Enfants Et Écrans À La Recherche Du Temps Perdu: Avril 2024
Enfants Et Écrans À La Recherche Du Temps Perdu: Avril 2024
Enfants Et Écrans À La Recherche Du Temps Perdu: Avril 2024
À la recherche
du temps perdu
Avril 2024
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PRÉAMBULE
La technologie a la capacité d’émanciper les enfants, de les libérer, parce qu’elle leur permet d’accéder
plus librement et plus facilement à la connaissance. On peut aussi espérer qu’elle soit facteur d’égalité
sociale réelle, parce qu’elle donne accès à la même connaissance quel que soit l’environnement de
l’enfant qui se connecte, quel que soit le prix de l’appareil qu’il utilise. Pour la première fois, sur un
sujet donné, un enfant peut en savoir plus que son parent, que son professeur, ou que son ministre.
Mais, comme tout ce qui est façonné par l'homme, la technologie a aussi la faculté d’être utilisée pour
enfermer, aliéner, soumettre les enfants.
Après trois mois de travaux, la Commission a acquis la conviction qu’elle devait assumer un discours de
vérité pour décrire la réalité de l’hyper connexion subie des enfants et des conséquences pour leur
santé, leur développement, leur avenir, pour notre avenir aussi… Celui de notre société, celui de notre
civilisation, et peut-être même celui de notre humanité.
La Commission a été bousculée par les constats qu’elle a eus à faire sur les stratégies de captation de
l’attention des enfants, où tous les biais cognitifs sont utilisés pour enfermer les enfants sur leurs
écrans, les contrôler, les réengager, les monétiser. Elle a été alarmée par certaines représentations, de
la femme par exemple, que le numérique hyper amplifie, et par ce qu’il peut imposer aux jeunes filles
dans leur vision d’elles-mêmes ou des comportements « attendus » d’elles.
Préempter ce nouveau marché, dans lequel nos enfants sont devenus la marchandise, est le nouvel axe
de développement de quelques sociétés du numérique. Nous voulons leur dire que nous les avons vues
et que nous ne pouvons les laisser faire.
Ce peuplement de l’espace numérique par les enfants, cette migration du réel vers le virtuel, se fait
trop souvent de manière isolée, sans parent, et sans aucune sécurité. Nous devons leur redonner la
main, pour mieux les accompagner, pour mieux les protéger, pour leur redonner leur place.
Nous devons aussi, tout adulte que nous sommes, nous remettre à hauteur de ce temps de l’enfance :
nos enfants ne sont pas des « petits adultes », ils ont besoin de jouer, ils ont besoin que les adultes
oublient leur portable pour leur donner du temps, ils ont besoin de dialoguer avec les grands et de les
retrouver disponibles, à la maison, dans les parcs, pendant leurs activités, dans les villes comme dans
les campagnes.
Face à la marchandisation de nos enfants, la Commission propose de reprendre le contrôle des écrans,
pour remettre l’enfant au cœur de notre société et lui permettre de grandir et de se réaliser en toute
liberté.
Ce qui fait la richesse d’une Nation, c’est sa jeunesse, et la nôtre n’est pas à vendre.
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Sommaire
PRÉAMBULE ......................................................................................................................................... 3
SYNTHESE ............................................................................................................................................ 6
INTRODUCTION ................................................................................................................................. 11
PARTIE 1 – « EXPOSITION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS AUX ÉCRANS » : DE QUOI
PARLE-T-ON ? ..................................................................................................................................... 16
PARTIE 2 – « EXPOSITION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS AUX ÉCRANS » : EST-CE
GRAVE ? ............................................................................................................................................... 24
2.1- Les écrans en tant que technologie présentent des risques aujourd’hui établis par la science
sur certains aspects de la santé physique des enfants et des adolescents. .................................. 24
2.2- Concernant le développement des enfants et de leur cerveau, il convient prioritairement
d’être vigilants sur les effets des écrans sur les enfants les plus jeunes et sur le risque de
« technoférence » qui peuvent leur nuire durablement ............................................................... 34
2.3- En matière de santé mentale, notamment de dépression et d’anxiété, l’utilisation des réseaux
sociaux semble être un facteur de risque lorsqu’il y a une vulnérabilité préexistante. ............... 43
2.4- L’accès non maîtrisé des mineurs aux écrans les expose à des contenus insuffisamment
régulés, parfois traumatiques, pouvant mettre en cause leur équilibre, leur santé et leur sécurité
....................................................................................................................................................... 47
2.5 – Au-delà des enjeux de santé publique et d’intégrité individuelle, quels impacts sur le plan
sociétal ? ........................................................................................................................................ 50
PARTIE 3 – « EXPOSITION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS AUX ÉCRANS » : QU’A-T-
ON FAIT JUSQU’À PRESENT ? ......................................................................................................... 58
3.1- Un corpus juridique européen et national est d’ores et déjà prévu ou en cours de déploiement
pour protéger les plus jeunes et fournit un encadrement utile qui reste à investir pleinement sur
de nombreux aspects .................................................................................................................... 58
3.2- Des règles et messages de sensibilisation ainsi que des outils d’accompagnement ont été
progressivement déployés mais leurs effets sur les pratiques restent limités faute de connaissance
des recommandations et de cadre d’action harmonisé ................................................................ 62
3.3- Face aux situations les plus graves, des outils de modération, de signalement et de répression
existent mais sont mis au défi de l’explosion des contenus choquants ........................................ 64
3.4- Des acteurs économiques qui ne font pas alliance au service de la protection des enfants,
mais se retrouvent dans le renvoi de la responsabilité aux parents ............................................. 66
3.5- Un cadre de référence sur le numérique éducatif à mieux articuler avec les enjeux sociétaux
et de santé, en lien avec les familles ............................................................................................. 68
3.6- Une gouvernance insuffisante de tous les acteurs, en l’absence de stratégie structurelle,
collective et interministérielle ....................................................................................................... 72
PARTIE 4 : « EXPOSITION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS AUX ÉCRANS » : QUELLE
AMBITION ET COMMENT LA CONCRETISER ? ........................................................................... 74
4.1- Axe n°1 : S’attaquer, pour les interdire, aux conceptions addictogènes et enfermantes de
certains services numériques afin de redonner du choix aux jeunes ........................................... 75
4
4.2- Axe n°2 : Protéger, plutôt que contrôler, les enfants : une bataille qui doit se mener et peut
se gagner auprès des acteurs économiques.................................................................................. 87
4.3- Axe n°3 : Assumer et organiser une progression des usages des écrans et du numérique chez
les enfants en fonction de leur âge ............................................................................................... 93
4.4- Axe n°4 : Préparer sérieusement les jeunes à leur autonomie sur les écrans, leur donner le
pouvoir d’agir et, dans le même temps, redonner toute leur place aux enfants et aux jeunes dans
la vie collective ............................................................................................................................ 108
4.5- Axe n°5 : Mieux outiller, mieux former au numérique et mieux accompagner les parents, les
enseignants, les éducateurs et tous ceux qui interviennent auprès des enfants, tout en organisant
une société qui remet l’écran et le numérique à sa juste place .................................................. 116
4.6- Axe n°6 : Mettre en place un dispositif ambitieux de gouvernance permettant à la puissance
publique de définir une véritable stratégie, de disposer de capacités de pilotage, de pouvoir mieux
soutenir les acteurs qui interviennent auprès des jeunes et des familles, et d’informer les citoyens
..................................................................................................................................................... 123
Tableau récapitulatif des propositions ................................................................................................. 130
Annexe 1 : Présentation des membres de la Commission ................................................................... 132
Annexe 2 : Liste des personnes auditionnées et des contributions reçues ........................................... 135
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SYNTHESE
Les travaux de la Commission se sont tenus en trois mois. Près de 150 jeunes ont été rencontrés, et
plus d’une centaine d’experts et professionnels ont été auditionnés dans l’objectif de couvrir au
maximum les différents aspects du rapport des enfants et des adolescents aux écrans et au numérique.
Au cours de ces travaux, les membres de la Commission ont acquis la conviction que la question des
« écrans » ne devait pas masquer le débat plus large, et ô combien nécessaire, de la place, dans notre
société vieillissante, des enfants et des adolescents, qui s’invisibilisent. Pour notre jeunesse, les usages
des écrans sont tantôt recherchés, car prometteurs d’une socialisation importante à leur construction,
car porteurs d’un accès sans limite à la connaissance, à de nouvelles compétences, et au
divertissement, car accessibles pour lutter contre l’isolement, et susceptibles de compenser certains
handicaps. Pour notre jeunesse, les usages des écrans sont aussi tantôt subis, car rendus irrésistibles
par des stratégies dérégulées de captation de l’attention et des données personnelles, car
amplificateurs de toutes les haines, car présents partout dans les espaces publics, car favorisant le
contrôle contre l‘autonomisation.
À une approche qui ciblerait le seul binôme enfants–écrans, il faut donc préférer une réponse
collective. Cette réponse nécessitera une meilleure appropriation dans le débat public des enjeux de
santé, d’éducation, d’égalité, de droits fondamentaux, d’environnement qui se cristallisent, voire se
confrontent, dans cette question des « écrans ». Elle nécessitera de progresser dans la connaissance et
la compréhension des besoins essentiels des enfants et des adolescents pour bien grandir. Elle
nécessitera de bâtir sur le plan politique, tant à l’échelle mondiale, européenne que nationale, une
stratégie globale, cohérente, derrière laquelle renforcer l’efficacité des engagements, des
administrations, des chercheurs, des enseignants et des éducateurs, des acteurs de la société civile,
des acteurs de terrain. Elle nécessitera d’engager les adultes aux côtés des enfants, pour donner le sens
des limitations et libertés promues, pour évoluer vers des comportements plus exemplaires, pour
redonner du temps « humain » aux enfants et aux adolescents.
- les enfants, à l’image de leurs parents, évoluent dans un univers dans lequel les écrans et le
numérique occupent une place prépondérante. Les enfants sont ainsi très largement exposés
(10 écrans en moyenne par foyer !), et de plus en plus jeunes, aux écrans, que ce soit au sein
de leur domicile, à l’école, dans l’espace public, ou compte tenu des équipements dont ils
peuvent disposer pour leurs usages propres ;
- un consensus scientifique net se dégage sur les conséquences néfastes des écrans sur plusieurs
aspects de la santé somatique des enfants et des adolescents. En particulier, l’utilisation des
écrans contribue, directement ou indirectement, selon une relation dose-effet, aux déficits de
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sommeil, à la sédentarité et au manque d’activité physique, à l’obésité et à l’ensemble des
pathologies chroniques qui en découlent, ainsi qu’aux problèmes de vue (développement de
la myopie et risques possibles pour la rétine liés à l’exposition à la lumière bleue). Des
interrogations, non encore tranchées par la science, sur les effets de l’exposition aux ondes
électromagnétiques ainsi que sur l’impact éventuel de l’exposition à des substances présentes
dans les terminaux numériques et reconnues comme étant des perturbateurs endocriniens
invitent, à ce stade, à la prudence, en particulier dans les périodes de forte vulnérabilité comme
la grossesse ;
- les études sur les conséquences des écrans sur le neurodéveloppement des enfants et des
adolescents nécessitent encore d’être approfondies ; et tout en reconnaissant les difficultés
attachées aux conditions de ces études pour établir des liens de causalité, et l’importance
d’autres facteurs environnementaux, les données nous incitent à aller vers une régulation des
usages. La Commission souhaite en particulier appeler à une grande vigilance, a minima
jusqu’aux 4 ans de l’enfant, dans l’usage qui est fait des outils en leur présence par les parents,
mais aussi plus généralement par les professionnels en lien avec la petite enfance :
mécaniquement, cette « technoférence » qui affecte la quantité et la qualité des interactions
avec l’enfant peut altérer, en cascade, les capacités socio-émotionnelles et le développement
du langage. L’adolescence est aussi une période vulnérable à ce titre sur le plan psycho-
comportemental ;
- la notion « d’addiction aux écrans » en tant que telle n’est pas encore reconnue par la science,
mais les « écrans », et en particulier l’utilisation des réseaux sociaux, semblent être, au-delà
des bénéfices qu’ils peuvent apporter, des facteurs de risque supplémentaires lorsqu’il y a une
vulnérabilité préexistante chez un enfant ou un adolescent, notamment de dépression ou
d’anxiété. Dans un contexte de diffusion massive des usages numériques, et de forte
fragilisation ces dernières années du bien-être mental des adolescents, notamment des jeunes
filles, la recherche doit progresser pour éclairer les décideurs, mais l’attention doit être acquise
dès à présent à l’endroit des conceptions délétères de certains services numériques ;
- l’accès non maitrisé des enfants aux écrans et l’insuffisante régulation des contenus auxquels
les mineurs peuvent être exposés, en matière de pornographie et d’extrême violence, font
peser un risque élevé sur leur équilibre, voire parfois leur sécurité, a fortiori si le dialogue avec
les adultes n’est que peu construit. Ils soulèvent, plus largement, des questions sur le plan
sociétal, par exemple avec la diffusion massive de certains stéréotypes ou représentations
délétères sur les relations entre les hommes et les femmes, sur la sexualité, sur le « vivre
ensemble ». Les risques d’enfermement provoqués par les bulles algorithmiques doivent être
davantage considérés, et les représentations délétères déconstruites. Les dangers liés à la
pédocriminalité n’ont jamais été aussi élevés, et peuplent tous les espaces numériques sur
lesquels se retrouvent les mineurs (jeux vidéo, forums et messageries notamment).
Les pouvoirs publics et les différents acteurs du numérique ne sont pas restés inactifs face à
l’émergence et à l’amplification de ces différents risques. Mais le sujet est hautement complexe,
favorisant un sentiment d’impuissance voire de renoncement. À ce titre, les engagements européens
nouveaux attachés au Digital Services Act (DSA) tout juste entré en vigueur, portés par la France au
moment de sa présidence, constituent une fenêtre d’opportunité essentielle pour agir. Ils doivent
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s’articuler avec une intention politique en France qui grandit et se traduit dans plusieurs initiatives
législatives récentes, qui ont l’intérêt de porter cette question à l’agenda public, mais gagneraient en
efficacité en étant attachées à une stratégie collective clarifiée.
Compte tenu de ces différents constats, la Commission considère qu’il est indispensable d’engager une
action résolue de reprise en main de la situation, et de l’engager avec une force de proposition en
direction des jeunes. Elle appelle à ce que l’action soit autant que possible menée dans un cadre
coordonné au niveau international et s’inscrive dans une démarche d’ensemble (santé, éducation,
parentalité…) et non pas seulement sectorielle.
La Commission insiste sur le fait que ces propositions doivent être prises dans leur ensemble. Elles font
« système ». Considérer que seules quelques-unes de ces mesures, les plus symboliques, suffiraient
serait une erreur. Elle précise en outre que ces recommandations ont été pensées dans un cadre non-
culpabilisant pour les enfants, comme pour leurs parents, même si chacun a un rôle à jouer. À ce titre,
la Commission a cherché à remettre les responsabilités « dans le bon ordre », les acteurs du numérique
devant tout particulièrement prendre toutes leurs responsabilités. Les propositions recherchent enfin
à faire toute leur place aux enjeux d’éducation, de dialogue et d’accompagnement, qui sont des
conditions indépassables de la réussite de l’ambition.
Ces propositions sont structurées autour de six axes qui représentent autant de finalités et d’objectifs
à atteindre.
Le premier axe recommande de s’attaquer avec force aux conceptions addictogènes et enfermantes de
certains services numériques, pour les interdire et, ce faisant, rendre aux enfants et aux adolescents
leur liberté et la possibilité de faire de véritables choix. L’exigence doit aussi être mise sur l’accessibilité
et la clarté du paramétrage et du modèle économique de tout service numérique, sans lesquelles les
mineurs font face à des évolutions qui font fi de leur consentement ; ainsi que sur la promotion
d’alternatives plus éthiques aux modèles existants. De la même façon, la Commission appelle à un
sursaut contre l’évolution de certains jeux vidéo vers des modèles de jeux d’argent, faits de
microtransactions ou de designs trompeurs. La recherche et les acteurs de la société civile constituent
des partenaires majeurs pour le régulateur, et un signal clair doit leur être envoyé en ce sens, pour un
effort à la hauteur des enjeux et la constitution de coalitions d’action plus efficaces dans le dialogue
avec les « grands » du numérique.
Le deuxième axe vise à sortir de l’ornière du seul contrôle parental, qui présente ses limites, pour
privilégier, grâce à la mobilisation de tous, des solutions technologiques permettant de passer à
l’échelle la protection des mineurs contre les contenus illégaux, et ce quelle que soit la porte d’entrée
dans le numérique (portable, box, Wi-Fi, à domicile, dans les établissements scolaires…). Ces solutions
gagneront en efficacité si le choix est fait d’avancer plus avant sur les impératifs de mise en
interopérabilité des différents services numériques, et notamment des grandes plateformes. Elles
devront veiller à encadrer l’expérience des mineurs, ce qu’ils demandent, tout en respectant les
espaces qui doivent être les leurs. La protection doit aussi être celle de la santé physique des enfants,
et des programmes de recherche et d’innovation doivent mieux émerger pour traiter des questions
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somatiques, comme de la vision par exemple. Pour chaque étape du déploiement de services
numériques devra en outre être intégrée l’évaluation de leur impact environnemental.
Le troisième axe assume de promouvoir une progressivité dans l’accès aux écrans et les usages qui en
sont faits par les mineurs, en fonction de leur âge. Cette logique de « parcours » échelonné, raisonné
et accompagné, doit permettre de ne plus « lâcher » les enfants et les adolescents dans le monde
numérique sans soutien, ni éducation. Elle doit permettre de sécuriser au mieux les enfants, en les
préparant, et de les conduire vers une conquête progressive de leur autonomie numérique en
protégeant tout particulièrement les plus jeunes des usages et pratiques inappropriés. Dans cette
logique, la Commission propose des bornes d’âge « repères », qu’il s’agira de réévaluer régulièrement
pour tenir compte des avancées de la science, comme des enjeux de protection.
La Commission propose ainsi de renforcer la recommandation en vigueur de ne pas exposer les enfants
de moins de 3 ans aux écrans, et de déconseiller leur usage jusqu’à l’âge de 6 ans, ou tout au moins
qu’il soit fortement limité, occasionnel, avec des contenus à qualité éducative, et accompagné par un
adulte.
Après 6 ans, il s’agit de tendre vers une exposition modérée et contrôlée, qui trouve sa juste place
parmi des activités qui se doivent d’être diversifiées et variées pour le développement des enfants et
des adolescents.
La Commission estime ainsi qu’il n’est pas opportun que les enfants disposent de téléphone portable
avant l’âge de 11 ans, soit l’entrée dans le secondaire ; qu’à partir de 11 ans, s’ils disposent d’un
téléphone, il est recommandé que celui-ci ne puisse pas être utilisé pour se connecter à Internet ; qu’à
partir de 13 ans s’ils disposent d’un téléphone connecté, il ne doit pas permettre d’accéder aux réseaux
sociaux ni aux contenus illégaux ; qu’à compter de 15 ans, âge symbolique de la majorité numérique,
l’accès aux réseaux sociaux soit limité à ceux pourvus d’une conception éthique.
Cette approche progressive doit se décliner dans le cadre scolaire, avec la nécessité impérieuse de bâtir
des cadres de référence entre l’État et les collectivités territoriales, évalués, croisant les enjeux de santé
et d’éducation, impliquant les familles et les communautés éducatives, pour tout à la fois le
déploiement des équipements et celui des usages pédagogiques adaptés. En outre, la Commission
recommande de lutter contre toutes les pratiques défavorables aux enfants, dans l’usage des ENT et
de Pronote par exemple.
Le quatrième axe insiste sur l’urgence à former et accompagner les enfants et les adolescents au
numérique, à l’école comme en dehors. Cette formation doit gagner en ampleur, en progressivité et en
articulation avec les enjeux propres aux enfants et aux adolescents ; elle doit s’accompagner sur le
terrain par la mise en visibilité d’adultes référents capables de répondre aux interrogations des enfants
et des adolescents, y compris s’ils souhaitent les évoquer dans un cadre plus intime que la salle de
classe. L’éducation à toutes les humanités doit aussi faire place aux phénomènes d’amplification des
difficultés poussés par le numérique. Au-delà des enjeux de formation, la Commission insiste sur le
besoin de déployer des « contre-mesures » pour compenser ou limiter certains des effets des écrans
sur le sommeil et la sédentarité notamment. Enfin, la Commission appelle à massifier, par un
engagement majeur et volontariste de toute la société, toutes les propositions alternatives aux écrans,
pour donner envie et possibilité aux enfants et aux adolescents de s’investir autrement. La Commission
a la conviction que les seules limitations, même bien comprises, ne seront pas suffisantes : les enfants
et les adolescents ont besoin de retrouver l’intérêt que la société leur doit, de renouer avec le contact
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humain, de voir des aires de jeux, y compris de société, peupler les espaces urbains, les lieux d’attente
et de transport. C’est cela faire place aux besoins des enfants.
Le cinquième axe s’intéresse aux adultes, et en particulier à tous ceux qui interviennent auprès des
enfants et des adolescents, à commencer par leurs parents. Il convient en particulier d’amplifier le
mouvement d’aide à la parentalité, mais aussi d’outiller et de former les enseignants et plus largement
l’ensemble des professionnels ou bénévoles au contact des jeunes. Dans le même temps, l’ensemble
de la société doit donner l’exemple, sans lequel les mineurs auront du mal à suivre. Il convient de
promouvoir des lieux et des temps « déconnectés », d’organiser des rituels et défis symboliques de
déconnexion, de veiller au respect de la vie des parents alors que le télétravail s’est largement diffusé
brouillant ainsi la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle. C’est à cette condition, dans
l’intérêt de tous, et des mineurs en particulier, que les « écrans » pourront retrouver leur juste place.
Enfin, le sixième axe présente les propositions nécessaires, selon la Commission, au déploiement d’une
stratégie globale gagnante. Cela passe, en particulier, par une gouvernance largement renforcée,
incluant une place de choix pour les enfants et les adolescents, un observatoire permettant de
rassembler et suivre les grandes données sur les écrans et la diversité de leurs usages, un conseil de la
prospective nécessaire pour embrasser les enjeux d’une révolution technologique accélérée par les
intelligences artificielles. La Commission recommande aussi de bâtir un système de financement de
l’action publique, de la recherche et des associations étanche du dialogue avec les acteurs du
numérique eux-mêmes, mais assis sur leur contribution en vertu d’un principe de « pollueur payeur »
dont on pense qu’il pourrait s’appliquer dans ce champ (cf. notamment le produit des amendes, ou les
frais de supervision à ce stade fléchés en direction des seules autorités européennes). Enfin, la
Commission appelle à une stratégie de communication à large échelle, mettant en lumière les attendus
légitimes pour le développement des enfants et des adolescents, trouvant sa routine autour des
moments clés de la vie des mineurs, s’installant dans le paysage public comme d’autres thématiques
de santé publique ont réussi à le faire, et garantissant la cohérence de tous les messages.
*
La Commission formule le vœu que ces principes puissent être mobilisés ensemble, et fonder la
première étape d’une vision collective et transpartisane, qui seule pourra créer le dépassement
salutaire pour l’évolution durable des comportements et l’émergence d’une proposition à hauteur du
périple de l’enfance et de l’adolescence.
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INTRODUCTION
À l’issue de ces trois mois de travaux ensemble, les membres de la Commission ont acquis la conviction
que la question des « écrans » ne doit pas masquer le débat plus large et nécessaire autour de la place
et des besoins des enfants dans notre société. On ne saurait interroger la juste place des « écrans »
dans la vie des enfants, promouvoir une prise en main progressive et sécurisée du numérique, sans
s’engager plus avant dans un projet politique et sociétal fort, au service de leurs besoins et de leurs
droits.
Poser la question des « écrans » et des enfants risque en effet d’amener à penser que le problème ne
se situerait que dans la relation des écrans aux enfants, et que les solutions seraient à trouver dans ce
seul binôme. Certes, les « écrans », qu’il faut considérer dans toute leur acception (outils
technologiques, usages, et contenus qu’ils rendent accessibles), sont partout : par le truchement de
ceux qui accompagnent les enfants, par le peuplement du mobilier urbain et de l’espace public, par le
propre usage des enfants toujours plus précoce. Mais derrière la relation des jeunes aux écrans se
nichent beaucoup de phénomènes, qui exhortent à un projet de dépassement.
Évidemment, il s’agit d’un sujet difficile, qui mérite de la nuance, et devant lequel les membres de la
Commission ont toute humilité. Aux différentes composantes des « écrans », il faut ajouter les
différents besoins propres aux enfants en fonction de leur âge et parfois de leur genre, d’avant leur
naissance jusqu’à la fin de leur adolescence. Leur cerveau continue d’évoluer jusqu’à leurs 25 ans
environ, son fonctionnement est pour partie connu mais garde encore de nombreuses inconnues, et le
développement des enfants porte, à plusieurs moments clés (1 000 premiers jours ou puberté par
exemple), des vulnérabilités qui requièrent des vigilances.
Si la question du rapport des écrans et des enfants est pour toutes ces raisons difficiles, et ne manquera
pas d’être traversée par de nombreux débats à la remise de ces travaux, les membres de la Commission
formulent le vœu de pouvoir rassembler autour d’un principe simple : aux enjeux soulevés par
l’exposition des enfants et des adolescents aux écrans, la réponse se doit d’être collective.
L’essentiel est de prendre conscience, dans une société vieillissante, que progressivement, les enfants
s’invisibilisent, deviennent les captifs mal armés de géants économiques et de stratégies de contrôle
tous azimuts, sont exhortés à ne pas faire de bruit dans les lieux collectifs, mettent des réveils la nuit
pour consulter leurs notifications ou découvrent que leurs parents ont accès à leurs notes avant que
leur professeur ne les leur communique, sont confrontés sans choix à des représentations contestables
d’un point de vue éthique et démocratique, tout en peinant à faire aussi reconnaître l’intérêt de leur
expérience en ligne.
Nous ne pouvons accepter que les enfants deviennent des marchandises, cibles de notifications
infinies, scotchés à des systèmes de récompense pensés par des experts en sciences du comportement
pour être irrésistibles, avec un temps libre qui devient fortement digitalisé. Nous ne pouvons accepter
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que leur esprit, leur temps, leur vie, soient assimilables à des données monnayables à l’envie. Là où le
numérique peut être utile, là où il est susceptible de changer en mieux la vie des enfants, il faut l’utiliser
sans risque pour leur santé physique et mentale. Là où les enfants deviennent la proie de mécaniques
enfermantes, il faut le refuser.
Cette ambition est exigeante ; elle réclame un engagement de tous : elle ne peut se concevoir qu’en
réinvestissant la parole et les besoins des enfants eux-mêmes, qu’en redonnant du sens et un cadre à
l’expérience numérique, qu’en organisant un passage à grande échelle de la formation au numérique
et à ses codes, et qu’en assumant de faire des changements et des investissements parfois radicaux du
côté des adultes.
Il y a urgence à retrouver la maîtrise de ce qui est souhaitable pour les enfants. La transition
technologique, civilisationnelle, sociétale, anthropologique et familiale a connu une nouvelle
accélération avec la crise du Covid, tant parce que les foyers confinés se sont encore davantage peuplés
« d’écrans », que parce que la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle des parents
s’est davantage effacée avec la diffusion du télétravail. De nouvelles potentialités technologiques, qui
vont vite, comme l’intelligence artificielle et le métavers, ne sont par ailleurs pas appréhendées
aujourd’hui du point de vue des enfants.
Dans ses travaux, la Commission s’est fondée sur les principes clés suivants :
- l’affirmation d’un impératif d’ordre public de protection des enfants dans la vie numérique,
équivalent dans ses objectifs à celui qui vaut dans les autres sphères de la vie collective et
individuelle, et ce quand bien même cette vie numérique soulève une complexité particulière
par l’absence de frontière « géographique » et « temporelle » dans un environnement
mondialisé non régulé. La responsabilité première n’est pas celle des individus et des familles.
Si la vie numérique peut apporter loisirs, lien social, connaissance, émancipation, rien ne
justifie qu’elle ne soit pas régie par des règles protectrices de la santé physique, du
développement et de la santé mentale des enfants. Il ne viendrait à personne l’idée de confier
les clés d’une voiture à un enfant, trop jeune, sans apprentissage sérieux, sans
accompagnement préalable, sans vérification de la qualité du véhicule, sans code de la route
commun à tous ;
- la nécessité de mettre la lutte contre les inégalités au cœur du projet : cette exigence peut tout
à la fois justifier de mettre un niveau d’effort plus important en direction des enfants
vulnérables, et les plus exposés aux risques de santé ; comme de mobiliser des réponses
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particulières, y compris numériques, quand elles sont susceptibles d’améliorer la vie des
enfants, qu’ils soient en situation de handicap ou isolés ;
- le besoin urgent d’une acculturation au numérique et à ses usages pour redonner à chacun la
capacité de choisir, d’agir et d’équilibrer sa vie numérique : pour les enfants et leurs familles,
pour les communautés professionnelles et en particulier éducatives, pour les acteurs locaux,
pour le régulateur, pour les chercheurs et acteurs vertueux de la société civile ;
Les travaux de la Commission interviennent dans un contexte particulièrement favorable pour bâtir
cette ambition. Les attentes et les demandes sont partout, chez les enfants eux-mêmes, chez les
familles, chez les professionnels. L’Union européenne avance vite, les Etats s’organisent, la société civile
se structure, certaines plateformes sont portées devant la justice. Il est essentiel que toutes ces
évolutions et ces initiatives soient désormais adossées à une stratégie claire et partagée à l’échelle
nationale et européenne, qui pose en outre les bons incitatifs aux acteurs économiques. Sans ce cap
collectif précisément établi, le risque est grand d’une dispersion des énergies et d’une inflation
normative mal pensée et contreproductive.
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- Célia Zolynski, professeure de droit privé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre
du Comité national d'éthique du numérique (CNPEN) et personnalité qualifiée de la
Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).
Dans les trois mois de ses travaux, la Commission n’a pas pu ni souhaité faire une étude académique
ou universitaire, ceci relevant davantage des travaux au long cours pris en charge par diverses
organisations publiques. Tout en veillant à établir clairement ce qui fait consensus aujourd’hui du point
de vue de la science, et ce qui est plus incertain en l’absence de données suffisantes, ainsi qu’à prendre
en compte les débats et divergences pouvant s’exprimer tant au sein de la Commission que dans la
société plus globalement, la Commission a réussi à s’accorder sur un corpus de constats et de
recommandations dont elle souhaite qu’ils puissent constituer des points d’appui robustes pour le
déploiement d’une stratégie collective à la hauteur de l’intérêt des enfants.
Pour nourrir ses travaux, la Commission a auditionné plus de 150 jeunes, et une centaine d’experts et
de praticiens :
- la Commission a tenu à associer des jeunes à sa réflexion pour éviter au maximum le piège des
représentations des adultes. Qui mieux que les jeunes eux-mêmes pour parler de leurs usages,
de leurs besoins, de leurs difficultés, de leurs attentes ? Cette association de la jeunesse a pris
différentes formes, dont l’immersion lors d’ateliers dédiés aux côtés d’associations, ou encore
l’organisation, avec l’appui du réseau Canopé et de la Délégation interministérielle à la
transformation publique (DITP), d’une journée dédiée avec près de quatre-vingts collégiens :
- la Commission a aussi conduit une centaine d’auditions de professionnels, volontairement issus
de champs très divers (santé, éducation, petite enfance, société, secteurs institutionnels,
académiques, associatifs, économiques…), sans que ces auditions n’aient pu nécessairement
être exhaustives. La Commission s’est efforcée d’embrasser le plus largement possible toutes
les positions sans exclusive ni a priori, tout en menant ces échanges en toute indépendance
vis-à-vis des intérêts propres que pouvaient porter ses interlocuteurs.
Les propositions que la Commission formule correspondent ainsi davantage à des principes d’action
pour une stratégie d’ensemble, systématiquement éclairés de recommandations plus opérationnelles
qui devront être précisées dans une feuille de route à moyen terme.
La Commission souhaite ici insister sur quelques marqueurs qui conditionnent selon elle l’efficacité de
cette stratégie :
- l’approche doit être systémique, et articuler tous les leviers d’action. Si les mesures sont prises
isolément et portées sur le plan politique de façon éclatée entre les responsables ministériels,
sans s’adosser à une vision partagée dans le débat public, elles ne trouveront qu’un impact très
limité. La recherche d’un effet à large échelle justifie une mobilisation ordonnée de tous les
champs d’action ;
- la réussite tiendra à une impulsion politique forte, au-delà des seuls temps politique et
médiatique : seule cette impulsion sera de nature à obtenir l’engagement de tous au service
des enfants, et en particulier des acteurs économiques ;
- l’efficacité se gagnera progressivement : il est utile de se fixer un horizon long, et d’assumer
d’améliorer pas à pas la situation. Chaque levier d’action aura ses imperfections et ses limites,
mais cela ne doit pas être un frein à leur implémentation ni à leur évaluation systématique
pour orienter les politiques publiques sur ce sujet.
14
*
Ces travaux constituent une étape qui doit soutenir l’émergence d’une politique publique offensive et
cohérente, à la hauteur des enjeux ; ainsi que favoriser une mobilisation sociétale et transpartisane
impliquant l’ensemble des acteurs, dont les jeunes eux-mêmes. La réflexion engagée par la Commission
en trois mois devra naturellement se poursuivre et s’approfondir, comme se structurer dans une
organisation à la fois pérenne, agile et dotée des moyens d’agir.
15
PARTIE 1 – « EXPOSITION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS
AUX ÉCRANS » : DE QUOI PARLE-T-ON ?
Les écrans et le numérique occupent désormais une place incontournable au sein de notre société. Ils
sont présents partout, sur les lieux de travail, dans les foyers, dans l’espace public. Ils sont devenus des
outils usuels au service des usages professionnels, de la formation ou encore des loisirs.
Si la présence des écrans dans notre quotidien, et dans celui des jeunes notamment, n’est pas nouvelle
- elle a commencé dès l’arrivée de la télévision dans les foyers - elle s’est fortement accrue au fil du
temps avec l’arrivée puis le développement d’Internet, la diversification des terminaux disponibles et
la multiplication des usages permis par l’ensemble de ces outils. Elle s’est tout particulièrement
accélérée depuis l’arrivée sur la période récente des appareils individuels et mobiles, tablettes et
smartphones en particulier.
Les enfants et les adolescents, à l’image de toute la société, vivent au contact régulier des écrans et
outils numériques et les utilisent.
Les développements qui suivent visent à présenter des données synthétiques sur la place et le rôle des
écrans dans notre société et plus particulièrement chez les jeunes.
Sans prétendre à l’exhaustivité, et étant précisé que la diversité des sources de données existantes peut
conduire parfois à des chiffres variables selon les travaux, cette partie cherche à dresser un panorama
de la situation actuelle et de la présence des écrans auprès des mineurs. Elle s’intéresse ainsi en
premier lieu au niveau d’équipement des foyers en général et des mineurs en particulier (1.1), puis en
second lieu aux usages que les mineurs font des écrans (1.2).
1.1- Quel est le niveau d’équipement en écrans et outils numériques auquel les mineurs ont
accès dans leurs foyers, à l’école ou via leurs équipements propres ?
1.1-1. Les enfants et les adolescents peuvent accéder aux écrans via l’équipement du foyer
dans lequel ils vivent
Les foyers constituent un lieu dans lequel les écrans sont tout particulièrement présents. Ainsi, en
France, selon l’édition 2022 du Baromètre du numérique, les foyers français possédaient en moyenne
près de 10 appareils numériques avec écrans. Il est à noter que sur cette dizaine d’écrans recensés par
foyer, 2,6 en moyenne n’étaient pas utilisés.
16
- 0,71 montre ou bracelet connecté.
En s’intéressant au taux d’équipement par personne, toujours selon le Baromètre du numérique, en
2022 :
1.1-2. Les enfants et les adolescents peuvent avoir accès aux écrans par l’intermédiaire de
l’école
Les enfants ont également accès aux outils numériques via l’école, qu’il s’agisse d’un terminal fixe ou
mobile ou d’un tableau numérique interactif (TNI). Ces écrans sont parfois utilisés comme supports
pédagogiques ou de découverte et de formation au numérique.
S’agissant des niveaux d’équipement en milieu scolaire, les données les plus actualisées auxquelles la
Commission a pu accéder concernent l’équipement numérique du secteur public pour les années
scolaires 2021-2022 et 2022-2023. Ces principales données sont reprises dans le tableau ci-dessous.
17
Tableau 1 : Équipement numérique du secteur public en 2021-2022 et 2022-2023
Source : Données communiquées à la Commission par la Direction du numérique pour l’éducation (DNE) du ministère de
l’Éducation nationale reprenant les travaux de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du
même ministère.
1
Source : INSEE, L'économie et la société à l'ère du numérique Édition 2019.
2Source : Le numérique éducatif : que nous apprennent les données de la DEPP ? Document de travail n° 2021.S03 – Série
Synthèses, Août, 2021.
18
les outils numériques pour préparer leurs cours (94 % pour le premier degré et 88 % pour le second
degré), ils sont moins nombreux à les utiliser pour guider les séances en classe (respectivement, 50 %
et 70 %) et encore moins nombreux à laisser les élèves utiliser les TIC pour des projets ou travaux en
classe (respectivement, 14 % et 36 %)3 ».
1.1-3. Les enfants et les adolescents disposent en outre bien souvent d’équipements qui leur
sont propres
S’agissant plus particulièrement des enfants et des adolescents, les données disponibles4 en termes de
taux d’équipement moyen en France en écrans personnels, c’est-à-dire véritablement dédiés à leur
usage propre, indiquent que, pour l’année 2022 :
- dans la tranche d’âge des 13 - 19 ans, les jeunes possédaient en moyenne 2,9 écrans
personnels ;
- dans la tranche d’âge des 7 - 12 ans, les jeunes détenaient en moyenne 1,6 écran personnel.
L’analyse du détail des types d’appareils personnels détenus par les enfants et les adolescents fait
apparaitre que :
- le smartphone est très présent puisqu’il était détenu en 2021 par 89 % des 13-19 ans (en
hausse de 12 points par rapport à la situation en 2016) et par 35 % des 7-12 ans. Parmi les
jeunes qui possèdent un smartphone personnel à l’âge de 10,5 ans (34 % en 2022), l’âge moyen
d’acquisition était estimé à 9 ans et 8 mois5 ;
- un ordinateur personnel est détenu par 69 % des adolescents de 13 ans et plus. Les enfants de
7 à 12 ans sont quant à eux moins nombreux à disposer personnellement d’un tel équipement,
mais sont tout de même 19 % à être équipés6 ;
- 58 % des 7-12 ans et 63 % des plus de 13 ans sont équipés de consoles de jeux personnelles.
1.2- Quelles sont les pratiques des enfants et des adolescents en matière d’écran ?
La pratique des enfants et des adolescents peut s’analyser du point de vue du temps passé sur les
écrans (1.2.1) et des usages qui en sont faits (1.2.2) (les temps et usages à l’école n’étant pas pris en
compte dans les développements du 1.2.1).
1.2-1. Quel est le temps moyen de consultation des écrans par les jeunes ?
S’agissant du temps total cumulé, la dernière étude qui fait référence en France au moment de la
présente réflexion remonte à 2015, soit bien avant la période Covid (Etude Esteban menée par Santé
publique France). Selon cette étude, les enfants de 6 à 17 ans passaient en moyenne 4 h11 min par jour
sur un écran. La tendance assez nette est celle d’une augmentation assez sensible du temps d’écran
des enfants et des adolescents quand on regarde les études disponibles sur les périodes antérieures.
3
Source : Enquête TALIS, 2018.
4 Source : Etude IPSOS, Junior Connect’, Edition 2022.
5 Source : Ined-Inserm, Cohorte Elfe, Enquête 10,5 ans 2022.
6 Selon la DEPP (2021), on observe que 34 % des collégiens scolarisés dans un établissement privé ont leur propre ordinateur,
19
Tableau 2 : Temps d’écran moyens par jour (en heures et minutes) dans les grandes enquêtes de
l’Anses et de Santé publique France
Tranches d’âge Étude ENNS Étude INCA2 Étude INCA3 Étude Esteban
(2006-2007) (2006-2007) (2014-2015) (2014-2016)
Source : Commission à partir des données des études réalisées pour l’ANSES et Santé publique France
L’étude 2024 sur les jeunes et la lecture réalisée par l’institut IPSOS pour le Centre national du Livre
(CNL) révèle que les jeunes âgés de 7 à 19 ans passent en moyenne 3h11 min sur les écrans chaque
jour. Elle précise, concernant la tranche des 16-19 ans, que les garçons passent plus de 5h12 min sur
les écrans (en plus du temps passé devant un écran pour l’école, les études ou le travail) et les filles
5h09 min. Chez les enfants âgés de 7 à 9 ans, la moyenne quotidienne de temps d’écran s’élève à
1h50 min pour les garçons et 2h20 min pour les filles.
La dernière enquête de la « cohorte Elfe »7, conduite en 2022, a montré que les enfants âgés de 10 ans
et demi passaient en moyenne 2h36 min par jour devant les écrans. Il est intéressant de signaler que
cette étude présentait le temps de consultation des écrans par type d’appareil. Ces 2h36 min se
répartissaient ainsi en moyenne : 59 min de télévision, 33 min de jeu vidéo, 29 min de tablette, 19 min
de smartphone et 16 min d’ordinateur.
S’agissant des plus jeunes enfants, les estimations publiées en avril 2023 dans le Bulletin épidémiologie
hebdomadaire de Santé publique France et obtenues à partir des données de la « cohorte Elfe » sur
les temps d’écran des enfants nés en 2011, ont montré que le temps d’écran quotidien moyen des
enfants, était de 56 min à 2 ans (soit en 2013), 1h20 min à 3 ans et demi (en 2014-2015) et 1h34 min à
5 ans et demi (en 2017). Seuls 13,7 % des enfants n’étaient pas du tout exposés aux écrans à l’âge de
2 ans.
1.2-2. Quels sont les usages faits des écrans par les enfants et les adolescents ?
De façon globale, les enfants les plus jeunes regardent majoritairement la télévision (dessins animés
notamment) mais très rapidement ; en grandissant, ils commencent à aller sur Internet et à jouer aux
jeux vidéo.
La fréquentation d’Internet se fait de plus en plus jeune, parfois même avant l’utilisation des jeux vidéo,
ou en parallèle, via des appareils connectés (tablettes notamment) pour regarder des vidéos ou se
livrer à d’autres usages récréatifs. D’après une enquête de e-Enfance avec Toluna-Harris Interactive de
7
La « cohorte Elfe » est la première étude longitudinale française d’envergure nationale consacrée au suivi des enfants, qui
aborde les multiples aspects de leur vie sous l’angle des sciences sociales, de la santé et de l’environnement. Les enfants de
cette cohorte sont nés en 2011.
20
février 2023, les parents interrogés indiquaient que leurs enfants avaient commencé à utiliser Internet
(avec un adulte) à 5 ans et 10 mois et que l’âge auquel ils avaient commencé à utiliser Internet seul
était de 6 ans et 10 mois.
Lorsque les écrans, quel que soit l’appareil utilisé, sont utilisés pour accéder à Internet, les usages
divergent selon l’âge. D’après la même enquête de e-Enfance avec Toluna-Harris Interactive, les
premiers usages d’Internet par les 6-10 ans concernent surtout des activités en lien avec le
divertissement, dans le but de se détendre, de s’amuser et d’assouvir sa curiosité : 44 % pour regarder
des vidéos, 34 % pour utiliser des applications créatives et 33 % pour écouter de la musique. Les
adolescents de 13 ans et plus ont pour leur part davantage recours à Internet pour un usage social. Ils
privilégient ainsi les réseaux sociaux, essentiellement ceux qui sont portés par la vidéo, les services de
messagerie instantanée, les jeux vidéo ou encore l’écoute de la musique.
Les réseaux sociaux occupent une place importante dans les usages faits des écrans par les enfants et
les adolescents. Ainsi, une étude de l’association e-Enfance 3080-Caisse d’Epargne rendue publique fin
2023 montre que 86 % des 8-18 ans sont inscrits sur les réseaux sociaux. Une étude précédente,
réalisée pour l’association Génération numérique8, rendue publique en février 2022, indiquait qu’en
2021, 62 % des garçons et 68 % des filles étaient présents sur les réseaux sociaux parmi la population
des 11-18 ans.
Les principaux usages déclarés comme recherchés via les réseaux sociaux étaient alors de discuter avec
des amis ou de la famille (pour 78 % des jeunes de 11 à 18 ans), de regarder des vidéos (pour 58 %) et
de jouer à des jeux vidéo (pour 29 %). Les échanges concernant les cours et les devoirs qui occupaient
auparavant la troisième place parmi les usages recherchés ont désormais cédé la place aux jeux vidéo.
Il convient par ailleurs de noter que des enfants âgés de moins de 13 ans sont inscrits en nombre sur
des réseaux sociaux, pourtant en théorie interdits au moins de 13 ans. Ainsi, selon cette même étude,
58 % des jeunes de 11- 12 ans en 2021 avaient un compte sur au moins l’un des réseaux sociaux. De
son côté, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a signalé
que « 45 % des Français de 11-12 ans sont inscrits » sur l'application TikTok.
Le jeu vidéo figure également en bonne place dans les usages des écrans chez les moins de 18 ans.
D’après l’étude « Les Français et le jeu vidéo » réalisée en juin-juillet 2023 par Médiamétrie pour le
Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), 93 % des 10-17 ans jouent aux jeux vidéo (94 % des
10-14 ans et 92 % des 15-17 ans). Parmi ces joueurs « enfants », 22 % jouent plusieurs fois par jour,
40 % jouent tous les jours ou presque et 30 % jouent une à deux fois par semaine. D’après cette même
étude, la pratique du jeu vidéo chez les enfants et les adolescents comporte pour eux une forte
dimension sociale : 81 % d’entre eux pratiquent le jeu à plusieurs, en ligne ou en local (contre 58 % des
adultes joueurs) et 48 % des enfants jouant aux jeux vidéo disent avoir le sentiment « d’appartenir à
une communauté » (contre 29 % des adultes seulement). Les parents, pour 68 % d’entre eux, indiquent
se préoccuper de la pratique du jeu vidéo par leurs enfants, soit en étant systématiquement à leurs
côtés lorsqu’ils jouent (7 % des parents), soit en les laissant jouer de façon autonome mais en
choisissant les jeux ou en les conseillant sur les jeux auxquels ils peuvent jouer ; 69% jouent avec leurs
enfants au moins occasionnellement et 94 % déclarent connaître l’existence des systèmes de contrôle
parental mais seulement 45 % disent en utiliser un.
Concernant l’usage fait des écrans par les enfants et les adolescents en lien avec leur scolarité, les outils
numériques, selon la DEPP, sont principalement utilisés pour effectuer des recherches, créer des
documents écrits ou des présentations orales, ou encore pour programmer en informatique.
8
Enquête « Les pratiques numériques des 11 – 18 ans » présentées par l’association Génération numérique - Février 2022.
21
En 20199, l’outil numérique le plus utilisé par les collégiens de 3e en mathématiques reste la
calculatrice : 56 % des enseignants déclarent faire « très souvent » travailler leurs élèves avec une
calculatrice, alors qu’ils ne sont qu’entre 3 et 5 % à faire utiliser « très souvent » un logiciel de géométrie
dynamique, un tableur ou même une banque d’exercices en ligne. Il est à noter que, de même que les
tests PISA, les évaluations nationales menées notamment à l’entrée en 6e se font sur écran. Ainsi,
l’étude PISA de l’OCDE relève que « le capital numérique de l’élève favorise l’amélioration des résultats
obtenus aux tests de compétences de PISA ». Or, « la possession par les élèves d’outils numériques
personnels semble différer selon l’origine sociale des parents et leur établissement de scolarisation.
Par exemple, on observe que 34 % des collégiens scolarisés dans un établissement privé ont leur propre
ordinateur, contre 26 % pour ceux scolarisés en éducation prioritaire ». Si les enseignants français
restent peu formés à l’usage pédagogique du numérique, le confinement a favorisé leur appropriation
et fait légèrement progresser les usages du numérique dans le cadre scolaire. Ainsi, toujours selon la
DEPP, près de 80 % des enseignants du premier degré et plus de 85 % des enseignants de collège ont
déclaré que le confinement avait contribué à développer leurs compétences numériques, et près de
80 % des enseignants pensent que la mise en place de l’enseignement à distance a eu un impact positif
sur leur innovation pédagogique (différenciation, travaux de groupes, pédagogie de projets).
Enfin, l’étude INSEE, sur « L'économie et la société à l'ère du numérique » en 2019, déjà mentionnée
plus haut, fournit des indications intéressantes sur la proportion d’établissements proposant des
services accessibles, aux élèves notamment, hors établissement via Internet (cf. tableau ci-dessous).
9 Selon l’enquête PRAESCO (Pratiques d’Enseignement Spécifiques aux Contenus), qui s’intéresse spécifiquement aux
pratiques pédagogiques mises en place dans l’enseignement des mathématiques.
10 Etude ICILS (International Computer and Information Literacy Study) 2018 de l’IEA (Association internationale pour
22
Tableau 3 : Part des établissements (en %) proposant des services accessibles hors établissement
via Internet
Livret de
compétence sur 5,6 66,7 - - -
Internet
Documents et
ressources 41,3 54,0 95,1 95,4 92,0
pédagogiques
Emploi du temps
3,2 9,3 97,4 98,3 97,5
sur Internet
Agendas et
actualités de 16,9 31,8 96,9 95,4 94,7
l’établissement
Absences des
- - 95,3 96,9 97,7
élèves sur Internet
Source : Commission à partir des données publiées par l’INSEE (« L'économie et la société à l'ère du numérique »), 2019
23
PARTIE 2 – « EXPOSITION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS
AUX ÉCRANS » : EST-CE GRAVE ?
Sans préjudice des progrès qui peuvent être portés par le numérique lorsqu’il est bien utilisé, que l’on
pense par exemple à la démultiplication des possibilités d’échanges et d’ouverture sur le monde ou
encore d’accès à la connaissance et à l’émancipation qu’il peut permettre, sa diffusion est telle
aujourd’hui au niveau des équipements, des usages, et des contenus, qu’il importe d’en maîtriser les
impacts et de réduire les éventuels risques associés pour la santé et pour la sécurité des enfants.
Pour maîtriser ces impacts, l’enjeu est donc d’abord d’être en mesure de les identifier clairement et de
les qualifier, en veillant à expliciter ce qui est largement établi sur le plan scientifique, voire fait
consensus, de ce qui peut être aujourd’hui juste interrogé, ou s’avérer plus controversé, en l’absence
de données suffisantes.
La Commission a dès lors cherché à faire le point sur l’état des connaissances quant aux impacts chez
les enfants et les adolescents du numérique et des écrans en tant qu’outils et que technologie du point
de vue :
2.1- Les écrans en tant que technologie présentent des risques aujourd’hui établis par la
science sur certains aspects de la santé physique des enfants et des adolescents.
Il se dégage un consensus très net sur les effets négatifs, directs et indirects, des écrans sur le sommeil
(2.1.1), sur la sédentarité, le manque d’activité physique et les risques de surpoids voire d’obésité (avec
en cascade les pathologies qui en découlent) (2.1.2) ainsi que sur la vue (2.1.3). Des interrogations sur
d’autres effets suspectés ou possibles des technologies associées aux écrans sur la santé restent en
revanche non tranchées à ce stade, incitant à la prudence et à la poursuite des recherches (2.1.4).
2.1.1- Les écrans et les usages qui en sont faits ont un effet négatif avéré sur le sommeil
des enfants et des adolescents
Les données disponibles révèlent que les jeunes Français manquent de sommeil. Ainsi, en France,
en 202011, les adolescents dormaient en France en moyenne 7 h 45 min par nuit, et en particulier moins
de 7 h par nuit en semaine, au lieu des 8 h 30 min à 9 h de sommeil recommandées par l’organisation
11
Institut national du sommeil et de la vigilance. 20Ème journée du Sommeil. Le sommeil des français en 2020.
24
caritative américaine « National Sleep Foundation » (NSF) 12. Par ailleurs, 16 % des enfants de 11 ans et
40 % de ceux de 15 ans présentaient un déficit de plus de 2 heures de sommeil par jour, en semaine.
Le sommeil constitue pourtant un élément essentiel de la santé, quel que soit l’âge. Il ne représente
pas seulement un temps de repos, indispensable à l’organisme, il est aussi un temps durant lequel se
produisent des processus physiologiques cruciaux sur les plans endocriniens, métaboliques et
cognitifs.
Chez les mineurs, comme chez les adultes, le défaut de sommeil engendre en cascade des
conséquences qui peuvent être graves sur la santé, physique comme mentale. Chez les enfants, le
sommeil joue en outre un rôle capital pour l’ensemble du développement et intervient de façon
cruciale, notamment, dans les processus de mémorisation13, dans la mobilisation des capacités
attentionnelles14 et dans la régulation des émotions. Pendant la petite enfance et toute la scolarité
ensuite, la privation aigüe et chronique de sommeil peut compromettre les apprentissages et la
réussite scolaire en modifiant vigilance, vitesse de traitement, cognition et comportement. L’altération
du sommeil chez les moins de 18 ans est ainsi responsable de troubles cognitifs importants et peut
entraîner des répercussions tout au long de la vie. Enfin, la quantité et la qualité du sommeil chez les
enfants sont tout particulièrement importants dans la mesure où les habitudes de sommeil s’installent
dans l’enfance : une mauvaise hygiène de sommeil est susceptible de s’inscrire dans la durée.
Les écrans et les usages qui en sont fréquemment faits, en soirée ou la nuit notamment, ont des effets
négatifs directs et certains sur la quantité et sur la qualité du sommeil des enfants et des adolescents,
et perturbent leurs cycles naturels.
Plusieurs mécanismes permettent d’expliquer le lien entre usage des écrans et sommeil :
- la généralisation de l’utilisation des écrans le soir, et parfois même durant la nuit, qui conduit
mécaniquement à réduire le temps de sommeil et en perturbe significativement la qualité. De
ce point de vue, les adolescents sont tout particulièrement exposés dans la mesure où il a pu
être constaté :
o des usages tardifs très fréquents des écrans. Ces usages sont facilités par le fait que de
nombreux enfants et adolescents disposent désormais d’un appareil connecté en
12
Hirshkowitz M, Whiton K, Albert SM, et al. National Sleep Foundation's sleep time duration recommendations: methodology
and results summary. Sleep Health. 2015 Mar;1(1):40-43.
13
La mémoire déclarative (celle qui enregistre les faits et dont le contenu peut être exprimé verbalement) se consolide
pendant le sommeil profond et la mémoire procédurale (ou « mémoire des automatismes » qui permet par exemple de
marcher ou de faire du vélo sans avoir à réapprendre chaque jour) se consolide pendant le sommeil paradoxal. La qualité du
sommeil conditionne la qualité de la mémorisation du lendemain.
14 Il existe une relation directe entre ressources attentionnelles et privation aigüe ou chronique de sommeil. Plus la privation
de sommeil est importante ou longue, plus le déficit attentionnel sera important. Ceci concerne l’attention soutenue comme
l’attention focale ainsi que la mémoire de travail.
25
permanence dans leur chambre (c’est le cas de 71 % des 11 à 18 ans15). Cela tend à
repousser l’heure du coucher et celle de l’endormissement, et donc à diminuer le
temps de sommeil effectif ;
- l’exposition à la « lumière bleue » émise par les écrans de la plupart des terminaux actuels, qui
décale le pic de mélatonine, hormone essentielle à la synchronisation des rythmes
biologiques17. Normalement, la diminution de luminosité en soirée s’accompagne d’une
augmentation de la sécrétion de cette hormone, avec un pic en milieu de nuit, vers 3 - 4 heures
du matin. Or, l’usage des écrans en soirée, et particulièrement dans l’heure précédant le
coucher, prolonge la période de suppression de synthèse de mélatonine, ce qui décale d’autant
l’endormissement et la survenue du pic. Cela perturbe le rythme circadien (ou « horloge
interne » du corps humain) et les fonctions physiologiques qui en dépendent (fonctions
endocriniennes, cardiovasculaires, métaboliques, immunitaires et cognitives) ;
- des perturbations du rythme circadien en lien avec le temps passé sur les écrans, y compris en
journée. En effet, ce rythme est également influencé par les activités physiques. Si ces
dernières ne sont pas suffisantes, le sommeil sera altéré. Or l’usage récréatif des écrans chez
les enfants et adolescents peut souvent empiéter sur ces activités, avec donc un effet
perturbateur sur l’horloge interne18.
Pour les trois premiers points, les effets délétères de l’exposition aux écrans sont tout particulièrement
marqués en cas d’utilisation de terminaux le soir (notamment dans l’heure qui précède l’heure
théorique du coucher). Une enquête de l’Institut National de la Vigilance et du Sommeil de 2022, a
ainsi bien montré que les enfants qui passent plus d’une heure sur les écrans entre 17 heures et
15 Enquête « Les pratiques numériques des 11 – 18 ans » présentées par l’association Génération numérique - Février 2022.
16
Enquête « Les pratiques numériques des 11 – 18 ans » présentées par l’association Génération numérique - Février 2022.
17 Les études récentes tendent à conclure que les « filtres à lumière bleue » n’apportent pas de bénéfice sur la qualité de
sommeil (latence d’endormissement, architecture du sommeil, sensation de forme le lendemain matin) ou sur la sécrétion de
mélatonine.
18
« Les troubles du sommeil » Yves Dauvilliers. Editions Elsevier. 2019.
26
20 heures, se couchent plus tardivement et voient leur temps de sommeil réduit19, sous l’effet cumulé
des différents facteurs évoqués plus haut.
Il convient de signaler que chez les adolescents, ces phénomènes de perturbation du sommeil liés aux
écrans et à leur usage, s’ajoutent au décalage « naturel » ou physiologique de phase, à savoir une
tendance des adolescents à « être du soir », impliquant endormissement plus tardif le soir et un réveil
plus tardif le matin. Ce phénotype possiblement accentué par l’usage des écrans le soir décale
physiologiquement l’endormissement vers des heures très tardives et l’heure de réveil étant le plus
souvent stable et imposée par les horaires scolaires, il en résulte une dette de sommeil.
Face à ces constats préoccupants, la Commission a relevé au cours de ses travaux que la prise de
conscience des effets des écrans sur le sommeil des enfants et des adolescents était très insuffisante.
Ainsi, une enquête récente a révélé que 49 % des parents d’enfants de moins de 11 ans pensaient que
l’usage des écrans n’avait aucun impact sur le sommeil de leurs enfants, et que 8 % pensaient même
que cet impact était bénéfique20. De façon générale, les réalités biologiques attachées au sommeil ne
sont aujourd’hui pas suffisamment prises en compte par l’ensemble de la société, notamment
s’agissant des pré-adolescents et adolescents.
2.1.2- La place prise par les écrans et les usages qui en sont faits favorisent la
sédentarité et le manque d’activité physique, faisant le lit du surpoids, voire de
l’obésité, responsables de nombreuses pathologies chroniques
Les données françaises soulignent que les mineurs sont insuffisamment actifs physiquement, trop
sédentaires et significativement touchés par le surpoids et l’obésité.
Les études réalisées par l’Anses en 2020 à partir de données de 2016 sur la sédentarité22 et l’activité
physique montrent que 33 % des enfants de moins de 3 ans ne pratiquaient aucune activité physique
d’extérieur. Entre 3 et 10 ans, un tiers des garçons et deux tiers des filles étaient considérés comme
sédentaires. Entre 11 et 17 ans, 20 % des garçons et plus de la moitié des filles étaient considérés
19 En 2022, 40 % des enfants de moins de 11 ans, 60 % des 6-11 ans et environ 70 % des 12-17 ans regardaient un écran dans
l’heure qui précède l’endormissement. Par ailleurs, un enfant de moins de 11 ans sur dix s’endormait dans une pièce dans
laquelle un écran est allumé.
20
Source : Institut national du sommeil et de la vigilance. 20ème journée du Sommeil. Le sommeil des Français en 2020.
21 Hirshkowitz M, Whiton K, Albert SM, et al. National Sleep Foundation's sleep time duration recommendations: methodology
allongée ». A noter : le temps passé assis devant un écran pour les loisirs a été l’indicateur le plus utilisé depuis les années
1970-1980 dans les études pour évaluer la sédentarité chez les jeunes de moins de 18 ans.
27
comme sédentaires. De façon générale, il a été constaté l’existence d’un fort gradient social dans la
sédentarité des enfants : plus le niveau socio-éducatif était bas, plus l’enfant était sédentaire.
Or, la sédentarité, le manque d’activité physique et le surpoids constituent des facteurs de risque
importants et reconnus en termes de santé, notamment en accroissant le risque de maladies cardio-
vasculaires et métaboliques23.
La sédentarité, au-delà des risques accrus de survenue des pathologies cardio-vasculaires24 , augmente
la mortalité toutes causes confondues. La pratique d’une activité physique modérée à intense ne
permet pas à elle seule de compenser intégralement la sédentarité occasionnée par le temps passé
assis25. Au-delà de 7 heures par jour passées assis, chaque heure supplémentaire augmente de 5 % le
risque de mortalité toutes causes confondues.
La probabilité qu’un enfant obèse le reste à l’âge adulte varie selon les études de 20 à 50 % si l’obésité
est présente avant la puberté, de 50 à 70 % si elle apparaît après la puberté. La persistance de l’obésité
est une source certaine de complications futures, en facilitant la survenue de maladies
cardiovasculaires26 et de maladies du métabolisme.
Il convient de souligner que certaines pathologies favorisées par la sédentarité, le surpoids et l’obésité,
jusque-là considérées comme propres aux adultes (hypertension artérielle, perturbations des lipides,
diabète de type 2, syndrome d’apnées du sommeil…) peuvent désormais être présentes dès l’enfance
en cas d’obésité, avec en conséquence une augmentation significative du risque de maladie
cardiovasculaire à l’âge adulte. Par ailleurs, l’obésité pourrait favoriser une puberté précoce chez les
filles27.
Les liens entre la place accordée aux écrans et les usages qui en sont faits, et la sédentarité et la
moindre activité physique sont manifestes.
Les facteurs à l’origine de comportements sédentaires chez les jeunes sont multiples et s’intègrent dans
le mode de vie moderne. Les écrans ne sauraient expliquer à eux seuls la situation. Toutefois, le temps
passé par les mineurs devant les écrans contribue mécaniquement aux attitudes sédentaires puisqu’il
implique nécessairement davantage de temps passé en position statique, assise ou allongée. Il est
également associé à une moindre durée d’activité physique totale puisque plus le temps passé devant
23
La notion de maladie cardio-vasculaires rassemble un ensemble de pathologies : infarctus du myocarde et autres maladies
coronariennes, accidents vasculaires cérébraux (AVC), insuffisance rénale chronique d’origine vasculaire, artérite des
membres inférieurs, maladies veineuses.
24 A titre d’exemple, la selon l’étude INTERSTROKE, la sédentarité serait en cause dans 35% des cas d’AVC.
25 La sédentarité ne doit pas être confondue avec l’absence de pratique sportive, ni l’insuffisance d’activité physique. On peut
à la fois être sédentaire (trop de temps passé sans activité) et pratiquer par ailleurs de l’activité physique ou sportive.
26 Selon l’étude INTERSTROKE, le risque d’AVC augmente de 22% en cas de surpoids et de 64 % en cas d’obésité.
27
Li W, Liu Q, Deng X, Chen Y, Liu S, Story M. Association between Obesity and Puberty Timing: A Systematic Review and Meta-
Analysis. Int J Environ Res Public Health. 2017 Oct 24;14(10):1266.
28
les écrans est élevé, moins celui disponible et effectivement consacré à des activités physiques
d’intensité modérée ou élevée sera important par simple effet de substitution.
Si l’épidémie de surpoids et d’obésité ne saurait être imputable aux seuls écrans, leur utilisation
excessive y contribue.
De nombreuses études ont mis au jour des associations de type dose-effet entre le temps passé devant
les écrans et l’augmentation du risque de surpoids et d’obésité, ou d’accumulation excessive de tissu
adipeux28. Il est à noter que, dans la littérature, ce lien est plus apparent chez l’adolescent que chez le
jeune enfant. Cela peut s’expliquer, d’une part, en raison du fait que l’accumulation de tissu adipeux se
fait sur un temps plus ou moins long jusqu’au stade du surpoids et, d’autre part, en raison des
spécificités de la croissance du jeune enfant. Les outils de suivi du poids en routine peuvent masquer,
à cet âge, l’identification d’un lien. Néanmoins, la petite enfance est une période durant laquelle
l’utilisation excessive d’écrans peut faire le lit d’un surpoids ultérieur.
- le temps passé sur les écrans conduit à une diminution de la dépense calorique29. En effet,
l’attention portée à l’écran implique une position assise statique source de sédentarité, et une
baisse de la consommation d’énergie. Il est intéressant de souligner cependant que
« l’amplitude de consommation d’énergie » dépend du type d’écran visionné. La
consommation d’énergie est ainsi plus faible face à l’écran de télévision devant lequel le
spectateur reste en attitude passive par rapport à l’utilisation d’un écran associée à un jeu
vidéo qui peut impliquer davantage d’activité physique et d’engagement30 ;
- le temps passé sur les écrans est plus fréquemment associé à des comportements alimentaires
conduisant à une augmentation de l’apport énergétique par l’alimentation31. En particulier, le
fait de manger devant un écran (devant la télévision par exemple), détourne l’attention et
réduit ou diffère la sensation de satiété, favorisant ainsi la surconsommation d’énergie par
l’alimentation32. L’usage des écrans semble également favoriser une plus grande perméabilité
aux messages de la publicité promouvant des produits alimentaires et donc conduire à leur
consommation33. Il est également constaté une corrélation entre temps d’utilisation des
écrans et plus forte appétence pour des produits gras, salés ou sucrés, avec un Nutri-score
classé D ou E.
28 Fang K, Mu M, Liu K, He Y. Screen time and childhood overweight/obesity: A systematic review and meta-analysis. Child
Care Health Dev. 2019 Sep;45(5):744-753. doi: 10.1111/cch.12701.
29
Lanningham-Foster L, Jensen TB, Foster RC, Redmond AB, Walker BA, Heinz D et al. Energy expenditure of sedentary screen
time compared with active screen time for children. Pediatrics. 2006;118:e1831-1835.
30
Courbet D, Fourquet-Courbet MP. Usage des écrans, surpoids et obésité. Obésité. 2019;14:131-138; Cessna T, Raudenbush
B, Reed A, Hunker R. Effects of video game play on snacking behavior. Appetite. 2007.49:282.
31
Courbet D, Fourquet-Courbet MP. Usage des écrans, surpoids et obésité. Obésité. 2019;14:131-138.
32
Bellissimo N, Pencharz PB, Thomas SG, Anderson GH. Effect of television viewing at mealtime on food intake after a glucose
preload in boys. Pediatr. Res. 2007;61:745-749, Higgs S, Woodward M. Television watching during lunch increases afternoon
snack intake in young women. Appetite. 2009;52:39-43.
33
Boyland EJ, Nolan S, Kelly B, Tudur-Smith C, Jones A, Halford JCG et al. Advertising as a crue to consume: a systematic review
and meta-analysis of the effects of acute exposure to unhealthy food and nonalcoholic beverage advertising on intake in
children and adults. Am. J. Clin . Nutr. 2016;103:519-533.
29
2.1.3- Le visionnage intensif d’écrans a des effets néfastes pour la vue et pourrait
entrainer des conséquences préoccupantes à long terme
L’utilisation des écrans joue un rôle établi dans l’apparition et la progression de différents troubles ou
pathologies de l’œil et de la vision, et les enfants et les adolescents sont particulièrement vulnérables.
En effet, l’œil de l’enfant est encore en formation et son développement se termine vers l’âge de 16 ans.
La croissance du globe oculaire a lieu jusqu’à l’âge de 4 ans. La maturation neuronale du système visuel
se poursuit ensuite jusqu’à l’adolescence, vers 13-15 ans. La lumière joue un rôle essentiel dans la
maturation de l’œil et le développement des fonctions visuelles34.
Les écrans contribueraient en particulier à l’épidémie de myopie qui touche les sociétés modernes.
La prévalence de la myopie est en augmentation depuis le milieu du XXe siècle et s’est accélérée ces
dernières décennies. Au niveau mondial, on compte désormais davantage d’individus myopes que
d’individus emmétropes, c’est-à-dire disposant d’une vision normale sans aucun trouble. Il est estimé
qu’en 205035, la moitié de l’humanité souffrira de myopie, à un stade sévère pour 10 % d’entre-elle.
La situation est déjà très préoccupante en Asie, où la prévalence de la myopie chez les 6-19 ans est
estimée à 60%, et particulièrement en Asie du Sud-Est (jusqu’à 73% des 12-18 ans en Corée du Sud) 36.
En France, où les tendances constatées suivent celles qui avaient été observées en Asie avec quelques
années de décalage, environ une personne sur trois en population générale (contre 20 % dans les
années 1970) et 42% des 10-19 ans37 sont myopes. Aux Etats-Unis, ce sont 42% des 10-15 ans qui sont
concernés. Cette situation a conduit plusieurs pays d’Asie à activer des politiques de santé publique
offensives (en particulier, plan structuré en Chine impliquant plus d’une heure d’activité physique en
extérieur chaque jour à l’école pour les enfants du primaire et du secondaire ; déploiement
expérimental de dispositifs permettant de tester les bienfaits pour les enfants de l’exposition à une
lumière rouge spécifique de faible intensité ; ou, dans d’autres pays, installation de dispositifs matériels
permettant de garantir à l’école la bonne distance entre les yeux des enfants et leur support
d’apprentissage).
En plus de constituer un trouble de la vision, la myopie est un facteur de risque aggravant pour d’autres
pathologies de l’œil ou de la vision à l’âge adulte. Les risques de maculopathie, de décollement de la
rétine, de glaucome, de cataracte précoce et de cécité sont sensiblement augmentés en cas de
myopie38.
De ce point de vue, l’enfance constitue un moment clé puisque c’est le plus souvent entre 6 et 12 ans
que l’on devient myope. La myopie se stabilise ensuite chez le jeune adulte.
Les causes de l’épidémie de myopie sont diverses et liées notamment à plusieurs aspects du mode de
vie contemporain, dont certains sont antérieurs à l’arrivée des écrans : vie en milieu urbain avec des
horizons visuels moins dégagés, temps plus important passé en intérieur (à domicile, à l’école) au
34 Rapports de l’ANSES. Effets sanitaires potentiels des technologies audiovisuelles en 3D stéréoscopique, 2014.
35 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0161642016000257
36 Andrzej Grzybowski, Piotr Kanclerz, Kazuo Tsubota, Carla Lanca, Seang-Mei Saw. A review on the epidemiology of myopia
and Meta-Analysis. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2020 Apr 9;61(4):49. doi: 10.1167/iovs.61.4.49.
30
détriment du temps passé à l’extérieur (exposition plus faible à la lumière naturelle et plus importante
à la lumière artificielle) 39.
Depuis leur apparition, les écrans sont suspectés d’avoir renforcé ces tendances et ainsi accéléré
l’épidémie de myopie. L’exposition à la lumière artificielle émise par les écrans, riche en longueurs
d’ondes dans la gamme du bleu et appauvrie en rouge, est impliquée dans l’incidence de la myopie. De
même, les efforts continus d’accommodation sur de petites écrans utilisés à proximité de l’œil
(tablettes, smartphones, consoles de jeux portables) pourraient favoriser l’apparition et l’aggravation
de la myopie chez les enfants. Une méta-analyse de 33 études examinant l’association entre le temps
d’écran et la myopie chez l’enfant a montré que le temps d’écran – pris dans son ensemble – n’est pas
associé au risque de myopie, mais que le temps passé sur smartphone ou ordinateur, – des écrans
utilisés proches des yeux - est associé à une augmentation du risque de myopie, d’un facteur compris
entre 30 à 145 %. L’étude souligne en outre que la littérature est encore insuffisante et contradictoire,
et qu’il est indispensable d’améliorer la robustesse des études pour être plus conclusif40.
Il faut enfin souligner que les activités régulières de plein air, exposant à la lumière naturelle, sont une
mesure efficace pour contrer le développement de la myopie41.
La lumière bleue émise par la majorité des écrans et des produits utilisant des light-emitting diodes
(LED) semblerait présenter, à forte dose, des effets phototoxiques inquiétants sur la rétine.
À haute dose, la phototoxicité de la lumière bleue émise par les LED sur la rétine est désormais
démontrée. Lorsqu’elle atteint l’œil, cette lumière provoque en effet une chaîne de réactions chimiques
aboutissant à la création de particules toxiques qui viennent endommager les cellules
photoréceptrices42.
Selon l’état actuel des connaissances, la rétine serait plus sensible aux expositions lumineuses pendant
la nuit43. L’œil est aussi d’autant plus sensible à la lumière bleue que l’on est jeune. En effet, la capacité
du cristallin à filtrer la lumière est fortement liée à l’âge : avant 8 ans, le cristallin laisse passer plus de
80 % des longueurs d’ondes courtes, dans la gamme du bleu, tandis qu’à partir de 25 ans, ce passage
se réduit à 50%, pour n’être que de l’ordre de 20 % à 80 ans44.
Les seuils de toxicité de la lumière bleue restent en revanche à déterminer. Des études en condition
réelle d’utilisation sont nécessaires pour évaluer l’impact à long terme d’expositions faibles mais
fréquentes à la lumière bleue, telles celles émises par les smartphones, les tablettes, ou les écrans
39 Jones-Jordan LA, Sinnott LT, Cotter SA, Kleinstein RN, Manny RE, Mutti DO, et al. Time outdoors, visual activity, and myopia
progression in juvenile-onset myopes. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2012 Oct 1;53(11):7169-75; Wu PC, Tsai CL, Wu HL, Yang YH,
Kuo HK. Outdoor activity during class recess reduces myopia onset and progression in school children. Ophthalmology. 2013
May;120(5):1080-5.
40
Association between digital smart device use and myopia: a systematic review and meta-analysis. Foreman J, Salim AT,
Praveen A, Fonseka D, Ting DSW, Guang He M, Bourne RRA, Crowston J, Wong TY, Dirani M. Lancet Digit Health. 2021
Dec;3(12):e806-e818.
41
Cao K, Wan Y, Yusufu M, Wang N. Significance of Outdoor Time for Myopia Prevention: A Systematic Review and Meta-
Analysis Based on Randomized Controlled Trials. Ophthalmic Res. 2020;63(2):97-105. doi: 10.1159/000501937.
42
Jaadane I, Boulenguez P, Chahory S, Carré S, Savoldelli M, Jonet L, et al. Retinal damage induced by commercial light emitting
diodes (LEDs). Free Radical Biology and Medicine. 2015;84:373-84; Eells JT, Gopalakrishnan S, Valter K. Near-Infrared
Photobiomodulation in Retinal Injury and Disease. Adv Exp Med Biol. 2016;854:437-41
43
Organisciak DT, Darrow RM, Barsalou L, Kutty RK, Wiggert B. Circadian-dependent retinal light damage in rats. Invest
Ophthalmol Vis Sci. 2000 Nov;41(12):3694-701; Ribelayga C, Cao Y, Mangel SC. The circadian clock in the retina controls rod-
cone coupling. Neuron. 2008 Sep 11;59(5):790-801; Ribelayga C, Mangel SC. Circadian clock regulation of cone to horizontal
cell synaptic transfer in the goldfish retina. PLoS One. 2019;14(8):e0218818.
44
Artigas JM, Felipe A, Navea A, Fandino A, Artigas C. Spectral transmission of the human crystalline lens in adult and elderly
persons: color and total transmission of visible light. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2012 Jun 26;53(7):4076-84.
31
d’ordinateurs45. Notons que la distance entre l’œil et la source lumineuse est un aussi un facteur
déterminant d’éventuels dommages.
L’usage prolongé des écrans peut également être associé à divers symptômes, désignés par le terme
« digital eye strain »46, dont la prévalence est estimée a minima à 50% chez les usagers d’ordinateurs
tels qu’une augmentation de la sensation d’œil sec47, des sensations de fatigue visuelle, un flou visuel.
L’arrêt de l’utilisation d’écran et le repos visuel suffisent généralement à amender ces symptômes. S’ils
sont bénins, leur retentissement fonctionnel et économique nécessite qu’ils soient identifiés, afin
d’être pris en charge de façon adéquate en termes de prévention et de traitement.
2.1.4- Une vigilance raisonnée doit être accordée quant à l’existence possible ou
suspectée d’autres effets des appareils électroniques sur la santé
Les effets sanitaires possibles ou suspectés des appareils électroniques sont potentiellement
nombreux. Les principaux évoqués à l’occasion des travaux de la Commission et faisant l’objet de
recherche encore en cours sont les suivants :
45
Rapport de l’Anses. Effets sur la Santé Humaine et sur L’environnement (faune et flore) des Diodes Électroluminescentes
(LED). 2019.
46
Sheppard AL, Wolffsohn JS. Digital eye strain: prevalence, measurement and amelioration. BMJ Open Ophthalmol. 2018
Apr 16;3(1):e000146.
47
Miura DL, Hazarbassanov RM, Yamasato CK, Bandeira e Silva F, Godinho CJ, Gomes JA. Effect of a light-emitting timer device
on the blink rate of non-dry eye individuals and dry eye patients. Br J Ophthalmol. 2013 Aug;97(8):965-7.
48
AVIS et RAPPORT de l'Anses relatif à l'expertise "Exposition aux radiofréquences et santé des enfants". 2016.
49 Avis de l’ANSES relatif aux lignes directrices visant à limiter l’exposition des personnes aux champs électromagnétiques (100
32
▪ via la sédentarité favorisant le surpoids voire l’obésité51 ;
▪ plus récemment, est suspecté un effet direct de l’exposition prolongée à la
lumière bleue. Il a ainsi été constaté, à l’issue des périodes récentes de
confinement, un lien entre la durée d’exposition aux écrans et l’avancement
de l’âge de la puberté chez les jeunes filles52. Des études chez l’animal
suggèrent un lien de causalité avec l’exposition à la lumière bleue, mais ceci
devra être confirmé53 ;
o la toxicité de certains des matériaux ou des substances utilisés pour la fabrication des
écrans et terminaux numériques avec lesquels les utilisateurs sont en contact, y
compris physique (écrans de smartphones, claviers d’ordinateurs…), parfois plusieurs
heures par jour, et susceptibles de se diffuser lors de l’usage de l’appareil et/ou lors de
la détérioration du matériel ; avec effets, notamment sur la cognition, envisageables
sur plusieurs générations54.
Sur l’ensemble de ces sujets, la Commission recommande de poursuivre et d’amplifier les recherches
afin de dégager le plus rapidement possible des conclusions scientifiques claires sur l’innocuité ou la
51 Chioma L, Bizzarri C, Verzani M, Fava D, Salerno M, Capalbo D, Guzzetti C, Penta L, Di Luigi L, di Iorgi N, Maghnie M, Loche
S, Cappa M. Sedentary lifestyle and precocious puberty in girls during the COVID-19 pandemic: an Italian experience. Endocr
Connect. 2022 Feb 14;11(2):e210650.
52 Gnocchi M, D'Alvano T, Lattanzi C, Messina G, Petraroli M, Patianna VD, Esposito S, Street ME. Current evidence on the
impact of the COVID-19 pandemic on paediatric endocrine conditions. Front Endocrinol (Lausanne). 2022 Aug 5;13:913334;
53
Uğurlu AK, Bideci A, Demirel AM, Kaplanoğlu GT, Dayanır D, Özlem Gülbahar O, Deveci Bulut TS, Döğer E, Çamurdan MO
Blue Light Exposure and Exposure Duration Effects on Rats' Puberty Process ESPE 2022, Abstract P1-361; Kılınç Uğurlu A, Bideci
A, Demirel MA, Take Kaplanoğlu G, Dayanır D, Gülbahar Ö, Deveci Bulut TS, Döğer E, Çamurdan MO. Effects of Blue Light on
Puberty and Ovary in Female Rats. J Clin Res Pediatr Endocrinol. 2023 Nov 22;15(4):365-374.
54
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Occurrence of hexabromocyclododecanes (HBCDs) and tetrabromobisphenol A (TBBPA) in indoor dust from different
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Jantunen LM, Siddique S, Kubwabo C, Tsirlin D, Latifovic L, Fraser B, St-Jean M, De La Campa R, You H, Kulka R, Diamond ML.
Are cell phones an indicator of personal exposure to organophosphate flame retardants and plasticizers? Environ Int. 2019
Jan;122:104-116; Zheng X, Sun R, Qiao L, Guo H, Zheng J, Mai B. Flame retardants on the surface of phones and personal
computers. Sci Total Environ. 2017 Dec 31;609:541-545.
33
dangerosité des technologies, procédés, matériaux ou substances concernés sur les différents aspects
précédemment évoqués.
Dans l’attente, tout en veillant à ne pas sombrer dans un alarmisme excessif, elle suggère de privilégier
des attitudes prudentes et de bon sens, comme cela a pu commencer à être fait sur la question des
ondes électromagnétiques avec la formulation de recommandations des pouvoirs publics quant aux
conditions optimales d’utilisation permettant de limiter la survenue des risques suspectés.
La Commission recommande sur tous ces sujets de redoubler de vigilance durant la période de la
grossesse pendant laquelle il est établi que la vulnérabilité du fœtus est très élevée, et chez les
populations vulnérables comme celle des nouveau-nés particulièrement s’ils sont prématurés, et plus
généralement, les enfants et les adolescents.
En remarque préliminaire, la Commission tient à revenir sur les limitations globales de la littérature
scientifique sur le sujet des liens entre écrans et neurodéveloppement des enfants :
1) La qualité méthodologique des études est variable. Il n’est ainsi pas possible pour des raisons
éthiques autant que pratiques de procéder à des études randomisées en double aveugle. Par
ailleurs, les facteurs sociaux liés à la famille sont souvent mal pris en compte alors qu’ils jouent
un rôle déterminant dans les comportements éducatifs et de santé. Ensuite, les mesures de
développement cognitif sont parfois rapportées par les parents ou les enseignants et non
évaluées par des tests administrés par des psychologues. Enfin, il existe plus d’études
transversales que d’études longitudinales, et plus d’effectifs réduits que de grands échantillons.
Cependant, force est de constater que ces études montrent des associations le plus souvent
négatives ou neutres, rarement positives. Les effets qu’ils soient négatifs ou positifs sont faibles.
2) La plupart des études permet de conclure à une association, mais ne peut démontrer une
relation de causalité. Sur des sujets tels que celui-ci, démontrer une causalité nécessite un large
faisceau de preuves convergentes, ce qui prend du temps et est coûteux, et est d’autant plus
complexe que les traits développementaux sont multifactoriels.
3) Les effets observés sont de faible amplitude sur le plan clinique, que ceux-ci soient positifs ou
négatifs, mais de tels effets peuvent être conséquents à l’échelle d’une population. Prenons
l’exemple du Quotient intellectuel (QI) :
- aux extrémités de la courbe de Gauss: une baisse de 1 à 2 points de QI fait passer
certains individus « dans la norme basse » dans la catégorie « déficience
intellectuelle » ou « dans la norme haute » dans la catégorie « intelligence
supérieure » ;
- une baisse du QI moyen de la population d’un pays a des conséquences en termes
de qualité de vie et de productivité notamment.
En complément de cette approche par la science, il convient en outre de considérer les retours exprimés
par les professionnels, du champ de la santé et de l’éducation principalement, avec les limites là aussi
de ces observations qui sont peu en prise dans le champ de la santé avec la population générale.
34
Ces aspects méthodologiques étant posés, la Commission a tenu à exposer les éléments incitant à
limiter l’exposition des enfants de moins de 6 ans aux écrans récréatifs, en résonnance avec les
recommandations de l’OMS55 et de plusieurs sociétés savantes dont l’Association Américaine de
Pédiatrie (AAP) 56 et l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire (AFPA) 57.
D’une part, de nombreux « signaux faibles » remontent depuis plusieurs années. Les auditions
conduites par la Commission ont permis à plusieurs interlocuteurs de faire état de ces signaux. Par
exemple certains pédiatres, orthophonistes, médecins de PMI, amenés à suivre des enfants de moins
de trois ans présentant des difficultés du langage, de l’alimentation, et de la communication, et dont il
s’avère qu’ils ont été et sont fortement surexposés aux écrans (parfois plus de 5-6 heures quotidiennes
depuis les premiers mois de vie), relaient ces alertes. De même, certains enseignants en maternelle et
en élémentaire s’inquiètent d’une impression de majoration des difficultés de concentration et de la
moindre richesse du vocabulaire de leurs élèves. Certains professionnels indiquent que ces tendances
semblent s’être accentuées au détour des confinements en lien avec la pandémie SARS-COV 2.
D’autre part, la littérature scientifique traitant des liens entre l’utilisation, majoritairement récréative,
des écrans et le développement cognitif de l’enfant de moins de 6 ans, n’a cessé de s’enrichir depuis
les années 1970 et les premières études portant sur l’exposition à la télévision.
Rappelons d’emblée comme mentionné déjà plus haut, que si les effets rapportés sont le plus souvent
négatifs ou neutres, ils sont rarement positifs en population générale. En outre les effets observés,
positifs ou négatifs, sont plutôt faibles individuellement parlant dans l’ensemble des études.
Notons aussi que des appels en visioconférence occasionnels, quelques minutes une à deux fois par
semaine, ne semblent pas problématiques du point de vue cognitif chez l’enfant de plus de 18 mois.
Notons enfin que nous n’envisageons pas ici l’usage du support numérique par les enfants dits à
besoin particulier, pour lesquels il peut être un outil de compensation du handicap et
d’apprentissage, en association bien entendu à un fort accompagnement humain (enseignant,
psychologue, ergothérapeute, orthophoniste, parents notamment).
Dès la période intra-utero et jusqu’à l’âge de 25 ans environ, le cerveau est en développement et dispose
d’une grande plasticité pour assimiler toutes les informations utiles. Durant les premières années se
développent les fonctions fondamentales de l’être humain, dont les compétences sensorimotrices, les
compétences socio-émotionnelles et le langage, puis plus tard, les apprentissages scolaires. Les
dernières fonctions à arriver à maturité sont celles dîtes de haut-niveau : fonctions exécutives, contrôle
de l’impulsivité, planification, etc.
Si pendant cette période tout le processus est influencé par des facteurs génétiques, il est aussi
massivement influencé par les interactions avec l’environnement dans lequel évolue l’individu.
55
L’OMS publie les premières lignes directrices sur les interventions de santé numérique. Communiqué de presse.
https://www.who.int/fr/news/item/17-04-2019-who-releases-first-guideline-on-digital-health-interventions, 2019.
56 Reid Chassiakos YL, Radesky J, Christakis D, Moreno MA, Cross C ; Council on communications and media. Children and
35
la découverte de la lecture, l’acquisition de l’écriture…) seront d’autant mieux acquises qu’elles l’auront
été pendant ces périodes. Ces moments ont lieu, pour beaucoup d’entre eux, dans l’enfance mais aussi,
pour les fonctions de haut niveau, pendant l’adolescence. Ces périodes « sensibles » se caractérisent
par une plus grande plasticité du cerveau et donc, dans le même temps, par une vulnérabilité plus forte
encore aux événements néfastes de l’environnement.
Les perturbations susceptibles d’intervenir durant les moments clés du développement des systèmes
perceptifs, notamment chez le très jeune enfant, entraîneront parfois des conséquences irréversibles. À
titre d’illustration, des troubles importants de l’audition non compensés intervenant au moment du
développement du langage auront des conséquences définitives sur le langage et/ou sur l’audition elle-
même. De même, une faiblesse importante de l’un des deux yeux au plus jeune âge, si elle n’est pas
prise en charge, pourra conduire à une perte définitive de la vision pour cet œil, les connexions
nécessaires à son bon fonctionnement pour le reste de l’existence ne se réalisant pas. De manière
similaire l'exposition à des substance psychoactives (alcool, cannabis et autres drogues) chez les jeunes
adolescents avant 15 ans produisent des effets non réversibles sur le cerveau et les systèmes de
régulation de l’impulsivité.
En contrepartie, ces périodes « sensibles » sont aussi des fenêtres d’opportunité pour intervenir sur
l’environnement et pour agir positivement au bénéfice de la santé et de l’éducation des enfants et des
adolescents.
2.2.1- De nombreux arguments mettent en avant l’effet négatif de certains usages des écrans
pour le neurodéveloppement des jeunes enfants et conduisent à préconiser la prudence
jusqu’à l’âge de 6 ans
La Commission a souhaité appeler l’attention en premier lieu sur le phénomène des technoférences. Il
s’agit d’un néologisme pointant les interférences dans la relation parent (ou adulte référent)-
enfant/adolescent, générées par l’usage de l’écran par le parent en présence de l’enfant/adolescent.
La télévision allumée en fond a été le premier type de technoférence décrit, sans être alors ainsi
dénommé. En diminuant la qualité et la quantité des interactions parent-enfant, elle altère le
développement du langage et des capacités socio-relationnelles.
La diffusion massive de l’usage par les adultes des outils mobiles, essentiellement des smartphones
depuis 2007, a conduit à une augmentation exponentielle de ces perturbations dans les interactions. Il
s’agit d’un champ de recherche scientifique émergent, et de récentes études et observations cliniques
suggèrent que ces nouvelles technoférences sont à l’origine :
58Braune-Krickau K, Schneebeli L, Pehlke-Milde J, Gemperle M, Koch R, von Wyl A. Smartphones in the nursery: Parental
smartphone use and parental sensitivity and responsiveness within parent-child interaction in early childhood (0-5 years): A
scoping review. Infant Ment Health J. 2021 Mar;42(2):161-175.
36
- chez l’enfant5960: d’une altération du développement du langage, de la régulation des émotions
et des compétences socio-relationnelles.
Cette question représente un enjeu particulièrement critique sur la période des 1 000 premiers jours
de l’enfant (de la grossesse jusqu’aux 2 ans de l’enfant). Si les études sont encore à renforcer, et qu’elles
se heurtent au plan éthique aux possibilités de « tester » les hypothèses auprès des enfants en
adoptant des approches expérimentales à même d’établir des liens de cause à effet, la Commission
considère que les effets mécanistiques attachés à l’intervention des écrans dans la relation du jeune
enfant avec les adultes constituent des points d’appui suffisants pour appeler à une grande vigilance,
a minima jusqu’aux 4 ans de l’enfant, dans l’usage qui est fait des outils en leur présence par les
parents mais aussi plus généralement par les professionnels en lien avec la petite enfance
(assistantes maternelles, personnels des crèches, nourrices…) a fortiori aux moments clés de la
relation (repas, soins, jeux…). La vigilance doit aussi être retenue pour l’adolescence (cf. infra).
Au-delà de l’usage des écrans par les adultes en présence des enfants, la Commission a tenu à faire le
point sur les études actuelles relatives aux liens entre temps d’écran et neurodéveloppement des
jeunes enfants.
Ces études, si elles n’établissement pas en tant que tel de lien de causalité, montrent dans l’ensemble
une association légèrement négative, ou neutre, entre ce temps d’écran et le neurodéveloppement.
Le consensus actuel provient de la méta-analyse de Madigan et al. (2020)61 qui intègre 42 études sur
le développement du langage. Elle montre que, dans l’ensemble, plus le temps d’écran est limité et
l’âge de première exposition tardif, meilleures sont les compétences langagières. Cependant, le
visionnage de programmes à haute valeur éducative et/ou le co-visionnage interactif avec les
parents étaient associés à un meilleur développement du langage (voir ci-dessous l’encadré présentant
les principaux repères dans le processus d’apprentissage du langage). Une récente revue à ce sujet pour
les enfants de moins de 5 ans fait également le point62.
59 Corkin MT, Henderson AME, Peterson ER, Kennedy-Costantini S, Sharplin HS, Morrison S. Associations between
technoference, quality of parent-infant interactions, and infants' vocabulary development. Infant Behav Dev. 2021
Aug;64:101611.
60 McDaniel BT, Radesky JS. Technoference: Parent Distraction With Technology and Associations With Child Behavior
Screen Time Affects Language Development in Early Life-A Systematic Review. Brain Sci. 2023 Dec 25;14(1):27.
37
Principaux repères sur les moments clés dans le processus d’apprentissage du langage
- Entre 3 et 6 mois : l’enfant « gazouille », communique par les sourires, les pleurs, les vocalises.
- Entre 7 et 10 mois : l’enfant babille, module l’intensité de sa voix, comprend les intonations et les
imite, répond par des vocalisations. Comprend des phrases du quotidien (« c’est l’heure du repas ! »),
les intonations. Premières syllabes.
- Vers 12 mois : l’enfant prononce ses premiers mots et comprend des consignes simples.
- Vers 2 ans : l’enfant comprend environ 300 mots et en prononce une cinquantaine.
- À 3 ans : l’enfant utilise le « Je », conjugue les verbes, utilise les articles, connaît son nom, son prénom.
Une autre étude longitudinale de Madigan et al. 63 a suivi 2 241 enfants canadiens de 24 à 60 mois. Le
niveau d’exposition élevé à 24 mois et à 36 mois est associé à de moins bonnes performances cognitives
à 60 mois.
Dans le contexte français, on recense deux études chez les enfants d’âge préscolaire (avant 6 ans) parmi
les plus robustes de la littérature, dont les conclusions confirment ce consensus et apportent de
nouveaux éléments :
- s’appuyant sur le suivi de plus de 1 500 enfants de la « cohorte EDEN », l’étude de Martinot et
al., en 2021, montre que le contexte d’utilisation jouerait un rôle plus important que le simple
temps d’écran : entre 2 et 5 ans, plus les enfants étaient exposés fréquemment à la télévision
pendant les repas, plus le développement du langage était faible64 ;
- ce résultat est corroboré par l’étude de Yang et al., de 2024, chez près de 14 000 enfants de la
« cohorte ELFE », dans laquelle le fait d’allumer la télévision pendant les repas était associé à
un moindre développement cognitif, en particulier du langage, entre 2 et 5,5 ans65. Dans cette
étude, à 3,5 ans et 5,5 ans, on observe une corrélation négative et dose-dépendante entre le
temps d’écran et les performances cognitives globales dès la tranche 30-60 minutes
d’exposition quotidienne. Les corrélations ne sont toutefois pas significatives sur le plan
longitudinal, c’est-à-dire que, dans cette étude, le temps d’écran à un âge donné n’est pas
associé avec le neurodéveloppement à un âge ultérieur.
Ces deux études soulignent aussi que le poids des inégalités sociales est considérable durant la petite
enfance, et rend compte de façon importante des écarts de performances langagières. En France et
dans la plupart des pays comparables, le fait que les écrans sont bien plus regardés par les enfants de
63 Madigan S, Browne D, Racine N et al. Association Between Screen Time and Children's Performance on a Developmental
Screening Test. JAMA Pediatr 2019 Mar 1;173(3):244-250.
64 Martinot P, Bernard JY, Peyre H, De Agostini M, Forhan A, Charles MA, Plancoulaine S, Heude B. Exposure to screens and
children's language development in the EDEN mother-child cohort. Sci Rep. Juin 2021.
65 Yang S, Saïd M, Peyre H, Ramus F, Taine M, Law EC, Dufourg MN, Heude B, Charles MA, Bernard JY. Associations of screen
use with cognitive development in early childhood: the ELFE birth cohort. J Child Psychol Psychiatry. 2024.
38
familles défavorisées66, est un facteur d’accroissement des inégalités développementales entre enfants
de milieux sociaux différents.
Plusieurs éléments sont avancés pour rendre compte de cet effet négatif.
Tout d’abord, de façon générale, il est établi que, jusqu’à l’âge de 24-30 mois environ, l’enfant
apprend moins bien par l’intermédiaire d’un écran que via une interaction humaine réelle67 : on parle
de déficit de transfert vidéo. Autrement dit, le très jeune enfant n’a pas besoin d’écran pour son
apprentissage.
Une explication est que le très jeune enfant a du mal à traiter une information perçue sur un écran en
deux dimensions puis à la transposer dans le monde réel, en trois dimensions. De plus, pour
comprendre et apprendre, le jeune enfant a besoin d’avoir des renseignements sensoriels et de répéter
les expériences. Et l’interaction réelle et en temps réel avec le parent ou l’adulte référent lui sont
indispensables68. Un écran ne peut pas lui offrir cela.
Par ailleurs, les écrans stimulent de diverses façons, notamment en apportant de la nouveauté, un
réseau dénommé le « système de récompense »69 entrainant la libération d’une grande quantité de
dopamine. La perspective d’une récompense à long terme déclenche aussi la libération de dopamine
mais en moindre quantité. Lorsque la quantité de dopamine libérée est élevée, le système de
récompense est plus sensible à la perspective d’une récompense à court terme. Lorsqu’un niveau de
dopamine est maintenu élevé pendant un long temps, par exemple par des stimuli agréables répétés,
les connexions avec les structures de récompense à long terme dégénèrent, au profit de celles à court
terme70. Rappelons que nous nous plaçons ici dans une explication mécanistique qui pourrait expliquer
certains phénomènes comportementaux observés en lien avec les écrans mais qu’à ce jour il n’existe
pas d’étude scientifique qui ait mis en évidence cet effet en lien avec les écrans. Notons que le réseau
de la récompense est activé dans toutes les activités qui nous procurent du plaisir de l’alimentation,
aux jeux de société et au sport, mais que la stimulation de celui par les écrans ne requiert que peu
d’effort en comparaison du sport par exemple.
En outre, l’usage des écrans le soir, en particulier dans l’heure précédent le coucher, altère
qualitativement et quantitativement le sommeil, ce qui peut influencer en cascade le
neurodéveloppement et les apprentissages (cf. plus haut la partie dédiée au sommeil).
2.2.2- Concernant le neurodéveloppement des enfants plus âgés et des adolescents, les
questionnements portent essentiellement sur l’accès au langage écrit, les résultats scolaires et
les symptômes dépressifs.
L’acquisition de la lecture s’appuie sur la qualité du langage oral, et nécessite un effort et un travail
régulier et répété tout au long de la scolarité élémentaire. Au Québec, une étude longitudinale sur des
66
Poncet L, Saïd M, Gassama M, Dufourg MN, Müller-Riemenschneider F, Lioret S, Dargent-Molina P, Charles MA, Bernard JY.
Sociodemographic and behavioural factors of adherence to the no-screen guideline for toddlers among parents from the
French nationwide Elfe birth cohort. Int J Behav Nutr Phys Act. Août 2022.
67
1. Barr R. Transfer of learning between 2D and 3D sources during infancy: Informing theory and practice Dev Rev 2010 Jun
1;30(2):128-154.
68
Strouse GA, Troseth GL, O'Doherty KD et al. Co-viewing supports toddlers' word learning from contingent and
noncontingent video. J Exp Child Psychol. 2018 Feb;166:310-326.
69
Le système de récompense désigne un réseau de neurones dont l’activation entraine une sensation de plaisir. De ce fait, il
joue un rôle essentiel dans les processus de motivation, et est fortement impliqué dans l’apparition de comportements
compulsifs et/ou addictifs. Le neurotransmetteur clé en est la dopamine.
70
Lachaux, JP Le cerveau attentif, Edd Odile Jacob, 2011 ; Lachaux, JP Le cerveau funambule, Edd Odile Jacob, 2015.
39
enfants âgés de 6 à 12 ans révèle une association négative et faible entre le temps passé devant la
télévision et le temps consacré à la lecture à 6 ans, mais sans que le temps passé à regarder la télévision
à 6 ans n’ait d’effet sur les performances de lecture à 8 et 10 ans71. Cette étude montre également que
le temps passé à regarder la télévision ne se substitue pas au temps passé à lire, ou alors très à la
marge. Une autre étude a cependant mis en évidence de moins bonnes performances en lecture à 10-
11 ans et le fait de passer plus de 2 heures chaque jour devant la télévision à 8-9 ans, et de moins
bonnes performances en numératie à 10-11 ans et le fait de passer plus d’une heure devant un
ordinateur à 8-9 ans. Aucun effet n’a été observé pour la pratique du jeu vidéo72. En France, dans la
cohorte Elfe73, un temps d’écran plus élevé à 2 et 3,5 ans est associé à des résultats inférieurs en
littératie en moyenne section et en CP. Même si les études restent encore divergentes sur cette
question. Cependant, la lecture étant un élément déterminant et l’un des facteurs clés de la réussite
scolaire tout au long de la scolarité, les données de la cohorte Elfe appellent à une certaine vigilance.
Pour les pré-adolescents de 9-10 ans et adolescents jusqu’à 17 ans, certaines études, y compris
longitudinales, suggèrent qu’un temps d’usage récréatif des écrans dépassant des recommandations
actuelles (2 heures par jour) ou élevé, serait associé à de moindres performances cognitives globales
et à de moins bonnes performances scolaires74757677. Pour autant, l’une des dernières études
longitudinales, étude d’imagerie fonctionnelle, anatomique et de diffusion, sur la cohorte ABCD qui
suit sur 15 ans à partir de 8 ans 13 000 adolescents, n'observent pas d’effet du temps passé sur les
écrans à un âge donné sur le développement cérébral des adolescents de 9 à 12 ans78. Que les résultats
soient négatifs ou nuls, ces études n’établissent pas de liens de causalité et les effets restent faibles.
D’autre part, comme chez les enfants plus jeunes, le milieu social d’origine est la variable la plus
explicative des différences observées dans le domaine cognitif et le temps d’écran peut avoir des effets
positifs sur la qualité des interactions avec les pairs. Notons aussi que le temps d’écran peut refléter
des usages très différents du numérique qui sont souvent plus explicatifs des effets observés. A titre
d’exemple, l’utilisation des jeux vidéo pourrait avoir des effets positifs sur le développement de
l’intelligence entre 8 et 10 ans alors que les réseaux sociaux auraient des effets nuls79. Enfin à
l’adolescence, il faut interpréter les effets des écrans et notamment des réseaux sociaux au regard de
vulnérabilité neuropsychologique préexistante80. Une étude suggère notamment que l’activité dans
certaines structures du cortex préfrontales en réaction à des récompenses sociales et leur
développement de 9 à 12 ans constituent des facteurs de risques d’une utilisation excessive ; utilisation
excessive qui constitue un facteur de risque de développer des symptômes dépressifs chez les filles
71 Supper W, et al.The Relation Between Television Viewing Time and Reading Achievement in Elementary School Children: A
Test of Substitution and Inhibition Hypotheses. Front Psychol. 2021.
72 Mundy LK, Canterford L, Hoq M, Olds T, Moreno-Betancur M, Sawyer S, Kosola S, Patton GC. Electronic media use and
academic performance in late childhood: A longitudinal study. PLoS One. 2020 Sep 2;15(9):e0237908.
73 Influence de l'utilisation des écrans sur le développement cognitif et les apprentissages scolaires des enfants des cohortes
guidelines and academic performance in Australian school children. BMC Public Health. 2020 Apr 17;20(1):520.
76 Ramer JD, Santiago-Rodríguez ME, Vukits AJ, Bustamante EE. The convergent effects of primary school physical activity,
sleep, and recreational screen time on cognition and academic performance in grade 9. Front Hum Neurosci. 2022 Nov
10;16:1017598.
77 Paulich KN, Ross JM, Lessem JM, Hewitt JK. Screen time and early adolescent mental health, academic, and social outcomes
in 9- and 10- year old children: Utilizing the Adolescent Brain Cognitive Development ℠ (ABCD) Study.
PLoS One. 2021 Sep 8;16(9):e0256591.
78 https://doi.org/10.1016/j.cortex.2023.09.009
79
https://doi.org/10.1038/s41598-022-11341-2
80
https://doi.org/10.1093/scan/nsae008
40
mais pas chez les garçons. Les relations entre les écrans et le développement cognitif et émotionnel
des adolescents sont donc complexes et usages-dépendants.
À l’adolescence, la technoférence intervient à nouveau dans la relation entre les parents et le jeune
adolescent et pourrait être associée à une moins bonne santé mentale81.
2.2.3- S’agissant des enjeux spécifiques de l’attention, une littérature scientifique suggère un
lien entre un usage excessif des écrans récréatifs et une altération des capacités attentionnelles
mis à part pour les jeux vidéo sur le plan visio-spatial
Les écrans offrent l’accès à des contenus récréatifs variés, qui tous s’appuient sur la mise en jeu
essentiellement de l’attention dite « exogène » ou automatique de multiples façons (particulièrement
les sons, mouvements rapides, contrastes colorés chez le petit enfant ; nouveauté, récompense
aléatoire, défilement infini et autres designs « addictogènes » ensuite). Celle-ci est efficace très tôt dès
les premiers mois de la vie, au contraire de l’attention « endogène » ou volontaire qui doit être
entrainée, travaillée pour devenir efficiente.
Une sursollicitation de la première pourrait se faire au détriment de la seconde, ce qui à terme pourrait
potentiellement avoir des effets sur les capacités de concentration. Les régions les plus antérieures du
cerveau sont impliquées dans ces processus et continuent à se développer pendant toute la période
de l’adolescence.
Une revue récente de la littérature82 incluant 11 études dont certaines en imagerie et en électro-
physiologie montre qu’une exposition prolongée aux écrans des enfants de moins de 12 ans, au-delà
des recommandations actuelles (0 avant 2 ans, moins de 1 heure avant 5 ans, moins de 2 heures
ensuite) peut être associée à de moindres capacités attentionnelles. Une étude longitudinale ayant
étudié l’usage du smartphone de 2 587 adolescents de 15 et 16 ans suivis pendant 2 ans, a mis en
évidence une association faible des symptômes d’inattention et d’hyperactivité/impulsivité en fin de
suivi chez les adolescents rapportant une fréquence élevée de consultation (plusieurs fois par jour)
contre faible (deux fois par jour ou moins, deux fois par semaine ou moins) des réseaux sociaux, un
usage actif de ceux-ci, le visionnage de vidéos, l’écoute et le téléchargement de musique, mais pas avec
l’usage de la messagerie et des textos, en tenant compte des facteurs confondants habituels (sommeil,
niveau socio-économique etc.)83. Le « media multitasking » est un facteur important de perturbations
des processus attentionnels et de la mémorisation84.
Notons que l’usage largement observé des écrans le soir ou pendant la nuit altère quantitativement et
qualitativement le sommeil, et par ce biais potentiellement les capacités attentionnelles et de contrôle
de l’impulsivité (cf. les développements du 2.1 relatifs au sommeil).
A contrario, l’une des dernières méta-analyses publiées rapportent des effets positifs, faibles à
modérés, associés à la pratique du jeu vidéo d’action sur l’attention visuo-spatiale endogène dans des
81 Dixon D, Sharp CA, Hughes K, Hughes JC.Parental technoference and adolescents' mental health and violent behaviour: a
scoping review. BMC Public Health. 2023 Oct 19;23(1):2053.
82 Santos RMS, Mendes CG, Marques Miranda D, Romano-Silva MA. The Association between Screen Time and Attention in
41
études interventionnelle85. Cependant, il n’y a pas de consensus sur le caractère transférable de ces
compétences à des tâches autres que similaires à celles proposées par la pratique du jeu86 87 88.
2.2.4- Les écrans ne sont pas à l’origine des troubles du neurodéveloppement (TND), TDA/H
(trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité) ou trouble du spectre de l’autisme
(TSA) mais une vigilance est requise par rapport à leur usage excessif pour éviter l’amplification
des symptômes liés à ces TND
La Commission tient à indiquer que les troubles du neurodéveloppement (TND), dont le TDA/H ou les
troubles du spectre de l’autisme, ne peuvent pas être imputables à l’usage d’un écran. Ces troubles
sont en effet plurifactoriels et présents dès la naissance, ils ne peuvent en tout logique être causés
par l’exposition, nécessairement ultérieure, aux écrans.
Toutefois, il convient de signaler qu’une exposition excessive aux écrans peut aggraver des symptômes
liés à ces troubles chez les enfants qui en souffrent. A titre d’illustration, une revue89 et une méta-
analyse90 récentes ont retenu une association significative entre usage des écrans et TDAH dans la
population des 0-18 ans, cette association étant probablement bidirectionnelle, c’est-à-dire que les
sujets présentant un TDAH ont aussi tendance à avoir davantage recours aux écrans. Il convient donc
d’observer une grande vigilance dans le suivi des enfants qui présentent ces TND, pour s’assurer que la
gravité des symptômes ne soit pas accrue par une utilisation excessive des écrans.
- avant 2 ans, les effets de l’exposition aux écrans sont associés à de moins bonnes performances au
niveau du langage et des capacités attentionnelles.
- de 2 à 6 ans, un temps d’écran supérieur à une heure par jour ou de télévision supérieur à 30 minutes
par jour est souvent associé à de moins bonnes performances cognitives globales, attentionnelles,
langagières et socio-émotionnelles.
- de 6 à 17 ans : un temps d’écran supérieur à deux heures par jour pourrait être associé pour certains
usages à de moindres capacités attentionnelles et à de moindres performances en lecture et scolaires,
mais cela reste à confirmer.
- entre 15 et 18 ans : un usage à haute fréquence du smartphone (plusieurs fois par jour) a été associé
à une augmentation des symptômes de type inattention, impulsivité et hyperactivité.
85 https://tmb.apaopen.org/pub/qj0c4ij2/release/3
86 Oei AC, Patterson MD. Are videogame training gains specific or general? Front Syst Neurosci. 2014 Apr 8;8:54.
87 Bavelier D., Green C. S., Pouget A., Schrater P. (2012b). Brain plasticity through the life span: learning to learn and action
42
2.3- En matière de santé mentale, notamment de dépression et d’anxiété, l’utilisation des
réseaux sociaux semble être un facteur de risque lorsqu’il y a une vulnérabilité préexistante.
La question de la santé mentale des jeunes constitue une préoccupation croissante depuis le sortir
de la crise Covid, avec des indicateurs qui ont globalement évolué défavorablement, notamment
chez les jeunes filles.
L’adolescence, en particulier, constitue une période durant laquelle les jeunes sont confrontés à de
nombreux changements, pressions et défis, susceptibles de les rendre plus vulnérables sur le plan de
la santé mentale. C’est à cette période que peuvent apparaitre les premières manifestations de
l’anxiété, de la dépression ou des conduites suicidaires.
Santé publique France a alerté les pouvoirs publics sur le fait que la santé mentale des jeunes reste
dégradée en France en 2023, une tendance constante depuis septembre 2020. Cette dégradation
concerne plus particulièrement les adolescents (11-17 ans) et les jeunes adultes (18-24 ans). Ainsi :
- les recours aux soins d’urgence pour troubles de l’humeur, idées et gestes suicidaires ont
fortement augmenté en 2021 puis 2022, pour rester depuis à un niveau élevé. Chez les jeunes
de 18-24 ans, la hausse s’est même poursuivie de façon marquée en 2023 ;
- les 18-24 ans étaient 20,8 % à être concernés par la dépression en 2021, contre 11,7 % en
2017 ;
- parmi les jeunes de 17 ans, 9,5 % étaient concernés par des symptômes anxio-dépressifs
sévères en 2022 contre 4,5 % en 2017 et 18 % ont eu des pensées suicidaires dans l’année
contre 11 % en 2017.
Santé publique France a en outre publié en avril 2024 les résultats sur la santé mentale de l’enquête
nationale en collèges et en lycées chez les adolescents (EnCLASS). L’étude, conduite à partir de données
recueillies en 2022 auprès de 9 337 élèves du secondaire en France hexagonale, montre que les
collégiens et lycéens ont connu une nette dégradation de leur santé mentale entre 2018 et 2022. Cette
dégradation est plus marquée chez les jeunes filles, et creuse l’écart garçons-filles qui était déjà observé
jusqu’alors. En particulier :
- si la grande majorité des élèves interrogés expriment une satisfaction vis-à-vis de leur vie
actuelle et se perçoivent en bonne santé, seule la moitié présente un bon niveau de bien-être
mental. On observe une part non négligeable de jeunes présentant un risque de dépression et
déclarant un sentiment de solitude, des plaintes psychologiques et/ou somatiques ou des
pensées suicidaires ;
- environ un quart des élèves interrogés ont éprouvé un sentiment de solitude au cours des
12 derniers mois ; ce sentiment étant davantage présent chez les lycéens que chez les
collégiens (27 % vs. 21 %) ;
- plus de la moitié des jeunes interrogés (51 % des collégiens et 58 % des lycéens) formulent des
plaintes psychologiques ou somatiques récurrentes (c’est-à-dire au moins deux plaintes plus
d’une fois par semaine durant les six derniers mois). Les plaintes les plus fréquemment
rapportées sont la difficulté à s’endormir, la nervosité, l’irritabilité et le mal de dos ;
43
- 14 % des collégiens et 15 % des lycéens présentent un risque important de dépression2. Le fait
de manquer d’énergie, de se sentir découragé et d’avoir du mal à réfléchir sont les trois
principaux symptômes dépressifs déclarés par les adolescents ;
- les comportements suicidaires ont également été mesurés, mais uniquement parmi les
lycéens. Un quart d’entre eux (24 %) a déclaré avoir eu des pensées suicidaires au cours des
12 derniers mois. Les filles sont nettement plus concernées que les garçons (31 % contre 17
%), et ce quelle que soit la classe. Environ un lycéen sur dix a déclaré avoir fait une tentative
de suicide au cours de sa vie.
Face à ces alertes, qui ne sont pas propres à la France, la question de la responsabilité des écrans, et
en particulier des réseaux sociaux, a fortement émergé dans le débat public.
Concernant les écrans, et les téléphones portables plus spécifiquement, certains jeunes, comme le
reste de la population en général, peuvent souffrir de « nomophobie », c’est-à-dire vivre comme une
perspective effrayante le fait d’être séparés de leur téléphone, de ne pas être joignables ou d’être
privés de connexion Internet. La prévalence de cette phobie est extrêmement variable, car difficile à
définir et donc à estimer. D’après les éléments dont a pu disposer la Commission, elle varierait de 6 %
à 73 % de la population étudiée selon les enquêtes.
Les écrans peuvent aussi parfois être associés à des comportements d’enfermement, de coupure vis-
à-vis du réel. Les exemples de jeunes préférant la « vie virtuelle » de leur avatar sur Internet ou dans
un jeu vidéo plutôt que leur vie réelle ont ainsi été rapportés.
Mais l’essentiel de l’attention se concentre sur les réseaux sociaux. Ces derniers peuvent avoir des
effets contrastés, et les études scientifiques manquent aujourd’hui pour établir un lien de causalité
entre ces réseaux et le bien-être mental des jeunes, d’autant que ce bien-être mental est toujours
multifactoriel et dépend de facteurs individuels, familiaux et environnementaux.
Toutefois, la Commission considère que les éléments sont suffisants pour indiquer qu’une
consommation excessive des réseaux sociaux constitue un facteur aggravant de risque pour les
jeunes présentant des vulnérabilités, et qu’il est primordial de soutenir la recherche pour mieux
éclairer cela, ainsi que d’agir sur la conception des réseaux pour réduire les impacts potentiellement
délétères (cf. plus bas).
Le lien entre réseaux sociaux et santé mentale ne paraît pas univoque. La science suggère en effet qu’il
existe plusieurs modalités selon lesquelles les médias sociaux amélioreraient la vie des jeunes, incluant
le déploiement d’opportunités de connexion à des communautés pour les jeunes plus marginalisés, et
l’accès aux loisirs dans une grande variété d’usages. A l’inverse, elle suggère que certaines
fonctionnalités des médias sociaux puissent nuire à la santé mentale de certains jeunes. Cela inclut les
algorithmes mettant en avant les contenus inappropriés, engendrant une distraction excessive du
temps qui pourrait être mobilisé dans des activités bénéfiques pour le bien-être, et la possibilité accrue
pour les enfants d’être abusés. Notons que la dette de sommeil favorisée par l’usage des écrans le soir
et la nuit, représente un facteur de risque indépendant d’anxiété et de dépression.
Ce débat n’a pas cours uniquement en France. En octobre 2021, l’Académie américaine de pédiatrie a
déclaré une « urgence nationale pour la santé mentale des enfants » ; et le Centre américain de
prévention et de contrôle des maladies (CDC) a relayé une alerte similaire en 2022. Le rôle des médias
sociaux a ainsi été largement débattu aux Etats-Unis. Certains chercheurs, comme Jean Twenge et
44
Jonathan Haidt, défendent l’hypothèse que les médias sociaux fournissent l’explication la plus
plausible pour rendre compte des problèmes tels que l’augmentation de la solitude des adolescents.
D’autres chercheurs, tels que Jeff Hancock, sont moins catégoriques, et évoquent une association (et
non une causalité), limitée, entre la consommation des médias sociaux et l’augmentation de la
dépression et de l’anxiété, et valorisent surtout les effets positifs dans le sentiment d’appartenance et
de connexion à des communautés, ainsi que dans la création de nouveaux espaces d’expression. Amy
Orben et Andrew Przybylski en Angleterre suggèrent quant à eux que si un lien existe entre les réseaux
sociaux et les symptômes dépressifs, il est extrêmement limité et ne nécessite pas de politique de santé
publique à ce stade.
Ce débat est au cœur de la relation entre médias sociaux et santé mentale. Certains utilisateurs
peuvent avoir leur santé mentale négativement affectée, d’autres ne connaîtront pas une telle
nuisance, d’autres enfin auront une expérience soutenante et positive pour leur santé mentale. Il est
donc difficile d’en déduire un effet global moyen pour l’ensemble de la population.
L’influence des médias sociaux sur la santé mentale des jeunes est dépendante de plusieurs facteurs
complexes, incluant les forces et vulnérabilités individuelles, basées elles-mêmes sur des facteurs
sociaux-économiques, génétiques, culturels, etc. Ces facteurs incluent aussi le temps passé sur les
plateformes, la nature des contenus consommés, le niveau de perturbation induit sur d’autres activités
essentielles pour le sommeil et l’activité physique. Or, ces facteurs sont défavorablement orientés par
des designs prédateurs qui précisément visent à maximiser le temps passé en ligne, et à enfermer les
adolescents dans des bulles de filtre, et à ce titre renforcent les risques pour le bien-être mental des
jeunes présentant déjà des vulnérabilités.
Le rapport d’Amnesty International « Poussé·e·s vers les ténèbres : Comment le fil « Pour toi »
encourage l’automutilation et les idées suicidaires » explique comment la stratégie menée par TikTok
pour obtenir l’attention des utilisateurs et utilisatrices, risque d’aggraver les problèmes de santé
mentale comme la dépression, l’anxiété et l’automutilation. L’étude technique se fonde sur plus d’une
trentaine de comptes automatisés qui ont été paramétrés de manière à représenter des enfants de
13 ans au Kenya et aux États-Unis afin de mesurer les effets du système de recommandation de ce
réseau social sur les jeunes utilisateurs et utilisatrices. Une deuxième simulation, exécutée
manuellement, a été réalisée sur un compte au Kenya, un aux Philippines et un aux États-Unis. L’étude
technique a révélé que :
- au bout de cinq ou six heures passées sur la plateforme, près d’une vidéo sur deux était relative
à la santé mentale et potentiellement nocive, soit un volume 10 fois plus important que celui
présenté aux comptes n’ayant indiqué aucun intérêt pour le sujet ;
- l’effet de « spirale » était encore plus rapide lorsque l’équipe de recherche revisionnait
manuellement des vidéos concernant la santé mentale qui avaient été suggérées aux comptes
d’étude simulant le comportement d’enfants de 13 ans ;
- entre trois et vingt minutes après le début de l’étude manuelle, plus de la moitié des vidéos
du fil « Pour toi » étaient en rapport avec les problèmes de santé mentale, et de nombreuses
vidéos recommandées en l’espace d’une heure seulement idéalisaient, banalisaient voire
encourageaient le suicide.
À ces constats attachés à la construction algorithmique de certains réseaux, s’ajoute le débat sur le
caractère addictif ou non de ces derniers (cf. ci-dessous l’encadré sur l’addiction).
45
Le processus addictif et le système de récompense (à partir de l’article « l’addiction expliquée par
les neurosciences » paru dans MAAD-DIGITAL91 (dispositif de l’Arbre des connaissances))
Lorsqu’il est en conditions « normales », un cerveau sain est en principe en capacité de réagir aux
différentes stimulations et perturbations provenant du milieu extérieur et de maintenir son homéostasie
(ou « état égal »). Mais, lorsqu’il est confronté aux effets de produit psychoactifs (drogues, alcool…), il
est alors fortement perturbé au point de rendre l’homéostasie plus difficile à réaliser. Pris à répétition,
ces produits sont intégrés au fonctionnement même du cerveau. Sans leur apport, le cerveau sera alors
« en souffrance » et ne parviendra plus à accomplir correctement ses missions. C’est ainsi que débute
le phénomène d’addiction.
Au cours de ses activités, notre cerveau recherche la récompense (souvent en lien avec des besoins
vitaux : manger, boire…). Lorsque cette récompense est proche, une forte libération de dopamine,
neurotransmetteur de la récompense, se produit. Avec elle, vient la phase du plaisir.
Des études d’imagerie cérébrale ont établi que les produits psychoactifs provoquent une libération de
dopamine beaucoup plus importante et rapide que celle obtenue par les récompenses naturelles. Or,
« la libération de dopamine joue un rôle majeur dans le développement de l’addiction, mais aussi dans
la survenue de maladies psychiatriques comme la schizophrénie ou les troubles de l’attention ». Sa
« libération massive dans le cortex préfrontal semble directement impliquée dans les délires et les
hallucinations caractérisant les psychoses ».
Les libérations de dopamine provoquent à leur tour une envie puissante du produit et excitent
l’impulsivité, c’est-à-dire la difficulté pour l’individu à se contrôler. « La répétition de ces excitations
aboutit à une diffusion du signal vers le circuit de la compulsivité » qui correspond à une perte de
contrôle et à une répétition de la prise du produit malgré la conscience de ses effets indésirables, et
malgré la diminution voire la disparition du plaisir lié à cette consommation. Les zones cérébrales qui
sont les sièges de la récompense, de l’impulsivité et de la compulsivité sont en effet très proches.
Dans le même temps, l'intensité de la réponse face au stimulus diminue. Le cerveau réalise diverses
actions pour se protéger de l’effet des produits, comme « l’internalisation » des récepteurs à l’intérieur
des neurones afin qu’ils ne soient plus exposés aux stimulants, ou encore la modification de la structure
des récepteurs afin que le stimulant ne déclenche plus d’action. Le sujet est alors amené à augmenter
sa consommation pour obtenir l’effet désiré. Cela tend à suractiver le circuit neurobiologique du stress
et à favoriser l’émergence d’émotions négatives. « L’homéostasie initiale est rompue, le produit est
intégré comme un élément nécessaire au fonctionnement cérébral, le cerveau est prisonnier ».
Une fois l’addiction installée, « la réversibilité des modifications des circuits neurobiologiques
provoquées par les produits psychoactifs est mal connue. (…) Il apparaît toutefois que plus la durée et
la fréquence d’exposition seront élevées, plus les perturbations seront sévères et durables. »
Si les troubles du jeu vidéo sont d’ores et déjà reconnus sur le plan international, ce n’est pas le cas
des médias sociaux. Pourtant, les médias sociaux présentent des éléments de conception de type
91
Cet encadré a été réalisé à partir de la source suivante : B. Nalpas & S. Elmestikawi. "L'addiction expliquée par les
neurosciences", article en 3 parties publié dans MAAD-DIGITAL.fr (https://www.maad-digital.fr/dossiers/laddiction-
expliquee-par-les-neurosciences-13.
46
addictogène qui, selon certains auteurs, doivent nous pousser à reconnaitre l’existence de l’addiction
aux réseaux sociaux.
La classification sur le plan international est souvent longue et les données probantes devront être
renforcées pour armer le dialogue, mais il ne fait que peu de doute que cette reconnaissance sera
acquise, à fonctionnement constant des réseaux, d’ici quelques années. L’addiction, constituée par
l’impossibilité répétée de contrôler un comportement amenant du plaisir et permettant d’échapper à
un inconfort psychique, est elle-aussi multifactorielle ; elle s’installe toujours dans une relation
complexe entre l’individu et son environnement. Mais là aussi, l’économie de la captation de
l’attention mobilise précisément des « réflexes » de type addictogène qui renforcent ces risques
préexistants, et il importe de protéger les plus jeunes et les plus vulnérables de ces risques.
Ces constats sont d’autant plus importants qu’ils interviennent dans la période de l’adolescence qui
est particulièrement critique : c’est une période au cours de laquelle les conduites à risque atteignent
leur pic, au cours de laquelle les manifestations de problèmes de santé mentale comme la dépression
émergent ; au cours de laquelle l’identité et l’estime de soi se forment ; au cours de laquelle le
développement du cerveau est particulièrement « sensible » à la pression sociale et aux opinions des
pairs. A ce titre, les modèles algorithmiques les plus délétères portent des risques forts, comme celui
d’augmenter la sensibilité aux récompenses sociales par exemple, et d’être prescriptifs d’une baisse
de la satisfaction dans le développement par exemple des jeunes filles.
L’adolescence étant une période critique à bien des titres, les enfants et les jeunes n’ont pas ce luxe
d’attendre que nous sachions tout comprendre à travers la science : il convient d’engager d’ores et
déjà les moyens de mieux protéger les adolescents, et notamment les filles, de tout ce qui n’est pas
éthique dans les médias sociaux, en particulier la mobilisation de procédés de type addictifs et
enfermants. En effet, s’il faut absolument mobiliser et soutenir la recherche pour mieux documenter
ces effets, la communauté scientifique s’accorde pour dire que les médias sociaux ont le potentiel
de tout à la fois créer des bénéfices aux adolescents, et nuire à leur santé mentale. Or, alors que
l’usage des réseaux sociaux est aujourd’hui quasi-universel, l’impact négatif, même limité, peut
concerner un nombre très important d’adolescents fragilisés et les médias sociaux constituer pour
eux un facteur de risque supplémentaire dont il faut les protéger.
2.4- L’accès non maîtrisé des mineurs aux écrans les expose à des contenus insuffisamment
régulés, parfois traumatiques, pouvant mettre en cause leur équilibre, leur santé et
leur sécurité
À l’occasion de ses travaux, la Commission a pu constater que l’insuffisante régulation des accès, d’une
part, et des contenus que les écrans permettent de consulter, d’autre part, ainsi que le manque
d’information, de formation et d’accompagnement tant des enfants et des adolescents que de leurs
parents et de leurs éducateurs conduisaient à ce qu’ils soient exposés à des contenus inappropriés
(2.4.1) ou susceptibles de menacer leur sécurité (2.4.2).
D’après les éléments qu’elle a pu recueillir, la Commission déplore que les mineurs aient trop souvent
accès à des contenus choquants et/ou inadaptés à leur âge. Ainsi, selon une enquête rendue publique
47
début 2023, 7 jeunes sur 10 âgés de 11 à 18 ans considéraient eux-mêmes avoir déjà été exposés à
des « contenus choquants sur Internet ou sur les réseaux sociaux » 92.
Parmi les divers contenus inappropriés auxquels les mineurs ont accès, via les écrans, la Commission a
principalement relevé :
- l’exposition importante des jeunes à des contenus violents. L’enquête de février 2023 évoquée
plus haut concernant les 11-18 ans détaille ainsi que 47 % de ces jeunes ont été exposés à des
scènes de maltraitance sur les animaux, 42 % à des scènes de bagarres ou de violence et 26 %
à des contenus très violents de type scènes de guerre, de torture ou d’exécution. Les
témoignages des mineurs recueillis lors des échanges avec la Commission ont beaucoup
évoqué les échanges entre eux de contenus d’une extrême violence, y compris par le biais de
systèmes de messagerie ayant évolué silencieusement vers des modèles de médias sociaux ;
- l’exposition, via les écrans, à des propos ou contenus haineux. Ainsi, 48 % des jeunes disent
avoir été insultés et 25 % ont subi des moqueries sur Internet94. Une enquête de l’association
Génération numérique réalisée en partenariat avec la DILCRAH et sortie en mars 2024,
dénonce une banalisation de la haine en ligne. Ainsi, autour de 30 % des 11-18 ans déclarent
avoir vu circuler des propos racistes en ligne (+ 9 points par rapport à 2020), et 26 % des propos
insultants ou haineux en lien avec la religion (+ 8 points par rapport à 2020).
Plusieurs phénomènes contribuent à ce que les mineurs aient accès de façon aussi importante à des
contenus auxquels ils ne devraient pas être soumis :
- les sites réservés aux adultes, malgré des évolutions récentes (cf. infra la partie 1.3), restent
trop facilement accessibles aux mineurs qui peuvent aisément contourner les filtres à l’entrée.
S’agissant par exemple des sites pornographiques, l’étude de l’ARCOM citée plus haut indique
92
Source : Génération numérique, Enquête sur les contenus choquants accessibles aux mineurs, Février 2023.
93 Source : Etude de l’ARCOM sur la Fréquentation des sites adultes par les mineurs - mars 2023, données assises sur les
mesures d’audience Internet de Médiamétrie.
94
Enquête « Les pratiques numériques des 11 – 18 ans » présentées par l’association Génération numérique - Février 2022.
48
que les mineurs représentent en moyenne 12 % de l’audience des sites « adultes » (et jusqu’à
17 % pour l’un des sites pornographiques étudiés) ;
- les dispositifs de contrôle parental censés réguler les accès des mineurs sont insuffisamment
activés et présentent trop de limites ;
- dans une moindre mesure, les internautes mineurs peuvent être parfois soumis à des contenus
inadaptés via les publicités diffusées en ligne ou même dans l’espace public (exemple relevé
de grandes enseignes commerciales diffusant sur les écrans exposés à la vue de tous des vidéos
ou des jeux vidéo déconseillés aux mineurs).
La place prise par les écrans chez les mineurs, l’insuffisance des dispositifs d’encadrement et
d’accompagnement des usages ainsi que le manque de régulation des contenus font que la possibilité
pour eux d’être confrontés à des dérives susceptibles de mettre en péril leur propre sécurité sont
importantes.
Ainsi, 19 % des 11-18 ans disent avoir déjà « rencontré un problème sur Internet ». Ces « problèmes »
peuvent être de nature et de gravité différentes et aller de la simple « dispute » (58 % des jeunes
de 11 à 18 ans disent s’être disputés sur Internet) à la survenue de situations extrêmement
préoccupantes.
L’hyper-présence des écrans dans la vie quotidienne des mineurs fait par exemple que ces outils
constituent désormais un vecteur, voire un amplificateur, des phénomènes de harcèlement. Si ce
problème du harcèlement n’est pas nouveau, et que le harcèlement n’est jamais nativement
numérique, la possibilité de démultiplier massivement la diffusion de ces messages sans aucun
moment de répit pour ceux qui en sont victimes (y compris la nuit ou lorsque la victime n’est plus en
proximité de ses agresseurs) est facilitée par la place et les usages principaux des écrans. Le
cyberharcèlement constitue ainsi une réalité très présente pour les mineurs. Une étude réalisée par
l’association « e-Enfance 3018 » et la Caisse d’Epargne révèle que 24 % des familles ont déjà été
confrontées au moins une fois au cyberharcèlement. Et d’après les enquêtes de l’association
Génération numérique, 6 % des jeunes reconnaissent avoir été auteurs ou avoir participé, même
involontairement, à du cyberharcèlement. Dans certains cas, ces phénomènes ininterrompus de
harcèlement peuvent conduire à la survenue de situations dramatiques pour les jeunes qui en sont
victimes.
49
L’exposition des mineurs aux écrans et l’insuffisance de dispositifs pleinement opérants à ce stade de
protection les exposent à d’autres types de situations extrêmement graves, notamment d’exploitation
et d’abus sexuels en ligne. Ainsi, la Commission a-t-elle pu relever à l’occasion de ses travaux :
- la forte hausse des phénomènes de « sexe extorsions » (ou sextorsions) en direction des
mineurs, et y compris parfois entre les mineurs eux-mêmes, consistant à obtenir des mineurs
concernés une image ou une vidéo compromettante à caractère sexuel et à les soumettre à un
chantage en contrepartie de la non diffusion de ce contenu (12 000 faits recensés en 2023 en
France - probablement bien davantage si l’on tient compte du fait que les victimes sont
probablement nombreuses à ne pas déposer de plainte - contre 1 400 en 2022) ;
- des cas de diffusion de « deep fakes » à caractère pornographique dont le nombre va croissant
alors que la réalisation de ces contenus visuels ou sonores est désormais facilitée par la
démocratisation des systèmes d’intelligence artificielle générative ;
- la grande vulnérabilité des mineurs face à la pédocriminalité y compris via des sites, des forums
ou des jeux vidéo en ligne en apparence sans danger mais qui, dans la mesure où ils
rassemblent de nombreux enfants, représentent des espaces d’hameçonnage privilégiés par
les pédocriminels.
Au total, d’après les données communiquées par l’Office mineurs (OFMIN)95 rattaché à la Direction
nationale de la police judiciaire, 318 000 signalements de contenus pédocriminels (téléchargements,
diffusions de contenus pédocriminels…) ont été recensés en 2023 en France (dont les 12 000
signalements concernant des faits de sextorsion mentionnés plus haut). Plus globalement, d’après une
étude réalisée en 2021 au niveau mondial96, 54 % des personnes interrogées au cours des travaux
avaient subi au moins une agression sexuelle en ligne au cours de leur enfance.
2.5 – Au-delà des enjeux de santé publique et d’intégrité individuelle, quels impacts sur le plan
sociétal ?
Au-delà des enjeux d’ordre individuel exposés ci-dessus, la Commission a souhaité examiner les
impacts plus systémiques sur le plan sociétal de l’exposition des enfants et des adolescents aux
« écrans ».
Il ne s’agit pas là de faire un procès à charge contre le numérique en général, qui peut ouvrir les horizons
d’échanges des enfants ; utilement permettre de préserver des liens avec leur famille, quand celle-ci
est éloignée ; nourrir leurs besoins de socialisation avec les pairs, en particulier autour de l’âge de
13 ans où les jeunes commencent à s’émanciper de la sphère familiale ; rendre « pluriel » ce lien social,
les sortir de l’isolement quand ils en sont prisonniers ; offrir l’accès à du soutien lorsqu’ils sont
95
L’office mineurs rattaché à la direction nationale de la police judiciaire a été créé en 2033 pour répondre à la hausse des
atteintes faites aux mineurs et améliorer l'efficacité du traitement judiciaire de ces violences.
96 We protect-Global Alliance - Evaluation globale de la menace, 2021.
50
confrontés à des situations difficiles sur le plan personnel ou familial ; leur offrir des espaces de création
et de réalisation de soi...
Il s’agit, en miroir de ces logiques d’émancipation, d’appeler à la vigilance collective sur les mécaniques
qui, à l’inverse, jouent fondamentalement contre cette liberté de se réaliser selon ses choix, et par là
même pourraient nuire au « vivre ensemble ».
S’il existe peu de données probantes permettant d’établir la causalité entre certains usages du
numérique et les comportements sociaux, ainsi que le niveau d’intensité des effets, il ressort des
différentes études que la mobilisation excessive, et très ciblée, de quelques services limités en nombre,
porte en elle les germes de l’amplification de représentations contestables sur les plans éthique et
démocratique. La vie numérique devient alors une extension et une chambre de résonnance de
contenus toxiques, ne laissant plus de répit à un enfant ou à un adolescent les subissant.
L’intensification de la consommation des réseaux sociaux, selon des procédés algorithmiques qui
digèrent les préférences des utilisateurs pour leur présenter des contenus « aimés », conduit à hyper
individualiser l’expérience vécue sur le numérique. Cette dynamique de ciblage, couplée à une
amplification du nombre de contenus vus sur un temps donné, conduit à ce que les jeunes aient une
expérience numérique largement différenciée par rapport à celle de leur famille et de leur entourage.
Chacun se retrouve « côte à côte », quand on était ensemble dans une partie de jeu de société, ou
même devant un programme de télévision. Cette différenciation s’opère aussi, bien que dans une
moindre mesure, entre les jeunes eux-mêmes. En l’absence de contre-propositions, ce mouvement
pose la question de l’imaginaire commun qui peut être construit, dans cette hyper fragmentation des
outils, des usages, et des individus, y compris au sein des jeunes générations, alors que cet imaginaire
est un point critique de l’articulation entre la personne et le collectif, et qu’il constitue un horizon
indépassable pour créer de la cohésion et un projet sociétal commun.
Bien qu’il soit difficile d’application, l’arsenal juridique existe contre les fausses informations et les
publicités.
En revanche, il est beaucoup plus ardu d’agir contre les « représentations » véhiculées par la
consommation des réseaux sociaux, ou encore l’écoute d’influenceurs, qui peuvent façonner chez les
enfants et les adolescents une vision des rapports sociaux, des rapports de genres, du travail…
discutables sur le plan éthique. Ces représentations se diffusent vite, et les associations comme les
communautés éducatives doivent trouver un espace d’écoute et de suivi pour veiller, discuter et, le cas
échéant, déconstruire les représentations toxiques avec l’appui de tous les intervenants en contact avec
les enfants et les familles.
À ce titre, nombreux sont les interlocuteurs auditionnés qui ont fait valoir des inquiétudes
extrêmement importantes par rapport aux stéréotypes de genre, à l’objectification des femmes, à
l’adhésion toujours plus forte chez les hommes – en particulier post adolescence - aux réflexes
masculinistes97. Le dernier rapport annuel de 2024 du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les
hommes est à ce titre particulièrement alarmant, indiquant que le sexisme « commence à la maison,
97
Mouvement social conservateur ou réactionnaire qui prétend que les hommes souffrent d’une crise identitaire parce que
les femmes en général, et les féministes en particulier, dominent la société et ses institutions.
51
continue à l’école, et explose en ligne ». Internet permet de relayer les combats des femmes, mais aussi,
dans ses contenus les plus vus, véhicule stéréotypes et violences sexistes et sexuelles. Pour plus de la
moitié de la population, les femmes et les hommes ne sont pas traités de la même manière sur les
réseaux sociaux (cette part grimpant jusqu’à 72 % pour les femmes de 15 à 24 ans). Selon le Haut
conseil toujours, les plateformes numériques constituent une « véritable caisse de résonance des
stéréotypes de genre » : « les femmes sont sous-représentées à la fois dans les milieux professionnels
et les lieux publics en plein air, alors qu’elles sont surreprésentées dans les milieux privés, liés à l’intime.
Mises en scène au cœur d'une structure familiale très hétéronormée, qui renforce les rôles genrés qui
leur sont traditionnellement attribués : elles sont souvent présentées dans un rôle maternel, enceintes,
jeunes mamans, dévouées à leur grossesse ou leurs enfants en bas âge, rôles qui fondent parfois
exclusivement l’activité d’influenceuses les plus populaires de France ». Pour les jeunes filles, pour leur
développement, pour leurs relations aux hommes, ces évolutions sont « gravissimes », et la
Commission reprend aisément ce terme du Haut conseil. En effet, face au sexisme, 9 femmes sur 10
ont déjà renoncé à des actions ou modifié leur comportement selon le Haut conseil.
Le sexisme est en outre à l’origine d'un continuum des violences, des plus anodines en apparence aux
plus graves, et « c’est précisément pour cette raison qu’il faut s’y attaquer ». Selon le rapport annuel de
2020 du Plan international, 39 % des femmes déclarent avoir été victimes de body shaming, et 73 % de
violences en ligne. Les recommandations algorithmiques participent de ce phénomène et le renforcent.
« Les femmes sont les premières victimes de ce mécanisme : ainsi, selon le baromètre sexisme,
quasiment une jeune femme sur deux de 15-24 ans (45 %) déclare avoir été personnellement moins
bien traitée sur les réseaux sociaux. Le sexisme présent dans les contenus est reproduit à grande vitesse
permettant sa banalisation et son ancrage profond dans la société ». Le Haut conseil alerte sur le fait
que ces stéréotypes sont encore plus présents sur les services dédiés aux enfants, faisant courir le
risque de représentations ancrées durablement chez ces derniers. Enfin, le Haut conseil met le
projecteur sur la diffusion via le numérique des contenus pornographiques, alertant sur le fait que
« l’initiation précoce au porno semble avoir des effets réels sur les représentations que se font les
hommes des femmes dans les relations sexuelles qu’ils et elles peuvent entretenir. Et, selon l’Ifop encore,
plus les jeunes hommes ont été exposés tôt à du contenu « hard », plus ils adhèrent à des
représentations violentes. »
Il s’agit là d’enjeux majeurs pour les enfants, qui ne doivent pas être laissés seuls face à ce
façonnement des réalités et de leurs comportements sociaux. Il est impératif de pouvoir déconstruire
en temps réel ces représentations, et de se doter d’une ambition à hauteur de ces alertes en matière
d’éducation.
L’avènement du numérique constitue une opportunité en ce qu’il offre une liberté inégalée d’accès à
la connaissance (bien que pouvant conduire à la tentation d’une externalisation en ligne des
« mémoires » et des savoirs).
A ce titre, une étude de 2024 du Pew Research Center indique que les populations des pays émergents
sont particulièrement enclines à valoriser positivement l’accès aux médias sociaux pour la vitalité de la
démocratie. La France se distingue toutefois dans cette étude, comme les autres pays européens et les
Etats-Unis, par le sentiment majoritaire que les médias sociaux sont davantage une « mauvaise chose »
qu’une « bonne chose » pour le fonctionnement démocratique.
52
En effet, les géants du numérique ont pleinement envahi l’espace informationnel en 25 ans, sans
assumer sur le plan juridique de responsabilité éditoriale sur les contenus diffusés. Si certains médias
sociaux font le choix de sanctuariser des espaces d’information conformes à des lignes directrices, les
algorithmes des fils d’information des réseaux sociaux sont construits avec les seuls objectifs du temps
passé en ligne et de la satisfaction des préférences. Ils n’ont pas pour objet de présenter une
information pertinente, ni de trier l’information, ni de la diversifier, mais de choisir celle qui va le plus
capter l’attention de l’utilisateur, ce qui conduit à mettre en avant des messages provoquant des
réactions émotionnelles fortes.
L’enfermement dans des « bulles de filtre algorithmiques » hyper-personnalisées selon des procédés
de plus en plus raffinés est au cœur des interrogations depuis 10 ans ; dans un monde inondé
d’informations, les designs d’interface des services ont en effet acquis un rôle essentiel, leur modèle
pouvant être précisément de présenter une sélection réduite et automatisée d’informations. Eli Pariser,
qui a popularisé en 2011 le terme de « bulle de filtre », a proposé de définir l’enfermement
algorithmique comme une forme de prison dans laquelle la possibilité d’une découverte fortuite
devient exclue. La question ainsi posée, en particulier pour les jeunes, est celle de l’accès au pluralisme
de l’information : les modèles de certaines grandes plateformes, qui ne permettent pas aux utilisateurs
de savoir ce que les algorithmes ont exclu en termes de contenu, conduisent-ils à ce que nous passions
d’une culture de la recherche d’information, à une logique de « confirmation » de ses propres
opinions ? Certains évoquent ainsi le risque de communautés enfermées dans leurs propres
convictions, et refusant de « faire société » (Morin, 2021).
Les études manquent encore aujourd’hui pour qualifier précisément l’intensité de ces risques, et
établir si ce sont les biais humains ou les biais algorithmiques qui portent la responsabilité première de
cette limitation de l’information. Pour autant, l’effet d’amplification des algorithmes semble bien
démontré ; et cet effet d’amplification, quand bien même il serait limité par l’usage de plusieurs
réseaux, est particulièrement sensible pour les enfants et les adolescents qui sont en pleine
construction de leur identité et de leur rapport au monde.
En sus de ces enjeux d’enfermement, les débats ont cours sur l’impact des usages numériques sur la
viralité des fausses informations et diffusion le cas échéant de thèses complotistes. Le Conseil supérieur
de l’audiovisuel a publié en 2020 une étude sur la propagation des fausses informations sur Twitter. Il
est montré que le nombre d’abonnés aux comptes dits « non fiables » est significativement plus faible
que celui de la majorité des comptes d’information dits « fiables » ; en revanche ces comptes « non
fiables » affichent une quantité de Retweets équivalente sur le plan numérique, les abonnés de ces
comptes « non fiables » ayant une propension beaucoup plus élevée à la diffusion des informations.
L’étude montre que ces comptes « non fiables » privilégient largement les thèmes d’actualité et
clivants, comme la politique, l’immigration, la santé, la religion ou encore le terrorisme. L’analyse
quantitative montre ainsi une surreprésentation des thèmes liés à la délinquance, l’immigration, Israël
et la Palestine, la pédophilie ou encore l’islam. Toutes les fausses informations étudiées présentent une
forte concentration de tweets sur une période de temps très réduite, et lorsque le niveau de retweets
est élevé, les fausses informations ne sont pas chassées par les « vraies » informations. A noter que
20% des abonnés à ces comptes ne sont pas non plus abonnés à des comptes dits « fiables ».
Plusieurs études montrent en outre que les fausses nouvelles de nature politique ou en contexte de
crise ne sont consommées quasi-exclusivement que par des personnes en accord avec le point de vue
qu’elles expriment.
Aussi, si le niveau de viralité des « infox » encouragé par la facilité du clic, si la quantité de ces
informations et leurs effets délétères sont aujourd’hui incertains à défaut de recul suffisant, il n’en reste
53
pas moins que l’objectif de lutter contre ces phénomènes au nom des équilibres à protéger n’est pas
contesté.
Il est difficile de déterminer si les jeunes sont plus ou moins sensibles et moteurs dans ces phénomènes.
Plusieurs études montrent que les séniors sont plus actifs dans la viralité des fausses informations ; un
sondage IFOP de mars 2024 relaie que 46 % des 18-24 ans ont déjà relayé des fake news en 2024, soit
moins que les 50-64 ans (77 %) mais plus que la moyenne des Français (31 %). Quel que soit le niveau
réel de cette sensibilité des enfants et des adolescents, il est de la responsabilité des adultes de bâtir
les bonnes digues en termes d’esprit critique, ainsi que de faire connaître, pour mieux les déjouer, les
biais cognitifs possibles dans le traitement de l’information.
Enfin, au-delà des enjeux attachés à la viralité des fausses informations au sens commun du terme, la
Commission souhaite attirer l’attention sur le développement des deepfakes, à travers la mobilisation
de l’intelligence artificielle. Un sondage récent IFOP de mars 2024 indique ainsi que seuls 33 % des
Français se sentent en mesure de discerner une image/vidéo générée par une intelligence artificielle,
proportion toutefois plus élevée pour les 18-24 ans (55 %). Ainsi, 57 % des Français et 64 % des 18-24
ans craignent de devenir des victimes des trucages d’images, 62 % craignent que les deepfakes
perturbent la prochaine élection présidentielle. Dans le prolongement de ces constats, le sondage IFOP
indique que 90 % des Français souhaitent que les deepfakes portent une mention spécifique sur leur
origine.
La Commission souligne par ailleurs, dans le prolongement du Comité national pilote d’éthique du
numérique, la nécessité d’évaluer les risques que pourrait comporter, en particulier pour les enfants,
le déploiement d’univers virtuels ou métavers quant à l’amplification des mécanismes de
désinformation, d’enfermement voire de manipulation précédemment évoqués98.
2.5.4- Les expériences numériques ne sauraient jamais, à elles seules, expliquer des
faits graves de violence, mais elles pourraient contribuer à une forme de
désensibilisation qui doit appeler à la vigilance.
S’agissant de la diffusion de la violence, la littérature est très riche sur les impacts de la diffusion de
contenus violents à la télévision (films, séries) ou dans certains jeux vidéo.
En aucun cas, il n’est démontré par exemple une imputabilité unique des contenus violents sur les
comportements violents. En particulier, il n’y a clairement pas de lien avéré entre les jeux vidéo et la
violence dans la vie réelle et a fortiori avec les actes graves et la criminalité. Beaucoup d’autres variables
sont nettement plus déterminantes.
Les méta-analyses montrent toutefois, quand bien même la mobilisation des contenus violents par les
écrans constitue un facteur parmi d’autres, une augmentation des pensées et comportements agressifs
qui peuvent être majorés, bien que dans des proportions limitées, sur le court terme, quelques dizaines
de minutes tout au plus après l’arrêt du jeu vidéo.
C’est finalement surtout cette accumulation de confrontations à la violence à travers les différents
médias, avec notamment des contenus fortement violents présents sur certains réseaux sociaux
comme cela a déjà été souligné dans ce rapport, qui pourrait faire craindre une désensibilisation face
à la violence suite à cette confrontation répétée et multiple.
98
CNPEN , Avis n°9, Métavers : enjeux d’éthiques, avril 2024 : https://www.ccne-ethique.fr/fr/publications/avis-9-du-cnpen-
metavers-enjeux-dethique
54
2.5.5- Le numérique, pour être promoteur d’égalité chez les enfants, doit être
accompagné.
La Commission considère que le principal point d’attention tient à ce que le numérique fait courir le
risque d’invisibiliser les enjeux d’égalité sociale chez les enfants, et plus largement entre les familles.
La fracture numérique n’est pas le seul fait de l’accès ou non aux équipements, de l’accès ou non au
savoir. Ces questions ne doivent pas masquer une illusion d’égalité, alors que l’égalité réelle se déplace
vers la capacité des familles à accompagner ou non les enfants dans leurs pratiques et leurs usages.
S’il ne s’agit pas du cœur de son travail, la Commission n’a pas souhaité faire l’impasse sur la thématique
de l’impact environnemental du secteur économique des technologies de l’information et de la
communication (TIC), tant l’avenir et la santé de nos enfants, des générations futures, et de
l’écosystème dépendent de la qualité de l’environnement.
Notons que les données chiffrées qui suivent ne concernent que les équipements dits terminaux
(smartphones, tablettes, télévisions, écrans ...), les serveurs et les équipements réseau (antennes, box,
routeurs..), excluant l’ensemble des composants et cartes électroniques intégrés aux équipements
dont la fonction principale n’est pas le traitement de l’information, comme par exemple les véhicules
électriques et connectés, les équipements médicaux etc.
Notons aussi que nous ne détaillerons que les effets directs, mais citons brièvement ses effets indirects
car s’ils sont difficilement quantifiables, ils sont considérables. D’abord, le numérique est aussi et
surtout un catalyseur : il optimise tous les systèmes auxquels il est appliqué. Il accélère la production
et la consommation dans tous les secteurs, rend possible les délocalisations, génère des « effets
rebond » et induit des changements de mode de vie qui ne sont pas neutres sur le plan
environnemental.
Un récent rapport du Shift Project100 illustre bien le couplage entre infrastructures et usage dans les
effets rebond. Il souligne que « sur le territoire français, la consommation électrique des 4 principaux
opérateurs affiche un taux de croissance moyen de +6 %/an entre 2017 et 2021 (…), dont 60 % pour
le seul réseau d’accès mobile soit la consommation de 3 millions de foyers environ. Ces dynamiques
propres aux réseaux s’intègrent dans une logique systémique : les choix de déploiements faits au
niveau des réseaux ont un impact sur l’ensemble du système numérique, tout en étant le résultat de la
trajectoire générale donnée au système et à ses usages. Les choix de déploiement visent à adapter les
infrastructures à l’évolution prévue des usages numériques (effet d’usage). Une fois les
infrastructures déployées, les usages se développent selon de nouvelles dynamiques (effet d’offre)
99Theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/03/Note-danalyse_Numerique-et-5G_30-mars-2021.pdf. Empreinte
environnementale du numérique mondial | GreenIT
100 Synthese-Reseaux-The-Shift-Project.pdf (theshiftproject.org
55
jusqu’à atteindre de prochains paliers, appelant alors de nouvelles capacités et de nouveaux
besoins. »
Ainsi, selon les projections à 2030 de l’étude Arcep-ADEME101, par rapport à 2020 : « si la tendance
actuelle se poursuit sur la même tendance de progression, l’empreinte carbone du numérique en France
augmenterait d’environ 45 % ». Toujours selon les projections à 2030, « la consommation de ressources
abiotiques en phase de fabrication augmenterait quant à elle de 14 % ».
En effet, outre les émissions de GES liées à la fabrication, le transport, l’usage et la gestion de fin de vie
des équipements, il faut prendre en compte d’autres catégories d’impacts environnementaux et
sociaux qui ne sont pas moins importants : la déplétion de ressources non renouvelables comme les
métaux et les pollutions du sol, de l’eau et de l’air responsables d’écotoxicité dans le monde du vivant.
La question de la criticité de certains métaux est évidemment en lien avec des enjeux géostratégiques
mais aussi avec des enjeux énergétiques et d’accès à de l’eau douce compte tenu de l’appauvrissement
des gisements pour un certain nombre des métaux qui sont utilisés dans les technologies
numériques102. Le problème d’accès à l’eau est d’ailleurs devenu un problème majeur autour de
certaines mines, par exemple pour les mines de cuivre au Chili.
Comme le souligne par ailleurs France Stratégie dans son rapport cité plus haut, « les activités
d’extraction et de production de métaux, lorsqu’elles sont insuffisamment contrôlées, peuvent être la
source d’une intense pollution, affectant divers aspects de l’environnement. Ces pollutions touchent les
ressources en eau de surface et souterraine, la qualité de l’air, du sol et déstabilisent la faune et la
flore. ». On parle de pollution éternelle à cause de la nature des polluants qui sont pour partie
bioaccumulables et persistants. Des polluants de même nature se retrouvent dans les sites de recyclage
dits « informels » où les déchets électroniques sont entassés dans des décharges dans l’attente d’un
recyclage « manuel » en dehors de toute sécurité sanitaire et environnementale. Le récent rapport E-
waste monitor103 indique que la situation mondiale ne s’est malheureusement pas améliorée ces
dernières années, avec une augmentation du volume des déchets d’équipements électriques et
électroniques et une diminution du pourcentage de déchets traités au sein de la bonne filière.
La Commission souhaite aussi attirer l’attention sur les catastrophes humanitaires dans les sites
d’extraction minière ou les sites de recyclage informels. Les chiffres sus-cités ne donnent pas la mesure
de leur ampleur. « Les atteintes aux droits humains perpétrées par l’industrie minière sont dénoncées
par l’ONU depuis des dizaines d’années. John Ruggie, alors Représentant spécial du Secrétaire général
des Nations Unies, écrivait en 2006 « Les industries extractives sont également accusées de la plupart
des pires abus, qui peuvent aller jusqu’à la complicité de crime contre l’humanité. Parmi ces abus, on
citera notamment les actes commis par les forces de sécurité publiques et privées chargées de protéger
les biens des entreprises, la corruption sur une grande échelle, la violation des droits des travailleurs
ainsi qu’un large éventail d’abus touchant les communautés locales, en particulier les autochtones. »104
Par ailleurs, les minerais stratégiques utilisés notamment dans les technologies numériques (par
exemple Coltan, Cobalt) alimentent la guerre et des massacres depuis plus de 20 ans en République
Démocratique du Congo : conflits armés entrainant un nombre considérable de morts (plus de 6
millions en RdC), déplacements de populations, conditions de travail inhumaines infligées à des
enfants, des femmes et des hommes, violences sexuelles insoutenables. Le discours du docteur Denis
101
Etude Numérique et Environnement - Note de synthèse de l'Arcep au gouvernement mars 2023
102
https://www.strategie.gouv.fr/publications/consommation-de-metaux-numerique-un-secteur-loin-detre-dematerialise
103
https://ewastemonitor.info/wp-content/uploads/2024/03/GEM_2024_18-03_web_page_per_page_web.pdf
104
Rapport d'étude | Controverses minières · Volet 1 - Caractère prédateur et dangereux · Techniques minières ·
Déversements volontaires en milieux aquatiques · Anciens sites miniers | SystExt.
56
Mukwege105 et son appel à la construction d’un monde plus juste, à l’occasion de la cérémonie de son
prix Nobel en 2019 a pourtant été largement diffusé, mais si vite remplacé par une autre information.
Face à l’ensemble de ces impacts environnementaux et sociaux et compte tenu de l’évolution observée
et pressentie si rien n’est fait pour inverser les courbes, les auteurs du rapport Arcep-ADEME concluent
ainsi (…) Le premier levier d’action pour limiter l’impact du numérique est la mise en œuvre de
politiques de sobriété numérique qui commencent par une interrogation sur l’ampleur du
développement des nouveaux produits ou services et une réduction ou stabilisation du nombre
d'équipements. (…) Pour atteindre l’objectif des accords de Paris en 2050, le numérique doit prend la
part qui lui incombe : un effort collectif impliquant toutes les parties prenantes (utilisateurs,
fabricants de terminaux et d’équipements, fournisseurs de contenus et d’applications, opérateurs de
réseaux et de centres de données) est donc nécessaire.
C'est maintenant que l'on peut limiter la dépendance stricte au numérique et concevoir une
numérisation qui soit résiliente, plus territoriale, plus frugale avec un déploiement moins indifférencié
et une adoption moins généralisée. Il s’agit à tout le moins d’interroger systématiquement nos besoins,
et les modalités retenues pour nos usages (plusieurs gestes sobres sont mal connus des adultes comme
des enfants). Il apparait urgent et nécessaire de réfléchir à la place que nous souhaitons donner au
numérique, dernière technologie portée à large échelle. Nous devons le faire à l’aune de l’ensemble de
ces considérations.
105
https://www.youtube.com/watch?v=whsRdYLvMw4
57
PARTIE 3 – « EXPOSITION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS
AUX ÉCRANS » : QU’A-T-ON FAIT JUSQU’À PRESENT ?
Plusieurs des éléments de constat présentés dans la partie précédente concernant les effets des écrans
en matière de santé et les risques liés à un accès des mineurs à des contenus insuffisamment régulés,
sans accompagnement ni formation préalable appropriés, ont déjà été identifiés au fur et à mesure de
l’expansion de la place des écrans dans la société. Cela a conduit au déploiement progressif d’un cadre
cherchant à réguler, conseiller, sécuriser l’usage des écrans par les mineurs. Ainsi ;
- un cadre juridique a commencé à être conçu, avec une forte accélération sur la période
récente, pour tenter de réguler les pratiques les plus préjudiciables aux mineurs et davantage
sécuriser l’accès de ces derniers aux écrans, au numérique et aux contenus ; mais il n’est pas
encore exploité au plein niveau de son potentiel, reste lacunaire sur certains aspects ou
manque d’effectivité sur d’autres (3.1) ;
- des stratégies préconisées par les experts, des orientations de politiques publiques et des
actions concrètes de prévention et d’information sur les risques et les excès, de sensibilisation
aux bonnes pratiques et d’accompagnement des mineurs et de toute la société à des usages
raisonnés et sécurisés des écrans ont été définies et se sont traduites par la mobilisation de
nombreux acteurs mais elles manquent trop souvent d’articulation, de lisibilité voire de
moyens pour être réellement déterminantes (3.2) ;
- des tentatives de responsabilisation et d’implication plus fortes des acteurs du numérique ont
été initiées mais leurs effets restent très limités à ce stade (3.4) ;
- les lieux d’accueil des enfants, dont l’école en particulier, ont commencé à se doter d’un cadre
sur la place et les usages des écrans et du numérique mais qui nécessite encore d’être
investi (3.5) ;
3.1- Un corpus juridique européen et national est d’ores et déjà prévu ou en cours de
déploiement pour protéger les plus jeunes et fournit un encadrement utile qui reste à
investir pleinement sur de nombreux aspects
La protection des mineurs en ligne a conduit à l’élaboration au cours des dernières années d’un cadre
juridique important, tant au niveau européen qu’au niveau national.
58
3.1.1 L’Union européenne a récemment déployé tout un arsenal juridique pour
commencer à encadrer l’activité des acteurs du numérique et limiter les risques pour
les mineurs
Parmi les principaux éléments du cadre juridique européen, il convient de mentionner le Règlement
général sur la protection des données (RGPD) du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes
physiques concernant le traitement des données à caractère personnel et la libre circulation de ces
données, qui vise à renforcer et unifier la protection des données des individus au sein de l'Union
européenne. Ce règlement fixe un certain nombre de principes visant à renforcer tout spécifiquement
la protection des mineurs111, en ligne notamment. Il prévoit ainsi un mécanisme de « double
consentement » dès lors que le mineur a moins de 15 ans (le consentement au traitement de données
personnelles doit alors être donné par le mineur et par son représentant). Cela concerne notamment
les traitements qui viseraient les jeunes à des fins marketings/publicitaires de démarchage ou pour la
création de profils utilisateurs sur les réseaux sociaux et les plateformes de jeux vidéo en ligne. Le
consentement du titulaire de l’autorité parentale n’est pas nécessaire dans certaines situations bien
spécifiques (services de prévention ou de conseil proposés directement à l’enfant, en matière de
contraception par exemple).
La Directive SMA du 14 novembre 2018 prévoit que les plateformes de partage de vidéos et les réseaux
sociaux mettent en place des mesures spécifiques de lutte contre l’incitation à la haine et de lutte
contre l’apologie du terrorisme, notamment en matière de protection des mineurs.
Le Règlement sur les services numériques (ou « DSA »), adopté le 19 octobre 2022, qui vise à réguler
les accès en ligne représente également une avancée majeure du droit de l’Union européenne en
106
Conclusions du Conseil sur l’autonomisation numérique pour protéger et faire respecter les droits fondamentaux à l’ère
numérique, 14309/23, 20 octobre 2023.
107
Conclusions du Conseil sur le soutien au bien-être dans l’éducation numérique, 14982/22, 28 novembre 2022.
108
Communication de la Commission «Une décennie numérique pour les enfants et les jeunes: la nouvelle stratégie
européenne pour un Internet mieux adapté aux enfants» COM(2022) 212 final.
109
Communication de la Commission «Une initiative de l’UE sur le web 4.0 et les mondes virtuels: prendre de l’avance pour
la prochaine transition technologique, COM(2023) 442.
110
Recommandation de la Commission européenne relative au développement et au renforcement de systèmes intégrés de
protection de l’enfance dans l’intérêt supérieur de l’enfant, C(2024) 2680 final.
111
À titre d’illustration, le considérant 38 du RGPD souligne ainsi que « les mineurs méritent une protection spécifique en ce
qui concerne leurs données à caractère personnel parce qu'ils peuvent être moins conscients des risques, des conséquences et
des garanties concernées et de leurs droits liés au traitement des données à caractère personnel ».
59
matière de protection des jeunes. Concernant les principales mesures ciblant directement ou
indirectement les mineurs, il convient de mentionner en particulier :
- une responsabilisation accrue des plateformes numériques pour la mise en œuvre de mesures
de modération efficaces contre les contenus illicites ou préjudiciables (cyberharcèlement,
haine en ligne, pédopornographie…) et des obligations graduées et cumulatives fonction de la
taille et de l’audience de ces acteurs ;
- une évolution des conditions générales d’utilisation (CGU) des plateformes en ligne de façon à
les rendre facilement compréhensibles pour les enfants (article 14) ;
- l’obligation pour les plateformes accessibles aux mineurs de prendre toutes mesures utiles
pour garantir le plus haut niveau de protection de la vie privée, de la sécurité et de la sûreté
des mineurs avec des interfaces adaptées. Elles ont en outre l’interdiction de présenter aux
mineurs de la publicité ciblée, utilisant leurs données personnelles (article 28) ;
- l’obligation pour les plateformes d’analyser chaque année les « risques systémiques » induits
par la conception et le fonctionnement de leurs services et d’adopter en conséquence les
mesures de remédiation des conséquences négatives graves engendrées sur le bien-être
physique et mental des mineurs (articles 34 et 35) ;
- le traitement prioritaire, et dans des délais rapides des contenus signalés par des signaleurs de
confiance » (dont les associations de défense des enfants) ;
- l’obligation pour les très grandes plateformes d’offrir une option pour un « système de
recommandation neutre », qui ne soit pas fondé sur le profilage, ce qui permettrait de réduire
la survenue et les effets de possibles « bulles addictives » liées à une personnalisation très
poussée des fils de contenu (article 38).
Le DSA représente donc une étape importante pour la protection des plus jeunes. Entré en vigueur
depuis le 23 aout 2023 pour les plus grands services numériques et le 17 février dernier seulement
pour l’ensemble des services visés, le nouveau cadre qu’il installe est cependant encore trop récent
pour pouvoir être évalué, mais il offre du point de vue de la Commission la perspective d’outils d’actions
intéressants à investir et éprouver au niveau national comme au niveau européen.
3.1.2- La France s’est également employée à protéger les plus jeunes avec la mise en
place d’un cadre juridique spécifique mais l’effectivité de plusieurs dispositions reste
insuffisante
Une première série de dispositions vise à limiter explicitement l’accès des mineurs à des sites ou
contenus inappropriés pour des enfants ou des jeunes. Ainsi, le droit français :
60
- pose le principe de la responsabilité des sites pornographiques concernant l’accès des mineurs
à leurs contenus. Le cadre progressivement déployé a abouti à ce que la consultation de ces
sites nécessite que l’utilisateur confirme au préalable qu’il est bien majeur ou encore au
floutage par défaut des images et photos de ces sites lorsqu’ils sont proposés par les moteurs
de recherche. Ce cadre reste cependant très largement insuffisant, comme le révèlent les
statistiques présentées plus haut sur la consultation des sites « adultes » par des mineurs. Le
contrôle de l’âge reposant sur une simple démarche déclarative, il est très simple pour des
mineurs de contourner le dispositif. La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de
violences conjugales a renforcé les pouvoirs de l’ARCOM, qui peut désormais adresser des
mises en demeure aux sites pornographiques qui ne respectent pas leurs obligations et saisir
le tribunal judiciaire pour demander leur blocage. La loi visant à sécuriser et réguler l’espace
numérique (loi «SREN») définitivement adoptée le 10 avril 2024, et à l’heure de la rédaction
du présent rapport soumise à la saisine du Conseil constitutionnel, vient compléter le cadre en
renforçant à nouveau les pouvoirs de l’ARCOM (qui peut désormais adresser des mises en
demeure et dispose d’un pouvoir d’injonction à l’égard des sites sans passer par le juge) et
l’élaboration d’un référentiel contraignant déterminant les exigences auxquelles devront
répondre les systèmes de vérification d’âge pour être fiables tout en respectant la vie privée
des utilisateurs. Les travaux devront cependant probablement être poursuivis pour garantir
une véritable effectivité de ces dispositions et préserver les mineurs de l’accès aux sites et
contenus pornographiques ;
En matière de réseaux sociaux, la loi du 7 juillet 2023 (dite « loi Marcangeli ») a fixé une majorité
numérique, à 15 ans, pour l’inscription et l’utilisation des réseaux sociaux. En dessous de cet âge,
l’inscription à un réseau social ne peut se faire que sur autorisation expresse de l’un des titulaires de
l’autorité parentale. Ce principe important n’est cependant pas encore mis en œuvre en France, en
raison notamment d’un sujet de cohérence avec le droit de l’Union européenne. Il convient au passage
de noter, concernant les conditions d’accès aux réseaux sociaux, l’influence du droit américain. En effet,
les règles d’âge déterminées par les réseaux eux-mêmes pour l’inscription, sont fixée à 13 ans le plus
souvent, ce qui correspond aux exigences du droit américain (COPPA Act de 1998).
Aussi, la loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des
influenceurs sur les réseaux sociaux définit et encadre l'activité des influenceurs sur les réseaux
sociaux, dont le public est souvent jeune. L'objectif est de mieux lutter contre certaines dérives et
arnaques constatées (incitation à faire des régimes alimentaires dangereux, de la chirurgie esthétique,
des paris excessifs, promotion de contrefaçons...). Des mesures spécifiques viennent protéger les
enfants influenceurs. Les règles sur le travail des enfants Youtubeurs sur les plateformes de partage de
vidéos, fixées par la loi du 19 octobre 2020, sont étendues à toutes les plateformes en ligne (réseaux
sociaux tels qu'Instagram, Snapchat ou TikTok). Les enfants influenceurs commerciaux seront protégés
par le code du travail. Leurs parents devront signer leurs contrats avec les annonceurs et consigner une
part de leurs revenus.
De façon plus globale, des dispositions ont été prises pour permettre de renforcer le contrôle parental
et limiter les possibilités d’accès des jeunes aux contenus inappropriés. Des dispositions en la matière
existaient déjà depuis le milieu des années 2000 et les outils de contrôle parental étaient déjà présents.
Mais, en 2019, seuls 44% des parents avaient paramétré l’appareil de leur enfant, et 38% seulement
recouraient à des dispositifs dits de contrôle parental. Il a donc été nécessaire de renforcer les
61
obligations en la matière. C’est ce qui a été fait récemment par la loi du 2 mars 2022 (dite « loi Studer »)
qui oblige désormais les fabricants d'appareils connectés à installer un dispositif de contrôle parental
et à proposer son activation gratuite lors de la première mise en service de l'appareil. Il est encore trop
tôt pour apprécier les conséquences de ces nouvelles dispositions mais, d’après les retours que la
Commission a pu avoir, elles ne garantissent toujours pas un niveau optimal de protection des plus
jeunes.
Concernant la lutte contre la haine en ligne, la loi déjà évoquée du 7 juillet 2023 dite « loi Marcangeli »
ainsi que la loi SREN récemment adoptée, et en cours d’examen par le Conseil constitutionnel à l’heure
de la rédaction du présent rapport, ont visé à renforcer l’arsenal en prévoyant notamment, pour la loi
SREN que les personnes condamnées pour haine en ligne, cyberharcèlement ou d'autres infractions
graves pourront être bannies des réseaux sociaux par un juge pendant 6 mois, un an en cas de récidive.
En écho à ces dispositions, la loi du 19 février 2024 visant à garantir le respect du droit à l’image des
enfants modifie le Code civil pour introduire dans la définition de l’autorité parentale la notion de vie
privée. Il s'agit de consacrer de manière expresse l'obligation des parents de veiller au respect de la vie
privée de leur enfant, y compris son droit à l'image, au titre de leurs prérogatives liées à l’exercice de
l’autorité parentale ; permettre au juge aux affaires familiales (JAF) d'interdire à un parent de publier
ou diffuser toute image de son enfant sans l'accord de l’autre parent ; inscrire que « les parents
protègent en commun le droit à l’image de leur enfant mineur » et que « les parents associent l’enfant
à l’exercice de son droit à l’image, selon son âge et son degré de maturité ».
3.2- Des règles et messages de sensibilisation ainsi que des outils d’accompagnement ont été
progressivement déployés mais leurs effets sur les pratiques restent limités faute de
connaissance des recommandations et de cadre d’action harmonisé
Des règles de bon usage des écrans ont progressivement été édictées par les experts, parfois depuis
longtemps déjà.
Parmi les recommandations les plus connues, il doit être évoqué la règle du « 3-6-9-12 » proposée dès
2008 par le psychiatre Serge Tisseron. Concrètement, cette règle se détaille de la façon suivante : pas
d’écran avant 3 ans ; pas de console de jeu portable avant 6 ans ; pas d’Internet avant 9 ans (puis
Internet « accompagné » jusqu’à l’entrée en collège) ; Internet seul possible à partir de 12 ans, mais
avec prudence. Depuis 2011, cette règle, qui a le mérite de la clarté et de la lisibilité, a été fortement
relayée par les pédiatres et dans les PMI et s’est imposée comme une référence.
Autre recommandation, celle des « quatre pas » émise par la psychologue clinicienne Sabine Duflo
proposant les règles suivantes : « pas d'écran avant d'aller à l'école, pas d'écran dans la chambre à
coucher, pas d'écran avant d'aller se coucher et pas d'écran pendant les repas ».
Des recommandations sur les temps d’écran par âge ont également pu être proposées. Mais, en la
matière, les références sont plurielles et insuffisamment harmonisées. Ainsi, Serge Tisseron, précisant
que la règle des « 3-6-9-12 » est nécessaire, mais qu’ « elle n’est pas suffisante à elle seule »,
recommande en complément de « cadrer le temps d’écran à tout âge » et, en particulier proscrit un
temps d’écran supérieur à 1 h 30 min par jour pour les enfants de 3 à 5 ans et à 2 heures pour les plus
de 6 ans. De son côté, l’Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA) ne donne pas de bornes
de temps par âge mais conseille comme base aux parents de se référer à la capacité d’attention
moyenne de la tranche d’âge de leur enfant (soit 20 minutes de 3 à 6 ans, 30 minutes de 6 à 8 ans, 45
minutes de 8 à 10 ans et 1 heure après 10 ans). Au niveau international, l’OMS a émis de premières
« lignes directrices » sur les interventions de santé numérique en 2019 dans lesquelles elle
62
recommande de ne pas du tout exposer les enfants aux écrans avant 2 ans et de les exposer « pas plus
d’une heure » par jour, en précisant que « moins c’est mieux », entre 2 et 5 ans.
Dans le même temps, des actions de communication et des outils d’accompagnement, des parents
notamment, ont été déployés sous l’égide des pouvoirs publics. En particulier, pour les actions les plus
récentes :
- un plan d’actions « Pour un usage raisonné des écrans par les jeunes et les enfants » a été lancé
en février 2022 dans le cadre d’une démarche partenariale entre différents ministères et
autorités (ARCOM, Conseil national du numérique, MILDECA, Santé Publique France…)
pour promouvoir l’information, l’éducation et l’accompagnement des enfants, des parents et
des professionnels sur les écrans. Il prévoit, notamment, de sensibiliser les parents à
l'exposition des enfants aux écrans et leur impact sur le développement des enfants ;
- un site Internet grand public « je protège mon enfant » a été créé112. Il reste cependant assez
peu connu du grand public et assez peu fréquenté, d’après les retours qui ont pu être faits la
Commission.
En parallèle, de nombreuses initiatives nationales et locales menées par des associations ou des
collectifs, avec le soutien des CAF et des collectivités, viennent compléter par des actions concrètes
sur les territoires les messages et outils institutionnels proposés. La Commission n’a évidemment pu
disposer d’une vision exhaustive des nombreuses démarches organisées pour accompagner les jeunes
et leurs familles dans l’usage des écrans et du numérique, relayer les bonnes pratiques, diffuser les
conseils utiles, promouvoir les pratiques raisonnées et proposer des alternatives au « tout-écran ». Elle
a toutefois pu auditionner plusieurs représentants associatifs ou porteurs de projets locaux qu’elle a
estimés très intéressants et utiles. Elle a cependant relevé à cette occasion que nombre des actions
proposées restaient souvent trop localisées.
- des recommandations et des conseils en termes de bonnes pratiques sur les usages des écrans
par les enfants existent (que ce soit en fonction de leur âge, du temps passé, de la qualité des
contenus…). Leur diversité, un manque d’harmonisation et de coordination dans les messages
diffusés conduisent cependant à brouiller la lisibilité de la communication. Au final, ces
recommandations semblent insuffisamment connues du grand public et, quand elles le sont,
semblent peu mises en œuvre ;
- beaucoup des règles proposées indiquent ce qu’il ne faut pas faire, mais pas toujours
suffisamment comment il faut faire et pourquoi ;
- des actions locales intéressantes de mise en œuvre de certaines des recommandations sont
proposées mais elles restent encore très isolées et/ou localisées ;
Un besoin de clarification des messages semble s’imposer, ainsi qu’une démarche de communication
d’envergure pour atteindre diffuser de façon massive les recommandations utiles sont nécessaires.
112
De nombreux autres sites proposent par ailleurs des conseils et présentent des recommandations en matière d’usage des
écrans par les enfants et les jeunes comme, par exemple, le site de l’UNAF « mon-enfant-et-le-écrans »
63
3.3- Face aux situations les plus graves, des outils de modération, de signalement et de
répression existent mais sont mis au défi de l’explosion des contenus choquants
Les initiatives récentes en faveur d’un meilleur encadrement juridique de la lutte contre les contenus
choquants et illégaux portent des améliorations potentielles pour la protection des mineurs. Comme
évoqué plus haut, le DSA fixe notamment un principe clair de responsabilisation des plateformes, et
impose la transparence sur les moyens mobilisés.
Face à une croissance exponentielle des usages et à l’augmentation du rythme de mise à disposition
des contenus, les mécanismes de gestion des contenus choquants (modération, signalement,
répression) sont nécessaires mais présentent toutefois un certain nombre de limites. En particulier, ils
interviennent a posteriori de l’expérience négative voire traumatique des enfants ; ils manquent quasi-
systématiquement les échanges sur les messageries privées largement investies par des pédocriminels
et autres promoteurs de drogues ; ils ne sont pas calibrés à hauteur de besoins toujours plus
dynamiques ; et enfin ils ne font pas une place suffisante au dialogue avec les enfants qui s’inscrivent
dans la démarche et risquent le découragement.
Dans la mesure où les contenus ne sont pas traités « à la source » pour les enfants, et que les
plateformes, en particulier, n’ont pas la responsabilité des contenus qu’elles diffusent, il n’est d’autre
conséquence possible, en dépit d’une mobilisation croissante des outils et d’une pression attachée à
l’effet réputationnel pour les acteurs économiques, de courir après les « trous » et les imperfections de
ces mécanismes.
Les développements suivants précisent les enjeux attachés aux modalités spécifiques de lutte contre
les situations les plus graves : modération, signalement, et répression.
3.3.1- La modération : les outils sont aujourd’hui partout présents sur les grands sites,
les plateformes, les réseaux sociaux.
Le DSA, applicable depuis le 17 février 2024, prévoit des mesures permettant de renforcer la
compréhension des utilisateurs concernant le fonctionnement de la modération. Les CGU -conditions
générales d’utilisation- doivent à ce titre être adaptées et facilement compréhensibles pour les enfants
(article 14). Le DSA prévoit également (article 28) que les plateformes accessibles aux mineurs devront
prendre les mesures appropriées et proportionnées pour assurer le plus haut niveau de protection de
la vie privée, de la sécurité et de la sûreté des mineurs.
Si les effets du DSA sur la modération peuvent difficilement être anticipés à ce jour, l’efficacité semble
devoir se heurter encore longtemps à plusieurs réalités :
- sur le fond, la modération s’organise selon des critères propres à chaque plateforme. A ce titre,
certains réseaux acceptent par exemple les contenus à caractère pornographique ;
64
- en termes d’organisation, l’intelligence artificielle est très largement mobilisée, et le nombre
de modérateurs humains reste compliqué à connaître, et plutôt en décroissance. Aussi, le
nombre de modérateurs en langue française paraît en retrait par rapport à d’autres langues, et
a fortiori extrêmement faible au regard du nombre d’utilisateurs et de contenus échangés
chaque jour.
3.3.2- Le signalement : les processus de signalement des dérives les plus graves existent
sur tout site et toute plateforme, et se structurent en outre via des acteurs de confiance
nationaux
Les services en ligne se sont tous engagés dans l’identification de procédures de signalement à la
disposition des utilisateurs. Toutefois, beaucoup des signalements faits par les particuliers sont en
réalité l’expression d’un mécontentement ou d’un désaccord et beaucoup des contenus qui devraient
être signalés ne le sont pas dans les faits. Soit parce que les outils de signalement ne sont pas connus.
Soit parce que les utilisateurs n’ont pas confiance, qu’ils craignent pour leur anonymat ou qu’ils
considèrent l’exercice vain. L’enquête de Génération numérique de 2024 rapporte à ce titre que seul
un quart des enfants de 11 à 18 ans procède à des signalements.
Le nombre de signalements se situe déjà à des niveaux élevés pour garantir leur traitement, mais il est
clair qu’il n’épuise que trop peu la réalité des situations rencontrées par les jeunes.
Des organisations privées ou publiques, parmi lesquelles des associations, ont ainsi développé une
activité de signalement pour le compte des mineurs, aux fins d’améliorer l’effectivité de la prise en
compte des signalements par les plateformes qui leur font confiance et organisent la prise en compte
de leurs démarches en priorité.
En France, l’association Point de contact précise, dans son dernier rapport annuel, avoir reçu 25 977
signalements sur l’année 2023. Un peu plus de la moitié (13 972) de ces signalements ont été
effectivement qualifiés comme relatifs à des contenus illicites ; et parmi eux, les contenus
pédocriminels comptent pour moitié. La plateforme publique Pharos enregistre quant à elle, pour le
seul premier semestre 2023, 92 221 signalements, dont près de 12 000 relatives aux atteintes sur les
mineurs. L’office mineurs (OFMIN) enregistre enfin près de 700 signalements par jour en ligne contre
des contenus pédocriminels.
L’action de ces tiers de confiance est désormais reconnue et encadrée par le règlement européen sur
les services numériques (DSA) qui les intègre dans l’exercice de régulation : les signaleurs de confiance
qualifiés comme tels par les autorités compétentes (l’ARCOM en France) devront émettre un rapport
qui sera utile dans l’exercice de la régulation. Par exemple, si un écart important apparait entre les
contenus notifiés et ceux retirés sur telle ou telle plateforme, l’attention des autorités nationales
compétentes et de la Commission sera appelée et celles-ci pourront mieux choisir les mesures et
éventuellement les sanctions à imposer.
Si l’évolution attendue de l’application du DSA va dans le bon sens, plusieurs limites structurelles
semblent toutefois devoir être levées pour renforcer l’efficacité de ce dispositif dans la lutte contre les
contenus choquants :
- le parcours du signalement sur les plateformes / jeux vidéo etc. existe mais d’une part, il tend
à être insuffisamment visible ; d’autre part, il est structuré par un vocabulaire technique et
juridique difficilement compatible avec une compréhension accessible à tous. Le mésusage de
ces procédures, y compris du fait de signalements inadaptés (ex : chasse à l’homme via la
demande massive de fermeture d’un compte), contribue à une saturation rapide du dispositif.
65
Les utilisateurs ne sont en outre que rarement informés des suites données à leur signalement,
ce qui peut décourager les jeunes de réitérer la démarche :
- s’agissant des procédures de signalement portées par l’Etat, et les acteurs de confiance en
cours de désignation par l’ARCOM, leur efficacité doit être renforcée par l’obligation faite aux
plus grandes plateformes, au titre du DSA, de traiter en priorité et dans des délais rapides les
signalements. Ces procédures de signalement ne sont toutefois pas suffisamment connues, et
en même temps saturent déjà les capacités à faire des associations qui se voient contraintes
de freiner la publicité de leur action en direction des jeunes publics. De la même façon, le 3018
porté par l’association E-enfance, qui permet une écoute active des enfants, n’a pas la capacité
d’absorber toutes les sollicitations.
3.3.3- Les moyens de répression sont plutôt bien définis sur le plan juridique, mais face
à l’ampleur des enjeux, une mise en œuvre à l’échelle des besoins est un défi.
Les outils de répression des infractions les plus graves concernant les mineurs (en matière de
pédocriminalité, de cyber-harcèlement, etc.) existent globalement, à l’exception notable de l’infraction
particulièrement impactante constituée par les viols d’avatars de mineurs qui commencent à être
observés dans les univers métavers et les jeux vidéo. Surtout, la trajectoire exponentielle des
sollicitations (12 000 signalements par exemple de sextorsions en 2023 auprès de l’Office des mineurs
comme signalé plus haut) se confronte là aussi à la question des moyens pour y faire face.
Par ailleurs, la Commission salue la création par la loi SREN de nouvelles incriminations relatives à la
sextorsion113 ainsi qu’à la diffusion de deep fakes à caractère pornographique114. Elle relève toutefois
que ces dispositions ne pourront pleinement produire effet que si sont mis en place les moyens
nécessaires afin de faciliter l’accueil des victimes, de favoriser leur dépôt de plainte et de conduire des
enquêtes fouillées. Cela supposera que les parquets soient encouragés à y apporter une réponse
rapide, systématique et efficace, et que soit assurée une formation adéquate des magistrats en la
matière.
3.4- Des acteurs économiques qui ne font pas alliance au service de la protection des enfants,
mais se retrouvent dans le renvoi de la responsabilité aux parents
Le droit existant prévoit un renforcement des obligations à l’endroit de chacun de ces acteurs. Les
discussions se cristallisant désormais sur les enjeux attachés à leur déploiement :
113 Selon l’article 5 bis A de la loi SREN, l’article 312-10 du Code pénal est modifié pour sanctionner de 7 ans de prison et 100
000€ d’amende tout chantage exercé par un service de communication en ligne “au moyen d’images ou de vidéos à caractère
sexuel” (1°) ; “en vue d’obtenir des images ou des vidéos à caractère sexuel” (2°).
114 Selon l’article 5 ter de la loi SREN, un nouvel article 226-8-1 du Code pénal est inséré pour sanctionner de deux ans
d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende « le fait de publier, sans son consentement, par quelque voie que ce soit, le
montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne, et présentant un caractère sexuel. Est assimilé à l’infraction
mentionnée au présent alinéa et puni des mêmes peines le fait de publier par quelque voie que ce soit, un contenu visuel ou
sonore généré par un traitement algorithmique et reproduisant l’image ou les paroles d’une personne, sans son
consentement, et présentant un caractère sexuel ».
66
- En matière de norme technique s’imposant aux constructeurs de terminaux, il semble que le
champ soit relativement vierge s’agissant en particulier de protéger la santé somatique des
utilisateurs (standards relatifs à la lumière diffusée par les appareils, relatifs à la distance de
lecture de l’écran, relatifs au positionnement des composants en fonction du point d’écoute,
etc.).
Le décret a par ailleurs précisé les obligations des opérateurs économiques en vue de la
commercialisation de dispositifs de contrôle parental sur les équipements terminaux, ainsi
qu’élargi les pouvoirs de surveillance de l’Agence nationale des fréquences afin d’intégrer le
contrôle de ces exigences sur les terminaux mis sur le marché.
La loi SREN va plus loin en imposant aux plateformes fournisseurs de service de transmettre
chaque année les statistiques d’utilisation en France du dispositif de contrôle parental, chiffres
que la Commission n’a pas réussi à obtenir à travers l’ensemble de ces auditions, ce qui masque
certainement une mobilisation aujourd’hui faible de ces outils.
- Les producteurs des systèmes d’exploitation sont de fait associés au déploiement du dispositif
« Studer » par les équipementiers, ces derniers se tournant vers eux pour déployer sur le plan
opérationnel la mise en conformité aux nouvelles obligations, avec des enjeux spécifiques
associés en termes de recueil de données des enfants par ces systèmes d’exploitation.
- Les fournisseurs d’accès à Internet sont tenus quant à eux de mettre à disposition un dispositif
gratuit de protection des enfants pour les équipements fixes (PC et Mac). Ils ont en outre
souscrit un engagement pour établir, au moment de l’ouverture de la ligne mobile pour un
enfant (sous réserve de déclaration par le parent), la fourniture d’un système « transparent »
pour les familles permettant de protéger les enfants avec beaucoup d’efficacité.
Ils sont par ailleurs des interlocuteurs depuis longtemps identifiés par les pouvoirs publics et
les autorités judiciaires dans la lutte contre les pratiques illicites sur Internet. A ce titre, ils
coopèrent afin d’aider à l’identification des auteurs d’infractions en ligne ou de mettre en
œuvre, à la demande des autorités administratives et judiciaires, des mesures de blocage de
sites sur l’ensemble du territoire à des fins de protection des publics, notamment mineurs
(blocage à l’accès de sites pédopornographiques et terroristes, de sites hébergeant des
67
contenus haineux, de jeux d’argent, de contrefaçon, etc.). Ces mesures de blocage restent
toutefois contournables sur le plan technique par divers procédés type « VPN ».
- Les grandes plateformes relèvent essentiellement du DSA. Alors que nous ne sommes pas en
mesure d’anticiper le niveau d’intervention qui pèsera in fine sur elles en application de ce
nouveau droit, nous pouvons relever diverses initiatives prises par les réseaux et médias
sociaux pour progresser au service de la protection de l’enfance. Ces initiatives permettent par
exemple d’accéder à un récapitulatif de temps d’écran, de planifier des limites de temps, de
paramétrer légèrement les contenus suggérés. Mais, ces initiatives poursuivent des objectifs
globalement antinomiques aux stratégies de captation attentionnelle, ce qui peut expliquer
que les dispositifs soient tout à la fois encore limités, peu ergonomiques, et qu’ils restent
difficilement accessibles. On peut anticiper un niveau d’utilisation encore très faible de ces
dispositifs (aucune donnée n’a là non plus été communiquée sur leur mobilisation effective).
Au surplus, il apparaît peu probable que l'industrie promeuve d’elle-même, contre ses intérêts
à court terme, des dispositifs qui donnent à l’utilisateur un contrôle poussé sur son utilisation
du service. L’intervention du régulateur paraît difficilement contournable pour y parvenir.
Au total, les enjeux attachés à la protection de l’enfance ne sont pas ignorés, mais ils sont largement
motivés par des enjeux d’image et de réputation et tendent à se limiter à des efforts d’affichage sans
engagement sur le déploiement effectif des dispositifs mis en œuvre ; les acteurs économiques mettent
unanimement la focale sur la responsabilité des parents, tenus de résoudre les externalités négatives
du système pour leurs enfants, et à ce titre valorisent fortement les efforts qu’ils conduisent en termes
de communication et de prévention à l’endroit des parents, sans que ces efforts décrits n’aient jusque-
là trouvé une réelle efficacité. Le secteur valorise également les collaborations avec les associations de
la protection de l’enfance qui, largement dépendantes de leurs financements dans la configuration
actuelle, leur permettent de nourrir leur discours.
La Commission a été marquée par le fait qu’aucun acteur de la chaîne ne se sente en responsabilité
première d’un haut standard de protection des enfants, renvoyant systématiquement à d’autres cette
responsabilité au nom de contraintes technologiques ou économiques présentées comme difficilement
dépassables, et s’accordant pour faire porter aux parents la charge de gérer la complexité et les
externalités négatives générées par des modèles économiques captifs de l’attention des enfants.
Ainsi, on peut regretter que l’intérêt supérieur des enfants ne constitue pas le socle d’un engagement
collectif et productif pour l’émergence de solutions nouvelles, plus systématiques et faciles d’accès
pour les familles. En particulier, aucune coalition d’acteurs privés n’a vu le jour pour la conception
sérieuse d’un système robuste de vérification de l’âge, qui n’est pas en tant que tel imposé à ce jour
formellement par le DSA, alors qu’il permettrait pourtant de discriminer l’accès à certains contenus et
de résoudre des risques critiques pour le développement des enfants.
3.5- Un cadre de référence sur le numérique éducatif à mieux articuler avec les enjeux
sociétaux et de santé, en lien avec les familles
La problématique du numérique est prégnante dans le champ de la petite enfance, sans toutefois de
débat réel de fond sur les pratiques à promouvoir s’agissant de la protection des plus jeunes enfants,
l’enjeu étant plutôt celui de l’identification d’un cadre de référence visible et connu, et sa mise en
application. Si dans les crèches, l’exposition aux écrans paraît plutôt maitrisée, la question de l’usage
des écrans en interférence à la relation aux enfants paraît plus problématique chez les assistantes
maternelles ou les « nounous » recrutées par les familles.
68
Dans le champ éducatif, en l’absence de débat et de concertation, la problématique du numérique ne
fait pas l’objet d’un consensus partagé et explicite parmi les parties prenantes (familles, communautés
éducatives, collectivités, soignants) quant au bon niveau à déployer d’équipements selon les âges,
quant à l’apport de l’outil numérique pour les apprentissages, ou son impact sur la relation entre
enseignants, parents et élèves.
Le niveau d’équipements collectifs reste très inégal selon les territoires, et globalement plutôt en retrait
par rapport à nos voisins européens ; certains dispositifs se déploient toutefois depuis une vingtaine
d’année de façon plus généralisée comme, par exemple, les tableaux numériques interactifs à l’école
élémentaire. Ainsi, selon la DEPP115, le nombre de tableaux numériques interactifs est passé de 2 pour
1000 élèves dans les écoles élémentaires en 2009 à 17 pour 1000 élèves en 2019. Dans les collèges, il
est passé de 3 pour 1000 élèves à 17,7 pour 1000 élèves au cours de la même période. Toujours selon
la DEPP, le nombre d’élèves par ordinateur est ainsi passé entre 2009 et 2019, de 25,3 à 15,9 élèves
pour un ordinateur en maternelle, de 11,6 à 6,9 en élémentaire et de 8,1 à 3 au collège. Au lycée, où
le taux d’équipement était plus élevé au départ, on est passé de 3,1 élèves par ordinateur à 2,3 entre
2010 et 2019.
Les écoles et les familles sont par ailleurs confrontées à des failles de sécurité et de protection des
enfants qui mobilisent les appareils mis à disposition, en l’absence de standards partout appliqués et
compte tenu de l’agilité des enfants à détourner les usages visés.
Des avancées importantes ont été en revanche réalisées pour mieux maîtriser la présence des
smartphones détenus par les élèves en élémentaire et au collège, avec la mise en application de la loi
dite « Blanquer » qui pose un principe général d’interdiction des téléphones mobiles, tablettes et
montres connectées dans l’enceinte des écoles et des collèges. Ces téléphones doivent être éteints et
rangés, les établissements ayant la responsabilité de déterminer les modalités pratiques d’application
de la loi. Les personnes auditionnées (syndicats enseignants, fédérations de parents d’élèves, syndicat
des chefs d’établissement) portent une évaluation globalement favorable sur la mise en œuvre de ce
cadre légal, et ne soulignent pas de points particulièrement critiques dans la relation avec les élèves
pour faire appliquer cette obligation. Les travaux conduits avec les collégiens conduisent toutefois à
mettre un peu de nuance à ce constat : l’utilisation des téléphones s’organise largement dans les
9Le numérique éducatif : que nous apprennent les données de la DEPP ?– Série Synthèses, Août, 2021
69
toilettes, les échanges massifs de contenus sur ce qui se passe aux abords ou dans les collèges (scènes
de bagarres par exemple) ont lieu ; les téléphones ne sont pas toujours éteints lors des cours (les
enfants indiquent vouloir regarder l’heure par exemple, ou encore devoir répondre à des messages de
leurs parents, pour expliquer la consultation des téléphones en journée).
S’agissant des solutions numériques pédagogiques, leur emploi progresse dans la période récente, à
la fois dans l’enceinte des établissements, mais aussi via les demandes adressées aux enfants pour leurs
devoirs à la maison.
Sur le plan des pratiques pédagogiques, toujours selon la DEPP, les enseignants français sont très
nombreux à utiliser fréquemment les outils numériques pour préparer leurs cours (94 % pour le
premier degré́ et 88 % pour le second degré)́ , ils sont dans leur majorité utilisateurs de ressources
numériques pour guider les séances en classe (respectivement, 50 % et 70 %), mais moins nombreux
à laisser les élèves utiliser les TIC pour des projets ou travaux en classe (respectivement, 14 % et 36 %).
Les élèves quant à eux sont seulement 40% à maitriser des compétences de littératie numérique116 en
4e, et leur aisance dépend largement de leur milieu social.
Le déploiement expérimental dans douze départements des « territoires numériques éducatifs » (TNE)
porte l’ambition d’une plus grande qualité pédagogique des ressources numériques, couplée à une
formation systématique des enseignants. Mais la généralisation prévue ne doit pas faire l’impasse sur
la question du niveau progressif et souhaité pour les enfants de l’accès à des ressources numériques,
tant en matière d’équipements que d’usages éducatifs et pédagogiques. Aussi, la Commission
considère que le dialogue entre la Direction générale de l’enseignement scolaire et la Direction du
numérique éducatif gagnerait à se structurer et se renforcer, pour assurer que l’outil est
systématiquement mis au service de l’humain, des besoins des enfants comme des enseignants, et de
la progression des apprentissages.
Les usages numériques se diffusent enfin dans le champ périscolaire, notamment sur la pause
méridienne, à rebours des messages de limitation des « écrans » que peuvent entendre les parents. Si
116
La littératie numérique est la capacité d’un individu à utiliser les technologies numériques pour collecter et gérer, produire
et échanger des informations.
70
les données manquent pour précisément qualifier la présence du numérique sur ces temps de pause,
les auditions ont soulevé assez largement cette problématique, dans un contexte de difficulté aussi de
recrutement et de fidélisation des animateurs chargés des enfants sur ces temps périscolaires.
Enfin, la formation au numérique des élèves reste aujourd’hui à la fois trop fragmentée, et insuffisante
en termes de contenu et de temps passé face aux enjeux que cela représente. Les efforts conduits à
travers le programme de certification PIX, qui devrait connaître de nouveaux développements
prochainement, sont à poursuivre pour mieux prendre en compte ces enjeux. PIX ne peut toutefois
épuiser à lui seul une ambition à hauteur des enjeux en matière de littératie numérique et
d’accompagnement au numérique des enfants à l’école, seul lieu à même de garantir l’équité d’accès à
cet accompagnement. Les travaux conduits avec les élèves ont largement montré qu’ils décorrèlent
totalement cette certification de leurs usages quotidiens, et ne voient pas le lien entre PIX et leurs
pratiques et difficultés voire dangers rencontrés dans leurs usages quotidiens.
De la même façon, l’éducation aux médias et à l’information (EMI) a pu se structurer dans le cadre des
programmes d’éducation morale et civique qui ont été récemment revus et dont le renforcement vient
d’être annoncé. Une semaine par an, la Semaine pour les Médias et l’Education, première action
éducative portée par le Ministère de l’Education nationale, mobilise près de 22 000 établissements
scolaires et 280 000 enseignants, majoritairement dans le second degré.
Mais la Commission considère que l’EMI ne permet pas de routiniser suffisamment les clés de cet
apprentissage. Les enjeux de formation à l’esprit critique, aux différents médias, aux modèles
économiques nécessitent un temps long pour être traités et voir des compétences être acquises. A ce
titre, l’EMI reste souvent structurée autour d’une approche classique de connaissance voire de
promotion des médias traditionnels, qui passe à côté des enjeux propres à l’enfant et à son
environnement numérique, au fonctionnement de son cerveau et à son rapport à l’information, à la
réalité de ses usages quotidien et de ses besoins. Ainsi seules 19% des actions d’éducation au media et
à l’information délivrées durant la semaine de la presse et des media étaient en 2023 consacrées à
l’utilisation des réseaux sociaux.
Au total, si la stratégie numérique a été formalisée par le ministère de l’éducation nationale, elle reste
à la fois partielle et insuffisamment partagée avec tous les acteurs de l’école et de la société.
71
3.6- Une gouvernance insuffisante de tous les acteurs, en l’absence de stratégie structurelle,
collective et interministérielle
Certaines missions sont bien ancrées dans les structures administratives (protection des données par
exemple, régulation du champ télévisuel). D’autres sont beaucoup plus récentes et présentent de ce
fait un niveau de maturité et d’appropriation à renforcer. D’autres enfin sont moins sanctuarisées dans
les organisations et concurrencées par des feuilles de route ministérielles déjà extrêmement copieuses
(santé par exemple).
Aussi, tous les acteurs institutionnels appellent à une plus forte coordination des actions, et l’arrimage
de ces dernières à une stratégie complète qui n’est aujourd’hui pas produite. Si quelques tentatives ont
été conduites en faveur de plus de transversalité, sous l’impulsion récente des ministres de la
protection de l’enfance et du numérique (exemple : comité de pilotage animé par le ministre sur la
lutte contre les contenus pornographiques et pédocriminels), elles n’ont pas survécu aux changements
gouvernementaux, créant des effets de « stop and go » que les administrations regrettent
légitimement.
De la même façon, les initiatives de communication se multiplient dans tous les organismes. Cela
témoigne positivement d’un investissement de qualité au service des enfants et des familles sur les
problématiques rencontrées dans le champ du numérique. Mais cela risque de perdre en efficacité en
l’absence de marque et de ligne éditoriale communes, compte tenu des différences d’approche
retenues, et de la dispersion in fine des budgets contraignant à des actions de communication
insuffisamment soutenues dans le temps pour trouver de l’impact.
Aussi, les différentes administrations ont organisé des espaces d’échanges avec les acteurs
économiques et la société civile. Mais là encore, plusieurs limites peuvent être relevées : ces espaces
d’échanges peinent à faire émerger la voix des plus petits acteurs face à la puissance des grands du
numérique ; ils segmentent les discussions et les engagements ; ils n’ont pas toujours le soutien
politique suffisant pour obtenir des engagements sérieux de leurs interlocuteurs.
En outre, ces organisations nationales ne trouvent pas nécessairement d’écho à l’échelle des territoires,
et en particulier la place des élus locaux et des acteurs terrain est aujourd’hui peu établie, alors même
qu’elle doit jouer un rôle d’entraînement, de démultiplication des leviers d’action, et de mise en
72
visibilité des messages, sans lequel les changements de comportement et la promotion des alternatives
aux « écrans » auront du mal à émerger.
Enfin, la Commission souhaite insister sur les modalités de financement de cette politique publique. En
l’absence de sanctuarisation de budgets publics, le cas échéant alimentés par les contributions des
acteurs économiques responsables des externalités négatives des « écrans », les acteurs institutionnels
et surtout les acteurs associatifs, y compris désignés par les autorités comme responsables de missions
particulières (cf. signalement par exemple), se trouvent en situation de dépendance des acteurs
économiques eux-mêmes. Cette situation est contestable au plan de l’éthique et de l’efficacité : elle
insécurise les acteurs, elle offre un discours aux acteurs économiques à rebours de l’exercice effectif de
leurs responsabilités, elle peut créer des conflits d’intérêt défavorables à l’action auprès des mineurs.
A ce titre, la protection numérique des enfants échappe aux schémas classiques qui prévalent sur
d’autres enjeux, que l’on pense par exemple à la lutte contre le tabac et plus largement contre les
addictions, dont le financement est intermédié par un fonds public.
73
PARTIE 4 : « EXPOSITION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS
AUX ÉCRANS » : QUELLE AMBITION ET COMMENT LA
CONCRETISER ?
- protéger les jeunes des effets néfastes des « écrans » sur leur santé et des contenus
inappropriés et dangereux ;
- créer une prise de conscience plus large sur le fonctionnement des enfants et les besoins
essentiels à leur développement, et oser faire des changements d’organisation et de société
émancipateurs pour les enfants.
À travers ces ambitions, il s’agit de remettre l’outil au service de l’humain, en évitant des impacts
durables sur la santé des enfants, en prenant en compte les vulnérabilités qui exposent davantage aux
risques des « écrans », en organisant le dialogue avec les enfants – en famille et ailleurs – sur leurs
pratiques, en accompagnant les bénéfices potentiels en termes de socialisation et d’échanges entre
pairs, en redonnant une place forte et visible aux interactions alternatives et collectives.
Pour être à la hauteur de ces ambitions, la Commission a la conviction qu’il faut redonner à tous la
capacité d’agir et de choisir : aux jeunes eux-mêmes, aux familles et aux parents, aux communautés
éducatives, à tous les professionnels qui les accompagnent, aux institutions, aux associations.
La stratégie d’action qui en résulte est sous-tendue par plusieurs principes qui semblent clés aux
membres de la Commission pour favoriser les changements attendus :
- il convient d’en finir avec le sentiment d’impuissance, qui paralyse l’action, et conduit à retenir
les solutions les plus immédiatement accessibles, parfois à rebours de l’intérêt des enfants eux-
mêmes, ou à pointer la responsabilité vers les seuls parents. L’impulsion politique, à haut
niveau, peut avoir de l’impact. Elle devra être portée, dans la durée, à trois niveaux : mondial,
européen et national. Elle trouvera sa force si elle peut s’adosser à une organisation agile et
robuste au sein de l’État, intégrant l’ensemble des aspects du projet pour les enfants ;
- les impacts se verront à large échelle s’ils sont soutenus par l’organisation d’un débat public et
transpartisan, qui seul permettra de faire émerger une vision collective et partagée nécessaire
à la force du discours, et par là même à l’évolution des comportements ;
74
Dans la formulation de ses recommandations, la Commission s’est attachée à :
- avoir une approche respectueuse des enfants, et différenciée en fonction de leur stade de
développement, de leurs besoins et de leurs vulnérabilités ;
- donner une place à hauteur des enjeux relatifs à la santé somatique des enfants ;
- repositionner les responsabilités « dans le bon sens », pour en finir avec la course contre les
externalités négatives de services se déployant sans le consentement éclairé de ses utilisateurs,
et poursuivant des objectifs contestables du point de vue éthique quand bien même ils
soutiennent leur modèle d’affaires ;
- faire le pari de la capacité aussi des adultes à porter des changements, y compris dans leur
propre rapport au numérique, pour le bénéfice des enfants ;
- accorder une attention pleine et entière aux enfants fragilisés, par le handicap notamment.
Ces recommandations se structurent autour de six axes :
- protéger, plutôt que contrôler, les enfants : une bataille qui doit se mener et peut se gagner
auprès des acteurs économiques (Axe 2) (4.2) ;
- assumer et organiser une progression des usages des écrans et du numérique chez les enfants
en fonction de leur âge (Axe 3) (4.3) ;
- préparer sérieusement les jeunes à leur autonomie sur les écrans, leur donner le pouvoir d’agir
et, dans le même temps, redonner toute leur place aux enfants et aux jeunes dans la vie
collective (Axe 4) (4.4) ;
- mieux outiller, mieux former au numérique et mieux accompagner les parents, les enseignants,
les éducateurs et tous ceux qui interviennent auprès des enfants, tout en organisant une
société qui remet l’écran et le numérique à leur juste place (Axe 5) (4.5) ;
4.1- Axe n°1 : S’attaquer, pour les interdire, aux conceptions addictogènes et enfermantes de
certains services numériques afin de redonner du choix aux jeunes
La Commission a fait le choix à dessein de faire débuter ses recommandations par cet impératif, pour
situer la responsabilité là où elle est première, c’est-à-dire à l’endroit des acteurs économiques eux-
mêmes qui, pour partie, produisent des services prédateurs, à la conception délétère pour les enfants.
Le DSA porte d’ailleurs une première reconnaissance de cette responsabilité, même s’il renvoie
largement auxdits services le soin de l’évaluation de leurs effets.
75
La Commission considère qu’il y a là une évolution à clairement refuser pour les enfants, qui n’ont en
aucun cas à devenir le produit marchand de stratégies de conquête de marchés et de maximisation de
leur temps passé en ligne.
Il revient aux infrastructures de créer les conditions de la protection des enfants. Face à ces constats,
la Commission considère qu’il est urgent d’avoir une stratégie offensive et portée au plus haut niveau
politique aux plans mondial, européen et français, pour ne plus subir, et avoir à trouver des voies
coûteuses, imparfaites et rapidement obsolètes, d’ajustement. La résolution des risques « à la source »,
dans la conception même des produits et des services, est une exigence à mettre au premier rang des
engagements.
Cette stratégie, qui devra s’appuyer sur un réseau d’acteurs de plus en plus nourri autour de l’éthique
de la conception, pourrait s’articuler autour des principes directeurs suivants :
- inciter l’émergence d’acteurs privés éthiques, permettant d’offrir aux jeunes des contre-
modèles ;
- créer les conditions d’un dialogue productif avec les grands acteurs du numérique.
Si l’usage intensif des écrans a nécessairement plusieurs ressorts, l’un d’entre eux est à la fois connu et
en a fait sa raison d’être : l’économie de l’attention. Bon nombre de plateformes utilisées au quotidien
appellent de manière structurelle à construire leur architecture technique et algorithmique de sorte
que l’utilisateur reste le plus longtemps possible sur leur service.
À ce titre, la Commission considère qu’il faut, dès à présent, porter une initiative pour tout à la fois
exploiter au maximum les potentialités offertes par le DSA, et assumer des positions plus franches de
rupture concernant les modèles addictogènes.
Plusieurs champs d’action devraient être investis en ce sens, de façon cumulative compte tenu du
temps qui sera nécessaire pour faire aboutir certains d’entre eux.
La construction juridique européenne a très largement renvoyé aux plateformes elles-mêmes le soin
d’une part d’évaluer les risques systémiques de leurs services sur la santé et la sécurité des enfants, et
d’autre part de prendre des mesures d’atténuation, tout en se mobilisant par une stratégie active de
régulation pour tirer bénéfice de ces dispositions.
S’agissant d’un enjeu de santé publique, le modèle retenu pour le médicament par exemple pourrait à
ce titre être éclairant, à savoir exiger des acteurs économiques qu’ils démontrent, avant la mise sur le
marché, l’absence d’effet nocif et une balance bénéfice- risque favorable.
76
Compte tenu des évolutions permanentes des services, il n’est certainement pas accessible de
reproduire à l’identique le système en vigueur pour le médicament, mais la Commission considère
toutefois possible de s’approcher de ses objectifs en en adaptant les modalités. En particulier, et dans
le prolongement des obligations imposées par le DSA à l’égard des très grandes plateformes de réaliser
des analyses de risques (article 34) et d’adopter des mesures d’atténuation de ces risques (article 35),
éclairées par les considérants 81 et 83, l’exigence pourrait être posée aux plateformes de procéder
régulièrement (voire avant tout développement d’une nouvelle fonctionnalité) à des tests comparatifs
selon des procédures dites d’« AB testing » afin d’évaluer les effets des différents composants des
algorithmes, notamment sur la nature de l’engagement de l’utilisateur pour en mesurer l’éventuel
impact délétère, et forcer les choix les plus protecteurs de la santé des individus, et des jeunes en
particulier. Aussi, et maintenant que l’obligation de partage des données est posée en direction des
personnes « qualifiées » (administrations, chercheurs), il conviendra de renforcer le système d’audit
prévu par le DSA afin de s’assurer de son caractère régulier et indépendant, en articulant les échelons
européens et nationaux : il s’agit d’éviter l’effet « tunnel » des procédures d’enquête qui sont certes
puissantes sur le plan de la sanction, mais longues à faire aboutir.
Proposition n°1 : Inverser la charge de la preuve pour lutter contre les conceptions et les algorithmes
délétères des services numériques et se doter de capacités d’audits réguliers indépendants
- Déployer des procédures d’A/B testing vertueuses, c’est-à-dire intégrant et privilégiant des
critères de bien-être des utilisateurs finaux établis sur la base de la préservation de leurs
intérêts ;
- Faire des audits réguliers des plateformes par des tiers indépendants.
Les travaux relatifs au design des plateformes et aux éléments algorithmiques de type addictifs
progressent rapidement, en particulier sous l’impulsion académique et associative. Le politique s’en
est notamment saisi, à travers l’adoption à la quasi-unanimité des parlementaires européens d’une
résolution de novembre 2023 sur la conception addictive des services en ligne et la protection des
consommateurs du marché unique de l’Union européenne. Dans cette résolution, le Parlement
européen dénonce le système économique par lequel le gain est obtenu, pour des services en ligne,
tels que les médias sociaux, les services de diffusion en continu (streaming), les applications de
rencontres et les boutiques en ligne, par le développement d’« astuces psychologiques » visant à ce
que les consommateurs restent en ligne. Il appelle en conséquence à légiférer pour déployer un haut
niveau de protection des consommateurs, étant entendu qu’il ne peut être attendu des personnes
elles-mêmes, a fortiori des enfants, qu’ils « résistent » à ces mécaniques de captation, ni être attendu
des acteurs économiques qu’ils s’auto-régulent à l’encontre de leurs intérêts privés. Alors que la
Commission européenne s’est engagée à faire une revue du droit de la consommation et des pratiques
déloyales en réponse à ces attentes, il y a là un espace certain pour promouvoir, en appui du Parlement
européen, une législation beaucoup plus protectrice.
Si l’évaluation des interfaces et des mécaniques algorithmiques doit encore progresser, les membres
de la Commission estiment que cela ne doit pas freiner une action forte permettant déjà de mettre un
terme aux éléments de conception les plus délétères, et ce de façon consensuelle dans le monde
académique. La construction, voulue par les réseaux sociaux, d’un environnement de passivité
numérique est plutôt bien comprise des adolescents. Mais, cette prise de conscience peut difficilement
77
à elle seule soutenir une modification des comportements de consommation, compte tenu, de surcroît,
de la sensibilité au système de récompense qui caractérise le cerveau des adolescents.
À titre d’exemple, les mécanismes de « fil déroulement infini », de « lancement automatique et sans
fin » des vidéos, d’hyper notifications posent sans controverse des difficultés sur le plan éthique, en
effaçant tout choix de l’utilisateur et en poussant à une consommation de contenus sans effort ni
engagement actif.
Aussi, une première liste des éléments de conception à interdire, même dans une forme minimale,
paraît accessible, et pourra être complétée régulièrement pour un haut niveau de protection des
consommateurs. A cet égard, des études approfondies devraient être rapidement menées concernant :
- les algorithmes reposant sur un flux addictif c’est-à-dire étant choisi et recommandé pour un
utilisateur spécifique sur la base de son comportement antérieur ;
- les conceptions favorisant l’adoption de comportements compulsifs définis comme toute
réponse stimulée par des facteurs externes qui conduit un individu à adopter un
comportement répétitif susceptible de causer une détresse psychologique, une perte de
contrôle, de l’anxiété ou une dépression, et ce sans limite de temps de connexion ;
- les fonctions d'incitation ou d'engagement, notamment l'exposition aux « likes » et aux
commentaires.
Dans le même mouvement, la Commission recommande de créer les conditions, avec les acteurs
engagés, de l’émergence d’un standard dit « éthique by design ». Certaines plateformes se distinguent
déjà des modèles les plus « irrésistibles » et donc les plus utilisés ; il serait utile d’encourager, à travers
ce cadre de référence, une innovation au service de ces modèles plus éthiques.
Face à l’opacité du fonctionnement des algorithmes des réseaux sociaux et aux impacts délétères qu’ils
peuvent avoir sur les utilisateurs, il convient de redonner à l’utilisateur le pouvoir de choisir, d’agir. Un
moyen d’y parvenir, et de faire émerger des propositions plus éthiques, est de considérer le service
proposé par ces plateformes non pas comme un tout mais comme une somme de fonctionnalités
distinctes (audition du Conseil national du numérique et ses deux dernières publications publiées117 en
ce début d’année dans la poursuite de son rapport sur l’économie de l’attention118). Celles-ci peuvent
alors faire l’objet d’un choix plus étendu de l’utilisateur en fonction de ses intentions, de ses besoins et
de ses capacités y compris techniques. Mais plus encore, chacune de ces fonctionnalités
(recommandation, modération, etc.) peut être fournie par une entité tierce au réseau social
propriétaire. Ce faisant, pour chacune de ces fonctionnalités, peuvent être proposées à l’utilisateur des
alternatives. Chacune d’entre elles devient un terrain de développement à part entière permettant de
faire émerger des innovations au bénéfice de l’utilisateur et possiblement du réseau lui-même, comme
le recommande le Conseil national du numérique. Cette ouverture des réseaux sociaux à des acteurs
tiers, pouvant aller jusqu’au dégroupage du réseau social, implique un encadrement et une régulation
permettant de déterminer les conditions de cette ouverture, qu’il conviendra de définir. Cela implique
également de garantir l’interopérabilité des services et la portabilité des données de l’utilisateur.
117
Conseil national du numérique, Cultiver la richesse des réseaux, 2024 : https://cnnumerique.fr/nos-travaux/cultiver-la-
richesse-des-reseaux – Assurer notre liberté à l’heure de l’Intelligence artificielle, 2024 : https ://cnnumerique.fr/assurer-nos-
libertes-lere-de-lintelligence-artificielle.
118 Conseil national du numérique, Votre attention s’il vous plait !, 2022 : https://cnnumerique.fr/votre-attention-sil-vous-
plait-quels-leviers-face-leconomie-de-lattention.
78
Il est impératif de redonner à l’utilisateur la possibilité de reprendre la main sur son usage des réseaux
sociaux. Dans cette perspective, la Commission recommande d’inscrire une action visant à l’ouverture
et au paramétrage personnalisé des réseaux sociaux, dans le prolongement de la proposition portée
par le Parlement européen en décembre dernier dans sa résolution sur le design addictif119.
Proposition n°2 : Proscrire les pratiques délétères en termes de conception et faire émerger un
standard éthique européen
- Soutenir une action juridique à l’échelle européenne d’interdiction des éléments de conception
de type addictifs ;
- Rendre obligatoire la déclaration par les réseaux de leur nature de messagerie en ligne ou de
média social : en effet, trop de systèmes de messagerie se sont déployés en médias sociaux,
sans information ni consentement des utilisateurs, et ont ainsi rendu accessibles des contenus
extrêmement choquants pour les jeunes (cf. violences mexicaines partout vues par les enfants
sur un réseau de messagerie russe) ;
- Inciter à l’émergence de services plus respectueux des enfants par la mise en œuvre de
l’interopérabilité des réseaux sociaux et en envisageant la possibilité de consacrer leur
dégroupage.
La protection des mineurs (et des adultes avec eux) sur les réseaux sociaux pourrait faire levier pour
une exigence nouvelle en matière de paramétrage susceptible de redonner aux utilisateurs de la
liberté, et donc du pouvoir d’agir, et de décider. A ce titre, la Commission souhaite appuyer la
recommandation, déjà formulée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme120, le
Conseil national du numérique121, envisagée par le Conseil d’Etat122 et en travail au sein du ministère
de l’économie, de reconnaître à l’utilisateur final du réseau social le bénéfice d’un droit de
paramétrage. Celui-ci devrait conduire à imposer aux opérateurs une obligation, à l’ouverture de
l’application, lors des premières actions clés (ajouts de contacts, publications…) ainsi que
ponctuellement de façon aléatoire, de lui présenter un espace réservé au paramétrage des
fonctionnalités (dit « écran d’accueil »). Cet espace devrait être aisément visible et accessible sur
l’interface, compréhensible et dont le design doit être conçu de telle sorte à ne pas décourager
l’utilisateur de procéder à ces choix de paramétrage en le rendant trop complexe ou fastidieux.
119 Parlement européen, Addictive design of online services and consumer protection in the EU single market, 12 décembre
2023 (2023-2042 (INI)).
120 CNCDH, Avis A-2021-9 relatif à la lutte contre la haine en ligne, juil. 2021.
121 Conseil national du numérique, Votre attention s’il vous plait !, 2022.
122 Conseil d’Etat, Etude annuelle 2022, Réseaux sociaux : enjeux et opportunités pour la puissance publique.
79
Il conviendrait également de proposer une modalité de choix permettant de ne pas devoir le réitérer à
chaque connexion, notamment en proposant une commande « faire de cette liste ma valeur par
défaut ». Il permettrait à l’utilisateur, d’une part, d’être informé sur son utilisation du service en termes
de consommation de contenu et de temps d’écran et, d’autre part, de pouvoir paramétrer les types de
contenus qu’il souhaite voir et la manière dont ils lui sont proposés, sans que ces derniers ne lui soient
imposés. Il s’agirait aussi d’offrir la possibilité à l’utilisateur de pouvoir paramétrer le temps passé sur
le service de façon granulaire et d’aménager les plages horaires d’utilisation.
À cette obligation de modification de l’ergonomie des services de réseaux sociaux, devrait s’ajouter une
obligation pour les plateformes de renforcer les paramétrages par défaut visant à protéger la sphère
d’émission et de réception de l’enfant afin de garantir pleinement la protection de sa vie privée, sa
santé et sa sécurité conformément aux exigences posées à l’article 28 du DSA, en particulier pour
contrôler sa sphère de réception et limiter sa sphère d’émission. Pourrait s’ajouter l’obligation de
proposer des options minimales de paramétrages avancés.
De telles pistes de réflexion pourraient être portées au niveau européen en cohérence avec le
règlement DSA. Ce dispositif s’inscrit en continuité de son article 28, rédigé en termes larges, selon
lequel « 1. Les fournisseurs de plateformes en ligne accessibles aux mineurs mettent en place des
mesures appropriées et proportionnées pour garantir un niveau élevé de protection de la vie privée,
de sûreté et de sécurité des mineurs sur leur service ». Elle prolongerait par ailleurs l’obligation fixée
pour les très grands réseaux sociaux de proposer un système de recommandation de contenus non-
fondé sur le profilage (article 38) et de prendre des mesures de remédiation en cas d’identification de
risques systémiques (articles 34 et 35).
Proposition n°3 : Rendre le pouvoir à l’utilisateur par la reconnaissance d’un nouveau « droit au
paramétrage »
- Consacrer dans notre corpus juridique un « droit au paramétrage » pour les utilisateurs des
services numériques ;
80
*
Actuellement en France, 72 % de la population générale et 93% des enfants de 10-17 ans déclarent
jouer au moins occasionnellement au jeu vidéo, cette pratique représente 19 % du temps d’écran des
4-10 ans et 31 % des 14-18 ans (étude SELL à venir). Face à cette généralisation des pratiques et à la
large diversification de l’offre se pose de manière plus prégnante la question de sa régulation,
notamment pour les jeunes dont certains développent des comportements de jeu dits problématiques
pouvant aller jusqu’à l’addiction123.
Précisons que, comme dans tout comportement addictif, il existe généralement chez le joueur
problématique une vulnérabilité. Et les comorbidités psychiatriques sont plus la règle que l’exception.
Le jeu, pour certains, peut masquer cette fragilité et devenir une tentative de réponse inadaptée à leur
trouble comorbide. L’ensemble des pathologies psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent peut être
concerné. Le comportement est en outre parfois associés à des troubles liés à l’environnement familial
de l’adolescent (dysfonctionnements au niveau des relations et des pratiques parentales
notamment). Même si la prévalence de ces troubles reste rare, il est utile d’avoir en tête cette
possibilité afin de repérer, d’agir et de prévoir les mesures d’encadrement de ces activités.
Pour cette régulation, l’approche n’est pas de mettre en cause le principe même du jeu, mais
d’acculturer les jeunes aux bonnes pratiques vidéo-ludiques et de les protéger efficacement face aux
torts qui pourraient être causés par un usage impropre du jeu vidéo (contenu inapproprié,
comportements addictifs) et le développement de nouveaux modèles économiques.
Concernant les contenus, la signalétique PEGI, portée par le secteur lui-même et reconnue par le
législateur français, est recommandée en Europe pour indiquer l’âge en dessous duquel le contenu
n’est pas adapté et pour décrire les contenus problématiques du jeu à l’aide de pictogrammes : sexe,
violence, langage grossier… et plus récemment microtransactions. Mais cette signalétique n’est pas
obligatoire et lorsqu’elle est présente, elle n’est qu’une indication à l’attention des familles, et
n’emporte pas de conséquence automatique. Aussi, nombreux sont les enfants qui jouent à des jeux
qui ne sont pas de leur âge.
La convergence grandissante entre certains jeux vidéo et les jeux d’argent et de hasard, et parfois des
designs trompeurs, la mobilisation en cours de nouvelles technologies comme le métavers, ou encore
le déploiement des jeux en réseaux portent des risques nouveaux en termes de protection des mineurs
qu’il convient de désormais prendre en compte avec volontarisme dans la régulation des usages.
Le développement non régulé depuis plusieurs années de modèles économiques plus agressifs fait que
l’usage de jeux reposant sur ces modèles tend en effet à se rapprocher de celui des jeux d’argent et de
123
Pouvant aller jusqu’à l’addiction. Le « trouble du jeu vidéo sur Internet » (« Internet gaming disorder») a été intégré dans
la dernière Classification Internationale des Maladies et dans le DSM-V. (American Psychiatric APA - Diagnostic and Statistical
Manual of Mental Disorders Fifth Edition Text Revision DSM-5-TR (appi.org). 1% d’usager addicts, ce sont en France environ
380000 joueurs.
81
hasard, et fait craindre un accroissement des risques pour les jeunes les plus vulnérables qui seraient
amenés à réaliser des achats excessifs et compulsifs, comme à développer des comportements
addictifs à l’instar des jeux d’argent et de hasard.
Conjointement à cela, l’intégration d’aléatoire dans les achats en jeu peut aussi contribuer à un
comportement de jeu excessif et un surinvestissement psychologique. Le cas des lootbox (éléments qui
peuvent être achetés en jeu mais qui donnent une récompense aléatoire et une valeur dans le jeu
incertaine) pose question, mais le fait de les considérer comme quelque chose d’associé au jeu d’argent
reste encore controversé, notamment sur la considération de valeur (pour le joueur) de la récompense
obtenue.
Les outils de signalétiques de jeu ont introduit des informations pour indiquer la présence d’achats en
jeu et d’achats incluant des contenus aléatoires mais il manque encore de la transparence sur les
moments où interviennent les lootbox, leurs coûts, la probabilité de gagner, si cela influence le
gameplay ou n’est que purement cosmétique, ou encore si elles peuvent être rachetées.
Les designs trompeurs, la non-transparence des microtransactions présentent un risque pour les
joueurs. Afin de protéger les joueurs mineurs, une régulation adéquate est à construire. Les jeux vidéo
étant des créations artistiques complexes de genres différents (jeux de rôle, jeu de plateforme, jeux de
battle royale, …), déclinées sous plusieurs formes (jeu solo ou à plusieurs, en ligne ou en local, faisant
appel à des compétences ou basé sur la chance, etc.), et aux modèles économiques variés, il est
toutefois difficile d’en donner une définition simple. Pour pouvoir poser une régulation efficace et
capable d’anticiper les développements des différents médias et de leurs usages, il faudrait disposer
d’un outil d’évaluation des dommages potentiels basé sur leurs caractéristiques structurelles.
Cet objectif d’une nouvelle régulation pourrait ainsi s’articuler, aux niveaux national et européen,
autour des principes suivants visant à mieux protéger les jeunes des contenus et comportements
inappropriés en :
- mettant en place des règles d’interdiction de vente en fonction des catégories d’âge, et les faire
respecter (visibilité, lisibilité et contrôle) ; suivant en cela le modèle du Royaume-Uni, la
Commission soutient d’aller jusqu’à une interdiction de vente des jeux aux enfants qui n’ont
pas l’âge requis. Certes, cette interdiction pourrait connaître des limites (présence de fratries
rendant plus difficile la régulation de l’accès aux jeux dans les foyers en fonction des âges,
possibilité d’acheter par l’intermédiaire d’un autre enfant / adulte permettant d’échapper à la
barrière d’âge, etc.), mais il ne fait pas de doute qu’elle produira des effets, et qu’elle enverra
un signal fort aux familles et à la société ;
- organisant une campagne de relais des informations à destination des familles, notamment en
faisant la promotion du dialogue parents-enfants permettant d’établir ensemble les règles
d’usage, et en diffusant largement des guides de bonnes pratiques (Cf. par exemple le projet
« Civisme et jeux vidéo : réinventons les codes » conduit par la DILCRAH).
Si les jeux vidéo sont construits sur une logique d’engagement du joueur, il faut préserver les jeunes
d’une dérive de cet engagement dans certains jeux vers des mécaniques plus délétères de captation
de l’attention et de captation du temps passé à jouer (exemples : pratique de bannissement en cas de
retrait d’un joueur, peerstripping, etc.).
82
Pour parer efficacement à cela :
- élaborer, sous l'égide de la recherche, une grille d’évaluation efficace afin de déterminer les
risques de dommages liés au design et aux modèles économiques ; soutenir la recherche en ce
sens ;
- responsabiliser les grands acteurs de jeu vidéo, dans le même esprit que le DSA, en les
engageant à mener une analyse de risques systémiques concernant leurs utilisateurs mineurs,
et à prendre des mesures de réduction des risques identifiés, en particulier à l’égard des
designs et de leur modèle économique ;
- mieux préserver des risques attachés à la mise en réseau, et en particulier renforcer les
exigences en matière de signalement pour lutter contre la prédation exercée par les réseaux
pédo-criminels sur ces espaces où sont les enfants ;
- organiser une veille spécifique sur les déploiements technologiques à l’œuvre dans l’univers du
jeu, du point de vue de l’intérêt des enfants. A ce titre, il convient d’agir dès à présent sur le
développement du métavers, qui expose les enfants à des univers où peuvent intervenir des
actes traumatisants, comme a pu le souligner le Comité national pilote d’éthique du
numérique. L’Office des mineurs a également interpellé la Commission sur des cas nouveaux
de viols d’avatars de mineurs qui ont cours dans ces univers, avec des effets traumatiques très
importants, a fortiori sur les plus jeunes. La création au sein du Code pénal d’une infraction
dédiée permettrait d’en punir les auteurs.
Cette approche renforcée et adaptée de la régulation ne saurait faire l’impasse sur les besoins
d’accompagnement des jeunes et des familles dans l’univers des jeux vidéo. La Commission
recommande ainsi d’accroître les lieux physiques où les jeunes pourraient être accueillis pour jouer
ensemble et sous la supervision d’un adulte à même de faire de la prévention. Elle appuie également
l’intégration de l’éducation au jeu vidéo à l’école comme dans les lieux de médiation culturelle et
d’informer plus largement sur la connaissance des contenus et écosystèmes. Elle recommande en outre
un effort supplémentaire en termes d’information et d’accompagnement des familles, la
compréhension des jeux des enfants, et le dialogue qui s’en nourrit, étant très important pour ces
derniers.
Proposition n°4 : Renforcer les « garde-fous » dans les jeux vidéo pour sécuriser l’expérience des
jeunes joueurs, et ainsi mieux les protéger des contenus inappropriés et lutter contre le
développement des microtransactions et designs trompeurs
83
Exemples de mesures opérationnelles à déployer :
- Apporter une meilleure protection des mineurs face à des contenus inappropriés en :
o labellisant les films et les jeux vidéo de manière uniforme ;
o mettant en place des règles d’interdiction de vente selon les catégories d’âge, et en
les faisant respecter (visibilité, lisibilité et contrôle) ;
o renforçant les standards de parcours de signalement, pour lutter contre les réseaux
pédocriminels ;
o prenant en compte les évolutions les plus délétères attachées au déploiement du
métavers, et des jeux en réseau ; en particulier en reconnaissant dans la loi une
infraction pour les viols sur des avatars des mineurs, au caractère hautement
traumatique ;
- Promouvoir une nouvelle régulation, à l’échelle nationale et européenne, des
microtransactions présentes dans les jeux et lutter contre les designs trompeurs :
o soutenir la recherche pour l’élaboration d’une grille d’évaluation efficace afin de
déterminer le risque de dommages liés au design et aux modèles économiques ; et
forcer les acteurs à plus de transparence en leur renvoyant, sur le modèle DSA, le soin
d’évaluer et atténuer les risques systémiques pour la santé et la sécurité des mineurs;
o assurer une sanction efficace des designs trompeurs et manipulateurs ;
o promouvoir et soutenir l’élaboration et le respect d’une charte de design éthique ;
o encadrer les microtransactions, avec une attention particulière à l’égard des lootbox
pour en interdire tout usage déloyal , et plafonner le niveau de dépenses possible au
titre d’un jeu vidéo pour réduire la pression à la consommation qui s’exerce sur les
jeunes joueurs (pay to win, pay to skin…) ;
- Mieux rendre visibles ces enjeux auprès des jeunes et des familles, en :
o renforçant l’information des familles par des campagnes ciblées et récurrentes
(signalisation notamment) ;
o renforçant l’accompagnement des jeunes joueurs, par le développement d’une offre
de lieux reconnus comme permettant le jeu ensemble, avec le concours d’adultes et
d’étudiants ;
o renforçant l’éducation au média avec un volet jeu vidéo (diversité de contenu, bonnes
pratiques, écosystème) à l’école comme dans les centres de médiation culturelle.
4.1.2- Créer des « coalitions » avec la recherche et la société civile pour étayer le
dialogue avec les acteurs du numérique et soutenir une stratégie d’action adaptée
Pour armer les ambitions évoquées ci-dessus, et plus globalement la stratégie globale d’action, il est
essentiel de pouvoir progresser sur les données probantes relatives aux « écrans », et dans le même
temps de pouvoir outiller le régulateur et le juge, tant national qu’européen. Le DSA ouvre en ce sens,
comme présenté plus haut, de nouvelles obligations aux grandes plateformes en termes de
transmission de données, tant s’agissant des données dites « publiques » que des données moins
directement accessibles dites « privées ».
Néanmoins, la recherche comme l’action associative « spécialisée » sont aujourd’hui trop fortement
dépendantes des financements du secteur lui-même, ce qui nuit à la pérennité, à l’intensité et à
l’indépendance de l’action.
84
Alors que s’ouvrent les opportunités de confronter les modèles des plateformes, qu’il s’agisse de la
multiplication des enquêtes et procès intentés aux réseaux sociaux à l’échelle européenne et mondiale,
comme des évolutions du cadre juridique en faveur d’un renforcement de la régulation, la Commission
considère essentiel de libérer les énergies complémentaires constituant un soutien incontournable de
l’action de l’Etat. Le concours de ces acteurs apparaît en effet indispensable au renforcement du
pouvoir d’agir du régulateur lui-même.
A ce titre, la loi sanctuarise déjà par exemple le rôle des « signaleurs de confiance », dont la prise en
compte doit être priorisée par les acteurs économiques en application du DSA. On peut toutefois
regretter que cette reconnaissance, et l’exigence d’indépendance qui lui est associée, en cours de mise
en œuvre par l’ARCOM ne se soient pas (encore) accompagnée d’une réflexion sur les conditions
nécessaires à leur action (niveau des moyens requis pour faire face à la demande, modalités de
financement garantissant l’étanchéité de leur action aux acteurs contrôlés eux-mêmes, alors que les
associations sont aujourd’hui largement financées par le secteur privé).
Dans ces circonstances, la Commission considère qu’il y a un enjeu à court terme de pouvoir mobiliser
davantage cette problématique des moyens nationaux à l’échelle européenne, ce que soutient
également le Conseil national du numérique. Le DSA prévoit en effet la contribution des grandes
plateformes au financement des moyens de régulation européens (« frais de supervision »). On peut
évaluer à quelques 45 millions d’euros les sommes attendues chaque année, et certainement bien plus
à l’avenir. À ce stade, seule la Commission européenne est identifiée pour bénéficier de ces montants,
alors même que l’efficacité de son action tiendra à la vigueur des acteurs nationaux et du travail en
réseau avec l’ensemble des acteurs de la société civils actifs sur le plan européen. Le débat doit donc
être posé d’un abondement des forces nationales, publiques et privées, à travers des programmes
européens dédiés, qu’il s’agisse de l’effort de recherche à promouvoir ou du nécessaire soutien des
acteurs associatifs. Ce débat ne semble jusque-là pas avoir été posé, ni par une coalition d’États
membres, ni par la France en particulier. Alors que les modalités de déploiement du DSA sont en cours
de discussion sur différents champs (acte délégué à venir sur l’accès aux données, travaux sur la
vérification d’âge, outillage des travaux d’enquête par la Commission européenne en matière de faits
probants, etc.), la Commission recommande de pousser les feux sur cet enjeu de partage de la
ressource en provenance des acteurs économiques ciblés par le DSA. Au-delà des frais de supervision
prévus par le DSA, la stratégie pourrait utilement aussi englober le produit des amendes, qu’elles soient
notifiées par le régulateur, ou le résultat d’actions devant le juge. Il peut s’agir d’une voie relativement
rapide pour soutenir et sécuriser l’ambition de la stratégie structurelle proposée par la Commission et
à déployer sur le territoire national, dans un contexte français par ailleurs très contraint au niveau des
finances publiques.
En outre, compte tenu des enjeux, la Commission considère qu’il serait utile que l’Etat contribue à
impulser l’’organisation des champs d’intervention prioritaires et des complémentarités à favoriser
entre les acteurs académiques, économiques et associatifs, de façon à maximiser leur impact.
Enfin, la Commission signale que la loi SREN, déjà présentée, prévoit la création d’une « réserve
citoyenne du numérique » ayant pour objet de concourir à la transmission des valeurs de la République,
au respect de l’ordre public et à la lutte contre la haine dans les interfaces numériques ainsi qu’à des
missions d’éducation, d’inclusion et d’amélioration de l’information en ligne. A ce titre, elle a pour
vocation d’accueillir « des volontaires en raison de leurs compétences, de leur expérience ou de leur
intérêt pour les questions relevant du numérique, pour un engagement d’une durée d’un an
renouvelable après accord explicite des parties ». Une telle mobilisation citoyenne pourrait s’avérer
vertueuse sur les sujets de protection de l’enfance, de la jeunesse et des publics les plus exposés aux
risques véhiculés par certains des usages du numérique, à condition toutefois que cette mobilisation
85
soit bien soutenue par l’Etat, animée, accompagnée, nourrie et rendue visible, et que des équipes des
services de l’Etat soient bien expressément désignées pour accompagner ce déploiement. Les
bénéfices de cet engagement au service de l’implication citoyenne pourraient être importants, à la fois
pour assurer un lien démocratique renforcé dans l’ensemble du pays mais aussi impliquer l’ensemble
de la population, assurer une montée en compétence collective et finalement mieux comprendre et
donc protéger.
Proposition n°5 : Sécuriser, structurer et amplifier l’action de la société civile, comme relai
incontournable de gestion des externalités négatives des plateformes
- Mettre en place une réserve citoyenne d’alerte sur les nouveaux usages et les nouvelles
pratiques à prendre en compte de façon réactive et prévoir un accompagnement fort et une
structuration de la part des services de l’Etat ;
- Favoriser les actions collectives et les complémentarités, en aidant à la structuration de l’action
des associations et des ONG ;
- Lever les risques attachés à leur financement et leur pérennité, et tenir compte des besoins
exponentiels auxquels les associations doivent faire face.
Dans la même logique, la Commission estime qu’il est indispensable de soutenir résolument la
recherche indépendante sur l’ensemble des questions posées par le développement du numérique et
par la place croissante qu’il occupe désormais dans notre quotidien, en particulier chez les enfants et
les adolescents.
Un tel soutien paraît indispensable pour disposer des études et des analyses nécessaires à la bonne
connaissance et à la bonne compréhension des phénomènes en cours et de leurs effets. Mais il est
également nécessaire pour mieux comprendre les conditions précises de fonctionnement du secteur
du numérique et pour être en capacité, ce faisant, d’étayer le dialogue des autorités de régulation avec
les grands acteurs du numérique.
Cette recherche doit ainsi pouvoir s’intensifier dans chacune des disciplines dans lesquelles cet essor
du numérique s’accompagne d’interrogations ou de profondes évolutions (santé, éducation, droit,
sociologie…). Mais elle doit aussi être menée dans une perspective véritablement multidisciplinaire
afin de croiser les approches et les analyses.
Pour soutenir cette ambition, la Commission souligne qu’il apparaît nécessaire d’engager des moyens
appropriés. Ces moyens peuvent bien évidemment concerner des aspects de financement. Sur ce
point, la Commission considère qu’une partie des contributions des plateformes versées au titre du
DSA pourrait aider à la structuration d’un programme de recherche, européen en premier lieu, sur,
notamment, les risques systémiques des médias sociaux, que les plateformes doivent désormais
évaluer et atténuer. Au-delà de la question des financements, ces moyens doivent également
concerner la possibilité pour les chercheurs d’accéder, dans le respect des règles fondamentales qui
régissent la communication des données automatisées et personnelles, aux données nécessaires pour
réaliser leurs travaux et fonder leurs analyses.
86
Il y a sur cet aspect de l’accès aux données, un véritable enjeu, ne serait-ce que de mise en œuvre des
dispositions du DSA. Ainsi, l’accès aux données privées des grandes plateformes est indispensable pour
évaluer les processus à l’œuvre, mesurer les impacts d’amplification des algorithmes et les
phénomènes de captologie. À l’échelle de la France, un circuit dédié et connu de remontée des blocages
des plateformes à l’encontre des demandes de données formulées dans le cadre des obligations fixées
par le DSA doit être élaboré sur le modèle, par exemple, de ce qui est fait en Allemagne.
4.2- Axe n°2 : Protéger, plutôt que contrôler, les enfants : une bataille qui doit se mener et
peut se gagner auprès des acteurs économiques
4.2.1 Amplifier l’ambition en matière de protection des mineurs contre les contenus
inappropriés par la mobilisation d’acteurs « tiers » dédiés à cette mission
Concernant la protection des mineurs, les acteurs économiques n’ont cessé de se renvoyer la
responsabilité pendant les auditions, n’y voyant qu’un frein pour le développement de leurs activités
et un centre de coût.
Le mot « contrôle parental » est un terme fourre-tout dans lequel chacun des acteurs économiques
associe quelque chose de différent en fonction de ce qui sert ses objectifs économiques.
Les acteurs économiques proposent du contrôle parental pour entrer dans les familles en rassurant les
parents mais ils n’ont pas forcément de considération pour leur efficacité réelle. Aucune donnée sur
87
l’utilisation de ces solutions n’a pu nous être communiquée, ce qui laisse présager d’une utilisation très
limitée.
Tout miser sur le contrôle parental, ce que l’ensemble des acteurs économiques tend à plébisciter pour
mettre à distance leur propre responsabilité, peut nous leurrer. Cela fait courir le risque d’exonérer les
entreprises de services numériques des exigences et normes de protection qui existent dans tout autre
secteur (exemple : jeux d’argent et de hasard, production télévisuelle, production de jouets, sécurité
routière, etc.).
Concernant leur fonctionnement, ces solutions renvoient la responsabilité aux parents d’aller
paramétrer le contrôle parental sur chacune des plateformes (Youtube, Instagram, TikTok, etc) et
chacun des appareils utilisés par leur enfant, et ils doivent gérer les complexités de compatibilité et les
limites de fonctionnement propres à chacun de ces systèmes de contrôle. Quoi qu’on en dise, les
mécanismes de contrôle parental, qui se déploient sous différentes formes dans toutes les dimensions
de la vie numérique, déportent sur les familles la charge de la gestion de la complexité en l’absence de
systèmes interopérables. Les familles ne sont par ailleurs pas toutes également armées pour traiter
cette complexité.
En outre, ce contrôle parental, lorsqu’il est effectivement déployé sur les appareils, prive souvent les
enfants d’un dialogue plus nourri avec leurs parents, pourtant nécessaire sur leurs usages et leurs
pratiques. Il faut pouvoir dire aux parents qu’ils n’auront pas résolu en quelques clics les enjeux
attachés à la vie numérique de leur enfant et à leur autorité parentale. A fortiori quand nous savons
que les enfants apprennent vite à déjouer les blocages qui leur sont ainsi imposés sur leur propre
appareil.
Les enfants plébiscitent le fait d’être protégés et d’être encadrés, mais pas d’être contrôlés surtout
lorsque leur parent ne leur a même pas indiqué avoir activé l’une de ces solutions sur leur appareil, ni
partagé avec eux les restrictions mises en place, ce qui parait pourtant être un élément essentiel de la
compréhension par l’enfant du cadre dans lequel il peut évoluer.
Cela fait plus de 20 ans que le contrôle parental existe et on ne peut pas dire qu’il a produit ses effets.
Le temps de connexion des enfants ne cesse d’augmenter et leur exposition aux contenus inappropriés
a explosé. La Commission fait le constat que le contrôle parental dans son état actuel n’est pas la
solution, et ne doit en tout état de cause pas occulter la recherche de solutions plus opérantes.
Aussi, en sortant les parents de cette seule injonction à la mise en œuvre du contrôle, on les engage en
réalité à se réengager auprès de leurs enfants.
Enfin, les outils sont principalement développés aujourd’hui par les GAFAM, sans contrôle sur leur
mobilisation et leur efficacité.
Fort de ces constats, la Commission considère que les pouvoirs publics auraient intérêt à ouvrir une
autre voie en faisant le pari de solutions technologiques « éthiques », interopérables, donc non liées à
une seule plateforme ou un seul OS, permettant de supprimer les complexités engendrées par une
protection éclatée par plate-forme ou OS. L’idée serait qu’une seule interface permette de piloter
l’ensemble des protections disponibles pour accompagner et protéger son enfant.
Cette solution permettrait d’aborder la protection des enfants de façon plus transparente pour les
familles et les enfants eux-mêmes.
88
solution gratuite, l’ensemble des données d’usages des enfants, qui peuvent leur permettre de
poursuivre d’autres objectifs que celui de la seule protection.
Par ailleurs, il faut nous concentrer sur la protection des enfants contre les contenus illicites, non pas
en les contraignant mais en les rendant acteurs.
L’accès des mineurs aux contenus illicites est alarmant. Toutes les enquêtes le montrent. Les enfants
et les adolescents, toujours plus jeunes, accèdent à des contenus choquants et traumatisants, qui
dans certains cas pourront avoir des effets durables. Les enfants et les adolescents expriment eux-
mêmes très vivement leur besoin d’être protégés de tels contenus. Cette protection doit être
effective dans tous les domaines, et elle est une des conditions indispensables pour une utilisation
positive du numérique.
Massifier la protection des enfants dans leur vie numérique contre les contenus illicites requiert la
mobilisation de tous : État, collectivités territoriales, acteurs du privé. Il faut en ce sens promouvoir des
solutions proportionnées et efficaces qui préservent l’intérêt de l’enfant, à savoir tant sa protection
contre ces contenus illicites que la protection de sa vie privée et la préservation de sa liberté
d’expression et d’information ainsi que sa liberté de penser et d’opinion.
Cette protection pourrait en outre s’étendre aux réseaux sociaux eux-mêmes, à la condition qu’ils
mettent à disposition de cet écosystème des API ou points d’entrée « vertueux » leur permettant de
savoir lorsqu’un enfant se connecte sur leur plateforme et d’ajuster les contenus accessibles en temps
réel. Au vu du cadre d’exigences fixé par le DSA, et des attendus du côté des réseaux sociaux, nous
pourrions imaginer qu’à la condition d’une impulsion politique, certaines plateformes soient prêtes à
travailler sur cette hypothèse, et créent in fine un effet d’entraînement dans le système. Ce parti pris
de méthode aurait l’intérêt d’une forme de rapidité, et pourrait être testé avant d’engager la voie
juridique d’une obligation de mise à disposition de ces API de protection des enfants en cas d’échec.
Plusieurs freins seraient à lever pour libérer ce marché d’acteurs tiers privés, et il serait utile d’en confier
la résolution à une task force agile associant acteurs publics et privés pour :
- soutenir le modèle économique des acteurs innovants pour renforcer leur liberté d’agir, et
garantir le déploiement systématique des mesures de protection pour les parents, sans coût
supplémentaire pour l’usager ; en veillant à établir un cahier des charges de référence
« éthique » pour autoriser ce soutien ;
- faire émerger des acteurs vertueux, dans le champ des solutions technologiques de protection
comme dans le champ des usages au bénéfice des enfants.
89
Proposition n°7 : Faire émerger et promouvoir des solutions privées de protection plus efficientes et
accessibles, notamment pour les familles
- Encourager l’essor d’un marché de solutions de protection des mineurs éthiques en assurant
l’interopérabilité des systèmes, et en assumant l’ouverture généralisée d’un marché qui tend à
se refermer autour des grands acteurs du numérique ;
- Soutenir l’émergence d’un modèle économique viable, et garantissant l’accès aux familles de
solutions de protection sans charge ni complexité ;
- Renforcer la protection « tous azimuts » :
o Pour les familles :
▪ En cœur de réseau, pour protéger les navigations à partir d’appareils
individuels pour toutes les lignes mobiles lors de la souscription en faveur d’un
mineur déclaré comme tel par les parents ou tiers ;
▪ Faire alliance avec les fournisseurs de box, en lien avec les opérateurs, pour
proposer cette même protection via le Wi-Fi ;
▪ Assurer la communication deux fois par an par les opérateurs télécoms auprès
de leurs abonnés de la disponibilité des solutions de protection des enfants
qu’ils mettent à leur disposition contre les contenus illicites ;
▪ Ouvrir le dispositif d’authentification Edu-Connect, si une voie est possible sur
le plan juridique, pour garantir l’identité des enfants et le recueil du
consentement parental ;
o Pour les établissements scolaires :
▪ Organiser la protection de l’accès à Internet des écoles, collèges et lycées
contre les contenus illicites ;
▪ Assurer la même protection contre les contenus illicites depuis les
équipements individuels mis à la disposition des élèves par les collectivités
locales ;
o Pour les lieux publics :
▪ Organiser, pour les points Wi-Fi publics ou recevant du public, la mise en
application d’une protection par défaut contre les contenus illicites pour les
mineurs ;
o Plus spécifiquement pour les réseaux sociaux et les plateformes :
▪ Engager une action résolue en direction de ces médias sociaux dans l’objectif
de la mise à disposition par ces derniers d’API de protection des enfants.
L’accès aux contenus pornographiques par des mineurs de plus en plus jeunes est certainement un des
éléments les plus critiques de l’expérience numérique des jeunes, compte tenu de tous les éléments
décrits plus haut. Si cet accès est en droit interdit aux moins de 18 ans, seul un processus déclaratif de
l’âge, par nature très imparfait, est aujourd’hui mis en œuvre par lesdits sites pornographiques.
Face à l’accès en ligne aux contenus pornographiques, les pouvoirs publics se retrouvent dans une
position complètement défensive, et subissent les contournements juridiques et les arguments
technologiques du secteur en l’absence de contre-mesures précisément établies. La récente saisine de
la Cour de justice de l’Union européenne par le Conseil d’Etat, sur pression des sites pornographiques,
en atteste : elle vise à vérifier la conformité au droit européen du décret du 7 octobre 2021 confiant au
président de l’ARCOM un pouvoir de mise en demeure et de saisine du juge en matière d’interdiction
90
de diffusion d‘un message à caractère pornographique susceptible d’être vu par un mineur. A
l’obligation de résultat des services numériques eux-mêmes, s’est substituée sous la pression des
acteurs économiques une obligation de définition des moyens technologiques à l’endroit des États.
L’accès à la pornographie constitue certainement le domaine dans lequel l’asymétrie d’information est
la plus forte.
À ce titre, il reste difficile de mesurer la réalité de l’impact à attendre du déploiement du DSA, qui fixe
aux principaux sites pornographiques l’obligation d’évaluer les risques systémiques de leurs services
sur les mineurs et de prendre des mesures d’atténuation ; ainsi que l’impact de la loi pour la
sécurisation de l’espace numérique et du référentiel technique de vérification d’âge actuellement
soumis à consultation par l’ARCOM. Ces évolutions vont dans le bon sens, et il sera important que la
France prenne sa part en appui de la Commission européenne pour tirer bénéfice de la nouvelle
réglementation, et transférer la charge de la vérification d’âge aux sites concernés.
Aussi, la Commission souhaite appeler l’attention des autorités sur le fait que cette lutte contre les sites
pornographiques, si elle doit se poursuivre y compris par la voie de la sanction, ne doit pas obérer la
question qui lui est sous-jacente. Les jeunes aujourd’hui n’accèdent que très peu, voire plus, à des
contenus qui répondent à leurs besoins de découverte et d’éveil à la vie sexuelle et affective. Leur seule
option reste bien souvent la consultation de contenus pornographiques. Il manque ainsi un entre deux,
entre des sites pornographiques très « trash », et l’absence de tout soutien à des questions que se
posent légitimement les jeunes, en particulier à l’adolescence. Il nous faut donc disposer de contre-
mesures informationnelles pour diffuser des contenus différents sur la vie affective, l’amour, la
sexualité et le consentement (cf. plus bas les mesures envisagées sur la question de la vie affective et
sexuelle). Repeupler les bibliothèques de romans, de livres pédagogiques ; mettre des ressources à
disposition des jeunes en ligne, à la télévision, dans les séries, sur des « podcasts » : ce sont autant de
démarches qui doivent aider à sortir de l’hyper consultation de contenus pornographiques pour ne pas
laisser à ces derniers l’exclusivité sur ce terrain.
Proposition n°8 : Soutenir le déploiement ferme du DSA à l’égard des sites pornographiques, pour
forcer à l’adoption des outils de contrôle de l’âge déjà disponibles, et investir dans le même temps
dans la production de ressources adaptées aux questions légitimes des enfants sur leur vie affective
et sexuelle
Alors que les jeunes publics se trouvent captifs de contenus toxiques en ligne, ils n’ont qu’une faible
confiance dans les outils de signalement, quand ils en ont connaissance. Les outils de signalement n’ont
pas suffisamment d’efficacité à ce jour, et ne représentent qu’une part minime de la modération
91
effective des contenus en ligne. Si les clefs d’entrée dans le parcours du signalement se diversifient
(plateformes elles-mêmes, Pharos, justice, associations signaleurs de confiance…), ce qui est favorable
à un renforcement des effets, il est important d’agir à plusieurs endroits pour garantir plus d’efficacité :
l’accessibilité des signalements, en adaptant le langage aux enfants et en facilitant le parcours de
l’utilisateur de façon la plus uniformisée possible pour créer du « réflexe » ; tenir informés les
utilisateurs sur les conséquences du signalement, sans lequel les jeunes risquent fort de se décourager
en considérant vaine la démarche ; le renforcement du partage d’informations entre l’ensemble des
réseaux ; l’application la plus ferme du DSA à l’égard des obligations des plateformes.
Proposition n°9 : Garantir le passage à l’échelle de la politique de signalement pour en faire un levier
important d’action en direction des plateformes
Il ne s’agit pas ici d’avoir une recommandation en direction des seuls enfants, mais de considérer que
les enjeux qui s’attachent tout particulièrement à la préservation de leur santé physique et à la
prévention des maladies chroniques sévères à l’âge adulte, justifient encore plus de faire émerger pour
le secteur numérique des standards et des normes protectrices de la santé humaine.
A ces considérations doivent s’ajouter celles du défi environnemental, dans lequel les services
numériques doivent prendre toute leur place alors qu’ils tirent, de façon distinctive par rapport aux
autres secteurs, une croissance des usages et une consommation dynamique des ressources. Le secteur
numérique a été jusque-là intégré comme une composante des autres secteurs économiques dans la
gouvernance européenne et mondiale de la question écologique. La question doit être posée d’une
approche plus spécifique.
Sur toutes ces problématiques, les travaux sont soit insuffisants, soit trop confidentiels. Il est important
que la recherche et l’innovation soient mises au service de la réduction des risques pour la santé
humaine, et celle des enfants en développement en particulier. A travers l’accompagnement des
comportements « vertueux », à travers l’émergence de nouveaux standards technologiques plus
protecteurs, à travers le renforcement des engagements attachés au référentiel d’écoconception des
services numériques, à travers l’engagement résolu en faveur de la maîtrise du nombre et de la durée
92
des équipements dans les lieux collectifs, et au final d’une approche qui remet le besoin et l’utilité au
centre de l’analyse, quel que soit le lieu de vie (professionnel, scolaire, familial, service public…).
Proposition n°10 : Promouvoir activement les meilleurs standards de protection de la santé physique
et de l’environnement pour les outils technologiques et services numériques
4.3- Axe n°3 : Assumer et organiser une progression des usages des écrans et du numérique
chez les enfants en fonction de leur âge
Au regard des différents constats établis dans les parties qui précèdent, notamment sur les effets avérés
des écrans sur la santé, sur la nécessité de satisfaire les besoins essentiels de développement des
enfants puis des adolescents et de les protéger des dérives et dangers auxquels ils pourraient être
exposés, un consensus s’est dégagé au sein de la Commission sur l’importance d’organiser une véritable
124https://cheminsdetransition.org/les-ressources/defi-numerique/ ;
https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/06/b2be9a22d052f9e36065e4a6ad765c6536942939.pdf
125 7 ans par exemple est la durée de garantie obtenue via le marchés public Matinfo (https://www.matinfo-esr.fr/ecoinfo)
93
progressivité tout au long de l’enfance puis de la jeunesse dans l’usage fait des écrans et dans l’accès
aux contenus qu’ils permettent.
Il s’agit de proposer un certain nombre de règles et d’accompagnements de bon usage des écrans dans
une logique de processus, aussi sécurisé et formateur que possible, adapté au niveau de maturité du
jeune. Cette progressivité vise à accompagner l’enfant, puis l’adolescent, d’une situation dans laquelle
il est, au départ de sa vie, fortement préservé de l’exposition aux écrans à une conquête progressive
de son autonomie dans les usages et en termes d’équipements.
Ce processus proposé par la Commission est jalonné d’étapes à des moments symboliques de la vie du
jeune, de façon à constituer autant de bornes claires devant permettre d’étayer et de soutenir les
parents dans leur nécessaire dialogue avec leurs enfants sur le numérique.
Dans cette perspective, il est ainsi proposé de définir un certain nombre de grands principes permettant
de piloter les pratiques dès la petite enfance et jusqu’à l’adolescence (4.3.1) et de bâtir dans le même
temps un cadre aussi approprié que possible, et cohérent, dans les usages faits des écrans et du
numérique à l’école (4.3.2).
4.3.1- Organiser un accès progressif des jeunes aux écrans et à certains usages
Parmi les différents jalons qu’il est proposé de poser dans la définition du processus d’accès progressif
des jeunes aux écrans et à leurs usages, un consensus net s’est exprimé au sein de la Commission sur
la nécessité de préserver de façon volontariste les plus jeunes enfants de l’exposition aux écrans, avec
une vigilance particulièrement renforcée lors des premières années de la vie.
A l’issue de ces réflexions sur le bénéfice/risque, la Commission propose les principes d’action
suivants :
- renforcer la recommandation en vigueur de ne pas exposer les enfants de moins de 3 ans aux
écrans ;
- déconseiller l’usage des écrans jusqu’à l’âge de 6 ans, ou tout au moins qu'il soit fortement limité,
occasionnel, avec des contenus à qualité éducative et accompagné par un adulte ;
Si l’on tient compte des autres activités considérées comme nécessaires pour favoriser la santé, le
développement et les apprentissages, les activités récréatives sur écran trouvent difficilement leur
place les jours d’école. Elles ne sont pas forcément incontournables les jours de congés, toujours dans
une perspective d’atteindre un équilibre épanouissant avec des activités variées. Rappelons en effet
que l’usage de l’écran n’est pas nécessaire au développement de l’enfant et qu’il existe au contraire des
alternatives stimulantes : lecture mais aussi livres audio et histoires interactives, jeu libre, jeux de
société, jeux de rôles, activités créatives, sportives et artistiques, discussions avec les pairs126.
La Commission se garde, en l’état actuel des connaissances, d’émettre des recommandations en termes
de temps d’écran, car le temps d’écran est une variable très imparfaite pour réguler les activités
126
L'importance de maitriser le temps d'écran des enfants - Dossier (afpa.org).
94
numériques dont les effets s’avèrent souvent « usage-dépendant ». De plus, toujours en l’état actuel
des connaissances, tout seuil serait nécessairement arbitraire et non fondé sur des preuves probantes.
Dans la mesure où les pouvoirs publics décideraient de diffuser des messages de prévention avec des
bornes en lien avec le temps d’écran, la Commission est en faveur de l’abandon de la logique du « temps
maximum par jour », qui délivre insidieusement le message que regarder des écrans tous les jours est
acceptable pour un jeune enfant. La Commission suggère qu’une limite de temps hebdomadaire serait
plus à même de signifier qu’il est acceptable de regarder, de temps en temps, des programmes adaptés
à l’âge de l’enfant, sur des moments balisés et accompagnés par un adulte.
Cela doit donc se traduire, en premier lieu, par des comportements appropriés dès les premiers jours
de l’enfant où le lien qu’il doit construire avec ses parents est essentiel et primordial. De ce point de
vue, la Comission recommande de limiter autant que possible l’usage des téléphones portables dans
les maternités et d’accompagner les parents à un usage aussi modéré que possible des écrans de
télévision dans les chambres en évitant en particulier leur fonctionnement parfois ininterrompu : un
environnement calme est en effet indispensable tant pour le nouveau-né que pour la maman.
La démarche doit être poursuivie au domicile et dans le cercle familial, où les écrans sont déconseillés
jusqu’aux 6 ans de l’enfant, sans exclure quelques usages ciblés et accompagnés autour de contenus
de très bonne qualité (des actions spécifiques, présentées plus bas, en matière de sensibilisation, de
communication et d’accompagnement des parents doivent donc être envisagées pour cela). Il est
précisé que cette recommandation de bonne pratique, formulée déjà depuis longtemps, ne conduit
naturellement pas à condamner quelques usages ponctuels et limités en termes de durée, au cours
desquels l’enfant pourra, par exemple, avoir un échange avec un membre de sa famille par
l’intermédiaire d’un outil numérique avec écran (l’exemple de l’échange avec les grands-parents en
format visio via un écran est souvent revenu dans les auditions et les échanges de la Commission). La
Commission propose par ailleurs d’interdire l’usage des « jouets connectés » destinés aux enfants de
moins de 6 ans à l’exclusion des boites à histoire connectées.
Au-delà de la question de la situation du jeune enfant à son domicile ou dans le cadre familial, l’un des
enjeux essentiels au regard des constats faits sur l’état des pratiques concerne la nécessité de
davantage préserver les jeunes enfants des écrans dans les lieux qui les accueillent en dehors de leur
temps de présence au domicile familial.
Cela vaut tout particulièrement pour les jeunes enfants pris en charge entre 0 et 3 ans, que l’accueil
soit collectif, dans un établissement d’accueil du jeune enfant (EAJE) (crèches y compris parentales,
microcrèches, haltes-garderies, jardins d’enfants…) ou individuel (assistantes maternelles, à leur
domicile ou dans une maison d’assistantes maternelles, gardes au domicile des parents, nourrices…),
enjeu dont se sont saisis les parlementaires. Les écrans doivent être bannis des espaces dédiés aux
enfants au sein de ces lieux d’accueil du jeune enfant (pas d’écrans dans les crèches par exemple, en
dehors bien entendu des bureaux ou services administratifs auxquels les enfants ne sont pas supposés
avoir accès). Dans les situations pour lesquelles les enfants sont pris en charge dans des espaces
équipés d’écrans, par exemple chez les professionnels qui font de l’accueil à domicile, ces écrans ne
doivent pas être utilisés en présence des enfants, que ce soit en simple « fond » ou pour les
« occuper ». La Commission plaide donc en faveur de la mise en place d’actions renforcées auprès des
assistantes maternelles et des « nounous », via les collectivités territoriales127, les caisses d’allocation
127
Des collectivités territoriales, départements et communes, ont d’ores-et-déjà prévu d’inclure la régulation de l’usage des
écrans dans les contrats d’accueil des enfants par une assistante maternelle (la Commission a eu connaissance par exemple,
d’initiatives de ce type dans le département de l’Ain).
95
familiales (CAF) et les services de protection maternelle et infantile (PMI) notamment, pour sensibiliser
davantage encore les professionnels qu’ils ne le sont actuellement sur les dangers des écrans pour les
tout-petits et sur les pratiques vertueuses à adopter en la matière.
Une attention particulière doit en outre être réservée aux usages faits de leurs propres écrans
personnels (téléphones portables essentiellement) par les professionnels de la petite enfance, y
compris dans les EAJE, lorsqu’ils sont au contact du jeune enfant. Ces outils ne doivent pas être utilisés
en présence de l’enfant, tant pour des questions de sécurité (l’usage du téléphone peut mobiliser de
façon excessive l’attention du professionnel et le détourner de son devoir de vigilance vis-à-vis du jeune
enfant) qu’au regard du risque de technoférence évoqué plus haut.
Dans la même logique, lorsque l’enfant grandit et entre à l’école maternelle, il doit demeurer aussi peu
soumis que possible aux écrans. Les écrans de télévision et d’ordinateurs n’ont ainsi pas leur place dans
les salles de classe en maternelle. Le recours à la diffusion de dessins animés à la place des temps de
récréation, par mauvais temps par exemple, ou lors de certains temps de la journée doit être évité.
Quelques exceptions doivent naturellement être possibles dans certaines situations, en particulier celle
des enfants présentant des troubles du neurodéveloppement et pour lesquels, sur recommandation
des professionnels des plateformes de coordination et d’orientation, l’usage d’écrans adaptés et
permettant d’accéder à des contenus appropriés serait requis.
Enfin, comme en matière d’accueil de la petite enfance, et pour les mêmes raisons, l’ensemble du
personnel intervenant au sein de ces établissements (enseignants, ATSEM, agents d’entretien,
intervenants extérieurs…) doit éviter d’utiliser son téléphone personnel en présence des enfants.
Proposition n°11 : Protéger les jeunes enfants de moins de 6 ans de l’exposition aux écrans,
notamment dans les lieux d’accueil (crèches, assistantes maternelles, école maternelle…)
96
Un deuxième jalon important du point de vue de la Commission dans le processus de conquête
progressive par les jeunes de leur autonomie face aux outils et usages numériques et de
renforcement de leur protection face aux menaces auxquelles ils pourraient être exposés concerne la
question de l’accès aux réseaux sociaux.
Comme évoqué dans les développements relatifs aux constats, la situation actuelle n’est absolument
pas satisfaisante. Les jeunes, y compris lorsqu’ils n’ont pas l’âge requis par les réseaux sociaux eux-
mêmes pour accéder à leurs services (13 ans le plus souvent), sont présents en grand nombre sur ces
réseaux ou sur des plateformes ou services de messagerie qui se transforment unilatéralement en
véritables médias sociaux (cf. plus haut). Or, plusieurs de ces acteurs recourent à des mécanismes de
mobilisation de l’attention potentiellement préjudiciables et potentiellement addictogènes, et leurs
contenus sont insuffisamment régulés, conduisant de nombreux jeunes à être régulièrement
confrontés à des images, des vidéos, des informations, des propos ou des situations choquants,
inappropriés et parfois dangereux pour leur propre sécurité.
Le cadre juridique nouveau permis par le DSA, et les mesures de régulation proposées plus haut par la
Commission (axes 1 et 2) si elles sont mises en œuvre, devraient permettre d’améliorer très
sensiblement la situation. Mais, en complément, la Commission estime nécessaire de prévoir un
dispositif garantissant que les jeunes ne puissent plus être exposés aux risques qui ont précédemment
été largement présentés et dénoncés.
Elle recommande donc de définir de nouvelles règles en matière d’inscription des jeunes sur les
réseaux sociaux, compatibles avec la logique de processus qu’elle souhaite faire prévaloir. Pour cela,
elle propose de soumettre désormais la possibilité de s’inscrire sur un réseau social au respect de deux
conditions cumulatives :
- une condition d’âge, comme c’est déjà le cas actuellement sur le principe mais, dans une
logique renforcée : en établissant cet âge à 15 ans (plus de dérogation possible avant 15 ans)
et en se donnant les moyens de faire appliquer le respect de cette condition ;
- une condition liée aux modalités de conception même du réseau social, de fonctionnement de
ses algorithmes, de définition de ses paramétrages. L’idée consisterait ainsi à ce que, pour les
mineurs à partir de 15 ans la possibilité de s’inscrire sur un réseau ou une plateforme soit
limitée aux seuls réseaux considérés comme éthiques car fonctionnant selon des principes
connus et garantissant l’absence de mécanismes addictogènes et enfermants ainsi que de
contenus préjudiciables pour les jeunes.
La Commission considère que, s’il faut accompagner les jeunes dans les besoins qui sont les leurs, en
termes de sociabilisation et d’échanges avec leurs pairs notamment, il est important que cette
expérience puisse avoir lieu de façon sécurisée pour eux. Aussi, la Commission est favorable à une règle
claire et homogène permettant d’autoriser la mobilisation des réseaux sociaux à compter de 15 ans,
mais auprès d’acteurs vertueux, et non de prédateurs.
Sur la première condition, l’âge de 15 ans a été retenu par la Commission car il est cohérent au regard
tout à la fois de l’âge actuel de la majorité sexuelle et de l’âge de la majorité numérique instauré par la
loi « dite Marcangeli » déjà présentée plus haut. Cet âge de 15 ans correspond en outre à une borne
d’âge importante déjà fixée par le RGPD en matière d’échange de données personnelles. Enfin, et ce
n’est pas accessoire, l’âge de 15 ans correspond le plus souvent à l’âge de passage au lycée, qui
représente une étape importante dans l’adolescence et dans le parcours du jeune vers son autonomie
progressive. Au-delà du signal, qui en lui-même pourra produire des effets, l’un des enjeux consistera
97
naturellement à être en mesure de faire respecter cette borne d’âge de 15 ans. De ce point de vue, la
Commission considère que les évolutions en cours, avec la mise en œuvre du DSA ainsi que les mesures
qu’elle propose plus haut dans les axes 1 et 2, devraient permettre de renforcer la possibilité de faire
respecter cet âge minimal.
Elle relève néanmoins que, à compter de cet âge, il s’agit de protéger les mineurs non pas de l’ensemble
des réseaux sociaux mais bien plus spécifiquement de certains contenus, fonctionnalités, modèles et
environnements que l’on pourra qualifier généralement de toxiques128, dans le prolongement des
dispositions du règlement sur les services numériques (DSA) visant à protéger les mineurs en ligne vis-
à-vis de certains comportements identifiés comme nuisibles (articles 28, 34 et 35).
La question est alors avant tout de savoir comment identifier les services, environnements, activités les
plus toxiques pour les mineurs pour ensuite imposer un contrôle strict de l’âge, outre les mesures
pouvant être adoptées dans le cadre de la mise en œuvre du contrôle des risques systémiques au titre
des articles 34 et 35 du DSA, étant précisé que les mesures de contrôle de l’âge devraient répondre aux
exigences du contrôle de proportionnalité et donc être les plus à mêmes de répondre à l’objectif visé
tout en portant le moins d’atteintes aux droits et libertés en présence.
Compte tenu de l’arrêt du 9 novembre 2023 de la Cour de justice de l’Union européenne129, les Etats
ne peuvent imposer d’obligations supplémentaires conformément à l’article 3 de la directive 2000/31
dite “eCommerce” qu’à la condition que ces obligations ne recouvrent pas des catégories entières
d’acteurs mais seulement des acteurs nommément désignés. Ainsi, il devrait revenir aux autorités
étatiques d’identifier les réseaux sociaux qui devraient être soumis à une obligation de contrôle strict
de non accessibilité. En France, ce rôle pourrait être confié à l’ARCOM, sous le contrôle du juge.
Un faisceau d’indices pourrait être défini à cette fin et composé par exemple de comportements
suivants :
- nuire aux enfants de manière générale ;
- conduire à ce que les enfants subissent ou soient la cible de contacts préjudiciables sans
activer par défaut le paramétrage de sécurité quant à la sphère d’émission et de réception ;
- soumettre les enfants à des comportements préjudiciables sans recours efficace ;
- exposer les enfants à l'exploitation par des contacts préjudiciables ;
- collecter des informations personnelles sensibles ;
- nuire aux enfants par ses systèmes de publicité ;
- nuire aux enfants par ses algorithmes, en particulier ceux reposant sur des flux addictifs (ie
étant choisi et recommandé pour un utilisateur spécifique sur la base de son comportement
antérieur) ;
128
Sur cette nécessité de cibler des environnements, fonctions et modèles en particulier et non pas des catégories générales
de services, voir le rapport du Conseil national du numérique sur l’économie de l’attention.
129
CJUE 9 novembre 2023, Google Ireland e.a., C-376/22.
98
- porter atteinte aux enfants par des fonctions d'incitation ou d'engagement, notamment
l'exposition aux likes et aux commentaires ;
- conduire à l’adoption de comportements compulsifs et sans limite de temps.
Plus largement, la Commission recommande qu’une démarche de convergence soit initiée au niveau
européen, sous l’égide de la France et de tous les Etats membres qui souhaiteraient s’associer, pour
que le respect de ce dispositif à deux conditions devienne la règle pour l’inscription des jeunes sur les
réseaux sociaux dans l’ensemble de l’Union européenne.
La Commission insiste enfin sur l’importance qu’il y aurait à ses yeux à ce que les jeunes de moins de
15 ans, encore trop jeunes donc pour accéder aux réseaux sociaux, puissent toutefois autant que
possible bénéficier d’un accompagnement préalable et de moments de « préparation » à leur future
rencontre avec les réseaux sociaux à la hauteur des enjeux afin de ne pas arriver complètement
démunis à l’âge de la majorité numérique. Cela devra être construit et proposé dans le cadre,
notamment, des mesures envisagées en termes de formation, de sensibilisation et de préparation des
jeunes au numérique (voir plus bas les mesures sur cet aspect dans l’axe 4).
Proposition n°12 : Autoriser l'accès aux seuls réseaux sociaux éthiques à compter de 15 ans
Enfin, dans cette logique de processus conduisant à une évolution progressive des usages du
numérique et des équipements numériques en fonction de l’âge, la Commission s’est également
penchée sur la question de l’équipement des jeunes en téléphones portables, et en smartphones en
particulier, dont on a pu voir qu’ils cristallisaient une grande partie des enjeux et des réflexions en
matière d’écrans. Si l’identification de bornes d’âge est nécessairement un choix imparfait face à des
risques et des incertitudes, elle semble essentielle à la Commission, y compris pour répondre à la
demande des parents qui cherchent parfois à être étayés dans leur décision face à leurs enfants.
De ce point de vue, la Commission considère que l’équipement des enfants de moins de 11 ans en
téléphones, et a fortiori en smartphones, doit être vivement déconseillé. Un tel outil possédé avant
l’âge de 11 ans expose en effet trop fortement les enfants aux différents risques sanitaires évoqués plus
99
haut, à un âge où ils sont tout particulièrement vulnérables, qu’il s’agisse par exemple des risques de
myopie, d’exposition à la lumière bleue, de troubles du sommeil ou encore des risques de sédentarité.
Elle les expose en outre, lorsque le téléphone permet un accès Internet, à des usages et des contenus
choquants, pouvant créer des difficultés durables.
Une première étape est envisageable à l’âge de 11 ans. Cet âge correspond à une étape importante
dans la vie du jeune qui sort progressivement de l’enfance et prépare son entrée dans l’adolescence.
C’est l’âge à partir duquel, le plus souvent, il fait son entrée au collège. Le lien avec les parents évolue
et le jeune commence à entrer dans un cycle de vie dans lequel il sera un peu plus autonome.
L’éloignement du collège du domicile familial, l’usage des transports sans accompagnement des
parents ou encore le début de certaines activités en autonomie (loisirs extérieurs ou activités sportives
par exemple) peuvent justifier un besoin souvent plus important de pouvoir joindre ou être joint ses
parents, ses éducateurs, voire ses amis. Pour l’ensemble de ces raisons, il paraît cohérent de proposer
que le cap des 11 ans s’accompagne de la possibilité pour les jeunes de disposer de leur premier
téléphone. Ce téléphone doit cependant être limité à la seule possibilité de téléphoner et d’envoyer de
messages, avec des forfaits limités, mais pas encore de pouvoir aller sur Internet de façon autonome.
La Commission recommande donc de privilégier plutôt des téléphones « briques » ou « à clapet » à cet
âge. Elle considère que les acteurs du numérique ont un rôle essentiel à jouer en termes d’offre en
appareils adaptés et de forfaits limités aux communications téléphoniques et aux textos, et ce faisant
moins chers. Un marché existe et la mise en œuvre de cette recommandation devrait le renforcer. Un
soutien politique fort est nécessaire pour accompagner les acteurs du monde économique à investir
ce marché.
La question de savoir à compter de quel âge il convient de lever les freins à l’acquisition d’un premier
smartphone a été largement discutée au sein de la Commission. En l’état actuel de la situation, de la
difficulté à protéger les jeunes des contenus addictogènes et toxiques, et des enjeux de santé
somatique (notamment visuelle), la borne de 15 ans pour accéder à un smartphone pourrait être
défendue ; elle a en outre la cohérence d’être conforme à la majorité numérique et au RGPD qui ouvre
la possibilité de partager ses données personnelles sans consentement parental à cet âge ; d’être
cohérente avec l’étape symbolique de l’entrée au lycée alors que les portables ne peuvent être utilisés
au collège ; et permettrait enfin de faire fortement baisser la pression sociale sur l’acquisition du
téléphone, attentes qu’ont pu exprimer certains collectifs et acteurs de la société civile.
Mais, dans le même temps, à 13 ans déjà, les enfants sont pleinement entrés dans l’adolescence, ont
encore progressé en autonomie. Leurs activités en dehors du foyer sont plus nombreuses et s’ils ont
toujours besoin naturellement de l’appui et de l’accompagnement de leurs parents, la place des pairs
et de l’information qu’ils peuvent obtenir par eux-mêmes prennent une part plus importante. Et
certains défendent à ce titre que cet âge puisse être considéré, sous réserve que l’étape du téléphone
connecté soit fortement préparée avec les enfants.
À l’issue de sa réflexion, la Commission a considéré que, sans inciter pour autant à un équipement dès
l’âge de 13 ans, il pouvait être considéré comme possible d’équiper les jeunes de téléphones avec
Internet à partir de 13 ans, à la condition que l’accès aux réseaux sociaux et aux contenus illégaux ne
leur soit pas permis.
Ces bornes d’âge mériteront d’être régulièrement réévaluées pour tout à la fois qualifier les
améliorations effectivement acquises dans la protection des mineurs, et tirer bénéfice des dernières
avancées de la science.
100
Proposition n°13 : Organiser une prise en main progressive des téléphones :
4.3.2- Avoir une stratégie cohérente, maîtrisée et évaluée sur la place du numérique à
l’école
La question de la place des écrans et du numérique à l’école, sur le temps scolaire comme en dehors
du temps scolaire, est un sujet qui a constitué un point de débat important au sein de la Commission.
Cette dernière a en effet été animée par les mêmes interrogations et les mêmes débats que ceux qui
peuvent traverser l’ensemble de la société sur le sujet.
Les enjeux de santé et d’environnement plaident pour une limitation de l’usage des écrans (en
particulier individuels) dans les établissements scolaires, ainsi que pour une limitation des usages
induits à la maison, y compris en tenant compte des risques attachés aux difficultés d’accompagnement
des parents et aux possibilités de contournement des usages.
Face à ces enjeux, il y a ceux, aussi stratégiques et prégnants, de l’indispensable formation aux usages
numériques des élèves, de façon progressive au cours de leurs apprentissages, ainsi qu’au déploiement
d’usages qui peuvent accompagner le geste pédagogique dans des hauts standards de qualité,
associant la formation des professeurs et la prise en compte du contexte scolaire.
Il ne s’est ainsi pas dégagé de consensus général au sein de la Commission sur ce que doit être le niveau
idéal de mobilisation de l’outil numérique en termes d’équipement et d’usages pédagogiques. La
Commission recommande ainsi que le sujet de l’éducation au et par numérique puisse faire l’objet
d’une meilleure appropriation par la société dans son ensemble et les pouvoirs publics.
Ce débat étant posé, la Commission a souhaité mettre en avant son accord sur le principe selon lequel
il est absolument nécessaire de retrouver une maîtrise des écrans et du numérique proposé aux
enfants, en termes d’équipement et en matière pédagogique. Cela lui permet de présenter, dans les
développements qui suivent, quatre propositions fortes, pleinement consensuelles entre les membres,
101
et ayant permis de rassembler l’ensemble de la Commission au-delà des divergences évoquées plus
haut.
Plusieurs principes ont guidé la réflexion de la Commission sur la place des écrans à l’école et l’ont
conduite à la formulation de ses recommandations ; parmi ces principes, il convient de signaler
prioritairement :
- le fait que le numérique ne doit pas rester un « impensé », ni être envisagé sous le seul prisme
du déploiement technologique. Les enjeux de santé, d’égalité des chances, de pédagogie
doivent être considérés pour construire un cadre de référence structuré et partagé entre tous
les acteurs de l’école : communautés éducatives, parents d’élèves, élèves, collectivités
territoriales et administrations, dans l’intérêt des enfants eux-mêmes ;
- la stratégie déployée dans les écoles doit être cohérente avec les messages adressés par
ailleurs aux parents sur les usages à faire prévaloir dans le cercle privé des écrans et du
numérique afin d’éviter les confusions qui créent de l’inefficacité, et pour renforcer les parents
dans leur dialogue avec les enfants ;
- les enfants doivent dans tous les cas être accompagnés dans leur usages du numérique et
formés de façon à leur permettre de développer un esprit critique suffisant et de disposer de
la compréhension et du recul nécessaires par rapport à l’outil et aux possibilités qu’il offre.
Une fois ces principes posés, la Commission a tout d’abord considéré qu’il importait de repréciser le
cadre dans lequel la politique d’équipement de l’école en matériels numériques doit être définie.
En effet, comme cela a pu être constaté plus haut, le partage des compétences entre acteurs (Etat,
collectivités territoriales, établissements…) conduit à des politiques en matière d’équipements des
établissements en matériels numériques insuffisamment coordonnées, trop peu reliées aux projets et
aux usages pédagogiques qui devraient en être pourtant le fait générateur, parfois insuffisamment
accompagnées en termes de formation de leurs utilisateurs (enseignants sou élèves) et coûteuses pour
les deniers publics quand elles ne sont pas reliées à un besoin avéré et à des usages réels, comme à
une formation.
La Commission propose ainsi d’organiser une véritable remise à plat des principes devant guider les
initiatives de l’ensemble des acteurs en matière d’équipement numérique à l’école afin que chaque
écran qui rentre à l’école soit associé à des finalités pédagogiques identifiées, soit proportionné aux
besoins et soit accompagné de l’information et de la formation nécessaires à son utilisation. Dans le
même temps, il importe que les besoins réels puissent être satisfaits et que le niveau d’équipement
soit calibré en conséquence et avec des ressources pédagogiques de qualité, à la hauteur des enjeux.
Un ensemble de principes généraux peut d’ores-et-déjà être évoqué concernant la stratégie globale à
redéfinir en matière d’équipement donc, en particulier le fait que cette stratégie doit être soucieuse
des impératifs sanitaires (la politique de déploiement des écrans en milieu scolaire doit être définie en
tenant compte des enjeux en termes de santé), de pédagogie et d’éducation (les écrans et appareils
numériques associés à l’école doivent correspondre à une finalité pédagogique), mais aussi en termes
d’environnement (prise en compte de l’impact environnemental) et même de deniers publics (utilité
réelle de l’outil et du matériel déployé par rapport aux coûts engagés).
102
La Commission insiste sur le fait que, dans tous les cas, le déploiement des équipements doit s’effectuer
en lien et dans le cadre d’un projet d’établissement, éducatif et pédagogique, construit, et partagé avec
les parents.
Sur un volet plus opérationnel, s’il n’appartient pas à la Commission de rentrer dans le détail de ce que
devrait être la future stratégie d’équipement, elle propose toutefois que celle-ci soit bâtie en respectant
les considérations suivantes, cohérentes par rapport aux usages par âge des écrans que la Commission
entend promouvoir :
- pas d’écran à l’école maternelle, en classe comme sur le temps périscolaire, ni pour un usage
occupationnel sur les temps de pause, sauf situations particulières (accompagnement des
enfants à besoins particuliers par exemple) ;
- pas d’équipements individuels confiés aux enfants à l’école élémentaire et éviter les écrans
« ludiques » (diffusion de dessins animés par exemple) sur le temps périscolaire ;
- la garantie d’accès, dès que nécessaire, aux équipements et aux matériels appropriés pour les
enfants à besoins particuliers (enfants « dys », enfants malades…), sans errance et sans délai
pour les familles.
La Commission relève au passage que cette stratégie devra aussi clarifier la place des TNI, à l’école
élémentaire notamment, dont les effets sur la santé, visuelle en particulier, des enfants situés à
proximité devraient impérativement être évalués, de même que l’analyse de leur cycle de vie sur le
volet environnemental.
Proposition n°14 : Définir et piloter une politique d’équipements numériques respectueuse des
enfants, et réconciliant les enjeux de santé, de pédagogie, d’éducation et d’environnement
- Fixer un cadre partagé entre l’Etat et les collectivités territoriales sur le déploiement des
équipements individuels et collectifs, ainsi que concernant les standards exigés des matériels,
dans les établissements scolaires et sur le temps périscolaire. Associer à ce travail les
fédérations de parents d’élèves. Cette politique devra être pilotée sur la base de principes
communs et partagés (dont ceux présentés plus haut) ;
- Encadrer le déploiement du numérique pédagogique et éducatif à l’école au service des
enfants :
o fixer un cadre strict d’évaluation de tout nouvel outil ayant vocation à être largement
diffusé ;
o former systématiquement la communauté éducative à l’utilisation de tout nouvel outil.
Au-delà de la question des écrans comme outils, la Commission s’est également intéressée aux
contenus numériques éducatifs et pédagogiques proposés, à l’école notamment.
103
Le constat s’agissant des contenus proposés par les différents programmes et ressources numériques
éducatifs est proche de celui fait précédemment pour les équipements en matériels. Beaucoup de
choses peuvent être déployées, alors même que le cadre et la stratégie qui devaient guider ce
déploiement ont été insuffisamment définis, voire n’ont pas été définis, en amont. En outre, l’apport,
et la plus-value de ces programmes et ressources numériques sont bien souvent insuffisamment
analysés et portés par les décideurs publics.
La Commission propose de labeliser les solutions numériques éducatives ayant validé scientifiquement
leur impact positif sur les apprentissages et de les mettre à disposition des enseignants via une
interface dédiée et sécurisée.
Une fois que le choix de la diffusion à large échelle, voire la généralisation d’une ressource numérique
est faite, il importe, probablement plus encore que pour les matériels, d’assurer un accompagnement
et une formation adaptée des enseignants afin que ceux-ci puissent parfaitement s’approprier la
ressource, en évaluer l’intérêt pour leur propre pratique et en tirer le meilleur bénéfice au service de
leurs élèves.
Enfin, il est précisé que, comme pour les matériels, l’accès des élèves « à besoin particuliers » (enfants
« dys ») ou éloignés de l’école aux ressources nécessaires à leur meilleur accompagnement est
indispensable. De même, les impératifs de continuité pédagogique (pour faire face par exemple à un
épisode du type crise sanitaire) rendent nécessaires de pouvoir disposer en toutes circonstances de
ressources de qualité, aisément utilisables et pleinement maîtrisées.
- Engager un état des lieux précis de la place du numérique dans la stratégie pédagogique et
éducative actuelle ;
- Réaliser des études d’impact systématiques permettant d’analyser au cas par cas l’apport
pédagogique et éducatif réel des ressources numériques pédagogiques et éducatives avant
leur généralisation en particulier ;
- Garantir l’accès aux contenus numériques éducatifs appropriés aux « enfants à besoins
particuliers » ;
- Garantir la continuité pédagogique par la mobilisation et la disponibilité de ressources
numériques adaptées ;
104
- Créer un label permettant de distinguer les solutions numériques éducatives qui ont fait la
preuve de leur impact positif sur les apprentissages.
La Commission considère par ailleurs qu’un cadre précis doit être proposé concernant l’utilisation des
ENT et de « Pronote ».
Les ENT sont désormais largement déployés même si les usages peuvent être variables selon les
établissements et, en leur sein, selon les enseignants, ainsi que dans les familles. Conçus pour
accompagner de façon dématérialisée tout un ensemble de services, ils sont devenus un outil du
quotidien pour une grande majorité des acteurs de l’école.
Or, certains des usages peuvent poser problème, comme cela a déjà été signalé plus haut, avec parfois
une injonction paradoxale qui conduit les jeunes élèves à passer du temps sur les ENT ou à les consulter
à des heures indues alors même que, dans le même temps, il leur est demandé de modérer leurs usages
des écrans.
Du point de vue de la Commission, il convient ainsi de davantage encadrer l’usage fait des ENT et de
prévoir des paramétrages protecteurs pour les jeunes.
Parmi les règles susceptibles de venir constituer un cadre d’ensemble sur l’usage fait de l’ENT, la
Commission recommande en premier lieu de ne plus utiliser l’ENT pour les enfants du primaire. Cela
n’empêche pas les échanges entre parents et enseignants, mais les élèves ne doivent pas avoir à utiliser
l’ENT lorsqu’ils sont en élémentaire en particulier.
- un paramétrage systématique des accès des enfants de façon à ce qu’une coupure des mises à
jour et des notifications qui leur sont adressées soit réalisée à partir de 19h00, avec une reprise
le lendemain matin à partir de 7h30. Cela permettra de « sanctuariser » un espace de temps
durant lequel l’élève est préservé de l’arrivée (et de l’attente) de toute nouvelle information et
bénéficie ainsi d’un véritable droit à la déconnexion. Les saisies restent en revanche bien
possibles à tout moment pour le corps professoral, de même que l’envoi éventuel
d’informations aux parents ;
- que les notes ne puissent plus être vues par les parents avant que les enfants aient été
prioritairement informés en classe de leur résultat. Cela permettrait de rétablir un cadre plus
serein pour les élèves, et un mode de fonctionnement plus souhaitable éthiquement,
consistant à ce que le principal intéressé soit informé en premier des éléments le concernant.
Plus largement, il est apparu important que les familles puissent être davantage informées de ce que
sont les ENT, de leur fonctionnement et de leurs usages. Une heure de formation en début d’année
répondrait à un véritable besoin et pourrait ainsi leur être proposée de façon systématique pour une
séance « prise en main de l’outil », avec possibilité en parallèle d’accéder à tout moment à une
formation en ligne. Le message selon lequel il n’est pas nécessaire de doter son enfant d’un terminal
numérique individuel pour accéder à l’ENT pourrait être diffusé à cette occasion puis régulièrement
ensuite.
105
Proposition n°16 : Fixer un cadre strict d’utilisation pour « Pronote » et les ENT avec mise en place
de paramétrages par défaut protecteurs des enfants
- Ne pas développer d’ENT pour les enfants de primaire (usage réservé aux parents ou par les
parents) ;
- Au-delà du primaire :
o paramétrer les ENT de façon à organiser une coupure des mises à jour/notifications
après 19h00 avec reprise à 7h30 le lendemain matin et évitant la réception de
notifications durant les congés scolaires ;
o garantir qu’il n’y aura pas de notes diffusées aux parents sur l’ENT avant information
de l’élève en classe ;
- Organiser une communication régulière des établissements en direction des parents sur les
ENT et sur le fait qu’il n’y a pas besoin d’équiper les enfants en équipements individuels pour
avoir accès à l’ENT ;
- Systématiser, en début d’année de préférence, une heure de formation « prise en main » des
parents aux ENT et prévoir en parallèle le renvoi vers une formation en ligne.
Enfin, la Commission s’est intéressée à la place du téléphone portable dans les établissements
scolaires, plus précisément au collège et au lycée.
Compte tenu des éléments qui lui sont remontés lors de ses travaux et lors des auditions, en particulier
avec les acteurs du monde scolaire (administrations, chefs d’établissements, représentants des
enseignants, représentants des parents d’élèves…), la Commission considère que, dans l’ensemble,
l’interdiction du téléphone portable au collège est respectée et ne présente pas de difficultés majeures.
Certaines situations localisées ou ponctuelles de moindre respect ou de tensions peuvent néanmoins
perdurer.
Il est donc proposé de chercher à renforcer encore l’effectivité de la mesure d’interdiction lorsque cela
est nécessaire en l’accompagnant du déploiement d’outils complémentaires par rapport à ceux qui
existent déjà. Une « boite à outils » à destination des responsables d’établissement pourrait ainsi être
conçue, comprenant :
- la présentation d’un panel d’outils mobilisables, inspirés notamment des pratiques de certains
établissements, pouvant aller de mesures « souples » (rituel d’extinction du téléphone en
début de journée) à la mise en place de mesures plus contraignantes (de type mise en place
dans un établissement donné de « boites à portables » ou de casiers sécurisés à l’entrée des
collèges dans lesquels les élèves devraient laisser leur téléphone). Les responsables de collèges
auraient la pleine liberté, s’ils l’estiment nécessaire, de puiser dans cette « boîte à outils » pour
envisager, après concertation avec les personnels éducatifs et les parents d’élèves de
l’établissement, voire les élèves eux-mêmes, la mise en place dans leur établissement de
certaines des mesures proposées ;
- des actions concrètes visant à réduire les incitations à la consultation du téléphone en classe.
À ce titre, deux des motifs principaux de consultation du téléphone en classe étant les
messages envoyés par les parents eux-mêmes à leurs enfants pendant le temps scolaire et le
fait de pouvoir consulter l’heure pour les élèves pourraient être limités en :
106
o faisant signer une charte à tous les parents leur rappelant la règle d’interdiction des
téléphones portables dans l’établissement, présentant les bonnes pratiques
recommandées, voire le cas échéant les règles propres à l’établissement, et leur
demandant de s’engager à ne pas envoyer de messages en journée aux collégiens ;
o remettre des horloges dans toutes les salles de classe pour renseigner les enfants sur
l’heure.
En revanche, la Commission estime intéressant, et utile, que puissent être proposée dans les lycées la
définition d’une stratégie partagée sur la place et l’usage des téléphones. Elle suggère pour cela que
soient prévus, par exemple :
- la définition d’espaces « sans portables » (en plus des salles de cours) à déterminer en lien et
autour du projet d’établissement, et en accord avec le Conseil de la vie lycéenne (CVL) ;
107
4.4- Axe n°4 : Préparer sérieusement les jeunes à leur autonomie sur les écrans, leur donner
le pouvoir d’agir et, dans le même temps, redonner toute leur place aux enfants et aux
jeunes dans la vie collective
Remettre les jeunes au centre des préoccupations de la société, leur permettre de réaliser au mieux
leur parcours progressif vers la conquête de l’autonomie, les libérer de certaines des entraves qui les
lient actuellement dans leur rapport aux écrans, les responsabiliser et leur rendre la perspective d’une
maîtrise aussi aboutie que possible des outils numériques en remettant ces derniers à leur juste place
constituent des priorités du point de vue de la Commission.
Pour cela, plusieurs séries d’actions doivent être menées de front. La première consiste à éduquer et à
former les jeunes au numérique en les accompagnant résolument, à l’école mais plus généralement
aussi dans tous les espaces qui les accueillent et par l’intermédiaire de différents relais, dans leur
découverte et leur apprentissage de l’outil, de ses usages, de ses atouts mais aussi de ses risques
(4.4.1). La deuxième a pour objectif de leur proposer des réponses appropriées à leurs besoins avec le
déploiement volontariste et systématique de « contre-mesures » permettant de compenser ou de
limiter certains des effets des écrans (4.4.2). La troisième a trait aux mesures alternatives aux écrans
susceptibles d’être proposées aux jeunes et, plus généralement, à rendre toute leur visibilité et toute
leur place aux enfants et aux jeunes dans la société (4.4.3).
4.4.1- Éduquer et former les jeunes au numérique et les accompagner dans leur
découverte et leur apprentissage des usages
L’action en matière d’information et de formation des jeunes sur le numérique doit être menée à
l’école (4.4.1.1.) mais aussi, plus largement, en-dehors de l’école (4.4.1.2).
4.4.1.1- Les élèves doivent être mieux sensibilisés et formés au numérique tout
au long de leur scolarité
L’école doit permettre de préparer les jeunes à grandir, à travailler, à maitriser la grammaire du monde
numérique et à s’approprier les connaissances et les compétences techniques indispensables de
« littératie numérique » : savoir utiliser un ordinateur, disposer des compétences basiques en
traitement de texte, savoir apprendre et faire des recherches sur Internet, savoir réaliser les actions les
plus courantes utiles tant pour la vie personnelle que dans un univers professionnel, connaître les
rudiments du codage et désormais maitriser le « prompt », c’est-à-dire l’expression d’une commande
à une intelligence artificielle générative….. La formation au numérique doit ainsi irriguer l’ensemble du
parcours scolaire de l’élémentaire au lycée, adossée à un solide corpus scientifique et humaniste.
108
Les évolutions récentes (refonte des programmes d’éducation morale et civique, renforcement de
l’éducation au media et à l’information130, introduction d’une spécialité numérique et sciences
informatiques (NSI) au lycée, développement de l’apprentissage du code et déploiement de la
certification numérique PIX) sont, en ce sens, à citer et à saluer. Ces évolutions doivent néanmoins être
pensées et intégrées à un continuum ambitieux, moins fragmenté et cohérent, de l’usage pédagogique
proportionné et raisonné du numérique, à la maîtrise et à la connaissance progressive du numérique
comme environnement et medium, et ce de l’élémentaire au lycée.
De ce point de vue, il convient de souligner que la formation et la bonne maîtrise de l’outil numérique
par la jeunesse de notre pays représentent en outre un véritable enjeu de souveraineté et de
compétitivité nationale à l’heure où le numérique occupe une place cardinale dans l’économie et où
les géants économiques qui dominent le secteur du numérique sont très majoritairement originaires
de grandes puissances extérieures à l’Europe et où le développement accéléré des intelligences
artificielles génératives marque une nouvelle révolution technologique.
Mais, au-delà de l’acquisition de compétences techniques, l’école est aussi l’un des lieux essentiels au
sein desquels la sensibilisation et l’éducation au numérique, à ses enjeux et à sa culture doivent être
proposées pour accompagner au mieux les jeunes dans la pleine maîtrise de l’outil et dans leur
processus de construction d’un esprit critique, libre et distancié vis-à-vis de la technologie et des
contenus auxquels les écrans permettent d’accéder.
- garantir une continuité dans ces apprentissages, plutôt que des séquences ponctuelles
fragmentées et inégalement déployées selon les territoires ;
- enrichir très largement et consolider, en lien avec les apports de la recherche, le contenu de la
formation au numérique à l’école pour en aborder tous les aspects utiles aux jeunes et à la
conquête d’une autonomie sécurisée. En particulier, il apparaît utile que l’école puisse donner
aux enfants les principales clés sur :
o le fonctionnement du cerveau face aux écrans, et les biais cognitifs qui peuvent
survenir afin de lui permettre de comprendre ses propres émotions et réactions ;
o les enjeux attachés à la santé (sensibilisation aux risques sanitaires, renforcés en cas
d’usages excessifs) et aux enjeux environnementaux en lien avec le numérique ;
130
De nouveaux programmes ont été publiés en janvier 2024 par le conseil supérieur des programmes du Ministère de
l’Education nationale. Ils prévoient un renforcement horaire de l’enseignement de l’EMI au sein des programmes
d’enseignement moral et civique, et encouragent une approche interdisciplinaire, du cours préparatoire au lycée.
109
o le modèle économique du secteur numérique et une connaissance des principes de
conception et les ressorts de certains réseaux sociaux, des algorithmes, des jeux vidéo,
des systèmes d’intelligence artificielle ;
o les droits et devoirs dans la vie numérique afin que les jeunes aient bien conscience
que l’espace numérique n’est pas une zone de non-droit et que les dérives qu’ils
peuvent subir ou dont ils pourraient être à l’origine ont la même gravité, et les mêmes
conséquences potentielles, que dans la vie réelle ;
En complément, il pourrait être utile de mobiliser l’école dans l’accompagnement des jeunes dans leur
parcours progressif d’autonomisation dans l’usage des écrans. Ainsi, en lien avec les principales étapes
par âge du processus présenté plus haut, l’école pourrait être mobilisée à certains moments clés dans
la ritualisation du passage de certains caps (par exemple l’accès aux smartphones, l’accès aux réseaux
sociaux…).
De manière non exhaustive, pour mettre en œuvre concrètement ces différents principes, la
Commission propose concrètement que :
- l’éducation aux médias et à l’information inclue dans les programmes d’éducation morale ou
civique, de même que le programme PHARE de lutte contre le harcèlement, soient adaptés afin
de davantage les centrer sur les besoins de l’enfant et la réalité de son rapport aux médias
numériques, par exemple en intégrant dans l’EMI les informations sur le fonctionnement du
cerveau de l’enfant et de l’adolescent, sa sensibilité aux mécaniques de récompense, les biais
cognitifs pouvant être présents dans l’accès et le tri de l’information, ou encore le
fonctionnement des réseaux sociaux et des plateformes numériques ;
- les professeurs documentalistes au collège et au lycée puissent être mobilisés, reconnus pour
cette mission et valorisés pour coordonner un projet pédagogique au service des enfants,
garantissant une compréhension plus intégrée et plus pratique des enjeux du numérique
aujourd’hui parcellaire et trop éclatée entre différentes matières ou programmes ;
- chaque établissement identifie en son sein une équipe d’adultes référents au service des
enfants s’agissant de leurs problématiques numériques, permettant à la fois réactivité et
confidentialité dans les échanges. Cette équipe pourra notamment faire appel aux surveillants,
aux CPE, aux professeurs documentalistes, aux psychologues, etc. en fonction des ressources
humaines présentes localement disponibles et formées pour cela ;
- chaque révision de programme intègre systématiquement une réflexion sur les moyens de faire
valoir, à travers les disciplines enseignées, les compétences nécessaires à la vie numérique
comme dans la vie réelle (empathie par exemple), ainsi que les ressorts des fonctionnements
et des usages des outils et supports numériques.
Proposition n°18 : Former et informer les élèves dès l’école élémentaire puis tout au long de leur
scolarité, de façon appropriée selon leur âge, au numérique, à son modèle, à ses contenus, à ses
usages, aux opportunités qu’il offre et aux dangers qu’il peut présenter
110
Exemples de mesures opérationnelles à déployer :
- Faire intervenir, dès l’élémentaire, l’apprentissage au numérique, y compris sans recourir aux
outils numériques/par des activités déconnectées, et garantir une routine de ces
apprentissages ;
- Enrichir le contenu de la formation au numérique en y intégrant tous les aspects utiles aux
usages des jeunes et à une autonomie sécurisée (fonctionnement du cerveau face aux écrans,
enjeux attachés à la santé, à l’environnement, droits et devoirs dans la vie numérique…) ;
- Préparer et ritualiser à l’école tous les moments clés pour l’enfant dans sa vie numérique ;
- Adapter les programmes PHARE, EMI et EMC pour mieux les centrer sur les besoins de l’enfant
- Mobiliser et valoriser le rôle essentiel des professeurs documentalistes au collège et au lycée
pour coordonner un projet pédagogique au service des enfants ;
- Mettre en place dans chaque établissement une équipe d’adultes référents sur leurs
problématiques numériques, constituée en fonction des ressources présentes localement ;
- Intégrer lors des révisions de programme une réflexion sur les moyens d’acquérir les
compétences nécessaires à la vie numérique.
L’idée de démultiplier les occasions, les vecteurs et les ressources devant permettre aux jeunes de
pouvoir bénéficier d’un appui, d’un accompagnement et d’être sécurisés dans leur apprentissage de la
vie numérique n’est pas nouvelle. De nombreux acteurs et dispositifs sont ainsi d’ores-et-déjà
fortement mobilisés pour apporter leur soutien et répondre aux attentes et aux questions des jeunes
concernant les usages numériques. Ils ne sont cependant pas toujours suffisamment connus des
jeunes, ni leur action suffisamment coordonnée, localement notamment.
Il apparait ainsi nécessaire de développer davantage encore les possibilités pour les jeunes de recourir
lorsqu’ils en ont besoin à des référents pour échanger, pour les épauler ou pour les conseiller.
- d’encourager les initiatives, en ligne et hors ligne, s’inscrivant dans cette démarche
d’accompagnement des jeunes sur le numérique, sous réserve toutefois de bien prendre soin
au préalable de s’assurer de la qualité du soutien proposé et, surtout, du caractère évidemment
bien intentionné des intervenants. Elle suggère en particulier que :
o les démarche des « promeneurs du net » qui permet d’accompagner des jeunes dans
leurs activités numériques et d’assurer une présence éducative en ligne soit davantage
valorisée et structurée au niveau national et local, sous l’égide des CAF notamment ;
o des étudiants, plus proches en âge des jeunes concernés, et qui peuvent de ce fait
proposer une approche différente, puissent aussi être mobilisés dans cette démarche,
comme c’est déjà le cas sur certains territoires ;
- de mieux faire connaitre aux enfants et aux jeunes, par tous moyens (école, mairie,
associations sportives et culturelles…) la cartographie des adultes référents pour les aider face
à une demande ou une difficulté en rapport avec leur vie numérique. Cela implique au
préalable la réalisation de diagnostics et d’évaluation de l’état de l’existant. Cette mission de
111
diagnostic territorial et de cartographie pourrait être assurée par communes (par les services
« jeunesse » pour ceux qui en disposent) ;
- de veiller à multiplier les modalités d’accès à ce dialogue confidentiel et sécurisé (en ligne mais
aussi hors ligne via des permanences physiques, par exemple dans des salles communales, ou
dans les lieux qui accueillent habituellement des jeunes : MJC, médiathèques, maisons de
quartiers…) ;
Proposition n°19 : Avoir des adultes et des étudiants référents sur le numérique en ligne et hors ligne
et créer des espaces de dialogue sécurisés pour les enfants
- Réaliser localement des diagnostics et une cartographie des acteurs et dispositifs actifs sur le
territoire pour accompagner les jeunes dans leur découverte de la vie numérique :
- Diffuser largement auprès des jeunes et des familles, par tous les moyens (mairie, écoles,
associations…) la cartographie des acteurs présents sur le territoire et les modalités pour les
contacter ;
- Structurer partout, sous l’égide notamment des CAF, les « promeneurs du net » et les faire
connaître ;
- Valoriser l’engagement des étudiants, animateurs et autres professionnels et bénévoles dans
ces démarches, leur permettant tout à la fois de mieux comprendre les usages des jeunes, et
de se sentir plus à l’aise dans leur rôle de conseil et d’appui ;
- Garantir l’accès à des ressources de référence pour accompagner cet engagement et organiser
des échanges réguliers pluri professionnels entre les acteurs à l’échelle des territoires
- Organiser des lieux permettant les « écrans ensemble », notamment pour le jeu vidéo, avec
l’objectif de mieux accompagner les jeunes, de mieux leur faire comprendre les
fonctionnements de ces écosystèmes.
4.4.2- Se fixer un niveau d’ambition conforme aux besoins des enfants, avec le
déploiement volontariste et systématique de « contre-mesures »
En dehors de la formation et du soutien qui peuvent être apportés, un meilleur accompagnement des
enfants et des jeunes implique aussi de mieux prendre en compte leurs besoins essentiels et de
déployer toute une série de « contre-mesures » pour compenser les effets négatifs pour la santé de
112
l’usage des écrans et contrecarrer certains des messages ou tendances de fond délétères qui
prospèrent en ligne.
Ainsi, des mesures doivent tout d’abord être proposées pour compenser au maximum certains des
effets néfastes des écrans pour la santé des enfants et des jeunes. Comme évoqué plus haut, les écrans
ont des effets néfastes avérés et significatifs en termes de sommeil, de sédentarité et de moindre
activité physique ainsi que sur la vision. Au-delà de mesures précises, nécessaires, visant à agir sur ces
différents aspects de la santé somatique, c’est plus généralement tout un message de reprise en main
de la santé des enfants qui semble devoir s’imposer avec, pour fil directeur, la nécessité de renforcer
l’éducation à la santé chez les jeunes, qui dépasse de beaucoup le périmètre de la présente réflexion
et la question des seuls écrans.
La Commission propose en conséquence de renforcer l’éducation à la santé des enfants, en partie sur
les aspects les plus mis à mal par la présence importante des écrans dans leur quotidien. Un plan
d’ensemble pourrait ainsi être conçu avec des messages ciblés et des actions appropriées déployées
prévoyant notamment une sensibilisation :
- aux enjeux du sommeil et à la nécessité de mieux prendre en compte les « cycles naturels »
des enfants et des adolescents. Sur ce point, la Commission recommande des actions de
communication fortes sur l’importance du sommeil tout au long de la vie, et au moment de
l’enfance notamment. Cela peut notamment passer par une diffusion d’information et par une
mobilisation des réseaux de professionnels de santé sur le sujet. Elle propose aussi, que toutes
les conséquences soient tirées, dans l’organisation sociale, de la nécessité de redonner une
place plus importante au sommeil des jeunes. Elle suggère d’envisager en particulier un
changement des rythmes scolaires au collège et au lycée de façon à les adapter aux véritables
besoins physiologiques des jeunes (y compris sans l’impact des écrans) en repoussant par
exemple à 10 heures l’horaire de début des cours au collège et au lycée ;
- aux enjeux de l’activité physique et de la lutte contre la sédentarité. Sur ce volet beaucoup a
déjà été fait, qu’il s’agisse des campagnes de sensibilisation et des messages de type « manger-
bouger » ou de ce qui a été entrepris pour valoriser la pratique sportive. La Commission
recommande sur ce point d’aller plus loin et, notamment, d’étudier les possibilités de
renforcement de l’activité physique dans l’enceinte scolaire, en particulier chez les moins de 10
ans avec l’idée d’aller au-delà de l’objectif des 30 minutes par jour ;
- aux enjeux de la vision chez les jeunes et notamment, pour lutter contre la myopie, à la
nécessité d’accroître les temps en extérieur (au minimum 2 heures par jour), que ce soit dans
le cadre familial ou à l’école.
Dans le cadre du plan proposé par la Commission, il est en outre préconisé de faire un bilan
systématique sur la condition physique en élémentaire, puis chaque année au collège, pour avoir des
données annuelles sur l’état de santé des enfants, et pour repérer les enfants fragilisés. Cela pourrait
par exemple être fait dans le cadre des cours d’EPS.
113
Proposition n°20 : Renforcer l’éducation à la santé, et spécifiquement :
- aux enjeux du sommeil, et assumer en conséquence d’ouvrir la réflexion pour une meilleure
adaptation des organisations scolaires aux besoins physiologiques des jeunes ;
- Concevoir un plan en faveur de l’éducation à la santé des enfants et des jeunes prenant tout
particulièrement en compte les enjeux de sommeil, de vision et de lutte contre la sédentarité ;
- Adapter les organisations scolaires, pour mieux prendre en compte les rythmes physiologiques
des enfants, par exemple en déployant, le cas échéant par expérimentation en phase initiale,
un démarrage des cours au collège et au lycée à 10h00 ; étant précisé qu’il ne s’agit pas là d’une
réponse à laquelle on pourrait substituer l’intention de « coucher plus tôt » les adolescents, il
s’agit non pas d’un enjeu attaché à la seule quantité de sommeil, mais d’un enjeu qui a trait
directement au rythme biologique des enfants et des adolescents.
- Faire un bilan systématique sur la condition physique en élémentaire puis chaque année au
collège pour avoir des données annuelles sur l’état de santé des enfants, et pour repérer les
enfants fragilisés ;
Des mesures doivent ensuite être conçues pour lutter contre les messages et certaines tendances
délétères qui se développent en ligne et peuvent fortement marquer les jeunes.
En effet, comme évoqué plus haut dans les constats, et sans que la liste soit exhaustive, les jeunes sont
régulièrement exposés via les écrans à des contenus violents, haineux, sexistes, trompeurs, orientés
dans un objectif de manipulation par celui qui les émet ou encore à caractère pornographiques. Or, ils
se trouvent à un moment de leur vie où ils manquent encore de références, ont un besoin
d’expérimentation et de recherche de validation, et peuvent recevoir ces messages comme étant
l’expression de la « norme » à laquelle s’identifier. Ils peuvent être ainsi particulièrement perturbés par
ces contenus et affectés dans leur propre processus de construction.
De façon plus globale, c’est toute la question du « vivre ensemble » qui est posée et parfois
compromise de façon amplifiée par certains contenus.
Les mesures à bâtir devront donc permettre de poser de véritables « contre-messages » en matière
d’égalité entre les sexes, de respect de la femme, de sexualité, d’empathie, d’acceptation et de respect
114
d’autrui ou encore de lutte contre la haine pour permettre aux jeunes concernés de savoir qu’il existe
une « autre réalité » que celle qui leur est proposée par les contenus auxquels ils accèdent.
Proposition n°21 : Faire une place sérieuse et complète à toutes les éducations « au vivre ensemble »
(l’éducation à la vie sexuelle et affective, l’éducation aux enjeux de genre, l’éducation aux
compétences psycho sociales, l’éducation civique…) qui sont systématiquement traversées par des
enjeux d’amplification face au numérique
- Systématiser la prise en compte des enjeux attachés à la vie numérique dans toutes ces
éducations lorsqu’elles existent déjà ;
- Trouver les moyens d’un accès à hauteur des enjeux pour ces apprentissages à l’école ;
- Proposer des contenus alternatifs et leur accès dans les lieux collectifs (bibliothèques,
médiathèques, maisons de quartier, centres de soin…).
4.4.3- Bâtir un plan massif de diversification des activités proposées aux jeunes afin de
développer des alternatives accessibles et visibles au « tout écran », et de rendre toute
leur place aux plus jeunes dans la société
La Commission estime enfin qu’il est indispensable d’investir massivement dans le développement de
véritables « alternatives » aux écrans accessibles aisément et permettant aux jeunes de pouvoir sortir
du « tout-écran » en redécouvrant d’autres activités et d’autres réalités que celles proposées par
l’intermédiaire des télévisions, ordinateurs, tablettes, smartphones, consoles de jeu et autres appareils
numériques. En effet, l’écran s’apparente bien souvent à « une valeur refuge » qui s’impose en
l’absence d’autre activité possible.
Une démarche d’ampleur doit être engagée sur ce plan. Elle implique la responsabilité de toute la
société (pouvoirs publics, entreprises, associations, familles…).
Ces actions doivent permettre à l’enfant de « sortir de chez lui » et donc de se séparer des écrans de la
maison ou, lorsqu’il est à l’extérieur, qu’il doit patienter dans un lieu d’attente (gare, aéroport, station
de métro ou de bus, dans un centre commercial ou un organisme divers dans lequel il accompagne ses
parents) à pouvoir mobiliser d’autres alternatives pour l’occuper durant ce temps que la seule
utilisation d’un smartphone ou de tout autre outil ou jouet numérique mobile.
Parmi les pistes possibles à exploiter, en plus de ce qui peut déjà être promu et organisé en termes
d’activités sportives régulières, en club ou association notamment, pour rendre massivement visible et
accessible ces alternatives et le « hors écran », la Commission a notamment identifié la nécessité de :
- aménager des aires de jeux (sans écrans) dans tous les lieux d’attente, notamment dans le
secteur des transports (gares, stations de métro, abribus, aéroports) et dans les
administrations et organismes recevant du public ;
- garantir la disponibilité d’espaces aménagés pour les enfants (avec présence de jeux de société
et de boîtes à livres) dans différents espaces publics ou lieux dans lesquels les enfants sont
susceptibles de passer du temps (centres commerciaux, trains par exemple) ;
115
- repeupler l’espace public de mobilier urbain ludique, « bon et utile » pour les enfants (en
remplaçant par exemple certains écrans publicitaires numériques dans les abris bus et dans les
villes par des jeux de types bouliers/jeux en bois ; boîtes à livres…) ;
- lancer un plan massif de déploiement des bibliothèques de rue, sans oublier les associations
qui font vivre la culture de l’oral et de la transmission ;
- prévoir pour tous les enfants la visite dans leur ville des lieux collectifs (bibliothèques,
médiathèques etc.) pour susciter leur participation.
Proposition n°22 : Peupler l’espace public d’alternatives aux écrans pour les enfants, et redonner à
ces derniers toute leur place, y compris bruyante
- Mobiliser les collectivités dans cette stratégie de développement des alternatives (action sur
le mobilier urbain, sur la visite des lieux culturels de la commune ou du département…) et
soutenir l’inscription dans les bibliothèques et médiathèques ;
- Mobiliser les administrations et organismes recevant du public ainsi que les sociétés de
transport afin qu’ils aménagent des espaces et des outils (sans écrans) appropriés à l’accueil
des enfants y compris au sein des trains par exemple en créant des aires de jeux dans chaque
train dans un wagon dédié ;
- Promouvoir et faire connaître les lieux et les événements autour de la rencontre
intergénérationnelle (autour de fablabs, médiathèques, maisons de quartier, etc. qui sont
autant d’occasions d’échanges de savoirs) ;
- Renforcer la lecture chez les enfants et adolescents, en prenant appui sur leurs pratiques et
leurs goûts en la matière.
4.5- Axe n°5 : Mieux outiller, mieux former au numérique et mieux accompagner les parents,
les enseignants, les éducateurs et tous ceux qui interviennent auprès des enfants, tout
en organisant une société qui remet l’écran et le numérique à sa juste place
Au-delà des actions d’accompagnement et de formation au numérique à destination des enfants et des
jeunes, ce sont tous les adultes, au premier rang desquels les parents et les éducateurs au sens large,
qui ont besoin d’être épaulés et outillés pour, à leur tour, être en mesure de soutenir les jeunes dans
leur relation aux écrans.
Il convient ainsi de rendre aux parents et aux familles, via des actions déterminées de soutien à la
parentalité notamment, le pouvoir d’agir et de nourrir un dialogue constructif et raisonné avec les
jeunes sur le numérique (4.5.1). Dans le même temps, l’ensemble des professionnels et des bénévoles
au contact des jeunes et des enfants doivent eux aussi être outillés pour s’inscrire dans la même
116
dynamique positive d’accompagnement global des jeunes face au numérique et vers le
numérique (4.5.2). Plus largement enfin, compte tenu des enjeux sanitaires, environnementaux et
même anthropologiques soulevés par l’omniprésence du numérique dans notre monde moderne, c’est
toute la question de la place des écrans dans notre société qui mérite d’être posée, afin de remettre
ces outils à leur juste place, c’est-à-dire au service de l’humain (4.5.3).
Selon la Commission, les parents ne peuvent évidemment à eux seuls être tenus responsables des
évolutions, et parfois des dérives, constatées dans l’usage fait des écrans par leurs enfants. Les
différentes propositions qui précèdent visent d’ailleurs bien à agir sur les différents facteurs, autres que
ceux liés à l’encadrement parental, contribuant à l’état actuel des usages et aux dérives délétères.
Les parents ont néanmoins un rôle essentiel à jouer, à la fois comme éducateurs et comme protecteurs
de leurs enfants. Ainsi, la parentalité, si elle n’est pas le seul ressort à mobiliser, représente bien un l’un
des enjeux critiques repérés par la Commission.
Il apparaît ainsi indispensable d’accompagner au plus tôt les parents, en commençant notamment par
les futurs parents, sur la place des écrans et du numérique afin de remettre l’humain et la relation
parents/enfants au centre des usages.
Pour cela, la Commission considère que les parents doivent être accompagnés en continu et tout
particulièrement lors des « étapes-clés » de l’enfance et de l’adolescence. Plusieurs catégories de
mesures peuvent ainsi être envisagées dans cette perspective :
- l’organisation de temps d’échange, tout au long de l’enfance puis de l’adolescence, sur l’état
d’exposition de l’enfant aux écrans. Ce temps pourrait ainsi être organisé à certaines des étapes
clés du parcours de santé, par exemple lors des « visites annuelles » de santé prévues de l’âge
de 3 ans à l’âge de 6 ans puis aux trois « périodes » prévues jusqu’à l’âge de 16 ans : 8-9 ans ;
11-13 ans ; 15-16 ans. Ces moments seraient aussi l’occasion pour les parents de bénéficier
d’un regard extérieur sur l’état des usages fait des écrans par leur enfant (et par toute la famille
éventuellement), d’être à nouveau sensibilisés aux côtés de leurs enfants, aux bonnes
pratiques et d’être conseillés et accompagnés si besoin par les professionnels de santé ;
117
- le renforcement et la systématisation d’une offre de qualité appropriée d’actions de soutien à
la « parentalité numérique » mises en œuvre dans l’ensemble des territoires par les pouvoirs
publics, les différents acteurs engagés et le secteur associatif notamment. Cela implique :
o garantir, via l’école et les mairies par exemple, une communication spécifique à chaque
« moment clé » passé par les enfants (entrée au collège, arrivée à l’âge d’acquisition
d’un smartphone, arrivée à l’âge d’inscription sur les réseaux sociaux…) sur les
dispositifs d’accompagnement disponibles et mobilisables concernant la parentalité
numérique ;
- le déploiement d’un programme de « santé globale » auprès des familles les plus
vulnérables131, avec une dimension renforcée sur la question des écrans. Dans le cadre de cette
démarche, un programme de « parents ressources » formés à la parentalité numérique pour
organiser et faciliter les transmissions entre pairs dans les quartiers les moins favorisés
gagnerait à être promue.
Des systèmes d’alerte pourraient être conçus sur des phénomènes numériques potentiellement
dangereux (jeu de la virgule » par exemple) avec des conseils pour permettre aux adultes d'être
informés des situations à risques et pour savoir comment agir. Ces alertes pourraient être diffusées sur
les réseaux sociaux pour toucher massivement les parents, mais aussi auprès des professionnels de
santé et de l'éducation.
La Commission précise enfin que dans l’éducation de leurs enfants sur la question des écrans et du
numérique, les parents ont naturellement un rôle très fort à jouer en matière « d’exemplarité ».
Adopter soi-même des usages raisonnés, accorder toute la place nécessaire à de vrais temps d’échange
au sein de la famille, partager des activités en commun, éviter de casser trop fréquemment la relation
131
La Commission propose de s’inspirer pour cela de la démarche « Programme Malin » qui lui a été présentée au cours de
ces travaux et qui vise à promouvoir auprès de familles en situation de fragilité socio-économique l’accès à une alimentation
infantile adaptée aux besoins du jeune enfant.
118
entre le parent et l’enfant en donnant une place excessive aux écrans sont autant de comportements
à promouvoir.
Proposition n°23 : Déployer une véritable politique d’aide et de soutien à la parentalité en matière
d’écrans et de numérique
- Systématiser la sensibilisation dès la période de grossesse des futurs parents aux risques des
écrans, à leur usage raisonné avec les enfants et aux risques de la « technoférence » (intégrer
donc cette dimension dans les consultations prénatales et/ou es temps de préparation à
l’accouchement) ;
- Faire figurer dans le carnet de santé de l’enfant remis à sa naissance les informations utiles sur
les écrans et les actualiser sur la version « en ligne » du carnet. Prévoir en parallèle une grille
de suivi de l’usage et du temps d’écran à compléter et à questionner lors des visites prénatales
puis lors des visites qui suivent la naissance ;
- Prévoir un temps d’échange « état d’exposition de l’enfant aux écrans » à certaines des étapes
clés du parcours de santé (lors des visites annuelles de l’âge de 3 ans à 6 ans puis aux trois
« périodes prévues jusqu’à 16 ans (8-9 ans ; 11-13 ans ; 15-16 ans) ;
- Soutenir et renforcer une offre de qualité en matière de soutien à la « parentalité numérique »
en déployant dans tous les territoires des ateliers parents / enfants, avec : une organisation
collective sous l’égide des préfets de département (en lien avec l’éducation nationale et les
acteurs de la petite enfance, les CAF et les réseaux d’éducation populaire et associatifs) ; le
déploiement de labels (des actions, structures, des dispositifs et outils d'accompagnement à la
parentalité numérique) ; une communication spécifique à chaque « étape clé » du parcours de
l’enfant vers le numérique ;
- Déployer un programme de santé globale d’intervention dans les familles les plus vulnérables
avec une dimension renforcée sur les écrans ;
- Prévoir des systèmes d’alerte sur des phénomènes numériques potentiellement dangereux.
4.5.2- Les enseignants mais aussi l’ensemble des éducateurs et des adultes au contact
des enfants doivent être formés et outillés pour accompagner au mieux les jeunes dans
leur appropriation de l’outil numérique
Comme signalé plus haut, les parents ne sont pas les seuls adultes à mobiliser dans le soutien à
apporter aux jeunes face aux écrans et au numérique. L’ensemble des éducateurs et des adultes au
contact des enfants et des jeunes doivent également pouvoir apporter leur contribution.
Parmi l’ensemble des adultes intervenant auprès des jeunes, et en cohérence avec ce qui a pu être dit
plus haut sur le rôle capital de l’école en matière de sensibilisation au numérique et de formation, une
attention prioritaire doit naturellement être réservée aux enseignants, à leur propre formation sur ces
sujets, à la maîtrise du numérique mais aussi à la connaissance des usages qu’en font les jeunes, des
besoins qu’ils ressentent et des difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés, avec un vrai enjeu
d’acculturation.
Ces impératifs doivent donc être pleinement intégrés, tant au cours de la formation initiale des
enseignants, durant laquelle il importe de mettre en cohérence l’approche du numérique dans la
119
formation avec le cœur du métier d’enseignant, qu’à l’occasion de la formation continue, qui doit
notamment leur permettre d’être toujours sensibilisés aux évolutions à l’œuvre.
Proposition n°24 : Permettre aux enseignants de maîtriser les fondamentaux du numérique, les
enjeux de la citoyenneté numérique et les usages pédagogiques du numérique dès leur formation
initiale et garantir tout au long de leur carrière la possibilité d’actualiser leurs connaissances
En plus des seuls enseignants, l’ensemble des adultes conduits à intervenir auprès des enfants, qu’il
s’agisse de professionnels (professionnels de santé, éducateurs sociaux, éducateurs sportifs
intervenants périscolaires…) et bénévoles (dans les clubs sportifs, les associations etc…) doivent
pouvoir être des « relais » et contribuer à diffuser les bons messages concernant la question du
numérique. Ils doivent à ce titre, eux aussi, participer à « montrer l’exemple » sur le lien raisonné à
entretenir avec l’outil et sur la nécessité de remettre la relation humaine en priorité.
Proposition n°25 : Sensibiliser l’ensemble des professionnels et bénévoles intervenant auprès des
enfants aux enjeux du numérique et bâtir un cadre de recommandation des usages de leurs écrans
lors des interactions avec les enfants
- Déployer chez toutes les personnes en contact avec les enfants une vigilance nouvelle au sujet
de la technoférence ;
- Définir un cadre d’utilisation strict pour tous les professionnels en contact avec les enfants sur
leurs propres usages en présence des enfants (hors besoins qui seraient spécifiquement
attachés à leur geste professionnel) ;
120
- Responsabiliser les adultes intervenant auprès des jeunes, professionnels comme bénévoles
(via les réseaux professionnels, les fédérations sportives, les réseaux associatifs…) en leur
rappelant le devoir d’exemplarité qu’ils ont à l’égard de jeunes en construction ;
- Garantir de façon adaptée à chacun des publics d’intervenants des sensibilisations/formations.
4.5.3- Plus largement, repenser la place des écrans dans la société, au bénéfice de tous
et des jeunes en particulier
La Commission soutient enfin l’idée d’une vision de la société dans laquelle la présence des écrans
serait davantage maîtrisée et, sous certains aspects, limitée, notamment dans le souci de proposer aux
jeunes un cadre plus approprié à leurs besoins et libérant de l’espace pour davantage de relations
humaines directes. Il ne s’agit pas dans ce raisonnement de chercher à bannir les écrans par principe
mais de les remettre à leur « juste place », au service de l’humain, en permettant de questionner le
lien parfois excessif qui peut lier les jeunes à l’outil.
Pour cela, la Commission propose, sans remise en cause des libertés individuelles naturellement,
d’encourager à la sobriété et à un ralentissement des usages, dans l’intérêt de tous, adultes comme
jeunes, et en lien aussi avec les préoccupations sanitaires et environnementales déjà évoquées. Elle
suggère pour cela de commencer à mettre fin au processus de développement illimité des écrans dans
l’espace public et de chercher un enrichissement du « hors écran » pour retrouver des moments
collectifs.
- encourager des lieux de déconnexion, sans écran. Cela pourrait en particulier être envisagé :
o dans les espaces et lieux publics susceptibles d’accueillir des enfants, à l’exception des
services d’urgences pédiatriques, en privilégiant dans ce cas un espace dédié pour ne
pas imposer les écrans à l’ensemble des familles. Il s’agit par là de mettre en cohérence
le plus possible l’organisation de l’espace public avec les messages de santé publique
diffusés sur les risques sanitaires associés aux écrans (les instruments, type tablettes
ou ordinateurs permettant aux professionnels de santé la réalisation des gestes
médicaux auprès des enfants ne sont naturellement pas visés par cette préconisation) ;
o dans les entreprises ou certains lieux publics. Des espaces « zéro connexion » à
déterminer au cas par cas et avec les salariés ou les agents concernés pourraient être
aménagés dans les entreprises ou les organismes publics, par exemple dans certaines
salles de réunion, dans des espaces dédiés à la restauration ou à la détente (« espace
café »). De tels espaces « zéro connexion » trouveraient opportunément leur place
également dans des lieux publics (musées, salles dédiées dans les espaces
communaux, les maisons de quartier…) ;
o dans des lieux de loisir, de culture ou de sortie. Parmi les projets imaginés, un nouveau
label « restaurants/bars sans écrans » pourrait être créé, en réponse aux espaces sans
enfants qui se développent de plus en plus fréquemment faisant fi du caractère
discriminatoire de tels espaces.
121
- encourager des temps de déconnexion, sans écran. Dans la même logique, il pourrait être :
o instauré un droit symbolique à la « déconnexion des parents », leur laissant ainsi plus
de place et de temps pour interagir avec leurs enfants (des paramétrages dédiés
devraient être conçus en conséquence pour éviter l’arrivée de toute nouvelle
notification).
D’autres actions correspondant à cette même stratégie peuvent être proposées, comme par exemple
l’instauration d’un « mois de la sobriété numérique » (sur le modèle du mois sans tabac du « dry
january » ou d’octobre rose).
Concernant les pouvoirs publics (État et collectivités), des actions doivent être conduites afin de limiter
la place des écrans dans l’espace public, pour des considérations tant de santé publique (effets de la
lumière bleue notamment) que de perspectives environnementales, qu’il s’agisse d’écrans
publicitaires, d’écrans informatifs ou d’écrans récréatifs.
Enfin, même si cela sort du périmètre strict de son champ d’analyse, la Commission observe qu’il
importe de tenir compte des enjeux liés à la place des écrans dans les politiques de « numérisation »
accrue des services publics. Si le recours aux services dématérialisés est souvent source de gains, pour
l’administration comme pour ses usagers, le « tout-numérique » peut aussi poser des problèmes dans
la bonne prise en charge de certains des besoins des usagers et, en lien avec le sujet de la présente
réflexion, être un signal qui s’inscrit en contradiction avec plusieurs des messages portés dans le cadre
du travail de la Commission, notamment sur la place de l’humain par rapport au numérique et sur la
réception de notifications ou messages sur des temps inappropriés.
Proposition n° 26 : Promouvoir des lieux et des temps « déconnectés » et sans écran, notamment
pour encourager les adultes à se poser la question de leur propre rapport aux écrans
- Dénormalisation de l’usage de l’écran dans les espaces et lieux publics susceptibles d’accueillir
des enfants, à l’exception des services d’urgences pédiatriques, en privilégiant dans ce cas un
espace dédié pour ne pas imposer les écrans à l’ensemble des familles ;
- Création d’espaces « zéro connexion » en entreprise, dans les administrations et lieux publics ;
- Déployer un nouveau label « restaurants/bars sans écrans » ;
- Instituer des rituels de déconnexion ;
- Promouvoir le droit à la déconnexion des parents ;
- Instaurer un « mois de la sobriété numérique » ;
- Limiter la place des écrans (publicitaires, informatifs, récréatifs) dans l’espace public.
122
4.6- Axe n°6 : Mettre en place un dispositif ambitieux de gouvernance permettant à la
puissance publique de définir une véritable stratégie, de disposer de capacités de
pilotage, de pouvoir mieux soutenir les acteurs qui interviennent auprès des jeunes et
des familles, et d’informer les citoyens
Agir sur le rapport des enfants et des adolescents aux écrans, cela ne peut se résumer à fixer des
limitations. Agir sur le rapport des jeunes aux écrans, c’est nécessairement agir POUR, c’est penser et
faire vivre un projet attrayant au service des enfants et de la société en général, c’est rendre séduisants
d’autres horizons et d’autres émancipations.
Or, la force de ce projet ne se gagnera qu’au prix de l’engagement collectif d’une nouvelle ambition
dépassant les frontières politiques et administratives, dépassant les peurs pour se remettre à hauteur
d’enfant, dépassant les discours d’impuissance et les batailles juridico-techniques.
En ce sens, la stratégie d’action recommandée par les membres de la Commission est exigeante, et ne
sera accessible qu’à la condition d’une impulsion politique s’inscrivant dans un horizon de moyen
terme, et assumant une organisation nouvelle pour la soutenir.
Le projet proposé par la Commission suppose d’ordonnancer et de piloter une vision, une stratégie et
une feuille de route structurelles et collectives ; d’entendre les jeunes et de faire une place à leur
parole ; d’intervenir à différents niveaux, mondial, européen et national ; d’orchestrer un dialogue
soutenu, continu et en tout point cohérent avec les différents acteurs publics et privés comme les
acteurs politiques ; d’articuler et de mobiliser au plan interministériel les champs d’action aussi divers
que la santé, l’éducation nationale, l’économie, la culture, le sport, le soutien aux familles et à la
parentalité, la justice, l’intérieur etc., pour lesquels le projet est aujourd’hui diversement positionné en
termes de priorités compte tenu de l’immensité de tous les défis ; d’animer tous les réseaux locaux
relais de la stratégie au plus près des parents, des familles et des bassins de vie ; de garantir une forte
écoute et réactivité à l’évolution des phénomènes sociaux qui vont vite en ligne ; de structurer une
communication publique cohérente et suffisamment routinisée, notamment aux moment clés de la vie
des enfants, pour trouver de l’impact ; d’investir les chantiers prospectifs comme l’action immédiate ;
d’avoir des porte-voix dans l’espace public ; et de sécuriser des moyens, prélevés mais redistribués en
toute indépendance des acteurs économiques, en direction de l’Etat et de l’ensemble des acteurs
publics et privés mobilisés.
Les recommandations ci-dessous ont vocation à fixer quelques éléments que la Commission considère
incontournables en termes de gouvernance, financement et communication, pour trouver de l’impact
et soutenir des changements réels à l’échelle de la société.
Pour porter une stratégie structurelle et collective au service des enfants et des jeunes, la Commission
appelle à promouvoir une organisation nouvelle au sein de l’Etat, qui permettra de donner des gages
de durabilité et de cohérence à l’action publique dans toutes ses composantes, qui pourra incarner un
projet sociétal et être identifiée par l’ensemble des parties, qui créera les synergies nécessaires entre
toutes les administrations et les acteurs publics et privés.
La Commission estime en effet que l’absence de cadre stratégique et de feuille de route collective
constitue aujourd’hui un frein majeur à l’atteinte des résultats recherchés, de même que l’absence de
123
force reconnue et légitime de pilotage de cette stratégie au plan interministériel et en lien avec tout
l’écosystème, de recherche, associatif, économique.
Aussi, il est important qu’un travail soit conduit pour identifier la meilleure configuration administrative
permettant de décliner cette ambition, étant entendu qu’il conviendra de lui garantir des moyens de
fonctionnement à hauteur des enjeux, d’en trouver un ambassadeur visible et audible dans l’opinion
publique, et d’organiser le concours des différentes administrations et organisations dotées de
compétences établies, et engagées au service du collectif. Un format de type agence, à l’image de la
eSafety Commissioner australienne, paraîtrait une piste intéressante.
Cette agence aurait vocation à installer un cadre de travail pérenne et structuré avec l’ensemble des
acteurs académiques, associatifs, économiques, adapté en fonction des objectifs et champs
d’investigation. Ce cadre de travail, au-delà d’animer les collectifs pour le déploiement effectif de la
stratégie et de la feuille de route, devra s’assurer de l’organisation du concours de la France aux
instances européennes en charge de la régulation des grandes plateformes. Il devra en outre garantir
un espace d’écoute pour toute alerte de la société civile, éducative, associative sur l’éclosion de
phénomènes nouveaux nécessitant des réponses rapides. Il devra enfin être construit de façon à éviter
l’hyper poids des plus grands acteurs du numérique, et à faire une place active aux plus petits acteurs,
en particulier engagés sur les sujets de protection, de conception éthique, et de proposition de modèles
alternatifs. Ce travail de structuration devra aussi trouver les modalités de la co-construction avec
l’ensemble des élus, qu’il s’agisse de parlementaires, ou des élus locaux, qui ont tous des
préoccupations et un rôle à jouer dans le cadre d’une stratégie partagée.
Cette organisation devra en outre garantir une animation au plus près du terrain des réseaux locaux,
publics et associatifs, qui sont en contact direct des jeunes et des familles, qui sont en responsabilité
d’animer des collectifs de projet, qui ont la charge d’expliquer les choix privilégiés et de leur donner du
sens, qui sont les premiers détecteurs des pratiques, et des fragilités.
La Commission souhaite, pour finir, insister sur ce qui lui paraît essentiel pour compléter cette
organisation.
Tout d’abord, la Commission revendique de faire une place visible et réelle à la parole des jeunes, en
appui de l’action publique. Il ne doit pas s’agir de retenir une organisation cosmétique, pour cocher une
case. Il s’agit de croire, et c’est particulièrement vrai sur le numérique, que le dialogue entre les adultes
et les jeunes est la clé de leur bien-être, en plus d’être absolument nécessaire pour ne pas agir en
fonction de représentations souvent très en écart avec la réalité de leurs pratiques et de leur
expérience. Les jeunes sont par ailleurs beaucoup plus conscients des risques, et sont en attente de
soutien et d’écoute. Enfin, ils pourront être les relais actifs d’un projet au service de leur sécurité et de
leur émancipation. La Commission recommande ainsi d’installer un Conseil dédié, selon des modalités
d’association effective à l’action publique à repenser au service d’une co-construction effective.
Enfin, la Commission défend d’enrichir le dispositif par l’installation d’un Comité de la prospective
dédié, permettant de faire travailler plusieurs disciplines et expertises ensemble sur le long cours, dans
un objectif de veille et d’anticipation. Les technologies évoluent à ce point rapidement qu’il est
124
primordial de consacrer un espace et un temps dédié à ces travaux. Un tel comité pourrait plus
largement être missionné sur quelques enjeux autour de l’impact du numérique sur des grands champs
ouverts de réflexion, comme le fonctionnement de nos démocraties.
Proposition n°27 : Installer une gouvernance et une force d’organisation nouvelles au service d’un
projet global pour la maîtrise du numérique, la protection et l’émancipation des jeunes
4.6.2- Garantir des moyens appropriés et pérennes aux acteurs qui accompagnent,
forment, protègent et sensibilisent les jeunes et les familles au numérique
La question des moyens est aujourd’hui critique au service d’un projet de protection et d’émancipation
des enfants et des jeunes.
S’il s’agit d’un débat habituel, a fortiori dans un contexte de très fortes contraintes pesant sur les
finances publiques de notre pays, la Commission souhaite insister sur deux fondamentaux :
125
- Le second, c’est de défendre la vision selon laquelle cette politique, dans tous ses aspects, doit
être en grande partie au moins financée par ceux qui produisent les externalités négatives. A
ce titre, deux axes sont à privilégier. Le premier, déjà évoqué plus haut, tient à la discussion à
ouvrir de façon énergique avec les autres États membres et la Commission européenne sur les
possibilités de partage des gains attendus des frais de supervision dont les grandes plateformes
sont redevables au titre du DSA, et des amendes qui seront imposées par le juge et le
régulateur, à l’échelle européenne mais aussi à celle des États membres hébergeant les sièges
desdites entreprises (comme l’Irlande, qui a par exemple obtenu par Max Schrems plus d’1
milliard de dollars). Si le DSA prévoit que les frais de supervision viennent consolider les
missions du régulateur européen, ce dernier ne peut agir seul et a besoin que le collectif
d’acteurs au service de ces objectifs européens se structure en réseau actif et réactif dans
chacun des États. Le second axe de financement, certainement moins accessible à court terme,
tiendrait à la reconnaissance générale en droit d’un principe de pollueur / payeur, sur le modèle
du droit environnemental. Nous sommes face à des puissances capitalistiques jamais connues,
et nous demandons à des associations et des bénévoles sans soutien sécurisé de s’épuiser jour
et nuit pour gérer les externalités négatives.
Proposition n°28 : Assurer la soutenabilité des moyens nécessaires par la déclinaison du principe
pollueur payeur alimentant un fonds dédié de financement de la recherche, des politiques publiques
et acteurs vertueux
Plusieurs principes semblent à retenir dans cette ambition importante et nécessairement multi
dimensionnelle :
- Ne pas limiter la démarche de communication aux seuls « écrans » : il y a un très fort besoin
de faire mieux connaître les enjeux attachés au développement de l’enfant, au fonctionnement
de son cerveau, aux enjeux de santé physique notamment s’agissant du sommeil et de l’activité
physique, aux besoins qui lui sont indispensables, à ce qu’il est important de promouvoir dans
son « parcours quotidien ». Les messages doivent s’attacher à promouvoir une ambition
positive pour les enfants.
126
- La communication sur les « écrans » doit englober tous les aspects, y compris ceux nécessaires
à la compréhension du monde numérique, de ses modèles ; aux droits et devoirs ; aux
comportements à promouvoir (aussi du point de vue de la préservation de l’environnement) ;
aux personnes ressources.
- Elle doit faire valoir le besoin de dialogue entre les enfants et les adultes, qui est un horizon
indépassable pour donner leur juste place aux écrans, dans le respect de l’expérience des
enfants.
- La communication pourrait utilement ne pas centrer son propos sur les seuls usages des
enfants, mais aussi faire davantage de lumière sur les enjeux attachés à l’exemplarité et la
disponibilité des adultes.
- Il importera d’éviter toute démarche « one shot », car seule la routinisation des campagnes et
des actions créera de l’impact. En particulier, cette stratégie de communication aura tout
intérêt à s’articuler avec les moments clés de la vie de l’enfant (que ce soit par exemple aux
temps forts type rentrée scolaire, Noël, départ en vacances qui rythment la vie de tous les
enfants globalement ; ou de façon plus déconcentrée à l’échelon local au moment de passages
importants, comme l’accès au collège, le franchissement du cap des 15 ans, etc.).
- Il conviendra de déployer une force de frappe dédiée à la prise en compte en temps réel des
phénomènes émergents et à risque sur les médias sociaux (promotion de pratiques ou de
challenges, diffusion de représentations contestables par exemple).
- Il conviendra de veiller encore et toujours à la cohérence des messages. A titre d’exemple, la
promotion du « e-sport » à la sémantique troublante quand on veut inciter les enfants à des
activités physiques, ou encore à l’enrichissement de leur « hors écran », peut poser question.
- La communication publique doit être construite sous une marque et une ligne éditoriale
communes, garantes de la cohérence des messages et de leur identification comme faisant
référence. Aujourd’hui, les démarches sont totalement éclatées entre les diverses
administrations, agences et opérateurs, ce qui peut nuire à l’efficacité collective. De la même
façon, la consolidation des budgets aujourd’hui dispersés permettrait de renforcer l’ambition.
- Tous les canaux doivent être mobilisés pour diffuser ces messages, à la fois dans une logique
de communication très grand public et d’une communication plus ciblée au plus près des
besoins.
- Il convient de veiller à l’accessibilité des messages, pour garantir leur bonne appropriation par
tous les publics.
Enfin, la Commission tenait à appeler l’attention de l’ensemble des responsables publics et politiques
sur l’intérêt de mettre en cohérence leur propre stratégie de communication, lorsqu’ils s’adressent aux
enfants, en évitant par exemple la mobilisation des réseaux sociaux non vertueux dont l’utilisation
serait dissonante avec les orientations fixées dans ce rapport.
Proposition n°29 : Déployer une stratégie de communication massive, récurrente, grand public de
sensibilisation et d’information sur les enjeux de santé, d’éducation et d’environnement attachés
largement aux « écrans », ainsi que de promotion des besoins de l’enfant et des réponses
alternatives
127
Exemples de mesures opérationnelles à déployer :
- Bâtir une stratégie de communication multi canal et multi dimensionnelle faisant une place
importante à l’éducation à la santé et aux enjeux attachés au développement de l’enfant, et
faisant la promotion positivement des ingrédients essentiels au parcours quotidien de l’enfant ;
- Soutenir une dynamique de communication et d’information structurée dans le temps,
permettant de routiniser des moments clés de diffusion des messages en lien avec la vie des
enfants et des jeunes ;
- Construire une ligne éditoriale et une marque commune à l’Etat, soutenue par un fonds dédié
permettant de consolider l’ensemble des investissements et d’aligner les initiatives des
différentes administrations et organismes publics ;
- Installer un dispositif de communication dédié à la maîtrise en temps réel des phénomènes
émergents à risque (ex : challenges diffusés sur les médias sociaux) ;
- Mobilisation, par l’intermédiaire des préfets, en lien avec les agences régionales de santé et le
monde académique, de tous les réseaux locaux pour décliner la stratégie nationale au plus près
des personnes.
128
129
Tableau récapitulatif des propositions
n° Proposition
Axe n°1 : S’attaquer, pour les interdire, aux conceptions addictogènes et enfermantes de
certains services numériques afin de redonner du choix aux jeunes
Inverser la charge de la preuve pour lutter contre les conceptions et les algorithmes délétères des
1
services numériques et se doter de capacités d’audits réguliers indépendants
Proscrire les pratiques délétères en termes de conception et faire émerger un standard éthique
2
européen
3 Rendre le pouvoir à l’utilisateur par la reconnaissance d’un nouveau « droit au paramétrage »
Renforcer les « garde-fous » dans les jeux vidéo pour sécuriser l’expérience des jeunes joueurs, et ainsi
4 mieux les protéger des contenus inappropriés et lutter contre le développement des microtransactions
et designs trompeurs
Sécuriser, structurer et amplifier l’action de la société civile, comme relai incontournable de gestion des
5
externalités négatives des plateformes
Envoyer un signal clair d’investissement dans la recherche multidisciplinaire et d’ouverture des données
6
afin de renforcer la position du régulateur dans le dialogue avec les forces économiques
Axe n°2 : Protéger, plutôt que contrôler, les enfants : une bataille qui doit se mener et
peut se gagner auprès des acteurs économiques
Faire émerger et promouvoir des solutions privées de protection plus efficientes et accessibles,
7
notamment pour les familles
Soutenir le déploiement ferme du DSA à l’égard des sites pornographiques, pour forcer à l’adoption des
8 outils de contrôle de l’âge déjà disponibles, et investir dans le même temps dans la production de
ressources adaptées aux questions légitimes des enfants sur leur vie affective et sexuelle
Garantir le passage à l’échelle de la politique de signalement pour en faire un levier important d’action
9
en direction des plateformes
Promouvoir activement les meilleurs standards de protection de la santé physique et de l’environnement
10
pour les outils technologiques et services numériques
Axe n°3 : Assumer et organiser une progression des usages des écrans et du numérique
chez les enfants en fonction de leur âge
Protéger les jeunes enfants de moins de 6 ans de l’exposition aux écrans, notamment dans les lieux
11
d’accueil (crèches, assistantes maternelles, école maternelle…)
12 Autoriser l'accès aux seuls réseaux sociaux éthiques à compter de 15 ans
Organiser une prise en main progressive des téléphones :
- avant 11 ans : pas de téléphone
13 - à partir de 11 ans : téléphone sans connexion Internet
- à partir de 13 ans : téléphone connecté sans accès aux réseaux sociaux ni aux contenus illégaux
- à partir de 15 ans : accès complémentaire aux réseaux sociaux éthiques.
Définir et piloter une politique d’équipements numériques respectueuse des enfants, et réconciliant les
14
enjeux de santé, de pédagogie, d’éducation et d’environnement
Associer systématiquement le déploiement des programmes et des ressources numériques éducatifs
dans un cadre scolaire à une expérimentation, une étude d’impacts préalable avant diffusion plus large
et à une formation des enseignants à leurs usages pédagogiques. Garantir l’accès aux outils numériques
15 adaptés pour les élèves à besoins éducatifs particuliers, les enfants éloignés de l’école ou les situations
de rupture de continuité pédagogique. Labelliser les solutions numériques éducatives ayant validé
scientifiquement leur impact positif sur les apprentissages et les mettre à disposition des enseignants via
une interface dédiée et sécurisée
Fixer un cadre strict d’utilisation pour « Pronote » et les ENT avec mise en place de paramétrages par
16
défaut protecteurs des enfants
Renforcer l’application de l’interdiction des téléphones au collège, et systématiser dans chaque lycée un
17
cadre partagé sur la place et l’usage des téléphones dans la vie de l’établissement
130
n° Proposition
Axe n°4 : Préparer sérieusement les jeunes à leur autonomie sur les écrans, leur donner
le pouvoir d’agir et, dans le même temps, redonner toute leur place aux enfants et aux
jeunes dans la vie collective
Former et informer les élèves dès l’école élémentaire puis tout au long de leur scolarité, de façon
18 appropriée selon leur âge, au numérique, à son modèle, à ses contenus, à ses usages, aux opportunités
qu’il offre et aux dangers qu’il peut présenter
Avoir des adultes et des étudiants référents sur le numérique en ligne et hors ligne et créer des espaces
19
de dialogue sécurisés pour les enfants
Renforcer l’éducation à la santé, et spécifiquement :
- aux enjeux du sommeil.et assumer en conséquence d’ouvrir la réflexion pour une meilleure
20 adaptation des organisations scolaires aux besoins physiologiques des jeunes
- aux risques liés à la sédentarité et à l’insuffisance d’activité physique, et en conséquence mieux
mobiliser les cours d’éducation physique et sportive pour un suivi renforcé des enfants
- aux risques concernant la vue en multipliant les occasions de temps en extérieur
Faire une place sérieuse et complète à toutes les éducations « au vivre ensemble » (l’éducation à la vie
sexuelle et affective, l’éducation aux enjeux de genre, l’éducation aux compétences psycho sociales,
21
l’éducation civique…) qui sont systématiquement traversées par des enjeux d’amplification face au
numérique
Peupler l’espace public d’alternatives aux écrans pour les enfants, et redonner à ces derniers toute leur
22
place, y compris bruyante
Axe n°5 : Mieux outiller, mieux former au numérique et mieux accompagner les parents,
les enseignants, les éducateurs et tous ceux qui interviennent auprès des enfants, tout en
organisant une société qui remet l’écran et le numérique à leur juste place
Déployer une véritable politique d’aide et de soutien à la parentalité en matière d’écrans et de
23
numérique
Permettre aux enseignants de maîtriser les fondamentaux du numérique, les enjeux de la citoyenneté
24 numérique et les usages pédagogiques du numérique dès leur formation initiale et garantir tout au long
de leur carrière la possibilité d’actualiser leurs connaissances
Sensibiliser l’ensemble des professionnels et bénévoles intervenant auprès des enfants aux enjeux du
25 numérique et bâtir un cadre de recommandation des usages de leurs écrans lors des interactions avec
les enfants
Promouvoir des lieux et des temps « déconnectés » et sans écran, notamment pour encourager les
26
adultes à se poser la question de leur propre rapport aux écrans
Axe n°6 : Mettre en place un dispositif ambitieux de gouvernance permettant à la
puissance publique de définir une véritable stratégie, de disposer de capacités de
pilotage, de pouvoir mieux soutenir les acteurs qui interviennent auprès des jeunes et
des familles, et d’informer les citoyens
Installer une gouvernance et une force d’organisation nouvelles au service d’un projet global pour la
27
maîtrise du numérique, la protection et l’émancipation des jeunes
Assurer la soutenabilité des moyens nécessaires par la déclinaison du principe pollueur payeur
28
alimentant un fonds dédié de financement de la recherche, des politiques publiques et acteurs vertueux
Déployer une stratégie de communication massive, récurrente, grand public de sensibilisation et
29 d’information sur les enjeux de santé, d’éducation et d’environnement attachés largement aux
« écrans », ainsi que de promotion des besoins de l’enfant et des réponses alternatives
131
Annexe 1 : Présentation des membres de la Commission
Servane Mouton, est neurologue et neurophysiologiste, spécialisée dans les troubles des
apprentissages scolaires. Membre de la sous-commission travaillant sur le neurodéveloppement du
Groupe de Réflexion sur les Évaluations Cognitives (GRECCO). Présidente et cofondatrice de
l'association Neuro-Environnement Réseau Francophone (NERF). Elle est « coordinatrice » du livre
collaboratif « Humanité et Numérique : les liaisons dangereuses », Eds Apogée 2023, dans lequel
25 scientifiques et soignants proposent un tour d'horizon synthétique des enjeux sanitaires,
environnementaux et sociétaux des NTIC.
Amine Benyamina est Psychiatre Addictologue à l’Hôpital Universitaire Paul Brousse à Villejuif, il est
également Professeur des Universités à la Faculté de Médecine Paris Saclay. Il est Chef du Département
de Psychiatrie et d’Addictologie de l’Hôpital Paul Brousse et responsable de l’Unité de Recherche
Psycomadd. Il est responsable de plusieurs Diplômes Universitaires nationaux et internationaux. Il est
Président de la Fédération Française d’Addictologie (FFA), Président de l’Intersection d’Addictologie au
CNU (Collège National Universitaire) et Président d’Addict Aide. Il est rédacteur en chef de la revue
Alcoologie et Addictologie et administrateur de la Société Française d’Alcoologie (SFA), de l’Association
Française de Psychiatrie Biologique et Neuropsychopharmacologie (AFPBN). Il est l’auteur de plus de
140 articles scientifiques référencés traitants des questions de thérapeutique, de biomarqueurs et de
comorbidités psychiatriques et addictives. Il est l’auteur de nombreux ouvrages à vocation académique
et pédagogique et a coordonné plusieurs ouvrages collectifs. Il est également l’auteur d’ouvrages plus
« grand public » traitant des questions d’addiction notamment le cannabis et l’alcool. Il est le fondateur
du congrès de l’Albatros, un congrès international d’addictologie qui se tient tous les ans à Paris.
132
Thématique Pluridisciplinaire "Recherche autour des questions d'éducation" au CNRS, membre du
comité d'experts jeune public auprès de l'ARCOM, et membre de la commission « Développement de
la lecture auprès de publics spécifiques » au CNL. Il a reçu en 2021 le Prix Dagnan-Bouveret de
l'Académie des Sciences Morales et Politiques (Institut de France) pour son programme de recherche
sur la psychologie cognitive et de l’éducation contemporaine.
Axelle Desaint est directrice du pôle éducation au numérique de Tralalere et d’Internet Sans Crainte,
programme national de sensibilisation des jeunes et des familles au numérique de la Commission
européenne, que Tralalere opère depuis 15 ans. Diplômée en sciences et technique de l’hypermédia,
Axelle Desaint travaille depuis 25 ans dans le domaine de l’éducation au numérique des jeunes. Après
10 ans dans le milieu associatif à concevoir et animer des programmes de formation et d’animation
autour des pratiques numériques jeunesse à destination des professionnels et du grand public, elle a
rejoint les équipes de Tralalere en 2011 pour développer la branche édition numérique et coordonner
des projets de recherche et développement sur la lecture numérique. Après plusieurs années comme
responsable de programme d’éducation et de sensibilisation, puis directrice éditoriale et pédagogique,
elle dirige désormais le programme européen “Internet sans Crainte”, centre de sensibilisation national
de plus de 200 ressources gratuites d’éducation au numérique.
Florence G'sell est actuellement professeure invitée au Cyber Policy Center de l’Université de Stanford.
Elle est agrégée de droit privé et sciences criminelles, professeure à l'Université de Lorraine, et titulaire
de la Chaire Digital, Gouvernance et Souveraineté de Sciences Po. Elle travaille principalement sur les
questions liées à la régulation des plateformes en ligne et sur la gouvernance de l’intelligence
artificielle.
Marie-Caroline Missir est depuis 2020 directrice générale de Réseau Canopé, opérateur public de
l’Éducation nationale en charge de la formation continue des enseignants, et du CLEMI, centre pour
l’éducation aux médias et à l’information. Elle avait auparavant rejoint le groupe Digischool, edtech
française spécialisée dans les applis pour les jeunes, en tant que directrice du
développement. Journaliste spécialisée en éducation, elle a été rédactrice en chef à l’agence de presse
AEF, journaliste au service politique puis rédactrice en chef adjointe numérique de l’Express,
correspondante à Lyon pour Les Échos avant d’être nommée Directrice de la rédaction du groupe
L’Étudiant. En parallèle, elle a tenu une chronique hebdomadaire dans l’émission Rue des écoles,
diffusée sur France Culture. Cofondatrice de l’association des Femmes de l’Éducation, elle est l’auteure
avec Louise Tourret de « Mères, libérez-vous ! » (Plon, 2014). Marie-Caroline Missir est diplômée de
Sciences Po Paris et du Media and Entertainement Program de l’ESSEC.
Catherine Rolland, docteur et ingénieur de formation, a travaillé 12 ans dans la recherche pour
l'industrie pharmaceutique avant de se consacrer au jeu vidéo et à ses applications notamment en
santé et en éducation. Diplômée d’un MBA « Video Game Management », elle conçoit et développe
depuis 15 ans des jeux et des projets de R&D et d’innovation au sein de studios et de sociétés
spécialisées dans les applications santé, la formation professionnelle, l’éducation et la vulgarisation
scientifique. Elle intervient depuis 12 ans dans des cursus d’écoles de jeu vidéo réputées et a œuvré
dans différentes associations pour l’organisation d’événements d’acculturation et de réflexion autour
des applications du jeu vidéo. Elle est depuis bientôt cinq ans cheffe de projet pour la chaire Science et
jeu vidéo de l’École polytechnique, où elle encadre des projets scientifiques en lien avec le jeu vidéo.
Grégory Véret est fondateur et président de la société Xooloo, une entreprise française spécialisée
dans la protection des enfants sur Internet. Ses équipes inventent les nouveaux services numériques
sécurisés pour aider les enfants à développer leur propre autonomie et à prendre le contrôle de leur
vie numérique. L’entreprise édite notamment la première application mobile pour les enfants de 8 à
133
12 ans en France. Xooloo est lauréat du « Best of Innovation Award » du CES à Las Vegas et du
Programme d’Investissement d’Avenir du gouvernement pour sa solution d’analyse de contenus en
temps réel pour protéger les enfants sur Internet. La société est membre du laboratoire de la
protection des enfants sur Internet. Grégory a commencé sa carrière dans l’unité de programme pour
enfants du groupe TF1. Passionné par ce que les technologies peuvent apporter aux enfants, il a
ensuite créé la société Xooloo. Animé par les enjeux écologiques, Grégory est également agriculteur
biologique.
Célia Zolynski est Professeur Agrégée de droit privé à l'Ecole de Droit de la Sorbonne de l’Université
Paris 1 Panthéon-Sorbonne où elle codirige le Département de recherche en droit de l'immatériel de
la Sorbonne (IRJS-DreDis) ainsi que l’Observatoire de l’Intelligence artificielle de Paris 1. Membre du
Comité national pilote d’éthique et numérique (CNPEN), elle est en outre personnalité qualifiée au sein
de la Commission consultative nationale des droits de l’Homme (CNCDH) et du Conseil supérieur de la
propriété littéraire et artistique (CSPLA). Ses activités de recherche portent sur le droit du numérique,
le droit de la propriété intellectuelle, le droit du marché et les libertés fondamentales. Elle est l’auteur
de différentes publications dans ces domaines, notamment concernant la régulation de l’économie de
l’attention. Elle anime plusieurs groupes de travail interdisciplinaires et projets de recherches
collectives portant sur la régulation des services numériques et des systèmes algorithmiques.
134
Annexe 2 : Liste des personnes auditionnées et des contributions reçues
La Commission tient à remercier très sincèrement l’ensemble des interlocuteurs qui ont accepté d’être
auditionnés ou qui lui ont fait parvenir des contributions écrites.
Elle s’est attachée à recueillir l’ensemble des témoignages, des points de vue, des constats et des
propositions formulés à l’occasion de ces échanges en toute indépendance. Elle tient à souligner que
l’expérience partagée, les analyses présentées, ainsi que les nombreuses discussions nées à l’occasion
des différents entretiens ont été essentielles pour nourrir et enrichir la réflexion.
La Commission saisit cette occasion pour remercier tout particulièrement les élèves des classes de 3e
du collège Louis Braille à Esbly (Seine-et-Marne) et du collège Paul-Verlaine des Mureaux (Yvelines)
ainsi que leurs professeurs Mme Stéphanie TUR et M. Olivier MENARD, pour leur participation
précieuse au « hackathon » organisé le 29 mars avec l’appui de la DITP et de Réseau Canopé.
Elle remercie également les élèves des classes de 3e et 4e du collège de Gassicourt de Mantes-la-Jolie
ainsi que M. Cyril NORBEC et les membres de l'équipe pédagogique du collège de Gassicourt qui ont
accueilli plusieurs membres de la Commission.
Au cours de ses travaux, la Commission a auditionné et/ou reçu des contributions des personnes et
organismes suivants.
Académie de Paris :
- Mme VELTCHEFF Caroline, Inspectrice d’académie, en charge de la prévention du harcèlement
à l'école pour l’Académie de Paris
Apple :
- Mme LAVET Julie, Directrice des affaires publiques d'Apple France et Bénélux
135
Autorité de Régulation des Communications Electroniques, des Postes et de la distribution de la
Presse (ARCEP) :
- M. LE RUYET Rodolphe, Conseiller technique de la présidente
- Mme MATHOT-DE RAINCOURT Virginie, Conseillère de la présidente
- Mme PENIN DE LA RAUDIERE Laure, Présidente
AXA :
- Contribution écrite
Babilou Family :
- M. OUVRARD Xavier, Président directeur général du groupe Babilou Family
- Mme PERRIER Dominique, Directrice Exécutive des relations institutionnelles et Corporate
Caméléon Association :
- Mme LIGIER Laurence, Fondatrice et directrice générale
- Mme MONMARCHE Violaine, Directrice générale adjointe
- Mme SIM Socheata, Responsable de la Mission Sociale France
136
Collectif « CoLINE » (Collectif de Lutte contre l'Invasion Numérique à l'Ecole) :
- Mme PEREL Julie, Membre du collectif
- Mme VINEL Audrey, Membre du collectif
Commission européenne :
- M. AGARWAL Prabhat, Chef de l’équipe DSA à la DG « Connect »
- Mme LOWERY-KINGSTON June
- Mme MERISIO Silvia
- Mme REMICHE Adélaïde
« Designers éthiques » :
- M. PINEAU Karl, co-président de l’association « Designers éthiques »
- Mme BROCHIER Flora
Ecoles Waldorf :
- Contribution écrite
137
EdTech :
- Mme GUENEAU Aude, Vice-présidente d’EdTech et présidente fondatrice de « Plume »
- Mme LEDROIT Orianne, Déléguée générale EdTech France
e-Enfance :
- Mme ATLAN Justine, Directrice générale de l’association e-Enfance
Google :
- M. ESPER Olivier, responsable des affaires publiques
- Mme RADVANYI Charlotte, Responsables affaires publiques
Gulli :
- Mme BOITRELLE -AIGLE Coralie, Directrice des programmes jeunesse France du Groupe M6
- M. BONY Philippe, Président de la chaîne Gulli
- M. FIGUE Julien, Directeur délégué adjoint
La quadrature du Net
138
La voix de l’enfant :
- Mme BROUSSE Françoise, Présidente
Ligue de l’enseignement :
- M. MUSELET Mathieu, Responsable du pôle numérique national
- M. TOURVE Sébastien, Chargé de mission développement pédagogique numérique
Méta :
- M. BATTESTI Anton Maria, Directeur des affaires publiques France
- Mme TUFFIER capucine, Responsable des relations publiques de Méta
Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) :
- M. MASSON-HALIMI Olivier, Chargé de mission « pratiques numériques »
- M. PRISSE Nicolas, Président
Nomad Education :
- M. CITTI Nicolas, Consultant
- Mme MAITROT Caroline, Fondatrice de Nomad Education
Parlementaires :
- Mme JANVIER Caroline, Députée du Loiret
- M. MARCANGELI Laurent, Député de Corse-du-Sud
139
- M. MIDY Paul, Député de l’Essonne
- M. STUDER Bruno, Député du Bas-Rhin
- Mme VAN SPARRENTAK Kim Députée européenne des Pays-Bas
- M. VOJETTA Stéphane, Député représentant les Français établis hors de France
Point de Contact :
- Mme MARISCAL-LOPEZ Alejandra, Juriste
Programme « MALIN » :
- M. CAVALLI Benjamin, Directeur du Programme MALIN
Samsung :
- Mme ROGEON Amandine, Directrice affaires publiques de Samsung Electronics France
- Mme CHAZAL Catherine, directrice RSE de Samsung Electronics France
Snapchat :
- Mme BOUCHAHOUA Sarah, Responsable relations publiques
SQUARE :
- M. BESANÇON Hugo, Délégué général adjoint
- Mme BOUGNERES Alice, Déléguée générale
TikTok :
- M. GARANDEAU Eric, Directeur des relations publiques
- Mme KHEMIS Sarah, Responsable des relations institutionnelles et affaires publiques France
140
Union nationale des associations familiales (UNAF) :
- M. GERARD Olivier, Coordonnateur du pôle « médias » à l’UNAF
- Mme POURIA Stéphanie, Chargée de mission, parentalité numérique et cybermenaces
X/Twitter :
- Mme DILE Claire, Responsable des relations publiques
YouTube :
- M. GUIROY Thibault, Responsable des relations publiques pour YouTube
141
- M. HERCBERG Serge, Epidémiologiste et professeur de nutrition à l’Université Sorbonne Paris
Nord
- Mme HODENT Célia, Psychologue
- Mme HURON Caroline, Psychiatre, chargée de recherche à l’Inserm, présidente de l'association
le Cartable Fantastique
- Mme KLONICK Kate, Professeure associée de droit à l’Université de Saint John
- M. LACHANCE Jocelyn, Sociologue-anthropologue
- Mme LEMERCIER-DUGARIN Maud, Maître de conférences en psychologie clinique et
psychologue clinicienne, psychothérapeute
- M. MERRIAUX Jean-Marc, Ancien directeur du numérique pour l’éducation, Directeur général
de la Mission laïque française
- M. MONTEIL Jean-Marc, professeur d’université, ancien recteur, ancien directeur général de
l’enseignement supérieur, en charge des programmes E-Fran et Pro-Fan
- Mme MOREL Lydie, Orthophoniste
- M. NGUYEN HOANG Lê, Mathématicien, vidéaste web et écrivain, expert en algorithmie et
intelligence artificielle, fondateur de la plateforme collaborative Tournesol
- M. PHAN Olivier, Pédopsychiatre-addictologue
- M. RICHARDS Neil, Professeur de droit, Washington University in Saint Louis, Directeur du
Cornell Institute
- Mme ROMO Lucia, psychologue clinicienne
- M. SORIANO Sébastien, Actuel Directeur général de l’IGN
- M. STORA Michaël, Psychologue clinicien et psychanalyste
- M. TADAYONI Ramin, Chef de service ophtalmologie à l’Hôpital Fondation Adolphe de
Rothschild
- M. TAQUET Pierre, Psychologue clinicien et chercheur
- M. TISSERON Serge, Psychiatre, docteur en psychologie, membre de l'Académie des
technologies
- M. WEBER Niels, Psychologue -Psychothérapeute
- Mme ZEIDE Elena, Professeur de droit, université du Nebraska - Collège de Droit
142