Géographie de L'insoumission Etudesafricaines-30077-1

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Cahiers d’études africaines

238 | 2020
Varia

Géographies de l’insoumission et variations


régionales du discours nationaliste au Cameroun
(1948-1955)
Geographies of Insubordination and Regional Variations of the Nationalist
Discourse in Cameroon

Yves Mintoogue

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/etudesafricaines/30077
DOI : 10.4000/etudesafricaines.30077
ISSN : 1777-5353

Éditeur
Éditions de l’EHESS

Édition imprimée
Date de publication : 15 juin 2020
Pagination : 245-270
ISBN : 978-2-7132-2828-5
ISSN : 0008-0055

Référence électronique
Yves Mintoogue, « Géographies de l’insoumission et variations régionales du discours nationaliste au
Cameroun (1948-1955) », Cahiers d’études africaines [En ligne], 238 | 2020, mis en ligne le 02 janvier
2023, consulté le 04 janvier 2023. URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/30077 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/etudesafricaines.30077

Tous droits réservés


Yves Mintoogue

Géographies de l’insoumission et
variations régionales du discours
nationaliste au Cameroun (1948-1955)

Les nationalismes anticoloniaux d’Afrique, en dépit de leur lutte contre la


domination coloniale, n’ont pas tous donné la preuve qu’ils étaient porteurs
d’un réel projet de transformation sociale visant l’égalité de toutes et de
tous et l’émancipation des groupes subalternes de la société indigène tels
que les femmes, les jeunes ou les paysans. Il est significatif, à cet égard,
que les Indépendances aient souvent donné lieu à une reconfiguration des
rapports de domination en faveur d’élites masculines, lettrées et urbaines,
sans amélioration notable de la condition des groupes sociaux subalternes
et sans redistribution équitable des ressources (McFadden 2008). Les luttes
anticoloniales et le développement de la conscience nationale n’ont pourtant
pas été l’œuvre exclusive des élites indigènes ; et l’on sait aujourd’hui que
l’élitisme qui a longtemps dominé l’historiographie des mouvements nationa-
listes (y compris dans les anciens pays colonisés), présentant les élites comme
ayant héroïquement conduit les masses de la servitude coloniale à la liberté,
était une vision biaisée et erronée. La contribution des groupes subalternes
était en effet multiforme et massive. Loin de se contenter de suivre des leaders
charismatiques, les gens ordinaires ont pesé d’un poids déterminant dans
les luttes qui étaient en cours et en ont souvent rendu compte au moyen de
langages et de logiques qui leur étaient propres, hors de toute emprise des
groupes dominants (Guha 1982, 1997)1. De ce point de vue, la lutte anti-
coloniale menée au Cameroun par l’Union des populations du Cameroun
(upc) se distingue probablement par la radicalité de son projet émancipateur
qui, outre la quête de l’indépendance politique, visait aussi à « instaurer la
direction politique des cadets sociaux en tant que tels » (Bayart 1979), aussi
bien en son sein qu’à la tête de l’État où elle ne parvint finalement pas.

1. C’est dans ce sens que les subaltern studies, s’appuyant sur le cas de l’Inde, ont soutenu
l’idée de l’existence d’un domaine d’action politique autonome des couches populaires,
parallèle à celui des élites, durant la décolonisation.

Cahiers d’Études africaines, LX (2), 238, pp. 245-270.


246 YVES MINTOOGUE

La présente étude revient sur un aspect particulier de ce projet politique.


Elle s’intéresse à des groupes sociaux subalternes jusque-là inaudibles qui,
ayant rejoint l’upc, s’appuyèrent sur elle pour faire entendre leurs propres
voix et essayer de se repositionner favorablement dans des conflits sociaux,
économiques ou politiques au niveau local. Et ce que disent clairement les
voix singulières de beaucoup de ces femmes et hommes de diverses régions du
Cameroun, c’est que la revendication d’indépendance dans laquelle ils s’étaient
engagés ne renvoyait pas seulement à l’abolition d’un système de domination
étrangère ; dans leur entendement, elle signifiait aussi la fin de diverses formes
d’asservissement et d’oppression locales, souvent antérieures à la colonisation.
La capacité de l’upc à « inculturer » ses modes d’action politique a certes
déjà été mise en exergue par des études antérieures (Mbembe 1985, 1996 ;
Malaquais 2002 ; Terretta 2005, 2014). Mais le texte qui suit innove à plus
d’un titre. D’abord, il montre que la vitalité des espaces régionaux était telle
qu’elle imprimait sa marque dans le discours nationaliste et dans l’idée que les
acteurs subalternes se faisaient de l’indépendance politique. Il établit aussi un
lien — implicite — entre l’ancrage de « la palabre de l’indépendance » dans
les conflits locaux, d’une part, et l’adhésion (ou, a contrario, l’opposition)
des populations à l’upc, d’autre part. Enfin, la dernière partie du texte, en
se basant sur un matériau inédit, met la focale sur les terroirs politiques du
Nord-Cameroun sur lesquels la recherche ne s’attarde guère souvent lorsqu’il
est question du mouvement nationaliste.
L’étude repose sur deux hypothèses majeures. La première postule que si
les idées d’unification du Cameroun et d’indépendance ont rencontré une réelle
adhésion populaire, c’est d’abord du fait des réinterprétations dont elles ont fait
l’objet au niveau local et qui en ont fait l’expression des aspirations populaires
en termes de droits, d’opportunités socioéconomiques concrètes ou d’accès
aux ressources. Le niveau d’ancrage dans les configurations socio-historiques
locales est donc l’un des facteurs explicatifs de l’inégal succès de l’upc dans
les différents terroirs du Cameroun. La seconde hypothèse est que l’upc était
une coalition de groupes sociaux divers chez lesquels l’idée d’indépendance
ne suscitait pas nécessairement les mêmes attentes ; ces dernières variant en
fonction des contraintes propres à chaque catégorie sociale et à chaque région
du pays. L’étude s’appuie sur deux aires socio-culturelles différentes : la région
du Mungo et le Nord-Cameroun. Dans l’une et l’autre, l’on s’efforcera de
montrer l’articulation des échelles locale et nationale dans le discours des
partisans de l’upc, ainsi que les variations de ce discours. Mais avant cela,
la première partie de l’étude dessine une cartographie de l’implantation de
l’upc à travers le pays à la veille de son interdiction, en 1955. Une telle vue
d’ensemble s’avère nécessaire, dans la mesure où la tendance à circonscrire
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 247

géographiquement l’influence de l’upc à la région côtière et aux grands centres


urbains du sud du Cameroun, ainsi qu’aux catégories sociales qualifiées à
l’époque de « détribalisées », a longtemps fait florès (Baeshling-Raspail
1968 : 18 ; Le Vine 1984 : 190-193).

L’implantation de l’UPC

Comme tout un ensemble d’autres propositions erronées sur le conflit auquel


la décolonisation du Cameroun a donné lieu, la thèse limitant l’action de l’upc
à trois ou quatre régions du Sud-Cameroun se fonde principalement sur des
« sources distillées par l’administration coloniale française » dès les années
1950 et « généralement peu critiquées » (Mbembe cité dans Joseph 1986 : 364).
Si elle a plus tard été remise en cause ou nuancée (Mbembe 1996 : 227-238 ;
Deltombe, Domergue & Tatsitsa 2011 : 85-87 ; Terretta 2014 : 97-99), elle n’a
pas totalement cessé de prospérer pour autant ; les études sérieuses produites
depuis lors ayant omis — sauf rare tentative (Nken 2010 : 163-201) — de
s’attaquer directement à cette question, sur la base de données d’ensemble,
comme on se propose de le faire ici. Une telle démarche révèle alors que la
ghettoïsation géographique et sociale opérée par une certaine historiographie
ne résiste pas à l’épreuve des faits ; l’upc ayant su développer des tactiques
efficaces pour, à partir d’une implantation initiale effectivement très limitée
géographiquement, s’étendre à la presque totalité du Cameroun. Ceci dit,
on verra aussi que si cette vision est réductrice et inexacte, le bilan en 1955
restait tout de même quelque peu nuancé, puisque le parti n’était pas encore
parvenu à une implantation véritablement nationale ni d’intensité égale partout.
Dès la création de l’upc en 1948, ses dirigeants mettaient au point des
techniques de recrutement et d’implantation soigneusement étudiées, visant
à toucher toutes les couches de la population2. Déjà, avant la reconnaissance
légale du mouvement par l’administration au début du mois de juin, des
initiatives semi-clandestines étaient prises qui tiraient profit des réseaux de
l’Union des syndicats confédérés du Cameroun (uscc) à laquelle l’upc était

2. « Note de synthèse sur le mouvement Union des populations du Cameroun (UPC) », in


Archives nationales de Yaoundé (ANY), 1AC 306 (1), « UPC. 1948-1955 ». La démarche
adoptée incluait, entre autres choses : l’étude et la défense des revendications des popu-
lations au niveau local, des réalisations concrètes permettant « le développement de
l’éducation politique des masses, le respect de leurs nouveaux droits et leur regroupement
au sein de l’UPC », la présence du parti « dans toutes les circonstances de la vie quoti-
dienne » dans les quartiers et les villages, la multiplication des conférences et des réunions
d’information populaire, « la création d’organes de presse, la diffusion des tracts et tous
autres moyens de populariser l’action et les mots d’ordre » du parti.
248 YVES MINTOOGUE

étroitement liée. Du reste, les principaux protagonistes qui agissaient encore


dans l’ombre pour la mise sur pied de l’upc n’étaient autres que les leaders
du mouvement syndical tels que Ruben Um Nyobe, alors secrétaire général
de l’uscc, et Charles Assale, membre du Conseil économique et social à
Paris pour le compte de l’uscc (Joseph 1975)3. D’autres groupes sociaux
(médecins africains, instituteurs, élèves des collèges, etc.) avaient également
été approchés. Des campagnes de sensibilisation furent entreprises dans les
milieux paysans de la Sanaga-Maritime, du Ntem, du Mungo et de la région
bamiléké. Des associations ethno-régionales furent approchées 4. Dès le
début, ce sont des centaines de personnes de toutes origines sociales qui se
pressaient aux premières réunions publiques de l’upc, lorsqu’elle obtint enfin
sa légalisation, en juin 1948.
La structure organisationnelle mise en place par l’upc fut largement
exposée dans divers textes dès l’année suivante 5. Elle comportait cinq
organes. Il y avait d’abord les comités de base, décrits comme « la fondation
de l’édifice de l’upc »6. Ils pouvaient se constituer, d’après les statuts, « sur la
base de l’entreprise, du village, du quartier ou fraction du village ou quartier »
et avaient pour but de « populariser les mots d’ordre, d’aider les masses à
s’organiser pour la réalisation des objectifs poursuivis » par l’upc. Dirigé
par un bureau de dix membres et un secrétariat de quatre membres élus pour
un an, chaque comité de base devait régulièrement réunir ses militants pour
discuter des questions locales, des mots d’ordre et des publications émises
par le parti ou pour élaborer leurs revendications. Seuls les comités de base
pouvaient aussi enregistrer les adhésions. Les comités d’un secteur donné
pouvaient se regrouper pour former un comité central, deuxième maillon
du parti. Les comités centraux coordonnaient l’action des comités de base
de leurs secteurs respectifs, leur transmettaient les directives des instances
dirigeantes et contrôlaient leur mise en œuvre. Constitué de délégués élus
par les différents comités de base de son secteur, le bureau du comité central
élisait à son tour un secrétariat de cinq membres en son sein, ainsi qu’un

3. Les organisations syndicales jouaient un rôle important dans l’émergence des mouvements
politiques ailleurs en Afrique, à la même période (Schachter-Morgenthau 1998 : 181-
276 ; Schmidt 2005 : 55-90).
4. « Note de synthèse sur le mouvement Union des populations du Cameroun (UPC) », in
Archives nationales de Yaoundé (ANY), 1AC 306 (1), « UPC. 1948-1955 ».
5. Notamment dans les statuts, le règlement intérieur, la résolution du comité directeur
du 17 mars 1953, celle du 17 mai 1953 et, enfin, le texte de Ruben Um Nyobe intitulé
« Organisation et fonctionnement du Mouvement national », publié en septembre 1955,
peu après l’interdiction du mouvement.
6. Voir « Résolution du Comité Directeur de l’UPC du 17 mai 1953 », p. 2, in 1AC 19 (10),
« Activités de l’UPC, 1950-1954 ».
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 249

« groupe de travail » chargé de la « rédaction des documents, expédition


des correspondances, tenue des archives et des registres, etc. »7, ainsi qu’un
« groupe de propagande » chargé de la mobilisation sur le terrain. Chaque
comité central devait adresser au comité directeur des rapports mensuels
rendant compte de la situation politique dans son secteur et de sa propre
activité. Venaient ensuite les sections régionales qui pouvaient regrouper et
coordonner l’action des comités centraux d’une région donnée et celle des
comités de base, là où un comité central n’était pas encore constitué. Leurs
limites n’épousaient pas nécessairement celles d’une région administrative.
Il n’existait d’ailleurs pas plus de deux ou trois sections régionales jusqu’en
1955 ; année avant laquelle le parti ne leur accordait pas un rôle très important
dans son fonctionnement. C’est au premier trimestre 1955 que de nouveaux
textes étaient venus préciser leurs fonctions, dans la foulée d’une importante
restructuration qui se poursuivait en mai, lorsque de graves émeutes étaient
survenues8. Une section régionale comprenait des représentants de chacun
des comités centraux de sa zone de compétence et servait de relais entre les
comités de base, les comités centraux et le comité directeur. C’est au travers
de ces trois organes (comités de base, comités centraux et sections régionales)
que l’upc opérait sa pénétration dans le pays.
L’on ne s’attardera donc guère sur la direction du mouvement qui était
collégiale, assurée par le comité directeur. Disons brièvement que le comité
directeur devait organiser et diriger l’action de l’upc et de ses élus éven-
tuels, suivre l’action des organes de base, assurer les relations extérieures et
contrôler la presse du mouvement. Il se réunissait tous les trois mois et se
composait des délégués régionaux, d’un bureau de onze membres et d’un
secrétariat général, tous élus par le congrès. Au milieu des années 1950, il
comptait une quarantaine de délégués régionaux (upc 1952 : 4). Le secréta-
riat se composait de quatre membres : un secrétaire général, un secrétaire à
l’Organisation, un secrétaire à la Propagande et un trésorier général. Les statuts
prévoyaient simplement que les autres membres du bureau « se répartissent
les tâches au mieux des intérêts de l’action poursuivie par le Mouvement »
(upc 1991 : 14). C’est en s’appuyant sur cette disposition que les postes de
président et de 1er et 2e vice-présidents étaient créés au 1er congrès de l’upc
à Dschang, en 1950, sur proposition du secrétaire général. Ils furent confiés
respectivement à Mathias Djoumessi, Abel Kingue et Ernest Ouandié. En 1952,
Mathias Djoumessi qui, entretemps, avait quitté le parti, fut remplacé par

7. Ibid., p. 3.
8. « Synthèse sur l’implantation de l’UPC au Cameroun », p. 12, in Archives Nationales
d’Outre-Mer (ANOM), 1AffPol/3335, « Incidents Cameroun. Organisation UPC. Mai
55 - Prodromes ».
250 YVES MINTOOGUE

Félix Moumié. C’est au secrétariat général, basé au siège du parti, à Douala,


qu’il revenait « d’assurer à tout moment la continuité de l’action de l’upc sur
tout le territoire ». En novembre 1948, Léonard Bouly fut remplacé par Ruben
Um Nyobè au poste de secrétaire général ; Emmanuel Yapp, élu trésorier
général au congrès de Dschang, fut remplacé plus tard par Job René Ngapeth
(Bakang ba Tonje 2007 : 54). Les postes de secrétaire à l’organisation et de
secrétaire à la Propagande n’étaient manifestement pas pourvus en 1950.
Le Secrétariat comprenait aussi une section administrative (dactylographie,
ronéo, traitement de la correspondance…). Une commission de contrôle
financier pouvait être élue par le congrès ou, à défaut, par les membres du
comité directeur dont elle faisait partie, de facto. Il y avait enfin le congrès,
plus haute instance du parti, chargée de fixer la ligne politique et doctrinaire,
les objectifs annuels ; d’élire les membres du comité directeur, etc. Il s’en
était tenu deux (en avril 1950 et septembre 1952), entre la création du parti
et son entrée en clandestinité, en 1955.
À la veille des émeutes de mai 1955 qui embrasaient les principales villes
du sud du pays, une note administrative résumait ainsi l’implantation de l’upc :

C’est essentiellement à Douala et en Sanaga-Maritime que le parti compte actuellement


ses positions les plus fortes. Il touche également de nombreux éléments de la population
dans le Mungo, dans le pays Bamiléké, dans le Nyong et Sanaga [Yaoundé et les contrées
environnantes]. Il s’efforce enfin de pénétrer dans les régions du Sud (Ntem, Dja et Lobo)
et du Nord Cameroun9.

Un tel tableau était réducteur, même si les régions citées étaient bien celles
où la popularité de l’upc était plus évidente. Du reste, à la même période,
un rapport confidentiel du directeur de la Sécurité du territoire, adressée au
haut-commissaire et au ministre de la France d’Outre-Mer, créditait le parti
d’une présence dans 16 des 19 régions que comptait le territoire10 ; l’upc
elle-même revendiquait 17 régions couvertes en mars 1955 (Um Nyobè
1984 : 290-305). Il y avait d’abord celles où la base populaire de l’upc était
la plus impressionnante et que l’administration coloniale considérait comme
« les deux régions pourries et sacrifiées, le Wouri et la Sanaga-Maritime »11.
La région du Wouri était constituée de la ville de Douala et de sa banlieue.

9. « Note sur le développement de l’action extrémiste au Cameroun », p. 3, in 1AffPol/3335,


« Incidents Cameroun. Organisation UPC. Mai 55 - Prodromes ».
10. « Synthèse sur l’implantation de l’UPC au Cameroun », p. 12, in Archives Nationales
d’Outre-Mer (ANOM), 1AffPol/3335, « Incidents Cameroun. Organisation UPC. Mai
55 - Prodromes ».
11. « Note sur l’organisation cellulaire à New-Bell », p. 6, 1AffPol/3335, « Incidents Cameroun.
Organisation UPC. Mai 55 - Prodromes ».
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 251

Elle comptait 113 comités de base et 13 comités centraux (Mbembe 1996 :


225-232)12. La direction de la Sécurité du territoire estimait le nombre
« d’adhérents actifs » (participant régulièrement aux activités militantes) de
Douala à 1 200 personnes environ. Juste à côté, dans la région de la Sanaga-
Maritime, le maillage était encore plus serré. La région avait été très tôt exposée
au prosélytisme upéciste, du fait notamment de l’action des responsables du
parti qui en étaient originaires et qui y menaient des campagnes de sensi-
bilisation intense et soutenue, à l’exemple de Ruben Um Nyobè lui-même.
L’action de la Solidarité Babimbi (solibabi), une association d’entraide et
de solidarité créée dans la subdivision de Babimbi et qui était vite devenue
un soutien actif de l’upc, avait également été décisive, au nord-ouest de la
région (ibid. : 238-252). La Sanaga-Maritime comptait environ 180 comités
de base et 22 comités centraux. Le nombre de « militants actifs » y était estimé
à 2 500 personnes.
La région du Mungo abritait le siège d’une des rares sections régio-
nales existantes, et probablement la plus ancienne : la section régionale de
Nkongsamba. Elle couvrait la région administrative du Mungo (qui comptait
8 comités centraux et 56 comités de base), mais aussi la région bamiléké
(3 comités centraux et 112 comités de base), la région Bamoun (2 comités de
base), la région du Mbam (6 comités de base et 1 comité central), ainsi que
les comités de base situés au Cameroun sous tutelle britannique (Southern
Cameroons) dont les plus dynamiques étaient ceux de Kumba et de Boube-
Bakossi. L’implantation de l’upc au Cameroun britannique n’était entreprise
qu’en 1954, suite à des désaccords politiques avec le Kamerun National
Congress (knc), né de la fusion du Kamerun United National Congress
(kunc) — sur lequel l’upc s’appuyait jusque-là au Southern Cameroons —
et de la Cameroons National Federation (cnf), en 1953 (upc 1952 : 1, 4 ;
Johnson 1970 : 120-128 ; Bayart 1979 : 109-116 ; Um Nyobè 1988 : 83).
Kamen Sakéo était le président de la section de Nkongsamba et Abel Kingue
en était le secrétaire général. Le nombre de ses « militants actifs » était estimé
à 1 200 dans le Mungo, 1 500 dans la région bamiléké, 300 dans le Mbam,
300 dans le Southern Cameroons et 30 dans la région Bamoun.
Dans le Nyong-et-Sanaga, le premier comité de l’upc était constitué le
22 mai 1949 dans la ville de Yaoundé, capitale du territoire13. Mais la pénétra-
tion de cette région était beaucoup plus lente que celle de Douala, du Mungo
12. Le rapport du directeur de la Sécurité du territoire, déjà cité, parle quant à lui d’environ
28 comités de base et de cinq comités centraux. Mais ces données, étonnamment basses,
contrastent avec la description que les autorités coloniales faisaient elles-mêmes de Douala
comme bastion, totalement acquis à l’UPC.
13. « UPC. Rapport au Comité de Coordination du RDA », in 1AC 19 (10), « Activités de
l’UPC, 1950-1954 ».
252 YVES MINTOOGUE

ou de la Sanaga-Maritime (Joseph 1986 : 148-152). C’est en 1953 que l’upc


accentua ses efforts de pénétration ici. L’année suivante, elle accroissait son
assise populaire dans des subdivisions rurales telles qu’Okola et Saa où de
nombreux comités de base étaient en création. Le nombre d’organes de base
augmenta considérablement, voire doubla dans la région en une année14.
Au début du second semestre 1954, par exemple, le comité central de Yaoundé
recevait 1 200 cartes de membres à placer ; deux mois plus tard, il n’en restait
que 300. Parmi les cartes prises par des adhérents, environ 500 l’étaient dans
la seule ville de Yaoundé15 dont le nombre de comités de base passa à 17 en
1955 (Ralite 2013 : 105). À Mbalmayo, la présence de l’upc datait de 1951 et
était principalement l’œuvre d’Abessolo Nkoudou, revenu de Douala où il avait
été le premier directeur-gérant de La Voix du Cameroun, le principal journal de
l’upc. Son exclusion du parti, prononcée en avril 1951 pour malversations finan-
cières, ne l’avait pas empêché de mener une intense campagne d’implantation
à Mbalmayo d’où il était originaire. En 1953, Mbalmayo comptait un comité
central et ses comités de base rassemblaient plus de 500 adhérents et avaient
« prise sur la presque totalité de la population urbaine, étrangère et autochtone,
de la subdivision »16. En 1954, le comité directeur entreprit de reprendre le
contrôle de ces organes et d’en confier la direction à des militants fidèles à
la discipline du parti. Ce processus se poursuivait en 1955, en dépit de la
résistance d’Abessolo Nkoudou. En somme, trois comités centraux étaient
actifs dans la région du Nyong-et-Sanaga (Yaoundé, Ebougssi et Mbalmayo),
regroupant au moins 27 comités de base. Le nombre de militants actifs était
estimé à un millier environ, pour l’ensemble de la région.
Plus au Sud, la région du Ntem comptait un comité central. Il regroupait
six comités de base mis en place à Ebolowa et le long des routes principales
de cette région enclavée. Le nombre de « militants actifs » y était estimé à
300 personnes environ par les sources administratives. Sur la côte, au sud-ouest
du territoire, la région de Kribi comptait elle aussi un comité central à Bisoki.
Une dizaine de comités de base étaient actifs à Kribi, Bipindi, Mémel i et ii,
Moungue, Gouap, Nkolo, Aloaboga, Awonde et Mélondo, animés par environ
150 militants actifs. Dans le Dja-et-Lobo, environ 200 militants actifs animaient

14. Voir la lettre de Um Nyobè à Jean Gwodog, Douala, 3 juin 1954, in 1AffPol/3335,
« Incidents Cameroun. Organisation UPC. Mai 55 - Prodromes ». « A/s d’une conférence
organisée par Um Nyobè Ruben à Yaoundé », note du 28 août 1954, in 1AC 19 (10),
« Activités de l’UPC, 1950-1954 ».
15. « A/s des activités de l’UPC à Yaoundé » note du 27 août 1954, in 1AC 19 (10), « Activités
de l’UPC, 1950-1954 ».
16. Voir « Note relative à l’infrastructure et à l’activité de l’UPC dans la subdivision de
Mbalmayo » in 1AffPol/3335, « Incidents Cameroun. Organisation UPC. Mai 55
- Prodromes ».
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 253

5 à 10 comités de base à Nloup, Akon, Djoum, Otetek, etc. À l’est du territoire,


l’upc prenait pied dans la région du Lom-et-Kadeï, grâce notamment à l’action
d’Ernest Ouandié, vice-président du parti et instituteur, qui avait été affecté à
Batouri en 1954. L’année suivante, les sources administratives y signalaient
l’existence d’au moins trois comités de base à Batouri, Bertoua et Mindourou.
Au nord du pays, existait une section régionale très étendue géographi-
quement, mais comptant relativement peu de comités. D’après les données
des renseignements généraux, elle regroupait une dizaine de comités de base
répartis sur quatre des cinq régions administratives du Nord-Cameroun. Il y
avait les comités de Ngaoundéré et Meiganga dans l’Adamaoua, de Garoua,
Poli et Guider dans la Bénoué, de Maroua, Kaélé, Zina et Yagoua dans le
Diamare et ceux de Mokolo et Mora dans le Margui Wandala. À ces quatre
régions, l’upc elle-même ajoutait celle du Logone-et-Chari, assurant ainsi
couvrir les cinq régions du Nord (Um Nyobè 1984 : 301). Félix Moumié,
président de l’upc et médecin en poste à Maroua, avait dirigé la section du
Nord jusqu’à sa mutation à Douala en janvier 1955. L’administration estimait
le nombre de ses « militants actifs » dans le Nord à 300 personnes. Mais le
nombre d’adhérents était sans doute bien plus élevé ; le comité de base de
Ngaoundéré, à lui tout seul, avait par exemple enregistré l’adhésion d’au moins
150 personnes au premier trimestre 1955 (Allioum & Koufan Menkene 2006).
Hors des frontières camerounaises, un comité de base de l’upc existait à
Fort Lamy au Tchad, depuis la fin d’année 1954 mais, surtout, le comité de
Paris, mis en place au premier trimestre 1954, était constitué essentiellement
d’étudiants camerounais en France. Jean Gwodog en était le permanent17.
On retrouvait dans l’upc des personnes appartenant à tous les groupes
sociaux et pratiquement à tous les corps de métiers, avec des variations
notables concernant leur importance numérique selon les régions. Dans les
zones rurales, les paysans des deux sexes étaient majoritaires ; quelques chefs
et notables continuaient aussi de militer ouvertement, en dépit des brimades
et de la répression de l’administration. En ville, on retrouvait dans les rangs
du parti des market-boys, des manœuvres, des transporteurs, des employés de
chemins de fer, des commerçants, des instituteurs, des femmes au foyer, des
fonctionnaires de divers services, des employés des maisons de commerce
ou encore de nombreux sans emplois (Mbembe 1996 : 233).
Les régions de la Boumba-Ngoko et du Haut Nyong, au sud-est du pays,
étaient donc les seules dans lesquelles l’upc n’était pas encore présente en
1955. Né en avril 1948, le mouvement revendiquait 7 000 adhérents dès la fin

17. « Synthèse sur l’implantation de l’UPC au Cameroun », p. 57, in Archives Nationales


d’Outre-Mer (ANOM), 1AffPol/3335, « Incidents Cameroun. Organisation UPC. Mai
55 - Prodromes ».
254 YVES MINTOOGUE

de l’année suivante. Au premier trimestre 1950, 7 000 cartes supplémentaires


étaient placées. À l’occasion du premier congrès du parti, en avril 1950 à
Dschang, Um Nyobè (1989 : 51, 73) annonçait la présence de l’upc dans sept
régions du pays. En décembre 1951, l’upc revendiquait 20 000 adhérents dans
huit des dix-sept régions que comptait alors le territoire. En septembre 1952,
elle atteignait 30 000 adhérents. Mais si le nombre d’adhérents continuait
d’augmenter, sa base géographique ne s’élargit pas entre 1950 et 1953, restant
circonscrite dans les sept ou huit régions investies depuis 195118. C’est à
partir de la fin d’année 1953 et début 1954 que l’upc entreprit la pénétration
des régions restées jusque-là hors de son atteinte : neuf régions supplémen-
taires étaient ainsi touchées. En mars 1955, l’administration estimait que
l’upc comptait au total environ 20 000 membres possédant une carte dont
10 000 militants actifs, et 80 000 sympathisants potentiellement mobilisables.
« Les chiffres de ces effectifs, s’ils ne paraissent pas considérables par eux-
mêmes, reprennent toute leur valeur si on les compare aux chiffres correspon-
dants que peuvent avancer les autres partis politiques existants au Cameroun »,
commentait une note administrative secrète19. Les mêmes sources estimaient le
nombre total des comités de base de l’upc à 450 et une quarantaine de comités
centraux, toujours en 1955. Sa popularité et son implantation étaient certes
très variables d’une région à l’autre, comme l’indique le panorama qu’on vient
de dresser ; mais la rapidité de son expansion et le dynamisme de ses organes
de base étaient devenus la principale source d’anxiété de l’administration
française qui, dans ses discours officiels, continuait à nier la popularité et la
primauté du parti nationaliste. À la même période, l’upc elle-même, par la
voix de Ruben Um Nyobè (1984 : 301-302), faisait le point sur la situation :

Tandis qu’au 1er janvier 1954 huit régions seulement sur les dix-neuf que compte le
Cameroun étaient organisées, aujourd’hui il ne reste que deux régions dans l’Est où le
mouvement n’a pas encore d’organisation de base et il est possible que quelque chose ait
déjà été fait au moment où j’écris. Le Nord Cameroun qui, jusqu’en 1953, était considéré
comme une chasse gardée du colonialisme, se trouve être, depuis avril 1954, l’un des
secteurs les plus actifs de l’UPC. Au cours de 1954, plus de 70 000 cartes ont été placées,
des centaines de comités de base et des dizaines de comités centraux organisés. Six locaux
à l’usage exclusif du mouvement ont été construits par les militants et à leurs frais.

Si l’on ajoute aux 70 000 adhérents revendiqués par Um Nyobè les sym-
pathisants que l’administration évaluait à 80 000, on pourrait estimer que
18. Deux régions supplémentaires étaient créées dans le même intervalle, portant leur total
à dix-neuf.
19. « Note sur le développement de l’action extrémiste au Cameroun », p. 2, 1AffPol/3335,
« Incidents Cameroun. Organisation UPC. Mai 55 - Prodromes » , p. 2.
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 255

150 000 à 200 000 personnes étaient plus ou moins acquises à l’upc en 1955 ;
à un moment où le corps électoral comptait environ 747 000 électeurs (Terretta
2014 : 98). En somme, les efforts de l’upc pour toucher toutes les régions du
pays et toutes les couches de la population ont donc été opérants, même si
les résultats étaient encore très variables et nuancés au moment où le mouve-
ment fut interdit. Son succès grandissant était d’ailleurs secrètement reconnu
par l’administration dont les rapports inquiets indiquent qu’elle craignait la
formation d’une grande alliance des cadets sociaux qui, sous la bannière de
l’upc, se serait opposée à l’alliance hégémonique des élites indigènes qu’elle
mettait en place et à laquelle la France a finalement confié la gestion de l’État,
à l’indépendance (Bayart 1979).

Les variations régionales du discours nationaliste

Le succès populaire de l’upc était donc très variable, d’une région à l’autre,
comme on vient de l’indiquer ; ceci du fait de l’influence des trajectoires histo-
riques propres aux différents terroirs politiques qui constituaient le Cameroun.
L’influence des imaginaires liés à ces trajectoires historiques dans la logique
et les pratiques politiques des acteurs « upécistes » a déjà fait l’objet d’études
remarquables, comme indiqué en introduction (Mbembe 1985, 1991, 1996 ;
Malaquais 2002 ; Terretta 2005, 2014). Mais ce dont la recherche n’a pas expli-
citement fait état jusqu’à présent, c’est la manière dont les énoncés majeurs
du discours nationaliste (unification, indépendance et non-intégration dans
l’Union française) ont eux-mêmes connu des variations notables chez les
acteurs subalternes, sous l’influence de cette multiplicité des configurations
locales. Or, la profondeur historique des terroirs et la vitalité des espaces
régionaux étaient telles qu’ils ne pouvaient être des réceptacles passifs du
discours nationaliste. Se dessine également une corrélation entre le niveau
d’enracinement des enjeux politiques territoriaux dans le local et l’engagement
des populations. Pour illustrer ces variations régionales et montrer comment
elles contribuent à l’intelligibilité de l’implantation inégale de l’upc, l’on
s’appuie sur les exemples du Mungo et du Nord-Cameroun. Le choix de ces
deux régions tient, pour une grande part, à leurs nombreux contrastes. L’identité
sociale et politique du Mungo était directement liée à sa position géographique,
à l’intérieur de l’espace économique baptisé le « croissant fertile » (Joseph
1986 : 119-122)20. C’est dans cet espace équatorial, christianisé dès la première

20. « Le croissant fertile » formait un demi-cercle d’un rayon de 300 à 350 kilomètres autour
de Douala. C’est aussi de là que provenait l’essentiel de la main d’œuvre que l’exploitation
coloniale voulait corvéable à souhait ou, du moins, peu coûteuse.
256 YVES MINTOOGUE

moitié du xixe siècle, que l’on trouvait des taux de scolarisation relativement
élevés et c’est surtout de là que provenait l’essentiel des produits de rente du
territoire. Le Nord-Cameroun, quant à lui, appartenait à l’aire saharienne,
moins rentable économiquement, islamisée et très peu scolarisée. Les sources
primaires exploitées sont de deux ordres : d’une part, des correspondances,
communiqués, motions et tracts produits par les militants locaux de l’upc eux-
mêmes et, d’autre part, les rapports, correspondances et notes de renseignement
de l’administration coloniale. La partie sur le Nord s’appuie surtout sur un
matériau inédit, à savoir des tracts initialement rédigés en langues vernaculaires
(fulfulde et haoussa) par un militant de Ngaoundéré.
Le programme de l’upc comprenait deux volets : « les revendications
particulières intéressant toutes les catégories de la population d’une part et la
[…] question de [la] marche vers l’indépendance d’autre part » (Um Nyobè
1989 : 71). On ne s’attardera guère ici sur le discours officiel produit sur ces
deux questions par le bureau du comité directeur et ses principaux dirigeants.
Il s’agit plutôt d’aborder la question « par le bas », en nous intéressant à la
manière dont ce discours se traduisait dans les idiomes locaux, en lien avec les
contextes socio-historiques propres aux différents terroirs du pays. Évoquant
le mode d’action de l’upc, la direction de la Sécurité du territoire écrivait :

Elle est mise en œuvre par les meetings […] les réunions publiques et privées, les cercles
et comités d’études, mais aussi par la diffusion de tracts au niveau très inégal, les uns étant
rédigés à Douala dans le style révolutionnaire le plus orthodoxe, les autres provenant des
comités de brousse, soucieux avant tout d’exprimer leurs rancœurs et les mécontentements
surgis à la suite de petites affaires très localisées21.

Ce que les autorités françaises relevaient ici, dans un jargon bien à elles,
semble bien signaler l’existence d’une autonomie relative des discours poli-
tiques produits à l’échelle locale par les acteurs populaires, par rapport à
ceux de la direction du parti. Il s’agissait d’une caractéristique majeure de
l’action de l’upc qui n’était pas due au hasard. Les militants du parti étaient
encouragés dans leurs revendications à « faire apparaitre l’incidence néfaste
du régime colonial sur la vie des populations et montrer les avantages de la
libération de l’oppression par les exemples concrets » (upc 1990 : 17-20).
Une telle disposition ouvrait déjà la voie à d’importantes variations et nuances
régionales dans l’énonciation des aspirations des militants. Voyons comment
cela se traduisait concrètement, sur le terrain.

21. « Synthèse sur l’implantation de l’UPC au Cameroun », note annexe, p. 1, in Archives


Nationales d’Outre-Mer (ANOM), 1AffPol/3335, « Incidents Cameroun. Organisation
UPC. Mai 55 - Prodromes ». C’est nous qui soulignons.
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 257

La quête d’une émancipation économique dans le Mungo

La région du Mungo était située au nord de celle de Douala et était limi-


trophe du Southern Cameroons, sous administration britannique. Du fait de
la richesse de ses sols volcaniques, le Mungo était devenu l’une des plus
importantes zones de production agricole du territoire et un haut lieu de
colonisation agraire. Les terres, déclarées « vacantes et sans maître » par
le pouvoir colonial, avaient été cédées à des colons européens depuis les
années 1920. En 1935, les superficies accordées en concessions étaient de
19 567 241 hectares. Les colons s’investissaient surtout dans la culture du
palmier, café et de la banane (Mbembe 1996 : 60-66). La colonisation agraire
du Mungo engendrait plusieurs problèmes. D’abord, les plantations des colons
nécessitaient une main d’œuvre abondante qui provenait majoritairement
de la région bamiléké, avec les conséquences démographiques et sociales
qui s’ensuivaient. « Vu les effets négatifs de salaires insuffisants et des très
mauvaises conditions de travail sous l’indigénat, les administrateurs et les
chefs locaux levaient simplement des équipes de travail qu’ils dirigeaient sur
les plantations. Ainsi, en 1935, sur un nombre d’ouvriers agricoles estimé
à 21 000 pour le Cameroun, il y en avait 10 000 dans la seule région du
Mungo » (Joseph 1986 : 139). Mais il n’y avait pas que les bas salaires et le
travail forcé ; la culture du café dont le pays exportait 4 251 tonnes était aussi
restée quasiment interdite aux Africains jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre
mondiale. Par la suite, la concurrence devint rude entre planteurs camerounais
et colons européens, mais ces derniers pouvaient compter sur un système
de quotas discriminatoires à l’exportation pour éliminer la concurrence des
Africains. En 1946, les planteurs camerounais n’avaient droit qu’à 15 % des
parts d’exportation, à 21,25 % en 1949, et à 27,5 % en 1950, ceci malgré
l’augmentation constante de la production indigène (ibid. : 138).
Les tensions entre colons blancs, d’une part, et agriculteurs et commerçants
camerounais, d’autre part, étaient vives. Les mesures des autorités locales
visaient généralement à protéger les intérêts du colonat. Pour les paysans, les
ouvriers agricoles et les commerçants indigènes, l’upc apparaissait d’abord
comme un mouvement qui s’investissait dans la défense de leurs intérêts
face au colonat et aux abus de l’administration. Les effectifs du parti étaient
donc considérables ici, comme on l’a déjà montré. Planteurs et commerçants
étaient d’ailleurs majoritaires dans le bureau du comité régional. Kamen Sakéo,
son président, était lui-même commerçant et planteur à Loum. Né en 1918 à
Bangangté, dans la région bamiléké22, à partir de laquelle il avait émigré dans
22. « Réunion de l’UPC, le 4.09.1952 à Nkongsamba » 1AC 19 (11), « Activités des chefs
upécistes (Kingue Abel à Nkongsamba). 1952 ».
258 YVES MINTOOGUE

le Mungo pour des raisons économiques, comme c’était le cas de la majorité


des populations bamiléké installées ici ; Elie Tchuente, le secrétaire permanent,
était planteur à Nkongsamba, de même que Mathias Kangue, le trésorier. Quant
à Abel Kingue, le secrétaire général du comité régional, il était aussi l’un des
deux vice-présidents de l’upc. Né à Fokwe, près de Dschang (région bamiléké),
en 1924, il avait fait des études primaires à Dschang, avant d’entrer à l’école
des infirmiers d’Ayos, non loin de Yaoundé ; métier qu’il semble n’avoir jamais
exercé (Bakang ba Tonje 2006 : 81-82). En 1947, il était employé dans un grand
commerce à Douala et avait adhéré à l’uscc, avant de rejoindre l’upc en 1948.
C’étaient donc les discriminations, brimades et vexations subies par
les planteurs et les petits commerçants qui rythmaient l’activité de l’upc
dans le Mungo. Ainsi, par exemple, le 27 mars 1951, le comité régional
de l’upc adressait une lettre de protestation au commissaire de police de
la ville de Mbanga pour dénoncer les brimades que subissait le nommé
Maurice Santchigang, boulanger à Mbanga, ancien combattant et militant
local de l’upc. M. Santchigang était arrêté le 18 mars 1951 par une douzaine
de gardes de la police coloniale, « tel un criminel »23, sans avoir préalable-
ment reçu de convocation et sans mandat d’arrêt. Détenu pendant trois jours
avant d’être présenté devant le juge de paix de Nkongsamba, il ne fut relâché
qu’après avoir été condamné à payer une amande de 5 000 francs. Santchigang
était accusé d’avoir offert 400 francs aux gardes qui l’avaient arrêté, pour les
corrompre. Le comité local de l’upc ne démentait pas ce fait en lui-même,
mais s’étonnait de la volonté soudaine des autorités de combattre la corrup-
tion et d’assainir les rapports entre les populations indigènes et les agents
de l’État. Ainsi rappelait-il que « si Santchigang avait donné 400 francs aux
gardes camerounais, il n’était pas le premier à le faire. Est-ce que les gardes
avaient refusé de les prendre ? », demandait le comité de l’upc dans sa lettre.
En outre, les militants indignés affirmaient que si les gardes avaient porté
l’affaire à la connaissance du commissaire, c’était uniquement parce qu’en
voyant Santchigang porter « ce petit don dans son cahier de pertes et profits »,
ils avaient craint qu’une dénonciation de l’upc puisse s’ensuivre.
La lettre du comité régional de l’upc allait encore plus loin, en soutenant que
le motif invoqué pour condamner ce boulanger n’était, en réalité, qu’un prétexte :
« le vrai motif de l’arrestation de Santchigang est qu’il fabrique les pains (sic) et
vous l’opprimez pour qu’il cesse cette fabrication, afin que Doumbe Ebénézer,
citoyen français, soit le seul fabricant du lieu », écrivait-il24. Après avoir rappelé

23. Lettre « à Monsieur le Commissaire de Police de Mbanga (27 mars 1951) », in ANY, APA
12 403, sous-chemise 2 : Mungo. Sauf indication contraire, l’essentiel des citations et des
faits rapportés ci-dessous sont tirés du même document.
24. Ibid.
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 259

au commissaire qu’une « telle politique qui consiste purement la discrimination


sociale (sic) est contraire à la disposition des accords de Tutelle, aux recom-
mandations de l’onu et c’est une violation flagrante de la Constitution de la
4e République », la correspondance s’achevait en exigeant du commissaire « la
restitution de farine [qu’il détenait] depuis deux mois »25.
L’affaire Santchigang n’était pas un cas isolé. La majorité des griefs formu-
lés contre l’administration, dans le Mungo, était liée aux rivalités économiques
et commerciales qui prévalaient dans la région et traduisaient la volonté des
petits entrepreneurs locaux de s’appuyer sur l’upc pour faire face aux mesures
administratives et autres brimades visant à favoriser les colons blancs, ainsi
qu’au racket de la police coloniale26. À leurs yeux, l’arbitraire colonial par-
ticipait d’abord d’une logique de répression économique dont le but était de
garantir un monopole outrancier aux commerçants et aux agriculteurs français.
Les motivations qui conduisaient un bon nombre de personnes à s’engager
dans l’upc relevaient donc souvent d’une rationalité de type syndical. Causes
politiques et intérêts corporatistes semblaient s’enchevêtrer, l’upc jouant pour
eux une fonction syndicale de défense de leurs droits et intérêts, hypothéqués
par la collusion entre l’administration et le colonat.
En octobre 1951, c’est contre la situation à la prison de Nkongsamba
que s’insurgeait le comité de l’upc : « régime alimentaire et pourboire […]
chicottage (sic) des prisonniers »27. S’ensuivait une liste des noms des gar-
diens de prison auteurs de ces pratiques repréhensibles, de leurs victimes ainsi
que les sommes d’argent extorquées. La même motion s’attaquait ensuite à
« l’attitude regrettable des agents de Douane qui circulent en compagnie des
agents forestiers dans les marchés périodiques, dans les trains en région du
Mungo, violent les domiciles des habitants sous prétexte qu’ils cherchent la
monnaie et marchandises d’origine étrangère, alors que les maisons des trusts
colonialistes en sont bourrées ». Ce qui était pointé ici c’était le fait que les
délits qu’on prétendait réprimer chez les Africains étaient pourtant des pratiques
courantes chez les colons et les Européens en général ; une situation qui, du
point de vue des militants de l’upc, était bien connue des autorités coloniales
mais sur laquelle elles fermaient complaisamment les yeux. En août 1952,
une pétition de l’upc dénonçait les « ravages des bœufs des colons Chollier
et Couhert aux cultures des villageois »28 de Mouanguol.

25. Ibid.
26. APA 12 403 APA 12 403, sous-chemises 2 et 3 : Mungo ; voir aussi 1AC 19 (11), « Activités
des chefs upécistes (Kingue Abel à Nkongsamba). 1952 ».
27. « Motion » du 25 octobre 1951, CR de l’UPC du Mungo, APA 12 403.
28. « Le Chef de la Région du Mungo à M. le Haut-Commissaire », ANY, 1 AC 19 (11),
« Activités des chefs upécistes (Kingue Abel à Nkongsamba). 1952 ».
260 YVES MINTOOGUE

Le ton et les formulations adoptés variaient en fonction des objectifs


ponctuels poursuivis : tantôt très virulent, tantôt plus conciliant. C’est ainsi,
par exemple, que le comité régional du Mungo produisit simultanément, le
mardi 7 février 1951, un communiqué public et une correspondance adressée
à R. Sassard, commissaire de police de Nkongsamba. Les deux documents
exprimaient une « protestation très indignée et attristée contre les provoca-
tions policières et autres agents de sûreté au marché de Nkongsamba »29.
Cette prise de position était directement motivée par des incidents survenus
le dimanche précédent sur la place du marché de Nkongsamba où les nommés
Yacob Goumawa, militant actif de l’upc, et François Mbi, tous deux des
markat-boys30, avaient été copieusement molestés par un agent de police, sans
motif valable. La correspondance adressée au commissaire rappelait que de
tels faits s’étaient déjà produits quelques mois auparavant, lorsque des agents
de police avaient infligé le même traitement à Mouaffo Yacob qui s’en était
tiré avec des blessures et « avait dû garder le lit d’hôpital pour longtemps ».
Cette même année, Kom André, Takou Victor et quelques autres militants
de l’upc avaient subi un sort similaire. La lettre indiquait que Mouaffo avait
été victime de ces brutalités alors qu’il se rendait à une assemblée de l’upc.
Elle établissait également un lien entre la fréquence de ces brutalités et le fait
que la majorité des victimes, telles que Kom André, Takou Victor et beau-
coup d’autres, étaient des militants de l’upc. Le lundi 6 février encore (soit
la veille), Kamdoum Joseph, autre markat-boy, avait été conduit de force au
commissariat de police par un agent, simplement parce qu’il « aurait refusé
de céder sa tine de maïs sans condition ». Tine de maïs que M. Sassard, le
commissaire de police lui-même, s’était par la suite offert à 150 Francs alors
qu’elle était vendue à 275 Francs.
Pour étayer le fait qu’il s’agissait, à leurs yeux, d’une répression écono-
mique mais aussi politique, les militants évoquaient des menaces répétées
de certains agents de police qui auraient déclaré à des petits commerçants
d’obédience « upciste » qu’ils se verraient refuser la patente commerciale
pour l’année en cours. De tels agissements, poursuivait la lettre, montraient
la « discrimination » dont les Africains étaient victimes dans la délivrance
des patentes « en raison de leur appartenance politique ». Le communiqué
public, lui, s’achevait en disant la confiance des militants à l’égard du comité
directeur de l’upc « qui est l’avant-garde de la lutte contre les abus afin que
le respect des droits de l’homme devient (sic) une réalité au Cameroun ».

29. Cf. « Motion » et la lettre « à M. l’Administrateur des Colonies Chef de la Région du


Mungo », in ANY, APA 12 403. Toutes les données qui suivent proviennent de l’un ou
l’autre de ces deux documents.
30. Petits commerçants, souvent ambulants.
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 261

Les deux documents s’achevaient par une liste des services administratifs et
organismes auxquels des ampliations avaient été adressées : chef de région
du Mungo, direction de la Sureté, comité directeur de l’upc, onu, etc. La fer-
meté de la lettre adressée au commissaire Sassard reflète le ton qui était
généralement celui des correspondances de l’upc, à peu près partout sur
le territoire. Mais la conjoncture régionale et la structure des opportuni-
tés économiques conduisaient parfois les comités du Mungo à se faire plus
conciliants. Les énoncés les plus étonnants dans ce registre se retrouvaient
dans certaines correspondances adressées aux autorités régionales ou natio-
nales et qui tenaient, au sujet de l’Union française, un discours ambigu qui
semblait en contradiction avec la position officielle de l’upc, farouchement
opposée à l’intégration du Cameroun dans cet ensemble (Um Nyobè 1984 :
150-154). Ainsi, le 5 avril 1951, une « motion de protestation » adressée au
haut-commissaire de la France au Cameroun et réclamant la restitution de
la licence commerciale d’un restaurateur, militant de l’upc, abusivement
détenue par le chef de région, déclarait que : « le Bureau du Comité Régional
du Mungo en se prononçant solennellement pour une vraie union française
qui respecte les accords de Tutelle fait confiance au Gouvernement Français
du Cameroun pour l’étude de la détention de la licence de Kamsi David. »
Cette motion souffle le chaud et le froid, oscillant en permanence entre la
protestation véhémente et un ton plus conciliant et proche de la doléance qui
tranchait avec la virulence des écrits des comités d’autres régions telles que
le Wouri ou la Sanaga-Maritime.
En somme, les interventions publiques des militants et des organes locaux
de l’upc dans le Mungo étaient marquées par les tensions qui caractérisaient
la situation économique de la région et les conflits sociopolitiques locaux qui
la structuraient. Pour une part, l’engagement des militants trouvait ses ressorts
dans une stratégie d’accroissement des opportunités économiques ou de pré-
munition contre l’arbitraire. Leurs protestations publiques exerçaient certes
une forte pression sur l’administration mais elles étaient souvent ambivalentes,
faisant miroiter des concessions ou une inflexion politique impossibles dans
les faits, d’abord parce qu’elles étaient du ressort de la direction du parti
mais aussi du fait de la ligne nationaliste et anticolonialiste radicale de l’upc.
Des attitudes dont on peut penser qu’elles relevaient de la ruse et visaient
surtout à préserver des acquis souvent précaires ou à obtenir des avancées
dans la rivalité économique qui les opposait aux colons de la région.
262 YVES MINTOOGUE

Politique vernaculaire au Nord-Cameroun :


Allah et la lutte de libération nationale

Si au sud du pays, la popularité et l’influence de l’upc étaient devenues incon-


testables au milieu des années 1950, la situation était assez différente dans
le Nord. Ici, le pouvoir colonial conservait l’essentiel de son autorité, du fait
notamment de la cooptation des lamibé31 (les sultans à la tête des lamidats,
royaumes théocratiques peuls de cette région), qui exerçaient un pouvoir
temporel et spirituel incontesté sur tous leurs sujets. Le « Nord-Cameroun »
s’étale en longueur de la lisière de la zone forestière, au sud du plateau de
l’Adamaoua, jusqu’au lac Tchad. Avant la conquête allemande, la trajectoire
historique de ces vastes territoires de savanes et de steppes était différente
de celle du Sud. Depuis le début du xixe siècle, toute cette région était pas-
sée sous domination politique et culturelle des Peuls musulmans, suite à la
révolte du réformateur religieux Uthman dan Fodio contre le roi de la Cité-
État haoussa de Gobir, dans le nord du Nigeria actuel. Dan Fodio, s’étant
proclamé « Commandeur des Croyants », lança un appel au djihad en 1804
(Njeuma 1978). Les quelques lamidats (chefferies) situés entre le lac Tchad
et le Fombina (« le Sud », en fulfuldé) se rallièrent à lui et Modibo Adama,
un lettré musulman du pays, fut désigné pour conduire la « guerre sainte »
dans le Fombina qui deviendra le « pays d’Adama » : Adamawa.
Si elle ne parvenait pas à islamiser toutes les populations du Nord, la guerre
conduite dans le Fombina y modifia complètement les équilibres politique,
économique et culturel. Elle y imposa partout l’hégémonie culturelle peule.
Des dizaines de nouveaux lamidats se constituèrent et firent tous allégeance
au Califat de Sokoto (au nord du Nigeria actuel) à la tête duquel s’était installé
Uthman dan Fodio, faisant de sa capitale le nouveau centre religieux, politique
et intellectuel auquel se référaient les États musulmans de l’Adamawa. « Ainsi
prenait forme un nouvel espace mental, tourné vers l’Ouest, d’où il tirait une
grande partie de sa légitimité, unifié par l’Islam, ses calendriers, ses noms,
ses modes vestimentaires, son système légal, ses motifs architecturaux, et
intégré, bien que périphériquement, au système commercial transsaharien »
(Mbembe 1996 : 45). L’élevage et l’accumulation du bétail étaient les activités
économiques dominantes dans toute cette aire géographique qui participait
aussi, plus ou moins, au commerce transsaharien d’ivoire, d’or et d’esclaves.
La colonisation ne bouleversa guère cette configuration sociale et poli-
tique. Après la conquête et l’occupation coloniale, l’administration allemande
31. Les chefferies traditionnelles peules et musulmanes du Nord-Cameroun sont appelées des
lamidats (« lamidat » signifie « chefferie », en langue fulfuldé). Le chef traditionnel d’un
lamidat est appelé le lamido (lamibé, au pluriel).
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 263

d’abord, puis les autorités françaises ensuite, ne mirent pas fin à la domination
peule. L’administration française se contenta de destituer les lamibé plus ou
moins indociles pour introniser des princes plus conciliants. Mais les lamidats
furent maintenus ainsi que tout leur système de domination et de vassalité, bien
que les populations non islamisées, dites « kirdi » étaient les plus nombreuses
— 750 000 personnes, alors que les populations peules ne comptaient que
395 000 personnes. Pour l’essentiel, le pouvoir despotique des lamibé fut
maintenu, voire étendu, puisque de nouveaux groupements kirdi leur furent
annexés ici ou là ; ce qui créait régulièrement de fortes tensions sociales et
politiques. De fait, ils étaient devenus « le bras décentralisé de l’État colonial »
(Mamdani 2004 : 77) dans le Nord, exerçant sur leurs sujets une contrainte
quasi illimitée, pour leur propre compte ou pour collecter l’impôt et fournir
de la main d’œuvre pour les travaux forcés32. Par ailleurs, l’École était une
institution très rare ici et peu de gens pratiquaient le français (Mveng 1985 :
137). La majorité des agents de l’administration n’était donc pas en mesure
de communiquer avec la population. Cette situation particulière contribuait
d’ailleurs à retarder la pénétration de l’upc dans le Nord.
Il existait cinq régions administratives dans le Nord au milieu des années
1950 : l’Adamaoua, la Bénoué, le Margui Wandala, le Diamaré et le Logone-
Et-Chari. On a vu que l’implantation de l’upc avait notamment été impulsée
par Félix Moumié, Président de l’upc qui avait longtemps dirigé la section
upc du Nord. Travaillant comme « médecin africain », il avait été affecté à
Mora (Margui Wandala) en 1951, puis à Maroua, dans la région du Diamaré
(Moumié 2006 : 57-70). Les militants les plus actifs étaient en majorité des
fonctionnaires originaires du Sud, affectés dans le Nord. En fin d’année 1954,
les efforts de pénétration de l’upc dans cette région étaient compromis par
l’affectation de ses principaux cadres locaux dans le Sud. Outre Félix Moumié,
on peut citer Jean Paul Sende et Tubbe Akwa, ainsi que des leaders régionaux
tels que Martin Singap à Garoua, François Nyanda à Ngaoundéré et Atidepe
Mensah à Meiganga, Albert Ndoumy à Mokolo, Tang Tang à Zina, Elie Ngui
à Kaele, Mayema à Guider ou encore le médecin Gilbert Eyoum qui venait
d’être muté à Mora.
Le nombre de militants originaires du Nord était certes en forte progression
depuis 1954, mais toucher massivement les populations autochtones restait
néanmoins le grand défi auquel l’upc était confronté. Des efforts importants
étaient faits dans ce sens, mais les résultats restaient relativement médiocres
dans un contexte où l’essentiel des libertés individuelles était confisqué par des
lamibé omnipotents dont les intérêts restaient liés à ceux de l’administration
32. M. Mamdani décrit cette mise de l’autorité indigène au service du pouvoir colonial comme
un « despotisme décentralisé ».
264 YVES MINTOOGUE

française. C’est notamment en essayant de dépasser le problème de la barrière


linguistique et en mettant en cause la légitimité de la figure du lamido, accusé
de graves compromissions, que les militants musulmans du Nord allaient, quant
à eux, entreprendre de populariser les causes de l’unification et de l’indépen-
dance. L’upc était bien consciente des conflits politiques et culturels dont la
question linguistique était porteuse et voulait que les langues vernaculaires
soient « reconnues comme langues officielles et enseignées dans les écoles »33.
Elle eut très tôt recours aux langues locales dans ses campagnes politiques pour
toucher les groupes subalternes. Des meetings et des conférences se tenaient
souvent dans les principales langues vernaculaires du pays. C’était notam-
ment le cas pour ceux animés par Ruben Um Nyobè qui parlait couramment
plusieurs langues du sud du pays. En outre, la rédaction et la traduction des
textes politiques en langues vernaculaires devenaient courantes au sein de
l’upc. Depuis le début des années 1950, des tracts étaient souvent rédigés en
bassa, en ewondo, en bamun ou en pidgin34. « La version duala du texte intitulé
“Conditions historiques du mouvement de libération dans les pays coloniaux”
[…] fut achevée [en 1954]. […] tandis que, dans le Nord, Selbe Haman et Adji
Bakari publiaient en fulfuldé » (Mbembe 1996 : 285).
Ce sont justement des textes publiés par Selbe Haman (ou Amaselbe
Hamma)35 à qui il est fait référence ci-dessus, que nous nous proposons, à
présent, d’étudier brièvement. Il s’agit précisément de deux tracts, sans date
ni titre, jamais mentionnés auparavant dans les rares études qui se sont inté-
ressées à l’activité de l’upc au Nord-Cameroun. Ils portent bien la signature
de leur auteur ainsi que les lieux de leur publication : Ngaoundéré pour l’un,
Douala pour l’autre. Bien qu’initialement rédigés en alphabet arabe mais
en langues fufuldé (peule) et en haoussa pour le tract de Ngaoundéré, et en
fulfuldé seulement pour celui de Douala, seule la traduction française de ces
deux tracts, que nous avons retrouvée dans un volumineux dossier36, était
disponible aux archives d’Outre-Mer d’Aix. Les deux textes, très similaires
33. Voir « Note de synthèse sur le mouvement Union des Populations du Cameroun (UPC) »,
p. 4, in 1AC 306 (1), « UPC. 1948-1955 ».
34. Par exemple, des tracts de l’UPC en bassa furent distribués à Edéa en juin 1953.
Voir « Bulletin quotidien de renseignement » du 17 juin 1953, in 1AC 168 (4) : « Sanaga-
Maritime, politique. 1953-1954 ». Voir aussi le texte en pidgin : (anonyme), « Wi Don
Hie Se », in La Vérité (journal de la Jeunesse démocratique du Cameroun - JDC), n° 4,
mars 1955, p. 6.
35. Cette orthographe étant plus courante dans les documents que nous avons consultés, c’est
pour elle que nous opterons dans la suite de cette étude.
36. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), 1AffPol/3335, « Incidents Cameroun.
Organisation UPC. Mai 55 - Prodromes ». Comme cela était de coutume à l’UPC, le
texte émis depuis Douala (si ce n’est les deux) fut sans doute imprimé et ronéotypé sur
place, avant d’être acheminé dans le Nord.
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 265

par leur contenu, ont sans doute été écrits entre le second semestre 1954 et
mai 1955, lorsque l’activité de l’upc dans le Nord commençait à atteindre les
populations autochtones. Leur traduction française — qui tient en une page
pour le tract de Ngaoundéré, et en trois pages pour celui de Douala —, a été
réalisée pour le compte de l’administration coloniale, sans doute par l’un de
ses agents indigènes. Les deux textes s’adressent explicitement tantôt aux
populations musulmanes du Nord, tantôt à leurs autorités indigènes (lamibé,
chefs et autres notables) et traitent tous deux, avec des arguments similaires,
de la nécessité de s’émanciper de la domination coloniale et de l’intérêt de
rejoindre l’upc dans la lutte pour l’unification et l’indépendance du Cameroun.
Amaselbe Hamma était lui-même un Peul musulman de la région de
Ngaoundéré et un militant de l’upc, bien connu dans tout le Nord. Fils du chef
de village de Koum-Kilba, près de Ngaoundéré, il fréquenta très tôt l’école
coranique. Ce n’est qu’à l’âge adulte qu’il aurait appris à lire le français, grâce
à ses camarades de l’upc37. Si les circonstances concrètes de son adhésion
à l’upc restent mal connues, on sait néanmoins qu’il fut l’un des premiers
militants du parti dans le Nord et qu’il fut président du comité de base de
Ngaoundéré. Son activisme lui valut d’être plusieurs fois arrêté et emprisonné,
notamment par le lamido de Ngaoundéré (Awal 1998)38.
Le grand intérêt de ces textes réside dans la manière cohérente dont ils
articulent et réinsèrent la lutte d’indépendance de l’upc dans l’historicité
propre du Nord-Cameroun et dans les temporalités vernaculaires du politique.
Les populations du Nord, de part et d’autre de la frontière, y sont décrites
comme subissant l’« esclavage » et la « domination » des Français et des
Britanniques. Ces derniers sont comparés à Nemrod et au roi Nabonassar de
Babylone (tract de Douala), ou encore à Mouroudou et Boudou, respectivement
fils de Kanaan et de Nazareth (tract de Ngaoundéré)39, qui avaient étendu
leurs pouvoirs « du lever du soleil à son couchant » mais avaient bien fini par
disparaître ; et « c’est ainsi que les Français disparaîtront à leur tour ». Les deux
textes fustigent ensuite l’attitude des alliés locaux des puissances coloniales :
les « Lamibé qui commandent la terre, ont des vues étroites et ne voient pas plus
loin qu’eux-mêmes ». En désignant les Lamibé comme ceux qui « commandent
la terre », Amaselbe Hamma les oppose implicitement à Celui qui commande
l’univers (Allah) et dont ils se seraient détournés en apportant leur caution
à la domination coloniale. Ils auraient donc trahi leur mission de protection

37. I. Allioum et J. Koufan menkene (2006) se méprennent lorsqu’ils le décrivent comme


un analphabète.
38. L’essentiel des données biographiques sur Hamaselbe provient de cette source.
39. Par commodité, nous désignerons « texte 1 » celui rédigé à Ngaoundéré, et « texte 2 »
celui de Douala.
266 YVES MINTOOGUE

du peuple qui impliquait de « chasser la tutelle des Anglais et des Français ».


Le discrédit de l’occupation française est accentué par le fait que celle-ci ne
s’est pas accompagnée d’une amélioration significative des conditions de vie
des populations ni d’un réel progrès socioéconomique. Une situation illustrée
dans les deux textes par une métaphore éloquente : « Depuis 41 ans, ils ne nous
ont même pas appris à fabriquer une allumette, afin de demeurer les maîtres. »
Or donc, la lutte de libération, approuvée par Allah mais trahie par les
dépositaires locaux du pouvoir temporel et spirituel, est désormais portée
par l’upc qui est l’instrument au travers duquel « Allah nous aide à chasser
la tutelle des Anglais et des Français ». Dans ce conflit, un troisième acteur
est présenté, dans les deux textes, comme l’instance internationale fiable à
laquelle l’upc a recours : il s’agit de l’onu, « une société de tous les pays
[qui] s’occupe de cette affaire ». Le texte 1 procède ensuite à une brève
analyse des rapports de force au sein de l’onu, en rapport avec les enjeux
liés à la situation du Cameroun et du Nord, spécifiquement : « Il faut savoir
qu’à l’onu il y a des Musulmans comme des Européens. 62 nations sont
avec l’upc. N’ayez donc pas peur de prendre la carte de l’upc et n’ayez pas
peur des Français. » C’est encore sous le prisme d’un rapport vernaculaire
au politique (Bertrand 2008) que les deux tracts font référence à la mission
de visite de l’onu, attendue au Cameroun en 1955 et qui devait notamment
s’enquérir de la position des populations au sujet de l’unification des Northern
et Southern Cameroons, sous tutelle britannique, et du Cameroun sous tutelle
française : « 7 personnes de races différentes vont venir nous demander si
nous voulons qu’on supprime la Douane [entre le Northern Cameroons et le
Nord-Cameroun] ou qu’on laisse cette Douane qui nous paralyse. Si nous le
voulons elle sera supprimée et c’est cette affaire qui ennuie les Anglais et les
Français. » Après avoir ainsi expliqué aux « populations du Nord […] que
le seul qui nous défende, c’est celui qui plaide notre cause à l’onu sans rien
nous demander en échange », Amaselbe Hamma achève son plaidoyer en
appelant le « peuple des croyants » (texte 2), les « musulmans de Ngaoundéré,
de Garoua, de Maroua, de Meiganga, de Tibati et de Fort-Foureau » (texte 1)
à se libérer de la peur qui aurait déjà changé de camp, car « les Français ont
très peur parce que l’upc va nous délivrer de cet esclavage ».
Le bannissement précoce de l’upc, intervenu le 13 juillet 1955, est venu
interrompre ce prosélytisme politique, empêchant ainsi de pouvoir mesurer
les effets que le discours de militants locaux tels qu’Amaselbe Hamma aurait
pu avoir sur les populations musulmanes du Nord-Cameroun. Mais ces textes
constituent un exemple saisissant de la manière dont la revendication d’indé-
pendance pouvait être réinterprétée à l’aune des historicités indigènes et des
conflits sociopolitiques locaux. L’on a vu, cependant, que le comité de base upc
DISCOURS NATIONALISTE AU CAMEROUN (1948-1955) 267

de Ngaoundéré, dirigé justement par Amaselbe, a enregistré l’adhésion de plus


de 150 Peuls musulmans entre janvier et mars 1955. L’activisme d’Amaselbe
n’y était sans doute pas étranger, alors que ces populations étaient jugées trop
inféodées à leurs souverains que critiquait violemment le leader nationaliste
musulman de Ngaoundéré. Du reste, le chef de subdivision administrative de
Ngaoundéré faisait état, à la même période, d’un infléchissement de l’action
du Lamido de la ville qu’il expliquait par la pression désormais exercée par
l’upc : « Il est possible que l’aventure upéciste du début 1955 ait amené un
certain revirement chez Mohammadou Abbo — lamido de Ngaoundéré — et
que la propagande virulente menée contre l’organisation du lamido lui ait
fait prendre conscience de la nécessité de faire des réformes » (Allioum &
Koufan Menkene 2006 : 211-212). La nouvelle vague contestataire conduite
par Amaselbe Hamma semblait donc déjà porter quelques fruits.

Bien que d’intensité très inégale, l’implantation et la popularité de l’upc au


moment de son interdiction administrative, en juillet 1955, étaient donc plus
étendues qu’on ne l’a souvent dit. L’upc était parvenue à rallier à sa cause
divers groupes sociaux subalternes, avec leurs aspirations propres et, souvent,
leurs idiomes particuliers. La déclinaison de la revendication d’indépendance
à travers les différentes régions du pays était tout aussi variable, du fait de sa
réappropriation par les acteurs subalternes et de son ancrage dans les conflits et
les luttes d’intérêts au niveau local. Tous les partisans de l’indépendance n’en
avaient donc pas une représentation unique. L’approche adoptée dans cette
étude a aussi permis de prêter attention à quelques figures spécifiques de la
subalternité, durant le moment colonial, et aux formes concrètes d’oppression
dont elles aspiraient à se libérer, en s’appuyant sur l’upc. Ainsi, la lutte
d’indépendance donnait lieu à une production vernaculaire du politique, au
point de rencontre de plusieurs régimes d’historicités, ainsi qu’à une rela-
tive autonomie des discours et des modes d’actions politiques des acteurs
subalternes, vis-à-vis de ceux de la direction du parti. C’est cette capacité
à vernaculariser le politique et à ancrer la question nationale dans les luttes
quotidiennes pour l’amélioration des conditions de vie qui explique, pour
une part du moins, que l’upc ait marqué d’une façon si profonde et durable
l’imagination culturelle et politique des Camerounais.es, notamment celles
et ceux appartenant aux groupes sociaux subalternes.

Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP),


Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris.
268 YVES MINTOOGUE

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270 YVES MINTOOGUE

Résumé

Après avoir dressé un tableau de l’implantation, d’intensité très inégale, de l’UPC, l’Union
des populations du Cameroun (le mouvement nationaliste camerounais), à la veille de
son interdiction administrative en 1955, ce texte étudie les déclinaisons régionales du
discours nationaliste durant les années de décolonisation du Cameroun. L’étude montre
que ces variations s’expliquent par la manière dont les différents groupes subalternes qui
avaient rejoint l’UPC se réappropriaient la revendication d’indépendance et l’articulait à
l’historicité propre de leurs terroirs respectifs, ainsi qu’aux conflits et les luttes d’intérêts
au niveau local. Il en ressort que les forces anticoloniales rassemblées au sein de l’UPC
ne constituaient pas un bloc homogène ou monolithique ; elles étaient composées de
groupes sociaux différents, avec leurs aspirations et leurs idiomes propres.

Mots-clés : Nord-Cameroun, Mungo, UPC, décolonisation, historicité du politique, nationalisme,


politique vernaculaire, subalternité.

AbstRAct

Geographies of Insubordination and Regional Variations of the Nationalist Discourse


in Cameroon. — After drawing up a panorama of the establishment, of very unequal
intensity, of the UPC, l’Union des populations du Cameroun (the Cameroonian nationalist
movement), on the eve of its administrative ban in 1955, this text studies the regional
variations of nationalist discourse during the years of decolonization in Cameroon.
It shows that these variations are explained by the way the various subaltern groups
which had joined the UPC reappropriated the claim of independence and articulated
it with the proper historicity of their respective terroirs, as well as with conflicts and
local interest struggles. Consequently, the anti-colonial forces gathered within the UPC
did not constitute a homogeneous or monolithic block; they were made up of different
social groups, with their own aspirations and idioms.

Keywords: North-Cameroun, Mungo, UPC, decolonization, historicity of politics, nationalism,


subalternity, vernacular politics.

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