Entrainement Dissertation - Manon Lescaut - Correction

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Dissertation sur Manon Lescaut de l'Abbé Prévost- BAC de Français (2023)

Parcours : Personnages en marge, plaisirs du romanesque


Sujet : Le plaisir de lire Manon Lescaut ne tient-il qu’au récit d’une passion
amoureuse ?

Introduction :
On prête à Antoine François Prévost une vie pleine de rebondissements qui peut
sembler bien éloignée de son statut ecclésiastique. La passion amoureuse aurait
souvent guidé ses choix, associée à un désir fort de liberté. Ainsi L’histoire du
chevalier des Grieux et de Manon Lescaut publiée en 1731, serait partiellement
inspirée de l’existence tumultueuse de son auteur qui s’est plus d’une fois écarté
des valeurs portées par son éducation, sa fonction et son origine sociale. Il est
certain que le récit que le jeune Des Grieux fait au marquis de Renoncour donne la
primauté aux aventures engendrées par l’amour fou que le jeune homme de bonne
famille a éprouvé pour la belle Manon.

Problématique :
Mais le plaisir du lecteur ne tient-il qu’au récit d’une passion amoureuse ? N’y a-t-il
pas d’autres ressorts romanesques ainsi qu’une dimension réflexive qui séduisent
tout autant le public ?

Annonce du plan :
Nous verrons tout d’abord que l’histoire d’une passion amoureuse entre deux
amants que tout opposait charme le lecteur, puis que ce roman mobilise tous les
plaisirs engendrés par le roman d’aventures. Enfin, guidé par les propos de
l’auteur dans l’Avis liminaire, nous comprendrons qu’« outre le plaisir d'une lecture
agréable, on y trouvera peu d'événements qui ne puissent servir à l'instruction des
mœurs ». Nous verrons que cette dimension réflexive participe également au
plaisir de la lecture.

Plan (ici détaillé, à rédiger intégralement le jour de l'épreuve)

I. Le récit plaisant d’une passion amoureuse

1) L'amour au premier regard

Deux jeunes gens, très beaux, se rencontrent de manière parfaitement fortuite.


Des Grieux est immédiatement séduit : « elle me parut si charmante (…) que je me
trouvais enflammé jusqu’au transport ». Topos amoureux du coup de foudre.
Exemple(s) :
➢ Manon : « Je te jure, mon cher chevalier, que tu es l’idole de mon cœur, et
qu’il n’y a que toi au monde que je puisse aimer de la façon dont je t’aime » -
exemple issu de l’œuvre
➢ Flaubert, L’Éducation sentimentale, coup de foudre de Frédéric pour Mme
Arnoux : « Ce fut comme une apparition » - exemple issu d'une autre œuvre
complément l'argument (facultatif)
2) L’idylle

Un roman aux grandes envolées lyriques qui dit l’amour, ses joies et ses peines.
Les personnages exultent de joie, pleurent, se déclarent un amour éternel, se
déchirent également. Émotivité exacerbée.

Exemples :

➢ un amour sensuel irrésistible dès la première nuit partagée (« nous


fraudâmes les droits de l’église »)
➢ le trouble de Des Grieux face aux démonstrations amoureuses de Manon lors
des retrouvailles au parloir : « À peine eus-je achevé ces derniers mots,
qu’elle se leva avec transport pour venir m’embrasser. Elle m’accabla de
mille caresses passionnées. Elle m’appela par tous les noms que l’amour
invente pour exprimer ses plus vives tendresses. »

3) La « force des passions »

Trahisons, tromperies, disputes et retrouvailles font aussi partie des plaisirs d’une
grande histoire d’amour. Ressorts mélodramatiques qui font vibrer le lecteur.

Exemples :

➢ Les retrouvailles au parloir : « Le désordre de mon âme en l’écoutant ne


saurait être exprimé. »
+ Dans Le Confident d’Hélène Grémillon, passion interdite entre Annie et
Paul. La trahison que représente cette passion adultère pour l’épouse de
Paul, confidente et amie d’Annie

II. Le plaisir de lecture : les ressorts romanesques du roman d’aventures et du


roman en général

1) Des aventures rocambolesques articulées par de multiples rebondissements


Le roman est sans cesse rythmé par des aventures qui tiennent le lecteur en
haleine.
Exemples :
➢ Le meurtre de Lescaut, le travestissement de Manon pour s’évader de Saint
Lazare, Des Grieux sans culotte dans les rues de Paris.
➢ L’enlèvement de Pauline dans le roman éponyme de Dumas.
➢ L’évasion d’Edmond Dantès dans Le Comte de Monte-Cristo de Dumas
2) Des aventures libertines qui séduisent et amusent le lecteur

Ce roman, bien que l’Abbé Prévost s’en défende, présente aussi les charmes de la
vie libertine : profiter des plaisirs de la vie, être en quête du divertissement en
bafouant la morale, satisfaire de manière immédiate ses désirs sans se soucier du
salut de son âme.

Exemples :

➢ « Manon était passionnée pour le plaisir ; je l’étais pour elle : il nous naissait
à tous moments de nouvelles occasions de dépense ; et, loin de regretter les
sommes qu’elle employait quelquefois avec profusion, je fus le premier à lui
procurer tout ce que je croyais propre à lui plaire.»
➢ « C’était du plaisir et des passe-temps qu’il lui fallait.[…] rien n’était plus
facile que de la satisfaire, en lui faisant naître tous les jours des amusements
de son goût. »

3) Un roman ancré dans le réel, ce qui permet le plaisir de l’identification

➢ Les amants se déplacent dans des lieux familiers (Chaillot, Paris, Amiens, Le
Havre, etc.), l’auteur mentionne des lieux célèbres (le séminaire de St
Sulpice, la Sorbonne, L’hôpital, l’Opéra, etc.)
➢ L’Abbé Prévost joue d’ailleurs avec cet effet de miroir et de reconnaissance
possible en ne citant que les initiales de certains personnages pour
préserver leur anonymat (M. de B, M. de G… M… , M. de T).
+ Dans La Délicatesse de David Foenkinos entre Paris et la Normandie,
roman qui joue avec de nombreuses références de notre quotidien.

4) L’émotion suscitée par les moments lyriques, dramatiques tragiques – le


mélange des registres distrait le lecteur

➢ Dramatisation par le suspens et les actions tendues comme l’évasion de Des


Grieux et Manon.
➢ Comique des stratagèmes montés par les amants pour piéger les amants
trop pressants.
➢ Tragique de la mort de Manon dans le désert, Des Grieux qui l’enterre de ses
mains
+ La mort de la courtisane dans les bras de son amant dans La Dame aux
camélias d’Alexandre Dumas.

III. Au-delà des aventures amoureuses, une dimension réflexive passionnante

1) La question complexe de la moralité ou de l’immoralité du roman

– La volonté moraliste affichée par l’auteur - « [Le public] verra, dans la


conduite de M. Des Grieux, un exemple terrible de la force des passions. J'ai
à peindre un jeune aveugle, qui refuse d'être heureux, pour se précipiter
volontairement dans les dernières infortunes ; qui, avec toutes les qualités
dont se forme le plus brillant mérite, préfère, par choix, une vie obscure et
vagabonde, à tous les avantages de la fortune et de la nature ; qui prévoit ses
malheurs, sans vouloir les éviter ; qui les sent et qui en est accablé, sans
profiter des remèdes qu'on lui offre sans cesse et qui peuvent à tous
moments les finir ; enfin un caractère ambigu, un mélange de vertus et de
vices, un contraste perpétuel de bons sentiments et d'actions mauvaises. »
(résumez la citation si vous avez retenu l'essentiel)

Ce roman met en scène des actions libertines (cf citation de Montesquieu : « le


héros est un fripon et l'héroïne une catin »)

➢ Manon est mue par la recherche de plaisirs immédiats, des désirs de luxe et
de sensualité.
➢ Des Grieux bafoue toutes ses valeurs par amour, il trahit son père et son
meilleur ami Tiberge, modèle absolu de fidélité et de droiture morale
➢ L’immoralité qu’entraîne la « force terrible des passions » semble sans
limites (Des Grieux est emprisonné et devient meurtrier).

L’auteur prévient les critiques et les attaques en expliquant que son œuvre montre
que la passion, en faisant perdre vertu et raison, conduit à une fin tragique.

➢ Pour gagner en crédibilité dans ce projet d’édifier le lecteur, il donne à voir


le rachat des amants en Louisiane qui adoptent une vie simple et pure, et
montre le repentir de Manon qui semble enfin sincère : « Je ne cesse point
de me reprocher mes inconstances, et de m’attendrir, en admirant de quoi
l’amour vous a rendu capable, pour une malheureuse qui n’était pas digne ».

Il fait de Tiberge un parangon de vertu, un contrepoint et un modèle

– Tiberge reste fidèle à sa vocation religieuse, à son ami - « J’avais autant de


penchant que vous vers la volupté, mais le ciel m’avait donné, en même
temps, du goût pour la vertu. (...) J’ai conçu pour le monde un mépris auquel
il n’y a rien d’égal » - et le met en garde contre les dangers du libertinage
dans de longs sermons qui ennuient Des Grieux : « il m’exhorta à profiter de
cette erreur de jeunesse pour ouvrir les yeux sur la vanité des plaisir. »,
Tiberge « Le poison du plaisir vous a fait écarter du chemin », « La plus
terrible punition de dieu serait de vous en laisser jouir tranquillement »

2) Un roman de mœurs, tableau d’une époque

Une société traversée par des valeurs et des aspirations contradictoires.

L’histoire du roman commence en 1715 ; Louis XIV, à la morale rigoriste, vient de


décéder, laissant le trône à un Louis XV trop jeune. C’est alors Philippe d’Orléans
qui devient Régent jusqu'en 1723. Une frange de la population, qu’on appelait les
Libertins, ose désormais émettre des idées anticonformistes. S’entrechoquent
dans la société l’idéal janséniste, les pensées libertines et les prémices des idéaux
des Lumières.
Un roman présentant une société corrompue par l’argent et la dépravation.

Exemples :

➢ cercle de jeu où Des Grieux et Lescaut s’encanaillent, trichent,


s’enrichissent, se ruinent
➢ gardes corrompus par l’argent, valets roublards qui volent leurs maîtres
sans remords, père qui fait enlever son fils par des hommes de main,
courtisanerie entretenue par des vieillards libidineux, frère prêt à prostituer
sa sœur et son beau frère, Manon qui offre une jeune courtisane à son amant
pour se faire pardonner ses propres infidélités !

Une réflexion sur le statut des femmes au XVIIIème siècle : Prevost montre
quelques perspectives attendant les femmes qui ne sont pas bien nées – ML fille
de joie, déportée au Mississipi et destinée à être mariée de force à Synnelet, le
neveu du gouverneur.

+ Laclos, Les Liaisons dangereuses, lettre 81 - le parcours de Mme Merteuil et le


choix du libertinage comme une résistance à la volonté de la société et des
hommes qui entrave les femmes.
+ film Jeanne du Barry de Maïwenn - parcours de la favorite du Roi Louis XV à la
sexualité libre et assumée

3) Une réflexion sur le bonheur et ce qui fait le sel de l’existence

La liberté d’assumer sa vie : Des Grieux trouve dans l’amour la force de tenir tête à
son père et de renoncer à une vocation qui l’entrave. Certes Manon et Des Grieux
se conduisent de manière immorale mais ils sont en quête du bonheur et l’amour
du jeune homme est sincère et absolu.

+ prolongement possible - Des Grieux pourrait dire comme le fera Perdican un


siècle plus tard dans On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset : « On est
souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et
quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et
on se dit : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. »

Conclusion (à rédiger) :

Manon Lescaut – roman répondant à la maxime « placere et docere » (plaire et


instruire) et dont la lecture suscite un certain plaisir

PLACERE : récit d’une grande histoire d’amour qui convoque tous les plaisirs du
romanesque.

DOCERE : faire réfléchir et instruire moralement le lecteur

Beaucoup d’autres plaisirs qui s’enrichissent au fil des lectures et du temps +


complexité des interprétations, ambiguïté des jugements, croisement des regards
= c’est ce qui fait une grande œuvre littéraire, un classique.

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