Asr 1670
Asr 1670
Asr 1670
Marianne Bujard
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/asr/1670
DOI : 10.4000/asr.1670
ISSN : 1969-6329
Éditeur
Publications de l’École Pratique des Hautes Études
Édition imprimée
Date de publication : 1 septembre 2016
Pagination : 25-32
ISSN : 0183-7478
Référence électronique
Marianne Bujard, « Histoire de la religion et de la pensée dans la Chine ancienne », Annuaire de l'École
pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses [En ligne], 123 | 2016, mis en ligne le
20 juillet 2017, consulté le 08 juillet 2022. URL : http://journals.openedition.org/asr/1670 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/asr.1670
Elles comprennent ordinairement les séquences suivantes, sans que toutes soient
nécessairement au complet ou dans l’ordre donné ici.
Date : la date mentionnée en tête de l’inscription est rarement absente. Dans
sa forme la plus complète, elle indique d’abord l’année exprimée comme la nème de
telle ère ; puis, le mois comme le nème, dont le premier jour correspond à tel binôme
sexagésimal ; puis, le jour comme le nème, correspondant à tel binôme sexagési-
mal ; dans quelques cas, un des douze termes du système hémérologique Jianchu
建除 (Établir-Supprimer) vient compléter la date. Elle est celle du décès, ou de
l’enterrement, ou même du rituel au cours duquel le pot a été placé dans la tombe.
Rituel : l’énoncé du rituel comprend le nom de la divinité supérieure - l’Empereur
du Ciel, Tiandi 天帝 ou le dieu Jaune Huangshen 黃神 – par délégation duquel son
émissaire, shizhe 使者, que l’on peut identifier avec l’exorciste, exécute un rituel
pour « chasser le malheur et éliminer les fautes » chu yang qu zhe 除央 (殃) 去適
(謫) (DJKG, p. 133-136), prévenir les maux liés à l’ouverture de la tombe, voire à
son déplacement. Le « fonctionnaire du district » (xianguan 縣官) remplace parfois
l’exorciste (dans un pot daté de 156 conservé au Japon, DJKG, p. 133).
Annonce : l’exorciste annonce (gao 告) au nom de la famille du défunt l’arri-
vée du nouveau mort, dont l’identité et, parfois, les circonstances de la mort (mort
précoce) sont renseignées.
Destinataires : est énumérée la liste des défunts déjà présents dans la tombe
et celle des membres de l’administration souterraine à qui l’exorciste annonce
l’arrivée du nouveau mort.
Séparation : plusieurs assertions à valeur performative rappellent par diffé-
rentes formules et métaphores la séparation radicale entre le monde des morts et
celui des vivants.
Protection : la mention du dépôt de materia medica (cinabre, arsenic, sulfure
de fer) prophylactiques et démonifuges, que l’on retrouve parfois dans les pots
(quand ils n’ont pas été nettoyés).
Service : la mise à disposition du défunt de serviteurs sous la forme de figu-
rines en plomb ou de racines de ginseng (qui ont l’apparence d’un corps humain)
afin qu’ils exécutent les corvées à sa place ; le défunt reçoit en outre des imitations
de pièces de monnaie en terre cuite, ou de vraies pièces ; ou encore l’inscription
précise les sommes généralement exagérément élevées destinées à acquitter ses
dettes dans l’au-delà.
Absolution : quittance est donnée au défunt, aux vivants, ou aux autres occupants
de la tombe, des conséquences néfastes des fautes qu’ils ont commises par le passé.
Vœux : des vœux de prospérité et d’abondante descendance pour la famille du
défunt sont exprimés.
Formule finale : l’exécution immédiate des dispositions est ordonnée par la
formule ru lüling.
Après avoir lu, analysé et traduit les inscriptions les mieux conservées, nous
avons conclu que la fonction principale des récipients et de leurs inscriptions était
d’assurer la séparation hermétique entre les vivants et les morts. Toute une batterie
de procédés était mise en œuvre pour y parvenir. Le rituel de « confinement » (zhen
鎮) ou de « séparation » ( jie 解) accompli par « l’envoyé céleste », c’est-à-dire
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exercer librement son pouvoir bénéfique sur lui1. Le dragon, créature emblématique
de l’est, et l’arsénopyrite de couleur verte renforcent le dispositif de protection de
l’agent Est sur le Centre. Le premier par son évocation dans l’inscription, le second
par sa présence matérielle dans le pot. Chaque pot et son inscription exercent, selon
la même logique, un contrôle sur l’orient qu’ils dominent et concourent ensemble
à faire de la tombe un espace hautement surveillé.
DOMINATION
E ►
N Bois (Est, Printemps, Vert) → Terre → Eau → Feu → Métal
G
E
N Feu (Sud, Eté, Rouge) → Métal → Bois → Terre → Eau
D
R Terre (Centre, Jaune) → Eau → Feu → Métal → Bois
E
M
E Métal (Ouest, Automne, Blanc) → Bois → Terre → Eau → Feu
N
T
Eau (Nord, Hiver, Noir) → Feu → Métal → Bois → Terre
▼
L’exorciste cependant ne suffit pas à contenir seul les maléfices que pour-
raient provoquer les morts. Dès le premier quart du deuxième siècle, sur un pot
daté de 122 (DJKG, p. 107-109), un Préfet du Tertre (Qiuzheng 丘丞) se présente
comme l’alter ego de l’administrateur de la capitale qui régit les vivants ; ce Préfet
du Tertre est le premier fonctionnaire souterrain de notre corpus, mais il n’est pas
encore secondé par d’autres employés ou accompagné de puissances tutélaires.
Une inscription de 147 et rédigée pour le compte de la famille Jia compte déjà une
administration plus fournie (DJKG, p. 142-143). Destinée à une morte de 24 ans,
donc une malemort susceptible de chercher réparation d’une vie si brève auprès des
vivants, l’inscription décrit une administration en charge des défunts composée de
deux départements distincts : l’un s’occupe des registres des vivants et des morts
sous la direction en haut d’un Maître du Destin (Siming 司命) et en bas d’un Maître
des Registres (Silu 司錄) ; l’autre département, sous la responsabilité du Préfet
du Songshan (Songgao zhang 嵩高長), le Pic du Centre situé près de la capitale
Luoyang où séjournent les âmes (soit un lieu équivalent au mont Taishan dans l’est
de l’empire), secondé par des Patrouilleurs des chemins (Moshang youjiao 陌上
游徼), s’occupe de surveiller les âmes des défunts et les empêcher de quitter le
séjour des ombres. Cette inscription mentionne encore un émissaire du Souverain
de la Tombe (Muhuang shizhe 墓皇使者), qui est peut-être le correspondant dans
le monde souterrain du Tiandi shizhe, l’envoyé de l’Empereur du Ciel, identifié à
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dimensions à Mixian au Henan ont été déposés, pareillement aux pots de la sépul-
ture de Sanmenxia, dans les quatre orients et le centre, mais ils ne portent pas
d’inscription. On peut cependant les rapprocher d’autres béliers de pierre provenant
d’une tombe dans la province de l’Anhui et publiés au début du xxe siècle par Xu
Naichang 徐乃昌 (1869-1943) (DJKG, p. 218-223). Leurs inscriptions sont très proches
de celles des pots apotropaïques, mais elles prévoient un procédé supplémentaire
pour éviter les pollutions liées à la mort. L’inscription (lacunaire) dit en substance :
Si le mort voulait se manifester à nouveau, il faudrait d’abord que le bélier de pierre
tourne la tête, que ses pattes [se meuvent], et seulement alors, on répondra à l’appel
du mort. Pour ceux qui ne le croiraient pas, le bélier de pierre en est la preuve.
Conformément aux lois et aux ordonnances.
Quant aux inscriptions sur les pierres carrées, elles décrivent la tombe comme
une véritable prison gardée par des dieux geôliers tandis que sur le disque de pierre,
l’Empereur du Ciel ordonne aux Cinq Empereurs de couleur de veiller chacun
sur l’orient qu’il contrôle selon le cycle de domination des cinq agents mentionné
plus haut.
Les dernières conférences ont été consacrées à la traduction d’un autre corpus
de documents funéraires, les contrats fonciers (maidi juan 買地卷), soit des contrats
dûment rédigés qui garantissent que la parcelle de terre occupée par le défunt est
bien son entière propriété. De tels documents sont écrits sur des supports variés :
jade, plomb, fer, brique, pierre, tuile, bois, papier, parmi lesquels se trouvent nombre
de faux. Pour la période Han, treize pièces sont tenues pour authentiques et ont été
rédigées entre 81 de notre ère et la fin du deuxième siècle2. Les contrats destinés
à la bureaucratie souterraine présentent un texte relativement standard qui com-
prend la date de la transaction, le nom de l’acquéreur, qui est le défunt, le nom du
vendeur ou des vendeurs qui pourraient être pour certains savants les occupants
des tombes voisines, le montant de la vente et son quitus, le bornage du terrain
défini par les chemins ou par les propriétés mitoyennes ou marqué par des pierres,
et l’affectation au service du défunt en qualité d’esclaves des cadavres se trouvant
précédemment dans la parcelle. Les contractants et leurs garants scellaient la
transaction avec une mesure d’alcool.
2. Lu Xiqi 魯西奇, Zhongguo gudai maidi juan yanjiu 中國古代買地卷研究, Beiming yanjiu
碑名研究, Zheng Zhenman 鄭振滿 éd., Xiamen, Shehui kexue wenxian chubanshe, p. 21-77.
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