Tribunal Administratif de La Reunion #1400432 Republique Française

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TRIBUNAL ADMINISTRATIF jd

DE LA REUNION
REPUBLIQUE FRANÇAISE
N° 1400432
___________

M. X… et autres AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


__________

M. S…
Rapporteur Le tribunal administratif de La Réunion,
___________

M. C… (1ère chambre)
Rapporteur public
___________

Audience du 9 juin 2016


Lecture du 28 juillet 2016
___________

68-03-03-005
C

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 17 avril 2014,
26 février 2016, 18 mars 2016 et 28 avril 2016, M. X…, Mme R…, M. G…, M. R…, M. B…,
Mme L…, M. H…, Mme V…, Mme T…, Mme B…, M. H…, M. O… et M. B…, représentés
par Me D…, avocat, demandent au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté du 25 novembre 2013 par lequel le maire de Saint-Denis a


délivré à la SCI « L… - L… » un permis de construire un complexe cinématographique et
commercial de 6 633 m² de surface de plancher sur une parcelle cadastrée AD 0502, située
3 rue de la Batterie, ainsi que la décision du 13 février 2014 de rejet de leur recours
gracieux formé contre cet arrêté ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Denis et de la SCI L… une


somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice
administrative.

1. Considérant que par un arrêté du 25 novembre 2013, le maire de la commune de


Saint-Denis a délivré à la SCI « L… - L… », sous le n° PC 974411 13A0155, un permis de
construire un complexe cinématographique et commercial d’une surface de plancher de
6 633 m², sur un terrain situé 3 rue de la Batterie à Saint-Denis, parcelle cadastrée AD 0502 ;
que ce complexe, outre deux sous-sols de parking totalisant 160 places, comprend quatre
niveaux ; que le rez-de-chaussée est composé de dix unités de commerces et de trois unités de
restauration ; que le niveau R+1 est composé de quatre unités à vocation commerciale, de
trois unités de restauration et de terrasses avec vue sur le front de mer ; que le niveau R+2
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comprend six salles de cinéma, pour un total de 1 001 places, avec un espace confiserie-
billetterie et un foyer vue mer ; que le niveau R+3 accueille les bureaux administratifs du
cinéma et des cabines de projection ; que par un arrêté du 5 janvier 2014, le permis a été
transféré à la SCI L… ; que par un recours gracieux du 24 janvier 2014, reçu le jour même,
M. X… et douze autres habitants du quartier ont demandé au maire de Saint-Denis de retirer
cet arrêté ; que par lettre du 13 février 2014, notifiée le 17 février suivant, cette demande a été
rejetée ; que M. X… et autres demandent l’annulation de l’arrêté du 25 novembre 2013
accordant le permis de construire, ainsi que de la décision de rejet du recours gracieux formé
contre cet arrêté ;

Sur les fins de non-recevoir opposées à la requête :

En ce qui concerne l’intérêt à agir :

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme : « Une


personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une
association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de
construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux
sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de
jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une
promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du
code de la construction et de l'habitation » ; que selon l’article L. 600-1-3 du même code :
« Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l'intérêt pour agir contre
un permis de construire, de démolir ou d'aménager s'apprécie à la date d'affichage en mairie
de la demande du pétitionnaire » ;

3. Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’il appartient, en particulier, à tout


requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à
l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il
invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous
éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible
d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ;
qu’il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter
tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; qu’il
appartient ensuite au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de
la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant
les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur
du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien
de la recevabilité de celui-ci ;

4. Considérant que les requérants, qui, contrairement à ce que soutient la commune


en défense, justifient être domiciliés dans les rues situées à proximité immédiate du terrain
d’assiette du projet complexe cinématographique et commercial litigieux, soutiennent que sa
réalisation, compte tenu du nombre de clients du cinéma et des multiples commerces, va
générer des problèmes de circulation et de stationnement dans les rues adjacentes où ils
résident ; que la hauteur des constructions projetées, qui dépasse les dix mètres, va modifier la
vue dont ils disposent depuis leur domicile ; que les travaux de réalisation du complexe vont
générer de multiples nuisances ; que ni la commune, ni la société L…, ne contestent utilement
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la réalité de ces atteintes ; qu’ainsi qu’il a été exposé au point 1 ci-dessus, le projet litigieux
concerne un complexe cinématographique et commercial d’une surface de plancher de
6 633 m2, 1 001 places de cinéma, quatorze commerces et six restaurants ; que ce complexe,
qui comprend quatre niveaux, présente une longueur de plus de 80 mètres, une largeur de plus
de 20 mètres et une hauteur au faîtage de 18 mètres ; que, par suite, la fin de non-recevoir
tirée de l’absence de justification de l’intérêt à agir des requérants pour demander l’annulation
du permis litigieux doit être rejetée ;

En ce qui concerne la tardiveté :

5. Considérant que la commune de Saint-Denis fait valoir que les conclusions


présentées par MM. L…, O… et B… seraient tardives, au motif que ces derniers n’auraient
pas signé le recours gracieux présenté par les autres requérants ; que, toutefois, il ressort des
pièces du dossier que MM. L…, O… et B… ont bien signé ce recours ; que ce recours
gracieux, reçu le 24 janvier 2014, a interrompu le délai de recours contentieux à l’encontre du
permis attaqué signé le 25 novembre 2013 ; que, par suite, la requête enregistrée le 17 avril
2014, dans le délai de deux mois du rejet du recours gracieux notifié le 17 février 2014, n’est
pas tardive ;

En ce qui concerne le défaut de notification de la requête au bénéficiaire du transfert


du permis litigieux :

6. Considérant qu’aux termes de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme : « En cas


(…) de recours contentieux à l'encontre (…) d'une décision relative à l'occupation ou
l'utilisation du sol régie par le présent code, (…) l'auteur du recours est tenu, à peine
d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, au titulaire de
l'autorisation. (...) L'auteur d'un recours administratif est également tenu de le notifier à
peine d'irrecevabilité du recours contentieux qu'il pourrait intenter ultérieurement en cas de
rejet du recours administratif. / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par
lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter
du dépôt (…) du recours. / La notification du recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu,
au titulaire de l'autorisation est réputée accomplie à la date d'envoi de la lettre recommandée
avec accusé de réception. Cette date est établie par le certificat de dépôt de la lettre
recommandée auprès des services postaux. » ; que la formalité ainsi prévue est régulièrement
accomplie, dès lors que la notification du recours est adressée au titulaire de l'autorisation tel
qu'il est désigné par l'acte attaqué, sans qu'ait d'incidence la circonstance que l'autorisation a
été transférée à un nouveau bénéficiaire antérieurement à cette notification ;

7. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le recours gracieux et la


requête ont été notifiés à la société « L… - L… », titulaire initial du permis tel qu’il a été
désigné dans l’arrêté attaqué, par lettres recommandées avec accusé de réception comportant,
respectivement, pour la première le cachet de la poste du 29 janvier 2014, et pour la seconde
la date de dépôt au bureau de poste du 28 avril 2014, soit dans le délai de quinze jours exigé
par les dispositions précitées ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée de l’absence de
notification des recours au bénéficiaire du permis de construire ne peut être accueillie ;
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Sur les conclusions à fin d’annulation du permis litigieux :

8. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des dispositions combinées du a) de


l’article R. 431-16 du code de l'urbanisme et de la rubrique n° 38 de l’article R. 122-2 du code
de l’environnement que l’administration doit se prononcer, au cas par cas, sur la réalisation
d’une étude d’impact concernant à un projet de construction relatif à un équipement culturel
ou de loisir susceptible d’accueillir plus de 1 000 personnes et moins de 5 000 personnes ;
qu’en l’espèce, il est constant que le cinéma inclus dans le projet litigieux présente un nombre
de place égal à 1 001, sans même que soit pris en compte le personnel du cinéma ; que, par
suite, le projet devait faire l’objet d’une décision de l’autorité administrative de l’Etat
compétente en matière d’environnement relative à la réalisation d’une étude d’impact, sans
qu’y fasse obstacle la circonstance que la superficie du projet est inférieure à 10 000 m², seuil
à partir duquel l’étude d’impact est obligatoire en vertu de la rubrique n° 36 de l’article
R. 122-2 du code de l’environnement ; qu’en l’espèce, il est constant que l’autorité
compétente en matière d’environnement n’a pas été saisie du projet et qu’aucune étude
d’impact n’a par ailleurs été réalisée ; que, par suite, les requérants sont fondés à soutenir que
les dispositions précitées du a) de l’article R. 431-16 du code de l'urbanisme ont été
méconnues ;

9. Considérant, en deuxième lieu, que selon l’article R. 431-16, h) du code de


l’urbanisme, le dossier joint à la demande de permis de construire doit comprendre une étude
de sécurité publique lorsqu’elle est exigée en application des articles R. 111-48 et R. 111-49 ;
qu’en vertu de l’article R. 111-48 du code de l’urbanisme alors en vigueur à la date de l’arrêté
attaqué, est soumise à l’étude de sécurité publique prévue à l’article L. 111-3-1 du même
code, la création d'un établissement recevant du public de première ou de deuxième catégorie
au sens de l'article R. 123-19 du code de la construction et de l'habitation, lorsque l’opération
est située dans une agglomération de plus de 100 000 habitants ; qu’en l’espèce, il est constant
que la commune de Saint-Denis est située dans une agglomération de plus de 100 000
habitants et que l’opération projetée tend à la création d'un établissement recevant du public
de première catégorie de telle sorte que le projet litigieux est au nombre de ceux devant faire
l’objet d’une étude de sécurité publique ; qu’il est également constant que cette étude n’a pas
été jointe au dossier de demande du permis de construire ; que la circonstance qu’un tel
document présenterait un caractère confidentiel n’est pas de nature à exonérer le pétitionnaire
de son obligation résultant directement des dispositions précitées de l’article R. 431-16 du
code de l'urbanisme, alors même que selon l’article L. 111-3-1 du même code cette étude
constitue un document non communicable au sens du I de l’article 6 de la loi n° 78-753 du
17 juillet 1978 alors en vigueur, le maire pouvant néanmoins en obtenir communication ;

10. Considérant que l’étude de sécurité publique permet, selon les dispositions de
l’article L. 111-3-1 du code de l'urbanisme, d’apprécier les conséquences de la réalisation
d’un projet sur la protection des personnes et des biens contre les menaces et les agressions, et
comprend notamment en vertu de l’article R. 111-49 du même code, les mesures proposées,
concernant en particulier l'aménagement des voies et espaces publics et, lorsque le projet
porte sur une construction, l'implantation, la destination, la nature, l'architecture, les
dimensions et l'assainissement de cette construction et l'aménagement de ses abords, pour
prévenir et réduire les risques de sécurité publique mis en évidence dans le diagnostic, et
faciliter les missions des services de police, de gendarmerie et de secours ; qu’en l’espèce, eu
égard à la nature du projet, à son importance et à sa localisation, l’absence d’étude de sécurité
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publique a été susceptible d’exercer une influence sur la décision prise et entache ainsi
d’irrégularité le permis de construire qui a été délivré ;

11. Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte du IX des dispositions générales du


règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Saint-Denis, auquel renvoie l’article
Up 3 du même règlement, que les projets de construction doivent être desservis par une voie
publique ou privée dans des conditions répondant à son importance et à sa destination
notamment en ce qui concerne la commodité, la sécurité de la circulation et des accès, ainsi
que les moyens d’approche permettant une lutte efficace contre l’incendie ; qu’il résulte des
pièces du dossier, et notamment du plan de circulation du centre-ville de Saint-Denis, que le
projet litigieux n’est accessible que depuis la rue Neuve, puis la rue de la Batterie, voies de
circulation à sens unique, ne comportant qu’une seule voie de circulation ; que les requérants
soutiennent sans être sérieusement contestés que ces rues sont déjà particulièrement
encombrées ; que l’entrée unique du parking de 160 places du complexe se situe sur la rue de
la Batterie ; qu’ainsi qu’il a été précédemment exposé au point 4 ci-dessus, le projet litigieux
comprend 1 001 places de cinéma, quatorze commerces, six restaurants et va donc générer un
flux important de circulation automobile ; que, s’il est soutenu en défense que le projet de
complexe litigieux s’inscrit dans le cadre d’une opération d’aménagement urbain de la façade
littorale de Saint-Denis dénommée « nouvelle entrée ouest » (NEO), qui comprend
notamment la création d’un transport en commun en site propre (TCSP), des parkings publics
et des voies de circulation piétonne, à la date de signature du permis attaqué, ce projet n’a fait
l’objet d’aucune décision administrative non plus que d’aucun commencement de travaux
permettant de considérer qu’il sera réalisé à la date d’achèvement des travaux du complexe
litigieux ; que, dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que le projet contesté
n’est pas desservi par une voie publique dans des conditions répondant à son importance et à
sa destination, notamment en ce qui concerne la commodité, la sécurité de la circulation et des
accès, ainsi que les moyens d’approche permettant une lutte efficace contre l’incendie, en
méconnaissance des dispositions du IX des dispositions générales du règlement du plan local
d'urbanisme, auquel renvoie l’article Up 3 du même règlement ;

12. Considérant, en quatrième lieu, qu’il résulte du paragraphe X des dispositions


générales du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Saint-Denis, auquel
renvoie l’article Up 4 du même règlement, que toute zone nouvellement aménagée doit être
équipée d’un débourbeur/déshuileur installé en sortie d’ouvrage de régulation de débit des
eaux pluviales et qu’il en est de même pour tout aménagement permettant le stationnement
regroupé de plus de 10 véhicules ; qu’en l’espèce, il est constant que le projet ne prévoit pas
l’installation d’un tel dispositif d’assainissement des eaux pluviales ; que, dès lors, l’arrêté
attaqué a été pris en méconnaissance des dispositions précitées du règlement du plan local
d'urbanisme ;

13. Considérant que pour l’application de l’article L. 600-4-1 du code de


l’urbanisme, aucun des autres moyens soulevés par les requérants n’est susceptible de fonder
l’annulation du permis de construire attaqué ;

14. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. X… et autres sont fondés à
demander l’annulation de l’arrêté du 25 novembre 2013 du maire de Saint-Denis, ainsi que de
la décision du 13 février 2014 rejetant leur recours gracieux formé contre cet arrêté ;
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Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice


administrative :

15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice


administrative font obstacle à ce que soit mises à la charge des requérants, qui ne sont pas la
partie perdante dans la présente instance, les sommes que la commune de Saint-Denis et la
société L… demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

16. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la


charge de la commune de Saint-Denis une somme de 1 500 euros, à verser M. X… et autres
au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, il n’y a pas
lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les
requérants sur le fondement des mêmes dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative à l’encontre de la société L… ;

DECIDE:

Article 1er : L’arrêté du 25 novembre 2013 du maire de la commune de Saint-Denis accordant


un permis de construire à la SCI « L… - L… », et la décision du 13 février 2014 de rejet du
recours gracieux formé contre cet arrêté sont annulés.

Article 2 : La commune de Saint-Denis versera à M. X… et autres la somme de 1 500 euros


au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X… et autres est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de la commune de Saint-Denis et de la société L… présentées au


titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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