Article Ergonomie - Pr. FIKRI

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Perspectives interdisciplinaires sur le travail

et la santé
20-1 | 2018
Nécessités et limites de l’interdisciplinaire pour
étudier le travail et la santé

Peut-on élaborer une approche ergonomique du


« temps long » ?
Une étude des douleurs articulaires liées au travail, dans une grande
entreprise
Can We Develop a Long-Term Ergonomics Approach? A Study of Work-Related
Joint Pain in a Large Company
¿Podemos desarrollar un enfoque ergonómico del "largo plazo"? Un estudio de
dolores articulares relacionados con el trabajo en una gran empresa

Willy Buchmann, Céline Mardon, Serge Volkoff et Corinne Archambault

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/pistes/5565
DOI : 10.4000/pistes.5565
ISSN : 1481-9384

Éditeur
Les Amis de PISTES

Référence électronique
Willy Buchmann, Céline Mardon, Serge Volkoff et Corinne Archambault, « Peut-on élaborer une
approche ergonomique du « temps long » ? », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé [En
ligne], 20-1 | 2018, mis en ligne le 01 janvier 2018, consulté le 09 octobre 2020. URL : http://
journals.openedition.org/pistes/5565 ; DOI : https://doi.org/10.4000/pistes.5565

Ce document a été généré automatiquement le 9 octobre 2020.

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Peut-on élaborer une approche ergonomique du « temps long » ? 1

Peut-on élaborer une approche


ergonomique du « temps long » ?
Une étude des douleurs articulaires liées au travail, dans une grande
entreprise
Can We Develop a Long-Term Ergonomics Approach? A Study of Work-Related
Joint Pain in a Large Company
¿Podemos desarrollar un enfoque ergonómico del "largo plazo"? Un estudio de
dolores articulares relacionados con el trabajo en una gran empresa

Willy Buchmann, Céline Mardon, Serge Volkoff et Corinne Archambault

1 Nous proposons dans cet article une réflexion sur l’intégration des dimensions de long
terme en santé au travail dans une démarche ergonomique, en articulation avec les
analyses d’activité que celle-ci privilégie, a priori centrées sur l’observation immédiate.
Nous avons élaboré une méthodologie en ce sens à l’occasion d’une recherche portant
sur la genèse et les régulations des douleurs articulaires liées au travail au sein d’une
grande entreprise du secteur aéronautique. En l’occurrence, nous avons articulé
l’approche ergonomique, centrale dans cette recherche, et les apports de la médecine
du travail d’une part, et de l’analyse démographique d’autre part. C’est cette
articulation, à notre sens, qui a permis d’adopter, dans cette recherche, une perspective
de long terme qui n’est pas usuelle en ergonomie. Cette recherche nous servira de fil-
guide.
2 Pour préciser notre propos, nous pouvons nous référer à l’abondante littérature
consacrée aux liens entre certains phénomènes d’intensification du travail et la
survenue de problèmes de santé (Cole et Wells, 2002 ; Vezina et coll., 2003 ; Volkoff et
coll., 2010). Au-delà de ces constats essentiels et bien établis, il semble utile de s’écarter
d’une vision causale directe entre exposition à certains facteurs de risques et
émergence de problèmes de santé : même au sein de l’épidémiologie où prédomine
cette manière d’articuler travail et santé, non sans critiques ni tensions comme le
souligne bien l’article de C.O. Betansedi dans ce numéro, les relations entre le travail et
la santé apparaissent complexes, enchevêtrées, et inscrites dans des dynamiques

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Peut-on élaborer une approche ergonomique du « temps long » ? 2

temporelles à long terme. Dans une perspective de prévention, voire de construction de


la santé au travail,
« le nécessaire élargissement de l’empan temporel pour démêler l’écheveau des
relations entre la santé et le travail conduit à convoquer différentes approches
disciplinaires » (Molinié et Pueyo, 2012, p. 238).
3 Dans cette perspective, notre article commencera par présenter des éléments de
contexte scientifique et social qui suggèrent d’appréhender des processus à long terme
pour étudier les relations entre travail et santé. Puis il insistera sur les méthodes et leur
complémentarité recherchée : exploitation d’un observatoire statistique longitudinal
des conditions de travail et de la santé ; analyses de l’activité de travail ; entretiens
rétrospectifs avec des compagnons1 ; monographies de réaffectations pour raison de
santé, etc. Les principaux résultats seront indiqués à cette occasion, sans en faire une
présentation détaillée qui dépasserait le cadre d’un tel article. Ceux-ci relèvent de trois
grands types de processus que nous avons désignés respectivement comme
« régulation », « usure » et « sélection ».
4 Au-delà de cette recherche sur les troubles musculo-squelettiques (TMS), et en nous
appuyant sur les avancées qu’elle a permises, mais aussi sur les difficultés qu’il a fallu
surmonter, nous interrogerons les possibilités pour l’ergonomie de développer des
moyens d’analyse qui dépassent le cadre temporel de l’observation instantanée, sans
bien sûr renoncer à celle-ci, mais en lui assignant une nouvelle place dans un modèle
plus large de compréhension des relations entre santé et travail.

1. L’ergonomie, enfermée dans le temps court ?


5 Les multiples facettes de l’activité de travail, ses variations incessantes, ses
composantes invisibles (coups d’œil, attention prêtée à des sons – ou à leur absence – et
surtout processus de raisonnement et de décision) ne la rendent pas aisément
accessible à qui souhaite la comprendre. Si la mission des ergonomes est (a minima) de
comprendre le travail pour le transformer, l’ergonomie tend à centrer ses analyses sur
l’observation immédiate. C’est d’ailleurs pour Laville (1998) ce qui fait sa force, mais
aussi sa faiblesse : à la manière d’un microscope, les analyses révèlent des éléments du
travail très fins ou précis ; en revanche il est difficile par le seul usage des observations
d’accéder aux dynamiques temporelles des changements du et dans le travail.
Toutefois, l’ergonomie peut aussi se réclamer de modèles de la santé qui adoptent une
perspective diachronique, c’est-à-dire une approche qui articule des catégories du
temps, en tentant de prendre en compte des temporalités multiples (des individus, des
collectifs, des organisations) et leur enchevêtrement, des expositions et des effets
différés, et plus généralement des processus à long terme.
6 Cette approche se justifie particulièrement s’agissant de problèmes de santé comme les
TMS, dont on parlera ici. C’est d’autant plus nécessaire, mais aussi davantage faisable,
s’agissant d’une entreprise de grande taille à « marché interne », avec l’enjeu de
parcours professionnels et l’évolution des équilibres démographiques.

1.1 Quel modèle de la santé au travail en ergonomie ?

7 La prise en compte des temps longs en ergonomie ne peut être déconnectée des
modèles de la santé (et de la santé au travail) sur lesquels la discipline s’appuie. Il nous

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semble utile de proposer d’abord quelques jalons majeurs sur les points de vue de
l’ergonomie vis-à-vis de la santé.
8 L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit en 1946 la santé comme
« un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas
seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité ».
9 Selon l’approche de nos travaux, cette définition de l’OMS a la qualité d’appréhender
l’être humain dans la globalité de ses différentes dimensions (biologiques, psychiques,
cognitives, sociales) mais demeure réductrice. Beaucoup d’ergonomes, et de
psychologues du travail, considèrent que la santé n’est pas un état binaire (être – ou pas
– en santé) ; la santé parfaite n’existe pas. Il y a bien un équilibre dynamique à prendre
en compte, tout au long de la vie (Rabardel et coll., 1998). De plus, cet équilibre
dynamique n’est pas totalement inné ou extrinsèque : il se construit. Il y a bien donc
l’idée que la santé est étroitement liée avec les moyens dont on dispose pour tracer un
chemin personnel et original vers un état de bien-être physique, psychique, moral
(Dejours, 1995). Cette question des « moyens » développée par Dejours semble
complémentaire à l’approche philosophique proposée par Canguilhem (2002) pour qui
la santé est
« une assurance vécue au double sens d’assurance contre le risque et d’audace pour
le courir » (p. 61).
10 Mais comment le travail intervient-il dans cette dynamique ? Dans une approche
développementale de l’ergonomie (Falzon, 2013), une des assurances possibles est le fait
d’être compétent, au sens que de Montmollin (1993) donne à ce terme :
« La santé cognitive, c’est être compétent, c’est-à-dire disposer de compétences qui
permettent d’être embauché, de réussir, de progresser. L’ignorance, les
connaissances approchées ou en mosaïque, peuvent conduire à une misère
cognitive, source éventuellement de misère sociale » (p. 39).
11 On retrouve donc bien, à travers ces apports, une autorisation à proposer un modèle de
la santé au travail comme processuel et constructif avec en son centre un travailleur
actif dans sa situation. On retrouve dans la littérature scientifique d’autres travaux en
ergonomie qui prennent la dimension diachronique en compte, avec par exemple des
éléments sous-jacents dans les recherches sur la conception d’un travail soutenable
tout au long de la vie (Volkoff et Gaudart, 2015), ou la construction des gestuelles de
métier avec l’expérience (Chassaing, 2010). Le caractère novateur de notre recherche,
du moins l’envisageons‑nous ainsi, réside dans le fait que l’ensemble de notre démarche
a été construit autour de cette dimension diachronique, ce qui a impliqué une réflexion
méthodologique (problématique, recueil et analyse des données) pour tenter de capter
les effets du travail et de la santé passés.
12 Cette approche des temps longs s’appuie aussi sur les résultats des recherches sur le
vieillissement au travail. Dès l’introduction d’un récent ouvrage qui synthétise les
recherches du réseau CREAPT2, Molinié et coll. (2012) argumentent l’idée selon laquelle
le vieillissement ne renvoie pas aux caractéristiques de la population au-delà d’un
certain seuil d’âge. Il est plutôt considéré comme un processus, intégrant des
dimensions d’involution et de construction, et se déroulant tout au long de la vie. Cette
approche du vieillissement au travail était exprimée de longue date, puisque la notion
de vieillissement pris comme un processus apparaît dans les travaux des ergonomes dès
1975, puis se développe dans les années 80 sur la prise en compte de la diversité de la
population dans le travail. Toutefois, à l’époque, elle

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« s’est élaborée en se focalisant sur les enjeux du moment, c’est-à-dire une forte
représentation des âges médians. Le contexte actuel permet de repenser cet enjeu
de la diversité sous l’angle du côtoiement des générations au travail. […] La mise en
lien de l’âge, de la santé et du travail implique des outils méthodologiques pour
saisir du diachronique le plus en lien possible avec l’activité de travail passée »
(Gaudart et coll., 2006, p. 475).
13 Dans ces recherches, largement centrées sur les relations entre l’âge, le travail et la
santé, la lecture diachronique de ces liens s’impose ainsi d’elle-même. Anne-Françoise
Molinié et Valérie Pueyo (2012, op. cit.) ont schématisé « l’écheveau » ainsi constitué.
Pour caractériser notre approche ici, nous adopterons, dans la figure 1 ci-dessous, une
version allégée de ce schéma – en laissant notamment de côté les préoccupations
spécifiques aux fins de vie active et à la santé post-professionnelle.

Figure 1. Une représentation simplifiée des liens santé/travail au fil du parcours professionnel
(d’après Molinié et Pueyo, 2012, p. 240)

14 Le travail (T) et la santé (S) sont représentés ici comme deux axes sur lesquels l’individu
progresse en parallèle. Les trois flèches qui vont de l’un à l’autre symbolisent
respectivement : les modes de « régulation » individuelle et collective des contraintes
et nuisances, dans l’activité de travail, mis en œuvre dans un but de préservation de soi
et de construction de sa santé ; les formes « d’usure », de santé dégradée, qui peuvent
apparaître quand ces régulations n’ont pu se mettre en œuvre ou n’ont pas suffi ; et les
mécanismes de « sélection » sur lesquels peut déboucher une dégradation de la santé,
due ou non à l’usure, dès lors que les exigences du travail s’avèrent incompatibles avec
des capacités de travail déficientes. Ces trois processus sont ceux que notre
méthodologie visait à éclairer, et sur lesquels porteront les quelques résultats que nous
présenterons dans une dernière partie de l’article, à titre d’exemple.

1.2 Le caractère évolutif des douleurs articulaires, favorable à une


approche diachronique ?

15 Notre référence à un modèle diachronique d’approche des interactions entre la santé et


le travail tout au long de l’itinéraire professionnel trouve des justifications
particulières s’agissant des douleurs articulaires (Vézina, 2010). On peut citer à ce
propos des travaux en épidémiologie, comme ceux synthétisés par Plouvier et coll.
(2010) et Plouvier (2011). L’auteure a souligné que des expositions professionnelles à

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des contraintes biomécaniques telles que porter des charges lourdes, effectuer des
tâches nécessitant de se pencher ou de se tourner sont bien des facteurs de risques
reconnus de lombalgies, et bien documentés ; en revanche, elle constate que les durées
entre le début des expositions professionnelles et l’apparition des effets sur les
lombalgies sont moins, voire très peu, documentées. Sa propre recherche constitue une
contribution en ce sens.
16 La nécessité de prendre en compte les relations santé-travail avec une perspective de
long terme ressort aussi du rapport DGT (Direction générale du travail) relatif à la
prévention durable des TMS (Caroly et coll., 2008). Cette approche semble d’autant plus
indiquée pour la compréhension des TMS lorsqu’on prête attention par exemple aux
résultats des travaux de Silverstein et coll. (2006) ou ceux d’Aptel et Vézina (2008)
relatifs à l’étiologie des TMS ; ces auteurs montrent que les TMS peuvent se caractériser
par la succession de phases de dégradation et d’amélioration, d’épisodes aigus qui
peuvent devenir chroniques par le jeu de processus physiopathologiques inscrits dans
un continuum irrégulier. Celui-ci s’amorce dans le domaine du bien-être physique,
mental et social, et peut évoluer vers la pathologie chronicisée. Mais ce continuum
demeure complexe à identifier ou modéliser, car il n’y a pas de décours univoque d’un
TMS (Aublet-Cuvelier et coll., 2006 ; Cole et coll., 2002 ; Major et Vézina, 2010 ; Major,
2011) : après être apparues sur une articulation, les douleurs articulaires peuvent
s’estomper plus ou moins longtemps, ou se déplacer vers une autre articulation, ou
réapparaître sur l’articulation initialement touchée, etc. Un TMS est donc
multidéterminé et polymorphe quant à la manière dont il va évoluer, ce qui justifie
selon Aptel et Vézina (op. cit.) que malgré les grands progrès faits dans la
compréhension et les actions sur les TMS dans les années 2000, des connaissances font
encore défaut pour représenter les effets du travail sur les capacités fonctionnelles de
l’appareil locomoteur. Il existe donc un réel intérêt scientifique mais aussi social à
développer des méthodologies qui prennent en compte les temps longs pour la
compréhension et l’action sur les TMS (Wells, 2009).

2. Les enjeux du « temps long » dans l’entreprise


concernée
2.1 La construction de parcours professionnels, un enjeu pour cette
entreprise

17 Notre terrain de recherche est un établissement situé en Île-de-France, spécialisé dans


la conception, la fabrication et la réparation de pièces aéronautiques, essentiellement
en matériaux composites.
18 Quelques éléments ont une pertinence dans notre étude, car son passé marque la vie de
l’entreprise au moins de deux manières :
19 - Spatialement : à l’époque construite sur un terrain vague, l’usine est maintenant cernée
par autoroute, voies de chemins de fer et immeubles d’habitation. Elle ne peut plus
s’étendre et la surface au sol manque pour adapter les moyens de travail à la
production actuelle. Les compagnons doivent composer avec l’organisation spatiale des
moyens de travail, tels qu’on a pu les faire tous tenir dans l’atelier, comme avec l’espace
disponible au poste de travail, parfois restreint.

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20 - Dans la culture de l’entreprise : ce passé représente une composante prégnante dans


l’identité du site ; une enquête par questionnaire interne a montré que les salariés sont
fiers de leur histoire, de leur métier, de leur savoir-faire et des produits qu’ils réalisent.
Mais d’un autre côté, nous avons dû faire face à des hiérarchies de production dont le
discours est bien connu des ergonomes dans les situations à haut risque TMS :
« Oui c’est un poste dur, mais ça fait vingt ans que l’on fait comme ça, et on ne peut
pas faire autrement. »
21 Dans la période de notre recherche (2008-2013), la production du site était assurée par
environ 750 salariés, majoritairement en CDI, auxquels on pouvait ajouter les sous-
traitants sur site et les intérimaires, soit environ 200 personnes supplémentaires. Parmi
ces salariés, on comptait environ 450 techniciens d’ateliers et ouvriers, à 98 % de genre
masculin, et d’âge médian voisin de 45 ans. L’effectif global était stable depuis 5 ans. Le
turnover des personnels d’atelier était très faible ; la grande majorité d’entre eux était
présente depuis le début de leur vie professionnelle, à deux ou trois années près. Ce
faible turnover des compagnons accroît la préoccupation des médecins du travail du
groupe en matière de TMS. Ce qu’ils constataient dans leur activité clinique a été
appuyé par des résultats quantitatifs issus d’un observatoire en santé-travail, le
dispositif EVREST (Mardon et coll., 2013 - voir encadré). Dans l’entreprise les
prévalences de problèmes articulaires sont élevées, pratiquement du même ordre qu’au
niveau national, alors que pour tous les autres problèmes de santé la situation dans
cette entreprise semble nettement meilleure. De plus, la population de personnels
d’atelier présente d’une part la prévalence la plus élevée, et d’autre part la plus forte
augmentation avec l’âge.

Encadré 1. L’observatoire EVREST

EVREST (EVolutions et RElations en Santé au Travail) est un observatoire


permanent, outil de veille et de recherche en santé au travail, coconstruit par des
chercheurs et des médecins du travail pour pouvoir analyser et suivre différents
aspects du travail et de la santé des salariés.
D’abord élaboré et utilisé à partir de 2002 dans certains établissements de la
grande entreprise étudiée ici, il a été décliné en 2008 dans une version « inter-
entreprises » utilisée au niveau national, qui s’appuie sur un groupement d’intérêt
scientifique du même nom (voir http://evrest.istnf.fr). Le dispositif vise dès lors à
constituer une base nationale à partir d’un échantillon de salariés vus par les
médecins du travail volontaires pour participer à EVREST, mais aussi à permettre à
chaque médecin participant de produire et d’exploiter ses propres données pour
nourrir les réflexions sur le travail et la santé au niveau d’une collectivité de
travail. Dans l’entreprise étudiée ici, « pilote » de ce point de vue, l’usage d’EVREST
s’est poursuivi et développé.
Le recueil des données s’appuie sur un questionnaire très court, qui tient sur un
recto-verso, balayant différentes dimensions du travail et de la santé, comme les
contraintes de temps, les appréciations sur le travail, les expositions physiques au
poste de travail, les déplacements ou les formations. Un volet sur la santé est
rempli par le médecin ou l’infirmière, abordant les problèmes neuropsychiques,
cardiovasculaires et ostéoarticulaires notamment.

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2.2 Un contexte de recherche favorable : Le diachronique en santé/


travail dans cette entreprise

22 Notre action dans cette entreprise s’inscrit elle aussi dans un temps long, concrétisé
par un partenariat stabilisé avec notre équipe de recherche, partenariat qui a sa propre
histoire. Celle-ci a pour origine la création dans l’entreprise d’un Département
d’ergonomie en 1985 par une femme médecin du travail et ergonome qui en fut
responsable jusqu’en 1988, date à laquelle elle prendra la tête du Département facteurs
humains au sein de la direction générale (Gilles et Volkoff, 2009). À cette période,
s’opèrent de profondes transformations technologiques et organisationnelles, avec une
spécialisation des établissements et une vague massive de départs anticipés des salariés
âgés de 56, voire 55 ans.
23 L’entreprise lance alors une réflexion sur la problématique du vieillissement au travail,
après avoir rencontré des difficultés liées à ces départs anticipés. Ceux-ci avaient révélé
des enjeux liés à des risques de perte de savoir-faire, dans un domaine, rappelons-le, à
haut niveau de technicité où la fiabilité est un impératif (bien évidemment pour des
raisons de sécurité des utilisateurs des aéronefs, mais aussi pour des raisons de coûts
des produits et matériaux utilisés). Le Département d’ergonomie prend alors une place
active dans la construction et la mise en place d’une démarche visant, entre autres, à
fournir à la hiérarchie de production et aux ressources humaines des repères afin de
prendre en compte les savoirs et savoir-faire des compagnons (Doppler, 1995).
24 Ces actions seront aussi l’occasion pour l’ergonomie de sortir les enjeux de santé d’une
vision étroite de la prévention et de les intégrer aux enjeux de la conception du travail.
Elles constitueront un premier arrière-plan implicite dans lequel se situeront, à partir
de 2000, la construction et les résultats de l’outil statistique EVREST auquel nous avons
largement fait appel, notamment pour des raisons que nous expliciterons plus loin dans
cet article.
25 L’investissement de ces questions par le Département d’ergonomie vise donc à ouvrir la
possibilité d’une prise en charge des processus de vieillissement dès la conception. Il
juge important
« de prendre en compte et d’expliciter l’expérience professionnelle passée [des
compagnons], leur savoir-faire. Il faut pouvoir intégrer le passé pour se projeter
dans l’avenir. [...] La dimension historique est une caractéristique essentielle de la
dynamique du fonctionnement humain qui est bien souvent oubliée dans le monde
de l’entreprise. » (Doppler, 1995, p. 422).
26 À cette période, le Département d’ergonomie identifie donc l’intérêt et l’opportunité
d’un partenariat stabilisé avec les chercheurs du CREAPT, qui eux-mêmes développent
des recherches sur ces champs. L’entreprise adhère alors au Gis CREAPT, dont elle est
encore à ce jour membre.

3. Un faisceau méthodologique
27 La démarche mise en œuvre dans cette entreprise a fait appel, à l’instar des démarches
proposées par Mergler (1999) ou par Vézina et coll. (2003), à des outils d’analyse de
formes et niveaux divers, que cette troisième partie vise à énumérer et préciser.

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28 Notre premier parti pris méthodologique repose sur la volonté d’interroger, en accord
avec le modèle que présentait la figure 1 : les stratégies mises en place avec
l’expérience et qui permettent de tenir des enjeux en matière de santé ; les processus
de construction ou d’usure ; ou enfin des éléments de mobilité professionnelle,
indicateurs d’éventuels enjeux de santé. Considérer la dimension diachronique a
notamment conduit à chercher au-delà de ce que l’on peut observer à un moment
donné dans une situation de travail, en construisant une méthodologie qui permette
d’accéder à des éléments ancrés dans des parcours professionnels. Ce choix nous a
naturellement conduit à expérimenter des outils originaux articulant diverses
approches (qualitatives, quantitatives) et divers niveaux de l’entreprise (du micro sur le
poste de travail au macro à l’échelle du groupe industriel). Nous avons pour cela
recherché la confrontation entre différents points de vue disciplinaires, en faisant
dialoguer ergonomie, statistique et médecine du travail, comme l’avaient fait
notamment Michel Sailly et coll. (1999), mais avec cette fois pour fil conducteur la
diachronie.
29 La présentation des sources de données telle que nous la proposerons ci-après peut
laisser penser à un déroulement chronologique du recueil de données, phase par phase.
En réalité les diverses démarches ont été menées en parallèle ou sous formes
séquencées au fil des années. Ce parti pris méthodologique a aussi eu pour effet de faire
évoluer nos attentes sur ce projet. Ainsi, compte tenu de nos préoccupations, alors que
certains choix méthodologiques ont émergé très tôt dans la recherche, d’autres ne sont
apparus plus évidents qu’avec sa structuration progressive.
30 Pour essayer de comprendre les processus à long terme qui nous intéressaient, nous
avons donc croisé différents types de données :
• des exploitations de l’observatoire statistique EVREST en interne : exploitations
quantitatives à un niveau macro, à l’échelle de l’entreprise, mais aussi à un niveau « méso »,
au niveau de l’établissement, ou enfin des exploitations plus qualitatives à un niveau micro
avec un suivi individuel des réponses,
• des observations de terrain, dans deux secteurs d’activité de l’usine,
• des entretiens diachroniques avec neuf compagnons des deux secteurs en question,
• des analyses des dossiers médicaux de salariés reclassés pour causes de problèmes
ostéoarticulaires, ainsi que des documents de travail de la Commission maintien dans
l’emploi de l’établissement3.
31 Ces différentes sources de connaissance sont convoquées de façon articulée, pour
éclairer les trois composantes annoncées de l’analyse diachronique. La figure 2 en
donne une présentation générale, que nous expliciterons dans les paragraphes qui
suivent.

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Figure 2. La combinaison des méthodes mobilisées pour l’approche diachronique

Toutes ces opérations ont donné lieu à des échanges collectifs entre les auteurs, chacun
étant par ailleurs mis à contribution selon ses compétences. La statisticienne a pris en
charge le volet exploitation des données issues d’EVREST. L’expertise du médecin du
travail a été mobilisée notamment lors des entretiens diachroniques et des analyses des
dossiers médicaux. L’ergonome, qui réalisait alors sa thèse d’ergonomie, était impliqué
dans l’ensemble et a en particulier mené seul les observations d’activité.
32 Nous allons maintenant préciser les éléments de cette méthodologie en revenant sur
chacune de ces sources de données, et en insistant, dans la perspective proposée pour
le présent dossier, sur le positionnement spécifique de chacune d’elles.

3.1 L’observatoire EVREST

33 Le processus de conception du dispositif EVREST reflète un certain nombre de


préoccupations ou de points de vue partagés par ses animateurs, locaux ou nationaux.
Il nous paraît utile d’en rappeler quatre.
34 D’abord, les acteurs concernés partagent la conviction que les informations chiffrées
relatives à des enjeux de santé en lien avec le travail qui circulent traditionnellement
dans les entreprises présentent une faible validité pour étayer leurs préoccupations :
les statistiques d’accidents du travail et de maladies professionnelles constituent
généralement le socle de ces évaluations statistiques. Or, des travaux ont montré en
quoi ces indicateurs peuvent être déficients pour la prévention, entre autres parce
qu’ils se posent comme des outils de mesure alors qu’ils ont été conçus pour alimenter
les pratiques de gestion des risques et de tarification (Lenoir, 1980 ; Daubas-Letourneux
et Thébaud-Mony, 2001). Par ailleurs, d’autres indicateurs tels que les niveaux
d’absentéisme ou de turnover, les journées de grève, les indicateurs de productivité ou
de qualité entretiennent bien des liens avec la santé au travail mais de manière
distendue ou indirecte. Cette conviction argumentait en faveur de l’élaboration d’un
dispositif qui offre la possibilité de poser des liens entre le travail et la santé.
35 Ensuite, les médecins du travail et chercheurs qui ont conçu EVREST ont choisi
d’aborder les enjeux de santé au travail sans préjuger du sens des relations causales

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entre ces deux termes, et en les inscrivant dans une perspective diachronique (Gilles et
Volkoff, 2009). Ce choix sous-entend que le dispositif ne vise pas principalement à
repérer des expositions au sens épidémiologique du terme (même s’il comporte des
questions sur ce sujet), car cette notion d’exposition laisse « supposer que les
opérateurs4 sont passifs dans un environnement à risques » (Laville, 1998, p. 154). Or,
les analyses en ergonomie montrent que les opérateurs agissent sur leurs conditions de
travail selon les buts qu’ils se sont fixés et notamment pour préserver ou construire
leur santé. Les stratégies déployées alors sont plus ou moins facilitées ou empêchées
selon les marges de manœuvre dont ils disposent. Dans cette perspective, un
questionnaire fondé non pas sur l’expertise d’un œil extérieur, mais sur les réponses
des salariés peut présenter des qualités d’intégration, « les réponses des opérateurs
traduisant à la fois une combinaison de contraintes et l’espace disponible pour leurs
propres stratégies de préservation » (Volkoff, 2005, p. 29-30).
36 Une troisième préoccupation partagée par les concepteurs relevait de l’approche de la
santé à retenir. Celle-ci intègre la recherche de troubles, appelés successivement dans
les différents documents de travail : « symptômes infra-cliniques », puis « signes » et
« troubles infra-pathologiques ». Ainsi, pour chaque dimension de la santé, les
indicateurs figurant dans EVREST sont de trois ordres : la présence de signes et
symptômes (validés ou non par des diagnostics médicaux) ; les gênes éventuelles dans
le travail liées à ce trouble de santé ; et enfin la prise de traitement ou le suivi de soin.
Dans la perspective de notre recherche, cette orientation est importante car elle
renvoie à une acception élargie de la santé qui aborde les troubles de santé plus
largement que comme la seule expression, ou le signe précurseur, de la pathologie.
Dans cette conception, les « petits troubles », les douleurs, les gênes dans le travail, les
plaintes deviennent des objets d’analyse en soi. Ils s’inscrivent parmi les « traces de la
vie » (Wisner, 1981), de la vie professionnelle notamment. Dans une perspective
longitudinale, ils représentent pour nous autant d’opportunités de reconstituer la
genèse des problèmes ostéoarticulaires.
37 Enfin, la quatrième préoccupation relève d’une orientation méthodologique, inscrite
dans un débat amorcé vers la fin des années 70, sur l’objectivation des conditions de
travail (Prunier-Poulmaire et Gadbois, 2005). Le dispositif EVREST, en consultant, pour
ce qui concerne le domaine du travail, non pas l’avis d’un expert « objectif » mais le
point de vue du salarié sur son travail, déplace le médecin de l’expert vers l’enquêteur
(Gilles et Volkoff, 2009). Cependant, la prise en compte des appréciations des salariés
dans les démarches de quantification des caractéristiques du travail et de la santé
renvoie à la question des risques liés aux mesures subjectives (Volkoff, 2005). Toute
fiche de recueil de données est adressée, et les réponses formulées par les opérateurs
questionnés dépendent de la représentation que ces derniers se font des attentes et
objectifs du destinataire ou commanditaire (pouvoirs publics, employeurs, hiérarchie,
syndicats, etc.). Ensuite, au fil des questions, il n’est pas toujours facile pour les
opérateurs questionnés de dissocier différents éléments constitutifs de leur travail
(Duquette et coll., 1997), et ceci d’autant plus que leurs réponses spontanées peuvent
refléter une vision réductrice de leur activité et de leurs conditions de travail. Dans le
même sens, pour Gollac (1997),
« les conditions de travail se traduisent par des sensations corporelles ou
psychiques. Leur conscience et leur expression ne vont pas de soi. Au contraire, les
individus ont tendance à « naturaliser » leurs conditions de travail, à ne pas les
séparer du reste de l’expérience de leur travail » (p. 22).

Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 20-1 | 2018


Peut-on élaborer une approche ergonomique du « temps long » ? 11

38 Par ailleurs, les réponses peuvent aussi fluctuer selon l’activité ou l’humeur du jour,
mais aussi des évènements récents. Plus problématique, pour certaines analyses en
santé au travail, le sens des liens de causalité est difficilement identifiable : les réponses
sur un aspect du travail peuvent dépendre de l’état de santé ; par exemple, Duquette et
coll. (1997) ont découvert que le mal de dos renforce les appréciations négatives sur le
maintien de postures difficiles, bien davantage que sur les efforts à produire. En outre,
les appréciations des salariés peuvent aussi refléter des ignorances, voire des stratégies
de défense. Enfin, et dans le cas de questionnaires longitudinaux ou répétés dans le
temps, les réponses peuvent aussi être influencées par des processus sociaux, qui
nuancent l’acceptabilité de conditions de travail dans un milieu donné (Gollac, 1997).
Pour éviter ces biais potentiels, Teiger et Laville (1991) conseillent de mener
parallèlement et avec eux une élucidation approfondie des questions. C’est ce que cette
recherche nous a également amenés à réaliser.

3.2 Les observations d’activité

39 Compte tenu des informations que nous cherchions à recueillir, nous avions fixé pour
but à nos observations de découvrir :
• les éléments ou situations qui ont pu motiver les réponses du compagnon dans son dernier
renseignement du questionnaire EVREST ;
• les facteurs de risques TMS au poste (au sens de Buchmann et Landry, 2010), qui sont
biomécaniques, mécaniques, d’ambiances physiques et psychosociaux ;
• les buts qui organisent l’activité du compagnon ;
• ses stratégies de préservation de la santé ;
• les diversités de modes opératoires ;
• des éléments du travail récents (éléments techniques ou organisationnels), ceci afin de
développer en entretiens l’impact de ces changements sur la possibilité de mettre en œuvre
les stratégies.
40 Pour cela, nous avons d’abord relevé (par observations directes, sur un total de 19
jours) les caractéristiques de l’aménagement de la zone ainsi que du poste de travail,
l’organisation collective, les outils utilisés, les entraides avec un collègue de travail, la
présence de communications/d’échanges avec d’autres, les déplacements,
l’organisation individuelle du matériel, la chronologie des tâches effectuées, les façons
de faire, les postures adoptées, et « au passage » tout autre élément observable en
temps réel (Daniellou et Beguin, 2004). Les manifestations de douleur, de gêne ou de
fatigue par le compagnon étaient également consignées. Cette façon d’observer
permettait de relever les pistes à approfondir et à valider lors d’entretiens individuels.
La structuration même d’une partie de ces entretiens individuels, programmés
quelques semaines après la fin de la phase d’observations, devait s’appuyer sur ces
dernières. Les observations ont aussi permis d’élaborer des chroniques d’activité basées
sur le relevé systématique de certains gestes, postures, matériels utilisés, facilitant les
restitutions de résultats aux compagnons concernés pour validation et discussion.
41 À quelques reprises lors des observations, des verbalisations simultanées ont permis
d’approfondir certains aspects du travail. Ces échanges épisodiques pouvaient être
amorcés par le compagnon, par exemple quand il expliquait ses façons de faire, les
difficultés liées à telle ou telle opération à réaliser, etc. ; il pouvait aussi s’agir d’un
collègue, par exemple pour expliquer qu’il ne réalise pas l’opération de la même

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Peut-on élaborer une approche ergonomique du « temps long » ? 12

manière, ou pour décrire les facteurs à l’origine de la pénibilité de la tâche que le


compagnon est en train de réaliser ; enfin, ces échanges pouvaient être provoqués par
le chercheur, ici l’ergonome, par exemple pour questionner sur le processus de
fabrication, l’usage des outils, les stratégies d’organisation spatio-temporelle et
d’anticipation, les évolutions des produits, de l’organisation, des processus. Ce dernier
s’est assuré que ces échanges n’influençaient pas – ou peu – le cours de l’activité de
travail et de la production.
42 Le choix des compagnons a été effectué dans une logique de réplication théorique, où
des cas globalement semblables mais contrastés sur une (ou des) dimension(s)
prédéterminée(s) sont volontairement choisis afin de pouvoir produire des résultats
eux-mêmes contrastés (Yin, 2003). Les neuf compagnons suivis ont ainsi été choisis en
concertation entre l’ergonome et le médecin du travail, et en accord avec les chefs
d’ateliers, sur la base de leurs parcours professionnels (dans le même poste depuis leur
inclusion dans le dispositif EVREST, ce qui est le cas de la très grande majorité des
salariés de l’échantillon) et de leurs réponses dans EVREST. Tous exprimaient à travers
EVREST des astreintes physiques importantes ainsi que des problèmes ostéoarticulaires
aux membres supérieurs et/ou au dos. La participation des sujets reposait sur le
volontariat et nous avons rencontré chacun d’entre eux individuellement pour leur
présenter le projet et nous assurer de leur intérêt à prendre part à l’étude.

3.3 Les entretiens rétrospectifs

43 Ces entretiens, menés par deux des chercheurs (l’ergonome et le médecin du travail),
ont été réalisés individuellement avec chacun des neuf compagnons ayant fait l’objet
d’observations systématiques. Ces entretiens répondaient à deux buts principaux :
d’une part, valider et enrichir l’interprétation des résultats obtenus au cours de ces
observations ; d’autre part, recueillir des données relatives aux évolutions des
conditions de travail ressenties par le salarié, ainsi qu’à ses problèmes ostéoarticulaires
au fil du temps. Ils ont été construits pour partie à partir de la méthode des entretiens
biographiques (Demazière 2003).
44 Ces rencontres, d’une durée d’une heure et demie environ, se déroulaient dans une
salle de réunion du service de santé de l’établissement. Après accord du compagnon,
l’entretien était enregistré. Pour alimenter ces rencontres, trois types de données ont
servi à amorcer les questionnements : l’analyse des observations au poste de travail ;
des données relevées par le médecin du travail dans le dossier médical du salarié,
relatives à l’évolution des problèmes ostéoarticulaires ou aux postes occupés ; enfin,
une synthèse des réponses successives du salarié à EVREST au fil des années, que nous
avons baptisée « Evrestogramme ». Ce dernier document, à la vue du médecin du
travail, du salarié et de l’ergonome, servait de canevas d’entretien.
45 Au cours du premier quart de la rencontre, le travailleur était invité à retracer son
parcours professionnel depuis sa période d’apprentissage, ou l’entrée dans la vie active,
jusqu’au jour de l’entretien. Ce choix d’entrée dans l’entretien avait deux objectifs :
retracer l’itinéraire professionnel plus précisément qu’avec les seules données
compilées par le médecin du travail, mais aussi engager la discussion avec le
compagnon, en partant de questions factuelles appelant des réponses simples.
46 Une fois l’itinéraire professionnel évoqué, le compagnon commençait par donner
quelques précisions sur son poste actuel, objet de la seconde partie de l’entretien : les

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opérations réalisées, les conditions de travail, les facteurs de pénibilité, les stratégies
opératoires pour s’économiser ou gagner du temps, l’état de santé actuel.
47 Une large part de l’entretien était ensuite consacrée à remonter dans le temps pour
repérer les changements (techniques, organisationnels, humains), les évolutions du
travail et les conséquences de ces évolutions sur les stratégies opératoires et la santé.
Dans ce troisième et dernier volet de l’entretien, les réponses des compagnons dans
EVREST année par année (« Evrestogrammes »), mais aussi les données consignées
année après année par le médecin, se révélaient précieuses pour aider le compagnon à
situer certains changements, et raviver sa mémoire. S’il se souvenait d’une évolution (le
changement de référence d’un mastic, l’arrivée d’un nouveau chef, le début de
production d’une nouvelle référence de pièce, la suppression d’un chariot dans
l’atelier), il pouvait décrire finement l’organisation du travail, ses gestes, les
conséquences pour la production, voire ressentir à nouveau des difficultés rencontrées,
pour certaines avant les années 2000.
48 Ces entretiens ont ainsi fourni des descriptions assez précises. Celles-ci visaient à
déterminer comment des stratégies ont été facilitées ou au contraire télescopées par
des changements, ou encore à comprendre en quoi des situations annoncées comme
provisoires, mais qui durent, mettent à mal la construction du geste professionnel. Tout
autant d’éléments nécessaires à la compréhension des effets à long terme du travail sur
la santé, mais aussi inversement, de la santé sur le travail.

3.4 L’examen de processus de réaffectation

49 Pour établir des liens entre évolution des douleurs et parcours professionnels,
l’ergonome et le médecin du travail ont examiné des dossiers médicaux de compagnons
reclassés pour cause de problèmes ostéoarticulaires. L’objectif de ce travail était de
réaliser des monographies de parcours professionnels de compagnons qui ont présenté
par le passé des déficiences de santé ostéoarticulaires dues peut-être au travail et qui
ont demandé, ou été incités, à changer de poste ou à s’abriter des contraintes en
question. Cette analyse s’est déroulée en trois étapes successives.
50 La première étape a consisté à retrouver dans l’entreprise des compagnons aux
caractéristiques recherchées. Le médecin du travail, présent dans l’établissement
depuis une quinzaine d’années, ayant une connaissance fine des postes de travail et des
salariés de l’entreprise, s’est chargé de cette tâche, et a proposé neuf salariés. Précisons
qu’il ne s’agit pas des mêmes personnes que les neuf ayant fait l’objet des observations
systématiques suivies d’entretien, dont il était question ci-avant. Ces neuf compagnons
ont donc été repérés comme ayant eu des problèmes ostéoarticulaires dans les dix
dernières années, aboutissant à un reclassement, et comme ayant été particulièrement
suivis par le médecin du travail pour ces raisons.
51 La seconde étape a consisté en un recueil de données sur ces neuf compagnons, à partir
de leurs dossiers médicaux, sur la base d’une grille de questions posées par l’ergonome
en concertation avec le médecin du travail (pour des raisons de confidentialité
médicale, seule cette dernière lisait directement les dossiers). Toutes les données
disponibles dans les dossiers médicaux relatives à l’évolution des douleurs articulaires
ainsi qu’à l’activité du compagnon (poste occupé, type de production, difficultés
rencontrées) ont ainsi été compilées de manière chronologique.

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Peut-on élaborer une approche ergonomique du « temps long » ? 14

52 Une fois les neuf grilles chronologiques mises au propre, la troisième étape a consisté
en une relecture commentée (enregistrée) de ces dernières par le médecin et
l’ergonome, au regard de leurs connaissances sur les postes de travail évoqués et sur les
mécanismes de reclassements de l’entreprise.

4. Trois domaines d’étude issus de cette investigation


diachronique multi-source
53 L’ensemble des résultats de la recherche décrite dans cet article ne sera pas développé ;
ils sont accessibles par ailleurs (Buchmann et Mardon, 2014 ; Buchmann, 2013 ; Mardon
et coll., 2013 ; Buchmann et Archambault, 2014). Nous choisissons ici d’illustrer leur
apport en synthétisant trois domaines d’étude, faisant chacun appel à un couplage de
méthodes, entre l’observatoire EVREST et au moins un autre mode de recueil de
données abordé ci-avant. Le choix de ces domaines d’étude s’inspire de la manière dont
nombre de recherches en ergonomie abordent le vieillissement, au travers de trois
processus distincts : le vieillissement « par » le travail, correspondant aux phénomènes
d’usure, le vieillissement « par rapport » au travail en lien avec les mécanismes de
sélection, et enfin le vieillissement « dans » le travail ayant trait aux pratiques de
régulation (Volkoff et Gaudart, 2006). Compte tenu du thème de notre recherche et de
son entrée diachronique incorporant naturellement les questions d’âge, nous avons
choisi de garder ce découpage, en substituant à l’analyse du vieillissement celle des
troubles ostéoarticulaires. Nous aborderons dans ce qui suit dans un premier temps les
régulations dans le travail, puis les phénomènes d’usure et de cumul de contraintes au
fil du temps, et enfin les mécanismes de sélection ou mises à l’abri liées aux troubles
ostéoarticulaires.

4.1 Couplage de méthodes sur les processus de régulation

54 Pour déceler les mécanismes de régulation auxquels font appel les compagnons pour
travailler malgré les douleurs articulaires, nous avons cherché des indicateurs de la
mobilisation physique, les facteurs de variabilité de cette mobilisation, et les stratégies
mises en place pour faire face à cette dernière. Puis nous avons cherché à analyser les
origines, les constructions de ces régulations. Plusieurs des sources de données décrites
ci-avant ont été mobilisées pour cela.
55 Nous nous sommes tout d’abord appuyés sur les analyses d’activité, spécifiquement
dans deux ateliers, basées sur les observations de l’activité de travail de neuf
compagnons (cinq réparateurs et quatre peintres de pièces aéronautiques en fibre
composite). Les entretiens rétrospectifs individuels avec les neuf compagnons observés
ont été également mobilisés pour ce versant d’étude. Ces entretiens étaient d’une part
l’occasion de développer avec chaque compagnon les régulations observées ; d’autre
part, à l’aide du questionnement sur les changements vécus au fil du temps, nous
examinions entre autres l’évolution des régulations actuelles et passées, pour trouver
les contextes dans lesquels ces stratégies de régulation ont été élaborées, mises en
œuvre, ou au contraire se sont trouvées entravées.
56 En parallèle, nous avons exploité les données d’EVREST de manière à apprécier le rôle
des marges de manœuvre dont disposent les compagnons pour limiter la survenue ou

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Peut-on élaborer une approche ergonomique du « temps long » ? 15

l’impact des douleurs articulaires. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur les
questionnaires remplis en 2009 par la population des personnels d’atelier (allant de
l’agent de fabrication au chef de ligne par exemple, et en excluant les professions
administratives et RH) de l’entreprise dans son ensemble, soit 3450 individus.
57 Ces approches diverses ont d’abord permis de montrer comment, suivant les exigences
imposées par la situation de travail, plusieurs objectifs cohabitent ou se télescopent
dans l’action des compagnons : assurer la production dans les meilleurs délais ; assurer
la qualité de la production, compte tenu du caractère vital et onéreux des pièces
produites, et pour ne pas avoir à « défaire et refaire » ; enfin, préserver sa santé. Selon
les cas, le compagnon établit un compromis, et donne plus de poids à un objectif ou à
un autre.
58 Les analyses d’EVREST ont repéré, à l’aide de modèles de régression logistique (incluant
l’âge comme variable de contrôle), les déterminants de régulations susceptibles de
protéger au mieux des douleurs articulaires. C’est ainsi par exemple que les marges de
temps et le choix dans la façon de procéder « protègent » des problèmes vertébraux
(odds-ratios respectivement égaux à 0,7 et 0,8, significativement 5 différents de 1).
Aucune variable ne ressort nettement comme moyen de régulation possible face aux
problèmes de membre supérieur ; en revanche, avoir le sentiment de « pouvoir faire un
travail de qualité » diminue significativement (OR = 0,4) la probabilité que ces
problèmes gênent dans le travail.
59 Les analyses d’activité et entretiens rétrospectifs ont dégagé quant à eux différents
modes de régulation. Certains ont été reliés directement à des transformations du
travail qui ont facilité, ou au contraire entravé, leur construction et leur mise en
œuvre. Ces transformations ont pu se révéler éprouvantes, comme la mise en place
d’une organisation en flux tendus chez les réparateurs de pièces, avec pour
conséquence de fréquents retards d’approvisionnements obligeant ensuite les
compagnons à rattraper les retards accumulés. Au contraire, d’autres transformations
se sont révélées relativement protectrices, comme la mise en place de la rotation
organisée entre les peintres, permettant de répartir les temps de réalisation des tâches
les plus pénibles physiquement.

4.2 Couplage de méthodes sur les processus d’usure

60 Lorsque les possibilités de régulations, comme celles que l’on vient d’évoquer, sont
insuffisamment protectrices, notamment parce que l’organisation et les moyens de
travail ne laissent pas de marge de manœuvre individuelle et collective suffisante pour
les déployer, il peut y avoir un processus d’usure des compagnons au travail. Dans ce
contexte, un de nos objectifs était de comprendre la dureté des conditions de travail
vécues au fil du temps, ainsi que de repérer les conditions de travail qui s’avèrent plus
ou moins vivables en seconde partie de carrière. Pour cela, nous cherchions à montrer,
et même mesurer, le cumul des astreintes dans l’itinéraire professionnel des
compagnons.
61 Considérer le cumul des astreintes au cours du temps est une manière de saisir les
phénomènes d’usure éventuellement à l’œuvre dans l’entreprise. Mais dans la logique
de ce qui précède, on peut intégrer le manque de possibilités de régulations à la
définition même de la population « astreinte ». La seconde étape de nos analyses a ainsi

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Peut-on élaborer une approche ergonomique du « temps long » ? 16

consisté à relier des éléments de la santé actuelle avec les astreintes actuelles et
passées.
62 D’un point de vue méthodologique, il faut pour cela faire face d’abord à cette difficulté :
le travail passé ne s’observe pas. De plus, nous avons dû prendre en compte une grande
variabilité des situations observées. Pour s’efforcer de surmonter ces obstacles, nous
avons à nouveau fait appel à différents outils d’analyse. Nous avons mobilisé ici nos
observations des neufs compagnons (cinq réparateurs de pièces et quatre peintres)
ainsi que leurs réponses dans EVREST année par année (« Evrestogrammes ») afin de
trouver des facteurs d’usure articulaire, mais aussi les questionnements rétrospectifs
pour découvrir les facteurs d’usure passés, les changements ou persistances dans le
travail susceptibles d’agir sur ces facteurs, et leurs conséquences sur l’usure articulaire
actuelle, et enfin une investigation à caractère épidémiologique à l’aide d’exploitations
d’EVREST.
63 Ces dernières ont d’abord nécessité de définir et construire une variable d’astreinte.
Cette définition a été composée à partir de cinq questions disponibles dans le
questionnaire, en s’appuyant sur la littérature TMS (Coutarel et coll., 2009), mais aussi
sur les résultats obtenus dans notre recherche concernant les régulations. Il s’agissait
de trois questions sur la charge physique du poste de travail (les difficultés dues aux
postures, aux gestes répétitifs, et aux efforts ou ports de charges lourdes), mais aussi de
la question sur la possibilité de choisir la façon de procéder, et d’une cotation des
difficultés dues à la pression temporelle à partir d’une échelle analogique allant de 0 à
10. On a considéré qu’un travailleur était « astreint » aux facteurs de risque TMS dans
deux cas :
• s’il avait répondu « oui, importante » à l’une au moins des trois questions sur la charge
physique de travail, auquel cas on considère comme suffisante cette seule réponse pour
juger qu’il y a un facteur de risque ;
• ou bien s’il avait répondu « oui, modérées » à l’une au moins de ces trois questions, tout en
ayant par ailleurs coté à au moins 7 sur 10 les difficultés liées à la pression temporelle et
déclaré n’avoir « plutôt pas » ou « pas du tout » le choix de la façon de procéder ; on
considère alors qu’une charge physique modérée n’est pas en soi un facteur de risque
certain, mais le devient en cas d’obligation de se dépêcher et de manque de marges de
manœuvre qui en aggravent les conséquences.
64 En nous restreignant aux personnels d’atelier vus au moins trois fois sur la période de
huit années d’EVREST considérée (1117 individus sur la période 2002-2009), nous avons
pu mettre en lien des « séquences d’astreinte » (allant de trois fois « non astreint » à
trois fois « astreint ») avec la présence de problèmes vertébraux ou de membres
supérieurs au terme de la séquence. Nous avons également forgé, sur la base des
réponses d’un même compagnon dans EVREST au fil des années, un indicateur de
cumul d’astreinte pour l’ensemble des 6141 individus encore présents à la fin de la
période d’analyse (en 2008 ou 2009). Cet indicateur ne pouvait s’appuyer simplement
sur le nombre de situations d’astreintes constatées au cours du temps, car celui-ci
dépend du nombre de fois où les individus ont rempli un EVREST. Ce nombre varie
d’une personne à une autre, selon la durée depuis laquelle elle est présente dans
l’entreprise par exemple). Un balayage sur huit années en incrémentant l’indicateur de
1 chaque fois qu’il y a astreinte, et en lui retranchant 1 chaque fois qu’il n’y a pas
astreinte, aboutissait à un indicateur de cumul dont la valeur variait selon les individus
de -8 (pour ceux qui auraient été vus 8 fois sans jamais être astreints) à +8 (pour ceux

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qui auraient été vus les 8 années en étant astreints à chaque fois). La valeur 0, par
exemple, correspondait aux travailleurs vus un nombre pair d’années, et qui avaient
été autant de fois astreints que non astreints. Cet indicateur de cumul a aussi été mis en
lien avec la santé ostéoarticulaire au terme de la période de huit années considérée.
65 Bien que nous ayons ainsi fait appel à des niveaux d’analyses différents, les résultats
correspondants ont montré une bonne concordance. On constate la présence de
populations de compagnons exposés fortement et durablement : plus de 20 % des
compagnons dans l’entreprise ont des indicateurs de cumul à 2 et plus, et 40 % des
compagnons inclus dans les séquences d’astreintes ont été exposés au moins 2 fois sur
les 3 observées, dont la dernière. L’étude est menée dans une industrie où des facteurs
d’usure sont bien présents, en ce sens que l’on retrouve des astreintes fortes et répétées
au fil du temps, sans que l’on puisse observer de tendance nette dans l’amélioration
globale des astreintes ou de la santé ostéoarticulaire.
66 Ces résultats chiffrés et nos observations de terrain se corroborent les uns les autres.
Bien que nous ayons découvert sur le terrain des régulations plutôt protectrices et des
améliorations techniques ou organisationnelles, des facteurs de persistance de
l’exposition demeurent : maintien prolongé de postures pénibles, manutentions
manuelles de charges lourdes. Ces facteurs sont accentués par une augmentation de la
pression temporelle (augmentation de la fréquence de pièces urgentes, diminution des
temps de cycle, augmentation de la quantité de grandes pièces, diminution des temps
de repos, etc.). L’examen particulier des astreintes vécues par les peintres a montré
aussi que, même si de grosses améliorations ont été apportées, les anciens, qui pendant
des années se sont usés à porter à la main des pièces, continuent à verbaliser des
problèmes ostéoarticulaires. Toutes ces améliorations protégeront peut-être les plus
jeunes, ou plutôt ceux qui ne sont pas encore usés.
67 Nous avons aussi constaté que le cumul d’astreinte n’est pas forcément proportionnel à
l’âge. Ce constat a pu être établi à partir d’EVREST : les valeurs hautes de notre variable
de cumul concernent une proportion à peine plus faible d’individus de moins de 45 ans
que de leurs aînés. Une confirmation est venue de la reconstitution du parcours de
compagnons à la fois jeunes (moins de 30 ans), mais néanmoins assez anciens (au poste
pour certains depuis l’âge de 16 ou 17 ans) et surtout usés (douleurs articulaires avec
gênes dans le travail, voire maladies professionnelles ostéoarticulaires déclarées).
68 Les parcours d’astreinte sont bien apparus prédictifs de l’état de santé, puisque les
séquences « trois fois astreints » et « trois fois non astreints » étaient clairement liées,
en sens opposés, aux problèmes de santé. Ces liens étaient moins forts ou moins
réguliers pour certaines autres séquences. En revanche il ressortait clairement que les
problèmes de membres supérieurs apparaissaient plus « réactifs » à l’astreinte
(survenant rapidement après sa première présence repérée), et moins « réversibles »
que les problèmes de vertèbres (ou en tout cas moins rapidement). Ainsi, même si l’on
parvient à s’extraire de l’astreinte, en particulier pour les membres supérieurs, le plus
souvent les douleurs restent.
69 Enfin, nous avons vérifié aussi bien par l’approche macro d’EVREST que par nos
analyses plus micro que plus une personne cumule d’astreintes, plus la probabilité
d’avoir un problème de santé ostéoarticulaire augmente. Une des limites ici de notre
approche quantitative sur les liens entre cumul d’astreinte et santé relève du fait
qu’avant la date initiale choisie, les compagnons ont un passé dont on n’a pas trace, et
qui, bien évidemment, influence les réponses dans EVREST. L’observatoire, on l’a dit,

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Peut-on élaborer une approche ergonomique du « temps long » ? 18

est opérationnel depuis le début des années 2000, et nous pouvons nous risquer à faire
l’hypothèse qu’une partie des compagnons qui ont le plus haut niveau de cumul a
commencé à travailler (et à cumuler) bien avant le début du dispositif EVREST. En
revanche, notre approche par les analyses de terrain apporte des éléments
complémentaires susceptibles de contrebalancer le risque de perte de sens des données
quantitatives. Dans ce cadre, le détour par les entretiens et l’analyse des situations de
travail a eu deux apports : dans un contexte où les données quantitatives sont à horizon
dix ans, aller rechercher des caractéristiques de l’activité dans des périodes antérieures
a étayé les résultats quantitatifs ; par ailleurs, ces analyses ont permis de comprendre
pourquoi, malgré les régulations en place, malgré les améliorations du travail, nous
avons retrouvé des astreintes physiques persistantes.

4.3 Couplage de méthodes sur les processus de sélection

70 Nous avons vérifié dans l’analyse précédente que les problèmes de santé actuels étaient
non seulement liés à l’astreinte actuelle, mais aussi aux astreintes passées. Ajoutons
qu’aucune tendance ne se dégageait selon l’écart de temps entre la santé actuelle et le
moment où l’astreinte était considérée. Ce constat renforçait l’intérêt de décrire plus
finement les mécanismes de « mise à l’abri » des compagnons touchés par des TMS.
Nous avons donc cette fois interrogé la santé comme facteur de changement de
l’astreinte : en quoi la santé passée est-elle prédictive du travail actuel, et d’une
« sortie » de l’astreinte ?
71 Pour répondre à cette question, nous nous sommes d’abord appuyés sur des documents
de travail de la Commission maintien dans l’emploi mise en place dans l’établissement.
Nous avons cherché à savoir dans quelle mesure elle parvenait à infléchir le parcours
professionnel de salariés dont l’état de santé ostéoarticulaire ne leur permettait plus de
rester en poste. Nous avons aussi examiné avec le médecin du travail des parcours de
reclassements professionnels, comme on l’a dit, à partir de données issues des dossiers
médicaux de neuf compagnons reclassés pour cause de TMS, et dans une moindre
mesure des données extraites des questionnaires EVREST de ces compagnons.
72 Enfin, comme nous cherchions des indicateurs sur le rôle de la santé passée vis-à-vis
des parcours d’astreinte, nous avons dans cette section exploité EVREST dans le sens
inverse de ce que nous avions produit pour l’analyse des phénomènes d’usure. Nous
avons croisé la santé à la date initiale avec les expositions professionnelles à venir, soit
sous la forme de la variable d’astreinte définie ci-avant, soit sous la forme des
expositions élémentaires la composant, l’idée étant que les mises à l’abri potentielles
pourraient porter plus spécifiquement sur les sollicitations physiques au poste.
73 Contrairement à ce que l’on pouvait envisager, les analyses quantitatives ont montré
qu’il était compliqué de se soustraire à l’astreinte. La présence de douleurs articulaires
à une date donnée n’est pas particulièrement prédictive de changements dans la
situation de travail par la suite (très peu d’interrelations examinées ressortent avec des
odds-ratios significativement différents de 1).
74 Les analyses de terrain ont fourni un autre éclairage en illustrant cette complexité et en
montrant ses composantes. La question soulevée peut se résumer ainsi : dans le
contexte d’un reclassement, faut-il agir vite ou attendre de voir l’évolution des
douleurs ? Nos résultats montrent qu’il est possible de tenir les deux positions, parfois
même de les compiler. La Commission maintien dans l’emploi avait réglé la moitié des

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Peut-on élaborer une approche ergonomique du « temps long » ? 19

situations en une seule réunion, et abondait dans l’idée qu’il fallait savoir réagir au plus
vite avant que la situation ne s’aggrave. Cependant, une autre stratégie que l’on
retrouve dans l’établissement consiste à alimenter une période de décantation où le
médecin, l’encadrement, le salarié lui-même intègrent l’idée qu’il y a un problème et
qu’il faudra peut-être agir.
75 Cette seconde position s’appuie elle-même sur un double constat. Le premier est en
relation avec l’étiologie des TMS, qui présentent un décours temporel fait de périodes
d’aggravations et de rémissions, et cela même en cas d’un « bon » reclassement ; les
résultats d’EVREST montraient que les douleurs perduraient, même en étant sorti de
l’astreinte. Un second argument relève d’une contrainte industrielle : l’usine produit
des pièces de haute qualité, les compagnons disposent de qualifications élevées, de
nombreux postes requièrent une formation et une certification, il n’est donc pas aisé de
déplacer des compagnons puisque cela implique de trouver un poste pour le
compagnon en difficulté, mais aussi de trouver et former un compagnon susceptible de
venir remplacer celui qui est sur le départ.
76 Dans ces conditions, la seconde stratégie de « mise à l’abri », plus progressive, que l’on
a vue apparaître, relève d’une approche diachronique que l’on pourrait décrire ainsi :
suivre l’évolution des douleurs, tout en commençant collectivement (c’est‑à‑dire
médecin du travail, ressources humaines, encadrement de production et compagnon
lui-même) à réfléchir à un reclassement, avec une combinaison santé/compétences, et
ce temps permet d’être attentif à des mouvements ou des projets dans les ateliers et qui
peuvent créer l’opportunité le moment venu d’une réaffectation.

5. Discussion
77 La recherche sur laquelle notre propos prend appui avait trait aux dimensions de long
terme dans la genèse et l’évolution des TMS. Le présent article ne constitue pas une
synthèse de cette recherche. Il est centré sur la démarche elle-même, sur sa portée et
ses difficultés.
78 Dans ce paragraphe de discussion, nous ne reprenons donc pas les nombreuses
réflexions que la recherche a suscitées à propos de chacun des outils méthodologiques
(Buchmann, 2013), et auxquelles nous avons parfois fait allusion dans ce qui précède.
Citons à titre indicatif : l’empan limité des périodes d’observation d’activité, qui
restreint l’accès aux éléments de variabilité ; la portée et les limites de l’approche des
douleurs articulaires par questionnaire (Duquette et coll., 1997) ; « l’effet-médecin » qui
peut fragiliser l’homogénéité de l’observatoire EVREST ; les limites d’usage de cet
observatoire quand l’analyse porte sur des petits nombres, pour les mécanismes de
sélection notamment ; la rareté des interlocuteurs capables de décrire et dater les
changements de techniques ou d’organisation dans le passé, etc.
79 Nous pouvons en revanche revenir sur l’interrogation générale à laquelle cet article
s’efforce de répondre. On l’a dit, cette recherche s’est construite par étapes successives
avec, comme point de départ, l’élaboration d’un questionnement issu d’éléments de la
littérature et d’interventions en entreprise sur différentes situations de travail. On peut
le résumer ainsi : comment, dans une approche ergonomique, prendre en compte des
dimensions temporelles de long terme, pour aider à comprendre les liens entre les

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Peut-on élaborer une approche ergonomique du « temps long » ? 20

évolutions du travail, celles des problèmes de santé (ici, les douleurs ostéoarticulaires)
et les parcours professionnels ?
80 Dans cet objectif nous avons pris le parti d’un croisement entre données qualitatives et
quantitatives, à différents niveaux, du micro au macro, mais aussi d’un croisement
entre données aux empans temporels différents. On a vu notamment que la prise en
compte des processus à long terme ne relevait pas seulement, ici, d’un emprunt aux
méthodes pratiquées en épidémiologie, en matière d’effets différés ou de relations
dose/effet (Plouvier et coll., 2011). Notre méthodologie associait la perspective
diachronique de l’épidémiologie et de la démographie à l’analyse des régulations
propres à l’ergonomie et aux approches cliniques en médecine du travail, au regard des
questions posées et des connaissances existantes sur les TMS.
81 Du point de vue épidémiologique, on a vu que nos résultats ont montré quelques
possibilités de régulations, beaucoup d’effets d’usure et de cumul, et peu de
mécanismes de mise à l’abri. Pour les régulations, des variables telles que « avoir le
choix dans la façon de procéder » viennent contrebalancer un peu l’effet des
expositions lourdes ; on peut les interpréter en termes de marges de manœuvre pour
faire face, pour faire jouer ses compétences, son savoir-faire (Coutarel et coll., 2009), ce
qui coïncide avec ce que l’on montre par ailleurs avec les analyses de l’activité.
82 Malgré ces régulations construites au fil de l’expérience et des changements de
l’entreprise, des expositions lourdes demeurent, et nous avons vu qu’en dépit
d’améliorations régulières des conditions de travail, leurs effets perdurent. Certains
métiers ont connu quelques mutations, dont certaines ont été porteuses
d’améliorations mais, du point de vue des principaux facteurs de risques TMS (Aptel et
Vézina, 2008), d’une portée encore limitée. Les améliorations protègent surtout les plus
jeunes, ou plus exactement ceux qui ne portent pas encore les traces de l’usure.
83 Dans ce milieu industriel, à la fois fermé, protecteur mais aussi usant, il est rare de
licencier pour inaptitude ; nous avons montré qu’il est également plus compliqué qu’on
aurait pu le penser de mettre à l’abri les compagnons présentant des douleurs. La
sélection par la santé, sauf en cas de pathologie lourde, est rendue difficile par la
technicité des métiers exercés. Elle donne lieu à de nombreux tâtonnements et
n’aboutit pas toujours aux améliorations escomptées.
84 On peut rassembler (figure 3, ci-dessous) ces quelques constats en reprenant, et
précisant, le modèle d’analyse qui faisait l’objet de la figure 1. Les « régulations »
s’opèrent à tout moment de la vie de travail, mais elles peuvent être percutées par les
mutations que l’entreprise effectue. Les processus « d’usure » englobent, à chaque stade
du parcours professionnel, toutes les contraintes et nuisances précédemment vécues.
Les mécanismes de « sélection », enfin, opèrent à intervalles plus ou moins réguliers, et
leur aboutissement incertain laisse envisager de nouvelles réaffectations à plus ou
moins long terme.

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Figure 3. Représentation schématique du faisceau d’interrelations des processus de régulation


(bleu), d’usure (orange) et de sélection (rouge), au fil de la vie de travail

6. Conclusion : retour sur l’ergonomie du temps long


85 Notre approche des TMS, vus comme un processus dynamique par lequel l’individu, le
collectif et l’entreprise cheminent, propose d’aborder les liens santé-travail d’une
manière indissociable des temps, tissés entre passé, présent et futur. À partir d’une
question de santé, les troubles musculo-squelettiques, nous concluons sur des questions
de parcours, saisis selon plusieurs dimensions : d’une dimension individuelle et
médicale à une dimension plus collective et gestionnaire. Nous reprenons à notre
compte l’idée de Gaudart (2014) selon laquelle les réflexions sur le développement de
parcours doivent s’inscrire dans une circularité entre présent, passé et avenir, et à
différents niveaux : micro, méso et macro ; individus, collectifs, gestionnaires.
86 Comme l’auteure, nous avons constaté que les gestionnaires (managers de production,
chefs de projets, ressources humaines, etc.) bien souvent n’ont plus d’histoire, plus de
mémoire. Ils semblent enserrés dans un régime d’historicité (Hartog, 2012) marqué par
l’urgence du présent. La forte mobilité des cadres dans l’entreprise, que nous avons
amplement constatée, est l’une des marques de ce « présentisme », et représente aussi
certainement un obstacle pour ces derniers à concevoir pour les autres des parcours à
horizon de long terme. Dans cette situation, une question se pose alors : comment
soutenir une conception des parcours intégrant passé, présent et avenir ?
87 La perte de mémoire de l’entreprise semble moins liée au manque de traces qu’à des
insuffisances dans les possibilités de les exploiter. Pour ces raisons, il serait utile de
doter l’entreprise d’un vrai bagage sur les vertus et les limites de ses changements
passés. Nous rejoignons ici les concepts d’organisation ou d’entreprise apprenante,
telle que la définit Garvin (1993) :
« Une organisation qui possède la capacité de créer, d’acquérir et de transférer des
connaissances, et celle de modifier son comportement, en fonction des nouveaux
savoirs et en accord avec une nouvelle manière de voir les choses » (p. 80).
88 Ces types d’organisation font l’objet d’une littérature abondante, qui les rend par
ailleurs difficiles à circonscrire. Certains de ces travaux se centrent justement sur les
liens qu’on peut y déceler entre type d’organisation, modes de gestion et santé au
travail (Valeyre, 2007 ; voir l’article dans ce numéro de Edey-Gamassou et coll.).
89 Les recherches en santé-travail peuvent ici s’inspirer de la conception de l’historien
qu’avance Koselleck (1990) : participer par son analyse du travail à ce que l’auteur
appelle « la mise en intrigue » ou « la mise en récit ». Par exemple, notre recherche a
révélé, chez les compagnons, des processus fins de construction de savoir-faire, avec en

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Peut-on élaborer une approche ergonomique du « temps long » ? 22

corollaire d’une part l’intégration des temporalités d’actions face aux variabilités du
milieu de travail, et d’autre part l’ouverture de pistes pour la formation et le tutorat de
novices à ces postes de travail. Les compagnons construisent ainsi un parcours
professionnel qui les marque physiquement, mais qui est aussi animé d’une certaine
logique, cohérence et richesse. Ils travaillent ensemble depuis longtemps, et pour
longtemps, ce qui encourage chacun à trouver des solutions à ses propres difficultés et
à celles des collègues. Dans ce contexte, une approche diachronique d’analyse des
situations revêt un intérêt particulier.
90 Dans une autre mesure, en travaillant à la reconstitution, à la construction de la
mémoire de l’entreprise, nous proposons d’interroger les gestionnaires sur les
changements passés :
« pour quelles raisons telle ou telle modification d’organisation, d’équipes, de
compagnons, a-t-elle été opérée ? Quel en était le contexte ? Quelles en ont été les
conséquences pour la production, pour les compagnons ? »
91 L’approche diachronique, quand elle s’appuie sur une diversité d’outils d’investigation,
a la vertu de montrer aux gestionnaires en quoi le présent n’est pas fatal. C’est ce que
Daniellou (2015) appelait le travail de remise en mouvement du « triangle des
possibles », qui relie pouvoir penser, pouvoir débattre et pouvoir agir sur le travail.
Pour cet auteur, la remise en mouvement s’opère grâce à la mise en place de premières
transformations et débats sur le travail. Nous proposons une alternative
complémentaire par notre approche du temps long : remettre en mouvement le
triangle des possibles par la reconstruction de la mémoire de l’entreprise. Si l’on
constate des dégradations par rapport au passé, c’est la preuve que l’on n’a pu faire
mieux ; si au contraire des améliorations sont constatées, c’est la preuve que l’on sait
faire mieux.
92 Cette approche – qui mériterait d’ailleurs d’être envisagée aussi à l’échelle des
politiques publiques dans ces domaines – peut d’une part, comme le suggère Daniellou
(op. cit.), briser le cercle magique du : « de toutes façons, on n’y peut rien » et les
défenses qui y sont associées, et d’autre part redonner de la mémoire aux processus de
décisions, aux changements et à leurs conséquences. Elle peut aider à reconstituer
l’activité des prescripteurs, et leurs contraintes. En matière de TMS comme
certainement dans bien d’autres domaines de la santé au travail, la réflexion sur des
politiques efficaces à long terme réclame probablement cet effort d’élucidation.

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Peut-on élaborer une approche ergonomique du « temps long » ? 26

NOTES
1. Dans l’entreprise considérée, ce terme désigne les personnels d’ateliers, tous ouvriers faisant
partie d’un groupe métier.
2. Centre de Recherches sur l’Expérience, l’Âge et les Populations au Travail.
3. La Commission maintien dans l’emploi, mise en place en 2010, a pour mission d’étudier la
situation des personnels ayant des difficultés à tenir leur poste de travail du fait de leur état de
santé, et de proposer des solutions de reclassement ou d’aménagement de poste tenant compte
de leur aptitude.
4. En ergonomie, on désigne usuellement par le terme « opérateur », quelle que soit sa
profession, tout travailleur à l’activité duquel on s’intéresse.
5. La significativité des tests statistiques est commentée ici au seuil de 5 %.

RÉSUMÉS
Cet article propose une réflexion sur l’intégration de dimensions de long terme dans une
démarche ergonomique, permise par l’articulation entre approche ergonomique, médecine du
travail et analyse démographique. Une recherche centrée sur une problématique de troubles
musculo-squelettiques en entreprise constitue le fil-guide de cet article.
Après avoir présenté des éléments de contexte scientifique et social suggérant d’appréhender des
processus à long terme pour étudier les relations entre travail et santé, nous insistons sur les
méthodes utilisées et leur complémentarité recherchée, puis nous revenons sur les principaux
résultats qui relèvent de trois grands types de processus (« régulation », « usure » et
« sélection »).
Nous interrogeons, au-delà de cette recherche, les possibilités pour l’ergonomie de développer
des moyens d’analyse qui dépassent le cadre temporel de l’observation instantanée, en lui
assignant une nouvelle place dans un modèle plus large de compréhension des relations entre
santé et travail.

This article looks at the possibility of integrating long-term dimensions into ergonomics, which
could be done by combining the ergonomics approach, occupational medicine, and demographic
analysis. Work-related musculoskeletal disorders represent the common thread of this article.
After presenting the theoretical framework, which focuses on long-term approaches to studying
the relation between health and work, we concentrate on the methods used and how they
complement each other to achieve better results. We then take another look at the main results,
which belong to three kinds of processes (adjustments, wear and tear, and selection).
Above and beyond this study, we question the capacity of ergonomics to create and develop
analysis methods that extend beyond the short-term temporal framework. In so doing, we
suggest that ergonomics go one step further and take on a new role in a larger model of the
relation between health and work.

Este artículo propone una reflexión sobre la integración de dimensiones de largo plazo en un
enfoque ergonómico, permitida por la articulación entre enfoque ergonómico, medicina del
trabajo y análisis demográfico. Una investigación centrada en un problemática de trastornos
musculoesqueléticos en la empresa constituye el hilo conductor de este artículo. Después de

Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 20-1 | 2018


Peut-on élaborer une approche ergonomique du « temps long » ? 27

presentar los elementos de contexto científico y social que sugieren procesos a largo plazo para
el estudio de las relaciones entre trabajo y salud, insistimos en los métodos utilizados y la
complementariedad buscada, para luego volver a los principales resultados que relevan de tres
grande tipos de procesos («regulación», «desgaste y «selección»).
Más allá de esta investigación, cuestionamos la posibilidad que la ergonomía pueda desarrollar
medios analíticos que vayan más allá del marco temporal de la observación instantánea,
asignándole un lugar nuevo en un modelo más amplio de comprensión de las relaciones entre
salud y trabajo.

INDEX
Mots-clés : troubles musculo-squelettiques, régulation, usure, sélection, approche diachronique,
méthode combinée
Keywords : musculoskeletal disorders, adjustments, wear and tear, selection, diachronic method,
combined method
Palabras claves : trastornos musculoesqueléticos, regulación, desgaste, selección, enfoque
diacrónico, método combinado

AUTEURS
WILLY BUCHMANN
CNAM, CRTD, Équipe Ergonomie, 41, rue Gay Lussac, 75005 Paris, [email protected]

CÉLINE MARDON
CNAM, CRTD, CEET, CREAPT, 29, prom. Michel Simon, 93160 Noisy-le-Grand,
[email protected]

SERGE VOLKOFF
CNAM, CRTD, CEET, CREAPT, 29, prom. Michel Simon, 93160 Noisy-le-Grand,
[email protected]

CORINNE ARCHAMBAULT
Airbus, 3, rue Lorenzi, 93440 Dugny, [email protected]

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