Bac 5 Lecture Linéaire
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LECTURE LINÉAIRE
I-lignes 1 à 5 : La déception de Figaro
Figaro, seul, se promenant dans l'obscurité, dit du ton le plus sombre :
Ô Femme ! femme ! femme ! créature faible et décevante !... nul animal créé ne peut manquer à son
instinct ; le tien est-il donc de tromper ?... Après m'avoir obstinément refusé quand je l'en pressais
devant sa maîtresse ; à l'instant qu'elle me donne sa parole ; au milieu même de la cérémonie … Il
riait en lisant, le perfide ! et moi comme un benêt !...
●La didascalie initiale signale que la noirceur du décor fait écho à la mélancolie de
Figaro. (dans l'obscurité, dit du ton le plus sombre).
●Figaro est ravagé par la jalousie, dès lors une place essentielle est laissée à
l'expression des sentiments, c'est peu commun quand il s'agit d'un valet. Le personnage
se retrouve seul, se sent abandonné et trahi ce qui déclenche un monologue
particulièrement long : près de 100 lignes dans son intégralité !
●Figaro exprime d'abord (à tort) du ressentiment vis-à-vis de Suzanne qui n'est pas
nommée mais comprise dans la formule généralisante répétée trois fois (Ô femme !
femme ! femme !) + périphrase « créature faible et décevante », l'infidélité de la femme
paraît inévitable (phrase négative au présent de vérité générale + emploi du mot instinct)
(question rhétorique le tien est-il donc de tromper ?...) Tout est présenté comme une
évidence.
●Figaro se remémore ensuite les derniers échanges qu'il a eus avec Suzanne, il
commence des phrases qu'il ne termine pas (subordonnées sans principales), interruption
au milieu même de la cérémonie il se croit trompé par sa fiancée.
►Figaro revoit la scène, il revoit le Comte découvrir le billet de Suzanne, il reproche à son
maître sa trahison et se voit comme un idiot. le perfide ! et moi comme un benêt...
l'opposition perfide / benêt confirme l'opposition des deux hommes, devenus des rivaux
dans l'esprit de Figaro.
●Le valet se révolte ici contre son maître absent. L'adverbe « non » est un appui qui
introduit fermement la résistance au maître. Figaro reste respectueux Monsieur le Comte
+ vouvoiement, l'acteur peut changer de voix comme si le comte était présent devant lui. Il
est agité : les points de suspension qui marquent l'émotion + la répétition « vous ne l'aurez
pas ».
●Le valet remet en cause l'idée selon laquelle les nobles seraient naturellement supérieurs
aux autres hommes. Il joue sur la polysémie du mot « génie » qui désigne le caractère
inné, le naturel et un homme supérieur, il présente cette opinion comme une illusion
« vous vous croyez ». Figaro critique les privilèges liés à la naissance. Une attaque
mordante rabaisse le comte par l’emploi du parallélisme et du modalisateur : « Parce que
vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! » (l. 6-7).
Beaumarchais use en outre de son sens de la formule, proche de la maxime paradoxale,
pour saisir l’esprit des spectateurs : « Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de
plus » (l. 8-9).
●On trouve alors une comparaison entre le maître et le valet. Leurs conditions sont
profondément inégales comme le montrent les oppositions « un rang, des places » /
« perdu dans la foule obscure » et « fortune » / « pour subsister seulement ».
●Le Comte est ravalé au rang d'un « homme assez ordinaire ». Figaro se compare par
cette antithèse. Figaro semble avoir une haute opinion de lui-même. Sa médiocrité est
soulignée « rien de plus ». Figaro critique les privilèges liés à la naissance. Ces idées lui
tiennent à cœur : Figaro s'emporte, voir le juron « morbleu ! » Les hyperboles et les
comparatifs de supériorité sont réservés à Figaro « Il m'a fallu déployer plus de science et
de calculs pour subsister seulement, qu'on n'en a mis depuis cent ans à gouverner toutes
les Espagnes ». À l'entendre, Figaro aurait toutes les qualités pour être roi. Les formules
accumulatives mettent en avant ses qualités d'autodidacte de manière à susciter
l'admiration. Figaro rappelle la figure du picaro (aventurier espagnol des romans
espagnols de la fin du XVIe siècle, souvent orphelin, intelligent mais misérable).
→La comparaison maître / valet se concrétise au détriment du maître. Le monologue
acquiert alors une dimension plus vaste, d'ordre politique. Figaro est le porte-parole de la
roture du Tiers-État. Beaumarchais met dans la bouche de Figaro des idées
progressistes. Le valet de comédie n'est plus un personnage pour faire rire à son
détriment.
●Le retour à la réalité est subit : « On vient... c'est elle... ce n'est personne. » La phrase
est entrecoupée de silences et d'hésitations, dessine un personnage à l'affût et perdu.
Figaro attend l'arrivée de Suzanne sous les marronniers. Les enjeux politiques qui
précèdent sont rattachés directement à l'enjeu immédiat. Figaro ne s'adresse plus au
comte, ni vraiment à lui-même mais plutôt aux spectateurs.
● « La nuit est noire en diable » rappelle que c'est la fin de la folle journée, le dénouement
de la pièce est imminent.
●Figaro réfléchit ainsi sur le sens de son existence : sa pensée se forme sous l’œil du
spectateur. Il s’agit d’une délibération qui aboutit à la fin de la tirade à une réflexion sur
la liberté et ses limites (notion de destinée). Le personnage ballotté regrette ainsi de ne
pas avoir pu maîtriser le cours de sa vie, notamment lorsqu’il emploie des locutions
indéfinies, telle « fils de je ne sais qui » (l. 15-16). Il pose un regard désabusé sur son
passé, et a même suffisamment de distance critique pour présenter les étapes de sa vie
avec autodérision (« tout le crédit d’un grand seigneur peut à peine me mettre à la main
une lancette vétérinaire », l. 21-22)
●Figaro se livre à un récit de vie romanesque et haletant. C'est un touche-à-tout, élevé
par des bandits (il rappelle ainsi ses origines inconnues), il a exercé des métiers
scientifiques (chimie pharmacie, chirurgie), littéraires (le théâtre, la comédie).
●Son récit de vie extrêmement vif insiste sur la succession des événements par de
nombreux « et » placés en tête d’expression, Figaro apparaît ainsi comme un personnage
réactif, qui cherche toujours à rebondir pour échapper aux difficultés. L’impression de
vivacité est renforcée par l’emploi des présents de narration et la parataxe.
Beaumarchais dresse ainsi le portrait d’un homme qui ne se complaît pas dans l’échec,
qui tente toujours de se ressaisir (« et pour faire un métier contraire, je me jette à corps
perdu » (l.22).
●Le lecteur–spectateur peut avoir l’impression que Figaro évoque plusieurs
personnages et même plusieurs vies. La cohérence tient au fait que chaque épisode de
la vie de Figaro se solde par un échec («las d’attrister des bêtes malades », « me fussé-je
mis une corde au cou »). Le personnage ballotté regrette ainsi de ne pas avoir pu
maîtriser
Les intentions de Figaro, en tant qu’auteur, consistaient probablement à écrire une pièce à
la mode orientale (cf. contexte littéraire et mode de l’orientalisme au XVIII e siècle avec Les
Lettres persanes de Montesquieu, la traduction des Mille et une nuits), or le censeur
réagit aussitôt ce qu'il expliquera dans les lignes suivantes.