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La Puce, les Hommes et la Bombe


L’Europe face aux nouveaux défis technologiques et militaires
en collaboration avec François Heisbourg préface d’André Fontaine
Hachette, 1986
Les Sources du désarmement
préface d’Alain Pellet
Economica, 1989
L’Armée, enquête sur 300 000 soldats méconnus
Éditions n° 1, 1990
Vive la bombe, « Éloge de la dissuasion »
Éditions n° 1, 1992
Manuel de relations internationales
Dunod, 1994 ; rééd. 1995
Les Écologistes et la Défense
en collaboration avec Jean-François Gribinski
IRIS-Dunod, 1994
Contre le révisionnisme nucléaire
Ellipses, 1994
La Volonté d’impuissance
Seuil, 1996
Les Relations Est-Ouest 1945-1991
Seuil, « Mémo », 1996
Repenser la dissuasion nucléaire
Éditions de l’Aube, 1997
Les Relations internationales depuis 1945
Hachette supérieur, 1997
La France est-elle encore une grande puissance ?
Presses de Science Po, 1998
Atlas des guerres
Michel Lafon, 1999
Guide du savoir-nuire à l’usage des dictateurs
Michalon, 2000
Le Monde contemporain : grandes lignes de partage
PUF, 2001

DIRECTION D’OUVRAGES COLLECTIFS


Atlas des relations internationales
IRIS-Dunod, 1993 ; rééd. Hatier, 1997
Les Nouvelles Pathologies des États
dans les relations internationales
en collaboration avec Jacques Golliet
IRIS-Dunod, 1993
La Puissance internationale
IRIS-Dunod, 1994
Défense et Société
La Documentation française, 1995
Lexique de relations internationales
Ellipses, 1995 ; rééd. 2000
Succession d’États en Europe de l’Est et
avenir de la sécurité européenne
en collaboration avec Hélène Ruiz-Fabri
Montchrestien, 1995
Dictionnaire des relations internationales
Hatier, 1996
Géopolitique du football
Éditions Complexe, 1998
L’Europe, puissance du XXIe siècle ?
IRIS édition, 1999
Les Relations extérieures de l’Union européenne
Commissariat au Plan, 1999
Morales et Relations internationales
PUF, 2000
Pascal Boniface dirige chaque année la publication de
L’Année stratégique

ISBN : 978-2-02-100766-4

© Éditions du Seuil, novembre 2001.

www.seuil. com
À Adrien, Corentin et Maxime
en leur souhaitant de vivre
dans un monde sans guerres.
Merci à Émilie Yabré, ainsi qu’à Marie-France Labbé et
Amandine Fontaine pour avoir, dans les plus brefs délais,
dactylographié ce texte. Didier Billion, Barthélemy
Courmont, Valérie Niquet, Geneviève de Villemagne,
Bastien Nivet et Bochra Kriout m’ont fourni des conseils
aussi utiles que précieux.
Table des matières

Couverture

Table des matières

Introduction - Les guerres vont-elles disparaître ?

1 - Le terrorisme

2 - Guerres de civilisation

3 - Guerres de religion

4 - États-Unis/pays musulmans

5 - États-Unis/États parias

6 - Guerres nucléaires

7 - Guerres chimiques

8 - Guerres bactériologiques

9 - Guerres Nord/Sud

10 - Guerres démographiques

11 - Guerres de diaspora

12 - Guerres des flux migratoires

13 - Guerres de la faim

14 - Guerres du pétrole
15 - Guerres de l’eau

16 - Guerres de l’environnement

17 - Guerre de la drogue

18 - Guerres économiques

19 - Guerre de l’information

20 - Guerres de l’espace

21 - Guerres urbaines

22 - Guerres de sécession

23 - Guerres asymétriques et dissymétriques

24 - Guerre Chine/États-Unis

25 - Guerre Chine-Russie/États-Unis

26 - Guerre Chine/Russie

27 - Guerre Chine/Japon

28 - Guerre Japon/États-Unis

29 - Guerre Inde/Chine

30 - Inde et Pakistan : les frères ennemis du sous-continent

31 - Guerre entre les deux Corées

32 - Guerre Grèce/Turquie

33 - Guerre entre pays riverains du Golfe arabo-persique

34 - Guerre France/Allemagne
35 - La Russie peut-elle redevenir une menace ?

36 - Football et guerre

37 - Guerre et tourisme
Introduction

Les guerres vont-elles disparaître ?

Le 11 septembre 2001, le monde entier recevait un choc comme on en


subit rarement. Des avions civils pris en otages par des terroristes s’étaient
écrasés sur les deux tours jumelles du World Trade Center à New York
conduisant à leur destruction totale, tandis qu’un autre s’abattait sur le
Pentagone. On allait apprendre très rapidement qu’un quatrième avion
aurait dû s’écraser sur la Maison-Blanche si les passagers du vol ne
s’étaient révoltés.
Qu’est-ce qui, dans cet événement, créait le plus de stupeur ? La
destruction du symbole du pouvoir économique américain et même
mondial ? L’attaque sur le symbole du pouvoir militaire américain ? Le fait
que les États-Unis, qui réalisent à eux seuls 40 % des dépenses militaires
mondiales et que leur « hyperpuissance » semblait mettre à l’abri de toute
menace, soient attaqués pour la première fois depuis 1812 sur le territoire
continental ? Le fait que tout cela ait été montré en direct sur les écrans de
télévision ?
Déjà, quelques commentateurs annonçaient le choc des civilisations,
une guerre entre l’Islam et l’Occident, en agitant le spectre d’une Troisième
Guerre mondiale.
L’histoire de l’humanité se confond largement avec l’histoire de la
guerre. N’est-elle pas une suite ininterrompue de périodes de paix et de
conflits ? Les espoirs de vivre dans un monde pacifique, débarrassé du fléau
de la guerre et de ses cortèges d’horreurs, ont souvent été évoqués. Ils se
sont chaque fois heurtés à la plus cruelle des désillusions.
En 1795, Kant publiait son projet de paix perpétuelle. Au
XVIIIe siècle, certains n’hésitaient pas à prédire que le développement des
relations commerciales entre États conduirait à la fin de la guerre en
imposant naturellement « la paix par le commerce ». L’interdépendance
économique devait empêcher tout nouveau conflit. Était-il raisonnable de
combattre celui avec lequel on avait partie liée commercialement ?
Pourtant, avant 1914, l’Allemagne et la Grande-Bretagne étaient les
principaux partenaires l’une de l’autre.
En 1914, H. G. Wells n’hésitait pas à écrire : « A l’aube du XXe siècle,
rien n’aurait pu être plus évident que la rapidité avec laquelle la guerre
devenait impossible. »
La croyance était largement répandue selon laquelle la guerre était
devenue irrationnelle du point de vue économique et que la liberté de
commerce avait rendu inutile toute ambition d’extension territoriale. Ces
prédictions optimistes allaient être démenties de la plus cruelle des
manières.
Non seulement la guerre pouvait toujours éclater mais, de plus, elle
s’étendait à l’échelle mondiale ! De nombreux soldats y partirent le cœur
léger croyant voir, dans ce qui allait être une véritable boucherie (9 millions
de morts), « la der des der », la dernière des guerres. Elle ne fut que la
première des guerres mondiales. Car, si le constructeur automobile Henry
Ford déclarait en 1928 : « Les gens devenaient beaucoup trop intelligents
pour que puisse jamais se reproduire une grande guerre », il y eut
malheureusement une Seconde Guerre mondiale.
Après chacune d’entre elles, les grandes puissances ont essayé
d’organiser la paix. La Société des Nations (SDN), créée en 1920, devait
permettre l’établissement de la sécurité collective. Elle ne put remplir ce
rôle.
Les États-Unis ne voulurent pas en faire partie pour ne pas être pris au
piège des querelles européennes. L’URSS n’y fut pas acceptée pour des
raisons politiques et elle ne la rejoindra que trop tardivement. Enfin,
l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste foulèrent aux pieds les principes
universels que voulait promouvoir la SDN. Celle-ci périt faute d’autorité
pour faire accepter ses décisions.
Après la Seconde Guerre mondiale (49 millions de morts) fut créée
l’Organisation des Nations unies. Elle a pour but de défendre la
souveraineté des États, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et la
paix par le biais de la sécurité collective. Elle est le fruit de l’alliance, au
cours de la guerre, des démocrates occidentaux et de l’URSS communiste
afin de combattre le nazisme.
À sa création, elle unit donc les grandes puissances, et on pense qu’elle
deviendra le gendarme du monde.
Là encore, l’espoir va être rapidement brisé. Très vite, l’alliance des
vainqueurs se transforme en guerre froide. L’URSS d’un côté, les États-
Unis de l’autre créent des alliances. Chacun craint l’autre, et le climat de
méfiance nourrit l’hostilité réciproque. L’ONU est paralysée et ne peut
imposer la paix, car chaque grande puissance possédant un droit de veto en
joue si elle-même ou un de ses alliés est impliqué dans un conflit.
Paradoxalement, alors que le monde est divisé en deux camps
violemment hostiles, tous les deux surarmés, il n’y aura pas de conflit entre
eux, du fait de la dissuasion nucléaire, chacun ayant trop peur de l’escalade
atomique. Pour autant, qualifier la période postérieure à 1945 d’« après-
guerre » est inexact. S’il n’y a pas eu de Troisième Guerre mondiale
déclenchée par Moscou ou Washington – qui aurait simplifié la fin de
l’humanité –, de nombreux conflits ont pourtant secoué la planète. Ils n’ont
pas mis directement face à face les États-Unis et l’URSS, mais chaque pays
concerné était un allié de l’un ou de l’autre. Des guerres ont aussi eu lieu
entre alliés de chacune des superpuissances. Au cours de cette période, on
dénombre tout de même 160 conflits, ayant fait 40 millions de morts.
Cependant, lorsque le mur de Berlin, symbole de la division Est/Ouest,
est abattu dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, un vent d’optimisme
souffle sur le monde. Le spectre, fût-il contenu, d’une guerre entre le monde
communiste et le monde occidental s’estompe.
Même si elle n’avait jamais été mise à exécution, la menace soviétique
avait été considérée pendant plus de quarante ans comme le principal
danger pesant sur l’Europe et les États-Unis. Sa disparition libère d’un
grand poids tous ces pays. Non seulement ils ne seront plus menacés
directement, mais la rivalité soviéto-américaine n’alimentera plus
désormais les nombreux conflits du tiers-monde.

Une fois encore, l’optimisme allait être de courte durée. À peine le


clivage Est/Ouest disparaissait-il qu’une autre forme de guerre éclatait :
celle qui allait opposer l’Irak au Koweït dans un premier temps, puis l’Irak
à une vaste coalition internationale dans un second. La défaite rapide et
totale de l’Irak dissipait les craintes. On évoquait un nouvel ordre
international fait de paix et de liberté.
Pour la première fois, un conflit avait été réglé par l’ONU selon les
règles de la sécurité collective. L’URSS, bien qu’alliée de l’Irak, n’avait pas
opposé son veto à la résolution appelant à l’usage de la force armée contre
Bagdad. Même si les États-Unis ont fourni l’essentiel des forces militaires,
la guerre du Golfe fut bien menée sous les auspices de l’ONU, les grandes
puissances se mettant d’accord pour punir l’agresseur irakien.
Cela allait-il créer une nouvelle façon de régler les conflits ?

À la fin de la guerre du Golfe (janvier-mars 1991), le président


américain George Bush proclamait l’avènement d’un « nouvel ordre
mondial » où les Nations unies, libérées de l’impasse de la guerre froide,
seraient en mesure de réaliser la vision historique de leurs fondateurs : un
monde dans lequel la liberté et les droits de l’homme seraient respectés par
toutes les nations.
Le 6 mars 1991, au Capitole, dans son discours sur la victoire dans le
Golfe, George Bush s’est avancé plus encore : « Deux fois auparavant dans
ce siècle, le monde entier a été traumatisé par la guerre. Deux fois au cours
de ce siècle, l’espoir d’une paix durable est sorti des horreurs de la guerre.
Deux fois auparavant, il est apparu que ces espoirs étaient un rêve lointain,
hors de portée de l’homme […]. Maintenant nous pouvons voir un nouveau
monde venir sous nos yeux. »
Mais, pas plus qu’après les deux guerres mondiales, un ordre mondial
d’où la guerre serait bannie, où les différends se régleraient de façon
pacifique dans le respect de l’indépendance de chacun, où les peuples
s’autodétermineraient librement et où une organisation mondiale ferait
régner la loi internationale et la paix ne s’est imposé après la chute de
l’URSS.
Cet espoir allait se briser sur les réalités de la guerre en ex-
Yougoslavie, les guerres civiles en Afrique, ainsi que l’unilatéralisme
américain qui rend les États-Unis peu désireux de coopérer avec les autres
pays ou les institutions multilatérales.
Aux guerres opposant les États entre eux allait succéder une vague de
conflits opposant ethnies et peuples différents. Les guerres internationales
s’effaçaient au profit des guerres civiles, encore plus féroces et meurtrières.
En quelques mois, celle du Rwanda fit entre 500 000 et 800 000 morts (la
plupart à coups de machette).
L’implosion de l’URSS a démontré que le conflit Est/Ouest n’était pas
la seule explication des guerres. La volonté américaine de ne pas voir de
rival dominer l’Eurasie ne date pas de la révolution soviétique ; c’est une
constante géopolitique. Tant que les États existeront – et auront donc des
intérêts à défendre, des rivalités à surmonter –, le spectre de la guerre ne
s’éloignera pas tout à fait. Mais, parallèlement, lorsque les États
s’affaiblissent ou sont contestés, ils laissent la place à des guerres civiles ou
inter-ethniques encore plus sanglantes. Il n’y a donc pas d’autre solution
que de s’attaquer aux racines réelles du mal : injustice, absence de
démocratie, inégalités, etc.

Les attentats du 11 septembre prouvent que l’invulnérabilité n’est plus


de ce monde en ces temps de globalisation. La sécurité absolue n’existe pas,
même pour les puissants, les riches et ceux dont les techniques sont
développées.
En ces temps de mondialisation, il serait vain d’espérer qu’il puisse
exister une oasis de paix dans ces nombreux conflits.
La guerre n’a malheureusement pas disparu du paysage. Elle ne sera
pas combattue uniquement par des moyens militaires ou technologiques,
mais avant tout par des moyens politiques.
J’ai voulu évoquer quelques conflits futurs éventuels, en plus de ceux
que nous connaissons par l’actualité quotidienne et tragique (Afrique,
Proche-Orient, etc.). Comprendre les racines des guerres de demain est
certainement la meilleure façon de les prévenir.
1

Le terrorisme

Les tragiques attentats du World Trade Center et du Pentagone ont


remis sur le devant de la scène la figure du terrorisme international. Avec
près de 6 000 morts au cœur même de l’hyperpuissance américaine, de
surcroît télévisé en direct, l’événement est spectaculaire et particulièrement
choquant. C’est l’effet que recherchaient les auteurs de ces attentats. Mais si
nous sommes entrés dans une phase nouvelle des relations internationales,
c’est avant tout par la révélation de la vulnérabilité des États-Unis,
insoupçonnée auparavant. Le terrorisme est, lui, un phénomène ancien.

La puissance militaire des pays occidentaux les met à l’abri des


menaces de guerre contre leur indépendance ou pour leur conquête. Ils
souffrent cependant d’une très grande vulnérabilité sur leur territoire
même : celle d’attentats terroristes. Les dégâts matériels et humains
provoqués par le terrorisme étaient considérés, jusqu’au 11 septembre 2001,
comme relativement limités dans leur étendue, mais les attentats aux États-
Unis ont montré qu’ils pouvaient prendre une ampleur considérable : tuer
des milliers de personnes et frapper des cibles jugées à l’abri de toute
menace. Comme ils l’ont prouvé, l’impact psychologique du terrorisme est
énorme. Il frappe aveuglément des populations civiles dans leur vie
quotidienne là où elles se croyaient absolument protégées – grands
magasins, bureaux, transports en commun – et reste à bien des égards, et
malgré les services de renseignement, souvent imprévisible.

Qu’est-ce que le terrorisme ?

Le terrorisme est parfois un préalable, le plus souvent un substitut, à la


guerre. Il représente une stratégie de pression exercée contre certains États.
Le but n’est ni de les vaincre ni de les conquérir, mais de les amener à
adopter tel ou tel comportement. Le terrorisme est avant tout l’arme des
pauvres ou des faibles. Ceux qui ne peuvent s’attaquer frontalement à une
grande puissance vont organiser des attentats sur son territoire ou contre ses
intérêts dans le monde pour la faire plier.
Par exemple, la Syrie, mécontente de voir que la France garantissait
l’intégrité territoriale du Liban, pays qu’elle convoitait dans les années 80 :
comme elle n’avait pas les moyens de lui déclarer la guerre, elle organisera
ou suscitera des attentats contre elle, soit par le biais des services, soit par
celui de groupes qu’elle contrôle (assassinat de l’ambassadeur français au
Liban, prise d’otages, attentats en France, etc.).
Plus récemment, le terrorisme s’est modernisé, en utilisant des moyens
plus développés lui permettant d’être plus efficace. Il bénéficie de fonds
importants, soit par diverses activités (blanchiment d’argent, trafics en tout
genre…), soit par le soutien d’États qui financent certains attentats. C’est
dans ce contexte qu’Oussama Ben Laden, milliardaire d’origine
saoudienne, est devenu le nouveau leader des activités terroristes liées à
l’intégrisme islamique ; il dispose dans le monde entier de nombreux
réseaux pouvant diffuser ses thèses par divers moyens.
Le terrorisme informatique est devenu, en quelques années à peine,
une source d’inquiétudes majeures pour les responsables politiques et
militaires occidentaux, notamment aux États-Unis. En mai 1998, le
président Bill Clinton annonça la nomination d’un coordinateur national
pour la sécurité, la protection des infrastructures et le contre-terrorisme.
Selon lui, « nos ennemis ont étendu leurs champs de bataille de l’espace
physique au cyberespace […] si nous ne prenons pas les mesures qui
s’imposent, les terroristes, criminels et régimes hostiles seront susceptibles
d’envahir et de paralyser ces systèmes vitaux, de perturber l’activité
commerciale, […] de fragiliser notre capacité de réaction en période de
crise ».
Le terrorisme, par son caractère spectaculaire, a pu être utilisé pour
frapper les opinions dans l’espoir de populariser un combat (attentats
arméniens contre les intérêts turcs, attentats palestiniens contre Israël).
Cette voie se révèle être une impasse, car la condamnation des attentats
vient vite discréditer les thèses que prétendent soutenir les terroristes.
Le terrorisme est donc une forme de communication ayant un excellent
rapport coût-efficacité. Les terroristes savent qu’ils retiendront l’attention
des médias, qui, en donnant de l’importance aux attentats et en augmentant
ainsi les peurs qu’ils suscitent, vont renforcer leur efficacité.
Ainsi, pour l’opinion publique américaine, avant même les attentats du
11 septembre, la menace terroriste était au premier plan des dangers qui
pesaient sur la sécurité des États-Unis. Pourtant, à cette époque, le
terrorisme tuait chaque année moins d’Américains que la foudre ou les
collisions de voitures avec des cervidés. On peut comprendre qu’avec
6 000 morts en un seul jour, le terrorisme soit désormais la priorité absolue
des pays occidentaux, États-Unis en tête.
Le terrorisme, qui peut être utilisé par toutes les causes (idéologies
politiques, religions, luttes pour l’indépendance), obéit à certains cycles. De
la fin du XIXe siècle à 1914, les attentats étaient le fait d’anarchistes et de
nihilistes. Entre les deux guerres mondiales, le terrorisme fut lié
essentiellement aux turbulences dans les Balkans. Depuis 1966 et l’attaque
d’un avion d’El-Al sur l’aéroport d’Athènes par un commando palestinien,
le terrorisme est lié à la situation du Moyen-Orient (90 % des attentats
d’origine étrangère commis en Europe).
Les États « sponsors » qui y ont participé sont les anciens pays de l’Est
et, jusqu’à une date récente, la Syrie et l’Iran par Liban interposé, la Libye,
l’Irak et le Yémen. Derrière les actions liées au fondamentalisme islamique
se profile l’ombre du Pakistan, de l’Arabie Saoudite, de l’Iran, de la Syrie,
du Soudan et, semble-t-il, de l’Afghanistan.

Définition du terrorisme international


Le département d’État américain a proposé une définition du
terrorisme largement acceptée :
« Le terrorisme est un acte violent prémédité, commis à des fins
politiques contre des cibles non combattantes (civils, personnels militaires
non armés et/ou pas en service, attaques contre les personnels armés et les
installations militaires sans être en situation d’hostilité militaire) par des
groupes sous-nationaux ou des agents clandestins, et dont le but est
généralement d’influencer une population ; l’expression du terrorisme
international représente le terrorisme impliquant les citoyens ou le territoire
de plus d’un pays ; un groupe terroriste est tout groupe recourant ou ayant
des sous-groupes significatifs recourant au terrorisme international. »
En France, le terrorisme a été défini, en 1991, comme « une entreprise
délibérée tendant par l’intimidation ou la violence à renverser les
institutions démocratiques ou à soustraire une partie du territoire national à
l’autorité de l’État ».

Une forme extrême d’action

Cette forme extrême d’action « diplomatique », liée au conflit israélo-


arabe, à la guerre civile libanaise et à la montée de l’intégrisme, est une
stratégie indirecte destinée à faire pression sur les pays occidentaux, sans
aller jusqu’au risque de guerre et en réduisant au minimum toute possibilité
d’identification. Les groupes écrans terroristes furent ou sont formés dans
certains pays – Pakistan, Sud-Liban, Libye, Iran – ou durant les guerres
d’Afghanistan, du Liban, de Bosnie. Ils disposent, au-delà, de liens avec
certains États, de logiques propres et peuvent passer des accords de groupe
à groupe, ce qui complique le travail du contre-terrorisme.
Comment lutter contre le terrorisme ? L’utilisation de la force armée
classique est inefficace puisque, par définition, le groupe terroriste n’a pas
d’assise territoriale précise. Les actions militaires contre les États
soupçonnés de les aider (bombardements sur la Libye en 1986 à la suite
d’un attentat contre des soldats américains ; frappes aériennes au Soudan en
1988) ou contre des groupes terroristes (frappes de missiles de croisière en
Afghanistan en 1998 contre un camp abritant le groupe d’Oussama Ben
Laden) n’ont eu qu’un impact limité sur l’action terroriste.
Le renseignement humain, l’infiltration des réseaux offrent une
réponse plus adaptée à la menace, mais cela nécessite à la fois des moyens
importants et beaucoup de temps. En France, les attentats de 1995 ont été
l’occasion de mettre en place des cellules antiterrorisme, impliquant des
services de police et des juges spécialisés. Par ailleurs, le plan Vigipirate
permet de mobiliser un nombre important de forces dans le cadre de la
sécurité civile. De telles mesures pourraient être étendues à l’Union
européenne, et d’autres États ciblés par le terrorisme pourraient en prendre
exemple.
La solution au terrorisme est aussi politique. Le processus de paix au
Proche-Orient, s’il aboutissait, pourrait supprimer l’une des principales
causes du terrorisme.
Par un curieux retournement de l’histoire, les groupes combattants, qui
ont été aidés par les États-Unis pour lutter contre l’URSS de 1979 à 1988 en
Afghanistan, sont devenus le principal vivier de terroristes. Il se développe,
par ailleurs, un terrorisme national, fait d’extrémistes, de sectes ou de
déséquilibrés (attentats à l’arme chimique de la secte Aoun dans le métro de
Tokyo en 1995 ; explosion d’un bâtiment officiel à Oklahoma City par des
extrémistes de droite aux États-Unis en 1996).
De nombreux États travaillent sur l’hypothèse d’un terrorisme
nucléaire (bombe A artisanale, stockage frauduleux de matières fissiles).
Quelques pays ont pu poursuivre des programmes nucléaires secrets, mais
au prix de contraintes financières et logistiques inaccessibles à des réseaux
terroristes.
Le risque d’utilisation par des groupes terroristes – nationaux ou
internationaux – d’armes chimiques ou biologiques pourrait s’avérer
menaçant. Enfin, il faut noter que si les groupes terroristes peuvent coopérer
ponctuellement entre eux, il n’y a pas une internationale terroriste
structurelle et unie vers un objectif commun. Mais des réseaux existent,
dont le plus important est celui d’Oussama Ben Laden.
Ce qui est encore plus dangereux, c’est que le terrorisme actuel n’est
pas directement lié à un ou plusieurs États, mais à des groupes incontrôlés,
néanmoins remarquablement organisés et disposant de moyens importants.
Quand le lien avec un État peut être établi (successivement ont été mis en
cause la Libye, la Syrie, l’Iran), il est possible de faire comprendre à ses
dirigeants qu’ils risquent gros à poursuivre dans cette voie. Et,
effectivement, dans les trois pays cités, le soutien à des actions terroristes a,
semble-t-il, pris fin. Mais comment faire entendre raison à quelqu’un
comme Ben Laden, qui n’a pas la responsabilité d’un État et se moque de sa
propre survie ?
La guerre contre le terrorisme sera longue et aura des conséquences
psychologiques importantes parce qu’elle peut peser sur notre vie
quotidienne. Elle nécessitera des mesures de sécurité, également des
moyens de riposte militaire.
Le terrorisme s’est mondialisé lui aussi. On a vu après le 11 septembre
qu’Oussama Ben Laden possédait des réseaux transfrontaliers, dont les
différents membres étaient bien intégrés dans leur pays d’accueil. Les
rumeurs sur les spéculations boursières que ces groupes auraient faites juste
avant les attentats montrent aussi qu’ils ont parfaitement intégré les modes
de fonctionnement du capitalisme international.
Les récents événements peuvent, par contre, remettre en cause l’image
d’Épinal du terroriste qui serait quelqu’un de particulièrement fruste, doté
d’un niveau intellectuel et éducatif aussi faible que sa détermination et sa
haine des autres sont fortes. Ceux qui ont réalisé ces attentats ont surpassé
l’ensemble de l’appareil de sécurité américain, ni plus ni moins.
L’enquête a d’ores et déjà permis de constater que les suspects
éventuels sont largement diplômés et qualifiés et qu’ils ont vécu au cœur
même du système auquel ils se sont attaqués. Ben Laden, le maître d’œuvre
présumé, a, pour le pire, prouvé ses talents de stratège et, parallèlement,
d’homme d’affaires avisé faisant fortune aussi bien dans des opérations
boursières que dans des trafics divers.
Mais si le monde doit se débarrasser de Ben Laden, il faut surtout créer
un environnement politique au niveau mondial, et surtout au Proche-Orient,
qui empêche que des individus puissent penser que le terrorisme est le seul
moyen d’action qui leur reste.
Le terrorisme est toujours le fruit amer d’une impasse politique.
2

Guerres de civilisation

Les attentats du World Trade Center, la menace d’un terrorisme


islamique ont remis au premier plan l’idée d’une guerre inéluctable entre
civilisations, qui opposerait le monde occidental au monde musulman.
Qu’en est-il exactement ?
Le politologue Samuel Huntington publiait en 1993, dans la
prestigieuse revue américaine Foreign Affairs, un article qui allait faire
grand bruit « The clash of civilisations », que l’on peut traduire par : la
guerre (ou le choc) des civilisations. Cet article ne proposait pas moins que
de fournir une grille de lecture universelle des conflits futurs. Il allait être
largement commenté dans le monde entier et susciter de nombreux débats.
Selon Samuel Huntington, à l’avenir les guerres opposeront non plus
les États ou les alliances d’États, mais les civilisations. Les guerres entre
civilisations seraient la dernière phase d’évolution des conflits dans le
monde moderne.

Une civilisation est une identité culturelle. Elle se définit à la fois par
des éléments objectifs (langue, religion, histoire, coutumes, institutions) et
un élément subjectif (l’auto-identification des personnes concernées, la
croyance et la volonté d’appartenir à la civilisation concernée).
Une civilisation peut englober plusieurs États, nations, comme la
civilisation occidentale qui comprend une partie de l’Europe et l’Amérique
du Nord, ou un seul comme le Japon. Elle peut inclure de nombreuses sous-
civilisations : l’Islam est composé des sous-civilisations arabe, turque et
malaise, ou encore la civilisation occidentale partagée entre civilisations
européenne et nord-américaine.
Huntington définit huit types de civilisations : occidentale,
confucéenne, japonaise, islamique, hindoue, slave orthodoxe, latino-
américaine et africaine. Les civilisations sont le fruit de l’histoire. Elles ont
été façonnées par les siècles et ne sont pas près de disparaître.

Dans le monde occidental, les guerres ont opposé, après le traité de


Westphalie (1648) – qui est considéré comme la date marquant la création
d’une Europe d’États souverains –, les rois, les princes et les empereurs
entre eux. Les armées étaient réduites, la guerre mettait en jeu des moyens
relativement limités. Après la Révolution française, les conflits ont opposé
les nations tout entières. C’est la mobilisation de tout un pays, par le biais
de l’enrôlement obligatoire. Les guerres changent d’ampleur et deviennent
plus meurtrières.
Au XXe siècle, avec l’apparition du communisme, puis du nazisme et
du fascisme, les affrontements ont eu lieu entre idéologies. Le nazisme est
vaincu en 1945 par l’alliance du communisme et des démocraties libérales,
qui vont ensuite s’opposer au cours de la guerre froide. Les deux guerres
mondiales ainsi que la guerre froide ont été des guerres civiles occidentales.
La disparition du clivage Est/Ouest et le triomphe du libéralisme dans
le monde occidental après la chute de l’URSS laissent la place à un nouveau
type d’affrontement : les guerres entre civilisations.
Cela implique des conséquences très graves pour l’avenir du monde.
En effet, les différences entre civilisations ne sont pas seulement réelles,
mais fondamentales. Elles sont le produit de siècles et de siècles d’histoire
et ne sont donc pas appelées à disparaître. Elles sont encore plus graves que
celles entre idéologies. Dans les conflits idéologiques, la question était :
« De quel côté es-tu ? » Les gens pouvaient choisir leur camp, puis en
changer. Dans les conflits entre civilisations, la question est : « Qui es-tu ? »
Et les changements ne sont plus possibles. L’affrontement n’est plus
seulement inévitable, il est par ailleurs impossible d’y mettre fin.
Aujourd’hui, les questions stratégiques sont réglées par un directoire
comprenant les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ; les affaires
économiques par un autre directoire comprenant les États-Unis, le Japon et
l’Allemagne. Les décisions prises à l’ONU ou au FMI sont le reflet des
intérêts occidentaux et sont présentées comme étant l’expression de l’intérêt
général. L’expression « communauté mondiale » est un leurre qui donne
une légitimité globale aux intérêts occidentaux.
Selon Huntington, l’axe central de la politique mondiale sera
probablement à l’avenir l’affrontement entre le monde occidental et le reste
du monde (The West Versus the Rest).
Il existe, selon lui, une connexion militaire entre monde confucéen
(Chine) et monde islamique afin de lutter contre la domination occidentale.
Le monde occidental doit donc limiter l’expression militaire du monde
islamique et confucéen en renforçant sa propre coopération, au sein de
l’OTAN, entre Américains et Européens, et incorporer l’Europe de l’Est et
l’Amérique latine.
Huntington prend pour preuve de l’existence de cette connexion
militaire confucéo-islamique les ventes d’armes chinoises à l’Irak, la Libye,
l’Algérie et l’Iran ou les ventes de la Corée du Nord à la Syrie et l’Iran.
Cette explication semble cependant un peu courte.
Pour ces pays, les ventes d’armes sont avant tout un moyen de se
procurer des devises et de faire vivre leur industrie militaire. D’ailleurs,
pour ce qui est des ventes d’armes aux pays du Proche-Orient, les États-
Unis arrivent largement en tête, sans que l’on parle pour autant d’une
connexion civilisationnelle entre Washington et les pays arabes.
La thèse d’Huntington est donc brillante, mais fausse. Elle a, certes, le
mérite de mettre en lumière l’importance des facteurs culturels et religieux
dans les relations internationales, mais cela avait déjà été fait auparavant.
Son analyse est conforme à une certaine vision des intérêts américains
après la guerre froide : conserver la tête du monde libre en l’élargissant à
l’Europe de l’Est, tout en montrant une alliance qui est dominante avec les
Européens de l’Ouest et les Latino-Américains et empêcher l’émergence de
puissances contestataires en Asie et au Proche-Orient.
Elle ne correspond cependant pas à l’examen de la réalité de la grande
majorité des guerres qui se déroulent actuellement. Pour la plupart, elles ont
lieu non pas entre civilisations mais à l’intérieur de celles-ci, comme par
exemple la guerre du Golfe qui, au départ, était une guerre entre l’Irak et le
Koweït, deux pays arabes.
Au cours des conflits, l’Irak a dû affronter une coalition qui réunissait
les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, mais aussi l’Arabie Saoudite,
la Syrie (qui appartiennent à la même civilisation que l’Irak) et le Sénégal.
La guerre la plus sanglante de la décennie a opposé les peuples Hutu et
Tutsi du même pays, le Rwanda, tous deux appartenant à la civilisation
africaine.

La guerre en ex-Yougoslavie, qui éclate en juillet 1991,


semble être l’illustration parfaite de la thèse des guerres
entre civilisations. Elle oppose, en effet, les Serbes
(orthodoxes), les Croates (catholiques et se voulant
occidentaux) et les Bosniaques musulmans. Tous ces peuples
avaient vécu paisiblement ensemble sous le régime de Tito,
qui avait voulu effacer le souvenir de la Seconde Guerre
mondiale où les Croates s’étaient alliés à Hitler pour
exterminer 600 000 Serbes.
La frontière entre Croates et Serbes n’était-elle pas déjà celle
délimitant l’Empire romain d’Occident ? Aussi, pour
Huntington, de même que la guerre d’Espagne de 1936 était
annonciatrice de la Seconde Guerre mondiale en impliquant
fascisme, démocraties libérales et communisme, la guerre en
Bosnie est annonciatrice des guerres de civilisation.
Pourtant, même cet exemple emblématique ne convainc pas
totalement.
Serbes et Croates ont la même langue, des traditions proches
et sont tous slaves. La guerre qui les oppose est sans doute
un moment de leur histoire, mais n’est pas nécessairement la
préfiguration de leur avenir. Ils peuvent tout à fait se
réconcilier, comme l’ont fait les Allemands et les Français
après la guerre.

L’une des plus grandes menaces de conflit à l’heure actuelle concerne


la Corée du Nord et la Corée du Sud, qui à l’évidence appartiennent à la
même civilisation.
La plupart des conflits actuels dans le monde sont des guerres civiles,
qui sont dès lors très difficilement présentables comme des guerres de
civilisation. On peut également reprocher à Huntington une théorie trop
déterministe. L’affrontement est inéluctable, il faut s’y préparer. Mais à agir
ainsi, n’y a-t-il pas un risque d’aider à réaliser ce que l’on affirme craindre ?
Huntington oublie qu’il n’y a pas UN mais DES islams, comme l’ont
prouvé les guerres du Golfe, dont la première a opposé Perses iraniens et
Arabes irakiens, puis la seconde l’Irak et une coalition dirigée certes par les
Américains, mais où, à côté des Européens, figuraient les Saoudiens, les
Syriens et les Koweïtis. L’Islam est pluriel, constitué de sous-blocs culturels
(Arabes, Turcs, Malais, Persans) chiites et sunnites, modérés et radicaux.
Par ailleurs, la thèse de civilisations se groupant en blocs semble peu
crédible. Si les États-Unis ont bien la vocation affirmée de dominer la
civilisation occidentale, on voit mal quel serait le leader du monde
musulman. Les civilisations ont-elles enfin la capacité d’agir comme des
acteurs autonomes, à l’instar des États ? Qui est en mesure de les
représenter sur la scène internationale ou d’agir en leur nom ?
La destruction des tours du World Trade Center et l’attaque sur le
Pentagone sonnent-elles le début d’une guerre entre l’Islam et le monde
occidental ? C’est sans doute ce qu’aurait souhaité Ben Laden, qui n’aurait
pas été mécontent de voir les États-Unis riposter de façon massive contre
plusieurs pays musulmans. Mais si quelques commentateurs imprudents ont
présenté ainsi les choses du côté occidental, les responsables politiques – à
l’exception de l’Italien Berlusconi qui a cru bon de célébrer la suprématie
de la civilisation occidentale sur le monde islamique – ont voulu éviter tout
amalgame entre les terroristes (qui pour être musulmans ne représentent pas
le monde musulman) et les musulmans.
La thèse de la guerre des civilisations a, de plus, un caractère
déterministe.
Les civilisations peuvent aussi bien coopérer que s’affronter selon les
décisions politiques qui seront prises. Si une guerre entre civilisations a
lieu, ce ne sera pas parce que cela est écrit à l’avance, mais parce que la
volonté politique de coopération n’aura pas prévalu. Les radicaux
islamiques menacent en fait tout autant leurs propres gouvernements
modérés que le monde occidental. Des extrémistes sont par exemple au
pouvoir avec les talibans (autrefois aidés par les États-Unis) en
Afghanistan. Comment ne pas voir que les premières victimes sont les
Afghans eux-mêmes, privés de tout droit d’expression et de liberté ?
Affirmer qu’une guerre inéluctable va avoir lieu entre musulmans et
Occidentaux revient à faire injure à tous les musulmans modérés, qui sont la
majorité, et ne peut que servir les buts des ultras qui présentent les
Occidentaux comme des ennemis. Il faut donc à tout prix éviter les
amalgames dangereux qui ne peuvent que contribuer à réaliser ce que l’on
dit craindre.
3

Guerres de religion

Lorsque l’on parle aujourd’hui de guerres de religion, on évoque


principalement un conflit possible entre le monde musulman et le monde
occidental, conception qu’ont encouragée certains dirigeants politiques ou
commentateurs après les attentats du 11 septembre 2001 par l’utilisation
d’un vocabulaire à connotation religieuse. Ainsi serait-il question
aujourd’hui de « croisade », qu’ils mèneront à bien grâce à « l’aide de
Dieu », répondant ainsi aux appels à la guerre sainte contre les infidèles
lancés par les islamistes radicaux. Mais une telle vision aussi manichéenne
que spectaculaire ne correspond cependant pas à l’opinion de la grande
majorité des populations qui se réclame d’une religion.

Pour comprendre la complexité des conflits fondés sur des divergences


d’ordre religieux, il convient de revenir sur l’histoire et les caractéristiques
des différentes religions, que l’on a souvent qualifiées d’« opium des
peuples ».
Le conflit que connaît l’Irlande du Nord peut certes être présenté
comme l’opposition entre catholiques et protestants, ce qui ramène aux
modèles des guerres de religion qu’a connues l’Europe aux XVIe et
XVIIe siècles. La guerre en ex-Yougoslavie a mis face à face croates
catholiques et serbes orthodoxes. On peut également trouver une dimension
religieuse dans l’opposition Inde/Pakistan ou Israël/pays arabes. Mais dans
ces conflits, en fait, la dimension politique est toujours plus importante que
la dimension religieuse, quand bien même cette dernière serait plus visible.
Mais au début du XXIe siècle, les commentaires à propos d’une éventuelle
guerre de religion évoquent surtout la crainte qu’éprouve le monde
occidental à l’égard de l’islamisme radical. Crainte qui a récemment été
renforcée par les attentats contre le World Trade Center.

Principales religions
L’Église catholique s’est répandue sur la planète à la faveur
des colonisations française, espagnole et portugaise. C’est la
seule religion à disposer d’un État, le Vatican, qui a
d’ailleurs une mission d’observation auprès des Nations
unies.
Les Églises protestantes sont organisées en ensembles
transnationaux, elles ne disposent pas d’un centre unique de
pouvoir. Elles sont très influentes en Amérique du Nord, en
Europe du Nord, dans le monde germanique, les îles
Britanniques et les îles du Pacifique.
L’orthodoxie (« conforme au dogme ») est née du schisme
d’Orient en 1054. Elle est présente dans le monde slave et
les Balkans.
L’Islam (« soumission » en arabe) connaît une expansion
continue depuis le XIIIe siècle. Né dans les pays arabes, il
les déborde largement. L’Indonésie, le Pakistan et le
Bangladesh sont des pays musulmans, soit sunnites, soit
chiites.
Les juifs disposent depuis 1948 d’un État, mais ils sont
quatre fois plus nombreux en dehors d’Israël. Le judaïsme,
par ailleurs, ne saurait être résumé à une religion, puisque de
nombreux juifs sont laïcs.
Le bouddhisme est présent en Asie, mais il suscite un
mouvement de sympathie et de curiosité dans le monde
occidental.
La religion hindouiste reste concentrée en Inde et au Népal.

Le Djihad
Signifiant « effort sur le chemin de Dieu », le Djihad est mis
en pratique dans une guerre sainte. Mais, contrairement à
une croyance répandue, cette guerre n’est pas menée contre
des infidèles, que Mahomet au cours de sa vie s’est employé
à convertir. Le problème est que, selon les versets, le Coran
donne un sens différent à cette guerre. Certains invitent à
l’offensive, d’autres à la défensive, d’autres encore à la seule
persuasion.
Le Djihad est de l’ordre de l’obligation communautaire et
non individuelle, tout croyant y est tenu si l’Islam est
attaqué. Quiconque meurt dans ce combat devient un shahid,
un « témoin » assuré du salut éternel.
Toute guerre contre des non-musulmans ne peut cependant
pas être tenue pour Djihad : il faut qu’elle soit motivée par
des buts religieux. Ainsi, certains réformistes ont expliqué
que la lutte armée n’est que l’un des aspects du Djihad.
L’obligation de propager l’Islam passe donc pour l’essentiel
par la prédication, mais la lutte est légitime si un pays résiste
ou refuse.
Compte tenu de la multiplication des autorités pouvant
inviter à prendre les armes pour la défense ou la propagation
de l’Islam, le Djihad est difficile à cerner.
L’Islam fait peur, car il est souvent associé à la figure du
fondamentaliste. Il est non seulement perçu comme une contestation
radicale de la domination occidentale sur la planète, mais également comme
la critique des valeurs qui fondent ce monde occidental : démocratie,
alternance politique, dialogue, statut de la femme, droits de l’homme…
La révolution iranienne de 1979, avec ses foules immenses proclamant
leur haine des Américains, allant jusqu’à la prise d’otages des diplomates
de l’ambassade américaine – ce qui niait le plus ancien des principes
acceptés dans le cadre des relations internationales, à savoir le respect des
représentants et envoyés des autres nations –, contribuait à dégrader l’image
de l’Islam.
L’assassinat, par un extrémiste, du président Sadate, coupable d’avoir
fait la paix avec Israël, la guerre du Liban et ses cortèges d’horreurs – et là
encore la prise en otages de journalistes et diplomates occidentaux –, le
développement d’attentats terroristes en Europe, l’image de « fous de
Dieu » prêts à tout, y compris à sacrifier leur vie, tout cela a contribué à
forger l’image d’une opposition irréductible entre le monde occidental et le
monde musulman.
Ce monde est rapidement analysé comme obscurantiste, non
démocratique, pour ne pas dire dictatorial. Les islamistes sont perçus
comme des terroristes s’ils sont dans l’opposition et comme des dictateurs
lorsqu’ils sont au pouvoir, appliquant une conception archaïque de la justice
rendant licite la lapidation ou l’amputation de ceux qui sont jugés
coupables.
Les réminiscences des invasions arabes en Europe au VIIIe siècle, le
souvenir en France de la guerre d’Algérie nourrissent les craintes. Pour
beaucoup, le fondamentalisme musulman devient rapidement la menace
principale à la paix globale et à la sécurité, remplaçant la menace
communiste disparue après l’implosion de l’Union soviétique.
Un secrétaire général de l’OTAN, le Belge Willy Claes, a été jusqu’à
déclarer en 1993 à un journal allemand :
« Le fondamentalisme islamique est aussi dangereux que l’était le
communisme : le fondamentalisme et la démocratie ne peuvent pas être
réconciliés, mais l’OTAN peut contribuer à contrecarrer la menace que
représente l’extrémisme islamique car elle est beaucoup plus qu’une
alliance militaire. »
Cette menace est d’autant plus grande que les dirigeants islamistes
sont soupçonnés de ne pas partager la même rationalité que les
Occidentaux, contrairement aux Soviétiques qui raisonnaient selon les
mêmes critères.
Les attentats-suicides qui se sont récemment multipliés avec le
déclenchement de la seconde Intifada, puis au cœur de la puissance
américaine, le 11 septembre 2001, prouvent que la pulsion de martyr est
glorifiée et donc dangereuse ; le recours au terrorisme, les appels au Djihad
(guerre sainte) font peur. La volonté de certains pays musulmans de se doter
d’armes de destruction massive (nucléaires, biologiques ou chimiques) et de
missiles balistiques suscite le spectre d’arsenaux nucléaires qui ne
serviraient plus à la dissuasion mais bien à la destruction.
Mais le danger du radicalisme religieux ne concerne pas que les
musulmans, même si leur contestation apparaît comme plus spectaculaire
parce qu’elle remet en cause l’état actuel du monde dominé par les
Occidentaux.
En Israël, de nombreux citoyens s’inquiètent de l’emprise croissante
des religieux sur leur vie quotidienne. Ces extrémistes, rejetant le processus
de paix avec les pays arabes, refusent le principe de la restitution des
territoires occupés illégalement par Israël depuis 1967 en échange de la
paix, notamment avec les Palestiniens. Selon eux, ces territoires sont sacrés
et appartiennent historiquement au peuple juif. Les plus extrémistes
n’hésitent pas à prôner l’expulsion de tous les Palestiniens pour conserver la
totalité des territoires. Ils n’hésitent pas à organiser des attentats contre ces
derniers et ont été jusqu’à assassiner le Premier ministre israélien Itzhak
Rabin, coupable à leurs yeux de dialoguer avec le leader palestinien Yasser
Arafat. Une partie de la société israélienne se mobilise par ailleurs contre
ces intégristes, car elle n’accepte pas l’ordre moral que ces derniers veulent
lui imposer.
La menace que l’Islam radical fait peser sur le monde occidental doit
être ramenée à sa juste mesure pour une série de facteurs.
– Le premier est l’extrême hétérogénéité de ce monde musulman. On
voit mal le Pakistan et l’Indonésie, très liés à l’Occident, la Turquie,
membre de l’OTAN, l’Arabie Saoudite, alliée fidèle des États-Unis,
attaquer ensemble ou avec d’autres pays le monde occidental. S’il y a risque
de conflit, c’est certainement plus entre pays musulmans, dont les rivalités
internes sont fortes, au-delà des proclamations d’unité. Le monde
musulman est trop éclaté pour avoir un leader unique capable de fédérer
l’ensemble de ces pays. Cela n’a néanmoins pas empêché la constitution
d’organisations terroristes internationales, dont la « nébuleuse Ben Laden »
fortement soupçonnée d’être à l’origine des actes terroristes du
11 septembre 2001.
– Ces pays sont, par ailleurs, beaucoup plus faibles militairement que
les pays occidentaux. Seul le Pakistan possède un arsenal nucléaire
rudimentaire, qui peut lui servir de force de dissuasion à l’encontre de
l’Inde, mais avec lequel il serait incapable de menacer un pays occidental.
Même si de nombreux pays musulmans veulent se doter de missiles
balistiques, ceux-ci restent de faible portée et en nombre très réduit. La
guerre du Golfe a donné une idée de la disproportion entre l’arsenal irakien
– dont l’armée était présentée bien à tort avant le déclenchement du conflit
comme la quatrième du monde – et celui des États-Unis.
– Enfin, l’islamisme radical est avant tout une menace pour les pays
musulmans, comme l’extrémisme juif est une menace pour Israël.
Les conflits ne peuvent pas s’expliquer par le seul facteur religieux. Il
peut y avoir des guerres entre peuples ou nations appartenant à des religions
différentes, de même qu’il y en a – plus nombreuses – opposant peuples et
nations croyant dans le même Dieu.
Une guerre entre blocs religieux relève plus du fantasme que de la
réalité. Les espaces religieux sont très souvent divisés et fragmentés (Islam,
chiite ou sunnite, orthodoxie hellénique ou slave, catholiques progressistes
ou intégristes, etc.). Néanmoins, les événements récents survenus aux États-
Unis réaniment cette hypothèse de guerre entre blocs religieux encouragée
par la multiplication des appels à la violence et à l’accomplissement de la
guerre sainte.
En tant que telles, les religions ne sont pas le facteur majeur du
déclenchement d’un conflit. Mais, ajoutées à d’autres rivalités (sociales,
nationales, politiques, ethniques, économiques, etc.), elles peuvent
contribuer au déclenchement du conflit. En effet, les poches de
paupérisation se multiplient et la conception de l’existence se résume
souvent à un choix entre la prison et le sacrifice pour une cause jugée
« noble ». La religion est souvent mise en avant, mais en fait ce sont avant
tout des revendications politiques qui sont exprimées.
4

États-Unis/pays musulmans

En frappant le Pentagone et en détruisant le World Trade Center,


Oussama Ben Laden espérait peut-être une réaction militaire immédiate et
massive des États-Unis sur un ou plusieurs pays musulmans. Il aurait ainsi
réussi à créer les conditions d’affrontement entre le monde musulman et
Washington.

Les relations entre les États-Unis et le monde musulman, qui est loin
de former un tout cohérent, sont en fait très complexes et remplies de
contradictions.
D’une part, les opinions publiques musulmanes, et principalement
arabes, reprochent aux États-Unis d’être extrêmement liés à Israël, d’avoir
été à ses côtés dans toutes les guerres qui l’ont opposé à ses voisins, de lui
fournir une aide économique et militaire considérable, et de ne pas faire
pression sur le gouvernement israélien pour qu’il restitue les territoires
palestiniens occupés depuis 1967 ou pour qu’il améliore le sort de la
population palestinienne. Elles déplorent que les États-Unis, si prompts à
punir le non-respect du droit international par l’Irak lorsque ce dernier a
envahi le Koweït, protègent Israël, qui lui aussi occupe illégalement la
Cisjordanie et la bande de Gaza.
Ce blâme est encore plus vif depuis le déclenchement de la seconde
Intifada, en septembre 2000. Il est également reproché aux États-Unis de
maintenir des sanctions contre l’Irak qui ont pour effet non pas d’affaiblir
Saddam Hussein, mais de faire cruellement souffrir la population irakienne
(les chiffres de 500 000 à 1 million de morts dus à l’embargo sont parfois
avancés). Enfin, certains ne pardonnent pas à Washington d’être présent
militairement, depuis la guerre du Golfe, en Arabie Saoudite où sont situés
les lieux saints de l’Islam.
D’autre part, les États-Unis sont également alliés à de nombreux pays
musulmans, qui apprécient la protection de la superpuissance militaire
américaine (l’Arabie Saoudite tout comme les monarchies du Golfe arabo-
persique font largement appel aux États-Unis pour équiper leurs armées).
Le grand danger est une coupure de plus en plus profonde entre des
gouvernements liés aux États-Unis et des populations de plus en plus
hostiles à ces derniers ; c’est ainsi que les attentats du 11 septembre, s’ils
ont été unanimement condamnés (à l’exception de l’Irak) par les
gouvernements arabes, n’ont pas suscité chez les populations de ces pays
une vive émotion mais plutôt de l’indifférence, quand ce ne fut pas un
plaisir mal dissimulé.

Les États-Unis ont des relations stables et étroites avec la majorité des
quinze pays musulmans les plus peuplés :

pays sont ainsi des alliés stratégiques des États-Unis : en Afrique


(Maroc, Égypte), en Eurasie (Turquie, Ouzbékistan), dans le Golfe
(Arabie Saoudite) et en Asie (Indonésie). Le Pakistan, quant à lui,
entretient des relations plus heurtées avec les États-Unis, notamment à
cause des essais nucléaires et de la question des talibans. Ces pays
regroupent à eux seuls plus de 65 % des musulmans du monde.
pays sont des partenaires – officiels ou non – économiques et
politiques des États-Unis : en Afrique (Algérie) et en Asie
(Bangladesh, Malaisie, Kazakhstan).
pays sont en relations conflictuelles avec les États-Unis : l’Irak,
l’Iran, le Soudan, la Libye. Cependant, l’élément religieux n’est
instrumentalisé que dans les deux derniers, le conflit Irak/États-Unis
relevant d’intérêts stratégiques (lutte contre la prolifération des armes
de destruction massive ; préservation des intérêts pétroliers des pays
du Golfe, notamment de l’Arabie Saoudite, ainsi que d’Israël). Après
les attentats du 11 septembre, on peut observer un certain
rapprochement avec ces pays, à l’exception de l’Irak qui reste
diabolisé.

L’exemple des attentats contre les ambassades américaines au Kenya et


en Ouganda en août 1998 est symbolique des relations paradoxales que les
États-Unis entretiennent avec la « mouvance » intégriste islamique.
L’instigateur des actions terroristes est ainsi un ancien « partenaire » des
services américains ; ceux-ci ont assuré son financement et son équipement
durant le conflit afghan. Par ailleurs, les principaux soutiens à Ben Laden
semblent provenir de responsables saoudiens proches de la famille royale.
Enfin, les talibans, soutenus directement par le Pakistan (et par les
compagnies pétrolières américaines), protègent les installations et camps
d’entraînement des groupes de Ben Laden.
De ce point de vue, les attentats du 11 septembre 2001 marquent une
rupture radicale dans ces relations ambiguës.

Si les relations avec les dirigeants des principaux pays musulmans sont
dans l’ensemble plutôt bonnes, il n’en va pas de même à l’égard des
populations qui majoritairement contestent la proximité de leur propre pays
avec Washington. Elles estiment que la politique américaine privilégie
Israël et ne prend pas en compte les aspirations des musulmans.
L’islamisme radical se nourrit de cette critique des liens entre les dirigeants
des pays arabes et Washington, estimant que les gouvernements trahissent
les intérêts des peuples musulmans au profit de la consolidation de leur
pouvoir personnel.
PORTRAIT

Oussama Ben Laden


Oussama Ben Laden est né en 1958 dans un milieu
privilégié : son père, Muhammad Awad Ben Laden, était
l’une des plus grosses fortunes d’Arabie Saoudite.
Il fait des études de commerce à Riyad, puis à Londres, mais
le véritable tournant de sa vie se situe au moment de
l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques, en 1979.
Alors qu’il n’a pas 22 ans, Ben Laden s’engage dans la
guérilla et finance la construction de camps d’entraînement
en Afghanistan et au Pakistan, camps également aidés par la
CIA.
Après la guerre, il retourne en héros en Arabie Saoudite, où
il se brouille rapidement avec la monarchie conservatrice. Il
s’oppose en effet violemment à l’arrivée des Américains en
1990, au moment de la guerre du Golfe, et lance une guerre
de « libération » des territoires saints (l’Arabie Saoudite
renfermant les deux lieux les plus sacrés de l’Islam : Médine
et La Mecque) contre « les juifs et les croisés », tout en
critiquant la corruption économique et morale de la famille
royale.
Expulsé du pays en 1996, il se réfugie d’abord à Khartoum,
où sont regroupés de nombreux vétérans de la guerre
afghane qui vont devenir le noyau de sa milice personnelle,
puis en Afghanistan sous la protection des talibans. Les
camps d’entraînement hérités de la guerre sont devenus de
véritables écoles du terrorisme islamiste, certains groupes
étant particulièrement actifs, comme l’Organisation
égyptienne du Jihad islamique, qui est suspectée d’avoir
commis l’attentat contre le président égyptien Hosni
Moubarak, en 1995. Plus récemment, les deux attentats
contre des ambassades américaines à Nairobi et à Dar es-
Salam, en 1998, s’inscrivent dans cette mouvance, même si
l’implication de Ben Laden n’est pas claire. Toujours est-il
que le mystère qui l’entoure s’en est trouvé renforcé, à savoir
l’image d’un terroriste apatride utilisant les techniques les
plus modernes et retournant contre l’Occident ses propres
armes.
Les sanglants attentats du 11 septembre 2001 et leurs
probables conséquences géopolitiques marquent le début de
la traque à l’égard de Ben Laden et de la mise à mal de ses
réseaux.

Une guerre générale entre une coalition des pays musulmans et les
États-Unis n’est donc guère envisageable du fait des liens étroits de la
plupart de ces pays avec Washington et du fait des divergences, rivalités et
différences entre les pays musulmans qui en aucun cas ne forment un bloc
uni. Il peut par contre y avoir des attaques contre la présence ou les intérêts
américains dans les pays musulmans (cela a été le cas au Soudan ou en
Libye) et bien sûr sur le sol américain même, comme cela s’est manifesté à
son paroxysme le 11 septembre 2001.
5

États-Unis/États parias

Une nouvelle catégorie de pays est apparue au cours des années 90,
celle des « États bandits » ou « États voyous », traduction de l’expression
américaine Rogue States. C’est ainsi que sont définis les États dangereux
pour Washington. En 2000, Madeleine Albright, alors secrétaire d’État
américain, a proposé de changer cette appellation au profit de States of
Concern, moins agressive, mais qui note l’intérêt tout particulier que
Washington porte à ces régimes. Mais malgré tout, les Rogue States
continuent à se sentir directement visés par les autorités américaines et
alimentent les débats sur les propositions de politique de défense.

L’ordre international

La disparition de l’Union soviétique a fait perdre aux États-Unis un


adversaire à leur mesure. Le combat que les États-Unis menaient contre
l’URSS était double. Il y avait tout d’abord un défi stratégique à relever :
l’URSS avait atteint la parité stratégique avec les États-Unis au début des
années 70 (elle avait réussi à égaler le potentiel militaire américain en y
consacrant, il est vrai, l’essentiel de ses ressources) et constituait une
menace crédible sur le plan géopolitique. Le second était politico-moral : vu
des États-Unis, le régime soviétique était la négation totale du système
politique américain. Régime libéral contre régime dictatorial, liberté des
individus contre toute-puissance de l’État, etc. Le régime soviétique devait
donc être combattu, non seulement par intérêt, mais également au nom de la
morale.
Depuis le président Wilson, pendant la Première Guerre mondiale, les
États-Unis ont toujours mis en avant des aspirations morales pour l’ordre
international (droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, démocratie, etc.)
qu’ils opposaient volontiers au cynisme ou à la Realpolitik européenne, au
règne de la force brutale et de la volonté des puissances.
Après la disparition de l’URSS, l’argument moral ne trouve plus la
même justification. Il n’y a plus UN État que l’on puisse soupçonner de
vouloir dominer le monde au nom d’une idéologie messianique.
Quels sont les États que l’on peut condamner au nom de la morale
dans les années 90 ? Il va s’agir d’États coupables de comportements
irréguliers ne répondant pas aux normes admises par la communauté
internationale. Ce sont ceux qui mettent en pratique une politique
expansionniste à l’égard de leurs voisins ou agressive à l’égard de
démocraties (par le biais du terrorisme, de la promotion du trafic de
drogue), ceux qui violent de façon flagrante les droits de l’homme.
Pour qualifier ces États, les Américains ont développé la catégorie des
Rogue States (Rogue signifie en anglais « gredin » ou « voyou »). Mais, en
français, ce terme – tout comme celui des États bandits, parfois utilisé –
n’est finalement que faiblement péjoratif. Aussi retient-on désormais la
qualification d’États truands, qui implique une condamnation plus
vigoureuse, et donc légitime une action plus musclée contre ceux qui sont
ainsi désignés pour tenir compte de l’ampleur du danger qu’ils représentent.
L’idée est bien de désigner ces États comme étant des États hors la loi,
ce qui devrait rendre licites leur jugement et leur punition.
Le problème est bien entendu qu’il est très difficile de déterminer non
seulement qui entre dans cette catégorie d’État truand, mais surtout qui est
habilité à établir une telle liste.
Les dirigeants américains citent régulièrement comme faisant partie de
cette liste des États comme Cuba, l’Iran, l’Irak, la Libye, le Soudan, la
Corée du Nord, la Yougoslavie. Mis à part le cas de cette dernière, où on a
employé la force pour que les troupes yougoslaves quittent le Kosovo, les
sanctions mises en place par les États-Unis se limitent à des sanctions
économiques, supposées faire fléchir les États bandits et les amener à
adopter un comportement plus respectueux des standards universels.
Cette arme des sanctions économiques montre cependant rapidement
ses limites.
Tout d’abord, soit parce qu’elles n’affectent que modérément
l’économie des pays visés – qui trouvent facilement d’autres débouchés ou
d’autres sources d’approvisionnement –, soit parce que, si elles ont un effet,
c’est plus sur la population civile des pays concernés que sur les dirigeants.
Or l’État bandit étant par nature dirigé par un dictateur, la population civile
ne peut être tenue pour responsable des agissements de ses dirigeants.
Ceux-ci ne se souciant d’ailleurs que fort peu du sort de la population.
Ensuite, parce que les sanctions économiques sont le plus souvent
décrétées unilatéralement par Washington, sans concertation avec les autres
acteurs économiques majeurs que sont les Européens ou les Japonais. Ces
derniers se sentent dès lors libres de ne pas les appliquer. Il s’ensuit dès lors
des polémiques au sein du club des pays industrialisés.

Le cas de l’Iran
Les relations entre Téhéran et Washington sont tendues
depuis la révolution islamique de 1979 et l’affaire des otages
qui l’a suivie. En août 1996, le Congrès votait l’Iran-Libya
Act, sanctionnant les relations commerciales avec ces deux
États, à partir d’un texte de loi. Entre-temps, l’amélioration
de la situation politique en Iran, avec le gouvernement
Khatami, a confirmé le retour de l’Iran sur la scène
internationale. Cela n’a pas empêché le Congrès de
reconduire la loi en août 2001, avec une clause selon laquelle
le président américain se donne le droit de proposer à
nouveau le texte aux parlementaires en 2003, ce qui fait
penser que Washington envisage de reconsidérer ses
relations avec l’Iran si ce dernier accepte de dénoncer le
terrorisme, de reconnaître Israël et de renoncer à acquérir des
armes de destruction massive. La lutte contre les talibans,
dont l’Iran est également un adversaire, devrait permettre
d’accélérer le rapprochement entre Téhéran et Washington.

Enfin, la définition même de Rogue States laisse à désirer. Ces pays ne


sont certes pas des modèles de démocratie, mais il y a de nombreux États
sur la planète qui, en ce domaine, ont des références encore plus mauvaises
en la matière tout en ayant de très bonnes relations avec Washington. Le
non-respect des droits de l’homme n’est donc pas le véritable critère de la
définition de Rogue States. Par exemple, et malgré une situation interne
catastrophique, l’Afghanistan dirigé par les talibans ne faisait pas partie de
la liste des Rogue States avant les attentats du 11 septembre 2001.
Cela permet par ailleurs aux États-Unis de donner un aspect moral ou
légitime à leur lutte contre ceux qui leur paraissent être les trublions de
l’ordre international. Sont exclus de cette liste des États qui contestent la
suprématie américaine mais qui sont déjà ou encore de véritables
puissances (Chine, Russie) ou des pays qui ne respectent pas les droits de
l’homme mais ne contestent pas pour autant le leadership américain sur les
affaires mondiales (leur liste serait trop longue à énumérer).
À plus y réfléchir, on voit bien ce qui peut unir ces pays et expliquer
qu’ils soient mis dans la même catégorie malgré leur grande diversité. Si
ces pays ont parfois eu un comportement national ou international
critiquable, ils ont surtout en commun de s’être tous dressés contre
Washington. Ils ont tous, dans leur région ou à une échelle mondiale,
critiqué la suprématie américaine et l’ont combattue par des moyens
violents : exportation de la guérilla en Amérique latine par Castro dans les
années 60, installation à Cuba de fusées soviétiques en 1961, attentat
régional par la Libye contre les intérêts américains, guerre du Golfe par
l’Irak, etc.
Longtemps après que cette contestation de l’ordre américain par la
force a cessé, la rancœur de Washington subsiste. Ces pays sont également
dirigés par des leaders forts qui ont été diabolisés et présentés comme
l’archétype même du dictateur.
6

Guerres nucléaires

Imagine-t-on les conséquences que pourrait avoir la possession par


Ben Laden d’armes nucléaires ? La conjonction de l’arme de destruction
par excellence et de celui qui est présenté comme l’adversaire le plus
déterminé du monde occidental suscite l’angoisse.

Avec l’arme nucléaire, l’humanité a été mise en possession de sa


propre mort. Si la planète a survécu à toutes les guerres, y compris
mondiales, qu’elle a subies, chacun a conscience qu’elle serait anéantie par
la Troisième si celle-ci était nucléaire.
Lancés dans une formidable course aux armements, qui les a conduits
à posséder chacun 13 000 armes nucléaires déployées, et autant en réserve,
Moscou et Washington avaient de quoi faire sauter trente à quarante fois le
monde. Mais, conscients de leurs responsabilités, ils ont toujours évité,
depuis 1945, d’utiliser ces armes, dont ils savent qu’elles pourraient les
entraîner au-delà de l’irréparable.
Lorsque le général MacArthur demanda au président Truman d’utiliser
des armes nucléaires pendant la guerre de Corée, celui-ci refusa. Les deux
superpuissances ont par la suite toujours évité que les conflits dans lesquels
elles étaient directement ou indirectement engagées ne conduisent à leur
emploi.
Le risque d’utilisation augmente lorsque d’autres États rejoignent le
club nucléaire. C’est pour cela que les deux supergrands vont tout faire pour
limiter la prolifération des armes nucléaires, y compris chez leurs alliés.
Malgré cela, la Grande-Bretagne, puis la France et la Chine rejoignent
le club atomique, étendant le nombre des puissances nucléaires à cinq au
moment de la signature du Traité de non-prolifération (TNP), en 1968. Par
ailleurs, l’Inde, le Pakistan et Israël deviennent des puissances nucléaires
clandestines.
Dans les années 70, la crise pétrolière conduit de nombreux pays à se
doter d’équipements nucléaires pour produire de l’électricité. On craint
qu’ils ne détournent cette technologie à des fins militaires (Argentine,
Brésil, Chili, Afrique du Sud, Iran, Irak, Taiwan, Corée du Sud et du Nord,
etc.). Au cours des années 90, la plupart de ces États déclarent renoncer
définitivement à toute tentative d’acquisition d’armes nucléaires et
acceptent de se plier aux règles et aux contrôles des traités internationaux.

Aujourd’hui, la prolifération nucléaire reste une menace importante,


mais le nombre d’États soupçonnés de chercher à s’en doter a
considérablement diminué, et les contrôles se sont intensifiés pour prévenir
des fuites et éviter des transferts de matières fissiles. Le spectre d’un monde
qui compterait une trentaine d’États nucléaires, avec les risques de
déclenchement accidentel de guerre atomique, fait froid dans le dos.
Finalement, la plupart des pays vont abandonner leur programme militaire.
La peur de la prolifération nucléaire n’est cependant pas tout à fait
éloignée. Un pays peut essayer de fabriquer clandestinement l’arme
nucléaire tout en étant adhérent du TNP. C’est ce qu’avait d’ailleurs fait
l’Irak qui était près de posséder l’arme nucléaire lorsqu’il a déclenché la
guerre du Golfe. On imagine ce qui aurait pu se passer si Saddam Hussein
l’avait possédée avant d’envahir le Koweït.
Il y aura toujours le risque de voir un pays du Proche-Orient vouloir se
doter de l’arme nucléaire pour équilibrer l’arme israélienne.
Par ailleurs, si l’on craignait auparavant la puissance de l’URSS, c’est
désormais sa faiblesse qui effraie. La Russie a-t-elle encore les moyens de
contrôler son arsenal ? Il y a, en fait, un triple risque :
premier consiste en un risque écologique, voire militaire, que
pourrait représenter un arsenal russe mal entretenu. On peut craindre
un Tchernobyl militaire, voire le déclenchement accidentel d’une
fusée.
deuxième concerne les trafics. La corruption a pris une telle
ampleur dans le pays que le risque de ventes d’éléments ou de matières
fissiles – si ce n’est d’armes nucléaires entières – à des États hostiles
au monde occidental, voire à des groupes terroristes, est pris en
considération par les services de renseignement occidentaux.
le troisième est la fuite des cerveaux. Il y avait 100 000
scientifiques travaillant pour le complexe nucléaire militaire en URSS,
dont 2 000 à 3 000 possédaient une connaissance précise des méthodes
de fabrication de l’arme. Réduits au chômage ou sous-payés, ils
peuvent être tentés d’exporter leur savoir-faire.

Parmi les pays soupçonnés de vouloir, malgré leur dénégation, se doter


de l’arme nucléaire, l’Irak ne représente plus un danger : son programme a
été entièrement démantelé et le pays est sous contrôle permanent.
L’Iran, qui veut rejoindre la société internationale, semble ni avoir pas
intérêt, ni en posséder les moyens.
C’est en Corée du Nord que se situe la plus grave menace. Les
Coréens ont un programme avancé. Le pays, et le régime, étant au bord du
gouffre, il peut être tenté de faire un chantage nucléaire de nature à
déstabiliser non seulement la Corée du Sud mais aussi le Japon et toute
l’Asie.

La dissuasion nucléaire
Il n’y a jamais eu de guerre entre pays possédant l’arme
atomique. C’est, pour les stratèges, l’effet de la dissuasion
nucléaire. Par un curieux paradoxe, l’ampleur des dégâts que
créerait une guerre entre pays nucléaires, pouvant aller
jusqu’à leur destruction totale, voire celle de la planète, les
dissuade de la déclarer. Contre un pays nucléaire, il n’est pas
possible de faire le calcul habituel du déclenchement d’un
conflit : est-ce que je peux gagner plus que ce que je risque
de perdre à l’issue de la guerre ? Car, par définition, le risque
de pertes est total. C’est la dissuasion nucléaire qui explique
qu’au moment de la guerre froide, alors que l’Europe était
divisée et surarmée comme jamais, il n’y a pas eu de
conflits, malgré l’hostilité réciproque entre l’URSS et les
États-Unis. Chacun savait que, même vainqueur, il risquerait
de ne plus gouverner que des décombres.

Reste le cas de l’Inde et du Pakistan, États rivaux, qui ont tous deux
affiché leur capacité nucléaire en mai 1998. Mais, loin de déclencher une
guerre atomique entre eux, cela les a contraints à établir un dialogue pour
l’éviter.
Enfin, l’arme nucléaire présente une menace d’autant plus grande
qu’elle est associée à un vecteur se présentant sous la forme d’un missile
balistique, qui permet de la transporter à des distances de plusieurs milliers
de kilomètres. Or, la technologie balistique n’est pas accessible à tous, et le
nombre d’États pouvant dissuader des adversaires éloignés est encore très
limité. Par ailleurs, en cas d’attaque nucléaire faite avec des missiles
balistiques, la provenance serait immédiatement connue, et celui qui aurait
lancé l’attaque serait immédiatement détruit en représailles.

Le terrorisme nucléaire

L’utilisation des armes nucléaires par des groupes terroristes est l’un
des scénarios le plus souvent utilisés au cinéma ou dans les romans. La
réalité est cependant différente de la fiction. S’il est vrai que les
connaissances permettant de fabriquer l’arme sont largement répandues (il
est cependant exagéré de dire que l’on peut les trouver dans les
bibliothèques universitaires), la mise au point de l’arme et son utilisation
demandent des installations qui dépassent les moyens des groupes
terroristes. On ne fabrique pas une arme nucléaire dans un garage avec deux
amis ingénieurs, même si leurs connaissances du sujet sont indiscutables.
Le nucléaire militaire reste une affaire d’États et non de groupes terroristes.
Les attentats du 11 septembre montrent d’ailleurs de façon horrible qu’il
n’est pas besoin d’arme nucléaire pour commettre des dégâts extrêmement
importants.
7

Guerres chimiques

Les attentats du 11 septembre ont remis au goût du jour la menace des


armes chimiques, qui pour certains seraient à la portée des groupes
terroristes. Qu’en est-il exactement ?

Les armes chimiques sont apparues au cours de la Première Guerre


mondiale et ont été largement utilisées par les deux camps de 1915 à 1918.
Si elles n’ont pas été employées au cours de la Seconde Guerre mondiale,
les recherches se sont poursuivies, et de nombreux pays ont conservé ou
acquis des stocks importants, en dépit de la signature, dès 1925, du
protocole de Genève prohibant l’emploi de ces armes (mais pas leur
fabrication ou leur possession). Pendant la guerre froide, les États-Unis et
surtout l’URSS ont ainsi constitué des arsenaux importants, de plusieurs
centaines de milliers de tonnes.

Les différents types d’armes chimiques

Techniquement, on distingue trois grands types d’armes chimiques :


les suffocants (comme les dérivés du chlore ou phosgène) qui attaquent le
système respiratoire ; les vésicants (comme l’ypérite) qui passent par la
peau ; les neurotoxiques (comme le sarin, le tabun ou le redoutable agent
VX) qui touchent le système nerveux.
La classification militaire ou tactique, basée sur la durée de l’efficacité
au point de dispersion du toxique, repose quant à elle sur deux critères : la
« persistance » et la « non-persistance ».

« persistants », dont les effets sont contaminants pour le terrain et


le matériel (de quelques heures à quelques jours), agissent sur
l’organisme par voie percutanée et/ou par voie respiratoire sous la
forme d’aérosols, de vapeurs ou de liquides. Cette catégorie comprend,
entre autres, l’ypérite (un vésicant) et le tabun (un neurotoxique) ;
« non-persistants », dont les effets quasi instantanés visent les
combattants eux-mêmes, agissent par voie respiratoire sous la forme
de vapeurs. À ce titre, on peut citer le phosgène (un suffocant) et le
sarin (un neurotoxique).

Les attaques

Les toxiques de guerre peuvent être délivrés de nombreuses façons ; en


fonction de l’effet militaire recherché, on choisira soit la mise en place par
projectiles (obus, roquettes…) ou l’explosion de projectiles divers, soit
l’épandage par bombes larguées par des avions ou des missiles.
Ces différents moyens de dispersion et la variété des toxiques
utilisables permettent de déclencher :

« attaques d’interdiction » visant à paralyser les déploiements


massifs de troupes et de matériels ;
« attaques surprises » dans le but d’occasionner des pertes
brutales afin d’obtenir un avantage tactique.

Les précédents d’utilisation


Depuis 1945, les armes chimiques ont été employées dans des conflits
périphériques, en particulier par le régime de Saddam Hussein pendant la
guerre Iran/Irak et contre les Kurdes irakiens à Halabja en 1987-1988.
Le 16 mars 1988 des Mirage et des Mig irakiens envoient des armes
chimiques sur la ville d’Halabja, en Kurdistan irakien. 5 000 hommes,
femmes et enfants sont aussitôt tués, 250 000 civils sont contaminés. Onze
ans plus tard, un médecin livre à la Commission des droits de l’homme de
l’ONU le premier témoignage des effets ultérieurs de ce bombardement.
« Les gaz font l’effet d’une bombe à retardement qui aujourd’hui
commence à exploser, dit-elle. Cancers de la peau particulièrement agressifs
qui entraînent souvent une mort rapide, problèmes respiratoires, problèmes
de cécité, système neurologique déréglé, mutation génétique chez les
nouveau-nés, mortalité infantile de plus en plus élevée due à des leucémies
et à des lymphopénies ainsi qu’à des dysfonctionnements du cœur, un
pourcentage de cancers et de fausses couches quatre fois plus élevé que la
ville voisine… »
Les utilisations de l’arme chimique sont restées relativement peu
nombreuses, malgré la multiplication des États détenteurs. En effet, étant
donné les difficultés techniques et juridiques qui freinent l’acquisition
d’armes nucléaires, de nombreux pays du tiers-monde se sont tournés vers
ce type d’armes plus facile à produire. Aussi, les armes chimiques et
bactériologiques sont-elles les plus répandues des armes de destruction
massive. Couplée au missile balistique, une telle arme devient un moyen de
dissuasion militairement peu efficace, mais qui provoque néanmoins un
effet de terreur.
Au cours de la guerre du Golfe, en 1991, les troupes alliées ont
longtemps craint que Saddam Hussein n’utilise contre elles des armes
chimiques. Il n’en a rien été, principalement parce qu’il avait été clairement
signifié au leader irakien que, dans ce cas, une riposte nucléaire ne devait
pas être exclue et que la guerre ne se limiterait plus à la libération du
Koweït, mais à son arrestation.
Les armes chimiques obligent par ailleurs les armées qui craignent une
attaque à s’équiper en éléments de protection extrêmement lourds et
encombrants qui gênent considérablement la mobilité des soldats qui les
portent.
Le danger posé par les armes chimiques

Les armes chimiques sont terrifiantes pour plusieurs raisons :

pour leur aspect clandestin. Elles ne sont pas décelables dans l’air,
et leur présence dans des conteneurs est presque impossible à détecter.
Elles peuvent très facilement être utilisées clandestinement ;
elles provoquent la mort après des souffrances atroces, parfois
même, comme l’a montré l’exemple de la Première Guerre mondiale,
longtemps après que le conflit a pris fin ;
elles sont très faciles à fabriquer, y compris à partir d’installations
civiles.

L’arme chimique est surtout utilisée dans deux cas de figure :

première consiste à la lancer (par avion, hélicoptère ou missile)


sur des populations civiles dépourvues de toute protection. C’est ce
que fit Saddam Hussein contre les Kurdes irakiens en révolte contre le
pouvoir central de Bagdad, dans la plus parfaite indifférence de la
communauté internationale ;
seconde consiste à l’employer de manière défensive sur une ligne
de front quand les lignes de défense sont en passe d’être submergées.
Ce fut l’exemple type d’utilisation des armes chimiques au cours de la
Première Guerre mondiale ainsi qu’au cours de la guerre qui a opposé
l’Irak et l’Iran.

Le désarmement chimique
Le 13 janvier 1993 était signée, à Paris, la Convention
d’interdiction des armes chimiques. Celle-ci prévoit
l’interdiction totale des armes chimiques et la destruction des
stocks existants. Elle se donne les moyens d’assurer cette
interdiction grâce aux importants pouvoirs d’inspection
accordés à l’Organisation internationale pour l’interdiction
des armes chimiques (OIAC) installée à La Haye.
C’est la première fois qu’une catégorie entière d’armes est
interdite, et cette interdiction est assortie d’une véritable
procédure de vérification. Mais de nombreux États n’ont pas
signé le traité, notamment des pays arabes qui estiment
qu’ils ne peuvent pas renoncer aux armes chimiques tant
qu’Israël a l’arme nucléaire.

Les vents peuvent renvoyer les armes chimiques contre ceux qui les
ont lancées. Les troupes adverses peuvent s’équiper en moyens de
protection.
L’utilité militaire réelle des armes chimiques contre l’armée est de fait
limitée. Son impact psychologique est beaucoup plus important. Mais, face
à des populations civiles, l’emploi des armes chimiques provoque des effets
terrifiants.
L’utilisation des armes chimiques par une armée semble donc
improbable, car le pays qui s’y livrerait, violant la loi internationale, se
verrait durement puni. Il ne pourrait pas, en effet, dissimuler son forfait. Par
contre, l’utilisation d’armes chimiques par des groupes terroristes
clandestins ne peut être totalement exclue.
8

Guerres bactériologiques

Après les attentats du 11 septembre, les Américains ont été sous le


coup d’une nouvelle frayeur. Des terroristes ne pourraient-ils pas renouveler
une attaque contre eux, mais cette fois avec des armes biologiques ? Dans
cette hypothèse, les terroristes, après avoir répandu à partir de petits avions
des agents biologiques, auraient pu tranquillement rentrer dîner chez eux.
L’épidémie mortelle n’aurait été déclarée – période d’incubation oblige –
que quelques semaines plus tard.

En effet, les menaces d’une guerre menée avec des armes biologiques
ou bactériologiques pourraient devenir l’un des plus grands dangers pesant
sur la planète. Les armes biologiques risquent fort, avec les armes
chimiques, de devenir l’une des principales préoccupations des
responsables civils et militaires de la sécurité, ainsi que de l’opinion
publique.
Elles ont tout pour frapper les esprits. Elles possèdent tout d’abord un
caractère indiscriminé : elles s’attaquent aussi bien aux adultes qu’aux
enfants, aux hommes qu’aux femmes, aux civils qu’aux militaires. On peut
citer également le caractère clandestin de leur utilisation. Elles sont, plus
encore que les autres armes, porteuses de peur, car elles s’attaquent à la
santé, principal facteur d’angoisse dans le monde occidental. Celui-ci se
veut à l’abri de la maladie grâce aux progrès techniques – et ces mêmes
progrès permettent que surgisse une menace militaire indéterminée. On peut
encore citer le décalage entre celle-ci et le déclenchement de ses effets.

Les armes biologiques dans l’Histoire

La menace biologique n’est pas nouvelle. De l’Antiquité au Moyen


Âge, il y a de multiples exemples d’empoisonnement des puits lors des
sièges des villes, de flèches empoisonnées ou de lancement de cadavres
infectés (pestiférés par exemple) au cœur des cités assiégées afin d’y
déclencher des épidémies meurtrières. Au XIXe siècle, les Anglais
utilisèrent, en Pennsylvanie et dans l’Ohio, des couvertures contaminées par
la variole pour décimer les tribus indiennes alliées à la France. Au cours de
la Seconde Guerre mondiale, le Japon a utilisé de façon importante les
armes biologiques, soit en bombardant les villes chinoises, soit en
procédant à des expérimentations sur les prisonniers de guerre. L’URSS et
les États-Unis ont, au cours de la guerre froide, entrepris d’importants
programmes de recherche sur les armes biologiques. Une explosion à
Sverdlosk, en 1972, a provoqué une épidémie d’anthrax dans la région : il
s’agissait d’un accident survenu dans une usine d’armes biologiques.
Les armes bactériologiques ont toutes les caractéristiques de l’arme
immorale par excellence et devraient, de ce fait, au même titre que les
mines antipersonnel dans les années 90, focaliser l’attention des
associations et organisations non gouvernementales (ONG) et de l’opinion
publique internationale, si ce n’est que leur caractère invisible rend plus
difficile une mobilisation (on ne peut pas illustrer un essai d’arme
biologique par un champignon, comme pour les armes atomiques). Surtout,
pour le moment, elles n’ont pas été utilisées.

Intérêt des armes biologiques


Les armes biologiques devraient, en fait, détrôner les armes chimiques
dans l’échelle des préoccupations. Tout d’abord, parce qu’elles sont
beaucoup plus faciles à produire et à obtenir. Ensuite, parce que en réalité
les armes chimiques ont toujours eu des effets militaires limités et ne
peuvent donc pas être considérées, au sens précis du terme, comme des
armes de destruction massive. L’utilisation des armes biologiques créerait
pour sa part des dommages bien plus importants.

Les programmes d’armes biologiques sont en outre très


difficilement identifiables par rapport à d’autres projets
biologiques civils, et de très petites quantités de substances
peuvent suffire. Les armes biologiques sont moins chères et
plus faciles à fabriquer que les armes chimiques. Elles
produisent plus de dégâts que ces dernières. Tous les
équipements destinés à les produire peuvent se trouver sur le
marché économique du fait de leur caractère dual, civil et
militaire. De plus, les éléments pathogènes peuvent en partie
être isolés dans la nature.

Les armes biologiques utilisent des agents qui se présentent sous la


forme de micro-organismes vivants (bactéries, champignons,
protozoaires…), de toxines élaborées par ces derniers ou encore de
substances chimiques d’origine biologique. Les plus connus sont le bacille
de charbon bactéridien, la toxine botulinique A, le ricin, l’agent de la
tularémie, etc. Mais peuvent être aussi utilisés les agents de la variole, du
paludisme, du choléra, de la fièvre typhoïde, de la peste pneumonique.
Certains des agents employés sont extrêmement létaux, d’autres simplement
incapacitants ou modifiant temporairement le comportement. Ils peuvent
être aussi sélectifs et ne toucher que des plantes ou des animaux.
Dissimulation facile

Il n’est pas nécessaire de stocker les armes biologiques en grande


quantité (les micro-organismes se multiplient sur une période de temps très
court). Les programmes d’armes biologiques sont infiniment plus faciles à
dissimuler que les programmes nucléaires ou chimiques. Par ailleurs, les
régimes de non-prolifération d’armes nucléaires et de désarmement
chimique sont accompagnés d’un système intrusif et efficace de
vérification, ce qui n’est pas le cas de celui du désarmement biologique.
En 1993, une étude de l’Office of Technology Assessment américain
(Bureau d’évaluation technologique) établissait qu’un seul avion dispersant
100 kg d’anthrax par aérosol sur Washington, par une nuit claire et calme,
pourrait tuer entre 1 et 3 millions de personnes.

Un encadrement juridique fragile

Eu égard aux dangers que représentent les armes biologiques, une


convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du
stockage des armes bactériologiques ou à toxine fut élaborée en 1972. 159
pays l’ont signée et 141 l’ont ratifiée à la date d’aujourd’hui. Cependant,
certains pays signataires sont soupçonnés de n’avoir pas détruit leurs stocks,
voire, pour certains, de poursuivre leurs recherches (Russie, Syrie, Libye,
Corée du Nord, Israël, Chine, Iran, Taiwan, Argentine). Cela met en
exergue un des principaux problèmes de cette convention : elle ne comporte
aucun instrument de contrôle et de vérification. Des négociations ont eu lieu
pour parer à ce problème, mais elles se sont révélées extrêmement difficiles,
les agents biologiques employés étant souvent très utiles pour des
applications civiles (par exemple, en médecine, en recherche fondamentale,
en biologie). Il s’agissait alors de trouver le juste équilibre entre le besoin
d’échanges technologiques pour favoriser le développement économique et
la nécessité d’éviter tout usage néfaste de la technologie. Un accord a pu
être trouvé à l’été 2001, mais il a été rejeté par les États-Unis qui ont craint
que cela ne puisse gêner leurs industriels.
Vers une guerre bactériologique ?

La menace d’une guerre biologique ou bactériologique interétatique


semble toutefois limitée malgré l’apparente prolifération de ce type
d’armes. D’une part, pour des raisons inhérentes aux caractères des armes
biologiques, notamment leur imprévisibilité (difficulté à contrôler leur
dispersion), ou la variabilité de leur efficacité. D’autre part, les États qui
utiliseraient ce type d’armes, particulièrement contre les grandes
puissances, s’exposeraient à des représailles massives (par exemple, les
États-Unis et Israël ont menacé l’Irak d’une riposte nucléaire en cas
d’utilisation d’armes biologiques pendant la guerre du Golfe).
Dans le cadre d’une guerre « économique », les agents biologiques
peuvent être utilisés afin de causer des dommages à l’agriculture ou à
l’élevage de certains pays et par la suite exercer des pressions économiques.
Ainsi, par exemple, certains pays africains ont vu le rendement de leurs
caféiers baisser considérablement après avoir employé une substance
biologique certifiée être un substitut à l’engrais par l’organisme en charge
de ces certifications d’un des pays les plus développés au monde.
Si la menace d’armes biologiques est peu efficace contre des forces
armées, elle peut être terrible contre les populations d’un pays adverse.
La dissémination des armes biologiques ne nécessite que des moyens
rudimentaires, même si le succès n’est dès lors pas assuré. Elles peuvent
être vaporisées par avion ou hélicoptère ou, plus terrible encore, introduites
dans la distribution d’eau potable ou dans les aliments. Elles peuvent être
transportées en échappant aux détections à la frontière. C’est donc l’arme
idéale pour un attentat terroriste, d’autant plus que le temps qui s’écoule
entre le moment où un agent biologique est libéré et l’apparition de ses
effets chez les humains réduit les chances de capturer les personnes ayant
perpétré l’attentat.
Dans le cas des acteurs non étatiques, organisations terroristes
bénéficiant d’une structure importante, et pouvant disposer d’armes
biologiques, le risque de représailles est dès lors moins pertinent et ne peut
dissuader d’une éventuelle utilisation.
Toutefois, si les armes biologiques peuvent s’adapter à des vecteurs
très simples (obus, ogives de missiles, bidons d’épandage sous aéronefs),
ces vecteurs doivent être spécifiquement appropriés au transport d’agents
pathogènes. C’est pourquoi l’utilisation d’un vecteur balistique pour
délivrer une charge biologique se révèle plus complexe qu’il n’y paraît, et
n’est pas accessible à tous les acteurs, même si ceux-ci disposent des agents
biologiques.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a voulu, après les attentats
du 11 septembre, relativiser les angoisses suscitées par le risque éventuel
d’utilisation d’armes biologiques en soulignant que, pour la plupart des
pathologies, des vaccins et autres moyens médicaux existent.
9

Guerres Nord/Sud

La disparition de la menace soviétique, due à la dissolution du pacte de


Varsovie, allait-elle conduire le monde occidental à perdre son âme, faute
d’adversaire le contraignant à la vigilance ?

De nombreux commentateurs allaient, dès le début des années 90,


évoquer un autre type de menace venant se substituer à celle de l’Est
disparu : la menace venue du Sud.
Le clivage Est/Ouest ayant disparu, celui qui oppose le Nord au Sud
venait au premier plan. Le conflit n’était donc plus entre communisme et
libéralisme, mais entre le Nord industrialisé et démocratique, riche mais de
moins en moins peuplé, et un Sud pauvre, la plupart du temps doté de
régimes dictatoriaux et à la démographie galopante.
La guerre du Golfe donnait de la vigueur à cette théorie. L’Irak n’avait-
il pas osé défier la communauté internationale dirigée par les États-Unis ?
Mais ce thème de la menace du Sud est plus un mythe qu’une réalité.
Et une guerre Nord/Sud n’est guère envisageable.
Certes, les différences de richesses et de situations sont énormes et
même choquantes. Néanmoins, le Sud n’existe pas en tant que tel. Il n’y a
plus un tiers-monde cohérent et soudé. Qu’y a-t-il de commun entre un pays
riche en pétrole, dont la faible population lui assure une richesse par
habitant supérieure à certains pays occidentaux, un pays africain enclavé
sous-développé, un pays latino-américain qui se sent culturellement
occidental et un pays asiatique qui a assuré son industrialisation et son
décollage économique ? Il n’y a plus UN mais DES tiers-mondes, et le Sud
n’est pas un bloc uni, que ce soit sur les plans politique, économique et
encore moins militaire.
Ce qui faisait le danger du pacte de Varsovie, c’est qu’il était
militairement puissant et bénéficiait d’une continuité géographique formant
un ensemble ayant une frontière avec l’Europe occidentale et uni sous la
direction incontestée de l’Union soviétique. On voit mal qui tiendrait le rôle
de superpuissance du Sud, capable d’imposer sa volonté à l’ensemble des
pays du tiers-monde.

Le recul de la pauvreté a tendance à se ralentir. L’expression « tiers-


monde » vient du démographe français Alfred Sauvy, qui l’emploie pour la
première fois en 1955. Le tiers-monde se distingue du monde occidental et
du monde oriental ou communiste. Il forme un tout relativement cohérent :
pays peu à peu industrialisés, pauvres, comptant surtout sur l’exportation de
matières premières.
Géographiquement, ces pays sont situés dans l’hémisphère Sud, alors
que les pays industriels – qu’ils soient capitalistes ou communistes (c’est-à-
dire qu’ils appartiennent à l’Ouest ou à l’Est) – se situent au Nord. Au début
des années 60, à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le
développement (CNUCED) se sont constitués des groupes de pays discutant
face à face. Le groupe dit du Nord regroupe ceux de l’OCDE (pays dits
industriels à régime libéral) et des ex-Républiques soviétiques, tandis que
celui du Sud compte la Chine et les pays en voie de développement. Le
tiers-monde ne signifie plus grand-chose aujourd’hui, du fait de la diversité
de la situation des pays de l’hémisphère Sud, dont certains ont assuré leur
industrialisation et leur décollage économique, mais d’autres continuent de
stagner, voire de régresser économiquement. Malgré les nombreux appels
au dialogue Nord-Sud – discours en vogue dans les années 70 sur le nouvel
ordre économique international, censé être plus juste pour les pays pauvres
–, force est de constater que l’écart entre les riches et les pauvres (ceux qui
le sont restés) s’est accentué. Fini le temps où l’on pouvait croire que
répondant désormais au nom de pays « en développement » et non plus de
pays « sous-développés », les pays du Sud allaient progressivement combler
le fossé qui les séparait des pays riches. Alors que, dans les économies
traditionnelles, l’écart entre les niveaux de vie de la société la plus pauvre et
la plus riche variait de 1 à 4 en 1900 et de 1 à 20 en 1970, il est désormais
de l’ordre de 1 à 70.
Le ralentissement du recul de la pauvreté, amorcé dans les décennies
antérieures, commence à se faire sentir dès la fin des années 70 et, à partir
de 1985, ce recul devient négligeable, le nombre des pauvres augmentant au
même rythme que la population mondiale : 1 milliard à 1,2 milliard
entre 1985 et 1993.

L’accroissement des inégalités apparaît paradoxal au regard du bilan


économique globalement positif de la période (3,2 % de croissance par an
pour l’ensemble du monde, 3 % pour les pays industrialisés, 4,3 % pour les
pays en développement). L’accroissement de la pauvreté sur la période
résulte donc d’une répartition inégale des fruits de la croissance. À titre
d’exemple, les trois personnes les plus riches du monde possèdent une
fortune supérieure à la somme des produits intérieurs bruts des quarante-
huit pays les plus pauvres, soit le quart de la totalité des États du monde. En
1960, les 20 % de la population mondiale vivant dans les pays les plus
riches avaient un revenu trente fois supérieur à celui des 20 % les plus
pauvres. En 1995, leur revenu était quatre-vingt-deux fois supérieur. Dans
soixante-dix pays, le revenu par habitant est inférieur à ce qu’il était il y a
vingt ans. À l’échelle planétaire, 3 milliards de personnes vivent avec moins
de 10 francs par jour. Sur les 4,5 milliards d’habitants des pays en voie de
développement, près d’un tiers n’ont pas accès à l’eau potable. Un
cinquième des enfants n’absorbent pas suffisamment de calories ou de
protéines. Et quelque 2 milliards d’individus – le tiers de l’humanité –
souffrent d’anémie.
L’inégalité n’est pas un phénomène nouveau ; mais ce qui vient en
changer le panorama, c’est que les continents ne sont plus séparés par
d’énormes distances où chacun pouvait impunément ignorer ce qui se
passait à ses marges, et encore plus aux antipodes.
Aujourd’hui, le cocktail mondialisation-inégalité est explosif.
L’inégalité est moins tolérable parce qu’elle ne peut plus être cachée. En
1960, les pays riches l’étaient trente fois plus que les pays pauvres.
L’accentuation des inégalités est concomitante de la plus grande diffusion
de l’information. Les pauvres sont plus pauvres et ils le savent – ils ont une
idée plus précise de notre propre situation.

L’effet d’attraction des oasis de richesse est de plus en plus fort, parce
que de plus en plus ancré dans les consciences. Il existe d’ailleurs
également au sein des sociétés du Nord. Un haut cadre dirigeant parisien
aura les mêmes goûts, le même mode de vie, les mêmes références
culturelles que ses homologues de Singapour ou de Rio de Janeiro. Mais si
tout ce beau monde va facilement à l’autre bout de la planète dans de
confortables avions, pour être logé dans des hôtels standardisés, il ne met
plus les pieds dans ses propres banlieues. À terme, ce double clivage social
représente la plus grave source de conflits et d’explosion dans le monde.
Les pays industrialisés, épuisés par la course à la puissance qu’ils ont
menée, recherchent le confort, car le monde s’effrite sous l’effet d’une
fringale de prospérité et de consommation qui exclut vision politique et
stratégie à long terme. L’inégalité économique n’est pas une donnée qu’on
puisse changer. Si 30 millions d’individus meurent de faim chaque année, si
800 millions souffrent de malnutrition chronique, ce n’est pas que la planète
n’est pas assez grande ou pas assez riche pour nourrir tous ses habitants. Le
problème vient de l’inégalité des ressources, du poids des guerres civiles, de
la corruption de nombreux gouvernements de pays pauvres. L’explication
par la fatalité n’est pas suffisante. Selon l’ONU, pour parvenir à la
satisfaction universelle des besoins sanitaires et nutritionnels, il n’en
coûterait que 13 milliards de dollars, soit à peine ce que les habitants des
États-Unis et de l’Union européenne dépensent, par an, en parfums…
10

Guerres démographiques

L’augmentation de la population a constamment suscité des


inquiétudes pour l’avenir de la planète. La Terre sera-t-elle toujours capable
de nourrir les hommes qui y vivent, ou bien y a-t-il risque de surpopulation
débouchant sur des affrontements sanglants pour la survie ?

Au début du XIXe siècle, Malthus publiait son Essai sur la population.


Il y développait la thèse selon laquelle la trop forte croissance
démographique conduirait à l’épuisement des ressources naturelles et au
déclin de l’État qui encadre cette population.
En 1971, l’Américain Paul Ehrlich écrivit The Population Bomb, qui
prédisait de nouveau une catastrophe démographique. Les prévisions étaient
apocalyptiques : 7 milliards d’hommes en 2000, 20 en 2050 et 55 en 2100 !
Contrairement à ces prédictions pessimistes, la population mondiale a
plus que quintuplé depuis la publication du livre de Malthus, sans pour
autant qu’il y ait surpopulation.
Entre la naissance de Jésus-Christ et l’an 1000, la population mondiale
est restée stable. Dans la première partie du XIXe siècle, il y a 1 milliard
d’hommes sur Terre. Les progrès de la médecine et l’industrialisation vont
permettre de supporter sans difficulté le doublement de la population en un
siècle : il y a 2 milliards d’hommes en 1925. De 1925 à 1975, on assiste de
nouveau à la multiplication par 2 de la population mondiale, qui va
atteindre 4 milliards. En 1990, nous étions 5,3 milliards d’humains, nous
sommes 6 milliards aujourd’hui.
Les prévisions à l’horizon 2025 donnent une fourchette de 7,6 à
9,4 milliards. Une estimation réalisée par la Banque mondiale indique que
la population totale de la Terre pourrait se stabiliser entre 10 et 11 milliards
dans la seconde moitié du XXIe siècle.
L’augmentation de la population se fera essentiellement, pour ne pas
dire uniquement, dans le tiers-monde. De meilleures pratiques médicales
importées du monde occidental (vaccins, antibiotiques) vont venir diminuer
la mortalité infantile.
À l’inverse, le monde occidental connaît une chute des naissances.
Après le « Baby Boom » d’après guerre, voici venu le temps du « Baby
Krach ». Le nombre moyen d’enfants par femme a été ramené de 3,7 à 2 en
Amérique ; de 2,6 en moyenne générale en Europe à 1,5 en Europe
occidentale et à 1,3 en Europe du Sud ou de l’Est.
L’espérance de vie augmente également. Ainsi, l’Afrique, qui compte
650 millions d’habitants, devrait en compter 1,6 milliard en 2025, chiffre
qui pourrait cependant être réduit si l’on ne trouve pas rapidement de
remède au Sida.

Le problème que pose la croissance prévue de la population mondiale


est celui de sa compatibilité avec les modes et les niveaux de consommation
actuels. Contrairement au monde animal, les humains détruisent les forêts,
brûlent les combustibles fossiles, assèchent les marécages, polluent les
rivières et les océans, saccagent la terre à la recherche de minerais, de
pétrole et d’autres matières premières. Les progrès scientifiques,
notamment de la médecine, qui ont permis l’allongement de la durée de vie,
permettront-ils de trouver une solution au défi de la préservation de
l’environnement ?
Si la population du tiers-monde augmente, celle des pays développés
stagne. Aujourd’hui, la population des pays développés (mais dont un
nombre croissant est pauvre) est de 1 milliard d’habitants, face aux
4 milliards d’habitants des pays du tiers-monde.
Dans quarante ans, ce milliard de riches vieillissants pourrait être
confronté à plus de 7 milliards de pauvres. Sa place sera donc minorée.
En 2025, 6 humains sur 10 seront asiatiques (notamment chinois et
indiens), 1 sera africain, 1 appartiendra au Maghreb ou au Proche-Orient, 1
sera latino-américain et 1 européen.
Si la répartition des richesses devait rester ce qu’elle est, c’est-à-dire
profondément inégalitaire en faveur du monde occidental, se poserait alors
le problème des flux migratoires.
La différence du potentiel démographique surajoutée à une différence
de niveaux de vie, à une époque où les communications – de l’information
comme des transports – sont immédiates, va entraîner des flux migratoires
importants, inverses de ceux auxquels on a assisté au XIXe siècle. Alors
que, à cette époque, cette migration se faisait des pays développés vers ceux
qui ne l’étaient pas, les courants sont aujourd’hui inversés.
Car, comme l’écrit l’historien Paul Kennedy dans son livre Préparer le
XXIe siècle : « Si le monde en voie de développement reste pris au piège de
la pauvreté, les pays les plus développés se trouveront assiégés par des
dizaines de millions d’immigrants et de réfugiés désireux de résider aux
côtés des populations prospères mais vieillissantes des démocraties. De
toute façon, les résultats seront probablement douloureux pour le sixième le
plus riche de la Terre qui jouit aujourd’hui de manière disproportionnée des
cinq sixièmes de sa richesse. »
Car la peur que suscite la croissance de la population mondiale est
double. Elle repose à la fois sur la crainte d’une surpopulation qui rende le
monde invivable, mais aussi sur l’angoisse de voir d’autres peuples que le
sien venir le submerger démographiquement.
L’inventeur de la polémologie (étude des conflits), Gaston Bouthoul,
voyait dans la surpopulation une des premières causes de déclenchement de
conflits. Aujourd’hui, on craint que l’explosion démographique du Sud,
accompagnée du retour du religieux en tant qu’idéologie de masse, ne se
traduise par une catastrophe pour le Nord opulent.
D’un point de vue national, il est vrai que les modifications du poids
démographique de certaines communautés débouchent sur des remises en
cause radicales des équilibres précédents. Les musulmans sont ainsi
devenus majoritaires au Liban, contestant la prééminence des chrétiens
maronites. En Afrique du Sud, la minorité blanche n’a pu résister à la
pression démographique des Noirs. Mais, dans les deux cas, les causes de la
guerre civile ou d’un affrontement ne pouvaient se résumer aux seuls
problèmes démographiques. Il faut également invoquer la déstabilisation
due au conflit israélo-arabe pour le Liban, l’apartheid et sa condamnation
internationale pour l’Afrique du Sud.

Population et puissance militaire

On a souvent assimilé l’importance de la population à la puissance


militaire. La force des armées, jusqu’à la moitié du XXe siècle, dépendait
avant tout du nombre de soldats que l’on pouvait aligner. La France a pu,
aux XVIIIe et XIXe siècles, tenir tête à de vastes coalitions européennes
parce qu’elle était le pays le plus peuplé d’Europe.
Mais, de plus en plus, ce qui fait la puissance militaire aujourd’hui,
c’est la technologie. Les armes précises tirées à distance, guidées au laser,
les satellites, etc., comptent beaucoup plus dans le rapport de force militaire
du XXIe siècle que le nombre de fantassins. D’ailleurs, on assiste à un
phénomène général de réduction des forces armées au profit d’un
équipement de meilleure qualité.

La place d’un pays dans le monde a souvent été évaluée en fonction de


critères démographiques. Le déclin d’Athènes a aussi été attribué à la baisse
de la natalité et au vieillissement de la population.
À la fin du XIXe siècle, la France était angoissée par l’avancée
démographique allemande.
La réunification allemande, qui fait de l’Allemagne l’État le plus
peuplé d’Europe occidentale, a fait craindre à certains qu’elle ne
déséquilibre l’Union européenne.
La Chine fait valoir qu’elle « pèse » un cinquième de la population
mondiale. L’Inde devrait la rattraper au siècle prochain.
Mais les fortes populations peuvent aussi être des facteurs de faiblesse,
lorsque la croissance démographique est supérieure à la croissance
économique. C’est d’ailleurs pour cela que la Chine a limité le nombre des
naissances à 1 enfant par famille.
La santé économique d’un pays compte désormais plus que
l’importance de sa population.
En fait, on assiste également, dans l’hémisphère Sud, à un
ralentissement démographique, qui ne pourra que s’accélérer en cas
d’amélioration de la situation économique. Sur le continent africain, par
exemple, si l’Afrique subsaharienne continue d’avoir une forte croissance,
l’Afrique australe et le Maghreb ont fortement réduit la leur.
Ces phénomènes de ralentissement démographique observés dans le
monde occidental pourraient l’être ailleurs à l’avenir. La population
mondiale pourrait donc se stabiliser. Le problème à gérer serait non plus
celui de l’explosion démographique mais celui du vieillissement de la
population.

Repères

– Population mondiale :

– En 1900, sur 1 000 personnes il y avait 250 Européens, 92


Américains, 580 Asiatiques et 68 Africains ; en 2000, il y a 119 Européens,
51 Nord-Américains, 84 Latino-Américains, 609 Asiatiques et 132
Africains.

– La population de l’Afrique croît de 3 % par an, tandis que ses


ressources alimentaires n’augmentent que de 1,5 % par an.

– Le monde développé représente 20 % de la population et détient


80 % des richesses mondiales.
Les prévisions les plus catastrophistes prévoyaient 55 milliards
d’habitants sur la Terre en 2100 ! La population mondiale devrait en fait se
stabiliser à 11 milliards.
11

Guerres de diaspora

Provoquées par une catastrophe politique, les diasporas sont un défi


aux lois traditionnelles des frontières. Peuvent-elles être à la source d’un
conflit futur ?

Le terme de « diaspora » vient du grec speira, qui signifie


étymologiquement « semer ». Le nom propre de « diaspora » qui en est issu
désigne à l’origine la dispersion du peuple juif à la suite de la destruction du
deuxième temple de Jérusalem par les Romains en 70 après Jésus-Christ.
Aujourd’hui, on emploie le terme de « diaspora » de façon générale
pour désigner les minorités d’un pays qui appartiennent à un peuple vivant
majoritairement dans un autre pays et qui ont la volonté de durer en tant que
groupes minoritaires en transmettant leur héritage identitaire.
La dispersion du peuple fait souvent suite à une catastrophe,
généralement d’origine politique.
Les Arméniens ont été déportés en 1913-1915 par les Turcs qui
craignaient une revendication d’autonomie. La diaspora chinoise s’est
formée au XIXe siècle du fait de la misère de la population et de la famine.
Phénomène qui avait déjà été observé par les Irlandais au XVIIIe siècle. Les
Palestiniens et les Vietnamiens ont connu la diaspora après avoir vécu la
guerre. La diaspora grecque est due à l’incorporation successive de la Grèce
dans les Empires romain, byzantin, arabe et ottoman.

Les différentes diasporas


Quelles sont les diasporas recensées dans le monde ?
Gérard Chaliand et Jean-Paul Rageau, dans leur Atlas des
diasporas, recensent neuf grands mouvements diasporiques :
Juifs, Arméniens, Libanais et, de façon moins nette, Chinois,
Indiens, Irlandais, Grecs, Vietnamiens et Coréens. (Les
Irlandais sont surtout concentrés aux États-Unis.)
On ne parle généralement pas de diaspora tsigane, peuple
migrant par définition et qui n’a pas d’idée précise de retour
vers son lieu d’origine : l’Inde. On ne considère pas non plus
comme une diaspora le peuple noir, dispersé par la traite des
Noirs, car il n’a pas maintenu de lien avec le lieu d’origine.

Le peuple frappé de diaspora entretient une mémoire collective qui


crée un lien communautaire fort. Le groupe minoritaire dans un pays veut
conserver son identité et ne pas se diluer totalement dans son pays
d’accueil. Pour une diaspora, la dispersion n’est pas la dilution. Mais le
refus d’être totalement assimilé (ce qui ne les empêche pas de s’intégrer,
c’est-à-dire de participer à la vie nationale sans s’y fondre tout à fait) dans
le pays hôte, qui est essentiel à la survie de la diaspora, est souvent mal
perçu dans la société d’accueil et suscite des réactions de rejet. Il peut alors
se créer un cercle vicieux : les réactions de rejet, voire les exactions dont est
victime la diaspora, vont la conduire à plus encore développer une solidarité
communautaire, voire un repli sur soi, qui va à son tour alimenter le
sentiment de rejet.
Mais ces critères ne sont pas suffisants pour définir la diaspora. Il faut
y ajouter une notion essentielle qui est celle du « réseau ». Elle donne un
sens différent au lien entre les membres de la diaspora et permet de la
distinguer des communautés immigrées ordinaires.
Les grands mouvements migratoires des XIXe et XXe siècles n’ont
pas forcément créé de diasporas. Ainsi, on ne parle pas de diasporas
française, anglaise, italienne, espagnole ou portugaise, malgré l’émigration
massive en provenance de ces pays au cours des deux siècles précédents.
Les diasporas, dont l’existence résulte de l’instabilité politique et de
l’oppression, entretiennent un fort lien de solidarité pour compenser les
effets (ou s’en prémunir) de la répression qu’elles peuvent subir.
Enfin, cette organisation en réseau, comme tout phénomène organisé
de la sorte, est favorisée par la mondialisation et le développement des
technologies dans le domaine des télécommunications et des transports.
Mais, en plus de bénéficier du phénomène de globalisation, la diaspora
favorise à son tour ce mouvement en apparaissant comme une véritable
« société transnationale ».
Les communautés en exil entretiennent leur cohérence culturelle par
des systèmes de réseaux (religieux, économiques, culturels, scolaires). Les
diasporas sont généralement urbaines, à l’exception des Tsiganes, qui
fondent leur identité sur le nomadisme.
Si les intérêts que défendent les diasporas ne se confondent pas
systématiquement avec les intérêts du pays d’origine (le cas général voulant
qu’elles cherchent à peser dans le sens de leurs propres intérêts), il n’en
demeure pas moins que la diaspora est de plus en plus perçue comme une
possibilité, pour une nation mère, de disposer d’un espace national élargi,
d’un avant-poste multinational.
Certaines diasporas, organisées et dynamiques, se sont constituées en
véritables lobbies, réussissant ainsi à influencer les attitudes et aspirations
de leur pays d’origine tout autant que de leurs pays hôtes.
D’où l’idée entretenue par certains que leur loyauté est plus dirigée
vers le pays d’origine ou vers leur communauté que vers celui d’accueil.
Cela peut être vrai pour certains individus appartenant à la diaspora ; ce
n’est jamais le cas de la communauté formée par la diaspora qui, en fait, est
toujours très diversifiée.
Les diasporas surgissent ainsi dans le champ des relations
internationales et pourraient devenir des interlocuteurs de plus en plus
incontournables. Par leur organisation transnationale, elles viennent
ébranler la validité et la pertinence des frontières au sein desquelles les
sociétés se sont constituées, conçues et réglementées. Le territoire, les
frontières et la notion même d’État-nation et de gouvernement d’un État,
peuvent être perçus comme remis en cause par les diasporas.
Cela peut provoquer des réactions nationalistes qui prendraient les
diasporas pour cibles. La volonté de conserver la mémoire collective peut
être vue comme un refus d’assimilation, un manque de loyauté vis-à-vis de
la société hôte, et à l’extrême une volonté de trahison.
En cas de crise politique ou économique, les membres de la diaspora
peuvent rapidement être considérés comme des boucs émissaires. Hitler a
conduit cette logique en désignant les juifs comme étant un peuple inférieur,
responsable des malheurs de l’Allemagne, qu’il fallait exterminer. Les
diasporas chinoise en Asie, libanaise en Afrique, représentant souvent les
classes commerçantes – ce qui est dans la logique d’un peuple dispersé
donc mobile –, sont victimes d’exactions lorsqu’une crise économique sévit
dans leur pays d’accueil : on les accuse d’en être responsables et de
s’enrichir sur le dos de la population. Les autorités nationales ont tendance
à ne pas les protéger suffisamment, préférant les voir subir les effets de la
révolte populaire plutôt qu’elle ne se retourne contre elles.

Quatre critères permettent de définir


une diaspora
- La dispersion de la population, généralement à la suite
d’une catastrophe ;
- La mémoire collective qui entretient un lien entre les
membres de la communauté ;
- La volonté de durer en tant que groupe minoritaire, de
ne pas se diluer dans les pays d’accueil et de
transmettre un héritage historique spécifique ;
- Le facteur temps : la diaspora est un phénomène qui
s’inscrit dans la durée.
Ainsi, la communauté chinoise indonésienne a dû subir la destruction
de ses biens, des pillages, meurtres et viols après la crise économique de
1998.
Lorsque les diasporas s’établissent autour d’un vide démographique
(Australie, Canada, certaines régions d’Europe), elles peuvent être perçues
comme une menace d’invasion – source éventuelle de conflits – ou comme
une possibilité de renouveau.

Les diasporas les plus puissantes constituent un trait d’union entre le


pays d’accueil et le pays d’origine. Ainsi, la politique américaine au
Proche-Orient est clairement influencée par le poids de la communauté
juive. La communauté cubaine établie en Floride pèse énormément dans la
détermination de la politique de Washington vis-à-vis de Cuba. Le poids de
la communauté polonaise aux États-Unis a beaucoup fait pour permettre
l’adhésion de la Pologne à l’OTAN.
En France, la communauté arménienne suit de près notre attitude vis-à-
vis de la Turquie.
En Asie du Sud-Est, les Chinois de l’étranger sont une projection de la
puissance commerciale de la Chine hors de ses frontières.
12

Guerres des flux migratoires

Toutes causes confondues, les flux migratoires concernent environ


120 millions d’humains : depuis les migrations de travail (environ
65 millions de personnes, qui renvoient dans leurs pays d’origine une
épargne totale d’environ 70 milliards de dollars chaque année, soit plus que
le montant de l’aide internationale au développement : moins de
50 milliards) jusqu’aux réfugiés (de 25 à 30 millions), en passant par les
personnes déplacées à l’intérieur même de leur pays (25 à 30 millions).
Le développement des foyers de crises et celui des inégalités laissent à
penser que ces flux (migrations internes ou internationales) pourraient
largement augmenter. Des craintes nombreuses s’expriment sur « l’anarchie
à venir » : un conflit majeur au siècle prochain provoqué par des migrations
non maîtrisées. L’absence d’organisation mondiale représentant la
population migrante exclut un affrontement général, qui ne saurait trouver
d’adversaire. Par contre, une multitude de guerres plus ou moins larvées
n’est pas exclue, à l’échelle des individus comme des régions ou des États.

Des guerres économiques


– Guerres de survie : vu la pauvreté et les faibles capacités
économiques du pays, l’émigration peut devenir un véritable secteur
économique, comme aux Philippines. Dans ce contexte, l’immigration
clandestine chinoise (120 000 illégaux seraient ainsi entrés dans l’archipel
depuis 1996) provoque de vives tensions intercommunautaires, motivées
tant par l’occupation d’emplois par des non-Philippins, que par le
développement de trafics de marchandises ;
– Guerres de compétitivité : les migrations de cols blancs sont en nette
augmentation, les pays redoublant d’efforts pour attirer une main-d’œuvre
très qualifiée générant de très forts bénéfices (Hong Kong accueille en
moyenne chaque année 50 000 nouveaux travailleurs hautement qualifiés et
refuse actuellement un plan d’immigration de Pékin au sein duquel moins
de 8 % des immigrants seraient hautement qualifiés). L’Australie accroît sa
place dans la compétition avec les Nord-Américains : coût d’immigration
moindre, politique offensive (près d’un nouvel immigrant sur trois est
hautement qualifié). La compétitivité s’exerce aussi entre pays exportateurs
de main-d’œuvre, notamment en Asie. Les risques de fuite des cerveaux
sont tels (Thaïlande…) que certains parlent de mesures politiques pour
prévenir des dommages trop importants pour le pays d’origine comme pour
le migrant (questions de reconnaissance de qualification, d’emploi à des
postes appropriés).
La croissance sans création d’emploi dans les pays industrialisés va
rendre objectivement beaucoup plus difficile l’absorption de ces flux
migratoires, constitués pour l’essentiel de jeunes demandeurs d’emploi
(risques de ghettos, criminalisation des populations marginalisées, trafics en
tous genres…). Certains, comme la Finlande et l’Estonie, s’organisent pour
enrayer un tel phénomène (création de forces ad hoc, de corps de gardes-
frontière…). D’autres acceptent de devenir pays privilégiés de transit
(Biélorussie…).

Des guerres politiques

Jusqu’au milieu des années 1980, les flux tenaient essentiellement à la


croissance économique du monde développé et à ses besoins et capacités
d’emplois. Depuis, les flux sont devenus, pour les différents acteurs
politiques, un outil essentiel de diffusion, souvent intentionnel, des crises
nationales à l’échelon régional. Résultat : les flux migratoires forcés
connaissent une forte hausse et près de 50 millions de personnes
(l’équivalent de la population de la France il y a quelques années) errent
hors de leur terre natale… avec une complication : la diminution des terres
d’asile dans le monde développé comme dans les pays en développement.
Les flux massifs de populations engendrent de plus en plus souvent des
interventions internationales, fragilisantes pour les pays limitrophes
(ébranlement de leur stabilité sociale ou économique). En outre, elles
doivent affronter au moins trois problèmes majeurs :

désacralisation accrue – voire définitive ? – de la frontière : la


multiplication de no man’s land frontaliers opacifie toute méthode de
règlement dans ces régions ;
définition des priorités : les appels à l’aide internationale (auprès
du Haut-Commissariat aux réfugiés) pour pallier les charges imposées
par les déséquilibres démographiques se multiplient. Or l’ONU et le
HCR souffrent d’une pénurie notoire de ressources, du fait de
l’ampleur des demandes et de la baisse des contributions des donateurs
(cf. aide au Soudan). Une définition des priorités entre les lieux
d’intervention et les programmes humanitaires, une évaluation et une
gestion plus rigoureuses des besoins et des budgets, ainsi qu’une
définition de la qualification de réfugié (problèmes dans le cas des
rapatriements dits « volontaires ») deviennent indispensables ;
sécurité des personnels humanitaires : le saupoudrage à travers le
monde des actions internationales à fort volet humanitaire, alors que le
règlement diplomatique de la crise est en cours (mais non achevé),
constitue une menace pour les forces internationales elles-mêmes, ainsi
que pour les ressortissants, personnels humanitaires, résidents ou
touristes par exemple, des États intervenant au nom de la communauté
internationale (Yougoslavie…).
L’affaire du cargo Tampa et de ses réfugiés illustre
parfaitement les contradictions de la mondialisation à propos
des flux migratoires. La liberté de circulation n’est pas la
même pour tous. Si les migrations du Nord au Sud,
notamment touristiques, sont de plus en plus faciles, il n’est
pas toujours évident d’aller des pays pauvres vers les pays
riches.

Fin août 2001, un ferry indonésien avec à son bord 460 réfugiés
afghans sombre au large de l’Australie. Un cargo norvégien, le Tampa, se
porte à son secours. Mais le gouvernement australien refuse de les accueillir
et veut les envoyer sur la petite île-État de Nauru.
Le gouvernement australien entend en effet faire un exemple à l’égard
des milliers de réfugiés clandestins qui attendent, selon lui, en Indonésie,
pour tenter la traversée vers l’Australie.
Ce pays (19 millions d’habitants) accueille chaque année 8 000
réfugiés officiels. Les centres de rétention sont pleins à craquer et abritent
également 3 000 immigrés illégaux. Camberra craint que des réseaux ne se
mettent en place pour faciliter cette immigration clandestine en utilisant
notamment les procédures mises en place pour les réfugiés politiques.
La convention de Genève sur les réfugiés les définit comme « toute
personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa
religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou
de ses opinions politiques, qui se trouve en dehors du pays dont elle a la
nationalité et qui ne peut se réclamer de la protection de ce pays ». Adoptée
en 1951, cette convention a été signée par 126 pays. Mais elle ne crée pas
une obligation d’accueil, celui-ci pouvant en effet être refusé pour des
raisons d’ordre public.
Pendant très longtemps (à l’exception du cas spécifique des
Palestiniens), les réfugiés ont été peu nombreux. Il s’agissait la plupart du
temps d’opposants politiques qui fuyaient les pays de l’Est ou les dictatures
du tiers-monde. Ils provenaient généralement de milieux éduqués et
s’intégraient sans trop de difficultés. Si les dictatures sont loin d’avoir
disparu de la surface de la planète aujourd’hui, elles sont néanmoins moins
nombreuses qu’auparavant. Mais les réfugiés sont, eux, beaucoup plus
nombreux.
Aux réfugiés politiques se joignent désormais ce que l’on appelle
parfois des « réfugiés économiques ». Ceux-ci ne sont pas menacés en
raison de leurs idées ou de leur appartenance ethnique, mais ils sont
simplement à la recherche de meilleures conditions de vie, attirés par les
pays développés, véritables eldorados dont ils ont vu des images alléchantes
à la télévision. Ils tentent par tous les moyens de s’y installer, parce que les
conditions de vie d’un immigré clandestin, pour précaires qu’elles soient,
leur paraissent préférables à celles qu’ils ont dans leur pays d’origine. Ce ne
sont plus les élites éduquées qui veulent changer de pays, mais les masses
pauvres et sans qualification. Dès lors, l’accueil est moins enthousiaste. Les
réfugiés ne permettent plus au monde occidental de gagner des points
symboliques à peu de frais dans la lutte contre le communisme. Celle-ci est
finie, et le coût de l’accueil n’est plus du tout le même.
Les Afghans du Tampa sont en fait venus un peu tard. En pleine guerre
froide, lorsque l’URSS occupait l’Afghanistan, nul doute qu’on les aurait
accueillis en héros. Avant les attentats du 11 septembre, la situation était
certainement devenue plus difficile pour les Afghans, mais ils ne faisaient
plus l’objet d’autant de sollicitude, et le monde occidental les avait laissés à
leur triste sort.
Les réfugiés ont été chassés de chez eux par la guerre civile,
l’épuration ethnique ou tout simplement la misère. Ils sont mobiles et n’ont
plus rien à perdre. Que ce soit à bord de frêles embarcations, dans le train
d’atterrissage d’un avion ou cachés dans des camions, ils tentent par tous
les moyens et au péril de leur vie de rejoindre les pays développés pour
recueillir les miettes du festin.
Dès lors, les pays riches n’ont qu’une alternative : ou bien les
accueillir dans les meilleures conditions possibles pour qu’il n’y ait pas de
répercussions négatives en termes de sécurité ; ou bien se montrer
suffisamment lucides, courageux et généreux pour faire en sorte que les
causes de ces exodes de masse (guerres civiles et sous-développement)
disparaissent.
Dans les deux cas, cela nécessite de la volonté et des moyens ; une
action collective qui, pour l’heure, fait défaut.
13

Guerres de la faim

Soudan, Irak, Corée du Nord, Liberia, Somalie…, autant de pays et de


peuples où l’insécurité se décline également sur le plan alimentaire. Depuis
la nuit des temps, la faim est aussi une arme, parmi d’autres.
Le spectre de la famine généralisée et de la révolte des affamés n’est
pas nouveau, et la récente révolte zapatiste au Mexique a réveillé cette
hantise. Pour autant, une guerre de la faim à l’échelle mondiale est hors de
propos… même si chaque jour se creuse le fossé entre un monde nanti et
800 millions de malnutris, même si les pays du Sud sont de plus en plus
dépendants pour leur alimentation, même si ceux du Nord n’entendent
répondre qu’à la demande solvable. En revanche, parler de guerres de la
faim au pluriel et de guerres utilisant la faim comme arme de coercition par
excellence traduit une réalité profonde de cette fin de siècle. Bien plus, les
prochaines années connaîtront très probablement une amplification sensible
de ce type de conflits.

Certaines des zones d’insécurité alimentaire récurrente correspondent


aux régions de conflits persistants. En Angola, en Éthiopie, au
Mozambique, en Ouganda, au Soudan ou au Tchad par exemple, les baisses
de production induites par la sécheresse ont été notoirement exacerbées par
les hostilités.
Mais il est aussi notable qu’une situation de sous-nutrition durable et
qui se détériore précède souvent une période de tensions internes ou
interétatiques. Dans le Rwanda d’avant la crise de 1990, ou l’Ouganda
d’avant 1979, la couverture des besoins alimentaires de la population a
brutalement chuté à la veille des tensions.
De fait, la faim fragilise toujours l’État :

la mise en cause du gouvernement, que ses opposants jugent


responsable de la situation ;
le poids des dépenses alimentaires et l’hémorragie permanente de
devises qu’engendre l’insuffisance de la production agricole
effectivement disponible dans le pays ;
la dépendance politique excessive vis-à-vis des vendeurs, États
tiers ou réseaux privés de marchands, comme au Niger, où ils sont
devenus les seuls titulaires des politiques alimentaires ;
les déplacements de population, ultime étape de la stratégie des
ménages pour faire face à la faim, non sans effets sur la stabilité
régionale (faim et crise socio-politique aidant, les trois quarts de la
population du Liberia auraient été déplacés entre 1990 et 1995, dans le
pays et à l’étranger).

La faim se répand aussi du fait des acteurs internes (gouvernements,


milices, groupes…). Une modification de leur comportement est alors
indispensable pour conduire à l’apaisement et à la sécurité alimentaire des
populations.
Or, nulle intervention internationale ne peut modifier le cours des
choses, du moins telle qu’elle est conçue aujourd’hui (d’urgence et
sectorielle sans jamais rechercher à éradiquer les causes). Car la faim n’est
que l’une des pièces sur l’échiquier de l’insécurité sociale et politique. Mais
aussi parce que, tout comme les productions internes, l’aide est la proie des
acteurs internes, ce qui en limite l’efficacité réelle. Cela est bien sûr patent
dans le cas de mise au pilori d’une frange de la population. Un simple jeu
de « représailles » successives entre acteurs internes et internationaux peut
aussi annihiler tous les effets positifs patiemment accumulés par les États
tiers pour améliorer ou stabiliser la situation alimentaire (Liberia 1994). Peu
utile et dissociée d’un redémarrage véritable de l’agriculture et des moyens
d’accès aux biens alimentaires (infrastructures, mais surtout revenus), toute
aide extérieure est de surcroît susceptible d’entraîner les donateurs dans une
spirale d’interventions qui les amèneront à cautionner de fait les
agissements de certains acteurs (cf. gouvernements soudanais, éthiopien ou
somalien…).
Qu’elles soient délibérées en tout ou en partie seulement, les guerres
de la faim permettent d’étrangler des adversaires… tout en alimentant les
finances. En effet, vu la place accordée par les pays riches aux devoirs
d’ingérence et aux devoirs humanitaires, elles sont des sources de revenus –
ou au moins d’économies de dépenses – non négligeables, accordés
quasiment sans condition. Dans le contexte actuel d’après-guerre froide, qui
s’accompagne souvent d’une baisse ou d’une conditionnalité des subsides
internationaux, ce « produit d’appel » se développera sans doute puisque, de
fait, la communauté internationale mord à l’hameçon et y répond par une
« subvention internationale croissante » (développement de son aide
alimentaire). Il suffit pour s’en convaincre de consulter la liste des abonnés
de l’aide alimentaire, ceux pour qui le volume des aides représente au
moins les trois quarts, voire plus, du volume des importations (Rwanda,
Éthiopie, Tchad, Soudan…). Ou encore d’observer le cas de l’Éthiopie
recevant en 1992 une aide céréalière neuf fois plus importante qu’en 1980,
alors même qu’une progression de l’aide extérieure proportionnelle aux
besoins aurait dû se traduire par une hausse de pas même 10 % !

Sylvie Brunel, présidente d’Action contre la faim, distingue1 trois types


de famines :
« – Les famines “niées”, quand il s’agit de faire disparaître une
minorité indésirable ;
– les famines “créées”, dont le but est de capter l’attention et l’aide
internationales en affamant délibérément des populations que rien n’aurait
dû, sans cette intervention volontaire, faire basculer dans la faim ;
– les famines “exposées” enfin, qui, elles, tirent profit de conditions
défavorables (sécheresse, troubles civils, etc.) pour mettre en avant les
difficultés d’une population, afin d’obtenir une aide gonflée par la
surestimation du nombre des personnes en difficulté. »
Car, aujourd’hui, les famines ne sont plus imputables à des causes
naturelles, mais bien le résultat de conflits.
1. Géopolitique de la faim, PUF, 2001.
14

Guerres du pétrole

Depuis l’invention du moteur à explosion, le pétrole est devenu l’objet


de toutes les convoitises. Clemenceau disait de lui qu’il était « aussi
précieux que le sang ».

C’est au Proche-Orient que sont concentrées 75 % des réserves


mondiales.
Après les deux « chocs pétroliers » : 1973-1974 (suite à la guerre du
Kippour) et 1979 (après la révolution iranienne), de nombreux pays
développés ont été saisis par la crainte de ne pas pouvoir s’approvisionner
de manière suffisante en matières énergétiques. La perspective d’une
pénurie énergétique faisait planer le spectre, sinon de l’arrêt, du moins d’un
fort ralentissement de l’activité économique et des problèmes de cohésion
sociale qui pouvaient en découler.
Dans les années 90, malgré la guerre du Golfe et l’exclusion de fait de
l’Irak comme producteur important de pétrole, cette crainte – tout comme
celle d’une augmentation vertigineuse des prix – a été écartée.
Les progrès techniques ont permis de diminuer le coût d’exploitation,
et de nouvelles réserves ont été découvertes. Il est à noter que le
développement économique de l’Asie va la conduire à augmenter sa
consommation de pétrole, notamment en Chine et en Inde, pays qui ne
disposent pas de ressources suffisantes pour satisfaire leurs besoins en
expansion constante.
Les réserves connues d’hydrocarbures se trouvent surtout dans des
zones instables sur le plan stratégique (Proche-Orient, Asie centrale, région
caspienne). Traditionnellement, la propriété et l’exploitation d’une matière
première aussi stratégique ont régulièrement été à la source de conflits entre
les gouvernements des pays producteurs et ceux des pays consommateurs
voulant défendre les intérêts de leurs compagnies nationales. Des scénarios
comme une guerre entre différents États producteurs, l’établissement d’un
nouveau régime qui refuserait de vendre son pétrole dans les conditions
qu’il a acceptées jusqu’alors, ou la destruction des puits ou des oléoducs par
des actes de violence ne sont pas à exclure.
Le risque d’un conflit, qui trouverait ses origines dans le facteur
pétrolier, est donc bel et bien réel. D’autant que la forte dépendance des
pays industriels grands consommateurs de pétrole – dont ils ont fait leur
principale source d’énergie – les rend vulnérables. Ils sont en effet exposés
au risque d’une suspension des approvisionnements, le pétrole étant alors
utilisé comme une arme par les pays producteurs. Ils ne sont pas non plus à
l’abri d’une forte augmentation des prix capable de générer une crise
économique à la suite d’une entente des pays producteurs comme
l’« alliance » irano-saoudienne constituée au sein même de l’OPEP. Par
ailleurs, le transport du pétrole ou du gaz des pays producteurs aux pays
consommateurs se fait principalement à travers des goulots d’étranglement
qui permettent à certains États de faire peser une menace ciblée et
permanente. Le détroit d’Ormuz, par exemple, a été plusieurs fois présenté
comme la carotide de l’Occident.

Le risque d’une guerre dont la maîtrise des enjeux pétroliers serait la


pomme de discorde est particulièrement important en mer Caspienne et
dans le golfe Persique.
Les réserves de pétrole situées sous les eaux de la mer Caspienne
représentent 50 % des richesses concentrées dans la région. Mais leur
propriété n’est pas clairement définie et fait occasionnellement l’objet de
revendications de la part de Moscou. Ce ne sont pas en effet les deux grands
pays bordant la mer – la Russie et l’Iran – qui disposent des ressources
pétrolières les plus significatives. Depuis l’implosion de l’URSS, elles
reposent entre les mains des trois autres pays riverains, à savoir
l’Azerbaïdjan à l’ouest, le Kazakhstan et le Turkménistan à l’est. À ceux-ci
vient s’ajouter l’Ouzbékistan. Leur richesse en hydrocarbures constitue un
atout pour ces jeunes États riverains dont la vulnérabilité avérée fait des
proies tentantes. Mais l’enclavement de leurs territoires leur rend l’accès au
marché mondial difficile, d’autant que leur prétention à une quelconque
compétitivité suppose la résolution du problème de l’acheminement d’une
production qui demeure insuffisante.
La modification prévisible de la carte des pipelines au cours des
prochaines années va structurer de façon durable le rapport des forces
politiques dans toute la région de la Caspienne. Elle définira les clés du
partage des influences russe, turque et iranienne.
Les conflits se déroulant dans l’ensemble de la région sont liés ou ont
pour le moins une incidence sur l’exploitation du pétrole et du gaz naturel :

guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a été largement


« entretenue » par les puissances régionales. Ainsi, la Russie a soutenu
politiquement et militairement l’Arménie, tandis que l’Iran et la
Turquie apportaient leur aide à l’Azerbaïdjan.
des forces turques contre les Kurdes, tant sur le territoire turc
qu’en Irak, trouve également son origine dans l’existence d’oléoducs
traversant les zones de combat et dans la volonté affichée de la Turquie
de jouer un rôle majeur dans « l’évacuation » du pétrole d’Asie
centrale.
en Géorgie – liée à l’existence de deux républiques séparatistes –
entretenue par Moscou s’explique en partie par le rôle stratégique que
ce pays limitrophe de l’Azerbaïdjan joue dans l’évacuation du pétrole
vers la Turquie.
russe en Tchétchénie est également liée en partie au facteur
pétrolier ; les dirigeants indépendantistes tchétchènes souhaitaient en
effet s’approprier les oléoducs installés sur le territoire de la république
et ainsi bénéficier d’une parcelle de la manne pétrolière.
poursuite de la guerre civile en Afghanistan et la prise du pouvoir
par les talibans ne sont pas étrangères aux ressources gazières dont
dispose l’Asie centrale. Plusieurs projets de gazoducs, qui
traverseraient l’Afghanistan et rejoindraient le Pakistan et l’océan
Indien, sont à l’étude. Cependant, pour être rentables, tant pour les
pays exportateurs que pour les compagnies américaines, ces projets
supposent le contrôle et la stabilité du territoire afghan qui fait l’objet
d’une mise à l’index depuis les actes terroristes qui ont été perpétrés
sur le sol américain le 11 septembre 2001.

Par ailleurs, en Algérie, l’exploitation des ressources pétrolières et


gazières joue un rôle non négligeable dans la crise que traverse ce pays. Les
protagonistes, qu’il s’agisse du fameux « complexe militaro-gazier » ou des
opposants islamistes, se sont évertués à protéger cette rente.

Le Moyen-Orient et le golfe Persique, principales régions productrices


de pétrole, sont également susceptibles de voir se développer des conflits
liés à « l’or noir » : la zone compte en effet les cinq pays abritant les plus
importantes réserves de pétrole connues (Arabie Saoudite, Irak, Koweït,
Iran, Abou Dhabi).
Du déclenchement de la guerre contre l’Iran, en passant par l’invasion
du Koweït, jusqu’aux risques engendrés par son retour sur le marché
pétrolier, l’Irak, deuxième pays en termes de réserves connues, a une large
part de responsabilité dans l’instabilité qui règne dans la région depuis vingt
ans.
L’Iran a également un rôle ambigu dans la région. Puissance régionale
en devenir, il est cependant perçu comme une menace pour les monarchies
du Golfe du fait du soutien direct ou indirect apporté aux groupes chiites
d’opposition à Bahreïn ou des menaces militaires qu’il brandit à l’encontre
des Émirats arabes unis dans le cadre des tensions qui font rage dans la
région. Cependant, son récent rapprochement avec la monarchie saoudienne
– arabe et sunnite – pourrait calmer les tensions dans cette région.
L’accélération de sa réintégration dans la communauté internationale à la
suite des attentats du 11 septembre – du fait de l’opposition de l’Iran au
régime des talibans – devrait permettre une nouvelle amélioration de la
situation.
Si le contrôle du pétrole est un enjeu de luttes interétatiques, il est
également à l’origine de conflits au sein même de certains États. De
nombreux pays producteurs et exportateurs de pétrole sont en situation
d’extrême dépendance à l’égard de cette ressource et la baisse des cours
peut entraîner une crise économique fragilisant ou déstabilisant ces pays : le
Mexique, la Russie, le Nigeria ou l’Indonésie ont subi ou subissent les
conséquences de la baisse du marché.
15

Guerres de l’eau

Le XXe siècle aura été celui de l’or noir et des crises qu’il aura
provoquées ; le XXIe siècle sera probablement celui de l’or bleu.
Traditionnellement perçue comme une manne venue du Ciel, l’eau est
aujourd’hui considérée en fonction de sa rareté et donc de sa cherté.

L’indispensable recours à la désalinisation en Israël ou dans le Golfe


témoigne de l’importance de l’enjeu que représente la possession ou la non-
possession de ressources en eau.
La prise de conscience ne s’est faite que tardivement. Depuis vingt ans
environ, experts et médias agitent le chiffon rouge des guerres de l’eau. Les
hommes politiques, à l’instar de Boutros Boutros-Ghali – qui lançait en
1985 que « la prochaine guerre dans notre région sera due aux eaux du Nil,
et non à la politique » alors qu’il était ministre des Affaires étrangères de
l’Égypte –, font de même. Mais ce n’est que depuis quelques années, guerre
en Yougoslavie et cruelles sécheresses aidant, que le monde occidental a
compris que si les crises de l’eau sont spontanément associées à une image
de pays en développement (Corne de l’Afrique, Inde/Bangladesh, Libye…),
les pays industrialisés n’en sont pas non plus à l’abri (Taiwan, par exemple).
Il s’agit bien plus souvent d’une crise de pénurie que d’une « guerre »
de l’eau à proprement parler. En effet, la pénurie n’engendre pas à elle seule
la guerre, en témoigne la gestion des eaux du Nil qui jusqu’ici n’a pas fait
basculer la région dans un conflit interétatique ouvert. Néanmoins, la rareté
de l’eau participe bien souvent de la spirale de déstabilisation d’une
communauté ou d’un pays, qui, elle, peut être le facteur déclenchant d’une
guerre. Le cas du Rwanda est particulièrement emblématique, puisque ce
pays, avant la guerre civile, connaissait une surdensité de population sur ses
terres agricoles, doublée d’une rareté gravissime de la ressource en eau
(moins de 6 mètres cubes d’eau par jour par habitant). Sur l’échiquier des
États en pleine crise sociale ou au bord de l’affrontement avec l’un ou
l’autre de leurs voisins, la maîtrise ou non de l’eau en quantité suffisante
constitue sans conteste une pièce clé de la partie qui s’y joue. En ce sens, la
« guerre de l’eau » s’entend seulement comme l’un des actes du drame en
cours.

Schématiquement, les « guerres » de l’eau revêtent plusieurs formes :

armées ouvertes (relativement rares à l’échelle de la planète),


telles que les batailles pour le Jourdain ou dans le nord et l’ouest du
Soudan ;
long processus de négociations diplomatiques et d’équilibres des
puissances : c’est le cas de la gestion régionale et internationale de
l’Euphrate par les Turcs ;
critique d’une communauté qui accaparerait indûment la
ressource : dans bien des pays, l’agriculture est mise au pilori pour
absorber plus de 80 % des ressources sans pour autant assurer un
rendement suffisant pour satisfaire les besoins de la population ; dans
d’autres pays, ou parfois les mêmes (en Tunisie par exemple), le
secteur tertiaire est accusé de gaspiller la ressource (dépenses
scandaleuses d’eau pour les touristes dans des pays de pénurie). Dans
d’autres encore, les populations minoritaires sont déplacées de façon à
« libérer » l’accès aux ressources en eau (Kurdes en Turquie) ;
ultime arme de guerre contre l’ennemi : depuis la nuit des temps,
la conquête ou la destruction des points d’eau permet de priver
l’adversaire de cette ressource vitale (bombardement des
aménagements hydrauliques pendant la guerre du Golfe ; attaque du
barrage de Peruca, en Croatie, fortement endommagé en 1993 par la
milice pro-serbe…).

Les guerres de l’eau présentent au moins une spécificité par rapport


aux conflits liés à un territoire : elles ont pour objet un élément absolument
vital et non marchand.
En ce sens, elles n’ont pas vraiment de fin, comme en témoigne
l’histoire d’Israël et des conflits dans lesquels ce pays est engagé dans la
région. Tant qu’un État ou une communauté ne dispose pas de la maîtrise
entière de cette ressource, l’un ou l’autre de ses voisins possède de
dangereuses mesures de rétorsion à son égard, comme l’ouverture ou la
fermeture du robinet d’eau, ou encore le rationnement des débits, qu’il soit
volontaire (hypothèse de la Turquie faisant ainsi pression sur la Syrie et
l’Irak) ou par ricochet (Asie centrale).

La prise de conscience récente de l’enjeu de l’eau dans le monde


occidental a subitement changé la carte des conflits potentiels qui
préoccupent les différentes capitales. En effet, il est clair que plus un pays
est dépendant des eaux d’un fleuve ou d’une nappe souterraine, ou plus il se
sent fort vis-à-vis de son voisin en aval, plus le danger de conflagration est
probable. Or, plus de deux cents bassins fluviaux et lacustres traversent des
frontières internationales, augmentant donc les risques de contentieux. Ce
qui est vrai à l’échelle des États l’est aussi à celle des communautés ; les
luttes intestines au Soudan ou en Éthiopie, ou les crises de l’eau dans l’ex-
Yougoslavie en guerre, ou après la guerre, en sont la meilleure
manifestation.
Les crises de l’eau en quelques chiffres

Crises internationales potentielles liées à la multiplicité des


utilisateurs :

de dix fleuves traversent au moins six pays, dont le Danube et le


Nil (l’Égypte est le dernier pays en aval) ;
plupart des pays du Moyen-Orient partagent des nappes
phréatiques.

Crises de quantité disponible :

disparités sont considérables : elles vont de moins de 6 mètres


cubes par jour et par habitant (Éthiopie, Rwanda, Burundi,
Bangladesh…), à plus de 200, voire 800 (États-Unis, Australie) !
pays (335 millions de personnes) connaissent des pénuries
chroniques, comme la Somalie, le Kenya, le Rwanda ou le Burundi. Ils
pourraient être une cinquantaine en 2025 (de 2,8 à 3,3 milliards de
personnes !).

Crises de qualité :

% de la population mondiale n’ont toujours pas accès à l’eau


potable et plus de 50 % ne bénéficient pas d’un assainissement
satisfaisant des eaux ;
mauvaise qualité de l’eau et le manque d’hygiène sont parmi les
principales causes de maladies et de décès.

Crises mixtes :
Afrique du Sud, 12 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau
potable, surtout dans les townships autour des grandes villes ;
ex-Yougoslavie, la grande plaine de Poljie (Dalmatie) et celle de
Bencovac (Krajina), vivant grâce à des infrastructures d’irrigation, ont
été paralysées par un conflit qui les a privées d’eau disponible en
quantité suffisante (destruction des infrastructures…) ;
multiplication des déplacements forcés de population accroît
considérablement la pression sur les ressources en eau ;
Maghreb, la situation promet d’être plus tendue qu’en Israël…

Avec moins de 1 000 mètres cubes d’eau par habitant (environ 800 au
Maroc, moins de 700 en Algérie et moins de 500 en Tunisie), les pays du
Maghreb ont déjà franchi le seuil où apparaissent des pénuries d’eau. Or la
demande va augmenter considérablement puisque, d’ici 2025, la population
y aura presque doublé. Les ressources renouvelables disponibles par
habitant vont diminuer d’ici l’an 2025 de plus de la moitié par rapport à
celles de 1980. Elles seront alors bien en deçà du seuil où se produisent des
pénuries véritablement critiques dans certaines régions (500 m3).
Très probablement, la situation hydrique du Maghreb sera alors plus
tendue qu’elle ne l’est aujourd’hui en Israël, par le jeu d’une double
concentration : concentration de la demande sur le littoral méditerranéen,
résultant de celle de la population et des terres cultivables ; et concentration
de l’allocation de la ressource en eau vers le milieu rural (déjà plus de 80 %
des prélèvements d’eau vont à un secteur agricole qui satisfait pourtant de
moins en moins les besoins des populations).
Une guerre de l’eau comparable à celle qui se déroule et/ou se
déroulera au Proche-Orient n’est guère envisageable, les pays du Maghreb
ne partageant pas entre eux les ressources en eau (pas de fleuve
transfrontalier par exemple). Toutefois, les tensions internes seront très
certainement accrues entre les nantis disposant de l’or bleu et les moins
nantis devant se contenter de quelques gouttes.
16

Guerres de l’environnement

La protection de l’environnement est un objectif apparemment partagé


par l’ensemble de l’humanité. Mais derrière cette unanimité de façade se
cachent de profondes divergences, notamment entre pays du Nord et pays
du Sud.

En pleine guerre du Kosovo, en 1999, un quotidien brésilien publiait


une série d’articles dévoilant les craintes des analystes du Centre brésilien
d’études stratégiques. La mise sous tutelle internationale de l’Amazonie,
« la plus importante forêt tropicale de la Terre, qui recèle près de la moitié
des espèces connues et éveille l’intérêt des superpuissances mondiales en
raison de son potentiel hydrique et minier », est-elle souhaitable ?
Le gouvernement brésilien a décidé, au début des années 90, de
subventionner le défrichement des forêts amazoniennes, menaçant ainsi leur
intégrité. L’Amazonie appartient certes pleinement au Brésil. Mais, si les
puissances occidentales ont fait exception au sacro-saint principe de
souveraineté des États pour faire la guerre en Yougoslavie et aider les
Kosovars (alors que le Kosovo appartient à la Yougoslavie), pourquoi ne le
ferait-il pas contre le Brésil pour s’approprier l’Amazonie ? Le prétexte ne
serait plus la protection de la population, mais celle de l’« espèce
humaine ». L’Amazonie étant le poumon de la Terre, si le Brésil ne la
protège pas correctement, ce sera le devoir des autres États de le faire au
nom de l’humanité entière.

Le problème de la pollution n’est pas nouveau. Depuis l’origine, les


hommes n’ont pas de respect naturel pour l’environnement. Brûler une forêt
(pour l’habitation, le pâturage ou le combustible) augmente non seulement
le niveau de gaz carbonique, mais, de plus, réduit la quantité de vie végétale
capable d’accomplir la photosynthèse. L’industrialisation au XIXe siècle a
été la source d’importantes dégradations écologiques. Comment oublier la
mort de 700 personnes atteintes de problèmes respiratoires en
décembre 1873 suite à l’apparition d’un grand smog au-dessus du ciel
londonien ?
L’hygiène n’était pas la caractéristique première des centres urbains
industriels du siècle dernier. Mais, pour catastrophiques qu’elles soient, ces
atteintes à l’environnement demeuraient des phénomènes locaux. À la fin
du XXe siècle, l’interdépendance planétaire joue également un rôle dans le
drame écologique.
Avec la menace écologique, pour la première fois ce qui se fait au Sud
peut nuire au Nord. Les pays du Nord, qui ne se sont guère souciés de
préserver l’environnement lorsqu’il s’agissait d’assurer leur
industrialisation, et qui sont toujours aujourd’hui les plus gros
consommateurs d’énergie (et donc les plus gros producteurs de pollution),
ne se privent pas pour autant de faire la leçon aux pays du Sud. À quoi bon
réduire les émissions de chlorofluorocarbures (CFC) si la forêt tropicale
brésilienne n’est pas protégée, si l’Afrique massacre les siennes ?
Sauf qu’un Brésilien consomme quinze fois moins d’énergie qu’un
Américain, qui avec 4 % de la population de la planète consomme 25 % de
l’énergie mondiale.
Les plus graves dégradations écologiques sont le produit de situations
qui combinent à la fois le sous-développement et des initiatives pour le
combattre. En d’autres termes, c’est la phase initiale de sortie du sous-
développement, de transition économique vers la modernité qui, dans le
contexte démographique du tiers-monde aujourd’hui, produit les plus
grands risques écologiques. C’est d’ailleurs ce que nous avons connu dans
les pays développés au siècle dernier lors du démarrage de l’économie
industrielle moderne : pollution extrême due à des énergies (charbon),
filières de production archaïques sans aucune précaution écologique en
matière de rejet dans l’air ou l’eau.
La civilisation industrielle n’a été saisie par la préoccupation de
l’environnement que dans la seconde moitié du XXe siècle à la suite de
catastrophes comme celle de Tchernobyl, en 1986.
La centrale nucléaire (centrale Lénine de type RBMK) se situe à
22 km de Tchernobyl et à 120 km au nord de Kiev (Ukraine). Le 26 avril
1996, une expérience réalisée dans des conditions de puissance instable
provoqua l’ébullition de l’eau de refroidissement, entraînant une
augmentation brutale de puissance. Deux explosions survinrent déclenchant
un incendie et la destruction partielle du cœur du réacteur ; 5 tonnes de
combustible furent projetées dans l’atmosphère.
Un nuage radioactif, effectuant le tour de la Terre, toucha
particulièrement l’Ukraine et la Biélorussie (70 % des retombées), mais
également les pays scandinaves, la Pologne, l’Allemagne, la France et
l’Italie.
Plus de 5 millions de Soviétiques furent exposés aux radiations ; on
dénombrera 1 700 000 irradiés (la majorité en Biélorussie, Ukraine et
Russie). Par ailleurs, 135 000 Ukrainiens furent évacués, tandis que
850 000 vivent encore dans les zones contaminées. Aux alentours de la
centrale, 119 villages furent définitivement abandonnés et 3 000 km2
interdits.
Le bilan officiel est de 42 morts, dont 28 par irradiation ;
500 personnes ont été grièvement blessées. Selon certains spécialistes, la
catastrophe aurait fait plusieurs milliers de victimes. Le coût du sinistre
serait de 20 milliards de francs. Plus de 10 millions de tonnes de blé furent
contaminées et certains produits, tels que le lait ou les légumes verts, furent
boycottés.

L’annonce, faite par le gouvernement indonésien, de convertir 20 % de


sa forêt en plantations de teck, de caoutchouc, de riz, de café et d’autres
cultures, est justifiée explicitement par le fait que « 170 millions
d’Indonésiens ont les mêmes aspirations que n’importe qui aux États-
Unis ».
De même, le grignotage progressif de la forêt amazonienne au Brésil
pourrait être le fait de paysans pauvres suivant les routes de pénétration
dans la forêt et déboisant de nouvelles parcelles ou encore de compagnies
forestières agissant dans un but commercial.

Confrontés à leurs défis démographiques et sociaux, les pays pauvres


ne sont jamais plus écologiquement dangereux que lorsqu’ils cherchent des
moyens à leur portée pour améliorer les conditions de vie de leur
population. C’est ainsi que la Chine a développé ses filières énergétiques au
charbon sans aucun souci écologique. Sa production de charbon a été
multipliée par 20 depuis 1949, et cette augmentation accompagne une
croissance économique à deux chiffres. Le résultat est que dans certaines
régions industrielles, l’air est si pollué qu’elles ne peuvent pas être vues des
satellites de reconnaissance (même quand il n’y a pas de nuage) pendant
trois mois d’affilée. Le réchauffement de la Terre, du fait de l’effet de serre,
pourrait avoir aussi des conséquences stratégiques extrêmement graves. Si
la progression de concentration de CO2 devait se poursuivre au rythme des
trois dernières décennies, la température de la Terre pourrait augmenter de
1,5 à 4,5 degrés d’ici 2050. Cela pourrait provoquer une hausse du niveau
de la mer, à cause de la fonte des glaciers, provoquant des inondations et
faisant même reculer les côtes.
Des pays comme l’Égypte, le Bangladesh ou de vastes régions de la
Chine, où de nombreuses populations résident dans des deltas situés à un
niveau proche de celui de la mer, devraient être évacués ; les pénuries
alimentaires seraient aggravées avec l’immersion des terres agricoles
fertiles des deltas.

L’homme intervient en prédateur de plus en plus agressif et fatigue la


terre.
Par conséquent, l’enjeu et le motif d’une éventuelle guerre de
l’environnement pourraient être l’appropriation par certains, aux dépens des
autres, des ressources rares dont la propreté fait la préciosité. Ou
l’intervention d’un pays ou d’un du groupe des pays du Nord dans un pays
du Sud pour le contraindre à respecter son milieu naturel.
Les pressions industrielles, économiques et le poids stratégique dont
disposent les pays détenteurs de ressources naturelles représentés sur la
scène internationale font que, malgré l’expression de bonnes intentions, il y
a un manque considérable de moyens de coercition pour appliquer les
dispositions de manière globale (voir, par exemple, le refus des États-Unis).
À cela il faut ajouter qu’une grande majorité des réserves naturelles se
trouvent dans des régions politiquement instables et en voie de
développement économique (où le retard technologique provoque des
gaspillages considérables). Dans ces pays, il y a, par conséquent, une
instrumentalisation de l’environnement à des fins politiques qui soit pollue,
soit prive des populations entières d’accès aux réserves naturelles
d’alimentation, d’eau pure, d’air propre. Ainsi, les affrontements deviennent
des guerres de survie, extrêmement violentes. De fait, un impact sur une
partie de l’environnement se propage rapidement à tout l’environnement et
entraîne des effets graves sur la chaîne énergétique et alimentaire mondiale.
Des interventions de forces étrangères pourraient avoir lieu en cas de litige
environnemental, l’eau, l’air, la bio-diversité étant considérés comme le
patrimoine de l’humanité.

Le protocole de Kyoto s’inscrit dans le prolongement de la Convention


de Rio – aussi appelée Convention-cadre des Nations unies sur les
changements climatiques (CCNUCC) – de 1992 qui avait pour but de
« stabiliser […] les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère
à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du
système climatique » (article 2). Les pays participants se sont fixé
l’échéance de 2002 pour réduire les émissions de six gaz à effet de serre de
5,2 % par rapport à leur importance en 1990. Il laisse cependant aux pays
une certaine marge de manœuvre dans le choix de leur mécanisme de
développement et par l’instauration d’un programme d’échange de droits
d’émission. Les États-Unis – plus grands producteurs d’émission de gaz à
effet de serre dans le monde – tiennent particulièrement à leur « droit de
polluer ». L’administration Clinton s’était engagée à signer le protocole de
Kyoto, mais le Sénat s’y est opposé. Il est conforté dans ses positions avec
l’arrivée de George W. Bush au pouvoir. Le 29 mars 2001, celui-ci
annonçait que Washington ne ratifierait pas le protocole de Kyoto jugé
opposé à sa politique économique.
Le protocole de Kyoto a été finalement sauvé lors de la conférence qui
s’est tenue à Bonn du 16 au 27 juillet 2001, en dépit du retrait américain, et
au grand contentement des défenseurs de l’environnement.
17

Guerre de la drogue

L’ONU estime entre 300 et 500 milliards de dollars le chiffre du


marché international de la drogue. 200 millions de personnes seraient
consommatrices de substances illicites. Ces chiffres montrent l’ampleur du
défi du trafic de la drogue.

L’utilisation de substances prohibées ne relève pas uniquement d’un


choix personnel. Elle entraîne un fort niveau de délinquance chez la plupart
des consommateurs qui doivent satisfaire leurs besoins, ainsi que chez les
trafiquants qui bénéficient de flux d’argent importants du fait même de
l’illégalité de leur démarche. Les trafiquants peuvent acquérir un pouvoir
extrêmement fort au niveau national et international. Ainsi, le cartel de la
drogue de Bolivie avait proposé de racheter la dette nationale du pays en
échange d’une promesse de non-extradition des narco-trafiquants.
Le risque est donc de voir des trafiquants acquérir un pouvoir tel dans
un pays qu’ils pourraient peser, par la menace ou la corruption, sur le choix
d’un gouvernement.
L’autre possibilité est de voir des pans entiers de responsabilités d’un
État échapper à son contrôle, car les trafiquants de drogue s’y seraient
établis et le dirigeraient de fait comme un gouvernement.
Les États industriels sont également concernés au premier chef par le
trafic de drogue et le commerce illégal à cause des problèmes de santé
publique et de délinquance qu’ils suscitent. Mais les États eux-mêmes – en
tant qu’entités – sont très menacés :
– Les ressources économiques générées par la criminalité
internationale pénètrent le secteur économique légal (activité de
blanchiment…) ; le FBI estimait ainsi en 1998 que le montant du recyclage
émanant de groupes criminels japonais aux États-Unis s’élevait à
6 milliards de francs. Le rapport sur les drogues de la police criminelle
allemande de 1993 constatait un accroissement important du blanchiment
par la mise en place de sociétés écrans, ou d’investissements massifs dans
l’immobilier.
– Les réseaux transnationaux mettent en cause la souveraineté étatique
et l’intégrité territoriale. Si les États occidentaux ne connaissent pas
actuellement sur leur territoire de « zones grises » (à l’exception de certains
quartiers), ils ne maîtrisent toutefois qu’imparfaitement leurs frontières
terrestres et maritimes.
– La corruption des fonctionnaires, des responsables politiques et
économiques affaiblit l’État.
Certains groupes criminels, sans pour autant acquérir le statut de
mafia, ont cependant largement accru leur implantation dans les pays
occidentaux depuis le début des années 90. Les Kurdes du PKK ou les
Tamouls du LTTE, à la recherche de sources de financement diversifiées,
ont ainsi développé leurs activités : du trafic de drogue à celui des armes, en
passant par la prostitution et le racket (les diasporas locales devant
« soutenir » la cause de manière volontaire ou contrainte : extorsion,
chantage…).
S’agissant des organisations criminelles de l’ex-Yougoslavie et
d’Albanie, le directeur d’Europol affirmait en 1997 : « Les bandes des
Balkans ont commencé à s’organiser, à créer des réseaux qui travaillent
aujourd’hui dans l’immigration clandestine, la drogue ou la prostitution et
qui demain couvriront d’autres secteurs. Le vrai danger est que la
criminalité s’organise de plus en plus, avec des méthodes très sophistiquées.
Cela commence par des bandes criminelles pour aboutir à de véritables
syndicats du crime. »
Les événements survenus récemment aux États-Unis témoignent de
l’importance de cette « nébuleuse du crime » dont les activistes étaient
implantés depuis de nombreuses années sur le sol américain et que les
services de renseignement américains ont été incapables d’infiltrer.
La lutte contre le blanchiment de l’argent de la drogue fait face à des
difficultés accrues. Les technologies modernes de communication
permettent d’échanger des millions de dollars par voie électronique, et les
opérateurs sont extrêmement difficiles à identifier. Le gel et la confiscation
des sommes générées par la drogue sont par ailleurs rendus plus délicats par
la dérégulation des marchés financiers et par la prolifération des paradis
fiscaux qui échappent eux aussi à tout contrôle, en dépit de la mise à l’index
de certains de ces pays par la communauté internationale. À cela s’ajoutent,
pour la plupart des pays, la difficulté de lever le secret bancaire pour
certaines transactions et, pour un nombre encore considérable de pays, le
caractère anonyme des trusts et sociétés qui gèrent d’importants actifs
internationaux sans que la loi ne les oblige à tenir des comptabilités ou à
dévoiler l’identité des propriétaires.

Le crime international organisé recouvre diverses activités : trafic de


drogue (production, transport, commercialisation…), racket, proxénétisme
(trafic de femmes, d’enfants), trafic de produits hors commerce (ivoire,
espèces protégées, organes humains…), contrebande (tabac, alcool,
médicaments…), opérations financières illégales (blanchiment, fabrication
de fausse monnaie, trafic de cartes de crédit…) ou trafic de main-d’œuvre
immigrée et de clandestins. Le montant annuel des profits issus de ces
activités est considérable, il est évalué à 1 000 milliards de dollars.
Le chiffre annuel du crime organisé peut être estimé à 800 milliards de
dollars par an. S’il était un État, cela le placerait en termes de PNB au
7e rang mondial, derrière les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la France,
l’Italie et le Royaume-Uni, mais devant la Chine, le Brésil, l’Espagne, le
Canada ou la Russie. Les organisations criminelles s’adaptent à la
mondialisation économique et financière ; le développement concomitant
d’activités légales permet notamment de « blanchir » les profits réalisés
dans le cadre des trafics.

Le trafic de drogue peut être le fait de groupes criminels traditionnels


(mafia italienne ou turque, cartel colombien, triades chinoises) ou de
groupes armés impliqués dans des conflits.
De nombreuses guérillas se livrent au trafic de drogue pour faire vivre
leurs combattants. Les bénéfices considérables issus du trafic de drogue
permettent l’accumulation de pouvoir et l’entretien de guérilleros. Les
guérilleros du Sentier lumineux (Pérou) ou des Forces armées
révolutionnaires de Colombie perçoivent un impôt sur la vente des feuilles
de coca (10 % du prix de vente en moyenne) réalisée par les paysans dans
les zones qu’ils contrôlent. En échange, les guérilleros protègent ces
derniers. On a ainsi pu parler de narco-guérillas.
En Afghanistan, les talibans ont financé leur mouvement en percevant
un impôt islamique sur l’opium.
Au Sri Lanka, en Birmanie, au Liban, au Kurdistan, de nombreuses
guérillas prospèrent grâce au trafic de drogue. Ce dernier peut d’ailleurs
devenir non plus un moyen de survie mais une fin en soi. La guérilla
continue d’afficher des objectifs politiques, mais ne cherche pas à gagner le
pouvoir central ; elle se contente de contrôler une partie du territoire pour
vivre confortablement de la vente de la drogue.
Mais certains États ne sont pas en reste pour ce qui est du trafic.
L’argent de la drogue a permis à la Birmanie d’acheter des armes à la Chine
pour combattre la guérilla karen. Au Pakistan, ce sont les services secrets
qui tirent des bénéfices considérables de la drogue, ce qui leur permet de
financer des actions contre l’Inde et le Cachemire. Noriega avait fait de
Panama une plaque tournante du trafic de drogue. Cuba a également utilisé
ce moyen pour obtenir les devises que l’embargo américain l’empêchait
d’avoir.

L’armée américaine livre la guerre contre la drogue


En 1986, malgré les réserves successives du Pentagone, le président
Reagan, soutenu par le Congrès, décida d’engager les forces armées
américaines dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Le rôle accru des
militaires se manifesta d’abord dans le cadre de la stratégie d’interdiction,
visant à intercepter la drogue dans sa phase de transfert du pays de
production vers les États-Unis. Les forces armées américaines, disposant de
moyens supérieurs en quantité et qualité, furent utilisées pour assister les
organismes civils (US Customs Service et US Coast Guard) ; ainsi, les
avions de détection aérienne E-3 Awacs et les radars terrestres furent mis en
œuvre pour localiser les appareils des narco-trafiquants pénétrant dans
l’espace aérien américain. Par ailleurs, les militaires assuraient
l’entraînement des agents de la DEA (Drug Enforcement Administration).
En 1989, les États-Unis ont même déclenché une intervention militaire
au Panama pour renverser le général Noriega accusé de faire de son pays la
plaque tournante du trafic de drogue en direction des États-Unis.
En 1991, le président Bush mit en place un plan d’assistance militaire
destiné aux pays andins (Colombie, Pérou et Bolivie) pour réduire la
production et enrayer le trafic. Les États-Unis envoyèrent des conseillers
pour assurer la formation des militaires et policiers colombiens et
boliviens ; ils fournirent également à ces pays des hélicoptères et des avions
pour appuyer leurs opérations.

L’ONU évalue à quelque 700 000 familles (ou 4 millions de


personnes) le nombre de ceux dont le principal revenu et la survivance
dépendent de la culture de la coca ou de l’opium dans les régions rurales
d’Asie et d’Amérique latine. Depuis dix ans, les gouvernements et la
communauté internationale ont dépensé la modeste somme de 700 millions
de dollars (1,5 % de l’assistance totale reçue par les pays producteurs) pour
développer des cultures et des modes de développement alternatifs. Ces
sommes sont notoirement insuffisantes pour parvenir à un résultat.
18

Guerres économiques

La guerre économique va-t-elle remplacer au XXIe siècle la guerre


militaire classique ?

C’est une thèse de plus en plus répandue sous le double effet de la


disparition de l’Union soviétique et de l’âpreté des batailles commerciales
sur fond de crise économique et sociale.
La guerre économique peut se définir par la mobilisation de
l’ensemble des moyens économiques d’un État à l’encontre d’autres États
pour accroître sa puissance ou le niveau de vie de ses habitants.
L’ennemi soviétique disparu, la bataille décisive à mener devenait celle
de l’emploi par le biais de la production et surtout du commerce
international. De façon symptomatique, 70 % des Américains, au début des
années 90, considéraient le Japon, alors en pleine santé économique,
comme la principale menace pour la sécurité des États-Unis, contre 21 %
pour l’URSS. Ce n’était pas, bien sûr, les forces armées nippones qui
faisaient peur aux Américains, mais leurs grandes entreprises qui
conquéraient les marchés, rachetaient les entreprises américaines et étaient
accusées d’être responsables du chômage.
Mais, en fait, la guerre économique est tout sauf une nouveauté. Tout
d’abord, parce que les guerres ont toujours eu une dimension économique
de par leurs causes et leurs implications. Il a toujours fallu de l’argent pour
lever une armée. La conquête des territoires riches sur le plan agricole ou
minier a souvent été la cause des combats, et la destruction des richesses de
l’adversaire un moyen de gagner les guerres. La conquête de l’Amérique
s’est faite pour mettre la main sur les mines d’or et d’argent, ainsi que sur
les épices. C’est par l’économie que Napoléon a voulu gagner la guerre
contre l’Angleterre en essayant de lui imposer un embargo. La colonisation
de l’Afrique et de l’Asie était également motivée par des considérations
d’ordre économique.
Le terme de « guerre économique » a été employé pour la première
fois par un auteur auparavant inconnu, Paul Louis, dans un livre portant ce
titre. L’expression a été reprise par les belligérants de la Seconde Guerre
mondiale de Hitler à Roosevelt. Puis il est devenu courant à partir des
années 60, lorsque le commerce mondial a connu une croissance supérieure
à la production.
À côté de la guerre économique, on a évoqué les batailles de
l’exportation, menées par des capitaines d’industrie, les batailles de
conquêtes de marchés, d’espionnage industriel, de guerres des prix, de
stratégies des entreprises, qui sont dirigées par des états-majors qui peuvent
opérer des raids.
Les analogies se comprennent aisément. La compétition économique
s’exerce à l’échelon mondial et elle est d’autant plus féroce. La sécurité, de
son côté, ne peut plus s’analyser seulement en termes purement militaires,
elle doit aussi considérer la compétitivité technologique, les risques
financiers. La comparaison a cependant des limites. L’objectif d’un
entrepreneur, c’est le gain, le profit ; celui d’un chef militaire, c’est la
victoire.

De l’espionnage à l’« intelligence


économique »
Depuis le début des années 90 et l’implosion du pacte de
Varsovie, l’information économique est devenue une des
principales sources de préoccupation des services secrets
occidentaux. Le renseignement économique, devenu
stratégique, comprend l’espionnage, la veille technologique
et l’« intelligence économique ». Il figure désormais au
premier rang des missions des centrales, notamment dans les
secteurs de l’armement et de la haute technologie.
La principale novation réside sans doute dans l’apparition, à
côté des services de renseignement traditionnels, d’un
segment privé, intégré dans les activités des grands groupes
internationaux ou au contraire mené par des cabinets de
consultants extérieurs aux sociétés.
Ainsi, l’« intelligence économique » est l’action qui consiste
à recueillir, regrouper, diffuser, et éventuellement protéger,
l’information destinée à la conquête de nouveaux marchés.
Les informations recueillies proviennent à 90 % de
l’exploitation de sources ouvertes, comme la presse
spécialisée et les ressources Internet.
Officiellement, les cabinets privés et les services spécialisés
des grandes sociétés ne pratiquent pas d’opérations illégales
de renseignement économique. En revanche, ils sont tous
liés aux services de renseignement des États dont ils sont les
nationaux. Ceci explique-t-il cela ?

L’économie traduit certes des appétits de pouvoir, mais son but est de
produire et d’échanger, alors que celui de la guerre militaire est de
conquérir ou soumettre. La compétition économique est permanente, la
guerre est discontinue. C’est pour toutes ces raisons que la guerre
économique peut se définir par la mobilisation de l’ensemble des moyens
économiques d’un État à l’encontre d’autres États, dans le but d’accroître sa
puissance et le niveau de vie de ses habitants.
Les acteurs de cette guerre sont les États et les firmes multinationales,
le monde entier en est le champ de bataille, et les armes utilisées sont aussi
bien offensives que défensives : sens de l’organisation, productivité,
innovation, obstacles douaniers, contingents, espionnage industriel,
regroupements régionaux…
Le choix des armes ne se porte plus aujourd’hui sur les restrictions et
les barrières douanières, obstacles mis à mal par le « désarmement
commercial » exercé sous l’égide du GATT, puis de l’OMC (Organisation
mondiale du commerce), mais davantage sur l’espionnage industriel –
pratique ancienne qui s’est institutionnalisée – et sur la création de blocs
commerciaux (Union européenne, AELE, ASEAN, ALENA, Mercosur…).
Ces derniers se sont érigés sur la base de regroupements régionaux pour
permettre, dans un premier temps, aux États-parties et aux entreprises de se
protéger des effets néfastes de la mondialisation (effet forteresse), puis,
dans un deuxième temps, pour mieux l’aborder, de s’organiser en vue de
conquérir des marchés extérieurs.
C’est sur ce terrain et dans le domaine des hautes technologies que se
manifeste le plus la guerre proprement économique. Cette compétition
ayant lieu dans des domaines sensibles relevant, dans la plupart des cas, de
la souveraineté nationale (industries d’armement), cela ne peut manquer
d’avoir des répercussions politiques.
La mondialisation se traduit par l’explosion des échanges
commerciaux internationaux. Les exportations mondiales de biens et de
services ont atteint, en 1998, 6 500 millions de dollars, soit 24 % de la
richesse mondiale. Si la tendance actuelle se poursuit, elles atteindront
11 400 milliards de dollars en 2005, soit 28 % du produit intérieur brut
mondial. Il y a vingt ans, la part du commerce mondial par rapport au
produit intérieur brut atteignait à peine plus de 9 %.

OMC
Vu l’importance des échanges commerciaux, le rôle des
organisations économiques internationales devient
déterminant, comme en témoigne l’importance croissante de
l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Créée le 1er janvier 1995, à la suite de l’accord de
Marrakech en avril 1994, l’OMC s’est substituée au GATT.
Elle s’est dotée de nouvelles fonctions visant, d’une part, à
établir une autorité plus ferme sur les règles multilatérales
(surveillance et répression des pratiques déloyales) et,
d’autre part, à organiser l’ouverture de nouveaux domaines
aux règles multilatérales (services financiers, marchés
publics, produits agricoles, produits culturels…).
L’objectif consiste à promouvoir le multilatéralisme au
détriment du bilatéralisme, voire de l’unilatéralisme. Le
recours à des mesures de sanctions économiques est l’une
des armes les plus efficaces dont dispose l’OMC.

Les sanctions économiques

La sanction économique – acte par lequel un pays ou une organisation


internationale réprime la violation d’un droit ou d’un intérêt en prenant des
mesures de rétorsion économique –, si elle n’est pas nouvelle, est appelée à
jouer un rôle croissant.
L’utilisation de cet instrument de rétorsion peut prendre des formes
diverses (boycott, embargo partiel ou total, unilatéral ou multilatéral,
blocus…) et poursuivre plusieurs objectifs : la déstabilisation d’un pays
(politique des États-Unis en Amérique latine dans les années 60 et 70) ; la
cessation d’opérations militaires (sanctions contre la Turquie suite à
l’intervention des troupes turques à Chypre en 1974) ; la promotion de la
démocratie et la défense des droits de l’homme (sanctions contre la Chine
en 1989, contre l’Afrique du Sud et l’apartheid) ; la lutte contre la
production et le trafic de drogue (sanctions contre la Colombie en 1994) et
la prolifération nucléaire (sanctions contre l’Inde et le Pakistan à la suite
des essais nucléaires de mai 1998) ; la participation des pays à une guerre
(Irak, Yougoslavie).
Toutefois, les sanctions économiques mettent en lumière leurs limites.
Elles font d’abord souffrir les populations plus que les dirigeants des
pays qui sont moins exposés, comme en témoigne l’exemple de l’isolement
économique imposé à l’Irak aujourd’hui confronté à une situation socio-
économique que les responsables d’organisations humanitaires jugent
catastrophique. Elles ne peuvent être efficaces que si elles sont décidées et
respectées par la communauté internationale et non par un groupe de pays,
ou un seul, comme le font souvent les États-Unis.
Néanmoins, les « vaincus » de cette guerre moderne ont bien du mal à
supporter cette domination de la part de puissances économiques
indifférentes à la multiplication des poches de paupérisation.
19

Guerre de l’information

L’information est, aujourd’hui plus que jamais, une ressource vitale


pour les États. Les attaques terroristes récemment perpétrées contre les
États-Unis l’ont bien montré. Son acquisition, sa détention et sa
préservation sont l’une des sources majeures des rivalités politique,
militaire et économique.

Dès 1996, deux auteurs américains écrivaient : « L’information est la


nouvelle monnaie de l’économie mondiale […] le pays qui saura le mieux
conduire la révolution de l’information sera le plus puissant. Dans l’avenir
prévisible, ce pays sera les États-Unis1. »
Depuis deux décennies, les réseaux de transmission de l’information
(télécommunications, satellites, Internet, télévision) sont devenus des
enjeux de puissance, tant pour les États que pour les entreprises
multinationales. Une récente étude prévoit qu’en 2006 la moitié des emplois
américains devraient être liés, directement ou indirectement, aux
technologies de l’information ; en 1999, « l’économie Internet » crée aux
États-Unis autant de valeur que le secteur automobile. Ce n’est pas un
hasard si Al Gore, vice-président sous l’administration Clinton, a fait des
technologies de l’information son cheval de bataille en supposant
l’avènement d’« une nouvelle démocratie et la résolution des grands
déséquilibres sociaux ». Cette politique repose essentiellement sur
l’ouverture et la déréglementation des marchés de l’information, devant
permettre le développement d’un réseau mondial et un commerce
électronique sans entrave.
Cependant, ce projet est contesté par de nombreux pays, notamment
ceux de l’Union européenne et le Japon, qui y voient un risque évident de
prééminence économique et culturelle américaine conduisant à une
« standardisation universelle ». Il ne s’agit dès lors plus seulement d’une
rivalité commerciale, mais d’un affrontement pour la suprématie
internationale, dans lequel les Européens et les Asiatiques s’efforcent de
combler le « fossé technologique » (Technological Gap) les séparant des
Américains.
Pour leur part, les pays pauvres se trouvent quasiment exclus de cette
économie mondiale dominée par les technologies de l’information. Un
rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD)
de 1999 met en évidence cette marginalisation : ainsi, avec 19 % de la
population mondiale, les 29 pays de l’Organisation pour la coopération et le
développement économique (OCDE) comptent 91 % des utilisateurs
d’Internet (les Américains représentant à eux seuls 50 %). Cette exclusion
économique et culturelle croissante alimente les ressentiments à l’égard des
pays riches, notamment des États-Unis, et risque à terme d’être une source
de conflits. Le rapport du PNUD conclut ainsi : « L’abolition de l’espace,
du temps et des frontières crée certes un village mondial, mais tous les
individus ne peuvent pas en faire partie… pour des milliards d’êtres
humains, les frontières sont toujours aussi infranchissables. »

Le réseau « Échelon»
En 1948, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada,
l’Australie et la Nouvelle-Zélande conclurent en secret un
pacte de sécurité baptisé « Ukusa ». L’objectif de ce dernier
était alors de collecter des informations en provenance de
l’URSS et de ses alliés, par le biais d’un système d’écoute et
d’analyse : le réseau « Échelon ».
Avec la fin de la guerre froide et l’extraordinaire
développement des technologies de renseignement,
notamment dans l’informatique et les satellites, les
Américains réorientent ce fantastique instrument de
surveillance sur leurs concurrents économiques : le Japon et
les puissances européennes, telles l’Allemagne et la France.
Un réseau d’une centaine de satellites capte les ondes émises
par les radios ou les téléphones cellulaires, tandis que les
informations transmises par téléphones, fax ou messageries
électroniques sont interceptées par des systèmes
informatiques ; les millions de données collectées sont
analysées par la National Security Agency (NSA). Certaines
entreprises américaines (Lockheed, Boeing) disposent ainsi
de données – souvent confidentielles – « recueillies » auprès
de leurs concurrents, leur conférant un avantage dans le
développement de certains projets ou la négociation de
contrats.
Le Parlement européen s’est récemment élevé contre cet
espionnage économique à grande échelle et a exigé du
Royaume-Uni des informations sur son rôle dans le réseau
« Échelon ».

Les entreprises et, plus généralement, le commerce mondial sont


également dépendants de l’information. Si Internet favorise les échanges et
produit de la richesse, il contribue également à accroître la vulnérabilité des
entreprises utilisatrices. En effet, leurs systèmes informatiques, connectés
au « réseau des réseaux », se trouvent en prise directe avec l’extérieur, et les
informations qu’ils détiennent sont dès lors susceptibles d’être interceptées
(vol de documents confidentiels), piratées (utilisation frauduleuse de
numéros de cartes de crédit) ou détruites (insertion de virus). Les systèmes
de protection les plus sophistiqués (pare-feux, logiciels de cryptage…) ne
sont pas actuellement en mesure de contrer l’ensemble des attaques menées
contre les réseaux informatiques ; par ailleurs, de nombreuses entreprises ne
semblent pas avoir pris la mesure des risques encourus. Le système de
décryptage des communications, quelle que soit leur nature, a créé une
révolution dans les systèmes de renseignement des grandes puissances
occidentales, au premier rang desquelles se trouvaient les États-Unis qui en
eurent l’initiative.
Si l’information est une arme économique et culturelle, elle est surtout
un instrument essentiel pour les forces armées ; elle modifie déjà en
profondeur les données de la guerre moderne. Les technologies de
l’information permettent aux militaires de dominer l’ennemi en connaissant
ses intentions et ses moyens (recueil et exploitation du renseignement) ; par
ailleurs, elles peuvent être utilisées pour tromper l’adversaire (guerre
psychologique, désinformation) ; enfin, elles sont utilisées pour détruire ou
paralyser les systèmes d’information adverses (guerre électronique). Les
États-Unis ont conçu de nouveaux concepts et moyens stratégiques et
tactiques visant à gagner la « bataille de l’information », c’est-à-dire à
vaincre l’ennemi au moyen des technologies les plus avancées, en évitant
de subir des pertes. Le recours aux technologies de l’information donne
l’impression – l’illusion, selon certains – d’une guerre « propre » menée à
distance.
Ainsi que l’écrit Maurice Najmann : « La guerre de demain sera donc
avant tout une guerre grâce, dans et pour l’information2. » Les récentes
interventions militaires menées par des puissances occidentales contre
l’Irak, en 1990, ou contre la Serbie, en 1999, ont mis en évidence le rôle
central de l’information dans la victoire militaire.
Le premier mode de guerre de l’information est sûrement le plus
ancien et le plus connu, il s’agit de la guerre psychologique. Si les progrès
technologiques ont entraîné des modifications importantes, ses formes
traditionnelles ont cependant peu évolué : désinformation, manipulation,
contre-information et propagande. Les conflits sont entrés dans l’ère de la
« bataille médiatique », qui se définit comme « un ensemble de techniques
visant à utiliser l’information comme un instrument de confusion, de
dissuasion, de déception et de persuasion ou plus exactement de gestion de
l’opinion publique3 ». L’information peut pourtant se retourner contre le
pays le plus avancé dans ce domaine ; ainsi, l’impact des images de soldats
américains tués a contraint le président Clinton à ordonner le retrait des
troupes de Somalie.
Le second type de guerre de l’information est la guerre électronique,
dont l’objectif est de rendre l’adversaire « aveugle » (suppression des
radars), « sourd et muet » (destruction des réseaux et systèmes de
communication). Les forces ennemies ne doivent pas être annihilées mais
rendues inaptes au combat. L’offensive menée contre l’Irak en 1991 fut la
première opération militaire faisant intervenir à grande échelle l’ensemble
des moyens de guerre électronique en service dans les forces armées
occidentales : avions radars, de brouillage et d’espionnage électronique ou
armes antiradar.

Un « Pearl Harbor » électronique ?


Les États-Unis prenaient très au sérieux la menace d’une
attaque concertée contre leurs réseaux transmettant de
l’information, via Internet. Certains experts estiment en effet
qu’un groupe terroriste ou un État ennemi pourrait
provoquer une catastrophe en détruisant les systèmes
informatiques des banques et des Bourses (interruption des
transactions financières), des aéroports et du contrôle aérien
(risques de collision), des services de secours ou des feux de
signalisation des grandes villes (accidents et paralysie de la
circulation). Ces attaques inquiètent les responsables civils et
militaires de la sécurité, car elles nécessitent relativement
peu de moyens humains, matériels et financiers au regard
des dégâts escomptés. Outre les groupes terroristes, les
États-Unis soupçonnent certains États, tels que la Corée du
Nord ou la Libye, de constituer des équipes de hackers, afin
de lancer une offensive informatique concertée contre les
systèmes informatiques américains. L’avance des
Américains dans le domaine des technologies de
l’information leur confère une supériorité incontestable,
cependant la dépendance à l’égard de ces dernières engendre
une vulnérabilité nouvelle dont toutes les conséquences ne
paraissent pas avoir été envisagées.
La guerre de l’information est déjà une réalité dans de
nombreux domaines : économique, militaire et culturel. Si
les États-Unis dominent à l’heure actuelle, leurs concurrents
européens et asiatiques semblent prendre conscience de leur
retard et de la nécessité vitale de réduire le « fossé
technologique ». Cependant, à l’instar des Américains, ces
derniers doivent se prémunir contre les risques que les
technologies de l’information sont susceptibles d’engendrer.
Mais le « Pearl Harbor » qu’ont subi, le 11 septembre 2001,
les États-Unis n’a pas été électronique. Les systèmes de
renseignement prévoyant une guerre électronique ont oublié
que le danger que courent les sociétés occidentales réside
dans le rustique et les moyens de communication humains
les plus rudimentaires.

La guerre informatique proprement dite est sans aucun doute la forme


la plus récente de la guerre de l’information ; son objectif est de détruire,
paralyser ou prendre le contrôle des systèmes informatiques ennemis au
moyen d’ordinateurs et de programmes informatiques. Plusieurs armes ont
été recensées :

virus : ils infectent les programmes et les fichiers ;


« vers » : ils détruisent les ressources du système et se déplacent
dans les réseaux ;
« bombes logiques » : elles se présentent sous forme de
programmes chargés d’introduire les virus et les vers ;
« chevaux de Troie » et les « trappes » : ce sont des programmes
permettant une intrusion discrète afin de détruire, modifier ou
consulter le contenu d’un ordinateur.
Toutes ces armes informatiques ont déjà été utilisées ; ainsi, lors de
négociations du GATT, la CIA a mis en œuvre des « chevaux de Troie »
pour permettre aux négociateurs américains de connaître les positions des
représentants des pays de l’Union européenne.

Ce type de guerre suppose des moyens relativement limités : quelques


spécialistes en informatique, des ordinateurs et des programmes
sophistiqués. Ils permettent ainsi à des États, à des groupes transnationaux
(groupes mafieux ou terroristes, sectes) ou à des individus de menacer des
pays puissants. La première des cibles semble être les États-Unis : en 1998,
plus de 6 000 attaques ont été menées contre des sites militaires. Ce pays se
trouve ainsi dans une situation paradoxale : il occupe une position
dominante dans le domaine de la guerre de l’information, cependant
l’accroissement continu de sa dépendance à l’égard des technologies de
l’information accroît la vulnérabilité de son infrastructure économique,
financière et militaire.
1. Joseph S. Nye Jr et William A. Owens, « America’s information edge », Foreign Affairs, mars-avril 1996.
2. Maurice Najmann, « Révolution militaire pour le XXIe siècle », Manière de voir, n° 43, janvier-février 1999, Le Monde diplomatique.
3. Claude Michel, « Les théories et les technologies de la guerre psychologique à l’aube du troisième millénaire », Le Casoar, janvier 1999.
20

Guerres de l’espace

Plus de quarante ans se sont écoulés depuis le « bip-bip » du premier


satellite artificiel, Spoutnik, lancé par l’URSS, le 4 octobre 1957. À
l’époque, peu d’observateurs auraient pu prédire l’extraordinaire croissance
qu’allait connaître l’exploitation de l’espace.

Si, dès le début, les intérêts militaires ont joué un rôle décisif dans
l’extension des activités spatiales, les applications civiles et commerciales
se sont multipliées au cours des décennies, non seulement dans des
domaines stratégiques comme l’économie et la gestion des infrastructures
terrestres, mais aussi dans notre vie quotidienne (télévision,
communication…). Il en résulte une dépendance accrue au bon
fonctionnement de l’outil spatial. Aujourd’hui, les principales applications
de l’espace sont les activités de renseignement (observation, écoute), de
télécommunication, de navigation et de localisation. Elles deviennent
l’élément central et vital de la maîtrise de l’information, concept clé de la
puissance, et dont les États-Unis, récemment confrontés à des actes
terroristes, ne connaissent que trop la valeur stratégique. Du statut de
simples outils au service de la défense, les moyens spatiaux, tant civils que
militaires, sont devenus les éléments fondateurs des politiques de sécurité et
de puissance au sens le plus large.
Deux spécificités caractérisent l’espace dans son utilité et son
importance pour l’homme :
La première est qu’il constitue le « point haut » par excellence, cher
aux militaires. En effet, il permet :

s’affranchir des contraintes géographiques (distances, difficultés


d’accessibilité sur une zone…) ;
libre circulation ;
couverture planétaire ;
permanence des missions.

La seconde est qu’il offre un terrain hors norme d’expérimentations


scientifiques de ses particularités physiques et des conditions sans
précédents pour améliorer notre connaissance de l’univers.
Les caractéristiques de l’espace (point haut) et la multiplicité de ses
applications, qui deviennent essentielles dans tous les domaines de la vie
civile ou militaire, sont à l’origine de la volonté d’armer l’espace, volonté
qui se fait chaque jour un peu plus prégnante. Il ne s’agit plus alors
d’utilisation à des fins militaires des applications de l’espace, mais d’une
militarisation de l’espace avec mise en orbite d’armes spatiales ayant trois
fonctions principales :

les satellites nationaux (posture défensive) contre des attaques


ennemies, qui pourraient causer de graves dommages à un pays ;
les missiles balistiques intercontinentaux ;
à un ennemi l’accès à l’espace, mais aussi l’empêcher d’utiliser
ses moyens spatiaux par la destruction de ceux-ci (posture agressive,
officiellement absente, mais officieusement rendue possible ne serait-
ce que par la présence d’armes antisatellites censées protéger les
satellites).

Qui maîtrise l’espace domine le monde. Il n’est dès lors pas étonnant
que la conquête de l’espace ait été le fruit de la compétition soviéto-
américaine. Il ne s’agissait pas seulement de résoudre une question de
prestige : qui réalisera le premier vol en orbite, qui enverra le premier
homme sur la Lune, etc. L’espace, c’est avant tout un problème de
suprématie stratégique. C’est par là que passent les missiles nucléaires
intercontinentaux, les satellites d’observation qui facilitent la connaissance
du dispositif militaire adverse, ou les satellites d’écoute qui permettent
d’intercepter les communications, les satellites de communication qui
permettent de transmettre des informations ou des ordres très rapidement.
Les satellites envoyés dans l’espace, s’ils sont le plus souvent
militaires, ne sont pas toujours guerriers. Ils peuvent servir tout autant à
veiller à la bonne exécution d’un accord de désarmement que surveiller les
mouvements des troupes pour prévenir un conflit ou lancer des opérations
militaires. Ce qui est certain, c’est que la maîtrise de l’espace permet de
voir, d’écouter et de communiquer. Ce qui donne un avantage déterminant
sur celui qui n’a pas ces capacités.
Aujourd’hui, le club des puissances spatiales compte, outre les deux
géants américain et russe, l’Europe (création de l’Agence spatiale
européenne en 1975, à vocation civile) et plus particulièrement la France, la
Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne qui ont développé des programmes
militaires nationaux, ou en coopération, la Chine, le Japon, l’Inde et Israël.
Il faut ajouter à cette liste le Brésil qui ne dispose pas de lanceurs mais qui
s’appuie sur des coopérations pour développer son secteur spatial.

Facteur de puissance, l’espace pourrait-il être le théâtre d’un conflit ?


Cela suppose le développement et le déploiement d’armes dans l’espace.
Qu’en est-il à ce sujet actuellement ? Seuls les États-Unis et l’URSS ont
lancé des programmes majeurs de recherche dans ce domaine, avec,
semble-t-il, une approche sensiblement différente dans un premier temps.
Tandis que les premiers s’orientaient sur une défense spatiale contre les
attaques des missiles balistiques, les seconds privilégiaient les recherches
sur la destruction des satellites ennemis avec mise en place en orbite de
véritables stations spatiales militaires avec armes à énergie dirigée, armes
laser et armes à énergie cinétique. Le premier système d’arme antisatellite
(ASAT) soviétique fut développé dans les années 60. Parallèlement, les
Soviétiques entreprirent des recherches sur la destruction des fusées
balistiques en vol, mais aussi de cibles sur Terre.
L’« Initiative de défense stratégique » (Strategic Defense Initiative) fut
lancée par le président américain Ronald Reagan en mars 1983. Celui-ci
envisageait alors la constitution d’un bouclier spatial capable de rendre le
territoire américain inaccessible aux armes nucléaires soviétiques. Le projet
fut bientôt baptisé par les experts « Guerre des étoiles » par référence au
film futuriste de George Lucas. En déployant des centaines de missiles
intercepteurs guidés par des satellites dans l’espace, le président américain
espérait rendre les armes nucléaires « impuissantes et obsolètes ». Le
programme, né d’une inspiration pacifiste et antinucléaire, relançait en
réalité la course aux armements dans l’espace, en multipliant le nombre
d’armes qui pouvaient y être déployées. En dépit de l’enthousiasme initial
de ses partisans, les limites de la SDI sont vite apparues. L’objectif d’un
bouclier étanche aux armes nucléaires adverses révèle une illusion, car les
moyens de contrer ou de détruire les défenses existent déjà. Il est d’autre
part coûteux et déstabilisant.
Le 17 mars 1999, les États-Unis créent la surprise avec l’annonce, par
Bill Clinton, de la reprise du projet « Guerre des étoiles », programme
enterré officiellement en 1992 par George Bush, car jugé trop coûteux et
trop ambitieux. La nouvelle administration de George W. Bush a souligné
l’importance du bouclier anti-missiles suscitant de vives oppositions de la
part de la communauté internationale qui en a dénoncé l’inutilité et à
laquelle les attaques terroristes perpétrées contre des symboles
économiques et militaires de la puissance américaine ont donné raison.
Depuis la fin de la guerre froide, la menace terroriste a changé de visage et
les recettes utilisées auparavant ne sont plus opérationnelles.

L’espace sera-t-il le lieu d’un prochain conflit ?

Le développement d’armes dans l’espace augmente les probabilités de


le voir comme un lieu potentiel d’opérations militaires. Mais la probabilité
d’une rivalité pour maîtriser l’espace dans ce milieu est plus grande que
celle d’une guerre. Combattre pour l’espace semble être, aujourd’hui, la
préoccupation la plus immédiate des puissances spatiales, mais aussi
d’autres pays voulant accéder aux ressources de l’espace. Deux problèmes
majeurs sont générateurs de tensions : l’allocation des fréquences (pour les
satellites de communication) et la disponibilité des orbites. L’espace n’est
plus seulement une source de prestige, il est désormais l’objet d’une
compétition économique exacerbée non seulement entre États mais aussi
entre opérateurs privés et publics. L’enjeu économique est particulièrement
fort pour les technologies de recueil et de transmission de l’information et
les segments sols associés, ainsi que l’accès à l’espace (lanceurs). Le
marché des satellites de télécommunication est estimé à 25 milliards de
dollars et celui des segments au sol à plus de 100 milliards.
Dans un contexte où les États-Unis affirment de plus en plus
brutalement leurs ambitions commerciales et leur volonté de mainmise et de
domination sur le secteur spatial, des conflits économiques, commerciaux,
financiers, industriels et technologiques sont prévisibles.
L’espace est un amplificateur de puissance, et son accès et son
utilisation, un enjeu de souveraineté et d’indépendance. Il s’agit alors de
dominer dans l’espace, pour l’espace et par l’espace.
21

Guerres urbaines

L’urbanisation massive est l’un des phénomènes les plus frappants du


XXe siècle. Les guerres de demain pourraient donc naître dans les villes.

Les mégapoles, villes de plus de 5 millions d’habitants, peuvent être


situées dans des États très peuplés, comme la Chine, l’Inde, le Brésil, le
Mexique et l’Indonésie, qui comptent à eux seuls neuf des plus grandes
agglomérations mondiales sur vingt. Mais elles peuvent aussi être situées
dans des États moyens (Hong Kong, Singapour). Taipeh, avec 7 millions
d’habitants, rassemble le tiers de la population de l’État de Taiwan ; Séoul
regroupe les deux cinquièmes de la population sud-coréenne.
On parle également de mégapole pour désigner un ensemble de villes
importantes et voisines qui entretiennent des rapports fonctionnels étroits.

Autrefois, les guerres se passaient en dehors des villes et les soldats


partaient en campagne. Demain, comme aujourd’hui, les guerres auront lieu
dans les villes, où se trouvent pouvoir et richesse. Au Liban, en ex-
Yougoslavie, en Somalie, dans tous les grands conflits des années 90, les
combats ont pour objet de contrôler la ville, les aéroports, les ports, les
centres de communication par où transitent les richesses. La concentration
des richesses dans les villes et l’effacement des guerres entre États au profit
de guerres civiles sont deux facteurs qui conduisent à faire de la ville le lieu
des guerres de demain.
Jadis, la ville protégeait ceux qui y vivaient. On s’y réfugiait.
L’urbanité était synonyme de civilisation et de tranquillité. Aujourd’hui, les
mégalopoles sont devenues des milieux de plus en plus hostiles à ceux qui y
vivent. Les villes géantes sont devenues belligènes.
Dépourvues de réelles infrastructures, les mégapoles des pays en voie
de développement comptent de 20 à 50 % de taudis et de bidonvilles. Les
rapports de l’ONU ou d’organisations humanitaires les décrivent comme
des « immensités urbaines à l’état sauvage », voire des « jungles urbaines ».
La mégapole attire parce qu’elle est censée procurer emploi, sécurité,
logement, alimentation, soins médicaux et protection. Incapables de
satisfaire ces besoins, les villes génèrent insatisfactions et rancœurs et,
faisant cohabiter bidonvilles et quartiers riches, opulents et miséreux, créent
des réactions de violence et de désespoir. Les villes concentrent souvent
l’essentiel des richesses du pays (Lima compte 85 % de la richesse
péruvienne) en rassemblant pouvoirs politique et administratif, services
financiers et industriels, sièges des grandes entreprises et universités.
Ces richesses attirent, par l’exode rural, les autres habitants du pays.
Mais ces derniers ne vont y trouver que misère et précarité, sans pouvoir
accéder aux soins médicaux, à l’eau potable ou au logement. La pollution y
est extrêmement développée.
Toutes ces réalités vont entraîner la multiplication de comportements
illégaux et constituer un vivier pour le banditisme, le fanatisme politique ou
religieux, et les sectes. Les mafias, face à l’impuissance de l’État, y font
régner leur ordre, parfois après de sanglantes opérations de prises de
contrôle de certains quartiers ou zones par des bandes armées.
L’anarchie côtoie alors l’ordre occulté de la mafia et les mégapoles
ressemblent à de grands bateaux incontrôlables.

Le colonel Bosse de l’US Army l’affirme : « Traditionnellement, la


guerre urbaine est une chose que nous avons recherché le plus souvent
possible à éviter, mais la majorité des études tend à prouver que nous y
serons de plus en plus confrontés. » Les forces armées américaines étudient
attentivement le milieu urbain ; elles estiment notamment que la fermeture
de leurs bases à l’étranger les contraint à utiliser des ports et aéroports
situés à proximité des agglomérations. Par ailleurs, les militaires américains
considèrent que leurs futurs ennemis, ne pouvant prendre l’avantage en
terrain ouvert, choisiront le milieu urbain pour contrer l’avancée
technologique américaine. Les émeutes de Los Angeles, l’échec américain
de Mogadiscio et la déroute des forces russes dans Grozny ont montré la
complexité des opérations militaires ou policières en milieu urbain : la
doctrine, la tactique, ainsi que l’équipement doivent être repensés
totalement.
Les acteurs de la guerre en ville sont très diversifiés : forces armées,
forces de sécurité et paramilitaires, forces de police, milices privées, gangs,
terroristes, bandes armées. L’action terroriste porte ses attaques au cœur des
villes et les récents attentats témoignent du rôle de cibles joué par les
agglomérations sur l’ensemble de la planète : New York, Paris, Londres,
Tokyo, Le Caire, Bogota, Karachi. Au-delà de l’aspect symbolique des
villes frappées, les groupes terroristes visent également, à travers les
mégalopoles occidentales, les centres de décision politiques et financiers.
22

Guerres de sécession

La menace que fait peser sur la sécurité mondiale la prolifération des


armes de destruction massive (nucléaires, biologiques et chimiques) est
connue. Il existe cependant un autre type de prolifération qui l’est moins,
mais qui pourrait s’avérer bien plus dangereux en termes de guerres
potentielles : c’est le nombre des États. Ce dernier a tendance à augmenter à
une allure qui peut paraître vertigineuse. Une véritable force centrifuge
semble s’exercer sur la planète tendant à la fragmentation des États
constitués.

Le XIXe siècle a été témoin d’une diminution du nombre des États –


sauf en Amérique latine – du fait de la généralisation de l’expansion
coloniale et des unifications italienne et allemande. Le XXe a renversé la
tendance : de la chute des Empires ottoman et austro-hongrois à l’issue de
la Première Guerre mondiale, et du mouvement de la décolonisation après
la Seconde, il a résulté une incroyable augmentation du nombre d’États. Les
membres des Nations unies ont triplé entre 1945 et les années 80. Depuis le
début des années 90, le mouvement s’est amplifié.
Les États se sont souvent constitués au fil des guerres. Le nombre
d’entités politiques en Europe est ainsi passé de près de 500, en l’an 1500, à
quelques dizaines au début du XXe siècle, la plupart d’entre elles ayant été
absorbées de force par de plus vastes ensembles. Aujourd’hui, le processus
est inversé : les guerres contemporaines résultent non plus de l’unification
d’États, mais de leur démantèlement ; non par la volonté de construire de
grands empires, mais à cause de la balkanisation du monde. Le
sécessionnisme est actuellement la menace la plus sérieuse contre la paix.
On le voit avec l’exemple du Kosovo.
La peur de voir le Kosovo devenir indépendant a amené les Serbes à
mettre en place une répression qui a conduit à la guerre. Déjà, en 1991, ce
sont les sécessions de la Slovénie, puis de la Croatie et de la Bosnie qui
avaient amené la guerre en ex-Yougoslavie.
Les sécessions n’ont rien à voir avec les guerres d’indépendance,
certes, mais elles ont en commun l’affirmation d’une identité souvent niée
au sein d’un ensemble étatique plus vaste. Pourtant, la motivation principale
des sécessions n’est pas toujours la défense d’une identité menacée. C’est
également la volonté de se séparer des « autres » et de profiter seuls des
richesses du pays, jusqu’alors « indûment partagées ». Il y a bien sûr encore
des nations opprimées, mais, dans la plupart des cas, les racines des
aspirations sécessionnistes n’ont pas poussé dans le désir effréné de liberté,
mais plutôt dans la conviction que, les temps étant durs, la prospérité est
plus facile à retrouver au sein d’une petite entité que dans l’immensité d’un
ensemble plus vaste. C’est ce qui a poussé les Slovènes à vouloir quitter la
fédération yougoslave. Le démantèlement de l’URSS s’explique en grande
partie par le souci des Slaves de ne plus porter le fardeau des républiques
d’Asie centrale.
L’émiettement est global et dépasse les clivages Nord/Sud ou
Est/Ouest. Il est spectaculaire dans les fédérations multinationales
qu’étaient l’Empire soviétique et l’ex-Yougoslavie. Mais la tendance
désintégratrice touche aussi l’Afrique, où le principe sage et réaliste de la
préservation des frontières héritées de la colonisation a cédé une première
fois avec la reconnaissance de l’Érythrée en 1993, et pourrait plier de
nouveau devant les tensions ethniques et politiques en Somalie, en Angola,
au Liberia, à Djibouti, ainsi que dans une dizaine d’autres États.
Il est probable que, dans les années à venir, la déferlante de la
prolifération étatique se renforcera encore et s’abattra sur certains pays
considérés encore aujourd’hui comme incontestablement unis. Le plus gros
d’entre eux, la Chine, pourrait s’avérer moins monolithique qu’on ne le
pense. Ses provinces périphériques aspirent depuis longtemps à
l’indépendance, et même dans les régions hans, les réformes économiques
pourraient susciter un enthousiasme séparatiste.
L’Inde subit aussi de fortes pressions sécessionnistes. À la frontière
pakistanaise, les Sikhs militent pour la création d’un Khalistan indépendant,
et au Cachemire, le gouvernement indien doit faire face à un mouvement
séparatiste islamique.
L’Indonésie, avec ses 18 000 îles et ses millions d’habitants – dont 500
groupes ethniques –, pourrait être un sérieux candidat à la sécession. Après
le Timor (il est vrai annexé illégalement en 1975), d’autres parties
pourraient se détacher de l’archipel.
En Russie, les mouvements sécessionnistes sont loin de ne concerner
que la Tchétchénie. Si, dans ce dernier cas, les considérations ethniques
l’emportent sur les autres motivations, la situation est tout autre dans le
reste de la fédération. Par exemple, la république de Touva, à la frontière
mongole, s’est arrogé le droit d’assurer sa défense territoriale, et le
Tatarstan ainsi que le Bachkortostan ont signé des traités d’amitié et de
coopération avec l’Abkhazie, une région autonome d’Ukraine, elle-même
l’un des États issus de l’éclatement de l’URSS.
En Italie du Nord, la Ligue lombarde s’est rendue populaire en faisant
miroiter la possibilité de se séparer du sud du pays, si cher et improductif.
Au XIXe siècle, l’unité italienne, qui mit fin aux douloureuses divisions de
la péninsule, avait été accueillie comme un facteur de développement et un
moyen d’acquérir un statut plus élevé sur la scène internationale.
En Espagne, c’est dans les deux régions les plus aisées et
industrialisées que le nationalisme régional est le plus fort. Les
revendications catalanes et basques sont en fait moins adressées à Madrid
qu’aux régions pauvres, comme l’Andalousie, la Galice ou les Asturies,
dans lesquelles les sentiments nationalistes sont faibles.

À l’inverse, face au précédent de la réunification allemande dont le


coût exorbitant a marqué les esprits, les Coréens du Sud ont renoncé à une
réunification rapide de la péninsule, bien qu’elle fasse toujours partie des
priorités officielles. L’argument avancé est imparable : si l’opulente
Allemagne de l’Ouest a tant de difficultés à digérer sa moitié de l’Est,
comment la Corée du Sud, qui joue de justesse dans la même cour que la
RFA en matière économique, pourra-t-elle se relever de sa fusion avec la
Corée du Nord, cette dernière étant encore plus sclérosée que ne l’était la
RDA ?
La situation économique catastrophique de la Corée du Nord est
devenue la principale raison pour laquelle la Corée du Sud ne veut plus de
réunification. Les raisons économiques l’emportent sur les raisons
politiques.

Le facteur désintégrateur qui agit sur les individus (les riches sont de
moins en moins solidaires des pauvres) concerne aussi les peuples. L’appât
du gain, la course vers la prospérité et la poursuite débridée des biens de
consommation semblent être devenus le nouveau moteur de l’histoire.

Alors que les tendances aux sécessions se multiplient,


curieusement des mouvements indépendantistes sont en train
de s’atténuer dans des situations qui auraient autrefois été
qualifiées de coloniales.
Les habitants de la Guadeloupe et de la Martinique savent
apprécier la comparaison de leur PNB annuel par habitant
(respectivement de 8 400 et 9 500 dollars) avec celui des îles
« souveraines » avoisinantes (le revenu annuel à Sainte-
Lucie est de 1980 dollars par habitant ; en république
Dominicaine, il s’élève à 800 dollars). De même, le PNB par
habitant de la Guyane française est de 9 000 dollars par an ;
celui du territoire indépendant qui la côtoie, le Surinam, ne
dépasse pas 3 500 dollars. Et alors que les Français vivant à
la Réunion ont un revenu annuel moyen de 8 500 dollars,
leurs voisins de l’île Maurice doivent se contenter de
2 400 dollars. C’est ce qui explique pourquoi, à l’été 1997,
une des îles de l’archipel des Comores a voulu être rattachée
à la France.

Parfois, la majorité cherche à se débarrasser d’une minorité jugée


improductive ; dans d’autres cas, c’est la minorité qui espère améliorer son
sort en quittant l’indigente majorité. Dans les deux cas, la solution passe par
le « largage » des indésirables, dans l’espoir de mener une vie plus
confortable une fois la cohabitation terminée.
Quand un groupe culturel ou ethnique commence à faire remarquer
que le pays repose sur ses seules épaules, il y a fort à parier qu’un
mouvement sécessionniste se prépare.
Il y a 5 000 peuples et ethnies dans le monde. On voit les difficultés de
gérer la planète si chacun d’entre eux disposait d’un État. Le remède est de
renforcer le concept d’État-nation où chacun, quelles que soient ses
origines, puisse vivre en bonne harmonie et en pleine liberté.
La prolifération étatique peut avoir deux causes. Il peut s’agir d’une
question nationale, un peuple estimant ne plus pouvoir vivre avec et/ou sans
la domination d’un autre, parce qu’il estime que ses droits sont bafoués,
qu’il n’est pas libre. La motivation peut être plus matérielle et résider dans
la volonté de ne plus partager la richesse avec d’autres. Les deux
motivations peuvent être alternatives ; elles peuvent également être
cumulatives, car elles ne sont pas forcément exclusives l’une de l’autre. Il
se peut que la seconde soit une incitation puissante à la première.
Les dangers que représente la prolifération étatique sont clairs. Laissé
à sa logique extrême, le mouvement de sécession conduit à un endettement
du monde qui risque de le rendre encore plus difficilement gérable qu’il ne
l’est actuellement. Cela peut en outre déboucher sur la constitution d’États
artificiels ou non viables, qui peuvent être autant de zones grises propices à
la déstabilisation. Le refus, ou l’impossibilité, de continuer à vivre avec les
autres conduit assez souvent, que ce soit pour des raisons ethniques ou pour
des motifs économiques, à un affrontement. Les justifications invoquées,
par leur caractère artificiel ou du moins peu fondé sur le seul plan des droits
collectifs d’un peuple, peuvent souvent conduire à des stratégies de
légitimation exacerbée qui font resurgir un problème national plus ou moins
résolu, ou qui le créent de toutes pièces.
Le risque de prolifération vient d’une dilution du sentiment de
solidarité entre les riches et les pauvres, et entre les peuples. La réponse
adéquate au danger de prolifération étatique ne sera jamais la répression
armée, mais la reconnaissance des droits des minorités lorsqu’il s’agit d’un
problème national, ou le renforcement du sentiment de solidarité lorsqu’il
s’agit d’une motivation économique.
L’impossibilité de vivre ensemble – parce qu’un peuple ou une
minorité estime qu’il n’a pas la place qui lui revient – ne s’exprimera pas
toujours de façon pacifique, comme ce fut le cas en Tchécoslovaquie. On
peut craindre, au contraire, que l’ex-Yougoslavie ne représente à cet égard
un exemple de ce à quoi l’on doit s’attendre.
Alors que, au cours de l’histoire, les guerres ont été avant tout des
guerres de conquête, nous sommes entrés dans une période où les
sécessions – sous leurs diverses formes, quelles que soient leurs motivations
réelles ou avouées, et qu’elles réussissent ou qu’elles échouent – vont
constituer l’une des principales sources de conflits.
23

Guerres asymétriques et dissymétriques

Les attentats du 11 septembre ont révélé la possibilité pour des acteurs


disposant de faibles moyens militaires et techniques d’avoir une capacité de
nuisance pouvant leur permettre de commettre des dommages irréparables à
la première puissance mondiale. S’agit-il pour autant d’un nouvel exemple
des guerres asymétriques, ou d’une guerre d’un type nouveau ?

Définitions d’asymétrie et de dissymétrie

D’un point de vue stratégique, la symétrie est perçue comme le combat


à armes égales. La dissymétrie est la recherche par l’un des combattants
d’une supériorité qualitative et/ou quantitative ; l’asymétrie est la démarche
inverse, qui consiste à exploiter toutes les faiblesses de l’adversaire afin
d’être plus nuisible.
L’asymétrie consiste à refuser les règles du combat imposées par
l’adversaire, rendant ainsi les opérations totalement imprévisibles. Cela
suppose à la fois l’utilisation de forces non prévues à cet effet, et surtout
insoupçonnables (comme les civils), l’utilisation d’armes contre lesquelles
les moyens de défense ne sont pas adaptés (armes de destruction massive),
l’utilisation de méthodes qui refusent la guerre conventionnelle (guérilla,
terrorisme), des lieux d’affrontement imprévisibles (centre-villes, lieux
publics), et l’effet de surprise, cette dernière caractéristique étant la plus
importante.
Utilisant des moyens techniquement simples, l’asymétrie peut être
assimilée à « l’arme du pauvre », dans la mesure où elle permet à de
multiples acteurs ne disposant que de moyens très limités d’avoir une
capacité de nuisance considérable.

Les exemples du passé

La dissymétrie a toujours été recherchée par les États les plus puissants
comme un moyen d’asseoir leur supériorité. Déjà, au XVe siècle, les frères
Bureau avaient offert à Charles VII un moyen de vaincre les Anglais, en
faisant de l’artillerie un élément dissymétrique décisif. De même,
l’asymétrie a fait son apparition depuis longtemps sur les théâtres
d’opérations. L’exemple le plus significatif est celui de la guerre du Viêt-
nam au cours de laquelle les combattants viêt-congs, plutôt que de se lancer
à corps perdu dans un affrontement direct avec les forces américaines, ont
cherché tous les moyens possibles pour contourner la puissance
dissymétrique de leur adversaire. Plus récemment, la guerre du Kosovo a
été la parfaite illustration de l’utilisation de moyens asymétriques pour faire
face aux armes techniquement supérieures de l’adversaire. Les forces serbes
ont utilisé des moyens très simples de camouflage et de leurrage, qui se sont
avérés particulièrement efficaces, puisque les systèmes de renseignement et
d’observation de l’OTAN ne sont pas parvenus à les déceler.
De cette manière, il convient de noter que la dissymétrie et l’asymétrie
ne sont pas à proprement parler de nouvelles menaces, mais elles se
révèlent de plus en plus décisives dans la plupart des conflits ou des
opérations de guerre, comme les attentats du 11 septembre.

La nouvelle menace ?
L’asymétrie des adversaires potentiels est aujourd’hui considérée
comme la principale menace pour les États-Unis, du fait de son caractère à
la fois imprévisible et indécelable. À la suite des attentats, il convient de
s’interroger sur les raisons de leur réussite, qui tient à la fois aux capacités
limitées des terroristes, mais également aux moyens trop sophistiqués de
l’hyperpuissance, incapable de faire face à des menaces qu’elle ne prend
même plus en considération, tant elles semblent limitées comparées à tous
les scénarios envisagés. En ce sens, la dissymétrie, plus encore que
l’asymétrie, contrarie la capacité d’une puissance, comme celle des États-
Unis, à faire face à ses adversaires.
La dissymétrie ne peut s’avérer efficace que si l’adversaire utilise des
moyens décelables et prévisibles pour y faire face. La guerre du Golfe a été
un succès militaire pour les troupes coalisées, car celles-ci connaissaient les
capacités irakiennes et pouvaient contrer tous les plans de Saddam Hussein
de par leur supériorité technique à tous les niveaux. Cependant, quand
l’adversaire choisit volontairement de contourner cette lutte inégale, en
usant de moyens asymétriques, la supériorité technique ne permet plus
d’assurer un avantage décisif.
En effet, si la dissymétrie suppose d’importants investissements sur le
long terme – seule possibilité d’acquérir des moyens techniquement
supérieurs aux adversaires potentiels –, l’asymétrie est, elle, accessible à
tous. De même, son champ opérationnel est d’autant plus important que les
capacités dissymétriques de la puissance ennemie sont importantes. Ainsi,
plus un État consacre des sommes colossales à l’acquisition et à la
fabrication de moyens sophistiqués – lui apportant, de façon théorique, un
avantage certain –, plus les capacités de nuisance de ses adversaires seront
importantes, car la technologie ne peut pas tout surveiller, et souvent elle ne
se met pas au niveau des armes qui lui font face.
Dans ces conditions, c’est la dissymétrie qui pose un réel problème, et
le seul moyen d’éviter que le fossé ne se creuse et offre des alternatives
assymétriques à des groupes non étatiques (type organisations terroristes)
ou à des États voyous est de couvrir de façon plus générale les différents
niveaux d’affrontement, de manière à pouvoir être au-dessus des forces de
l’adversaire, mais sans exposer de failles dans le dispositif.
24

Guerre Chine/États-Unis

Vingt ans après l’établissement de relations diplomatiques entre la


République populaire de Chine (RPC) et les États-Unis, un ouvrage1
cherchait à démontrer qu’une guerre entre la Chine et les États-Unis était
inévitable. Tout semble en effet devoir opposer Pékin et Washington en une
rivalité de puissance qui pourrait déboucher sur une nouvelle guerre
froide… ou chaude.

Après deux décennies de réformes économiques, la Chine a acquis les


ambitions d’une grande puissance. Selon nombre d’analyses publiées à
Pékin ces dernières années, elle est aujourd’hui enfin prête à retrouver la
place qui aurait dû rester la sienne sur la scène mondiale, elle dispose
désormais des moyens de venger « un siècle d’humiliation et d’oppression »
de la part des puissances occidentales. Et les États-Unis constituent le
symbole de cet Occident à la fois source de progrès mais également
obstacle potentiel sur la voie des ambitions chinoises.
Comme à la fin du XIXe siècle, les autorités chinoises ont en effet
besoin de la technologie occidentale, mais veulent préserver les
« caractéristiques nationales » du pays. Alors qu’aux États-Unis la défense
des droits de l’homme constitue de plus en plus, sous la pression des media
et de l’opinion publique, un but de politique étrangère justifiant au besoin le
recours à la force, pour Pékin tout appel extérieur à « l’évolution
démocratique » du pays est considéré comme une ingérence insupportable.
Plus concrètement, la notion chinoise de défense du territoire national,
qui implique une reconquête des territoires de Taiwan et des archipels situés
en mer de Chine méridionale et orientale, vient directement s’opposer aux
intérêts des pays alliés des États-Unis dans la zone. La mise en œuvre de
cette reconquête pourrait donc déboucher, par les jeux des accords
bilatéraux qui lient Washington à plusieurs pays de la région, à une
confrontation directe entre les deux puissances rivales. Mais au-delà de ces
revendications territoriales, c’est la position même des États-Unis dans une
zone que la Chine considère comme traditionnellement sienne qui est en
cause, et constitue la source majeure de conflit. La RPC, héritière de
« l’Empire du Milieu », prétend aujourd’hui retrouver cette puissance
d’influence à laquelle elle aurait droit pour des raisons historiques.
Pour sa part, la puissance américaine, seule hyperpuissance à
prétention mondiale, ne peut accepter de se laisser évincer d’une zone
considérée comme essentielle, et le nouveau « partage du monde », que
semblent espérer certains stratèges chinois, est inacceptable pour les États-
Unis. La tentation du conflit avec la puissance américaine existe donc en
Chine. Les États-Unis sont aujourd’hui considérés comme l’adversaire
principal de la RPC, le seul capable de freiner les ambitions chinoises en
Asie. Cette tentation du conflit se trouve aujourd’hui renforcée chez les
dirigeants chinois par la conviction que la « puissance morale » et la
volonté d’action de la démocratie américaine sont loin d’être au niveau de
son impressionnante puissance technologique.
À l’inverse, une Chine à nouveau humiliée, à qui les États-Unis
tenteraient de faire prendre conscience brutalement de sa faiblesse, pourrait
être également tentée de s’affirmer plus brutalement dans un sursaut
d’orgueil national. Le recours à l’exaltation nationaliste constitue en effet
l’une des grandes forces de mobilisation du pouvoir chinois, qui ne peut
donc accepter sans réaction de se laisser bafouer. C’est bien entendu dans ce
contexte qu’il faut situer la vive réaction des autorités et de la population
chinoises à la suite du bombardement par erreur de l’ambassade de Chine
en Yougoslavie au printemps 1999.
Les conditions d’un conflit entre la Chine et les États-Unis sont donc
bien réunies. Toutefois, selon la tradition chinoise de la guerre, la bataille ne
vaut d’être engagée qu’en cas de victoire certaine, l’idéal étant de « vaincre
sans combattre, au moindre coût ». Cette « victoire sans combat », sur un
adversaire « battu d’avance », se traduit aujourd’hui, de la part de stratèges
chinois conscients de la disparité de moyens entre la Chine et les États-
Unis, en termes d’action psychologique, moyen de contourner pour arriver
aux mêmes buts un conflit ouvert forcément coûteux.
Surtout, il est difficile de nier les liens de dépendance économique
tissés entre la Chine et les États-Unis. C’est Washington qui aujourd’hui
absorbe plus du tiers du total des exportations chinoises. Ce sont des États-
Unis que proviennent l’essentiel des importations de technologie qui ont
contribué au décollage de la Chine. C’est aux États-Unis que l’écrasante
majorité des étudiants chinois, parmi lesquels nombre de fils de hauts
dirigeants, vont poursuivre leurs études. C’est vers les États-Unis que se
tissent les réseaux Internet qui se mettent progressivement en place. En
dépit des visées bellicistes d’un certain nombre de Chinois, d’autres
courants existent en Chine, conscients de l’importance des intérêts en jeu, et
hostiles à tous dérapages contre-productifs.

Les communautés chinoises aux États-


Unis
Les États-Unis abritent, après l’Asie du Sud-Est, l’une des
plus importantes et des plus anciennes communautés
chinoises d’outre-mer. Longtemps, ces « Chinois
américains », vivant pour la plupart sur la côte ouest, se sont
tenus relativement éloignés de la vie politique nationale
américaine. Les jeux de lobby en revanche ne sont pas
nouveaux et ont longtemps été dominés par Taiwan qui,
depuis la reconnaissance de la RPC par les États-Unis en
1979, a tenté de préserver les intérêts de l’île, en particulier
en termes de sécurité.
Depuis la mise en place de la politique d’ouverture et de
réformes économiques en Chine en 1979, l’origine et les
motivations de l’immigration chinoise ont toutefois
beaucoup évolué. Un certain nombre d’opposants au régime
ont gagné les États-Unis, mais ils sont peu nombreux et leurs
rangs sont divisés. Nombre d’immigrants chinois venant
aujourd’hui de Chine populaire ont, en revanche, des
motivations plus économiques que politiques. De nombreux
étudiants, qui apprécient les conforts de la société de
consommation américaine, restent toutefois attachés à leur
pays d’origine. Le pouvoir chinois, en ayant aujourd’hui
recours à un discours nationaliste exaltant la grandeur de la
Chine éternelle, peut donc mobiliser une force de manœuvre
beaucoup plus importante que par le passé.

À l’aube du XXIe siècle, la guerre déclarée par les États-Unis contre le


« terrorisme international », à la suite des attentats dont ils ont été victimes
sur leur sol, est venue un peu plus compliquer la donne. Après avoir
longtemps cru à la passivité des États-Unis, Pékin craint aujourd’hui « le
réveil du crime ». Pour la Chine, la marge de manœuvre s’est
considérablement réduite face à une Amérique particulièrement vigilante et
présente militairement en Asie dans des régions considérées comme
« sûres » par Pékin. À court terme, ce réinvestissement des États-Unis dans
la région jouera sans doute en faveur d’une stabilisation, d’un éloignement
des risques de conflit. À plus long terme, en revanche, et en l’absence
d’évolution interne du régime chinois, on peut craindre du côté de Pékin
une montée des frustrations, source de conflits nouveaux. Car si Bill
Clinton présentait la Chine comme un « partenaire stratégique » pour les
États-Unis, George Bush la considère, lui, comme un « compétiteur
stratégique ».
1. Richard Bernstein et Ross H. Munro, The Coming Conflict with China, New York, Knopf, 1997.
25

Guerre Chine-Russie/États-Unis

Reconstitution d’alliance dissoute, c’est ce à quoi fait penser un


scénario où la Russie et la Chine uniraient de nouveau leur sort pour lutter
ensemble contre les États-Unis.
De 1949 (date de la révolution chinoise) à 1961 (rupture sino-
soviétique), Moscou et Pékin se trouvaient déjà ensemble sous la bannière
communiste en lutte contre « l’impérialisme américain ». Cette alliance
pourrait-elle se reconstituer ?

L’envoyé spécial du président Eltsine dans les Balkans, pendant la


guerre du Kosovo, M. Tchernomyrdine, n’a pas hésité à développer ce
thème dans les journaux américains pour tenter de faire pression sur la
Maison-Blanche. Vladimir Poutine, successeur d’Eltsine, semblerait
également intéressé par un rapprochement avec l’ancien allié, tant en
matière de coopération économique qu’en ce qui concerne un partenariat
stratégique.

Danger de l’alliance
Une telle alliance aurait effectivement de quoi faire peur aux États-
Unis, car elle constituerait un bloc géographique immense, contrôlant la
majeure partie de l’Eurasie. Elle se base sur le fait que Moscou et Pékin
sont les deux plus grands États qui contestent aujourd’hui la supériorité
américaine, même si Moscou montre des signes de rapprochement en
direction de Washington. Tous deux sont des États nucléaires disposant, par
ailleurs, d’un siège de membres permanents au Conseil de sécurité et donc
d’un droit de veto. Dans la mesure où, séparément, ils sont trop faibles pour
mettre en échec Washington, pourquoi, dès lors, ne pas unir leurs forces ?
Le fait que la Russie soit devenue un régime capitaliste, tandis que la Chine
se proclame encore communiste, n’est pas un obstacle considérable à cette
alliance. Tous deux ont en fait des régimes autoritaires, et leur intérêt
géopolitique peut les conduire à ne pas s’appesantir sur ces différences.

Vers une reconstruction de l’alliance ?

Plusieurs obstacles rendent cependant ce virage stratégique peu


crédible. Le premier, et non le moindre, est que la rivalité sino-russe est
probablement aussi forte que celle qui les oppose tous deux séparément aux
États-Unis. Si la Chine a rompu en 1961 avec l’URSS, alors que les deux
pays étaient communistes, ce n’est pas sans raison.
Les Chinois ne supportaient plus de subir le leadership d’une Union
soviétique qui les avait peu aidés lors de leur révolution. Ils ne voulaient
pas rester dans un camp communiste où ils ne pourraient qu’être les
seconds derrière l’URSS, patrie du socialisme. Historiquement et
culturellement, « l’Empire du Milieu » se sentait supérieur aux Russes. Des
conflits frontaliers les opposaient. Bref, malgré leur solidarité idéologique,
les oppositions nationales qui plongent leurs racines dans l’histoire ont
prévalu.
Les Chinois estiment toujours avoir été victimes des « traités inégaux »
que la Russie leur a fait signer au XIXe siècle et qui ont permis une avancée
territoriale de la Russie au détriment de la Chine. La situation a
considérablement changé depuis 1961. À l’époque, l’URSS était une
superpuissance, alors que la Chine était encore un pays du tiers-monde.
Aujourd’hui, la Chine jouit d’un grand dynamisme économique ; la
Russie, pour sa part, connaît un marasme dont on ne voit pas encore la fin.
La Chine bénéficie d’une croissance proche de 10 % depuis le début des
années 80 ; le PNB russe a chuté de moitié depuis l’éclatement de l’Union
soviétique en 1991. La Russie craint une pression démographique chinoise
en Sibérie. Bref, c’est Pékin qui apparaîtrait aujourd’hui comme le leader,
contrairement à ce qui a prévalu de 1949 à 1991, situation difficile à
supporter pour le nationalisme russe. Les Russes ne peuvent admettre de
n’être que les adjoints de la Chine, pas plus que les Chinois n’ont supporté
d’être les auxiliaires de l’URSS. L’inégalité de situation des deux États rend
donc difficile la reconstitution d’une alliance.
Il faudrait, dès lors, pour que Pékin et Moscou scellent stratégiquement
leur destin, qu’ils y soient contraints, pensant réellement que c’est l’unique
issue. Seule une politique ouvertement agressive ou méprisante des États-
Unis à l’égard de ces deux pays en même temps pourrait conduire à une
telle extrémité. Les deux États ont signé, à l’été 2001, un accord de
partenariat stratégique en grande partie en réaction contre le projet de
défense antibalistique américain de National Missile Defense.
Mais s’ils peuvent choisir une relation privilégiée, aussi bien la Chine
que la Russie préfèrent l’avoir avec les États-Unis qu’entre eux, comme l’a
prouvé le soutien apporté à la croisade américaine contre le terrorisme à la
suite des attentats du 11 septembre 2001. Moscou y voit l’occasion de
légitimer sa propre guerre en Tchétchénie, et d’être en position de force par
rapport aux Américains pour la première fois depuis longtemps, les
Américains ayant besoin d’eux en Asie centrale.
26

Guerre Chine/Russie

Les relations entre les deux « pays frères » communistes chinois et


soviétique ont toujours été difficiles. Staline s’est en effet longtemps méfié
des communistes chinois qui refusaient sa stratégie de front uni avec la
bourgeoisie du Guomindang et prétendaient « mettre le feu aux
campagnes », selon l’expression de Mao, pour conquérir les villes. Comme
Tito en Yougoslavie, les communistes chinois avaient le gros défaut aux
yeux du dirigeant de la « patrie du socialisme » d’avoir conservé à l’égard
de Moscou une préoccupante indépendance idéologique et matérielle. Tout
en bénéficiant de l’aide de l’Armée rouge en Mandchourie en 1945, le PCC
n’est pas arrivé au pouvoir comme en Europe centrale dans les bagages des
forces soviétiques. Mao ne se rendra d’ailleurs qu’une seule fois en URSS,
en 1950, alors que, en pleine guerre froide, la Chine sent qu’il faut choisir
son camp.

Après 1949, pendant de longues années, le « grand frère » soviétique


fera donc figure de modèle. Mais les ferments de discorde étaient déjà
présents entre une Chine communiste mais fière de sa civilisation et une
superpuissance soviétique qui ne tolère aucune voix discordante dans son
camp. Les souvenirs des traités inégaux entre l’Empire russe et l’Empire
chinois en pleine déliquescence sont également toujours sensibles : Mao
mettra des années avant d’obtenir de Staline la rétrocession des ports de
Dalian et de Port-Arthur contrôlés par l’URSS héritière de l’Empire russe.
Mais à la mort de Staline, d’autres sujets de querelle vont
progressivement s’ajouter. La question du leadership du camp communiste
et des pays du tiers-monde est par exemple très vite soulevée. L’URSS
considère par ailleurs que la direction chinoise derrière Mao fait preuve
d’aventurisme. En matière économique, Moscou ne croit pas au « Grand
Bond en avant ». Stratégiquement, l’URSS s’inquiète du discours chinois
sur la bombe atomique « tigre de papier ». Idéologiquement surtout, la
« Révolution culturelle » et ses appels à « faire feu sur le Comité central »
sont pour les dirigeants soviétiques inacceptables. C’est au cours de cette
période que les relations seront les plus dégradées, sans aller toutefois au-
delà des incidents frontaliers le long de l’Oussouri et du fleuve Amour.
L’URSS et la RPC ne font désormais plus partie du même camp : pour
équilibrer la menace de l’hégémonie soviétique, Pékin reçoit le président
Nixon et établit des relations diplomatiques avec « l’impérialisme
américain ».
Avec la mort de Mao Zedong et le retour au pouvoir de Deng Xiaoping
en Chine, qui sonnèrent la fin de la disgrâce pour de nombreux cadres
formés dans les années 50 à l’école de l’URSS, les choses s’améliorèrent
dans un premier temps, avant de se dégrader à nouveau avec l’arrivée de
Mikhaïl Gorbatchev, qualifié à Pékin de « fossoyeur du communisme ».
Aujourd’hui, le pragmatisme domine les relations entre la Chine de
Jiang Zemin, dernier grand pays communiste de la planète qui peut
paradoxalement se targuer d’un impressionnant taux de croissance
économique, et la Russie qui titube sans s’écrouler tout à fait.
Pour le moment, chacun trouve son compte à l’amélioration des
relations. La Russie appauvrie vend des armes, c’est une de ses principales
sources de revenu. La Chine en achète, ce n’est qu’auprès de la Russie
qu’elle peut se fournir. Contre la superpuissance américaine et le
développement de l’OTAN, Pékin et Moscou partagent le même discours
sur la défense d’un monde multipolaire et ont inauguré, en 2001, un
« nouveau partenariat stratégique ». Ce partenariat était guidé par le souci
de faire front commun face au bulldozer américain et à son programme de
défense spatial qui pouvait remettre en cause les puissances nucléaires
chinoise et russe.
Mais, fondamentalement, aucun de leurs intérêts ne converge. La
démocratie russe, même imparfaite, n’a plus rien à voir avec une Chine qui
se réfère toujours au marxisme-léninisme et à la pensée de Mao Zedong.
Surtout, la Chine s’est rapprochée de Moscou parce que la Russie est faible
et que la « menace soviétique » n’existe plus. Mais, pour beaucoup de
Russes, la nouvelle arrogance chinoise est aussi insupportable que la défaite
de l’Empire des tsars contre une puissance asiatique, en l’occurrence le
Japon, l’avait été en 1905. En Sibérie orientale, l’arrivée massive
d’immigrants et de produits chinois réveille les vieux fantasmes du « péril
jaune » : face aux 3 millions d’habitants de l’immense Sibérie, 17 millions
de Chinois se pressent dans la seule province frontalière du Heilongjiang.
Par ailleurs, la Russie en voie de sous-développement et la Chine en
voie de développement ne sont en rien complémentaires. Contrairement au
riche Japon, la Chine ne peut offrir à la Russie les capitaux dont elle aurait
besoin. Le marché russe de son côté ne peut absorber tous les produits
chinois, et tous deux sont en concurrence pour les investissements
étrangers.
Ainsi, les sources de rancœur sont toujours là, les intérêts
véritablement communs n’existent pas, le mépris subsiste, tous les éléments
sont donc présents pour que les conditions d’un nouveau conflit sino-
soviétique soient un jour à nouveau réunies. Seule la grande faiblesse de la
Russie lui interdit aujourd’hui de relever le défi chinois. Sur l’Oussouri, le
cas de trois petits îlots n’a pas été réglé : c’est peut-être là qu’éclateront
demain de nouveaux incidents frontaliers entre la Chine et la Russie.
À la suite de l’attaque terroriste dont les États-Unis ont été victimes le
11 septembre 2001, d’autres motifs d’inquiétude sont apparus pour Pékin.
Alors que la Chine avait rencontré un certain succès auprès de Moscou en
exploitant le thème de la multipolarité et de l’alliance contre Washington,
l’engagement immédiat de Vladimir Poutine aux côtés des États-Unis a mis
en évidence la très grande fragilité de ce nouveau partenariat stratégique
russo-chinois. De même, la RPC peut craindre de perdre un allié dans la
lutte menée par Pékin contre les projets américains de bouclier anti-
missiles. Ces prises de position divergentes ne font que mettre en évidence
les désaccords profonds qui subsistent et qui pourraient déboucher sur un
nouveau conflit en cas de véritable remontée en puissance de la Russie.
27

Guerre Chine/Japon

La Chine et le Japon entretiennent une trouble relation faite d’un


mélange de rancœur et d’admiration. Fondamentalement, la civilisation
japonaise doit tout à la culture chinoise, même si au cours des siècles le
Japon a développé une culture très spécifique en adaptant ces éléments
venus de Chine via la Corée. Mais, à la fin du XIXe siècle, c’est le Japon de
l’ère Meiji qui sut se réformer et se lancer dans un développement accéléré
qui lui permit de rattraper le monde occidental en moins de cinquante ans.
Dans le même temps, la dynastie des Qing sombrait dans l’inefficacité, et
les intérêts chinois étaient partagés entre les grandes puissances du moment,
dont le Japon faisait désormais partie. Pour Pékin, l’humiliation sera
d’autant plus grande que, pendant des siècles, le pays du Soleil levant (ri
ben), comme le nomment les Chinois, s’était reconnu vassal de l’empereur
de Chine.
Dans un processus inverse, le Japon d’avant-guerre s’est
progressivement libéré de son sentiment d’infériorité à l’égard d’une Chine
qui ne pesait plus d’aucun poids sur la scène internationale. Pour les
militaristes en place à Tokyo, c’est au Japon que devait revenir désormais la
responsabilité de mener le monde asiatique sur la voie du développement
grâce à une grande « sphère de coprospérité » dressée contre le monde
occidental.
La défaite de 1945 n’a pas fondamentalement bouleversé cet ordre des
choses. Le Japon a renoncé à toute puissance militaire, mais sa puissance
économique lui a permis d’accroître progressivement son influence dans le
monde entier, particulièrement en Asie. La Chine de Mao, en revanche,
s’avérait incapable de sortir le pays du sous-développement et ne pouvait
prétendre à aucune expansion de son influence en dehors du domaine
idéologique.
Mais, depuis la fin des années 80, les choses ont évolué et l’équilibre
établi entre la puissance chinoise et la puissance japonaise s’en est trouvé
bouleversé. La RPC a en effet connu, au cours de ces années, un formidable
taux de croissance économique, de plus de 10 % par an en moyenne, qui a
fourni aux autorités en place à Pékin de nouveaux moyens d’action. Alors
que l’idéologie communiste ne rencontre plus qu’une audience limitée, le
discours hypernationaliste auquel le pouvoir a recours pour souder la
population autour du gouvernement rencontre un succès certain dans un
monde chinois qui s’étend bien au-delà de la République populaire de
Chine. Comme à l’époque impériale, la Chine, plutôt qu’un État
précisément délimité par des frontières internationalement reconnues,
représente un monde culturel qui prétend à l’universel à l’échelle de l’Asie
orientale.
Dans le même temps, le Japon, qui reste la deuxième puissance
économique mondiale, et dont le poids économique est plus de huit fois
supérieur à celui de la République populaire de Chine, a vu sa croissance
progressivement ralentir, puis stagner, minant la confiance en soi que la
population avait acquise au cours des années de boom économique. De
plus, depuis la disparition de l’URSS, si le Japon reste l’allié des États-
Unis, de nombreux doutes s’expriment aujourd’hui sur la qualité de cet
engagement américain. Chacun perçoit en effet que c’est la République
populaire de Chine qui représente aujourd’hui, pour la liberté de manœuvre
du Japon, la menace la plus importante. Pour les dirigeants chinois, le Japon
doit en effet choisir clairement son camp : ennemi de la Chine avec les
États-Unis ou ami de Pékin en respectant les intérêts de la RPC.
De nombreux signes de cette nouvelle assurance chinoise à l’égard du
Japon sont perceptibles. Ainsi, à la fin des années 70, lorsque Pékin et
Tokyo rétablissaient leurs relations diplomatiques, le dirigeant chinois Deng
Xiaoping affirmait que les questions territoriales « mineures » entre les
deux pays pouvaient être laissées de côté. Depuis quelques années toutefois,
la marine chinoise multiplie ses incursions autour de l’archipel des
Senkaku, en mer de Chine orientale, actuellement occupé par le Japon mais
revendiqué par Pékin.
La sécurité de ses voies de navigation, menacée par la progression
chinoise en mer de Chine méridionale, par où transitent plus de 80 % des
importations énergétiques de l’archipel, est un autre motif d’inquiétude.
Plus fondamentalement, les intérêts de Pékin, qui revendique la
souveraineté de la Chine sur toutes les mers à l’intérieur d’une ligne d’îles
allant de l’archipel japonais aux Philippines en incluant Taiwan, ne
coïncident en rien avec ceux du Japon qui se trouverait dans ce cas
totalement dépendant du bon vouloir de Pékin.

Dans ce contexte, l’agacement de la population et des autorités


japonaises à l’égard de la République populaire de Chine est de plus en plus
sensible. Personne au Japon ne veut la guerre avec la Chine, les sentiments
pacifistes, et plus encore isolationnistes, étant profondément ancrés dans la
population depuis le traumatisme de la défaite de 1945. Mais le Japon
supporte de plus en plus mal les pressions continuelles de Pékin et l’attitude
perçue comme arrogante de ses dirigeants. En particulier, Tokyo n’accepte
plus de se voir sans cesse rappeler « les atrocités commises en Chine par
l’armée impériale nippone » pendant la Seconde Guerre mondiale. Le
gouvernement japonais et l’empereur ont à maintes reprises renouvelé les
excuses du Japon à ce sujet, mais les dirigeants chinois ne souhaitent pas
abandonner l’arme diplomatique que ces reproches lui fournissent.
Tokyo a également peu apprécié l’apparente complicité qui s’était
développée entre son allié américain et la République populaire de Chine
en 1997 et 1998. Alors que l’ensemble de l’Asie sombrait dans la crise
économique et que le Japon tentait lui-même de sortir de la récession, la
Chine était présentée, à Pékin comme à Washington, comme le seul pays
capable de sortir la région de la crise. Le Japon, en revanche, était chaque
jour stigmatisé pour son incapacité à prendre en charge le redressement de
la région. De Tokyo, ce nouveau « partenariat stratégique » entre Pékin et
Washington est apparu comme un adoubement de la puissance chinoise et
un abandon de ses propres intérêts.
Les sujets de ressentiment sont donc nombreux. Plus de cinquante ans
après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Chine ne veut pas oublier
une défaite japonaise qui lui a permis de retrouver la première place en
Asie. Toutes les tentatives du Japon pour retrouver un statut de puissance
« normale » sont immédiatement dénoncées par Pékin comme un retour de
l’impérialisme japonais, et la RPC fera tout pour interdire le retour sur la
scène politique internationale d’un Japon qui pourrait alors devenir un
concurrent redoutable. D’ores et déjà, la RPC, qui a hérité en 1972 du statut
de membre permanent du Conseil de sécurité attribué à la République de
Chine en 1945, s’oppose avec force, contrairement à la Russie, à toute idée
d’intégration du Japon au Conseil de sécurité avec le même statut.
Le Japon d’aujourd’hui n’est en rien celui des années 1930, mais si la
montée en puissance de la République populaire de Chine ne se trouvait
plus contrebalancée par un fort engagement américain en Asie, Tokyo
pourrait alors être tenté d’acquérir, y compris en termes nucléaires, une
véritable capacité de défense de son territoire. Il ne serait alors pas
impossible qu’un conflit puisse éclater entre une République populaire de
Chine soucieuse d’écraser dans l’œuf une puissance japonaise renaissante et
un Japon soucieux de préserver toutes ses capacités d’action. Mais si les
conditions objectives d’un conflit potentiel existent, rien ne peut
aujourd’hui laisser à penser que la population japonaise serait à nouveau
prête à franchir le pas de la guerre.
Les attentats dont les États-Unis ont été victimes le 11 septembre 2001
pourraient toutefois entraîner une modification de la donne stratégique dans
la région. Le statut de premier allié des États-Unis du Japon a été fortement
réaffirmé, à la fois par les déclarations de son Premier ministre, mais
également par la très forte mobilisation des bases américaines et d’une
partie des forces d’autodéfense de l’archipel. La Chine, en revanche, a vu
son statut de « premier partenaire des États-Unis en Asie » fortement remis
en cause. Que ce soit dans un sens positif ou négatif, Pékin n’occupe plus
aujourd’hui la première place au rang des préoccupations de Washington.
La crise qui frappe les États-Unis pourrait également aboutir en Asie à un
renforcement du Japon, allié sans états d’âme des États-Unis, correspondant
à un plus grand isolement de la RPC. Paradoxalement, ce bouleversement
d’équilibre entre un Japon se sentant mieux protégé et une Chine moins
sûre d’elle-même et pragmatique pourrait aboutir à une réduction des
risques de tension entre les deux rivaux asiatiques.

Les forces armées japonaises

Depuis le milieu des années 1970, le Japon a consenti un important


effort de défense sous la pression des États-Unis. Le budget de la défense
japonais n’a jamais dépassé la limite fixée de 1 % du PNB, mais
l’importance de l’économie japonaise en fait tout de même l’un des plus
élevés de la planète. L’équipement des forces d’autodéfense japonaise est
donc à la pointe du progrès technologique et a notamment bénéficié des
avancées des entreprises japonaises dans le domaine de l’électronique.
Mais, du fait des restrictions constitutionnelles, les forces armées
japonaises ne peuvent jouer qu’un rôle strictement défensif en appoint des
forces américaines. Le Japon ne dispose donc d’aucun moyen de projection
de forces au-delà de son environnement immédiat. De plus, les « Trois
principes antinucléaires » interdisent au Japon de produire ou de posséder
ou d’accueillir sur son territoire une force de frappe nucléaire.
Qualitativement, les forces japonaises sont très supérieures aux forces
chinoises. Mais la RPC compte aujourd’hui beaucoup plus sur la force de
coercition de ses capacités nucléaires pour faire respecter sa suprématie
régionale que sur ses forces conventionnelles. Le Japon est donc totalement
dépendant pour la défense de son territoire et de son indépendance du
parapluie nucléaire américain. Il est essentiel dans ce contexte que, face à la
Chine, Washington et Tokyo conservent une même perception des menaces.
28

Guerre Japon/États-Unis

Après la défaite de 1945, lorsque l’empereur du Japon demandait à la


population de « supporter l’insupportable », des liens très étroits se sont
tissés entre le Japon et les États-Unis. Les forces d’occupation ont apporté
de nouveaux modes de vie, de nouvelles valeurs, que beaucoup ont adoptés
avec enthousiasme après des décennies de guerre et de dictature militaire.
Alors que le camp communiste, en pleine guerre froide, semblait s’étendre
en Asie avec la fondation de la République populaire de Chine en 1949,
puis la guerre de Corée en 1950, l’ancien ennemi japonais est devenu le
principal allié des États-Unis. Le nouvel accord de sécurité devait faire de
l’archipel un « porte-avions insubmersible » dans le dispositif des forces
américaines en Asie. Pendant la guerre du Viêt-nam, le Japon a pleinement
joué ce rôle et chaque jour les appareils américains décollaient d’Okinawa
pour aller frapper les maquis viêt-congs.
Aujourd’hui encore, en dépit de la fin de la guerre froide, le Japon
conserve un rôle essentiel dans le dispositif des forces américaines. C’est au
Japon que sont toujours basées plus des deux tiers des forces américaines
dans le Pacifique1 et, lors de la guerre du Golfe en 1991, le Japon a joué un
rôle essentiel de plate-forme logistique entre les bases de la côte ouest des
États-Unis et celles de Diego Garcia dans l’océan Indien.
Mais l’allié japonais a également été, en matière économique, le
« meilleur élève », qui a rapidement rattrapé son maître. Le Japon est
devenu la deuxième puissance économique mondiale et, en dépit de ses
difficultés actuelles, il reste le premier pays créditeur de la planète, alors
que les États-Unis sont les plus gros emprunteurs du globe. Surtout, la
puissance d’exportation du Japon a suscité des rancœurs sur l’autre rive du
Pacifique et, au cours des années 80, les investissements japonais dans
l’immobilier et les industries du spectacle, fleurons de la civilisation
américaine, ont alimenté les craintes irraisonnées d’une « invasion
pacifique » des nouveaux samouraïs de l’économie japonaise.
Au même moment, dans l’archipel, une certaine impatience
commençait à se manifester à l’encontre des pressions contradictoires
exercées par les États-Unis dans de nombreux domaines. Le Japon était par
exemple accusé d’avoir financé le développement de son extraordinaire
puissance économique en faisant prendre en charge le poids de sa défense
par les États-Unis, mais, dans le même temps, la moindre augmentation du
budget de la défense japonais était dénoncée comme significative des
« tentations militaristes » supposées toujours présentes dans l’archipel. Plus
récemment, le Japon était sommé de sortir rapidement de la stagnation dans
laquelle le pays semble s’enliser depuis le début des années 90, mais la
moindre augmentation des exportations japonaises, source de richesse, est
immédiatement dénoncée.
L’opinion publique japonaise, comme le reflètent certains sondages
récents, semble se lasser du lien de vassalité qui s’est constitué entre le
Japon et les États-Unis, et ce, d’autant plus que, depuis la disparition de
l’ennemi commun soviétique, de nombreux doutes s’expriment sur la
volonté réelle des États-Unis à assurer la défense du Japon dans toutes les
circonstances. Chacun se demande par exemple ce que ferait Washington si
la Chine, comme elle le revendique, s’emparait de l’archipel japonais des
Senkaku, situé en mer de Chine orientale.
Certains considèrent donc aujourd’hui que le Japon doit acquérir une
plus grande autonomie défensive, en disposant notamment d’une capacité
propre en matière de satellites d’observation afin de pouvoir décider seul de
l’opportunité d’une action militaire. Au-delà, le Japon est une
superpuissance technologique qui pourrait rapidement disposer de forces
considérables, y compris de forces nucléaires.
Mais, en dépit de ces mouvements d’humeur de part et d’autre, il est
difficile d’envisager que les éventuels conflits entre le Japon et les États-
Unis puissent un jour déboucher sur une guerre chaude. Même au niveau
économique, les scénarios catastrophistes prévoyant la vente par le
gouvernement japonais des bons du Trésor américain qu’il détient en
quantité, la ruine consécutive des caisses de retraite et la crise sociale qui
s’ensuivrait aux États-Unis restent très improbables.
Les États-Unis et le Japon demeurent en effet liés par de nombreux
intérêts communs, économiquement et stratégiquement. La mise en place
d’une relation plus équilibrée permettrait toutefois d’éviter que Washington
ne considère l’alliance avec le Japon comme définitivement acquise et
contribuerait sans doute à éliminer nombre de sources de ressentiment.

À l’aube du XXIe siècle, Tokyo a choisi de s’engager fermement – et


militairement – aux côtés des États-Unis dans la lutte contre le « terrorisme
international ». Le Parlement a adopté une nouvelle loi étendant la portée de
l’alliance nippo-américaine bien au-delà de « l’environnement proche » de
l’archipel. Ainsi, Tokyo gagnera sans doute de la part des États-Unis la
reconnaissance d’une place nouvelle sur la scène internationale, ce qui, en
renouvelant les fondements de l’alliance sur d’autres bases que celles de la
guerre froide, éloigne à très long terme les perspectives de conflit entre les
deux États.
1. L’effectif des forces américaines en Asie s’élève à 100 000 hommes, dont 70 000 au Japon et 30 000 en Corée du Sud.
29

Guerre Inde/Chine

La rivalité de deux géants

Depuis le début des années 60, la Chine et l’Inde s’affrontent dans une
rivalité de puissance. New Delhi n’accepte pas de voir son grand voisin
prendre sur la scène internationale la place de leader incontesté et reconnu
du monde asiatique. Pékin ne peut de son côté accepter l’émergence d’une
puissance concurrente.
Démographiquement, la Chine et l’Inde pèsent pratiquement le même
poids. Économiquement, la Chine a pris une avance considérable en se
lançant dès le début des années 80 dans une ambitieuse politique de
réformes. Stratégiquement, la fin de la guerre froide a ouvert la voie aux
ambitions chinoises, alors que la disparition de son allié soviétique a
considérablement affaibli les positions indiennes.
Au cours des années 90, les deux États ont toutefois amorcé un
rapprochement. Pékin souhaitait se consacrer à d’autres priorités : le
développement économique, source de puissance, et la réunification du
territoire. New Delhi souhaitait également alléger la charge constituée par le
maintien d’effectifs importants aux frontières. Enfin, New Delhi et Pékin
partagent un même discours favorable à la « multipolarité » contre la
superpuissance américaine.
La guerre de 1962
À partir de 1960, la tension le long de la frontière sino-
indienne de 4 500 km s’est accrue. Pékin n’accepte pas le
tracé de la « ligne Mac Mahon » établi par les Britanniques
en 1914 et, par une stratégie de grignotage, installe des
positions en territoire indien. Sous la pression de l’opinion
publique, le gouvernement de New Delhi renforce sa
présence militaire le long de la frontière contestée, et des
escarmouches se produisent à plusieurs reprises. Le
20 octobre 1962, la Chine déclenche une opération qualifiée
de « défense active » et la guerre éclate entre les deux États
géants d’Asie.
Conduite sur un terrain difficile, à très haute altitude, où
Pékin a pris soin d’acheminer discrètement depuis plusieurs
mois des hommes et du matériel, la guerre se traduit par une
éclatante victoire des forces chinoises. Mais la victoire de
Pékin sera autant politique que militaire. Pékin s’empare
d’un territoire de 40 000 km2 au Cachemire, dans l’Aksai
Chin, qui lui permet de relier par la route ses deux provinces
du Xinjiang et du Tibet. Politiquement, Pékin affirme sa
responsabilité aux yeux du monde en décrétant
unilatéralement un cessez-le-feu le 20 novembre 1962 et en
retirant volontairement ses troupes. En revanche, ce conflit
révélera la faiblesse de l’Inde qui prend conscience de la très
grande limite de ses capacités militaires et perd beaucoup de
son prestige international.

Mais, en dépit d’une indéniable détente, les rancœurs sont loin d’être
apaisées. La Chine a poursuivi sa stratégie de pression sur l’Inde en
renforçant ses liens militaires avec le Pakistan et la Birmanie. De son côté,
en procédant à de nouveaux essais nucléaires au mois de mai 1998, le
gouvernement indien a ouvertement désigné la Chine comme « menace
principale ».
La capacité de dissuasion que l’Inde cherche à acquérir, renforcée par
les nouveaux missiles Agni 2 qui peuvent atteindre la Chine utile, et peut-
être plus encore le pragmatisme de la stratégie chinoise, prompte à prendre
en compte les nouveaux équilibres qui se mettent en place, ne font pas
véritablement pencher la balance en faveur d’une nouvelle guerre sino-
indienne à grande échelle.
Toutefois, si la question frontalière entre les deux pays est qualifiée de
« mineure » par Pékin, qui revendique tout de même plus de 85 000 km2 du
territoire indien dans l’Anrunachal Pradesh, elle ne représente que la pointe
émergée de conflits plus fondamentaux. Ces « questions frontalières
mineures » pourraient donc servir de prétexte à un nouveau conflit entre
l’Inde et la Chine.

Pourtant, l’offensive habile de la diplomatie indienne a entraîné un


rééquilibre en faveur de New Delhi sur la scène internationale,
particulièrement à Washington. La position très clairement « pro-
américaine » adoptée par New Delhi à la suite des attentats du 11 septembre
2001 ne pourra qu’accélérer ce mouvement, éloignant sans doute d’autant
les tentations « aventuristes » de la part d’une Chine longtemps très sûre
d’elle-même face à l’Inde.
30

Inde et Pakistan : les frères ennemis du


sous-continent

Depuis la partition qui s’est accomplie en 1947 dans un bain de sang


qui a fait plus de 1 million de morts, l’Inde et le Pakistan n’ont pu trouver
les bases d’une relation moins conflictuelle. Trois guerres les ont déjà
opposés : deux au sujet du Cachemire en 1948 et en 1965, puis une autre en
1971, qui s’est traduite par la défaite du Pakistan et l’indépendance de sa
province orientale du Bangladesh.
Mais, derrière les revendications territoriales, c’est la nature même de
l’Inde et du Pakistan qui les oppose et interdit la solution des conflits. Le
Pakistan a été fondé sur un critère religieux : « Pays des purs », il devait
offrir une patrie, selon les rêves d’Ali Jinnah et de sa ligue musulmane, à
tous les musulmans de l’ancien Empire des Indes. Aujourd’hui encore, dans
un Pakistan très fragile, miné par les conflits religieux, ethniques et sociaux,
l’opposition à l’Inde constitue le seul facteur d’unité.
À l’inverse, l’Inde de Gandhi, puis de Jawaharlal Nehru, rêvait d’une
nation reposant sur des bases laïques et démocratiques, regroupant tous les
peuples de l’Inde sans distinction de race et de religion. C’est ainsi que,
pour les deux États, la question du Cachemire est devenue une cause sacrée
insoluble : pour le Pakistan, le Cachemire musulman doit par nature être
rattaché au Pakistan ; pour l’Inde, l’intégration des musulmans du
Cachemire symbolise au contraire le principe d’universalité censé fonder
l’union indienne.
Ainsi, dès les origines, le Pakistan s’est défini par rapport au puissant
voisin indien, cherchant à combler une indéniable inégalité de puissance.
Démographiquement, le Pakistan, peuplé de 130 millions d’habitants, ne
pèse que d’un faible poids face au milliard d’habitants de l’Union indienne.
Économiquement, l’Inde, bien qu’à un rythme très lent, a amorcé au début
des années 90 une croissance qui atteint aujourd’hui environ 5 % par an.
Dans le même temps, le Pakistan s’enfonçait dans le sous-développement.
Par ailleurs, l’antagonisme bilatéral a été exacerbé par les jeux
complexes mis en place à l’époque de la guerre froide. Contre l’URSS, le
Pakistan qui, après l’invasion de l’Afghanistan par les forces soviétiques, se
trouvait directement sur la ligne de front entre les deux blocs, a reçu une
aide massive des États-Unis. De son côté, l’armée et les services secrets
pakistanais tissaient des liens ambigus avec les mouvements islamistes les
plus radicaux en Afghanistan. Contre l’Inde et l’URSS, la République
populaire de Chine (RPC) choisissait également d’apporter son aide
militaire au Pakistan. C’est notamment grâce à la Chine que le Pakistan
pourra suivre l’Inde sur le terrain du nucléaire.
À l’opposé, l’Inde se rapprochera de Moscou et souffrira tout
particulièrement du bouleversement des équilibres stratégiques entraîné par
l’effondrement de l’URSS en 1991. Aujourd’hui, les États-Unis et la Russie
jouent dans la région un rôle moins important, mais les règles du jeu
triangulaire entre Pékin, New Delhi et Islamabad restent d’actualité,
contribuant à envenimer les relations indo-pakistanaises. Pour Pékin, qui
conserve des liens étroits avec l’armée pakistanaise, un véritable
rapprochement entre l’Inde et le Pakistan, favorable à la montée en
puissance de toute l’Asie du Sud, constituerait en effet un cas de figure
inacceptable.
La guerre froide est terminée, mais en Asie du Sud la situation entre
l’Inde et le Pakistan est loin d’être apaisée. Depuis le début des années 90,
toutes les tentatives de rapprochement se sont soldées par des échecs. La
déclaration de Lahore, signée à l’issue du voyage du Premier ministre
indien Vajpayee au Pakistan en 1999, avait suscité beaucoup d’espoirs.
Quelques mois plus tard, elle volera en éclats sous les coups de nouveaux
affrontements très violents au Cachemire.
Les deux gouvernements, quelle que soit la volonté d’apaisement de
leurs représentants, n’ont pas les mains libres, et le gouvernement
pakistanais est particulièrement fragile. La poussée de l’islamisme radical,
qui fait des ravages au sein de l’armée depuis la guerre d’Afghanistan, n’est
pas favorable à l’apaisement des tensions. La détresse économique de la
population la pousse vers tous les extrémismes. La haute hiérarchie
militaire ne voit d’un bon œil ni son éviction du pouvoir ni un
rapprochement avec l’Inde qui ne pourrait qu’entraîner sa marginalisation.
La démocratie indienne est moins fragile, mais si, à la différence du
Pakistan, l’armée indienne reste sous le contrôle strict du pouvoir civil, ce
dernier n’est pas à l’abri des tentations nationalistes.
Surtout, même si le fait nucléaire n’est pas nouveau, les essais du mois
de mai 1998 ont démontré que les deux pays attachaient moins
d’importance à l’apaisement qu’à l’affirmation de leurs capacités
nucléaires. En dépit de moyens encore limités, les risques de dérapage
existent donc. L’inégalité de puissance entre l’Inde et le Pakistan, dans le
domaine conventionnel comme dans le domaine nucléaire, pourrait pousser
Islamabad à une action préventive afin de réduire de manière significative
les positions indiennes. Le Pakistan, qui ne dispose pas aujourd’hui d’une
capacité de seconde frappe, pourrait être tenté d’agir vite pour prendre le
dessus.
L’intérêt de l’Inde et du Pakistan ne réside pas dans la poursuite d’un
conflit coûteux et destructeur. Le développement des relations économiques
entre les deux États, par exemple, ne pourrait être que favorable à l’essor
des deux pays.

Paradoxalement, c’est un événement extérieur, l’attentat terroriste dont


les États-Unis ont été victimes le 11 septembre 2001, qui pourrait aboutir à
une reprise du dialogue entre les deux États. Après quelques hésitations,
Islamabad a en effet rallié le camp de la lutte contre le terrorisme, y compris
contre ses alliés talibans, auquel l’Inde se targue d’appartenir depuis les
premiers jours. D’ores et déjà, la quasi-totalité des combattants d’origine
pakistanaise ont quitté le Cachemire. Toutefois, toutes les rancœurs sont
loin d’être apaisées et on peut craindre une remontée des tensions. Tout
risque de conflit entre les deux États est donc loin d’être totalement écarté.
31

Guerre entre les deux Corées

« Pays du matin calme », la Corée a, dans son histoire, longtemps été


divisée. Entre le royaume de Koguryo au nord et ceux de Paekche et Silla
au sud, la frontière suivait presque exactement celle qui divise depuis 1945
la Corée du Nord et la Corée du Sud. Lorsqu’elle a été unie, la Corée a par
ailleurs servi d’enjeu entre ses deux voisins chinois et japonais. Longtemps
vassale de l’empereur de Chine pour se protéger des incursions japonaises,
la dynastie coréenne des Yi s’est effondrée après la dynastie mandchoue des
Qing. Dès 1895, le Japon de Meiji arrachait la Corée au contrôle de la
Chine et y établissait son influence, et en 1910 la Corée devenait
officiellement colonie japonaise.

L’ensemble du peuple coréen rejette une colonisation brutale mais, à la


fin de la guerre du Pacifique en 1945, ce sont les troupes soviétiques qui
occupent le Nord du pays et les forces américaines qui tiennent le Sud, et
chacun installe son propre gouvernement. Résultat direct de la guerre froide
qui s’aggrave à partir de 1948, la division actuelle de la Corée est donc le
dernier héritage de cette guerre froide qui s’est pourtant achevée en 1991
avec l’effondrement de l’URSS.
Mais entre-temps, la Corée du Nord avait acquis une autonomie
croissante en jouant de ses deux alliés chinois et soviétique, pour devenir
progressivement totalement imprévisible et incontrôlable. Depuis
l’effondrement de l’URSS, la situation économique du pays s’est encore
aggravée. Kim Il Sung puis son fils Kim Jung Il ont rejeté toutefois toute
évolution du régime à la chinoise qui menacerait directement un pouvoir
exercé sans partage. La Corée du Nord reste donc aujourd’hui le pays le
plus fermé de la planète.
Au bord de la faillite, craignant pour son pouvoir, le régime nord-
coréen utilise depuis le début des années 90 l’arme de la peur : peur du
nucléaire avec les menaces de développement d’une force nucléaire ; peur
des missiles, qui pourraient frapper jusqu’au Japon et, selon certains, aux
États-Unis ; peur de la prolifération, puisque la Corée du Nord est l’un des
principaux exportateurs d’armes de destruction massive. La Corée du Nord
est donc aujourd’hui, selon les termes utilisés par les États-Unis, un « État
bandit » qui se livre également, pour recueillir des devises, au trafic de
drogue et de fausse monnaie.
Pourtant, à la mort de Kim Il Sung, en 1994, la Corée du Nord avait
accepté de signer avec les États-Unis un accord de coopération, le Kedo,
prévoyant l’échange d’une aide considérable de plusieurs centaines de
millions de dollars contre l’arrêt du développement par la Corée de ses
capacités nucléaires. La Corée souffrirait en effet, depuis le milieu des
années 90, d’une terrible famine dont il est toutefois impossible d’estimer
les véritables conséquences, et l’aide s’avère indispensable à la survie du
régime.
La Corée du Sud, de son côté, ne peut envisager un effondrement
brutal de la Corée du Nord. L’exemple de la réunification de l’Allemagne a
en effet démontré le coût considérable de l’absorption d’un régime à
l’économie totalement obsolète et inadaptée. Le nouveau président de la
Corée du Sud, Kim Dae Jung, élu en 1997, a donc choisi d’appliquer une
stratégie de l’ouverture qualifiée de Sunshine Policy, les contacts sont
encouragés, les grandes entreprises sud-coréennes sont autorisées à investir
au Nord.

La dynastie des Kim


Kim Il Sung, le père, est né en 1912 dans une Corée alors
colonie japonaise. Militant pour l’indépendance de son pays,
il s’installera en URSS jusqu’à la fin de la Seconde Guerre
mondiale. En 1945, il regagne son pays avec les troupes de
l’Armée rouge et, sur le modèle allemand, il est nommé par
les Soviétiques, dans la zone qu’ils occupent au nord de la
Péninsule coréenne, président du Comité du peuple de Corée
du Nord, qui deviendra par la suite le Parti des travailleurs
coréens.
En 1948, une fois la partition acquise, Kim Il Sung devient
président de la République populaire de Corée. Dès 1950,
persuadé avec ses alliés soviétiques que les États-Unis ne
bougeront pas, il tente, sans succès, d’envahir la Corée du
Sud. En dépit de l’aide massive de la République populaire
de Chine, à la fin de la guerre en 1953 les positions n’ont pas
bougé.
Kim Il Sung appliquera ensuite un modèle de développement
de type soviétique, qui ira toutefois en se radicalisant avec la
mise en œuvre de la politique d’« indépendance nationale »,
pendant du « compter sur ses propres forces » maoïste. En
politique étrangère, à partir du conflit sino-soviétique dans
les années 60, Kim Il Sung tentera d’élargir sa marge de
manœuvre en maintenant un certain équilibre dans ses
relations avec les deux frères ennemis du communisme.
À partir de 1972, Kim Il Sung ne conserve que son titre de
président de la République et impose progressivement son
fils Kim Jung Il, né en 1942. Ce dernier est nommé
secrétaire du Comité central du Parti en 1973, puis
commandant suprême des armées en 1991. Au cours des
années, Kim Il Sung avait instauré un culte de la personnalité
exigeant un respect total pour le « Grand Leader suprême
bien-aimé ». Le culte s’est poursuivi avec son fils et, lorsque
Kim Il Sung meurt, en 1994, son fils décrète une période de
trois années de deuil avant d’assumer officiellement la
succession.
En 1998, Kim Jung Il, qui ne rencontre aucun chef d’État
étranger, et mène une vie dont les secrets semblent
impossibles à percer, refuse le poste de président de la
République, conservé à son père « pour l’éternité », et
n’assume que ses fonctions de commandant suprême des
armées, qui sont sans doute aujourd’hui les plus importantes.

Mais, en dépit de ces efforts et de la volonté de la Corée du Sud – mais


également de son allié américain et du Japon – de favoriser l’apaisement
par tous les moyens, les tensions subsistent et le régime nord-coréen paraît
incontrôlable.
Depuis le début des années 90, le poids des militaires, autour de Kim
Jung Il, s’est semble-t-il beaucoup accru. Selon des transfuges venus des
rangs des plus hauts cadres du parti, tous les débats tourneraient autour de
la prochaine guerre avec le Sud. L’économie nord-coréenne est totalement
exsangue, des centaines de milliers de Nord-Coréens se réfugient dans une
République populaire de Chine qui fait aujourd’hui figure d’eldorado sans
que le pouvoir ne puisse rien y faire, mais, contre toute logique, aucun signe
d’ouverture, ne serait-ce qu’économique, n’est donné. Aucune évolution du
régime ne semble en vue, aucune contestation réelle dans les rangs du
pouvoir n’est perceptible. La Corée du Nord et son chef semblent
s’enfoncer dans un délire paranoïaque sans issue qui fait craindre tous les
dérapages.
Au mois d’août 1998, le régime n’a pas hésité à provoquer les États-
Unis en procédant à un tir de missile au-dessus de l’archipel japonais. Au
mois de décembre de la même année, un sous-marin espion nord-coréen a
été coulé par la marine sud-coréenne. Au mois d’avril 1999, ce sont deux
navires sud-coréens qui ont franchi la limite des eaux territoriales
japonaises. Au mois de mai de la même année enfin, des bâtiments nord-
coréens ont fait incursion dans les eaux territoriales sud-coréennes et refusé
de se retirer au cours des incidents les plus violents qui ont opposé les deux
États depuis la fin de la guerre de Corée.
Pourtant, ces provocations permanentes obéissent à une logique qui ne
semble pas être celle de l’escalade aux extrêmes mais bien plutôt celle d’un
chantage désespéré de la part d’un pouvoir acculé à la faillite, qui tente de
monnayer la seule chose dont il dispose encore : sa capacité à faire peur.
Mais si la guerre n’est pas certaine entre les deux Corées, il est impossible
d’éliminer tout risque de dérapage tant que le régime de la dynastie des Kim
restera en place en Corée du Nord. Au mois de juin 2000, la rencontre
« historique » entre les deux leaders avait pu faire naître de nouveaux
espoirs que la fermeture du régime nord-coréen n’a pas permis de
concrétiser.

Les missiles nord-coréens

État des forces 1

Corée du Nord Corée du Sud


Effectifs 1 147 000 690 000
Chars 3 800 2 150
2
Sous-marins 40 5
Navires de combat 430 180
Avions de combat 850 550

1. La Corée du Sud est liée aux États-Unis par un traité de sécurité. Environ 30 000 hommes des forces américaines sont basés en Corée du Sud.
2. Dont 15 petits sous-marins « d’observation ».
32

Guerre Grèce/Turquie

Bien qu’elles appartiennent toutes deux à l’OTAN, la Grèce et la


Turquie ont déjà été en guerre, en 1974. Régulièrement, la montée des
tensions entre les deux pays fait craindre l’éruption d’un nouveau conflit.

Les difficultés de voisinage entre les deux nations existent depuis la


période d’occupation ottomane de la Grèce, qui se conclut par
l’indépendance grecque, en 1830. À l’époque de la fin de l’Empire ottoman
et de la guerre de libération nationale menée par Mustafa Kemal Atatürk,
les affrontements furent particulièrement violents et cruels entre les deux
pays et se soldèrent par des échanges de population massifs de part et
d’autre des détroits au moment de la création de la Turquie républicaine.
De nouveaux points de discorde sont apparus au sujet de l’île de
Chypre, peuplée de Grecs et de Turcs, qui fut tour à tour possession des
Vénitiens, puis des Ottomans et enfin des Britanniques de 1878 à 1960. À
cette date, Chypre acquiert l’indépendance, et son premier président élu,
Mgr Makarios, s’engage à préserver les intérêts et les droits des deux
communautés.
Malheureusement, dès 1964 des violences intercommunautaires
surgissent et, en 1974, Makarios est renversé par un coup d’État fomenté
par le « régime des colonels », alors au pouvoir à Athènes, dans le but de
rattacher Chypre à la Grèce. Aussitôt, les forces militaires turques
débarquent dans le nord de l’île, les Chypriotes grecs refluant vers le sud.
De fait, l’île est partagée en deux parties et, en 1983, une « République
turque de Chypre du Nord » est proclamée, reconnue seulement par la
Turquie.
Malgré des années de négociations, aucun règlement négocié du
conflit n’est en vue, mais sous la pression des institutions communautaires
européennes, qui font du règlement de la question chypriote l’une des
conditions de l’entrée de la Turquie au sein de l’Union européenne, le
dossier est susceptible de connaître de nouveaux développements.
À ces frictions s’ajoutent celles concernant la minorité turque de la
Thrace occidentale et surtout les sujets de contentieux à propos de la mer
Égée. La délimitation du plateau continental, de la mer territoriale, de
l’espace aérien ou encore la remilitarisation des îles orientales de la mer
Égée sont autant de motifs de désaccords.
Ce qui est étonnant, c’est que, au-delà des escarmouches verbales
extrêmement fréquentes, rien ne semble vraiment évoluer, et le maintien du
statu quo est finalement la règle qui prévaut. Les quelques rares gestes de
bonne volonté que l’on peut épisodiquement percevoir se heurtent
systématiquement à de nouvelles exigences de la partie adverse, ce qui gèle
un précaire équilibre.
Aux contentieux évoqués s’est longtemps conjuguée l’attitude grecque
d’obstruction à l’égard de la Turquie à propos de la demande d’adhésion de
cette dernière au sein de l’Union européenne. La volonté d’annihiler tout
processus de rapprochement entre les institutions communautaires
européennes et Ankara a ainsi constitué un facteur supplémentaire de
rivalité. Depuis le printemps 1999, sous l’impulsion de l’équipe du Premier
ministre Costas Simitis, relayée par celle du ministre des Affaires
étrangères turc Ismaïl Cem, un incontestable rapprochement se fait jour
entre les deux parties. Les différends sont bien sûr loin d’être réglés, et il ne
faut pas sous-estimer les résistances qui existent dans les deux pays, mais ce
nouveau climat permet d’envisager avec un optimisme raisonnable l’avenir
des relations turco-grecques. La Grèce ne met plus son veto à une adhésion
de la Turquie à l’Union européenne. Un mouvement de solidarité s’est
développé en Grèce lorsqu’un gigantesque tremblement de terre a frappé la
Turquie en septembre 2000. Pour marquer symboliquement leur
rapprochement, la Grèce et la Turquie ont présenté une candidature
commune à l’organisation du championnat d’Europe des nations de football
pour 2008.

Pour ces motifs, une guerre entre les deux États est fort improbable,
non seulement parce qu’ils sont l’un et l’autre membres de l’OTAN, mais
aussi parce que la volonté de la Turquie d’adhérer à l’Union européenne la
dissuadera de tout dérapage.
33

Guerre entre pays riverains


du Golfe arabo-persique

Après la révolution islamique de 1979, les pays du Golfe se sont sentis


menacés par l’Iran. Aux révolutions traditionnelles : pays arabes, Empire
persan, pays sunnites, pays chiites, s’était ajouté le clivage monarchie
conservatrice/régime révolutionnaire, et les pays liés militairement et
politiquement aux États-Unis et le pays pour lequel l’Amérique était le
« Grand Satan ». L’Iran n’a pas exporté sa révolution. Dans le Golfe, le
régime issu de celle de 1979 est maintenu.
L’Iran conçoit son action diplomatique autour de quelques priorités
régionales, dont la mise en place d’un système de sécurité dans le Golfe, où
il jouerait un rôle clé, est un aspect essentiel.
C’est pourquoi l’image qui restera de la visite officielle qu’a effectuée
le président Khatami au mois de mai 1999 en Arabie Saoudite est
incontestablement celle de sa poignée de main avec les responsables
saoudiens, pourtant voués aux gémonies par l’Iran pendant près de vingt
ans. Cette visite iranienne tire son importance du fait que les relations des
deux pôles de l’Islam – sunnite pour le royaume et chiite pour la
République islamique – étaient très tendues jusqu’à l’accession de Khatami
à la présidence, en mai 1997.
Quelques éléments de coopération
entre l’Iran et les États arabes du Golfe
– La présence dans les Émirats, et particulièrement à Dubaï,
d’une importante communauté iranienne qui ne cesse de se
renforcer. Dans l’ensemble des Émirats arabes unis (EAU),
la population immigrée d’origine iranienne représente 17 %
d’une population totale de 2,3 millions d’habitants, et 70 000
Émiratis seraient de souche iranienne.
– Le nombre non négligeable de ressortissants du Golfe qui
fréquentent l’Iran et y séjournent régulièrement. Les
croyants chiites des Émirats, d’Arabie Saoudite, du Qatar, du
Koweït et de Bahreïn se rendent en pèlerinage sur les lieux
saints iraniens, notamment à Mashhad.
– Les EAU craignent en fait moins l’Iran qu’ils ne le laissent
entendre, d’autant que la puissance de l’Arabie Saoudite
n’est pas pour eux exempte de danger. Force est de constater
qu’ils ont désapprouvé la politique américaine du « double
endiguement » et que les milieux dynastiques du Sharjah et
de Dubaï sont même notoirement pro-iraniens pour des
raisons familiales et économiques.

Si Ryad et Téhéran ont abondé en superlatifs sur la visite de


M. Khatami, nombre de divergences sont toutefois loin d’avoir été réglées.
Ainsi les Iraniens refusent la présence des forces américaines dans le Golfe
et cherchent à convaincre les Saoudiens que les riverains de cette voie d’eau
devraient coordonner leurs efforts pour être les seuls maîtres de la région.
Les Iraniens veulent promouvoir un système d’accords entre puissances
locales et inciter les pétro-monarchies à s’émanciper de la tutelle étrangère.
Ils ne sont probablement pas près d’être entendus, l’intimité de la relation
politique et militaire américano-saoudienne remontant au fondement même
du royaume.
S’ils sont éventuellement disposés à accorder un certain crédit au
président Khatami, Saoudiens et Américains savent que l’équilibre est
précaire en Iran et que les conservateurs tiennent encore de nombreux
leviers de l’appareil d’État. En outre si, contrairement aux États-Unis,
l’Arabie Saoudite ne tient plus l’Iran pour responsable de tout attentat ou
action anti-américaine, Ryad et Washington continuent à s’inquiéter du
programme nucléaire iranien.
Il y a enfin le dossier des îles d’Abou Moussa, de la grande et de la
petite Tomb, à l’entrée du Golfe, dont les Émirats arabes unis revendiquent
la souveraineté. Abou Dhabi, pour sa part, ne voit pas d’un très bon œil le
flirt saoudo-iranien et c’est pourquoi de sérieuses dissensions existent au
sein du Conseil de coopération du Golfe.
Condamnés à vivre ensemble malgré leurs divergences, Téhéran et
Ryad – et à sa suite les autres monarchies arabes du Golfe – tentent de
cohabiter du mieux possible. C’est un raisonnement quasi inédit dans la
région, ce qui permet d’espérer qu’il n’y aura pas de conflit dans un avenir
proche.
34

Guerre France/Allemagne

Traditionnellement ennemies, la France et l’Allemagne se sont lancées


dans une politique volontariste de coopération et d’amitié après 1945. La
réunification allemande risque-t-elle de rendre à l’Allemagne des pulsions
dominatrices, propices à créer des tensions avec la France ?

Mémoire collective

Depuis Charles Quint et François Ier, la France et l’Allemagne se sont


livré au total vingt-trois guerres ; dix-neuf ont eu lieu exclusivement sur le
territoire allemand, et les quatre dernières sur le territoire français.
Cette histoire commune a créé, dans chaque pays, une mémoire
collective. Pour les Allemands, la France représentait avant tout cinq siècles
d’hégémonie militaire, culturelle et démographique. Elle était vue jusqu’à la
Seconde Guerre mondiale comme un pays agressif.
La guerre de Trente Ans, où la France a été très active, a permis la
stabilisation de l’Europe avec la signature des traités de Westphalie (1648).
Elle a également empêché toute prétention allemande à se constituer en
État-nation ; celui-ci ne verra le jour qu’en 1870. Le trait le plus constant de
la politique extérieure française depuis Richelieu était d’éviter l’unité
allemande.
Pour les Français, l’antagonisme avec l’Allemagne devient évident
essentiellement à partir de 1870 et jusqu’en 1945. Avant cette période, ce
sont les Anglais qui sont perçus dans l’imaginaire français comme les
ennemis héréditaires. En 1871, pour la première fois, la France est vaincue
militairement par un seul pays (l’Allemagne) et non par une coalition.

Réconciliation

Après 1945, Français et Allemands se rendent compte que la


réconciliation est indispensable pour éviter le déclenchement d’une
nouvelle guerre en Europe. La menace soviétique est un argument
supplémentaire. C’est pour cette raison que sera lancée la construction
européenne, dont la première étape, la Communauté européenne du charbon
et de l’acier, avait pour but d’empêcher une nouvelle guerre entre les deux
rivaux.
Par la suite, cette coopération franco-allemande va se développer à
travers les personnalités de leurs dirigeants successifs. On a pu parler de
« couple franco-allemand », personnifié par les tandems Adenauer-de
Gaulle, Schmidt-Giscard d’Estaing, Kohl-Mitterrand.
En 1963, est signé entre les deux pays le traité de l’Élysée, qui instaure
des sommets réguliers entre le président français et le chancelier ouest-
allemand et entre les ministres des Affaires étrangères et de la Défense. En
1988, un Conseil franco-allemand de défense est créé entre les deux pays
qui vont jusqu’à former un corps d’armée commun. Paris et Bonn sont par
ailleurs le moteur de la construction européenne.

La chute du mur de Berlin

Jusqu’à la chute du mur de Berlin, les relations franco-allemandes


étaient marquées par un équilibre dans les déséquilibres.
La suprématie économique allemande était compensée par sa division
et son infériorité stratégique vis-à-vis de la France. En gros, à l’une le
Mark, à l’autre la bombe atomique.
Après la réunification allemande, la perspective de la constitution d’un
pays de 80 millions d’habitants au centre de l’Europe ne pouvait que
bouleverser les équilibres existants. On se rappelle, d’autre part, que
l’Allemagne historiquement n’a été unifiée que de 1870 à 1945. Au cours
de cette période, elle a jeté le monde dans deux guerres mondiales. Si
aujourd’hui l’Allemagne est paisible, de quoi peut être fait le futur proche ?
Comment interpréter la demande allemande de disposer d’un siège de
membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, et le rétablissement de
Berlin (symbole de la puissance allemande passée) comme capitale ?
L’Allemagne n’allait-elle pas dominer l’Europe ? N’allait-on pas avoir
une Europe allemande au lieu d’une Allemagne européenne ? Et comment
la France pouvait-elle réagir à cette rupture d’équilibre ?
Celle-ci n’a, en fait, pas eu lieu jusqu’à présent parce que, en matière
économique, la France est devenue aussi performante que l’Allemagne.
Par ailleurs, l’Allemagne, consciente des problèmes dans lesquels
l’avait plongée sa volonté de domination passée, a continué à jouer la carte
européenne, allant même jusqu’à abandonner le Deutsche Mark, symbole
de sa reconstruction et de sa puissance économiques, au profit de l’euro.
Au Kosovo, elle a pour la première fois participé à une guerre, mais,
cette fois-ci, du côté des démocraties.
Les intérêts nationaux français et allemands ne sont plus opposés. Le
projet français d’une Europe forte par exemple ne peut se faire avec une
Allemagne faible, et les deux pays participent ainsi activement au
développement d’une Politique européenne de sécurité et de défense
(PESD) depuis 1999.
Des divergences peuvent toujours être possibles entre ces deux pays
comme entre tous les pays. Mais la guerre ne l’est plus, tant leurs intérêts
stratégiques, politiques, économiques et commerciaux sont liés. Par ailleurs,
l’avancement de la construction européenne est fortement dépendant de la
bonne relation franco-allemande.
35

La Russie peut-elle redevenir une


menace ?

L’empire soviétique s’est disloqué à la surprise générale et de façon


pacifique. Mais la Russie demeure instable et imprévisible. Peut-elle à
l’avenir redevenir une menace pour les autres pays ?

Dans les années 80, chacun s’accordait à présenter l’Union soviétique


comme une superpuissance. Elle avait patiemment rattrapé depuis 1945 les
États-Unis avec lesquels elle s’était lancée dans une course à la domination
mondiale. Cela lui avait permis non seulement de contrôler l’ensemble de
l’Europe de l’Est, mais également de créer des alliances avec les pays
latino-américains (Cuba, Nicaragua), asiatiques (Viêt-nam, Corée du Nord),
africains (Angola, Mozambique) ou au Proche-Orient (Syrie, Libye). Le
niveau de consommation de ses citoyens laissait certes à désirer, mais elle
avait égalé la puissance militaire américaine en termes d’armes nucléaires
et l’avait même dépassée pour ce qui est des armes conventionnelles
(nombre de chars, etc.).
Dans le monde occidental, l’URSS était présentée comme la principale
menace militaire. Cela venait de l’opposition idéologique entre les deux
systèmes, et du fait que l’URSS avait considérablement élargi sa position
dans le monde grâce à sa puissance militaire. Elle faisait peur à beaucoup,
et tout le monde s’accordait à reconnaître sa force inégalable.
Dans les années 80, Mikhaïl Gorbatchev comprend que le système
soviétique est dans l’impasse. À vouloir assurer sa sécurité à tout prix, il n’a
réussi qu’à effrayer le reste du monde. La priorité absolue donnée aux
dépenses militaires l’a empêché de prendre le virage de la révolution
technologique.
Il faut donc rétablir des relations de confiance avec les pays
occidentaux pour obtenir crédits et technologies et moderniser le pays.
L’ensemble de l’empire s’est effondré très rapidement. Par souci
d’économie, l’URSS a commencé à remettre en cause des alliances qui lui
coûtaient cher dans le tiers-monde. Elle a ensuite, afin de montrer sa bonne
foi aux pays occidentaux pour obtenir l’aide économique et technologique
qui lui faisait défaut, desserré son contrôle sur l’Europe de l’Est.
L’organisation d’élections libres en Pologne et la chute du mur de Berlin en
1989 allaient faire perdre à Moscou le contrôle du glacis stratégique qu’elle
s’était constitué après la Seconde Guerre mondiale par peur d’être de
nouveau envahie.
En 1991, c’est l’Union soviétique disloquée sous l’impulsion de Boris
Eltsine qui dirigeait la république de Russie, la plus importante des quinze
républiques qui formaient l’Union soviétique. La Russie récupérait la
plupart des attributs de pouvoir de l’Union soviétique (siège de membre
permanent du Conseil de sécurité, statut de puissance nucléaire). Elle restait
le pays le plus peuplé (160 millions d’habitants). Eltsine abandonna le
communisme, déclara vouloir intégrer le club des démocraties occidentales.
Mais elle allait entrer dans une période de chaos économique et
politique. Le PNB de la Russie est aujourd’hui 50 % inférieur à ce qu’il
était en 1991. La Russie demeure néanmoins un pays au potentiel énorme
du fait des matières premières dont elle regorge. Mais elle souffre d’une
grave désorganisation, de mauvaise gestion des capitaux et de la trop grande
importance de l’économie parallèle. Politiquement, malgré – ou à cause de
– la présence de Boris Eltsine au pouvoir pendant huit ans, le régime
n’apparaissait pas vraiment amélioré. Le président était souvent absent pour
des raisons de santé, et la déliquescence de l’État et de l’économie faisait
craindre en permanence qu’un pouvoir fort, hypernationaliste, s’installe et
se montre de nouveau hostile au monde occidental, en le dénonçant comme
la cause des malheurs actuels de la Russie. Pourtant, Moscou ne serait pas
en mesure de faire peser une menace sur les pays occidentaux ni même sur
les anciens pays du pacte de Varsovie. L’armée russe a le plus grand mal à
mener une guerre en Tchétchénie sur le territoire de la république de Russie
contre des miliciens mal armés. L’armée est désorganisée, les équipements
ont vieilli et les militaires, autrefois les chouchous du régime, sont
démoralisés. Seules ses armes nucléaires constituent encore un pouvoir de
nuisance relativement important qui permet à la Russie de pouvoir peser
dans le règlement des grandes crises.
Vladimir Poutine essaie depuis son arrivée au pouvoir (fin 1999) de
restaurer l’autorité de l’État.
Dans la relation Chine-Russie, c’est désormais la Chine qui a la
supériorité économique et sans doute militaire. L’OTAN s’est élargie à
d’anciens pays du pacte de Varsovie.
En fait, on doit aujourd’hui plus craindre la faiblesse de la Russie que
sa puissance. L’armée contrôle-t-elle encore les armes nucléaires ? Les
scientifiques russes qui travaillaient sur les programmes ne peuvent-ils pas
être tentés de partir à l’étranger pour travailler sur les programmes
nucléaires d’autres pays ?
La mafia n’est-elle pas en train de prendre une partie du pouvoir ?
La démocratie n’est pas encore tout à fait stabilisée en Russie. Il est
certain que, dans les dix ou quinze prochaines années, la Russie ne sera pas
en mesure de faire peser une quelconque menace. Peut-on penser qu’après
un rétablissement économique on pourrait revenir à une politique de
confrontation ? On peut, au contraire, estimer que Moscou veillera à établir
des relations cordiales avec les autres pays. Néanmoins, par sa taille même,
du fait qu’elle ne pourra pas être intégrée dans l’Union européenne, la
Russie demeurera un problème spécifique.
Les attentats du 11 septembre changent la donne pour Moscou. Ils lui
permettent de justifier la guerre en Tchétchénie au nom de la lutte contre le
terrorisme, et surtout ils placent les États-Unis en position de demandeurs
face à Moscou dans la lutte contre les talibans.
36

Football et guerre

En 1969, Honduras et Salvador doivent s’affronter pour les matchs


qualificatifs de la Coupe du monde qui doit être organisée chez les voisins
mexicains en 1970.
Battu 1 à 0 au match aller, le Salvador gagne le retour dans une
ambiance tellement hostile que l’équipe du Honduras doit être
accompagnée au stade dans des blindés !
Des milices armées expulsent les paysans salvadoriens installés au
Honduras. Le Salvador rompt ses relations diplomatiques.
Le Salvador emporte le 29 juin 1969 la belle !
De nouveaux massacres de paysans salvadoriens ont lieu au Honduras.
Le Salvador attaque ce dernier le 14 juillet, la guerre durera quatre jours.
Le football a fourni l’étincelle de la guerre, mais le baril de poudre
était là avant. Faiblement peuplé, le Honduras vivait mal le fait que 300 000
Salvadoriens se soient installés sur son territoire. Les relations étaient
exécrables entre les deux pays.

Le football est certainement l’une des plus significatives incarnations


de la nation. Il est à la fois son image et à son image. La composition d’une
équipe nationale est le reflet de la politique coloniale, d’immigration et de
nationalité d’un État des XIXe et XXe siècles.
Lors de la Coupe du monde 1974, un journaliste allemand a noté dans
les visages des joueurs brésiliens « toutes les nuances que l’ajout de gouttes
de lait peut produire dans une tasse de café noir », rendant ainsi compte à la
fois du métissage et de l’absence de discrimination au sein de la société
brésilienne.
L’équipe de France est le symbole le plus achevé de la politique
d’intégration, avec Kopa, Platini et Tigana hier, Zidane, Desailly et Thuram
aujourd’hui. À l’inverse, la composition de l’équipe allemande montre les
tendances restrictives d’une politique de la nationalité fondée sur le droit du
sang avec une quasi-exclusivité pour les patronymes à consonance
germanique.
En Afrique du Sud, le football est le symbole de la réconciliation
nationale après le démantèlement de l’apartheid.
En Iran, il réunit tous ceux, notamment jeunes et femmes, qui veulent
desserrer l’étau d’un régime trop rigide. Et la participation obtenue in
extremis de l’équipe d’Iran au Mondial 1998 – après vingt ans de non-
participation – a été le signe de la réintégration progressive de ce pays au
sein de la communauté internationale.
Mais, plus marquant encore, c’est l’importance du football dans la
constitution de l’identité nationale.
En Europe, l’implosion de l’URSS et de la Yougoslavie a eu pour effet
la multiplication des États et donc des équipes nationales. Parmi les
premières manifestations de volonté des nouveaux États indépendants
figurait la demande d’adhésion à la FIFA (Fédération internationale de
football Association), comme si la définition de l’État ne se limitait plus
aux trois éléments traditionnels : un territoire, une population, un
gouvernement. Il apparaissait qu’il faille en ajouter un quatrième : une
équipe nationale de football, ce qui laisse à penser que l’indépendance
nationale se caractérisait par la possibilité de défendre ses frontières, de
battre monnaie et de disputer des épreuves internationales de football.

Yougoslavie
Le football aurait pu constituer un bon révélateur des tensions entre les
différentes républiques formant la Yougoslavie avant même que la guerre
n’y éclate en juillet 1991. Pendant la Coupe du monde de 1998, l’entraîneur
croate, Blazevic, ira jusqu’à dire : « C’est moi qui ai dévoilé le sentiment
identitaire croate en gagnant le championnat de Yougoslavie en 1982, avec
le Dynamo de Zagreb. »
Le 13 mars 1990, à l’occasion d’un match entre le Dynamo de Zagreb
(croate) et les Partisans de Belgrade (serbes), des affrontements entre
supporters font 60 blessés.
À Split (Croatie), au cours d’un match entre l’Hadjuk et les Étoiles
rouges de Belgrade, le drapeau yougoslave est symboliquement brûlé par
les Croates.
Tenue responsable de la guerre, en Croatie et en Bosnie, l’équipe
yougoslave (Serbie + Monténégro) est exclue du championnat d’Europe des
nations où elle faisait partie des huit équipes qualifiées.
C’était pour la communauté internationale un moyen d’agir
symboliquement, de punir Belgrade sans prendre de risque militaire.

Mais l’équipe nationale n’a pas été le simple résultat de la création


d’un État. Pour de jeunes États, où le sentiment national était fragile et se
sentait menacé, sa solidification a été, plus qu’on ne le croit, aidée par le
football, qui a servi de fédérateur à une communauté souvent traumatisée
par la guerre.

Un phénomène réellement mondial


Sport universel, le football est certainement l’exemple le
plus accompli de la mondialisation. Le football n’a pas de
frontière, et il est plus largement répandu que la démocratie
et l’économie de marché tout en étant extrêmement
populaire auprès des peuples. L’ONU n’a-t-elle pas moins de
membres que la FIFA avec 189 membres contre 202 ? Cette
dernière a d’ailleurs réussi là où la première a échoué en
faisant siéger ensemble la Chine populaire et Taiwan, que
Pékin considère toujours comme une province renégate avec
laquelle il n’accepte nulle part de coexister sur un pied
d’égalité.
Parti du Royaume-Uni avant de gagner l’Europe et
l’Amérique du Sud, le football est aujourd’hui réellement
mondial, il est même devenu l’un des symboles les plus
marquants de la mondialisation, si, par ce terme, on entend
l’accroissement des échanges, la suppression des frontières
et des distances par le développement des moyens de
communication.

L’équipe nationale incarne, de façon plus saisissante qu’un siège à


l’ONU, l’existence de l’État.
Les nations se réuniront toujours autour de leur équipe, symbole de
leur unité et porte-drapeau de leurs valeurs. Partout dans le monde, les
matchs de l’équipe nationale continueront de fédérer les citoyens. Si
l’attachement à la nation est un référendum quotidien, les compétitions
internationales permettent d’organiser régulièrement des référendums de
quatre-vingt-dix minutes.
En 1996, avant la demi-finale du championnat d’Europe des nations
qui devait opposer le Royaume-Uni à l’Allemagne, le Times titrait : « Le
football, continuation de la guerre par d’autres moyens ? »

Pour certains, la cause est entendue : le football vient souffler sur les
braises des passions nationales, il est belligène, comme l’a montré la guerre
du football entre le Honduras et le Salvador en 1969. D’autres avancent, à
l’inverse, que le football permet d’éviter les guerres, réservant
l’affrontement au niveau symbolique dans les stades. Par effet de
sublimation, il évite les conflits, et si les rencontres sur le terrain sont
parfois rudes, c’est justement parce que la guerre est désormais interdite
entre les États. Le football est devenu un substitut légal et même
parfaitement admis aux conflits d’antan.
Sans en être la cause ou le précurseur, le football peut être le signe
avant-coureur d’un conflit à venir, comme on l’a vu en Yougoslavie.
Mais le football peut aussi permettre, grâce à sa force symbolique, des
réconciliations.
Joao Havelange, le président de la FIFA, déclarait avant la Coupe du
monde 1998 : « Il y a un projet qui n’a pas abouti, mais que j’espère
concrétiser. Ce serait un match entre les sélections de Palestine et d’Israël. »
C’est également dans le but de réconcilier le Japon et la Corée du Sud,
dont les relations sont historiquement difficiles, voire de faciliter la
réunification de la Corée, que Joao Havelange a fait en sorte que la Coupe
du monde 2002 soit attribuée conjointement au Japon et à la Corée du Sud.
Le football est donc un reflet, son caractère hautement spectaculaire ne
doit pas faire illusion. Un match de football ne viendra pas déclencher un
conflit entre deux pays qui entretiennent de bonnes relations, ni apporter la
paix à des États qui veulent en découdre.
37

Guerre et tourisme

La mondialisation, c’est la suppression des distances grâce aux


technologies modernes, qu’il s’agisse des communications ou des
transports. Elle ne concerne pas que la stratosphère économique mais
touche également les individus dans leur vie quotidienne. Elle s’applique
par exemple au tourisme.

Certes, malheureusement, tout le monde ne part pas en vacances. Et


ceux qui partent ne vont pas tous rejoindre des destinations lointaines. Mais
avec l’irruption de la télévision et des charters, des contrées qui paraissaient
autrefois inaccessibles, sauf pour une élite très réduite, semblent être à la
portée d’un plus grand nombre. Il y a trente ans, seuls quelques
« routards », qui passaient pour des aventuriers en mal d’émotions fortes, se
risquaient à sillonner l’Asie ou l’Amérique latine. Aujourd’hui, c’est par
millions que les touristes occidentaux rejoignent par charters, et guide en
poche, circuits, plages et clubs mis en place dans l’ensemble de
l’hémisphère Sud.
Les classes moyennes se retrouvent riches par comparaison avec le
niveau de vie local et peuvent s’offrir des vacances qu’elles n’auraient pas
les moyens de se payer ailleurs. Il y a donc des migrations provisoires
massives du Nord au Sud, organisées et facilitées au moment même où les
migrations Sud-Nord sont sévèrement contrôlées. L’exotique devient banal,
le lointain paraît soudainement très proche. Ces phénomènes de masse ont
de nombreuses répercussions. Ils permettent, fût-ce de façon superficielle,
de connaître des pays étrangers, de rencontrer des peuples auparavant
inconnus, voire caricaturés, de découvrir d’autres modes de vie.
Par réaction à cette démocratisation du périple, certains cherchent
toujours à se différencier. Cela peut être par l’argent, si l’on va dans des
hôtels de super-luxe dans des lieux privilégiés. Cela peut être par la
destination. Une agence s’est spécialisée dans les voyages à risques,
proposant à quelques amateurs de frissons des voyages en Irak, en
Afghanistan ou autres destinations qui n’évoquent pas spécialement le
farniente.
Il ne faudrait pas croire pour autant que, désormais, le monde est
devenu entièrement accessible. On se rend plus vite, moins cher et plus
facilement dans de très nombreux endroits, mais pour le voyageur certaines
contrées sont plus dangereuses qu’il y a quelques décennies ou au siècle
dernier. Si des millions d’Européens se répandent sur les plages tunisiennes
ou marocaines, qui irait aujourd’hui en villégiature en Algérie ? De
nombreux pays d’Afrique, du fait des guerres civiles, sont hors de portée de
fait des visiteurs étrangers et présentent, pour ceux qui voudraient s’y
rendre, des dangers importants. L’an dernier, l’affaire des otages de Jolo
avait montré de façon spectaculaire comment des vacances de rêve
pouvaient virer au cauchemar. Bref, un peu de géopolitique avant de choisir
sa destination est vivement recommandé.
Car, outre les risques que courent les individus pris accidentellement
dans une tourmente politique dont ils ignorent tout, la responsabilité de
l’État est mise en cause. S’il y a prise d’otage ou enlèvement, le Quai
d’Orsay va devoir s’occuper de la libération des ressortissants français sans
donner l’impression de prendre partie dans un conflit interne. Le devoir
d’assistance aux compatriotes en danger peut se heurter aux impératifs
diplomatiques.
Afin de minimiser les risques, le ministère des Affaires étrangères
français met en garde les touristes potentiels sur son site Internet
(www.diplomatie.fr), en établissant une liste de « pays à éviter ».
Le ministère prend soin de dresser une liste nuancée. La première
catégorie regroupe les pays dans lesquels il est formellement déconseillé de
se rendre et ce, quelle qu’en soit la raison (tourisme ou voyage d’affaires).
Y figurent notamment le Tadjikistan, le Venezuela, la Macédoine, le
Rwanda ou encore certaines zones du Soudan, du Sénégal, de la Russie ou
des Philippines. L’on pourra, en guise d’illustration, citer quelques raisons
avancées par le Quai d’Orsay pour dissuader ses ressortissants
d’entreprendre un voyage dans ces pays.
Au Liberia, vous risqueriez d’être l’objet d’une prise d’otages et/ou la
victime d’une fièvre jaune endémique, alors que, en Malaisie, la peine de
mort sera requise à votre encontre si vous êtes pris en possession –
volontaire ou non ! – de produits stupéfiants. Plus proches de nous,
certaines zones de Macédoine, de Yougoslavie ou de Géorgie doivent
également être écartées de tout projet d’excursion.
La deuxième catégorie des pays recensés par le ministère traite de
zones dans lesquelles il est déconseillé de se rendre, sauf raison
professionnelle impérative (Algérie, Angola, Colombie, Irak, Salvador,
Zambie…). Le Quai d’Orsay recommande toutefois d’observer certaines
règles de sécurité, dont quelques-unes semblent évidentes pour qui souhaite
se rendre dans un pays où la situation politique intérieure est en proie à de
vives tensions. Ainsi mieux vaut-il éviter de tenir tête aux policiers
procédant à des contrôles d’identité et aux groupes armés désirant
emprunter votre véhicule…
En revanche, certains conseils complémentaires – plus en adéquation
avec les « coutumes locales » – méritent de retenir votre attention. Par
exemple, le Népal ne sera pas la meilleure destination pour qui souhaite
faire du camping sauvage. Au Nigeria, l’automobiliste ne s’attardera pas
dans les embouteillages et ne portera pas secours aux nombreuses femmes
enceintes implorant son aide sur le bord de la chaussée. En République
démocratique du Congo, il faudra également éviter de prendre part à une
discussion politique.
Enfin, dans de nombreux pays, comme la Zambie ou le Soudan, mieux
vaudra s’abstenir de prendre en photo les monuments officiels et autres
palais nationaux, tandis qu’au Sénégal il faudra renoncer à toute excursion
en Casamance et batailler ferme avec son voyagiste pour obtenir une liaison
aérienne directe qui permettra d’atterrir à proximité de la zone hôtelière –
sécurisée – de Cap Skirring.

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