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Le Forgeron Analyse Générale

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Le Forgeron

Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant Tes officiers dorés, tes mille chenapans,
D’ivresse et de grandeur, le front large , riant Tes palsembleu5 bâtards tournant comme des paons :
Comme un clairon d’airain, avec toute sa bouche, Ils ont rempli ton nid de l’odeur de nos filles
Et prenant ce gros-là dans son regard farouche, Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles
Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour Et nous dirions : C’est bien : les pauvres à genoux !
Que le Peuple était là, se tordant tout autour, Nous dorerions ton Louvre en donnant nos gros sous !
Et sur les lambris d’or traînait sa veste sale. Et tu te soûlerais6, tu ferais belle fête.
Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle – Et ces Messieurs riraient, les reins sur notre tête !
Pâle comme un vaincu1 qu’on prend pour le gibet, « Non. Ces saletés-là datent de nos papas !
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait Oh ! Le Peuple n’est plus une putain. Trois pas
Car ce maraud de forge aux énormes épaules Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière
Lui disait de vieux mots et des choses si drôles, Cette bête7 suait du sang à chaque pierre
Que cela l’empoignait au front, comme cela ! Et c’était dégoûtant, la Bastille debout
« Donc, Sire, tu sais bien , nous chantions tralala Avec ses murs lépreux qui nous rappelaient tout
Et nous piquions les bœufs vers les sillons des autres : Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre !
Le Chanoine au soleil disait ses patenôtres – Citoyen ! citoyen ! c’était le passé sombre
Sur des chapelets clairs grenés de pièces d’or Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour !
Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor Nous avions quelque chose au cœur comme l’amour.
Et l’un avec la hart, l’autre avec la cravache Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines.
Nous fouaillaient – Hébétés comme des yeux de Et, comme des chevaux, en soufflant des narines
vache2, Nous marchions, nous chantions, et ça nous battait
Nos yeux ne pleuraient pas ; nous allions, nous allions, là….
Et quand nous avions mis le pays en sillons3, Nous allions au soleil, front haut,-comme cela -,
Quand nous avions laissé dans cette terre noire Dans Paris accourant devant nos vestes sales.
Un peu de notre chair… nous avions un pourboire Enfin ! Nous nous sentions Hommes ! Nous étions
Nous venions voir flamber nos taudis dans la nuit pâles8,
Nos enfants y faisaient un gâteau4 fort bien cuit. Sire, nous étions soûls de terribles espoirs :
« Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises, Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,
C’est entre nous. J’admets que tu me contredises. Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,
Or, n’est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin Les piques à la main ; nous n’eûmes pas de haine,
Dans les granges entrer des voitures de foin – Nous nous sentions si forts, nous voulions être
Énormes ? De sentir l’odeur de ce qui pousse, doux9 !
Des vergers quand il pleut un peu, de l’herbe rousse ?
De voir les champs de blé, les épis pleins de grain,
De penser que cela prépare bien du pain ?… « Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous !
Oui, l’on pourrait, plus fort , au fourneau qui s’allume, Le flot des ouvriers a monté dans la rue,
Chanter joyeusement en martelant l’enclume, Et ces maudits s’en vont, foule toujours accrue
Si l’on était certain qu’on pourrait prendre un peu, Comme des revenants, aux portes des richards.
Étant homme, à la fin !, de ce que donne Dieu ! Moi, je cours avec eux assommer les mouchards :
– Mais voilà, c’est toujours la même vieille histoire ! Et je vais dans Paris le marteau sur l’épaule,
« Oh je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire, Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle,
Quand j’ai deux bonnes mains, mon front et mon Et, si tu me riais au nez, je te tuerais !
marteau – Puis, tu dois y compter, tu te feras des frais
Qu’un homme vienne là, dague sous le manteau, Avec tes avocats , qui prennent nos requêtes
Et me dise : « Maraud , ensemence ma terre ! » Pour se les renvoyer comme sur des raquettes
Que l’on arrive encor, quand ce serait la guerre, Et, tout bas, les malins ! Nous traitant de gros sots !
Me prendre mon garçon comme cela, chez moi ! Pour mitonner des lois, ranger des petits pots
– Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi, Pleins de menus décrets , de méchantes droguailles
Tu me dirais : Je veux !.. – Tu vois bien, c’est stupide. S’amuser à couper proprement quelques tailles,
Tu crois que j’aime à voir ta baraque splendide, Puis se boucher le nez quand nous passons près

1 6
Rappel de Napoléon III dans Rages de Césars alcoolisme normalement associé aux ouvriers : inversion
2 7
La caricature, même des pauvres, empêche le Animalisa on puis personnifica on de la Bas lle
8
misérabilisme, le pathos Dans ce vers et le suivant on remarque un déplacement
3
Référence à La Marseillaise des mo fs associés à Napoléon III dans Rages de Césars
4
Humour noir : à défaut de pain, leurs enfants sont des (pâle et saoul) : le peuple devient souverain
9
gâteaux Idem : doux comme un papa dans la Victoire de Sarrebruck
5
Pâle sang bleu : la noblesse se confond avec la
bourgeoisie, dont le sang bleu « pâlit » + expression
« palsambleu » associée à la noblesse
d’eux, Poursuivant les grands buts, cherchant les grandes
– Ces chers avocassiers qui nous trouvent crasseux ! causes,
Pour débiter là-bas des milliers de sornettes ! Et montera sur Tout, comme sur un cheval !
Et ne rien redouter sinon les baïonnettes, Oh ! nous sommes contents, nous aurons bien du mal,
Nous en avons assez, de tous ces cerveaux plats ! Tout ce qu’on ne sait pas, c’est peut-être terrible :
Ils embêtent le peuple . Ah ! ce sont là les plats Nous prendrons nos marteaux, nous passerons au
Que tu nous sers, bourgeois10, quand nous sommes crible
féroces, Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant !
Quand nous cassons déjà les sceptres et les Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant15
crosses !.. » De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
Puis il le prend au bras, arrache le velours De mauvais, travaillant sous l’auguste sourire16
Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours D’une femme qu’on aime avec un noble amour :
Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule, Et l’on travaillerait fièrement tout le jour,
La foule11 épouvantable avec des bruits de houle, Écoutant le devoir comme un clairon qui sonne :
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer, Et l’on se trouverait fort heureux ; et personne
Avec ses bâtons forts et ses piques de fer, Oh ! personne, surtout, ne vous ferait plier !…
Ses clameurs , ses grands cris de halles et de bouges, On aurait un fusil au-dessus du foyer….
Tas sombre de haillons taché de bonnets rouges ! …………………………………………….
L’Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout « Oh ! mais l’air est tout plein d’une odeur de bataille
Au Roi pâle12, suant qui chancelle debout, Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille ! »
Malade à regarder cela ! (Fin de la version courte)
« C’est la Crapule,
Sire. ça bave aux murs, ça roule , ça pullule …
– Puisqu’ils ne mangent pas, Sire, ce sont les gueux ! Oh ! mais l’air est tout plein d’une odeur de bataille !
Je suis un forgeron : ma femme est avec eux, Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille !
Folle ! Elle vient chercher du pain aux Tuileries13 ! Il reste des mouchards et des accapareurs.
– On ne veut pas de nous dans les boulangeries. Nous sommes libres, nous ! Nous avons des terreurs
J’ai trois petits. Je suis crapule14. – Je connais Où nous nous sentons grands, oh ! si grands ! Tout à
Des vieilles qui s’en vont pleurant sous leurs bonnets l’heure
Parce qu’on leur a pris leur garçon ou leur fille : Je parlais de devoir calme, d’une demeure…
C’est la crapule. – Un homme était à la bastille, Regarde donc le ciel ! C’est trop petit pour nous,
D’autres étaient forçats, c’étaient des citoyens Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux !
Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens : Regarde donc le ciel ! Je rentre dans la foule,
On les insulte ! Alors, ils ont là quelque chose Dans la grande canaille effroyable, qui roule,
Qui leur fait mal, allez ! C’est terrible, et c’est cause Sire, tes vieux canons sur les sales pavés :
Que se sentant brisés, que, se sentant damnés, Oh ! quand nous serons morts, nous les aurons lavés
Ils viennent maintenant hurler sous votre nez ! Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,
Crapule. – Là-dedans sont des filles, infâmes Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France
Parce que, – vous saviez que c’est faible, les femmes, Poussent leurs régiments en habits de gala,
Messeigneurs de la cour, – que sa veut toujours bien,- Eh bien, n’est-ce pas, vous tous? Merde à ces chiens-
Vous avez sali leur âme, comme rien ! là !
Vos belles, aujourd’hui, sont là. C’est la crapule. Il reprit son marteau sur l’épaule. La foule
Près de cet homme-là se sentait l’âme saoule,
Et, dans la grande cour, dans les appartements,
« Oh ! tous les Malheureux, tous ceux dont le dos Où Paris haletait avec des hurlements,
brûle Un frisson secoua l’immense populace.
Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont, Alors, de sa main large et superbe de crasse,
Et dans ce travail-là sentent crever leur front Bien que le roi ventru17 suât, le Forgeron,
Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là, sont les Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front !
Hommes !
Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous
sommes
Pour les grands temps nouveaux où l’on voudra
savoir,
Où l’Homme forgera du matin jusqu’au soir,
Où, lentement vainqueur, il chassera la chose

10 14
Apostrophe étrange : Louis XVI n’est pas bourgeois mais Référence à un événement raconté par Delahaye à
noble : on peut comprendre Louis Philippe (règne de 1830 à Rimbaud : il avait vu un ouvrier saoul répéter « je suis
1848), dit « le roi bourgeois » crapule » dans un lieu public
11 15
La foule comme une mer : symbole républicain (cf Hugo, Référence à Verlaine ? (je fais souvent ce rêve étrange et
Flaubert), qui sera repris dans « Les Poètes de sept ans ». pénétrant – Mon rêve familier)
12 16
Il faut voir Napoléon III (cf « l’homme pâle » dans Rages Auguste = nom du premier Empereur romain, on observe
de Césars) donc un déplacement du sacré du monarque vers le peuple
13 17
Référence à Marie Antoine e À nouveau Napoléon III mais possiblement aussi Louis
Philippe, autrement dit tous les monarques

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