Géographie de L'insoumission Etudesafricaines-30077-1
Géographie de L'insoumission Etudesafricaines-30077-1
Géographie de L'insoumission Etudesafricaines-30077-1
238 | 2020
Varia
Yves Mintoogue
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/etudesafricaines/30077
DOI : 10.4000/etudesafricaines.30077
ISSN : 1777-5353
Éditeur
Éditions de l’EHESS
Édition imprimée
Date de publication : 15 juin 2020
Pagination : 245-270
ISBN : 978-2-7132-2828-5
ISSN : 0008-0055
Référence électronique
Yves Mintoogue, « Géographies de l’insoumission et variations régionales du discours nationaliste au
Cameroun (1948-1955) », Cahiers d’études africaines [En ligne], 238 | 2020, mis en ligne le 02 janvier
2023, consulté le 04 janvier 2023. URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/30077 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/etudesafricaines.30077
Géographies de l’insoumission et
variations régionales du discours
nationaliste au Cameroun (1948-1955)
1. C’est dans ce sens que les subaltern studies, s’appuyant sur le cas de l’Inde, ont soutenu
l’idée de l’existence d’un domaine d’action politique autonome des couches populaires,
parallèle à celui des élites, durant la décolonisation.
L’implantation de l’UPC
3. Les organisations syndicales jouaient un rôle important dans l’émergence des mouvements
politiques ailleurs en Afrique, à la même période (Schachter-Morgenthau 1998 : 181-
276 ; Schmidt 2005 : 55-90).
4. « Note de synthèse sur le mouvement Union des populations du Cameroun (UPC) », in
Archives nationales de Yaoundé (ANY), 1AC 306 (1), « UPC. 1948-1955 ».
5. Notamment dans les statuts, le règlement intérieur, la résolution du comité directeur
du 17 mars 1953, celle du 17 mai 1953 et, enfin, le texte de Ruben Um Nyobe intitulé
« Organisation et fonctionnement du Mouvement national », publié en septembre 1955,
peu après l’interdiction du mouvement.
6. Voir « Résolution du Comité Directeur de l’UPC du 17 mai 1953 », p. 2, in 1AC 19 (10),
« Activités de l’UPC, 1950-1954 ».
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 249
7. Ibid., p. 3.
8. « Synthèse sur l’implantation de l’UPC au Cameroun », p. 12, in Archives Nationales
d’Outre-Mer (ANOM), 1AffPol/3335, « Incidents Cameroun. Organisation UPC. Mai
55 - Prodromes ».
250 YVES MINTOOGUE
Un tel tableau était réducteur, même si les régions citées étaient bien celles
où la popularité de l’upc était plus évidente. Du reste, à la même période,
un rapport confidentiel du directeur de la Sécurité du territoire, adressée au
haut-commissaire et au ministre de la France d’Outre-Mer, créditait le parti
d’une présence dans 16 des 19 régions que comptait le territoire10 ; l’upc
elle-même revendiquait 17 régions couvertes en mars 1955 (Um Nyobè
1984 : 290-305). Il y avait d’abord celles où la base populaire de l’upc était
la plus impressionnante et que l’administration coloniale considérait comme
« les deux régions pourries et sacrifiées, le Wouri et la Sanaga-Maritime »11.
La région du Wouri était constituée de la ville de Douala et de sa banlieue.
14. Voir la lettre de Um Nyobè à Jean Gwodog, Douala, 3 juin 1954, in 1AffPol/3335,
« Incidents Cameroun. Organisation UPC. Mai 55 - Prodromes ». « A/s d’une conférence
organisée par Um Nyobè Ruben à Yaoundé », note du 28 août 1954, in 1AC 19 (10),
« Activités de l’UPC, 1950-1954 ».
15. « A/s des activités de l’UPC à Yaoundé » note du 27 août 1954, in 1AC 19 (10), « Activités
de l’UPC, 1950-1954 ».
16. Voir « Note relative à l’infrastructure et à l’activité de l’UPC dans la subdivision de
Mbalmayo » in 1AffPol/3335, « Incidents Cameroun. Organisation UPC. Mai 55
- Prodromes ».
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 253
Tandis qu’au 1er janvier 1954 huit régions seulement sur les dix-neuf que compte le
Cameroun étaient organisées, aujourd’hui il ne reste que deux régions dans l’Est où le
mouvement n’a pas encore d’organisation de base et il est possible que quelque chose ait
déjà été fait au moment où j’écris. Le Nord Cameroun qui, jusqu’en 1953, était considéré
comme une chasse gardée du colonialisme, se trouve être, depuis avril 1954, l’un des
secteurs les plus actifs de l’UPC. Au cours de 1954, plus de 70 000 cartes ont été placées,
des centaines de comités de base et des dizaines de comités centraux organisés. Six locaux
à l’usage exclusif du mouvement ont été construits par les militants et à leurs frais.
Si l’on ajoute aux 70 000 adhérents revendiqués par Um Nyobè les sym-
pathisants que l’administration évaluait à 80 000, on pourrait estimer que
18. Deux régions supplémentaires étaient créées dans le même intervalle, portant leur total
à dix-neuf.
19. « Note sur le développement de l’action extrémiste au Cameroun », p. 2, 1AffPol/3335,
« Incidents Cameroun. Organisation UPC. Mai 55 - Prodromes » , p. 2.
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 255
150 000 à 200 000 personnes étaient plus ou moins acquises à l’upc en 1955 ;
à un moment où le corps électoral comptait environ 747 000 électeurs (Terretta
2014 : 98). En somme, les efforts de l’upc pour toucher toutes les régions du
pays et toutes les couches de la population ont donc été opérants, même si
les résultats étaient encore très variables et nuancés au moment où le mouve-
ment fut interdit. Son succès grandissant était d’ailleurs secrètement reconnu
par l’administration dont les rapports inquiets indiquent qu’elle craignait la
formation d’une grande alliance des cadets sociaux qui, sous la bannière de
l’upc, se serait opposée à l’alliance hégémonique des élites indigènes qu’elle
mettait en place et à laquelle la France a finalement confié la gestion de l’État,
à l’indépendance (Bayart 1979).
Le succès populaire de l’upc était donc très variable, d’une région à l’autre,
comme on vient de l’indiquer ; ceci du fait de l’influence des trajectoires histo-
riques propres aux différents terroirs politiques qui constituaient le Cameroun.
L’influence des imaginaires liés à ces trajectoires historiques dans la logique
et les pratiques politiques des acteurs « upécistes » a déjà fait l’objet d’études
remarquables, comme indiqué en introduction (Mbembe 1985, 1991, 1996 ;
Malaquais 2002 ; Terretta 2005, 2014). Mais ce dont la recherche n’a pas expli-
citement fait état jusqu’à présent, c’est la manière dont les énoncés majeurs
du discours nationaliste (unification, indépendance et non-intégration dans
l’Union française) ont eux-mêmes connu des variations notables chez les
acteurs subalternes, sous l’influence de cette multiplicité des configurations
locales. Or, la profondeur historique des terroirs et la vitalité des espaces
régionaux étaient telles qu’ils ne pouvaient être des réceptacles passifs du
discours nationaliste. Se dessine également une corrélation entre le niveau
d’enracinement des enjeux politiques territoriaux dans le local et l’engagement
des populations. Pour illustrer ces variations régionales et montrer comment
elles contribuent à l’intelligibilité de l’implantation inégale de l’upc, l’on
s’appuie sur les exemples du Mungo et du Nord-Cameroun. Le choix de ces
deux régions tient, pour une grande part, à leurs nombreux contrastes. L’identité
sociale et politique du Mungo était directement liée à sa position géographique,
à l’intérieur de l’espace économique baptisé le « croissant fertile » (Joseph
1986 : 119-122)20. C’est dans cet espace équatorial, christianisé dès la première
20. « Le croissant fertile » formait un demi-cercle d’un rayon de 300 à 350 kilomètres autour
de Douala. C’est aussi de là que provenait l’essentiel de la main d’œuvre que l’exploitation
coloniale voulait corvéable à souhait ou, du moins, peu coûteuse.
256 YVES MINTOOGUE
moitié du xixe siècle, que l’on trouvait des taux de scolarisation relativement
élevés et c’est surtout de là que provenait l’essentiel des produits de rente du
territoire. Le Nord-Cameroun, quant à lui, appartenait à l’aire saharienne,
moins rentable économiquement, islamisée et très peu scolarisée. Les sources
primaires exploitées sont de deux ordres : d’une part, des correspondances,
communiqués, motions et tracts produits par les militants locaux de l’upc eux-
mêmes et, d’autre part, les rapports, correspondances et notes de renseignement
de l’administration coloniale. La partie sur le Nord s’appuie surtout sur un
matériau inédit, à savoir des tracts initialement rédigés en langues vernaculaires
(fulfulde et haoussa) par un militant de Ngaoundéré.
Le programme de l’upc comprenait deux volets : « les revendications
particulières intéressant toutes les catégories de la population d’une part et la
[…] question de [la] marche vers l’indépendance d’autre part » (Um Nyobè
1989 : 71). On ne s’attardera guère ici sur le discours officiel produit sur ces
deux questions par le bureau du comité directeur et ses principaux dirigeants.
Il s’agit plutôt d’aborder la question « par le bas », en nous intéressant à la
manière dont ce discours se traduisait dans les idiomes locaux, en lien avec les
contextes socio-historiques propres aux différents terroirs du pays. Évoquant
le mode d’action de l’upc, la direction de la Sécurité du territoire écrivait :
Elle est mise en œuvre par les meetings […] les réunions publiques et privées, les cercles
et comités d’études, mais aussi par la diffusion de tracts au niveau très inégal, les uns étant
rédigés à Douala dans le style révolutionnaire le plus orthodoxe, les autres provenant des
comités de brousse, soucieux avant tout d’exprimer leurs rancœurs et les mécontentements
surgis à la suite de petites affaires très localisées21.
Ce que les autorités françaises relevaient ici, dans un jargon bien à elles,
semble bien signaler l’existence d’une autonomie relative des discours poli-
tiques produits à l’échelle locale par les acteurs populaires, par rapport à
ceux de la direction du parti. Il s’agissait d’une caractéristique majeure de
l’action de l’upc qui n’était pas due au hasard. Les militants du parti étaient
encouragés dans leurs revendications à « faire apparaitre l’incidence néfaste
du régime colonial sur la vie des populations et montrer les avantages de la
libération de l’oppression par les exemples concrets » (upc 1990 : 17-20).
Une telle disposition ouvrait déjà la voie à d’importantes variations et nuances
régionales dans l’énonciation des aspirations des militants. Voyons comment
cela se traduisait concrètement, sur le terrain.
23. Lettre « à Monsieur le Commissaire de Police de Mbanga (27 mars 1951) », in ANY, APA
12 403, sous-chemise 2 : Mungo. Sauf indication contraire, l’essentiel des citations et des
faits rapportés ci-dessous sont tirés du même document.
24. Ibid.
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 259
25. Ibid.
26. APA 12 403 APA 12 403, sous-chemises 2 et 3 : Mungo ; voir aussi 1AC 19 (11), « Activités
des chefs upécistes (Kingue Abel à Nkongsamba). 1952 ».
27. « Motion » du 25 octobre 1951, CR de l’UPC du Mungo, APA 12 403.
28. « Le Chef de la Région du Mungo à M. le Haut-Commissaire », ANY, 1 AC 19 (11),
« Activités des chefs upécistes (Kingue Abel à Nkongsamba). 1952 ».
260 YVES MINTOOGUE
Les deux documents s’achevaient par une liste des services administratifs et
organismes auxquels des ampliations avaient été adressées : chef de région
du Mungo, direction de la Sureté, comité directeur de l’upc, onu, etc. La fer-
meté de la lettre adressée au commissaire Sassard reflète le ton qui était
généralement celui des correspondances de l’upc, à peu près partout sur
le territoire. Mais la conjoncture régionale et la structure des opportuni-
tés économiques conduisaient parfois les comités du Mungo à se faire plus
conciliants. Les énoncés les plus étonnants dans ce registre se retrouvaient
dans certaines correspondances adressées aux autorités régionales ou natio-
nales et qui tenaient, au sujet de l’Union française, un discours ambigu qui
semblait en contradiction avec la position officielle de l’upc, farouchement
opposée à l’intégration du Cameroun dans cet ensemble (Um Nyobè 1984 :
150-154). Ainsi, le 5 avril 1951, une « motion de protestation » adressée au
haut-commissaire de la France au Cameroun et réclamant la restitution de
la licence commerciale d’un restaurateur, militant de l’upc, abusivement
détenue par le chef de région, déclarait que : « le Bureau du Comité Régional
du Mungo en se prononçant solennellement pour une vraie union française
qui respecte les accords de Tutelle fait confiance au Gouvernement Français
du Cameroun pour l’étude de la détention de la licence de Kamsi David. »
Cette motion souffle le chaud et le froid, oscillant en permanence entre la
protestation véhémente et un ton plus conciliant et proche de la doléance qui
tranchait avec la virulence des écrits des comités d’autres régions telles que
le Wouri ou la Sanaga-Maritime.
En somme, les interventions publiques des militants et des organes locaux
de l’upc dans le Mungo étaient marquées par les tensions qui caractérisaient
la situation économique de la région et les conflits sociopolitiques locaux qui
la structuraient. Pour une part, l’engagement des militants trouvait ses ressorts
dans une stratégie d’accroissement des opportunités économiques ou de pré-
munition contre l’arbitraire. Leurs protestations publiques exerçaient certes
une forte pression sur l’administration mais elles étaient souvent ambivalentes,
faisant miroiter des concessions ou une inflexion politique impossibles dans
les faits, d’abord parce qu’elles étaient du ressort de la direction du parti
mais aussi du fait de la ligne nationaliste et anticolonialiste radicale de l’upc.
Des attitudes dont on peut penser qu’elles relevaient de la ruse et visaient
surtout à préserver des acquis souvent précaires ou à obtenir des avancées
dans la rivalité économique qui les opposait aux colons de la région.
262 YVES MINTOOGUE
d’abord, puis les autorités françaises ensuite, ne mirent pas fin à la domination
peule. L’administration française se contenta de destituer les lamibé plus ou
moins indociles pour introniser des princes plus conciliants. Mais les lamidats
furent maintenus ainsi que tout leur système de domination et de vassalité, bien
que les populations non islamisées, dites « kirdi » étaient les plus nombreuses
— 750 000 personnes, alors que les populations peules ne comptaient que
395 000 personnes. Pour l’essentiel, le pouvoir despotique des lamibé fut
maintenu, voire étendu, puisque de nouveaux groupements kirdi leur furent
annexés ici ou là ; ce qui créait régulièrement de fortes tensions sociales et
politiques. De fait, ils étaient devenus « le bras décentralisé de l’État colonial »
(Mamdani 2004 : 77) dans le Nord, exerçant sur leurs sujets une contrainte
quasi illimitée, pour leur propre compte ou pour collecter l’impôt et fournir
de la main d’œuvre pour les travaux forcés32. Par ailleurs, l’École était une
institution très rare ici et peu de gens pratiquaient le français (Mveng 1985 :
137). La majorité des agents de l’administration n’était donc pas en mesure
de communiquer avec la population. Cette situation particulière contribuait
d’ailleurs à retarder la pénétration de l’upc dans le Nord.
Il existait cinq régions administratives dans le Nord au milieu des années
1950 : l’Adamaoua, la Bénoué, le Margui Wandala, le Diamaré et le Logone-
Et-Chari. On a vu que l’implantation de l’upc avait notamment été impulsée
par Félix Moumié, Président de l’upc qui avait longtemps dirigé la section
upc du Nord. Travaillant comme « médecin africain », il avait été affecté à
Mora (Margui Wandala) en 1951, puis à Maroua, dans la région du Diamaré
(Moumié 2006 : 57-70). Les militants les plus actifs étaient en majorité des
fonctionnaires originaires du Sud, affectés dans le Nord. En fin d’année 1954,
les efforts de pénétration de l’upc dans cette région étaient compromis par
l’affectation de ses principaux cadres locaux dans le Sud. Outre Félix Moumié,
on peut citer Jean Paul Sende et Tubbe Akwa, ainsi que des leaders régionaux
tels que Martin Singap à Garoua, François Nyanda à Ngaoundéré et Atidepe
Mensah à Meiganga, Albert Ndoumy à Mokolo, Tang Tang à Zina, Elie Ngui
à Kaele, Mayema à Guider ou encore le médecin Gilbert Eyoum qui venait
d’être muté à Mora.
Le nombre de militants originaires du Nord était certes en forte progression
depuis 1954, mais toucher massivement les populations autochtones restait
néanmoins le grand défi auquel l’upc était confronté. Des efforts importants
étaient faits dans ce sens, mais les résultats restaient relativement médiocres
dans un contexte où l’essentiel des libertés individuelles était confisqué par des
lamibé omnipotents dont les intérêts restaient liés à ceux de l’administration
32. M. Mamdani décrit cette mise de l’autorité indigène au service du pouvoir colonial comme
un « despotisme décentralisé ».
264 YVES MINTOOGUE
par leur contenu, ont sans doute été écrits entre le second semestre 1954 et
mai 1955, lorsque l’activité de l’upc dans le Nord commençait à atteindre les
populations autochtones. Leur traduction française — qui tient en une page
pour le tract de Ngaoundéré, et en trois pages pour celui de Douala —, a été
réalisée pour le compte de l’administration coloniale, sans doute par l’un de
ses agents indigènes. Les deux textes s’adressent explicitement tantôt aux
populations musulmanes du Nord, tantôt à leurs autorités indigènes (lamibé,
chefs et autres notables) et traitent tous deux, avec des arguments similaires,
de la nécessité de s’émanciper de la domination coloniale et de l’intérêt de
rejoindre l’upc dans la lutte pour l’unification et l’indépendance du Cameroun.
Amaselbe Hamma était lui-même un Peul musulman de la région de
Ngaoundéré et un militant de l’upc, bien connu dans tout le Nord. Fils du chef
de village de Koum-Kilba, près de Ngaoundéré, il fréquenta très tôt l’école
coranique. Ce n’est qu’à l’âge adulte qu’il aurait appris à lire le français, grâce
à ses camarades de l’upc37. Si les circonstances concrètes de son adhésion
à l’upc restent mal connues, on sait néanmoins qu’il fut l’un des premiers
militants du parti dans le Nord et qu’il fut président du comité de base de
Ngaoundéré. Son activisme lui valut d’être plusieurs fois arrêté et emprisonné,
notamment par le lamido de Ngaoundéré (Awal 1998)38.
Le grand intérêt de ces textes réside dans la manière cohérente dont ils
articulent et réinsèrent la lutte d’indépendance de l’upc dans l’historicité
propre du Nord-Cameroun et dans les temporalités vernaculaires du politique.
Les populations du Nord, de part et d’autre de la frontière, y sont décrites
comme subissant l’« esclavage » et la « domination » des Français et des
Britanniques. Ces derniers sont comparés à Nemrod et au roi Nabonassar de
Babylone (tract de Douala), ou encore à Mouroudou et Boudou, respectivement
fils de Kanaan et de Nazareth (tract de Ngaoundéré)39, qui avaient étendu
leurs pouvoirs « du lever du soleil à son couchant » mais avaient bien fini par
disparaître ; et « c’est ainsi que les Français disparaîtront à leur tour ». Les deux
textes fustigent ensuite l’attitude des alliés locaux des puissances coloniales :
les « Lamibé qui commandent la terre, ont des vues étroites et ne voient pas plus
loin qu’eux-mêmes ». En désignant les Lamibé comme ceux qui « commandent
la terre », Amaselbe Hamma les oppose implicitement à Celui qui commande
l’univers (Allah) et dont ils se seraient détournés en apportant leur caution
à la domination coloniale. Ils auraient donc trahi leur mission de protection
B IBL IO GR A PH IE
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270 YVES MINTOOGUE
Résumé
Après avoir dressé un tableau de l’implantation, d’intensité très inégale, de l’UPC, l’Union
des populations du Cameroun (le mouvement nationaliste camerounais), à la veille de
son interdiction administrative en 1955, ce texte étudie les déclinaisons régionales du
discours nationaliste durant les années de décolonisation du Cameroun. L’étude montre
que ces variations s’expliquent par la manière dont les différents groupes subalternes qui
avaient rejoint l’UPC se réappropriaient la revendication d’indépendance et l’articulait à
l’historicité propre de leurs terroirs respectifs, ainsi qu’aux conflits et les luttes d’intérêts
au niveau local. Il en ressort que les forces anticoloniales rassemblées au sein de l’UPC
ne constituaient pas un bloc homogène ou monolithique ; elles étaient composées de
groupes sociaux différents, avec leurs aspirations et leurs idiomes propres.
AbstRAct