frein au progrès

1 Site consacré au recrutement et à l’emploi.

128
Modèle et innovation
technique et à la croissance 1 et se traduit par une réduction drastique des
opportunités de développement pour le pays.

10- Absence d’un véritable système d’évaluation

L’évaluation des politiques et programmes de recherche est l’une des grandes


défaillances du SNRI. Jusqu’à présent nous ne disposons pas de données précises
sur les réalisations en matière de recherche et développement ni donc sur les écarts
entre les allocations de ressources et les réalisations. Il n’y a aucune évaluation des
choix effectués en ce qui concerne les programmes de recherche. L’évaluation doit
se pencher également sur plusieurs autres questions fondamentales. Quelles sont
les causes qui sont à l’origine de la déconnexion entre le système productif et le
système de recherche et d’innovation, déconnexion qui empêche la propagation
des effets externes de la recherche scientifique, la création d’une dynamique en
matière d’apprentissage technologique et la valorisation de la recherche et
l’innovation? Qu’est ce qui bloque réellement une bonne articulation entre la
recherche scientifique, l’université et les entreprises ? Si les entreprises (les grandes
entreprises) sont convaincues du rôle de la recherche et de l’innovation dans
l’amélioration de la compétitivité, quelles sont réellement les raisons qui
expliquent la faiblesse de leur propension à investir dans la recherche et
développement?

Naturellement, la mise en place d’un système d’évaluation suppose


l’élaboration d’une méthodologie, la construction d’outils et d’indicateurs fiables
ainsi qu’un système d’information sur lesquels doit reposer le processus
d’évaluation.

1 La présence de compétences de haut niveau dans le système productif permet des externalités
positives sur le reste de la société puisque ces compétences (en particulier les scientifiques et les
ingénieurs) contribuent à l’innovation, au progrès technique et permettent l’amélioration de la
productivité.

129
11- Faible impact de L’expérience de mobilisation des compétences
scientifiques et techniques marocaines à l’étranger au service de la science et de
la recherche et du développement du Maroc :

Depuis plusieurs années, Différents dispositifs et institutions ont été créés afin
de mobiliser les compétences marocaines de l’étranger pour un renforcement des
capacités scientifiques et techniques du Maroc et servir le développement du SNRI.
Parmi ces dispositifs figure le Programme FINCOME (Forum International
Compétences Marocaines à l’Etranger), le Ministère Chargé des Marocains
Résidant à l’Etranger et les réseaux de diplômés à l’étranger. Les conclusions de
l’étude déjà citée relative à ‘’la recherche scientifique au Maroc et son
internationalisation’’ montrent que l’expérience n’a pas abouti à des résultats
tangibles. Nous proposons ci-après pour le lecteur une synthèse de ces conclusions.

Programme FINCOME : s’inscrivant dans la prolongation du Programme


TOKTEN (Transfer of Knowledge Trough Epatriate Nationals) du PNUD
(Programme des Nations-Unies pour le Développement) créé en 19761 et lancé au
Maroc en 1993, ce programme a été créé en 2003 par le PNUD et le CNRST. Le texte
ainsi que la stratégie du projet ont été validés en 2004 par le Premier Ministre.
Parmi ses objectifs figurent 1-le soutien à la recherche et la formation ; 2- la
synergie entre compétences locales et celles des MRE. Avant d’exposer certains
aspects des résultats, il est important de mentionner qu’aucune enveloppe
budgétaire n’est créée au niveau de la Primature, seuls les fonds du PNUD
destinés à la communication restent disponibles ; ce qui a fait dire aux auteurs de
ladite étude que « cela constituait dès l’origine, une faiblesse majeure
hypothéquant l’institutionnalisation et l’organisation du projet ainsi que sa
durabilité ». S’agissant maintenant des résultats, ils sont limités. Pour les projets
confiés à la cellule du CNRST, la plupart des projets soutenus (95%) relèvent de
l’expertise, très peu concernent la recherche. La mobilisation des compétences « ne

1 Le programme TOKTEN était conçu comme un outil de développement en s’appuyant sur le principe
que l’expertise nécessaire dans de nombreux projets agricoles, scientifiques, techniques ou autres,
serait plus efficace si elle était fournie par des nationaux expatriés que par des étrangers de même
qualification..

130
Modèle et innovation
s’est pas faite à partir d’une stratégie nationale et d’un besoin identifié au Maroc
mais au gré des circonstances et des invitations spontanées entre universitaires
(amis, collègues rencontrés lors de conférences, etc…) ainsi que le manque de
flexibilité de la procédure administrative

Careers in Morocco : société privée créée en 2007, elle constitue une plateforme
pour le recrutement des talents marocains à l’étranger ; elle joue le rôle de
facilitateur et d’interface entre les entreprises marocaines et les membres de la
diaspora souhaitant retourner au Maroc. Pour Careers in Mrocco, « les dirigeants
des associations des compétences marocaines à l’étranger ont exprimé le regret que
des porteurs de projets très innovants et selon eux très pertinents pour l’économie
et le développement du Maroc et souhaitant rentrer dans leur pays ne suscitent pas
l’intérêt des pouvoirs publics marocains ni ne trouvent de partenariat d’entreprises
ou de financements ».

Les associations de chercheurs marocains à l’étranger : les témoignages de


différents associations recueillis par les auteurs de l’étude montrent l’absence
d’une réelle volonté politique de l’Etat marocain de mobiliser les compétences à
l’étranger. Voici, en substance, certains de ces témoignages qui donnent à réfléchir:

« Quand on compare les discours récurrents sur la mobilisation des


compétences et la réalité de la pratique gouvernementale on pense qu’il y a un réel
décalage et qu’il correspond bien à un choix politique ». « L’enseignement
supérieur et la recherche devraient être des priorités gouvernementales au même
titre que l’Industrie ou l’Intérieur. Or que voyons-nous ? Une pratique qui laisse se
détériorer l’éducation dans le public pour favoriser des institutions privées qui
pourront peut-être contribuer à la création de centres d’excellence mais qui ne
pourront jamais élever la qualité de l’éducation au niveau du pays ».

« Ce sont les institutions publiques qui doivent faire face à la massification des
étudiants aujourd’hui, or on ne leur octroie pas de moyens réels pour améliorer la
qualité de l’enseignement et on ne cherche pas du tout à favoriser la recherche ».
«Aussi longtemps que le statut d’enseignant chercheur restera ce qu’il est, rien ne

131
pourra s’améliorer au niveau des institutions publiques ». « Un enseignement
privé de qualité ne peut fonctionner que si l’enseignement public est aussi de
qualité ».

« Dans ce pays il n’y a pas de conviction profonde sur le fait que le


développement pérenne est basé sur la recherche et l’innovation. Si on ne met pas
les moyens sur ces deux activités c’est qu’il n’y a pas de volonté politique à cet
égard, c’est que ce n’est pas une priorité ». « on ne pourra jamais mobiliser les
compétences des MRE si on n’arrive déjà pas à mobiliser et garder les compétences
des Marocains de l’intérieur. La fuite des cerveaux continue aujourd’hui ! ».

« Un système d’enseignement scientifique qui se fonde sur une sous-estimation


de la recherche ne peut pas évoluer dans le monde d’aujourd’hui. C’est à ce niveau
que nous les MRE S&T (scientifiques et techniques) pouvons aider le Maroc à
changer ».

Dans la conclusion finale de l’étude citée, relative à la question de la


mobilisation des compétences, les auteurs ont tiré cinq constats qui méritent d’être
signalés. Nous les reproduisons ci-après :

1. La mobilisation des compétences S&T de l’étranger ne peut devenir


véritablement efficace que si elle va de pair avec une action visant le retour des
compétences. Les expériences variées menées dans le monde montrent que c’est la
synergie des deux approches qui contribue au développement de la science
nationale.

2. L’attachement de la diaspora envers le pays d’origine n’est pas un


« opérateur » suffisant pour la mise en œuvre de ces mobilités productives. Les
bons scientifiques sont des inconditionnels de la science avant d’être des patriotes.

3. L’appel à la solidarité n’est pas non plus un « opérateur » suffisant : la


mobilisation de la diaspora S&T passe par des projets d’ordre professionnels et
scientifiques où chacun doit trouver son intérêt. On est dans un système de
gagnant-gagnant.

132
Modèle et innovation
4. La diaspora S&T n’est jamais bienvenue dans son pays d’origine lorsqu’elle
veut y revenir car elle est perçue comme menaçante et porteuse de changements
non maîtrisables. Les politiques d’appel à la diaspora, tout en tenant compte de ces
rejets, ne peuvent les considérer comme incontournables.

5. La mise en chantier à partir de 2007 des programmes publics de mobilisation


des compétences marocaines à l’étranger a dilué le potentiel S&T qui était attaché à
la notion de « compétences ». Le rapport du Conseil de la Communauté
Marocaine à l’Etranger CCME (2013) le confirme et préconise la mise en place
d’une institution (guichet unique) pour toutes les actions de mobilisation des
compétences dans un organisme dédié qui serait vraisemblablement sous l’égide
du Ministère Chargé des Marocains Résidant à l’Etranger. Cette nouvelle entité
devrait à terme se pérenniser en Agence Nationale des Mobilités.

En guise de conclusion

1- Le développement de la science et de la technologie nationale est une


condition fondamentale pour se libérer de la dépendance technologique aux
lourdes conséquences sur les plans économique, social et politique, mais aussi de la
pesanteur de la dépendance économique. Or un développement scientifique et
technologique national passe obligatoirement par la mise en place d’un véritable
système national de recherche et d’innovation reposant avant tout sur une réelle
volonté politique devant se traduire par des objectifs précis en matière de
promotion de la recherche et l’innovation, la mise en place de financements
suffisants et pérennes et des mécanismes de gouvernance clairs, transparents et
efficaces.

2- Il est paradoxal de voir que le Maroc qui paie très fort les conséquences de sa
dépendance technologique et qui accuse un grand retard en matière de
développement, et dont les responsables gouvernementaux reconnaissent la
sclérose dans laquelle se débat le SNRI, continue à ne pas accorder à la notion de
temps (de développement) l’intérêt qui se doit. Il semble qu’on ne se gêne pas pour
différer dans le temps- et indéfiniment, paraît-il- la mise en place d’un système de

133
recherche et développement efficace et dynamique. On ne déploie pas d’efforts
nécessaires pour opérer un saut qualitatif en matière de construction de ce système
d’innovation et atteindre le stade de « spirale vertueuse » impliquant un bon
développement des capacités scientifiques et techniques et une production
soutenue des connaissances scientifiques.

3- A-t-on besoin de rappeler que le développement de la science et de la


technologie est un facteur différenciant au niveau planétaire et sur lequel repose la
domination de certains pays (à haut niveau scientifique et technologique) sur un
grand nombre de pays du globe (que caractérise un sous-développement en
matière de science et technologie), situation qui peut aller jusqu’à menacer la
sécurité de ces derniers et affecter leur souveraineté ?

4- C’est à l’Etat qu’incombe la responsabilité de la construction du système


national d’innovation et d’un écosystème de la recherche dynamique. Il doit
assurer le développement de la recherche publique (universités, instituts publics
de recherche, …) et rechercher son efficience et en même temps fournir l’effort
nécessaire pour créer les conditions favorables à l’émergence et au développement
de la recherche privée (entreprises et groupes privés). Cela passe par différents
instruments dont les incitations (fiscales et financières), les partenariats publics-
privés, des encouragements divers au profit des bons travaux de recherche (prix).
Il doit entreprendre de régler le problème de la complexité des procédures
administratives pour le financement de la recherche.

5-Dans le cadre de son rôle, l’Etat doit faciliter l’ancrage industriel des travaux
théoriques réalisés par les chercheurs, naturellement sur la base d’une sélection et
d’un système de hiérarchisation des priorités. Cela va certainement servir le
développement de la recherche et de l’innovation.

6-Comme nous l’avons montré dans notre ouvrage ‘’L’économie de


l’investissement, aspects théoriques et analyses empiriques’’, L’Etat peut mobiliser
des volumes importants de ressources pour financer l’investissement dont
l’investissement dans la recherche et l’innovation. Cela passe par des actions pour

134
Modèle et innovation
augmenter les recettes de l’Etat [amélioration de la rentabilité des entreprises
publiques, amélioration des recettes fiscales (recouvrement, élargissement de
l’assiette fiscale….), une gestion saine et efficace du domaine privé de l’Etat et des
terres collectives] et des actions de rationalisation des dépenses publiques (lutte
contre les gaspillages dans l’administration publique, l’octroi de primes et
avantages faramineux souvent sans aucun lien avec la productivité, cumul des
activités, etc…).

7- S’agissant des actions rentrant dans le cadre de la mobilisation des


compétences marocaines à l’étranger, il y a lieu de rappeler quelques vérités :

- il serait absurde et coûteux de vouloir mobiliser les compétences marocaines à


l’étranger au service de la recherche et l’innovation au Maroc en l’absence d’une
réelle volonté politique ;

- On ne peut pas bâtir une politique de mobilisation des compétences


marocaines à l’étranger sur l’idée de ‘’l’indéfectible attachement’’ de ces derniers
au pays ; le retour ou la collaboration (dans des projets de recherche) des
compétences marocaines à l’étranger doivent s’inscrire dans un système gagnant-
gagnant et donc servir aussi les intérêts de ces compétences.

- la logique veut que parallèlement –si ce n’est pas avant- à la recherche de cette
mobilisation des compétences expatriées, il faut créer les conditions favorables
pour mobiliser les compétences se trouvant à l’intérieur du Maroc. Il ne faut perdre
de vue aussi le fait que pour attirer une diaspora hautement qualifiée, il faut
d’abord savoir garder celle qui est revenue et savoir la garder à son plus haut
niveau de compétences.

- Une autre manière d’encourager les compétences marocaines à l’étranger pour


servir la recherche et l’innovation au Maroc est que le pays offre à ces derniers une
bonne capacité d’absorption, une communauté scientifique dense et compétitive et
un contexte social, culturel et institutionnel qui leur permette d’exercer leurs
talents.

135
8- Il ne faut jamais perdre de vue le fait que les contre-performances
enregistrées dans le domaine de l’enseignement supérieur (plutôt de
l’enseignement tout court) ne peuvent pas ne pas avoir d’impact négatif sur la
recherche et l’innovation. Une réforme radicale et intelligente du système national
d’enseignement, au service du développement économique, social et culturel, doit
être entreprise et mise en œuvre le plus tôt possible,

136
Modèle et industrie
Les politiques européennes dans le secteur
industriel au Maroc: une évaluation par le bas

Jean-Yves Moisseron, Khaled Guesmi, Marie Gérin-Jean

Introduction

La présente étude 1 vise à mener une évaluation ascendante de la politique


européenne dans un certain nombre de secteurs à partir d’entretiens avec les
parties prenantes concernées, en particulier celles dont les discours ne sont pas
entendus de manière conventionnelle. L’étude se concentre particulièrement sur le
secteur de l'industrie, ainsi que sur les politiques européennes qui affectent ce
secteur au Maroc. La méthodologie est indiquée dans la section 1. Afin de mieux
comprendre le contexte et la pertinence de l'intervention de l'UE au Maroc, la
section 2 présente brièvement le secteur industriel marocain et plus
particulièrement ses liens avec l'Europe. La section 3 est consacrée aux priorités et
stratégies industrielles mises en œuvre au Maroc. La section 4 présente la politique
européenne dans le secteur industriel et en particulier les différents plans
industriels mis en œuvre successivement à la suite du lancement du processus de
Barcelone. La section 5 présente une analyse des documents disponibles sur la
question dont une revue de la littérature. La section 6 présente les entretiens menés
pendant le travail sur le terrain. La dernière partie résume les résultats et les
recommandations politiques partagés par les parties prenantes locales.

1. Méthodologie

Le but de l’étude était d’examiner la politique euro-méditerranéenne


concernant le secteur industriel en proposant une déconstruction de la théorie et de
la pratique, afin de faciliter le développement d’une nouvelle approche. En

1Cette étude est issue du programme Européen MEDRESET (www.medreset.org) et a donc bénéficié
des fonds Marie-Curie dans le cadre des programmes H2020. Jean-Yves Moisseron est Directeur de
Recherche à l’IRD, Cessma, Université Paris-Diderot, Khaled Guesmi est Professeur à l’IPAG Business
school, Marie Jean-Gérin est chercheur associé au Cessma, Université Paris-Diderot.

137
particulier, cette recherche cherche à comprendre si les politiques de l’UE dans le
secteur industriel marocain garantissent le bien-être des personnes et répondent
aux besoins économiques locaux (par exemple, emploi, diversification industrielle
et impact des multinationales sur les entreprises locales).

Cette étude repose sur plusieurs sources. Premièrement, cela comprend les
documents disponibles concernant le secteur industriel au Maroc, tels que des
articles académiques, la littérature grise et d’autres documents divers. Une analyse
documentaire a donc été réalisée, notamment dans le but de souligner les
préoccupations les plus critiques ou les plus spécifiques. Une deuxième source
importante est le corpus d’entretiens menés avec les acteurs que nous avons
identifiés. Nous avons accordé une attention particulière à la constitution d'un
échantillon hétérogène, comprenant aussi des acteurs exclus par les interventions
de l'UE dans le cadre du dialogue euro-méditerranéen.

Au total, nous avons mené 20 entretiens (6 femmes et 14 hommes). Nous avons


réussi à obtenir un échantillon équilibré des parties prenantes, réparties en cinq
catégories: parties prenantes publiques (administrations et institutions publiques)
(3 entretiens), secteur privé (entreprises et organisations professionnelles) (7
entretiens), organisations non gouvernementales (ONG) (organisations de défense
de l’égalité des genres) (4 entretiens), groupes de réflexion (4 entretiens) et une
organisation internationale (1 entretien) (annexe 1). Les questions visaient à
mesurer et à comprendre l’appréciation des parties prenantes des politiques
européennes au Maroc favorisant le secteur industriel (annexe 2).

2. Aperçu et analyse du secteur industriel au Maroc

2.1 L'industrie est un secteur économique central au Maroc

Le Maroc reste un pays essentiellement rural et largement non industrialisé. Le


secteur industriel fournit 23% des emplois (HCP 2018a), dont 11,1% dans la
construction et les travaux publics. Ce pourcentage est bien inférieur à l'emploi
dans l'agriculture (33,8%) et les services (43,3%) (HCP 2018a). L'agriculture a
longtemps été le principal fournisseur d'emploi, même si ce secteur a lentement

138
perdu sa position dominante au profit des services. La part de l'emploi dans le

Modèle et industrie
secteur de l'industrie est restée plutôt stable dans le temps et représente près de la
moitié de l'emploi fourni par le secteur agricole. L’industrie textile représente 40%
de l’ensemble des emplois industriels, ce qui correspond à environ 200 000
emplois, mais ne fournit que 9% de sa valeur ajoutée. Cela indique que le secteur
est stratégique en termes de capacité d'absorption de main-d'œuvre et de limitation
du chômage, mais que sa part du revenu national est relativement modeste (voir
ci-dessous).

La part relativement faible du secteur industriel dans l'économie marocaine se


manifeste également dans sa contribution à la richesse nationale. Le secteur de
l'industrie représentait près du quart du produit intérieur brut (PIB) en 2016 et
comprenait d'importantes industries de transformation, à l'exclusion des industries
du pétrole et de la construction. Selon la Banque mondiale, cette part a diminué au
cours des années 2000 avant de se stabiliser à environ 29% du PIB en 2016
(graphique 1).

Figure 1 | Industrie (y compris construction), valeur ajoutée (% du PIB),


1980-2016

36

34

32

30

28

26

24

22

20

Source: Données de la Banque mondiale,


https://data.worldbank.org/indicator/NV.IND.TOTL.ZS?locations=MA.
139
La répartition par secteurs industriels fournit des indications intéressantes. Les
principaux secteurs industriels du Maroc, mesurés sur la base de leur valeur
ajoutée, comprennent les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture, ainsi que les
industries de la mécanique et de l’acier. Viennent ensuite les industries minières,
textiles et du cuir (voir la figure 2). L’industrie minière présente un schéma
irrégulier, en déclin depuis 2012, alors que le Maroc possède les deux tiers des
réserves mondiales de phosphate et qu’il est son principal exportateur. Le Maroc
possède en outre des mines de charbon, plomb, argent, or, zinc, cuivre, cobalt,
manganèse, fer et autres minéraux. Il est également intéressant de mentionner les
progrès lents, mais constants des industries mécaniques (voir Figure 2).

Figure 2 | Valeur ajoutée par secteurs industriels aux prix courants


(millions de dirhams), 2007-2016

70000
Industrie d'extraction
60000

50000 Industrie alimentaire

40000 ind. Textile et cuir

30000
industrie chimique
20000
ind.mécanique,
10000 metallurgique

0 Autres

Sources: HCP, rapports nationaux 2012, 2015, 2016.

Les secteurs industriels ont connu divers succès en termes d'exportations


(Figure 3). La performance des exportations du secteur mécanique depuis 2011 a
été particulièrement remarquable. Le secteur se démarque des secteurs
traditionnels, apportant la preuve de son dynamisme et de sa capacité à conquérir
des parts de marché à l'étranger. Ces résultats positifs reflètent la récente montée

140
en puissance des secteurs de l’aéronautique (Bombardier) et de l’automobile. Le

Modèle et industrie
Maroc a signé des accords avec Boeing en 2016 et espère produire 40 000 avions
dans les 20 prochaines années. L'arrivée de Renault en 2012 a également entraîné
une forte augmentation du poids du secteur automobile. Le nombre de sous-
traitants et de fabricants est passé de 35 à 150 en 2015. L'usine de Tanger a produit
plus de 200 000 véhicules par an en 2014 et plus de 800 000 en 2017 1; elle emploie
90 000 personnes et représente 4% du PIB. Ce secteur est donc en plein essor et
Peugeot s'installera également au Maroc en 2019. Le secteur automobile a même
dépassé le secteur textile en termes d'exportations.

Figure 3 | Exportations aux prix courants (millions de dirhams), 2007-2016

90000
80000 Industrie d'extraction

70000
Industrie alimentaire
60000
50000 ind. Textile et cuir
40000
industrie chimique
30000
20000 ind.mécanique,
10000 metallurgique

0 Autres

Sources: HCP, rapports nationaux 2012, 2015, 2016.

Des études menées par le Haut-Commissariat au Plan (2018b) ont également


révélé des indications concernant le secteur informel, bien que les dernières
données datent de 2014. 16,2% des unités de production informelles appartiennent
au secteur industriel, contre 24,5% au secteur des services, 50,6% dans le secteur du
commerce et 8,8% dans le secteur de la construction (HCP 2018b: 36). L'industrie

1 «Production automobile: Renault atteint le million de véhicules à Tanger», dans Infomalie, le 6 juin,
https://www.infomediaire.net/?p=3021.

141
représentait 20,1% de l'emploi informel en 2014 (HCP 2018b: 49) et a généré une
valeur ajoutée équivalent au secteur des services et la moitié du secteur
commercial dans l’économie informelle (HCP 2018b: 60). Le secteur informel dans
son ensemble représentait 12,2% du PIB en 2013 contre 10,9% en 2007 (HCP 2018b:
30).

En termes d'emploi et de genre, le Haut-Commissariat au Plan fournit certaines


données (voir tableau 1). Le secteur de la construction représente 23% des emplois
totaux, répartis entre le secteur de l'artisanat et le secteur de la construction.

En ce qui concerne le genre, les deux secteurs représentent 25,9% de l’emploi


des hommes, mais seulement 12,8% de ceux des femmes. La plus grande différence
se situe dans le secteur de la construction, où les femmes sont presque entièrement
absentes. Il est regrettable que ce tableau ne fournisse pas de données ventilées
pour l’industrie et l’artisanat. Il est probable que les femmes sont beaucoup mieux
représentées dans le secteur de l'artisanat, mais beaucoup moins dans l'industrie.

Tableau 1 | Part de l'emploi des hommes et des femmes par


secteur économique (%), 2017

Secteur Hommes Femmes Total

Agriculture, forêt, pêche 28.7 51.2 33.8

Industrieet artisanat 11.7 12.4 11.8

Construction 14.2 0.4 11.1

Transport, communication 6.6 1 5.3

Commerce 17.5 6.2 15

Administration 9.2 13.6 10.2

Autre 12.1 15.2 12.8

Total 100 100 100


Source: HCP (2018a: 30).

Le secteur économique affecte la proportion respective des femmes.


Globalement, cette proportion a diminué entre 2005 et 2016. Cette réduction
concerne principalement le secteur de l'industrie, qui a enregistré une baisse

142
significative de la proportion de femmes de 33,8% en 2005 à 24,9% en 2016 (tableau 2).

Modèle et industrie
Ainsi, les différences entre les genres sont plus marquées dans le secteur industriel,
notamment en termes de rémunération des hommes et des femmes (Moisseron et
al. 2017a).

Tableau 2 | Part de l’emploi des femmes par secteur économique (%): niveau
national (2005, 2016)

Secteur 2005 2016

Agriculture, forêt, pêche 37.9 40.9

Industrie et artisanat 33.8 24.9

Construction 0.8 1.2

Services 17.3 18.2

Total 27.5 25.9

Source: HCP (2018c: 77)

2.2 Faiblesses du secteur industriel marocain

Malgré son secteur industriel bien développé, il est difficile d'identifier un


véritable tissu industriel au Maroc. En réalité, il s'agit encore de secteurs peu
connectés, ce qui s’expliquent par au moins trois distorsions.

Premièrement, il est possible d’identifier un développement inégal dans les


divers secteurs d’activité. Les secteurs développés concernent principalement la
production de biens de consommation et la transformation de ressources de base:
mines et agriculture. La structure actuelle repose sur l'exportation de matières
premières à peine transformées. Les secteurs de la transformation sont davantage
impliqués dans la transformation des minéraux (bien que relativement
négligeable), comme dans le cas de la transformation du phosphate en acide
phosphorique. Les biens de consommation sont peu développés. Cette structure se
traduit par une faible intégration verticale des activités et une absence d'échanges
intra-industriels. Les secteurs industriels marocains sont insuffisamment

143
interconnectés et dépendent tous de l'importation de matériaux transformés. Ce
problème n'est pas nouveau (Jaidi 1992).

Une autre faiblesse du secteur industriel réside dans ses caractéristiques duales
en termes de taille et de types d'entreprises. D'une part, les très grandes entreprises
fournissent la majorité de la production et de la valeur ajoutée. D'autre part, un
nombre important de petites et moyennes entreprises (PME) et d'entreprises
informelles emploient la majorité de la main-d'œuvre, mais manquent de la taille
nécessaire pour se moderniser, s'équiper et exporter. En effet, «le secteur industriel
est constitué dans sa majorité à plus de 95% de petites et moyennes entreprises qui
ne produisent que 10 à 20% de la production industrielle et dont 5 à 10% seulement
exercent des activités d'exportation» (Marzak 2014: 35).

Cette distorsion a entraîné un écart important entre les entreprises exportatrices


et leurs homologues nationales. On constate donc un manque d'entreprises de
taille moyenne dans les secteurs de transformation intermédiaire capables de créer
un véritable environnement industriel. Par conséquent, cet écosystème ne facilite
pas l'innovation, une limitation qui décourage les investissements directs étrangers
(IDE). Ce problème n’est pas nouveau (Bouoiyour 2007).

L’industrie marocaine ne favorise pas suffisamment la création d’emplois. Les


grandes entreprises de première transformation (telles que le ciment, le sucre et le
phosphate), ainsi que leurs homologues plus élaborées (telles que le secteur de
l'automobile), sont, à l'exception du cuivre et des textiles, à forte intensité en
capital. Ils ne contribuent pas à réduire les taux de chômage, en particulier lorsque
l’industrie textile souffre également. En effet, le secteur de l’industrie a perdu 32 000
emplois entre 2015 et 2016, soit la grande majorité des 37 000 emplois perdus dans
l'ensemble du secteur industriel au cours de cette période, selon les données de
HCP. Deux raisons expliquent cette situation: l’ouverture des marchés locaux et
internationaux à la concurrence chinoise et turque et le déclin de l’avantage
concurrentiel du Maroc, notamment son coût de la main-d’œuvre moins élevé, dû
à des augmentations de salaire sans gain de productivité. L'émergence du secteur

144
automobile a créé des distorsions sur le marché du travail ainsi qu'une absence

Modèle et industrie
criante de main-d'œuvre qualifiée ou d'entreprises de taille moyenne.

Enfin, le secteur industriel souffre d'un déficit de «l'État de droit des


entreprises», posant des problèmes d'insécurité, et en particulier de problèmes
juridiques pour les investisseurs (Catusse, 2000). Ainsi, «la délocalisation des
filiales a été renforcée par le non-respect des règles de concurrence, la préférence
pour les» entreprises familiales » et par le manque de confiance des investisseurs
étrangers dans le système juridique marocain» (Marzak 2014: 18). Selon une
enquête de la Banque mondiale, la corruption semble constituer le premier obstacle
(Banque mondiale 2015). En conclusion, le secteur industriel marocain bénéficie
d'éléments positifs tels que la qualité des compétences académiques, des projets
industriels et des infrastructures, mais également d'une gouvernance faible, d'une
méconnaissance générale de l'importance de la recherche et d'une culture de
l'innovation largement absente (Ministère de l'Enseignement supérieur 2009).

3. Aperçu de la stratégie nationale pour l'industrie

Les freins observés sont le résultat de la trajectoire historique industrielle du


Maroc et il faudra donc attendre longtemps avant qu’ils s’atténuent. Le Maroc dès
son indépendance a dû faire face à un secteur économique dominé par des secteurs
miniers et agricoles embryonnaires, principalement axés sur l'exportation de
matières premières (Oved, 1961). Le défi a donc été de créer une industrie
nationale endogène capable de répondre aux besoins du pays. Ce n'est que dans les
années 1970 que le Maroc a commencé à se concentrer sur l'industrie et à engager
un investissement financier significatif, via des entreprises d’État (Office du
développement industriel), la Caisse de Dépôt et de Gestion et l'acquisition
d'actions par l'Office Chérifien des Phosphates. Cette période a été caractérisée par
une politique de substitution des importations en imposant des droits de douane
afin de protéger les industries émergentes tout en apportant un soutien aux
industries de transformation, ciblant le marché intérieur.

145
Dans les années 1980, le Maroc a commencé à modifier son objectif. Compte
tenu de ses dettes croissantes, de la saturation du marché local, des difficultés
d'exportation des biens et de sa dépendance croissante à l'égard des financements
internationaux, le Maroc a abandonné sa politique de substitution aux
importations. La nouvelle stratégie visait plutôt à promouvoir le développement
par le biais des exportations, ce qui nécessitait la libéralisation du marché et
amélioration de la compétitivité au niveau international. Ainsi, le contexte
industriel a radicalement changé au cours des années 1980, en particulier après la
mise en œuvre d'un Programme d'Ajustement Structurel (PAS) en 1983. Les
politiques industrielles ont été orientées vers la stabilisation macro-économique et
des mesures visant à attirer les industries internationales, notamment par le biais
des taux de change (Abouch 1992, Alouani 2008). La nouvelle stratégie visait donc
à établir un modèle de croissance industrielle basé sur les exportations, à l'instar de
celui des quatre dragons asiatiques (Marzak 2014: 16).

Au cours des 20 dernières années, le Maroc a adopté une approche de marché


libre dans le but de s'ouvrir à l'économie mondiale en levant les mesures de
protection et en soutenant les acteurs par des incitations (Catusse 2008). Les outils
mis en mouvement sont donc cohérents avec cette vision. Ils sont introduits
progressivement par le biais de stratégies successives analogues à des programmes
largement inspirés par la consultation d’organisations internationales
(Belguendouz 2005). Par exemple, la société de conseil MacKinsey a joué un rôle
important dans la définition des plans industriels successifs dans le but de
modifier la politique industrielle marocaine. Ce dernier «est ainsi passé d'une
politique structurelle à long terme à une stratégie concurrentielle à moyen terme
basée sur une approche micro-économique du changement productif et réduite à
une perspective d'entreprise» (Piveteau et Rougier 2011: 182).

Le problème associé à une telle stratégie est qu’elle reposait sur l’hypothèse
selon laquelle un tissu industriel ou une chaîne concurrentielle assez fort serait
capable de résister à la concurrence internationale sur le marché intérieur et de
faire concurrence aux entreprises internationales sur les marchés étrangers. Les

146
possibilités d'exportation promues par le commerce intra-industrie supposaient

Modèle et industrie
l'existence de niveaux technologiques et d'un écosystème global favorisant
l'innovation, mais ce n'est pas encore le cas au Maroc.

Depuis 2005, nous pouvons identifier le plan d’émergence (2005-2009) et le


pacte national pour l’émergence industrielle (2009-2015) et plus récemment, le Plan
d'Accélération Industrielle (2014-2020). Ces plans reposaient sur un diagnostic
effectué pour chaque secteur et une évaluation comparative (Piveteau et Rougier
2011).

3.1 Le plan d'émergence (2005-2009) et le pacte national pour l'émergence industrielle


(2009-2015)

Ces dernières années, la politique industrielle s'est reflétée dans l'élaboration du


plan d'émergence (2005). L'idée derrière ce plan était de relancer l'industrie
marocaine en s'occupant de divers secteurs (tels que la délocalisation, les
automobiles, l'électronique, l'aéronautique, les textiles, le cuivre et l'alimentation).
Le Pacte national pour l’émergence industrielle (PNEI) a succédé au plan
d’émergence en 2009. Ce pacte a été élaboré par le cabinet McKinsey Consultancy à
partir de 2005. Il s’est présenté comme un «pacte» entre le secteur privé et le
secteur public marocain sous l’autorité du roi Mohammed VI. Il n'incluait aucune
dimension de genre (en effet, les termes «genre», «femmes» et «femme» ne
figuraient pas dans le document de 87 pages).

Le PNEI visait à créer 220 000 emplois (ministère de l'Industrie, 2009: 58).
L’emploi était au centre du plan d’émergence industrielle:

Le programme-contrat vise à assigner les objectifs généraux suivants au


secteur pour la période 2009-2015: (i) créer des emplois industriels à long
terme et réduire le chômage urbain; ii) augmentation du PIB industriel; iii)
réduction du déficit commercial; (iv) soutenir les investissements
industriels, nationaux et étrangers; (v) contribuer à la politique
d'aménagement du territoire. (Ministère de l'industrie 2009: 14)

147
Ce programme très ambitieux a été présenté comme une série de mesures
intégrées complétées par des mécanismes de financement et de suivi.

Les principes étaient fondés sur trois lignes directrices principales: (i) s'appuyer
sur des secteurs industriels pour lesquels le Maroc dispose déjà d'avantages
concurrentiels pour relancer le secteur; (ii) s’occuper de tout le tissu industriel sans
exception, au moyen de quatre «projets transversaux: renforcer la compétitivité des
PME, améliorer le climat des affaires, former, développer des parcs industriels de
nouvelle génération appelés» plates-formes industrielles intégrées »; (iii) mettre en
place une organisation institutionnelle qui faciliterait la mise au point de
programmes efficaces et efficients (Ministère de l'industrie, 2009: 14).

Les objectifs ont été fixés pour le programme pour l’année 2015: création de 220
000 emplois, augmentation du PIB industriel de 50 milliards de dirhams,
augmentation des exportations de 95 milliards de dirhams et augmentation de 50
milliards de dirhams en investissements. Afin de mettre en œuvre ce plan, l'État a
fourni un financement de 12,4 milliards de dirhams (environ 1,1 milliard d'euros).
Le système bancaire (BMCE Bank, Attijariwafa Bank et Banque Populaire) s'est
également engagé à fournir 400 millions d'euros.

Les cinq principaux secteurs industriels dans lesquels ce plan a été déployé
étaient la délocalisation, les automobiles, l’aéronautique, l’électronique, les textiles,
le cuivre et l’alimentation. L'État a fourni un soutien à chacun de ces secteurs en
termes d'investissement, de formation et de promotion. L'un des aspects les plus
intéressants concernait la création de plates-formes industrielles intégrées pour
chacun de ces secteurs et dans différentes régions. Ces plates-formes étaient
censées fournir aux investisseurs des installations logistiques intégrées.

Il est difficile d’évaluer l’impact du PNEI et peu d’études ou d’évaluations ont


été menées concernant le programme. La plus importante a été menée par l’IRES
en 2014. Cet institut montre tout d'abord, que les objectifs ambitieux du PNEI en
termes de création d'emplois, d'amélioration des exportations et d'augmentation de
la production n'ont pas été atteints. Le PIB a augmenté de 28,4 millions de dirhams

148
en 2014, au lieu des 50 milliards attendus en 2015; des emplois ont été créés pour

Modèle et industrie
78 000 personnes au lieu des 220 000 attendus; et les exportations se sont élevées à
24,3 milliards au lieu des 95 milliards attendus (Marzak 2014: 39). Lors de l'examen
des détails relatifs aux différents secteurs, nous avons également constaté que les
objectifs n'avaient pas été atteints, même si des progrès importants avaient été
réalisés dans les secteurs de l'automobile et de la délocalisation. Les exportations
dans les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique ont augmenté de 84% et 82%
respectivement de 2004 à 2011 (Marzak2014: 38). Le succès indéniable de la
stratégie industrielle dans le secteur automobile ne doit pas être négligé malgré le
fait qu’elle a été renforcée par un nombre limité de groupes industriels, notamment
Renault, dont l’arrivée n’était pas prévue à l’origine. Comme l'indiquent Piveteau
et Rougier (2011: 188), «la restructuration du secteur automobile autour d'un grand
constructeur ne figurait ni dans le rapport McKinsey ni dans le premier
programme Émergence».

Pour l'IRES, «le plan d'émergence n'était pas encore en mesure de compenser le
manque de productivité de l'économie marocaine et ne constituait pas une force
motrice en faveur du développement de nouveaux produits industriels» (Marzak
2014: 39). La raison sous-jacente comprenait des caractéristiques révélées par des
études universitaires qui restent pertinentes aujourd'hui:

La politique industrielle marocaine a fini par devenir une simple


stratégie visant à améliorer la compétitivité des activités existantes ou
faisant appel aux investissements directs étrangers pour un nombre limité
de nouvelles activités de sous-traitance, orientées vers le marché européen.
Au-delà de la création directe d’emplois, la stratégie d’émergence
industrielle marocaine n’a pas eu d’impact significatif sur le
développement des entreprises locales. (Piveteau et Rougier 2011: 189)

Il est également difficile d’évaluer la création nette d’emplois liée à ce pacte et à


l’évolution de l’emploi. Au cours de cette période, le Maroc a perdu 15 000 emplois
dans le secteur industriel. Par exemple, il a perdu 9 000 emplois entre 2016 et 2017

149
et créé 7 000 emplois entre 2015 et 2017 (HCP 2018d). Sur la base de ces résultats,
les objectifs du plan ne semblent donc pas être atteints.

3.2 Plan d'accélération industrielle (2014-2020)

Le nouveau plan d'accélération industrielle (PAI) repose sur trois piliers : la


stabilité, la capacité d'attraction et les efforts déployés pour développer les
infrastructures. L’approche générale du PAI vise à créer des emplois dans les
secteurs d’exportation les plus prometteurs. L’idée maîtresse est de promouvoir
l’émergence d’un écosystème industriel réunissant les chefs de groupe qui
possèdent l’élan nécessaire pour attirer les investisseurs (en particulier étrangers)
et les associations professionnelles. L'État soutient la création d'emplois en signant
des «contrats» accordant à ces associations professionnelles des avantages en
termes d'accès à la terre, de fiscalité et d'établissement.

Le PAI cherche à relever plusieurs défis: (i) accroître la capacité d'absorption


des nouveaux arrivants. L’objectif est de créer 500 000 emplois, créés pour moitié
par les IDE et pour moitié par le tissu industriel local; ii) augmenter la contribution
de l'industrie au PIB de 14 à 23% d'ici 2020; (iii) augmenter la capacité
d'exportation à la fois quantitativement et qualitativement; (iv) améliorer la
capacité d'accueil des investisseurs; (v) développer la productivité en apportant un
soutien ciblé au tissu industriel.

De plus, pour la première fois dans le secteur du textile, une vision à long terme
a été définie dans le Plan pour le textile 2025 (2015-2020) (Alami 2015).

Comme pour le PNEI, il est difficile d'évaluer ou d'estimer le succès de ce plan,


notamment parce que sa mise en œuvre reste en cours. Il semblerait que les
objectifs en termes de nombre d'emplois créés auront du mal à répondre aux
ambitions déclarées. Il est également difficile de savoir si ces plans seront suffisants
pour remédier aux différentes distorsions de l’industrie marocaine, même si la
fragmentation du tissu industriel est prise en compte. Les médias ont exprimé des
perspectives positives qui peuvent être difficiles à documenter et qui sont basées
sur le succès du secteur automobile. Peugeot devrait produire 90 000 véhicules par

150
an à partir de 2019. Boeing prévoit de déménager à Tanger en 2019 et de créer 8 500

Modèle et industrie
emplois (Iraqi 2017: 66).

On peut s'interroger sur les stratégies qui sous-tendent ces objectifs par
exemple, que signifie augmenter la contribution de l’industrie de 14 à 23% du PIB,
sachant que lorsque le secteur de la construction est inclus, le PIB est déjà bien
supérieur à cette part ? Si l’on regarde strictement l’industrie sans le secteur de la
construction, l’objectif semble inaccessible. De même, le HCP indique une perte de
7 000 emplois dans le secteur industriel entre le premier trimestre de 2017 et le
premier trimestre de 2018 (HCP 2018d), alors que sur une période similaire, le
ministère le du plan annonçait la création de 89 884 emplois créés en 20171. Pour
les autorités, à mi-parcours, 83% des objectifs du PAI avaient été atteints:

12 secteurs ont été réorganisés en 43 écosystèmes, engageant le secteur


privé à générer des revenus de 132 milliards de dirhams par exportation et
à créer 427 000 emplois, dont 160 000 devraient déjà bénéficier de contrats
dans le cadre des contrats d’investissement signés depuis le lancement du
PAI (PSA) Stelia, Thalès, Renault, Hexcel, Siemens…). (Elalamy 2017)

Ces plans présentent un cadre d'objectifs et de priorités d'action endogènes en


termes de politique interne, ce qui permet à l’UE d'ajuster son action et son soutien
au Maroc. L’Europe peut donc adosser son soutien au Maroc en contribuant à
certains aspects du PNEI, ce qui a déjà été le cas dans le cadre du PAI pour la
croissance et la compétitivité (PACC) (voir ci-dessous).

4. Évaluation de la politique européenne de l'industrie au Maroc

4.1 L'Europe est un partenaire stratégique pour le Maroc

L’Europe est le principal fournisseur du Maroc. Elle achète 64% des produits
exportés par le Maroc contre 4% pour les États-Unis d'Amérique et 6% pour
l’Afrique. Parmi les pays européens, l'Espagne est le principal client avec 23%,
suivie de la France avec 21%. Ces deux pays représentent 44% des ventes

1«Plan d’accélération industrielle: près de 90 000 emplois créés en 2017», in H24info, 22 mars 2018,
https://www.h24info.ma/?p=151647.

151
marocaines, tandis que les autres pays représentent des clients marginaux, à
l'exception de l'Italie (4,6%).

L’Europe est donc le principal partenaire commercial du Maroc, avec une part
particulièrement importante pour la France et l’Espagne. Cependant, au cours des
15 dernières années, la part relative de l'Europe a eu tendance à diminuer en faveur
d'autres partenaires, y compris en Afrique (Fleury et Payet 2016: 19–20).

Il faut noter que dans les dix dernières années, le déficit commercial du Maroc
avec l'Europe a presque doublé, passant de 4,2 milliards d'euros en 2007 à 7,3
milliards en 2017(voir tableau3)

Tableau 3 | Exportations et importations du Maroc avec l’Union européenne


(millions d’euros), 2007-2017.

Année Export Import Déficit

2007 8,115 12,381 -4,266

2008 8,498 14,453 -5,955

2009 6,585 12,038 -5,453

2010 7,775 13,787 -6,012

2011 8,876 15,407 -6,531

2012 9,327 16,943 -7,616

2013 10,046 17,287 -7,241

2014 11,053 18,211 -7,158

2015 12,456 18,142 -5,686

2016 13,789 20,965 -7,176

2017 15,092 22,416 -7,324


Source: Commission européenne (2018: 3)

Les principaux produits exportés par le Maroc vers l'UE sont les vêtements
(17,7%) des produits exportés vers l'UE; machines et matériel (40,4%); agriculture
et alimentation (23%); et produits chimiques (5%). Les principales marchandises
importées sont des machines et du matériel (20% des marchandises importées
152
d’Europe au Maroc); produits chimiques (12%); textiles (10%), produits

Modèle et industrie
pétrochimiques (7,4%); moteurs (7,4%); et métaux, électronique et papier (5%) (voir
tableau 4).

Tableau 4 | Exportations marocaines par secteur économique, 2017

Biens exportés Valeur (million d’euros) Part (%)

Agriculture 3,494 23

Mines, hydrocarbures 551 3.7

Produits manufacturés 10,853 71

Métaux 28 0.2

Chimie 753 5

Autres produits manufacturés 306 2

Transport et équipement 6,090 40.4

Textiles 254 1.7

Vêtements 2,672 17.7

Autres 195 1.3

Total 15,092 100

Source: Commission européenne (2018: 4).

L’importance de l’Europe pour le Maroc est également vraie en termes d’IDE


(Figure 4), bien que d’autres acteurs tels que les pays du Golfe aient également
commencé à intervenir. Néanmoins, la part de l’Europe (surtout celle de la France)
reste déterminante.

153
Figure 4 | IDE en provenance des principaux pays européens
(millions de dirhams), 2004-2014

250000

200000

150000 France
Espagne
100000 Allemagne
Italie
50000

0
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014

Source: Fleury et Payet (2016: 26).

4.2 Accord d'association UE – Maroc (1996)

Au niveau de l'industrie, l'action la plus importante menée par l'UE a été la signature
de l'accord de libre-échange avec le Maroc en 1996, entré en vigueur en 2000. La
composante industrielle visait à établir progressivement une zone de libre échange totale
entre le Maroc et l'UE. Avant cet accord, les produits industriels marocains avaient libre
accès au territoire de l'UE. L'accord visait donc à ouvrir le Maroc aux produits industriels
européens, avec une réduction progressive des droits de douanes en fonction des
catégories de produits. À partir du 1er mars 2000, le commerce des biens d'équipement et
de certaines pièces de rechange a été libéralisé. En mars 2003, ils étaient concernaient les
matières premières et les intrants locaux non fabriqués. Selon l'article 11 de l'accord
d'association (AA), les droits de douane devaient être réduits de 10% par an à compter de
2004 pour les produits fabriqués au Maroc. La neuvième réduction a été mise en œuvre
en 2011, correspondant à 90% des douanes, en plus d'une élimination progressive des
douanes pour certains véhicules automobiles, avec une réduction approximative de 90%
des douanes en 2011.

En contrepartie, le Maroc est devenu l'un des premiers bénéficiaires de l'aide de


l'UE avec des transferts s'élevant à 1,6 milliard d'euros pour la période allant de
1996 à 2006 (ministère de l'Économie et des Finances 2007: 4).
154
Le Maroc a également bénéficié de la création de la Facilité euro-

Modèle et industrie
méditerranéenne pour l'investissement et le partenariat (FEMIP) en octobre 2002.
Ce programme avait pour objectif de faciliter l'accès au crédit à long terme, à la
fourniture de capital-risque, à des produits financiers innovants et à bonifications
d’intérêts pour des projets environnementaux. Entre 2002 et 2006, le Maroc a
bénéficié d'un financement de la FEMIP d'un milliard d'euros (à titre de
comparaison, les chiffres pour l'Egypte et la Tunisie étaient respectivement de 2
milliards d'euros et 1,1 milliard d'euros). L'accord d'association UE-Maroc
prévoyait également des mesures de sauvegarde temporaires pour les industries
émergentes en phase de restructuration. En outre, les deux parties se sont engagées
à protéger les droits de propriété industrielle (article 39). L'accord a également
identifié des domaines de coopération scientifique, technique et technologique, en
particulier pour les secteurs industriels (encadré 1).

Encadré 1: Extrait de l'accord d'association UE-Maroc

Article 49: Coopération industrielle

La coopération vise à:

a) encourager la coopération entre les opérateurs économiques des parties, y


compris la coopération dans le contexte de l'accès du Maroc aux réseaux d'affaires
communautaires et aux réseaux de coopération décentralisée;

b) de soutenir les efforts de modernisation et de restructuration du secteur des


secteurs public et privé au Maroc (y compris le secteur agroalimentaire);

c) favoriser un environnement favorable à l’initiative privée, dans le but de


stimuler et de diversifier la production pour les marchés intérieurs et les marchés
d’exportation;

d) tirer le meilleur parti des ressources humaines et du potentiel industriel du


Maroc par une meilleure utilisation de la politique en matière d’innovation, de
recherche et de développement technologique;

(e) faciliter l'accès au crédit pour financer les investissements.

Source: UE et Maroc (2000).

155
4.3 Programme de mise à niveau industrielle Maroc-UE (1997)

Lors de la signature de la Déclaration de Barcelone en 1995, l’Europe s’est


engagée dans un programme de soutien à l’économie marocaine afin d’atténuer les
effets de l’accord de libre-échange. L’objectif était à la fois de préparer
l’introduction du Maroc au marché européen en améliorant la compétitivité des
entreprises marocaines et en promouvant la création et le développement de PME.

Les fonds MEDA (165 millions d’euros sur la période 1996-1998) ont soutenu
l’économie marocaine et facilité l’amélioration de l’équilibre socioéconomique,
tandis que la Facilité d’Ajustement Structurelle était censée compenser le déficit
fiscal causé par le démantèlement du tarif douanier.

Le programme de mise à niveau industrielle a été créé à partir de 1997. Il était


clairement axé sur le libéralisme à la suite des réformes et du soutien du roi du
Maroc:

L’accélération de la modernisation de notre économie et la


transformation rapide d’une économie génératrice de revenus en une
économie de marché nous aident à surmonter le défi des accords de libre-
échange avec l’UE, les États-Unis et les États du sud de la Méditerranée qui
sont signataires de la Déclaration d’Agadir et à renforcer le rôle du Maroc
en tant que voie d’échange entre les trois continents. 1

Le programme de mise à niveau industrielle a été confié à l'Agence nationale


pour la promotion des PME. Il a été défini comme un processus visant à préparer
et à adapter en permanence les entreprises et leur environnement aux exigences du
marché. Il consistait à: (i) améliorer la productivité des entreprises; (ii) offrir des
produits / services plus rentables; (iii) soutenir la compétitivité des entreprises; (iv)
suivi de l'évolution des techniques et des marchés.

Contrairement à la situation en Tunisie, le Maroc a adopté une approche


libérale: «Il s'agit de rectifier les imperfections du marché qui conduisent à de

1 Discours du Trône du roi Mohammed VI du 30 juillet 2002, http://www.maroc.ma/fr/discours-


royaux/discours-de-sm-le-roi-moi-mohammed-vi-à-occasion-du-troisième -anniversaire-de.

156
faibles investissements et à une faible compétitivité des entreprises, et non de faire

Modèle et industrie
de l'État un acteur proactif dans l'élaboration d'une politique de modernisation
national » (Bougault et Filipiak 2005: 13). Le programme de modernisation visait
donc essentiellement à améliorer les conditions d'accès des PME au financement et
à renforcer les exigences en matière d'offre de prêt. L'État marocain ne se présentait
pas comme un stratège chargé de déterminer la politique industrielle, mais plutôt
comme un régulateur du marché dont le rôle était de limiter les distorsions. Selon
la logique marocaine, les outils mobilisés furent principalement les lignes de crédit
destinées à réduire l’exclusion financière. Il existait également des fonds de
garantie des crédits d’investissement qui aidaient les PME à obtenir des prêts
garantis.

Les évaluations des programmes de mise à niveau ont été ambivalentes


(Moisseron 2005). Il semble que le programme de modernisation industrielle ait eu
un impact positif sur la croissance des ventes, de l'emploi et de la dette. Les effets
ont toutefois été plus limités en termes de productivité, d’investissements et
d’exportations. Le versement moyen de l’aide financière accordée à chaque
entreprise est resté trop faible pour influer positivement sur les performances, car
la phase de création a été longue et hésitante. Les politiques de mise à niveau n’ont
pas eu d’impact significatif sur le blocage de la spécialisation internationale du
Maroc et peu ou pas d'impact sur le niveau d'investissement, les taux de
renonciation à l'inscription étant élevés au Maroc. Ce sont les entreprises avec des
partenaires étrangers qui ont le plus bénéficié des politiques de modernisation
(Bennaceur et al. 2007). De plus, les éléments qui n’étaient pas suffisamment pris
en compte ont semblé décisifs pour rendre les politiques de modernisation plus
efficaces. Ces aspects concernent les conditions de travail et les relations
professionnelles, l’amélioration de la gestion de l’environnement urbain de travail,
le renforcement des mécanismes de dialogue social et le développement de la
capacité des syndicats et des employeurs à bénéficier d’un dialogue socialement
efficace (Belghazi 2005).

157
4.4 Nouvelle politique de voisinage (2004)

En 2004, l'Union européenne a lancé sa nouvelle politique de voisinage (NPV)


afin de faire face au développement des pays d'Europe de l'Est et à leur intégration
progressive dans l'Union. La NPV visait à approfondir la coopération sur la base
du principe «tout sauf l'adhésion», permettant ainsi à chaque pays de mettre en
œuvre des réformes profondément enracinées et d'harmoniser les institutions pour
une intégration plus efficace. Le secteur a été directement touché par la NPV et le
plan d'action, signé par l'UE et le Maroc en 2005. Le Maroc a saisi l'opportunité de
développer davantage sa coopération avec l'UE, notamment en dépassant la
dimension commerciale définie par le processus de Barcelone. Le plan d'action
définit le soutien apporté par l'UE en termes d'assistance technique aux réformes
des administrations marocaines ainsi que du secteur privé. Le plan d'action
prévoyait une intervention dans plusieurs secteurs, mais ceux liés à l'industrie sont
les suivants: (a) réforme économique et sociale; b) le commerce, le marché et les
réformes réglementaires; et c) transports, énergie, société de l'information,
environnement, sciences et technologies, et recherche et développement
(Commission européenne 2004).

En ce qui concerne les réformes économiques et sociales, le plan d'action visait à


faire en sorte que la modernisation permette à l'économie marocaine d'être mieux
préparée au libre-échange et renforce sa capacité à absorber les chocs externes.
Pour les signataires, cela a été possible grâce au renforcement des fondamentaux
macro-économiques, aux réformes structurelles destinées à la transition vers une
économie de marché, à la coopération en matière d'emploi et de politique sociale,
au développement régional et local et à la promotion du développement durable.

En ce qui concerne la partie relative à «La réforme du commerce, des marchés et


de la réglementation», le plan visait à libéraliser les taux de change et les
investissements et à harmoniser les réglementations. Les recommandations
concernaient la libéralisation des échanges de marchandises (modernisation des
douanes, normalisations et réglementations techniques, et questions relatives aux
normes sanitaires et phytosanitaires), les droits des établissements, la circulation

158
des capitaux, les flux de paiements courts ainsi que d'autres secteurs (fiscalité,

Modèle et industrie
concurrence), les subventions gouvernementales, la protection des consommateurs,
des droits de propriété, de marchés publics, de gestion et contrôle des finances
publiques et enfin l’environnement des entreprises.

L'UE intervint donc dans un grand nombre de secteurs qui complètent les
accords de libre-échange, avec un impact probable sur l'industrie au Maroc.

Afin de fournir un soutien financier au plan d'action, un Programme Indicatif


National (PIN) a été créé pour le Maroc et l'UE. Au cours de la période 2007-2010,
l’allocation budgétaire accordée au Maroc s’élevait à 654 millions d’euros. Les
outils du PIN étaient particulièrement liés aux facilités d’ajustement sectorielles
sous forme d’appui budgétaire direct ainsi que de bonifications d’intérêts, en
particulier dans les secteurs de l’énergie, des transports et de l’environnement. Si
nous examinons les détails des budgets, nous pouvons conclure que la majeure
partie était consacrée aux aspects sociaux (Initiative nationale pour les droits de
l'homme, alphabétisation, secteur de l'éducation et soins de santé), alors que
d'autres programmes (priorité en matière de gouvernance et de droits de l'homme,
priorité d'appui institutionnel, priorité économique et priorité environnementale)
étaient tous sous-financés.

Ainsi, les budgets alloués aux priorités économiques s'élevaient à 25 millions


d'euros en 2007, 60 millions en 2008, 90 millions en 2009 et 65 millions en 2010, ce
qui peut être considéré comme relativement limité (Ministère de l'Économie et des
Finances 2007: 8). Cependant, il est très difficile d’estimer la part attribuée à
l’industrie, car les programmes n’étaient pas axés sur ce secteur, mais plus
généralement sur le secteur privé ou sur la création de l’accord d’association (pour
plus de détails sur le financement lié à l’industrie, voir ministère de l'Économie et
des Finances 2007).

4.5 Plan d'action (2013-2017)

Le plan d'action 2013-2017 discuté et présenté en 2012 tentait de refléter dans les
faits le statut avancé obtenu par le Maroc en 2008. Il constituait une étape dans le

159
cadre de l'approfondissement des relations entre l'UE et le Maroc, dans le cadre de
l’accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA).

Au cours de cette période, l’aide bilatérale apportée par l’Europe au Maroc a été
largement axée sur trois secteurs prioritaires: accès équitable aux services sociaux,
gouvernance démocratique, Etat de droit et mobilité, emplois et croissance durable
et inclusive. En outre, un soutien supplémentaire au renforcement des capacités et
à la société civile était prévu, mais était considéré comme sortant du cadre des
secteurs prioritaires.

Le plan d'action pour le Maroc (2013-2017) ne s'est concentré que


marginalement sur l'industrie. La majorité du soutien européen a été consacrée à
d'autres secteurs. S'agissant de l'industrie, qui restait marginale, l'UE devait se
conformer à la politique marocaine telle que définie dans le PNEI, notamment en
ce qui concerne l'environnement, les entreprises et la création de plates-formes
industrielles intégrées (voir Commission européenne et SEAE 2013). Parmi les
autres dispositions ou ambitions mentionnées à la rubrique 6.3 du plan d'action, il
y avait notamment «l'accès facilité aux marchés pour les produits industriels»
(Commission européenne et SEAE 2013: 39). Le premier chapitre portait sur la libre
circulation des produits industriels en assurant le suivi de l'harmonisation de la
législation marocaine sur les produits industriels avec les réglementations et
pratiques internationales et européennes. Le deuxième chapitre portait sur
l'élimination des restrictions, en particulier des obstacles non tarifaires. Le point
6.13 doit également être mentionné dans l'engagement pris par le Maroc de mettre
en œuvre la Charte euro-méditerranéenne pour l'entreprise (Commission
européenne et SEAE 2013: 52). Au point 6.14, le document mentionne la
coopération industrielle (voir encadré 2).

En ce qui concerne la question de l’emploi, le programme «Emploi-PME-


Printemps» visait à soutenir les réformes entreprises par le gouvernement pour
réduire le chômage et promouvoir l’emploi, en particulier dans les PME et les TPE.
L'appui budgétaire prévu s'élevait à 40 millions d'euros. Le programme de
formation professionnelle, qui s'étend sur la période 2016-2021, prévoyait un appui

160
budgétaire de 60 millions d'euros, non lié à l'industrie. Il visait à soutenir la

Modèle et industrie
réforme de l'appareil de formation professionnelle dans le but de renforcer le
capital humain afin de parvenir à une croissance durable, inclusive et participative,
en accordant une attention particulière aux personnes exclues de la formation et
des compétences.

Encadré 2: Extrait du plan d'action concernant la coopération industrielle

Encourager la capitalisation de la recherche

• Promouvoir les transferts de technologie et les partenariats industriels.

• Créer des zones pour les pépinières d’entreprises et les activités dérivées avec
un soutien à la R & D dans les secteurs de croissance potentiels pour le Maroc.

• Encourager les jumelages et les partenariats avec les clusters européens.

• Intensifier les échanges d'expériences et de meilleures pratiques en matière de


recherche et développement et d'innovation industrielle, y compris en ce qui
concerne la création de clusters, de plates-formes technologiques et de parcs
technologiques similaires aux zones d'innovation.

• Développer des initiatives de partenariat pour soutenir l'émergence et le


développement d'activités industrielles liées aux énergies renouvelables dans le
cadre de la stratégie énergétique nationale.

Poursuivre le dialogue sur l'avenir de l'industrie du textile / et du vêtement 1

• Continuer à intensifier les échanges de bonnes pratiques entre les autorités


nationales, les associations professionnelles, les entreprises, les centres de
recherche et les autres partenaires sociaux impliqués dans l'industrie du textile et
du vêtement de la région euro-méditerranéenne.

• Intensifier les discussions sur les défis auxquels le secteur du textile et du


vêtement est confronté, mais également sur les options futures et les actions
concrètes envisageables pour moderniser le secteur et accroître la compétitivité
industrielle du textile et du vêtement dans la région euro-méditerranéenne.

Promouvoir le dialogue sur l'industrie

1 Le dialogue euro-méditerranéen sur les textiles et les vêtements a été lancé en 2004. Il facilite le
partage d'expériences et d'initiatives visant à promouvoir les investissements dans le secteur. Deux
conférences ont été organisées pour célébrer le dialogue, l'une à son dixième anniversaire en 2014 et
l'autre en avril 2015.

161
• Intensifier les échanges de bonnes pratiques et les discussions entre les
partenaires nationaux impliqués dans l'industrie, non seulement sur les défis
auxquels l'industrie est confrontée, mais également sur les orientations futures
possibles et les actions concrètes visant à moderniser le tissu industriel national et à
accroître la compétitivité industrielle du Maroc.

• Renforcer le dialogue dans plusieurs secteurs et / ou domaines liés à la


politique industrielle, tels que la politique des PME, le tourisme, l'espace, les
matières premières, la normalisation et l'ACAA.

Promouvoir le développement durable des entreprises […]

Source: Commission européenne et SEAE (2013: 53–54).

4.6 Le cas du Programme de Soutien à la Croissance et à la Compétitivité du Maroc de


l'UE (2015-2016)

Il est intéressant d'examiner les détails de ce plan, car ils pourraient aider à
expliquer un aspect important cité par les personnes consultées lors des entretiens:
la relative invisibilité de l'UE en ce qui concerne les politiques d'aide.

Le Programme de Soutien à la Croissance et à la Compétitivité de l'UE avait un


budget de 100 millions d'euros et était réparti comme suit: 90 millions d'euros à
titre d'aide budgétaire et 10 millions d'euros à titre d'aide complémentaire. Les
objectifs du programme étaient de contribuer à améliorer la compétitivité des PME
en augmentant la qualité et la diversité de la production et de l'offre de marché, en
améliorant l'accès aux réseaux de commercialisation, en renforçant l'attrait de
l'offre marocaine au niveau international, en soutenant la durabilité de la gestion
partagée et en facilitant la création des marchés liés à l’économie verte.

Le programme était axé sur trois domaines: (1) lever les obstacles à la
compétitivité en renforçant la mise en œuvre de la politique industrielle marocaine
telle que définie par le PNEI; (2) faciliter l'accès des opérateurs du secteur privé au
marché européen en soutenant la mise en œuvre d'un plan de développement du
commerce extérieur dans la perspective de la zone de libre-échange ; (3)

162
promouvoir la transition vers une économie verte à faible émission de carbone en

Modèle et industrie
soutenant la mise en œuvre d'une stratégie nationale de développement durable.

Le projet a été piloté selon une matrice à trois volets: compétitivité, ouverture
des échanges et économie verte visant à converger vers l’acquis communautaire.
La partie financement complémentaire concerne l'assistance technique et
l'identification conjointe de plusieurs secteurs d'intervention. Enfin, en plus de ces
subventions, une somme supplémentaire de 30 millions d’euros a été affectée à une
facilité d’investissement pour le voisinage (FID) en prévision de la zone de libre-
échange de l’Accord de Libre Échange Complet et Approfondi.

Les institutions des pays membres traitent également des problèmes industriels
au Maroc. Il convient de mentionner en particulier le soutien de l'Agence française
de développement (AFD) au PNEI. L'AFD accompagne MEDZ, filiale du fonds de
dépôt et de gestion, dans la création de plates-formes industrielles intégrées.
L'AFD a fourni au MEDZ un soutien financier de 150 millions d'euros en
complément d'un prêt de 100 millions d'euros de la Banque européenne
d'investissement (BEI). Ce soutien consiste en un financement d'un programme
d'investissement MEDZ de 50 millions d'euros sur la période 2011-2015 et d'un
refinancement d'un montant de 100 millions d'euros pour des prêts déjà contractés
par des parcs offshore. Par ailleurs, l’AFD a accordé une subvention de 500 000
euros pour l’assistance technique en matière de reporting opérationnel, de suivi
financier et de gestion de l’environnement.

4.7 Le projet ALECA

Un projet structurel qui devrait affecter l'industrie à l'avenir est le projet d'
Accord de Libre Échange Complet et Approfondi (ALECA). C’est un accord de
«deuxième génération» qui ne vise pas à libéraliser le commerce des biens et
services et les mouvements de capitaux, mais plutôt à harmoniser les
réglementations, procédures, normes et institutions afin d’intégrer les signataires
de l’accord des pays. Ce processus s'apparente à la reprise de l’acquis
communautaire qui a précédé l'intégration des pays d'Europe centrale et orientale

163
dans l'UE. L'ALECA couvre donc plusieurs domaines, notamment le commerce
des services, la protection des investissements, la politique de la concurrence, les
mesures antidumping, le développement durable, les marchés publics, les mesures
sanitaires et la propriété intellectuelle. L'ALECA est plus qu'un simple accord
commercial, car il s'agit d'harmoniser les normes et le rapprochement des
réglementations, ainsi que de réformer les réglementations sanitaires. Ces sujets
sont beaucoup plus complexes et leurs effets beaucoup plus imprévisibles qu'une
simple réduction des droits de douanes dans le cadre d'accords commerciaux.

Les négociations sur la zone de libre-échange ALECA ont été suspendues en


2014 à la suite du quatrième cycle de négociations, le Maroc ayant exprimé son
désir de rattraper son retard pour reprendre les négociations, afin de limiter
l'impact de l'accord sur la situation intérieure et de se donner le temps de
moderniser son droit commercial extérieur. Les préoccupations du Maroc étaient
liées aux conséquences de cet accord, susceptibles d’avoir de profonds effets
sociaux, en particulier dans les secteurs des services et de l’agriculture.

Le processus de négociation de l'ALECA est relativement long. Les difficultés


rencontrées pour former un gouvernement au début de 2017 ont ralenti le
processus, les négociations sur la zone de libre-échange n'étant pas la priorité des
autorités exécutives.

4.8 Évaluation difficile de l'action de l'UE dans le domaine de l'industrie

Il est particulièrement difficile d'isoler l'impact des accords de libre-échange


avec l'UE de l'impact d'autres accords. En fait, le Maroc a signé des accords de
libre-échange avec plus de 50 pays. Dans le cadre de l'Association européenne de
libre-échange (2000), des accords ont été conclus avec la Norvège et la Suisse. En
2006, le Maroc a également conclu des accords avec la Turquie et les États-Unis.
Les accords d’Agadir ont établi le libre-échange dans la plus grande zone arabe
avec 18 pays de la Ligue arabe. Le pays a signé des accords commerciaux avec
l'Afrique dans le cadre du projet d'accord préférentiel de commerce et
d'investissement avec l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Burkina

164
Faso, Bénin, Guinée Bissau, Côte d'Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo), initié en

Modèle et industrie
2008. Maroc négocie actuellement avec la Communauté économique des États de
l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) en vue de l'établissement progressif de zones de
libre-échange, ainsi qu'avec le Cameroun, la République centrafricaine, le Congo, le
Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad.

En outre, même si les accords de libre-échange portent sur des produits


industriels, ils concernent tous les secteurs. Il est donc impossible d'isoler leurs
impacts sur le secteur industriel. Au cours des dix dernières années, le Maroc, à
l'instar d'autres pays méditerranéens plus pauvres, a été soumis à des chocs
extérieurs importants qui ont eu de profondes répercussions sur l'économie et
l'industrie.

En 2008, la crise en Europe a profondément affecté les exportations marocaines


vers le reste du monde, notamment vers l’Europe. De plus, en 2011, le printemps
arabe a touché tous les pays arabes, y compris le Maroc.

Il est également difficile d'évaluer l'impact du démantèlement des tarifs


européens et d'isoler la réduction globale des droits de douane tout en tenant
compte d'un certain nombre d'accords de libre-échange importants signés avec le
Maroc. Une étude réalisée par la Banque africaine de développement a révélé que
l’impact du démantèlement sur la compétitivité de l’industrie marocaine était
limité (Augier et Castel 2017: 37). L’impact positif de la baisse des droits de
douanes n’a été vérifié que dans 11 des 60 secteurs suivants: produits alimentaires
et agro-alimentaires, boissons, métaux non ferreux, automobiles et vêtements. Le
démantèlement tarifaire n'a joué un rôle positif que dans la catégorie des "produits
primaires et produits à base de ressources". L'effet positif s'est principalement
manifesté dans des secteurs déjà bien établis dans le commerce international
(Augier et Castel 2017: 37). Une étude réalisée par le FEMISE a également
enregistré des résultats négatifs en termes d’emploi, toutes choses étant égales par
ailleurs, «dans tous les secteurs où le marché du travail a connu une évolution
positive dans les simulations précédentes», donc dans les secteurs de l’agriculture,
de la pêche, du tabac, du textile, vêtements et cuivre (Laaboudi 2010: 101). Ces

165
résultats sont moins positifs que ceux anticipés par la littérature. Une étude
prospective menée en 1997 indiquait que les accords de libre-échange auraient des
effets négatifs sur les travailleurs peu qualifiés, même si on s’attendait à une
amélioration de l’emploi. Cet auteur a également insisté sur l’importance des
mesures de soutien (Boughzala 1997).

La difficulté d'évaluer les impacts des politiques européennes, voire de la


modernisation, peut s'expliquer par les effets contradictoires que ces réformes ont
souvent sur différentes catégories de travailleurs d'un même secteur. Cela a été
démontré par une étude du secteur de l'habillement au Maroc. La mise à niveau
économique peut simultanément se traduire par une amélioration et une
dégradation des conditions de travail, selon le type de travailleurs dans un même
secteur (Rossi, 2013). Selon une étude financée par l'UE, les accords de libre-
échange ont un impact minime sur l'industrie, ce qui s'explique potentiellement
par le fait que 32% seulement des échanges se font à des conditions préférentielles
(Alcidi et al. 2017: 125). .

En ce qui concerne l'ALECA, le cabinet de consultants ECORYS, a mené une


étude d'évaluation commandée par la Commission européenne, basée sur un
modèle d’équilibre général et des enquêtes qualitatives. Les résultats de l'étude ont
été relativement réduits pour l'Europe, mais ont révélé un impact positif sur le
Maroc, en particulier sur les revenus et les flux commerciaux nationaux. Des effets
positifs significatifs sont également attendus sur les salaires (environ 1,9% pour les
travailleurs hautement qualifiés et environ 1,6% pour les travailleurs moins
qualifiés) (ECORYS 2013: 13-14). Les biens exportés de tous les secteurs industriels
devraient augmenter de manière significative, mais ce sont principalement les
autres secteurs des machines et des véhicules automobiles qui bénéficieront le plus
du libre-échange (ECORYS 2013).

Cette évaluation a fait l'objet de critiques au Maroc, en grande partie à cause du


manque de données nécessaires au modèle plutôt qu'à la méthodologie (Jaidi
2014).

166
5. Analyse de documents

Modèle et industrie
Les documents fournis par les personnes interrogées étaient principalement des
documents (tels que des dépliants et des présentations) décrivant les secteurs,
l'organisation, les plans industriels successifs (par exemple, émergence et
accélération industrielle), mais rarement avec une perspective critique. Des
évaluations plus élaborées ou des avis critiques émergent de groupes de réflexion
tels que l'IRES ou le centre de gestion d'OCP, ou même des ONG comme ATTAC
(Aziki 2018).

ATTAC affirme que les accords de libre-échange ont contribué au pillage des
ressources du Maroc. Une partie de la critique est basée sur la dégradation de la
balance commerciale, et en particulier sur le déficit avec l’Europe, qui détient la
part la plus importante, mais ne concerne pas directement la politique industrielle
de l’UE. ATTAC concentre son analyse sur les limitations du commerce qui affecte
l'agriculture ou même les produits industriels:

Les pays industriels exportateurs bénéficient des accords de libre-


échange pour ouvrir les frontières et inonder le marché local marocain de
produits subventionnés tout en bénéficiant de normes sanitaires et
environnementales mal définies. Dans le même temps, ils réussissent à
maintenir des obstacles non tarifaires afin de protéger leurs marchés
intérieurs (Aziki 2018).

En 2014, l'IRES a réalisé l'une des évaluations les plus complètes des politiques
industrielles au Maroc. Dans ce document de 214 pages, l'UE est mentionnée 29
fois, mais jamais en tant que partenaire de politique industrielle (Marzak 2014).

Les deux conclusions les plus importantes du rapport peuvent être résumées
comme suit. Les nouvelles approches industrielles :

« ont certainement déclenché une dynamique qui a amélioré


l'attractivité du pays et stimulé les professions au Maroc, en
particulier dans les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique;
Cependant, ils n'ont pas induit les changements structurels prévus,

167
notamment en termes de création substantielle de valeur ajoutée et
d'emplois. […] Par ailleurs […] la faiblesse du manque de
compétitivité comparée de l'industrie marocaine est avant tout
systémique (contraintes transversales et institutionnelles) plutôt
que fonctionnelle (clusters, filiales…). » (Marzak2014: 6)

L'IRES indique toutefois que le Maroc est devenu moins attractif pour les IDE
car l'Europe a conclu plusieurs accords fiscaux avec d'autres régions, en plus de
concessions dans le secteur textile pour les pays touchés par le tsunami de l'océan
Indien en 2004 (Marzak2014: 117).

Ce rapport présente 15 recommandations tout à fait pertinentes et qui


contribueraient à renforcer la politique industrielle (Marzak2014: 162–78). Ces
recommandations visent à améliorer l'environnement des entreprises dans le cadre
de la libéralisation sélectionnée. Il est intéressant de noter que le mot «femme»
n’apparaît qu’une fois et que le mot «genre» n’y est pas du tout. Certaines de ces
recommandations reprennent ce qui a déjà été mentionné dans les plans
industriels, alors que d'autres sont plus générales, telles que la coopération entre
entreprises ou la politique de taux de change:

 Accélérer le processus de professionnalisation des systèmes d'éducation


et de formation;
 Inclure une politique d'innovation et de recherche et développement;
 Développer les infrastructures et l'accès aux terrains industriels;
 Élaborer une politique de financement et de taux de change;
 Résoudre les faiblesses des industries connexes et les défis de la
coopération entre entreprises;
 Accroître l'efficacité des actions transversales sur la stratégie
d'internationalisation des entreprises;
 Renouveler la politique industrielle;
 Inclure la dimension régionale dans la conceptualisation de la politique
industrielle;

168

Modèle et industrie
Assurer la cohérence des stratégies sectorielles et des relations entre
politique industrielle et politique commerciale;
 Poursuivre l'institutionnalisation du dialogue privé-public et optimiser
l'interaction entre les principaux acteurs de la politique industrielle.
 Adopter une stratégie d'investissement proactive et poursuivre la
modernisation de la réglementation.
 Améliorer l'environnement des entreprises;
 Prioriser la standardisation;
 Réorienter la structure de l’impôt sur les sociétés et la TVA afin de
soutenir la compétitivité des entreprises;
 Mettre la fiscalité au service de l'internalisation de l'économie.

Dans son évaluation plutôt positive du plan d'accélération industrielle, l'auteur


d'OCP Policy Center a insisté sur la nécessité de limiter la période d’égibilité des
investisseurs privés aux incitations attendues de la politique industrielle, en ce sens
que les subventions devraient être progressivement réduites (El Mokri 2016: 10).
Cela représente un moyen de forcer les entreprises qui bénéficient des avantages à
prouver leur efficacité et à éviter de répéter des comportements de recherche de
revenus non compétitifs.

L’auteur indique que l’aide et les mécanismes de financement doivent être


considérés comme deux choses différentes en séparant les entreprises pionnières
confrontées à l’incertitude d’une part et d’autre part les entreprises bénéficiant déjà
d’un environnement plus stable. Cela permettrait de contourner les faiblesses du
marché et les réticences du secteur privé à prendre des risques. Pour cet auteur, bien
que la politique industrielle marocaine aille dans la bonne direction, il convient d'éviter
le développement de nouveaux revenus ou monopoles, en veillant à ce qu'elle
maintienne des «coûts d'entrée» suffisamment bas pour accueillir les nouveaux
arrivants et favoriser ainsi la compétitivité (El Mokri 2016: 11).

D'autres rapports ou études publiés par des organisations publiques


marocaines ont été plus critiques. Le rapport du Département des études

169
économiques et des prévisions financières (Haggouch 2016) est particulièrement
opposé à la politique d'ouverture:

[la politique d’ouverture] a conduit à des progrès significatifs


en termes de renforcement des échanges, d'attraction des
investissements directs étrangers et de modernisation du tissu
productif national. Cependant, cela a mis à rude épreuve la
capacité de notre pays à atteindre un niveau lui permettant de faire
face à la concurrence mondiale en raison de la persistance de
plusieurs faiblesses structurelles. (Haggouch2016: 4)

Dans un article particulièrement critique, deux auteurs (Hasnaoui et Malainine


2014) ont souligné les contradictions entre la libéralisation de la politique
commerciale du Maroc (et en particulier la multiplication des accords de libre-
échange avec différentes régions) et la volonté interne d'établir des politiques
industrielles (voir encadré 3). ).

Encadré 3: Contradictions et incohérences de la politique d'ouverture et les


réformes au Maroc

Tout d'abord, l’initiative est externe. Ce n'est pas le résultat d'une dynamique
interne. Le programme d’ajustement structurel mis en place par le processus de
libéralisation de l’économie marocaine a été conçu et dirigé par les institutions
internationales, à savoir le FMI et la Banque mondiale. En ce qui concerne le projet
de libre-échange et de libéralisation, l’UE l’a conçue et proposée à tous les pays
méditerranéens, y compris le Maroc.

Deuxièmement, une contradiction dans la politique économique marocaine:


d’une part, le secteur privé est officiellement perçu comme acteur principal de la
croissance économique et, d’autre part, l’autorité publique prive ce secteur de la
condition préalable à son développement, à savoir: le marché local, en s’engageant
dans la zone de libre-échange euro-méditerranéenne elle contraint ce secteur à faire
face à une concurrence déloyale sur son propre marché local.

La troisième contradiction provient de la perspective dans laquelle ont été


menées toutes les réformes et mesures telles que la libéralisation du commerce
extérieur, les privatisations, la libéralisation bancaire et financière, la réforme du
cadre juridique des activités commerciales et la zone côtière. En fait, comme le

170
Modèle et industrie
montre la nature de ces mesures, l’objectif visé est d’attirer les investissements
étrangers. Dans la mesure où tant que de véritables réformes structurelles restent
exclues, par exemple une profonde réforme institutionnelle et la mise en place d'un
système national de gouvernance publique et privée, il semble nécessaire de
recourir à ces investissements pour remédier à la faiblesse des investissements
internes et financer le déficit extérieur. Les autres formes d'incohérence les plus
importantes sont liées à une transformation insuffisante du produit local en faveur
de l'exportation de matières premières et de certains produits agricoles:
phosphates, olives, arganiers, etc., alors que depuis les années 1980, les taux de ces
matières premières continuaient à tomber. De plus, comme elles sont constituées
de micros, petites et moyennes entreprises, le tissu productif marocain souffre de
plusieurs contraintes. Il est entravé par le sous-financement, le manque de
formation, le faible suivi et le développement rapide du secteur informel (qui reste
concentré dans certaines grandes villes: Grand Casablanca, Nord, Est), ce qui
affaiblit sa situation.

Les transactions commerciales avec l'Europe dans le secteur industriel


favorisent principalement le transfert d'activités à forte main-d'œuvre et à faible
valeur ajoutée. C’est un métier qui ne favorise pas l’émergence d’activités offrant
des emplois hautement qualifiés, en cohérence avec les aspirations de la jeunesse
marocaine de plus en plus ambitieuse et ouverte sur le monde.

Source: Hasnaoui et Malainine (2014: 1629-1630).

Un autre type de critique du Maroc concerne la participation d'acteurs


étrangers au processus de définition de sa politique économique (Akesbi 2015).
L’un des indicateurs de la dépendance du Maroc aux concepts et définitions
proposés par l’Europe est la similitude des accords d’association ou des plans
d’action du Maroc et de la Tunisie. L’Europe dispose des compétences, des
institutions et des groupes de travail et de pression nécessaires pour pouvoir
négocier la complexité imposée par de tels accords. La littérature indique
également que les plans d'accélération industrielle sont en grande partie définis
par des sociétés de conseil multinationales (Piveteau et Rougier 2011).

Un groupe d'auteurs français a également étudié les dynamiques industrielles


au Maroc en les reliant simultanément aux institutions marocaines et aux stratégies
territoriales (Piermay et Piveteau 2009). Il est intéressant de noter que le

171
raisonnement qui sous-tend les plans industriels ne tient pas compte de ses
dimensions territoriales:

La faille peut s’expliquer par la grande influence du pouvoir central,


c’est-à-dire du roi, dans le processus décisionnel. Les grands projets sont
royaux et pilotés par les conseillers du roi et les agences situées à Rabat,
pas même par les walis (gouverneurs), bien qu’ils soient nommés par le roi
lui-même. Le gouvernement a un rôle limité. […] La faible mobilisation des
acteurs locaux est une constante. Malgré les déclarations et les textes, très
peu de progrès ont été accomplis en termes de décentralisation. Presque
tous les conseillers régionaux sont évanescents. Les conseils
communautaires constituent généralement un groupe hétérogène de droits
acquis, principalement dans l’immobilier; l'État considère ces obstacles
comme des obstacles à la modernisation et les exclut de ses grands projets
en utilisant des dispositions d’exonération. La «collectivité locale» est le
wali et non l'élu. (Piermay2011: 205–6)

6. Analyse des entretiens

L'analyse des entretiens conduit à deux types de considérations. Tout d’abord,


comment les parties prenantes perçoivent et évaluent les politiques de l’UE et
quelles sont les idées les plus souvent annoncées? La diversité des acteurs conduit
à diverses interprétations. Ils expriment des opinions sur les politiques censées être
de l'UE (en termes d'industrie).

6.1 Quelles sont les idées annoncées par les acteurs concernant le secteur industriel et
ces idées sont-elles en conflit, opposées ou coïncidentes-elles avec la politique de l'UE?
Comment ces acteurs perçoivent et évaluent les politiques européennes?

Les idées défendues par les acteurs que nous avons pu interroger, quel que soit
leur type (public ou privé, par exemple) ne sont pas fondamentalement critiques
vis-à-vis des grandes tendances de la politique industrielle du Maroc. Les critiques
ne visaient pas la philosophie générale de la libéralisation économique, selon
laquelle l’État modifiait simplement les règles du jeu, notamment en termes

172
d’avantages ou de soutien, mais aussi lorsque les modifications étaient dictées par

Modèle et industrie
le secteur privé. Dans cette perspective, aucune opposition ni divergence avec les
politiques de l'UE n'est évidente. Les accords d'association n'ont pas été remis en
question même lorsque des préoccupations ont été exprimées concernant certains
secteurs (en particulier le secteur du textile) et que des réserves ont été exprimées
quant à la mise en œuvre du futur Accord de Libre Échange Complet et
Approfondi.

En ce qui concerne le plan sectoriel pour l'industrie, aucune contribution


particulière n'a été émise concernant les politiques européennes. D’une part, cela
était dû aux actions de l’UE, qui ne traitent pas de secteurs spécifiques. Cependant,
cela tient aussi au fait que l'UE intervient de manière invisible pour les parties
prenantes, y compris celles qui bénéficient indirectement d'un financement de l'UE.
Par exemple, un membre d'un think-tank (personne interrogée 8) a indiqué que
l'UE soutenait le développement des auto-entrepreneurs et modulait son aide au
budget marocain en fonction de l'évolution des indicateurs de développement du
secteur. Cependant, il est probable que presque aucun auto-entrepreneur marocain
ne soit au courant de l'aide fournie par l'UE pour la mise en place de ce
programme.

La diversité des programmes européens ou des pays membres rend difficile la distinction
entre les actions de l'UE. Les parties prenantes du secteur privé (personnes
interrogées 14 et 19) ont déclaré que les outils rassemblés dans le plan de mise à
niveau industriel marocain ne sont pas spécifiques au processus de mise à niveau
relevant de l'accord européen; ils sont plutôt pertinents pour toutes les entreprises
et tous les types d’investissement. Ils représentent des outils de financement
classiques mis en place par le gouvernement marocain. Le programme de mise à
niveau industriel a rassemblé des outils qui ne sont pas directement liés au
processus de mise à niveau: Fonds Hassan 2, Fonds de prêts et de garanties pour
les nouvelles entreprises. Enfin, chaque membre de l'UE a mis en place ses propres
outils de mise à niveau: par exemple, le programme de coopération ANPME
Maroc-Allemagne, le Fonds de garantie français pour le Maroc et le Fonds de

173
financement AWEX-Belgique pour le renforcement des fonds internes. Il existe
également des lignes de crédit bancaire italiennes, portugaises, françaises et
allemandes pour le processus de modernisation. Le Fonds FOMAN, créé en 2003,
est le seul fonds constituant un outil de mise à niveau financé par l'UE et le Maroc
à hauteur de 40 millions d'euros. Il est censé financer l'assistance technique.

Pour les répondants du secteur privé, la diversité des sources et le fait que les
financements européens passent par les institutions marocaines rendent les actions
de l’UE invisibles (personnes interrogées 13, 14).

Un membre d'une association professionnelle (personne interrogée 2) a


mentionné la complexité des critères d'éligibilité résultant de la diversité des
sources. Il est très coûteux pour les entreprises d’établir des dossiers de demandes
de financement, en particulier pour celles qui manquent de ressources internes
nécessaires. Les parties prenantes du secteur privé (personnes interrogées 14 et 19)
se sont plaintes de la lourdeur des procédures et de la difficulté à comprendre les
conditions qui concernent l’aide interne.

L’Europe doit soutenir la nouvelle vision géostratégique du Maroc. Un haut


responsable de la politique industrielle au Maroc a déclaré qu'il existait un grand
fossé entre la vision européenne, ses outils et ses pratiques et le développement
actuel du monde (personne interrogée 10). L’Europe donne l’impression qu’elle ne
considère pas les événements au niveau mondial. La question ici est de savoir si le
monde tripolaire en cours d’émergence (c’est-à-dire l’Europe, le monde arabe et
l’Afrique) aurait les moyens de se prononcer sur des décisions importantes ou si
cela resterait une scène de confrontation entre la Chine et les États-Unis (personne
interrogée 10). Nous sommes à un tournant majeur. Les relations entre l’UE et le
Maroc devraient être prises en compte, mais également celles entre l’UE et le
monde arabe ayant une plus grande portée entre Europe et Afrique. Trois axes
stratégiques peuvent être identifiés: a) l’Europe (France – Espagne) avec le Maroc
et l’Afrique de l’Est; b) Europe (Italie) avec la Tunisie et l'Afrique centrale; et c)
l'Europe avec l'Egypte et l'Afrique orientale. Ces voies faciliteraient le
développement des deux continents et limiteraient les migrations africaines, qui

174
continueraient sinon à augmenter au cours des 30 prochaines années. Cependant, il

Modèle et industrie
reste à convaincre l'Europe de faire évoluer ses relations avec le Maroc (personne
interrogée 17).

Manque de coordination entre les parties prenantes au Maroc. L'UE a décidé de


limiter le nombre de ses contacts au sein du ministère de l'Industrie et du
Commerce. Cette position a été défendue par des agents publics (personne
interrogée 11). Cependant, cette décision a souvent été critiquée par les membres
de groupes de réflexion et d'associations professionnelles (Entretiens 4, 18). Le
Maroc souffre de problèmes particuliers de gouvernance et d'un découpage
administratif excessif qui empêche différentes parties prenantes de coordonner
leurs efforts (personne interrogée 18). Cela est vrai à tous les niveaux de
l'administration. Par ailleurs, les principales parties prenantes, y compris les
associations professionnelles les plus influentes (interviewé 4), ont souvent déclaré
que leur voix était rarement entendue dans les négociations entre l'UE et le Maroc.
La plupart des programmes, projets et financements sont décidés de manière
bilatérale par le ministère de l'Industrie et de l'UE. D'autres parties prenantes ont
souvent déclaré qu'elles ne participaient donc pas suffisamment à ces décisions
(personnes interrogées 6, 14).

Pour l'une des ONG (personne interrogée 5) et un dirigeant d'entreprise


(personne interrogée 12), les parties prenantes de niveau inférieur ne sont pas
correctement consultées. Ils ne sont pas informés et encore moins impliqués, même
dans les secteurs avec lesquels ils sont directement liés. Les informations, les
instructions et les outils sont mis à l'essai depuis le sommet et les commentaires
des parties prenantes de la base sont peu pris en compte. L'UE devrait développer
des actions de coordination impliquant le secteur privé et partager son savoir-faire
en matière de gouvernance inclusive (personne interrogée 14).

La position de l’Europe sur la question du Sahara occidental est ambiguë. Bien que
nous n'attendions pas de telles remarques, plusieurs personnes des secteurs
publics (personnes interrogées 10 et 11) et du secteur des ONG (personne
interrogée 16) ont souligné la position ambiguë de l'UE vis-à-vis du Sahara

175
Occidental. L’Europe devrait avoir une position claire sur la question, car elle
affecte directement les accords commerciaux. Selon les personnes interrogées
(personnes interrogées 10 à 18), l'UE a une attitude ambivalente à l'égard du
Maroc. Cette attitude s'est manifestée lors de la résiliation de l'accord agricole en
2012 à la suite d'une plainte déposée par le Front Polisario. La résiliation de
l'accord par le tribunal de l'Union européenne et l'appel de ce jugement par la Cour
de justice des Communautés européennes ne se sont pas révélés satisfaisants, car
ils pourraient compromettre tous les autres accords signés entre l'UE et le Maroc.
Cela constitue un dilemme au sein de l'UE, qui conduit à la défiance. Il est d’autant
plus absurde de vouloir exclure les territoires du Sud des accords commerciaux
qu’il n’est pas pensable de le faire en matière de coopération sécuritaire et dans le
domaine de la lutte contre le terrorisme (Interviewé 10). L’UE doit donc être claire
sur ce point.

Manque d'appropriation des outils européens par les parties prenantes. Les
financements européens dans le cadre du plan de mise à niveau industrielle sont
mal appropriés par les parties prenantes (personne interrogée 14). Par exemple, le
programme EME Euro Maroc Entreprise a été créé en 1998. Cependant, l'utilisation
des fonds disponibles a été très lente entre 1997 et 2003. Un taux de participation
extrêmement faible des entreprises marocaines a été observé. Moins de 300
entreprises ont été enregistrées dans ce secteur stratégique en raison du manque de
diffusion de l'information et du manque d'attractivité de l'aide, en plus des
difficultés rencontrées lors du dépôt des demandes de financement (personnes
interrogées 4, 14).

L'une des principales conclusions (personnes interrogées 2, 14, 15) est le faible
niveau d'appropriation par les autorités et les structures publiques responsables du
plan de mise à niveau industriel élaboré par l'UE. Une autre critique émise par le
secteur privé est que seules les plus grandes entreprises disposent des ressources
requises pour obtenir un financement et un accompagnement (personne interrogée
14). C’est particulièrement le cas du financement européen. L’Europe doit tenir
compte de ces contraintes pour éviter de reproduire la structure segmentée des

176
entreprises marocaines: un plus petit nombre de grandes entreprises et de

Modèle et industrie
nombreuses très petites entreprises.

Les outils de pilotage de l'aide de l'UE ne sont généralement ni suffisamment


transparents ni évalués. Les chercheurs ou experts interrogés (personnes interrogées
7 et 8) ont suggéré que les politiques européennes et les projets créés par l'Europe
étaient mal évalués. De plus, lorsque les évaluations sont effectuées, elles ne sont
pas suffisamment diffusées. Selon l'un des experts travaillant pour un think-tank,
le financement de l'UE ne devrait pas se limiter aux annonces, de plus, il
conviendrait de clarifier les ambiguïtés entre subventions et fonds, les budgets
attendus et ceux réellement obtenus »(Interviewé 8).

Cette personne interrogée a estimé qu'un manque d'information ou de


transparence était contre-productif pour l'Europe, au sens ou ces subventions et
cette assistance technique constitue une compensation pour les concessions ou les
avantages proposés par le Maroc à l'UE, par exemple en ce qui concerne
l'ouverture du marché national. Par conséquent, l'Europe a tout intérêt à
démontrer que son action n'est pas unilatérale, mais s'inscrit dans une action
globale à laquelle toutes les parties participent de manière égale. Enfin, la
continuité et la planification des différentes actions doivent être assurées. La
question de la pérennité des actions est aussi importante que les actions elles-
mêmes (personne interrogée 9).

L’UE n’est guère impliquée au Maroc par rapport à l’Europe de l’Est. Plusieurs
acteurs du secteur public (personne interrogée 10) et de groupes de réflexion
(personnes interrogées 17 et 18) ont souligné le déséquilibre persistant entre les
priorités de l'UE en ce qui concerne les pays d'Europe orientale et les pays du sud
de la Méditerranée. Les fonds MEDA étaient insuffisants au regard des exigences
de l'économie marocaine: le premier pilier s'élevait à quelques euros par habitant et
était 10 fois inférieur au financement accordé par l'UE à l'Europe de l'Est lors de la
phase de pré-inscription (Interviewé 10). En effet, les fonds alloués par l'Europe
pour compenser le déficit fiscal du Maroc ne représentaient que la moitié du déficit
en 1996 (personne interrogée 18).

177
Cela a été corroboré par une estimation du ministère du Commerce et de
l'Industrie: les fonds nécessaires pour ajuster l'économie marocaine s'élèveraient à
900 millions d'euros pour la période 1996-2001, tandis que les fonds octroyés par
l'UE au cours de la même période pour la modernisation industrielle ne couvraient
que 18% de ce qui était nécessaire (Eddiouri 2009: 219).

Selon un membre d'un think-tank (Personne interrogée 18), l'Instrument européen


de voisinage et de partenariat n'a pas vraiment impacté l'équilibre de l’engagement
européen entre son voisinage Est et son voisinage Sud. Néanmoins, le Maroc
représente l'un des premiers bénéficiaires de l'aide fournie par cet instrument au cours
de la période 2007-2013. Enfin, le risque de dilution de la dimension méditerranéenne
dans la politique de voisinage est toujours présent. Du point de vue du sud de la
Méditerranée, il existe un sentiment qu’il existe un fossé entre l’importance stratégique
de la zone (et en particulier du Maroc) et celle des fonds (Interviewé 10).

La nécessité d'une cohérence entre les réformes internes et les politiques de l'UE.

Les parties prenantes du secteur privé (personnes interrogées 4, 14) ont parfois
exprimé des réserves ou des inquiétudes concernant les risques de concurrence
accrue engendrés par l’ALECA. De leur point de vue, il est important d'harmoniser
les négociations de la zone de libre-échange avec la dynamique de réforme interne
au Maroc, en veillant à ce que les deux processus se renforcent mutuellement et
n’entrainent aucune contradiction. Le Maroc s'est engagé à moderniser sa politique
commerciale, notamment en simplifiant les procédures et en mettant davantage
l'accent sur le secteur privé. L’ALECA modifiera les normes réglementaires, ce qui
entraînerait une perte de compétitivité dans le domaine des exportations sur les
marchés extérieurs à l'UE (personne interrogée 4). Il existe également un risque de
résistance à la formalisation pour certains secteurs ou certaines entreprises qui ne
vont pas appliquer les nouvelles réglementations.

6.2 Que devrait être la politique européenne dans le domaine de l'industrie?

La nécessité d'une meilleure communication concernant l'action de l'UE. Les


conditions de l'aide européenne (et le fait que l'essentiel des subventions sont

178
directement octroyées sous la forme d'une aide budgétaire en particulier) ne

Modèle et industrie
permettent pas de rendre l'UE visible aux parties prenantes, y compris celles qui en
bénéficient directement. En fait, les financements européens ont été fusionnés avec
les politiques publiques nationales et ne sont donc plus visibles (Interviewé 17).
Les entreprises bénéficient du soutien à la compétitivité ou à la formation via les
institutions marocaines sans se rendre compte que d’autres acteurs (y compris
l'UE) soutiennent ces institutions en fournissant des fonds, des procédures et des
politiques spécifiques. Ainsi, l'un des acteurs du secteur industriel (personne
interrogée 14), précédemment soutenu par l'UE, a admis ne pas être au courant du
soutien de l'UE dont son secteur avait bénéficié.

Nous ne pouvons aborder la question du processus d’intégration de l’Europe et l’Accord


de Libre Échange Complet et Approfondi sans aborder la question de la circulation des
populations.

Selon un membre d’une ONG (personne interrogée 16) et un membre d’une


association professionnelle (personne interrogée 4), un problème récurrent est la
persistance d’obstacles empêchant la libre circulation des personnes. L’impact est
plus fort sur le secteur des services que sur le secteur industriel. Cependant, même
dans ce dernier cas, l’accès des opérateurs de services à l’Europe est crucial à toutes
les étapes de la production ou du commerce (par exemple, accès aux foires
commerciales, ouverture de comptes bancaires, voyages d’affaires et prospection
du marché). Tant que les professionnels se heurteront à des obstacles de tous types
(difficultés et délais d’obtention de visas notamment), ils auront du mal à exploiter
le potentiel du libre-échange.

En dépit des efforts déployés par différents bailleurs de fonds, il y réside un manque de
coordination entre les bailleurs de fonds.

Selon un responsable du secteur public (personne interrogée 10), les bailleurs de


fonds ont tendance à se concentrer sur les mêmes thèmes et à partager un
diagnostic unique. Leur nombre est assez élevé et comprend la Banque africaine de
développement, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement
(BERD), la Banque mondiale, les Nations Unies, l'AFD, la KfW, la GIZ, les acteurs
179
bilatéraux, les États-Unis, la Belgique, la Corée du Sud, etc. Il existe un risque que
les sources se multiplient et que les bailleurs de fonds finissent par se faire
concurrence, ce qui pourrait réduire l'efficacité. Les effets de levier peuvent être
plus importants dans le cas de la coordination entre bailleurs de fonds. Ce niveau
de coordination reste faible dans le cas du Maroc.

La zone de libre-échange de l’Accord de Libre Échange Complet et Approfondi devrait


être considérée comme une occasion de renforcer le secteur industriel.

Selon les parties prenantes du secteur privé (personnes interrogées 2 à 4) et du


secteur public (personne interrogée 13), l'ALECA devrait renforcer le secteur
industriel. Cela nécessiterait d'élargir les domaines d'intervention aux énergies
renouvelables, aux transports et à l'environnement. Cela nécessiterait également de
promouvoir la création de filiales industrielles intégrées, facilitant ainsi le transfert
de technologie d'Europe vers le Maroc (personne interrogée 10). Il ne suffit pas
d'identifier un manque de compétitivité ou un faible rendement de l'emploi. Une
analyse détaillée du secteur industriel devrait être menée pour identifier les
principaux secteurs, en particulier les industries de transformation, susceptibles
d’atténuer la fragmentation du secteur. En bref, une stratégie industrielle devrait
être introduite dans les plans d'action (personne interrogée 10). En outre, l'ALECA
devrait aller plus loin en termes d'accords sur les investissements afin de compléter
ce qui a été réalisé en matière de commerce.

Conclusion

Cette étude a rassemblé les représentations des différentes parties prenantes sur
l’industrie marocaine. Contrairement aux autres secteurs, notamment l'agriculture,
l'énergie et les droits de l'homme, l'Union européenne ne met pas directement
l'accent sur le secteur industriel dans le cas du Maroc. Cependant, cela ne signifie
pas que l'UE a peu d'effet dans ce domaine. En fait, les accords de libre-échange
ont probablement eu et continuent d'avoir un impact significatif et décisif sur
l'évolution de l'industrie marocaine. Même si le Maroc a ratifié plusieurs accords
de libre-échange, l'accord signé avec l'Europe est le plus significatif.

180
Outre ces éléments, la politique de l'UE et ses interventions dans le secteur

Modèle et industrie
industriel s’inscrivent dans les programmes de modernisation, de soutien à la
formation ou à l'emploi, ainsi que dans le programme de soutien à la croissance et
à la compétitivité. Ces politiques ne ciblent pas spécifiquement ce secteur d'activité
même si elles concernent les entreprises industrielles.

Au-delà de ces politiques exogènes, le Maroc a une politique industrielle, un


plan et une vision pour le secteur industriel. Cela se reflète dans ses plans
industriels successifs. Ces plans semblent avoir été efficaces, les secteurs de
l’automobile et de l’aéronautique étant devenus moteurs en quelques années
seulement. Cependant, ils restent dominés par institutions étrangères en termes de
conception et de conception (confiées à la multinationale de conseil McKinsey),
ainsi que par leur mise en œuvre par des acteurs étrangers (comme dans le cas de
Renault dans le secteur automobile). Les critiques internes visant ces plans ont été
exprimées à la fois au Maroc et à l’international, car ces plans industriels n’ont pas
permis d'atteindre une taille critique suffisante même s’ils ont contribué à limiter
l’érosion de secteurs vulnérables tels que le secteur du textile.

Les acteurs publics (notamment le gouvernement marocain) mettent en œuvre


les outils utilisés par l'UE, y compris les subventions et les facilités de financement,
qui font partie des structures et des programmes développés localement. Les
destinataires finaux des programmes ne sont pas toujours conscients de bénéficier
de l'aide européenne qui reste donc largement inconnu et invisible. Les parties
prenantes interrogées ont souvent demandé que les processus et programmes
d’assistance s’engagent vers une plus grande implication afin d’améliorer la
pertinence, l’efficacité et la durabilité de ces programmes. Les parties prenantes ont
également exprimé des réserves quant à l’équité et des préoccupations quant à la
mise en œuvre de la zone de libre-échange dans le cadre de l’ALECA, ce qui
semble être une occasion de renforcer l’intégration du Maroc dans l’espace
économique européen. Enfin, même si la question du genre est pertinente dans
l’analyse du secteur industriel en général en raison de la féminisation de l’emploi

181
dans l’industrie textile, elle ne semble pas être au centre des préoccupations des
acteurs, ni des politiques nationales et de l’UE.

Les intervenants ont proposé les recommandations suivantes:

 La zone de libre-échange devrait être considérée comme une


opportunité de renforcer le secteur industriel.
 Les bailleurs de fonds devraient se coordonner plus efficacement.
 La question de la circulation des populations doit être traitée, car la
difficulté à obtenir des visas limite les opportunités potentielles
découlant des accords;
 Il devrait y avoir une meilleure communication concernant l'action de
l'UE.
 L’action de l’UE devrait être plus équilibrée vers le Sud. En effet, le
déséquilibre en faveur de l’Europe de l’Est soulève des questions sur
l’importance accordée par l’Europe au Sud;
 L'UE devrait collaborer avec le Maroc pour élaborer une politique
industrielle visant à éviter les effets de spécialisation sur les segments
de production situés dans la tranche inférieure.

Bibliographie

Abouch, Mohamed (1992), Libéralisation financière et développement économique


au Maroc, PhD dissertation, Poitiers
Akesbi, Najib (2015), “Qui fait la politique agricole au Maroc? Ou quand l’expert se
substitue au chercheur” in Annales de l’INRATT, Vol. 88, p. 104-126,
http://www.inrat.agrinet.tn/actualites-pdf/volume88.pdf
Alami, Abdelfettah (2015), “Le textile dans l’élan de l’accélération industrielle”, in
Challenge.ma, 12 March 2015, https://www.challenge.ma/?p=45504
Alcidi, Cinzia et al. (2017), “Trade and Investment in the Mediterranean: Country
and Regional Perspectives. Evolution and Impact of EU-Med Trade Integration
in the South-Med”, in EMNES Studies, No. 2 (November),
http://emnes.org/publication/trade-and-investment-in-the-mediterranean-
country-and-regional-perspectives

182
Alouani, Ahmed (2008), “Financial reforms in the MENA region, a comparative

Modèle et industrie
approach: The case of Tunisia, Algeria, Morocco and Egypt”, in Panoeconomicus,
Vol. 55, No. 3, p. 369-381, https://doi.org/10.2298/PAN0803369A
Patricia Augier and Vincent Castel, eds (2017), Analysis of Morocco’s Trade Policy.
Volume 1: Impact of Morocco’s Tariff Policy on its Competitiveness, African
Development Bank,
https://www.afdb.org/en/documents/document/analysis-of-moroccos-trade-
policy-volume-1-94490
Aziki, Omar (2018), “Les impacts des accords de libre-échange conclus par le
Maroc: accentuation de la dépendance et pillage des ressources”, in Attac
Maroc Publications, 28 January, http://attacmaroc.org/fr/?p=797
Belghazi, Saâd (2005), “Mise à niveau et compétitivité du secteur textile-
habillement: l’importance d’une approche durable fondée sur le travail décent
et l’efficacité économique”, in ILO WorkingPapers,
https://www.ilo.org/public/english/bureau/dwpp/download/morocco/morst
udybelgahzi.pdf
Belguendouz, Abdelkrim (2005), “Expansion et sous-traitance des logiques
d’enfermement de l’Union Européenne: l’exemple du Maroc”, in Cultures &
Conflits, No. 57, p. 155-219, https://doi.org/10.4000/conflits.1754
Bennaceur, Samy et al., eds (2007), “Evaluation des politiques de mise à niveau des
entreprises de la rive sud de la Méditerranée: les cas de l’Algérie, l’Egypte, le
Maroc et la Tunisie”, in FEMISE Research Reports, No. FEM31-05 (December),
http://www.femise.org/en/studies-and-research/regional-integration-euro-
mediterranean-cooperation/evaluation-of-the-programme-de-mise-a-niveau-
implemented-by-the-southern-mediterranean-countries-5
Bougault, Hervé and EwaFilipiak (2005), “Les programmes de mise à niveau des
entreprises: Tunisie, Maroc, Sénégal”, in Notes et Documents AFD, January,
https://www.afd.fr/fr/node/3962
Boughzala, Mongi (1997), “Impact on Workers of Reduced Trade Barriers: The
Case of Tunisia and Morocco”, in International Labour Review, Vol. 136, No. 3
(Autumn), p. 379-399
Bouoiyour, Jamal (2007), “The Determining Factors of Foreign Direct Investment in
Morocco”, in Savings and Development, Vol. 31, No. 1, p. 91-106
Catusse, Myriam (2000), “Maroc: un ‘État de droit pour les affaires’”, in Annuaire
de l’Afrique du Nord, Vol. 37 (1998), p.245-257, http://aan.mmsh.univ-
aix.fr/Pdf/AAN-1998-37_29.pdf
Catusse, Myriam (2008), Le temps des entrepreneurs? Politique et transformations du
capitalisme au Maroc, Paris, Maisonneuve & Larose / Tunis, Institut de recherche
sur le Maghreb contemporain, https://books.openedition.org/irmc/525

183
Ecorys (2013), Trade Sustainability Impact Assessment in Support of Negotiations
of a DCFTA between the EU and Morocco, Final Report, Rotterdam, ECORYS,
25 November, http://trade.ec.europa.eu/doclib/html/151926.htm
Eddiouri, Noura (2009), La dimension financière dans le cadre du partenariat
“Maroc-Union européenne”, Paris, Publibook
Elalamy, Moulay Hafid (2017), “Plan d’accélération industrielle: MHE fait le bilan”,
in Finances News Hebdo, 5 April 2017, http://fnh.ma/article/economie/plan-
d-acceleration-industrielle-mhe-fait-le-bilan
El Mokri, Karim (2016), “Morocco’s 2014-2020 Industrial Strategy and its potential
implications for the structural transformation process”, in OCP Policy Center
Policy Briefs, No. 16/27 (November), http://www.ocppc.ma/node/3000
European Commission (2004), EU/Morocco Action Plan,
http://trade.ec.europa.eu/doclib/html/127912.htm
European Commission (2018), European Union, Trade in Goods with Morocco, 16
April, http://trade.ec.europa.eu/doclib/html/113421.htm
European Commission and EEAS (2013), Joint Proposal for a Council Decision on the
Union position within the Association Council […] with regard to the adoption of a
recommendation on the implementation of the EU-Morocco Action Plan
implementing the advanced status (2013-2017), JOIN/2013/6, 17 April,
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/ALL/?uri=JOIN:2013:0006:FIN
European Union and Morocco (2000), Euro-Mediterranean Agreement Establishing
an Association between the European Communities and the Member States, of
the One Part, and the and the Kingdom of Morocco, of the Other Part,
https://eur-lex.europa.eu/legal-
content/EN/ALL/?uri=CELEX:22000A0318(01)
Fleury, Martin and Jean-Philippe Payet (2016), Coproduction au Maroc, Contexte,
réalisation et perspectives, Paris, IPEMED, July,
http://www.ipemed.coop/en/publications-r17/reports-synthesis-
c108/coproduction-in-morocco-context-achievements-and-perspectives-a3053.html
Haggouch, Ilham (2016), “Décomposition de la compétitivité structurelle du
Maroc: marges intensives et extensives de nos exportations”, in Études DEPF,
March, http://depf.finances.gov.ma/etudes-et-publications/#dflip-df_3086/1
Hasnaoui, Rachid and CheklekbireMalainine (2014), “Quelques dimensions
d'incohérence de la politique commerciale du Maroc avec ses politiques
sectorielles internes”, in International Journal of Innovation and
AppliedStudies, Vol. 8, No. 4 (October), p. 1618-1635, http://www.ijias.issr-
journals.org/abstract.php?article=IJIAS-14-251-42
HCP–Higher Commission for Planning (2018a), Activité, emploi, et chômage. Troisième
trimestre 2017, 28 March, https://www.hcp.ma/downloads/Activite-emploi-et-
chomage-trimestriel_t13038.html

184
HCP (2018b), Enquête nationale sur le secteur informel 2013/2014. Rapport de

Modèle et industrie
synthèse, 26 September, https://www.hcp.ma/downloads/Enquete-nationale-
sur-le-secteur-informel_t11887.html
HCP (2018c), La femme marocaine en chiffres: Tendances d'évolution des
caractéristiques démographiques et socioprofessionnelles 2017, 16 May,
https://www.hcp.ma/downloads/Femme-marocaine-en-chiffres_t18705.html
HCP (2018d), “La situation du marché du travail au premier trimestre de l’année
2018”, in Note d’information du Haut-Commissariat au Plan,
https://www.hcp.ma/La-Situation-du-marche-du-travail-au-premier-
trimestre-de-l-annee-2018_a2158.html
Iraqi, Fahd (2017), “Boom industriel”, in Jeune Afrique, No. 2951 (30 July-5 August 2017),
p. 65-66, http://www.cfcim.org/wp-content/uploads/2017/08/Industrie.pdf
Jaidi, Larabi (1992), “L’industrialisation de l’économie marocaine: acquis réels et
modalités d’une remise en cause”, in Jean-Claude Santucci, ed., Le Maroc actuel, Aix-
en-Provence, Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman,
Éditions du CNRS, p. 91-117, https://books.openedition.org/iremam/2421
Jaidi, Larabi (2014), “L’ALECA, son impact, ses enjeux…”, in La Vie éco, 29
January, http://www.lavieeco.com/?p=50730
Jaidi, Larabi and Fouad Zaim (1998) “L’industrie marocaine face au défi du libre-
echange: enjeux, rôle des acteurs et contrainte de financement”, in Annuaire de
l’Afrique du Nord, Vol. 35 (1996), p. 69-87, http://aan.mmsh.univ-
aix.fr/Pdf/AAN-1996-35_36.pdf
Laaboudi, Ahmed (2010), “Impact de libéralisation commerciale sur le marche du
travail (formel et informel), sur la productivité et sur les revenus: étude
comparative Maroc-Tunisie”, in FEMISE Research Reports, No. FEM 31-21R
(September), http://www.femise.org/en/studies-and-research/employment-
social-policy-and-health/impact-de-liberalisation-commerciale-sur-le-marche-
du-travail-formel-et-informel-sur-la-productivite-et-sur-les-revenus-etude-
comparative-maroc-tunisie-2
Marzak, M. Mohamed, ed. (2014), Industrialisation et compétitivité globale du
Maroc, Rabat, IRES–Institut Royal des Études Stratégiques,
http://www.ires.ma/download/4337/
Ministry of Economy and Finance (2007), “Les relations du Maroc avec l’Union
européenne: du partenariat au statut avancé”, in Études DEPF, November,
https://www.finances.gov.ma/fr/Pages/Etudes-DEPF-Investissement.aspx
Ministry of Higher Education (2009), Initiative Maroc Innovation, presentation at
the first National Innovation Summit, Skhirat, 5 June,
http://www.aimaf.fr/public_html/aimaf/images/amdi/initiative%20maroc%
20innovation.pdf

185
Ministry of Industry (2009), Pacte national pour l’émergence industrielle. Contrat
Programme 2009-2015,
http://www.orientalinvest.ma/telechargementfichiers/industrie/pacte_emergence.pdf
Ministry of Industry (2014), Industrial Acceleration Plan 2014-2020,
http://www.mcinet.gov.ma/en/node/532
Moisseron, Jean-Yves (2005), “L’impact économique du processus de Barcelone sur
les pays tiers méditerranéens dix ans plus tard”, in Géoéconomie, No. 35
(Autumn), p. 23-50
Moisseron, Jean-Yves et al. (2017a), “L’accès et le maintien des femmes à l’emploi
de qualité au Maroc, en Tunisie et en Turquie”, in Notes techniques AFD, No.
32 (July), https://www.afd.fr/fr/node/3999
Moisseron, Jean-Yves et al. (2017b), “Assessing EU-Mediterranean Policies in the
Fields of Industry and Energy from a Bottom-up Perspective”, in MEDRESET
Methodology and Concept Papers, No. 8 (October),
http://www.medreset.eu/?p=13461
Oved, Georges (1961), “Problème du développement économique au Maroc”, in
Revue Tiers Monde, Vol. 2, No. 7, p. 355-398,
https://doi.org/10.3406/tiers.1961.1288
Piermay, Jean-Luc (2011), “L’attractivité sans le territoire? L’industrie marocaine a-
t-elle besoin du territoire?”, in Annales de géographie, No. 678, p. 204-215,
http://dx.doi.org/10.3917/ag.678.0204
Piermay, Jean-Luc and Alain Piveteau (2009), “L’impensé du ‘local’ dans le
programme Émergence du Maroc: le cas de Tanger”, in Mihoub Mezouaghi, ed.,
Les localisations industrielles au Maghreb: attractivité, agglomération,
territoire, Paris, Karthala / Tunis, IRMC, p. 209-231
Piveteau, Alain and Éric Rougier (2011), “Le retour en trompe l’œil de la politique
industrielle. L’expert, l’État et l’économie politique locale”, in Revue Tiers
Monde, No. 208, p. 177-192, https://doi.org/10.3917/rtm.208.0177
Rahal, Abdelouahed (2012), Plan de développement de l’industrie marocaine,
Presentation, Rabat, 20 June,
https://www.finances.gov.ma/Docs/2012/dtfe/2686_pdim_rabat_20_6_12.pdf
Rossi, Arianna (2013), “Does Economic Upgrading Lead to Social Upgrading in
Global Production Networks? Evidence From Morocco”, in World
Development, Vol. 46 (June), p. 223-233
Van der Loo, Guillaume (2016), “Mapping out the Scope and Contents of the
DCFTAs with Tunisia and Morocco”, in Papers IEMed/EuroMeSCo, No. 28
(March), https://www.euromesco.net/publication/mapping-out-the-scope-
and-contents-of-the-dcftas-with-tunisia-and-morocco-by-guillaume-van-der-loo
World Bank (2015), Morocco Enterprise Survey 2013,
http://microdata.worldbank.org/index.php/catalog/2362

186
Annexe 1: Liste des intervenants interrogés (Juin à Décembre 2017)

Modèle et industrie
Entretien 1. Organisation internationale

Entretien 2. Secteur privé

Entretien 3. Représentant d'une ONG

Entretien 4. Secteur privé

Entretien 5. ONG

Entretien 6. Représentante du secteur privé,

Entretien 7. Think-tank

Entretien 8. Think-tank

Entretien 9. ONG

Entretien 10. Secteur public

Entretien 11. Représentante du secteur public

Entretien 12. Secteur privé

Entretien 13. Secteur public

Entretien 14. Secteur privé

Entretien 15. Secteur privé

Entretien 16. ONG, représentante

Entretien 17. Think-tank

Entretien 18. Think-tank

Entretien 19. Secteur privé

Annexe 2: Grille d’entretien

1) Quels sont selon vous les principaux enjeux et priorités politiques de l’espace
méditerranéen?

2) À votre avis, quelles sont les principales causes, facteurs et parties prenantes
affectant ces questions de politique?

3) Quelle est votre évaluation des solutions politiques existantes à ces


problèmes et proposez-vous des solutions politiques alternatives?

187
4) Selon vous, quels sont les politiques, initiatives, outils et pratiques les plus
pertinents pour l’UE et / ou les pays membres de l’UE en termes d’industrie?

5) Quelle est votre évaluation de ces politiques?

6) Affectent-ils les hommes et les femmes différemment?

7) Quelles suggestions proposeriez-vous à l'UE pour reformuler ou modifier ses


politiques?

188
7

Modèle et industrie
Est- ce vraiment bien utile de rediscuter, une fois encore, le développement du
Maroc et son modèle ? Le choix de consacrer le numéro de cette revue au modèle
du développement marocain est l’occasion de se pencher sur les réalisations et les
lacunes du modèle voulu par le Royaume pour promouvoir sa marche vers le
progrès et la prospérité, et de discuter, également, les approches devant favoriser
l'articulation d’une réflexion commune à ce sujet pour permettre de tracer les
contours d’une action cohérente visant une émergence économique plus forte et
plus durable dans le cadre d'un modèle de développement social plus inclusif.

Tous les auteurs qui ont contribué à ce numéro questionnent la portée des
changements introduits par « le modèle de développement actuel », tant en ce qui
concerne le partage des responsabilités et des rôles entre les acteurs, en particulier
dans l’élaboration des politiques économiques de développement, qu’en ce qui
concerne les effets de ces politiques sur la croissance et le bien être. La rupture
souhaitée et annoncée avec l’actuel « modèle de développent » suscite des doutes,
et c’est plutôt la persistance d’une vision technocratique du développement que
les auteurs font ressortir: la tendance à ramener les problèmes de développement à
des questions sectorielles et techniques, le refus de faire face à la complexité des
conditions de mise en œuvre des actions de développement. L’introduction des
concepts de choix politiques, redevabilité, stratégie de développement et
d’appropriation du sens montre les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre
des actions de développement. Par conséquent, le manque de stratégie de
développement conduit toujours à la simplification au détriment de la mise en
valeur des savoirs propres et de la recherche de la spécificité du contexte. Or,
comme le souligne les auteurs, chacun à sa manière, le monde du développement
est un monde de l’action politique au sens large où l’on entend transformer de
façon volontariste la réalité.

Ainsi, le renouvellement du discours, des énoncés de politiques et des


priorités d’action est récurrent dans l’histoire du développement marocain et n’a
pas toujours été un signe de rupture avec les anciennes pratiques. Certains
changements vont plutôt dans le sens de la continuité et du renforcement de
l’existant. Le sens des notions introduites dans le discours pour le développement
n’est jamais stable, il est toujours susceptible de se transformer avec le discours, et
les notions sont appelées à se repositionner avant de disparaître éventuellement au
profit d’autres priorités du moment et d’autres notions.

Le débat reste donc ouvert et pour longtemps; nous souhaiterions que


l’ensemble de ces textes puissent contribuer à rendre intelligible la réflexion sur la
problématique du développement du Maroc.

189

Vous aimerez peut-être aussi