Épidémiologie Des Cancers Du Tube Digestif
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Épidémiologie Des Cancers Du Tube Digestif
L’objectif de ce travail est de décrire la fréquence des cancers de l’œsophage, de l’estomac et du côlon-
rectum en France, d’analyser son évolution au cours du temps et d’identifier les groupes à risque. Les
données provenant de 12 départements couverts par un registre de cancers ont permis d’estimer
l’incidence des cancers en France. En 2005, le cancer colorectal se situait au troisième rang des cancers en
France, représentant 12 % de l’ensemble des nouveaux cas de cancers, et son incidence était stable
depuis 1980. Le glissement observé des cancers du côlon gauche au profit des cancers du côlon droit n’a
pas d’explication claire. Il est désormais établi que les apparentés au premier degré de patients atteints
d’un gros adénome doivent bénéficier de la même prise en charge que ceux de patients atteints d’un
cancer colorectal. Le risque de survenue d’un cancer colorectal métachrone dans les 5 premières années
après le diagnostic justifie l’intérêt d’une surveillance régulière des patients. L’incidence des cancers
malpighiens de l’œsophage a diminué avec le temps tandis que celle des adénocarcinomes a augmenté.
L’existence d’un œsophage de Barrett multiplie le risque de survenue d’un adénocarcinome de
l’œsophage d’un facteur de l’ordre de 5. Les cancers gastriques relèveraient d’étiologies partiellement
différentes selon leur sous-localisation. Si l’incidence des cancers distaux a diminué avec le temps, celles
des cancers proximaux adénocarcinomes du cardia a augmenté.
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Mots clés : Cancer ; Tube digestif ; Épidémiologie ; Registre ; Incidence ; Facteurs de risque
Gastro-entérologie 1
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9-000-E-12 ¶ Épidémiologie des cancers du tube digestif
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Place des cancers du tube digestif parmi
Cô
les cancers en 2005 en France
Figure 1. Place des cancers digestifs parmi les cancers les plus fréquents
Le nombre de nouveaux cas de cancers étaient de 319 380, en 2005 en France. ORL : oto-rhino-laryngologique.
dont 57,4 % chez l’homme. Pour les deux sexes, quatre locali-
sations étaient responsables de 56,4 % des cas incidents. Il
s’agissait des cancers de la prostate (62 245), du sein (49 814 Tableau 1.
cas), du côlon-rectum (37 413 cas) et du poumon (30 651 cas). Fréquence des cancers digestifs en 2005 en France.
Le nombre de nouveaux cas de cancers du tube digestif
(œsophage, estomac, côlon et rectum) était de 28 051 chez Hommes Femmes
l’homme et de 20 877 chez la femme. Ils représentaient 35,7 % Taux n Taux n
de l’ensemble des cancers chez l’homme et 15,3 % des cas chez standardisé standardisé
la femme. Pour les deux sexes, le cancer colorectal se situait au Œsophage 7,9 3 733 1,5 988
troisième rang des cancers en France après le cancer du sein et Estomac 8,2 4 405 3,1 2 389
celui de la prostate (Fig. 1). Il se situait au premier rang des
Côlon-rectum 37,7 19 913 24,5 17 500
cancers digestifs et représentait 12 % de l’ensemble des nou-
veaux cas de cancers. n : nombre de cas. Standardisation sur la population mondiale de référence pour
100 000 habitants.
■ Cancer colorectal 50 ans, puis les taux bruts d’incidence augmentaient régulière-
ment, plus rapidement chez les hommes que chez les femmes.
Place du cancer colorectal en France Les données d’incidence et de survie des cancers ont permis de
calculer la prévalence partielle à 5 ans du cancer colorectal
en 2005 (nombre de cas vivants, diagnostiqués depuis au cours des
Au total, le nombre estimé de cas de cancer colorectal était 5 dernières années). Au 31 décembre 2002 (soit un diagnostic
en 2005 de 19 913 cas chez l’homme et de 17 500 cas chez la initial entre 1998 et 2002), elle était de 108 980 cas, soit 205 cas
femme (Tableau 1). Il représentait 53,8 % des cas de cancers pour 100 000 hommes et 142 cas pour 100 000 femmes [3]. Cela
digestifs chez l’homme et 68,5 % chez la femme. Les taux représentait 13 % de l’ensemble des cas prévalents tous cancers
d’incidence standardisés sur la population mondiale de réfé- confondus. Par comparaison avec celle calculée au 31 décembre
rence étaient respectivement de 37,7 pour 100 000 et 24,5 pour 1993, l’augmentation de la prévalence partielle du cancer
100 000. Chez l’homme, le risque de développer un cancer colorectal était de 27,2 % pour les hommes et 23,4 % pour les
colorectal avant l’âge de 74 ans a augmenté entre les cohortes femmes. Cette augmentation était en partie expliquée par le
de naissance 1910 (3,5 %) et 1930 (4,4 %), puis a diminué pour vieillissement de la population et par les changements de
les cohortes les plus récentes (3,9 % pour la cohorte 1950) structures démographiques. Ces deux facteurs expliquaient
(Tableau 2). Il a peu varié chez la femme. L’incidence du cancer 19,4 % de l’augmentation chez les hommes et 16,0 % chez les
colorectal était voisine dans les deux sexes jusque vers l’âge de femmes.
Tableau 2.
Risque de survenue d’un cancer du tube digestif par sexe et cohorte de naissance.
Hommes (%) Femmes (%)
1910 1915 1920 1925 1930 1935 1940 1945 1950 1910 1915 1920 1925 1930 1935 1940 1945 1950
Œsophage 1,7 1,7 1,7 1,7 1,7 1,4 1,1 0,9 0,7 0,1 0,1 0,1 0,1 0,1 0,2 0,2 0,2 0,2
Estomac 2,0 1,8 1,5 1,3 1,2 1,0 0,9 0,8 0,8 0,8 0,7 0,6 0,5 0,4 0,4 0,3 0,3 0,3
Côlon-rectum 3,5 3,8 4,0 4,3 4,4 4,2 4,1 4,0 3,9 2,5 2,6 2,6 2,6 2,6 2,6 2,7 2,7 2,7
Risques cumulés 0-74 ans.
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Tableau 4.
Risque de survenue d’un cancer du tube digestif par sexe et année de diagnostic.
Hommes Femmes
1980 1985 1990 1995 2000 2005 1980 1985 1990 1995 2000 2005
Œsophage 15,2 14,6 13,4 11,8 9,9 7,9 1,0 1,1 1,2 1,3 1,4 1,5
Estomac 14,6 13,2 11,8 10,5 9,2 8,2 6,2 5,4 4,6 4,0 3,5 3,1
Côlon-rectum 33,6 36,1 37,8 38,7 38,7 37,7 22,8 23,4 23,9 24,2 24,4 24,5
Taux standardisés sur la population mondiale de référence, pour 100 000 habitants.
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des dernières années, trois méta-analyses ont permis de comp- Les sujets traités pour cancer de l’intestin constituent égale-
tabiliser 58 études portant sur le sujet [12-14]. Elles indiquent que ment un groupe à risque élevé de cancer colorectal métachrone.
l’âge de l’apparenté au moment du diagnostic de cancer est un Le délai de survenue médian entre les deux cancers était de
élément déterminant le risque de cancer colorectal : avant 43 mois et le risque relatif de 1,50 [21]. Ce risque était augmenté
45 ans, le risque relatif estimé était de 4, il se situait autour de quelles que soient les caractéristiques du patient et du premier
2 entre 45 et 59 ans et était proche de 1,5 après 60 ans ou cancer. Cette étude confirme l’intérêt de la surveillance régulière
65 ans [13, 14]. Le risque était plus élevé lorsqu’il y avait deux des patients, surtout dans les 5 ans suivant le diagnostic initial.
apparentés atteints, entre 2,7 et 5,7 selon les études [15, 16]. Le
niveau de risque a conduit la Conférence de consensus à Maladies inflammatoires
recommander un dépistage par coloscopie lorsqu’il y avait deux
Le risque élevé de cancer dans la rectocolite ulcérohémorra-
parents au premier degré atteints, ou un parent atteint avant
gique est connu depuis longtemps. Il est diversement estimé
60 ou 65 ans.
selon les études. Ceci tient au fait que le risque est lié à
Antécédents familiaux d’adénome colorectal l’étendue de la rectocolite ulcérohémorragique, son ancienneté
et l’âge au moment du diagnostic [22]. Après 7 à 10 années
Le risque de cancer colorectal en cas d’antécédents familiaux
d’évolution, le risque de cancer colorectal augmente de 0,5 % à
d’adénomes, et notamment d’adénomes à risque de transforma-
1 % chaque année [23]. Après 35 ans d’évolution, le taux cumulé
tion maligne (adénome supérieur à 1 cm et/ou dysplasie grave
et/ou structure villeuse), est moins bien étayé dans la littérature de cancer se situe entre 21 % et 33 % selon les études. Il atteint
que ne l’est le risque associé aux antécédents familiaux de de 40 % à 43 % si la pancolite a été diagnostiquée avant l’âge
cancer. La méta-analyse de Johns et Houlston n’a retrouvé que de 15 ans. Dans une étude de cohorte, le risque de cancer
neuf études portant sur le sujet [14]. Globalement, le risque était colorectal était multiplié par 14,8 en cas de pancolite, par 2,8 en
voisin de deux pour les adénomes à risque. Une étude cas- cas de colite limitée au côlon gauche et n’était pas augmenté
témoins sur les antécédents familiaux de cancer colorectal chez dans les formes rectales [24].
des patients atteints d’adénomes de petite ou de grande taille et Concernant la maladie de Crohn, le risque de cancer colorec-
de cancers colorectaux suggère que le risque de cancer colorectal tal était moins bien établi. Dans une méta-analyse récente de
n’est élevé que chez les apparentés au premier degré de sujets l’ensemble des études de population disponibles, le ratio
atteints d’un adénome de plus de 1 cm ou d’un cancer. Dans d’incidence standardisé de cancer colorectal était de 1,84 [25-27].
une étude française récente, une coloscopie était proposée de La survenue d’un cancer colorectal est également liée à l’éten-
façon prospective aux apparentés du premier degré de patients due de la maladie et au jeune âge au moment du diagnostic.
chez qui un gros adénome venait d’être détecté [17]. Par rapport
à une population de témoins, le risque de cancer et de gros Sujets à risque très élevé
adénomes était de 2,3 chez les apparentés au premier degré de
sujets atteints d’adénomes de plus de 1 cm. Il n’était pas Le cancer colorectal peut survenir dans un contexte d’agréga-
augmenté chez les apparentés de sujets atteints de petits tion familiale évoquant le rôle d’un facteur génétique. Il s’agit
adénomes. Le risque de cancer colorectal ou de gros adénome de maladies héréditaires, dont la transmission est autosomique
chez ces apparentés était plus élevé quand le cas index était de dominante, à forte pénétrance et à expressivité variable.
sexe masculin (odds ratio [OR] = 4), avait moins de 60 ans L’existence d’un gène prédisposant doit être systématiquement
(OR = 3,8) et avait un gros adénome de siège distal (OR = 3,1). évoquée devant l’une au moins de ces trois situations : âge au
Le risque n’était pas augmenté chez les apparentés de sujets diagnostic du cancer colorectal inférieur à 50 ans ; antécédents
atteints de petits adénomes. personnels de cancer colorectal ; agrégation familiale de cancers
Ces travaux soulignent que les apparentés du premier degré colorectaux ou d’autres sites. On estime actuellement que de
de patients atteints d’un adénome à risque de transformation 2 % à 3 % des cancers colorectaux se développent dans le cadre
maligne doivent bénéficier de la même prise en charge que les de syndromes héréditaires bien définis dont les deux principales
apparentés du premier degré de patients atteints d’un cancer formes sont la polypose adénomateuse familiale et le syndrome
colorectal. Ceci a été acté dans les recommandations de prati- de Lynch, encore appelé syndrome HNPCC (hereditary non
ques cliniques de la Haute autorité de santé concernant la polyposis colorectal cancer) [28-32]. Pour ce dernier, les critères
coloscopie. nécessaires pour porter le diagnostic sont :
Sujets ayants des antécédents personnels de tumeur • au moins trois sujets atteints de cancer du spectre HNPCC
colorectale (côlon-rectum, endomètre, ovaire, grêle, uretère ou cavités
excrétrices rénales) dont un uni aux deux autres au premier
Chez les sujets atteints d’adénomes colorectaux, le risque de degré ;
cancer colorectal dépend des caractéristiques des adénomes • au moins deux générations successives concernées ;
découverts initialement. Le risque de cancer colorectal était • au moins un cancer diagnostiqué avant l’âge de 50 ans :
élevé, multiplié par près de quatre chez les sujets atteints d’un • tumeurs vérifiées par un examen anatomopathologique [33].
adénome avec structures villeuses ou de plus de 1 cm de
Les formes incomplètes sont fréquentes et les critères ont été
diamètre et multiplié par sept si ces adénomes étaient multi-
élargis lors d’une conférence d’experts français aux sujets ayant
ples [18]. En revanche, chez les sujets atteints d’un ou plusieurs
deux apparentés atteints d’un cancer du spectre dont un avant
adénomes de moins de 1 cm de diamètre, le risque de cancer
50 ans, aux malades âgés de moins de 40 ans et aux sujets
colorectal ne différait pas significativement de celui de la
ayant un antécédent personnel de cancer [34].
population générale.
Les études autopsiques représentent le seul moyen de connaî- Les progrès de la biologie moléculaire ont permis d’identifier
tre la prévalence des adénomes. Toutes les séries autopsiques plusieurs gènes responsables d’agrégation familiale de cancers
suggèrent qu’une faible proportion des adénomes est actuelle- colorectaux. En cas de suspicion diagnostique, il est recommandé
ment diagnostiquée [19]. Selon une estimation récente réalisée de rechercher dans la tumeur une instabilité microsatellitaire et
en Côte-d’Or, la proportion d’individus âgés de 45 à 84 ans une mutation de BRAF. La recherche d’altérations génétiques est
ayant eu un premier diagnostic d’adénome entre 1976 et faite en cas de cancer MSI+ BRAF non muté. Les altérations
1999 représentait 18 % de tous les individus de Côte-d’Or génétiques délétères d’hMSH2 et d’hMLH1 hMSH6 sont respon-
porteurs d’adénomes [20]. Ces résultats, même s’ils ne représen- sables du syndrome HNPCC, celles d’adenomatous polyposis coli
tent qu’un ordre de grandeur, laissent penser que la proportion (APC), situé sur le bras court du chromosome 5, sont responsa-
de sujets atteints d’adénomes détectés par l’endoscopie est trop bles de la polypose adénomateuse familiale [35] . Pour les
faible pour diminuer l’incidence du cancer colorectal dans la mutations du gène APC, ces prédispositions conduisent à un
population. La détection individuelle des adénomes par colos- risque élevé de cancer colorectal si une coloproctectomie totale
copie ne permettra pas de résoudre le problème posé par le n’est pas pratiquée au début de l’âge adulte. Dans le syndrome
cancer colorectal. HNPCC, la pénétrance de l’anomalie génétique est moins forte.
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Ces éléments soulignent l’intérêt d’un diagnostic génétique élevée dans les pays d’Europe latine, surtout en France. C’est un
lorsqu’une disposition familiale est suspectée. La recherche de la cancer fréquent en Asie, notamment au Japon, peu fréquent aux
mutation délétère doit être faite chez le cas index et proposée États-Unis ou en Australie, et rare en Afrique.
aux apparentés au premier degré pour mettre en place un
programme de dépistage adapté dans ces familles. Ces mesures
préventives ont fait la preuve de leur efficacité [36] . Plus Évolution de l’incidence du cancer
récemment, une forme récessive de polypose familiale, liée à de l’œsophage
une mutation du gène MYH, a été mise en évidence.
Le cancer de l’œsophage est chez l’homme le cancer dont
l’incidence a le plus baissé au cours des dernières décennies
(Tableaux 3 et 4). Le taux annuel moyen d’évolution entre
1980 et 2005 était – 2,6 %. La baisse était encore plus marquée
“ Point fort entre 2000 et 2005, de – 4,6 %. L’accélération de cette décrois-
sance est liée à la contribution de plus en plus importante des
cohortes nées après 1930, moins à risque, qui atteignent l’âge
Cancer colorectal.
où l’incidence est maximale, entre 60 et 80 ans (Tableau 3).
• En France, l’incidence du cancer colorectal est restée
Cette tendance devrait se poursuivre dans les années à venir.
stable depuis 1980.
Chez la femme, l’évolution est inverse. L’augmentation d’inci-
• Il y a un glissement progressif des cancers du côlon dence était faible mais stable au cours des 25 dernières années
gauche au profit de ceux du côlon droit. (+ 1,5 % d’augmentation annuelle moyenne entre 1980 et
• Les sujets à risque moyen sont les individus de plus de 2005).
50 ans des deux sexes. Plusieurs travaux ont montré que la proportion d’une forme
• Les apparentés du premier degré de patients atteints histologique particulière, l’adénocarcinome, avait augmenté
d’un gros adénome doivent bénéficier de la même prise depuis les années 1970, chez l’homme comme chez la femme,
en charge que les apparentés du premier degré de particulièrement pour les localisations du tiers inférieur de
patients atteints d’un cancer colorectal. l’œsophage [37, 38]. Cette forme est en proportion plus fréquente
• Du fait du risque de cancer métachrone, la surveillance que les carcinomes malpighiens chez les femmes, ce qui
des patients ayant eu un cancer colorectal doit être explique la tendance de l’incidence. Chez l’homme, la baisse de
régulière, surtout dans les 5 ans suivant le diagnostic l’incidence correspond à la baisse de la forme la plus fréquente,
initial. les cancers malpighiens.
• Dans les formes familiales, la recherche de la mutation Entre les années 1998 et 2002, l’incidence du cancer de
délétère doit être faite chez le cas index et proposée aux l’œsophage a globalement peu varié dans les différentes régions
du monde [5, 39, 40]. L’incidence n’a pas varié dans les régions
apparentés au premier degré afin de mettre en place un
d’Amérique du Nord ni dans les pays d’Europe. L’incidence a eu
programme de dépistage adapté dans ces familles.
tendance à diminuer en Asie, notamment en Chine, au Japon
et en Inde, de façon plus marquée chez les femmes que chez les
hommes. Elle a baissé dans la partie sud-est de l’Afrique.
L’augmentation de l’incidence des adénocarcinomes de
■ Cancer de l’œsophage l’œsophage au cours du temps a été constatée dans de nom-
breux pays [41-43] . Cette augmentation, décrite depuis une
vingtaine d’années aux États-Unis et plus récemment en Europe,
Place du cancer de l’œsophage en France fait que les adénocarcinomes de l’œsophage ne doivent sans
en 2005 doute plus être considérés comme des cancers rares. Dans la
plupart des régions, l’incidence des formes épidermoïdes est
Le nombre estimé de nouveaux cas de cancers de l’œsophage restée stable ou a eu tendance à diminuer.
chez l’homme en France en 2005 était de 4 721, dont 79 %
chez les hommes. Il représentait 10,1 % des cancers digestifs
chez l’homme et 3,9 % chez la femme. Les taux d’incidence Groupes à risque
standardisés sur la population mondiale de référence étaient
respectivement de 7,9 pour 100 000 et de 1,5 pour 100 000, ce Dans les pays développés, la consommation d’alcool et le
qui correspondait à un sex-ratio homme/femme de 5,3 tabac sont les principaux facteurs de risque du cancer de
(Tableau 1). Le cancer de l’œsophage est caractérisé par une l’œsophage. Le risque de cancer épidermoïde de l’œsophage est
prédominance masculine nette. C’est un cancer rare avant l’âge augmenté en cas de brûlure caustique ou de cardiospasme. Mais
de 40 ans. Chez l’homme, le taux d’incidence augmentait en raison de la rareté de ces pathologies, elles sont à l’origine
régulièrement entre 40 ans et 70 ans et se stabilisait ensuite. de très peu de cas. Les cancers de la sphère oto-rhino-
Chez la femme, l’augmentation avec l’âge était moins rapide et laryngologique (ORL), qui ont des causes identiques à celles du
le taux continuait à augmenter après 70 ans. Les données cancer de l’œsophage, sont fréquemment associés : les deux
d’incidence et de survie ont permis de calculer la prévalence cancers sont diagnostiqués de manière synchrone dans 10 % des
partielle à 5 ans du cancer de l’œsophage (nombre de cas cas et un cancer ORL a précédé le cancer de l’œsophage dans
vivants, diagnostiqués depuis au cours des 5 dernières années). 6 % des cas. Ces données justifient un examen ORL lors de la
Au 31 décembre 2002, elle était de 6 740 cas [3]. découverte d’un cancer de l’œsophage et la surveillance de
l’œsophage en cas de cancer ORL de bon pronostic.
Place du cancer de l’œsophage La plupart des adénocarcinomes de l’œsophage se dévelop-
pent sur un endobrachyœsophage. Il s’agit d’une forme de
dans les autres régions du monde cicatrisation de l’œsophagite peptique. Le risque de cancer de
Le cancer de l’œsophage est marqué par de larges disparités l’œsophage est multiplié par 10 à 125 selon les études. Mais la
géographiques d’incidence [5] . Il n’existe pas vraiment de prévalence de l’endobrachyœsophage est très élevée (entre 1 %
tendances homogènes de son incidence dans le monde. Dans la et 2 % de la population générale) et le suivi d’une cohorte
plupart des pays, les incidences nationales masquent une indique que seulement 5 % des sujets atteints décéderont d’un
variabilité entre régions ou groupes sociaux. Il existe des zones cancer de l’œsophage [44]. La grande fréquence de l’endobra-
à très haute incidence, l’une se situant en Asie, dans une région chyœsophage, la relative rareté du cancer de l’œsophage font
allant du Nord de la Chine au littoral de la mer Caspienne, que la surveillance n’est justifiée qu’en cas de dysplasie et chez
l’autre dans le Sud-Est de l’Afrique. En Europe, l’incidence est les sujets en bon état. L’obésité, en augmentant la pression
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intra-abdominale, et le reflux gastro-œsophagien sont deux Place du cancer de l’estomac par rapport
facteurs de risque bien établis [45]. Cependant, l’évolution de
leur prévalence n’explique pas la forte augmentation de l’inci-
aux autres régions du monde
dence, dont l’origine reste inexpliquée. Elle trouve des similitu- Bien que son incidence diminue dans la plupart des pays, le
des avec l’évolution de l’incidence des adénocarcinomes des cancer de l’estomac est encore un problème important de santé
bronches, en partie rapportée aux variations de pratiques publique : en 2002, il représentait la seconde cause de mortalité
tabagiques (utilisation plus large de filtres) [46]. par cancer dans le monde (avec environ 700 000 décès) [51]. La
En France, l’alcool et le tabac représentent les principaux France se situait dans les régions à faible risque de cancer
facteurs de risque du cancer de l’œsophage. Les deux risques se gastrique, comme les autres pays d’Europe Occidentale, l’Amé-
multiplient. Pour le tabac, la durée de consommation était le rique du Nord et les zones d’Océanie peuplées de blancs
critère le plus lié au cancer de l’œsophage, et pour l’alcool (Australie, Nouvelle-Zélande) [5]. Les pays d’Europe du Sud,
c’était le risque de consommation récente. Le risque de cancer particulièrement l’Italie et le Portugal, d’Europe de l’Est,
de l’œsophage était multiplié par 36 chez les fumeurs de plus d’Europe du Nord et d’Amérique du Sud étaient à taux plus
de 40 ans et buvant plus de 600 g d’alcool par semaine [47]. La élevés. Les taux les plus forts étaient ceux du Japon. C’est un
diminution récente du cancer de l’œsophage chez l’homme a cancer rare en Inde et en Afrique.
été attribuée en grande partie à la diminution de l’alcoolisme.
L’existence d’un risque familial n’est pas établie. Un risque de Évolution de l’incidence des cancers
l’ordre de deux à trois pour les apparentés au premier degré de de l’estomac
patients porteurs d’un cancer de l’œsophage a été rapporté [48,
49]. Une étude de population plus récente rapporte une fraction La baisse de l’incidence des cancers de l’estomac observée en
attribuable faible (0,70 %) mais associée à un risque élevé de France est du même ordre que celle observée dans la plupart des
3,9 [50]. Ces résultats doivent être confirmés. pays industrialisés. En 25 ans, les taux d’incidence ont diminué
de plus de 40 % (Tableaux 3 et 4). Le taux annuel moyen de
diminution entre 1980 et 2005 était de – 2,3 % chez les
hommes et – 2,8 % chez les femmes. Cette diminution a
d’abord été constatée aux États-Unis, avant la Seconde Guerre
“ Point fort mondiale, sur les données de mortalité. Elle a été observée en
Europe, à partir de 1950, plus tardivement dans certains pays
comme l’Espagne, la Grèce ou le Portugal.
Cancer de l’œsophage.
• Le cancer de l’œsophage est le cancer dont l’incidence a
le plus baissé au cours des dernières décennies chez
Groupes à risque
l’homme, avec un taux annuel moyen d’évolution entre On sait que le cancer de l’estomac se développe toujours sur
1980 et 2005 de – 2,6 %, alors qu’elle a augmenté chez la une gastrite atrophique, mais la fréquence de cette affection et
femme (+ 1,5 %). la relative rareté de sa transformation maligne ne permettent
• Chez l’homme, la baisse de l’incidence correspond à la pas de justifier la réalisation d’une surveillance endoscopique. Il
faudrait savoir mieux identifier, parmi les sujets atteints d’une
baisse de la forme la plus fréquente, les cancers
gastrite atrophique, ceux qui présentent un haut risque de
malpighiens. Chez la femme, l’augmentation d’incidence transformation maligne. Le risque de développer un adénocar-
s’explique par l’augmentation des adénocarcinomes, en cinome gastrique à 10 ans était estimé à 0,8 % pour la gastrite
proportion plus fréquente que les carcinomes chronique, 2 % lors de lésions de métaplasie, 4 % lors d’une
malpighiens. dysplasie modérée et 33 % lors d’une dysplasie sévère [52]. La
• L’alcool et le tabac favorisent surtout la survenue des métaplasie intestinale de type 3 est à risque plus élevé, mais sa
formes épidermoïdes. prévalence reste élevée. Un certain nombre de conditions
précancéreuses ont été identifiées. Le cancer survient chez des
sujets ayant des antécédents d’ulcère gastrique dans moins de
15 % des cas. Cette fréquence explique les règles de surveillance
des ulcères gastriques : endoscopie de contrôle à l’issue du
■ Cancer de l’estomac traitement pour réaliser de nouvelles biopsies et ne pas mécon-
naître un cancer, endoscopie à chaque poussée pour faire des
biopsies et ne pas manquer une transformation maligne. La
Place du cancer de l’estomac en France gastrectomie partielle, par la gastrite atrophique qu’elle entraîne,
en 2005 augmente le risque de cancer de l’estomac après un délai de
15 ans (3 % des cas dans le Calvados, 5 % en Côte-d’Or).
Le nombre estimé de nouveaux cas en France en 2005 était Il est établi que les modifications des comportements alimen-
de 4 405 chez l’homme et 2 389 chez la femme, ce qui repré- taires, disparition des procédés de conservation par le sel et
sentait respectivement 2,4 % et 1,7 % des cancers (Tableau 1). augmentation de la consommation de fruits et de légumes
Il se situait, tous sexes confondus, au onzième rang des cancers. expliquent une grande partie de cette diminution globale.
Les taux d’incidence standardisés sur la population mondiale L’évolution avec le temps de l’incidence du cancer de l’estomac
étaient de 8,2 pour 100 000 hommes et de 3,1 pour varie selon ses sous-localisations ou selon sa nature histologi-
100 000 femmes. Le sex-ratio homme/femme était de 2,6. Le que. Si l’incidence des cancers distaux a diminué avec le temps,
cancer de l’estomac était rare avant 50 ans pour les deux sexes. celles des cancers proximaux (cardia) est stable ou a augmenté.
Entre 50 et 80 ans, le cancer de l’estomac fait plus que doubler La diminution de l’infection chronique à Helicobacter pylori,
chaque décennie. Les taux d’incidence augmentaient jusqu’aux responsable de lésion d’inflammation chronique et reconnue
âges les plus élevés chez les deux sexes, mais le risque demeurait par l’Agence internationale comme agent carcinogène en
constamment plus élevé chez les hommes. Le risque d’être 1994 [53], diminuerait surtout l’incidence des cancers distaux [54]
atteint de ce cancer entre 0 et 74 ans diminue régulièrement et aurait un effet plus modeste sur les cancers du cardia [55, 56].
depuis les cohortes de naissance les plus anciennes, jusqu’aux Ces résultats nécessitent d’être confirmés. L’effet protecteur des
cohortes les plus récentes, chez les hommes comme chez les antioxydants, en particulier de la vitamine E ou du b-carotène,
femmes (Tableau 2). Les données d’incidence et de survie ont est suggéré par certaines études faites en Chine (observé
permis de calculer la prévalence partielle à 5 ans du cancer uniquement dans les populations d’Asie à risque élevé [57, 58], il
gastrique (nombre de cas vivants, diagnostiqués depuis au cours n’est pas retrouvé dans les études occidentales [59, 60]). D’autres
des 5 dernières années). Au 31 décembre 2002, elle était de maladies prédisposantes existent, mais elles ne sont responsables
7 680 cas pour les hommes et 4 870 cas pour les femmes [3]. que d’une très faible proportion de cancers gastriques du fait de
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Épidémiologie des cancers du tube digestif ¶ 9-000-E-12
leur rareté (maladie de Biermer, maladie de Ménétrier). Il existe [15] Fuchs C, Giovannucci E, Colditz G, Hunter D, Speizer F, Willett W. A
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Toute référence à cet article doit porter la mention : Bouvier A.-M., Lepage C., Faivre J. Épidémiologie des cancers du tube digestif. EMC (Elsevier Masson SAS,
Paris), Gastro-entérologie, 9-000-E-12, 2009.
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