《吶喊》魯迅
《吶喊》魯迅
《吶喊》魯迅
《呐喊》
《Le journal d’un fou》
“从前鲁迅译⽇本⼈某⽒的《美术史潮》,鲁迅本⼈从
没见过⼀件西洋美术原作⽽译,⽐纸上谈兵更要不得。
鲁迅尚且如此,余⼦⾃不⾜怪矣! ”
傅雷
À la première lecture, le présent passage de l’œuvre de Lu Xun (1918), nous renvoi presque
naturellement à celle de son plus jeune frère Zhou Zuoren: 《Littérature humaine》, publiée l’année
suivante, le 2 février 1919. Dans celle-ci, Zhou Zuoren dé nit l’Homme, la nature humaine, comme
étant composée de deux éléments: la chaire, ou le corps, et l’esprit. Si autrefois l’on voyait la chaire
comme l’héritage d’une nature barbare; l’esprit comme le commencement d’une nature “divine”
(神性), alors l’objectif , le but de la vie humaine, pensait-on, était de s’attacher à développer cette
nature “divine”, autrement dit détruire le corps pour sauver l’âme. Mais cette pensée, que Zhou
Zuoren quali e d’extrémiste, constituait une forme de résistance contre l’instinct humain. Zhou
Zuoren rejoint plutôt la pensée formulée plus tard par Blake William dans 《Le mariage du ciel et de
l’enfer》, dans laquelle la nature barbare, animal et celle “divine” sont inséparables, forment ensemble
la nature humaine. Dès lors, que l’on s’en prenne à la chaire humaine, ou à l’âme, l’esprit humain,
dans les deux cas, on agresse la nature humaine, l’empêchant de progresser comme elle le devrait. Pour
Zhou Zuoren, tout ce qui s’oppose au développement naturel de l’homme doit être éliminé, corrigé. Il
s’agit non plus de sauver uniquement l’âme, mais l’homme dans son entièreté, composé d’un corps
et d’une âme. Conscient de la station actuelle en Chine et donc de l’importance de cette tâche à mener,
Zhou Zuoren a ,à travers la littérature, cherché à encourager une pensée humaniste. Cet humanisme,
exprime t’il, doit s’accomplir, commence, en chaque homme.
C’est autant le thème de l’humanité (incluant par là même celui de la barbarie) que son but
ultime, qui nous renvoi à l’œuvre de Lu Xun, et plus encore à l’idéal que lui même a poursuivi; celui de
“sauver l’âme du peuple chinois”, “changer l’esprit du peuple chinois ”. Tout comme pour Zhou
Zuoren, il pense qu’en chaque individu se trouve le germe, la force capable de sauver le peuple chinois,
de rattraper le retard qu’à la Chine sur les autres nations modernes. Si à cette époque en Chine on
pensait que seule la science moderne, la force physique du peuple suf raient à sauver la Chine, Lu Xun et
son frère, préconisent plutôt d’utiliser pleinement la capacité humaine (physique et mentale) pour
mener à bien ce projet ambitieux. Et c’est à la littérature qu’ils con ent cette lourde tâche.
Les deux frères, en proposant de changer l’esprit du peuple chinois, ont alors inévitablement
besoin de passer par la dénonciation et la critique de la société de leur temps. Estimant la valeur,
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l’intérêt de la littérature pour mener à bien ce projet, l’œuvre présente de Lu Xun est un appel, un cri,
pour sauver l’humanité. Un sauvetage qui n’est possible qu’en passant dans un premier temps par la
mise en lumière des mécanismes de la société féodale.
Je propose ainsi, dans une succincte analyse de ce passage de l’œuvre 《狂⼈⽇⼦》《Journal
d’un fou》, d’analyser comment prend forme cette réalité dans son récit, les mécanismes sociaux et
problèmes qu’il révèle, et nalement l’orientation du développement de l’humanité qu’il laisse
entrevoir.
La folie que dénonce Lu Xun est toujours celle de notre temps. Si la folie est en l’autre, il ne
peut en être autrement pour soi-même. La folie est en chacun, et de cette folie on ne guérie pas. Mais
celle-ci se manifeste différemment en chacun. Celle que dénonce Lu Xun est bien trop grande pour
l’ignorer, il s’agit d’une folie, qui parce qu’elle est le fait d’un trop grand nombre d’hommes,
mène à l’auto-destruction, à la déshumanisation. La folie que décrit Lu Xun de son temps est d’avoir
une bonne conscience sous un système politique barbare où les hommes sont contraints de s’entre-
dévorer. Mais le terme de cannibalisme, en ce qu’il décrit le fait de dévorer la chaire d’un individu de
sa propre espèce, ne conviendrait pour désigner ce que crains Lu Xun. La réalité, le fait qu’il décrit dans
son œuvre est plus grave encore; les hommes s’entre-dévorent leur esprit, leur âme.
Le miroir de l’âme étant les yeux, ce que crains Lu Xun, en tant que narrateur-personnage de
l’histoire, est alors révélé dans le regard des autres personnages:“趙貴翁的顏⾊便怪:似乎怕我”, et
révèle aussi leurs intentions “(…)似乎想害我”. Lu Xun confère également au chien une âme:
“(…)然⽽須⼗分⼩⼼。不然,那趙家的狗,何以看我兩眼呢?我怕得有理”. Cette
personni cation tend à démontrer la nature commune de cette folie, et par le même temps à semer le
doute chez le lecteur. En effet, si cette folie décrite dans l’œuvre est le fait des autres, excluant le
narrateur, le fait qu’il la voit partout, même dans les yeux d’un chien, nous emmène aussi à
soupçonner la folie du narrateur. Le lecteur se questionne alors sur l’identité du fou, lequel nalement,
dans sa folie, ne se distinguerai peut être pas des autres.
Dans la description du regard, de l’attitude des enfants, l’analyse va encore plus loin. Si dans un
premier temps les adultes et les enfants adoptent la même attitude “前⾯⼀伙⼩孩⼦(…)顏⾊也同趙
貴翁⼀樣”, ces derniers s’enfuient ensuite. Ce après quoi le narrateur-personnage conclu “我明⽩了。
這是他們娘⽼⼦教的!”. Le constat terrible de cette fatalité qui touche l’enfance, la jeunesse, révèle un
problème crucial, qui touche à l’avenir de la société chinoise: Sur qui s’appuiera la société à l’avenir
pour sauver la jeunesse ? Cet appel pour sauver la jeunesse re ète la ferveur romantique et les idéaux des
Lumières de Lu Xun. Par là, Lu Xun critique directement la réalité de la société féodale, une société dans
laquelle ses individus s’entre-dévorent, niant ainsi son sytème et son idéologie. Une telle dénonciation,
critique, est une première dans l’histoire de la littérature chinoise. Elle est un avertissement, un rappel à
la responsabilité dans l’éducation des enfants, et appelle à un traitement humaniste des enfants. Le
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personnage-narrateur du fou est le seul à avoir un regard critique, à dénoncer ce qui se passe. Aux yeux
du lecteur, il semble alors être le seul à pouvoir changer les choses.
La critique de la société prend forme de plusieurs manières dans ce passage. Dès son introduction, il
fait allusion à la lumière de la lune, laquelle a une autre connotation que celle que l’on connaît dans la
culture, la littérature classique chinoise. Ici la lune est le re et, une miniature de l’aliénation de la
nature humaine. Elle re ète le monde psychologique humain, les intentions meurtrières, l’angoisse et la
peur. Pour donner la tonalité des événements qui vont se passer la deuxième journée du récit, Lu Xun
utilise encore une fois la personni cation de la lune, laquelle n’émettant plus aucune lumière, nous
plonge entièrement dans cette société présentée alors comme les ténèbres, “今天全沒⽉亮,我知道不
妙。”. Cette obscurité révèle non seulement la nature de la société de son temps, mais aussi la dif culté
dans laquelle elle se trouve pour en sortir, pour s’éveiller. A contrario, au tout début est annoncé un
beau claire de lune. Ce clair de lune est le re et de l’esprit du fou lui-même, lequel serait le seul à le voir.
Il s’agit ici d’une métaphore. Dans ce récit, le fou se présente comme un individu pensant,
ré échissant seul, à l’opposé de la masse d’individus que compose la société, autrement dit il s’en
distingue. L’identité, la psychologie du fou est d’ailleurs décrite d’une manière très succincte mais
ef cace. Lu Xun parvient en quelques mots à en faire un portrait complet. Ce que le fou observe, comme
pour le clair de lune par exemple, les autres sont incapables de l’observer. Ainsi, il se présente comme la
seule lumière dans les ténèbres que constituent la société féodale, une lumière qui est capable de révéler la
vérité, les travers de cette société.
A propos des travers, des horreurs de la société, ils décrits d’abord ceux devenus banales aux yeux
des -autres- gens « 他們——也有給知縣打枷過的,也有給紳⼠掌過嘴的,也有衙役占了他妻⼦的,也
有⽼⼦娘被債主逼死的“, mais cette journée, en particulier, comme l’a annoncé le clair de lune, sera
mauvaise ”不妙“. En effet : ”他們那時候的臉⾊,全沒有昨天這麽怕,也沒有這麽兇。“.
L’étrangeté de la journée est soulignée à plusieurs reprises dans le texte avec l’emploi de l’adjectif
“怪”, créant chez le lecteur un sentiment de stresse, même d’oppression. La technique de répétition est
également utilisée avec la phrase“凡事須得研究,才會明⽩。” , elle souligne ici la gravité de la
situation et donc l’importance de l’analyser pour comprendre les mécanismes de la société.
Mais si Lu Xun montre la banalisation des ces horreurs de la société, il se préoccupe encore
davantage du sort de l’âme humaine. Ce qu’il décrit dans son œuvre, le fait que la population n’est
plus éclairée, éveillée, est je pense aussi le fait du lecteur. La peur qu’il suscite chez le lecteur à propos
du cannibalisme n’est encore qu’un phénomène de surface, observable par tout le monde, qui ne
dérange plus personne. La réalité se cache au delà de ce qui est observable par nous. Son appel à la
vigilance n’entend pas observer, surveiller les actes de chacun, mais plutôt à guérir notre âme, à la
sauver, de ce mal qu’est la société féodale. Ainsi, ce récit n’est pas une solution à ce mal, mais
simplement la mise en récit d’une réalité que toute le monde peut observer.
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Dans ce récit, Lu Xun semble se positionner entant qu’humaniste, dénonçant particulièrement
le traitement envers les enfants. C’est le cas par exemple lorsque la femme s’en prend à son enfant, le
menaçant de le mordre, au prétexte de se soulager. Ce passage renvoie d’ailleurs à un autre passage un
peu plus loin “況且是要吃的時候”, traduit en français par “surtout quand ils sont poussés par la
faim”. Ce que Lu Xun dénonce ici, n’est pas directement l’attitude de la maman, mais l’action de la
société, de ce système politique barbare, sur les hommes, qui les pousse à s’entre-dévorer. Si l’homme
comme l’animal mange pour survivre, l’homme conscient, capable de raisonner, ne devrait pas être
amené à s’en prendre à sa progéniture. Si dans son développement normal, l’homme devrait tendre à
se distinguer de plus en plus de l’animal, la réalité que décrit ici Lu Xun, tend à démontrer l’inverse.
Le problème révélé ici pose la question de l’humanité et de ses limites. Cette animalité, quand bien
même est constitutive de la nature humaine, comme l’a exprimé Zhou Zuoren, elle ne doit pas prendre
le dessus. Or, dans ce récit, l’homme ne se distingue presque plus de l’animal. Si le fou rencontre de
nombreux personnages, aucun d’eux n’échangent verbalement avec lui. Plus encore, lorsque le fou
s’adressent aux enfants, ceux-ci fuient, comme le ferait n’importe quel animal. Tantôt ce sont les
autres qui semblent être des animaux, tantôt c’est le fou lui même qui semble l’être, lorsqu’il dit être
enfermé dans la bibliothèque comme un animal.
Pourtant, seul le fou semble ré échir, analyser, être conscient de la situation. Ainsi, si il existe une
folie, elle est animale. En fait, le moins fou semble être le fou lui-même. Si cette folie ravage la société
toute entière, lui semble refuser, résister contre cette folie. Cela révèle en fait l’état d’esprit dans
lequel se trouve Lu Xun lorsqu’il fait face à la réalité de la société, c’est-à-dire: désespéré, désarmé.
La société dans laquelle il vit est incapable de sauver ses individus, et au contraire, c’est elle qui les
poussent à s’entre-dévorer. Le fou est appelé “fou” car rien ne semble pouvoir le sauver de ce destin
qui touche déjà l’ensemble des individus de la société. Il n’a que sa propre conscience pour s’en
sortir. Pourtant, si Lu Xun choisit de faire le récit de cette réalité, c’est qu’il a encore de l’espoir,
celui que d’autres, comme lui, ne soit pas encore tombé dans l’animalité complète, la
déshumanisation. Son cri est tout autant un cri de désespoir que d’espoir. Car si lui ne cri pas au
secours, personne d’autre ne le fera.
Le manque d’humanisme est aussi évoqué lorsque les propres membres de sa famille l’enferment
à clé dans la bibliothèque comme:“宛然是關了⼀隻雞鴨”. Ces actes révèlent tous un manque
d’humanité, et au contraire, un barbarisme, voir une animalité. Si l’on s’en réfère aux propos de
Zhou Zuoren dans 《Littérature humaine》“⾁的⼀⾯,是獸性的遺傳;靈的⼀⾯,是神性的發端”,
c’est bien là le signe d’une dénaturation de l’homme, lui enlevant ce qui fait de lui en homme.
Autrement dit, le cannibalisme n’est pas encore un problème vital pour l’homme en ce qu’il ne lui
arrache que sa chaire, mais ne lui arrache pas son âme, son esprit. Si le narrateur a deviné que les autres
“會吃⼈”, “我也是⼈,他們想要吃我了。”, cela n’est en fait que le début d’une mort lente,
d’abord du corps, puis celle à venir, fatale, de l’âme.
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L’animalité, la barbarie, que donne à voir Lu Xun dans son récit nous renvoie de nouveau à
l’œuvre de son frère, dans laquelle il écrit “凡獸性的餘留,與古代禮法可以阻礙⼈性向上的發展
者,也都應該排斥改正。“. Par “⼈性向上”, Zhou Zuoren entend l’avancé de la nature humaine, de
l’humanité, et c’est cette possibilité d’améliorer sa vie, sa qualité de vie, qui le différencie nettement
de l’animal. Le développement normal de l’homme devrait donc le pousser à s’éloigner, se
différencier de plus en plus de l’animal.
Le thème de l’humanité est présent dans toute l’œuvre, se présentant comme une nécessité.
En observant, analysant les mécanismes de la société, ses individus, le narrateur cherche nalement
l’origine de tout ce mal, ce manque d’humanité, dans l’histoire. Dans un livre il trouve les termes
“仁義道德” tout comme celui de“吃⼈”. Cette opposition révèle deux faces, deux évolutions de
l’humanité, la première évolutive et l’autre régressive. L’humanité, la justice et la morale constituent
ce qu’il y a de bon dans la culture chinoise, la base sur laquelle la société et ses individus doivent se
développer. Ces valeurs sont à la base non seulement de l’éducation, mais aussi de la vie sociale et
politique. L’apparition du terme de cannibalisme dans le récit de l’histoire chinoise montre une
tendance qui a toujours existé, révèle un fait qui est de tout temps, pas seulement le fait d’aujourd’hui.
Ce phénomène de cannibalisme révèle un mécanisme d’auto-destruction des individus de la société.
Cette tendance est le mauvaise penchant de la culture chinoise. Par le biais de ce récit, Lu Xun met en
image, en scène, cette tendance que suit la société chinoise depuis (presque toujours). Ce problème qu’il
révèle touche à l’essence même de la société chinoise. Ainsi, Lu Xun rend responsable la Chine elle
même de son retard sur les nations modernes. Il démontre que le problème plus grave que fait face la
Chine touche l’homme lui même dans son intégrité. Tant que le développement de la nature humaine est
entravé, la société ne peut non plus évoluer, elle ne peut au contraire que régresser. L’état de la
situation que nous donne à voir Lu Xun est une régression de la société au point qu’elle disparaisse, que
l’homme ne soit plus que réduit à l’état animal.
Ce passage de l’œuvre de Lu Xun est autant un cri de désespoir qu’un cri d’espoir. Dans
le récit, le fou se présente nalement comme le seul qui puisse sauver la société chinoise, le dernier espoir.
Le thème du cannibalisme omniprésent révèle un problème urgent, celui de l’autodestruction, de la
déshumanisation. La question la plus urgente de l’homme, mais aussi celle de la femme et l’enfant
sont questionnées. Si pour Lu Xun, l’humanité commence en chaque homme, et il faut bien un premier
pour lancer le mouvement, l’“opération de sauvetage” de la nation. Le personnage du fou est le seul
personnage du récit qui témoigne encore un peu d’humanité, son récit entend donc diffuser le peu qu’il
reste d’humanité à la société toute entière, dans l’espoir qu’elle change, qu’elle progresse.
L’œuvre de Zhou Zuoren nous permet d’apporter un éclairage sur celle de son frère. Elle nous
donne une vision pratique des possibilités, nous rapproche davantage de la réalité pratique. En cela, on
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peut dire que leur travail se complète, et leur combinaison offre de plus grandes possibilités au
développement humain, une plus grande ré exion sur l’humanité. Néanmoins, l’œuvre présente de Lu
Xun ne présente à elle même une solution. Elle ne fait que donner à voir une réalité observable, nous
invite à voir au delà pour révéler les problèmes, mécanismes de cette société. De plus, les écrits de Lu Xun
et de son frère, proposent non pas une solution qui serait propre à la Chine de leur temps, mais
constituent un outils pour le progrès de l’humanité dans son entièreté, et cela pour toutes les
générations à venir.
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