Chamoiseau Patrick Fra Césaire, Perse, Glissant, Les Liaisons Magnétiques
Chamoiseau Patrick Fra Césaire, Perse, Glissant, Les Liaisons Magnétiques
Chamoiseau Patrick Fra Césaire, Perse, Glissant, Les Liaisons Magnétiques
L’intraitable beauté du monde : adresse à Barack Obama, avec Édouard Glissant, essai, Galaade, 2009
ISBN 978-2-84876-365-1
www.philippe-rey.fr
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Je repense à cet autre maître des
sens, à ce régent du langage, Saint-
John Perse, déjà évoqué, je me
répète ce qu’il chante à la fin
d’Anabase : « Mais de mon frère le
poète on a eu des nouvelles. Il a
écrit encore une chose très douce.
Et quelques-uns en eurent
connaissance… »
Du même auteur
Copyright
Dédicace
Derniers vents
Carême
Roussi
Premières pluies
Saison-pluies
Avents
Crépuscules
LES HOMMAGES
Césaire, ma liberté
Ma liberté
Récitation pour Ed
Notes
Derniers vents
Char compare certaines femmes à une vague marine, qui a bondi, s’est
retrouvée prisonnière en flaque, et qui est encore « belle par éclair, à cause
des cristaux de sel qu’elle renferme et qui lentement se substituent à son
vivant… » Ce vers détient une puissance d’évocation étonnante, il provoque
chaque fois en moi tout un mouvement de scintillements lié à des
immobilisations vitreuses, un peu comme j’en surprends parfois sur des
plages désertes. La mort est dans la vie, la vie est dans la mort, l’une peut
précéder l’autre, l’autre peut anticiper l’une, souvent leur mélange
impensable avive quelque rémanente écaille d’une beauté. Et très souvent,
pour les poètes, la mort fait émerger de l’œuvre d’inépuisables
magnificences.
On peut goûter à tous les poètes, de tous les temps, par leur saveur en
Relation. Aux musiciens aussi. Comme si la crête vive de la Relation se
trouvait dans les arts et dans leurs expansions qui se rejoignent et se
nourrissent.
Ils sont tous les trois obscurs, et en même temps très éclatants. C’est
dans cette clarté même que leur puissance tellement féconde nous reste
énigmatique. Bien lamentable emploi que de vouloir leur infliger de la
compréhension ou de la transparence. Il nous faut tenter de deviner leur
inévitable relation, cette « liaison magnétique » comme le dirait Glissant,
qui les rassemble sans les confondre, et qui nourrit et leurs mouvements
particuliers et leurs musiques secrètes.
Ici, dans cette petite nation sans État, sans responsabilité d’elle-même
et sur elle-même, les éclats de sel se substituent à notre vivant.
Belle définition de l’Écrire que donne Char dans son 174e Feuillet : Je
suis homme de berges – creusement et inflammation – ne pouvant l’être
toujours de torrent. Même idée chez Césaire : J’habite une blessure
sacrée… J’habite un long vouloir obscur… Ce que par ailleurs il
dénommait : l’urgente sommation du réel… Dans Tropiques, où il expose
souvent ses fondements théoriques, il avait déclaré : Nous entendons,
fidèles à la poésie, la maintenir vivante : comme un ulcère dévorant sans fin
le foie du monde…
Glissant évoque cette même conscience tenue à vif dans la forge de
l’œuvre : Nous qui avec tant d’impatience rassemblons ces moi disjoints…
acharnés à contenir la part inquiète de chaque corps dans cette obscurité
difficile de nous4… cette « obscurité difficile de nous » provient de
l’indéfinissable mélange des créolisations qui se sont produites dans les
Amériques, mélanges imprévisibles, imprédictibles, d’hommes et de
cultures, une alchimie anthropologique que Glissant s’attachera à explorer
par l’Antillanité, la Créolisation, et en finale la poétique tutélaire de la
Relation… Ce sera là son creusement et ses inflammations.
Soucieux d’effacer les rives, les berges, les centres et les périphéries
qui auraient pu le désigner de quelque part, Perse se déclarait volontiers,
non pas homme de l’Atlantique, comme un vulgaire marin, mais « homme
d’Atlantique », c’est dire : d’un indéfinissable principe océanique. Césaire
lui se disait Péléen, des forces volcaniques les plus imprévisibles, ou alors
relever d’une éternité nègre. De son côté, Glissant se déclarait Poète, et à
l’amorce de certains cycles de son œuvre il pouvait s’écrier : Je
recommence la poésie ! ou alors : Je suis un jeune poète…
Tous habitent l’immense d’une élémentale puissance.
Écrire, c’est comme errer à portée de frappe des foudres et des éclairs.
Césaire en donne cette belle saisie : « Si ma pensée emprunte les ailes du
mensfenil ô visages c’est entendu vous êtes proie pour mes serres, et moi je
le suis du vent du doute de la suie de la nuit ô cendre plus épaisse vers le
cœur et ce hoquet de clous que frappent les saisons, car il y a ce mal… »
Glissant lui aussi s’est souvent attardé sur cette petite buse que la
langue créole désigne sous le terme « malfini ». « Carnassier qui emplit ce
lieu, de loin en loin sur les portuaires du monde, lequel ressasse ses eaux
sur toute bordée de terre acharnée à ses dévirages, et qu’à notre tour nous
nommons d’un nom incertain, bienvenu de tous, il comble ce lieu de ses
tournoiements et de ses éclairs7… » L’élévation, les vents, le tournoiement,
l’éclair… tous les ingrédients glissantien d’une juste poétique. Et Perse,
dans Chronique, explorant le grand âge : « Nos œuvres vivent loin de nous
dans leurs vergers d’éclairs. Et nous n’avons de rang parmi les hommes de
l’instant… » L’éclair comme intense concentration, fulgurance et amplitude
totale du geste poétique.
*
Fréquenter la poésie jour après jour, petites lectures et petites notes,
nous mène irrésistiblement à imaginer le monde, à nous y promener. Le
voyageur immobile va loin parce que ses routes ne s’épuisent jamais, et que
ses horizons sont l’immobilité même. Que voit-on de ce monde dont nous
avons maintenant une conscience continue ?
Partout, le règne d’une oppression indépassable.
Car il est indéniable que ce qui surgit chaque fois, inconnu, dérisoire,
tremblant et très fragile, et qui se dissout sans pièce révolution, relève
toujours de la très simple expression d’un dégagement d’humanité, comme
une résurgence du plus profond de ce mystère qui fait l’humain, et qui
d’être profond bourgeonne soudain à son sommet au moment du péril le
plus grand.
Toutes ces places occupées sans violences. Ces chants. Ces danses.
Tous ses signes et alliances par le biais d’Internet. Toute cette sympathie
immédiate, qui s’exprime, qui surtout accompagne malgré les grands
lointains… On ne peut que se réciter cette pensée de Glissant : « Là où les
pays opprimés et qui se battent ont la générosité de s’ouvrir à l’Autre,
l’espoir de tous se maintient. »
*
« Il n’y a pas de commencement absolu », nous dit Glissant dans La
Cohée du Lamentin. « Les commencements fluent de partout, comme des
fleuves en errance, c’est ce que nous appelons des Digenèses. »
*
Quel que soit l’endroit où l’on se trouve dans le monde, quelle que soit
la langue que l’on parle, la couleur de peau qui nous accable de ses charges
historiques, quel que soit le dieu que nous aimons, que l’on soit occidental
ou pas occidental, nous sommes confrontés à l’évidence d’un berceau qui
nous est unique et qui devient un peu mieux évident et visible au long des
griffes du soucougnan capitaliste ; à l’évidence aussi d’une biosphère
soumise aux aberrations de ce même système, et qui est en péril, et d’un
écosystème anthropique où la domination occidentale a joué un rôle majeur
quant à la mise en place d’une catastrophe multiforme, insidieuse et totale.
Tant et si bien que ce ne sont pas seulement les Occidentaux10 qui se
retrouvent menacés ; ni les capitalistes, ni les spéculateurs, ni les Européens
(qui vivent encore dans un fond d’illusion que leur bout de planète peut se
développer sans le reste du monde, et sans la plus haute dignité garantie à
tout le reste du monde) ; ni même les USA (qui malgré Obama avec leur
tête ont raté une ouverture sur cette réalité souterraine et surtout
essentielle, qui met les peuples, les cultures, les civilisations du monde en
relation possiblement féconde et qui nous ouvre la voie, la rend plus
évidente, d’un devenir commun, d’un destin partagé au-delà des fermetures
identitaires ou des blockhaus religieux ou raciaux) ; ni même tous les
peuples affamés ou détruits par le capitalisme financier, l’outrance
occidentale, et qui répondent à cette domination par toutes sortes d’écocides
(intolérances religieuses, fanatismes, identités meurtrières, nettoyages
ethniques, diabolisation de toute immigration, émigrations hagardes vers
les grands centres de la consommation, terrorismes à fleur de désespoir,
enfermement et renfermement tant territoriaux que dans toutes les sources
de leurs imaginaires) – non, ce ne sont pas seulement ceux-ci ou ceux-là
qui se trouvent en péril, ni celui-là à sauvegarder, ou celui-ci vers qui
manœuvrer les secours, mais bien tous, et tous ensemble. C’est
paradoxalement ce « nous » qu’il nous était et nous est encore difficile à
distinguer dans les chahuts et les urgences de notre quotidien : ce « tous »
dans lequel nous sommes englobés, entre les quatre dérisoires horizons qui
fondent notre vision des choses. De plus en plus, nombreux sont ceux qui le
devinent, mais ce qui se laisse entrevoir, dans ces campements et ces
villages d’éphémères indignés, apparaît dans une telle complexité et un tel
chahut de dangers et de contre-dangers qu’il nous est difficile de mobiliser
ces fameuses « autres voies » que nous désigne magnifiquement ce cher
Edgar Morin. Difficile aussi de deviner une quelconque trace qui nous
donnerait l’espace d’accomplissement du soi individuel dans le devenir
indivisible de toute l’espèce humaine. Dès lors, revenir à la source sensible
– la poésie, la parole des poètes, leurs combats, leurs ombres et leurs
lumières – est une des belles manières d’élargir notre vision.
*
Il ne s’agit plus d’« universaliser », mais de mettre en relation le
foisonnement des diversités qui s’émulsionnent, et ces briques du vivant
que sont les différences.
Il s’agit de diversaliser.
Les formules les plus rebelles et les plus célèbres de Césaire ne sont
donc jamais des défenses ou de simples dénonciations. Et ses visions, ses
prophéties, ses annonciations, tellement sonores, ne sont jamais des
anathèmes ou des revendications. C’est pourtant avec elles que nos nègres
marrons ordinaires ont conforté leurs résistances, leurs anathèmes et
beaucoup de leurs revendications. Comme du sel qui se substitue au vivant.
Avec la force de ces poètes, leurs échos partagés, se hisser sur la plus
haute pointe d’un refus inexplicable, déraisonnable, et tenter en patience
d’inventer un inimaginable hennissement du soleil. Le Rebelle, trop
dépendant de ce qu’il combat, ne peut pas faire cela. Le Guerrier seul.
La lumière a été chassée de nos yeux. Elle est enfouie quelque part
dans nos os… Le poète est là dans l’ombre, pris de vertige auprès d’un colt.
Il écrit pour se garder intact. On enrage de ne pas avoir la vertu qui
renonce, lui murmure Césaire.
*
Césaire va utiliser la langue française comme un poète, c’est-à-dire en
écartant sa fonctionnalité pour ne conserver que ses assises lexicales, sur
lesquelles il va précipiter des transmutations du mot, des débraillements de
rythmes, des ruptures de mythes et de symboles, des incandescences
vertigineuses d’images ; dès lors, il ne s’agira plus d’une langue, mais
d’une incantation, sinon magique mais esthétique, capable de bouleverser la
vision que nous avons de l’ordre du monde et des choses établies.
En créole, on appelle cela : « réciter ».
C’est par son éclat, son aptitude à faire présence, que toute œuvre,
toute irréductible différence, devient beauté. Il faut appeler beauté ce
mystérieux bouleversement, soudain, profond, parfois même terrifiant, de
toutes nos perceptions. Cet éclat en présence – cette beauté – signale l’infini
de la relation désormais possible à toutes les autres différences, qui
s’érigent alors en autant de présences.
À l’espoir qui n’a plus d’espoir, il reste la Beauté. Nous ferons, dit
Glissant, une immense beauté de tout ce chant d’ignorance et de
monotonie15…
*
Il existe une tristesse de la Beauté, c’est quand elle n’ouvre à aucune
connaissance.
C’est peut-être là l’exacte définition du joli (ou du sympa).
Césaire, il l’a dit, construisait le poème autour d’un mot qui lui était
venu. Avec un mot frais je peux traverser le désert d’une journée. J’ai
souvent, en étant attentif, cru avoir trouvé le maître mot de quelques-uns de
ses poèmes. Mot rare ou mot précieux. Mot insolite toujours. Souvent, c’est
une image belle comme une fulgurance autour de laquelle il entreprend de
ciseler les lignes de force d’une obscure intention, très délayée dans un
premier temps, puis resserrée, énigmatique, au fil du temps et des
réécritures. Perse devait lui aussi avoir ce goût du mot, ou capter le
surgissement d’une belle image inaugurale, ensuite s’organisait (je ne sais
comment) le grand mystère d’un déploiement océanique et solennel.
Glissant a pris le contrepied de cette pratique commune à ses deux grands
contemporains : pas de mot rare, pas de mot précieux, pas de déraillements
spectaculaires, juste des distorsions de sens subtiles, un phrasé sans
rhétorique connue, et l’effusion d’une sensibilité maintenue opaque par le
soleil sans concession d’une conscience, et le désir d’une densité de
perfection. Le refus du moindre délire verbal.
Le Capitaine tient son poème, le poète a son colt. Les pleines lunes et
le soleil ne projettent d’eux qu’une seule et même ombre.
*
Toute cette énergie qui pulse de leurs poèmes me traverse et semble
s’en aller activer plein d’invisibles du monde. Toujours une ligne de fuite,
une émergence, une renaissance. Ils m’ont enseigné ceci : la difficulté n’est
pas d’espérer mais de demeurer capable de fasciner l’inespéré.
Césaire. Perse. Glissant. Les associer ainsi, dans une continuité de vie
(les lire au moindre instant disponible, les goûter juste avant le sommeil,
ouvrir un de leurs recueils, savourer quelques lignes au hasard…) me donne
à fréquenter une entité unique, et en même temps de vivre une multiplicité
active. La voix de Char, omniprésente, sert de liquide amniotique, de
catalyseur ou de révélateur, une matière vivante, proche et lointaine, qui les
traverse tout uniment et qui dans le même temps souligne leurs irréductibles
différences. Paradoxalement, une hypervigilance s’est installée, tout un
sensible de la totalité de mon être, je vois mieux les variations du temps, les
voltes secrètes du vent, les odeurs les plus ténues, les plénitudes des
paysages, le carême qui s’installe, tout un chaosmos de détails me parvient,
accompagne mes lectures, surgit de mes lectures, comme si leurs voix me
révélaient le monde, m’installaient au plus près de ce que j’ai à vivre, tout
en m’en éloignant par une constante et aérienne rêverie.
Mes feuillets n’ont plus d’ailes. Aucun souffle ne les soulève. Pas la
peine de les retenir avec ces bouts de poterie caraïbe récupérés d’une
fouille. Ils s’entassent, bien rangés, plus sidérés que nous sous cette
domination neuve. Je vis dans la pénombre pour échapper aux lumières de
ce carême et aux éclats de cette hypnose. Cette collective hypnose.
Perse a eu de saisissantes images pour chanter le carême : … À nos
cheveux livrés la terre sans amandes nous vaut ce ciel incorruptible. Et le
soleil n’est point nommé mais sa puissance est parmi nous… On ne saurait
mieux dire.
L’utopie n’est pas le rêve, nous propose Glissant. Elle est ce qui nous
manque dans le monde. Elle sera pour lui l’unique source du changement,
tout comme pour Césaire qui nous appela un de ces jours aux utopies
refondatrices.
« Je or vent paix-là » est un des vers les plus obscurs de Césaire. Ils
n’expriment pas une révolte, mais un mouvement incessant et profond, que
j’ai d’ailleurs utilisé pour rédiger mon roman L’esclave vieil homme et le
molosse.
Je or vent paix-là.
Le Je qui émerge, qui s’acharne à s’affirmer, le Je sans cesse rabattu,
contrarié par le vent, le vent des dominations, le vent des atteintes au
vivant, et ce sursaut du poète qui conjure la force contraire en s’écriant :
paix-là !, et qui ramasse son effort, son Je, pour se nommer de nouveau et
affronter la nouvelle houle de l’agression. Césaire désigne ainsi la
permanence des oppressions et des atteintes à l’humain. Il nous dit que cette
nomination de l’humain en nous est toujours à éveiller dans un océan de
négations toujours recommencées. Il nous dit aussi que toute liberté
acquise, toute progression de soi, ne fait qu’ouvrir la voie à une autre
oppression.
Une lumière crue se plante dans chaque jour comme un grand arbre.
Elle offre au ciel la dernière larme de toute racine. Grand soif des
immobiles.
*
Le rôle des artistes et des écrivains se pose aussi dans une telle époque.
L’œuvre bien entendu demeure libre et n’obéit qu’à la seule nécessité
interne du créateur. Mais sous un système d’oppression silencieuse comme
celui que nous subissons actuellement, la résistance s’intègre naturellement
(sous des formes diverses, souvent inattendues) à l’exigence intérieure de
l’artiste ou de l’écrivain. Elle fait partie de son expérience.
Où est ma résistance ?
En quoi et comment je résiste ?
En quoi et comment je ne résiste pas ?
Tout artiste, écrivain, musicien devrait, face à cette globalisation
néolibérale, se poser ces questions-là. Et y répondre dans son Lieu. L’œuvre
qui déserte la blessure de son Lieu a toutes chances d’être soumise à des
mécanismes zombifiants imperceptibles qui l’affaiblissent d’avance. Sans
pour autant être engagée, la pertinence artistique est consciente. C’est toute
la différence entre l’acte rebelle et l’acte guerrier.
Les poètes essentiels ne sont jamais des défenseurs de quoi que ce soit,
ou des rebelles comme on le croit. Ils sont généralement ce que j’appelle
des Guerriers. Des Guerriers de l’imaginaire.
Le Territoire est une emprise sur un sol d’où l’on essaiera d’exclure les
autres existences. Cette emprise va légitimer des narrations à la fois
concrètes, fictives et symboliques, qui seront les cultures. Ces cultures
seront exclusives des autres, générant ainsi la notion d’identité. C’est quand
l’Autre intervient à l’horizon, menaçant ma possession du sol, que je fais le
compte de ce qui m’appartient, de ce qui n’est pas lui, ni de lui, et qui
l’exclut. L’identité est donc cette narration de moi-même (narration tout
aussi concrète, fictive et symbolique que la culture dont elle émane) qui
servait à protéger mon existence. Elle servait à confirmer l’idée que mon
être est au centre de la création, au centre du monde, et doit de ce fait
s’opposer aux autres. Le Territoire sera balisé de drapeaux, d’hymnes
martiaux, de frontières, de marques diverses plus ou moins inspirées des
bêtes fauves délimitant leur zone vitale. Peu de cultures échapperont à ce
mécanisme d’exclusion de l’Autre, mais c’est en Occident que ce syndrome
prendra un tour fatal pour l’ensemble du monde.
C’est grâce aux certitudes inscrites dans leurs Territoires que les
peuples d’Occident vont justifier leur expansion hégémonique : le
colonialisme, l’impérialisme et les dominations actuelles. L’Occidental est
tellement persuadé de sa légitimité sur son Territoire, tellement persuadé
d’être au centre et à l’aboutissement de toute l’affaire humaine qu’il pensera
détenir une vocation incontrôlable à s’étendre, à aller, à régenter l’ordre du
vivant : « Le fardeau de l’homme blanc ! » Il se jettera sur le monde connu,
débarquera en Asie, en Afrique, en Amérique, avec un zèle et des gestes
quasi identiques. Que cela se fasse en français, en anglais, en espagnol, en
portugais, il dira en plantant son drapeau ou je ne sais quelle marque :
« Cette terre est à moi ! » Il sera chaque fois persuadé d’y découvrir un non-
endroit, hors histoire, hors conscience, qu’il faudra christianiser, civiliser,
auquel il pourra imposer ses conceptions et son ordre des choses. Les
Occidentaux se sont mis à exploiter le monde en se donnant l’illusion de
porter le Beau, le Vrai, le Juste, aux barbares. Ils étendaient à l’infini leurs
Territoires originels, chacun affrontant les autres pour étendre au maximum
le sien…
Une autre notion s’est trouvée très souvent pervertie par l’irradiation
excluante du Territoire : je veux parler de l’Universel. Chaque fois qu’un
homme du « tiers-monde » ou du Sud, dans les plantations américaines,
dans les terres de l’Asie ou d’Afrique, parlait d’Universel, c’était très
souvent pour se ranger à des canons occidentaux. L’Universel s’est souvent
traduit en une mise en transparence pour une lecture occidentale considérée
comme seule valable. On l’a vu en littérature, en arts, en valeurs
esthétiques, en économie, en tous domaines des sciences où le discours des
hommes tentait d’explorer la nature humaine. C’est pourquoi cette notion
d’Universel sera différée pour une autre qui sera mieux soucieuse du divers.
*
Mais revenons à ce qui s’est produit dans les terres de créolisation
américaine où allaient surgir Césaire, Perse, Glissant. Là, on n’aura pas une
Genèse, ni un Mythe fondateur, ni une Histoire magistrale qui organisera la
présence des peuples exilés sur ces terres. Pourquoi ? Simplement parce que
va se produire une cacophonie de multiples narrations. Ces narrations vont
se combattre et s’entremêler, elles vont se séparer tout en conservant un
continu de leur mise en relation. Il y aura des genèses, des mythes
fondateurs, des histoires. Ceux des Africains, des Amérindiens, ceux des
colons vainqueurs, ceux des migrants qui viendront par la suite. Trop de
genèses égale pas de Genèse. Recevoir tous les mythes fondateurs revient à
ne pas en avoir. Et, dans la plantation américaine, il va se produire un
événement déterminant : tous ces hommes (maîtres et esclaves) anéantis par
cette négation de l’humain vont progressivement recréer de l’humain, c’est-
à-dire : un discours autre, une culture autre et une identité autre. Celui qui
va amorcer le processus de renaissance sera l’esclave danseur. Ces dominés
vont en dansant récupérer la seule mémoire qui leur reste et qui atteste à
leurs yeux qu’ils sont encore des hommes : la mémoire du corps. Ils vont
retrouver dans leur chair des gestes, des mouvements, des rythmes, des
chorégraphies qui les réinstalleront au centre de leurs os. La danse
réactivera les pulsations vitales du tambour, les polyrythmies africaines ;
elle va avaler et digérer tout ce qui se trouvera autour comme gestes,
cadences, la mélodie orientale, l’harmonie européenne. Une communauté
inédite va se reconstruire peu à peu autour des rythmes et de la danse,
autour des chants que l’on chantera ensemble. Va alors apparaître une autre
nécessité : celle de la parole. Quelqu’un va se lever pour dire cette
communauté, la raconter, l’exprimer à elle-même. Ce sera le conteur. C’est
lui qui, dans la nuit, entre deux danses, va parler pour les autres, au nom des
autres, les forçant à lui répondre en chœur. C’est pourquoi, en terres créoles
américaines, tous les mythes fondateurs et toutes les Genèses seront happés
par une narration puissante, mobile, très fluide, qui sera le conte créole.
Pour les Antilles, c’est la Créolisation qui fait que le conte va produire
non pas un Territoire, mais un Lieu. Le Lieu est diversité, le Territoire est
armé d’unicités. Le Lieu est multi-trans-racial, multi-trans-culturel, multi-
trans-linguistique, multi-trans-religieux ; le Territoire n’entretient qu’une
race, une culture, une langue, une religion23. Le Lieu emmêle les histoires ;
le Territoire n’autorise qu’une Histoire. Le Lieu n’a pas de frontières mais
un système de réseaux qui s’étend en fonction des relations et des
rencontres ; le Territoire pose un centre et des périphéries. Le Lieu partage
et évolue dans les hasards de ses partages. Le Territoire donne naissance à
des diasporas qui se réfèrent pour survivre à un centre ; le Lieu ne sécrète
qu’un rhizome de solidarités. Le Territoire était une continuité où les
ruptures ne fondaient qu’une nouvelle continuité ; le Lieu fonde sa
continuité dans le désordre même de ses discontinuités, et ce sont ces
discontinuités même qui confortent son rythme interne et les complexités de
sa permanence…
Les Territoires et les identités anciennes ont fondé les États-nations, les
patries et les guerres entre entités nationales. Les Lieux seront des nœuds
actifs d’échange et d’harmonisation de diversités. Plus le Lieu sera apte à
intégrer et à valoriser le Divers, plus il rayonnera et sera source
d’épanouissement et de paix. Dans un Lieu, chacun peut amener sa langue,
son dieu, sa cuisine, cultiver ses valeurs non pas de manière absolue et
sectaire (car il n’est plus dans l’imaginaire du Territoire) mais dans la
dynamique de l’échange-qui-change sans rien effacer ni rien dénaturer. Les
Antilles et les Amériques (comme la plupart des pays ou nations dans le
monde) sont des Lieux qui restent encore à naître, parce que les hommes
invoquent encore les anciennes acceptions de la culture et de l’identité pour
organiser leurs présences au monde. Même lorsque la diversité ethnique est
consciente d’elle-même comme aux États-Unis, on entre dans le processus
de la seule juxtaposition de cultures qui caractérise le melting-pot ou le
cosmopolitisme… Cette juxtaposition perdure parce que ces pays sont
soumis au processus de Créolisation sans en avoir conscience, et quand ils
en ont conscience cela reste au niveau du simple métissage, de
l’hybridation, toutes notions insuffisantes pour exprimer la complexité de la
Créolisation. Car l’idée de métissage aspire encore à la création du
Territoire : le métissage suppose des référents de puretés initiales instituées
en valeurs. Quand elle accède à une conscience positivée d’elle-même,
l’idée de la Créolisation débouche sur le Lieu, car elle mêle dans une même
dynamique les cultures particulières et leurs échanges actifs, les sources et
les résultantes ; elle préserve ce qui constitue l’originalité de chacune des
cultures et des identités mises en présence, et elle les maintient dans la
valorisation de leurs interactions qui produisent du nouveau. Cette manière
de concevoir les choses est essentielle. Elle permet d’accéder à une
conscience de la Créolisation qui soit positivante. Et c’est la tâche qui est la
nôtre aujourd’hui : jeter la lumière sur les processus de créolisations,
parvenir à conscientiser positivement leurs effets et leurs résultantes.
Soleil. L’après-midi est ban de chaleur fixe. Les siestes sont inutiles.
On en sort accablé. J’aimerais apprécier cette lumière cristalline qui
déprime les feuilles vertes. Les anolis se sont serrés. Les colibris aussi.
Seuls les flamboyants et les bougainvilliers s’en sortent. Ils éclatent en
couleurs arrogantes. Les petites herbes sont mortes, elles ont fait paille et
terre. Je vis à l’économie, gestes lents, déplacements stratégiques, culte aux
ventilateurs. Tenter de survivre cagou jusqu’à la pluie. C’est la poussière
qui règne. Je me murmure souvent cette belle ligne de Césaire : Comme si
l’enfer n’était pas précisé par cette fournaise solaire assez peu ingénue…
*
C’est Moi, laminaire qui me revient le plus souvent entre les mains.
J’aime ce Césaire-là, toute cette matière humaine, sensible, profonde,
mélancolique ou douce, d’où s’élève la puissance du verbe. Pour Perse c’est
Anabase, parfois Éloges, parfois Exil ; pour Glissant c’est presque toujours
Malemort, et l’archipel des grands essais. Mais j’ai toujours conscience de
la totalité grandiose que constitue leur œuvre.
Quand on monte vers le nord par la côte caraïbe, surgissent les pointes
des Pitons du Carbet ou la majesté de la montagne Pelée. Il est rare de les
voir sans un chapeau de nuages, et quand ils ne l’ont pas on peut penser
qu’ils vous saluent. Césaire a dû les observer longtemps : J’habite le plus
souvent le pis le plus sec du Piton le plus efflanqué – la louve de ces
nuages… Une autre manière de voir qui vous transforme le paysage.
*
Une envolée s’immobilise en fougères arborescentes et gracieusement
salue en inclinant leurs ombrelles à peine frémissantes… Césaire
empruntait souvent la route de la Trace au cours de ses promenades. Toute
la splendeur tropicale se dresse de part et d’autre de la route. De l’humide
indistinction verte, pleine d’ombres et de lumières, le regard n’accroche que
le jaillissement des bois-canons, les courbes lentes des bambous, toutes les
sortes de fougères, l’omniprésence des mousses et des plantes épiphytes.
On pense alors à Perse qui évoquait ces arbres trop grands, las d’un obscur
dessein, qui nouaient un pacte inextricable26… Et dans l’emmêlement
végétal, dans cette dentelle de noirceurs et d’éclats, on comprend mieux
cette fulgurance : Et l’ombre et la lumière alors étaient plus près d’être une
même chose…
Glissant, cette âme vivante du monde, disait que le plein sens d’une
œuvre ne se donne que dans la Relation. C’est par l’approche en Relation
que les solitudes les plus solaires, celles de Char, de Césaire, de Perse, de
Glissant, peuvent révéler leurs solidarités antagonistes, leurs écarts
rassembleurs : leurs étendue et profondeur entrevues dans un même
surgissement. Les lire ainsi, toujours.
Dès lors, ce n’est pas vaincre leurs solitudes, ni même les rapprocher,
que de les mettre en relation comme je n’en finis pas de le faire dans mes
lectures. C’est au contraire respecter leurs écarts, mettre en branle un
devenir instable, imprédictible, de leurs affinités. De se trouver en furtive
évidence, d’ainsi se rencontrer, ces affinités vont amplifier leurs potentiels
de changes et d’échanges. Ainsi, la Relation n’ouvre qu’à l’imprévisible.
Elle assure juste l’intempérie des magnétismes entre les différences. Elle
invoque des émergences inattendues, de nouveaux champs d’inexprimables.
Un mouvement qui, pour chaque œuvre, amplifie l’étendue, augmente la
profondeur, en installe quelques motifs dans l’incertain d’une trame où
seule gouverne la Poésie. Vivons Césaire, Perse et Glissant, dans le sillage
de Char, ces magnétismes insaisissables, ces traces conjonctives, ces très
probables entre-métamorphoses.
*
La solitude égocentrique et close qui n’est pas un mode de la Relation
relève des pathologies de l’isolement. L’éclat de tout solitaire vrai lève de
ce qu’il reçoit de son écosystème et de ce qu’il lui donne. Dès lors, au cours
de l’individuation généralisée, celui qui se retrouve plongé dans un
isolement doit se construire sa solitude, c’est-à-dire : devenir une personne.
J’ai imaginé Robinson Crusoé comme cela.
La terre résonne, devenue pierre. Elle bâille sous l’œil vitreux des
minutieuses chaleurs. Carême est là, dans sa messe immobile. Plus possible
d’imaginer ce que peut être la pluie. La lumière est tranchante. Je doute
malgré moi de l’existence des fraîcheurs et de l’eau. Tout le monde se
réfugie en bord de mer où l’air du large s’égare encore…
De René Char : Et je demeure là comme une plante dans son sol bien
que ma maison soit de nulle part. Déjà l’ouvert enraciné du Lieu.
La vie est Relation. Toute grande conscience est Relation. Toute vraie
résistance est d’abord la beauté du faisceau des relations que nous
établissons avec notre entour et avec l’infini du monde. Toute résistance est
une pensée du monde projetée dans un éclat de vie. C’est dans la Relation
que la trame secrète des infinis du monde a une chance de s’offrir aux désirs
les mieux imaginants. Rien n’est vrai, tout est vivant, nous a chanté
Glissant.
C’est une poésie d’action qui s’est engagée là41, pourra prétendre
Perse.
C’est parce qu’elle est toujours ouverte, toujours complexe, que toute
résistance est tremblante, toujours. Que toute résistance respire en Relation.
Je retrouverai le secret des grandes communications ! dira Césaire. Quant à
Perse, affrontant le grand âge, il s’écriera : « Grand âge, vous croissez !
Rétine ouverte au plus grand cirque ; et l’âme avide de son risque… Voici la
chose vaste en Ouest, et sa fraîcheur d’abîme sur nos faces42… »
*
Toute œuvre véritable, personnelle ou collective, et donc la résistance
du Guerrier, est au-delà de la victoire ou de l’échec, elle est en création, en
devenir. Il faudrait penser l’œuvre, la résistance du Guerrier, comme une
onde imprévisible, inarrêtable, pleine de pensables et d’impensables, de
possibles et d’impossibles, de probables et d’improbables, pleine de
nécessités de choisir, d’agir et de penser. Toute pleine de l’énergie d’une
liberté. Quelle flore nouvelle, en lieu plus libre, nous absout de la fleur et
du fruit ? demandera Perse dans Neiges.
*
J’ai toujours pensé que Césaire s’était placé du côté d’une invocation
de l’horizontale plénitude du vivant. Que c’est grâce à cette posture qu’il a
su élever sa poésie (malgré les urgences tragiques qui auraient pu la
dénaturer) à une fréquentation toujours haute, toujours altière, toujours
noble et exigeante de la beauté.
La nuit danse sans cesse parmi eux, et avec elle, près de la haute
conscience, l’esprit magique, et l’intuition de l’impensable, et la
confrontation d’un impossible. Les trois se nourrissent mutuellement dans
les défis que leur posent les indicibles, les inexprimables : la Poésie.
Perse se situait, lui, « parmi toutes choses illicites et celles qui passent
l’entendement47 »…
*
L’impensable, cet en-dehors de ce qu’il nous est possible de concevoir,
est le vertige matriciel de toute création, forme ou pensée.
Il est l’informe générique de la forme, l’indicible du dire, le paysage
de l’invisible.
Il est ce vertige qui surplombe l’un et le multiple, le divers, le vivant.
Il est ce choc inaugural qui, sinon l’immense déroute mentale, nous
force à significations.
C’est parce que l’impensable est là, parmi nous, autour de nous, que la
poésie est inaugurale et qu’elle reste si précieuse.
*
La démesure de l’impensable force à l’ellipse et la sobriété, à la
condensation extrême qui fréquente presque l’énergie dense d’un tag. Mais
elle peut aussi ouvrir très large, non à la manière des fresques
monumentales, mais dans l’amplitude informe des grands souffles d’alizés
où s’enivrent les oiseaux migrateurs. Elle peut aussi se laisser prendre par
un créateur immobile en son lieu, en sa langue, en son imaginaire, qui
trouve démesure dans l’instant et dans les petits riens.
Et plus loin : … ainsi la Caraïbe pour nous est un cercle qui s’élargit
et un écho venu de la terre ferme et infinie, un roc et un tourbillon, une
montagne et un vent, un esprit distinct et une force nue inséparables, des
îles et tout aussi bien des continents, une préface à un Monde nouveau…
L’emmêlement des imaginaires produit par la créolisation américaine y a
emmêlé les paysages et les perceptions, l’esprit caribéen connaît les
continents et sait la force ouverte des îles, il navigue dans les langues,
accumule les rituels et les dieux, les genèses et les mythes, mobilise les
manières qui proviennent de partout, reflet de bien des sources précipitées
dans autant de deltas… produit de la Créolisation, la Caraïbe n’ira à
plénitude que par la mise en œuvre d’un imaginaire de la Relation…
*
« Les arbres qui vivent longtemps secrètent mystère et magie49 », a
murmuré Glissant.
*
Qu’elle soit chamanique comme celle de Césaire, hiératique comme
celle de Perse, proliférante en étendue et profondeur comme celle de
Glissant, la Relation est là, déconstruisant les humanismes insulaires, et
nous dressant le signe à déchiffrer d’une horizontale plénitude du vivant. Le
rien n’est vrai tout est vivant qu’a énoncé Édouard Glissant se retrouve
récité dedans ces trois manières.
Glissant adorait cet homme qui contemplait une pierre verte, sans
doute y voyait-il un batouto.
L’acte est vierge, même répété. C’est le Capitaine Alexandre qui parle.
Il est à vif. Il découvre et redécouvre à chaque instant et le monde et les
hommes. Sa main est toujours aussi moite sur le colt. Son cœur bat à
chaque assaut. La peur est là qui rôde, de jour comme de nuit, intacte. Il
devine à quel le point le regard qu’il porte sur l’existant est aussi aiguisé
que celui du poète. Le poème est vierge, même répété.
Ces hors-poèmes que sont les Feuillets d’Hypnos, et qui pourtant font
poèmes, on les retrouve dans la démarche poétique de Glissant qui explique
que le poème n’est qu’un pan du tout, qui ne dévoile pas tout seul. « Je
peux dépasser le poème si ma voix est porteuse de l’énorme balan, si je
consens aux densités de perfection que le poème impose, si le quittant je
tends à y revenir… »
« Démesure non pas parce que c’est anarchique, mais parce qu’il n’y a
plus la prétention à la profondeur, la prétention à l’universel, il n’y a plus
que la prétention à la diversité56… » C’est vrai que vivre pleinement, ou
accepter, le tout-possible de la Diversité, ses totalités, ses ruptures, ses
antagonismes, ses évolutions, ses transformations, ses aberrations et ses
errances…, relève d’une des régions de l’impensable. Dans une telle
intention, seule une poétique se voit envisageable. Le Tout-Monde en est
une.
*
« Aux pays épuisés où les coutumes sont à reprendre, tant de familles à
composer comme des encagées d’oiseaux siffleurs, vous nous verrez, dans
nos façons d’agir, assembleurs de nations sous de vastes hangars, lecteurs
de bulles à voix haute, et vingt peuples sous nos lois parlant toutes les
langues57… »
J’aime bien me répéter cette équation : Petit pays ? Donc, tout peut y
être possible et tout y être parfait. Césaire s’était déclaré algue laminaire.
Glissant a toujours affirmé croire en l’avenir des petits pays : la position
faible (que Perse a toujours refusée) ouvre sur de plus grands horizons, de
plus larges perspectives, on associe les verticales du vainqueur aux
horizontalités transversales du vaincu. L’expérience peut être totale si ces
lieux se voient instruits en Relation : C’est le rhizome de tous les lieux qui
fait totalité, et non pas une uniformité locative où nous irions nous
évaporer59.
L’homme (plus encore le poète qui est à son essence) a toujours pris
mesure du monde – mesure magique, mesure religieuse, mesure
philosophique, mesure scientifique, mesure artistique. Il s’est évertué à
l’habiter par l’entremise de ces mesures. Mais Glissant invitait les poètes
d’aujourd’hui à une démesure de la démesure, c’est-à-dire une non-mesure
du chaos-monde qui engloberait et dépasserait toutes les mesures, dans un
mouvement majeur, sans a priori, sans emprise ni limites ; une mobilisation
totale de l’être et de l’étant, véritablement le mot de passe, ou plutôt :
l’imaginaire de la connivence et de la puissance, que Césaire tout comme
Perse illustreront d’une étonnante manière.
Les plus pures récoltes sont semées dans un sol qui n’existe pas. Ce
Feuillet du poète-résistant me bascule et me transporte. Je m’immobilise
dedans pour ne pas savoir pourquoi. Le poème ferait terre, graine, racines,
floraisons, mûrissements et récoltes infinies ?
*
Au départ, l’équation individuelle est prise dans des communautés
(clans, tribus, peuple, nation, patrie, corsetés de symboles) qui la
maintiennent à une très basse intensité. Les migrations de la conscience
vers le centre de l’esprit (désacralisations) vont amplifier les processus
d’individuation (lesquels, toujours présents dans les communautés, leur ont
permis d’évoluer ou de se transformer en interprétant de mille sortes
singulières le paradigme qui leur était imposé). La conquête occidentale,
portée par de flamboyantes individualités, amplifiera ce processus latent. Le
capitalisme en exacerbera mauvaisement les données. De l’emprise
communautaire à l’expérience individuelle (d’où surgissent les
« personnes »), les communautés vont dériver vers plus de relations.
En fait : vers la Relation.
Relations d’individus à des vestiges de communautés, de cultures, de
civilisations. Relations de ces vestiges entre eux. Relations imprévisibles
des émergences relatives à cet intense brassage de la partie et du tout, du
tout au tout.
La solitude est une haute connivence entre soi et soi, entre soi et
l’Autre, entre soi et l’ensemble du vivant. C’est aussi une pleine conscience
de ce soi précipité dans les imprévisibles du Tout-Monde. Se trouver un
équilibre dans ces grands flux d’interactions fait de l’individu une personne.
Toute personne considérable constitue une présence. Ce processus est d’une
telle complexité qu’il se rapproche de l’art : qu’il retrouve l’écosystème
d’origine du poème et de la nécessité de poésie. Glissant en avait
l’étonnante intuition dans La Case du commandeur : « Nous, qui avec tant
d’impatience rassemblons ces moi disjoints ; dans les retournements
turbulents où cahoter à grands bras, piochant aussi le temps qui tombe et
monte sans répit, acharnés à contenir la part inquiète de chaque corps dans
cette obscurité difficile de nous. »
Les pluies s’amorcent. Juillet nous enlève à Carême. Les journées sont
de chaleur humide, étouffante, immobile. Des nuages se nouent, ne se
dénouent pas, immobilisent le monde. Les alizés s’éteignent durant des
jours entiers. Le temps s’assombrit, puis s’éclaircit d’ensoleillements
humides. On espère la pluie qui ne vient pas. Quand elle vient, encore
débile, elle n’émeut même pas la frappe des asphyxies. J’attends la pluie
majeure, celle des vents, du frais et des grands délavages. De savoir qu’elle
vient me remplit d’une patiente allégresse.
Les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri. Char nous
regarde.
Les quénettes ont été bonnes cette année. Épaisses. Juteuses. Sucrées.
Une bénédiction naturelle, profuse, laissée à l’abandon, ignorée de toute
exploitation commerciale véritable, et cela simplement parce que nous
sommes incapables de penser à partir de ce que nous avons et de ce que
nous sommes. Déterritorialisés. Imagination défaite.
*
Les pluies sont toujours là. Somptueuses avalasses. Ou ciel plombé
fifinant belle patience. Les plantes renaissent. Tout devient vert et abonde
en tout sens. Tout mousse et dégouline. Parfois, soleil revient, efface tout. Il
est cette fois bourdonnant d’alizés, ou parfois bonnement lourd d’une
renaissance humide. Je suis content. Fils de la pluie.
Pluie capables de tout sauf de laver le sang qui coule sur les doigts
des assassins des peuples surpris sous les hautes futaies de l’innocence…
Césaire a connu ces grandes pluies, et dans le magistral dénombrement
d’Anabase, Perse fait de celui qui a vécu dans un pays de grandes pluies un
homme particulier…
Passage d’une tempête tropicale. Elle passe au loin mais nous déverse
ses vents et un petit déluge. Routes inondées. La houle fracasse le bord de
mer. Ce temps très sombre résonne pour moi comme l’acclamation d’une
impossible renaissance. La couleur noire, dit Char, renferme l’impossible
vivant. Son champ mental est le siège de tous les inattendus et de tous les
paroxysmes. Son prestige escorte les poètes et prépare les hommes d’action.
Les vents ont soufflé avec des voltes accélérées. Même s’il ne s’agit
pas d’un cyclone, la puissance naturelle s’impose à l’esprit. On est sidéré
par cette force qui relève de toutes les démesures, qui vous arrête et qui
vous rapetisse. Les animateurs radio excitent la populace : elle déverse ses
inquiétudes en direct à l’antenne. La moindre branche cassée, la moindre
flaque, le moindre glissement de terrain fait l’objet d’une dramatisation
grotesque. Quand tout se calme, on a le sentiment d’un immense toilettage
des arbres et de la terre. Des milliers de feuilles sont fracassées partout,
branches faiblardes, arbustes et arbres malades gisent dans tous les coins.
Le vent nettoie. Ce qui reste rayonne d’une paisible vigueur. Le vent
renforce.
*
Les emmêlements indéchiffrables des créolisations poussent aux
dépassements. Le contact des langues oblige aux arcanes d’un langage,
toujours de solennité haute, d’essence singulière. Mais la solennité haute
venue à la Relation se fait toujours complexe. Ainsi, l’apparente
déclamation de Césaire, la flamboyance de son cri, est tissée de silences et
de murmures. Du Cahier à Moi, laminaire, ces silences et ces murmures
iront en amplitude. Les versets solaires de Perse sont eux aussi porteurs des
nuances du chuchotement, des ombres de la voix basse, pas claire, éclats
tissés de lunes et de nuits noires. Quant au langage de Glissant, de haute
élévation, aspirant à toutes les langues du monde, il fréquente ce désir d’une
clarté qui obscurcit, d’une offrande qui se refuse à dévoiler, du signe qui
n’indique pas, et qui en permanence ouvre, précipite, projette, à la manière
des grands symboles… Rendons la chose plus complexe et résumons-la,
disait-il, d’un trait d’obscurité…
Toute pluie coule, chargée des songeries des vieilles villes et du rêve
des terres jeunes. Toute pluie use mais force à naître.
*
« Il y a tes yeux qui sont sous la pierre grise du jour un conglomérat
frémissant de coccinelles88… Un bruit de larmes qui tâtonne vers l’aile
immense des paupières89… » Le chagrin, la passion, les célébrations
amoureuses sont nombreuses chez Césaire. La douceur aussi. L’œuvre est
traversée du pas de charge d’un cœur qui bat et de plein de soupirs…
L’Ouvert se vit debout, bien dense en soi, et dans une posture qui
sacralise le maintien du Divers : celle de la Relation.
*
Je pense au Conteur créole, ce père de notre littérature. Il devait
s’adresser à une extrême diversité d’hommes en dérade. Il était donc ému
par ce Divers ; il se devait de lier et de relier ces hommes dans le non-
absolu. C’est pourquoi sa parole a de tels accents de modernité. Seulement,
notre Conteur avait un manque : il ignorait la présence du Tout-Monde. Il
ne se projetait pas avec ce qu’il liait et reliait en interférence avec le monde.
Et c’est en cela qu’il était contraint : sorte d’ange pourvu de grandes ailes
mais qui ignorerait l’existence du vent et du ciel ; sorte de naufragé qui
construirait sa cabane avec les débris d’un gigantesque naufrage, mais qui
ne saurait rien du vaisseau d’origine. Il nous faut prendre le relais du
Conteur mais en y apportant le Tout-Monde de Glissant.
La culture d’un peuple n’a jamais été close. Prise dans un flux
d’interactions plus ou moins vives, chaque culture est facette-témoin
d’événements en mouvement. Si chaque culture a connu des champs de
stabilités bordées de déviances mineures sur des nappes temporelles
élargies, cela n’existe plus. La précipitation sous relations est immédiate et
totale, et génère des modes de domination jusque-là inconnus. S’y
opposer ? Qui le pourrait ? Mais affermir les acquis. Détester l’abandon.
Tenter l’identification des influences actives. Conserver cette posture-là. Se
soustraire aux dominations silencieuses ou furtives passe par une
intelligence des accélérations, par l’intime faisant socle aux échanges. Ni
clos ni ouvert mais clos et ouvert, son moteur en soi-même, construire ses
propres références dans ce vent du Divers. En partage, conscient et
audacieux, jamais achevé sur le treillis de ses racines.
Le Capitaine tient son poème, le poète a son colt. Les pleines lunes et
le soleil ne projettent d’eux qu’une seule ombre. Ils m’accompagnent en
mes amours et mes angoisses, mes rêves et mes cauchemars, mes silences,
mes chagrins, mes démissions aussi. Feuillets de temps, petit livre et
compagnon d’une vie, saisons claires ou sombres de toutes mes émotions,
je suis ami de René Char : Dans nos ténèbres, il n’y a pas de place pour la
Beauté. Toute la place est pour la Beauté.
Celui qui se disait poreux à tous les souffles du monde rejoint celui qui
avait su épeler chaque chose et réciter qu’elle était belle et bonne. Leurs
trajectoires croisent et recroisent les errances de celui qui chante la
démesure des grands chaos, et qui sans fin a voulu fasciner l’impensable du
Tout-Monde.
Les crépuscules ont sans doute été une des sources de l’idée du sacré,
du sentiment du divin, d’où allait naître celui de la beauté. Avec l’orage, les
foudres et les éclairs du soir, le splendide rejoignait le terrible, comme dans
le sacré, et déclenchait l’émotion artistique, entre émerveille et lente terreur.
Perse (le seul des trois) a très clairement chanté son crépuscule :
« Grand âge nous voici, prenez mesure du cœur d’homme92 »… La pose est
altière, orgueilleuse, souveraine : celle d’un grand aigle éventant sans cesse
son aire : « Si haut que soit le site, une autre mer au loin s’élève, et qui nous
suit, à hauteur du front d’homme : très haute masse et levée d’âge à
l’horizon des terres… » Un autre commencement.
*
Homme du soir, lève le front… Perse semble être demeuré tel qu’en
lui-même à l’approche de la mort : impérial. Pourtant la sensibilité
poétique, tellement puissante, doit plus que toute autre percevoir les
défaillances du corps, tandis que l’amplitude mentale demeure à vif,
sensible, portée par des années de clairvoyances et de visions. Elle voit (et
elle doit supporter) cette lente dissociation entre ce corps qui pendant si
longtemps a transporté l’esprit, et que l’esprit se voit forcé,
dramatiquement, de porter à son tour : « La face ardente et l’âme haute, à
quelle outrance encore courons-nous là ? Le temps que l’an mesure n’est
point mesure de nos jours. Nous n’avons point commerce avec le moindre
ni le pire. Pour nous la turbulence divine à son dernier remous. »
On pourrait penser qu’il s’installe plus que jamais dans l’œuvre : que
le corps qui s’en va rend encore plus palpable ce corps intangible que
constitue une œuvre, et dans lequel l’esprit du créateur peut tenter le refuge.
« Nous sommes pâtres du futur… » Perse était en mesure de se parer d’un
corps immense et lumineux, fabriqué dans de hauts oxygènes, belles
tempêtes du langage. « Grand âge, nous voici – et nos pas d’hommes vers
l’issue. C’est assez d’engranger, il est temps d’éventer et d’honorer notre
aire. » L’homme tremble, le poète n’a pas peur.
J’ai toujours répété ces deux vers de Césaire, sans jamais y voir un
rapport quelconque avec les lentes montées de l’âge : « Je suis une pierre
couverte de ruines… Visage de l’homme tu ne bougeras point, tu es pris
dans les coordonnées féroces de mes rides93… » Aujourd’hui, je les
murmure autrement, avec moins d’arrogance ou d’orgueil.
J’éprouve aujourd’hui le même sentiment avec ces vers de Glissant,
ramenés de son recueil Boises : « C’est pourquoi dérouler ce tarir, et
descendre dans tant d’absences, pour sinuer jusqu’à renaître noir dans le
roc… »
C’est l’esprit qui fait l’acte, c’est l’œuvre qui tient l’esprit, et c’est
l’esprit qui porte ce corps crépusculaire qui longtemps l’a porté.
« Il faut que la terre ait palpité au moins une fois, dans sa liberté totale,
disait Glissant dans L’Intention poétique, pour que le poème qui a signifié
la terre s’installe à jamais dans sa vérité… » Tout poète signale son Lieu,
exhausse son paysage, fait pays. Le devenir du Lieu réalise la plénitude du
poème. Césaire a sans doute eu cette souffrance : tant d’espoirs et de rêves
portés haut par le souffle poétique, et qui ne se sont pas encore réalisés dans
ce que nous sommes devenus.
Perse avait sans doute anticipé cette vision que Césaire finirait par
avoir de lui-même, comme un hommage devenu maintenant prophétique :
« Jusqu’à ce point d’eaux mortes et d’oubli, en lieu d’asile et d’ambre, où
l’Océan limpide lustre son herbe d’or parmi de saintes huiles – et le Poète
tient son œil sur de plus pures laminaires… »
J’ai tenu le décompte de tous ces signes qui font matière de cette
absence. C’est toute une ville de gestes et de lucioles, et c’est un fromager
qui au mois de septembre semble épouser des flamboyants, aller aux
magnolias, inventer le jasmin, prendre le parfum des glycérias qui bordent
la route, vers la tombe, au Diamant.
Dès lors, tout l’orgueil du volcan, et cette somptueuse humilité qui fait
beauté dedans la roche, les mouvements de la mer, et tout ce bleu qui offre
son nid au nid des peuples d’oiseaux ne sont rien d’autre que les gardiens
qui pour ici nous sont donnés. Ils veillent ces trois éternités.
« Avec ceux que nous aimons, me murmure Char, nous avons cessé de
parler, et ce n’est pas le silence. »
Favorite, 2013.
Lorsque celui qui s’en va est une magnificence, ce n’est pas un abîme
qui se creuse, mais un sommet qui se dévoile. Confrontée à certaines
existences, la mort n’est qu’un révélateur, et c’est sa seule victoire. Le
silence de Césaire s’est soudain rempli du verbe de Césaire, de ses armes
miraculeuses, de ses combats, de ses lucidités et de ses clairvoyances. De
son amertume aussi. « Regarde basilic, le briseur de regard aujourd’hui te
regarde112. » La mort n’est ici qu’une paupière brutale, écarquillée sur une
splendeur qui ne frémit même pas. Soudain total, un monde se dégage des
cécités du petit ordinaire de la vie.
De plus, sitôt dépassées les proclamations rebelles qui nous ont fait
tant de bien (et que tout comédien primaire répète à l’envi en grondements
redondants), on découvre le cheminement obstiné, inquiet, interrogateur,
fragile, d’une conscience en proie au mystère de la vie, au mystère du
monde en son indéchiffrable total.
MA LIBERTÉ
L’hommage qu’il avait offert à Paul Éluard peut maintenant lui être
rendu :
Ba Jean Bernabé. An
gloryé.
Saint-John Perse, dans une lettre vous évoquiez le critique idéal. Face
à l’œuvre du poète, il devrait, disiez-vous, se transformer en compagnon de
route. Cheminer avec l’œuvre, en vivre les écarts, en vivre les rêves,
l’obscur et l’indicible. Trouver comme le poète, par le dedans, ces éclats du
réel qui échappent au réel. Ce critique devrait être poète lui-même sous
peine de n’être pas.
Et vous aviez raison.
Votre mystère ne peut pas se dissiper comme une ombre portée. Votre
obscur ne peut pas s’éclairer. Votre dire ne peut pas s’estampiller d’un sens
ou d’une vérité de lecture. Votre mystère est votre beauté. Votre ombre, cet
incomparable éclat. C’est une trame, tissée à même votre parole, et qui
fonde le sens profond de votre parole. C’est pourquoi chaque explication
d’un de vos vers ou d’un de vos poèmes, chaque plongée savante dans l’une
de vos œuvres nous apporte de grandes joies ; mais ces dernières ne font
qu’en souligner l’incomparable énigme.
Vos pères sont devenus les miens. Les miens sont devenus les vôtres.
Je les vois dans cet ensemble complexe, hétérogène, comme éléments
antagonistes et complémentaires, fondateurs les uns des autres, et
participant d’une totalité ouverte qu’ils méconnurent, et dans laquelle ils
voulurent, en grande violence, se conserver distincts. Nous sommes en terre
créole : je garde la distinction, mais je nomme la commune fondation. Je
sais tout le divers d’une unité encore secrète, et l’unité de cette diversité
encore insue. Je les traite en une couple dont l’équilibre est à trouver, et,
une fois deviné, toujours à préserver. Je suis en vous, vous êtes en moi. Je
vais en moi pour vous envisager. Je vais en vous pour me dévisager. Et cela
est possible car vous êtes ce que vous êtes, je suis ce que je suis : ni fusion
ni confusion dans ce partage qui va pourtant nous modifier sans rien
dénaturer.
10
Saint-John Perse, je vous relis maintenant. C’est comme vous lire dans
une autre liberté. Avec d’autres soucis et d’autres exigences. Maintenant
que mes quarante ans pèsent, vous m’accompagnez avec Glissant, avec
Char, avec Villon, avec Rabelais, avec tous ceux qui aujourd’hui m’aident à
vivre l’énigme nouvelle de la Pierre-Monde. Je vais aux périls de votre
verbe, à ses dangers, et aux risques que vous prenez ; je verse dans vos
réussites, je m’abreuve à vos mystères ; et j’en ramène ce sentiment
d’admiration qui, dans nos terres dominées, est pour moi à la base de tout
acte créateur.
11
Perse, vous êtes né avec la conscience de l’exil. Dans une île, loin des
terres d’origine. Vos pères portent le poids de l’insularité, ils mesurent la
haute barrière de l’océan. Ils ne sont pas venus vivre, créer des villes, lever
des temples, ils sont venus pour s’enrichir. Dans leur esprit, le monde
véritable est au loin, la culture, la civilisation aussi. Ils ne perçoivent que le
pénible de leur condition, les risques de bâtardise, le rêche de ces terres
vierges, la décrépitude lente de leurs vieilles plantations. Ils préservent leur
pureté illusoire, leur blancheur, établissent de soucieuses généalogies,
raidissent une longue racine. L’identité est, pour eux, un fantôme réfugié
dans la cristallisation du territoire lointain. Ils cultivent le rêve des grands
espaces, l’esprit pionnier des grands élans, la solitude aigre de ceux qui
fondent les mondes nouveaux dans l’héroïsme et la noblesse. Mais, en fait,
ils pataugent dans les décombres de leurs rêves. Vous ressentez les mêmes
tourments. Vous en héritez, Perse. C’est avec eux que vous écrirez ce
recueil inaugural que représente Éloges. Vous allez fonder sur l’abîme et
l’embrun et la fumée des sables, vous écrirez auprès de ces citernes, ces
vaisseaux creux, de tous lieux vains et fades où gît le goût de la grandeur.
12
13
Sur l’obscur de la créolité guadeloupéenne, votre poésie va dresser les
assises d’une lumière. Vous irez d’acclamations en louanges, d’éloges en
émerveilles. Vous vous installerez en éclats, en senteurs. Vous déchiffrerez
le pacte des grands arbres, la grand-messe des fleurs et des insectes. Il
s’agira pour vous d’accepter toute chose et de dire qu’elle est belle. Vous
sentiez bien que le refus de cette réalité, telle que l’avaient pratiquée
presque tous nos poètes, aurait aliéné votre élan créateur.
Et même si Alexis Léger affirme quelque part que cette terre des
Antilles est d’essence française, et la plus vieille, qu’il ne sait donc y voir la
résultante d’une créolisation, votre vision poétique plongera en l’intime de
cette terre, et en son inédit. Perse, votre poésie dans ce qu’elle a de juste, de
vrai, d’authentique, de force et de vision, soupçonne, dévoile, atteste qu’il y
a dans nos pays une réalité humaine de dimension nouvelle. Et cette vision
de prophète inconnu à lui-même vous grandit. Elle vous permet d’accepter
ce monde qu’Alexis Léger refusera toute sa vie. Elle vous permet, sinon de
le comprendre, de le deviner. Et, boucle fertile du talent, cette acceptation
vous permettra d’aiguiser, et de déployer votre sens poétique. Et soudain,
dites-vous, tout m’est force et présence où fume encore le thème du néant.
Boucle fertile du talent qui se nourrit de ses effets, et fait de l’or avec ses
handicaps.
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Vous parlez d’une haute condition. Vous parlez dans l’estime. La haute
condition est faite de cette estime déployée sur toutes choses comme une
mobilisation des ombres et des lumières. Votre estime est une vaste lumière,
chargée d’ombre, qui va au gré de ses divinations. Elle transfigure. Elle
dévoile sans révéler. Elle permet de s’accepter et force à se construire. C’est
elle qui vous élève et qui transforme l’enfant-béké tyrannique en un poète
sensible. C’est elle qui éloignera le poète célébrant des étroitesses d’une
naissance coloniale. C’est elle qui vous mènera au tout-possible du monde,
tandis qu’Alexis Léger vivra ses impossibles. L’estime, en terre créole, a ce
pouvoir démiurge, cette vertu terrible. J’ai compris que nous devions aussi,
nous qui nous dénigrons tant, et sans même le savoir, j’ai compris que nous
devions nous restaurer ainsi. Dans l’estime.
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L’« insonore » que vous percevez est loin de l’écoute de ces colons qui
pensaient nous entendre, qui croyaient nous comprendre. Nos rires, nos
chants, nos danses ne vous ont pas trompés. Vous perceviez-vous, le grave
silence, le vaste silence que nous vous opposions. L’abîme de ce que vous
aviez fait de nous et que nous refusions. Et de l’écrire ainsi, dans une saisie
sincère avec elle-même, exprime que le poète en vous respectait cette
posture.
L’« ennui » dont vous parlez est loin de ces joies, de ces bonheurs
d’enfants, de ces béatitudes rythmées que les colons nous accordent
souvent, eux qui croient nous connaître. Vous, poète, voyiez la vaste
réprobation, et la taiseuse souffrance de ces « astres morts ». Visages
lunaires, visages éteints sans doute, jaunâtres comme la papaye mûrie, mais
obscur éclat d’une humanité devenue indéchiffrable aux conquérants. Votre
monde épaississait le filtre entre nous et vous, mais votre sensibilité
poétique déserta les bourbiers habituels. Et cela même si votre raison, dans
les lettres d’Alexis Léger, continua d’y peser en atavisme et désir
d’élévation, en besoin d’air et souci de pureté.
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Écrit sur la porte s’élève des rêves échoués. La petite vie. Les
douteuses fiertés. Les grands rêves qui barbotent. Le quotidien d’un
conquérant devenu un planteur. Peau couleur de tabac ou de mulet. Mains
grasses. Sueurs. Une amertume nostalgique qui veut se rassurer, et qui ne
peut s’empêcher de guetter l’océan. Et qui cherche à se convaincre que
nulle envie ne s’accroche aux voiles des voiliers. Mais, au-delà de l’échec
d’un rêve de grandeur, la douleur est là qui taraude, et tend vers le territoire
perdu, la France perdue, l’Europe perdue, l’Occident fantasmé. C’est cette
décrépitude diffuse – et tendre – qu’il vous faudra désamorcer, revivifier
d’un vaste élan.
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L’idée de Crusoë souligne aussi la rupture du départ et la rupture de
l’arrivée. Crusoë fut content de partir vers l’Europe perdue, de retrouver
l’originelle civilisation. Mais ce départ échouera dans les graisses, les
réclusions malsaines et l’amertume stérile. La solitude. Il y eut dans votre
famille, et chez vous, Perse, cette joie qui couvait cette douleur, cette
immobilité inscrite dans ce mouvement, cette mort au délié de ce bond. Ce
rêve réalisé qui, dans sa réalisation même, soulignerait une perte
essentielle : le trésor des images fondatrices de ce qui semblait mineur. Ce
rêve réalisé qui, dans sa réalisation même, dirait son impossible. De notre
côté, nous agirons pareil. Nous irons vers l’Afrique, et vers les mêmes
douleurs, les mêmes déceptions, et le même impossible. L’exil nous guette
partout, dans l’île où l’on éprouve le sentiment d’exil et dans la source
perdue où l’on se découvre curieusement étranger. Perse, ce vieux drame
des créoles, vous l’avez résolu à votre manière. La fréquentation
permanente des grands vents, des grandes pluies, des grandes houles, et
l’inventaire des grandes richesses du monde vous seront libérateurs. Ne
pouvant habiter nulle part, vous habiterez votre nom. Un nom sans terre
natale, sans date, et sans géographie, un nom de poésie et de mensonges, et
de splendeurs reconstituées. Une œuvre de très haute exigence, emmaillotée
dans votre vie, et installée sur la totalité du monde dans un vouloir
désincarné.
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Les grandes filles luisantes qui remuent leurs jambes chaudes. Les
grandes bêtes taciturnes qui s’ennoblissent à manger comme vous des
racines. La nourrice jaune. Le sorcier noir. La bonne métis et qui sent le
ricin. La bonne aux perles de sueur brillantes. La servante qui a droit à une
chaise lorsque vous êtes dans la maison… Nous sommes autour de vous,
emportés par le grand chant d’estime, et cette estime même nous
immobilise dans une opaque réprobation. C’est pour nous, la « haute
condition » parmi les floraisons de vos tournantes lumières.
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Après Éloges, cette terre natale se dissimulera dans vos œuvres. Elle le
fera le plus souvent à l’insu d’Alexis Léger, dans un miroitement
d’absences et de présences. Il faudra être de lecture vigilante pour voir, pour
comprendre, comment et combien, elle vous inspire, et structure votre
vision. Vous abandonnerez les références à vous-même, pour de grands
souffles mythiques voulus impersonnels. À présent, dites-vous, laissez-moi,
je vais seul.
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Vos traits d’union, Perse, épellent l’indicible. Ils forcent le langage aux
remous du créole et du français. Le trait d’union est l’acte de prise en main
d’une langue, ou de langues qui accèdent sans orgueil aux étendues
nouvelles. Ils articulent le dit et l’indicible, le très réel et l’émerveille, le
très savant et l’intuition, le prononcé dedans l’imprononçable. Ils lient et
relient d’irréductibles divergences. Ils s’accommodent des incertains. Le
connu-inconnu y réinvente l’image et déclenche la vision toute nouvelle. Le
trait d’union est d’écriture créole.
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Dans La Gloire des rois : je vois le cheminement des désirs vers les
hauts asiles de graisse de la reine, cette jambe qui se soulève et qui fait don
du parfum de son corps, cette un-peu-humide et douce… Une sensualité
terrible, l’instinct, la démesure, toujours ardente, la ferveur…, tout cela rôde
entre ces idoles, ces princes, ces reines et ces héros, ces gens de race non
point débile mais puissante. L’énergie vitale se rassemble là, pour le grand
voyage conquérant vers le total du monde. Et l’homme marche, dites-vous,
dans ses songes et s’achemine vers la mer. Ou encore : Tous les chemins du
monde nous mangent dans la main. C’est l’en-allée vers Anabase.
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Anabase. Je n’y vois pas une épopée de la colonisation, même s’il en a
les accents qu’auraient aimés vos pères, et les mêmes ingrédients. Anabase
épelle ce que vous croyez être la grandeur : la projection sur le monde ;
l’extension à l’infini de sa propre légitimité ; l’énergie précieuse de la
violence ; la tentative d’organiser et de dominer et les hommes et le monde ;
la solitude agissante dans une foule bien accordée aux ampleurs d’un projet.
Mais tout cela sera traversé par le doute, habité d’une errance qui cherchera
à dénombrer tout le Divers du monde. C’est le monde tout entier qui
deviendra, pour votre conquérant-poète, le matériau d’un inventaire. Mais,
malgré ce doute et cette errance, il restera conquistador. Vous ne vous
livrerez pas comme Segalen à ce monde qui s’ouvre en ses diversités
irréductibles : vous aurez encore souci de régenter. Seulement, cette régence
n’ouvre qu’à poésie somptueuse, qui sera votre façon d’une existence au
monde.
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Perse, vous êtes conquistador mais dans une conscience autre. Vous
abordez le monde avec le désir d’une permanence et d’une unicité de l’Être.
Mais vous provenez du divers d’une créolité, vous éprouvez le trouble,
l’incertitude très mobile des créoles. Votre élan vers le monde, votre souci
de l’Universel, votre posture d’élévation, votre pluriel de majesté tentent de
cristalliser une essence hautaine. Vous savez qu’elle ne peut plus être
française ou bien occidentale. Alors, vous tentez de l’organiser en une
neuve immanence dans ce qui bouge, s’emmêle, se modifie sans fin. Ce
souci vous fait sortir du temps, des lieux, des cultures, de la géographie, il
vous amène à réinventer votre vie, à maîtriser votre apparence, à mettre en
scène votre œuvre dans les richesses du monde. Cet absolu vous hisse vers
une cristallisation voulue universelle, d’un Être impossible relié aux
troubles du Divers. Votre poésie clame l’émotion d’un existant-au-monde
tendu vers l’absolu d’un Être-au-monde inatteignable. C’est un beau
témoignage de nos consciences humaines qui cherchent, si
douloureusement le plus souvent, leurs équilibres dans l’inédit de la Pierre-
Monde.
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Vous êtes fasciné par l’Être, vous qui relevez d’un existant-au-monde.
Vous aimez les choses sèches, stériles, tranchantes. Le sel pour vous se
révèle fécond. C’est peut-être une manière d’épuiser le Divers qui
bouillonne en vous, de réduire cette profusion que vous pensez bréhaigne.
C’est dans l’épuration, la sobriété, la pureté primale des grands espaces que
le renouveau vous semble envisageable.
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Perse, vous êtes créole dans vos impossibles. Votre œuvre sera créole
dans ses possibles : c’est-à-dire dans le tout-possible, l’Étant-au-monde, le
tout-imprévisible, qu’elle exprime, et qui se devine en présence, en
absences, en refus et abandons, et en énigmes ouvertes.
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L’affectueuse révérence
Mais la lézarde du pays rêvé n’a jamais quitté les mornes, elle n’a
jamais cessé d’arpenter les hauteurs où l’ombre et la lumière sont d’une
même intention, et jamais déserté la vigilance des cimes – c’est par cette
exigence qu’il lui a été donné d’irriguer le pays, en fondocs et racines, de
fréquenter le long secret des acacias, l’éternité des très vieux acomats, les
soifs de la rocaille du côté des Salines, et cette angoisse qui sert d’humus
aux bois sans chaînes des nègres marrons. Et c’est au vif de cette
topographie devenue éminente, ces cannes à sucre et ces vieilles cases, la
ruine des grandes usines, squelettes de Bitation, qu’elle a tramé une claire
vision du monde, qu’elle a ramené le monde à l’alchimie du lieu, qu’elle a
versé le monde aux circulations souterraines de l’igname et des bleutés de
la dachine, si bien que pas une seule poussière de ce petit pays, pas une
maille de ses misères ou de ses tragédies n’a pu nourrir le moindre
enfermement, un quelconque renoncement, toujours l’espérance la plus
haute, toujours le soleil même fragile de la plus haute conscience, et c’est
parce que son eau était de poésie, ses doums et ses bassins de poésie toute
pure, qu’elle a su faire vision, dégager des futurs, confier aux pupilles en
alerte le scintillement des avenirs.
C’est la grâce des poètes que de ne pas mourir. Leur poésie fascine
tous les espaces et conditionne le temps, elle leur offre le lit de ces feuilles
qui guérissent dont ils ont su le rêve, et ces petits hôtels où l’amour se
retire, et ces villes invisibles où l’errance fait soleil, et tout un monde tissé
comme une région nouvelle, une région de jeunesse, à même l’inextricable
du monde. Et comme ils ont vécu de cette célébration, que leur âme (ce très
pur souffle du rêve) était de poésie, qu’à chaque répit de la souffrance
filtrait la poésie, leur vie même s’est transmutée mythologie de poésie –
depuis le voyage initial par les descentes de Bezaudin, jusqu’aux guerres
anticolonialistes, l’avion pourri de Ben Bella, le couscous délavé par la
sueur, ces belles aux shorts serrés qui à Cuba portaient la mitraillette, et puis
Racine qui donnait la leçon et l’injure Ce n’est pas les Troyens mais c’est
Hector que l’on poursuit, tous ces récits et tous ces rires, et cette vigilance
qui savait s’indigner contre le retour incessant des ombres et des vieilles
barbaries. Poésie encore, poésie toujours, poésie jusqu’au bout, qui fait que
la jeunesse du poète n’est affectée d’aucune douleur ni altérée d’une
disparition. Son corps seul, son corps seul, comme un rempart, un bouclier
qui pleure et qui chante en même temps, et qui fait stèle en demeurant.
Il nous reste à lire les poèmes, tous les poèmes dont nous lestons nos
chairs, les lire dans toutes les langues, dans le concert des amitiés et des
langages, avec la complicité des musiciens et des conteurs, et la solennité
malicieuse des flambeaux. Et si c’est le point des tristesses, la virgule
insondable des douleurs, voici quand même venu le temps de la joie
poétique, cette foudre qui ne frappe qu’en amour et beauté, qui nous change
dans l’échange, et qui relie, et qui relaye, et qui relate infiniment.
… J’imagine la lézarde…
… elle dévale sans quitter les hauteurs, je vois ses eaux refléter les
magnolias de Faulkner, la rose de porcelaine qui jamais ne se brise, le
sourire de Paul Niger au-dessus de l’avion, l’impatience coléreuse de
Fanon, l’Annonciation considérable que signifie Césaire, ces Indes
inattendues qui surprirent Saint-John Perse, et le jasmin de Nedjma parmi
les acacias, et le coucher de soleil sur la femme du Diamant, je vois
Carthage et Carthagène, Wilfredo Lam dans sa jungle verticale, et Matta,
Cardenas et Ségui, et ce bon Segalen qui déchiffre l’errance, je vois même
Mycéa dont aucun mot n’a su nous rendre compte, et si le vent souffle, et
que l’arbre du voyageur commence à me parler, cet arbre que tu as
ressuscité lors du dernier cyclone, s’il te nomme on me l’a dit « âme vivante
du monde », et que tout un peuple de fromagers en assume l’écho, je leur
dirai qu’il est probable que tu refuses ce signe, mais que moi pour ma part,
j’ai fait la révérence depuis le premier jour, et que depuis je n’ai jamais
cessé, que la révérence a été affectueuse, et que maintenant comme pour les
temps qui viennent l’affection, toute l’affection, restera révérente.
Carême
21. A. Césaire, Corps perdu (gravures de Picasso), Fragrance, 1950 ; rééd. Césaire et Picasso. Corps perdu, histoire d’une rencontre, HC éditions, 2011.
22. S.-J. Perse, « Étroits sont les vaisseaux », in Amers, Œuvres complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1972.
23. Quand par hasard plusieurs cultures ou plusieurs langues se retrouvent sur un Territoire, cela s’opère selon des fragmentations agressives et des juxtapositions
conflictuelles de petits absolus.
24. S.-J. Perse, « Mer de Baal, mer de mammon », in Amers, op. cit.
25. E. Glissant, Tout-Monde, Gallimard, 1993.
26. S.-J. Perse, « Pour fêter une enfance » in Éloges, in Œuvres complètes, op. cit.
27. E. Glissant, Sartorius, Gallimard, 1999.
28. A. Césaire, « Passages », in Moi, laminaire, op. cit.
29. E. Glissant, Une nouvelle région du monde, op. cit.
30. E. Glissant, Le Discours antillais, Seuil, 1981 ; Gallimard, 1997.
31. E. Glissant, Philosophie de la Relation, Gallimard, 2009.
32. S.-J. Perse, « Neiges », in Exil, Œuvres complètes, op. cit.
33. E. Glissant, entretien avec Télérama, février 2011.
34. S.-J. Perse, Chronique, in Œuvres complètes, op. cit.
35. E. Glissant, Introduction à une poétique du divers, Gallimard, 1963
36. E. Glissant, L’Intention poétique, Seuil, 1969 ; Gallimard, 1997.
37. E. Glissant, La Cohée du Lamentin, op. cit.
Roussi
38. E. Glissant, Introduction à une poétique du divers, op. cit.
39. A. Césaire, « La poésie est cette démarche qui, par le mot, l’image, le mythe, l’amour et l’humour, m’installe au cœur vivant de moi-même et du monde » (au
congrès de philosophie de Port-au-Prince, 1944).
40. A. Césaire, « Bucolique », in Ferrements, Seuil, 1960, 1991.
41. S.-J. Perse, Oiseaux, in Œuvres complètes, op. cit.
42. S.-J. Perse, Chronique, in Œuvres complètes, op. cit.
43. A. Césaire, « Transmission », in Moi, laminaire, op. cit.
44. A. Césaire, « J’ai guidé du troupeau la longue transhumance », in Moi, laminaire, op. cit.
45. S.-J. Perse, « Poème à l’étrangère », in Œuvres complètes, op. cit.
46. La Case du commandeur, op. cit.
47. S.-J. Perse, « Langage que fut la poétesse », in Œuvres complètes, op. cit.
48. E. Glissant, La Cohée du Lamentin, op. cit.
49. E. Glissant, Le Quatrième Siècle, op. cit.
50. Ibid.
51. S.-J. Perse, Anabase, in Œuvres complètes, op. cit.
52. A. Césaire, Moi, laminaire, op. cit.
Premières pluies
53. A. Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, op. cit.
54. E. Glissant, Tout-Monde, op. cit.
55. S.-J. Perse, Exil, in Œuvres complètes, op. cit.
56. E. Glissant, Introduction à une poétique du divers, op. cit.
57. S.-J. Perse, Anabase, in Œuvres complètes, op. cit.
58. E. Glissant, entretien avec Télérama, février 2011.
59. E. Glissant, Traité du Tout-Monde, op. cit.
60. E. Glissant, La Cohée du Lamentin, op. cit.
61. A. Césaire, « Parole due », in Ferrements, op. cit.
62. S.-J. Perse, Anabase, in Œuvres complètes, op. cit.
63. Ibid.
64. E. Glissant, Le Discours antillais, op. cit.
65. A. Césaire, « Pour saluer le Tiers Monde », in Ferrements, op. cit.
66. E. Glissant, Le Discours antillais, op. cit.
67. S.-J. Perse, Vents, in Œuvres complètes, op. cit.
68. E. Glissant, La Lézarde, op. cit.
69. S.-J. Perse, Vents, in Œuvres complètes, op. cit.
70. S.-J. Perse, Exil, in Œuvres complètes, op. cit.
71. A. Césaire, « À la mémoire d’un syndicaliste noir », in Ferrements, op. cit.
Saison-pluies
72. S.-J. Perse, Strophes, in Œuvres complètes, op. cit.
73. A. Césaire, « De forlonge », in Corps perdu, op. cit.
74. A. Césaire, « C’est le courage des hommes qui est démis », in Ferrements, op. cit.
75. E. Glissant, Malemort, Seuil, 1975 ; Gallimard, 1997.
76. S.-J. Perse, Amers, in Œuvres complètes, op. cit.
77. A. Césaire, Les Armes miraculeuses, Gallimard, 1946, 1970.
78. Ibid.
79. A. Césaire, « Délicatesse d’une momie », in Soleil cou coupé, Éditions K, 1948.
80. S.-J. Perse, « Mer de Baal, mer de mammon », op. cit.
81. S.-J. Perse, Pluies, in Œuvres complètes, op. cit.
82. A. Césaire, « La pluie », in Soleil cou coupé, op. cit.
83. E. Glissant, Traité du Tout-Monde, op. cit.
Avents
84. A. Césaire, « Les pur-sang », in Les Armes miraculeuses, op. cit.
85. A. Césaire, « Torpeur de l’histoire », Moi, laminaire, op. cit.
86. A. Césaire, « Rumination de caldeiras », Comme un malentendu de salut, in La Poésie, Seuil, 1994.
87. A. Césaire, « Aux îles de tous vents », in Ferrements, op. cit.
88. A. Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, op. cit.
89. A. Césaire, « Millibars de l’orage », in Cadastre, Seuil, 1961.
90. A. Césaire, « Rocher de la femme endormie », in La Poésie, op. cit.
Crépuscules
91. A. Césaire, Les Armes miraculeuses, op. cit.
92. S.-J. Perse, Chronique, in Œuvres complètes, op. cit.
93. A. Césaire, « Solide », in La Poésie, op. cit.
94. A. Césaire, « Élégie », in Corps perdu, op. cit.
95. A. Césaire, « Ne pas se méprendre », in Moi, laminaire, op. cit.
96. A. Césaire, Moi, laminaire, op. cit.
97. E. Glissant, Traité du Tout-Monde, op. cit.
98. A. Césaire, « Transmission », in Moi, laminaire, op. cit.
99. A. Césaire, « Genèse pour Wifredo », in Moi, laminaire, op. cit.
100. A. Césaire, « Foyer », in Moi, laminaire, op. cit.
101. A. Césaire, « Saccage », in Moi, laminaire, op. cit.
102. E. Glissant, Traité du Tout-Monde, op. cit.
103. A. Césaire, « Banal », in Moi, laminaire, op. cit.
104. A. Césaire, « Faveur », in Moi, laminaire, op. cit.
105. A. Césaire, « Maillon de la cadène », in Moi, laminaire, op. cit.
106. A. Césaire, « Algues », in Moi, laminaire, op. cit.
107. A. Césaire, « Pour un cinquantenaire », in Comme un malentendu de salut, op. cit.
108. E. Glissant, L’Intention poétique, op. cit.
109. A. Césaire, « Parole due », in Ferrements, op. cit.
110. E. Glissant, « Aimé Césaire, la passion du poète », Mediapart, 2008.
LES HOMMAGES
111. A. Césaire, « Léon Gontran Damas, feu sombre toujours », in Moi, laminaire, op. cit.
112. A. Césaire, « Tombeau de Paul Éluard », in Ferrements, op. cit.
113. A. Césaire, « Millibars de l’orage », in Cadastre, op. cit.
114. Cahier d’un retour au pays natal, op. cit.
115. A. Césaire, « Vertu de lucioles », in La Poésie, op. cit.
116. A. Césaire, « Les pur-sang », in Les Armes miraculeuses, op. cit.
117. in Tropiques, collection complète, éditions Jean-Michel Placé, 1978.
118. A. Césaire, « Épactes », in Moi, laminaire, op. cit.
119. A. Césaire, Moi, laminaire, op. cit.
120. A. Césaire, « Chemin », in Moi, laminaire, op. cit.
121. A. Césaire, « Tombeau de Paul Éluard », in Ferrements, op. cit.