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HISTOIRE

DE L A M A G I E 3
à
AVEC UNE

E X P O S I T I O N C L A I R E E T P R É C I S E D E S E S P R O C É D É S

DE S E S R I T E S E T D E S E S M Y S T È R E S

PAR

ÉLIPHAS LÉVI
Auteur de Dogme et rituel de la haute magie.

Opus hierarchicum et c.alholicum.


(C'est uno* œuvre hiérarchique et catholique.)
1

Définition du grand œuvre, H . KHUNRATH.

Avec 18 planches représentant 9© figures.

PARIS
GERMER BAILLIÈRE, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
17, R D E D E L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE.

LONDRES ET NEW-YORK. MADRID,


HlPP. RAILLIÈRE. 1 CH. BAILLY-RAILLIÈRE.

Ì860
HISTOIRE

DE LA MAGIE

f «WiVMsinitj
L I B R A I R I E DE GERMER BAILLIÈRE.

Ouvrage du même auteur:

DOGME E T RITUEL
DE LA H A U T E MAGIE
1856, 2 vol. in-8, avec 23 figures. — Prix: 23 francs.
Cet ouvrage est divisé en deux parties. Dans Tune, l'auteur établit le dogme cabalistique
et magique dans sou entier; l'autre e»t consacrée au culte, c'est-à-dire à la magie cerémo-
niale. L'une est ce que les anciens sages appelaient la clavicule ; l'autre, ce que les gens
de la campagne appellent encore le grimoire. Le nombre et le sujet ues chapitres qui se
correspondent dans les deux, pariies n'out rien d'arbitraire et se trouvent tout indiqués
dans la giande clavicule universelle, dout l'auteur donne pour la première fois une expli-
cation complète et satisfaisante.
Ce livre est catholique, et si les révélations qu'il contient sont de nature à alarmer la
conscience des simples, il est consolant de penser qu'ils ne le liront pas. Il est écrit pour
les hommes sans préjugés, et l'auteur n'a pas voulu plus flatter l'irréligion que le tanatisme.

CAHAGNET. Magie magnétique, ou Traité historique et pratique de fascinations,


de miroirs cabalistiques, d'apports, de suspensions, de pactes, de charmes
des vents, de convulsions, de possessions, d'envoûtement, de sortilèges, de
magie de la parole, de correspondances sympathiques et de nécromancie.
2* édition. 1858, 1 vol. gr. i n - l 8 , b r . 7 fr.
BRIERRE DE ROISMONT. Des hallucinations, ou Histoire raisonnée des appa-
ritions, des visions, des songes, de l'extase, du magnétisme et du somnam-
bulisme. 1852, 2 édition, 1 vol, ift-8.'
e
6 fr.
DELEUZE. Instruction pratique sur le magnétisme animal. Nouvelle édition,
précédée d'une notice historique suc-la vie et les ouvrages de l'auteur, et
suivie d'une lettre d'un médecin étranger. 1853, 1 vol. in-12. 3 fr. 50
DELEUZE. Histoire critique du magnétisme animal. 2 édition, 1819, 2 vol.
e

in-8. 9 fr.
DU POTET. Le magnétisme opposé à la médecine. Mémoire pour servir à l'his-
toire du magnétisme en France et en Angleterre. 4840, 1 vol. in-8. 6 fr.
DU POTET. Manuel de l'étudiant magnétiseur, ou Nouvelle instruction pratique
sur le magnétisme, fondée sur trente années d'observations. 1854, 3 édi- e

tion, 1 vol. gr. in-18, 2 lig. 3 fr. 50


DU POTET. Traité complet du magnétisme animal (cours en douze leçons).
1856, 3 édit., refondue, 1 vol. in-8 de 632 pages.
e
7 fr.
GAUTHIER (Aubin). Histoire du somnambulisme chez tous les peuples, sous les
noms divers d'extases, songes, oracles et visions. 1842, 2 vol. in-8. 10 fr.
GAUTHIER (Aubin). Traité pratique du magnétisme et du somnambulisme.
1845, 1 vol. in-8. 10 fr.
GOUPY. Explication des tables parlantes, des médiums, des esprits et du som-
nambulisme, par divers systèmes de cosmologie, suivie de la Voyante, de
Prévost. 1860, 1 vol. in-8. 6 fr.
MESMER. Mémoires et aphorismes sur le magnétisme animal, suivis des pro-
cédés d'Ëslon. Nouvelle édition, avec des notes, par J.-J.-A. Ricard. 1846,
1 vol. in-18, br. 2 fr. 50
MORIN (A.-S.). Du magnétisme et des sciences occultes. 1860,1 vol. in-8. 6 fr.
RAPPORT confidentiel sur le magnétisme animal et sur la conduite récente de
l'Académie royale de médecine, adressé à la Congrégation de l'index, et
traduit de l'italien du R.-P. Scobardi. 1839, in-8. 2 fr.

Paris. — Imprimerie de L, MARTINET, rue Mignon, S.


FONTISPICE.
JPI.I

LE P E N T A G R A M M E DE L'ABSOLU.


ft. iti*

HISTOIRE

DE L A M A G I E
AVEC UNE

E X P O S I T I O N C L A I R E E T PRÉCISE D E S E S P R O C É D É S ,

DE S E S R I T E S E T D E S E S M Y S T È R E S

PAR

ÉLIPHAS LÉVI
Auteur de Dogme et rituel de la haute magie.

Opus hierarchicum et catholicum.


(C'est une œuvre hiérarchique et catholique.)

Définition du grand œuvre, H . K.HUNRATH.

Avec 18 planches représentant OO figures.

^ • f .„ * D E § = -

PARIS
GERMER BAILLIËRE, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
17, RUE DE L ÉCOLE-DE-MÉDECINE.

LONDRES E T NEW-YORK, ] MADRID,

H. BAILLIÈRE. j CH. BAILLT-BAILLIÈRE.


1860
Droits de traduction et de reproduction réservés.
PRÉFACE

Les travaux d'Éliphas Lévi sur la science des anciens

mages formeront un cours complet divisé en trois parties :

La première partie contient le Dogme et le Rituel de

la haute magie; la seconde, Y Histoire de la magie; la

troisième, la Clef des grands mystères, qui sera publiée

plus tard.

Chacune de ces parties, étudiée séparément, donne

un enseignement complet et semble contenir toute la

science. Mais pour avoir de l'un une intelligence pleine

et entière, il sera indispensable d'étudier avec soin les

deux autres.

Cette division ternaire de notre œuvre nous a été

donnée par la science elle-même ; car notre découverte

des grands mystères de cette science repose tout entière

sur la signification que les anciens hiérophantes atta-

chaient aux nombres. TROIS était pour eux le nombre

générateur, et dans l'enseignement de toute doctrine ils

en considéraient d'abord la théorie, puis la réalisation,

puis l'adaptation à tous les usages possibles. Ainsi se

sont formés les dogmes, soit philosophiques, soit reli-

gieux. Ainsi la synthèse dogmatique du christianisme


VI PRÉFACE.

héritier des mages impose à notre foi trois personnes en

Dieu et trois mystères dans la religion universelle.

Nous avons suivi, dans la division de nos deux ouvrages

déjà publiés, et nous suivrons dans la division du troi-

sième le plan tracé par la kabbale ; c'est-à-dire par la

plus pure tradition de l'occultisme.

Notre Dogme et, notre Rituel sont divisés chacun en

vingt-deux chapitres marqués par les vingt-deux lettres

de l'alphabet hébreu. Nous avons mis en tête de chaque

chapitre la lettre qui s'y rapporte avec les mots latins

qui, suivant les meilleurs auteurs, en indiquent la signi-

fication hiéroglyphique. Ainsi, en tête du chapitre pre-

mier, par exemple, on lit :

I N A

£ f e^e C LE RÉCIPIENDAIRE,

Disciplina,

Ensoph,

Keter.

Ce qui signifie que la lettre aleph, dont l'équivalent

en latin et en français est A, la valeur numérale 1 signifie

le récipiendaire, l'homme appelé à l'initiation, l'individu

habile (le bateleur du tarot), qu'il signifie aussi la s y l -

lepse dogmatique (disciplina), l'être dans sa conception

générale et première (Ensoph) j enfin l'idée première et


PRÉFACE. VII

obscure de la divinité exprimée par keter (la couronne)

dans la théologie kabbalistique.

L e chapitre est le développement du titre et le titre

contient hiéroglyphiquement tout le chapitre. Le livre

entier est composé suivant cette combinaison.

L'Histoire de la magie qui vient ensuite et qui, après

la théorie générale de la science donnée par le Dogme

et le Rituel, raconte et explique les réalisations de cette

science à travers les âges, est combinée suivant le nombre

septénaire, comme nous l'expliquons dans notre Intro-

duction. L e nombre septénaire est celui de la semaine

créatrice et de la réalisation divine.

La Clef des grands mystères sera établie sur le nombre

quatre qui est celui des formes énigmatiques du sphinx

et des manifestations élémentaires. C'est aussi le nombre

du carré et de la force, et dans ce livre nous établirons

la certitude sur des bases inébranlables. Nous explique-

rons entièrement l'énigme du sphinx et nous donnerons

à nos lecteurs cette clef des choses cachées depuis le

commencement du monde, que le savant Postel n'avait

osé figurer dans un de ses livres les plus obscurs que

d'une manière tout énigmatique et sans en donner une

explication satisfaisante.

L'Histoire de la magie explique les assertions conte-

nues dans le Dogme et le Rituel; la Clef des grands mijs-


VIlï PRÉFACE.

tères complétera et expliquera l'histoire de la magie. En

sorte que, pour le lecteur attentif, il ne manquera rien,

nous l'espérons, à notre révélation, des secrets de la

kabbale des Hébreux et de la haute m a g i e , soit de

Zoroastre, soit d'Hermès.

L'auteur de ces livres donne volontiers des leçons aux

personnes sérieuses et instruites qui en demandent, mais

il doit une bonne fois prévenir ses lecteurs qu'il ne dit

pas la bonne aventure, n'enseigne pas la divination, ne

fait pas de prédictions, ne fabrique point de philtres,

ne se prête à aucun envoûtement et à aucune évocation.

C'est un homme de science et non un homme de pres-

tiges. Il condamne énergiquement tout ce que la religion

réprouve, et par conséquent il ne doit pas être confondu

avec les hommes qu'on peut importuner sans crainte en

leur proposant de faire de leur science un usage dange-

reux ou illicite.

Il recherche la critique sincère, mais il ne comprend

pas certaines hostilités.

L'étude sérieuse et le travail consciencieux sont au-

dessus de toutes les attaques ; et les premiers biens qu'ils

procurent à ceux qui savent les apprécier, sont une paix

profonde et une bienveillance universelle.

ÉLIPHAS LÉVi.

1 e r
septembre 1859.
TABLE ANALYTIQUE

DES M A T I È R E S CONTENUES DANS CET OUVRAGE.

PRÉFACE v

INTRODUCTION 1

Fausse définition de la magie. Elle ne doit pas être définie au ha-


sard. Vraie définition, 1. — Étoile flamboyante, ce que c'est.
Existence de l'absolu, 2 . — La magie science absolue, 3. — Er-
reurs de Dnpuis, 4 . — Profanations de la science. Prédiction du
comte de Maistre, 5. — Mesure et portée de la science magique.
Justice de Dieu, 7. — Puissance de l'adepte, 8. — Le diable et la
science, 10. — Existence des démons, 11. —Fausse idée du
diable, 12. — Conception des Manichéens 16
Crimes des sorciers, 18. — La lumière astrale. On l'appelle ima-
gination de la nature. Ce que c'est, 19. — Ses effets, 20. —
Le magnétisme défini, 22. —Accord de la raison avec la foi, 23.
— Jakin et Bohas, 24. —Principe de la hiérarchie, 25. — Reli-
gion des kabbalistes., 26. — Images de Dieu, 28. — Théorie de
la lumière, 28.— Mystères de l'amour sexuel, 29.—Antagonisme
des pouvoirs, 31. — La prétendue papesse Jeanne, 32. — La
kabbale explique et concilie tout, 32. — Pourquoi l'Église a
condamné la magie, 33. — La magie dogmatique explique la
philosophie de l'histoire, 34. — Mauvaises curiosités relatives à
la magie, 35. — Plan de ce livre, 37. — Soumission de l'auteur
à l'ordre établi • • • • 39

LSVRE PREMSEU.— Li'S origines magiques.


CHAPITRE PREMIER. — Origines fabuleuses il
Le livre d'Hénoch et la chute des anges, 41. — Sens de la légende,
42. — L i v r e de la pénitence d'Adam, 43. — Ce que c'est que le
personnage d'Hénoch 46
Apocalypse de Saint-Méthodius 46
Les enfants de Seth et ceux de Cain 47
-Raison de l'occultisme 48
Erreur de Rousseau 49
Traditions judaïques 50
Gloire du chrisiianisme 51
Le Sepher Jezirah, le Sohar et l'Apocalypse, 51. — Commencement
du Sohar 52
CHAPITRE II. — Magie des mages 55
Le vrai et le faux Zoroastre, 55. — Dogmes du vrai Zoroastre.... 56
Pyrotechnie transcendentale 57
Secrets électriques de Numa 57
Une page de Zoroastre sur les démous et les sacrifices 58
Révélations importantes sur le magnétisme 60
L'initiation en Assyrie, 61. — Prodiges des Assyriens 62
Du Potet d'accord avec Zoroastre 62
—Danger que courent les imprudents 63
Puissance de i'homme sur les animaux •. • 63
X TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.

Chute du sacerdoce eu Assyrie...." 64


Mort magique de Sardanapale 65
CHAPITRE III. — Magie dans l'Inde 67
Les Indiens descendants de Caïn. L'Inde mère de l'idolâtrie. Doctrine
des gymnosophistes, 67. — Origine indienne du gnosticisme, 68.
Fables savantes de l'Inde, 69. — Magie noire de FOup nek' bat.
M. Ragon, auteur cité, 7 4 . — Grands arcanes indiens, 7 5 . —
Les Indiens révoltés et les Anglais 76
CHAPITRE I V . — M a g i e hermétique 77
• La table d'Émeraude, 77, — Autres écrits d'Hermès 78
Sens magique de la géographie ancienne de l'Egypte 79
Ministère de Joseph 80
Alphabet sacré, 8 1 . — Table isiaque de Bembo 81
Le tarot expliqué par le Sepher Jezirah, 8 2 . — L e tarot de Charles V I I . 82
Science magique de Moïse 83
CHAPITRE V . — Magie en Grèce 85
Fables de la toison d'or, 86. — Médée et Jason 88
Les cinq épopées magiques 89
Eschyle profanateur des mystères 89
Orphée de la légende, 90. — Mystères orphiques 92
La Goëtie, 93. — Les sorcières de Thessalie, 94. — Médée et Circé. 95
CHAPITRE V I . — Magie mathématicienne de Pythagore 96
Pythagore héritier des traditions de Numa, 96. — Ce qu'était Pytha-
gore. Sa doctrine sur Dieu, 97. — Belle sentence contre l'anar-
chie. Vers dorés, 98. — Symboles de Pythagore. Sa chasteté, 100.
-—Sa divination, 101. —Comment il explique ses miracles, 102.
— Secret de l'interprétation des songes, 103. — Croyance de Py-
thagore 104
CHAPITRE V I I . — l a sainte kabbale 105
Origine de la kabbale 105
Horreur des kabbalistes pour l'idolâtrie 105
Leur définition de Dieu 105
Principes de la kabbale 106
Les noms divins et l'alphabet sacré 109
Les clavicules de Salomon 110
Si les esprits peuvent revenir 113
•Lcslarvesfluidiqu.es • 114
« L a lumière, grand agent magique 115
Origine obscène des larves 117

LIVKE I I . — Formation et réalisation du dogme.

CHAPITRE PREMIER. — Symbolisme primitif de l'histoire 118


Allégorie du paradis terrestre 119
Bêtise d'un grand esprit 119
Mystères de la Genèse 120
Belphégor, 1 2 1 . — S o n culte 122
Le sabbat, imitation des mêmes rites 122
Décadence de la hiérarchie 123
Philosophie de hasard 124
Doctrine de Platon 124
Réponse d'Apollon à ceux de Délos.. 125
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.

La pierre cubique • 126


Résumé du néoplatonisme 127
CHAPITRE IL — l e mysticisme 128
Inviolabilité de la science magique 128
Écoles profanes et mystiques, 129. — Les Bacchantes 129
Réformateurs matérialistes. Mystiques anarchistes, 130. — Fous-vi-
sionnaires. Leur horreur pour les sages 131
Tolérance de la vraie Église 132
Tendance immorale des faux miracles 132
Les faux théraphims 133
Rites de la magie noire 134
Cause des visions 135
M. Brierre de Boismont et son Traité des hallucinations 136
CHAPITRE III. — Initiations et épreuves 137
Ce que c'est que le grand œuvre 137
Les quatre formes du sphinx reproduites allégoriquement sur le bou-
clier d'Achille 137
Allégories d'Hercule et d'OEdipe. Épreuves 138
Tradition invoquée par Platon, 140. — Platon kabbaliste 141
Différence entre Platon et Saint-Jean 142
Expériences funestes 142
Homœopathie pratiquée par les Grecs 143
L'antre de Trophonius et la grotte du chien. Science des prêtres
égyptiens 144
Lactance se moque des antipodes 145
Enfers des Grecs 145
Utilité de la douleur s 147
Le tableau de Cébès et le poëme de Dante 147
Doctrines du Phédon 148
CHAPITRE IV. — Magie du culte public 149
La superstition expliquée par la nécessité du culte 150
Traditions orthodoxes 151
Calomnies des profanes contre les initiés 152
Une allégorie sur Bacchus 153
Tyrésias et Calchas • 153
Le sacerdoce suivant Homère 155
Oracles des sybilles 156
CHAPITRE V. — Mystères de la virginité 157
Institution des vestales 158
Vertu traditionnelle du sang virginal 158
Symbolisme du feu sacré 159
L'honneur chez les femmes romaines 160
Hiérophantisme de Numa 161
Idées ingénieuses de Voltaire sur la divination 161
Instinct prophétique des masses 162
Fausses appréciations des oracles par Kircher et Fontenelle 162
Calendrier religieux de Numa 163
CHAPITRE VI. — Bes superstitions J64
Belle pensée de saint Grégoire, pape 164
Observance des nombres et des jours 165
Abstinences des mages *66
Opinions de Porphyre.. • 1 6 6
XII TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.

Données mythologiques sur l'instinct des animaux 167


Passage d'Euripide. . . . 168
Raison des abstinences pythagoriciennes 168
Singulier passage d'Homère 169
Superstitions romaines 169
Enchantements 171
Tourbillons magiques 172
CHAPITRE V I I . — Monuments magiques 173
Les sept merveilles du monde représentant les sept planètes magiques. 173
Résumé philosophique des anciens 175

Ï.Il'SSE I I I . — Synthèse et réalisation divine du miagisme


par I » révélation chrétienne.
CHAPITRE P R E M I E R — Christ accusé de magie 177
Sens profond du commencement de l'évangile selon saint Jean. . . . 177
Ézéchiel kabbaliste 177
Caractère spécial du christianisme 178
Accusations des Juifs contre le Sauveur 179
Une belle légende des évangiles apocryphes 180
Les Joaimites 181
Livres magiques brûlés à Éphèse 181
Le gran Pan est mort ! 181
CHAPITRE I I . — V é r i t é du christianisme par la magie 182
Existence absolue de la religion 182
Distinction essentielle de la science et de la foi 183
Objections absurdes 184
Réalité du christianisme démontrée par la charité 185
Simon le Magicien, 187. — Son histoire, 188. — S a doctrine, 190.
— Sa conférence avec saint Pierre et saint Paul, 192. — Sa
chute, 193. — Sa secte continuée par Ménandre 194
CHAPITRE I I I . - B u diable 194
Satan et Lucifer 194
Sagesse de l'Église 196
—Ce que c'est que le diable suivant les initiés aux sciences occultes.. 196
Opinions de Torreblauca 198
—Perversités astrales 199
Les démons, vices personnifiés 200
CHAPITRE I V . — Z«es derniers païens 201
Le miracle éternel de Dieu 201
Action civilisatrice du christianisme 201
Apollonius et Julien. Légende allégorique d'Apollonius, 202. — Suite
de cette légende, 205. — Jugement sur Julien et sur Apollonius.. 206
CHAPITRE V . - lies légende 207
Justine et Cypricn, 208. — Oraison magique de saint C y p r i e n . . . . 211
La légende dorée 212
Pourquoi les chrétiens étaient accusés d'adorer une tète d'âne 213
L'âne d'or d'Apulée 215
Finesse de saint Augustin 215
CHAPITRE V I . — Peintures kabbalistiques 216
Emblèmes des catacombes 216
Vrais et faux gnosftiques 217
TABLE ANALYTIQUE DKS MATIÈRES. XIII

L'hérésiarque Marcos 218


Intrusion des femmes dans le sacerdoce 218
Miracles diaboliques 220
Les manichéens 220
-^Danger des évocations 221
Perte des clefs kabbalistiques 222
CHAPITRE VII. — École d'Alexandrie 223
Ammonius Saccas, Plotin, Porphyre, Proclus, Hypathie 223
Imprudents aveux de Synésius, 221. — Écrits de cet initié 225
Son traité des songes est commenté par Jérôme Cardan 225
Livres de saint Denys l'Aréopagite attribués à Synésius 227

LIVitE IV. — I.:a swagïe cl la civilisation.

CHAPITRE PREMIER. — M a g i c chez les Barbares, 228


Histoire de Philinnium et de Mâchâtes 232
Mythologie des Germains et des druides 234
Magie des Eubages. 236
CHAPITRE II. — Influence des femmes 238
Velléda calomniée par Chateaubriand 239
Ce que c'est que Bcrthe au long pied 239
Mélusine, 240. — Sainte Clotildc, 211. — Frédégonde, 211. — Lé-
gende ou histoire de KIodswintbe, 242. — Frédégonde sauve une
femme par méchanceté 244
CHAPITRE III. —X»ois saliques contre les sorciers 244
Lois saliques 245
Singulier passage duTalmud expliqué à la reine Blanche par le rabbin
Jéchiel 246
Amateurs du diable condamnés par l'Église. 248
Charles Martel, 249. — Le kabbaliste Zédéchias et les esprits élé-
mentaires 250
CHAPITRE I V . — légendes de Charlemagne 254
Charlemagne et Roland 254
VEnchiridion de Léon 111 257
Les francs-juges, 261. — Les illuminés, 262. — La chevalerie er-
rante 263
CHAPITRE IV. — Magiciens 264
Le pape et l'empereur, 264. — Excommunications, 265.— Légendes
diaboliques, 2G5. — Le rabbin Jéchiel et saint Louis, 266. —
Albert le Grand et son androïde 267
Saint Thomas d'Aquin 270
Ce que c'est que la quinte-essence 271
CHAPITRE VI. — Procès célèbres 272
Puissance des ordres religieux 273
Les templiers, 275. — Légende profane des Joannites sur la vie de
N.-S. Jésus-Christ, 275.—Doctrine secrète des templiers, 278.
[ . procès, 279. — L
jt ur destruction apparente
e u r
280
La sainte et vaillante Jeanne d'Arc 280
Gille de Laval, seigneur de Raiz, type de la Barbe-Bleue 290
CHAPITRE VII. Superstitions relatives au diable 290
XIV TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES.

Comment le diable apparaît, 291. _ Hallucinations terribles 293


— Le pourquoi des apparitions 9QK p 1 terrioies, 293.
n

tournantes.... W > a
295. — Ce que disent les tables
dnuoas

297

liIVRE \. — E«es adeptes et îe sacerdoce.


CHAPITRE PREMIER. — Prêtres et papes accusés de magie 298
Sainteté inviolable du sacerdoce 298
Accusations des faux adeptes 299
Sylvestre II faussement accusé 300
Légèreté de Platine 300
Absurde histoire de la papesse Jeanne 301
Opinion de Naudé sur Sylvestre II 304
Le grimoire d'Honorius, 305. — Son auteur présumable 306
Analyse curieuse et entièrement nouvelle de ce grimoire 314
CHAPITRE II. — Apparition des Bohémiens nomades 314
Extrait d'une ancienne chronique 317
Citation de VHisoire vraie des vrais Bohémiens, par M. V a i l l a n t . . . 327
Opinion de l'auteur sur les Bohémiens 328
CHAPITRE III. — légende et histoire de Raymond t u l l e 341
CHAPITRE IV. — Alchimistes ; 342
Flamel et le livre du juif Abraham, 342. — Figures mystérieuses de
ce livre, 343.—Tradition sur Flamel 345
Bernard le Trévisan. Basile Valentin et Trithême. Cornélius
Agrippa, 3 4 5 . — L e pantacle de Trithême 346
Guillaume Postel. Sa doctrine, 348. — La mère Jeanne, 349. —
Postel le Ressuscité, 350. — Le père Desbillons justifie Postel... 351
Paracelse, 353. — La médecine occulte, 354. — Histoire racontée
par Tavernier, 355. — Les secrets de Paracelse 357
CHAPITRE V . — Sorciers et magiciens célèbres 358
Analyse kabbalistique du poëme de Dante 358
Le roman de la Rose 359
Disputes du diable et de Luther 360
Les regrets de Luther de s'être marié 362
Les sorciers sous Henri III 363
Les visions de Jacques Clément 363
Origine des roses-croix, 364. -— Henri Khunrath, 366. — O s w a l d
Crollius • 369
Les alchimistes célèbres du commencement du xvu siècle c
371
Manifeste des roses-croix 371
CHAPITRE V I . — Procès de magie 373
Crimes réels des sorciers 376
Condamnations déplorables " 377
Procès de Louis Ganfridi 380
Procès d'Urbain Grandier. . , 381
Jugement de l'auteur sur ce procès
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES. XV

L I V R E V I . — L a m a g i e et l a r é v o l u t i o n .

CHAPITRE PREMIER. — A u t e u r s remarquables du X V I I I e


siècle. 408
Découvertes en Chine > 4 0 9

L'y-kim et les trigrammes de Fo-hi 409


Opinion de Leibnitz sur l'y-kim 411
Swedenborg 2
4 1

Mesmer, 414. — Découverte du magnétisme 416


CHAPITRE I I . — Personnages merveilleux du X V I I I siècle e
418
Le comte de Saint-Germain 419
Société secrète du Saint-Jakin 425
L'alchimiste Lascaris
Le comte de Cagliostro, 427. —Explication de son sceau et de son
nom kabbalistique "*30
Secret de la régénération physique suivant Cagliostro 431
CHAPITRE I I I . — Prophéties de Cazotte 435
École des martinistes, 4 3 5 . — Le souper de Cazotte, 436. — Mys-
tères du diable amoureux 437
Lilith et Nahéma, 438. — Mort de Cazotte 440
CHAPITRE I V . — Révolution française 441
Malheurs occasionnés par les hallucinations de Rousseau 441
La loge de la rue Plâtrière 441
Louis X V I livré à la vengeance des templiers 443
Les Joannites et les Jacques 444
Étranges prédictions 445
CHAPITRE V . — Phénomènes de médiomanie 446
Naissance d'une secte 446
Dom Gerle et Catherine Théot 448
Visite nocturne de Robespierre 449
Les sauveurs de Louis X V I I 451
Naundorf, Vintras et M. Madrolle 452
CHAPITRE V I . . — l e s illuminés d'Allemagne 454
La magie d'Eckartshausen 455
Évocations de Lavater 456
Révélations de l'esprit Gablidone. 457. — Il prédit la venue d'un
mage nommé Osphal, Alphos, Maffon ou Éliphisma 458
Stabs et Napoléon 459
Les mopses et leurs mystères 460
L'épopée dramatique de Faust 460
CHAPITRE V I I . — E m p i r e et restauration 463
Prédictions relatives à Napoléon . . . . . 463
Mademoiselle Lenormand 465
MadameBouche et madame de Krudener près de l'empereur Alexandre 467
Le paysan Martin voit un ange habillé en laquais et se fait présenter
au roi Louis X V I I I 468
XVI TABLE AX A L T TIQUE DES M A T I ¿11 E S .

L I V R E VIE. — I.a m a g i e a n X I X e
siècle.

CHAPITRE PREMIER. — l e s magnétiseurs mystiques et les maté-


rialistes 470
Folies contagieuses de Charles Fourier 471
Le dogme de l'enfer expliqué 472
Une évocation par M. OEgger vicaire de Notre-Dame. 47G
Les faux dieux grotesques. — Ganneau, Cheneau, Tourrcil, Auguste
Comte et Wronski 477
CHAPITRE II. — 3ïes Hallucinations 479
Histoire de l'halluciné Eugène Vintras 479
CHAPITRE I I I . — l e s magnétiseurs et les somnambules 491
Justes défiances de l'Église contre les abus du somnambulisme 491
Ouvrage remarquable du baron Du Potet.. . . . 492
Les tables tournantes fatales à Victor Hennequin 495
Une dame russe trouvant que son guéridon est hérétique, le porte à
Rome et obtient du Saint-Père l'autorisation de le brùier 495
Réflexions sérieuses à propos d'un mélodrame diabolique et burlesque 496
CHAPITRE IV. — l e s fantaisistes en magie 497
Alphonse Esquiros invente une magie romanesque et fantastique. 498
Henri Delaagese fait le continuateur d'Alphonse Esquiros 498
Ses naïvetés scientifiques et littéraires 499
M. le comte d'Ourches et ses prodiges 500
M. le baron de Gu'denstubbe et ses écritures miraculeuses. 505
L'homme enterré vivant 507
Une histoire de vampire. 517
Le cartomancien Edmond 519
CHAPITRE V . — Souvenirs intimes de l'auteur 519
L'auteur est présenté par le magicien Esquiros au dieu Ganneau.... 520
Les doctrines excentriques du Mapah 522
Conséquences fâcheuses 523
Cause inconnue de la révolution de 181-8 524
Le magicien posthume 525
CHAPITRE AT. — D e s sciences occultes 525
^Récapitulation des principes 528
CHAPITRE V I I . — R é s u m é et conclusion 532
L'énigme du sphinx et sa solution 533
Les huit questions paradoxales avec les réponses 549
Conclusion 549
Pourquoi celui qui sait doit croire t 551
Résultat des découvertes en magie 552
Passage curieux de Vincent de Lérins 553
Citation du comte Joseph de Maistre 555
Texte remarquable de saint Thomas 557
Avenir probable de la science 558
But de. l'ouvrage 559

FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.


HISTOIRE

DE LA MAGIE.

INTRODUCTION.

Depuis trop longtemps on confond la magie avec les


prestiges des charlatans, avec les hallucinations des
malades, et avec les crimes de certains malfaiteurs ex-
ceptionnels. Bien des gens, d'ailleurs, définiraient volon-
tiers la magie : Y art de produire des effets sans causes.
Et d'après cette définition, la foule dira, avec le bon sens
qui la caractérise, même dans ses plus grandes injustices,
que la magie est une absurdité.
La magie ne saurait être ce que la font ceux qui ne
la connaissent pas. Il n'appartient d'ailleurs à personne
de la faire ceci ou cela; elle est ce qu'elle est, elle est
par elle-même, comme les mathématiques, car c'est la
science exacte et absolue de la nature et de ses-lois.
La magie est la science des anciens mages ; et la
religion chrétienne, qui a imposé silence aux oracles
menteurs, et fait cesser tous les prestiges des faux dieux,
révère elle-même ces mages qui vinrent de l'Orient,
guidés par une étoile, pour adorer le Sauveur du monde
dans son berceau.
La tradition donne encore à ces mages le titre de rois,
i
2 HISTOIRE DE LA MAGIE.

parce que l'initiation à la magie constitue une véritable


royauté, et parce que le grand art des mages est appelé
par tous les adeptes : Yart royal, ou le saint royaume,
sanctum regnum.
L'étoile qui les conduit est cette même étoile flam-
boyante dont nous retrouvons l'image dans toutes les
initiations. C'est pour les alchimistes le signe de la
quintessence, pour les magistes le grand arcane, pour
les kabbalistes le pentagramme sacré. Or, nous prouve-
rons que l'étude de ce pentagramme devait amener les
mages à la connaissance du nom nouveau qui allait
s'élever au-dessus de tous les noms et faire fléchir les
genoux à tous les êtres capables d'adorer,
L a magie réunit donc, dans une même science, ce que
la philosophie peut avoir de plus certain et ce que la
religion a d'infaillible et d'éternel. Elle concilie parfaite-
ment et incontestablement ces deux termes, qui semblent
d'abord si opposés : foi et raison, science et croyance,
autorité et liberté.
Elle donne à l'esprit humain un instrument de certi-
tude philosophique et religieuse exact comme les mathé-
matiques, et rendant raison de l'infaillibilité des m a t h é -
matiques elles-mêmes.
Ainsi donc il existe un absolu dans les choses de l'in-
telligence et de la foi. La raison suprême n'a pas laissé
vaciller au hasard les lueurs de l'entendement humain.
Il existe une vérité incontestable, il existe une méthode
infaillible de connaître cette vérité ; et par la connais-
sance de cette vérité, les hommes qui la prennent pour
règle peuvent donner à leur volonté une puissance sou-
veraine qui les rendra maîtres de toutes les choses infé-
INTRODUCTION. 3

rieures et de tous les esprits errants, c'est-à-dire arbitres


et rois du monde !
S'il en est ainsi, pourquoi cette haute science est-elle
encore inconnue? Comment supposer dans un ciel qu'on
voit ténébreux l'existence d'un soleil aussi splendide?
La haute science a toujours été connue, mais seulement
par des intelligences d'élite, qui ont compris la nécessité
de se taire et d'attendre. Si un chirurgien habile parve-
nait, au milieu de la nuit, à ouvrir les yeux d'un aveugle-
né, comment lui ferait-il comprendre avant le matin
l'existence et la nature du soleil ?
La science a ses nuits et ses aurores, parce qu'elle
donne au monde intellectuel une vie qui a ses mouve-
ments réglés et ses phases progressives. Il en est des
vérités comme des rayons lumineux; rien de ce qui est
caché n'est perdu, mais aussi rien de ce qu'on trouve n'est
absolument nouveau. Dieu a voulu donner à la science,
qui est le reflet de sa gloire, le sceau de son éternité.
Oui, la haute science, la science absolue, c'est la
magie, et cette assertion doit sembler bien paradoxale à
ceux qui n'ont pas douté encore de l'infaillibilité de Vol-
taire, ce merveilleux ignorant, qui croyait savoir tant de
choses, parce qu'il trouvait toujours le moyen de rire au
lieu d'apprendre.
La magie était la science d'Abraham et d'Orphée, de
Gonfucius et de Zoroastre. Ce sont les dogmes de la
magie qui furent sculptés sur des tables de pierre par
Hénoch et par Trismégiste. Moïse les épura et les revoila,
c'est le sens du mot révéler. Il leur donna un nouveau
voile lorsqu'il fit de la sainte Kabbala l'héritage exclusif
du peuple d'Israël et le secret inviolable de ses prêtres,
Il HISTOIRE DE LA MAGIE.

les mystères d'Eleusis et de Thèbes en conservèrent


parmi les nations quelques symboles déjà altérés, et
dont la clef mystérieuse se perdait parmi les instruments
d'une superstition toujours croissante. Jérusalem, meur-
trière de ses prophètes, et prostituée tant de fois aux
faux dieux des Syriens et des Babyloniens, avait enfin
perdu à son tour la parole sainte, quand un sauveur,
annoncé aux mages par l'étoile sacrée de l'initiation,
vint déchirer le voile usé du vieux temple pour donner
à l'Église un nouveau tissu de légendes et de symboles
qui cache toujours aux profanes, et conserve aux élus
toujours la même vérité.
Voilà ce que notre savant et malheureux Dupuis aurait
dû lire dans les planisphères indiens et sur les tables de
Denderah, et devant l'affirmation unanime de toute la
nature et des monuments de la science de tous les âges,
il n'aurait pas conclu à la négation du culte vraiment
catholique, c'est-à-dire universel et éternel !
C'était le souvenir de cet absolu scientifique et reli-
gieux, de cette doctrine qui se résume en une parole, de
cette parole, enfin, alternativement perdue et retrouvée,
qui se transmettait aux élus de toutes les initiations anti-
ques; c'était ce même souvenir, conservé ou profané
peut-être dans l'ordre célèbre des templiers, qui devenait
pour toutes les associations secrètes des rose-croix, des
illuminés et des francs-maçons, la raison de leurs rites
bizarres, de leurs signes plus ou moins conventionnels, et
surtout de leur dévouement mutuel et de leur puissance.
Les doctrines et les mystères de la magie ont été pro-
fanés, nous ne voulons pas en disconvenir, et cette
profanation même, renouvelée d'âge en âge, a été pour
INTRODUCTION. 5

les imprudents révélateurs une grande et terrible leçon.


Les gnostiques ont fait proscrire la gnose par les chré-
tiens et le sanctuaire officiel s'est fermé à la haute ini-
tiation. Ainsi la hiérarchie du savoir a été compromise
par les attentats de l'ignorance usurpatrice, et les désor-
dres du sanctuaire se sont reproduits dans l'État, car
toujours, bon gré mal gré, le roi relève du prêtre, et c'est
du sanctuaire éternel de l'enseignement divin que les
pouvoirs de la terre pour se rendre durables attendront
toujours leur consécration et leur force.
La clef de la science a été abandonnée aux enfants,
et, comme on devait s'y attendre, cette clef se trouve
actuellement égarée et comme perdue. Cependant un
homme d'une haute intuition et d'un grand courage
moral, le comte Joseph de Maistre, le catholique déter-
miné, confessant que le monde était sans religion et ne
pouvait longtemps durer ainsi, tournait involontairement
les yeux vers les derniers sanctuaires de l'occultisme et
appelait de tous ses vœux le jour où l'affinité naturelle
qui existe entre la science et la foi les réunirait enfin
dans la tête d'un homme de génie. « Celui-làsera grand!
s'écriait-il, et il fera cesser le x v m siècle, qui dure en-
e

core On parlera alors de notre stupidité actuelle


comme nous parlons de la barbarie du moyen âge ! »
La prédiction du comte de Maistre se réalise ; l'alliance
de la science et de la foi, consommée depuis longtemps,
s'est enfin montrée, non pas à un homme de génie, il
n'en faut pas pour voir la lumière, et d'ailleurs le génie
n'a jamais rien prouvé, si ce n'est sa grandeur excep-
tionnelle et ses lumières inaccessibles à la foule. La
grande vérité exige seulement qu'on la trouve, puis les
6 HISTOIRE DE LA MAGIE.

plus simples d'entre le peuple pourront la comprendre et


au besoin la démontrer.
Elle ne deviendra pourtant jamais vulgaire, parce
qu'elle est hiérarchique et parce que l'anarchie seule
flatte les préjugés de la foule ; il ne faut pas aux masses
de vérités absolues, autrement le progrès s'arrêterait et
la vie cesserait dans l'humanité, le va-et-vient des idées
contraires, le choc des opinions, les passions de la mode
déterminées toujours par les rêves du moment sont né-
cessaires à la croissance intellectuelle des peuples. Les
foules le sentent bien, et c'est pour cela qu'elles aban-
donnent si volontiers la chaire des docteurs pour courir
aux tréteaux du charlatan. Les hommes même qui pas-
sent pour s'occuper spécialement de philosophie, ressem-
blent presque toujours à ces enfants qui jouent à se
proposer entre eux des énigmes, et qui s'empressent de
mettre hors du jeu celui qui sait le mot d'avance, de peur
que celui-là ne les empêche de jouer en ôtant tout son
intérêt à l'embarras de leurs questions.
« Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront
Dieu, » a dit la sagesse éternelle. La pureté du cœur épure
donc l'intelligence et la rectitude de la volonté fait l'exac-
titude de l'entendement. Celui qui préfère atout la vérité
et la justice aura la justice et la vérité pour récompense,
car la Providence suprême nous a donné la liberté pour
que nous puissions conquérir la vie ; et la vérité même,
quelque rigoureuse qu'elle soit, ne s'impose qu'avec
douceur et ne fait jamais violence aux lenteurs ou aux
égarements de notre volonté séduite par les attraits du
mensonge.
Cependant, dit Bossuet, « avant qu'il y ait quelque
INTRODUCTION. 7

chose qui plaise ou qui déplaise à nos sens, il y a une vé-


rité ; et c'est par elle seule que nos actions doivent être
réglées, ce n'est pas par notre plaisir. » Le royaume de
Dieu n'est pas l'empire de l'arbitraire, ni pour les hommes
ni pour Dieu même. « Une chose, dit saint Thomas, n'est
pas juste parce que Dieu la veut, mais Dieu la veut parce
qu'elle est juste. » La balance divine régit et nécessite
les mathématiques éternelles. « Dieu a tout fait avec le
nombre, le poids et la mesure. » C'est ici la Bible qui
parle. Mesurez un coin delà création, et faites une mul-
tiplication proportionnellement progressive, et l'infini tout
entier multipliera ses cercles remplis d'univers qui pas-
seront en segments proportionnels entre les branches
idéales et croissantes de votre compas ; et maintenant
supposez que d'un point quelconque de l'infini au-dessus
de vous une main tienne un autre compas ou une équerre,
les lignes du triangle céleste rencontreront nécessaire-
ment celles du compas de la science, pour former l'étoile
mystérieuse de Salomon.
«Vous serez mesurés, dit l'Évangile, avec la mesure dont
vous vous servez vous-mêmes. » Dieu n'entre pas en lutte
avec l'homme pour l'écraser de sa grandeur, et il ne place
jamais des poids inégaux dans sa balance. Lorsqu'il veut
exercer les forces de Jacob, il prend la figure d'un homme,
dont le patriarche supporte l'assaut pendant toute une
nuit, et la fin de ce combat, c'est une bénédiction pour
le vaincu, et avec la gloire d'avoir soutenu un pareil an-
tagonisme le titre national d'Israël, c'est-à-dire un nom
qui signifie : « fort contre Dieu. »
Nous avons entendu des chrétiens, plus zélés qu'in-
struits, expliquer d'une manière étrange le dogme de
8 HISTOIRE DE LA MAGIE,

l'éternité des peines. « D i e u , disaient-ils, peut se venger


infiniment d'une offense finie, parce que si la nature de
l'offenseur a des bornes, la grandeur de l'offensé n'en a
pas. » A ce titre et sous ce prétexte, un empereur de la
terre devrait punir de mort l'enfant sans raison qui au-
rait par mégarde sali le bord de sa pourpre. Non, telles
ne sont pas les prérogatives de la grandeur, et saint
Augustin les comprenait mieux lorsqu'il écrivait : « Dieu
est patient parce qu'il est éternel ! »
En Dieu tout est justice, parce que tout est bonté; il ne
pardonne jamais à la manière des hommes, parce qu'il
ne saurait s'irriter comme eux ; mais le mal étant de sa
nature incompatible avec le bien, comme la nuit avec le
jour, comme la dissonnance avec l'harmonie, l'homme
d'ailleurs étant inviolable dans sa liberté, toute erreur
s'expie, tout mal est puni par une souffrance proportion-
nelle : nous avons beau appeler Jupiter à notre secours
quand notre char est embourbé, si nous ne prenons la
pelle et la pioche comme le roulier de la fable, le Ciel ne
nous tirera pas de l'ornière. « A i d e - t o i , le Ciel t'aidera! »
Ainsi s'explique, d'une manière toute rationnelle et pure-
ment philosophique, l'éternité possible et nécessaire du
châtiment avec une voie étroite ouverte-à l'homme pour
s'y soustraire, celle du repentir et du travail !
En se conformant aux règles de la force éternelle,
l'homme peut s'assimiler à la puissance créatrice et de-
venir créateur et conservateur comme elle. Dieu n'a pas
limité à un nombre restreint d'échelons la montée lumi-
neuse de Jacob. Tout ce que la nature a fait inférieur à
l'homme, elle le soumet à l'homme, c'est à lui d'agrandir
son domaine en montant toujours! Ainsi la longueur et
INTRODUCTION. 9

même la perpétuité de la vie, l'atmosphère et ses orages,


la terre et ses filons métalliques, la lumière et ses pro-
digieux mirages, la nuit et ses rêves, la mort et ses fan-
tômes, tout cela obéit au sceptre royal du mage, au bâton
pastoral de Jacob, à la verge foudroyante de Moïse.
L'adepte se fait roi des éléments, transformateur des
métaux, arbitre des visions, directeur des oracles, maître
de la vie, enfin, dans l'ordre mathématique de la nature,
et conformément à la volonté de l'intelligence suprême.
Voilà la magie dans toute sa gloire î Mais qui osera dans
notre siècle ajouter foi à nos paroles? ceux qui voudront
loyalement étudier et franchement savoir, car nous ne
cachons plus la vérité sous le voile des paraboles ou des
signes hiéroglyphiques, le temps est venu où tout doit
être dit, et nous nous proposons de tout dire,
Nous allons découvrir non-seulement cette science
toujours occulte qui, comme nous l'avons dit, se cachait
sous les ombres des anciens mystères; qui a été mal
révélée, ou plutôt indignement défigurée par les gnosti-
ques; qu'on devine sous les obscurités qui couvrent les
crimes prétendus des templiers, et qu'on retrouve enve-
loppée d'énigmes maintenant impénétrables dans les rites
de la haute maçonnerie. Mais nous allons amener au
grand jour le roi fantastique du sabbat, et montrer au
fond de la magie noire elle-même, abandonnée depuis
longtemps à la risée des petits-enfants de Voltaire,
d'épouvantables réalités.
Pour un grand nombre de lecteurs, la magie est la
science du diable. Sans doute. Comme la science de la
lumière est celle de l'ombre.
Nous avouons d'abord hardiment que le diable ne nous
10 HISTOIRE DE LA MAGIE.

fait pas peur, « Je n'ai peur que de ceux qui craignent le


diable, disait sainte Thérèse. » Mais aussi nous déclarons
qu'il ne nous fait pas rire ; et que nous trouvons fort
déplacées les railleries dont il est si souvent l'objet.
Quoi que ce soit, nous voulons l'amener devant la
science.
Le diable et la science! — 11 semble qu'en rapprochant
deux noms aussi étrangement disparates, l'auteur de ce
livre ait laissé voir d'abord toute sa pensée. Amener
devant la lumière la personnification mystique des ténè-
bres, n'est-ce pas anéantir devant la vérité le fantôme du
mensonge? n'est-ce pas dissiper au jour les cauchemars
informes de la nuit? C'est ce que penseront, nous n'en
doutons pas, les lecteurs superficiels, et ils nous con-
damneront sans nous entendre. Les chrétiens mal in-
struits croiront que nous venons saper le dogme fonda-
mental de leur morale en niant l'enfer, et les autres
demanderont à quoi bon combattre des erreurs qui ne
trompent déjà plus personne ; c'est du moins ce qu'ils ima-
ginent. 11 importe donc de montrer clairement notre but
et d'établir solidement nos principes. Nous disons d'abord
aux chrétiens :
L'auteur de ce livre est chrétien comme vous. Sa foi
est celle d'un catholique fortement et profondément
convaincu : il ne vient donc pas nier des dogmes, il vient
combattre l'impiété sous ses formes les plus dangereuses,
celles de la fausse croyance et de la superstition ; il vient
tirer des ténèbres lenoir successeur d'Arimanes, afin d'éta-
ler au grand jour sa gigantesque impuissance et sa redou-
table misère ; il vient soumettre aux solutions de la science
le problème antique du mal ; il veut découronner le roi des
INTRODUCTION. 11

enfers et lui abaisser le front jusque sous le pied de la


croix ! La science Vierge et mère, la science dont Marie
est la douce et lumineuse image, n'est-eîle pas prédes-
tinée à écraser aussi la tête de l'ancien serpent?
Aux prétendus philosophes l'auteur dira : Pourquoi
niez-vous ce que vous ne pouvez comprendre? L'incré-
dulitéqui s'affirme en face de l'inconnu n'est-elle pas plus
téméraire et moins consolante que la foi? Quoi, l'épou-
vantable figure du mal personnifié vous fait sourire?
Vous n'entendez donc pas le sanglot éternel de l'huma-
nité qui se débat et qui pleure broyée par les étreintes du
monstre? N'avez-vous donc jamais vu le rire atroce du
méchant opprimant le juste? N'avez-vous donc jamais
senti s'ouvrir en vous-mêmes ces profondeurs infernales
que creuse par instant dans toutes les âmes le génie de
la perversité? Le mal moral existe, c'est une lamentable
vérité; il règne dans certains esprits, il s'incarne dans
certains hommes; il est donc personnifié, il existe donc
des démons, et le plus méchant de ces démons est Satan.
Voilà tout ce que je vous demande d'admettre, et ce
qu'il vous sera difficile de ne pas m'accorder.
Qu'il soit bien entendu, d'ailleurs, que la science et
la foi ne se prêtent un mutuel concours qu'autant que
leurs domaines sont inviolables et séparés. Que croyons-
nous? ce que nous ne pouvons absolument savoir bien que
nous y aspirions de toutes nos forces. L'objet de la foi
n'est pour la science qu'une hypothèse nécessaire,et jamais
il ne faut juger des choses de la science avec les procédés
de la foi, ni, réciproquement, des choses de la foi avec les
procédés de la science. Le verbe de foi n'est pas scienti-
fiquement discutable. « Je crois, parce que c'est absurde, »
12 HISTOIRE DE LA MAGIE.

disait Tertullien, et cette parole, d'une apparence si


paradoxale, est de la plus haute raison. En effet, au delà
de tout ce que nous pouvons raisonnablement supposer,
il y a un infini auquel nous aspirons d'une soif éperdue,
et qui échappe même à nos rêves. Mais pour une appré-
ciation finie, l'infini n'est-ce pas l'absurde? Nous sentons
cependant que cela est. L'infini nous envahit; il nous
déborde; il nous donne le vertige avec ses abîmes; il
nous écrase de toute sa hauteur. Toutes les hypothèses
scientifiquement probables sont les derniers crépuscules
ou les dernières ombres de la science; la foi commence où
la raison tombe épuisée... Au delà de la raison humaine,
il y a la raison divine, le grand absurde pour ma fai-
blesse, l'absurde infini qui me confond et que je crois !
Mais le bien seul est infini ; le mal ne l'est pas, et c'est
pourquoi si Dieu est l'éternel objet de la foi, le diable
appartient à la science. Dans quel symbole catholique,
en effet, est-il question du diable? N e serait-ce pas blas-
phémer que de dire : Nous croyons en lui? Il est nommé,
mais non défini dans l'Écriture sainte;la Genèse ne parle
nulle part d'une prétendue chute des anges; elle attribue
le péché du premier homme au serpent, le plus rusé et le
plus dangereux des êtres animés. Nous savons quelle est
à ce sujet la tradition chrétienne; mais si cette tradition
s'explique par une des plus grandes et des plus univer-
selles allégories de la science, qu'importera cette solu-
tion à la foi qui aspire à Dieu seul, et méprise les pompes
et les œuvres de Lucifer?
Lucifer ! L e porte-lumière ! quel nom étrange donné à
l'esprit des ténèbres. Quoi c'est lui qui porte la lumière
et qui aveugle les âmes faibles? Oui, n'en doutez pas,
INTRODUCTION. 13

car les traditions sont pleines de révélations et d'inspira-


tions divines.
« Le diable porte la lumière, et souvent même, dit saint
Paul, il se transfigureen ange de splendeur.»—« J'ai vu,
disait le Sauveur du monde, j'ai vu Satan tomber du ciel
comme la foudre. » — « Gomment es-tu tombée du ciel,
s'écrie le prophète Isaïe, étoile lumineuse, toi qui te le-
vais le matin? » Lucifer est donc une étoile tombée; c'est
un météore qui brûle toujours et qui incendie lorsqu'il
n'éclaire plus.
Mais ce Lucifer, est-ce une personne ou une force?
Est-ce un ange ou un tonnerre égaré? La tradition sup-
pose que c'est un ange ; mais le Psalmiste ne dit-il pas
au psaume 1 0 3 : «Vous faites vos anges des tempêtes et
vos ministres des feux rapides ? » Le mot ange est donné
dans la Bible à tous les envoyés de Dieu : messagers ou
créations nouvelles, révélateurs ou fléaux, esprits rayon-
nants ou choses éclatantes. Les flèches de feu que le
Très Haut darde dans les nuages sont les anges de sa
colère, et ce langage figuré est familier à tous les lec-
teurs des poésies orientales.
Après avoir été pendant le moyen âge la terreur du
monde, le diable en est devenu la risée. Héritier des
formes monstrueuses de tous les faux dieux successive-
ment renversés, le grotesque épouvantail a été rendu
ridicule à force de difformité et de laideur.
Observons pourtant une chose : c'est que ceux-là seuls
osent rire du diable qui ne craignent pas Dieu. Le diable,
pour bien des imaginations malades, aurait-il donc été
l'ombre de Dieu même, ou plutôt ne serait-il pas sou-
vent l'idole des âmes basses, qui ne comprennent le
\k HISTOIRE DE LA MAGIE.

pouvoir surnaturel que comme l'exercice impuni de la


cruauté?
Il est important de savoir enfin si l'idée de cette puis-
sance mauvaise peut se concilier avec celle de Dieu. Si
en un mot le diable existe, et s'il existe, ce que c'est.
Il ne s'agit pas ici d'une superstition ou d'un person-
nage ridicule : il s'agit de la religion tout entière, et par
conséquent de tout l'avenir et de tous les intérêts de
l'humanité.
Nous sommes vraiment des raisonneurs étranges ! Nous
nous croyons bien forts quand nous sommes indifférents
à tout, excepté aux résultats matériels, à l'argent, par
exemple ; et nous laissons aller au hasard les idées mères
de l'opinion qui, par ses revirements, bouleverse ou peut
bouleverser toutes les fortunes.
Une conquête de la science est bien plus importante
que la découverte d'une mine d'or. Avec la science, on
emploie l'or au service de la vie ; avec l'ignorance, la
richesse ne fournit que des instruments à la mort.
Qu'il soit bien entendu d'ailleurs que nos révélations
scientifiques s'arrêtent devant la foi, et que, comme chré-
tien et comme catholique, nous soumettons notre œuvre
tout entière au jugement suprême de l'Église.
Et maintenant à ceux qui doutent de l'existence du
diable, nous répondons:
Tout ce qui a un nom existe ; la parole peut être pro-
férée en vain, mais en elle-même elle ne saurait être vaine
et elle a toujours un sens.
L e Verbe n'est jamais vide, et s'il est écrit qu'il est en
Dieu, et qu'il est Dieu, c'est qu'il est l'expression et la
preuve de l'être et de la vérité.
INTRODUCTION. \ 5

Le diable est nommé et personnifié dans l'Évangile, qui


est le Verbe de vérité, donc il existe, et il peut être con-
sidéré comme une personne. Mais ici c'est le chrétien qui
s'incline ; laissons parler la science ou la raison, c'est la
même chose.
Le mal existe, il est impossible d'en douter. Nous pou-
vons faire bien ou mal.
Il est des êtres qui sciemment et volontairement font
le mal.
L'esprit qui anime ces êtres et qui les excite à mal
faire est dévoyé, détourné de la bonne route, jeté en
travers du bien comme un obstacle ; et voilà précisément
ce que signifie le mot grec diabolos, que nous traduisons
par le mot diable.
Les esprits qui aiment et font le mal sont accidentel-
lement mauvais.
Il y a donc un diable qui est l'esprit d'erreur, d'igno-
rance volontaire, de vertige ; et il y a des êtres qui lui
obéissent, qui sont ses envoyés, ses émissaires, ses anges,
et c'est pour cela qu'il est parlé dans l'Évangile d'un feu
éternel qui est préparé, prédestiné en quelque sorte au
diable et à ses anges. Ces paroles sont toute une révé-
lation et nous aurons à les approfondir.
Définissons d'abord bien nettement le mal ; le mal
c'est le défaut de rectitude dans l'être.
Le mal moral est le mensonge en actions comme le
mensonge est le crime en paroles.
L'injustice est l'essence du mensonge ; tout mensonge
est une injustice.
Quand ce qu'on dit est juste, il n'y a pas men-
songe.
16 HISTOIRE DE L A MAGIE.

Quand on agit équitablement et d'une manière vraie,


il n'y a pas péché.
L'injustice est la mort de l'être moral, comme le men-
songe est le poison de l'intelligence.
L'esprit de mensonge est donc un esprit de mort.
Ceux qui l'écoutent sont empoisonnés par lui et sont
ses dupes.
Mais s'il fallait prendre sa personnification absolue
au sérieux, il serait lui-même absolument mort et abso-
lument trompé, c'est-à-dire que l'affirmation de son exis-
tence impliquerait une évidente contradiction.
Jésus a dit : « Le diable est menteur ainsi que son père.»
Qu'est-ce que Le père du diable?
C'est celui qui lui donne une existence personnelle en
vivant d'après ses inspirations ; l'homme qui se fait dia-
ble est le père du mauvais esprit incarné.
Mais il est une conception téméraire, impie, mon-
strueuse.
Une conception traditionnelle comme l'orgueil des
pharisiens.
Une création hybride qui a donné une apparente rai-
son contre les magnificences du christianisme à la mes-
quine philosophie du x v m siècle.
c

C'est le faux Lucifer de la légende hétérodoxe ; c'est


cet ange assez fier pour se croire Dieu, assez courageux
pour acheter l'indépendance au prix d'une éternité de
supplices, assez beau pour avoir pu s'adorer en pleine
lumière divine ; assez fort pour régner encore dans les
ténèbres et la douleur, et pour se faire un trône de son
inextinguible bûcher, c'est le Satan du républicain et de
l'hérétique Milton, c'est ce prétendu héros des éternités
INTRODUCTION. 17

ténébreuses calomnié de laideur, affublé de cornes et de


griffes qui conviendraient plutôt à son tourmenteur im-
placable.
C'est ce diable roi du mal, comme si le mal était un
royaume !
Ce diable plus intelligent que les hommes degénie qui
craignaient ses déceptions.
Cette lumière noire, ces ténèbres qui voient. Ce pou-
voir que Dieu n'a pas voulu, et qu'une créature déchue
n'a pu créer.
Ce prince de l'anarchie servi par une hiérarchie de
purs esprits.
Ce banni de Dieu qui serait partout comme Dieu est
sur la terre, plus visible, plus présent au plus grand
nombre, mieux servi que Dieu même !
Ce vaincu auquel le vainqueur donnerait ses enfants
à dévorer !
Cet artisan des péchés de la chair à qui la chair n'est
rien, et qui ne saurait par conséquent rien être à la chair,
si on ne l'en suppose créateur et maître comme Dieu !
Un immense mensonge réalisé, personnifié, éternel!
Une mort qui ne peut mourir !
Un blasphème que le verbe de Dieu ne fera jamais
taire !
Un empoisonneur des âmes que Dieu tolérerait par une
contradiction de sa puissance, ou qu'il conserverait
comme les empereurs romains avaient conservé Locusta,
parmi les instruments de son règne!
Un supplicié toujours vivant pour maudire son juge et
pour avoir Maison contre lui puisqu'il ne se repentira
jamais !
2
18 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Un monstre accepté comme bourreau par la souveraine


puissance et qui, suivant l'énergique expression d'un an-
cien écrivain catholique peut appeler Dieu le Dieu du
diable en se donnant lui-même comme un diable de Dieu î
Là est le fantôme irréligieux qui calomnie la religion,
ôtez-nous cette idole qui nous cache notre sauveur. A bas
le tyran du mensonge ! A bas le Dieu noir des mani-
chéens! A bas l'Arimane des anciens idolâtres! Vive
Dieu seul et son Verbe incarné, Jésus-Christ, le sauveur
du monde, qui a vu Satan tomber du ciel ! et vive Marie,
la divine mère qui a écrasé la tête de l'infernal serpent !
Voilà ce que disent, avec unanimité, la tradition des
saints et les coeurs de tous les vrais fidèles : Attribuer
une grandeur quelconque à l'esprit déchu, c'est calom-
nier la divinité; prêter une royauté quelconque à l'esprit
rebelle, c'est encourager la révolte, c'est commettre, en
pensée du moins, le crime de ceux qu'au moyen âge on
appelait avec horreur des sorciers.
Car tous les crimes punis autrefois de mort sur les
anciens sorciers, sont réels et sont les plus grands de tous
les crimes.
Ils ont ravi le feu du ciel, comme Prométhée.
Us ont chevauché, comme Médée, les dragons ailés et
le serpent volant.
Us ont empoisonné l'air respirable, comme l'ombre du
mancenillier.
Us ont profané les choses saintes et fait servir le corps
même du Seigneur à des œuvres de destruction et de
malheur.
Comment tout cela est-il possible? C'est qu'il existe
un agent mixte, un agent naturel et divin, corporel et
INTRODUCTION. 19

spirituel, un médiateur plastique universel, un réceptacle


commun des vibrations du mouvement et des images de
la forme, un fluide et une force qu'on pourrait appeler
en quelque manière Yitnagination de la nature. Par cette
force tous les appareils nerveux communiquent secrète-
ment ensemble; de là naissent la sympathie et l'anti-
pathie ; de là viennent les rêves ; par là se produisent les
phénomènes de seconde vue et de vision extranaturelle.
Cet agent universel des œuvres de la nature, c'est Yod
des hébreux et du chevalier de Richembach, c'est la
lumière astrale des martinistes, et nous préférons, comme
plus explicite, cette dernière appellation.
L'existence et l'usage possible de cette force sont le
grand arcane de la magie pratique. C'est la baguette des
thaumaturges et la clavicule de la magie noire.
C'est le serpent édénique qui a transmis à Eve les
séductions d'un ange déchu.
La lumière astrale aimante, échauffe, éclaire, magné-
tise, attire, repousse, vivifie, détruit, coagule, sépare,
brise, rassemble toutes choses sous l'impulsion des vo-
lontés puissantes.
Dieu l'a créée au premier jour lorsqu'il a dit le FIÂT
LUX !
C'est une force aveugle en elle-même, mais qui est
dirigée par les égrégores, c'est-à-dire par les chefs des
âmes. Les chefs des âmes sont les esprits d'énergie et
d'action.
Ceci explique déjà toute la théorie des prodiges et des
miracles. Comment, en effet, les bons et les méchants
pourraient-ils forcer la nature à laisser voir les forces
exceptionnelles? comment y aurait-il miracles divins et
20 HISTOIRE DE LA MAGIE.

miracles diaboliques? comment l'esprit réprouvé, l'esprit


égaré, l'esprit dévoyé, aurait-il plus de force en certain
cas et de certaine manière que le juste, si puissant de
sa simplicité et de sa sagesse, si l'on ne suppose pas un
instrument dont tous peuvent se servir, suivant certaines
conditions, les uns pour le plus grand bien, les autres
pour le plus grand mal?
Les magiciens de Pharaon faisaient d'abord les mêmes
prodiges que Moïse. L'instrument dont ils se servaient
était donc le même, l'inspiration seule était différente,
et quand ils se déclarèrent vaincus, ils proclamèrent que
suivant eux les forces humaines étaient à bout, et que
Moïse devait avoir en lui quelque chose de surhumain.
Or cela se passait dans cette Egypte, mère des initiations
magiques, dans cette terre où tout était science occulte et
enseignement hiérarchique et sacré. Était-il plus difficile
cependant de faire apparaître des mouches que des g r e -
nouilles? N o n , certainement; mais les magiciens sa-
vaient que la projection fluidique par laquelle on fascine
les yeux ne saurait s'étendre au delà de certaines limites,
et pour eux déjà ces limites étaient dépassées par
Moïse.

Quand le cerveau se congestionne ou se surcharge de


lumière astrale, il se produit un phénomène particulier.
Les yeux, au lieu de voir en dehors, voient en dedans ;
la nuit se fait à l'extérieur dans le monde réel et la clarté
fantastique rayonne seule dans le monde des rêves.
L'œil alors semble retourné et souvent, en effet, il se
convulsé légèrement et semble rentrer en tournant sous
la paupière. L'âme alors aperçoit par des images le
reflet de ses impressions et de ses pensées, c'est-à-dire
INTRODUCTION. 21

que l'analogie qui existe entre telle idée et telle forme,


attire dans la lumière astrale le reflet représentatif de
cette forme, car l'essence de la lumière vivante c'est d'être
configurative, c'est l'imagination universelle dont chacun
de nous s'approprie une part plus ou moins grande, sui-
vant son degré de sensibilité et de mémoire. Là est la
source de toutes les apparitions, de toutes les visions ex-
traordinaires et de tous les phénomènes intuitifs qui sont
propres à la folie ou à l'extase.
Le phénomène d'appropriation et d'assimilation de la
lumière par la sensibîité qui voit, est un des plus grands
qu'il soit donné à la science d'étudier. On trouvera peut-
être un jour que voir c'est déjà parier, et que la con-
science de la lumière est le crépuscule de la vie éternelle
dans l'être, la parole de Dieu, qui crée la lumière,
semble être proférée par toute intelligence, qui peut se
rendre compte des formes et qui veut regarder. — Que
la lumière soit! La lumière, en effet, n'existe à l'état de
splendeur que pour les yeux qui la regardent, et l'âme
amoureuse du spectacle des beautés universelles, et ap-
pliquant son attention à cette écriture lumineuse du livre
infini qu'on appelle les choses visibles, semble crier,
comme Dieu à l'aurore du premier jour, ce verbe sublime
et créateur : FIAT LUX !
Tous les yeux ne voient pas de même, et la création
n'est pas pour tous ceux qui la regardent de la même
forme et de la même couleur. Notre cerveau est un livre
imprimé au dedans et au dehors, et pour peu que l'at-
tention s'exalte, les écritures se confondent. C'est ce qui
se produit constamment dans l'ivresse et dans la folie.
Le rêve alors triomphe de la vie réelle et plonge la
22 HISTOIRE DE LA MAGIE.

raison dans un incurable sommeil. Cet état d'hallucina-


tion a ses degrés, toutes les passions sont des ivresses,
tous les enthousiasmes sont des folies relatives et gra-
duées. L'amoureux voit seul des perfections infinies
autour d'un objet qui le fascine et qui l'enivre. Pauvre
ivrogne de voluptés î demain ce parfum du vin qui l'attire
sera pour lui une réminiscence répugnante et une cause
de mille nausées et de mille dégoûts !
Savoir user de cette force, et ne se laisser jamais en-
vahir et surmonter par elle, marcher sur la tête du ser-
pent, voilà ce que nous apprend la magie de lumière:
dans cet arcane sont contenus tous les mystères du
magnétisme, qui peut déjà donner son nom à toute la
partie pratique de la haute magie des anciens.
Le magnétisme, c'est la baguette des miracles, mais
pour les initiés seulement; car pour les imprudents qui
voudraient s'en faire un jouet ou un instrument au ser-
vice de leurs passions, elle devient redoutable comme
cette gloire foudroyante qui, suivant les allégories de la
fable, consuma la trop ambitieuse Sémélé dans les em-
brassements de Jupiter.
Un des grands bienfaits du magnétisme, c'est de
rendre évidente, par des faits incontestables, la spiri-
tualité, l'unité et l'immortalité de l'âme. La spiritualité,
l'unité et l'immortalité une fois démontrées, Dieu appa-
raît à toutes les intelligences et à tous les cœurs. Puis
de la croyance à Dieu et aux harmonies de la création,
on est amené à cette grande harmonie religieuse, qui ne
saurait exister en dehors de la hiérarchie miraculeuse et
légitime de l'Église catholique, la seule qui ait conservé
toutes les traditions de la science et de la foi.
INTRODUCTION. 23

La tradition première de ia révélation unique a été


conservée sous le nom de kabbale par le sacerdoce d'Israël.
La doctrine kabbalistique, qui est le dogme de la haute
magie, est contenue dans le Sepher Jézirah, le Sohar et le
Talmud. Suivant cette doctrine, l'absolu c'est l'être dans
lequel se trouve le Verbe, qui est l'expression de la raison
d'être et de la vie.
L'être est l'être, rrrtN ivx rima. Voilà le principe.
Dans le principe était, c'est-à-dire est, a été, et sera
le Verbe, c'est-à-dire la raison qui parle.

Ev apxT) "iv o Aoyoç !

Le Verbe est la raison de la croyance, et en lui aussi


est l'expression de la foi qui vivifie la science. Le Verbe,
Âoyoç, est la source de la logique. Jésus est le Verbe in-
carné. L'accord de la raison avec la foi, de la science
avec la croyance, de l'autorité avec la liberté, est devenu
dans les temps modernes l'énigme véritable du sphinx;
et en même temps que ce grand problème on a soulevé
celui des droits respectifs de l'homme et de la femme ;
cela devait être, car entre tous ces termes d'une grande
et suprême question, l'analogie est constante et les diffi-
cultés, comme les rapports, sont invariablement les
mêmes.
Ce qui rend paradoxale, en apparence, la solution de
ce nœud gordien de la philosophie et de la politique
moderne, c'est que pour accorder les termes de l'équa-
tion qu'il s'agit de faire, on affecte toujours de les mêler
ou de les confondre.
S'il y a une absurdité suprême, en effet, c'est de cher-
cher comment la foi pourrait être une raison, la raison
2Û. HISTOIRE DIS LA MAGIE.

une croyance, la liberté une autorité; et réciproquement,


la femme un homme et l'homme une femme. Ici les défi-
nitions mêmes s'opposent à la confusion, et c'est en dis-
tinguant parfaitement les termes qu'on arrive à les
accorder. Or, la distinction parfaite et éternelle des deux
termes primitifs du syllogisme créateur, pour arriver à
la démonstration de leur harmonie par l'analogie des
contraires, cette distinction, disons-nous, est le second
grand principe de cette philosophie occulte, voilée sous
le nom de kabbale et indiquée par tous les hiéroglyphes
sacrés des anciens sanctuaires et des rites encore si peu
connus de la maçonnerie ancienne et moderne.
On lit dans l'Écriture que Salomon fit placer devant la
porte du temple deux colonnes de bronze, dont l'une
s'appelait Jakin et l'autre Boaz, ce qui signifie le fort et
le faible. Ces deux colonnes représentaient l'homme et la
femme, la raison et la foi, le pouvoir et la liberté, Caïn
et Abel, le droit et le devoir; c'étaient les colonnes du
monde intellectuel et moral, c'était l'hiéroglyphe monu-
mental de l'antinomie nécessaire à la grande loi de créa-
tion. 11 faut, en effet, à toute force une résistance pour
appui, à toute lumière une ombre pour repoussoir, à
toute saillie un creux, à tout épanchement un récep-
tacle, à tout règne un royaume, à tout souverain un
peuple, à tout travailleur une matière première, à tout
conquérant un sujet de conquête. L'affirmation se pose
par la négation, le fort ne triomphe qu'en comparaison
avec le faible, l'aristocratie ne se manifeste qu'en s'éle-
vant au-dessus du peuple. Que le faible puisse devenir
fort, que le peuple puisse conquérir une position aristo-
cratique, c'est une question de transformation et de pro-
INTRODUCTION. 25

grès, mais ce qu'on peut en dire n'arrivera qu'à la con-


firmation des vériiés premières, le faible sera toujours
le faible, peu importe que ce ne soit plus le même per-
sonnage. De même le peuple sera toujours le peuple,
c'est-à-dire la masse gouvernable et incapable de gou-
verner. Dans la grande armée des inférieurs, toute
émancipation personnelle est une désertion forcée, rendue
heureusement insensible par un remplacement éternel ;
un peuple-roi ou un peuple de rois supposerait l'esclavage
du monde et l'anarchie dans une seule et indisciplinable
cité, comme il en était à Rome du temps de sa plus
grande gloire. Une nation de souverains serait nécessai-
rement aussi anarchique qu'une classe de savants ou
d'écoliers qui se croiraient maîtres ; personne n'y voudrait
écouter, et tous dogmatiseraient et commanderaient à
la fois.
On peut en dire autant de l'émancipation radicale de
la femme. Si la femme passe de la condition passive à la
condition active, intégralement et radicalement, elle
abdique son sexe et devient homme, ou plutôt, comme
une telle transformation est physiquement impossible,
elle arrive à l'aifirmation par une double négation, et se
pose en dehors des deux sexes, comme un androgyne sté-
rile et monstrueux. Telles sont les conséquences forcées
du grand dogme kabbalistique de la distinction des con-
traires pour arriver à l'harmonie par l'analogie de leurs
rapports.
Ce dogme une fois reconnu, et l'application de ses
conséquences étant faite universellement par la loi des
analogies, on arrive à la découverte des plus grands
secrets de la sympathie et de l'antipathie naturelle, de
26 HISTOIRE DE LA MAGIE.

lascience du gouvernement, soit en politique, soit en ma-


riage, de la médecine occulte dans toutes ses branches,
soit magnétisme, soithomœopathie, soit influence morale;
et d'ailleurs, comme nous l'expliquerons, la loi d'équilibre
en analogie conduit à la découverte d'un agent universel,
qui était le grand arcane des alchimistes et des magi-
ciens du moyen âge. Nous avons dit que cet agent est une
lumière de vie dont les êtres animés sont aimantés, et
dont l'électricité n'est qu'un accident et comme une per-
turbation passagère. À la connaissance et à l'usage de
cet agent se rapporte tout ce qui tient à la pratique de
la kabbale merveilleuse dont nous aurons bientôt à nous
occuper, pour satisfaire la curiosité de ceux qui cher-
chent dans les sciences secrètes plutôt des émotions que
de sages enseignements.
L a religion des kabbalistes est à la fois toute d'hypo-
thèses et toute de certitude, car elle procède par ana-
logie du connu à l'inconnu. Us reconnaissent la religion
comme un besoin de l'humanité, comme un fait évident et
nécessaire, et là seulement est pour eux la révélation di-
vine, permanente et universelle. Us ne contestent rien de
ce qui est, mais ils rendent raison de toute chose. Aussi
leur doctrine, en marquant nettement la ligne de sépara-
tion qui doit éternellement exister entre la science et la
foi, donne-t-elle à la foi la plus haute raison pour base,
ce qui lui garantit une éternelle et incontestable durée ;
viennent ensuite les formules populaires du dogme qui,
seules, peuvent varier et s'entre-détruire; le kabbaliste
n'est pas ébranlé pour si peu et trouve tout d'abord une
raison aux plus étonnantes formules des mystères. Aussi
sa prière peut-elle s'unir à celle de tous les hommes
INTRODUCTION. 27

pour la diriger, en l'illustrant de science et de raison, et


l'amener à l'orthodoxie. Qu'on lui parle de Marie, il s'in-
clinera devant cette réalisation de tout ce qu'il y a de
divin dans les rêves de l'innocence et de tout ce qu'il y
a d'adorable dans la sainte folie du coeur de toutes les
mères Ce n'est pas lui qui refusera des fleurs aux autels
de la mère de Dieu, des rubans blancs à ses chapelles,
des larmes même À ses naïves légendes! Ce n'est pas lui
qui rira du Dieu vagissant de la crèche et de la victime
sanglante du Calvaire ; il répète cependant au fond de
son cœur, avec les sages d'Israël et les vrais croyants de
l'Islam : « Il n'y a qu'un Dieu, et c'est Dieu ; » ce qui veut
dire pour un initié aux vraies sciences : « Il n'y a qu'un
Etre, et c'est l'Etre ! » Mais tout ce qu'il y a de politique
et de touchant dans les croyances, mais la splendeur
des cultes, mais la pompe des créations divines, mais la
grâce des prières, mais la magie des espérances du ciel;
tout cela n'est-il pas un rayonnement de l'être moral
dans toute sa jeunesse et dans toute sa beauté? Oui, si
quelque chose peut éloigner le véritable initié des prières
publiques et des temples, ce qui peut soulever chez lui
le dégoût ou l'indignation contre une forme religieuse
quelconque, c'est l'incroyance visible des ministres ou
du peuple, c'est le peu de dignité dans les cérémonies
du culte, c'est la profanation, en un mot, des choses
saintes. Dieu est réellement présent lorsque des âmes
recueillies et des cœurs touchés l'adorent; il est sensi-
blement et terriblement absent lorsqu'on parle de lui
sans feu et sans lumière, c'est-à-dire sans intelligence
et sans amour.

L'idée qu'il faut avoir de Dieu, suivant la sage


28 HISTOIRE DE LA. MAGIE.

kabbale, c'est saint Paul lui-même qui va nous la révéler:


« Pour arriver à Dieu, dit cet apôtre, il faut croire qu'il
est et qu'il récompense ceux qui le cherchent. »
Ainsi, rien en dehors de l'idée d'être, jointe à la no-
tion de bonté et de justice, car cette idée seule est l'absolu.
Dire que Dieu n'est pas, ou définir ce qu'il est, c'est
également blasphémer. Toute définition de Dieu, risquée
par l'intelligence humaine, est une recette d'empirisme
religieux, au moyen de laquelle la superstition, plus tard,
pourra alambiquer un diable.
Dans les symboles kabbalistiques, Dieu est toujours
représenté par une double image, l'une droite, l'autre
renversée, l'une blanche et l'autre noire. Les sages ont
voulu exprimer ainsi la conception intelligente et la
conception vulgaire de la même idée, le dieu de lumière
et le dieu d'ombre; c'est à ce symbole mal compris qu'il
faut reporter l'origine de l'Arimane des Perses, ce noir
et divin ancêtre de tous les démons ; le rêve du roi in-
fernal, en effet, n'est qu'une fausse idée de Dieu.
L a lumière seule, sans ombre, serait invisible pour nos
yeux, et produirait un éblouissement équivalent aux plus
profondes ténèbres. Dans les analogies de cette vérité
physique, bien comprise et bien méditée, on trouvera la
solution du plus terrible des problèmes ; l'origine du mal.
Mais la connaissance parfaite de cette solution et de
toutes ses conséquences n'est pas faite pour la multitude,
qui ne doit pas entrer si facilement dans les secrets de
l'harmonie universelle. Aussi, lorsque l'initié aux mys-
tères d'Eleusis avait parcouru triomphalement toutes les
épreuves, lorsqu'il avait vu et touché les choses saintes,
si on le jugeait assez fort pour supporter le dernier et le
INTRODUCTION. 29

plus terrible de tous les secrets, un prêtre voilé s'appro-


chait de lui en courant, et lui jetait dans l'oreille cette
parole énigmatique : Osiris est un dieu noir. Ainsi cet
Osiris, dont Typhon est l'oracle, ce divin soleil religieux
de l'Egypte, s'éclipsait tout à coup et n'était plus lui-
même que l'ombre de cette grande et indéfinissable Isis,
qui est tout ce qui a été et tout ce qui sera, mais dont
personne encore n'a soulevé le voile éternel.
La lumière pour les kabbalistes représente le principe
actif, et les ténèbres sont analogues au principe passif ;
c'est pour cela qu'ils firent du soleil et de la lune l'em-
blème des deux sexes divins et des deux forces créa-
trices; c'est pour cela qu'ils attribuèrent à la femme la
tentation et le péché d'abord, puis le premier travail,
le travail maternel de la rédemption puisque c'est du
sein des ténèbres mêmes qu'on voit renaître la lumière.
.Le vide attire le plein, et c'est ainsi que l'abîme de pau-
vreté et de misère, le prétendu mal, le prétendu néant,
la passagère rébellion des créatures attire éternellement
un océan d'être, de richesse, de miséricorde et d'amour.
Ainsi s'explique le symbole du Christ descendant aux
enfers après avoir épuisé sur la croix toutes les immen-
sités du plus admirable pardon.
Par cette loi de l'harmonie dans l'analogie des con-
traires, les kabbalistes expliquaient aussi tous les mystères
de l'amour sexuel ; pourquoi cette passion est plus dura-
ble entre deux natures inégales et deux caractères oppo-
sés? Pourquoi en amour il y a toujours un sacrificateur
et une victime, pourquoi les passions les plus obstinées
sont celles dont la satisfaction paraît impossible. Par cette
loi aussi ils eussent réglé à jamais la question de pré-
30 HISTOIRE DE LA MAGIE.

séance entre les sexes, question que le saint-simonisme


seul a pu soulever sérieusement de nos jours. Us eussent
trouvé que la force naturelle de la femme étant la force
d'inertie ou de résistance, le plus imprescriptible de ses
droits, c'est le droit à la pudeur; et qu'ainsi elle ne doit
rien faire ni rien ambitionner de tout ce qui demande
une sorte d'effronterie masculine. La nature y a d'ail-
leurs bien pourvu en lui donnant une voix douce qui ne
pourrait se faire entendre dans les grandes assemblées
sans arriver à des tons ridiculement criards. La femme
qui aspirerait aux fonctions de l'autre sexe, perdrait par
cela même les prérogatives du sien. Nous ne savons
jusqu'à quel point elle arriverait à gouverner les hommes,
mais à coup sûr les hommes, et ce qui serait plus cruel
pour elle, les enfants mêmes ne l'aimeraient plus.
La loi conjugale des kabbalistes donne par analogie
la solution du problème le plus intéressant et le plus diffi-
cile de la philosophie moderne. L'accord définitif et du-
rable de la raison et de la foi, de l'autorité et de la liberté
d'examen, de la science et de la croyance. Si la science
est le soleil, la croyance est la lune : c'est un reflet du
jour dans la nuit. La foi est le supplément de la raison,
dans les ténèbres que laisse la science, soit devant elle,
soit derrière elle; elle émane de la raison, mais elle, ne
peut jamais ni se confondre avec elle, ni la confondre.
Les empiétements de la raison sur la foi ou de la foi sur
la raison, sont des éclipses de soleil ou de lune; lorsqu'elles
arrivent, elles rendent inutiles à la fois le foyer et le ré-
flecteur de la lumière.
La science périt par les systèmes qui ne sont autre
chose que des croyances, et la foi succombe au raisonne-
INTRODUCTION. 31

ment. Pour que les deux colonnes du temple soutien-


nent l'édifice, il faut qu'elles soient séparées et placées
en parallèle. Dès qu'on veut violemment les rapprocher
comme Sanson, on les renverse et tout l'édifice s'écroule
sur la tête du téméraire aveugle ou du révolutionnaire,
que des ressentiments personnels ou nationaux ont
d'avance voué à la mort.
Les luttes du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel
ont été de tout temps dans l'humanité de grandes que-
relles de ménage. La papauté jalouse du pouvoir tem-
porel n'était qu'une mère de famille jalouse de supplanter
son mari : aussi perdit-elle la confiance de ses enfants.
Le pouvoir temporel à son tour, lorsqu'il usurpe sur le
sacerdoce, est aussi ridicule que le serait un homme en
prétendant s'entendre mieux qu'une mère aux soins de
l'intérieur et du berceau. Ainsi les Anglais, par exem-
ple, au point de vue moral et religieux, sont des enfants
emmaillottés par des hommes ; on s'en aperçoit bien à
leur tristesse et à leur ennui.
Si le dogme religieux est un conte de nourrice, pourvu
qu'il soit ingénieux et d'une morale bienfaisante, il est
parfaitement vrai pour l'enfant, et le père de famille se-
rait fort sot d'y contredire. Aux mères, donc, le monopole
des récits merveilleux, des petits soins et des chansons.
La maternité est le type des sacerdoces, et c'est parce
que l'Église doit être exclusivement mère, que le prêtre
catholique renonce à être homme et abjure devant elle
d'avance ses droits à la paternité.
On n'aurait jamais dû l'oublier : la papauté est une
mère universelle ou elle n'est rien. La papesse Jeanne,
dont les protestants ont fait une scandaleuse histoire, n'est
32 HISTOIRE DE LA MAGIE.

peut-être qu'une ingénieuse allégorie, et quand les sou-


verains pontifes ont malmené les empereurs et les rois,
c'était la papesse Jeanne qui voulait battre son mari au
grand scandale du monde chrétien. Aussi les schismes
et les hérésies n'ont-ils été au fond, nous le répétons,
que des disputes conjugales ; l'Église et le protestantisme
disent du mal l'un de l'autre et se regrettent, affectent de
s'éviter et s'ennuient d'être l'un sans l'autre, comme
des époux séparés.
Ainsi par la kabale, et par elle seule, tout s'explique
et se concilie. C'est une doctrine qui vivifie et féconde
toutes les autres, elle ne détruit rien et donne au contraire
la raison d'être de tout ce qui est. Aussi toutes les forces
du monde sont elles au service de cette science unique et
supérieure, et le vrai kabbaliste peut-il disposer à son gré
sans hypocrisie et sans mensonge, de la science des sages
et de l'enthousiasme des croyants. Il est plus catholique
que M. de Maistre , plus protestant que Luther, plus
israélite que le grand rabbin, plus prophète que Mahomet ;
n'est-il pas au-dessus des systèmes et des passions qui
obscurcissent la vérité, et ne peut-il pas à volonté en réu-
nir tous les rayons épars et diversements réfléchis par
tous les fragments de ce miroir brisé qui est la foi univer-
selle, et que le^ hommes prennent pour tant de croyances
opposées et différentes ? Il n'y a qu'un être, il n'y a
qu'une vérité, il n'y a qu'une loi et qu'une foi, comme il
n'y a qu'une humanité en ce monde : rrriN IVK rpnN-
Arrivé à de pareilles hauteurs intellectuelles et m o -
rales, on comprend que l'esprit et le cœur humain jouis-
sent d'une paix profonde ; aussi ces mots : Paix profonde,
mes frères! étaient-ils la parole de maître dans la haute
INTRODUCTION. 33

maçonnerie, c'est-à-dire dans l'association des initiés


à la kabbale.
La guerre que l'Église a dû déclarer à la magie a été
nécessitée par les profanations de faux gnostiques, mais
la vraie science des mages est essentiellement catho-
lique, parce qu'elle base toute sa réalisation sur le prin-
cipe de la hiérarchie. Or, dans l'Église catholique seule
il y a une hiérarchie sérieuse et absolue. C'est pour cela
que les vrais adeptes ont toujours professé pour cette
Église le plus profond respect et l'obéissance la plus
absolue. Henri Khuurath seul a été un protestant déter-
miné; mais en cela il était allemand de son époque
plutôt que citoyen mystique du royaume éternel.
L'essence de l'antichristianisme est l'exclusion et l'hé-
résie, c'est le déchirement du corps du Christ, suivant
la belle expression de saint Jean : Omnis spiritus qui solvit
Christum hic Antechristus est. C'est que la religion est
la charité. Or, il n'y a pas de charité dans l'anarchie.
La magie aussi a eu ses hérésiarques et ses sectaires,
ses hommes de prestiges et ses sorciers. Nous aurons à
venger la légitimité de la science, des usurpations de
l'ignorance, de la folie et de la fraude, et c'est en cela
surtout que notre travail pourra être utile et sera entiè-
rement nouveau.
On n'a jusqu'à présent traité l'histoire de la magie
que comme les annales d'un préjugé, ou les chroniques
plus ou moins exactes d'une série de phénomènes; per-
sonne, en elfet, ne croyait plus que la magie fût une
science. Une histoire sérieuse de cette science retrouvée
doit en indiquer les développements et les progrès; nous
marchons donc en plein sanctuaire au lieu de longer des
3
34 HISTOIRE DE LA MAGIE.

ruines, et nous allons trouver ce sanctuaire enseveli si


longtemps sous les cendres de quatre civilisations, plus
merveilleusement conservé que ces villes-momies sorties
dernièrement des cendres du Vésuve, dans toute leur
beauté morte et leur majesté désolée.
Dans son plus magnifique ouvrage, Bossuet a montré
la religion liée partout avec l'histoire: qu'aurait-il dit
s'il avait su qu'une science, née pour ainsi dire avec le
monde, rend raison à la fois des dogmes primitifs de la
religion unique et universelle en les unissant aux théo-
rèmes les plus incontestables des mathématiques et de
la raison?
L a magie dogmatique est la clef de tous les secrets
non encore approfondis par la philosophie de l'histoire ;
et la magie pratique ouvre seule à la puissance, toujours
limitée mais toujours progressive de la volonté humaine,
le temple occulte de la nature.
Nous n'avons pas la prétention impie d'expliquer par
la magie les mystères de la religion ; mais nous ensei-
gnerons comment la science doit accepter et révérer ces
mystères. Nous ne dirons plus que la raison doit s'hu-
milier devant la foi; elle doit au contraire s'honorer
d'être croyante ; car c'est la foi qui sauve la raison des
horreurs du néant sur le bord des abîmes pour la ratta-
cher à l'infini.
L'orthodoxie en religion est le respect de la hiérar-
chie, seule gardienne de l'unité. Or, ne craignons pas
de le répéter, la magie est essentiellement la science de
la hiérarchie. Ce qu'elle proscrit avant tout, qu'on se le
rappelle bien, ce sont les doctrines anarchiques ; et elle
démontre, par les lois mêmes de la nature, que l'har-
INTRODUCTION. 35

monie est inséparable du pouvoir et de l'autorité.


Ce qui fait, pour le plus grand nombre des curieux,
l'attrait principal de la magie, c'est qu'ils y voient un
moyen extraordinaire de satisfaire leurs passions. Non,
disent les avares, le secret d'Hermès pour la transmuta-
tion des métaux n'existe pas, autrement nous l'achète-
rions et nous serions riches!... Pauvres fous, qui croient
qu'un pareil secret puisse se vendre! et quel besoin au-
rait de votre argent celui qui saurait faire de l'or? —
C'est vrai, répondra un incrédule, mais toi-même, Éli-
phas Lévi, si tu possédais ce secret ne serais-tu pas plus
riche que nous ? — Eh ! qui vous dit que je sois pauvre ?
Vous ai-je demandé quelque chose? Quel est le souverain
du monde qui peut se vanter de m'avoir payé un secret
de la science? Quel est le millionnaire auquel j'aie
jamais donné quelque raison de croire que je voudrais
troquer ma fortune contre la sienne? Lorsqu'on voit d'en
bas les richesses de la terre on y aspire toujours comme
à la souveraine félicité ; mais comme on les méprise
lorsqu'on plane au-dessus d'elles, et qu'on a peu d'envie
de les reprendre lorsqu'on les a laissées tomber comme
des fers!

Oh ! s'écriera un jeune homme, si les secrets de la


magie étaient vrais, je voudrais les posséder pour être
aimé de toutes les femmes. — De toutes, rien que cela.
Pauvre enfant, un jour viendra où ce sera trop d'en
avoir une. L'amour sensuel est une orgie à deux, où
l'ivresse amène vite le dégoût, et alors on se quitte en se
jetant les verres à la tête.
Moi, disait un jour un vieil idiot, je voudrais être ma-
gicien pour bouleverser le monde ! — Brave homme, si
36 HISTOIRE DE LA MAGIE.

vous étiez magicien vous ne seriez pas imbécile; et alors


rien ne vous fournirait, même devant le tribunal de votre
conscience, le bénéfice des circonstances atténuantes,
si vous deveniez un scélérat.
Eh bien ! dira un épicurien, donnez-moi donc les
recettes de la magie, pour jouir toujours et ne souffrir
jamais....
Ici c'est la science elle-même qui va répondre :
La religion vous a déjà dit : Heureux ceux qui souf-
frent; mais c'est pour cela même que la religion a perdu
votre confiance.
Elle a dit : Heureux ceux qui pleurent, et c'est pour
cela que vous avez ri de ses enseignements.
Écoutez maintenant ce que disent l'expérience et la
raison :
Les souffrances éprouvent et créent les sentiments
généreux; les plaisirs développent et fortifient les in-
stincts lâches.
Les souffrances rendent fort contre le plaisir, les
jouissances rendent faible contre la douleur.
L e plaisir dissipe;
L a douleur recueille.
Qui souffre amasse;
Qui jouit dépense.
L e plaisir est l'écueil de l'homme.
La douleur maternelle est le triomphe de la
femme.
C'est le plaisir qui féconde, mais c'est la douleur qui
conçoit et qui enfante.
Malheur à l'homme qui ne sait pas et qui ne veut pas
souffrir î car il sera écrasé de douleurs.
INTRODUCTION. 37

Ceux qui ne veulent pas marcher, la nature les traîne


impitoyablement.
Nous sommes jetés dans la vie comme en pleine mer:
il faut nager ou périr.
Telles sont les lois de la nature enseignées par la
haute magie. Voyez maintenant si l'on peut devenir
magicien pour jouir toujours et ne souffrir jamais !
Mais alors, diront d'un air désappointé les gens du
monde, à quoi peut servir la magie?— Que pensez-vous
que le prophète Balaam eût pu répondre à son ânesse
si elle lui avait demandé à quoi peut servir l'intelligence?
Que répondrait Hercule à un pygmée qui lui deman-
derait à quoi peut servir la force ?
Nous ne comparons certes pas les gens du monde à
des pymées, et encore moins à l'ânesse de Balaam ; ce
serait manquer de politesse et de bon goût. Nous répon-
drons donc le plus gracieusement possible à ces per-
sonnes si brillantes et si aimables, que la magie ne peut
leur servir absolument de rien, attendu qu'elles ne s'en
occuperont jamais sérieusement.
Notre ouvrage s'adresse aux âmes qui travaillent et
qui pensent. Elles y trouveront l'explication de ce qui est
resté obscur dans le dogme et dans le rituel de la haute
magie ( 1 ) . Nous avons, à l'exemple des grands maîtres,
suivi dans le plan et la division de nos livres l'ordre r a -
tionnel des nombres sacrés. Nous divisons notre histoire
de la magie en sept livres, et chaque livre contient sept
chapitres.
Le premier livre est consacré aux origines magiques,

( l ) Éliphas Lëvi, Dogme et Rituel de la haute magie, 4856, 2 vol.


in-8, avec 23 fig. — 25 fr.
38 HISTOIRE DE LA MAGIE.

c'est la Genèse de la science, et nous lui avons donné


pour clef la lettre aleph N,.qûî exprime kabbalistique-
ment l'unité principiante et originelle.
L e second livre contiendra les formules historiques et
sociales duverbe magique dans l'antiquité. Sa marque est la
lettre beth 2, symbole du binaire, expression duverbe réa-
lisateur, caractère spécial de la gnose et de l'occultisme.
L e troisième livre sera Yexposé des réalisations de la
science antique dans la société chrétienne. Nous y verrons
comment, pour la science même, la parole s'est incarnée.
L e nombre trois est celui de la génération, de la r é a l i -
sation, et le livre a pour clef la lettre ghimel D, hiéro-
glyphe de la naissance.
Dans le quatrième livre, nous verrons la force civili-
satrice de la magie chez les barbares, et les productions
naturelles de cette science parmi les peuples encore en-
fants, les mystères des druides, les miracles des euba-
ges, les légendes des bardes, et comment tout cela con-
court à la formation des sociétés modernes en préparant
au christianisme une victoire éclatante et durable. Le
nombre quatre exprime la nature et la force, et la lettre
daleth 1, qui le représente dans l'alphabet hébreux, est
figurée dans l'alphabet hiéroglyphique des kabbalistes
par un empereur sur son trône.
L e cinquième livre sera consacré à l'ère sacerdotale du
moyen âge. Nous y verrons les dissidences et les luttes
de la science, la formation des sociétés secrètes, leurs
œuvres inconnus, les rites secrets des grimoires, lès
mystères de la divine comédie, les divisions du sanc-
tuaire, qui doivent aboutir plus tard à une glorieuse
unité. L e nombre cinq est celui de la quintessence, de la
INTRODUCTION. 39

religion, du sacerdoce; son caractère est la lettre hé n,


représentée dans l'alphabet magique par la figure du
grand prêtre.
Notre sixième livre montrera la magie mêlée à l'œuvre
de la révolution. L e nombre six est celui de l'antago-
nisme et de la lutte qui prépare la synthèse universelle.
Sa lettre est le vaf "i, figure du lingam créateur, du fer
recourbé qui moissonne.
L e septième livre sera celui de la synthèse, et con-
tiendra l'exposé des travaux modernes et des découvertes
récentes, les théories nouvelles de la lumière et du magné-
tisme, la révélation du grand secret des rose-croix,
l'explication des alphabets mystérieux, la science, enfin,
du verbe et des œuvres magiques, la synthèse de la science
et l'appréciation des travaux de tous les mystiques con-
temporains. Ce livre sera le complément et la couronne
de l'œuvre comme le septénaire est la couronne des
nombres, puisqu'il réunit le triangle de l'idée au carré
de la forme. Sa lettre correspondante est le dzaïn ï, et
son hiéroglyphe kabbalistique est un triomphateur monté
sur un char attelé de deux sphinx. Nous avons donné
cette figure dans notre précédent ouvrage.
Loin de nous la vanité ridicule de nous poser en
triomphateur kabbalistique, c'est la science seule qui
doit triompher, et celui que nous voulons montrer au
monde intelligent, monté sur le char cubique et traîné
par les sphinx, c'est le verbe de lumière, c'est le réali-
sateur divin de la kabbale de Moïse, c'est le soleil humain
de l'Évangile, c'est l'homme-Dieu qui est déjà venu
comme Sauveur, et qui se manifestera bientôt comme
Messie, c'est-à-dire comme roi définitif et absolu des
AO HISTOIRE DE LA MAGIE.

institutions temporelles. C'est cette pensée qui anime


notre courage et entretient notre espérance. Et mainte-
nant il nous reste à soumettre toutes nos idées, toutes
nos découvertes et tous nos travaux au jugement infail-
lible de la hiérarchie. Tout ce qui tient à la science,
aux hommes acceptés par les sciences, tout ce qui tient à
la religion, à l'Église seule, et à la seule Église hiérar-
chique et conservatrice de l'unité, catholique aposto-
lique et romaine, depuis Jésus-Christ jusqu'à présent.
Aux savants nos découvertes, aux évêques nos aspi-
rations et nos croyances! Malheur, en effet, à l'enfant
qui se croit plus sage que ses pères, à l'homme qui ne
reconnaît pas de maîtres, au rêveur qui pense et qui
prie pour lui seul ! L a vie est une communion univer-
selle, et c'est dans cette communion qu'on trouve l'im-
mortalité. Celui qui s'isole se voue à la mort, et l'éternité
de l'isolement, ce serait la mort éternelle !

ÉLIPHAS L É V I .
LIVRE PREMIER.
LES ORIGINES MAGIQUES.

ti , Aleph.

C H A P I T R E P R E M I E R . 1

ORIGINES FABULEUSES.

SOMMAIRE. — Origines fabuleuses. — Le livre de la pénitence d'Adam.


— Le livre d'Hénoch. — La légende des anges déchus. — Apocalypse
de Méthodius. — La Genèse suivant les Indiens. — L'héritage magique
d'Abraham, suivant le Talmud. — Le Sépher Jezirah et le Sohar.

« I l y eut, dit le livre apocryphe d'Hénoch, des anges


qui se laissèrent tomber du ciel pour aimer les filles de
la terre.
» Car en ces jours-là, lorsque les fils des hommes se
furent multipliés, il leur naquit des filles d'une grande
beauté.
» Et lorsque les anges, les fils du ciel, les virent ils
furent pris d'amour pour elles ; et ils se disaient entre
eux : « Allons, choisissons-nous des épouses de la race des
» hommes, et engendrons des enfants. »
» Alors leur chef Samyasa leur dit : « Peut-être n'aurez-
» vous pas le courage d'accomplir cette résolution, et je
» resterai seul responsable de votre chute. »
» Mais ils lui répondirent : « Nous jurons de ne pas nous
» repentir et d'accomplir tous notre dessein. »
Ù2 HISTOIRE DE LA MAGIE.

» Et ils étaient deux cents qui descendirent sur la mon-


tagne d'Armon.
» Et c'est depuis ce temps-là que cette montagne est
nommée Àrmon, ce qui veut dire la montagne du
Serment.
» Voici les noms des chefs de ces anges qui descen-
dirent : Samyasa qui était le premier de tous, Uraka-
baraméel, Azibéel, Tamiel, Ramuel, Danel, Azkéel,
Sarakuyal, Asael, Armers, Batraal, Anane, Z a v è b e ,
Samsavéel, Ertrael, Turel, Jomiael, Arazial.
» Us prirent des épouses avec lesquelles ils se mêlè-
rent, leur enseignant la magie, les enchantements et la
division des racines et des arbres.
» Araazarac enseigna tous les secrets des enchanteurs,
Barkaial fut le maître de ceux qui observent les astres,
Akibéel révéla les signes et Azaradel le mouvement de
la lune. »
Ce récit du livre kabbalistique d'Hénoch, est le récit
de cette même profanation des mystères de la science
que nous voyons représenter sous une autre i m a g e dans
l'histoire du péché d'Adam.
Les anges, les fils de Dieu, dont parle Hénoch, c'étaient
les initiés à la magie, puisque après leur chute ils l'ensei-
gnèrent aux hommes vulgaires par l'entremise des femmes
indiscrètes. L a volupté fut leur écueil, ils aimèrent les
femmes et se laissèrent surprendre les secrets de la
royauté et du sacerdoce.
Alors la civilisation primitive s'écroula, les géants,
c'est-à-dire les représentants de la force brutale et
des convoitises effrénées, se disputèrent le monde qui
ne put leur échapper qu'en s'abîmant sous les eaux
ORIGINES FABULEUSES. ft3

du déluge où s'effacèrent toutes les traces du passé.


Ce déluge figurait la confusion universelle où tombe
nécessairement l'humanité lorsqu'elle a violé et méconnu
les harmonies de la nature.
Le péché de Samyasa et celui d'Adam se ressemblent,
tous deux sont entraînés par la faiblesse du cœur, tous
deux profanent l'arbre de la science et sont repoussés
loin de l'arbre de vie.
Ne discutons pas les opinions ou plutôt les naïvetés
de ceux qui veulent prendre tout à la lettre, et qui pen-
sent que la science et la vie ont pu pousser autrefois sous
forme d'arbres, mais admettons le sens profond des sym-
boles sacrés.
L'arbre de la science, en effet, donne la mort lorsqu'on
en absorbe les fruits, ces fruits sont la parure du monde,
ces pommes d'or sont les étoiles de la terre.
Il existe à la bibliothèque de l'Arsenal un manuscrit
fort curieux qui a pour titre : Le livre de la pénitence
d'Adam. La tradition kabbalistique y est présentée sous
forme de légende, et voici ce qu'on y raconte :
« Adam eut deux fils, Caïn qui représente la force
brutale, Abel qui représente la douceur intelligente. Us
ne purent s'accorder, et ils périrent l'un par l'autre,
aussi leur héritage fut-il donné à un troisième fils nommé
Selh. »
Voilà bien le conflit des deux forces contraires tour-
nant au profit d'une puissance synthétique et combinée.
« Or Seth, qui était juste, put parvenir jusqu'à l'entrée
du paradis terrestre sans que le chérubin l'écartât avec
son épée flamboyante. » C'est-à-dire que Seth repré-
sente l'initiation primitive.
ÏXk HISTOIRE DE LA MAGIE.

« Seth vit alors que l'arbre de la science et l'arbre de


la vie s'étaient réunis et n'en faisaient qu'un. »
Accord de la science et de la religion dans la haute
kabbale.
« Etl'ange lui donna trois grains qui contenaient toute
la force vitale de cet arbre. »
C'est le ternaire kabbalistique.
« Lorsque Adam mourut, Seth, suivant les instructions
de l'ange, plaça les trois grains dans la bouche de son
père expiré comme un g a g e de vie éternelle.
» Les branches qui sortirent de ces trois grains formè-
rent le buisson ardent au milieu duquel Dieu révéla à
Moïse son nom éternel :

» L'être qui est, qui a été, et qui sera l'être.


» Moïse cueillit une triple branche du buisson sacré,
ce fut pour lui la verge des miracles.
» Cette verge bien que séparée de sa racine ne cessa
pas de vivre et de fleurir, et elle fut ainsi conservée dans
l'arche.

» L e roi David replanta cette branche vivante sur la


montagne de Sion, et Salomon plus tard prit le bois de
cet arbre au triple tronc pour en faire les deux colonnes
Jakin et Bohas, qui étaient à l'entrée du temple, il les
revêtit de bronze, et plaça le troisième morceau du bois
mystique au fronton de la porte principale.
» C'était un talisman qui empêchait tout ce qui était
impur de pénétrer dans le temple.
» Mais les lévites corrompus arrachèrent pendant la
ORIGINES FABULEUSES. 45

nuit cette barrière de leurs iniquités et la jetèrent au fond


de la piscine probatique en la chargeant de pierres.
» Depuis ce moment l'ange de Dieu agita tous les ans
les eaux de la piscine et leur communiqua une vertu mi-
raculeuse pour inviter les hommes à y chercher l'arbre
de Salomon.
» Au temps de Jésus-Christ, la piscine fut nettoyée,
et les juifs trouvant cette poutre, inutile suivant eux, la
portèrent hors de la ville et la jetèrent en travers du
torrent de Cédron.
» C'est sur ce pont que Jésus passa après son arresta-
tion nocturne au jardin des Oliviers, c'est du haut de
cette planche que ses bourreaux le précipitèrent pour le
traîner dans le torrent et clans leur précipitation à pré-
parer d'avance l'instrument du supplice, ils emportèrent
avec eux le pont qui était une poutre de trois pièces, com-
posée de trois bois différents et ils en firent une croix. »
Cette allégorie renferme toutes les hautes traditions de
la kabbale et les secrets si complètement ignorés de nos
jours du christianisme de saint Jean.
Ainsi Seth, Moïse, David, Salomon et le Christ auraient
emprunté au même arbre kabbalistique leurs sceptres de
rois et leurs bâtons de grands pontifes.
Nous devons comprendre maintenant pourquoi le Sau-
veur au berceau était adoré par les mages.
Revenons au livre d'Hénoch, car celui-ci doit avoir
une autorité dogmatique plus grande qu'un manuscrit
ignoré. Le livre d'Hénoch est, en effet, cité dans le Nou-
veau Testament par l'apôtre saint Jude.
La tradition attribue à Hénoch l'invention des lettres.
C'est donc à lui que remontent les traditions consignées
46 HISTOIRE DE LA MAGIE.

dans le Sepher Jézirah, ce livre élémentaire de la kab-


bale, dont la rédaction suivant les rabbins, serait du
patriarche Abraham, l'héritier des secrets d'Hénoch et
le père de l'initiation en Israël.
Hénoch paraît donc être le même personnage que
l'Hermès trismégiste des Égyptiens, et le fameux livre
d e T h o t , écrit tout en hiéroglyphes et en nombres, serait
cette bible occulte et pleine de mystères, antérieure aux
livres de Moïse, à laquelle l'initié Guillaume Postel fait
souvent allusion dans ses ouvrages en la désignant sous
le nom de Genèse d'Hénoch.
L a Bible dit qu'Hénoch ne mourut point, mais que
Dieu le transporta d'une vie à l'autre. 11 doit revenir s'op-
poser à l'Antéchrist, à la fin des temps, et il sera un des
derniers martyrs ou témoins de la vérité, dont il est fait
mention dans l'apocalypse de saint Jean.
Ce qu'on dit d'Hénoch, on l'a dit de tous les grands
initiateurs de la kabbale.
Saint Jean lui-même ne devait pas mourir, disaient
les premiers chrétiens, et l'on a cru longtemps le voir res-
pirer dans son tombeau, car la science absolue de la vie
est un préservatif contre la mort et l'instinct des peuples
le leur fait toujours deviner.
Quoi qu'il en soit, il nous resterait d'Hénoch deux li-
vres, l'un hiéroglyphique, l'autre allégorique. L'un con-
tenant les clefs hiératiques de l'initiation, l'autre l'histoire
d'une grande profanation qui avait amené la destruc-
tion du monde et le chaos après le règne des géants.
Saint Méthodius, un évêque des premiers siècles du
christianisme, dont les œuvres se trouvent dans la bi-
bliothèque des Pères de l'Église, nous a laissé une a p o -
ORIGINES FABULEUSES. /|7

calypse prophétique où l'histoire du monde se déroule


dans une série de visions. Ce livre ne se trouve pas dans
la collection des œuvres de saint Méthodius, mais il a
été conservé par lesgnostiques, et nous le retrouvons
imprimé dans le liber mirabilis, sous le nom altéré de
Bermechobus, que des imprimeurs ignorants ont fait à
la place de l'abréviation Bea-melhodius pour beatus
Méthodius.
Ce livre s'accorde en plusieurs points avec le traité
allégorique de la pénitence d'Adam. On y trouve que
Seth se retira avec sa famille en Orient vers une mon-
tagne voisine du paradis terrestre. Ce fut la patrie des
initiés, tandis que la postérité deCaïn inventait la fausse
magie dans l'Inde, pays du fratricide, et mettait les ma-
léfices au service de l'impunité.
Saint Méthodius prédit ensuite les conflits et le règne
successif des Ismaélites, vainqueurs des Romains; des
Français, vainqueurs des Ismaélites, puis d'un grand
peuple du Nord, dont l'invasion précédera le règne per-
sonnel de l'Antéchrist. Alors se formera un royaume
universel, qui sera reconquis par un prince français, et
la justice régnera pendant une longue suite d'années.
Nous n'avons pas à nous occuper ici de la prophétie.
Ce qu'il nous importe de remarquer, c'est la distinction
de la bonne et de la mauvaise magie, du sanctuaire des
fils de Seth et de la profanation des sciences par les
descendants de Caïn.
La haute science, en effet, est réservée aux hommes
qui sont maîtres de leurs passions, et la chaste nature ne
donne pas les clefs de sa chambre nuptiale à des adul-
tères. 11 y a deux classes d'hommes, les hommes libres
¿8 HISTOIRE DE LA MAGIE.

et les esclaves; l'homme naît esclave de ses besoins, mais


il peut s'affranchir, par l'intelligence. Entre ceux qui
sont déjà affranchis et ceux qui ne le sont pas encore
l'égalité n'est pas possible. C'est à la raison de régner et
aux instincts d'obéir. Autrement si vous donnez à un
aveugle les aveugles à conduire, ils tomberont tous dans
les abîmes. L a liberté, ne l'oublions pas, ce n'est pas la
licence des passions affranchies de la loi. Celte licence
serait la plus monstrueuse des tyrannies. La liberté, c'est
l'obéissance volontaire à la loi ; c'est le droit de faire son
devoir et seuls les hommes raisonnables et justes sont
libres. Or, les hommes libres doivent gouverner les
esclaves, et les esclaves sont appelés à s'affranchir;
non pas du gouvernement des hommes libres, mais de
cette servitude des passions brutales, qui les condamne
à ne pas exister sans maîtres.
Admettez maintenant avec nous la vérité des hautes
sciences, supposez un instant qu'il existe, en effet, une
force dont on peut s'emparer et qui soumet à la volonté
de l'homme les miracles de la nature? Dites-nous main-
tenant si l'on peut confier aux brutalités cupides les se-
crets de la sympathie et des richesses ; aux intrigants l'art
de la fascination, à ceux qui ne savent pas se conduire
eux-mêmes l'empire sur les volontés?... On est effrayé
lorsqu'on songe aux désordres que peut entraîner une
telle profanation. 11 faudra un cataclysme pour laver les
crimes de la terre quand tout se sera abîmé dans la
boue et dans le sang. Eh bien ! voilà ce que nous révèle
l'histoire allégorique de la chute des anges dans le livre
d'Hénoch, voilà le péché d'Adam et ses suites fatales.
Voilà le déluge et ses tempêtes; puis, plus tard, la haute
0P.1G1NES FABULEUSES. /j.9

malédiction de Ghanaan. La révélation de l'occul-


tisme est figurée par l'impudence de ce fils qui montre
la nudité paternelle. L'ivresse de Noé est une leçon
pour le sacerdoce de tous les temps. Malheur à ceux qui
exposent les secrets de la génération divine aux regards
impurs de la foule ! tenez le sanctuaire fermé, vous qui
ne voulez pas livrer votre père endormi à la risée des
imitateurs de Cham !
Telle est, sur les lois de la hiérarchie humaine, la
tradition des enfants de Seth; mais telles ne furent pas
les doctrines de la famille de Caïn. Les caïnistes de l'Inde
inventèrent une Genèse pour consacrer l'oppression des
plus forts et perpétuer l'ignorance des faibles ; l'initia-
tion devint le privilège exclusif des castes suprêmes et
des races d'hommes furent condamnées à une servitude
éternelle sous prétexte d'une naissance inférieure; ils
étaient sortis, disait-on, des pieds ou des genoux de
Brahma !
La nature n'enfante ni des esclaves ni des rois, tous
les hommes naissent pour le travail.
Celui qui prétend que l'homme est parfait en nais-
sant, et que la société le dégrade et le pervertit, serait le
plus sauvage des anarchistes, s'il n'était pas le plus
poétique des insensés. Mais Jean-Jacques avait beau être
sentimental et rêveur, son fond de misanthropie, déve-
loppé par la logique de ses séides, porta des fruits de
haine et de destruction. Les réalisateurs consciencieux
des utopies du tendre philosophe de Genève, furent
Robespierre et Marat.
La société n'est pas un être abstrait qu'on puisse
rendre séparément responsable de la perversité des
k
50 HISTOIRE DE LA MAGIE.

hommes ; la société c'est l'association des hommes. Elle


est défectueuse de leurs vices et sublime de leurs vertus;
mais en elle-même, elle est sainte comme la religion qui
lui est inséparablement unie. La religion, en effet, n'est-
elle pas la société des plus hautes aspirations et des plus
généreux efforts?
Ainsi, au mensonge des castes priviligées par la na-
ture, répondit le blasphème de l'égalité antisociale et du
droit ennemi de tout devoir ; le christianisme seul avait
résolu la question en donnant la suprématie au dévoue-
ment, et en proclamant le plus grand celui qui sacrifie-
rait son orgueil à la société et ses appétits à la loi.
L e s juifs, dépositaires de la tradition de Seth, ne la
conservèrent pas dans toute sa pureté, et se laissèrent
gagner par les injustes ambitions de la postérité de
Caïn. Us se crurent une race d'élite, et pensèrent que
Dieu leur avait plutôt donné la vérité comme un patri-
moine que confiée comme un dépôt appartenant à l'hu-
manité toute entière. On trouve, en effet, dans les talmu-
distes, à côté des sublimes traditions du Sépher Jézirah et
duSohar, des révélations assez étranges. C'est ainsi qu'ils
ne craignent pas d'attribuer au patriarche Abraham lui-
même l'idolâtrie des nations, lorsqu'ils disent qu'Abraham
adonné aux israélites son héritage, c'est-à-dire la science
des vrais noms divins ; la kabbale, en un mot, aurait été
la propriété légitime et héréditaire d'Jsaac; mais le pa-
triarche donna, disent-ils, des présents aux enfants de
ses concubines; et par ces présents ils entendent des
dogmes voilés et des noms obscurs, qui se matérialisè-
rent bientôt et se transformèrent en idoles. Les fausses
religions et leurs absurdes mystères, les superstitions
ORIGINES FABULEUSES. 51

orientales et leurs sacrifices horribles, quel présent d'un


père à sa famille méconnue! N'était-ce pas assez de
chasser Agar avec son fils dans le désert, fallait-il, avec-
leur pain unique et leur cruche d'eau, leur donner un
fardeau de mensonge pour désespérer et empoisonner
leur exil ?
La gloire du christianisme c'est d'avoir appelé tous
les hommes à la vérité, sans distinction de peuples et de
castes, mais non toutefois sans distinction d'intelligences
et de vertus.
« Ne jetez pas vos paroles devant les pourceaux, a dit
le divin fondateur du christianisme, de peur qu'ils ne les
foulent aux pieds et que, se tournant contre vous, ils ne
vous dévorent. »
L'Apocalypse, ou révélation de saint Jean, qui con-
tient tous les secrets kabbalistiques du dogme de
Jésus-Christ, n'est pas un livre moins obscur que le
Sohar.
Il est écrit hiéroglyphiquement avec des nombres et
des images; et l'apôtre fait souvent appel à l'intelli-
gence des initiés. « Que celui qui a la science comprenne,
que celui qui comprend calcule,» dit-il plusieurs fois après
une allégorie ou l'énoncé d'un nombre. Saint Jean,
l'apôtre de prédilection et le dépositaire de tous les
secrets du Sauveur, n'écrivait donc pas pour être com-
pris de la multitude.
Le Sépher Jézirah, le Sohar et l'Apocalypse sont les
chefs-d'œuvre de l'occultisme ; ils contiennent plus de
sens que de mots, l'expression en est figurée comme la
poésie et exacte comme les nombres. L'Apocalypse ré-
sume, complète et surpasse toute la science d'Abraham
52 HISTOIRE DE LA MAGIE.

et de Salomon, comme nous le prouverons en expliquant


es clefs de la haute kabbale.
L e commencement du Sohar étonne par la profondeur
de ses aperçus et la grandiose simplicité de ses images.
Voici ce que nous y lisons :
« L'intelligence de l'occultisme c'est la science de
l'équilibre.
» Les forces qui se produisent sans être balancées
périssent dans le vide.
» Ainsi ont péri les rois de l'ancien monde, les princes
des géants. Us sont tombés comme des arbres sans
racines, et l'on n'a plus trouvé leur place.
» C'est par le conflit des forces non équilibrées que la
terre dévastée était nue et informe lorsque le souffle de
Dieu se fit place dans le ciel et abaissa la masse des
eaux.
» Toutes les aspirations de la nature furent alors vers
l'unité delà forme, vers la synthèse vivante des puissances
équilibrées, et le front de Dieu, couronné de lumière, se leva
sur la vaste mer et se refléta dans les eaux inférieures.
» Ses deux yeux parurent rayonnants de clarté, lançant
deux traits de flamme qui se croisèrent avec les rayons
du reflet.
» L e front de Dieu et ses deux yeux formaient un trian-
gle dans le ciel, et le reflet formait un triangle dans les
eaux.
» Ainsi se révéla le nombre six, qui fut celui de la créa-
tion universelle. »
Nous traduisons ici, en l'expliquant, le texte qu'on ne
saurait rendre intelligible en le traduisant littéralement.
L'auteur du livre a soin, d'ailleurs, de nous déclarer
J>¿.III
ORIGINES FABULEUSES, 53

que cette forme humaine qu'il donne à Dieu n'est qu'une


image de son verbe, et que Dieu ne saurait être exprimé
par aucune pensée ni par aucune forme. Pascal a dit que
Dieu est un cercle dont le centre est partout et la cir-
conférence nulle part. Mais comment concevoir un cercle
sans circonférence? Le Sohar prend l'inverse de cette
figure paradoxale, et dirait volontiers du cercle de Pascal
que la circonférence en est partout et le centre nulle
part; mais ce n'est point à un cercle, c'est aune balance
qu'il compare l'équilibre universel des choses. « L'équi-
libre est partout, dit-il, on trouve donc partout aussi le
point central où la balance est suspendue. » Nous trou-
vons ici le Sohar plus fort et plus profond que Pascal.
L'auteur du Sohar continue son rêve sublime. La
synthèse du verbe formulé par la figure humaine monte
lentement et sort des eaux comme le soleil qui se lève.
Quand les yeux ont paru, la lumière a été faite; quand la
bouche se montre, les esprits sont créés et la parole se fait
entendre. La tête entière est sortie, et voilàle premier jour
de la création. Viennent les épaules, les bras et la poi-
trine, et le travail commence. L'image divine repousse
d'une main la mer et soulève de l'autre les continents et
les montagnes. Elle grandit, elle grandit toujours. Sa
puissance génératrice apparaît, et tous les êtres vont se
multiplier ; il est debout, enfin, il met un pied sur la
terre et l'autre sur la mer, et se mirant tout entier dans
l'Océan de la création, il souffle sur son reflet, il appelle
son image à la vie. Gréons l'homme, a-t-il dit, et
l'homme est créé! Nous ne connaissons rien d'aussi beau
dans aucun poëte que cette vision de la création accom-
plie par le type idéal de l'humanité. L'homme ainsi est
5/f HISTOIRE DE LA MAGIE.

l'ombre d'une ombre! mais il est la représentation de la


puissance divine. Lui aussi peut étendre les mains de
l'Orient à l'Occident; la terre lui est donnée pour d o -
maine. Voilà l'Adam Kadmon, l'Adam primitif des kab-
balistes; voilà dans quelle pensée ils en font un g é a n t ;
voilà pourquoi Swedenborg, poursuivi dans ses rêves
par les souvenirs de la kabbale, dit que la création en-
tière n'est qu'un homme gigantesque, et que nous som-
mes faits à l'image de l'univers.
Le Sohar est une genèse de lumière, le Sépher
Jézirah est une échelle de vérités. Là s'expliquent les
trente-deux signes absolus de la parole, les nombres
et les lettres; chaque lettre reproduit un nombre, une
idée et une forme, en sorte que les mathématiques
s'appliquent aux idées et aux formes, non moins rigou-
reusement qu'aux nombres par une proportion exacte et
une correspondance parfaite. Par la science du Sépher
Jézirah, l'esprit humain est fixé dans la vérité et dans la
raison, et peut se rendre compte des progrès possibles
de l'intelligence par les évolutions des nombres. Le
Sohar représente donc la vérité absolue, et le Sépher
Jézirah donne les moyens de la saisir, de se l'approprier
et d'en faire usage.
MAGIE DES MAGES. 55

C H A P I T R E II.

MAGIE DES MAGES.

SOMMAIRE. — Mystères de Zoroastre ou magie des mages. — La science


du feu. — Symboles et enchantements des Perses et des Assyriens. —
Les mystères de Ninive et de Babylone. — Domaine de la foudre. —
Art de charmer les animaux. — Le bûcher de Sardanapale.

Zoroastre est très probablement un nom symbolique,


comme celui de Thot ou d'Hermès. Eudoxe et Aristote le
font vivre six mille ans avant la naissance de Platon ;
d'autres, au contraire, le font naître cinq cents ans avant
la guerre de Troie. Les uns en font un roi de la Bac-
triane, les autres affirment l'existence de deux ou de trois
Zoroastres différents. Eudoxe et Aristote seuls nous sem-
blent avoir compris le personnage magique de Zoroas-
tre en mettant l'âge kabbalistique d'un monde entre
l'éclosion de son dogme et le règne théurgique de la
philosophie de Platon. Il y a, en effet, deux Zoroastres,
c'est-à-dire, deux révélateurs, l'un fils d'Oromase et père
d'un renseignement lumineux, l'autre fils d'Arimane et
auteur d'une divulgation profane ; Zoroastre est le Verbe
incarné des Chaldéens, des Mèdes et des Perses. Sa
légende semble une prédiction de celle du Christ, et il a
dû avoir aussi son antechrist, suivant la loi magique de
l'équilibre universel.
C'est au faux Zoroastre qu'il faut attribuer le culte du
feu matériel et le dogme impie du dualisme divin qui a
produit plus tard la gnose monstrueuse de Manès, et les
principes erronés de la fausse maçonnerie. Le faux Z o -
56 HISTOIRE DE LA MAGIE.

roastre est le père de cette magie matérialiste qui a causé


le massacre des mages, et fait tomber le vrai magisme
sous la proscription et dans l'oubli. L'Église, toujours in-
spirée par l'esprit de vérité, a dû proscrire sous les noms
de magie, de manichéisme, $illuminisme et de -maçon-
nerie, tout ce qui se rattachait de près ou de loin à cette
profanation primitive des mystères. L'histoire jusqu'à
présent incomprise des' templiers, en est un exemple
éclatant.
Les dogmes du vrai Zoroastre sont les mêmes que
ceux de la pure kabbale, et ses idées sur la divinité sont
les mêmes que celles des Pères de l'Église. Les noms
seuls diffèrent : ainsi il nomme triade ce que nous appe-
lons trinité, et dans chaque nombre de la triade, il re-
trouve le ternaire tout entier. C'est ce que nos théolo-
giens appellent la circum-insession des personnes divines.
Zoroastre renferme dans cette multiplication de la triade
par elle-même la raison absolue du nombre neuf et la clef
universelle de tous les nombres et de toutes les formes.
Ce que nous appelons les trois personnes divines, Zoroas-
tre le nomme les trois profondeurs. La profondeur pre-
mière ou paternelle est la source delà foi ; la seconde ou
celle du Verbe est la source de la vérité ; la troisième ou
l'action créatrice est la source d'amour. On peut consulter,
pour se convaincre de ce que nous avançons ici, l'exposi-
tion de Psellus sur les dogmes des anciens Assyriens, dans
la. Magie philosophique de François Patricius, page 24,
édition de Hambourg, 1593.
Sur cette échelle de neuf degrés, Zoroastre établit la
hiérarchie céleste et toutes les harmonies de la nature.
Il compte par trois toutes les choses qui émanent de
MAGIli DES MAGES. 57

l'idée, par quatre tout ce qui se rattache à la forme, ce


qui lui donne le nombre sept pour type de la création.
Ici finit l'initiation première, et commencent les hypo-
thèses de l'école ; les nombres se personnifient, les idées
prennent des emblèmes qui plus tard deviendront des
idoles. Voici venir les Synochées, les Télétarques et les
Pères, serviteurs de la triple Hécate, puis les trois Ami-
lictes, et les trois visages d'Hypézocos ; puis les anges
puis les démons, puis lésâmes humaines. Les astres sont
les images et les reflets des splendeurs intellectuelles, et
notre soleil est l'emblème d'un soleil de vérité, ombre
lui-même de cette source première d'où jaillissent toutes
les splendeurs. C'est pour cela que les disciples de Zo-
roastre saluaient le lever du jour, et passaient parmi les
barbares pour des adorateurs du soleil.
Tels étaient les dogmes des mages, mais ils possé-
daient, en outre, des secrets qui les rendaient maîtres des
pussances occultes de la nature. Ces secrets, dont l'en-
semble pourrait s'appeler une pyrotechnie transcendan-
tale, se rattachaient tous à la science profonde et au
gouvernement du feu. 11 est certain que les mages con-
naissaient l'électricité, et avaient des moyens de la pro-
duire et de la diriger qui nous sont encore inconnus.
Numa, qui étudia leurs rites et fut initié à leurs mys-
tères, possédait, au dire de Lucius Pison, l'art de former
et de diriger la foudre. Ce secret sacerdotal dont l'initia-
teur romain voulait faire l'apanage des souverains de
Rome, fut perdu par Tullus Hostilius qui dirigea mal
la décharge électrique et fut foudroyé. Pline rapporte
ces faits comme une ancienne tradition étrusque ( 1 ) , et
(1) Plin., liv. I I , ch. 53.
58 HISTOIRE DE LA MAGIE.

raconte que Numa se servit avec succès de sa batterie


foudroyante contre un monstre nommé Volta, qui déso-
lait les campagnes de Rome. N e croirait-on pas, en lisant
cette révélation, que notre physicien Volta est un mythe,
et que le nom des piles voltaïques remonte au siècle de
Numa?
Tous les symboles assyriens se rapportent à cette
science du feu qui était le grand arcane des mages ; par-
tout nous retrouvons l'enchanteur qui perce le lion et qui
manie les serpents. L e lion c'est le feu céleste, les ser-
pents sont les courants électriques et magnétiques de la
terre. C'est à ce grand secret des mages qu'il faut rap-
porter toutes les merveilles de la magie hermétique, dont
les traditions disent encore que le secret du grand œuvre
consiste dans le gouvernement du feu.
L e savant François Patricius a publié, dans sa Magie
philosophique, les oracles de Zoroastre recueillis dans les
livres des platoniciens, dans la théurgie de Proclus, dans
les commentaires sur Parménide, dans les commentaires
d'Hermias sur Phèdre, dans les notes d'Olympiodore sur
le Philèbe et le Phédon. Ces oracles sont d'abord la for-
mule nette et précise du dogme que nous venons d'ex-
poser, puis viennent les prescriptions du rituel magique,
et voici en quels termes elles sont exprimées :

LES DÉMONS ET LES SACRIFICES.

« La nature nous enseigne par induction qu'il existe


des démons incorporels, et que les germes du mal qui
existent dans la matière, tournent au bien et à l'utilité
commune.
MAGIE DES MAGES. 59

» Mais ce sont là des mystères qu'il faut ensevelir dans


les replis les plus impénétrables de la pensée.
o Le feu toujours agité et bondissant dans l'atmosphère
peut prendre une configuration semblable à celle des
corps.
» Disons mieux, affirmons l'existence d'un feu plein
d'images et d'échos.
» Appelons, si vous le voulez, ce feu une lumière sur-
abondante qui rayonne, qui parle, qui s'enroule.
» C'est le coursier fulgurant de la lumière, ou plutôt
c'est l'enfant aux larges épaules qui dompte et soumet
le coursier céleste.
» Qu'on l'habille de flamme et d'or ou qu'on le repré-
sente nu comme l'Amour en lui donnant aussi des flèches.
» Mais si ta méditation se prolonge, tu réuniras tous ces
emblèmes sous la figure du lion ;
» Alors qu'on ne voit plus rien ni de la voûte des cieux
ni de la masse de l'univers.
» Les astres ont cessé de briller, et la lampe de la lune
est voilée.
» La terre tremble et tout s'environne d'éclairs.
» Alors n'appelle pas le simulacre visible de l'âme de
la nature.
» Car tu ne dois point le voir avant que ton corps ne
soit purifié par les saintes épreuves.
» Amolissant les âmes et les entraînant toujours loin
des travaux sacrés, les chiens terrestres sortent alors de
ces limbes où finit la matière, et montrent aux regards
mortels des apparences de corps toujours trompeuses.
» Travaille autour des cercles décrits par lè rhombus
d'Hécate.
60 HISTOIRE DE LA MAGIE.

» Ne change rien aux noms barbares de l'évocation :


car ce sont les noms panthéisfciques de Dieu ; ils sont ai-
mantés des adorations d'une multitude et leur puissance
est ineffable.
» Et lorsque après tous les fantômes, tu verras briller
ce feu incorporel, ce feu sacré dont les flèches traversent
à la fois toutes les profondeurs du monde;
» Écoute ce qu'il te dira ! »
Cette page étonnante que nous traduisons en entier du
latin de Patricius, contient tous les secrets du magné-
tisme avec des profondeurs que n'ont jamais soupçonnées
les Du Potet et les Mesmer.
Nous y voyons : 1° d'abord la lumière astrale parfaite-
ment décrite avec sa force configurative et sa puissance
pour refléter le verbe et répercuter la voix ;
2° L a volonté de l'adepte figurée par l'enfant aux
larges épaules monté sur le cheval blanc ; hiéroglyphe que
nous avons retrouvé sur un ancien tarot de la Bibliothè-
que impériale ;
3° L e danger d'hallucinations dans les opérations ma-
giques mal dirigées ;
li° L'instrument magnétique qui est le rhombus, es-
pèce de jouet d'enfant en bois creux qui tourne sur lui-
même avec un ronflement toujours croissant ;
5° L a raison des enchantements par les paroles et les
noms barbares ;
6° L a fin de l'œuvre magique, qui est l'apaisement
de l'imagination et des sens, l'état de somnambulisme
complet et la parfaite lucidité.
Il résulte de cette révélation de l'ancien monde, que
l'extase lucide est une application volontaire et immédiate
MAGIE DES MAGES. 61

de l'âme au feu universel, ou plutôt à cette lumière pleine


d'images qui rayonne, qui parle et qui s'enroule autour
de tous les objets et de tous les globes de l'univers.
Application qui s'opère par la persistance d'une
volonté dégagée des sens et affermie par une série
d'épreuves.
C'était là le commencement de l'initiation magique.
L'adepte, parvenu à la lecture immédiate dans la
lumière, devenait voyant ou prophète; puis, ayant mis
sa volonté en communication avec cette lumière, il a p -
prenait à la diriger comme on dirige la pointe d'une
flèche; il envoyait à son gré le trouble ou la paix dans
les âmes, communiquait à distance avec les autres
adeptes, s'emparait enfin de cette force représentée par
le lion céleste.
C'est ce que signifient ces grandes figures assyriennes
qui tiennent sous leurs bras des lions domptés.
C'est la lumière astrale qui est représentée par ces
gigantesques sphinx, ayant des corps de lions et des têtes
de mages.
L a lumière astrale, devenue l'instrument de la puis-
sante magique, est le glaive d'or de Mithra qui immole
le taureau sacré.
C'est la flèche de Phcebus qui perce le serpent Python.
Reconstruisons maintenant en esprit ces grandes
métropoles de l'Assyrie, Babylone et Ninive, remettons
à leur place ces colosses de granit, rebâtissons ces t e m -
ples massifs, portés par des éléphants ou par des
sphinx, relevons ces obélisques au-dessus desquels pla-
cent des dragons aux yeux étincelants et aux ailes
étendues.
62 HISTOIRE DE LA MAGIE.

L e temple et le palais dominent ces entassements de


merveilles; là se tiennent cachées en se révélant sans
cesse par des miracles les deux divinités visibles de la
terre, le sacerdoce et la royauté.
L e temple, au gré des prêtres, s'entoure de nuages
ou brille de clartés surhumaines ; les ténèbres se
font parfois pendant le j o u r , parfois aussi la nuit
s'illumine; les lampes du temple s'allument d'elles-
mêmes , les dieux rayonnent, on entend gronder la
foudre, et malheur à l'impie qui aurait attiré sur sa tête
la malédiction des initiés! Le temple protège le palais,
et les serviteurs du roi combattent pour la religion des
mages; le roi est sacré, c'est le dieu de la terre, on se
prosterne lorsqu'il passe, et l'insensé qui oserait sans
ordre franchir le seuil de son palais, serait immédiate-
ment frappé de mort !
Frappé de mort sans massue et sans glaive, frappé
par une main invisible, tué par la foudre, terrassé par le
feu du ciel! Quelle religion et quelle puissance! quelles
grandes ombres que celles de Nemrod, de Bélus et de
Sémiramis! Que pouvaient donc être avant les cités
presque fabuleuses, où ces immenses royautés trônèrent
autrefois, les capitales de ces géants, de ces magiciens,
que les traditions confondent avec les anges et nomment
encore les fils de Dieu et les princes du ciel ! Quels mys-
tères dorment dans les tombeaux des nations ; et ne
sommes-nous pas des enfants lorsque, sans prendre la
peine d'évoquer ces effrayants souvenirs, nous nous ap-
plaudissons de nos lumières et de nos progrès!
Dans son livre sur la magie, M. Du Potet avance, avec
une certaine crainte, qu'on peut, par une puissante émis-
MAGIE DES MAGES. 63

ion de fluide magnétique, foudroyer un être vivant ( 1 ) .


La puissance magique s'étend plus loin, mais il ne
s'agit pas seulement du prétendu fluide magnétique.
C'est la lumière astrale tout entière, c'est l'élément de
l'électricité et de la foudre, qui peut être mise au service
de la volonté humaine ; et que faut-il faire pour acquérir
cette formidable puissance? Zoroastre vient de nous le
le dire : il faut connaître ces lois mystérieuses de l'équi-
libre qui asservissent à l'empire du bien les puissances
mêmes du mal ; il faut avoir purifié son corps par les
saintes épreuves, lutté contre les fantômes de l'halluci-
nation et saisi corps à corps la lumière, comme Jacob
dans sa lutte avec l'ange ; il faut avoir dompté ces chiens
fantastiques qui aboient dans les rêves; il faut, en un
mot, pour nous servir de l'expression si énergique de
l'oracle, avoir entendu parler la lumière. Alors on est
maître, alors on peut la diriger, comme Numa, contre
les ennemis des saints mystères; mais si l'on n'est pas
parfaitement pur, si la domination de quelque passion
animale vous soumet encore aux fatalités des tempêtes
de la vie, on se brûle aux feux qu'on allume, on est la
proie du serpent qu'on déchaîne, et l'on périra foudroyé
comme Tullus Hostilius.
Il n'est pas conforme aux lois delà nature que l'homme
puisse être dévoré par les bêtes sauvages. Dieu l'a armé
de puissance pour leur résister ; il peut les fasciner du
regard, les gourmander avec la voix, les arrêter d'un
signe,... et nous voyons, en effet, que les animaux les
plus féroces redoutent la fixité du regard de l'homme,

(1) Du Potet, la Magie dévoilée, ou Principes de science occulte,


1852, 1 vol. in-Zi.
64 HISTOIRE DE LA. MAGIE.

et semblent tressaillir à sa voix. Les projections de la


lumière astrale les paralysent et les frappent de crainte.
Lorsque Daniel fut accusé de fausse magie et d'impos-
ture, le roi de Babylone le soumit, ainsi que ses accu-
sateurs, à l'épreuve des lions. Les animaux n'attaquent
jamais que ceux qui les craignent ou ceux dont eux-
mêmes ils ont peur. Un homme intrépide et désarmé
ferait certainement reculer un tigre par le magnétisme
de son regard.
Les mages se servaient de cet empire, et les souve-
rains de l'Assyrie avaient dans leurs jardins des tigres
soumis, des léopards dociles et des lions apprivoisés. On
en nourrissait d'autres dans les souterrains des temples
pour servir aux épreuves de l'initiation. Les bas-reliefs
symboliques en font foi ; ce ne sont que luttes d'hommes
et d'animaux, et toujours on voit l'adepte couvert du
vêtement sacerdotal les dominer du regard et les arrêter
d'un geste de la main. Plusieurs de ces représentations
sont symboliques sans doute, quand les animaux repro-
duisent quelques-unes des formes du sphinx; mais il en
est d'autres où l'animal est représenté au naturel et où
le combat semble être la théorie d'un véritable enchan-
tement.
L a magie est une science dont on ne peut abuser sans
la perdre et sans se perdre soi-même. Les souverains et
les prêtres du monde assyrien étaient trop grands pour
ne pas être exposés à se briser si jamais ils tombaient ;
ils devinrent orgueilleux et ils tombèrent. La grande
époque magique de la Chaldée est antérieure aux règnes
de Sémiramis et de Ninus. A cette époque déjà la reli-
gion se matérialise et l'idolâtrie commence à triompher.
MAGIE DES MAGES, 65

Le culte d'Astarté succède à celui de la Vénus céleste,


la royauté se fait adorer sous les noms de Baal et de Bel
ou Bélus. Sémiramis abaisse la religion au-dessous de la
politique et des conquêtes, et remplace les vieux temples
mystérieux par de fastueux et indiscrets monuments; l'idée
magique toutefois domine encore les sciences et les arts,
et imprime aux merveilleuses constructions de cette épo-
que un caractère inimitable de force et de grandeur. Le
palais de Sémiramis était une synthèse bâtie et sculptée de
tout le dogme de Zoroastre. Nous en reparlerons lorsque
nous expliquerons le symbolisme de ces sept chefs-d'œu-
vre de l'antiquité, qu'on appela les merveilles du monde.
Le sacerdoce s'était fait plus petit que l'empire, en
voulant matérialiser sa propre puissance ; l'empire en
tombant devait l'écraser, et ce fut ce qui arriva sous l'ef-
féminé Sardanapale. Ce prince, amoureux de luxe et de
mollesse, avait fait de la science des mages une de ses
prostituées. A quoi bon la puissance d'opérer des mer-
veilles si elle ne donne pas du plaisir? Enchanteurs, forcez
l'hiver à donner des roses; augmentez la saveur du vin j
employez votre empire sur la lumière à faire resplendir
la beauté des femmes comme celle des divinités! On
obéit et le roi s'enivre. Cependant la guerre se déclare,
l'ennemi s'avance.... Qu'importe l'ennemi au lâche qui
jouit et qui dort? Mais c'est la ruine, c'est l'infamie,
c'est la mort!... la mort! Sardanapale ne la craint pas,
il croit que c'est un sommeil sans fin ; mais il saura bien
se soustraire aux travaux et aux affronts de la servitude...
La nuit suprême est arrivée ; le vainqueur est aux portes,
la ville ne peut plus résister; demain c'en est fait du
royaume d'Assyrie.... Le palais de Sardanapale s'illu-
5
66 HISTOIRE DU LA MAGIE.

mine, et il rayonne de si merveilleuses splendeurs qu'il


éclaire toute la ville consternée. Sur des amas d'étoffes
précieuses, de pierreries et de vases d'or, le roi fait sa
dernière o r g i e . Ses femmes, ses favoris, ses complices,
ses prêtres avilis l'entourent ; les clameurs de l'ivresse
se mêlent au bruit de mille instruments, les lions appri-
voisés rugissent, et une fumée de parfums sortant des
souterrains du palais en enveloppe déjà toutes les con-
structions d'un épais nuage. Des langues de flamme per-
cent déjà les lambris de cèdre les chants d'ivresse
vont faire place aux cris d'épouvante et aux râles de
l'agonie.*.. Mais la magie qui n'a pu, entre les mains
de ses adeptes dégradés, conserver l'empire de Ninus,
va du moins mêler ses merveilles aux terribles souvenirs
de ce gigantesque suicide. Une clarté immense et sinistre
telle que n'en avaient jamais v u les- nuits de Babylone,
semble repousser tout à coup et élargir la voûte du ciel....
Un bruit semblable à celui de tous les tonnerres éclatant
ensemble ébranle la terre et secoue la ville, dont les
murailles tombent... La nuit profonde redescend; le
palais de Sardanapale n'existe plus, et demain ses
vainqueurs ne trouveront plus rien de ses richesses, de
son cadavre et de ses plaisirs.

Ainsi finit le premier empire d'Assyrie et la civilisa-


tion faite par le vrai Zoroastre. Ici finit la magie propre-
ment dite, et commence le règne de la kabbale. Abraham,
en sortant de la Ghaldée, en a emporté les mystères.
L e peuple de Dieu grandit en silence, et nous trouverons
bientôt Daniel aux prises avec les misérables enchan-
teurs de Nabuchodonosor et de Balthazar ( 1 ) .
(1) Suivant Suidas, Cedrénus et la chronique d'Alexandrie, ce fut
<v * ^ > > . "
* А С A
Ж. /г У 67.

Imp. Carón -ßelajnarre,, фиск. c¿e¿ û-^Juyusà'/isJî^cu-is.


MAGIE DANS L'iNDE. 67

C H A P I T R E I I I .

MAGIE DANS 1,'lNDE.

SOMMAIRE. — Dogme des gymnosophistes. — La trimourti'et les Ava-


tars. — Singulière manifestation de l'esprit prophétique. —Influence
du faux Zoroastre sur le mysticisme indien. — Antiquités* religieuses
des Védas. — Magie des brahmes et des faquirs. — Leurs livres et
leurs œuvres.

L'Inde, que la tradition kabbalistique nous dit avoir


été peuplée par les descendants de Gain, et où se reti-
rèrent plus tard les enfants d'Abraham et de Géthurah,
l'Inde est par excellence le pays de la goétie et des
prestiges. La magie noire s'y est perpétuée avec les tra-
ditions originelles du fratricide rejeté par les puissants
sur les faibles, continué par les castes oppressives et
expié par les parias.
On peut dire de l'Inde qu'elle est la savante mère de
toutes les idolâtries. Les dogmes de ses gymnosophistes
seraient les clefs de la plus haute sagesse, si elles n'ou-
vraient encore mieux les portes de l'abrutissement et de
la mort. L'étonnante richesse du symbolisme indien fe-
rait presque supposer qu'il est antérieur à tous les autres,
tant il y a d'originalité primitive dans ses poétiques con-
ceptions; mais c'est un arbre dont le serpent infernal
semble avoir mordu la racine. La déification du diable

Zoroastre lui-même qui, assiégé dans son palais, se fit disparaître tout à
coup avec tous ses secrets et toutes ses richesses dans un immense éclat
de tonnerre. En ce temps-là, tout roi qui exerçait la puissance divine
passait pour une incarnation de Zoroastre, et Sardanapale se fit une
apothéose de son bûcher.
68 HISTOIRE DE LA MAGIK.

contre laquelle nous avons déjà énergiquement protesté,


s'y étale dans toute son impudeur. L a terrible trimourti
desbrahmesse compose d'un créateur, d'un destructeur
et d'un réparateur. Leur Addha-Nari, qui figure la divi-
nité mère ou la nature céleste, se nomme aussi Bowha-
nie, et les tuggs ou étrangleurs lui offrent des assassi-
nats. Vichnou le réparateur ne s'incarne guère que pour
tuer un diable subalterne qui renaît toujours, puisqu'il
est favorisé par Rutrem ou Shiva, le dieu de la mort. On
sent que Shiva est l'apothéose de Ga'ïn, mais rien dans
toute cette mythologie ne rappelle la douceur d'Abel. Ses
mystères toutefois sont d'une poésie grandiose, ses allé-
gories d'une singulière profondeur. C'est la kabbale pro-
fanée ; aussi, loin de fortifier l'âme en la rapprochant de
la suprême sagesse, le brahmanisme la pousse et la fait
tomber avec des théories savantes dans les gouffres de
la folie.
C'est à la fausse kabbale de l'Inde que les gnostiques
empruntèrent leurs rêves tour à tour horribles et obscènes.
C'est la magie indienne qui, se présentant tout d'abord
avec ses mille difformités sur le seuil des sciences occultes,
épouvante les esprits raisonnables et provoque les ana-
thèmes de toutes les Églises sensées. C'est cette science
fausse et dangereuse, qui, trop souvent confondue par
les ignorants et les demi-savants avec la vraie science,
leur a fait envelopper tout ce qui porte le nom d'occul-
tisme dans un an athème auquel celui même qui écrit ces
pages a souscrit énergiquement lorsqu'il n'avait pas
trouvé encore la clef du sanctuaire magique. Pour les théo-
logiens des Védas, Dieu ne se manifeste que dans la force.
Tout progrès et toute révélation sont déterminés par une
MAGIE DANS L'iNDE. 69

victoire. Vichnou s'incarne dans les monstrueux lévia-


thans de la mer et dans les sangliers énormes qui fa-
çonnent la terre primitive à coup de boutoirs.
C'est une merveilleuse genèse du panthéisme, et pour-
tant dans les auteurs de ces fables, quel somnambulisme
lucide ! L e nombre dix des Avatars correspond à celui
des Séphirots de la kabbale. Vichnou revêt successive-
ment trois formes animales, les trois formes élémentaires
de la vie, puis il se fait sphinx, et apparaît enfin sous la
figure humaine ; il est brahme alors et sous les apparences
d'une feinte humilité il envahit toute la terre ; bientôt il
se fait enfant pour être l'ange consolateur des patriar-
ches, il devient guerrier pour combattre les oppresseurs
du monde, puis il incarne la politique pour l'opposer à
la violence, et semble quitter la forme humaine pour se
donner l'agilité du singe. L a politique et la violence se
sont usées réciproquement, le monde attend un rédemp-
teur intellectuel et moral. Vichnou s'incarne dans Chrisna;
il apparaît proscrit dans son berceau près duquel veille
un âne symbolique ; on l'emporte pour le soustraire à
ses assassins, il grandit et prêche une doctrine de misé-
ricorde et de bonnes œuvres. Puis il descend aux enfers,
enchaîne le serpent infernal et remonte glorieux au ciel ;
sa fête annuelle est au mois d'août sous le signe de la
Vierge. Quelle étonnante intuition des mystères du chris-
tianisme ! et combien ne doit-elle pas sembler extraor-
dinaire, si l'on pense que les livres sacrés de l'Inde ont
été écrits plusieurs siècles avant l'ère chrétienne. A
la révélation de Chrisna succède celle de Bouddha, qui
réunit ensen>ble la religion la plus pure et la plus par-
faite philosophie. Alors le bonheur du monde est con-
70 HISTOIRE DE LA MAGIE.

sommé et les hommes n'ont plus à attendre que la dixième


et dernière incarnation, lorsque Vichnou reviendra sous
sa propre figure conduisant le cheval du dernier j u g e -
ment, ce cheval terrible dont le pied de devant est tou-
jours levé et qui brisera le monde lorsque ce pied s'a-
baissera.
- Nous devons reconnaître ici les nombres sacrés et les
calculs prophétiques des mages. Les gymnosophistes et
les initiés de Zoroastre ont puisé aux mêmes sources,...
mais c'est le faux Zoroastre, le Zoroastre noir qui est
resté le maître de la théologie de l'Inde : les derniers
secrets de cette doctrine dégénérée, sont le panthéisme,
et par suite le matérialisme absolu, sous les apparences
d'une négation absolue de la matière. Mais qu'importe
qu'on matérialise l'esprit ou qu'on spiritualise la matière,
dès qu'on affirme l'égalité et même l'identité de ces deux
termes? La conséquence de ce panthéisme est la des-
truction de toute morale : iî n'y a plus ni crimes ni vertus
dans un monde où tout est Dieu.
On doit comprendre d'après ces dogmes l'abrutisse-
ment progressif des brahmes dans un quiétisme fanati-
que, mais ce n'est pas encore assez; et leur grand rituel
magique, le livre de l'occultisme indien, YOupnek'hat,
leur enseigne les moyens physiques et moraux de con-
sommer l'oeuvre de leur hébétement et d'arriver par de-
grés à la folie furieuse que leurs sorciers appellent Y état
divin. Ce livre de l'Oupnek'hat est l'ancêtre de tous les
grimoires, et c'est le monument le plus curieux des anti-
quités de la goétie.
Ce livre est divisé en cinquante sections : c'est une
ombre mêlée d'éclairs. On y trouve des sentences subli-
MAGIE DANS J.'lNDE. 71

mes et des oracles de mensonge. Tantôt on croirait lire


l'évangile de saint Jean, lorsqu'on trouve, par exemple,
dans les sections onzième et quarante-huitième :
« L'ange du feu créateur est la parole de Dieu.
» La parole de Dieu a produit la terre et les végétaux
qui en sortent et la chaleur qui les mûrit.
» La parole du Créateur est elle-même le Créateur, et
elle en est le fils unique. »
Tantôt ce sont des rêveries dignes des hérésiarques
les plus extravagants :
« La matière n'étant qu'une apparence trompeuse, le
soleil, les astres, les éléments eux-mêmes sont des génies,
les animaux sont des démons et l'homme un pur esprit
trompé par les apparences des corps. »
Mais nous sommes suffisamment édifiés sur le dogme,
venons au rituel magique des enchanteurs indiens.
« Pour devenir Dieu il faut retenir son haleine.
» C'est-à-dire l'attirer aussi longtemps qu'on le pourra
et s'en gonfler pleinement.
» En second lieu, la garder aussi longtemps qu'on le
pourra et prononcer quarante fois en cet état le nom di-
vin AUM.
» Troisièmement, expirer aussi longuement que pos-
sible en envoyant mentalement son souffle à travers les
cieux se rattacher à l'éther universel.
» Dans cet exercice, il faut se rendre comme aveugle
et sourd, et immobile comme un morceau de bois.
» Il faut se poser sur les coudes et sur les genoux, le
visage tourné vers le nord.
» Avec un doigt on ferme une aile du nez, par l'autre
on attire l'air, puis on la ferme avec un doigt en pensant
72 IIISTOIUE DE LA MAGIE.

que Dieu est le créateur, qu'il est dans tous les animaux,
dans la fourmi comme dans l'éléphant : on doit rester
enfoncé dans ces pensées.
» D'abord on dit Aum douze f o i s ; et pendant chaque
aspiration il faut dire Aum quatre-vingts fois, puis autant
de fois qu'il est possible...
» Faites tout cela pendant trois mois, sans crainte, sans
paresse, mangeant et dormant p e u ; au quatrième mois
les dévas se font voir à vous ; au cinquième vous aurez
acquis toutes les qualités des dévatas ; au sixième vous
serez sauvé, vous serez devenu Dieu. »
Il est évident qu'au sixième mois, le fanatique assez
imbécile pour persévérer dans une semblable pratique
sera mort ou fou.
S'il résiste à cet exercice de soufflet mystique, l ' O u p -
nek'hat, qui ne veut pas le laisser en si beau chemin, va
le faire passer à d'autres exercices.
« Avec le talon bouchez l'anus, puis tirez l'air de bas
en haut du côté droit, faites-le tourner trois fois autour de
la seconde région du corps ; de là faites-le parvenir au
nombril, qui est la troisième ; puis à la quatrième, qui est
le milieu du cœur ; puis à la cinquième, qui est la g o r g e ;
puis à la sixième, qui est l'intérieur du nez, entre les
deux sourcils ; là retenez le vent : il est devenu le souffle
de l'âme universelle. »
Ceci nous semble être tout simplement une méthode
de se magnétiser soi-même et de se donner par la même
occasion quelque congestion cérébrale.
« Alors, continue l'auteur de l'Oupnek'hat, pensez au
grand Aum, qui est le nom .du Créateur, qui est la voix
universelle, la voix pure et indivisible qui remplit tout;
MAGIE DANS L'INDE. 73

cette voix est le Créateur môme ; elle se fait entendre au


contemplateur de dix manières. Le premier son est comme
la voix d'un petit moineau ; le deuxième est le double du
premier; le troisième est comme le son d'une cymbale;
le quatrième comme le murmure d'un gros coquillage ;
le cinquième est comme le chant de la vînâ (espèce de
lyre indienne); le sixième comme le son de l'instrument
qu'on appelle tal ; le septième ressemble au son d'une
flûte de bacabou posée près de l'oreille ; le huitième au
son de l'instrument pakaoudj, frappé avec la main; le
neuvième au son d'une petite trompette, et le dixième au
son du nuage qui rugit et qui fait dda, dda, ddal...
» A chacun de ces sons le contemplateur passe par
différents états, jusqu'au dixième où il devient Dieu.
» Au premier, les poils de tout son corps se dressent.
» Au second, ses membres sont engourdis.
» Au troisième, il ressent dans tous ses membres la
fatigue qui suit les jouissances de l'amour.
» Au quatrième, la tête lui tourne, il est comme ivre.
» Au cinquième, Veau de la vie reflue dans son
cerveau.
» Au sixième, cette eau descend en lui et il s'en
nourrit.
» Au septième, il devient maître de la vision, il voit
au dedans des cœurs, il entend les voix les plus éloi-
gnées.
» Au neuvième, il se sent assez subtil pour se trans-
porter où il veut, et, comme les anges, tout voir sans
être vu.
» Au dixième, il devient la voix universelle et indivi-
sible, il est le grand créateur, l'être éternel, exempt de
74 HISTOIRE ©JE LA MAGIE.

tout, et, devenu le repos parfait, il distribue le repos au


monde. »
Il faut remarquer, dans cette page si curieuse, la des-
cription complète des phénomènes du somnambulisme
lucide mêlée à une théorie complète de magnétisme
solitaire. C'est l'art de se mettre en extase par la tension
de la volonté et la fatigue du système nerveux.
Nous recommandons aux magnétistes l'étude appro-
fondie des mystères de POupnek'hat.
L'emploi gradué des narcotiques et l'usage d'une
gamme de disques coloriés produit des effets analogues
à ceux que décrit le sorcier indien, et M. Ragon en a
donné la recette clans son Livre de la maçonnerie occulte,
faisant suite a l'orthodoxie maçonnique, page 499.
L'Oupnek'hat donne un moyen plus simple de perdre
connaissance et d'arriver à l'extase : c'est de regarder
des deux yeux le bout de son nez et de rester dans cette
posture, ou plutôt dans cette grimace, jusqu'à la convul-
sion du nerf optique.
Toutes ces pratiques sont douloureuses et dangereuses
autant que ridicules, et nous ne les conseillons à per-
sonne -, mais nous ne doutons pas qu'elles ne produisent
effectivement, dans un espace de temps plus ou moins
long, suivant la sensibilité des sujets, l'extase, la cata-
lepsie, et même l'évanouissement léthargique.
Pour se procurer des visions, pour arriver aux phé-
nomènes de la seconde vue, il faut se mettre dans un
état qui tient du sommeil, de la mort et de la folie. C'est
en cela surtout que les Indiens sont habiles, et c'est à
leurs secrets peut-être qu'il faut rapporter les facultés
étranges de certains médiums américains.
MAGIE DAMS L'UNDE. 75

On pourrait définir la magie noire l'art de se pro-


curer et de procurer aux autres une folie artificielle.
C'est aussi par excellence la science des empoisonne-
ments. Mais ce que tout le monde ne sait pas, et ce que
M. Dupotet, parmi nous, a le premier découvert, c'est
qu'on peut tuer par congestion ou par soustraction subite
de lumière astrale, lorsque, par une série d'exercices
presque impossibles, semblables à ceux que décrit le
sorcier indien, on a fait de son propre appareil nerveux
assoupli à toutes les tensions et à toutes les fatigues, une
sorte de pile galvanique vivante, capable de condenser
et de projeter avec force cette lumière qui enivre et qui
foudroie.
Mais là ne s'arrêtent pas les secrets magiques de
l'Oupnek'hat; il en est un dernier que l'hiérophante
ténébreux confie à ses initiés, comme le grand et suprême
arcane, et c'est, en effet, l'ombre et l'inverse de ce grand
secret de la haute magie.
Le grand arcane des vrais mages c'est l'absolu en
morale, et par conséquent en direction des œuvres et en
liberté.
Le grand arcane de l'Oupnek'hat c'est l'absolu en im-
moralité, en fatalité et en quiétisme mortel.
Voici comment s'exprime l'auteur du livre indien :
« Il est permis de mentir pour faciliter les mariages et
pour exalter les vertus d'un bramine ou les qualités
d'une vache.
» Dieu s'appelle vérité, et en lui l'ombre et la lu-
mière ne font qu'un. Celui qui sait cela ne ment ja-
mais, car s'il veut mentir il fait de son mensonge une
vérité.
76 HISTOIRE DE LA MAGIE.

» Quelque péché qu'il commette, quelque mauvaise


œuvre qu'il fasse, il n'est jamais coupable. Quand même
il serait deux fois parricide, quand même il tuerait un
brahme initié aux mystères des Védas, quelque chose
qu'il commette enfin, sa lumière n'en sera pas diminuée,
car, dit Dieu, j e suis l'âme universelle, en moi sont le
bien et le mal qui se corrigent l'un par l'autre. Celui qui
sait cela n'est jamais pécheur; il est universel comme
moi. » (Oupnek'hat, instruction 108, pages 85 et 92 du
tome I e r
de la traduction d'Anquetil.)
De pareilles doctrines sont loin d'être civilisatrices, et
d'ailleurs l'Inde, en immobilisant sa hiérarchie sociale,
parquait l'anarchie dans les castes ; la société ne vit que
d'échanges. Or l'échange est impossible quand tout a p -
partient aux uns et rien aux-autres. A quoi servent les
échelons sociaux dans une prétendue civilisation où per-
sonne ne peut ni descendre ni monter? Ici se montre
enfin le châtiment tardff dû fratricide, châtiment qui
enveloppe toute sa race et le condamne à mort. Vienne
une autre nation orgueilleuse et égoïste, elle sacrifiera
l'Inde, comme les légendes orientales racontent que
Lamech a tué Caïn. Malheur toutefois au meurtrier même
de Caïn ! disent les oracles sacrés de la Bible.
FI. V. F. 77.

Y I N X P A N T O M O R P H E .

Vingt et unième Clé du Tarot Egyptien primitif.


MAGÌE HERMÉTIQUE. 77

C H A P I T R E I V .

MAGIE HERMÉTIQUE.

SOMMAIRE. — Le dogme d'Hermès Trismégisle. — La magie hermétique.


— L'Egypte et ses merveilles. — Le patriarche Joseph et sa politique.
— Le livre de Thot. — La table magique de Bembo. — La clef des
oracles. — L'éducation de Moïse. — Les magiciens de Pharaon. — La
pierre philosophale et le grand œuvre.

C'est en Egypte que la magie se complète comme


science universelle et se formule en dogme parfait. Rien
ne surpasse et rien n'égale comme résumé de toutes les
doctrines du vieux monde les quelques sentences gravées
sur une pierre précieuse par Hermès et connues sous
le nom de table d'émeraude ; l'unité de l'être et l'unité
des harmonies, soit ascendantes, soit descendantes,
l'échelle progressive et proportionnelle du Yerbe; la loi
immuable de l'équilibre et le progrès proportionnel des
analogies universelles, le rapport de l'idée au Verbe don-
nant la mesure du rapport entre le créateur et le créé;
les mathématiques nécessaires de l'infini, prouvées par
les mesures d'un seul coin du fini; tout cela est ex-
primé par cette seule proposition du grand hiérophante
égyptien :,
« Ce qui est supérieur est comme ce qui est inférieur,
et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut pour
former les merveilles de la chose unique. »
Puis vient la révélation et la description savante de
l'agent créateur, du feu pantomorphe, du grand moyen
de la puissance occulte, de la lumière astrale en un
mot.
78 HISTOIRE DE IV MAGIE,

« L e soleil est son père, la lune est sa mère, le vent Fa


porté dans son ventre. »
Ainsi cette lumière est émanée du soleil, elle reçoit sa
forme et son mouvement régulier des influences de la
lune, elle a l'atmosphère pour réceptacle et pour prison.
« L a terre est sa nourrice. »
C'est-à-dire qu'elle est équilibrée et mise en mouve-
ment par la chaleur centrale de la terre.
« C'est le principe universel, le T E L E S M A du monde. »
Hermès enseigne ensuite comment de cette lumière,
qui est aussi une force, on peut faire un levier et un dis-
solvant universel, puis aussi un agent formateur et
coagulateur.
Gomment il faut tirer des corps où elle est latente,
cette lumière à l'état de feu, de mouvement, de splen-
deur, de gaz lumineux, d'eau ardente, et enfin de terre
ignée, pour imiter, à l'aide de ces diverses substances,
toutes les créations de la nature.
L a table d'émeraude, c'est toute la magie en une seule
page.
Les autres ouvrages attribués à Hermès, tels que le
Pymandre, YAsclepius, la Minerve du monde, etc., sont
regardés généralement par les critiques comme des pro-
ductions de l'école d'Alexandrie. Ils n'en contiennent pas
moins les traditions hermétiques conservées dans les
sanctuaires de la théurgie. L e s doctrines d'Hermès ne
sauraient être perdues pour qui connaît les clefs du sym-
bolisme. Les ruines de l'Egypte sont comme des pages
éparses avec lesquelles on peut encore, en les rassem-
blant, reconstruire le livre entier, livre prodigieux dont
les grandes lettres étaient des temples, dont les phrases
MAGIE HERMÉTIQUE. 70

étaient des cités toutes ponctuées d'obélisques et de


sphinx !
La division même de l'Egypte était une synthèse ma-
gique ; les noms de ses provinces correspondaient aux
figures des nombres sacrés : le royaume de Sésostris se
divisait en trois parties : la haute Egypte ou la Thé-
baïde, figure du monde céleste et patrie des extases ; la
basse Egypte, symbole de la terre; et l'Egypte moyenne
ou centrale, pays de la science et des hautes initiations.
Chacune de ces trois parties était divisée en dix provinces
appelées nomes, et placées sous la protection spéciale
d'un dieu. Ces dieux, au nombre de trente, groupés trois
par trois, exprimaient symboliquement toutes les con-
ceptions du ternaire dans la décade, c'est-à-dire la triple
signification naturelle, philosophique et religieuse des
idées absolues attachées primitivement aux nombres.
Ainsi, la triple unité ou le ternaire originel, le triple
binaire ou le mirage du triangle, qui forme l'étoile de
Salomon ; le triple ternaire ou l'idée tout entière sous
chacun de ses trois termes; le triple quaternaire, c'est-à-
dire le nombre cyclique des révolutions astrales, etc.
La géographie de l'Egypte, sous Sésostris, est donc un
pantacle, c'est-à-dire un résumé symbolique de tout le
dogme magique de Zoroastre, retrouvé et formulé d'une
manière plus précise par Hermès.
Ainsi, la terre égyptienne était un grand livre et les
enseignements de ce livre étaient répétés, traduits en
peintures, en sculpture, en architecture, dans toutes
les villes et dans tous les temples. Le désert même
avait ses enseignements éternels, et son Verbe de
pierre s'asseyait carrément sur la base des pyramides,
80 HISTOIRE DE L A MAGIE.

ces limites de l'intelligence humaine, devant lesquelles


médita pendant tant de siècles un sphinx colossal en
s'en fonçant lentement dans le sable. Maintenant sa tête,
mutilée par les âges, se dresse encore au-dessus de son
tombeau, comme si elle attendait pour disparaître qu'une
voix humaine vienne expliquer au monde nouveau Je
problème des pyramides.
L'Egypte est pour nous le berceau des sciences et de
la sagesse; car elle revêtit d'images, sinon plus riches,
du moins plus exactes et plus pures que celles de l'Inde,
le dogme antique du premier Zoroastre. L'art sacerdotal
et l'art royal y formèrent des adeptes par l'initiation, et
l'initiation ne se renferma pas dans les limites égoïstes
des castes. On vit un esclave hébreu s'initier lui-même
et parvenir au rang d e premier ministre, et peut-être
de grand hiérophante, car il épousa la fille d'un prêtre
égyptien, et l'on sait que le sacerdoce ne se mésalliait
jamais. Joseph réalisa en Egypte le rêve du commu-
nisme; il rendit le sacerdoce et l'état seuls propriétaires,
arbitres, par conséquent, du travail et de la richesse. Il
abolit ainsi la misère, et fit de l'Egypte entière une fa-
mille patriarchale. On sait que Joseph dut son élévation
à sa science pour l'interprétation des songes, science à
laquelle les chrétiens de nos jours, j e dis même les chré-
tiens fidèles, refusent de croire, tout en admettant que
la Bible, où sont racontées les merveilleuses divinations
de Joseph, est la parole du Saint-Esprit.
La science de Joseph n'était autre chose que l'intelli-
gence des rapports naturels qui existent entre les idées
et les images, entre le Verbe et ses figures. Il savait que
pendant le sommeil, l'âme plongée dans la lumière
MAGIE IIERMhï'IQUË. 81

astrale voit les reflets de ses pensées les plus secrètes


et même de ses pressentiments ; il savait que l'art
de traduire les hiéroglyphes du sommeil est la clef
de la lucidité universelle ; car tous les êtres intelligents
ont des révélations en songes.
La science hiéroglyphique absolue avait pour base un
alphabet où tous les dieux étaient des lettres, toutes les
lettres des idées, toutes les idées des nombres, tous les
nombres des signes parfaits.
Cet alphabet hiéroglyphique dont Moïse fit le grand
secret de sa kabbale, et qu'il reprit aux Égyptiens ; car,
suivant le Sepher Jezirah, il venait d'Abraham: cet al-
phabet , disons-nous, est le fameux livre de Thauth,
soupçonné par Court de Gébelin de s'être conservé jus-
qu'à nos jours sous la forme de ce jeu de cartes bizarres
qu'on appelle le tarot; mal deviné ensuite par Eteilla,
chez qui une persévérance de trente ans ne put suppléer
au bon sens et à la première éducation qui lui man-
quaient; existant encore, en effet, parmi les débris des
monuments égyptiens, et dont la clef la plus curieuse et
la plus complète se trouve dans le grand ouvrage du
père Kircher sur l'Egypte. C'est la copie d'une table
isiaque ayant appartenu au célèbre cardinal Bembo.
Cette table était de cuivre avec des figures d'émail ;
elle a été malheureusement perdue; mais Kircher en
donne une copie exacte, et ce savant jésuite a deviné,
sans pouvoir toutefois pousser plus loin son explication,
qu'elle contenait la clef hiéroglyphique des alphabets
sacrés.

Cette table est partagée en trois compartiments égaux ;


en haut les douze maisons célestes, en bas les douze sta-
6
82 HISTOIRE DE L.4 MAGIE.

tions laborieuses de l'année, au centre les vingt et un


signes sacrés correspondent aux lettres.
Au milieu de la région centrale siège l'image d ' i Y N X ,
pantomorphe, emblème de l'être universel correspon-
dant au jod hébraïque, la lettre unique dont se forment
toutes les autres. Autour d ' i Y N X on voit la triade ophio-
nienne correspondant aux trois lettres mères des alpha-
bets égyptien et hébreu ; à droite les deux triades ibi-
morphe et sérapéenne, à gauche la triade nephtéenne et
celle d'Hécate, figures de l'actif et du passif, du volatil et
du fixe, du feu fécondant et de l'eau génératrice. Chaque
couple de triades, combiné avec le centre, donne un
septénaire; le centre lui-même en contient un. Ainsi les
trois septénaires donnent l'absolu numéral des trois
mondes, et le nombre complet des lettres primitives,
auxquelles on ajoute un signe complémentaire, comme
aux neuf caractères des nombres, on ajoute le zéro.
Les dix nombres et les vingt-deux lettres sont ce qu'on
appelle en kabbale les trente-deux voies de la science,
et leur description philosophique est le sujet du livre
primitif et révéré qu'on nomme XeSepherJezirah, et qu'on
peut trouver dans la collection de Pistorius et ailleurs.
L'alphabet de Thauth n'est l'original de notre tarot que
d'une manière détournée. L e tarot que nous avons est
d'origine juive et les types des figures ne remontent pas
plus haut que le règne de Charles V I I . L e jeu de cartes
de Jacquemin Gringonneur est le premier tarot que
nous connaissions, mais les symboles qu'il reproduit
sont de la plus liante antiquité. Ce jeu fut un essai de quel-
que astrologue de ce temps-là pour ramener le roi à la
raison à l'aide de cette clef, des oracles dont les ré-
TIVÏ. P. 82.

Tableau explicatif delà taMe astronomique


et alphabétique dite de Bembo;
(Voir I^dcpe d&JZzrcAer.j
MAGIE HERMÉTIQUE. 83

ponses, résultant de la combinaison variée des signes,


sont toujours exactes comme les mathématiques et me-
surées comme les harmonies de la nature. Mais il faut
être déjà bien raisonnable pour savoir se servir d'un
instrument de science et de raison ; le pauvre roi, tombé
en enfance, ne vit que des jouets d'enfant dans les pein-
tures de Gringonneur, et fit un jeu de cartes des alpha-
bets mystérieux de la kabbale.
Moïse nous raconte qu'à leur sortie d'Egypte, les
Israélites emportèrent les vases sacrés des Égyptiens.
Cette histoire est allégorique, et le grand prophète n'eût
pas encouragé son peuple au vol. Ces vases sacrés, ce
sont les secrets de la science égyptienne que Moïse avait
appris à la cour de Pharaon. Loin de nous l'idée d'at-
tribuer à la magie les miracles de cet homme inspiré de
Dieu; mais la Bible elle-même nous apprend que Jannès
et Mambrès, les magiciens de Pharaon, c'est-à-dire les
grands hiérophantes d'Egypte, accomplirent d'abord,
par leur art, des merveilles semblables aux siennes.
Ainsi, ils changèrent des baguettes en serpents et des
serpents en baguettes, ce qui peut s'expliquer par pres-
tige ou fascination. Us changèrent l'eau en sang, ils
firent paraître instantanément une grande quantité de
grenouilles, mais ils ne purent amener ni des mouches
ni d'autres insectes parasites, nous avons déjà dit pour-
quoi, et comment il faut expliquer leur aveu lorsqu'ils
se déclarèrent vaincus.

Moïse triompha et emmena les Israélites hors de la


terre de servitude. A cette époque, la vraie science se
perdait en Egypte, parce que les prêtres, abusant de la
grande confiance du peuple, le laissaient croupir dans
84 HISTOIRE DE LA MAGIE.

une abrutissante idolâtrie ; là était le grand écueil de


l'ésotérisme. ïl Fallait voiler au peuple la vérité sans la
lui cacher ; il fallait empêcher le symbolisme de s'avilir
en tombant dans F absurde ; il fallait entretenir dans
toute sa dignité et dans toute sa beauté première le voile
sacré d'ïsis. C'est ce que le sacerdorce égyptien ne sut
pas faire. L e vulgaire imbécile prit pour des réalités
vivantes les formes hiéroglyphiques d'Osiris et d'IIer-
manubis. Osiris devint un bœuf, et le savant Hermès un
chien. Osiris, devenu bœuf, se promena bientôt sous les
oripeaux du bœuf Apis, et les prêtres n'empêchèrent
pas le peuple d'adorer une viande prédestinée à leur
cuisine.
Il était temps de sauver les saintes traditions. Moïse
créa un peuple nouveau, et lui défendit sévèrement le
culte des images. Malheureusement ce peuple avait déjà
vécu avec les idolâtres, et les souvenirs du bœuf Apis
le poursuivaient dans le désert. On sait l'histoire du veau
d'or, que les enfants d'Israël ont toujours adoré un peu.
Moïse, cependant, ne voulut pas livrer à l'oubli les hié-
roglyphes sacrés, et il les sanctifia en les consacrant au
culte épuré du vrai Dieu. Nous verrons comment tous
les objets servant au culte de Jehovah étaient symboli-
ques, et rappelaient les signes révérés de la révélation
primitive.
Mais il faut en finir d'abord avec la geutilité et suivre,
à travers les civilisations païennes, l'histoire des hiéro-
glyphes matérialisés et des anciens rites avilis.
MAGIE EN GRÈCE. 85

C H A P I T R E V.

MAGIE EN GRÈCE.

SOMMAIRE.— La fable de la toison d'or. — Orphée, Amphion et Cadmus.


— Clef magique des poëmes d'Homère. — Eschyle révélateur des
mystères. — Dogme d'Orphée expliqué par la légende. — Les oracles
et les pythonisses. — Magie noire de Médée et de Circé.

Nous touchons à l'époque où les sciences exactes de la


magie vont se revêtir de leur forme naturelle : la beauté.
Nous avons vu dans le Sohar le prototype de l'homme
se lever dans le ciel en se mirant dans l'océan de l'Être.
Cet homme idéal, cet ombre du Dieu pantomorphe, ce
fantôme viril de la forme parfaite ne restera pas isolé.
Une compagne va lui naître sous le doux ciel de l'Héllé-
nie. La Vénus céleste, Vénus chaste et féconde, la triple
mère des trois Grâces, sort à son tour, non plus des eaux
dormantes du chaos, mais des ondes vivantes et agitées
de cet archipel murmurateur de poésie où les îles pavoi-
sées d'arbres verts et de fleurs semblent être les vais-
seaux des dieux.
Le septénaire magique des Chaldéens se change en
musique sur les sept cordes de la lyre d'Orphée. C'est
l'harmonie qui défriche les forêts et les déserts de la
Grèce. Aux chants poétiques d'Orphée, les rochers s'a-
mollissent, les chênes se déracinent, et les bêtes sauva-
ges se soumettent à l'homme. C'est par une semblable
magie qu'Amphion bâtit les murs de Thèbes. La savante
Thèbes de Cadmus, la ville qui est un pantacle comme
les sept merveilles du monde, la cité de l'initiation. C'est
Orphée qui a donné la vie aux nombres, c'est Cadmus qui
86 HISTOTRK DE LA MAGIE.

a attaché la pensée aux caractères. L'un a fait un peuple


amoureux de toutes les beautés, l'autre a donné à ce
peuple une patrie digne de son génie et de ses amours.
Dans les traditions de l'ancienne Grèce, nous voyons
apparaître Orphée parmi les héros de la toison d'or, ces
conquérants primitifs du grand œuvre. L a toison d'or,
c'est la dépouille du soleil, c'est la lumière appropriée
aux usages de l'homme ; c'est le grand secret des œuvres
magiques, c'est l'initiation enfin, que vont chercher en
Asie les héros allégoriques de la toison d'or. D'une autre
part, Cadmus est un exilé volontaire de la grande Thèbes
d'Egypte. Il apporte en Grèce les lettres primitives et
l'harmonie qui les rassemble. Au mouvement de cette har-
monie, la ville typique, la ville savante, la nouvelle T h è -
bes se bâtit d'elle-même, car la science est tout entière
dans les harmonies des caractères hiéroglyphiques, pho-
nétiques et numéraux qui se meuvent d'eux-mêmes sui-
vant les lois des mathématiques éternelles. Thèbes est
circulaire et sa citadelle est carrée, elle a sept portes
comme le ciel magique et sa légende deviendra bientôt
l'épopée de l'occultisme et l'histoire prophétique du g é -
nie humain.
Toutes ces allégories mystérieuses, toutes ces tradi-
tions savantes sont l'âme de la civilisation en Grèce, mais
il ne faut pas chercher l'histoire réelle des héros de ces
poëmes ailleurs que dans les transformations du sym-
bolisme oriental apporté en Grèce par des hiérophantes
inconnus. Les grands hommes de ce temps-là écrivaient
seulement l'histoire des idées, et se souciaient peu de
nous initier aux. misères humaines de l'enfantement des
empires. Homère aussi a marché dans cette v o i e ; il met
MAGIE EN GRÈCE. 87

en œuvre les dieux, c'est-à-dire les types immortels de


la pensée, et si le monde s'agite c'est une conséquence
forcée du froncement des sourcils de Jupiter. Si la Grèce
porte le fer et le feu en Asie, c'est pour venger les outra-
ges de la science et de la vertu sacrifiées à la volupté.
C'est pour rendre l'empire du monde à Minerve et à
Junon, en dépit de cette molle Vénus quia perdu tous
ceux qui l'ont trop aimée.
Telle est la sublime mission de la poésie : elle substi-
tue les dieux aux hommes, c'est-à-dire les causes aux
effets et les conceptions éternelles aux chétives incarna-
tions des grandeurs sur la terre. Ce sont les idées qui
élèvent ou qui font tomber les empires. Au fond de toute
grandeur il y a une croyance, et pour qu'une croyance
soit poétique, c'est-à-dire créatrice, il faut qu'elle relève
d'une vérité. La véritable histoire digne d'intéresser les
sages, c'est celle de la lumière toujours victorieuse des
ténèbres. Une grande journée de ce soleil se nomme une
civilisation.
La fable de la toison d'or rattache la magie herméti-
que aux initiations de la Grèce. Le bélier solaire dont il
faut conquérir la toison d'or pour être souverain du
monde est la figure du grand œuvre. Le vaisseau des
Argonautes construit avec les planches des chênes pro-
phétiques de Dodone, le vaisseau parlant, c'est la barque
des mystères d'Isis, l'arche des semences et de la réno-
vation, le coffre d'Osiris, l'œuf de la régénération divine.
Jason l'aventurier est l'initiable ; ce n'est un héros que
par son audace, il a de l'humanité toutes les inconstances
et toutes les faiblesses, mais il emmène avec lui les per-
sonnifications de toutes les forces. Hercule qui symbolise
88 HISTOIRE DE LA MAGIE.

la force brutale ne doit point concourir à l'œuvre, il


s'égare en chemin à la poursuite de ses indignes amours ;
les autres arrivent au pays de l'initiation, dans la Gol-
chide, où se conservaient encore quelques-uns des secrets
de Zoroastre; mais comment se faire donner la clef de
ces mystères? L a science est encore une fois trahie par
une femme. Médée livre à Jason les arcanes du grand
œuvre, elle livre le royaume et les jours de son père ; car
c'est une loi fatale du sanctuaire occulte que la révéla-
tion des secrets entraîne la mort de celui qui n'a pu les
garder.

Médée apprend à Jason quels sont les monstres qu'il


doit combattre et de quelle manière il peut en triompher.
C'est d'abord le serpent ailé et terrestre, le fluide astral
qu'il faut surprendre et fixer ; il faut lui arracher les dents
et les semer dans une plaine qu'on aura d'abord labou-
rée en attelant à la charrue les taureaux de Mars. Les
dents du dragon sont les acides qui doivent dissoudre la
terre métallique préparée par un double feu et par les
forces magnétiques de la terre. Alors il se fait une fermen-
tation et comme un grand combat, l'impur est dévoré
par l'impur, et la toison brillante devient la récompense
de l'adepte.
L à se termine le roman magique de Jason ; vient en-
suite celui de Médée, car dans cette histoire l'antiquité
grecque a voulu renfermer l'épopée des sciences occultes.
Après la magie hermétique vient la goétie, parricide,
fratricide, infanticide, sacrifiant tout à ses passions et ne
jouissant jamais du fruit de ses crimes. Médée trahit son
père, comme Gham ; assassine son frère, comme Caïn. Elle
poignarde ses enfants, elle empoisonne sa rivale et ne re-
MAGIE EN GRÈGE. 89

cueille que la haine de celui par qui elle voulait être aimée.
On peut s'étonner de voir que Jason maître de la toison
d'or n'en devienne pas plus sage, mais souvenons-nous
qu'il ne doit la découverte de ses secrets qu'à la trahison.
Ce n'est pas un adepte comme Orphée, c'est un ravisseur
comme Prométhée. Ce qu'il cherche ce n'est pas la science,
c'est la puissance et la richesse. Aussi mourra-t-il mal-
heureusement, et les propriétés inspiratrices et souverai-
nes de la toison d'orne seront-elles jamais comprises que
par les disciples d'Orphée.
Prométhée, la toison d'or, la Thébaïde, l'Iliade et
l'Odyssée, cinq grandes épopées toutes pleines des grands
mystères de la nature et des destinées humaines compo-
sent la Bible de l'ancienne Grèce, monument immense,
entassement de montagnes sur des montagnes, de chefs-
d'œuvres sur des chefs-d'œuvres, déformes belles comme
la lumière sur des pensées éternelles et grandes comme
la vérité !
Ce ne fut d'ailleurs qu'à leurs risques et périls que les
hiérophantes de la poésie initièrent les populations de la
Grèce à ces merveilleuses fictions conservatrices de la
vérité. Eschyle qui osa mettre en scène les luttes gigan-
ê tesques, les plaintes surhumaines et les espérances divi-
nes de Prométhée, le poëte terrible de la famille d'OE-
dipe, fut accusé d'avoir trahi et profané les mystères, et
n'échappa qu'avec peine à une sévère condamnation.
Nous ne pouvons maintenant comprendre toute l'étendue
de l'attentat du poëte. Son drame était une trilogie, et
l'on y voyait toute l'histoire symbolique de Prométhée.
Eschyle avait donc osé montrer au peuple assemblé Pro-
méthée délivré par Àlcidc et renversant Jupiter de son
90 HISTOIRE DE LA MAGIE.

trône. La toute-puissance du génie qui a souffert et la vic-


toire définitive de la patience sur la force : c'était beau
sans doute. Mais les multitudes ne pouvaient-elles pas y
voir les triomphes futurs de l'impiété et de l'anarchie !
Prométhée vainqueur de Jupiter ne pouvait-il pas être
pris pour le peuple affranchi un jour de ses prêtres et de
ses rois ; et de coupables espérances n'entraient-elles
pas pour beaucoup dans les applaudissements prodigués
à l'imprudent révélateur?
Nous devons des chefs-d'œuvre à ces faiblesses du
dogme pour la poésie, et nous ne sommes pas de ces
initiés austères qui voudraient comme Platon exiler les
poètes, après les avoir couronnés ; les vrais poètes sont
des envoyés de Dieu sur la terre, et ceux qui les repous-
sent ne doivent pas être bénis du Ciel.
L e grand initiateur de la Grèce et son premier civili-
sateur en fut aussi le premier poëte ; car en admettant
même qu'Orphée ne fût qu'un personnage mystique ou
fabuleux, il faudrait croire à l'existence de Musée et lui
attribuer les vers qui portent le nom de son maître. Peu
nous importe d'ailleurs qu'un des Argonautes se soit ou
non appelé Orphée, le personnage poétique a plus fait
que de v i v r e ; il vit toujours, il est i m m o r t e l ! La fable
d'Orphée est tout un d o g m e , c'est une révélation des des-
tinées sacerdotales, c'est une idéal nouveau issu du culte
de la beauté. C'est déjà la régénération et la rédemption
de l'amour. Orphée descend aux enfers chercher Eury-
dice, et il faut qu'il la ramène sans la regarder. Ainsi
l'homme pur doit se créer une compagne, il doit l'élever
à lui en se dévouant à elle, et en ne la convoitant pas.
C'est en renonçant à l'objet de la passion qu'on mérite
MAGIE Ei\ GRÈCE. 91

de posséder celui du véritable amour. Ici déjà on pres-


sent les rêves si chastes de la chevalerie chrétienne.
Pour arracher son Eurydice à l'enfer, il ne faut point la
regarder!... Mais l'hiérophante est encore un homme, il
faiblit, il doute, il regarde.

Ah miseram Eurydicen !...

Elle est perdue ! la faute est faite, l'expiation com-


mence ; Orphée est veuf, il reste chaste. Il est veuf sans
avoir eu le temps de connaître Eurydice, veuf d'une
vierge il restera vierge, car le poëte n'a pas deux cœurs,
et les enfants de la race des dieux aiment pour toujours.
Aspirations éternelles, soupirs vers un idéal qu'on retrou-
vera au delà du tombeau, veuvage consacré à la muse
sacrée. Quelle révélation avancée des inspirations à
venir ! Orphée portant au cœur une blessure que la mort
seule pourra guérir, se fait médecin des âmes et des
corps; il meurt, enfin, victime de sa chasteté; il meurt
de la mort des initiateurs et des prophètes; il meurt
après avoir proclamé l'unité de Dieu et l'unité de
l'amour, et tel fut plus tard le fond des mystères dans
l'initiation orphique.
Après s'être montré si fort au-dessus de son époque,
Orphée devait laisser la réputation d'un sorcier et d'un
enchanteur. On lui attribue, comme à Salomon, la con-
naissance des simples et des minéraux, la science de la
médecine céleste et de la pierre philosophale. Il savait
tout cela, sans doute, puisqu'il personnifie dans sa légende
l'initiation primitive, la chute et la réparation ; c'est-à-dire
les trois parties du grand œuvre de l'humanité : voici en
92 HISTOIRE DE LA MAGIE.

quels termes, suivant Ballanche, on peut résurmer l'ini-


tiation orphique :
« L'homme, après avoir subi l'influence des éléments,
doit faire subir aux éléments sa propre influence.
» L a création est l'acte d'un magisme divin continu
et éternel.
» Pour l'homme être réellement c'est se connaître.
» La responsabilité est une conquête de l'homme, la
peine même du péché est un nouveau moyen cle con-
quêtes.
» Toute vie repose sur la mort.
» L a palingénésie est la loi réparatrice.
» L e mariage est la reproduction dans l'humanité du
grand mystère cosmogonique. Il doit être un comme
Dieu et la nature sont un.
» L e mariage c'est l'unité de l'arbre de v i e ; la dé-
bauche c'est la division et la mort.
» L'arbre de vie étant unique, et les branches qui
s'épanouissent dans le ciel et fleurissent en étoiles c o r -
respondant aux racines cachées dans la terre,
» L'astrologie est une synthèse.
» La connaissance des vertus, soit médicales, soit ma-
giques des plantes, des métaux, des corps, en qui réside
plus ou moins la vie, est une synthèse.
» Les puissances de l'organisation, à ses divers degrés,
sont révélés par une synthèse.
» Les agrégations et les affinités des métaux, comme
l'âme végétative des plantes, comme toutes les forces
assimilatrices, sont également révélées par une syn-
thèse ( 1 ) . »
(1) Ballanche, Orphée, liv. V I I I , p. 169, édit. 1833
MAGIE EN GRÈCE, 93

On a dit que le beau est la splendeur du vrai. C'est


donc à cette grande lumière d'Orphée qu'il faut attri-
buer la beauté de la forme révélée pour la première fois
en Grèce. C'est à Orphée que remonte l'école du divin
Platon, ce père profane de la haute philosophie chré-
tienne. C'est à lui que Pythagore et les illuminés d'A-
lexandrie ont emprunté leurs mystères. L'initiation ne
change pas; nous la retrouvons toujours la même à
travers les âges. Les derniers disciples de Pascalis Mar-
tinez sont encore les enfants d'Orphée, mais ils adorent
le réalisateur de la philosophie antique, le verbe incarné
des chrétiens.
Nous avons dit que la première partie de la fable de
la toison d'or renferme les secrets de la magie orphique,
et que la seconde partie est consacrée à de sages aver-
tissements contre les abus de la goétie ou de la magie
ténébreuse.
La goétie ou fausse magie, connue de nos jours sous
le nom de sorcellerie, ne saurait être une science ; c'est
l'empirisme de la fatalité. Toute passion excessive pro-
duit une force factice dont la volonté ne saurait être
maîtresse, mais qui obéit au despotisme de la passion.
C'est pour cela qu'Albert le Grand disait : « Ne maudissez
personne lorsque vous êtes en colère. » C'est l'histoire de
la malédiction d'Hippolyte par Thésée. La passion ex-
cessive est une véritable folie. Or la folie est une ivresse
ou congestion de lumière astrale. C'est pour cela que la
folie est contagieuse, et que les passions en général por-
tent avec elles un véritable maléfice. Les femmes, plus
facilement entraînées par l'ivresse passionnée, sont en
générai meilleures sorcières que les hommes ne peuvent
9/} HISTOIRE DE LA MAGIE.

être sorciers. L e mot sorcier désigne assez les victimes


du sort et pour ainsi dire les champignons vénéneux de
la fatalité.
Les sorcières chez les Grecs, et spécialement en T h e s -
salie, pratiquaient d'horribles enseignements et s'aban-
donnaient à d'abominables rites. G'étaient en général
des femmes perdues de désirs qu'elles ne pouvaient plus
satisfaire, des courtisanes devenues vieilles, des monstres
d'immoralité et de laideur. Jalouses de l'amour et de la
vie, ces misérables femmes n'avaient d'amants que dans
les tombes, ou plutôt elles violaient les sépultures pour
dévorer d'affreuses caresses la chair glacée des jeunes
hommes. Elles volaient les enfants dont elles étouffaient
les cris en les pressant contre leurs mamelles pendantes.
On les appelait des lamies, des stryges, des empuses;
les enfants, ces objets de leur envie et par conséquent de
leur haine, étaient sacrifiés par elles ; les unes, comme
la Canidie dont parle Horace, les enterraient jusqu'à la
tête, et les laissaient mourir de faim, en les entourant
d'aliments auxquels ils ne pouvaient atteindre ; les autres
leur coupaient la tête, les pieds et les mains, et faisaient
réduire leur graisse et leur chair dans des bassins de
cuivre, jusqu'à la consistance d'un onguent qu'elles mê-
laient aux sucs de la jusquiame, de la belladone et des
pavots noirs. Elles emplissaient de cet onguent l'organe
sans cesse irrité par leurs détestables désirs; elles s'en
frottaient les tempes et les aisselles, puis elles tombaient
dans une léthargie pleine de rêves effrénés et luxurieux.
11 faut bien oser le dire : voilà les origines et les tradi-
tions de la magie noire ; voilà les secrets qui se perpé-
tuèrent jusque dans notre moyen â g e ; voilà, enfin,
MAGIE EN GRÈCE. 95

quelles victimes prétendues innocentes l'exécration pu-


blique, bien plus que la sentence des inquisiteurs, con-
damnait à mourir dans les flammes. C'est en Espagne, et
en Italie surtout, que pullulait encore la race des stryges,
des lamies et des empuses ; et ceux qui en doutent peu-
vent consulter les plus savants criminalistes de ces pays,
résumés par François Torreblanca, avocat royal à la
chancellerie de Grenade, dans son Epitome delictorum.
Médée et Circé sont les deux types de la magie mal-
faisante chez les Grecs. Circé est la femme vicieuse qui
fascine et dégrade ses amants; Medée est l'empoison-
neuse hardie qui ose tout, et qui fait servir la nature
même à ses crimes. Il est, en effet, des êtres qui char-
ment comme Circé, et près desquels on s'avilit; il est
des femmes dont l'amour dégrade les âmes; elles ne
savent inspirer que des passions brutales; elles vous
énervent, puis elles vous méprisent. Ces femmes, il faut
comme Ulysse, les faire obéir et les subjuguer par la
crainte, puis savoir les quitter sans regret. Ce sont des
monstres de beauté; elles sont sans cœur; la vanité
seule les fait vivre. L'antiquité les représentait encore
sous la figure des sirènes.
Quant à Médée, c'est la créature perverse, qui veut
le mal et qui l'opère. Celle-ci est capable d'aimer et
n'obéit pas à la crainte, mais son amour est plus redou-
table encore que la haine. Elle est mauvaise mère et
tueuse de petits enfants. Elle aime la nuit et va cueillir
au clair de la lune des herbes malfaisantes pour en com-
poser des poisons. Elle magnétise l'air, elle porte mal-
heur à la terre, elle infecte l'eau, elle empoisonne le feu.
Les reptiles lui prêtent leur bave : elle murmure d'af-
96 HISTOIRE DE LA MAGIE.

freuses paroles; des traces de sang la suivent, des mem-


bres découpés tombent de ses mains. Ses conseils ren-
dent fou, ses caresses font horreur.
Voilà la femme qui a voulu se mettre au-dessus des
devoirs de son s e x e , en s'initiant elle-même à des
sciences défendues. Les hommes se détournent et les
enfants se cachent quand elle passe. Elle est sans raison
et sans amour, et les déceptions de la nature révoltée
contre elle sont le supplice toujours renaissant de son
orgueil.

C H A P I T R E VI.

MAGIE MATHÉMATICIENNE DE PYTHAGORE.

S O M M A I R E . •— Les Vers dorés et les symboles de ce maître. — Les mys-


tères cachés dans la vie et les instincts des animaux. — Loi d'assimila-
tion. — Secret des métamorphoses, ou comment on peut se changer
en loup. — Éternité de la vie dans la continuité de la mémoire. — Le
fleuve d'oubli.

Numa, dont nous avons indiqué les connaissances


magiques, avait eu pour initiateur un certain Tarchon,
disciple d'un Chaldéen nommé Tagès. La science alors
avait ses apôtres, qui parcouraient le monde pour y
semer des prêtres et des rois. Souvent même la persé-
cution aidait à l'accomplissement des desseins de la
Providence, et c'est ainsi que vers la soixante-deuxième
olympiade, quatre générations après le règne de Numa,
Pythagore, de Samos, vint en Italie pour échapper à la
tyrannie de Polycrate.
MAGIE MATHÉMATICIENNE DE PYTHAGORE. 97

Le grand vulgarisateur de la philosophie des nombres


avait alors parcouru tous les sanctuaires du monde; il
était venu en Judée, où il s'était fait circoncire pour être
admis aux secrets de la kabbale, que lui communiquè-
rent , non sans une certaine réserve, les prophètes
Ézéchiel et Daniel. Puis, il s'était fait admettre, non
sans peine , à l'initiation égyptienne, sur la recom-
mandation du roi Àmasis. L a puissance de son génie
suppléa aux communications imparfaites des hiéro-
phantes, et il devint lui-même un maître et un révéla-
teur.

Pythagore définissait Dieu : une vérité vivante et ab-


solue revêtue de lumière.
Il disait que le verbe était le nombre manifesté par
la forme.
Il faisait tout descendre de la tétractys, c'est-à-dire
du quaternaire.
Dieu, disait-il encore, est la musique suprême dont
la nature est l'harmonie.
Suivant lui, l'expression la plus haute de la justice c'est
le culte ; le plus parfait usage de la science c'est la mé-
decine; le beau c'est l'harmonie, la force c'est la raison,
le bonheur c'est la perfection, la vérité pratique c'est
qu'il faut se méfier de la faiblesse et de la perversité
des hommes.
Lorsqu'il fut venu s'établir à Grotone, les magistrats
de cette ville, voyant quel empire il exerçait sur les
esprits et sur les cœurs, le craignirent d'abord, puis en-
suite le consultèrent. Pythagore leur conseilla de sacri-
fier aux muses et de conserver entre eux la plus parfaite
harmonie, car, leur disait-il, ce sont les conflits entre les
7
98 HISTOIRE DE LA MAGIE.

maîtres qui révoltent les serviteurs ; puis il leur donna


le grand précepte religieux, politique et social :
« I l n'y a aucun mal qui ne soit préférable à l'anar-
chie. »
Sentence d'une application universelle et d'une pro-
fondeur presque infinie, mais que notre siècle même
n'est pas encore assez éclairé pour bien comprendre.
I l nous reste de Pythagore, outre les traditions de sa
vie, ses vers dorés et ses symboles ; ses vers dorés sont
devenus des lieux communs de morale vulgaire, tant ils
ont eu de succès à travers les âges. En voici une tra-
duction :

A u x dieux, suivant les lois, rends de justes hommages ;


Respecte le serment, les héros et les sages ;
Honore tes parents, tes rois, tes bienfaiteurs ;
Choisis pour tes amis les hommes les meilleurs.
Sois obligeant et doux, sois facile en affaires.
Ne hais pas ton ami pour des fautes légères ;
Sers de tout ton pouvoir la cause du bon droit :
Qui fait tout ce qu'il peut fait toujours ce qu'il doit.
Mais sache réprimer comme un maître sévère,
L'appétit, le sommeil, Vénus et la colère.
N e forfais à l'honneur ni de près ni de loin,
Et seul, sois pour toi-même un rigoureux témoin.
Sois juste en actions et non pas en paroles ;
N e donne pas au mal de prétextes frivoles.
L e sort nous enrichit, il peut nous appauvrir ;
Mais, faibles ou puissants, nous devons tous mourir.
A ta part de douleurs ne sois point réfractaire :
Accepte le remède utile et salutaire,
Et sache que toujours les hommes vertueux,
Des mortels affligés sont les moins malheureux.
A u x injustes propos que ton cœur se résigne ;
Laisse parler le monde et suis toujours ta ligne.
MAGIE MATHÉMATICIENNE DE PYTHAGORE. 99

Mais surtout ne fais rien par l'exemple emporté,


Qui soit sans rectitude et sans utilité.
Fais marcher devant toi le conseil qui t'éclaire,
Pour que l'absurdité ne vienne pas derrière.
La sottise est toujours le plus grand des malheurs,
Et l'homme sans conseil répond de ses erreurs.
N'agis point sans savoir, sois zélé pour apprendre :
Prête à l'étude un temps que le bonheur doit rendre.
Ne sois pas négligent du soin de ta santé ;
Mais prends le nécessaire avec sobriété.
Tout ce qui ne peut nuire est permis dans la vie ;
Sois élégant et pur sans exciter l'envie.
Fuis et la négligence et le faste insolent :
Le luxe le plus simple est le plus excellent.
N'agis point sans songer à ce que tu vas faire,
Et réfléchis, le soir, sur ta journée entière.
Qu'ai-je fait? qu'ai-je ouï? que dois-je regretter?
Vers la vertu divine ainsi tu peux monter.

Jusqu'ici les vers dorés ne semblent être que les leçons


d'un pédagogue. Us ont pourtant une toute autre por-
tée. Ce sont les lois préliminaires de l'initiation magique,
c'est la première partie du grand œuvre, c'est-à-dire fa
création de l'adepte parfait. La suite le fait voir et le
prouve :

Je t'en prends à témoin, Tétractys ineffable,


Des formes et du temps fontaine inépuisable ;
Et toi qui sais prier, quand les dieux sont pour toi,
Achève leur ouvrage et travaille avec foi.
Tu parviendras bientôt et sans peine à connaître
D'où procède, où s'arrête, où retourne ton être;
Sans crainte et sans désirs tu sauras les secrets
Que la nature voile aux mortels indiscrets.
Tu fouleras aux pieds cette faiblesse humaine
Qu'au hasard et sans but la fatalité mène.
Tu sauras qui conduit l'avenir incertain,
Et quel démon caché tient les fils du destin.
100 HISTOIRE DE LÀ MAGIE.

T u monteras alors sur le char de lumière,


Esprit victorieux et roi de la matière.
T u comprendras de Dieu le règne paternel,
Et tu pourras t'asseoir dans un calme éternel.

Pythagore disait : « De même qu'il y a trois notions di-


vines et trois régions intelligibles, il y a aussi un triple
v e r b e , car l'ordre hiérarchique se manifeste toujours par
trois. I l y a la parole simple, la parole hiéroglyphique
et la parole symbolique ; en d'autres termes, il y a le verbe
qui exprime, le verbe qui cache, et le verbe qui signifie;
toute l'intelligence hiératique est dans la science parfaite
de ces trois degrés. »
I l enveloppait donc la doctrine de symboles, mais il
évitait avec soin les personnifications et les images qui
selon lui enfantent tôt ou tard l'idolâtrie. On l'a accusé
même de détester les poètes, mais c'était seulement
aux mauvais poètes que Pythagore interdisait l'art
des vers.

Ne chante point de vers, si tu n'as point de lyre,

dit-il dans ses symboles. Ce grand homme ne pouvait


ignorer la relation exacte qui existe entre les sublimes
pensées et les belles expressions figurées, ses symboles
mêmes sont pleins de poésie.

N'arrache point les fleurs qui forment des couronnes.

C'est ainsi qu'il recommande à ses disciples de n'amoin-


drir jamais la gloire et de ne point flétrir ce que le monde
semble avoir besoin d'honorer.
Pythagore était chaste, mais loin de conseiller le céli-
MAGIE MATHÉMATICIENNE DE PYTHAGORE. 101

bat à ses disciples il se maria lui-même et eut des en-


fants. On cite une belle parole de la femme de Pythagore ;
on lui demandait si la femme qui vient d'avoir des re-
lations avec un homme n'avait pas besoin de quelques
expiations, et combien de temps après elle pouvait se
croire assez pure pour s'approcher des choses saintes. —
Tout de suite, dit-elle, si c'est avec son mari; si c'est
avec un autre, jamais !
C'est par cette sévérité de principes, c'est avec cette
pureté de mœurs qu'on s'initiait dans l'école de Pytha-
gore aux mystères de la nature, et qu'on prenait assez
d'empire sur soi-même pour commander aux forces
élémentaires. Pythagore possédait cette faculté qu'on
nomme chez nous seconde vue et qui s'appelait alors di-
vination. Un jour il était avec ses disciples sur le bord de
la mer. Un vaisseau se montre à l'horizon : « Maître lui
dit un des disciples, pensez-vous que je serais riche si
l'on me donnait la cargaison de ce vaisseau? — Elle
vous serait bien inutile, dit Pythagore. — Eh bien ! j e
la garderais pour mes héritiers. — Vous voudriez donc
leur laisser deux cadavres? »
Le vaisseau entra dans le port un instant après; il rap-
portait le corps d'un homme qui avait voulu être enseveli
dans sa patrie.
On raconte que les animaux obéissaient à Pythagore.
Un jour, au milieu des jeux olympiques, il appela un aigle
qui traversait le ciel ; l'aigle descendit en tournoyant et
continua son vol à tire d'aile quand le maître lui fit signe
de s'en aller. Une ourse monstrueuse ravageait l'Apulie,
Pythagore la fit venir à ses pieds et lui ordonna de quit-
ter le pays ; depuis elle ne reparut plus ; et comme on lui
102 HISTOIRE DE LA MAGIE.

demandait à quelle science il devait un pouvoir aussi


merveilleux :
— A la science de la lumière, répondait-il.
L e s êtres animés, en effet, sont des incarnations de
lumière ; les formes sortent des pénombres de la lai-
deur pour arriver progressivement aux splendeurs de
la beauté, les instincts sont proportionnels aux formes,
et l'homme, qui est la synthèse de cette lumière dont les
animaux sont l'analyse, est créé pour leur commander;
mais parce qu'au lieu d'être leur maître, il s'est fait leur
persécuteur et leur bourreau, ils le craignent et se révoltent
contre lui. Us doivent cependant sentir la puissance d'une
volonté exceptionnelle qui se montre pour eux bienveil-
lante et directrice, ils sont alors invinciblement m a g n é -
tisés, et un grand nombre de phénomènes modernes
peuvent et doivent nous faire comprendre la possibilité
des miracles de P y t h a g o r e .
L e s physionomistes ont remarqué que la plupart des
hommes rappellent par quelques traits de leur physio-
nomie la ressemblance de quelque animal. Cette ressem-
blance peut bien n'être qu'imaginaire et se produire par
l'impression que font sur nous les diverses physionomies,
en nous révélant les traits saillants du caractère des per-
sonnes. Ainsi nous trouverons qu'un homme bourru res-
semble à un ours, un homme hypocrite à un chat et ainsi
des autres. Ces sortes de jugements s'exagèrent dans
l'imagination et se complètent dans les rêves, où sou-
vent les personnes qui nous ont péniblement impressionné
pendant la veille, se transforment en animaux et nous
font éprouver toutes les angoisses du cauchemar. Or les
animaux sont comme nous et plus que nous sous l'empire
MAGIE MATHÉMATICIENNE DE PYTHAGORE. 103

de l'imagination, car ils n'ont pas le jugement pour en


rectifier les écarts. Aussi s'affectent-ils à notre égard sui-
vant leurs sympathies ou leurs antipathies surexcitées
par notre magnétisme. Us n'ont d'ailleurs aucune con-
science de ce qui constitue la forme humaine et ne voient
en nous que d'autres animaux qui les dominent. Ainsi le
chien prend son maître pour un chien plus parfait que
lui. C'est dans la direction de cet instinct que consiste le
secret de l'empire sur les animaux. Nous avons vu un
célèbre dompteur de bêtes féroces fasciner ses lions en
leur montrant un visage terrible et se grimer lui-même
en lion furieux ; ici s'applique à la lettre le proverbe po-
pulaire : « Il faut hurler avec les loups, et bêler avec les
agneaux. » D'ailleurs chaque forme animale représente
un instinct particulier, une aptitude ou un vice. Si nous
faisons prédominer en nous le caractère de la bête, nous
en prenons de plus en plus la forme extérieure, au point
d'en imprimer l'image parfaite dans la lumière astrale et
de nous voir nous-mêmes, dans l'état de rêve ou d'extase,
tels que nous serions vus par des somnambules ou des exta-
tiques, et tels que nous apparaissons sans doute aux ani-
maux. Que la raison s'éteigne alors, que le rêve persévé-
rant se change en folie et nous voici changés en bêtes
comme le fut Nabuchodonosor. Ainsi s'expliquent les his-
toires deloups-garouxdont quelques-unes ont été juridi-
quement constatées. Les faits étaient constants, avérés,
mais ce qu'on ignorait c'est que les témoins n'étaient pas
moins hallucinés que les loups-garoux eux-mêmes.

Les faits de coïncidence et de correspondances des


rêves ne sont ni rares ni extraordinaires. Les extatiques
se voient et se parlent d'un bout du monde h l'autre dans
lO/l HISTOIRE DE LA. M A G I E .

l'état d'extase. Nous voyons une personne pour la pre-


mière fois ; et il nous semble que nous la connaissons de-
puis longtemps, c'est que nous l'avons souvent déjà ren-
contrée en rêve. L a vie est pleine de ces singularités, et
pour ce qui est de la transformation des êtres humains en
animaux, nous en rencontrons des exemples à chaque pas.
Combien d'anciennes femmes galantes et gourmandes, ré-
duites à l'état d'idiotisme après avoir couru toutes les
gouttières de l'existence, ne sont plus que de vieilles chat-
tes uniquement éprises de leur matou !
Pythagore croyait par-dessus tout à l'immortalité de
l'âme et à l'éternité de la vie. La succession continuelle
des étés et des hivers, des jours et des nuits, du sommeil
et du réveil, lui expliquaient assez le phénomène de la
mort. L'immortalité spéciale de l'âme humaine consis-
tait selon lui dans la prolongation du souvenir. Il préten-
dait se rappeler, dit-on, ses existences antérieures, et s'il
est vrai qu'il le prétendait, c'est qu'il trouvait, en effet,
quelque chose de pareil dans ses réminiscences, car un tel
homme n'a pu être ni un charlatan ni un fou. Mais il est
probable qu'il croyait retrouver ces anciens souvenirs
dans ses rêves, et l'on aura pris pour une affirmation
positive ce qui n'était de sa part qu'une recherche et une
hypothèse ; quoi qu'il en soit, sa pensée était grande et
la vie réelle de notre individualité ne consiste que dans
la mémoire. L e fleuve d'oubli des anciens était la vraie
image philosophique de la mort. L a Bible semble don-
ner à cette idée une sanction divine lorsqu'elle dit au
livre des Psaumes : « La vie du juste sera dans l'éternité
de la mémoire ( 1 ) . »

(1) In memuria œterna eritjuskis.


PL VIL P. 105.

LE SEP HER JEZIRAH

1,­ТосШ, Ш­.

Pantacle des lettres Kabbalisücrues Clé du Tarot,


du Seplier Jezirali et du Soliar.

imp. Сагож­Зг/алгагге, Ckazcfóu^Juym¿mJZPaj~¿s.


LA SAINTE KABBALE. 105

C H A P I T R E VII.

L A SAINTE K A B B A L E .

S O M M A I R E . — Les noms divins. — Le tétragramme et ses quatre formes.


— Le mot unique qui opère toutes les transmutations. — Les clavi-
cules de Salomon perdues et retrouvées. — La chaîne des esprits. —
Le tabernacle et le temple. — L'ancien serpent. — Le monde des
esprits suivant le Sonar. — Quels sont les esprits qui apparaissent. —
Comment on peut se faire servir par les esprits élémentaires.

Remontons maintenant aux sources de la vraie science


et revenons à la sainte kabbale, ou tradition des enfants
de Seth, emportée de Chaldée par Abraham, enseignée
au sacerdoce égyptien par Joseph, recueillie et épurée
par Moïse, cachée sous des symboles dans la Bible, ré-
vélée par le Sauveur à saint Jean, et contenue encore
tout entière sous des figures hiératiques analogues â
celles de toute l'antiquité dans l'Apocalypse de cet apôtre.
Les kabbalistes ont en horreur tout ce qui ressemble
à l'idolâtrie; ils donnent pourtant à Dieu la figure hu-
maine, mais c'est une figure purement hiérogliphique.
Us considèrent Dieu comme l'infini intelligent, a i -
mant et vivant. Ce n'est pour eux ni la collection des
êtres, ni l'abstraction de l'Être ni un être philosophique-
ment définissable. 11 est dans tout, distinct de tout et
plus grand que tout. Son nom même est ineffable : et
encore ce nom n'exprime-t-il que l'idéal humain de sa
divinité. Ce que Dieu est par lui-même il n'est pas donné
à l'homme de le comprendre.
DIEU est l'absolu de la foi ; mais l'absolu de la raison
c'est .'ÊTRE.
106 HISTOIRE DE LA MAGIE.

L'Être est par lui-même et parce qu'il est. La raison


d'être de l'Être c'est l'Être même. On peut demander :
« Pourquoi existe-t-il quelque chose, c'est-à-dire pourquoi
telle ou telle chose existe-t-elle? » Mais on ne peut sans
être absurde demander : « Pourquoi l'Être est-il? » Ce
serait supposer l'Être avant l'Être.
L a raison et la science nous démontrent que les modes
d'existence de l'Être s'équilibrent suivant des lois har-
monieuses et hiérarchiques. Or la hiérarchie se synthétise
en montant et devient toujours de plus en plus monarchi-
que. L a raison cependant ne peut s'arrêter à un chef
unique sans s'effrayer des abîmes qu'elle semble laisser
au-dessus de ce suprême monarque, elle se tait donc
et cède la place à la foi qui adore.
Ce qui est certain, même pour la science et pour la rai-
son, c'est que l'idée de Dieu est la plus grande, la plus
sainte et la plus utile de toutes les aspirations de l'homme;
que sur cette croyance repose la morale avec sa sanc-
tion éternelle. Cette croyance est donc dans l'humanité
le plus réel des phénomènes de l ' Ê t r e , et si elle était
fausse, la nature affirmerait l'absurde, le néant formu-
lerait la v i e , Dieu serait en même temps et ne serait
pas.
C'est à cette réalité philosophique et incontestable,
qu'on nomme l'idée de Dieu, que les kabbalistes donnent
un nom ; dans ce nom sont contenus tous les autres. Les
chiffres de ce nom produisent tous les nombres, les hié-
roglyphes des lettres de ce nom expriment toutes les lois
et toutes les choses de la nature.
Nous ne reviendrons pas ici sur ce que nous avons dit
dans notre dogme de la haute magie sur le tétragramme
LA SAINTE KABBALE. 107

divin, nous ajouterons seulement que les kabbalistes


récrivent de quatre principales manieres :

mm
JHVH,

qu'ils ne prononcent pas, mais qu'ils épèlent : Jod, he


mu hé, et que nous prononçons Jéhovah, ce qui est con-
traire à toute analogie, car le tétragramme ainsi défi-
guré se trouverait composé de six lettres.

ADNI.

que nous prononçons A donaï, ce nom veut dire Seigneur.

TVttK
AHIH,

que nous prononçons Eieie, ce nom signifie Être.

AGLA,

qui se prononce comme il s'écrit, et qui renferme hiéro-


glyphiquement tous les mystères de la kabbale.
En effet la lettre Aleph K est la première de l'alphabet
hébreu ; elle exprime l'unité, elle représente hiéroglyphi-
quement le dogme d'Hermès : « Ce qui est supérieur est
analogue à ce qui est inférieur. » Cette lettre, en effet, à
comme deux bras dont l'un montre la terre et l'autre
le ciel avec un mouvement analogue.
La lettre Ghimel 5 est la troisième de l'alphabet ; elle
exprime numériquement le ternaire et hiéroglyphique-
ment l'enfantement, la fécondité.
La lettre Lamed h est la douzième ; elle est l'exprès-
108 HISTOIRE DE L A MAGIE.

sion du cycle parfait. Comme signe hiéroglyphique, elle


représente la circulation du mouvement perpétuel, et le
rapport du rayon à la circonférence.
La lettre Aleph répétée est l'expression de la synthèse.
L e nom d'AGLA signifie donc :
L'unité qui par le ternaire accomplit le cycle des nom-
bres pour retourner à l'unité ;
L e principe fécond de la nature qui fait un avec lui ;
L a vérité première qui féconde la science et la ramène
à l'unité ;
L a syllepse, l'analyse, la science et la synthèse ;
Les trois personnes divines qui sont un seul Dieu.
L e secret du grand œuvre, c'est-à-dire la fixation de la
lumière astrale par une émission souveraine de volonté,
ce que les adeptes figuraient par un serpent percé d'une
flèche formant avec elle la lettre Aleph N.
Puis les trois opérations, dissoudre, sublimer, fixer,
correspondant aux trois substances nécessaires, sel,
soufre et mercure, le tout exprimé par la lettre Ghi-
mel j .

Puis les douze clefs de Basile (Valentin) exprimées par


Lamed h.
Enfin l'œuvre accomplie conformément à son principe
et reproduisant le principe même.
Telle est l'origine de cette tradition kabbalistique qui
met toute la magie dans un mot. Savoir lire ce mot et le
prononcer, c'est-à-dire en comprendre les mystères et
traduire en actions ces connaissances absolues, c'est avoir
la clef des merveilles. Pour prononcer le nom d ' A G L A , il
faut se tourner du côté de l'orient, c'est-à-dire s'unir d'in-
tention et de science à la tradition orientale. N'oublions
LA SAINTE KABBALE. 109

pas que suivant la kabbale, le Verbe parfait est la


parole réalisée par des actes. De là vient cette expres-
sion qui se retrouve plusieurs fois dans la Bible : « Faire
une parole » (facere verbum), dans le sens d'accomplir
une action.
Prononcer kabbalistiquement le nom d'AGLA, c'est
donc subir toutes les épreuves de l'initiation et en ache-
ver toutes les œuvres.
Nous avons dit dans notre dogme de la haute magie
comment le nomdeJéhovah se décompose en soixante et
douze noms explicatifs, qu'on appelle Schemhamphoras.
L'art d'employer ces soixante et douze noms et d'y trouver
les clefs de la science universelle, est ce que les kabba-
listes ont nommé les clavicules de Salomon. En effet, à
la suite des recueils d'évocations et de prières qui portent
ce titre, on trouve ordinairement soixante et douze cer-
cles magiques formant trente-six talismans. C'est quatre
fois neuf, c'est-à-dire le nombre absolu multiplié par le
quaternaire. Ces talismans portent chacun deux des
soixante et douze noms avec le signe emblématique de
leur nombre et de celle des quatre lettres du nom de
Jéhovah à laquelle ils correspondent. C'est ce qui a donné
lieu aux quatre décades emblématiques du tarot : le bâton
figurant le Jod ; la coupe, le hé ; l'épée, le vaf ; et le de-
nier, le hé final. Dans le tarot on a ajouté le complément
de la dizaine, qui répète synthétiquement le caractère
de l'unité.
Les traditions populaires de la magie disaient que le
possesseur des clavicules de Salomon peut converser avec
les esprits de tous les ordres et se faire obéir par toutes
les puissances naturelles. Or, ces clavicules plusieurs fois
110 HISTOIRE DE LA MAGIE.

perdues, puis retrouvées, ne sont autre chose que les


talismans des soixante et douze noms et les mystères des
trente-deux voies hiéroglyphiquement reproduits par le
tarot. A l'aide de ces signes et au moyen de leurs combi-
naisons infinies, comme celles des nombres et des lettres,
on peut, en effet, arriver à la révélation naturelle et ma-
thématique de tous les secrets de la nature, et entrer, par
conséquent, en communication avec la hiérarchie entière
des intelligences et des génies.
L e s sages kabbalistes se tiennent en garde contre les
rêves de l'imagination et les hallucinations de la veille.
Aussi évitent-ils toutes ces évocations malsaines qui ébran-
lent le système nerveux et enivrent la raison. Les expéri-
mentateurs curieux des phénomènes de vision extranatu-
relle ne sont guère plus sensés que les mangeurs d'opium
et de haschish. Ce sont des enfants qui se font du mal à
plaisir. On peut se laisser surprendre par l'ivresse ; on
peut même s'oublier volontairement au point de vou-
loir en éprouver les vertiges ; mais à l'homme qui se res-
pecte une seule expérience suffit ; et les honnêtes gens ne
s'enivrent pas deux fois.
L e comte Joseph de Maistre dit qu'on se moquera un
jour de notre stupidité actuelle comme nous nous mo-
quons de la barbarie du moyen âge. Qu'eût-il pensé, s'il
eût vu nos tourneurs de tables? et s'il eût entendu nos
faiseurs de théories sur le monde occulte des esprits?
Pauvres gens que nous sommes ! Nous n'échappons à l'ab-
surde que par l'absurde contraire. L e x v m siècle croyait
e

protester contre la superstition en niant la religion, et nous


protestons contre l'impiété du x v m e
siècle en revenant
aux vieux contes de grand'mères ; ne pourrait-on être
LA SAINTE KABBALE. 111

plus chrétien que Voltaire et se dispenser de croire encore


aux revenants?
Les morts ne peuvent pas plus revenir sur la terre
qu'ils ont quittée, qu'un enfant ne pourrait rentrer dans
le sein de sa mère.
Ce que nous appelons la mort, est une naissance dans
une vie nouvelle. La nature ne défait pas ce qu'elle a fait
dans l'ordre des progressions nécessaires de l'existence,
et elle ne saurait donner le démenti à ses lois fonda-
mentales.
L'âme humaine, servie et limitée par des organes, ne
peut qu'au moyen de ces organes mêmes se mettre en
rapport avec les choses du monde visible. Le corps est
une enveloppe proportionnelle au milieu matériel dans
lequel l'âme ici-bas doit vivre. En limitant l'action de
l'âme il la concentre et la rend possible. En effet, l'âme
sans corps serait partout, mais partout si peu, qu'elle ne
pourrait agir nulle part ; elle serait perdue dans l'infini,
elle serait absorbée et comme anéantie en Dieu.
Supposez une goutte d'eau douce enfermée dans un
globule et jetée dans la mer : tant que le globule ne sera
pas brisé, la goutte d'eau subsistera dans sa nature propre,
mais si le globule se brise, cherchez la goutte d'eau dans
la mer.
Dieu en créant les esprits n'a pu leur donner une per-
sonnalité consciencieuse d'elle-même qu'en leur donnant
une enveloppe qui centralise leur action et l'empêche de
se perdre en la limitant.
Quand l'âme se sépare du corps, elle change donc né-
cessairement de milieu puisqu'elle change d'enveloppe.
Elle part revêtue seulement de sa forme astrale, de son
112 HISTOIRE DE LA MAGIE.

enveloppe de lumière et elle monte d'elle-même au-dessus


de l'atmosphère comme l'air remonte au-dessus de l'eau
en s'échappant d'un vase brisé.
Nous disons que l'âme monte parce que son enveloppe
monte, et que son action et sa conscience sont comme
nous l'avons dit attachées à son enveloppe.
L'air asmosphérique devient solide pour ces corps de
lumière infiniment plus légers que lui et qui ne pourraient
redescendre qu'en se chargeant d'un vêtement plus lourd,
mais où prendraient-ils ce vêtement au-dessus de notre
atmosphère? Ils ne pourraient donc revenir sur la terre
qu'en s'y incarnant de nouveau, leur retour serait une
chute, ils se noieraient comme esprits libres et recom-
menceraient leur noviciat. Mais la religion catholique
n'admet pas qu'un pareil retour soit possible.
Les kabbalistes formulent par un seul axiome toute
la doctrine que nous exposons ici :
« L'esprit, disent-ils, se revêt pour descendre et se
dépouille pour monter. »
La vie des intelligences est toute ascensionnelle ; l'en-
fant dans le sein de sa mère vit d'une vie végétative et
reçoit la nourriture par un lien qui s'attache comme l'ar-
bre est attaché à la terre et nourri en même temps par
sa racine.
Lorsque l'enfant passe de la vie végétative à la vie
instinctive et animale, son cordon se brise, il peut mar-
cher.
Lorsque l'enfant se fait homme, il échappe aux chaînes
de l'instinct et peut agir en être raisonnable.
Lorsque l'homme meurt, il échappe à ces lois de la pe-
santeur qui le faisaient toujours retomber sur la terre.
LA SAINTE KABBALE. 113

Lorsque l'âme a expié ses fautes, elle devient assez


forte pour quitter les ténèbres extérieures de l'atmosphère
terrestre et pour monter vers le soleil.
Alors commence la montée éternelle de l'échelle sainte,
car l'éternité des élus ne saurait être oisive ; ils vont de
vertus en vertus, de félicité en félicité, de triomphe en
triomphe, de splendeur en splendeur.
La chaîne toutefois ne saurait être interrompue et
ceux des plus hauts degrés peuvent encore exercer une
influence sur les plus bas, mais suivant l'ordre hiérarchi-
que, et de la même manière qu'un roi en gouvernant
sagement faitdubien au dernier de ses sujets.
D'échelons en échelons, les prières montent et les grâces
descendent sans se tromper jamais de chemin.
Mais les esprits une fois montés ne redescendent plus,
car à mesure qu'ils montent les degrés se solidifient sous
leurs pieds.
Le grand chaos s'est affermi, dit Abraham, dans la
parabole du mauvais riche ; et ceux qui sont ici ne peu-
vent plus descendre là-bas.
L'extase peut exalter les forces du corps sidéral au
point de lui faire entraîner dans son élan le corps ma-
tériel, ce qui prouve que la destinée de l'âme est de
monter.
Les faits de suspension aérienne sont possibles : mais
il est sans exemple qu'un homme ait pu vivre sous terre
ou dans l'eau.
U serait également impossible qu'une âme séparée de
son corps pût vivre, même un seul instant, dans l'épais-
seur de notre atmosphère. Les âmes des morts ne sont
donc pas autour de nous comme le supposent les tour-
8
11A HISTOIRE DE LA MAGIE.

neurs de tables. Ceux que nous aimons peuvent nous


voir encore et nous apparaître, mais seulement par
mirage et par reflet dans le miroir commun qui est la
lumière. Us ne peuvent plus d'ailleurs s'intéresser aux
choses mortelles, et ne tiennent plus à nous que par ceux
de nos sentiments qui sont assez élevés pour avoir encore
quelque chose de conforme ou d'analogue à leur vie dans
l'éternité.
Telles sont les révélations de la haute kabbale conte-
nues et cachées dans le livre mytérieux de Sohar. R é v é -
lations hypothétiques sans doute pour la science, mais
appuyées sur une série d'inductions rigoureuses en par-
tant des faits mêmes que la science conteste le moins;
or il faut aborder ici un des secrets les plus dangereux
de la magie. C'est l'hypothèse plus que probable de
l'existence des larves fluidiques connues dans l'ancienne
théurgie sous le nom d'esprits élémentaires. Nous en
avons dit quelques mots dans notre Dogme et rituel de la
haute magie (1), et le malheureux abbé de Villars, qui
s'était joué de ces terribles révélations, a payé de sa vie
son imprudence. Ce secret est dangereux en ce qu'il tou-
che de près au grand arcane magique. En effet, évoquer
les esprits élémentaires, c'est avoir la puissance de coa-
guler les fluides par une projection de lumière astrale.
Or cette puissance ainsi dirigée ne peut produire que des
désordres et des malheurs comme nous le prouverons plus
tard. Voici maintenant la théorie de l'hypothèse avec les
preuves de la probabilité :
L'esprit est partout, c'est lui qui anime la matière; il
se dégage de la pesanteur en perfectionnant son enve-
(1) Dogme et Rituel de la haute magie, 1856, 2 vol. in-8 avec 23 fig.
LA SAINTE KABBALE. 115

loppe qui est sa forme. Nous voyons, en effet, la forme


progresser avec les instincts jusqu'à l'intelligence et la
beauté ; ce sont les efforts de la lumière attirée par l'at-
trait de l'esprit, c'est le mystère de la génération pro-
gressive et universelle.
La lumière est l'agent efficient des formes et de la vie,
parce qu'elle est en même temps mouvement et chaleur.
Lorsqu'elle parvient à se fixer et à se polariser autour
d'un centre, elle produit un être vivant, puis elle attire
pour le perfectionner et le conserver toute la substance
plastique nécessaire. Cette substance plastique formée
en dernière analyse de terre et d'eau, a été avec raison
appelée dans la Bible le limon de la terre.
Mais la lumière n'est point l'esprit, comme le croient
les hiérophantes indiens, et toutes les écoles de goétie ;
elle est seulement l'instrument de l'esprit. Elle n'est
point le corps du protoplastès, comme le faisaient enten-
dre les théurgistes de l'école d'Alexandrie ; elle est la
première manifestation physique du souffle divin. Dieu
la crée éternellement, et l'homme, à l'image de Dieu, la
modifie et semble la multiplier.
Prométhée, dit la fable, ayant dérobé le feu du ciel,
anima des images faites de terre et d'eau, et c'est pour
ce crime qu'il fut enchaîné et foudroyé par Jupiter.
Les esprits élémentaires, disent les kabbalistes dans
leurs livres les plus secrets, sont les enfants de la soli-
tude d'Adam ; ils sont nés de ses rêves, lorsqu'il aspirait
à la femme que Dieu ne lui avait pas donnée encore.
Paracelse dit que le sang perdu, soit régulièrement,
soit en rêve, par les célibataires des deux sexes, peuple
l'air de fantômes.
116 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Nous croyons indiquer assez clairement ici, d'après les


maîtres, l'origine supposée de ces larves sans qu'il soit
besoin de nous expliquer davantage.
Ces larves ont donc un corps aérien formé de la vapeur
du sang. C'est pour cela qu'elles cherchent le sang ré-
pandu et se nourrissaient autrefois de la fumée des sa-
crifices.
Ce sont les enfants monstrueux de ces cauchemars
impurs qu'on appelait autrefois les incubes et les suc-
cubes.
Lorsqu'ils sont assez condensés pour être vus, ce n'est
qu'une vapeur colorée par le reflet d'une image ; ils n'ont
pas de vie propre, mais ils imitent la vie de celui qui les
évoque comme l'ombre imite le corps.
Us se produisent surtout autour des idiots et des êtres
sans moralité que leur isolement abandonne à des habi-
tudes déréglées.
La cohésion des parties de leur corps fantastique étant
très faible, ils craignent le grand air, le grand feu et sur-
tout la pointe des épées.
Us deviennent en quelque sorte des appendices vapo-
reux du corps réel de leurs parents, puisqu'ils ne vivent
que de la vie de ceux qui les ont créés ou qui se les ap-
proprient en les évoquant. En sorte que si on blesse
leurs apparences de corps, le père peut être réelle-
ment blessé, comme l'enfant non encore né est réelle-
ment blessé ou défiguré par les imaginations de sa
mère.
L e monde entier est plein de phénomènes qui justifient
ces révélations singulières et ne peuvent s'expliquer que
par elles.
LA SAINTE KABBALE. 117

Ces larves attirent à elles la chaleur vitale des person-


nes bien portantes, et épuisent rapidement celles qui sont
faibles.
De là sont venues les histoires de vampires, histoires
affreusement réelles et périodiquement constatées comme
chacun sait.
C'est pour cela qu'à l'approche des médiums, c'est-à-
dire des personnes obsédées par les larves, on sent un
refroidissement dans l'atmosphère.
Ces larves ne devant l'existence qu'aux mensonges de
l'imagination exaltée et au dérèglement des sens, ne se
produisent jamais en présence d'une personne qui sait et
qui peut dévoiler le mystère de leur monstrueuse nais-
sance.
LIVRE II.
FORMATION ET RÉALISATIONS D U DOGME.

H, Beth.

C H A P I T R E P R E M I E R .

SYMBOLISME PRIMITIF DE L'HISTOIRE.

S O M M A I R E . — Le pantacle édénique. — Le chérub. — Les enfants de


Caïn. — Secrets magiques de la tour de Babel. — Malédiction des
descendants de Chanaan. — Anathème porté contre les sorciers. —
Grandeurs et décadences du dogme en Egypte, en Grèce et à Rome.
— Naissance de la philosophie sceptique. — Guerre de l'empirisme
contre la magie.—Scepticisme tempéré de Socrate. — Essai de synthèse
de Platon. — Rationalisme d'Aristote. — Le sacerdoce et la science.

Il ne nous appartient pas d'expliquer l'Écriture sainte


au point de vue religieux et dogmatique. Soumis avant
toute chose à l'ordre hiérachique, nous laissons la théolo-
gie aux docteurs de l'Église et nous rendons à la science
humaine tout ce qui est du domaine de l'expérience et de
la raison. Lors donc que nous paraissons risquer une
application nouvelle d'un passage de la Bible ou de
l'Évangile, c'est toujours sauf le respect des décisions ec-
clésiastiques. Nous ne dogmatisons pas, nous soumettons
aux autorités légitimes nos observations et nos études.
Ce qui nous frappe tout d'abord en lisant dans le livre
sacré de Moïse l'histoire originelle du genre humain,
c'est la description du paradis terrestre qui se résume
SYMBOLISME PRIMITIF DE L'HISTOIRE. 119

dans la figure d'un pantacle parfait. Il est circulaire ou


carré, puisqu'il est arrosé également par quatre fleuves
disposés en croix, et au centre se trouvent les deux arbres
qui représentent la science et la vie, l'intelligence stable
et le mouvement progressif, la sagesse et la création. Au-
tour de l'arbre de la science se roule le serpent d'Asclé-
pios et d'Hermès : au pied de l'arbre sont l'homme &t la
femme, l'actif et le passif, l'intelligence et l'amour. Le
serpent, symbole de l'attrait originel et du feu central de
la terre, tente la femme qui est la plus faible, et celle-ci
fait succomber l'homme; mais elle ne cède au serpent que
pour le dompter plus tard, et un jour elle lui écrasera la
tête en donnant un sauveur au monde.
La science tout entière est figurée dans cet admira-
ble tableau. L'homme abdique le domaine de l'intelli-
gence en cédant aux sollicitations de la partie sensitive;
il profane le fruit de la science qui doit nourrir Pâme en
le faisant servir à des usages de satisfaction injuste et
matérielle, il perd alors le sentiment de l'harmonie et de
la vérité. Il est revêtu d'une peau de bête, parce que la
forme physique se conforme toujours tôt ou tard aux dis-
positions morales ; il est chassé du cercle arrosé par les
quatre fleuves de vie, et un chérub, armé d'une épée
flamboyante toujours agitée, l'empêche de rentrer dans
le domaine de l'unité.
Gomme nous l'avons fait remarquer dans notre dogme,
Voltaire, ayant découvert qu'en hébreu un chérub signi-
fie un bœuf, s'est fort amusé de cette histoire. 11 aurait
moins ri s'il avait vu dans l'ange à tête de taureau
l'image du symbolisme obscur, et dans le glaive flam-
boyant et mobile ces éclairs de vérité mal conçue et
120 HISTOIRE DE LA MAGIE.

trompeuse, qui donnèrent tant de crédit après la chute


originelle à l'idolâtrie des nations.
L e glaive flamboyant représentait aussi cette lumière
que l'homme ne savait plus diriger et dont il subissait
les atteintes fatales au lieu d'en gouverner la puissance.
L e grand œuvre magique considéré d'une manière
absolue, c'est la conquête et la direction de l'épée flam-
boyante du chérub.
L e chérub c'est l'ange où l'âme de la terre représen-
tée toujours dans les anciens mystères sous la figure d'un
taureau.
C'est pour cela que dans les symboles mitthriaques,
on voit le maître de la lumière domptant le taureau ter-
restre et lui plongeant dans le flanc le glaive qui en fait
sortir la vie figurée par des gouttes de sang.
L a première conséquence du péché d'Eve, c'est la mort
d'Abel. En séparant l'amour de l'intelligence, Eve l'a sé-
paré de la force ; la force, devenue aveugle et asservie aux
convoitises terrestres, devient jalouse de l'amour et le tue.
Puis les enfants deCaïn perpétuent le crime de leur père.
Us mettent au monde des filles fatalement belles, des filles
sans amour, nées pour la damnation des anges et pour le
scandale des descendants de Seth.
Après le déluge et à la suite de cette prévarication
d e C h a m , dont nous avons déjà indiqué le mystère, les
enfants des hommes veulent réaliser un projet insensé:
ils veulent construire un pantacle et un palais universel.
C'est un gigantesque essai de socialisme égalitaire, et le
phalanstère de Fourier est une conception bien chétive
auprès de la tour de Babel. C'était un essai de protesta-
tion contre la hiérarchie de la science, une citadelle éle-
SYMBOLISME P R I M I T I F DE L'HISTOIRH. 121

vée contre les inondations et la foudre, un promontoire


du haut duquel la tête du peuple divinisé planerait sur
l'atmosphère et sur les tempêtes. Mais on ne monte pas
à la science sur des escaliers de pierre; les degrés hié-
rarchiques de l'esprit ne se bâtissent pas avec du mortier
comme les étages d'une tour. L'anarchie protesta contre
cette hiérarchie matérialisée. Les hommes ne s'entendi-
rent plus, leçon fatale, si mal comprise par ceux qui de
nosjours ont rêvé une autre Babel. Aux doctrines bruta-
lement et matériellement hiérarchiques, répondent les
négations égalitaires : toutes les fois que le genre humain
se bâtira une tour, on s'en disputera le sommet, et la
tendance des multitudes sera d'en déserter la base. Pour
satisfaire toutes les ambitions, en rendant le sommet plus
large que la base, il faudrait faire une tour branlante au
vent qui tomberait au moindre choc.
La dispersion des hommes fut le premier effet de la
malédiction portée contre les profanateurs enfants de
Cham. Mais la race de Chanaan porta d'une manière
toute particulière le poids de cette malédiction qui devait
vouer plus tard leur postérité à l'anathème.
La chasteté conservatrice de la famille est le caractère
distinctif des initiations hiérarchiques ; la profanation et
la révolte sont toujours obscènes et tendent à la promis-
cuité infanticide. La souillure des mystères de la naissance,
l'attentat contre les enfants, étaient le fond des cultes de
l'ancienne Palestine abandonnée aux rites horribles de
la magie noire. Le dieu noir de l'Inde, le monstrueux
Rutrem aux formes priapesques, y régnait sous le nom de
Belphégor.
Les talmudistes et le juif platonicien Philon racontent
122 HISTOIRE DE L A MAGIE.

des choses si honteuses du culte de cette idole qu'elles


ont semblé incroyables au savant jurisconsulte Seldenus.
C'était, disent-ils, une idole barbue à la bouche béante,
ayant pour langue un gigantesque phallus; on se décou-
vrait sans pudeur devant ce visage et on lui présentait
des offrandes stercoraires. Les idoles de Moloch et de
Chamos étaient des machines meurtrières qui tantôt
broyaient contre leur poitrine de bronze, tantôt consu-
maient dans leurs bras rougis au feu de malheureux pe-
tits enfants. On dansait au bruit des trompettes et des
tambourins pour ne pas entendre les cris des victimes et
les mères conduisaient la danse. L'inceste, la sodomie et
la bestialité étaient des usages reçus chez ces peuples
infâmes et faisaient même partie des rites sacrés.
Conséquence fatale des harmonies universelles ! on ne
forfait pas impunément à la vérité. L'homme révolté
contre Dieu est poussé malgré lui à l'outrage de la na-
ture. Aussi les mêmes causes produisant toujours les
mêmes effets, le sabbat des sorciers au moyen-âge n'était
qu'une répétition des fêtes de Chamos et de Belphégor.
C'est contre ces crimes qu'un arrêt de mort éternel est
porté par la nature elle-même. Les adorateurs des dieux
noirs, les apôtres de la promiscuité, les théoriciens d'im-
pudeur publique, les ennemis de la famille et de la hié-
rarchie, les anarchistes en religion et en politique sont
des ennemis de Dieu et de l'humanité; ne pas les sépa-
rer du monde, c'est consentir à l'empoisonnement du
monde : ainsi raisonnaient les inquisiteurs. Nous sommes
loin de regretter les cruelles exécutions du moyen âge et
d'en désirer le retour. A mesure que la société devien-
dra plus chrétienne, elle comprendra de mieux en mieux
SYMBOLISME PRIMITIF DE L'HISTOIRE. 123

qu'il faut soigner les malades et non pas les faire mou-
rir. Les instincts criminels ne sont-ils pas les plus affreu-
ses de toutes les maladies mentales?
N'oublions pas que la haute magie se nomme l'art sa-
cerdotal et Y art royal; elle dut partager en Egypte, en
Grèce et à Rome, les grandeurs et les décadences du
sacerdoce et de la royauté. Toute philosophie ennemie
du culte et de ses mystères est fatalement hostile aux
grands pouvoirs politiques, qui perdent leur grandeur s'ils
cessent, aux yeux des multitudes, d'être les images de la
puissance divine. Toute couronne se brise lorsqu'elle se
heurte contre la tiare.
Dérober le feu du ciel et détrôner les dieux, c'est le
rêve éternel de Prométhée ; et le Prométhée populaire
détaché du Caucase par Hercule, qui symbolise le tra-
vail, emportera toujours avec lui ses clous et ses chaînes;
il traînera toujours son vautour immortel suspendu à sa
plaie béante, tant qu'il ne viendra pas apprendre l'obéis-
sance et la résignation aux pieds de celui qui, étant né roi
des rois et Dieu des dieux, a voulu avoir à son tour les
mains cloués et la poitrine ouverte pour la conversion
de tous les esprits rebelles.
Les institutions républicaines, en ouvrant à l'intrigue
la carrière du pouvoir, ébranlèrent fortement les princi-
pes de la hiérachie. Le soin de former des rois ne fut plus
confié au sacerdoce, et l'on y suppléa soit par l'hérédité
qui livre le trône aux chances inégales de la naissance,
soit par l'élection populaire, qui laisse en dehors l'influence
religieuse, pour constituer la monarchie suivant des prin-
cipes républicains. Ainsi se formèrent les gouvernements
qui présidèrent tour à tour aux triomphes et aux abaisse-
iVfl HISTOIRE DE LA MAGIE.

mentsdes États de la Grèce et de Rome. La science ren-


fermée dans les sanctuaires fut alors négligée, et des
hommes d'audace ou de génie, que les initiateurs n'ac-
cueillaient pas, inventèrent une science qu'ils opposèrent
à celle des prêtres, ou opposèrent aux secrets du temple
le doute et la dénégation. Ges philosophes, à la suite de
leur imagination aventureuse, arrivèrent vite à l'absurde
et s'en prirent à la nature des défauts de leurs propres
systèmes. Heraclite se prit à pleurer ; Démocrite prit
le parti de rire, et ils étaient aussi fous l'un que l'autre.
Pyrrhon finira par ne croire à rien, ce qui ne sera pas de
nature à le dédommager de ne rien savoir. Dans ce chaos
philosophique, Socrate apporta un peu de lumière et de
bon sens en affirmant l'existence pure et simple de la
morale. Mais qu'esi-ce-qulune morale sans religion ? Le
déisme abstrait de Stjîcrate se traduisait pour le peuple
par l'athéisme ; Socrate manquait absolument de dogme,
Platon son disciple essaya de lui en donner un auquel
Socrate avouait n'avoir jamais songé.

L a doctrine de Platon fait époque, dans l'histoire du


génie humain, mais ce philosophe ne l'avait pas inventée,
et, comprenant qu'il n'y a pas de vérité en dehors de la
religion, il alla consulter les prêtres de Memphis et se fit
initier à leurs mystères. On croit même qu'il eut connais-
sance des livres sacrés des hébreux. 11 ne put toutefois
recevoir en Egypte qu'une initiation imparfaite, car les
prêtres eux-mêmes avaient oublié alors le sens des hié-
roglyphes primitifs. Nous en avons la preuve dans l'his-
toire du prêtre qui passa trois jours à déchiffrer une
inscription hiératique trouvée dans le tombeau d'Alcmène,
et envoyée par Agésilas, roi de Sparte. Cornuphis, qui
JY Vili. I /26.

Le Sceau de Cagliostro,le Sceau de la Junon Sa mienne,


le Sceau Apocalyptique et les douze Sceaux de la pierre cubiq '
ue

autour de la Clé du Tarot.


SYMBOLISME PRIMITIF DE L'HISTOIRE. 125

était sans doute le plus savant des hiérophantes, consulta


tous les anciens recueils de signes et de caractères, et
découvrit enfin que cette inscription était faite en carac-
tères de prothée; or le prothée était le nom qu'on donnait
en Grèce au livre de ïhoth, dont les hiéroglyphes mo-
biles pouvaient prendre autant de formes qu'il y a de
combinaisons possibles au moyen des caractères, des
nombres, et des figures élémentaires. Mais le livre de
Thoth étant la clef des oracles et le livre élémentaire de
la science, comment Cornuphis, s'il était vraiment instruit
dans l'art sacerdotal, avait-il dû chercher si longtemps
avant d'en reconnaître les signes? Une autre preuve de
l'obscurcissement des vérités premières de la science à
cette époque, c'est que les oracles s'en plaignaient dans
un style qui n'était déjà plus compris.
Lorsque Platon, à son retour d'Egypte, voyageait
avec Simmias près des confins de la Carie, il rencontra
des hommes de Délos qui le prièrent de leur expliquer
un oracle d'Apollon. Cet oracle disait que pour faire ces-
ser les maux de la Grèce il fallait doubler la pierre cubi-
que. Les Déliens avaient donc essayé de doubler une
pierre cubique qui se trouvait dans le temple d'Apollon.
Mais en la doublant de tous côtés ils n'étaient parvenus
qu'à faire un polyèdre à vingt-cinq faces, et pour revenir
à la forme cubique ils avaient dû augmenter vingt-six
fois, et en le doublant toujours, le volume primitif de la
pierre. Platon renvoya les émissaires déliens au mathé-
maticien Eudoxe, et leur dit que l'oracle leur conseillait
l'étude de la géométrie. Ne comprit-il pas lui-même le
sens profond de cette figure, ou ne daigna-t-il pas l'ex-
pliquer à ces ignorants, c'est ce que nous ne saurions
126 HISTOIRE DE LA MAGIE.

dire. Mais ce qui est certain, c'est que la pierre cubique


et sa multiplication expliquent tous les secrets des nom-
bres sacrés, et surtout celui du mouvement perpétuel
caché par les adeptes et cherché par les sots sous le nom
de quadrature du cercle. Par cette agglomération cubi-
que de vingt-six cubes autour d'un cube central, l'oracle
avait fait trouver aux Déliens non-seulement les éléments
de la géométrie mais encore la clef des harmonies de la
création expliquées par l'enchaînement des formes et des
nombres. L e plan de tous les grands temples allégori-
ques de l'antiquité se retrouve dans cette multiplica-
tion, du cube par la croix d'abord autour de laquelle on
peut décrire un cercle, puis la croix cubique qui peut se
mouvoir dans un globe. Toutes ces notions qu'une figure
fera mieux comprendre, ont été conservées jusqu'à nos
jours dans les initiations maçonniques, et justifient parfai-
tement le nom donné aux associations modernes, car elles
sont aussi les principes fondamentaux de l'architecture
et de la science du bâtiment.
Les Déliens avaient cru résoudre la question géomé-
trique en diminuant de moitié leur multiplication, mais
ils avaient encore trouvé huit fois le volume de leur pierre
cubique. On peut du reste, augmenter à plaisir le nom-
bre de leurs essais : car cette histoire i/est peut-être au-
tre chose qu'un problème proposé par Platon lui-même à
ses disciples. S'il faut admettre comme un fait la réponse
de l'oracle, nous y trouverons un sens plus étendu e n -
core, car doubler la pierre cubique c'est faire sortir le
binaire de l'unité, la forme de l'idée, l'action d e l à pen-
sée. C'est réaliser dans le monde l'exactitude des mathé-
matiques éternelles, c'est établir la politique sur la base
SYMBOLISME PRIMITIF DE L'HISTOIRE. 127

des sciences exactes, c'est conformer le dogme religieux


à la philosophie des nombres.
Platon a moins de profondeur mais plus d'éloquence
que Pythagore. Il essaye de concilier la philosophie des
raisonneurs avec les dogmes immuables des voyants ; il
ne veut pas vulgariser, il veut reconstituer la science.
Aussi sa philosophie devait-elle fournir plus tard au chris-
tianisme naissant des théories toutes prêtes et des dogmes
à vivifier.
Toutefois, bien qu'il fondât ses théorèmes sur les ma-
thématiques, Platon, abondant en formes harmonieuses
et prodigue de merveilleuses hypothèses, fut plus poëte
que géomètre. Un génie exclusivement calculateur,
Aristote, devait tout remettre en question dans les écoles,
et tout soumettre aux épreuves des évolutions numérales
et de la logique des calculs. Aristote, excluant la foi pla-
tonicienne, veut tout prouver et tout renfermer dans ses
catégories ; il traduit le ternaire en syllogisme et le bi-
naire en enthymème. La chaîne des êtres pour lui devient
un sorite. Il veut tout abstraire, tout raisonner ; l'Être
même devient pour lui une abstraction perdue dans les
hypothèses de l'ontologie. Platon inspirera les Pères de
l'Église,. Aristote sera le maître des scolastiques du moyen
âge, et Dieu sait combien s'amasseront de ténèbres au-
tour de cette logique qui ne croit à rien et qui prétend
tout expliquer. Une seconde Babel se prépare, et la con-
fusion des langues n'est pas loin.
L'Être est l'Être, la raison de l'Être est dans l'Être.
Dans le principe est le Verbe et le Verbe (Xoyo;) est la
logique formulée en parole, la raison parlée ; le Verbe est
en Dieu et le Verbe est Dieu même manifesté à l'intelli-
128 HISTOIRE DE LA MAGIE.

gence. Voilà ce qui est au-dessus de toutes les philoso-


phies. Voilà ce qu'il faut croire sous peine de ne jamais
rien savoir et de retomber dans le doute absurde de
Pyrrhon. L e sacerdoce gardien de la foi repose tout
entier sur cette base de la science, et c'est dans son en-
seignement qu'il faut saluer le principe divin du Verbe
éternel.

C H A P I T R E I I .

LE MYSTICISME.

S O M M A I R E . — Origine et effets du mysticisme. — Il matérialise les signes


sous prétexte de spirilualiser la matière. — Il se concilie avec tous les
vices ; il persécute les sages ; il est contagieux. — Apparitions, pro-
diges infernaux. — Fanatisme des sectaires. — Magie noire à l'aide
des mots et des signes inconnus. — Phénomènes des maladies hysté-
riques. — Théorie des hallucinations.

L a légitimité de droit divin appartient tellement au


sacerdoce que sans elle le vrai sacerdoce n'existe pas.
L'initiation et la consécration sont une véritable hérédité.
Ainsi le sanctuaire est inviolable pour les profanes et
ne peut être envahi par les sectaires.
Ainsi les lumières de la révélation divine se distri-
buent avec une suprême raison, parce qu'elles descendent
avec ordre et harmonie. Dieu n'éclaire pas le monde
avec des météores et des foudres, mais il fait graviter pai-
siblement les univers chacun autour de son soleil.
Cette harmonie tourmente certaines âmes impatientes
du devoir, et viennent des hommes qui ne pouvant forcer
SYMBOLES TYPHONIENS
Types Egyptiens de la Goëtie
et de la Nécromancie.
LE MYSTICISME. 129

la révélation à s'accorder avec leurs vices, se posent en


réformateurs de la morale. « Si Dieu a parlé, disent-ils,
comme Rousseau, pourquoi n'en ai-je rien e n t e n d u ? » —
Bientôt ils ajoutent : « Il a parlé, mais c'est à moi; » ils
l'ont rêvé, et ils finissent par le croire. Ainsi commencent
les sectaires, ces fauteurs d'anarchie religieuse que nous
ne voudrions pas voir livrer aux flammes, mais qu'il
faudrait enfermer comme des fous contagieux.
Ainsi se formèrent les écoles mystiques profanatrices
de la science. Nous avons vu par quels procédés les fa-
kirs de l'Inde arrivaient par des éréthismes nerveux et
des congestions cérébrales à ce qu'ils appelaient la
lumière incréée. L'Egypte eut aussi ses sorciers et ses
enchanteurs, et la Thessalie en Grèce fut pleine de conju-
rations et de maléfices. Se mettre directement en rap-
port,avec les démons et les dieux,, c'est supprimer le
sacerdoce, c'est renverser la M s e ' d u trône; l'instinct
anarchiquedes prétendus illuminés le savait bien. Aussi
est-ce par l'attrait de la licence qu'ils espéraient recru-
ter des disciples, et ils donnaient d'avance l'absolution
à tous les scandales des mœurs, se contentant de la rigi-
dité dans la révolte et de l'énergie dans la protestation
contre la légitimité sacerdotale.
Les bacchantes qui déchirèrent Orphée se croyaient
inspirées d'un dieu, et sacrifièrent le grand hiérophante à
leur ivresse divinisée. Les orgies de Bacchus étaient des
excitations mystiques, et toujours les sectaires de la folie
procédèrent par mouvements déréglés, excitations fréné-
tiques et dégoûtantes convulsions ; depuis les prêtres
efféminés de Bacchus jusqu'aux gnostiques; depuis les
derviches tourneurs jusqu'aux épileptiques de la tombe
9
130 HISTOIRE DE L A MAGIE.

du diacre Paris, le caractère de l'exaltation superstitieuse


et fanatique est toujours le même.
C'est toujours sous prétexte d'épurer le dogme, c'est
* au nom d'un spiritualisme outré que les mystiques de
tous les temps ont matérialisé les signes du culte. Il en
est de même des profanateurs de la science des mages,
car la haute magie, ne l'oublions pas, c'est l'art sacer-
dotal primitif. Elle réprouve tout ce qui se fait en de-
hors de la hiérarchie légitime et applaudit non pas au
supplice, mais à la condamnation des sectaires et des
sorciers.
Nous rapprochons à dessein ces deux qualifications,
tous les sectaires ont été des évocateurs d'esprits et de
fantômes qu'ils donnaient au monde pour des dieux ; ils
se flattaient tous d'opérer des miracles à l'appui de leurs
mensonges. A ces titres donc ils étaient tous des goétiens,
c'est-à-dire de véritables opérateurs de magie noire.
L'anarchie étant le point de départ et le caractère
distinctif du mysticisme dissident, la concorde religieuse
est impossible entre sectaires, mais ils s'entendent à
merveille sur un point : c'est la haine de l'autorité hiérar-
chique et légitime. En cela donc consiste réellement leur
religion, puisque c'est le seul lien qui les rattache les
uns aux autres. C'est toujours le crime de Cham ; c'est le
mépris du principe de la famille, et l'outrage infligé au
père, dont tous les dissidents proclament hautement
l'ivresse, dont ils découvrent avec des rires sacrilèges la
nudité et le sommeil.
Les mystiques anarchistes confondent tous la lumière,
intellectuelle avec la lumière astrale ; ils adorent le ser-
pent au lieu de révérer la sagesse obéissante et pure qui
LE MYSTICISME. 131

• lui met le pied sur la tête. Aussi s'enivrent-ils de vertiges


et ne tardent-ils pas à tomber dans l'abîme de la folie.
Les fous sont tous des visionnaires et souvent ils peu-
vent se croire des thaumaturges, car l'hallucination étant
contagieuse, il se passe souvent ou il semble se passer
autour des fous des choses inexplicables. D'ailleurs les
phénomènes de la lumière astrale attirée ou projetée avec
excès, sont eux-mêmes de nature à déconcerter les demi-
savants. En s'accumulant dans les corps, elle leur donne,
par la distension violente des molécules, une telle élasti-
cité, que les os peuvent se tordre, les muscles s'allonger
outre mesure. Il se forme des tourbillons et comme des
trombes de cette lumière, qui soulèvent les corps les plus
pesants et peuvent les soutenir en l'air pendant un temps
proportionnel à la force de projection. Les malades se
sentent alors comme prêts d'éclater, et sollicitent des
secours par compression et percussion. Les coups les plus
violents et la compression la plus forte étant alors équi-
librés par la tension fluidique, ne font ni contusions ni
blessures, et soulagent le patient au lieu de l'étouffer.
Les fous prennent les médecins en horreur et les mys-
tiques hallucinés détestent les sages, ils les fuient d'abord,
ils les persécutent ensuite fatalement et malgré eux ; s'ils
sont doux et indulgents, c'est pour les vices ; la raison
soumise à l'autorité les trouve implacables : les sectaires en
apparence les plus doux sont pris de fureur et de haine,
lorsqu'on leur parle de soumission et de hiérarchie. Tou-
jours les hérésies ont occasionné des troubles. Si un faux
prophète ne pervertit pas, il faut qu'il tue. Us réclament
à grands cris la tolérance pour eux, mais ils se gardent
bien d'en faire usage envers les autres. Les protestants
132 HISTOIRE DE LA MAGIE.

déclamaient contre les bûchers de Rome à l'époque même


où Jean Calvin, de son autorité privée, faisait brûler
Michel Servet.
Ce sont les crimes des donatistes, des circoncellions et
de tant d'autres qui ont forcé les princes catholiques à
sévir, et l'Église même à leur abandonner les coupables.
N e dirait-on pas à entendre les gémissements de l'irréli-
gion que les vaudois, les albigeois et les hussites étaient
des agneaux? Étaient-ce des innocents que ces sombres
puritains d'Ecosse etd'Angleterre qui tenaient le poignard
d'une main et la Bible de l'autre en prêchant l'extermi-
nation des catholiques? Une seule église au milieu de
tant de représailles et d'horreurs à toujours posé et main-
tenu en principe son horreur du sang : c'est l'église
hiérarchique et légitime.
L'Église, en admettant la possibilité et l'existence des
miracles diaboliques, reconnaît l'existence d'une force
naturelle dont on peut se servir, soit pour le bien, soit
pour le mal. Aussi a-t-elle sagement décidé que si la
sainteté de la doctrine peut légitimer le miracle, le mira-
cle seul ne peut jamais autoriser les nouveautés de la
doctrine.
Dire que Dieu, dont les lois sont parfaites et ne se dé-
mentent, jamais, se sert d'un moyen naturel pour opérer
les choses qui nous semblent surnaturelles, c'est affirmer
la raison suprême et le pouvoir immuable de Dieu, c'est
agrandir l'idée que nous avons de sa providence ; ce
n'est point nier son intervention dans les merveilles qui
s'opèrent en faveur de la vérité, que les catholiques sin-
cères le comprennent bien.
Les faux miracles occasionnés par les congestions as-
LE MYSTICISME. 133

traies ont toujours une tendance anarchique et immorale,


parce que le désordre appelle le désordre. Aussi les dieux
et les génies des sectaires sont-ils avides de sang et pro-
mettent-ils ordinairement leur protection âu prix du meur-
tre. Les idolâtres de la Syrie et de la Judée se faisaient
des oracles avec des têtes d'enfants qu'ils arrachaient vio-
lemment du corps de ces pauvres petites créatures. Ils
faisaient sécher ces têtes, et après leur avoir mis sous la
langue une lame d'or avec des caractères inconnus, ils les
plaçaient dans des creux pratiqués dans la muraille, leur
faisaient un corps de plantes magiques environnées de
bandelettes, allumaient une lampe devant ces affreuses
idoles, leur offraient de l'encens et venaient religieuse-
ment les consulter ; ils croyaient entendre parler cette
tête dont les derniers cris d'angoisse avaient sans doute
ébranlé leur imagination. D'ailleurs nous avons dit que
le sang attire les larves. Dans les sacrifices infernaux, les
anciens creusaient une fosse et la remplissaient de sang
tiède et fumant; ils voyaient alors ramper, monter, des-
cendre, accourir du creux de la terre, de toutes les profon-
deurs de la nuit, des ombres débiles et pâles. Ils traçaient
avec la pointe de l'épée sanglante le cercle des évoca-
tions, allumaient des feux de laurier, d'aulne et de cyprès
sur des autels couronnés d'asphodèle et de verveine, la
nuit alors semblait devenir plus froide et plus sombre, la
lune se cachait sous les nuages, et l'on entendait le faible
frôlement des fantômes qui se pressaient autour du
cercle pendant que les chiens hurlaient lamentablement
dans toute la campagne.
Pour tout pouvoir, il faut tout oser, tel était le principe
des enchantements et de leurs horreurs. Les faux magi-
13& HISTOIRE DE LA MAGIE.

tiens se liaient par le crime, et ils se croyaient capables


de faire peur aux autres quand ils étaient parvenus à
s'épouvanter eux-mêmes. Les rites de la magie noire sont
restés horribles comme les cultes impies qu'elle avait pro-
duits, soit dans les associations de malfaiteurs conspirant
contre les civilisations antiques, soit chez les peuplades
barbares. C'est toujours le même amour des ténèbres, ce
sont toujours les mêmes profanations, les mêmes pres-
criptions sanglantes. La magie anarchique est le culte de
mort. Le sorcier s'abandonne à la fatalité, il abjure sa
raison, il renonce à l'espérance de l'immortalité et il im-
mole des enfants. Il renonce au mariage honnête et fait
vœu de débauche stérile. A ces conditions il jouit de la
plénitude de sa folie, il s'enivre de sa méchanceté au
point de la croire toute-puissante, et transformant en réa-
lité ses hallucinations, il se croit maître d'évoquer à son
gré toute la tombe et tout l'eufer.

Les mots barbares et les signes inconnus ou même


absolument insignifiants sont les meilleurs en magie
noire. On s'halluciné mieux avec des pratiques ridicules
et des évocations imbéciles que par des rites ou des for-
mules capables de tenir l'intelligence en éveil. M. Du
Potet affirme avoir expérimenté la puissance de certains
signes sur les crisiaques, et les signes qu'il trace de sa
main dans son livre occulte, avec précaution et mystère,
sont analogues, sinon absolument semblables, aux préten-
dues signatures diaboliques qui se trouvent dans les an-
ciennes éditions du grand grimoire. Les mêmes causes
doivent produire toujours les mêmes effets, et il n'y a
rien de nouveau sous la lune des sorciers, non plus que
sous le soleil des sages.
LE MYSTICISME. 135

L'état d'hallucination permanent est une mort ou une


abdication de la conscience ; on est alors livré à tous les
hasards de la fatalité des rêves. Chaque souvenir apporte
son reflet, chaque mauvais désir crée une image, chaque
remords enfante un cauchemar. La vie devient celle d'un
animal, mais d'un animal ombrageux et tourmenté. On
n'a plus conscience ni de la morale ni du temps. Les réa-
lités n'existent plus, tout danse dans le tourbillon des
formes les plus insensées. Une heure semble parfois
durer des siècles ; des années peuvent passer avec la ra-
pidité d'une heure.
Notre cerveau, tout phosphorescent de lumière as-
trale, est plein de reflets et de figures sans nombre. Quand
nous fermons les yeux, il nous semble souvent qu'un
panorama tantôt brillant, tantôt sombre et terrible, se
déroule sous notre paupière. Un malade atteint de la
fièvre ferme à peine les yeux pendant la nuit, qu'il est
ébloui souvent par une insupportable clarté. Notre sys-
tème nerveux, qui est un appareil électrique complet,
concentre la lumière dans le cerveau, qui est le pôle
négatif de l'appareil, ou la projette par les extrémités
qui sont les pointes destinées à remettre en circulation
notre fluide vital. Quand le cerveau attire violemment
une série d'images analogues à une passion qui a rompu
l'équilibre de la machine, l'échange de lumière ne se fait
plus, la respiration astrale s'arrête et la lumière dévoyée
se coagule en quelque sorte dans le cerveau. Aussi les
hallucinés ont-ils les sensations les plus fausses et les
plus perverses. Il en est qui trouvent de la jouissance à
se découper la peau en lanières et à s'écorcher lente-
ment, d'autres mangent et savourent les substances les
J 36 HISTOIRE DE LA MAGIE.

moins faites pour servir de nourriture. M. le docteur


Brierre de Boismont, dans son savant Traité des halluci-
nations ( 1 ) , a rassemblé plusieurs séries d'observations
excessivement curieuses ; tous les excès de la vie, soit
en bien mal compris, soit en mal non combattu, peuvent
exalter le cerveau et y produire des stagnations de lu-
mière. L'ambition excessive, les prétentions orgueilleuses
à la sainteté, une continence pleine de scrupules et de
désirs, des passions honteuses satisfaites malgré les
avertissements réitérés du remords : tout cela conduit à
l'évanouissement de la raison, à l'extase morbide, à
l'hystérie, aux visions, à la folie. Un homme n'est pas
fou, remarque le savant docteur, parce qu'il a des vi-
sions, mais parce qu'il croit plus à ses visions qu'au sens
commun. C'est donc l'obéissance et l'autorité seules qui
peuvent sauver les mystiques; s'ils ont en eux-mêmes une
confiance obstinée, il n'y a plus de remède, ils sont déjà
les excommuniés de la raison et de la foi : ce sont les
aliénés de la charité universelle. Us se croient plus sages
que la société; ils croient former une religion, et ils sont
seuls ; ils pensent avoir dérobé pour leur usage personnel
les clefs secrètes de la vie, et leur intelligence est déjà
tombée dans la mort.

(1) Brierre de Boismont, Des hallucinations, ou histoire raisonnée


des apparitions, des visions, des songes, de l'extase, du magnétisme et
du somnambulisme, 2 édition, 1852, 1 vol. in-8.
e
INITIATIONS ET ÉPREUVES.

CHAPITRE III.
INITIATIONS ET ÉPREUVES.

S O M M A I R E . — La doctrine secrète de Platon. — Théosophie et théurgie.


— L'antre de Trophonius. — Origines des fables de l'Achéron et du
Ténare. — Le tableau symbolique de Cébès. — Les doctrines ultra-
mondaines du Phédon. — La sépulture des morts. — Sacrifices pour
apaiser les mânes.

Ce que les adeptes nomment le grand œuvre n'est pas


seulement la transmutation des métaux, c'est aussi et
surtout la médecine universelle, c'est-à-dire le remède à
tous les maux, y compris la mort.
L'œuvre qui crée la médecine universelle, c'est la
régénération morale de l'homme. C'est cette seconde
naissance dont parlait le Sauveur au docteur de la loi,
Nikodémos, qui ne le comprenait pas, et Jésus lui disait :
« Quoi, vous êtes maître en Israël et vous ignorez ce
mystère! » comme s'il voulait lui faire entendre qu'il
s'agissait des principes fondamentaux de la science reli-
gieuse, et qu'il n'était pas permis à un maître de les
ignorer.
Le grand mystère de la vie et de ses épreuves est
représenté dans la sphère céleste et dans le cycle de
l'année. Les quatre formes du sphinx correspondent aux
quatre éléments et aux quatre saisons. Les figures sym-
boliques du bouclier d'Achille, dans Homère, ont une
signification analogue à celle des douze travaux d'Her-
cule. Achille doit mourir comme Hercule, après avoir
vaincu les éléments et combattu contre les dieux. Her-
cule, victorieux de tous les vices figurés par les monstres
138 HISTOIRE DE LA MAGIE.

qu'il doit combattre, succombe un instant au plus dan-


gereux de tous, à l'amour ; mais il arrache enfin de sa
poitrine, avec des lambeaux de sa chair, la tunique brû-
lante de Déjanire ; il la laisse coupable et vaincue ; il
meurt affranchi et immortel.
Tout homme qui pense est un OEdipe appelé à deviner
l'énigme du sphinx ou à mourir. Tout initié doit être un
Hercule accomplissant le cycle d'une grande année de
travaux et méritant, par les sacrifices du coeur et de la
vie, les triomphes de l'apothéose.
Orphée n'est roi de la lyre et des sacrifices qu'après
avoir tour à tour conquis et su perdre Eurydice. Om-
phale et Déjanire sont jalouses d'Hercule : l'une veut
l'avilir, l'autre cède aux conseils d'une lâche rivale qui
la pousse à empoisonner le libérateur du monde ; mais
elle va le guérir d'un empoisonnement bien autrement
funeste, celui de son indigne amour. La flamme du
bûcher va purifier ce cœur trop faible ; Hercule expire
dans toute sa force et peut s'asseoir victorieux près du
trône de Jupiter !
Jacob, avant d'être le grand patriarche d'Israël, avait
combattu pendant toute une longue nuit contre un ange.
L ' É P R E U V E , tel est le grand mot de la vie : la vie est
un serpent qui s'enfante et se dévore sans cesse ; il faut
échapper à ses étreintes et lui mettre le pied sur la tête.
Hermès, en le multipliant, l'oppose à lui-même, et dans
un équilibre éternel il en fait le talisman de son pouvoir
et la gloire de son caducée.
Les grandes épreuves de Memphis et d'Eleusis avaient
pour but de former des rois et des prêtres, en confiant
la science à des hommes courageux et forts. Il fallait,
INITIATIONS ET ÉPREUVES. 139

pour être admis à ces épreuves, se livrer corps et âme


au sacerdoce et faire l'abandon de sa vie. On descendait
alors dans des souterrains obscurs où il fallait traverser
tour à tour des bûchers allumés, des courants d'eau pro-
fonde et rapide, des ponts mobiles jetés sur des abîmes,
et cela sans laisser éteindre et s'échapper une lampe
qu'on tenait à la main. Celui qui chancelait ou qui avait
peur ne devait jamais revoir la lumière ; celui qui fran-
chissait avec intrépidité tous les obstacles était reçu parmi
les mystes, c'est-à-dire qu'on l'initiait aux petits mystères.
Mais il restait à éprouver sa fidélité et son silence, et ce
n'était qu'au bout de plusieurs années qu'il devenait
épople, titre qui correspond à celui d'adepte.
La philosophie, rivale du sacerdoce, imita ces prati-
ques et soumit ses disciples à des épreuves. Pythagore
exigeait le silence et l'abstinence pendant cinq ans :
Platon n'admettait dans son école que des géomètres et
des musiciens, il réservait d'ailleurs une partie de son
enseignement pour les initiés et sa philosophie avait ses
mystères. C'est ainsi qu'il fait créer le monde par les
démons, et qu'il fait sortir tous les animaux de l'homme.
Les démons de Platon ne sont autres que les Eloïm de
Moïse, c'est-à-dire les forces par le concours et l'har-
monie desquelles le principe suprême a créé. En disant
que les animaux sortent de l'homme, il veut dire que les
animaux sont l'analyse de la forme vivante dont l'homme
est la synthèse. C'est Platon qui le premier a proclamé
la divinité du verbe, c'est-à-dire de la parole, et ce verbe
créateur, il semble en pressentir l'incarnation prochaine
sur la terre ; il annonce les souffrances et le supplice du
juste parfait, réprouvé par l'iniquité du monde.
l/(0 HISTOIRE DE LÀ MAGIE.

Cette philosophie sublime du verbe appartient à la pure


kabbale, et Platon ne l'a point inventée. 11 ne le cache
pas d'ailleurs et déclare hautement qu'en aucune science
il ne faut jamais recevoir que ce qui s'accorde avec les vé-
rités éternelles et avec les oracles de Dieu. Dacier, a qui
nous empruntons cette citation, ajoute q u e , « par ces
vérités éternelles, Platon entend une ancienne tradition,
qu'il prétend que les premiers hommes avaient reçue de
Dieu et qu'ils avaient transmise à leurs descendants. »
Certes, à moins de nommer positivement la kabbale, on
ne saurait être plus clair. C'est la définition au lieu du
nom : c'est quelque chose de plus précis en quelque ma-
nière que le nom même.
« Ce ne sont pas les livres, dit encore Platon, qui don-
nent ces hautes connaissances; il faut les puiser en soi-
même par une profonde méditation et chercher le feu
sacré dans sa propre source.... C'est pourquoi je n'ai
jamais rien écrit de ces révélations et je n'en parlerai
jamais.
» Tout homme qui entreprendra de les rendre vul-
gaires ne l'entreprendra jamais qu'inutilement, et tout le
fruit qu'il tirera de son travail, c'est qu'excepté un petit
nombre d'hommes à qui Dieu a donné assez d'intelli-
gence pour voir en eux-mêmes ces vérités célestes, il
donnera aux uns du mépris pour elles, et remplira les
autres d'une vaine et téméraire confiance, comme s'ils
savaient des choses merveilleuses qu'ils ne savent pour-
tant pas ( 1 ) . »

(1) Dacier, la Doctrine de Platon {Bibliothèque des anciens philo-


sophes), t. I I I , p. 8 1 .
INITIATIONS ET ÉPREUVES.

Il écrit à Denys le Jeune :


« Il faut que je déclare à Archédémus ce qui est beau-
coup plus précieux et plus divin et ce que vous avez
grande envie de savoir, puisque vous me l'avez envoyé
exprès ; car, selon ce qu'il m'a dit, vous ne croyez pas
que je vous aie suffisamment expliqué ce que je pense
sur la nature du premier principe; il faut vous l'écrire
par énigmes, afin que si ma lettre est interceptée sur
terre ou sur mer, celui qui la lira n'y puisse rien com-
prendre.
» Toutes choses sont autour de leur roi, elles sont à
cause de lui, et il est seul la cause des bonnes choses;
second pour, les secondes et troisième pour les troi-
sièmes ( 1 ) . »
Il y a dans ce peu de paroles un résumé complet de
la théologie des séphirots. Le roi, c'est Ensoph, l'être
suprême et absolu. Tout rayonne de ce centre qui est
partout, mais que nous concevons surtout de trois ma-
nières et dans trois sphères différentes. Dans le monde
divin, qui est celui de la première cause, il est unique et
premier. Dans le monde de la science qui est celui des
causes secondes, l'influence du premier principe se fait
sentir, mais on ne le conçoit plus que comme la première
des causes secondes; il s'y manifeste par le binaire, c'est
le principe créateur passif. Enfin, dans le troisième
monde, qui est celui des formes, il se révèle comme la
forme parfaite, le verbe incarné, la beauté et la bonté
suprêmes, la perfection créée ; il est donc à la fois le
premier, le second et le troisième, puisqu'il est tout en

( 1 ) DACIER, loco çMaio,\, I I I , P.


142 HISTOIRE DE LA MAGIE.

tout, le centre et la cause de tout. N'admirons point ici


le génie de Platon, reconnaissons seulement la science
exacte de l'initié.
Qu'on ne nous dise plus que notre grand apôtre saint
Jean a emprunté à la philosophie de Platon le début de
son évangile. G'est Platon, au contraire, qui avait puisé
aux mêmes sources que saint Jean ; mais il n'avait pas
reçu l'esprit qui vivifie. L a philosophie du plus grand
des révélateurs humains pouvait aspirer au verbe fait
homme : l'Évangile seul pouvait le donner au monde.
L a kabbale enseignée aux Grecs par Platon prit plus
tard le nom de théosophie et embrassa dans la suite le
dogme magique tout entier. Ce fut à cet ensemble de
doctrine occulte que se rattachèrent successivement
toutes les découvertes des chercheurs. On voulut passer
de la théorie à la pratique et réaliser la parole par les
œuvres ; les dangereuses expériences de la divination
apprirent à la science comment on peut se passer du sa-
cerdoce, le sanctuaire était trahi et des hommes sans
mission osaient faire parler les dieux. G'est pour cela
que la théurgie partagea les anathèmes de la magie noire
et fut soupçonnée d'en imiter les crimes, parce qu'elle ne
pouvait se défendre d'en partager l'impiété. On ne sou-
lève pas impunément le voile d'Isis, et la curiosité est un
blasphème contre la foi, lorsqu'il s'agit des choses di-
vines. « Heureux ceux qui croiront sans avoir vu, nous
a dit le grand révélateur. »
Les expériences de la théurgie et de la nécromancie
sont toujours funestes à ceux qui s'y abandonnent. Lors-
qu'on a une fois mis le pied sur le seuil de l'autre monde,
il faut mourir et presque toujours d'une manière étrange
INITIATIONS ET ÉPREUVES. lZ|â

et terrible. L e vertige commence, la catalepsie et la folie


achèvent. Il est certain qu'en présence de certaines per-
sonnes et après une série d'actes enivrants, une pertur-
bation se fait dans l'atmosphère, les boiseries craquent,
les portes tremblent et gémissent. Des signes bizarres
et quelquefois sanglants semblent s'imprimer d'eux-
mêmes sur du parchemin vierge ou sur des linges. Ces
signes sont toujours les mêmes et les magistes les classi-
fient sous le nom d'écritures diaboliques. L a seule vue de
ces caractères fait retomber les crisiaques en convulsion
ou en extase ; ils croient alors voir les esprits, et Satan,
c'est-à-dire le génie de l'erreur, se transfigure pour eux
en ange de lumière. Ces prétendus esprits demandent
pour se montrer des excitations sympathiques produites
par le rapprochement des sexes, il faut mettre les mains
dans les mains, les pieds sur les pieds, il faut se souffler
au visage, et souvent suivent des extases obscènes. Les
initiés se passionnent pour ce genre d'ivresse, ils se
croient les élus de Dieu et les interprètes du ciel, ils trai-
tent de fanatisme l'obéissance à la hiérarchie. Ce sont les
successeurs de la race caïnique de l'Inde. Ce sont des
hatchichims et des faquirs. Les avertissements ne les
éclaireront pas et ils périront parce qu'ils ont voulu
périr.

Les prêtres de la Grèce, pour guérir de semblables


malades, employaient une sorte d'homœopathie; ils les
terrifiaient en exagérant le mal même dans une seule
crise et les faisaient dormir dans la caverne de Tropho-
nius. On se préparait à ce sommeil par des jeûnes, des
lustrations et des veilles, puis on descendait dans le sou-
terrain et on y était laissé et enfermé sans lumière. Des
lllll HISTOIRE DE L A MAGIE.

gaz enivrants, assez semblables à ceux de la grotte du


Chien qu'on voit près de Naples, s'exhalaient dans cette
caverne et ne tardaient pas à terrasser le visionnaire ; il
avait alors d'épouvantables rêves causés par un com-
mencement d'asphyxie ; on venait à temps le secourir et
on l'emportait tout palpitant, tout pâle et les cheveux
hérissés sur un trépied où il prophétisait avant de s'é-
veiller entièrement. Ces sortes d'épreuves causaient un
tel ébranlement dans le système nerveux, que les crisia-
ques ne s'en souvenaient pas sans frissonner et n'osaient
plus jamais parler d'évocations et de fantômes. Il en est
qui depuis ne purent jamais s'égayer ni sourire ; et l'im-
pression générale était si triste, qu'elle passa en pro-
verbe et qu'on disait d'une personne dont le front ne se
déridait pas : « Elle a dormi clans la caverne de Tropho-
nius. »
Ce n'est pas dans les livres des philosophes, c'est dans
le symbolisme religieux des anciens qu'il faut chercher
les traces de la science et en retrouver les mystères. Les
prêtres d'Egypte connaissaient mieux que nous les lois
du mouvement et de la vie. Us savaient tempérer ou
affermir l'action par la réaction, et prévoyaient facilement
la réalisation des effets dont ils avaient posé la cause.
Les colonnes de Seth, d'Hermès, de Salomon, d'Her-
cule ont symbolisé dans les traditions magiques cette
loi universelle de l'équilibre; et la science de l'équi-
libre avait conduit les initiés à celle de la gravitation
universelle autour des centres de vie, de chaleur et de
lumière. Aussi dans les calendriers sacrés des Égyptiens
dont chaque mois était, comme on sait, placé sous la
protection de trois décans ou génies de dix jours, le
INITIATIONS ET ÉPREUVES. l/l5

premier décan du signe du lion est-il représenté par une


tête humaine à sept rayons avec une grande queue de
scorpion et le signe du Sagittaire sous le menton. Au-
dessous de cette tête est le nom de IAO ; on appelait cette
figure khnoubis, mot égyptien qui signifie or et lumière.
Thaïes et Pythagore apprirent dans les sanctuaires de
l'Egypte que la terre tourne autour du soleil, mais ils ne
cherchèrent pas à répandre cette connaissance, parce
qu'il eût fallu révéler pour cela un des grands secrets du
temple, la double loi d'attraction et de rayonnement de
fixité et de mouvement qui est le principe de la création
et la cause perpétuelle de la vie. Aussi l'écrivain chré-
tien, Lactance, qui avait entendu parler de cette tradition
magique et de l'effet sans la cause, se moque-t-il fort de
ces théurgistes rêveurs qui font tourner la terre et nous
donnent des antipodes, lesquels, suivant lui, devaient
avoir, pendant que nous marcherions la tête haute, les
pieds en haut et la tête en bas. D'ailleurs, ajoute naïve-
ment Lactance avec toute la logique des ignorants et des
enfants, de pareils hommes ne tiendraient pas à terre et
tomberaient la tête la première dans le ciel inférieur.
Ainsi raisonnaient les philosophes pendant que les prê-
tres, sans leur répondre et sans sourire même de leurs
erreurs, écrivaient en hiéroglyphes créateurs de tous les
dogmes et de toutes les poésies, les secrets de la vérité.

Dans leur description allégorique des enfers, les hié-


rophantes grecs avaient caché les grands secrets de la
magie. On y trouve quatre fleuves, comme dans le pa-
radis terrestre, plus un cinquième qui serpente sept fois
entre les autres. Un fleuve de douleurs et de gémisse-
ments, le Gocyte, et un fleuve d'oubli, le Lé thé, puis un
10
146 HISTOIRE DE L A MAGIE.

fleuve d'eau rapide, irrésistible, qui entraîne tout et qui


roule en sens contraire avec un fleuve de feu. Ces deux
fleuves mystérieux, l'Achéron et le Phlégéton, dont l'eau
représente le fluide négatif et l'autre le fluide positif,
tournent éternellement l'un dans l'autre. L e Phlégéton
échauffe et fait fumer les eaux froides et noires de l'Aché-
ron et l'Achéron couvre d'épaisses vapeurs les flammes
liquides du Phlégéton. De ces vapeurs sortent par milliers
des larves et des lémures, images vaines des corps qui
ont vécu et de ceux qui ne vivent pas encore ; mais qu'ils
aient bu ou non au fleuve des douleurs, tous aspirent au
fleuve d'oubli, dont l'eau assoupissante leur rendra la
jeunesse et la paix. L e s sages seuls ne veulent pas ou-
blier, car leurs souvenirs sont déjà leur récompense.
Aussi sont-ils seuls vraiment immortels, puisqu'ils ont
seuls la conscience de leur immortalité.

L e s supplices du Ténare sont des peintures vraiment


divines des vices et de leur châtiment éternel. La cupidité
de Tantale, l'ambition de Sysiphe ne seront jamais ex-
piées, car elles ne peuvent jamais être satisfaites. Tantale
a soif dans l'eau, Sysiphe roule au sommet d'une monta-
gne un piédestal sur lequel il veut s'asseoir et qui retombe
toujours sur lui en l'entraînant au fond de l'abîme. Ixion,
l'amoureux sans frein, qui a voulu violer la reine du ciel,
est fouetté par des furies infernales. Il n'a pourtant pas
joui de son crime et n'a pu embrasser qu'un fantôme.
Ce fantôme peut-être a paru condescendre à ses fureurs
et l'aimer, mais quand il méconnaît le devoir, quand il
se satisfait par le sacrilège, l'amour, c'est de la haine
en fleurs!
Ce n'est pas au delà de la tombe, c'est dans la vie
INITIATIONS ET ÉPREUVES.

même qu'il faut chercher les mystères de la mort. L e


salut ou la réprobation commencent ici-bas et le monde
terrestre a aussi son ciel et son enfer. Toujours même
ici-bas la vertu est récompensée, toujours même ici-bas
le vice est puni ; et ce qui nous fait croire parfois à l'im-
punité des méchants, c'est que les richesses, ces instru-
ments du bien et du mal, semblent leur être parfois don-
nées au hasard. Mais malheur aux hommes injustes,
lorsqu'ils possèdent la clef d'or, elle n'ouvre pour eux
que la porte du tombeau et de l'enfer.
Tous les vrais initiés ont reconnu l'immense utilité du
travail et de la douleur. La douleur, a dit unpoëte alle-
mand, c'est le chien de ce berger inconnu qui mène le
troupeau des hommes. Apprendre à souffrir, apprendre
à mourir, c'est la gymnastique de l'Éternité, c'est le no-
viciat immortel.

Tel est le sens moral de la divine comédie de Dante


esquissée déjà du temps de Platon dans le tableau allé-
gorique de Cébès. Ce tableau, dont la description nous a
été conservée et que plusieurs peintres du moyen âge
ont refait d'après cette description, est un monument à la
fois philosophique et magique. C'est une synthèse mo-
rale très complète, et c'est en même temps la plus auda-
cieuse démonstration qui ait été faite du grand arcane,
de ce secret dont la révélation bouleverserait la terre et le
ciel. Nos lecteurs n'attendent pas sans doute que nous
leur en donnions l'explication. Celui qui trouve ce mys-
tère comprend qu'il est inexplicable de sa nature, et
qu'il donne la mort à ceux qui le surprennent comme à
celui qui l'a révélé.
Ce secret est la royauté du sage, c'est la couronne de
1/|8 HISTOIRE DE LA. MAGIE.

l'initié que nous voyons redescendre vainqueur du som-


met des épreuves dans la belle allégorie de Cébès. Le
grand arcane le rend maître de l'or et de la lumière qui
sont au fond la même chose, il a résolu le problème de la
quadrature du cercle, il dirige le mouvement perpétuel,
et il possède la pierre philosophale. Ici les adeptes me
comprendront. Il n'y a ni interruption dans le travail de
la nature ni lacune dans son œuvre. Les harmonies du
ciel correspondent à celles de la terre, et la vie éternelle
accomplit ses évolutions suivant les mêmes lois que la vie
d'un jour. Dieu atout disposé avec poids, nombre et me-
sure, dit la Bible, et cette lumineuse doctrine était aussi
celle de Platon. Dans le Pliédon, il fait discourir Socrate
sur les destinées de l'âme d'une manière tout à fait con-
forme aux traditions kabbalistiques. Les esprits épurés
par l'épreuve s'affranchissent des lois de la pesanteur, et
surtout de l'atmosphère des larmes ; les autres y rampent
dans les ténèbres, et ce sont ceux-là qui apparaissent aux
hommes faibles ou criminels. Ceux qui se sont affranchis
des misères de la vie matérielle ne reviennent plus en
contempler les crimes et en partager les erreurs : c'est
vraiment assez d'une fois.
L e soin que prenaient les anciens d'ensevelir les morts
protestait hautement contre la nécromancie, et toujours
ceux-là ont été régardés comme des impies qui troublent
le repos de la tombe. Rappeler les morts sur la terre, ce
serait les condamner à mourir deux fois ; et ce qui faisait
craindre surtout aux hommes pieux des anciens cultes de
rester sans sépulture après leur mort, c'était l'appréhen-
sion que leur cadavre ne fût profané par les Stryges et ne
servît aux enchantements, Après la mort, l'âme appar-
MAGIE DU CULTE P U B L I C . 1/L9

tient à Dieu, et le corps à la mère commune qui est la


terre. Malheur à ceux qui osent attenter à ces refuges!
Quand on avait troublé le sanctuaire de la tombe, les
anciens offraient des sacrifices aux mânes irrités ; et il y
avait une sainte pensée au fond de cet usage. En effet,
s'il était permis à un homme d'attirer vers lui par une
chaîne de conjurations les âmes qui nagent dans les ténè-
bres en aspirant vers la lumière, celui-là se donnerait des
enfants rétrogrades et posthumes qu'il devrait nourrir de
son sang et de son âme. Les nécromanciens sont des en-
fanteurs de vampires, ne les plaignons donc pas s'ils
meurent rongés parles morts !

C H A P I T R E I V .

MAGIE DU CULTE PUBLIC.

SOMMAIRE. — Ce que c'est que la superstition. — Orthodoxie magique.


— Dissidence des profanes. — Apparitions et incarnations des dieux.
— Tyrésias et Calchas. — Les magiciens d'Homère. — Les sibylles et
leurs vers écrits sur des feuilles jetées au vent. — Origine de la g é o -
mancie et de la cartomancie.

Les idées produisent les formes et à leur tour les for-


mes reflètent et reproduisent les idées. Pour ce qui est
des sentiments, l'association les multiplie dans la réu-
nion de ceux qui les partagent, en sorte que tous sont
électrisés de l'enthousiasme de tous. C'est pour cela que
si tel ou tel homme du peuple en particulier se trompe
aisément sur le juste et sur le beau, le peuple en masse
150 HISTOIRE DE LA MAGIE.

applaudira toujours à ce qui est sublime avec un élan non


moins sublime.
Ces deux grandes lois de la nature observées par les
anciens mages, leur avaient fait comprendre la nécessité
d'un culte public, unique, obligatoire, hiérarchique et sym-
bolique comme la religion tout entière, splendide comme
la vérité, riche et varié comme la nature, étoile comme
le ciel, plein de parfums comme la t e r r e , de ce culte
enfin que devait plus tard constituer Moïse, que Salomon
devait réaliser dans toutes ses splendeurs, et qui, trans-
figuré encore une fois, réside aujourd'hui dans la grande
métropole de Saint-Pierre de R o m e .
L'humanité n'a jamais eu réellement qu'une religion
et qu'un culte. Cette lumière universellle a eu ses mira-
ges incertains, ses reflets trompeurs et ses ombres, mais
toujours après les nuits de l'erreur, nous la voyons repa-
raître unique et pure comme le soleil.
L e s magnificences du culte sont la vie de la religion,
et si le Christ veut des ministres pauvres, sa divinité sou-
veraine ne veut pas de pauvres autels. Les protestants
n'ont pas compris que le culte est un enseignement, et
que dans l'imagination de la multitude il ne faut pas
créer un dieu mesquin ou misérable. Voyez ces oratoires
qui ressemblent à des mairies et ces honnêtes ministres
tournés comme des huissiers ou des commissaires, ne
font-ils pas nécessairement prendre la religion pour une
formalité, et Dieu pour un juge de paix? L e s Anglais qui
prodiguent tant d'or dans leurs habitations particulières,
et qui affectent d'aimer tant la Bible, ne devraient-ils pas
se souvenir des pompes inouïes du temple de Salomon et
trouver leurs églises bien froides et bien nues? Mais ce qui
MAGIE DU CULTE PUBLIC. 151

dessèche leur culte c'est la sécheresse de leur cœur, et


comment voulez-vous qu'avec ce culte sans magie, sans
éblouissements et sans larmes, ces cœurs soient jamais
rappelés à la vie ?
L'orthodoxie est le caractère absolu de la haute magie.
Quand la vérité vient au monde, l'étoile de la science en
avertit les mages et ils viennent adorer l'enfant créateur
de l'avenir. C'est par l'intelligence de la hiérarchie et la
pratique de l'obéissance qu'on obtient l'initiation, et un
véritable initié ne sera jamais un sectaire.
Les traditions orthodoxes furent emportées de la Chal-
dée par Abraham, elles régnaient en Egypte du temps de
Joseph avec la connaissance du vrai Dieu. Koung-Tseu
voulut les établir en Chine, mais le mysticisme imbécile
de l'Inde devait, sous la forme idolâtrique du culte de Fô,
prévaloir dans ce grand empire. Moïse emporta l'ortho-
doxie d'Egypte comme Abraham de la Ghaldée, et dans
les traditions secrètes de la kabbale nous trouvons une
théologie entière, parfaite, unique, semblable à ce que
la nôtre a de plus grandiose et de mieux expliqué par les
pères et les docteurs, le tout avec un ensemble et des
lumières qu'il n'est pas donné encore au monde de
comprendre. Le Sohar, qui est la clef des livres saints,
ouvre aussi toutes les profondeurs et éclaire toutes les
obscurités des mythologies anciennes et des sciences
cachées primitivement dans le sanctuaire. Il est vrai
qu'il faut connaître le secret de cette clef pour arri-
ver à s'en servir, et que pour les intelligences même
les plus pénétrantes, mais non initiées à ce secret, le
Sohar est absolument incompréhensible et même illi-
sible.
152 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Nous espérons que les lecteurs attentifs de nos écrits


sur la magie trouveront d'eux-mêmes ce secret, et
parviendront à leur tour à déchiffrer d'abord, puis à
lire ce livre qui contient l'explication de tant de mys-
tères.
L'initiation étant la conséquence nécessaire de la hié-
rarchie, principe fondamental des réalisations magiques,
les profanes, après avoir essayé inutilement de forcer
les portes du sanctuaire, prirent le parti d'élever autel
contre autel, et d'opposer les divulgations ignorantes du
schisme aux réticences de l'orthodoxie. D'horribles his-
toires coururent sur les mages : les sorciers et les stry-
ges rejetèrent sur eux la responsabilité de leurs crimes;
c'étaient des buveurs de sang humain, des mangeurs de
petits enfants. Cette vengeance de l'ignorance présomp-
tueuse contre la science discrète a obtenu de tous les
temps un succès qui en a perpétué l'usage. Un miséra-
ble n'a-t-il pas imprimé dans je ne sais quel pamphlet,
qu'il avait lui-même et de ses oreilles entendu dans un
club l'auteur de ce livre demander que le sang des riches
fût mis en boudins pour nourrir le peuple affamé? Plus la
calomnie est énorme, plus elle fait d'impression sur les
sots.
L e s accusateurs des mages commettaient eux-mêmes
les forfaits dont ils les accusaient, et s'abandonnaient à tou-
tes les frénésies d'une sorcellerie dévergondée. Il n'était
bruit que d'apparitions et de prodiges. Les dieux eux-
mêmes descendaient en formes visibles pour autoriser
les orgies. Les cercles furieux de prétendus illuminés
remontent jusqu'aux bacchantes qui ont assassiné Or-
phée. Un panthéisme mystique et luxurieux multiplia
MAGIE DU CULTE PUBLIC. 153

toujours depuis ces cercles fanatiques et clandestins où la


promiscuité et le meurtre se mêlaient aux extases et aux
prières. Mais les destinées fatales de ce dogme absorbant
et destructeur sont écrites dans une des plus belles fables
de la mythologie grecque. Des pirates tyrrhéniens ont sur-
pris Hiacchos endormi et le portent dans leur vaisseau.
Us croient que le dieu de l'inspiration est leur esclave,
mais tout à coup en pleine mer leur vaisseau se transfi-
gure, les mâts deviennent des ceps, les cordages des
vignes, partout apparaissent des satyres dansant avec
des lynx et des panthères, le vertige s'empare de l'équi-
page, ils se voient tous changés en boucs, et se précipi-
tent dans la mer. Hiacchos alors aborde en Béotie et se
rend- à ï h è b e s , la ville de l'initiation, où il trouve que
Panthée avait usurpé le pouvoir. Panthée à son tour veut
emprisonner le dieu ; mais la prison s'ouvre d'elle-même,
le captif rayonne, vainqueur au milieu de Thèbes. Pan-
thée devient furieux et les filles de Cadmus devenues des
bacchantes le mettent en pièces croyant immoler un jeune
taureau.

Le panthéisme, en effet, ne saurait constituer une


synthèse et doit périr divisé, par les sciences, filles de
Cadmus.
Après Orphée, Cadmus, Œdipe et Amphiaraùs, les
grands types fabuleux du sacerdoce magique en Grèce
sont ïyrésias et Calchas, mais Tyrésias est un hiéro-
phante inintelligent ou infidèle. Un jour il trouve deux
serpents entrelacés, il croit qu'ils se battent et les sépare
en les frappant de son bâton : il n'a pas compris le sym-
bole du caducée, il veut diviser les forces de la nature,
il veut séparer la science de la foi, l'intelligence de
154 HISTOIRE DE LA MAGIE.

l'amour, l'homme de la femme ; il les voit unis comme


des lutteurs, et il croit qu'ils se battent, il les blesse en
les séparant, et le voilà lui-même ayant perdu son équi-
libre ; il sera tour à tour homme et femme, jamais com-
plètement, car l'accomplissement du mariage lui est
interdit. Ici se révèlent tous les mystères de l'équilibre
universel et de la loi créatrice. En effet c'est l'andro-
gyne humain qui enfante ; l'homme et la femme tant
qu'ils sont séparés restent stériles, comme la religion
sans la science et réciproquement, comme l'intelligence
sans amour, comme la douceur sans force et la force
sans douceur, comme la justice sans miséricorde et la
miséricorde sans justice. L'harmonie résulte de l'analogie
des contraires, il faut les distinguer pour les unir et non
les séparer pour choisir entre eux. L ' h o m m e , dit-on, va
sans cesse du blanc au noir dans ses opinions et se trompe
toujours. Cela doit être, car la forme visible, la forme
réelle est blanche et noire, elle se produit en alliant l'om-
bre et la lumière sans les confondre. Ainsi se marient
tous les contraires dans la nature, et celui qui veut les
séparer s'expose au châtiment de Tyrésias. D'autres
disent qu'il devint aveugle pour avoir surpris Minerve
toute nue, c'est-à-dire pour avoir profané les mystères :
c'est une autre allégorie, mais c'est toujours le même
symbole.

C'est sans doute à cause de sa profanation des mystères


qu'Homère fait errer l'ombre de Tyrésias dans les ténèbres
Cimmériennes,et nous le montre revenant avec les larves
et les ombres malheureuses qui cherchent à s'abreuver de
sang, lorsqu'Ulysse consulte les esprits avec un cérémo-
nial bien autrement magique et formidable que les gri-
MAGIE DU CULTE PUBLIC. 155

rnaces de nos médiums et les petits papiers innocents des


modernes nécromanciens.
L e sacerdoce est presque muet dans Homère, le devin
Calchas n'est ni un souverain pontife ni un grand hiéro-
phante. Il semble être au service des rois dont il redoute
la colère, et n'ose dire à Àgamemnon des vérités désa-
gréables qu'après avoir imploré la protection d'Achille.
Il jette ainsi la division entre ces chefs et devient la cause
des désastres de l'armée. Homère, dont tous les récits sont
d'importantes et profondes leçons, veut aussi, par cet
exemple, montrer à la Grèce combien il importe que le
ministère divin soit indépendant des influences tempo-
relles. La tribu sacerdotale ne doit relever que du su-
prême pontificat, et le grand prêtre est frappé d'impuis-
sance ; s'il manque une seule couronne à sa tiare il faut
qu'il soit roi temporel pour être l'égal des souverains de
la terre, roi par l'intelligence et par la science, roi enfin
par sa mission divine. Tant qu'un pareil sacerdoce n'exis-
tera pas, semble dire le sage Homère, il manquera quel-
que chose à l'équilibre des empires.

Le devin Théoclymènes dans l'Odyssée joue à peu


près le rôle d'un parasite, il paie aux poursuivants de
Pénélope leur hospitalité peu bienveillante par un a v e r -
tissement inutile, puis il se retire prudemment avant
l'esclandre qu'il prévoit.
Il y a loin du rôle de ces diseurs de bonne ou de mau-
vaise aventure, à celui de ces sibylles qui habitaient dans
des sanctuaires où elles se rendaient invisibles et qu'on
n'abordait qu'en tremblant. Circés nouvelles, elles ne
cédaient pourtant qu'à l'audace : il fallait pénétrer par
adresse ou de force dans leur retraite, les prendre par les
156 HISTOIRE DE LA MAGIE.

cheveux, les menacer avec l'épée et les traîner jusqu'au


fatal trépied. Alors elles rougissaient et pâlissaient tour
à tour, et frémissantes, les cheveux hérissés, ejles profé-
raient des paroles sans suite, puis elle s'échappaient fu-
rieuses, écrivaient sur des feuilles d'arbres des mots qui
rassemblés devaient former des vers prophétiques et j e -
taient ces feuilles au vent, puis elles se renfermaient dans
leur retraite et ne répondaient plus si on tentait de les
rappeler.
L'oracle avait autant de sens différents qu'il était pos-
sible d'en trouver en combinant les feuilles de toutes les
manières. Si au lieu de mots les feuilles eussent porté des
signes hiéroglyphiques, le nombre des interprétations
eût encore augmenté, et l'on eût pu consulter le sort en
les assemblant au hasard ; c'est ce que firent depuis les
géomanciensqui devinaient par des nombres et des figures
de géométrie jetés au hasard. C'est ce que font encore
de nos jours les adeptes de la cartomancie, en se servant
de grands alphabets magiques du tarot dont ils ignorent
assez généralement la valeur. Dans ces opérations, le
sort choisit seulement les signes qui doivent inspirer
l'interprète, et sans une faculté toute spéciale d'intui-
tion et de seconde vue, les phrases indiquées par l'assem-
blage des lettres sacrées et les révélations indiquées par
l'assemblage des figures prophétiseront au hasard. Ce
n'est pas tout d'assembler les lettres, il faut savoir lire.
L a cartomancie bien comprise est une véritable consulta-
tion des esprits sans nécromancie et sans sacrifices, elle
veut donc l'assistance d'un bon médium, la pratique en
est d'ailleurs dangereuse et nous ne la conseillons à per-
sonne. N'est-ce donc pas assez du souvenir de nos misé-
MYSTÈRES DE L A V I R G I N I T É . 157

res pour aggraver nos souffrances dans le présent, faut-il


encore les surcharger de toute l'anxiété de l'avenir, et
souffrir tous les jours d'avance les catastrophes qu'il nous
est impossible d'éviter?

C H A P I T R E V.

M Y S T È R E S D E L A V I R G I N I T É .

SOMMAIRE. — L'hellénisme à Rome. — Institutions de Numa. — Les


Vestales. — Allégories du feu sacré. — Portée religieuse de l'histoire
de Lucrèce. — Mystères de la bonne déesse. — Culte du foyer et de
la mère patrie.— Collèges des flamines et des augures. — Les oracles.
— Opinions erronées de Fontenelle et de Kircher.—Aperçu du calen- '
drier magique chez les Romains.

L'empire romain ne fut qu'une transfiguration de celui


des Grecs. L'Italie était la grande Grèce, et lorsque l'hel-
lénisme perfectionna ses dogmes et ses mystères, c'est
qu'il fallait commencer l'éducation des enfants de la
louve : Rome était déjà au monde.
Un fait spécial caractérise l'initiation donnée aux R o -
mains par Numa, c'est l'importance typique rendue à la
femme, à l'exemple des Égyptiens qui adoraient la divi-
nité suprême sous le nom d'Isis.
Chez les Grecs, le Dieu'de l'initiation c'est Iacchos, le
vainqueur de l'Inde, le resplendissant Androgyne aux
cornes d'Ammon, le Panthée qui tient la coupe des sacri-
fices et y fait ruisseler le vin de la vie universelle, Iac-
chos, le fils de la foudre et le dompteur des tigres et des
lions, mais c'est en profanant les mystères d'Iacchos que
les bacchantes ont déchiré Orphée; Iacchos, souslenom
158 HISTOIRE DE L A MAGIE.

romain de Bacchus, ne sera plus que le dieu de l'ivresse,


et Numa demandera ses inspirations à la sage et discrète
Égérie, la déesse du mystère et de la solitude. Il faut bien
donner une mère à ces sauvages enfants trouvés qui
n'ont pu devenir époux qu'en enlevant des femmes par
surprise et par trahison. Ce qui doit assurer l'avenir de
Rome, c'est le culte de la patrie et de la famille. Numa
l'a compris, et il apprend d'Égérie comment on honore la
mère des dieux. Il lui élève un temple sphérique sous la
coupole duquel brûle un feu qui ne doit jamais s'éteindre.
Ce feu est entretenu par quatre vierges qu'on nommera
vestales et qui seront entourées d'honneurs extraordinaires
si elles sont fidèles, punies avec une rigueur exceptionnelle
si elles manquent à leur dignité. L'honneur de la vierge
est celui de la mère, et la famille ne peut être sainte qu'au-
tant que la pureté virginale sera reconnue possible et glo-
rieuse. Ici déjà la femme sort de la servitude antique,
ce n'est plus l'esclave orientale, c'est la divinité domes-
tique, c'est la gardienne du foyer, c'est l'honneur du père
et de l'époux. Rome est devenue le sanctuaire des mœurs,
et à ce prix elle sera la souveraine des nations et la mé-
tropole du monde.

L a tradition magique de tous les âges accorde à la


virginité quelque chose de surnaturel et de divin. Les
inspirations prophétiques cherchent les vierges, et c'est
en haine de l'innocence et de la virginité que la Goëtie
sacrifie des enfants au sang desquels elle reconnaît pour-
tant une vertu sacrée et expiatoire. Lutter contre l'at-
trait de la génération s'est c'exercer à vaincre la mort,
et la suprême chasteté était la plus glorieuse couronne
proposée aux hiérophantes. Répandre sa vie dans des
MYSTÈRES DE LA VIRGINITE'. 159

embrassements humains c'est jeter des racines dans la


tombe. La chasteté est une fleur qui n'a plus de tige sur
la terre et qui, aux caresses du soleil qui l'invite à mon-
ter vers lui, peut se détacher sans efforts et s'envoler
comme un oiseau.
Le feu sacré des vestales était le symbole de la foi et
du chaste amour. C'était aussi l'emblème de cet agent
universel dont Numa savait produire et diriger la forme
électrique et foudroyante. En effet, pour rallumer le feu
des vestales, si par une négligence très punissable elles
l'avaient laissé s'éteindre, il fallait le soleil ou la foudre.
On le renouvelait et on le consacrait au commencement
de toutes les années, pratique conservée parmi nous et
observée la veille de Pâques.
C'est à tort qu'on a accusé le christianisme d'avoir
emprunté ce qu'il y avait de plus beau dans les anciens '
cultes. L e christianisme, cette dernière forme de l'ortho-
doxie universelle, a gardé tout ce qui lui appartenait et n'a/
rejeté que les pratiques dangereuses et les vaines super-
stitions.
Le feu sacré représentait aussi l'amour de la patrie et
la religion du foyer. C'est à cette religion, c'est à l'invio-
labilité du sanctuaire conjugal que Lucrèce se sacrifia.
Lucrèce personnifie toute la majesté de l'ancienne Rome;
elle pouvait sans doute se soustraire à l'outrage en aban-
donnant sa mémoire à la calomnie, mais la haute répu-
tation est une noblesse qui oblige. En matière d'honneur
un scandale est plus déplorable qu'une faute. Lucrèce
éleva sa dignité d'honnête femme jusqu'à la hauteur du
sacerdoce en subissant un attentat pour l'expier ensuite
et le punir.
j.60 HISTOIRE DE LA MAGIE.

C'est en mémoire de cette illustre Romaine que la haute


initiation au culte de la patrie et du foyer fut confiée aux
femmes, à l'exclusion des hommes. Là elles devaient ap-
prendre que le véritable amour est celui qui inspire les
plus héroïques dévouements. On leur disait que la vraie
beauté de l'homme c'est l'héroïsme et la grandeur ; que
la femme capable de trahir ou d'abandonner son mari,
flétrit à la fois son avenir et son passé et se met au front
la tache ineffaçable d'une prostitution rétrospective ag-
gravée encore par un parjure. Cesser d'aimer celui au-
quel on a donné la fleur de sa jeunesse, c'est le plus
grand malheur qui puisse affliger le cœur d'une femme
honnête ; mais le déclarer hautement, c'est renier son in-
nocence passée, c'est renoncer à la probité du cœur et à
l'intégrité de l'honneur, c'est la dernière et la plus irrépa-
rable de toutes les hontes.

Telle était la religion de Rome : c'est à la magie d'une


pareille morale qu'elle a dû toutes ses grandeurs, et lors-
que pour elle le mariage cessa d'être sacré, la décadence
n'était pas loin.
S'il est vrai que, du temps de Juvénal, les mystères
de la bonne déesse étaient des mystères d'impureté, ce
dont il est permis peut-être de douter un peu, car les
femmes seules admises à ces prétendues orgies se se-
raient donc dénoncées elles-mêmes? en admettant, di-
sons-nous, que cela soit vrai, puisque tout était possible
après les règnes de Néron et de Domitien, que pouvons-
nous en conclure sinon que le règne moral de la mère
des dieux était passé et qu'il devait faire place au culte
populaire, plus universel et plus pur de Marie, la mère
de Dieu?
MYSTÈllES DE LA VIRGINITÉ. 161

Numa, initié aux lois magiques et sachant les influences


magnétiques de la vie commune, institua des collèges de
prêtres et d'augures, et les soumit à des règles; c'était
l'idée première des couvents, une des grandes puissances
de la religion. Déjà depuis longtemps en Judée, les pro-
phètes se réunissaient en cercles sympathiques, et met-
taient en commun l'inspiration et la prière. 11 semble que
Numa ait connu les traditions de la Judée, ses flamines
et ses saliens s'exaltaient par des évolutions et des danses
qui rappellent celle de David devant l'arche. Numa n'in-
stitua pas de nouveaux oracles capables de rivaliser avec
celui de Delphes, mais il instruisit ses prêtres dans l'art
des augures, c'est-à-dire qu'il leur révéla une certaine
théorie des pressentiments et de la seconde vue détermi-
nés par des lois secrètes de la nature. Nous méprisons
maintenant l'art des aruspices et des augures, parce que
nous avons perdu la science profonde de la lumière et des
analogies universelles de ses reflets. Voltaire, dans son
charmant conte d e Z a d i g , esquisse en jouant une science t
de divination toute naturelle, mais qui n'en est pas moins
merveilleuse, parce qu'elle suppose une finesse d'obser-
vation tout exceptionnelle et une série de déductions qui
échappe habituellement à la logique si bornée du v u l -
gaire. On raconte que Parménides, maître de Pythagore,
ayant goûté de l'eau d'une source, prédit un prochain
tremblement de terre : il n'y a rien là qui doive sembler
étrange, car les saveurs bitumineuses et sulfureuses ré-
pandues dans l'eau ont pu avertir le philosophe du tra-
van intérieur des terrains avoisinants. Peut-être même
» eau etait-elle seulement troublée d'une manière insolite.
Quoiqu'il en soit, nous prévoyons encore la rigueur des

11
16*2 HISTOIRE DE LA MAGIE.

hivers par le vol des oiseaux, et nous pourrions prévoir


certaines influences atmosphériques par l'inspection des
organes digestifs et respiratoires des animaux. Or, les
perturbations physiques de l'atmosphère ont souvent des
eausesrnorales. Les révolutions se traduisent en l'air par
de grands orages, le souffle des peuples agite le ciel. Le
succès marche avec les courants électriques, et les couleurs
de la lumière vivante reflètent les mou vemen ts de la foudre.
« Il y a quelque chose dans l'air, » dit le peuple avec son
instinct prophétique. Les aruspices et les augures appre-
naient à lire les caractères que trace partout la lumière,
et à reconnaître les marques des courants et des révolu-
tions astrales. Us savaient pourquoi les oiseaux volent
isolés ou se rassemblent, quelles influences les font aller
vers le nord ou vers le midi, vers l'orient ou l'occident, et
c'est ce que nous ne savons plus, nous qui nous moquons
des augures. Il est si facile de se moquer et si difficile de
bien apprendre.
C'est par suite de ce parti pris de dénigrer et de nier
tout ce que nous ne comprenons pas, que des hommes d'es-
prit, comme Fontenelle, et des savants, comme Kircher,
ont écrit des choses si téméraires sur les anciens oracles.
Tout est manœuvres et supercheries aux yeux de ces es-
prits forts. Us inventent des statues machinées, des porte-
voix cachés, des échos ménagés dans les souterrains des
temples. Pourquoi donc calomnier toujours le sanctuaire?
N'y aurait-il donc jamais eu que des fripons parmi les
prêtres? N e pouvait-il se trouver parmi les hiérophantes
de Cérès ou d'Apollon des hommes honnêtes et convain-
cus? On trompait donc ceux-là comme les autres? Mais
qui donc les trompait constamment sans se trahir pen-
MYSTÈRES DE LA VIRGINITE. 163

dant une suite de siècles, car les fourbes ne sont pas im-
mortels. Des expériences récentes prouvent que les pen-
sées peuvent se transmettre, se traduire en écriture et
s'imprimer par les seules forces de la lumière astrale. Des
mains mystérieuses écrivent encore sur nos murs comme
au festin de Balthazar. Souvenons-nous de cette sage
parole d'un savant qu'on n'accusera certainement ni de
fanatisme ni de crédulité : Arago disait qu'en dehors
des mathématiques pures, celui qui prononce le mot
impossible, manque de prudence.
L e calendrier religieux de Numa est calqué sur celui
des mages, c'est une série de fêtes et de mystères rap-
pelant toute la doctrine secrète des initiés et adaptant
parfaitement les actes publics du culte aux lois univer-
selles de la nature. La disposition des mois et des jours
est restée la même sous l'influence conservatrice de la
régénération chrétienne. Comme les Romains de Numa,
nous sanctifions encore par l'abstinence les jours consa-
crés au souvenir de la génération et de la mort; mais pour
nous le jour de Vénus est sanctifié par les expiations du
calvaire. L e jour sombre de Saturne est celui où notre
dieu incarné dort dans sa tombe, mais il ressuscitera, et
la vie qu'il nous promet, émoussera la faux de Chronos,
Le mois que les Romains consacraient à Maïa, la nymphe
de la jeunesse et des Heurs, la jeune mère qui sourit aux
prémices de l'année, est voué par nous à Marie, la rose
mystique, le lis de pureté, la céleste mère du Sauveur.
Ainsi nos usages religieux sont anciens comme le monde,
nos fêtes ressemblent à celles de nos pères, et le Sau-
veur des chrétiens n'est venu rien supprimer des beautés
symboliques et religieuses de l'ancienne initiation ; il
HlSTOiRE DE LA MAGIE.

est venu, comme il le disait lui-même à propos de la


loi figurative des Israélites, tout réaliser et tout accom-

G H A P I T R E VT.

DES SUPERSTITIONS.

SOMMAIRE. — Leur origine ; leur durée. — La sorcellerie est la supersti-


tion de la magie. — Supersiitions grecques et romaines. — Les pré-
sages, les songes, les enchantements, les fascinations. — Le mauvais
œil. — Les sorts. — Les envoûtements.

Les superstitions sont des formes religieuses qui sur-


vivent aux idées perdues. Toutes ont eu pour raison
d'être une vérité qu'on ne sait plus ou qui s'est transfi-
gurée. Leur nom, du latin superstes, signifie ce qui survit:
ce sont les restes matériels des sciences ou des opinions
anciennes.
La multitude, toujours plutôt instinctive que pensante,
s'attache aux idées par les formes, et change difficilement
d'habitudes-. Lorsqu'on veut combattre les superstitions,
il semble toujours au peuple qu'on s'attaque à la reli-
gion m ê m e ; aussi saint Grégoire, l'un des plus grands
papes de la chrétienté, ne voulait-il pas qu'on supprimât
les usages. Purifiez les temples, écrivait-il à ses mission-
naires, mais ne les détruisez pas, « car, tant que la nation
verra subsister ses anciens lieux de prière, elle s'y ren-
dra par habitude et vous la gagnerez plus facilement au
culte du vrai Dieu. »
« Les Bretons, dit encore ce saint pape, font à certains
DES SUPERSTITIONS. 165

jours des sacrifices et des festins, laissez-leur les festins,


ne supprimez que les sacrifices; laissez-leur la joie de
leurs fêtes, mais de païenne qu'elle était, rendez-la dou
cernent et progressivement chrétienne. »
La religion garda presque les noms mêmes des cou-
tumes pieuses qu'elle remplaçait par les saints mystères.
Ainsi les anciens célébraient tous les ans un banquet
nommé les charisties : ils y invitaient les âmes de leurs
ancêtres et faisaient ainsi acte de foi en la vie univer-
selle et immortelle. L'Eucharistie, c'est-à-dire la charistie
par excellence, a remplacé les charisties, et nous commu-
nions à Pâques avec tous nos amis de la terre et du ciel.
Loin de favoriser par de semblables progrès les anciennes
superstitions, le christianisme rendait l'âme et la vie aux
signes survivants des croyances universelles.
La magie, cette science de la nature qui tient de si
près à la religion, puisqu'elle initie les hommes aux se-
crets de la divinité, la magie, cette science oubliée, vit
encore tout entière dans les signes hiéroglyphiques, et en
partie dans les traditions vivantes ou superstitions qu'elle
a laissées.
Ainsi, par exemple, l'observance des nombres et des
jours est une réminiscence aveugle du dogme magique
primitif. Le vendredi, jour consacré à Vénus, étaitregardé
par les anciens comme un jour funeste, parce qu'il rap-
pelle les mystères de la naissance et de la mort. On ne
commençait rien ce jour-là chez les juifs, mais on ache-
vait tout le travail de la semaine parce qu'il précède le
jour du sabbat ou du repos obligatoire. L e nombre treize,
qui vient après le cycle parfait de douze, représente aussi
h mort après les travaux de la vie. L'article du symbole
166 HISTOIRE DE LA MAGIE.

israëlite relatif à la mort est le treizième. Par suite du dé-


membrement de la famille de Joseph en deux tribus, il se
trouvait treize convives à la première pâque d'Israël, dans
la terre promise, c'est-à-dire treize tribus au partage des
moissons de Chanaan. Une de ces tribus fut exterminée,
et ce fut celle de Benjamin, le plus jeune des enfants de
Jacob. De là est venue cette tradition que lorsqu'on est
treize à table, le plus jeune doit bientôt mourir.
Les mages s'abstenaient de la chair de certains ani-
maux et ne mangeaient pas de sang. Moïse mit leur prati-
que en précepte, et dit, relativement au sang, que' l'âme
des animaux s'y trouve unie, et qu'il ne faut pas se nour-
rir d'âmes animales. Ces âmes animales qui restent dans
le sang sont comme un phosphore de lumière astrale
coagulée et corrompue qui peut devenir le germe d'un
grand nombre de maladies ; le sang des animaux suffo-
qués se digère mal et prédispose aux apoplexies et aux
cauchemars. La chair des carnivores est également mal-
saine à cause des instincts féroces dont elle a été ani-
mée, et de ce qu'elle a déjà absorbé de corruption et de
mort.
« Lorsque l'âme d'un animal est séparée de son corps
avec violence, dit Porphyre, elle ne s'en éloigne pas, et
comme les âmes humaines qu'une mort violente a fait
périr, elle reste près de son corps. Lors donc qu'on tue
les animaux, leurs âmes se plaisent auprès des corps
qu'on les a forcés de quitter. Rien ne peut les en éloi-
gner : elles y sont retenues par sympathie. On en a vu
plusieurs qui gémissaient près de leurs corps. Ainsi les
âmes des hommes dont les corps ne sont point inhumés,
restent près de leurs cadavres; c'est de celles-là que les
DES SUPERSTITIONS. 167

magiciens abusent pour leurs opérations, en les forçant


de leur obéir, lorsqu'ils sont les maîtres du corps mort
soit en entier, soit en partie. Les théosophes qui sont
instruits de ces mystères, et qui savent quelle est la sym-
pathie de l'âme des bêtes pour les corps dont elles sont
séparées et avec quel plaisir elles s'en approchent, ont
avec raison défendu l'usage de certaines viandes, afin
que nous ne soyons pas infestés d'âmes étrangères. »
Porphyre ajoute qu'on peut devenir prophète en se
nourrissant de cœurs de corbeaux, de taupes et d'éper-
viers. Ici le théurgiste d'Alexandrie tombe dans les
recettes du petit Albert ; mais s'il arrive sitôt à la super-
stition, c'est qu'il a promptement fait fausse route, car
son point de départ était la science.
Les anciens, pour désigner les propriétés secrètes des
animaux, disaient que les dieux à l'époque de la guerre
des géants avaient pris diverses formes pour se cacher,
et qu'ils se plaisaient parfois à les reprendre. Ainsi Diane
se change en louve ; le soleil en taureau, en lion, en
dragon et en épervier; Hécate en cheval, en lionne,
en chienne. Le nom de Phérébate a été donné, suivant
plusieurs théosophes, à Proserpine parce qu'elle se nour-
rit de tourterelles. Les tourterelles sont l'offrande or-
dinaire que les prêtresses de Maïa font à cette déesse
qui est la Proserpine de la terre, la fille de la blonde
Cérès, nourricière du genre humain. Les initiés d'Eleusis
doivent s'abstenir d'oiseaux domestiques, de poissons, de
fèves, de pêches et de pommes ; ils ne touchent jamais
une femme en couches ou qui a ses mois. Porphyre, à qui
nous empruntons encore tous ces détails, ajoute la phrase
que voici :
168 HISTOIRE DE LA MAGIE.

« Quiconque a étudié la science des visions, sait que


Ton doit s'abstenir de toutes sortes d'oiseaux si l'on veut
être délivré du joug des choses terrestres et trouver une
place parmi les dieux du ciel. » Mais il n'en dit pas la
raison.
Suivant Euripide, les initiés au culte secret de Jupiter
en Crète s'abstenaient de la chair des animaux. Voici
comment il fait parler ces prêtres ; c'est le chœur qui
s'adresse au roiMinos :
« Fils d'une Tyrienne de Phénicie, descendant d'Europe
et du grand Jupiter, roi de l'île de Crète, fameuse par cent
villes ; nous venons vers toi, en quittant les temples des
dieux construits du bois des chênes et des cyprès façon-
nés par le fer, nous menons une vie pure. — Depuis le
temps que j ' a i été fait prêtre de Jupiter idéen, je ne
prends plus de part aux repas nocturnes des baccha-
nales, et je ne mange plus les viandes saignantes, mais
j'offre des flambeaux à la mère des dieux : je suis prêtre
parmi les curetés revêtus de blanc ; je m'éloigne du
berceau des hommes, j'évite aussi leurs tombes, et je
ne mange rien de ce qui a été animé par le souffle de
vie. »
La chair des poissons est phosphorescente, et par con-
séquent aphrodisiaque. Les fèves sont échauffantes et
font rêver creux. On trouverait sans doute une raison
profonde à toutes les abstinences, même les plus singu-
lières, en dehors de toute superstitions. Il est certaines
combinaisons d'aliment qui sont contraires aux harmo-
nies de la nature. « N e faites pas cuire le chevreau dans le
lait de sa mère, » disait Moïse ; prescription touchante
comme allégorie et sage sous le rapport de l'hygiène,
DES SUPERSTITIONS. 169

Les Grecs comme les Romains, mais moins que les


Romains, croyaient aux présages; ils regardaient les
serpents comme de bon augure lorsqu'ils goûtaient aux
offrandes sacrées. S'il tonnait à droite ou gauche, l'au-
gure était favorable ou malheureux. Les éternuments
étaient des présages, et ils observaient de même cer-
tains autres accidents naturels aussi bruyants, mais
moins honnêtes que l'éternument. Dans l'hymne de
Mercure, Homère raconte qu'Apollon, auquel le dieu
des voleurs, étant encore au berceau, venait de dérober
ses bœufs, prend l'enfant et le secoue pour lui faire avouer
le larcin :

Mercure s'avisant d'un étrange miracle,


De ses flancs courroucés fit entendre l'oracle ; ^ ' '
0 £

Jusqu'au grand Apollon la vapeur en monta,


Et gourmandaut l'enfant qu'à terre il rejeta,
Bien qu'il eût grand désir d'achever son voyage,
Le dieu se détourna, puis lui tint ce langage :

Courage, de Maïa, l'excellente en beauté,


Et du grand Jupiter, beau fils emmaillotté,
Sans doute j e pourrais trouver par aventure
La trace de mes bœufs, guidé par cet augure,
Mais tu me conduiras toujours en attendant.
{Hymnes d'Homère, traduction de Salomon Certon, page 5 9 . )

Chez les Romains tout était présage. Un caillou au-


quel le pied se heurtait, le cri d'une chouette, l'aboie-
ment d'un chien, un vase brisé, une vieille femme qui vous "
regardait la première, un animal qu'on rencontrait. Ces
vaines terreurs avaient pour principe cette grande science
magique de la divination qui ne néglige aucun indice et
qui, d'un effet inaperçu du vulgaire, remonte à une série
170 HISTOIRE DE LA MAGIE.

de causes qu'elle enchaîne entre elles. Elle sait, par


exemple, que les influences atmosphériques qui font
hurler le chien, sont mortelles pour certains malades; que
la présence et le tournoiement des corbeaux annoncent
des cadavres abandonnés: ce qui est toujours de sinistre
augure. Les corbeaux fréquentent plus volontiers les
régions du meurtre et du supplice. Le passage de cer-
tains oiseaux annonce les hivers rigoureux, d'autres par
des cris plaintifs sur la mer donnent le signal des tem-
pêtes. Ce que la science discerne, l'ignorance le remar-
que et le généralise. La première trouve partout d'utiles
avertissements ; l'autre s'inquiète de tout et se fait peur
à elle-même.
Les Romains étaient aussi grands observateurs de
songes ; l'art de les expliquer tient à la science de la
lumière vitale et à l'intelligence de sa direction et de ses
reflets. Les hommes versés dans les mathématiques trans-
cendantales, savent bien qu'il n'y a pas d'image sans
lumière soit directe, soit reflétée, soit réfractée, et par la
direction du rayon dont ils sauront reconnaître le retour
sous la brisure, ils parviendront toujours par un calcul
exact au foyer lumineux dont ils apprécieront la force
universelle ou relative. Us tiendront compte aussi de
l'état sain ou maladif de l'appareil visuel, soit extérieur,
soit intérieur, auquel ils attribueront la difformité ou la
rectitude apparente des images. Les songes, pour ceux-là,
seront toute une révélation. L e songe est un semblant
d'immortalité dans cette mort de toutes les nuits que nous
appelons le sommeil. Dans les rêves nous vivons de la
vie universelle sans conscience de bien ou de mal, de
temps ou d'espace. Nous voltigeons sur les arbres, nous
DES SUPERSTITIONS. 171

dansons sur l'eau, nous soufrions sur les prisons et elles


s'écroulent, ou bien nous sommes lourds, tristes, poursui-
vis, enchaînés, suivant l'état de notre santé, et souvent
aussi celui de notre conscience. Tout cela sans doute est
utile à observer, mais que peuvent en conclure ceux qui
ne savent pas et qui ne veulent rien apprendre ?
L'action toute-puissante de l'harmonie pour exalter
l'âme et la rendre maîtresse des sens, était bien connue
des anciens sages, mais ce qu'ils employaient pour cal-
mer, les enchanteurs en firent usage pour exalter et
pour enivrer. Les sorcières de Thessalie et celles de Rome
étaient convaincues de ceci : que la lune était arrachée du
ciel par les vers barbares qu'elles récitaient et venait tom-
ber sur la terre toute pâle et toute sanglante. La mono-
tomie de leur récitation, les passes de leurs baguettes
magiques, leurs tournoiements autour des cercles les
magnétisaient, les exaltaient, les amenaient progressi-
vement jusqu'à la fureur, jusqu'à l'extase, jusqu'à la
catalepsie. Elles rêvaient alors tout éveillées et voyaient
les tombeaux s'ouvrir, l'air se charger de nuées de dé-
mons et la lune tomber du ciel.
La lumière astrale est l'âme vivante de la terre, âme
matérielle et fatale, nécessitée dans ses productions et
dans ses mouvements par les lois éternelles de l'équilibre.
Cette lumière qui entoure et pénètre tous les corps peut
en annuler la pesanteur et les faire tourner autour d'un
eentre puissamment absorbant. Des phénomènes qu'on
n'a pas assez examinés et qui se reproduisent de nos
jours, ont prouvé la vérité de cette théorie. C'est à cette
loi naturelle qu'il faut attribuer les tourbillons magiques
au centre desquels se plaçaient les enchanteurs. C'est le
172 HISTOIRE DE L A MAGIE.

secret'de la fascination exercée sur les oiseaux par cer-


tains reptiles et sur les natures sensitives par les natures
négatives et absorbantes ; les médiums sont en général des
êtres malades en qui le vide se fait, et qui attirent alors
la lumière comme les abîmes attirent l'eau des tourbil-
lons. Les corps les plus lourds peuvent être alors soulevés
comme des pailles, et entraînés par le courant. Ces natu-
res négatives et mal équilibrées, en qui le corps fluidique
est informe, projettent à distance leur force d'attraction et
s'ébauchent en Pair des membres supplémentaires et fan-
tastiques. Lorsque le célèbre médium Home fait appa-
raître autour de lui des mains sans corps, il a lui-même
les mains mortes et glacées. On pourrait dire que les
médiums sont des créatures phénoménales en qui la mort
lutte visiblement contre la vie. Il faut juger de même les
fascinateurs, les jeteurs de sort, les gens qui ont le mau-
vais œil et les envoûteurs. Ce sont des vampires, soit
volontaires, soit involontaires ; ils attirent la vie qui leur
manque et troublent ainsi l'équilibre de la lumière. S'ils
le font volontairement, ce sont des malfaiteurs qu'il faut
punir; s'ils le font involontairement, ce sont des malades
fort dangereux dont les personnes délicates et nerveuses
surtout doivent soigneusement éviter le contact.

Yoici ce que Porphyre raconte dans la vie de Plotin :


« Parmi ceux qui faisaient profession de philosophes,
il y en avait un nommé Olympius, il était d'Alexandrie;
il avait été pendant quelque temps disciple d'Ammonius,
il traita Plotin avec mépris parce qu'il voulait avoir plus
de réputation que lui. Il employa des cérémonies magi-
ques pour lui nuire ; mais s'étant aperçu que son entre-
prise retombait sur lui-même, il convint devant ses amis
PUT.

L E S S E P T M E R V E I L L E S D U M O N D E
MONUMENTS MAGIQUES. 173

qu'il fallait que l'âme de Plotin fût bien puissante, puis-


qu'elle rétorquait sur ses ennemis leurs mauvais desseins.
Plotin sentait l'action hostile d'Olyinpius, et parfois il lui
arriva de dire : « Voici Olympius qui a maintenant des
convulsions. » Celui-ci ayant éprouvé plusieurs fois qu'il
souffrait lui-même les maux qu'il voulait faire souffrir â
Plotin, cessa enfin de le persécuter. »
L'équilibre est la grande loi de la lumière vitale : si
nous la projetons avec violence, et qu'elle soit repous-
sée par une nature mieux équilibrée que la nôtre, elle
revient sur nous avec une violence égale. Malheur donc
à ceux qui veulent employer les forces naturelles au ser-
vice de l'injustice, car la nature est juste et ses réactions
sont terribles.

C H A P I T R E V I I .

MONUMENTS MAGIQUES.

SOMMAIRE. — Les pyramides. — Les sept merveilles. — Thèbes et ses


sept portes. — Le bouclier d'Achille. — Les colonnes d'Hercule.

Nous avons dit que l'ancienne Egypte était un panta-


cle, et l'on pourrait en dire autant de l'ancien monde tout
entier. Plus les grands hiérophantes mettaient de soin à
cacher leur science absolue, puis ils cherchaient à en
agrandir et à en multiplier les symboles. Les pyramides
triangulaires et carrées par la base, représentaient leur
métaphysique basée sur la science de la nature. Getle
science de la nature avait pour clef symbolique la forme
174 HISTOIRE DE LA MAGIE.

gigantesque de ce grand sphinx qui s'est creusé un lit


profond dans le sable en veillant au pied des pyra-
mides. Les sept grands monuments appelés les merveilles
du monde étaient les magnifiques commentaires des sept
lignes dont se composaient les pyramides, et des sept
portes mystérieuses de Thèbes. A Rhodes, était le pan-
tacle du soleil. Le dieu de la lumière et de la vérité y
apparaissait sous une forme humaine revêtue d'or, il éle-
vait dans sa main droite le phare de l'intelligence ; dans
sa main gauche, il tenait la flèche du mouvement et de
l'action. Ses pieds reposaient à droite à gauche sur des
môles qui représentaient les forces éternellement équili-
brées de la nature, la nécessité et la liberté, le passif et
l'actif, le fixe et le volatil, les colonnes d'Hercule.
A Éphèse, étaitle pantacle de la lune: c'était le temple
de la Diane panthée. Ce temple était fait à l'image de
l'univers : c'était un dôme sur une croix avec une galerie
carrée et une enceinte circulaire comme le bouclier
d'Achille.
L e tombeau de Mausole était le pantacle de la Vénus
pudique ou conjugale : il avait une forme lingamique.
Son enceinte était circulaire, son élévation carrée. Au
centre du carré s'élevait une pyramide tronquée sur la-
quelle était un char attelé de quatre chevaux disposés en
croix.
Les pyramides étaient le pantacle d'Hermès ou de
Mercure.
Le Jupiter olympien était celui de Jupiter; les murs
de Babylone et la forteresse de Sémiramis étaient le
pantacle de Mars.
Enfin le temple de Salomon, ce pantacle universel et
MONUMENTS MAGIQUES. 175

absolu qui devait dévorer tous les autres, était pour la


gentilité le pantacle terrible de Saturne.
La philosophie septénaire de l'initiation chez les an-
ciens pouvait se résumer ainsi :
Trois principes absolus qui n'en sont qu'un ; quatre
formes élémentaires qui n'en sont qu'une, formant un tout
unique composé d'idée et de forme.
Les trois principes étaient ceux-ci :

1° L ' Ê T R E EST L'ÊTRE.

En philosophie, identité de l'idée et de l'Être ou vé-


rité; en religion, le premier principe, le Père.

2° L ' Ê T R E EST RÉEL.

En philosophie, identité du savoir et de l'Être ou réa-


lité ; en religion le LOGOS de Platon, le Demiourgos, le
Verbe.

3° L'ÊTRE EST LOGIQUE.

En philosophie, identité de la raison et de la réalité ;


en religion, la Providence, l'action divine qui réalise le
bien ; l'amour réciproque du vrai et du bien, ce que
dans le christianisme nous appelons le Saint-Esprit
Les quatre formes élémentaires étaient l'expression de
deux lois fondamentales : la résistance et le mouvement;
l'inertie qui résiste ou le fixe, la vie qui agit ou le vola-
til ; en d'autres termes plus généraux, la matière et l'es-
prit: la matière était le néant formulé en affirmation pas-
sive; l'esprit était le principe de la nécessité absolue
dans le vrai. L'action négative du néant matériel sur l'es-
prit était appelée mauvais principe ; l'action positive de
176 HISTOIRE DE LA MAGIE.

l'esprit sur le néant pour le remplir de création et de lu-


mière était appelée bon principe. A ces deux conceptions
correspondaient l'humanité d'une part, et de l'autre la
vie raisonnable rédemptrice de l'humanité conçue dans
le péché, c'est-à-dire dans le néant, à cause de sa géné-
ration matérielle.
Telle était la doctrine de l'initiation secrète. Telle est
l'admirable synthèse que le christianisme est venu vivifier
de son souffle, illuminer de ses splendeurs, établir divi-
nement par son dogme, réaliser par ses sacrements.
Synthèse qui a disparu sous le voile qui la conserve,
mais que l'humanité retrouvera, quand le moment sera
venu, dans toute sa beauté primitive et dans toute sa
maternelle fécondité!
L I V R E I I I .

SYNTHÈSE ET RÉALISATION DIVINE BU MACISME


PAR LA RÉVÉLATION CHRÉTIENNE.

j » GhiraeL

CHAPITRE PREMIER.
CHRIST ACCUSÉ DE MAGIE PAR LES JUIFS.

SOMMAIRE. — Le côté inconnu du christianisme.— Paraboles du Talmud


et du Sepher Toldos-Jeschut. — L'Évangile et l'Apocalypse de saint
Jean. — Les Joannites. — Les livres de magie brûlés par saint Paul. —
Cessation des oracles. — Transfiguration du prodige naturel en m i -
racle et de la divination en prophétie.

Dans les premières lignes de l'Évangile selon saint


Jean, il y a une parole que l'Église catholique ne prononce
jamais sans fléchir les genoux. Cette parole, la voici : L E
YERBE S'EST FAIT CHAIR.

Dans cette parole est contenue la révélation chrétienne


tout entière. Aussi saint Jean donne-t-il pour critérium
d'orthodoxie la confession de Jésus-Christ en chair,
c'est-à-dire en réalité visible et humaine.
Ézéchiel, le plus profond kabbaliste des anciens p r o -
phètes, après avoir vivement coloré dans ses visions les
pantacles et les hiéroglyphes de la science ; après avoir
fait tourner les roues dans les roues, allumé des yeux
vivants autour des sphères, fait marcher en battant des
12
178 HISTOIRE DE LÀ MAGIE.

ailes les quatre animaux mystérieux, Ézéchiel ne voit plus


qu'une plaine couverte d'ossements desséchés ; il parle, et
les formes reviennent, la chair couvre lesos. Une triste
beauté s'étend sur les dépouilles de la mort, mais c'est
une beauté froide et sans vie. Telles étaient les doctri-
nes et les mythologies du vieux monde,lorsqu'un souffle
de charité descendit du ciel. Alors les formes mortes
se levèrent, les rêves philosophiques firent place à des
hommes vraiment sages ; la parole s'incarna et devint
vivante ; il n'y eut plus d'abstractions, tout fut réel. La
foi qui se prouve par les œuvres remplaça les hypothèses
qui n'aboutissaient qu'à des fables. La magie se trans-
forma en sainteté, les prodiges devinrent des miracles,
et les multitudes réprouvées par l'initiation antique furent
appelées à la royauté et au sacerdoce de la vertu.
La réalisation est donc l'essence de la religion chré-
tienne. Aussi son dogme donne-t-il un corps aux allégories
même les plus évidentes. On montre encore à Jérusalem
la maison du mauvais riche, et peut-être trouverait-on
même, en cherchant bien, quelque lampe ayant appar-
tenu aux vierges folles. Ces crédulités naïves n'ont au
fond rien de bien dangereux, et prouvent seulement la
virtualité réalisatrice d e la foi chrétienne.
Les Juifs l'accusent d'avoir matérialisé les croyances
et idéalisé les choses terrestres. Nous avons rapporté
dans notre Dogme et rituel de la haute magie la parabole
assez ingénieuse du Sépher Toldos-Jeschut qui prouve
cette accusation. Dans le Talmud, ils racontent que Jésus
Ben-Sabta, ou le fils de la Séparée, ayant étudié en Egypte
les mystères profanes, éleva en Israël une fausse pierre
angulaire et entraîna le peuple dans l'idolâtrie. Us re-
CHRIST ACCUSÉ DE MAGIE P A R LES JUIFS. 179

connaissent toutefois que le sacerdoce israélite a eu tort '


de le maudire des deux mains, et c'est à cette occasion
qu'on trouve dans le ïalmud ce beau précepte qui rap-
prochera un jour Israël du christianisme : « Ne maudissez
jamais des deux mains, afin qu'il vous en reste toujours
une pour pardonner et pour bénir. »
Le sacerdoce juif fut en effet injuste envers ce paisible
maître qui ordonnait à ses disciples d'obéir à la hiérarchie
constituée. « Us sont assis dans la chaire de Moïse, disaitc/
le Sauveur, faites-donc ce qu'ils vous disent, mais ne faites
pas ce qu'ils font.» Un autre jour le Maître ordonne à dix
lépreux d'aller se montrer aux prêtres, et pendant qu'ils
y allaient, ils furent guéris. Touchante abnégation du
divin thaumaturge qui renvoie à ses plus mortels enne- '
mis l'honneur même de ses miracles!
D'ailleurs, pour accuser le Christ d'avoir posé une
fausse pierre angulaire, savaient-ils bien eux-mêmes où
était alors la véritable? La pierre angulaire, la pierre
cubique, la pierre philosophale, car tous ces noms sym-
boliques signifient la même chose, cette pierre fonda-
mentale du temple kabbalistique, carrée par la base et
triangulaire au sommet comme les pyramides, les Juifs
du temps des pharisiens n'en avaient-ils pas perdu la
science ? En accusant Jésus d'être un novateur, ne dé-
nonçaient-ils pas leur oubli de l'antiquité? Cette lumière
qu'Abraham avait vue avec des tressaillements de joie,
n'était-elle pas éteinte pour les enfants infidèles de Moïse,
lorsque Jésus la retrouva et la fit briller d'une nouvelle
splendeur? Pour en être certain, il faut comparer avec
l'Evangile et l'Apocalypse de saint Jean les mysté-
rieuses doctrines du Sépher Jesirah et du Sohar. On
J80 HISTOIRE DE L.V MAGIE.

comprendra alors que le christianisme, loin d'être une


hérésie juive, était la vraie tradition orthodoxe du ju-
daïsme, et que les scribes et les pharisiens étaient seuls

des sectaires.
D'ailleurs l'orthodoxie chrétienne est un fait prouvé
par l'adhésion du monde et par la cessation chez les Juifs
du souverain sacerdoce et du sacrifice perpétuel, les
deux marques certaines d'une véritable religion. L e ju-
daïsme sans temple, sans grand prêtre et sans sacrifice,
n'existe plus que comme opinion contradictoire. Quel-
ques hommes sont restés juifs; le temple et l'autel sont
devenus chrétiens.
On trouve dans les Évangiles apocryphes une belle ex-
position allégorique de ce critérium de certitude du chris-
tianisme, qui consiste dans l'évidence de la réalisation.
Quelques enfants s'amusaient à pétrir des oiseaux d'ar-
gile, et l'enfant Jésus jouait avec eux. Chacun des petits
artistes vantait exclusivement son ouvrage. Jésus ne di-
sait rien, mais quand il eut terminé ses oiseaux, il frappa
des mains, leur dit : Volez! et ils s'envolèrent. Voilà
comment les institutions chrétiennes se sont montrées
supérieures à celles de l'ancien monde. Celles-ci sont
mortes, et le christianisme a vécu.
Considéré comme l'expression parfaite, réalisée et vi-
vante de la kabbale, c'est-à-dire de la tradition primitive,
le christianisme est encore inconnu, et c'est pour cela que
le livre kabbalistique et prophétique de l'Apocalypse est
encore inexpliqué.
Sans les clefs kabbalistiques, en effet, il est parfaite-
ment inexplicable, puisqu'il est incompréhensible.
Les Joannites, ou disciples de saint Jean, conservèrent
CHRIST ACCUSÉ DE MAGIE PAR LES JUIFS. 181

longtemps l'explication traditionnelle de cette épopée


prophétique, mais les gnostiques vinrent tout brouiller
et tout perdre, comme nous l'expliquerons plus tard.
Nous lisons dans les Actes des apôtres, que saint Paul
réunit à Éphèse tous les livres qui traitaient des choses
curieuses, et les brûla publiquement. Nul doute qu'il ne
soit ici question des livres de la goétie ou nigromancie
des anciens. Cette perte est à regretter sans doute, car v

des monuments même de l'erreur peuvent sortir des


éclairs de vérité et des renseignements précieux pour la
science.
Tout le monde sait qu'à la venue de Jésus-Christ, les
oracles cessèrent dans tout le monde, et qu'une voix cria
sur la mer : « Le grand Pan est mort ! » Un écrivain païen se
fâche de ces assertions, et déclare que les oracles ne ces-
sèrent pas, mais qu'il ne se trouva bientôt plus personne
pour les consulter. La rectification est précieuse, et nous
trouvons une telle justification plus concluante en vérité
que la prétendue calomnie.
Il faut dire la même chose des prestiges, qui furent
dédaignés quand se produisirent les vrais miracles ; et
en effet si les lois supérieures de la nature obéissent à la
vraie supériorité morale, les miracles deviennent surna-
turels comme les vertus qui les produisent. Notre théorie
n'ôte rien à la puissance de Dieu, et la lumière astrale
obéissant à la lumière supérieure de la grâce représente
réellement pour nous le serpent allégorique qui vient
poser sa tête vaincue sous le pied de la Reine du ciel.
182 HISTOIRE DE LA MAGIE.

C H A P I T R E I L

VÉRITÉ DU CHRISTIANISME PAR LA MAGIE.

SOMMAIRE. — Comment la magie rend témoignage de la vérité du chris-


tianisme. — L'esprit de charité, |a raison et la foi. — Vanité et ridi-
cule des objections. — Pourquoi l'autorité du sacerdoce chrétien a dû
condamner la magie. — Simon le Magicien.

La magie, étant la science de l'équilibre universel et


ayant pour principe absolu la vérité-réalité-raison de
l'être, rend compte de toutes les antinomies, et concilie
toutes les réalités opposées entre elles par ce principe
générateur de toutes les synthèses : L'harmonie résulte de
l'analogie des contraires.
Pour l'initié à cette science, la religion ne saurait être
mise en question, puisqu'elle existe : on ne conteste pas ce
qui est.

L ' Ê T R E EST L'ÊTRE , rrrtN W K rwm»

L'opposition apparente de la religion à la raison fait


la force de l'une et de l'autre, en les établissant dans leur
domaine distinct et séparé et en fécondant le côté néga-
tif de chacune par le côté affirmatif de l'autre : c'est,
comme nous venons de le dire, l'harmonie par l'analogie
des contraires. Ce qui a causé toutes les erreurs et toutes
les confusions religieuses, c'est que par suite de l'igno-
rance de cette grande loi, on a voulu faire de la religion
une philosophie et de la philosophie une religion ; on a
voulu soumettre les choses de la foi aux procédés de la
science, chose aussi ridicule que de soumettre la science
VÉRITÉ DU CHRISTIANISME PAR LA MAGIE. 183

aux obéissances aveugles de la foi : il n'appartient pas


plus à un théologien d'affirmer une absurdité mathéma-
tique ou de nier la démonstration d'un théorème, qu'à
un savant d'ergoter, au nom de la science, pour ou contre
les mystères du dogme.
Demandez à Y Académie des sciences s'il est mathé-
matiquement vrai qu'il y a trois personnes en Dieu, et
s'il peut être constaté par le moyen des sciences que
Marie, mère de Dieu, a été conçue sans péché? L'Aca-
démie des siences se récusera, et elle aura raison : les
savants n'ont rien à voir là-dedans, cela est du domaine
de la foi.
On ne discute pas un article de foi, on le croit ou on ne
le croit pas ; mais il est de foi précisément parce qu'il
échappe à l'examen de la science.
Quand le comte de Maistre assure qu'on parlera un jour
avec étonnement de notre stupidité actuelle, il fait allu-
sion sans doute à ces prétendus esprits forts qui v i e n -
nent tous les jours vous dire :
Je croirai quand la vérité du dogme me sera scienti-
fiquement prouvée.
C'est-à-dire, je croirai quand je n'aurai plus rien à
croire, et que le dogme sera détruit comme dogme, en
devenant un théorème scientifique.
Cela veut dire en d'autres termes : j e n'admettrai l'in-
fini que lorsqu'il sera pour moi expliqué, déterminé,
circonscrit, défini ; en un mot, fini.
Je croirai donc à l'infini quand je serai sûr que l'infini
n'existe pas.
Je croirai à l'immensité de l'Océan quand je l'aurai vu
mettre en bouteilles.
18/j. HISTOIRE DE LA MAGIE.

Mais, bonnes gens, ce qu'on vous a clairement prouvé


et fait comprendre, vous ne le croyez plus, vous le
savez.
D'un autre côté, si l'on vous disait que le pape a dé-
cidé que deux et deux ne font pas quatre, et que le carré
de l'hypoténuse n'est pas égal aux carrés tracés sur les
deux autres côtés d'un triangle rectangle, vous diriez
avec raison : L e pape n'a pas décidé cela, parce qu'il ne
peut pas le décider. Cela ne le regarde pas, et il ne s'en
mêlera pas.
Tout beau, va s'écrier un disciple de Rousseau, l'Église
nous ordonne de croire des choses formellement con-
traires aux mathématiques.
Les mathématiques nous disent que le tout est plus
grand que la partie. Or, quand Jésus-Christ a communié
avec ses disciples, il a dû tenir son corps entier dans sa
main, et il a mis sa tête dans sa bouche. (Cette pauvre
plaisanterie se trouve textuellement dans Rousseau.)
Il est facile de répondre à cela, que le sophiste confond
ici la science avec la foi, et l'ordre naturel avec l'ordre
surnaturel ou divin.
Si la religion disait que, dans la communion de la
cène, notre Sauveur avait deux corps naturels de même
forme et de même grandeur, et que l'un a mangé l'autre,
la science aurait droit de se récrier.
Mais la religion dit que le corps du Maître était divi-
nement et sacramentellement contenu sous le signe ou
l'apparence naturelle d'un morceau de pain. Encore une
fois, c'est à croire ou ne pas croire ; mais quiconque rai-
sonnera là-dessus et voudra discuter scientifiquement la
chose, méritera de passer pour un sot.
VÉRITÉ DU CHRISTIANISME PAR LA MAGIE. 185

Le vrai en science se prouve par des démonstrations


exactes; le vrai en religion se prouve par l'unanimité de
la foi et la sainteté des œuvres.
Celui-là a le droit de remettre les péchés, dit l'Évan-
gile, qui peut dire au paralytique : Lève-toi, et marche.
La religion est vraie, si elle réalise la morale la plus
parfaite.
La preuve de la foi ce sont les œuvres.
Le christianisme a-t-il constitué une société immense
d'hommes ayant la hiérarchie pour principe, l'obéissance
pour règle et la charité pour loi ? Voilà ce qu'il est permis
de demander à la science.
Si la science répond d'après les documents histori-
ques : Oui, mais ils ont manqué à la charité.
I Je vous prends par vos propres paroles, pouvons-nous
répondre aux interprètes de la science.-Vous avouez donc
que la charité existe, puisqu'on peut y manquer?
La charité! grand mot et grande chose, mot qui
n'existait pas avant le christianisme, chose qui est la vraie
religion tout entière !
L'esprit de charité n'est-il pas l'esprit divin rendu
visible sur la terre?
7 Cet esprit n'a-t-il pas rendu son existence sensible par
des actes, par des institutions, par des monuments, par
des œuvres immortelles?
En vérité, nous ne concevons pas comment un in-
crédule de bonne foi peut voir une fille de Saint-Vin-
cent de Paul sans avoir envie de se mettre à genoux et
de prier !
L'esprit de charité, c'est Dieu, c'est l'immortalité de
1 âme, c'est la hiérarchie, c'est l'obéissance, c'est le
186 HISTOIRE DE LA MAGIE.

pardon des injures, c'est la simplicité et l'intégrité de


la foi.
Les sectes séparées sont atteintes de mort dans leur
principe, parce qu'elles ont manqué à la charité en se
séparant, et au plus simple bon sens en voulant raisonner
sur la foi.
C'est dans ces sectes que le dogme est absurde, parce
qu'il est soi-disant raisonnable. Alors ce doit être un théo-
rème scientifique, ou ce n'est rien. En religion, on sait
que la lettre tue et que l'esprit seul vivifie ;'or, de quel
esprit peut-il être question ici, sinon de l'esprit de cha-
rité?
La foi qui transporte les montagnes et qui fait endurer
le martyre, la générosité qui donne, l'éloquence qui
parle la langue des hommes et celle des anges, tout cela
n'est rien sans la charité, dit saint Paul.
La science peut défaillir, ajoute le même apôtre, la
prophétie peut cesser, la charité est éternelle.
La charité et ses œuvres, voilà la réalité en religion :
or, la raison véritable ne se refuse jamais à la réalité ;
car la réalité, c'est la démonstration de l'être qui est la
vérité.
C'est ainsi que la philosophie donne la main à la reli-
gion, sans jamais vouloir en usurper le domaine ; et c'est
à cette condition que la religion bénit, encourage et illu-
mine la philosophie de ses charitables splendeurs.
La charité est le lien mystérieux que rêvaient les initiés
de l'Hellénie pour concilier Eros et Auteros. C'est ce
couronnement de la porte du temple de Solomon qui de-
vait unir ensemble les deux colonnes Jakin et Boaz ; c'est
la garantie mutuelle des droits et des devoirs, de l'au-
VÉRITÉ DO CHRISTIANISME PAR LA MAGIE. 187

torité et de la liberté, du fort et du faible, du peuple et


du gouvernement, de l'homme et de la femme ; c'est le
sentiment divin qui doit vivifier la science humaine ; c'est
l'absolu du bien, comme le principe ÊTRE-RÉALITÉ-RAI-
SON est l'absolu du vrai. Ces éclaircissements étaient né-
cessaires pour faire bien comprendre ce beau symbole
des mages adorant le Sauveur au berceau. Us sont trois,
un blanc, un cuivré et un noir, et ils offrent de l'or, de
l'encens et de la myrrhe. La conciliation des contraires
est exprimée par ce double ternaire, et c'est précisément
ce que nous venons d'expliquer.
Le christianisme, attendu par les mages, était en effet
la conséquence de leur doctrine secrète ;. mais en nais-
sant, ce Benjamin de l'antique Israël devait donner la
mort à sa mère.
La magie de lumière, la magie du vrai Zoroastre, de
Melchisédech et d'Abraham, devait cesser à la venue du
grand réalisateur. Dans un monde de miracles les pro-
diges ne devaient plus être qu'un scandale, l'orthodoxie
magique s'était transfigurée en orthodoxie religieuse ;
les dissidents ne pouvaient plus être que des illuminés et
des sorciers ; le nom même de la magie ne devait plus être
pris qu'en mauvaise part, et c'est sous cette malédiction
que nous suivrons désormais les manifestations magiques
à travers les âges.
Le premier hérésiarque dont fassent mention les tra-
ditions de l'Église fut un thaumaturge dont la légende
raconte une multitude de merveilles : c'était Simon le
Magicien; son histoire nous appartient de droit, et nous
allons essayer de la retrouver parmi les fables popu-
laires.
188 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Simon était Juif de naissance, on croit qu'il était né


au bourg de Gitton, dans le pays de Samarie. Il eut pour
maître de magie un sectaire nommé Dosithée qui se di-
sait l'envoyé de Dieu et le Messie annoncé par les pro-
phètes. Simon apprit de ce maître non-seulement l'art des
prestiges, mais encore certains secrets naturels qui ap-
partiennent réellement à la tradition secrète des mages :
il possédait la science du feu astral, et l'attirait autour de
lui à grands courants, ce qui le rendait en apparence im-
passible et incombustible ; il avait aussi le pouvoir de
s'élever et de se soutenir en l'air, toutes choses qui ont
été faites sans aucune science, mais par accident natu-
rel, par des enthousiastes ivres de lumière astrale, tels
que les convulsionnaires de Saint-Médard, phénomènes
qui se reproduisent de nos jours dans les extases des
médiums. Il magnétisait à distance ceux qui croyaienten
lui et leur apparaissait sous diverses figures. Il produisait
des images et des reflets visibles au point de faire ap-
paraître en pleine campagne des arbres fantastiques et
imaginaires que tout le monde croyait voir. Les choses
naturellement inanimées se mouvaient autour de lui,
comme font les meubles autour de l'Américain Home, et
souvent, lorsqu'il voulait entrer dans une maison ou en
sortir, les portes craquaient, s'agitaient et finissaient par
s'ouvrir d'elles-mêmes.

Simon opéra ces merveilles devant les notables et le


peuple de Samarie ; on les exagéra encore, et le thauma-
turge passa pour un être divin. Or, comme il n'avait pu
arriver à cette puissance que par des excitations qui
avaient troublé sa raison, il se crut lui-même un person-
nage tellement extraordinaire, qu'il s'arrogea sans façon
VÉRITÉ DU CHRISTIANISME PAR LA MAGIE. 189

les honneurs divins, et songea modestement à usurper les


adorations du monde entier.
Ses crises ou ses extases produisaient sur son corps des
effets extraordinaires. Tantôt on le voyait pâle, flétri,
brisé, semblable à un vieillard qui va mourir ; tantôt le
fluide lumineux ranimait son sang, faisait briller ses yeux,
tendait et adoucissait la peau de son visage, en sorte qu'il *'••>>-•'
paraissait tout à coup régénéré et rajeuni. Les Orientaux,
grands amplificateurs de merveilles, prétendaient alors
l'avoir vu passer de l'enfance à la décrépitude, et revenir,
suivant son bon plaisir, de la décrépitude à l'enfance.
Enfin il ne fut bruit partout que de ses miracles, et il
devint l'idole des Juifs de Samarie et des pays environ-
nants.
Mais les adorateurs du merveilleux sont généralement
avides d'émotions nouvelles, et ils se fatiguent vite de c e ^ % w ^
qui les a d'abord étonnés. L'apôtre saint Philippe étant
venu prêcher l'Évangile à Samarie, il se fit un nouveau 3^
courant d'enthousiasme qui fit perdre à Simon tout son
prestige. Lui-même se sentit délaissé par sa maladie,
qu'il prenait pour une puissance ; il se crut surpassé par
des magiciens plus savants que lui, et prit le parti de s'at-
tacher aux apôtres pour étudier, surprendre ou acheter
leur secret.
Simon n'était certainement pas initié à la haute ma-
gie ; car elle lui aurait appris que pour disposer des
forces secrètes de la nature de manière à les diriger sans
être brisé par elles, il faut être un sage etun saint ; que
pour se jouer avec ces terribles armes sans les connaître,
il faut être un fou, et qu'une mort prompte et terrible
JÊ e n d
'es profanateurs du sanctuaire cle la nature.
190 H I S T O I R E DE LA MAGIE.

Simon était dévoré de la soif implacable des ivrognes :


privé de ses vertiges, il croyait avoir perdu son bon-
heur; malade de ses ivresses passées, il comptait se gué-
rir en s'enivrant encore. On ne redevient pas volontiers
un simple mortel après s'être posé en dieu. Simon se sou-
mit donc, pour retrouver ce qu'il avait perdu, à toutes les
rigueurs de l'austérité apostolique ; il veilla, il pria, il
jeûna, mais les prodiges ne revenaient point.
Après tout, se dit-il un jour, entre Juifs on doit pouvoir
s'entendre, et il proposa de l'argent à saint Pierre. Le
chef des apôtres le chassa avec indignation. Simon n'y
comprenait plus rien, lui qui recevait si volontiers les of-
frandes de ses disciples ; il quitta au plus vite la société
de ces hommes si désintéressés, et avec l'argent dont saint
Pierre n'avait pas voulu, il fit empiète d'une femme
esclave nommée Hélène.
Les divagations mystiques sont toujours voisines de 1
débauche. Simon devint éperdûment épris de sa ser-
vante ; la passion, en l'affaiblissant et en l'exaltant, lui
rendit ses catalepsies et ses phénomènes morbides qu'il
appelait sa puissance et ses miracles. Une mythologie
pleine de réminiscences magiques mêlées à des rêves
erotiques sortit tout armée de son cerveau ; il se mit
alors à voyager comme les apôtres, traînant après lui son
Hélène, dogmatisant et se faisant voir à ceux qui vou-
laient l'adorer et sans doute aussi le payer.
Suivant Simon, la première manifestation de Dieu avait
été une splendeur parfaite qui produisit immédiatement
son reflet. Ce soleil des âmes c'était lui, et son reflet
C'était Hélène, qu'il affectait d'appeler Sélène, nom qui
en grec signifie la lune.
VÉRITÉ DU CHRISTIANISME PAR LA MAGIE. 191

Or, la lune de Simon était descendue au commence-


ment des siècles sur la terre que Simon avait ébauchée
dans ses rêves éternels ; elle y devint mère, car la pensée
de son soleil l'avait fécondée, et elle mit au monde les
anges qu'elle éleva pour elle seule et sans leur parler de
leur père.
Les anges se révoltèrent contre elle et l'enchaînèrent
dans un corps mortel.
Alors la splendeur de Dieu fut forcée de descendre à
son tour pour racheter son Hélène, et le Juif Simon vint
sur la terre.
Il devait y vaincre la mort et emmener vivante à tra-
vers les airs son Hélène, suivie du chœur triomphant de
ses élus. Le reste des hommes serait abandonné sur la
terre à la tyrannie éternelle des anges.
Ainsi cet hérésiarque, plagiaire du christianisme, mais
en sens inverse, affirmait le règne éternel de la révolte
et du mal, faisait créer ou du moins achever le monde
par les démons, détruisait l'ordre et la hiérarchie pour
se poser seul avec sa concubine comme étant la voie, la
vérité et la vie. C'était le dogme de l'Antéchrist ; et il ne
devait pas mourir avec Simon, il s'est perpétué jusqu'à
nos jours; et les traditions prophétiques du christianisme
affirment même qu'il doit avoir son règne d'un moment
et son triomphe, avant-coureur des plus terribles cala-
mités.

Simon se faisait appeler saint, et, par une étrange


coïncidence, le chef d'une secte gnostique moderne, qui
rappelle tout le mysticisme sensuel du premier hérésiarque,
l'inventeur de la femme libre, se nommait aussi Saint-
Simon. Le caïnisme, tel est le nom qu'on pourrait donner
192 HISTOIRE DE LA MAGIE.

à toutes les fausses révélations émanées de cette source


impure. Ce sont des dogmes de malédiction et de haine
contre l'harmonie universelle et contre l'ordre social ; ce
sont les passions déréglées affirmant le droit au lieu du
devoir ; l'amour passionnel, au lieu de l'amour chaste et
dévoué ; la prostituée, au lieu de la mère ; Hélène, la con-
cubine de Simon, au lieu de Marie, mère du Sauveur.
Simon devint un personnage et se rendit à R o m e , où
l'empereur, curieux de tous les spectacles extraordinaires,
était disposé à l'accueillir : cet empereur était Néron.
L'illuminé Juif étonna le fou couronné par un tour de-
venu commun sur nos théâtres d'escamoteurs. Il se fit
trancher la tête, puis vint saluer l'empereur avec sa tête
sur les épaules; il fit courir les meubles, ouvrir les por-
tes; il se comporta enfin comme un véritable médium, et
devint le sorcier ordinaire des orgies néroniennes et des
festins de Trimalcyon.
Suivant les légendaires, ce fut pour préserver les Juifs
de Rome de la doctrine de Simon, que saint Pierre se
rendit dans cette capitale du monde. Néron apprit bien-
tôt par ses espions de bas étage qu'un nouveau thauma-
turge Israélite était arrivé pour faire la guerre à son
enchanteur. 11 résolut de les mettre en présence et de
s'amuser du conflit. Pétrone et Tigellin étaient peut-
être de la fête.
« Que la paix soit avec vous ! dit en entrant le prince
des apôtres.
— Nous n'avons que faire de ta paix, répondit Simon,
c'est par la guerre que la vérité se découvre. La paix
entre adversaires, c'est le triomphe de l'un et la défaite
de l'autre. »
pur. J°. 7S2.

DISPUTE PUBLIQUE
entre S Pierre et S^aul cl une part et Simon le Magicien de l'autre,
Ascension et chute de Simon.
d'après une gravure du 15 Siècle.
e
VÉRITÉ DD CHRISTIANISME PAR LA MAGIE. 193

Saint Pierre reprit :


« Pourquoi refuses-tu la paix? Ce sont les vices des
hommes qui ont créé la guerre ; la paix accompagne
toujours la vertu.

— La vertu, c'est la force et le savoir-faire, dit Si-


mon. Moi, j'affronte le feu, je m'élève dans les airs, je
ressuscite les plantes, je change la pierre en pain ; et toi,
que fais-tu?

— Je prie pour toi, dit saint Pierre, afin que tu


ne périsses pas victime de tes prestiges.
— Garde tes prières : elles ne monteront pas aussi-
tôt que moi vers le ciel.
Et voilà le magicien qui s'élance par une fenêtre, et
qui s'élève dans les airs. Avait-ri-l quelque appareil aéro-
statique sous ses longs vêtements ou's'élevait-il, comme
les convuîsionnaires du diacre Paris, par une exaltation
de lumière astrale, c'est ce que nous ne saurions dire.
Pendant ce temps saint Pierre était à genoux et priait;
tout à coup Simon pousse un grand cri et tombe : on le
releva avec les cuisses brisées. Et Néron fit emprisonner
saint Pierre, qui lui semblait être un magicien moins
divertissant que Simon ; celui-ci mourut de sa chute.
Toute cette histoire, qui remonte aux rumeurs populaires
de ce temps-là, est maintenant reléguée peut-être à tort
parmi les légendes apocryphes. Elle n'en est pas moins
remarquable et digne d'être conservée.

La secte de Simon ne s'éteignit pas avec lui, il eut


pour successeur un de ses disciples, nommé Ménandre.
Celui-ci ne se disait pas dieu, il se contentait du rôle de
prophète ; lorsqu'il baptisait ses prosélytes, un feu visible
descendait sur l'eau ; il leur promettait l'immortalité de
13
19/t HISTOIRE DE LA MAGIE.

l'âme et du corps au moyen de ce bain magique, et il y


avait encore, du temps de saint Justin, des ménandriens
qui se croyaient fermement immortels. La mort des uns
ne désabusait pas les autres, car le défunt était immédia-
tement excommunié et considéré comme un faux frère.
Les ménandriens regardaient la mort comme une vérita-
ble apostasie et complétaient leur phalange immortelle en
enrôlant de nouveaux prosélytes. Ceux qui savent jus-
qu'où peut aller la folie humaine, ne s'étonneront pas si
nous leur apprenons qu'en cette année même 1858, il
existe encore en Amérique et en France des continuateurs
fanatiques de la secte des ménandriens.
La qualification de magicien ajoutée au nom de Simon
fit prendre en horreur la magie par les chrétiens ; mais
on n'en continua pas moins à honorer le souvenir des rois
mages qui avaient adoré le Sauveur dans son berceau.

C H A P I T R E I I I .

DE DIABLE.

S O M M A I R E . — Son origine ; ce qu'il est suivant la foi et suivant la science.


— Satan, ses pompes et ses œuvres. — Les possédés de l'Évangile.
— Le vrai nom du diable, suivant la kabbale et d'après les confessions
des énergumènes. — Généalogie infernale. — Le bouc du sabbat. —
L'ancien serpent et le faux Lucifer.

L e christianisme, en formulant nettement la conception


divine, nous fait comprendre Dieu comme l'amour le plus
pur et le plus absolu, et définit nettement l'esprit opposé à
Dieu. C'est l'esprit d'opposition et de haine, c'est Satan.
Mais cet esprit n'est pas un personnage, et il ne faut pas
DU D I A B L E . 195

le comprendre comme une espèce de dieu noir ; c'est une


perversité commune à toutes les intelligences dévoyées.
« J e me nomme Légion, dit-il dans l'Évangile, parce que
nous sommes une multitude. »
L'intelligence naissante peut être comparée à l'étoile
dumatin, et si elle tombe volontairement dans les ténè-
bres après avoir brillé un instant, on peut lui appliquer
cette apostrophe d'Isaïe au roi deBabylone : «Comment
es-tu tombé du ciel, beau Lucifer, brillante étoile du
matin! » Mais est-ce à dire pour cela que le Lucifer cé-
leste, que l'étoile matinale de l'intelligence divine soit
devenue un flambeau de l'enfer? Le nom de porte-lu-
mière est-il justement donné à l'ange des égarements et
des ténèbres? Nous ne le pensons pas, à moins qu'on
n'entende comme nous, et suivant les traditions magi-
ques, par l'enfer personnifié en Satan et figuré par l'an- )
cien serpent, ce feu central qui s'enroule autour de la .
terre, dévorant tout ce qu'il produit et se mordant la
queue comme le serpent de Chronos, cette lumière a s -
trale dont le Seigneur parlait lorsqu'il disait à Caïn : « Si
tu fais le mal, le péché sera aussitôt à tes portes, c'est-
à-dire le désordre s'emparera de tous tes sens ; mais j e
t'ai soumis la convoitise de la mort, et c'est à toi de lui
commander. »

La personnification royale et presque divine de Satan


est une erreur qui remonte au faux Zoroastre, c'est-à-dire -
au dogme altéré des seconds mages, les mages matéria-
listes de la Perse; ils avaient changéen dieux les deux pôles
du monde intellectuel, et de la force passive ils avaient fait
une divinité opposée à la force active. Nous avons signalé
dans la mythologie de l'Inde la même monstrueuse erreur.
19G HISTOIRE DE LA MAGIE.

Arimanes ou Schiva, tel est le père du démon, comme


le comprennent les légendaires superstitieux , et c'est
pour cela que le Sauveur disait : « L e diable est menteur
comme son père. »
L'Église, sur cette question, s'en rapporte aux textes de
l'Évangile, et n'a jamais donné de décisions dogmati-
ques dont la définition du diable fût l'objet. Les bons
chrétiens évitent même de le nommer, et les moralistes
religieux recommandent à leurs fidèles de ne pas s'occuper
de lui, mais de lui résister en ne pensant qu'à Dieu.
Nous ne pouvons qu'admirer cette sage réserve de
•ve l'enseignement sacerdotal. Pourquoi, en effet, prêterait-
on la lumière du dogme à celui qui est l'obscurité intel-
lectuelle et la nuit la plus sombre du cœur?Qu'il reste
inconnu, cet esprit qui veut nous arracher à la connais-
sance de Dieu !
Nous ne prétendons pas ici faire ce que n'a pas fait
l'Église, nous constatons seulement sur ce sujet quel fut
l'enseignement secret des initiés aux sciences occultes.
Us disaient que le grand agent magique, justement
appelé Lucifer, parce qu'il est le véhicule de la lumière
et le réceptacle de toutes les formes, est une force inter-
médiaire répandue dans toute la création ; qu'elle sert à
créer et à détruire, et que la chute d'Adam a été une
' i v r e s s e erotique qui a rendu sa génération esclave de cette
lumière fatale ; que toute passion amoureuse qui enva-
hit les sens est un tourbillon de cette lumière qui veut
nous entraîner vers le gouffre de la mort; que la folie,
les hallucinations, les visions, les extases, sont une exalta-
tion très dangereuse de ce phosphore intérieur; que cette
lumière enfin est de la nature du feu, dont l'usage intel-
DU DIABLE. 197

ligent échauffe et vivifie, dont l'excès au contraire brûle,


dissout et anéantit.
L'homme serait appelé à prendre un souverain empire
sur cette lumière et à conquérir par ce moyen son i m -
mortalité, et menacé en même temps d'être enivré, ab-
sorbé et détruit éternellement par elle.
Cette lumière, en tant que dévorante, vengeresse et
fatale, serait le feu de l'enfer, le serpent de la légende ;
et l'erreur tourmentée dont alors elle serait pleine, les
pleurs et le grincement de dents des êtres avortés qu'elle
dévore, le fantôme de la vie qui leur échappe, et semble
insulter à leur supplice, tout cela serait le diable ou Satan.
Les actions mal dirigées par le vertige de la lumière
astrale, les mirages trompeurs de plaisir, de richesse et
de gloire dont les hallucinations sont pleines, seraient les
pompes et les œuvres de l'enfer.
Le père Hilarion Tissot croit que toutes les maladies
nerveuses accompagnées d'hallucinations et de délire
sont des possessions du diable, et en comprenant les
choses dans le sens des kabbalistes, il aurait pleinement
raison.
Tout ce qui livre notre âme à la fatalité des vertiges
est vraiment infernal, puisque le ciel est le règne éternel
de l'ordre, de l'intelligence et de la liberté.
Les possédés de l'Évangile fuyaient devant Jésus-
Christ, les oracles se taisaient devant les apôtres, et les
malades d'hallucinations ont toujours manifesté une répu-
gnance invincible pour les initiés et les sages.
La cessation des oracles et des possessions était une
preuve du triomphe de la liberté humaine sur la fatalité.
Quand les maladies astrales se montrent de nouveau,
198 HISTOIRE DE LA MAGIE.

c'est un signe funeste qui annonce l'affaiblissement des


âmes. Des commotions fatales suivent toujours ces ma-
nifestations. Les convulsions durèrent jusqu'à la révolu-
tion française, et les fanatiques de Saint-Médard en
avaient prédit les sanglantes calamités.
Le célèbre criminaliste Torreblanca, qui a étudié à fond
les questions de magie diabolique, en décrivant les opé-
rations du démon, décrit précisément tous les phénomè-
nes de perturbation astrale. Voici quelques numéros du
sommaire de son chapitre X V de la Magie opératrice :
1. L'effort continuel du démon est tendu pour nous
pousser dans l'erreur.
2 . Le démon trompe les sens en troublant l'imagina-
tion, dont il ne saurait pourtant changer la nature.
3. Des apparences qui fappent la vue de l'homme se
forme immédiatement un corps imaginaire dans l'enten-
dement, et tant que dure le fantôme, les apparences l'ac-
compagnent.
4. Le démon détruit l'équilibre de l'imagination par
le trouble des fonctions vitales, soit maladie, soit irré-
gularité dans la santé.
5 et 6. Quand l'équilibre de l'imagination et de la
raison est détruit par une cause morbide, on rêve tout
éveillé, et l'on peut voir avec une apparence réelle ce
qui n'existe réellement pas.
7. La vue cesse d'être juste quand l'équilibre est trou-
blé dans la perception mentale des images.
8 et 9. Exemples de maladies où l'on voit les objets
doubles, etc.
10. Les visions sortent de nous et sont des reflets de
notre propre image.
DU DIABLE. 199

1 1 . Les anciens connaissaient deux maladies qu'ils


nommaient, l'une frénésie (çpsvmç), l'autre corybantisme
(w)puêavnacT[xoç), dont l'une fait voir des formes imagi-
naires, l'autre fait entendre des voix et des sons qui
n'existent pas, etc.
Il résulte de ces assertions, d'ailleurs fort remarquables,
que Torreblanca attribue les maladies au démon, et que
par le démon il entend la maladie elle-même ; ce que
nous entendrions bien volontiers avec lui si l'autorité
dogmatique le permettait.
Les efforts continuels de la lumière astrale pour dis-
soudre et absorber les êtres appartiennent à sa nature
même ; elle ronge comme l'eau, à cause de ses courants t
continuels ; elle dévore comme le feu, parce qu'elle est
l'essence même du feu et sa force dissolvante.
L'esprit de perversité et l'amour de la destruction
chez les êtres qu'elle domine n'est que l'instinct de cette
force. C'est aussi un résultat de la souffrance de l'âme
qui vit d'une vie incomplète et se sent déchirée par des
tiraillements en sens contraires. Elle aspire à en finir,
et craint cependant de mourir seule, elle voudrait donc
anéantir avec elle la création tout entière.
Cette perversité astrale se manifeste ordinairement
par la haine des enfants. Une force inconnue porte cer-
tains malades à les tuer, des voix impérieuses deman-
dent leur mort. Le docteur Brierre de Boismont cite des
exemples terribles de cette manie qui nous rappelle les
crimes de Papavoine et d'Henriette Cornier ( 1 ) ,
Les malades de perversion astrales ont malveillants et
s'attristent de la joie des autres, ils ne veulent pas surtout
(1) Histoire des hallucinations, 2 édition, 1853.
e
200 HISTOIRE DE LA MAGIE.

qu'on espère; ils savent trouver les paroles les plus na-
vrantes et les plus désespérantes, même lorsqu'ils cher-
chent à consoler, parce que la vie est pour eux une souf-
france et parce qu'ils ont le vertige de la mort.
C'est aussi la perversion astrale et l'amour de la mort
qui font abuser des œuvres de la génération, qui portent
à en pervertir l'usage ou à les flétrir par des moqueries
sacrilèges et des plaisanteries honteuses. L'obscénité est
un blasphème contre la vie.
Chacun de ces vices s'est personnifié en une idole noire
ou un démon qui est une image négative et défigurée
de la divinité qui donne la v i e ; ce sont les idoles de la
mort.
Moloch est la fatalité qui dévore les enfants.
Satan etNisroch sont les dieux de la haine, de la fata-
lité et du désespoir.
Astarté, Lilith, Nahéma, Astaroth, sont les idoles de
la débauche et de l'avortement.
Adramelech est le dieu du meurtre.
Bélial, celui de la révolte éternelle et de l'anarchie.
Conceptions funèbres d'une raison près de s'éteindre
qui adore lâchement son bourreau pour obtenir de lui
qu'il fasse cesser son supplice en achevant de la dévorer!
Le vrai nom de Satan, disent les kabbalistes, c'est le nom
de Jéhovah renversé, car Satan n'est pas un dieu noir,
c'est la négation de Dieu. Le diable est la personnifica-
tion de l'athéisme ou de l'idolâtrie.
Pour les initiés, ce n'est pas une personne, c'est une
force créée pour le bien, et qui peut servir au mal ; c'est
l'instrument de la liberté. Us représentaient cette force
qui préside à la génération physique sous la forme my-
DES DERNIERS P A Ï E N S . 201

thologique et cornue du dieu Pan ; de là est venu le bouc


du sabbat, le frère de l'ancien serpent, et le porte-lumière
ou phosphore dont les poètes on fait le faux Lucifer cle la
légende.

C H A P I T R E I V .

DES DERNIERS PAÏENS.

SOMMAIRE. — Apollonius de Tyane ; sa vie et ses prodiges. — Essais de


Julien pour galvaniser l'ancien culte. — Ses évocations. — Jamblique
et Maxime de Tyr. — Commencement des sociétés secrètes et pra-
tiques défendues de la magie.

Le miracle éternel de Dieu, c'est l'ordre immuable de


sa providence dans les harmonies de la nature ; les pro-
diges sont des désordres et ne doivent être attribués
qu'aux défaillances de la créature. Le miracle divin est
donc une réaction providentielle pour rétablir l'ordre
troublé. Lorsque Jésus guérissait les possédés, il les
calmait et faisait cesser leurs actes merveilleux; lorsque
les apôtres apaisaient l'exaltation des pythonisses, ils
faisaient cesser la divination. L'esprit d'erreur est un
esprit d'agitation et de subversion ; l'esprit de vérité porte
partout avec lui le calme et la paix.
Telle fut l'action civilisatrice du christianisme naissant;
mais les passions amies du trouble ne devaient pas lui
laisser sans combats la palme de sa facile victoire. L e
polythéisme expirant demanda des forces à la magie des
anciens sanctuaires ; aux mystères de l'Évangile on opposa
encore ceux d'Eleusis. Apollonius de Tyane fut mis en
202 HISTOIRE DE LA MAGIE.

parallèle avec le Sauveur du monde ; Philostrate se


chargea de faire une légende à ce dieu nouveau, puis
vint l'empereur Julien, qui eût été adoré si le javelot
qui le tua n'avait en même temps porté le dernier coup
à l'idolâtrie césarienne ; la renaissance violente et suran-
née d'une religion morte dans ses formes fut un vérita-
ble avortement, et Julien dut périr avec l'enfant décrépit
qu'il s'efforçait de remettre au monde.
Ce n'en furent pas moins deux grands et curieux per-
sonnages que cet Apollonius et ce Julien, et leur histoire
fait époque dans les annales de la magie.
En ce temps-là, les légendes allégoriques étaient à la
m o d e ; les maîtres incarnaient leur doctrine dans leur
personne, et les disciples initiés écrivaient des fables qui
renfermaient les secrets de l'initiation. L'histoire d'Apol-
lonius par Philostrate, absurde si l'on veut la prendre à
la lettre, est très curieuse si l'on veut, d'après les données
de la science, en examiner les symboles. C'est une sorte
d'évangile païen opposé aux Évangiles du christianisme ;
c'est toute une doctrine secrète qu'il nous est donné d'ex-
pliquer et de reconstruire.
Ainsi, le chapitre premier du livre troisième de Phi-
lostrate est consacré à la description de l'Hyphasis, fleuve
merveilleux qui prend sa source dans une plaine et se
perd dans des régions inaccessibles. L'Hyphasis repré-
sente la science magique, dont les premiers principes sont
simples et les conséquences très difficiles à bien déduire.
Les mariages sont inféconds dit Philostrate, s'ils ne sont
pas consacrés avec le baume des arbres qui croissent aux
bords de l'Hyphasis.
Les poissons de ce fleuve sont consacrés à Vénus ; ils
DES DERNIERS PAÏENS. 203

ont la crête bleue, les écailles de diverses couleurs et la


queue de couleur d'or ; ils relèvent cette queue quand ils
veulent. Il y a aussi dans ce fleuve un animal semblable
à un ver blanc ; cet insecte fondu rend une huile brûlante
qu'on ne peut garder que dans du verre. Ce n'est que
pour le roi qu'on prend cet animal, parce qu'il est d'une
force à renverser les murailles ; sa graisse mise à l'air
prend feu, et rien au monde n'est capable alors d'éteindre
l'incendie.
Par les poissons du fleuve Hyphasis , Apollonius
entend la configuration universelle, bleue d'un côté,
multicolore au centre, dorée à l'autre pôle, comme les
expériences magnétiques nous l'ont récemment fait
connaître. Le ver blanc de l'Hyphasis c'est la lumière
astrale, qui, condensée par un triple feu, se résoud en
une huile qui est la médecine universelle. On ne peut
garder cette huile que dans du verre, parce que le verre
n'est pas conducteur de la lumière astrale, ayant peu de
porosité; ce secret est gardé pour le roi, c'est-à-dire
pour l'initié du premier ordre, car il s'agit d'une force
capable de renverser des villes. Les grands secrets sont
indiqués ici avec la plus grande clarté.
Dans le chapitre suivant, Philostrate parle des licor-
nes. Il dit qu'on fait de leur corne des gobelets dans
lesquels on doit boire pour se préserver de tous les poi-
sons. La corne unique de la licorne représente l'unité
hiérarchique : aussi, dit Philostrate, d'après Damis, ces
gobelets sont réservés pour les rois. Heureux, dit Apollo-
nius, celui qui ne s'enivrerait jamais qu'en buvant dans
un pareil verre î
Damis dit aussi qu'Apollonius trouva une femme
20ZL HISTOIRE DE LA MAGIE.

blanche jusqu'au sein et noire depuis le sein jusqu'en


haut. Ses disciples étaient effrayés de ce prodige ; mais
Apollonius, qui savait ce qu'elle était, lui tendit la main.
C'est, dit-il, la Vénus des Indes, et ses deux couleurs
sont celles du bœuf Apis adoré des Égyptiens. Cette
femme noire et blanche, c'est la science magique dont
les membres blancs, c'est-à-dire les formes créées, révè-
lent la tête noire, c'est-à-dire la cause suprême ignorée
des hommes. Philostrate et Damis le savaient bien,
et sous ces emblèmes ils écrivaient avec discrétion la
doctrine d'Apollonius. Les chapitres V , V I , V I I , V I I I ,
IX et X du troisième livre de la Vie d'Apollonius par
Philostrate, contiennent le secret du grand œuvre. Il
s'agit des dragons qui défendent l'abord du palais des
sages. Il y a trois sortes de dragons : ceux des marais,
ceux de la plaine et ceux de la montagne. L a montagne,
c'est le soufre ; le marais, c'est le mercure ; la plaine, c'est
le sel des philosophes. Les dragons de la plaine ont sur
le dos des pointes en forme de scie, c'est la puissance
acide du sel. Les dragons des montagnes ont les écailles
de_couleur dorée, ils ont une barbe d'or, et en rampant
ils font un bruit semblable au tintement du cuivre ; ils
ont dans la tête une pierre qui opère tous les miracles;
ils se plaisent au bord de la mer Rouge, et on les prend
au moyen d'une étoffe rouge sur laquelle sont brodées
des lettres d'or ; ils reposent la tête sur ces lettres en-
chantées êt s'endorment, on leur coupe alors la tête avec
une hache. Qui ne reconnaît ici la pierre des philo-
sophes, le magistère au rouge, et le fameux regimen ignis,
ou gouvernement du feu, exprimé par les lettres d'or?
Sous le nom de citadelle des sages, Philostrate décrit
DES DERNIERS PAÏENS, 205

ensuite l'Athanor. C'est une colline toujours entourée d'un


brouillard, ouvertedu côté méridional ; ellecontient un puits
large de quatre pas, d'où sort une vapeur azurée qui monte
par la chaleur du soleil en déployant toutes les couleurs
de l'arc-en-ciel ; le fond du puits est sablé d'arsenic
rouge; près du puits est un bassin plein de feu, d'où sort
une flamme plombée, sans odeur et sans fumée, qui n'est
jamais plus haute ni plus basse que les bords du bassin ;
là se trouvent aussi deux récipients de pierre noire con-
tenant l'un la pluie et l'autre le vent. Quand la sécheresse
est excessive, on ouvre le tonneau de la pluie, et il en sort
des nuages qui humectent tout le pays. On ne saurait
décrire plus exactement le feu secret des philosophes et
ce qu'ils nomment leur bain-marie. On voit par ce pas-
sage que les anciens alchimistes, dans leur grand œuvre,
employaient l'électricité, le magnétisme et la vapeur.
Philostrate parle ensuite de la pierre philosophale, qu'il
nomme indifféremment pierre ou lumière. « Il n'est
permis à aucun profane de la chercher, car elle s'éva-
nouit, si l'on ne sait pas la prendre avec les procédés de
l'art. Les sages seuls, au moyen de certaines paroles et
de certains rites, peuvent trouver la,pantarbe, c'est le nom
de cette pierre, qui de nuit a l'apparence d'un feu, étant
enflammée et étincelante ; et si on la regarde de jour,
elle éblouit. Cette lumière est une matière subtile d'une
force admirable , car elle attire tout ce qui est proche. »
(Philostrate, Vie d'Apollonius de Tyane, livre III,
chapitre XLVI.)
Cette révélation des doctrines secrètes d'Apollonius
prouve que la pierre philosophale n'est autre chose qu'un
aimant universel formé de lumière astrale condensée et
206 HISTOIRE DE LA MAGIE.

fixée autour d'un centre. C'est un phosphore artificiel


dont tant d'allégories et de traditions ne sauraient laisser
l'existence douteuse, et dans lequel se concentrent toutes
les vertus de la chaleur génératrice du monde.
Toute la vie d'Apollonius écrite par Philostrate, d'après
Damis l'Assyrien, est un tissu d'apologues et de para-
boles; c'était la mode alors d'écrire ainsi la doctrine
cachée des grands initiateurs. On ne doit donc pas
s'étonner de ce que ce récit contient des fables, mais sous
l'allégorie de ces fables il faut trouver et comprendre la
science occulte des hiérophantes.
Malgré sa grande science et ses brillantes vertus,
Apollonius n'était pas le continuateur de l'école hiérar-
chique des mages. Son initiation venait des Indes, et
il se livrait pour s'inspirer aux pratiques énervantes des
brahmes ; il prêchait ouvertement la révolte et le régicide:
c'était un grand caractère égaré.
L a figure de l'empereur Julien nous paraît plus poéti-
que et plus belle que celle d'Apollonius. Julien porta sur
le trône du monde toute l'austérité d'un sage ; il voulait
transfuser la jeune séve du christianisme au corps de
l'hellénisme vieilli. Noble insensé coupable seulement de
trop aimer les souvenirs de la patrie et les images des
dieux de ses pères. Julien, pour contre-balancer la puis-
sance réalisatrice du dogme chrétien, appela aussi la
magie noire à son aide, et s'enfonça, à la suite de Jambli-
que et de Maxime d'Éphèse, dans de ténébreuses évoca-
tions ; ses dieux, dont il voulait ressusciter la beauté et la
jeunesse, lui apparurent vieux et décrépits, inquiets de
la vie et de la lumière et prêts à fuir devant le signe de
la croix !
DES LÉGENDES. 207

C'était fait pour toujours de l'hellénisme, le Galiléen


avait vaincu. Julien mourut en héros, sans blasphémer
son vainqueur, comme on l'a faussement prétendu. Ses der-
niers moments, qu'A m mien Marcel lin nous raconte assez
au long, furent ceux d'un guerrier et d'un philosophe ; les
malédictions du sacerdoce chrétien retentirent longtemps
sur sa tombe, et cependant le Sauveur, qui doit tant aimer
les nobles âmes, n'a-t-il pas pardonné à des adversaires
moins intéressants et moins généreux que Julien ?
Après la mort de cet empereur, l'idolâtrie et la magie
furent enveloppées dans une même réprobation univer-
selle. C'est alors que prirent naissance ces sociétés
secrètes d'adeptes auxquelles se rallièrent plus tard les
gnostiques et les manichéens; sociétés dépositaires d'une
tradition mélangée de vérités et d'erreurs, mais qui se
transmettaient, sous le sceau du serment le plus terrible,
le grand arcane de l'ancienne toute-puissance et les
espérances toujours trompées des cultes éteints et des
sacerdoces déchus.

CHAPITRE V.
DES LÉGENDES.

SOMMAIRE. — La légende de saint Gyprien et de sainte Justine. —


L'oraison de saint Cyprien. — L'âne d'or d'Apulée. — La fable de-
Psyché. — La procession d'Isis. — Étrange supposition de saint
Augustin. — Philosophie des Pères de l'Église.

Les étranges récits contenus dans la légende dorée,


quelque fabuleux qu'ils soient, n'en remontent pas moins
208 HISTOIRE DE LA MAGIE.

à la plus haute antiquité chrétienne. Ce sont des para-


boles plutôt que des histoires; le style en est simple et
oriental comme celui des Évangiles, et leur existence tra-
ditionnelle prouve qu'une sorte de mythologie avait été
inventée pour cacher les mystères kabbalistiquesde l'ini-
tiation joannite. La légende dorée est un talmud chrétien
écrit tout en allégories et en apologues. Étudiée sous ce
point de vue tout nouveau à forced'être ancien, la légende
dorée devient un livre de la plus grande importance et
du plus haut intérêt.
Un des récits de cette légende pleine de mystères
caractérise le conflit de la magie et du christianisme nais-
sant d'une manière tout à fait dramatique et saisissante.
C'est comme une ébauche anticipée des Martyrs de
Chateaubriand et du Faust de Gœthe fondus ensemble.
Justine était une jeune et belle vierge païenne, fille
d'un prêtre des idoles, le type de Cymodocée. Sa fenêtre
s'ouvrait sur une cour voisine de l'église des chrétiens ;
tous les jours elle entendait la voix pure et recueillie
d'un diacre lire tout haut les saints Évangiles. Cette parole
inconnue toucha et remua son cœur, si bien qu'un soir sa
mère la voyant pensive et la pressant de lui confier les
préoccupations de son âme, Justine se jeta à ses pieds
en lui disant : « Mère, bénissez-moi ou pardonnez-moi,
je suis chrétienne. »
La mère pleura en embrassant sa fille, et alla rejoin-
dre son époux, à qui elle confia ce qu'elle venait d'ap-
prendre.

Us s'endormirent ensuite et eurent tous deux le même


rêve. Une lumière divine descendait sur eux, et une voix
douce les appelait en leur disant; «Venez à moi, vous qui
DES LÉGENDES. 209

êtes affligés et je vous consolerai ; venez, les bien-aimés


de mon père, et je vous donnerai le royaume qui vous est
préparé depuis le commencement du monde.
Le matin venu, le père et la mère bénirent leur fille.
Tous trois se firent inscrire au nombre des Catéchu-
mènes, et, après les épreuves d'usage, ils furent admis
au saint baptême.
Justine revenait blanche et radieuse de l'Église entre
sa mère et son vieux père, lorsque deux hommes sombres,
enveloppés dans leur manteau, passèrent comme Faust et
Méphistophélès près de Marguerite : c'étaient le magicien
Cyprien et son disciple Acladius. Les deux hommes s'ar-
rêtèrent éblouis par cette apparition, Justine passa sans
les voir et rentra chez elle avec sa famille.
La scène change, nous sommes dans le laboratoire de
Cyprien, des cercles sont tracés, une victime égorgée
palpite près d'un réchaud fumant; debout devant le ma-
gicien apparaît le génie des ténèbres.
— Me voici, car tu m'as appelé, parle! que me de-
mandes-tu ?
•— J'aime une vierge.
— Séduis-la.
— Elle est chrétienne,
—• Dénonce-la.
— Je veux la posséder et non la perdre; peux-tu
quelque chose pour moi?
— J'ai séduit Eve, qui était innocente et qui s'entre-
tenait tous les jours familièrement avec Dieu même. Si
ta vierge est chrétienne, sache bien que c'est moi qui ai
fait crucifier Jésus-Christ.
— Donc, tu me la livreras?
14
210 HISTOIRE DE LA MAGIE.

— Prends cet onguent magique, tu en graisseras le


seuil de sa demeure, le reste me regarde.
Voici maintenant Justine qui dort dans sa petite chambre
chaste et sévère, Gyprien est à la porte murmurant des
paroles sacrilèges et accomplissant d'horribles rites; ,
Satan se glisse au chevet de la jeune fille et lui souffle
des rêves voluptueux pleins de l'image de Cyprien qu'elle
croit rencontrer encore au sortir de l'Eglise ; mais cette
fois elle le regarde, elle l'écoute, et il lui dit des choses
qui mettent le trouble dans son cœur ; tout à coup elle
s'agite, elle s'éveille et fait le signe de la croix; le
démon disparaît et le séducteur, qui fait sentinelle à la
porte, attend inutilement toute la nuit.
Le lendemain il recommence ses évocations, et il fait
d'amers reproches à son infernal complice; celui-ci avoue
son impuissance. Gyprien le chasse honteusement et fait
apparaître un démon d'un ordre supérieur. Le nouveau
venu se transforme tour à tour en jeune fille et en beau
garçon pour tenter Justine par des conseils et des cares-
ses, La vierge va succomber, mais son bon ange l'assiste ;
elle joint le souffle au signe de la croix et chasse le mau-
vais esprit. Cyprien alors invoque le roi des enfers.
Satan vient en personne. Il frappe Justine de toutes les
douleurs de Job et répand une peste affreuse dans An-
tioche, en faisant dire aux oracles que la peste cessera
quand Justine apaisera Vénus et l'amour outragés. Jus-
tine prie publiquement pour le peuple, et la peste cesse,
Satan est vaincu à son tour, Cyprien le contraint d'avouer
la toute-puissance du signe de la croix et le brave en se
marquant de ce signe. 11 abjure la magie, il est chrétien,
il devient évêque et retrouve Justine dans un monastère
DES LÉGENDES. 211

de vierges; ils s'aiment alors du pur et durable amour


de la céleste charité, la persécution les atteint ; on les
arrête ensemble, ils sont mis à mort le même jour et
vont consommer au sein de Dieu leur mariage mystique
et éternel.

La légende fait saint Cyprien évêque d'Antioche, tan-


dis que l'histoire ecclésiastique le fait évêque de Car-
thage. Peu importe d'ailleurs que ce soit ou non le même.
L'un est un personnage poétique, l'autre est un père de
l'Église et un martyr.

On trouve dans les anciens grimoires une oraison at-


tribuée au saint Cyprien de la légende et qui est peut-
être du saint évêque de Carthage. Les expressions ob-
scures et figurées dont elle est remplie, auront peut-être
fait supposer qu'avant d'être évêque et chrétien, Cyprien
s'était adonné aux pratiques funestes de la magie noire.
En voici la traduction :
« Moi, Cyprien, serviteur de notre Seigneur Jésus-
Christ, j'ai prié Dieu le père tout-puissant, et j'ai dit : tu
es le Dieu fort, mon Dieu tout-puissant qui habites dans
la grande lumière ! Tu es saint et digne de louange, et
depuis le temps ancien, tu as vu la malice de ton servi-
teur et les iniquités dans lesquelles j'étais plongé par la
malice du démon. Je ne savais pas alors ton vrai nom,
je passais au milieu des brebis et elles étaient sans pas-
teur. Les nuages ne pouvaient donner leur rosée à la
terre, les arbres restaient sans fruits et les femmes en
travail ne pouvaient être délivrées ; je liais et je ne déliais
Point, je liais les poissons de la mer et ils n'étaient point
libres, je liais les sentiers de la mer et je retenais ensem-
ble bien des maux. Mais maintenant, Seigneur Jésus-
212 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Christ, mon Dieu, j'ai connu ton saint nom et je l'ai aimé,
et je me suis converti de tout mon cœur, de toute mon
âme et de toutes mes entrailles, me détournant de la
multitude de mes fautes pour marcher dans ton amour
et suivant tes commandements qui sont ma foi et ma
prière. Tu es le verbe de vérité, la parole unique du père,
et je te conjure maintenant de rompre la chaîne des
nuées et de faire descendre sur tes enfants ta pluio bien-
faisante comme du lait, et de délier les fleuves et de
rendre libres les créatures qui nagent ainsi que celles
qui volent ; je te conjure de briser toutes les chaînes et
toutes les entraves par la vertu de ton saint nom ! »
Cette prière est évidemment très ancienne et elle ren-
ferme des souvenirs très remarquables des figures pri-
mitives de l'ésotérisme chrétien aux premiers siècles.
La qualification d'aurea ou dorée donnée à la légende
fabuleuse des saints allégoriques en indique assez le ca-
ractère. L'or aux yeux des initiés est de la lumière con-
densée, ils appellent nombres d'or les nombres sacrés de
la kabbale, vers dorés de Pythagore, les enseignements
moraux de ce philosophe, et c'est pour la même raison
qu'un livre mystérieux d'Apulée où un âne joue un grand
rôle a été appelé l'âne d'or.
Les païens accusaient les chrétiens d'adorer un âne,
et ils n'avaient point inventé cette injure, elle venait des
juifs de Samarie qui, figurant les données de la kabbale
sur la divinité par des symboles égyptiens, représen-
taient aussi l'intelligence par la figure de l'étoile magi-
que adorée sous le nom de Rempham, la science sous
l'emblème d'Anubisdont ils changeaient le nom en celui
de Nibbas, et la foi vulgaire ou la crédulité sous la figure
DES LÉGENDES. 213

de Thartac, dieu qu'on représentait avec un livre, un man-


teau et une tête d'âne; suivant les docteurs samaritains,
le christianisme était le règne de Thartac; c'étaient la foi
aveugle et la crédulité vulgaire érigées en oracle universel
et préférées à l'intelligence et à la science. C'est pourquoi
dans leurs rapports avec les gentils, lorsqu'ils enten-
daient ceux-ci les confondre avec les chrétiens, ils se ré-
criaient et priaient qu'on ne les confondît pas avec les
adorateurs exclusifs de la tête d'âne.
Cette prétendue révélation fit beaucoup rire les philo-
sophes, et Tertullien parle d'une caricature romaine
exposée de son temps où l'on voyait Thartac dans toute
sa gloire avec cette inscription qui fit rire Tertullien lui-
même, auteur, comme l'on sait, du fameux credo quia
absurdum : tête d'âne, Dieu des chrétiens.
L'âne d'or d'Apulée est la légende occulte de Thartac.
C'est une épopée magique et une satyre contre le chris-
tianisme, que l'auteur avait sans doute professé pendant
quelque temps. C'est du moins ce qu'il semble dire sous
l'allégorie de sa métamorphose en âne.
Voici le sujet du livre d'Apulée : Il voyage en Thes-
salie, pays des enchantements; il reçoit l'hospitalité chez
un homme dont la femnie est sorcière ; il séduit la ser-
vante de cette femme et croit surprendre par ce moyen
les secrets de la maîtresse. La servante veut en effet
livrera son amant une composition au moyen de laquelle
la sorcière se métamorphose en oiseau, mais elle se
trompe de boîte et Apulée se trouve métamorphosé en
âne.
La maladroite amante le console en lui disant que
pour reprendre sa première forme il suffit de manger des
21 A HISTORIE DE L A MAGIE.

roses, la rose est la fleur de l'initiation. Mais où trouver


des roses pendant la nuit? Il faut attendre au lendemain.
La servante mène l'âne à l'écurie, des voleurs survien-
nent, l'âne est pris et emmené. Plus moyen depuis lors
de s'approcher des roses, les roses ne sont pas faites pour
les ânes, et les jardiniers le chassent à coups de bâton.
Pendant sa longue et triste captivité il entend raconter
l'histoire de Psyché, cette histoire merveilleuse et sym-
bolique qui est comme l'âme et la poésie de la sienne.
Psyché a voulu surprendre les secrets de l'amour comme
Apulée ceux de la magie, elle a perdu l'amour, et lui la
forme humaine ; elle est errante, exilée, soumise à la co-
lère de Vénus, il est esclave des voleurs. Mais Psyché doit
remonter au ciel après avoir traversé l'enfer, et Lucius
sera pris en pitié par les dieux. Isis lui apparaît en songe
et lui promet que son prêtre averti par une révélation lui
donnera des roses pendant les solennités de sa fête pro-
chaine. Cette fête arrive, et Apulée décrit longuement la
procession d'Isis, description précieuse pour la science,
car on y trouve la clé des mystères égyptiens ; des hommes
.déguisés marchent les premiers portant des animaux
grotesques ; ce sont les fables vulgaires : puis viennent
des femmes semant des fleurs avec des miroirs sur leurs
épaules qui réfléchissent l'image de la grande divinité.
Ainsi les hommes vont en avant et formulent les dogmes
que les femmes embellissent et reflètent sans le savoir par
leur instinct maternel des vérités plus élevées; des hommes
et des femmes viennent ensuite portant la lumière : c'est
l'alliance des deux termes, l'actif et le passif générateurs
de la science et de la vie.

Après la lumière, vient l'harmonie, représentée par de


DES LÉGENDES. 215

jeunes musiciens. Puis enfin les images des dieux au nom-


bre de trois, suivies par le grand hiérophante qui porte
non pas l'image, mais le symbole de la grande Isis, une
boule d'or surmontée d'un caducée.
Lucius Apuleius voit dans la main du grand prêtre une
couronne de roses ; il s'approche et on ne le repousse
pas ; il mange des roses et redevient homme.
Tout cela est savamment écrit et entremêlé d'épisodes
tantôt héroïques, tantôt grivois, comme il convient à la
double nature de Lucius et de l'âne. Apulée a été en
même temps le Rabelais et le Swedenborg de l'ancien
monde prêt à finir.
Les grands réalisateurs du christianisme ne compri-
rent pas ou affectèrent de ne pas comprendre le mysti-
cisme d'Apulée. Saint Augustin, dans la Cité de Dieu, se
demande de l'air du monde le plus sérieux s'il faut
croire que réellement Apulée ait été métamorphosé en
âne. Ce père se montra même assez disposé à l'admettre,
mais seulement comme un phénomène exceptionnel et
qui ne tire pas à conséquence. Si c'est une ironie de la
part de saint Augustin, il faut convenir qu'elle est cruelle ;
si c'est une naïveté... Mais saint Augustin, le délié rhéteur
deMadaure, n'avait guère l'habitude d'être naïf.
Bien aveugles et bien malheureux, en effet, étaient
ces initiés aux antiques mystères qui riaient de l'âne de
Bethléem sans apercevoir l'enfant-Dieu qui rayonnait sur
les pacifiques animaux de la crèche et sur le front duquel
se reposait l'étoile conciliatrice du passé et de l'avenir !
Pendant que la philosophie convaincue d'impuissance
insultait au christianisme triomphant, les pères de l'Église
s'emparaient de toutes les magnificences de Platon et
216 HISTOIRE DE LA. M A G I E .

créaient une philosophie nouvelle fondée sur la réalité vi-


vante du Verbe divin toujours présent dans son église,
renaissant dans chacun de ses membres, immortel dans
l'humanité ; rêve d'orgueil plus grand que celui de Pro-
méthée, si ce n'était en même temps une doctrine toute
d'abnégation et de dévouement, humaine parce qu'elle
est divine, divine parce qu'elle est humaine!

C H A P I T R E V I .

;. P E I N T U R E S K A B B A L I S T I Q U E S ET EMBLÈMES SACRÉS.

S O M M A I R E . — Ésotérisme de l'Église primitive. — Peintures kabbalis-


tiques et emblèmes sacrés des premiers siècles. — Les vrais et les faux
gnostiques. — Profanation de la gnose. — Rites impurs et sacrilèges.
— La magie noire érigée en culte par les sectaires. — Montan et ses
prophétesses. — Marcos et son magnétisme. — Les dogmes du faux
Zoroastre reproduits dans l'Arianisme. — Perte des vraies traditions
kabbalistiques.

L'Église primitive, obéissant au précepte formel du


Sauveur, ne livrait pas ses plus saints mystères aux pro-
fanations de la foule. On n'était reçu au baptême et à
la communion que par des initiations progressives. On
tenait cachés les livres saints dont la lecture entière et
l'explication surtout étaient réservées au sacerdoce. Les
images étaient alors moins nombreuses et surtout moins
explicites. On s'abstenait de reproduire la figure même
du Sauveur ; les peintures des catacombes sont pour la
plupart des emblèmes kabbalistiques : c'est la croix édé-
nique avec les quatre neuves dans lesquels viennent boire
PEINTURES KABBALISTIQUES ET EMBLÈMES SACRÉS. 217

des cerfs ; c'est le poisson mystérieux de Jonas remplacé


souvent par un serpent bicéphale ; c'est un homme sor-
tant d'un coffre qui rappelle celui d'Osiris. Le gnosti-
cisme devait faire proscrire plus tard toutes ces allégories
dont il abusa pour matérialiser et profaner les traditions
saintes de la kabbale des prophètes.
Le nom de gnostique ne fut pas toujours dans l'Église
un nom proscrit. Ceux des pères dont la doctrine se rat-
tachait aux traditions de saint Jean employèrent souvent
cette dénomination pour désigner le chrétien parfait ; on
la trouve dans saint Irénée et dans saint Clément d'Alexan-
drie. Nous ne parlons pas ici du grand Synésius qui fut
un kabbaliste parfait, mais un orthodoxe douteux.
Les faux gnostiques furent tous des rebelles à l'ordre
hiérarchique qui voulurent niveler la science en la vul-
garisant, substituer les visions à l'intelligence, le fana-
tisme personnel à la religion hiérarchique, et surtout la
licence mystique des passions sensuelles a la sasf e sobriété
chrétienne et à l'obéissance aux lois, mère des chastes
mariages et de la tempérance conservatrice.
Produire l'extase par des moyens physiques et rem-
placer la sainteté par le somnambulisme, telle fut toujours
la tendance de ces sectes caïniques continuatrices de la
magie noire de l'Inde. L'Église devait les réprouver avec
énergie, elle ne fit pas défaut à sa mission : il est à re-
gretter seulement que le bon grain scientifique ait souvent
souffert lorsqu'on promena le fer et le feu dans les cam-
pagnes envahies par l'ivraie.
Ennemis de la génération et de la famille, les faux
gnostiques s'efforçaient de produire la stérilité en mul-
tipliant la débauche; ils voulaient, disaient-ils, spiri-
218 HISTOIRE DE LA MAGIE.

tualiser la matière, et ils matérialisaient l'esprit de la


manière la plus révoltante. Ce n'étaient dans leur théo-
logie qu'accouplements d'Eones et embrassements luxu-
rieux. Us adoraient comme les Brahmes la mort sous la
figure du L i n g h a m , leur création était un onanisme in-
fini et leur rédemption un avortement éternel !
Espérant échapper à la hiérarchie par le miracle comme
si le miracle en dehors de la hiérarchie prouvait autre
chose que le désordre ou la fourberie, les gnostiques, de-
puis Simon le magicien, étaient grands faiseurs de prodi-
ges ; substituant au culte régulier les rites impurs de la
magie noire, ils faisaient apparaître du sang au lieu du
vin eucharistique, et remplaçaient le paisible et pur ban-
quet du céleste agneau par des communions d'anthropo-
phages. L'hérésiarque Marcos, disciple de Valentin, disait
la messe avec deux calices; dans le plus petit, il versait
du vin, puis il prononçait la formule magique et l'on
voyait le plus grand s'emplir d'une liqueur sanglante qui
montait en bouillonnant. Marcos, qui n'était point prê-
tre, voulait prouver par là que Dieu l'avait revêtu d'un
sacerdoce miraculeux. Il conviait tous ses disciples à
accomplir sous ses yeux la même merveille. Les femmes
surtout obtenaient un succès pareil au sien, puis elles
tombaient en convulsions et en extase. Marcos soufflait
sur elles et leur communiquait sa démence au point de
les engager à oublier pour lui, et par esprit de religion,
toute retenue et toute pudeur.
Cette intrusion de la femme dans le sacerdoce fut tou-
jours le rêve des faux gnostiques ; car en nivelant ainsi
les sexes, ils introduisaient l'anarchie dans la famille et
posaient à la société une pierre d'achoppement. Lesacer-
PEINTURES KABBALISTIQlJES ET EMBLÈMES SACRÉS. 219

doce réel de la femme c'est la maternité, et le culte de


cette religion du foyer c'est la pudeur. Les gnostiques ne
le comprenaient pas ou plutôt ils le comprenaient trop, et
en égarant les instincts religieux de la mère ils renver-
saient la barrière sacrée qui s'opposait à la licence de
leurs désirs.
Us n'avaient cependant pas tous la triste franchise de
l'impudeur. Quelques-uns, comme les Montanistes, exa-
géraient au contraire la morale afin de la rendre impra-
ticable. Montan, dont les âpres doctrines séduisirent le
génie extrême et paradoxal de Tertullien, s'abandonnait
avec Priscille et Maximille ses prophétesses, on dirait au-
jourd'hui ses somnambules, à tout le dévergondage des
frénésies et des extases. Le châtiment naturel de ces excès
ne manqua pas à leurs auteurs, ils finirent par la folie
furieuse et le suicide.

La doctrine des Marcosiens était une kabbale profanée


et matérialisée; ils prétendaient que Dieu avait tout créé
au moyen des lettres de l'alphabet ; que ces lettres étaient
autant d'émanations divines ayant par elles-mêmes la
puissance génératrice des êtres ; que les paroles étaient
toutes puissantes et opéraient virtuellement et réellement
des prodiges. Tout cela est vrai en un sens, mais ce sens
n'était pas celui des sectateurs de Marcos. Us suppléaient
aux réalités par les hallucinations et croyaient se rendre
invisibles parce que dans l'état de somnambulisme ils se
transportaient mentalement où ils voulaient. Pour les
faux mystiques la vie doit se confondre souvent avec le
rêve jusqu'à ce qu'enfin le rêve triomphant déborde et
submerge la réalité : c'est alors le règne complet de la
folie.
220 HISTOIRE DE L A MAGIE.

L'imagination, dont la fonction naturelle est d'évoquer


les images des formes, peut aussi, dans un état d'exalta-
tion extraordinaire, produire les formes elles-mêmes;
comme le prouvent les phénomènes des grossesses mons-
trueuses et une multitude de faits analogues que la
science officielle ferait mieux d'étudier que de les nier
avec obstination.
Ce sont ces créations désordonnées que la religion flé-
trit avec raison du nom de miracles diaboliques, et tels
étaient les miracles de Simon, des Ménandriens et de
Marcos.
De notre temps encore un faux gnostique nommé Vin-
tras, actuellement réfugié à Londres, fait apparaître du
sang dans des calices vides et sur des hosties profanées.
Ce malheureux tombe alors dans des extases comme
Marcos, et prophétise le renversement de la hiérarchie
et le prochain triomphe d'un prétendu sacerdoce tout de
visions, d'expansions libres et d'amour. Il n'y a rien de
nouveau sous le soleil.
Après le panthéisme polymorphe des gnostiques, vint
le dualisme de Manès. Ainsi se formula en dogme reli-
gieux la fausse initiation des pseudo-mages de la Perse.
L e mal personnifié devint un Dieu rival de Dieu même.
H y eut un roi de la lumière et un roi des ténèbres, et
c'est à cette époque qu'il faut faire remonter cette idée
funeste contre laquelle nous protestons de toutes nos
forces, de la souveraineté et de l'ubiquité de Satan.
Nous ne prétendons ici nier ni affirmer la tradition de la
chute des anges, nous en rapportant comme toujours en
matière de foi aux décisions suprêmes et infaillibles de
la sainte Église catholique, apostolique et romaine. Mais

v
PEINTUEES KABBALISTJQUES ET EMBLÈMES SACRÉS. 221

si les anges déchus avaient un chef avant leur chute,


cette chute doit les avoir précipités dans une complète
anarchie tempérée seulement par la justice inflexible de
Dieu; séparé de la divinité qui est le principe de la force
et plus coupable que les autres, le prince des anges re-
belles ne saurait être que le dernier et le plus impuissant
des réprouvés.
Si donc il existe dans la nature une force qui attire
les créatures oublieuses de Dieu vers le péché et vers la
mort, cette force, que nous ne refusons pas de reconnaî-
tre comme capable de servir d'instrument aux esprits
déchus, serait la lumière astrale ; nous revenons sur cette
idée, et nous tenons à l'expliquer parfaitement, afin qu'on
en comprenne bien toute la portée et toute l'orthodoxie.
Cette révélation d'un des grands secrets de l'occul-
téisme fera comprendre tout le danger des évocations,
des expériences curieuses, des abus du magnétisme, des
tables tournantes et de tout ce qui tient aux prodiges et
aux hallucinations.
Arius avait préparé les succès du manichéisme par sa
création hybride d'un fils de Dieu différent de Dieu même :
c'était en effet supposer le dualisme en Dieu; c'était admet-
tre l'inégalité dans l'absolu, l'infériorité dans la suprême
puissance. La possibilité du conflit, sa nécessité même
entre le père et le fils, puisque l'inégalité entre les termes
du syllogisme divin devait amener forcément une con-
clusion négative. L e verbe de Dieu devait-il être le bien
ou le mal? Dieu même ou le diable? Telle était la portée
immense d'une diphthongue ajoutée au mot grec op.ou<ïioç

pour en faire OJAOIOUGIOÇ ! En déclarant le fils consubstan-


liel au père, le concile de Nicée sauva le monde, et c'est
222 HISTOIRE DE LA MAGIE.

ce que ne peuvent comprendre ceux qui ne savent pas


que les principes constituent réellement l'équilibre de
l'univers.
L e gnoticisme, l'arianisme, le manichéisme, étaient
sortis de la kabbale mal entendue. L'Église alors dut in-
terdire aux fidèles l'étude si dangereuse de cette science
dont le suprême sacerdoce devait seul se réserver les
clefs. L a tradition kabbalistique paraît, en effet, avoir été
conservée par les souverains pontifes au moins jusqu'à
Léon I I I , auquel on attribue un rituel occulte qui aurait
été donné par ce pontife à l'empereur Charlemagne, et qui
reproduit tous les caractères même les plus secrets des
clavicules de Salomon. Ce petit livre qui devait rester
caché ayant été divulgué plus tard, dut être condamné
par l'Église et tomba dans le domaine de la magie noire.
On le connaît encore sous le nom d'Enchiridion de
Léon I I I , et nous en possédons un ancien exemplaire très
rare et très curieux.
La perte des clefs kabbalistiques ne pouvait entraî-
ner celle de l'infaillibilité de l'Église toujours assistée de
l'esprit saint, mais elle jeta de grandes obscurités dans
l'exégèse etrendit complètement inintelligibles les grandes
figures de la prophétie d'Ézéchiel et de l'apocalypse de
saint Jean.
Puissent les successeurs légitimes de saint Pierre ac-
cepter l'hommage de ce livre et bénir les travaux du plus
humble de leurs enfants, qui croit avoir trouvé une des
clefs de la science et qui vient la déposer aux pieds de
celui auquel seul il appartient d'ouvrir et de fermer les
trésors de l'intelligence et de la foi !
PHILOSOPHES DE L'ÉCOLE D'ALEXANDRIE. 225

C H A P I T R E V I L

PHILOSOPHES DE L'ÉCOLE D'ALEXANDRIE.

SOMMAIRE. — Dernières luttes et alliances définitives de l'ancienne ini-


tiation et du christianisme triomphant. — Hypatie et Synésius. —
Saint Denys l'aréopagiste.

L'école de Platon, prête à s'éteindre, jeta dans Alexan-


drie une grande lumière; mais déjà le christianisme,
triomphant après trois siècles de combats, s'était
assimilé tout ce qu'il y avait de vrai et de durable dans
les doctrines de l'antiquité. Les derniers adversaires de
la religion nouvelle croyaient arrêter la marche des
hommes vivants en galvanisant des momies. L e combat
ne pouvait déjà plus être sérieux et les païens de l'école
d'Alexandrie travaillaient contre leur gré et à leur insu
au monument sacré qu'élevaient pour dominer tous les
âges les disciples de Jésus de Nazareth.
Ammonius Saccas, Plotin, Porphyre, Proclus sont
de grands noms pour la science et pour la vertu. Leur
théologie était élevée, leur doctrine morale, leurs
mœurs austères. Mais la plus grande et la plus tou-
chante figure de cette époque, la plus brillante étoile de
cette pléiade, fut Hypathie, fille de Théon, cette chaste
et savante fille que son intelligence et ses vertus d e -
vaient conduire au baptême mais qui mourut martyre
de la liberté de conscience lorsqu'on entreprit de l'y
traîner.
A l'école d'Hypathie se forma Synésius de Cyrène qui
fut plus tard évêque de Ptolémaïde, l'un des plus savants
HISTOIRE DE LA MAGIE.

philosophes et le plus grand pôëte du christianisme des


premiers siècles ; c'était lui qui écrivait :
« L e peuple se moquera toujours des choses faciles à
comprendre, il a besoin d'impostures. »
Lorsqu'on voulut l'élever à la dignité épiscopale, il
disait dans une lettre adressée à un de ses amis :
« Un esprit ami de la sagesse et qui contemple de près
l a vérité est forcé de la déguiser pour la faire accepter
aux multitudes. Il y a en effet une grande analogie entre
l a lumière et la vérité, comme entre nos yeux et les intel-
ligences ordinaires. Si l'œil recevait tout à coup une lu-
mière trop abondante, il serait ébloui, et les lueurs tem-
pérées d'ombres sont plus utiles à ceux dont la vue est
encore faible; c'est pour cela que, selon moi, les fictions
sont nécessaires au peuple, et que la vérité devient fu-
neste à ceux qui n'ont pas la force de la contempler dans
tout son éclat. Si donc les lois sacerdotales permettent
l a réserve des jugements et l'allégorie des paroles, je
pourrai accepter la dignité qu'on me propose, à condi-
tion qu'il me sera permis d'être philosophe chez moi et
au dehors narrateur d'apologues et de paraboles.... Que
peuvent avoir de commun, en effet, la vile multitude
et la sublime sagesse? La vérité doit être tenue secrète et
les foules ont besoin d'un enseignement proportionnel à
leur imparfaite raison. »

Synésius eut tort d'écrire de pareilles choses. Quoi de


plus maladroit, en effet, que de laisser voir une arrière-
pensée lorsqu'on est chargé d'un enseignement public ?
C'est d'après de pareilles indiscrétions que bien des gens
vont répétant encore de nos jours : il faut une religion
pour le peuple ! Mais qu'est-ce que le peuple ? Personne
PHILOSOPHES DE L'ÉCOLE D'ALEX AND 11 IK. 225

ne veut en être lorsqu'il s'agit d'intelligence et de mo-


ralité.
Le livre le plus remarquable de Synésius est un Traité
des songes. Il y développe les pures doctrines kabbalisti-
ques et s'élève comme théosophe à une hauteur qui rend
son style obscur et qui l'a fait soupçonner d'hérésie ;
mais il n'y avait en lui ni l'entêtement ni le fanatisme
d'un sectaire. Il vécut et mourut dans la paix de l'Eglise,
exposant franchement ses doutes, mais se soumettant à
l'autorité hiérarchique : son clergé et son peuple ne vou-
lurent rien exiger de plus.

Suivant Synésius, l'état de rêve prouve la spécialité


et l'immatérialité de l'âme qui se crée alors un ciel, des
campagnes, des palais inondés de lumière, ou des caver-
nes sombres, suivant ses affections et ses désirs. On peut
juger du progrès moral par les habitudes des rêves, car
en cet état le libre arbitre est suspendu, et la fantaisie
s'abandonne tout entière aux instincts dominants. Les
images se produisent alors, soit comme un reflet, soit
comme une ombre de la pensée. L e s pressentiments y
prennent un corps, les souvenirs se mêlent aux espé-
rances. Le livre des rêves s'écrit alors en caractères tan-
tôt splendides tantôt obscurs, mais on peut trouver des
règles certaines pour le déchiffrer et pour le lire.
Jérôme Cardan a écrit un long commentaire sur le
Traité des songes de Synésius, et l'a en quelque sorte
complété par un dictionnaire de tous les songes avec leur
explication. Ce travail n'a rien de commun avec les petits
livres ridicules qu'on trouve dans la librairie de pacotille,
et il appartient.réellement à la bibliothèque sérieuse des
sciences occultes.

i5
226 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Quelques critiques ont attribué à Synésius les livres


extrêmement remarquables qui portent le nom de saint
Denis l'Aréopagite ; ce qui est maintenant généralement
reconnu, c'est qu'ils sont apocryphes et appartiennent à
la belle époque de l'école d'Alexandrie. Ces livres, dont on
ne peut comprendre toute la sublimité si l'on n'est initié
aux secrets de la haute kabbale, sont le véritable monu-
ment de la conquête de cette science par le christianisme.
Les principaux traités sont ceux des noms divins, de la
hiérarchie dans le ciel et de la hiérarchie dans l'Église.
L e traité des noms divins explique en les simplifiant tous
les mystères de la théologie rabbinique. Dieu, dit l'auteur,
est le principe infini et indéfinissable parfaitement un et
indicible, mais nous lui donnons des noms qui expriment
nos aspirations vers cette perfection divine ; l'ensemble
de ces noms, leurs relations avec les nombres, composent
ce qu'il y a de plus élevé dans la pensée humaine, et la
théologie est moins la science de Dieu que celle de nos
aspirations les plus sublimes. L'auteur établit ensuite sur
l'échelle primitive des nombres tous les degrés de la
hiérarchie spirituelle toujours régie par le ternaire. Les
ordres angéliques sont au nombre de trois et chaque or-
dre contient trois choeurs. C'est sur ce modèle que la hié-
rarchie doit s'établir aussi sur la terre. L'Église en pré-
sente le type le plus parfait : il y a les princes de l'Église,
les évêques et les simples ministres. Parmi les princes,
on compte des cardinaux-évêques, des cardinaux-prêtres
et des cardinaux-diacres; parmi les évêques, il y a les ar-
chevêques, les évêques et les prélats coadjuteurs ; parmi
les ministres, il y a les curés, les simples prêtres et les
diacres. On s'élève à cette sainte hiérarchie par trois
PHILOSOPHES DE L'ÉCOLE D'AXEXANDRIE. 227
degrés préparatoires, le sous-diaconat, les ordres mineurs
et la cléricature. Les fonctions de tous ces ordres cor-
respondent à celles des anges et des saints, et doivent
glorifier les noms divins triples pour chacune des trois
personnes, puisque dans chacune des hypostases divines
on adore la trinité tout entière. Cette théologie transcen-
dantale était celle de la primitive Église, et peut-être ne
l'a-t-on attribuée à saint Denis l'Aréopagiteque par suite
d'une tradition qui remontait au temps même des apôtres
et de saint Denis, comme les rabbins rédacteurs du Sépher
Jézirah ont attribué ce livre au patriarche Abraham, parce
qu'il contient les principes de la tradition conservée de
père en fils dans la famille de ce patriarche. Quoi qu'il en
soit, les livres de saint Denis l'Aréopagite sont précieux
pour la science ; ils consacrent l'union des initiations de
l'ancien monde avec la révélation du christianisme, en
alliant une intelligence parfaite de la suprême philoso-
phie avec l'orthodoxie la plus complète et la plus irré-
prochable.
L I V R E I V .

L A MAGIE ET LA CIVILISATION.

1, Dalethî*

C H A P I T R E P R E M I E R .

MAGIE CHEZ LES BARBARES.

SOMMAIRE. — Le monde fantastique des sorciers. — Prodiges accomplis


et monstres vaincus pendant les premiers siècles de Père chrétienne.
— La Gaule magique. — Philosophie secrète des druides. — Leur
théogonie, leurs rites. — Évocations et sacrifices. — Mission et in-
fluence des eubages. — Origine du patriotisme français. —Médecine
occulte.

La magie noire reculait devant la lumière du christia-


nisme, Rome était conquise par la croix et les prodiges
se réfugiaient dans ce cercle d'ombre que les provinces
barbares faisaient autour de la nouvelle splendeur ro-
maine. Entre un grand nombre de phénomènes étranges,
en voici un qui fut constaté sous le règne de l'empereur
Adrien :
A Tralles en Asie, une jeune fille noble nommée Philin-
nium, originaire de Corinthe, et fille deDémostratès et de
Charito, s'était éprise d'un jeune homme de basse condi-
tion nommé Mâchâtes. Un mariage était impossible, Phi-
linnium, comme nous l'avons dit, était noble et c'était de
plus une fille unique et une riche héritière. Mâchâtes
T. 223.

LA MAGIE HERMÉTIQUE
tirée d'un ancien manuscrit.

Ve/amarre, C'iteri g^Aayiisùw, /7,\&và


MAGIE CHEZ LES BARBARES. 2*29

était un homme du peuple et tenait une hôtellerie ( 1 ) . La <$r?^**


passion de Philinnium s'exaspéra par les obstacles ; elle
s'échappa de la maison paternelle, et vint trouver Mâchâ-
tes. Un commerce illégitime s'établit entre eux et dura
six mois, après lesquels la jeune fille fut découverte par
ses parents, reprise par eux et sévèrement séquestrée. O n ^
prit même des mesures pour quitter le pays et emmener
Philinnium à Corinthe ; mais alors la jeune fille, qui avait
sensiblement dépéri depuis qu'elle était séparée de son (^vi

amant, fut atteinte d'une maladie de langueur, elle ne


souriait plus, ne dormait plus, refusait toute nourriture,
et définitivement elle mourut.
Les parents renoncèrent alors à leur départ, et ache-
tèrent un caveau funéraire où la jeune fille fut déposée
couverte des plus riches vêtements. Cette sépulture était
dans un enclos appartenant à la famille, où personne
n'entra plus, car les païens n'avaient pas coutume d'aller
prier près de la tombe des morts.
Mâchâtes ignorait ce qu'était devenue sa maîtresse ;
tout s'était passé en secret, tant cette noble famille crai-
gnait le scandale. La nuit qui suivit la sépulture de P h i -
linnium, le jeune homme était prêt à se coucher, lorsque
sa porte s'ouvrit lentement, il s'avança tenant sa lampe
à la main, et reconnut Philinnium magnifiquement parée,
mais pâle, froide, et le regardant avec des yeux d'une ef-
frayante fixité.
Mâchâtes courut à elle, la prit dans ses bras, lui fit
mille questions et mille caresses, ils passèrent enfin la
nuit ensemble, mais avant le jour Philinnium se leva et

( 1 ) Cette circonstance, qui ne se trouve pas dans Phlégon, a été


ajoutée par les démonographes français.
230 HISTOIRE DE LA MAGIE.

disparut pendant que son amant était encore plongé dans


un profond sommeil.
La jeune fille avait une vieille nourrice qui la pleurait
et qu'elle avait tendrement aimée. Peut-être cette femme
avait-elle été complice des égarements de la pauvre morte,
et depuis qu'on avait enseveli sabien-aimée elle ne dormait
plus, et se relevait souvent la nuit dans une sorte de dé-
lire pour aller rôder autour de la demeure de Mâchâtes.
Quelques jours donc après ce que nous venons de racon-
ter, la nourrice passant le soir à une heure assez avancée
près de la maison du jeune homme vit de la lumière dans
sa chambre. Elle s'approcha, et regardant par les fentes
de laporte, elle reconut Philinnium qui était assise près
de son amant, le contemplant sans rien dire et s'aban-
donnant à ses caresses.
La pauvre femme tout éperdue courut chez ses maî-
tres, éveilla la mère et lui raconta ce qu'elle venait de
voir; la mère la traita d'abord de visionnaire et de folle,
puis enfin vaincue par ses instances, elle se lève et se rend
à la maison de Mâchâtes. Tout dormait déjà, elle frappe,
personne ne lui répond ; elle regarde par les fentes de la
porte, la lampe était éteinte , mais un rayon de la lune
éclairait encore la chambre. Sur un siège, Charito re-
connut les vêtements de sa fille et dans le lit, malgré
l'ombre de l'alcove, elle distingua la forme de deux per-
sonnes qui dormaient.
L'épouvante saisit la mère, elle retourna chez elle en
chancelant, n'eut pas le courage de visiter le sépulcre
de sa fille et passa le reste de la nuit dans l'agitation
dans les larmes.
L e lendemain elle retourna au logis de Mâchâtes et
MAGIE CHEZ LES BARBARES. 231

questionna avec douceur. Le jeune homme avoua que


Philinnium revenait le voir toutes les nuits. « Pourquoi
me la refuser, dit-il à la mère nous sommes fiancés de-
?

vant les dieux ; » et, ouvrant un coffre, il montra àCharito


l'anneau et la ceinture de sa fille. « Elle me les a donnés la
nuit dernière, ajouta-t-il, en me jurant de n'appartenir
jamais qu'à moi; ne cherchez donc plus à nous séparer
puisqu'une promesse mutuelle nous réunit.
— Iras-tu donc à ton tour la trouver dans sa tombe,
dit la mère. Philinnium est morte depuis quatre jours et
c'est sans doute une sorcière ou une stryge qui aura pris
sa figure pour te tromper ; tu es le fiancé de la mort, de-
main tes cheveux blanchiront, après-demain on pourra
t'ensevelir aussi, et c'est de cette manière que les dieux
vengent l'honneur d'une famille outragée. »
Mâchâtes pâlit et trembla en entendant ce langage, il
craignit d'avoir été le jouet des puissances infernales ; il
dit à Gharito d'amener son mari le soir même, il les fe-
rait cacher près de sa chambre, et à l'heure où le fan-
tôme entrerait, il donnerait un signal pour les prévenir.
Us vinrent en effet, et à l'heure accoutumée Philin-
nium entra chez Mâchâtes, qui s'était couché tout habillé
et faisait semblant de dormir.
La jeune fille se déshabille et vient se placer près de
lui, Mâchâtes donne le signal, Démostrates et Gharito
entrent avec des flambeaux à la main, et poussent un
grand cri en reconnaissant leur fille.
Philinnium alors lève sa tête, pâle puis elle se dresse
tout entière sur le lit, et dit d'une voix creuse et terri-
ble : « 0 mon père et ma mère, pourquoi avez-vous été
jaloux de mon bonheur, et pourquoi me poursuivez-vous
282 HISTOIRE DE LA. MAGIE.

au delà même de la tombe? Mon amour avait fait violence


aux dieux infernaux, la puissance de la mort était sus-
pendue, trois jours encore et j'étais rendue à la v i e !
mais votre curiosité cruelle anéantit le miracle de la na-
ture : vous me tuez une seconde fois !... »
En achevant ces paroles elle tomba sur le lit comme
' M i n e masse inerte. Ses traits se flétrirent tout à coup, une
odeur cadavéreuse remplit la chambre, et on ne vit plus
que les restes défigurés d'une fille morte depuis cinq jours.
L e lendemain toute la ville fut bouleversée par la nou-
velle de ce prodige. On courut au cirque où toute l'his-
toire fut publiquement racontée, puis la foule se porta au
caveau mortuaire de Philinnium. La jeune fille n'y était
plus, mais on trouva à sa place un anneau de fer et une
coupe dorée qu'elle avait reçus en présents de Mâchâtes.
On retrouva le cadavre dans la chambre de l'hôtellerie ;
Mâchâtes avait disparu.
L e s devins furent consultés et ordonnèrent d'enterrer
les restes de Philinnium hors de l'enceinte de la ville.
On fit des sacrifices aux furies et au Mercure terrestre,
on conjura les dieux mânes et l'on fit des offrandes à Ju-
piter hospitalier.
Phlégon, affranchi d'Adrien, qui fut témoin oculaire
de ces faits et qui les raconte dans une lettre particu-
lière, ajoute qu'il dut employer son autorité pour calmer
la ville agitée par un événement si extraordinaire, et finit
son récit par ces mots : « Si vous jugez à propos d'en
informer l'empereur, faites-le-moi savoir afin que je vous
envoie quelques-uns de ceux qui ont été témoins de toutes
ces choses. »

C'est donc une histoire bien avérée que celle de Philin-


MAGIE CHEZ LES BARBARES. 233

îiium. Un grand poëte allemand en a fait le sujet d'une


ballade que tout le monde sait par cœur, et qui est inti-
tulée la Fiancée de Corinthe. Il suppose que les parents de
la jeune fille étaient chrétiens, ce qui lui donne l'occasion
de faire une opposition fort poétique des passions humai-
nes et des devoirs de la religion. Les démonographes du
moyen âge n'eussent pas manqué d'expliquer la résur-
rection ou peut-être la mort apparente de la jeune Grec-
que par une obsession diabolique. Nous y voyons, pour
notre part, une léthargie hystérique accompagnée de
somnambulisme lucide; le père et la mère de Philinnium
la tuèrent en la réveillant et l'imagination publique exa-
géra toutes les circonstances de cette histoire.
Le Mercure terrestre auquel les devins ordonnèrent
des sacrifices n'est autre chose que la lumière astrale per-
sonnifiée. C'est le génie fluidique de la terre, génie fatal
pour les hommes qui l'excitent sans savoir le diriger ;
c'est le foyer de la vie physique et le réceptacle aimanté
de la mort.
Cette force aveugle que la puissance du christianisme
allait enchaîner et repousser dans le puits de l'abîme,
c'est-à-dire au centre de la terre, manifesta ses derniè-
res convulsions et ses derniers efforts chez les Barbares
par des enfantements monstrueux. Il n'est guère de r é -
gions où les prédicateurs de l'Évangile n'aient eu à com-
battre des animaux aux formes hideuses, incarnations de
l'idolâtrie agonisante. Les vouivres, les graouillis, les
gargouilles, les tarasques, ne sont pas uniquement des
allégories. Il est certain que les désordres moraux pro-
duisent des laideurs physiques et réalisent en quelque
sorte les épouvantables figures, que la tradition prête
234 HISTOIRE D E LA MAGIE.

aux démons. Les ossements fossiles, à l'aide desquels la


science de Cuvier a reconstruit des monstres gigantes-
ques, appartiennent-ils réellement tous à des époques an-
térieures à notre création? Est-ce une allégorie que cet
immense dragon que Régulus dut attaquer avec des ma-
chines de guerre, et qu'on trouva, au dire de Tite-Live
et de Pline, sur les bords du fleuve Bagrada? Sa peau
qui avait cent vingt pieds de long fut envoyée à Rome,
et y fut conservée jusqu'à l'époque de la guerre contre
Numance. C'était une tradition chez les anciens, que les
dieux irrités par des crimes extraordinaires, envoyaient
des monstres sur la t e r r e , et cette tradition est trop uni-
verselle pour n'être point appuyée sur des faits réels, les
récits qui s'y rapportent appartiennent moins souvent à
la mythologie qu'à l'histoire.
Dans tous les souvenirs qui nous restent des peuples
barbares à l'époque où le christianisme les conquit à la
civilisation, nous trouvons avec les dernières traces de la
haute initiation magique répandue autrefois par tout le
monde, les preuves d e l'obscurcissement qu'avait subi
cette révélation primitive et de l'avilissement idolâtri-
que dans lequel le symbolisme de l'ancien monde était
tombé ; partout régnaient, au lieu des disciples des ma-
ges, les devins, les sorciers et les enchanteurs. On avait
oublié le Dieu suprême pour diviniser les hommes. Rome
avait donné cet exemple à ses provinces, et l'apothéose
des Césars avait appris au monde la religion des dieux
de sang. Les Germains, sous le nom d'irminsul, adoraient
cet Arminius, ou H e r m a n n , qui fit pleurer à Auguste les
légions de Varus, et lui offraient des victimes humaines.
L e s Gaulois donnaient à Brennus les attributs de Taranis
MAGIE CHEZ LUS BARBARES. 235

et de Teutatès, et brûlaient en son honneur des colosses


d'osier remplis de Romains. Partout régnait le matéria-
lisme, car l'idolâtrie n'est pas autre chose, et la super-
stition toujours cruelle parce qu'elle est lâche.
La Providence qui prédestinait la Gaule à devenir la
France très chrétienne y avait pourtant fait briller la
lumière des éternelles vérités. Les premiers druides
avaient été les vrais enfants des mages, et leur initiation
venait de l'Egypte et de la Chaldée, c'est-à-dire des
sources pures de la kabbale primitive : ils adoraient la
trinité sous les noms d'Isis ou Ilésus, l'harmonie suprême;
de Belen ou Bel, qui signifie en assyrien le Seigneur,
nom correspondant à celui d'Adonaï ; et de Camul ou
Camaël, nom qui dans la kabbale personnifie la justice
divine. Au-dessous de ce triangle de lumière ils suppo-
saient un reflet divin, composé aussi de trois rayons per-
sonnifiés : d'abord Teutatès ou Teuth, le même que le
Thoth des Égyptiens, le verbe ou l'intelligence formulée,
puis la force et la beauté dont les noms variaient comme
les emblèmes. Ils complétaient enfin le septénaire sacré
par une image mystérieuse qui représentait le progrès
du dogme et ses réalisations futures : c'était une jeune fille
voilée tenant un enfant dans ses bras, et ils dédiaient
cette image à la vierge qui deviendra mère ( 1 ) .
Les anciens druides vivaient dans une rigoureuse
abstinence, gardaient le plus profond secret sur leurs
mystères, étudiaient les sciences naturelles et n'admet-
taient parmi eux de nouveaux adeptes qu'après de lon-

(1) On a trouvé à Chartres une statue druidique ayant cette forme et


cette inscription :
VIRGINI PARITURjE.
236 HISTOIRE DE LA MAGIE.

gues initiations. Us avaient à Autun un collège célèbre


dont les armoiries, au dire de Saint-Foix, subsistent en-
core dans cette v i l l e : elles sont d'azur à la couchée de
serpents d'argent surmontée d'un gui de chêne garni de
ses glands de sinople; c'est pour le distinguer des autres
guis que le blason donne des glands au gui de chêne,
mais la branche de chêne seule porte des glands. L e
gui est un feuillage parasite qui ne fructifie pas comme
l'arbre qui l'a porté.
Les druides ne construisaient pas de temples, ils ac-
complissaient les rites de leur religion sur les dolmens et
dans les forêts. On se demande encore à l'aide de quelles
machines ils ont pu soulever les pierres colossales qui
formaient leurs autels, et qui se dressent encore sombres
et mystérieuses sous le ciel nuageux de l'Armorique. Les
anciens sanctuaires avaient leurs secrets qui ne sont pas
venus jusqu'à nous.
Les druides enseignaient que l'âme des ancêtres s'at-
tache aux enfants ; qu'elle est heureuse de leur gloire ou
tourmentée de leur honte ; que les génies protecteurs
s'attachent aux arbres et aux pierres de la patrie ; que le
guerrier mort pour son pays a expié toutes ses fautes et
rempli dignement sa tâche, il devient alors un génie, et
désormais il exerce le pouvoir des dieux. Aussi chez les
Gaulois le patriotisme était-il une religion : les femmes et
les enfants, même s'armaient, s'il le fallait, pour repousser
l'invasion, et les Jeanne d'Arc, les Jeanne Hachette de
Beauvais, n'ont fait que continuer les traditions de ces
nobles filles des Gaules.
Ce qui attache au sol de la patrie, c'est la magie des
souvenirs.
MAGIE CHEZ LES BARBARES. 237

Les druides étaient prêtres et médecins ; ils guéris-


saient par le magnétisme, et ils attachaient leur influence
fluidique à des amulettes. L e gui de chêne et l'œuf de
serpent étaient leurs panacées universelles, parce que ces
substances attirent d'une manière toute particulière la
lumière astrale. La solemnité avec laquelle on récoltait le
gui, attirait sur ce feuillage la confiance populaire et le
magnétisait à grands courants. Aussi opérait-il des cures
merveilleuses, surtout lorsqu'il était appliqué par les eu-
bages avec des conjurations et des charmes. N'accusons
pas nos pères de trop de crédulité, ils savaient peut-être
ce que nous ne savons plus.
Les progrès du magnétisme feront découvrir un jour
les propriétés absorbantes du gui de chêne. On saura
alors le secret de ces excroissances spongieuses qui atti-
rent le luxe inutile des plantes et se surchargent de colo-
ris et de saveur : les champignons, les truffes, les galles
d'arbres, les différentes espèces de gui, seront employés
avec discernement par une médecine nouvelle à force
d'être ancienne. On ne rira plus alors de Paracelse qui
recueillait Yusnée sur les crânes des pendus; mais il ne
faut pas marcher plus vite que la science, elle ne recule
que pour mieux avancer.
238 HISTOIRE DE LA MAGIE.

C H A P I T R E II.

INFLUENCE DES FEMMES.

SOMMAIRE. — Influence des femmes chez les Gaulois. — Les vierges de


'fit l'île de Sayne. — La magicienne Velléda. — Bertha la fileuse. — Mé-
lusine. — Les elfes et les fées. — Sainte Clotilde et sainte Geneviève.
— La sorcière Frédégonde.

La Providence en imposant à la femme les devoirs si


sévères et si doux de la maternité, lui a donné droit à la
protection et au respect de l'homme. Assujettie par la
nature même aux conséquences des affections qui sont sa
vie, elle conduit ses maîtres avec les chaînes que l'amour
lui donne ; plus elle est soumise aux lois qui constituent
et qui protègent son honneur, plus elle est puissante et
respectée dans ie sanctuaire de la famille. Pour elle, se
révolter, c'est abdiquer, et lui prêcher une prétendue
émancipation, c'est lui conseiller le divorce en la vouant
d'avance à la stérilité et au mépris.
Le christianisme seul a pu légitimement émanciper
la femme en l'appelant et à la virginité à la gloire du sa-
crifice. Numaavait pressenti ce mystère lorsqu'il instituait
les vestales; mais les druides devançaient le christia-
nisme en écoutant les inspirations des vierges, et en
rendant des honneurs presque divins aux prêtresses de
l'île de Sayne.
En Gaule, les femmes ne régnaient pas par leur co-
quetterie et par leurs vices, mais elles gouvernaient par
leurs conseils. On ne faisait ni la paix ni la guerre sans
les avoir consultées ; les intérêts du foyer et de la famille
INFLUENCE DES FEMMES. 239

étaient ainsi plaides par les mères, et l'orgueil national


devenait juste lorsqu'il était ainsi tempéré par l'amour
maternel de la patrie.
Chateaubriand a calomnié Velléda en la faisant suc-
comber à l'amour d'Eudore. Velléda vécut et mourut
vierge. Elle était déjà vieille quand les Romains enva-
hirent les Gaules : c'était une espèce de pythie qui pro-
phétisait dans les grandes solennités, et dont on recueil-
lait les oracles avec vénération ; elle était vêtue d'une
longue robe noire sans manches, la tête couverte d'un
voile blanc qui lui descendait jusqu'aux pieds ; elle por-
tait une couronne de verveine et avait à sa ceinture une
faucille d'or ; son sceptre avait la forme d'un fuseau, son
pied droit était chaussé d'une sandale et son pied gau-
che portait une sorte de chaussure à poulaine. On a pris
plus tard les statues de Velléda pour celles de Berthe au
long pied. La grande prêtresse, en effet, portait les insi-
gnes de la divinité protectrice des druidesses ; c'était
Hertha ou Wertha, la jeune Isis gauloise, la reine du
ciel, la vierge qui devait enfanter. On la représentait
avec un pied sur la terre et l'autre sur l'eau, parce qu'elle
était reine de l'initiation et qu'elle présidait à la science
universelle des choses. Le pied qu'elle posait sur l'eau
était ordinairement porté par une barque analogue à la
barque ou à la conque de l'ancienne Isis. Elle tenait le
fuseau des Parques chargé d'un laine moitié blanche et
moitié noire, parce qu'elle préside à toutes les formes et
à tous les symboles, et qu'elle tisse le vêtement des idées.
On lui donnait aussi la forme allégorique des sirènes moi-
tié femme et moitié poisson, ou le torse d'une belle jeune
fille et deux jambes faites en serpents, pour signifier la
2/tO HISTOIRE DE LA MAGIE.

mutation et la mobilité continuelle des choses, et l'al-


liance analogique des contraires dans la manifestation de
toutes les forces occultes delà nature. Sous cette dernière
forme, Hertha prenait le nom de Mélusine ou Mélosina (la
musicienne, la chanteuse), c'est-à-dire la sirène révélatrice
des harmonies. Telle est l'origine des images et des lé-
gendes de la reine Berthe et de la féeMélusine. Cette der-
nière se montra, dit-on, dans le x i siècle à un seigneur
e

de Lusignan ; elle en fut aimée et consentit à le rendre


heureux, à condition qu'il ne chercherait pas à épier les
mystères de son existence; le seigneur le promit, mais la
jalousie le rendit curieux et parjure; il épia Mélusine, et
la surprit dans ses méthamorphose, car une fois par se-
maine la fée reprenait ses jambes de serpents. Il poussa
un cri auquel répondit un autre cri plus désespéré et plus
terrible. Mélusine avait disparu, mais elle revient encore
en poussant des clameurs lamentables toutes les fois
qu'une personne de la maison de Lusignan est sur le
point de mourir.

Cette légende est imitée de la fable de Psyché, et se


rapporte, comme cette fable, au danger des initiations sa-
crilèges ou à la profanation des mystères de la religion
et de l'amour; le récit en est emprunté aux traditions des
anciens bardes, et elle sort évidemment de la savante
école des druides. L e x i e
siècle s'en est emparé et l'a
mise à la m o d e , mais elle existait déjà depuis long-
temps.
L'inspiration en France semble appartenir surtout aux
femmes ; les elfes et les fées y ont précédé les saintes, et les
saintes françaises ont presque toutes quelque chose de
féerique dans leur légende. Sainte Clotilde nous a fait
INFLUENCE DÈS FEMMES. 2/U

chrétiens, sainte Geneviève nous a conservés Français en


repoussant par l'énergie de sa vertu et de sa foi l'inva-
sion menaçante d'Attila. Jeanne d'Arc, mais celle-ci
était plutôt de la famille des fées que de la hiérarchie
des saintes ; elle mourut comme Hypathie, victime des
dons merveilleux de la nature et martyre de son carac-
tère généreux. Nous en reparlerons plus tard. Sainte
Clotiide fait encore des miracles dans nos provinces.
Nous avons vu aux Andelys la foule des pèlerins se pres-
ser autour d'une piscine où l'on plonge tous les ans la
statue de la sainte; le premier malade qui descend en-
suite dans l'eau est immédiatement guéri, c'est du moins
ce que proclame tout haut la confiance populaire. C'était
une énergique femme et une grande reine que cette Clo-
tiide, aussi fut-elle éprouvée par les plus poignantes dou-
leurs : son premier fils mourut après avoir reçu le baptême,
et sa mort fut regardée comme le résultat d'un maléfice;
le second tomba malade et allait mourir... Le caractère
de la sainte ne fléchit pas et le Sicambre ayant un jour
besoin d'un courage plus qu'humain se souvint du dieu
de Clotiide. Yeuve après avoir converti et fondé en quel-
que sorte un grand royaume, elle vit égorger pour ainsi
dire sous ses yeux les deux enfants de Clodornir. C'est
par de semblables douleurs que les reines de la terre
ressemblent à la reine du ciel.
Après la grande et resplendissante figure de Clotiide,
nous voyons apparaître dans l'histoire, comme un repous-
soir hideux, le funeste personnage de Frédégonde, cette
femme dont le regard est Un maléfice, cette sorcière qui
lue les princes. Frédégonde accusait volontiers ses ri-
vales de magie et les faisait mourir au milieu des sup-
16
2 62 HISTOIRE DE LA MAGIE.

plices qu'elle seule méritait. 11 restait à Chilpéric un fils


de sa première femme : ce jeune prince, qui se nommait
Glovis, s'était épris d'une jeune fille du peuple dont la
mère passait pour sorcière. On accusa la mère et la
fille d'avoir troublé par des philtres la raison de Clovis,
et d'avoir fait mourir par des envoûtements magiques les
deux enfants de Frédégonde. Les deux malheureuses
femmes furent arrêtées; Klodswinthe, la jeune fille, fut
battue de v e r g e s , on lui coupa ses beaux cheveux, et
Frédégonde les attacha elle-même à la porte de l'appar-
tement du jeune prince, puis on fit mettre Klodswinthe
en jugement. Ses réponses simples et fermes étonnèrent
les juges : quelqu'un conseilla, dit un chroniqueur, de la
soumettre à l'épreuve de l'eau bouillante; un anneau
béni fut jeté dans une cuve placée sur un grand feu, et
l'accusée, vêtue d e blanc, après s'être confessée et avoir
communié, dut plonger son bras dans la cuve et cher-
cher l'anneau. A l'immobilité des traits de Klodswinthe,
tout le monde crut qu'un miracle s'était accompli, mais
un cri de réprobation et d'horreur s'éleva quand la mal-
heureuse enfant retira son bras affreusement brûlé. Alors
elle demanda la permission de parler, et dit à ses juges
et au peuple : « Vous demandiez un miracle à Dieu pour
preuve de mon innocence. Dieu ne veut pas qu'on le
tente et il ne suspend pas les lois de la nature suivant le
caprice des hommes ; mais il donne la force à ceux qui
croient en lui, et il a fait pour moi une merveille bien
plus grande que celle qu'il vous a refusée. Cette eau
m'a brûlée, et j ' y ai plongé mon bras tout entier et j'ai
cherché et ramené l'anneau. Je n'ai ni crié, ni pâli, ni
défailli dans cette horrible torture. Si j'étais magicienne,
INFLUENCE DES FEMMES. 2/j S

comme vous le dites, j'aurais employé desmaléfices pour


ne pas brûler, mais je suis chrétienne et Dieu m'a fait la
grâce de le prouver par la constance des martyrs. » Cette
logique n'était pas de nature à être comprise à une épo-
que si barbare. Klodswinthe fut reconduite en prison en
attendant le dernier supplice, mais Dieu la prit en pitié et
l'appela à lui, dit la chronique où nous avons puisé ces
détails. Si ce n'est qu'une légende, il faut convenir qu'elle
est belle et mérite d'être conservée.
Frédégonde perdait une de ses victimes, mais les deux
autres ne lui échappèrent pas. La mère de Klodswinthe
fut mise à la torture, et, vaincue par les tourments, elle
avoua tout ce qu'on voulut, même la culpabilité de sa
fille, même la complicité de Clovis. Frédégonde, armée
de ses aveux, obtint du féroce et imbécile Chiipéric
l'abandon de son fils. Le jeune prince fut arrêté et poi-
gnardé dans sa prison. Frédégonde déclara qu'il avait
voulu échapper à ses remords par le suicide. Le cadavre
du malheurenx Clovis fut mis sous les yeux de son père,
le poignard était encore dans la plaie. Chiipéric regarda
froidement ce spectacle ; il était entièrement dominé par
Frédégonde qui le trompait effrontément avec les officiers
de son palais. On se cachait si peu que le roi eut malgré
lui des preuves de son déshonneur. Au lieu de tuer sur-
le-champ la reine et son complice, il partit sans rien dire
pour la chasse. 11 eût peut-être souffert cet outrage sans
se plaindre de peur de déplaire à Frédégonde, mais cette
femme eut honte pour lui, elle lui fit l'honneur de croire
a sa colère afin d'avoir un prétexte pour l'assassiner; il
1 avait rassasiée de crimes et de bassesses, elle le fit
tuer par dégoût.
HISTOIRE DE L A MAGIE.

Frédégonde, qui faisait brûler comme sorcières les


femmes coupables seulement de lui avoir déplu, s'exer-
çait elle-même à la magie noire, et protégeait ceux qu'elle
croyait vraiment sorciers. Agéric, évêque de Verdun,
avait fait arrêter une pythonisse qui gagnait beaucoup
d'argent en faisant retrouver les objets perdus et en dé-
nonçant les voleurs ; c'était vraisemblablement une som-
nambule. On exorcisa cette femme, le diable déclara
qu'il ne sortirait point tant qu'on le tiendrait enchaîné,
mais que si on laissait la pythonisse seule dans une église,
sans surveillant et sans gardes, il sortirait certainement.
On donna dans le piège, et ce fut la femme qui sortit ;
elle se réfugia auprès de Frédégonde qui la cacha dans
son palais et finit par la soustraire aux exorcismeset pro-
bablement au bûcher : elle fit donc cette fois une bonne
action par erreur et pour le plaisir de mal faire.

C H A P I T R E I I I .

LOIS SALIQUES CONTRE LES SORCIERS.

S O M M A I R E . — Dispositions de la loi salique contre les sorciers. — Un


passage analogue du Talraud. — Décisions des conciles. — Charles
Martel accusé de magie. — Lecabaliste Zédéchias. — Visions épidé-
miques du temps de Pépin le Bref. — Palais et vaisseaux aériens. —
Les sylphes mis en jugement et condamnés à ne plus reparaître.

Sous les rois de France de la première race, le crime


de magie n'entraînait la mort que pour les grands, et il
s'en trouvait qui faisaient gloire de mourir pour un crime
qui les élevait au-dessus du vulgaire, et les rendait redou-
LOIS SALIQUES CONTRE LES SORCIERS, 245

tables même aux souverains. C'est ainsi que le général


Mummol, torturé par ordre de Frédégonde, déclara n'avoir
rien souffert et provoqua lui-même les épouvantables
supplices à la suite desquels il mourut, en bravant ses
bourreaux que tant de constance avait forcés en quelque
sorte de lui faire grâce.
Dans les lois saliques, que Sigebert attribue à Phara-
mond, et qu'il suppose avoir été promulguées en 424,
on trouve les dispositions suivantes :
«Si quelqu'un a traité hautement un autre (ïhéré-
burge ou strioporte, c'est le nom de celui qui porte le
vase de cuivre au lieu où les stryges font leurs enchante-
ments, et s'il ne peut l'en convaincre, qu'il soit condamné
à une amende de sept mille cinq cents deniers qui font
cent quatre-vingts sous et demi. »
« Si quelqu'un traite une femme libre de stryge ou de
prostituée sans pouvoir prouver son dire, qu'il soit con-
damné à une amende de deux mille cinq cents deniers
qui font soixante-deux sous et demi. »
« Si une stryge a dévoré un homme et qu'elle en soit
convaincue, elle sera condamnée à payer huit mille de-
niers, qui font deux cents sous. »
On voit qu'en ce temps-là, l'antrhopophagie était pos-
sible à prix d'argent et que la chair humaine ne coûtait
pas cher.
On payait cent quatre-vingt-sept sous et demi pour
calomnier un homme : pour douze sous et demi de plus,
°n pouvait l'égorger et le manger, c'était plus loyal et
plus complet.
Cette étrange législation nous rappelle un passage non
moins singulier du Talmud que le célèbre rabbin Jéchiel
2/j6 HISTOIRE DE LA. MAGIE.

expliqua d'une manière fort remarquable en présence


d'une reine que le livre hébreu ne nomme pas : c'est sans
doute la reine Blanche, car le rabbin Jéchiel vivait du
temps de saint Louis.
Il s'agissait de répondre aux objections d'un juif con-
verti, nommé Douin, et qui avait reçu au baptême le pré-
nom de Nicolas. Après plusieurs discussions sur les textes
du Talmud, on en vint à ce passage :
« Si quelqu'un a offert du sang de ses enfants à Moloch,
qu'il soit puni de mort. » C'est la loi de Moïse.
L e Talmud ajoute en forme de commentaire: « Celui
donc qui aura offert non-seulement du sang, mais tout
le sang et toute la chair de ses enfants, en sacrifice à
Moloch, ne tombe pas sous les prescriptions de la loi, et
aucune peine n'est portée contre lui. »
A la lecture de cet incompréhensible raisonnement
tous les assistants se récrièrent ; les uns riaient de pitié,
les autres frémissaient d'indignation.
Rabbi Jéchiel obtint avec peine le silence, on l'écouta
enfin, mais avec une défaveur marquée, et comme en
condamnant d'avance tout ce qu'il allait dire.
« La peine de mort chez nous, dit alors Jéchiel, n'est
pas une vengeance; c'est une expiation et par consé-
quent une réconciliation.
» Tous ceux qui meurent par la loi d'Israël, meurent
dans la paix d'Israël ; ils reçoivent la réconciliation avec
la mort et dorment avec nos pères. Nulle malédiction ne
descend avec eux dans la tombe, ils vivent dans l'im-
mortalité de la maison de Jacob.
» La mort est donc une grâce suprême, c'est une gué-
rison par le fer d'une plaie envenimée ; mais nous n'ap-
LOIS SALIQUES CONTRE LES SORCIERS, §1*7

pliquons pas le fer aux incurables; nous n'avons plus de


droit sur ceux que la grandeur de leur forfait retranche à
jamais d'Israël.
» Ceux-là sont morts, et il ne nous appartient plus
d'abréger le supplice de leur réprobation sur la terre,
ils appartiennent à la colère de Dieu.
» L'homme n'a le droit de frapper que pour guérir,
c'est pour cela que nous ne frappons pas les incurables.
» Le père de famille ne châtie que ses enfants et il se
contente de fermer sa porte aux étrangers.
» Les grands coupables contre lesquels notre loi ne
prononce aucune peine, sont par ce fait même excom-
muniés à jamais, et cette réprobation est une peine plus
grande que la mort. »
Cette réponse de Jéchiel est admirable, et l'on y sent
respirer tout le génie patriarchal de l'antique Israël. Les
juifs sont véritablement nos pères dans la science, et si
au lieu de les persécuter nous avions cherché à les com-
prendre, ils seraient maintenant sans doute moins éloi-
gnés de notre foi.
Cette tradition taîmudique prouve combien est an-
cienne chez les juifs la croyance à l'immortalité de l'âme.
Qu'est-ce, en effet, que celte réintégration du coupable
dans la famille d'Israël par une mort expiatoire, si ce
n'est une protestation contre la mort même et un sublime
acte de foi en la perpétuité de la vie ? Le comte Joseph
de Maistre comprenait bien cette doctrine lorsqu'il élevait
jusqu'à une espèce de sacerdoce exceptionnel la mission
sanglante du bourreau. Le supplice supplie, dit ce grand
écrivain, et l'effusion du sang n'a pas cessé d'être un sa-
crifice. Si la peine capitale n'était pas une suprême abso-
2/l8 HISTOIRE DE LA MAGIE.

lution, elle ne serait qu'une représaille de meurtre ;


l'homme qui subit sa peine accomplit toute sa pénitence
et rentre par la mort dans la société immortelle des en-
fants de Dieu.
Les lois saliques étaient celles d'un peuple encore
barbare où. tout se rachetait, comme à la guerre, avec une
rançon. L'esclavage existait encore, et la vie humaine
n'avait qu'une valeur discutable et relative. On peut tou-
jours acheter ce qu'on a le droit de vendre, et l'on ne
doit que de l'argent pour la destruction d'un objet qui
coûte de l'argent.
L a seule législation forte de cette époque était celle de
l'Église, aussi les conciles portèrent-ils contre les stryges
et les empoisonneurs qui prenaient le nom de sorciers,
les peines les plus sévères. L e concile d'Agde dans le
bas Languedoc, tenu en 506, les excommunie ; le premier
concile d'Orléans, tenu en 5 1 1 , défend expressément les
opérations divinatoires ; le concile de Narbonne, en 589,
frappe les sorciers d'une excommunication sans espé-
rance, et ordonne qu'ils soient faits esclaves et vendus au
profit des pauvres. Ce même concile ordonne de fusti-
ger publiquement lés amateurs du diable, c'est-à-dire
sans doute ceux qui s'en occupaient, qui le craignaient,
qui l'évoquaient, qui lui attribuaient une partie de la
puissance de Dieu. Nous félicitons sincèrement les dis-
ciples de M. le comte de Mirvillede n'avoir pas vécu de
ce temps-là.

Pendant que ces choses se passaient en France, un


extatique venait de fonder en Orient une religion et un
empire. Mahomet était-il un fourbe ou un halluciné?
Pour les musulmans, c'est encore un prophète, et pour
LOIS SALIQUES CONTRE LES SORCIERS. 2/l9

les savants qui connaissent à fond la langue arabe, le


Coran sera toujours un chef-d'œuvre.
Mahomet était un homme sans lettres, un simple con-
ducteur de chameaux, et il créa le monument le plus
parfait de la langue de son pays. Ses succès ont pu pas-
ser pour des miracles, et l'enthousiasme guerrier de
ses successeurs menaça un instant la liberté du monde
entier; mais toutes les forces de l'Asie vinrent un jour se
briser contre la main de fer de Charles-Martel. Ce rude
guerrier ne priait guère lorsqu'il fallait combattre ;
manquait-il d'argent, il en prenait dans les monastères
et dans les églises, il donna même des bénéfices ecclé-
siastiques à des soldats. Dieu, dans l'opinion du clergé,
ne devait pas bénir ses armes, aussi ses victoires furent-
elles attribuées à la magie. Ce prince avait tellement
soulevé contre lui l'opinion religieuse, qu'un vénérable
personnage, saint Eucher, évêque d'Orléans, le vit plongé
dans les enfers. L e saint évêque, alors en extase, ap-
prit d'un ange qui le conduisait en esprit à travers les
régions d'outre-tombe, que les saints dont Charles-Martel
avait spolié ou profané les églises lui avaient interdit
l'entrée du ciel, avaient chassé son corps même de la
sépulture, et l'avaient précipité au fond de l'abîme.
Eucher donna avis de cette révélation à Boniface, évêque
de Mayence, et à Fulrad, archichapelain de Pépin le Bref.
On ouvrit le tombeau de Charles-Martel, le corps n'y était
plus, la pierre intérieure était noircie et comme brûlée,
une fumée infecte s'en exhala et un énorme serpent en
sortit. Boniface adressa à Pépin le Bref etàCarloman le
procès-verbal de l'exhumation, ou plutôt de l'ouverture
du tombeau de leur père, en les invitant à profiter de ce
250 HISTOIRE DE LA MAGIE.

terrible exemple et à respecter les choses saintes. Mais


était-ce bien les respecter que de violer ainsi la sépulture
d'un héros sur la foi d'un rêve pour attribuer à l'enfer ce
travail de destruction si complètement et si vite achevé
par la mort ?
Sous le règne de Pépin le Bref, des phénomènes fort
singuliers se montrèrent publiquement en France. L'air
était plein de figures humaines, le ciel reflétait des mira-
ges de palais, de jardins, de flots agités, de vaisseaux
les voiles au vent et d'armées rangées en bataille. L'at-
mosphère ressemblait à un grand rêve. Tout le monde
pouvait voir et distinguer les détails de ces fantastiques
tableaux. Était-ce une épidémie attaquant les organes de
la vision ou une perturbation atmosphérique qui projetait
des mirages dans l'air condensé? N'était-ce pas plutôt
une hallucination universelle produite par quelque prin-
cipe enivrant et pestilentiel répandu dans l'atmosphère?
Ce qui donnerait plus de probabilité à cette dernière sup-
position, c'est que ces visions exaspéraient le peuple; on
croyait distinguer en l'air des sorciers qui répandaient
à pleines mains les poudres malfaisantes et les poisons.
Les campagnes étaient frappées de stérilité, les bestiaux
mouraient, et la mortalité s'étendait même sur les
hommes.
Onrépanditalors une fable qui devaitavoird'autanlplus
de succès et de crédit, qu'elle était plus complètement
extravagante. ï l y avait alors un fameux kabbaliste, nommé
Zédéchias, qui tenait école de sciences occultes, et ensei-
gnait non pas la kabbale, mais les hypothèses amusantes
auxquelles la kabbale peut donner lieu et qui forment la
partie exotérique de cette science toujours cachée au
LOIS SAL1QUES CONTRE LES SORCIERS. 251

vulgaire. Zédéchias amusait donc les esprits avec la m y -


thologie de cette kabbale fabuleuse. Il racontait comment
Adam, le premier homme, créé d'abord dans un état
presque spirituel, habitait au-dessus de notre atmosphère
où la lumière faisait naître pour lui et à son gré les v é g é -
tations les plus merveilleuses ; là il était servi par une foule
d'êtres de la plus grande beauté, créés à l'image cle
l'homme et de la femme, dont ils étaient les reflets animés,
et formés de la plus pure substance des éléments :
c'étaient les sylphes, les salamandres, les ondins et les
gnomes; mais dans l'état d'innocence, Adam ne régnait
sur les gnomes et sur les ondins que par l'entremise des
sylphes et des salamandres qui, seuls, avaient le pouvoir
de s'élever jusqu'à son paradis aérien.
Rien n'égalait le bonheur du couple primitif servi par
les sylphes; ces esprits mortels étant d'une incroyable
habileté pour bâtir, tisser, faire fleurir la lumière en
mille formes plus variées que l'imagination la plus bril-
lante et la plus féconde n'a le temps de les concevoir.
Le paradis terrestre, ainsi nommé parce qu'il reposait
sur l'atmosphère de la terre, était donc le séjour des
enchantements ; Adam et Eve dormaient dans des palais
de perles et de saphirs, les roses naissaient autour d'eux
et s'étendaient en tapis sous leurs pieds ; ils glissaient
sur l'eau dans des conques de nacre tirées par des cygnes,
les oiseaux leur parlaient avec une musique délicieuse,
les fleurs se penchaient pour les caresser ; la chute leur
fit tout perdre en les précipitant sur la terre ; les corps
matériels dont ils furent couverts, sont les peaux de bêtes
dont il est parlé dans la Bible. Ils se trouvèrent seuls et
nus sur une terre qui n'obéissait plus aux caprices de
252 HISTOIRE DE LA MAGIE.

leurs pensées ; ils oublièrent même la vie édenique, et


ne l'entrevirent plus dans leurs souvenirs que comme un
rêve. Cependant, au-dessus de l'atmosphère, les régions
paradisiaques s'étendaient toujours, habitées seulement
par les sylphes et les salamandres qui se trouvaient ainsi
gardiens des domaines de l'homme, comme des valets
affligés qui restent dans le château d'un maître dont ils
n'espèrent plus le retour.
L e s imaginations étaient pleines de ces merveilleuses
fictions lorsqu'apparurent les mirages du ciel et les figures
humaines dans les nuées. Plus de doute alors, c'étaient
les sylphes et les salamandres de Zédéchias qui venaient
chercher leurs anciens maîtres; on confondit les rêves
avec la veille, et plusieurs personnes se crurent enlevées par
les êtres aériens ; il ne fut bruit que de voyages au pays
des sylphes, comme parmi nous on parle de meubles
animés et de manifestations fluidiques. La folie gagna
les meilleures têtes, et il fallut enfin que l'Église s'en
mêlât. L'Église aime peu les communications surnatu-
relles faites à la multitude ; de semblables révélations
détruisant le respect dû à l'autorité et la chaîne hiérar-
chique de renseignement ne sauraient être attribuées à
l'esprit d'ordre et de lumière. Les fantômes des nuages
furent donc atteints et convaincus d'être des illusions de
l'enfer ; le peuple alors, désireux de s'en prendre à quel-
qu'un, se croisa en quelque sorte contre les sorciers. La
folie publique se termina par une crise de fureur : les
gens inconnus qu'on rencontrait dans les campagnes
étaient accusés de descendre du ciel et tués sans miséri-
corde ; plusieurs maniaques avouèrent qu'ils avaient été
enlevés par des sylphes ou par des démons ; d'autres,
LOIS SALIQUES CONTRE LES SORCIERS. 253

qui s'en étaient déjà vantés, ne voulurent plus ou ne pu-


rent plus s'en dédire : on les brûlait, on les jetait à l'eau
et on croirait à peine, dit Garinet ( 1 ) , quel grand nombre
ils en firent périr ainsi dans tout le royaume. Ainsi se
dénouent ordinairement les drames où les premiers rôles
sont joués par l'ignorance et par la peur.
Ces épidémies visionnaires se reproduisirent sous les
règnes suivants, et la toute-puissance de Charlemagne
dut intervenir pour calmer l'agitation publique. Un édit,
renouvelé depuis par Louis le Débonnaire, défendit aux
sylphes de se montrer sous les peines les plus graves.
On comprit qu'à défaut des sylphes ces peines attein-
draient ceux qui se vanteraient de les avoir vus et on
finit par ne les plus voir ; les vaisseaux aériens rentrèrent
dans le port de l'oubli et personne ne prétendit plus avoir
voyagé dans le ciel. D'autres frénésies populaires rem-
placèrent celle-là, et les splendeurs romanesques du grand
règne de Charlemagne vinrent fournir aux légendaires
(

assez d'autres prodiges à croire et d'autres merveilles à


raconter.

(1) Garinet, Histoire de la magie en France, 1818, i vol. in-8.


HISTOIRE DE LA M AGI H.

C H A P I T R E I V .

LÉGENDES DU RÈGNE DE CHARLEMAGNE.

SOMMAIRE. — L'épée enchantée et le cor magique de Roland. — L'En-


chiridion de Léon I I I . — Le sabbat. — Les tribunaux secrets ou les
francs-juges. — Dispositions des Capitulaires contre les sorciers.—
La chevalerie errante.
. •. ' ' ' *. * - '•

Charlemagne est le véritable prince des enchante-


ments et de la féerie, son règne est comme une halte
solennelle et brillante entre la barbarie et le moyen â g e ;
c'est une apparition de majesté et de grandeur qui rap-
... . • •

pelle les pompes magiques du règne de Salomon, c'est


une résurrection et une prophétie. En lui l'empire romain,
enjambant les origines gauloises et franques, reparaît
dans toute sa splendeur; en lui aussi, comme dans un
type évoqué et réalisé par divination, se montre d avance
l'empire parfait des âges de la civilisation mûrie, l'em-
pire couronné par le sacerdoce et appuyai\t son trône
contre l'autel.
A Charlemagne commence l'ère de la chevalerie et
l'épopée merveilleuse des romans ; les chroniques du
règne de ce prince ressemblent toutes à l'histoire des
quatre fils Aymon ou d'Oberon l'enchanteur. Les oiseaux
parlent pour remettre dans le bon chemin l'armée fran-
çaise égarée dans les forêts; des colosses d'airain se
dressent au milieu de la mer et montrent à l'empereur
les voies ouvertes de l'Orient. Roland, le premier des
paladins, possède une épée magique, baptisée comme une
chrétienne et nommée Durandal ; le preux parle à son
LÉGENDES DU REGNE DE CHARLEMAGNE. 255

épée, et elle semble le comprendre, rien ne résiste à


l'effort de ce glaive surnaturel. Roland possède aussi un
cor d'ivoire si artistement fait, que le moindre souffle y
produit un bruit qui s'entend de vingt lieues à la ronde
et qui fait trembler les montagnes ; lorsque Roland
succombe à Roncevaux, plutôt écrasé que vaincu, il se
soulève encore comme un géant sous un déluge d'arbres
et de roches roulantes, il sonne du cor, et les Sarrazins
prennent la fuite. Charlemagne, qui est à plus de dix
lieues de là, entend le cor de Roland et veut aller à son
secours ; mais il en est empêché par le traître Ganelon
qui a vendu l'armée française aux barbares. Roland, se
voyant abandonné, embrasse une dernière fois sa Duran-
dal, puis, réunissant toutes ses forces, il en frappe à
deux mains un quartier de montagne contre lequel il
espère la briser pour ne pas la laisser tomber au pouvoir
des infidèles , le quartier de montagne est pourfendu
sans que Durandal soit ébréchée. Roland la serre sur sa
poitrine et meurt avec une mine si haute et si fière que
les Sarrazins n'osent descendre pour l'approcher et l a n -
cent encore en tremblant une grêle de flèches contre
leur vainqueur qui n'est plus.
Charlemagne donnant un trône à la papauté et rece-
vant d'elle l'empire du monde, est le plus grandiose de
tous les personnages de notre histoire.
Nous avons parlé de VEnchiridion, ce petit livre ren-
fermant avec les plus belles prières chrétiennes les
caractères les plus cachés de la Kabbale. La tradition
occulte attribue ce petit livre à Léon 111, et affirme qu'il
fut donné par le pontife à Charlemagne comme le plus
rare de tous les présents. L e souverain propriétaire de
256 HISTOIRE DE LA MAGIE.

ce livre, et sachant dignement s'en servir, devait être le


maître du monde. Cette tradition n'est peut-être pas à
dédaigner.
Elle suppose :
1 ° L'existence d'une révélation primitive et univer-
selle, expliquant tous les secrets de la nature et les
accordant avec les mystères de la grâce, conciliant la
raison avec la foi parce que toutes deux sont filles de
Dieu et concourent à éclairer l'intelligence par leur
double lumière ;
2° L a nécessité où l'on a toujours été réduit de cacher
cette révélation à la multitude, de peur qu'elle n'en
abuse en l'interprétant mal, et qu'elle ne se serve contre
la foi des forces de la raison ou des puissances de la foi
même pour égarer la raison que le vulgaire n'entend
jamais bien ;
3° L'existence d'une tradition secrète réservant aux
souverains pontifes et aux maîtres temporels du monde
la connaissance de ces mystères ;
k° La perpétuité de certains signes ou pantacles ex-
primant ces mystères d'une manière hiéroglyphique, et
connus des seuls adeptes.
L'Enchiridion serait un recueil de prières allégoriques,
ayant pour clefs les pantacles les plus mystérieux de la
kabbale.
Nous décrivons ici la figure des principaux pantacles
de l'Enchiridion.
L e premier, qui est gravé sur la couverture même du
livre, représente un triangle équilatéral renversé, inscrit
dans un double cercle. Sur le triangle sont écrits de
manière à former le tau prophétique, les deux mots
LÉGENDES DU RÈGNE DE CHARLEMAGNE. 257

ONTSN' Éloïm, et m«33f, Sabaoth, qui signifie le Dieu


des armées, l'équilibre des forces naturelles et l'harmonie
des nombres. Aux trois côtés du triangle sont les trois
grands nomsmrp. Jéhovah, >nK, Adonaï, ajha, Agla ;
au-dessus du nom de Jéhovah est écrit en latin formatio,
au-dessus d'Adonaï, reformatio, et au-dessus d'Agla,
transformatio. Ainsi la création est attribuée au Père, la
rédemption ou la réforme au Fils, et la sanctification ou
transformation au Saint-Esprit, suivant les lois mathéma-
tiques de l'action de la réaction et de l'équilibre. Jéhovah
est en effet aussi la genèse ou la formation du dogme
par la signification élémentaire des quatre lettres du
tétragramme sacré ; Adonaï est la réalisation de ce dogme
en forme humaine, dans le Seigneur visible, qui est le
fils de Dieu ou l'homme parfait ; et Agla, comme nous
l'avons assez longuement expliqué ailleurs, exprime la
synthèse de tout le dogme et de toute la science kabba-
listique, en indiquant clairement par les hiéroglyphes
dont ce nom admirable est formé le triple secret du
grand œuvre.

Le deuxièmepanlacle est une tête à triple visage, cou-


ronnée d'une tiare et sortant d'un vase plein d'eau. Ceux
qui sont initiés aux mystères du Sohar comprendront
l'allégorie de cette tête.

Le troisième est le double triangle formant l'étoile de


Salomon.

Le quatrième est l'épée magique, avec cette légende .


Deo duce, comité ferro, emblème du grand arcane et de
la toute-puissance de l'initié.
L e cinquième est le problème de la taille humaine du
sauveur, résolu par le nombre quarante : c'est le nombre
17
258 HISTOIRE DE LA MAGIE.

théologique des Séphiroths, multiplié par celui des


réalisations naturelles.
L e sixième est le pantacle de l'esprit, signifié par des
ossements qui forment deux E et deux taus : T.
L e septième, et le plus important, est le grand mono-
gramme magique, expliquant les clavicules de Salomon,
le tétragramme, le signe du labarum et le mot suprême
des adeptes (voyez Dogme et rituel de la haute magie,
explication des figures du tome I ) . Ce caractère se lit en
faisant tourner la page comme une roue, et se prononce
rota tarot ou tofa (voyez Guilhaume Postel , Clavis
absconditorum a constitutione mundi).
La lettre A est souvent remplacée dans ce caractère
par le nombre de la lettre, qui est 1.
On trouve aussi dans ce signe la figure et la valeur
des quatre emblèmes hiéroglyphiques du tarot, le bâton,
la c o u p e , l'épée et le denier. Ces quatre hiéroglyphes
élémentaires se retrouvent partout dans les monuments
sacrés des Égyptiens, et Homère les a figurés dans sa des-
cription du bouclier d'Achille, en les plaçant dans le
même ordre que les auteurs de l'Ënchiridion.
Mais ces explications, s'il fallait les appuyer de toutes
leurs preuves, nous entraîneraient ici hors de notre sujet,
et demanderaient un travail spécial que nous espérons
bien mettre en ordre et publier un jour.
L'épée ou le poignard magique figuré dans l'Ënchi-
ridion paraît avoir été le symbole secret du tribunal des
francs-juges. Ce glaive, en effet, est fait en forme de
croix, il est caché et comme enveloppé dans la légende ;
Dieu seul ie dirige, et celui qui frappe ne doit compte
de ses coups à personne. Terrible menace et non moins
LÉGENDES DU REGNE DE CHARLEMAGNE. 259

terrible privilège ! le poignard vehmique, en effet,


atteignait dans l'ombre des coupables dont le crime même
restait souvent inconnu. A quels faits se rattache cette
effrayante justice ? 11 faut ici pénétrer dans des ombres
que l'histoire n'a pu éclaircir, et demander aux traditions
et aux légendes une lumière que la science ne nous donne
pas.
Les francs-juges furent une société secrète opposée,
dans l'intérêt de l'ordre et du gouvernement, à des so-
ciétés secrètes anarchiques et révolutionnaires.
Les superstitions sont tenaces, et le druidisme dégé-
néré avait jeté de profondes racines dans les terres
sauvages du Nord. Lesinsurrectionsfréquentes des Saxons
attestaient un fanatisme toujours remuant et que la force
morale était impuissante à réprimer ; tous les cultes
vaincus, le paganisme romain, l'idolâtrie germaine, la
rancune juive, se liguaient contre le christianisme victo-
rieux. Des assemblées nocturnes avaient lieu, et les con-
jurés y cimentaient leur alliance par le sang des victimes
humaines : une idole panthéistique aux cornes de bouc
et aux formes monstrueuses présidait à des festins qu'on
pourrait appeler les agapes de la haine. Le sabbat, en un
mot, se célébrait encore dans toutes les forêts et dans tous
les déserts des provinces encore sauvages; les adeptes
s'y rendaient masqués et méconnaissables ; l'assemblée
éteignait ses lumières et se dispersait avant le point du
jour; les coupables étaient partout, et nulle part on ne
pouvait les saisir. Charlemagne résolut de les combattre
avec leurs propres armes.

En ce même temps, d'ailleurs, les tyrannies féodales


conspiraient avec les sectaires contre l'autorité légitime;
260 HISTOIRE DE LA MAGIE.

les sorcières étaient les prostituées des châteaux ; les


bandits initiés au sabbat partageaient avec les seigneurs
le fruit sanglant de leurs rapines; les justices féodales
étaient vendues au plus offrant, et les charges publiques
ne pesaient de tout leur poids que sur les faibles et sur
les pauvres.
Charlemagne envoya en Westphalie, où le mal était le
plus grand, des agents dévoués chargés d'une mission
secrète. Ces agents attirèrent à eux et se lièrent par le
serinent et la surveillance mutuelle tout ce qui était
énergique parmi les opprimés, tout ce qui aimait encore
la justice, soit parmi le peuple, soit parmi la noblesse;
ils découvrirent à leurs adeptes les pleins pouvoirs qu'ils
tenaient de l'empereur, et instituèrent le tribunal des
francs-juges.
G'était une police secrète ayant droit de vie et de
mort. L e mystère qui entourait les jugements, la rapidité
des exécutions, tout frappa l'imagination de ces peuples
encore barbares. La sainte vehme prit de gigantesques
proportions ; on frissonnait en se racontant des appari-
tions d'hommes masqués, des citations clouées aux portes
des seigneurs les plus puissants au milieu même de leurs
gardes et de leurs orgies, des chefs de brigands trouvés
morts avec le terrible poignard cruciforme dans la poi-
trine, et sur la bandelette attachée au poignard l'extrait
du jugement de la sainte vehme.
Ce tribunal affectait dans ses réunions les formes les
plus fantastiques : le coupable cité dans quelque carre-
four décrié y était pris par un homme noir qui lui ban-
dait les yeux et le conduisait en silence ; c'était toujours
le soir, à une heure avancée, car les arrêts ne sepronon-
LÉGENDES DO RÈGNE DE CHARLEMAGNE. 261

çaient qu'à minuit. Le criminel était introduit dans de


vastes souterrains, une seule voix l'interrogeait ; puis on
lui ôtait son bandeau : le souterrain s'illuminait dans
toutes ses profondeurs immenses, et l'on voyait les
francs-juges tous vêtus de noir et masqués. Les sen-
tences n'étaient pas toujours mortelles, puisqu'on a su
comment les choses se passaient, sans que jamais un
franc-juge ait révélé quoi que ce soit, car la mort eût
frappé à l'instant même le révélateur. Ces assemblées
formidables étaient quelquefois si nombreuses, qu'elles
ressemblaient à une armée d'exterminateurs : une nuit
l'empereur Sigismond lui-même présidait la sainte
vehme, et plus de mille francs-juges siégeaient en cercle
autour de lui.
En 1400, il y avait en Allemagne cent mille francs-
juges. Les gens à mauvaise conscience redoutaient leurs
parents et leurs amis : « Si le duc Adolphe de SIeisvvyek
vient me faire visite, disait un jour Guillaume de Bruns-
wick, il faudra bien que je le fasse pendre, si je ne veux
pas être pendu. »
Un prince de la même famille, le duc Frédéric de
Brunswick, qui fut empereur un instant, avait refusé de
se rendre aune citation des francs-juges; il ne sortait
plus qu'armé de toutes pièces et entouré de gardes ; mais
un jour il s'écarta un peu de sa suite et eut besoin de se
débarrasser d'une partie de son armure : on ne le vit
pas revenir. Ses gardes entrèrent dans le petit bois où le
duc avait voulu être seul un instant ; le malheureux expi-
rait, ayant dans les reins le poignard de la sainte vehme,
e t
l sentence pendue au poignard.
a
On regarda de tous
C o t e s
5 et l'on vit un homme masqué qui se retirait en
262 HISTOIRE I)!-; I A MAGIE.

marchant d'un pas solennel.,. Personne n'osa le pour-


suivre !
On a imprimé dans le Reichsthetaer de Mùller le code
de la cour vehmique, retrouvé dans les anciennes archives
de Westphalie ; voici le titre de ce vieux document :
« Gode et statuts du saint tribunal secret des francs-
comtes et francs-juges de Westphalie qui ont été établis
en l'année 772 par l'empereur Charlemagne, tels que les
dits statuts ont été corrigés en 1404-par le roi Robert,
qui y a fait en plusieurs points les changements et les
augmentations qu'exigeait l'administration de la justice
dans les tribunaux des illuminés, après les avoir de nou-
veau revêtus de son autorité. »
Un avis placé à la première page défend sous peine
de mort, à tout profane, de jeter les yeux sur ce livre.
L e nom d'illuminés qu'on donne ici aux affiliés du tri-
bunal secret révèle toute leur mission : ils avaient à sui-
vre dans l'ombre les adorateurs des ténèbres, ils circon-
venaient mystérieusement ceux qui conspiraient contre
la société à la faveur du mystère ; mais ils étaient les
soldats occultes de la lumière, ils devaient faire éclater
le jour sur toutes les trames criminelles, et c'est ce que
signifiait cette splendeur subite qui illuminait le tribunal
lorsqu'il prononçait une sentence.
Les dispositions publiques de la loi sous Charlemagne
autorisaient cette guerre sainte contre les tyrans de la nuit.
On peut voir dans les Capitulaires de quelles peines de-
vaient être punis les sorciers, les devins, les enchanteurs,
les noueurs d'aiguillette, ceux qui évoquent le diable, et
les empoisonneurs au moyen de prétendus philtres amou-
reux.
LÉGENDES DU REGNE DE CHARLEMAGNE. 265

Ces mêmes lois défendent expressément de trou-


bler l'air, d'exciter des tempêtes, de fabriquer des
caractères et des talismans, de jeter des sorts, de faire
des maléfices, de pratiquer les envoûtements, soit sur les
hommes, soit sur les troupeaux. Les sorciers, astrolo-
gues, devins, nécromanciens, mathématiciens occultes,
sont déclarés exécrables et voués aux mêmes peines que
les empoisonneurs, les voleurs et les assassins. On com-
prendra cette sévérité, si l'on se rappelle ce que nous
avons dit des rites horribles de la magie noire et de ses
sacrifices infanticides ; il fallait que le danger fût grand,
puisque la répression se manifestait sous des formes si
multipliées et si sévères.
Une autre institution qui remonte aux mêmes sources
que la sainte vehme, fut la chevalerie errante. Les che-
valiers errants étaient des espèces de francs-juges qui en
appelaient à Dieu et à leur lance de< toutes les injustices
des châtelains et de toute la malice des nécromans.
C'étaient des missionnaires armés qui pourfendaient les
mécréants après s'être munis du signe de la croix ; ils
méritaient ainsi le souvenir de quelque noble dame, et
sanctifiaient l'amour par le martyre d'une vie toute de
dévouement. Que nous sommes loin déjà de ces courti-
sanes païennes auxquelles on immolait des esclaves, et
pour lesquelles les conquérants de l'ancien monde brû-
laient des villes ! Aux dames chrétiennes il faut d'autres
sacrifices ; il faut avoir exposé sa vie pour le faible et
l'opprimé, il faut avoir délivré des captifs, il faut avoir
puni les profanateurs des affections saintes, et alors ces
belles et blanches dames aux jupes armoriées, aux mains
délicates et pâles, ces madones vivantes et fières comme
264 HISTOIRE DE L A MAGIE.

des lis, qui reviennent de l'Église, leurs livres d'heures


sous le bras et leurs patenôtres à leur ceinture, détache-
ront leur voile brodé d'or ou d'argent, et le donneront
pour écharpe au chevalier agenouillé devant elles qui les
prie en songeant à Dieu î
N e nous souvenons plus des erreurs d'Eve, elles sont
mille fois pardonnées et compensées par cette grâce inef-
fable des nobles filles de Marie !

C H A P I T R E V.

MAGICIENS.

S O M M A I R E . — Excommunication du roi Robert. — Saint Louis et le rabbin


;
Jéchiel. — La lampe magique et le clou enchanté. — Albert le Grand
et ses prodiges. — L'androïde. — Le bâton de saint Thomas d'Aquin.

L e dogme fondamental de la haute science, celui qui


consacre la loi éternelle de l'équilibre, avait obtenu son
entière réalisation dans la constitution du monde chré-
tien. Deux - colonnes vivantes soutenaient l'édifice de la
civilisation : le pape et Vempereur.
Mais l'empire s'était divisé en échappant aux faibles
mains de Louis le Débonnaire et de Charles le Chauve.
L a puissance temporelle, abandonnée aux chances de la
conquête ou de l'intrigue, perditcette unité providentielle
qui la mettait en harmonie avec Rome. L e pape dut sou-
vent intervenir comme grand justicier, et à ses risques
et périls il réprima les convoitises et l'audace de tant
de souverains divisés.
MAGlCIEtNS. 265

L'excommunication était alors une peine terrible, car


elle était sanctionnée par les croyances universelles, et
produisait, par un effet mystérieux de cette chaîne ma-
gnétique de réprobations, des phénomènes qui effrayaient
la foule. C'est ainsi que Robert le Pieux, ayant encouru
cette terrible peine par un mariage illégitime, devint
père d'un enfant monstrueux semblable à ces figures de
démons que le moyen âge savait rendre si complètement
et si ridiculement difformes. Ce triste fruit d'une union
réprouvée attestait du moins les tortures de conscience
et les rêves de terreur qui avaient agité la mère. Robert
y vit une preuve de la colère de Dieu, et se soumit à la
sentence pontificale : il renonça à un mariage que
l'Église déclarait incestueux ; il répudia Berthe pour
épouser Constance de Provence, et il ne tint qu'à lui de
voir dans les mœurs suspectes et dans le caractère
altier de cette nouvelle épouse un second châtiment du
ciel.

Les chroniqueurs de ce temps-là semblent aimer beau-


coup les légendes diaboliques, mais ils montrent, en les
racontant, bien plus de crédulité que de goût. Tous les
cauchemars des moines, tous les rêves maladifs des r e -
ligieuses, sont considérés comme des apparitions réelles.
Ce sont des fantasmagories dégoûtantes, des allocutions
stupides, des transfigurations impossibles, auxquelles il
ne manque, pour être amusantes, que la verve artistique
de Callot et de Cyrano Bergerac. Rien de tout cela, de-
puis le règne de Robert jusqu'à celui de saint Louis, ne
nous paraît digne d'être raconté.
Sous le règne de saint Louis vécut le fameux rabbin
Jéchiel, grand kabbalisteet physicien très remarquable.
266 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Tout ce qu'on dit de sa lampe et de son clou magique


prouve qu'il avait découvert l'électricité, ou du moins qu'il
en connaissait les principaux usages ; car cette connais-
sance, aussi ancienne que la magie, se transmettait comme
une des clefs de la haute initiation.
Lorsque venait la nuit, une étoile rayonnante appa-
raissait dans le logis de Jéchiel ; la lumière en était si
vive, qu'on ne pouvait la fixer sans être ébloui, elle pro-
jetait un rayonnement nuancé des couleurs de l'arc-en-
ciel. On ne la voyait jamais défaillir, ni s'éteindre, et
l'on savait qu'elle n'était alimentée ni avec de l'huile,
ni avec aucune des substances combustibles alors con-
nues.
Lorsqu'un importun ou un curieux malintentionné
essayait de s'introduire chez Jéchiel, et persistait à tour-
menter le marteau de sa porte, le rabbin frappait sur
un clou qui était planté dans son cabinet, il s'échappait
alors en même temps de la tête du clou et du marteau
de la porte une étincelle bleuâtre, et le malavisé était
secoué de telle sorte, qu'il criait miséricorde, et croyait
sentir la terre s'entr'ouvrir sous ses pieds. Un jour, une
foule hostile se pressa à cette porte avec des murmures
et des menaces : ils se tenaient les uns les autres par le
bras pour résister à la commotion et au prétendu trem-
blement de terre. Le plus hardi secoua le marteau de la
porte avec fureur. Jéchiel toucha son clou. A l'instant
les assaillants se renversèrent les uns sur les autres et
s'enfuirent en criant comme des gens brûlés ; ils étaient
sûrs d'avoir senti la terre s'ouvrir et les avaler jusqu'aux
genoux, ils ne savaient comment ils en étaient sortis;
mais pour rien au monde ils ne seraient retournés faire
MAGICIENS. 267

le tapage à la porte du sorcier. Jéchiel conquit ainsi sa


tranquillité par la terreur qu'il répandait.
Saint Louis, qui, pour être un grand catholique, n'en
était pas moins un grand roi, voulut connaître Jéchiel ;
il le fît venir à sa cour, eut avec lui plusieurs entretiens,
demeura pleinement satisfait de ses explications, le pro-
tégea contre ses ennemis, et ne cessa pas, tant qu'il vécut,
de lui témoigner de l'estime et de lui faire du bien.
A cette même époque vivait Albert le Grand, qui passe
encore parmi le peuple pour le grand maître de tous les
magiciens. Les chroniqueurs assurent qu'il posséda la
pierre philosophale, et qu'il parvint, après trente ans de
travail, à la solution du problème de l'androïde; c'est-à-
dire qu'il fabriqua un homme artificiel, vivant, parlant
et répondant à toutes les questions avec une telle préci-
sion et une telle subtilité, que saint Thomas d'Aquin, en-
nuyé de ne pouvoir le réduire au silence, le brisa d'un
coup de bâton. Telle est la fable populaire ; voyons ce
qu'elle signifie.
Le mystère de la formation de l'homme et de son appa-
rition primitive sur la terre a toujours gravement préoc-
cupé les curieux qui cherchent les secrets de la nature.
L'homme, en effet, apparaît le dernier dans le monde fos-
sile, et les jours de la création de Moïse ont déposé leurs
débris successifs, attestant que ces jours furent de lon-
gues époques : comment donc l'humanité se forma-t-elle ?
La Genèse nous dit que Dieu fit le premier homme
du limon de la terre, et qu'il lui insuffla la vie ; nous ne
doutons pas un instant de la vérité de cette assertion.
Loin de nous cependant l'idée hérétique et anthropo-
morphe d'un Dieu façonnant de la terre glaise avec ses
268 HISTOIRE DE LÀ MAGIE.

mains. Dieu n'a pas de mains, c'est un pur esprit, et il


fait sortir ses créations les unes des autres par les forces
mêmes qu'il donne à la nature. Si donc le Seigneur a tiré
Adam du limon de la terre , nous devons comprendre
que l'homme est sorti de terre sous l'influence de Dieu,
mais d'une manière naturelle. L e nom d'Adam en hébreu
désigne une terre rouge ; or, quelle peut être cette terre
rouge? Voilà ce que cherchaient les alchimistes : en sorte
que le grand œuvre n'était pas le secret de la transmuta-
tion des métaux, résultat indifférent et accessoire, c'était
l'arcane universel de la vie, c'était la recherche du point
central de transformation où la lumière se fait matière et
se condense en une terre qui contient en elle le principe
du mouvement et de la vie ; c'était la généralisation du
phénomène qui colore le sang en rouge par la créa-
tion de ces innombrables globules aimantés comme les
mondes et vivants comme des animaux. Les métaux,
pour les disciples d'Hermès, étaient le sang coagulé de
la terre passant, comme celui de l'homme, du blanc au
noir et du noir au vermeil, suivant le travail de la lu-
mière. Remettre ce fluide en mouvement par la chaleur,
et lui rendre la fécondation colorante de la lumière au
moyen de l'électricité, telle était la première partie de
l'œuvre des sages ; mais la fin était plus difficile et plus
sublime, il s'agissait de retrouver la terre adamique qui
est le sang coagulé de la terre vivante ; et le rêve suprême
des philosophes était d'achever l'œuvre de Prométhée
en imitant le travail de Dieu, c'est-à-dire en faisant naî-
tre un homme enfant de la science, comme Adam fut l'en-
fant de la toute-puissance divine : ce rêve était insensé
peut-être, mais il était beau.
MAGICIENS. 269

La magie noire, qui singe toujours la magie de lumière,


mais en la prenant à rebours, se préoccupa aussi beau-
coup de l'androïde, car elle voulait en faire l'instru-
ment de ses passions et l'oracle de l'enfer. Pour cela il
fallait faire violence à la nature et'obtenir une sorte de
champignon vénéneux plein de malice humaine concen-
trée, une réalisation vivante de tous les crimes. Aussi
cherchait-on la mandragore sous le gibet des pendus ; on
la faisait arracher par un chien qu'on attachait à la ra-
cine, et qu'on frappait d'un coup mortel : le chien devait
arracher la mandragore dans les convulsions de l'agonie.
L'âme du chien passait alors dans la plante et y attirait
celle du pendu... Mais c'est assez d'horreurs et d'absur-
dités. Les curieux d'une pareille science peuvent consul-
ter ce grimoire vulgaire connu dans les campagnes sous
le nom du Petit Albert; ils y verront comment on peut
faire aussi la mandragore sous la forme d'un coq à figure
humaine. La stupidité dans toutes ces recettes le dispute
à l'immonde, et en effet on ne peut outrager volontaire-
ment la nature sans renverser en même temps toutes les
lois de la raison.
Albertle Grand n'était ni infanticide ni déicide, il
n'avait commis ni le crime de Tantale, ni celui de Promé-
thée, mais il avait achevé de créer et d'armer de toutes
pièces cette théologie purement scolastique, issue des
catégories d'Aristote et des sentences de Pierre L o m -
bard, cette logique du syllogisme qui argumente au
lieu de raisonner, et qui trouve réponse à tout en subti-
lisantsur les termes. C'était moins unephilosophie qu'un
automate philosophique, répondant par ressort, et dé-
roulant ses thèses comme un mouvement à rouages; ce
270 histoire de LA magie.

n'était point le Verbe humain, c'était le cri monotone


d'une machine, la parole inanimée d'un androide ; c'était
la précision fatale de la mécanique, au lieu de la libre appli-
cation des nécessités rationnelles. Saint Thomas d'Aquin
brisa d'un seul coup tout cet échafaudage de paroles
montées d'avance, en proclamant l'empire éternel de la
raison par cette magnifique sentence que nous avons
souvent citée : « Une chose n'est pas juste parce que Dieu
la veut, mais Dieu la veut parce qu'elle est juste. » La
conséquence prochaine de cette proposition était celle-ci,
en argumentant du plus au moins : « Une chose n'est
pas vraie parce qu'Aristote l'a dite, mais Aristote n'a pu
raisonnablement la dire que si elle est vraie. Cherchez
donc d'abord la vérité et la justice, et la science d'Aris-
totevous sera donnée par surcroît. »
Aristote galvanisé par la scolastique était le véritable
androide d'Albert le G r a n d ; et le bâton magistral de
saint Thomas d'Aquin, ce fut la doctrine de 1%. Somme
théologique, chef-d'œuvre de force et de raison qu'on étu-
diera encore dans nos écoles de théologie quand on vou-
dra revenir sérieusement aux saines et fortes études.
Quant à la pierre philosophale transmise par saint
Dominique à Albert le Grand, et par ce dernier à saint
Thomas d'Aquin, il faut entendre seulement la base
philosophique et religieuse des idées de cette époque. Si
saint Dominique avait su faire le grand œuvre, il eût
acheté pour Rome l'empire du monde, dont il était si ja-
loux pour l'Église, et eût employé à chauffer ses creusets
ce feu qui brûla tant d'hérétiques. Saint Thomas d'Aquin
changeait en or tout ce qu'il touchait, mais c'est au figuré
seulement et en prenant l'or pour l'emblème de la vérité.
MAGICIENS. 27i

C'est ici l'occasion de dire quelques mots encore de la


science hermétique cultivée depuis les premiers siècles
chrétiens par Ostanes, Romarins, la reine Cléopâtre, les
arabes Géber, Alfarabius etSalmana, Morien, Artéphius,
Aristée. Cette science, prise d'une manière absolue, peut
s'appeler h kabbale réalisatrice ou la magie des œuvres;
elle a donc trois degrés analogues: réalisation religieuse,
réalisation philosophique, réalisation physique. La réali-
sation religieuse est la fondation durable de l'empire et
du sacerdoce; la réalisation philosophique est l'établisse-
ment d'une doctrine absolue et d'un enseignement hié-
rarchique ; la réalisation physique est la découverte et
l'application dans le microcosme, ou petit monde, de la loi
créatrice qui peuple incessamment le grand univers. Cette
loi est celle du mouvement combiné avec la substance, du
fixe avec le volatil, de l'humide avec le solide; ce mou-
vement a pour principe l'impulsion divine, et pour instru-
ment la lumière universelle, éthérée dans l'infini, astrale
dans les étoiles et les planètes, métallique, spécifique ou
mercurielle dans les métaux, végétale dans les plantes,
vitale dans les animaux, magnétique ou personnelle dans
les hommes.

Cette lumière est la quintessence de Paracelse, qui se


trouve à l'état latent et à l'état rayonnant dans toutes les
substances créées ; cette quintessence est le véritable
élixir de vie qui s'extrait de la terre par la culture, des
métaux par l'incorporation, la rectification, l'exaltation
et la synthèse, des planles par la distillation et la coc-
hon, des animaux par l'absorption, des hommes par la
génération, de l'air par la respiration. Ce qui a fait dire
à Aristée qu'il faut prendre l'air de l'air; à Khunrath, qu'il
'272 HISTOIRE DE LA MAGIE.

faut le mercure vivant de l'homme parfait formé par


l'androgyne; à presque tous, qu'il faut extraire des mé-
taux, la médecine des métaux, et que cette médecine, au
fond la même pour tous les règnes, est cependant graduée
et spécifiée suivant les formes et les espèces. L'usage de
cette médecine devait être triple : par sympathie, par
répulsion ou par équilibre. La quintessence graduée
n'était que l'auxiliaire des forces; la médecine de cha-
que règne devait se tirer de ce règne même avec addition
du mercure principiant, terrestre ou minéral, et du mer-
cure vivant synthétisé ou magnétisme humain.
Tels sont les aperçus les plus abrégés et les plus
rapides de cette science, vaste et profonde comme la
kabbale, mystérieuse comme la magie, réelle comme
les sciences exactes, mais décriée par la cupidité souvent
déçue des faux adeptes, et les obscurités dont les vrais
sages ont enveloppé en effet leurs théories et leurs
travaux.

C H A P I T R E V I .

PROCÈS CÉLÈBRES.

SOMMAIRE. — Trois procès célèbres. — Les templiers, Jeanne d'Arc et


Gilles de Laval. — Seigneurs de Raitz.

Les sociétés de l'ancien monde avaient péri par


l'égoïsme matérialiste des castes qui, en s'immobilisant
et en parquant les multitudes dans une réprobation sans
espérance, avaient privé le pouvoir captif entre les mains
Pl. xni P. 272.

LA CROIX PHILOSOPHIQUE

ou le plan du troisième temple,


prophétisé par Ezechiel, et que voulaient bâtir les Templiers, i
PROCÈS CÉLÈBRES. 273

d'un petit nombre d'élus de ce mouvement circulatoire qui


est le principe du progrès, du mouvement et de la vie.
Un pouvoir sans antagonisme, sans concurrence, et par
conséquent sans contrôle, avait été funeste aux royautés
sacerdotales ; les républiques, d'une autre part, avaient
péri par le conflit des libertés qui, en l'absence de tout
devoir hiérarchiquement et fortement sanctionné, ne sont
plus bientôt qu'autant de tyrannies rivales les unes des
autres. Pour trouver un milieu stable entre ces deux
abîmes, l'idée des hiérophantes chrétiens avait été de
créer une société vouée à l'abnégation par des vœux
solennels, protégée par des règlements sévères, qui se
recruterait par l'initiation, et qui, seule dépositaire des
grands secrets religieux et sociaux, ferait des rois et des
pontifes sans s'exposer elle-même aux corruptions delà
puissance. C'était là le secret de ce royaume de Jésus-
Christ qui sans être de ce monde en gouvernerait toutes
les grandeurs

Cette idée présida à la fondation des grands ordres


religieux, si souvent en guerre avec les autorités sécu-
lières, soit ecclésiastiques, soit civiles ; sa réalisation fut
aussi le rêve des sectes dissidentes de gnostiques ou d'il-
luminés qui prétendaient rattacher leur foi à la tradition
primitive du christianisme de saint Jean. Elle devint
enfin une menace pour l'Église et pour la société quand
un ordre riche et dissolu, initié aux mystérieuses doc-
trines de la kabbale, parut disposé à tourner contre
1' • t

i autorité légitime les principes conservateurs de la


hiérarchie, et menaça le monde entier d'une immense
révolution.
Les templiers, dont l'histoire est si mal connue, furent
18
274 HISTOIRE DE LA MAGIE.

ces conspirateurs terribles, et il est temps de révéler


enfin le secret de leur chute, pour absoudre la mémoire
de Clément V et de Philippe le Bel.
En 1118, neuf chevaliers croisés en Orient, du nombre
desquels étaient Geoffroi de Saint-Omer et Hugues de
Payens, se consacrèrent à la religion et prêtèrent serment
entre les mains du patriarche de Gonstantinople, siège
toujours secrètement ou publiquement hostile à celui de
Rome depuis Photius. L e but avoué des templiers était
de protéger les chrétiens qui venaient visiter les saints
lieux; leur but secret était la reconstruction du temple
de Salomon sur le modèle prophétisé par Ézéchiel.
Cette reconstruction, formellement prédite par les mys-
tiques judaïsants des premiers siècles, était devenue le
rêve secret des patriarches d'Orient. L e temple de Sa-
lomon rebâti et consacré au culte catholique devenait, en
effet, la métropole de l'univers. L'Orient l'emportait sur
l'Occident, et les patriarches de Gonstantinople s'empa-
raient de la papauté.
Les historiens, pour expliquer le nom de templiers
donné à cet ordre militaire, prétendent que Baudoin 11,
roi de Jérusalem, leur avait donné une maison située
près du temple de Salomon. Mais ils commettent là,un
énorme anachronisme, puisqu'à cette époque non-seule-
ment le temple de Salomon n'existait plus, mais il ne res-
tait pas pierre sur pierre du second temple bâti par
Zorobabel sur les ruines du premier, et il eût été difficile
d'en indiquer précisément la place.
Il faut en conclure que la maison donnée aux tem-
pliers par Baudoin était située non près du temple de
Salomon, mais près du terrain sur lequel ces mission-
PROCÈS CÉLÈBRES. 275

naires secrets et armés du patriarche d'Orient avaient


intention de le rebâtir.
Les templiers avaient pris pour leurs modèles, dans la
Bible, les maçons guerriers de Zorobabel, qui travail-
laient en tenant l'épée d'une main et la truelle de l'autre.
C'est pour cela que l'épée et la truelle furent les insignes
des templiers, qui plus tard, comme on le verra, se ca-
chèrent sous le nom de frères maçons. La truelle des tem-
pliers est quadruple et les lames triangulaires en sont
disposées en forme de croix, ce qui compose un pantacle
kabbalistique connu sous le nom de croix d'Orient.
La pensée secrète d'Hugues de Payens, en fondant
son ordre, n'avait pas été précisément de servir l'ambi-
tion des patriarches de Constantinople. Il existait à cette
époque en Orient une secte de chrétiens johannites, qui
se prétendaientseuls initiés aux vrais mystères de la reli-
gion du Sauveur. Us prétendaient connaître l'histoire
réelle de Jésus-Christ, et, adoptant en partie les tradi-
tions juives et les récits du Talmud, ils prétendaient que
les faits racontés dans les Évangiles ne sont que des al-
légories dont saint Jean donne la clef en disant, « qu'on
pourrait remplir le monde des livres qu'on écrirait sur les
paroles et les actes de Jésus-Christ ; » paroles qui, sui-
vant eux, ne seraient qu'une ridicule exagération, s'il ne
s'agissait, en effet, d'une allégorie et d'une légende qu'on
peut varier et prolonger à l'infini.
Pour ce qui est des faits historiques et réels, voici ce
que les johannites racontaient :
Une jeune fille de Nazareth, nommée Mirjam, fiancée
a un jeune homme de sa tribu, nommé Jochanan, fut sur-
Prise par un certain Pandira, ou Panther, qui abusa d'elle
276 HISTOIRE D E LA MAGIE.

par la force après s'être introduit dans sa chambre sous


les habits et sous le nom de son fiancé. Jochanan, con-
naissant son malheur, la quitta sans la compromettre,
puisqu'en effet, elle était innocente, et la jeune fille ac-
coucha d'un fils qui fut nommé Josuah ou Jésus.
Cet enfant fut adopté par un rabbin du nom de Joseph
qui l'emmena avec lui en Egypte ; là, il fut initié aux
sciences secrètes, et les prêtres d'Osiris, reconnaissant en
lui la véritable incarnation d'Horus promise depuis long-
temps aux adeptes, le consacrèrent souverain pontife de
la religion universelle.
Josuah et Joseph revinrent en Judée où la science et
la vertu du jeune homme ne tardèrent pas à exciter l'en-
vie et la haine des prêtres, qui lui reprochèrent un jour
publiquement l'illégitimité de sa naissance. Josuah, qui
aimait et vénérait sa mère, interrogea son maître et ap-
prit toute l'histoire du crime de Pandira et des malheurs
de Mirjam. Son premier mouvement fut de la renier pu-
bliquement en lui disant au milieu d'un festin de noces :
«Femme qu'y a-t-il de commun entre vous et m o i ? »
Mais ensuite pensant qu'une pauvre femme ne doit pas
être punie d'avoir souffert ce qu'elle ne pouvait empê-
cher, il s'écria : « Ma mère n'a point péché, elle n'a point
perdu son innocence ; elle est vierge, et cependant elle est
mère ; qu'un double honneur lui soit rendu ! Quant à moi,
j e n'ai point de père sur la terre. Je suis le fils de Dieu
et de l'humanité'. »
Nous ne pousserons pas plus loin cette fiction affli-
geante pour des cœurs chrétiens ; qu'il nous suffise de
dire que les johannites allaient jusqu'à faire saint Jean
l'Évangéliste responsable de cette prétendue tradition, et
PROCÈS CÉLÈBRES. 277

qu'ils attribuaient à cet apôtre la fondation de leur Église


secrète.
Les grands pontifes de cette secte prenaient le titre de
Christ et prétendaient se succéder depuis saint Jean par
une transmission de pouvoirs non interrompue. Celui qui se
parait, à l'époque delà fondation de l'ordre du temple, de
ces privilèges imaginaires se nommait Théoclet ; il con-
nut Hugues de Payens, il l'initia aux mystères et aux
espérances de sa prétendue Église ; il le séduisit par des
idées de souverain sacerdoce et de suprême royauté, il
le désigna enfin pour son successeur.
Ainsi l'ordre des chevaliers du temple fut entaché dès
son origine de schisme et de conspiration contre les
rois.
Ces tendances furent enveloppées d'un profond mys-
tère et l'ordre faisait profession extérieure de la plus
parfaite orthodoxie. Les chefs seulement savaient où ils
voulaient aller; le reste les suivait sans défiance.
Acquérir de l'influence et des richesses, puis intriguer,
et au besoin combattre pour établir le dogme johannite,
tels étaient le but et les moyens proposés aux frères ini-
tiés. «Voyez, leur disait-on, la papauté et les monarchies
rivales se marchander aujourd'hui, s'acheter, se corrom-
pre, et demain peut-être s'entre-détruire. Tout cela sera
l'héritage du temple ; le monde nous demandera bientôt
des souverains et des pontifes. Nous ferons l'équilibre
de l'univers, et nous serons les arbitres des maîtres du
monde. »
Les templiers avaient deux doctrines, une cachée et
réservée aux maîtres, c'était celle du johannisme; l'autre
publique, c'était la doctrine catholique-romaine. Us trom-
278 HISTOIRE DE LA MAGIE.

paient ainsi les adversaires qu'ils aspiraient à supplanter.


L e johannisme des adeptes était la kabbale des gnosti-
ques, dégénérée bientôt en un panthéisme mystique poussé
jusqu'à l'idolâtrie de la nature et la haine de tout dogme
révélé. Pour mieux réussir et se faire des partisans, ils
caressaient les regrets des cultes déchus et les espérances
des cultes nouveaux, en promettant à tous la liberté de
conscience et une nouvelle orthodoxie qui serait la syn-
thèse de toutes les croyances persécutées. Ils en vinrent
ainsi jusqu'à reconnaître le symbolisme panthéistique des
grands maîtres en magie noire, et, pour mieux se déta-
cher de l'obéissance à la religion qui d'avance les con-
damnait, ils rendirent les honneurs divins à l'idole mon-
strueuse du Baphomet, comme jadis les tribus dissidentes
avaient adoré les veaux d'or de Dan et de Béthel.
Des monuments récemment découverts, et des docu-
ments précieux qui remontent au x m e
siècle, prouvent
d'une manière plus que suffisante tout ce que nous venons
d'avancer. D'autres preuves encore sont cachées dans
les annales et sous les symboles de la maçonnerie
occulte.
Frappé de mort dans son principe même, et anarchi-
que parce qu'il était dissident, l'ordre des chevaliers du
Temple avait conçu une grande œuvre qu'il était incapa-
ble d'exécuter, parce qu'il ne connaissait ni l'humilité ni
l'abnégation personnelle. D'ailleurs les templiers étant
pour la plupart sans instruction, et capables seulement de
bien manier l'épée, n'avaient rien de ce qu'il fallait pour
gouverner et enchaîner au besoin cette reine du monde
qui s'appelle l'opinion. Hugues de Payens n'avait pas
eu la profondeur de vues qui distingua plus tard un mi-
PROCÈS CÉLÈBRES. 279

litaire fondateur aussi d'une milice formidable aux rois.


Les templiers étaient des jésuites mal réussis.
Leur mot d'ordre était de devenir riches pour acheter
le monde. Us le devinrent en effet, et en 1312 ils pos-
sédaient en Europe seulement plus de neuf mille sei-
gneuries. La richesse fut leur écueil ; ils devinrent inso-
lents et laissèrent percer leur dédain pour les institutions
religieuses et sociales qu'ils aspiraient à renverser. On
connaît le mot de Richard Cœur de Lion à qui un ecclé-
siastique, auquel il permettait une grande familiarité,
ayant dit : « Sire, vous avez trois filles qui vous coûtent
cher et dont il vous serait bien avantageux de vous d é -
faire : ce sont l'ambition, l'avarice et la luxure. — V r a i -
ment! dit le roi : eh bien ! marions-les. Je donne l'am-
bition aux templiers, l'avarice aux moines et la luxure
aux évêques. Je suis sûr d'avance du consentement des
parties. »

L'ambition des templiers leur fut fatale ; on devinait


trop leurs projets et on les prévint. Le pape Clément V
et le roi Philippe le Bel donnèrent un signal à l'Europe
et les templiers, enveloppés pour ainsi dire dans un
immense coup de filet, furent pris, désarmés et jetés en
prison. Jamais coup d'État ne s'était accompli .avec un
ensemble plus formidable. L e inonde entier fut frappé
de stupeur, et l'on attendit les révélations étranges d'un
procès qui devait avoir tant de retentissement à travers
les âges.
Il était impossible de dérouler devant le peuple le
Plan de la conspiration des templiers ; c'eût été initier
la multitude aux secrets des maîtres. On eut recours à
l'accusation de m a g i e , et il se trouva des dénonciateurs
280 HISTOIRE DE LA MAGIE.

et des témoins. Les templiers, à leur réception, crachaient


sur le Christ, reniaient Dieu, donnaient au grand maître
des baisers obscènes, adoraient une tête de cuivre aux
yeux d'escarboucle, conversaient avec un grand chat
noir et s'accouplaient avec des diablesses. Voilà ce qu'on
ne craignit pas de porter sérieusement sur leur acte
d'accusation. On sait la fin de ce drame et comment
Jacques de Molai et ses compagnons périrent dans les
flammes ; mais avant de mourir, le chef du Temple
organisa et institua la maçonnerie occulte. Du fond de
sa prison, le grand maître créa quatre loges métro-
politaines, à Naples pour l'Orient, à Edimbourg pour
l'Occident, à Stockholm pour le Nord et à Paris pour le
Midi. L e pape et le roi périrent bientôt d'une manière
étrange et soudaine. Squin de Florian, le principal dé-
nonciateur de l'ordre, mourut assassiné. En brisant l'épée
des templiers, on en avait fait un poignard, et leurs
truelles proscrites ne maçonnaient plus que des tom-
beaux.
Laissons-les maintenant disparaître dans les ténèbres
où ils se cachent en y tramant leur vengeance. Quand
viendra la grande révolution, nous les verrons reparaître
et nous les reconnaîtrons à leurs signes et à leurs
œuvres.
L e plus grand procès de magie que nous trouvions
dans l'histoire, après celui des templiers, est celui d'une
vierge et presque d'une sainte. On a accusé l'Église
d'avoir en cette circonstance servi les lâches ressenti-
ments d'un parti vaincu, et l'on se demande avec anxiété
à quels anathèmes ont été voués par le saint-siége les
assassins de Jeanne d'Arc. Disons donc tout d'abord à
PROCÈS CÉLÈBRES. 281

ceux qui ne le savent pas, que Pierre Cauchon, l'indigne


évêque de Beauvais, frappé de mort subite par la main
de Dieu, fut excommunié après sa mort par le pape
Calixte I V , et que ses ossements arrachés à la terre sainte
furent jetés à la voirie. Ce n'est donc pas l'Église qui a
jugé et condamné la pucelle d'Orléans, c'est un mauvais
prêtre et un apostat.
Charles V I I qui abandonna cette noble fille à ses
bourreaux fut depuis sous la main d'une providence
vengeresse; il se laissa mourir de faim dans la crainte
d'être empoisonné par son propre fils. La peur est le
supplice des lâches.
Ce roi avait vécu pour une courtisane et avait obéré
pour elle ce royaume qui lui fut conservé par une vierge.
La courtisane et la vierge ont été chantées par nos
poètes nationaux. Jeanne d'Arc par Voltaire, et Agnès
Sorel par Béranger.
Jeanne était morte innocente, mais les lois contre la
magie atteignirent bientôt après et châtièrent un grand
coupable. C'était un des plus vaillants capitaines de
Charles V I I , et les services qu'il avait rendus à l'État ne
purent balancer le nombre et l'énormité de ses crimes.
Les contes de l'ogre et de Croquemitaine furent réalisés
et surpassés par les actions de ce fantastique scélérat, et
son histoire est restée dans la mémoire des enfants sous
le nom de la Barbe Bleue.
Gilles de Laval, seigneur de Raiz, avait en effet la
harbe si noire, qu'elle semblait être bleue comme on
peut le voir par son portrait qui est au musée de Ver-
sailles, dans la salle des Maréchaux ; c'était un maré-
chal de Bretagne, brave parce qu'il était Français, fas-
282 HISTOIRE DE LA MAGIE.

tueux, parce qu'il était riche, et sorcier parce qu'il était


fou.
L e dérangement des facultés du seigneur de Raiz se
manifesta d'abord par une dévotion luxueuse et d'une
magnificence outrée. Il ne marchait jamais que précédé
de la croix et de la bannière ; ses chapelains étaient cou-
verts d'or et parés comme des prélats ; il avait chez lui
tout un collège de petits pages ou d'enfants de chœur
toujours richement habillés. Tous les jours un de ces
enfants était mandé chez le maréchal, et ses camarades
ne le voyaient pas revenir : un nouveau venu remplaçait
celui qui était parti et il était sévèrement défendu aux
enfants de s'informer du sort de tous ceux qui dispa-
raissaient ainsi et même d'en parler entre eux.
L e maréchal faisait prendre ces enfants à des parents
pauvres, qu'on éblouissait par des promesses, et qui s'en-
gageaient à ne jamais plus s'occuper de leurs enfants,
auxquels le seigneur de Raiz assurait, disait-il, un bril-
lant avenir.
O r , voici ce qui se passait :
L a dévotion n'était qu'un masque et servait de passe-
port à des pratiques infâmes,
L e maréchal, ruiné par ses folles dépenses, voulait à
tout prix se créer des richesses ; l'alchimie avait épuisé
ses dernières ressources, les emprunts usuraires allaient
bientôt lui manquer ; il résolut alors de tenter les der-
nières expériences de la magie noire, et d'obtenir de l'or
par le moyen de l'enfer.
Un prêtre apostat, du diocèse de Saint-Malo, un
Florentin, nommé Prélati, et l'intendant du maréchal,
nommé Sillé, étaient ses confidents et ses complices.
PROCÈS CÉLÈBRES. 283

Il avait épousé une jeune fille de grande naissance


et la tenait pour ainsi dire renfermée dans son château
de Machecoul ; il y avait dans ce château une tourelle
dont la porte était murée. Elle menaçait ruine disait le
maréchal et personne n'essayait jamais d'y pénétrer.
Cependant madame de Raiz, que son mari laissait
souvent seule pendant la nuit, avait aperçu des lumières
rougeâtres aller et venir dans cette tour.
Elle n'osait pas interroger son mari, dont le caractère
bizarre et sombre lui inspirait la plus grande terreur.
Le jour de Pâques de l'année ïkliO, le maréchal,
après avoir solennellement communié dans sa chapelle,
prit congé de la châtelaine de Machecoul, en lui annon-
çant qu'il partait pour la terre sainte ; la pauvre femme
ne l'interrogea pas davantage, tant elle tremblait devant
lui ; elle était enceinte de plusieurs mois. L e maréchal
lui permit de faire venir sa sœur près d'elle, afin de s'en
faire une compagnie pendant son absence. Madame de
Raiz usa de cette permission, et envoya quérir sa sœur;
Gilles de Laval monta ensuite à cheval et partit.
Madame de Raiz confia alors à sa sœur ses inquiétudes
et ses craintes. Que se passait-il au château? Pourquoi
le seigneur de Raiz était-il si sombre? Pourquoi ces
absences multipliées? Que devenaient ces enfants qui
disparaissaient tous les jours? Pourquoi ces lumières
nocturnes dans la tour murée? Ces questions surexci-
tèrent au plus haut degré la curiosité des deux femmes.
Comment faire, pourtant. L e maréchal avait expres-
sément défendu qu'on s'approchât de la tour dangereuse,
et, avant de partir, il avait formellement réitéré cette
défense.
284 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Il devait exister une entrée secrète : madame de Raiz


et sa sœur Anne la cherchèrent; toutes les salles basses
du château furent explorées, coin par coin et pierre par
pierre ; enfin dans la chapelle, et derrière l'autel, un bouton
de cuivre, caché dans un fouillis de sculpture, céda sous
la pression de la main, une pierre se renversa, et les deux
curieuses, palpitantes purent apercevoir les premières
marches d'un escalier.
Cet escalier conduisit les deux femmes dans la tour
condamnée.
Au premier étage, elles trouvèrent une sorte de chapelle
dont la croix était renversée et les cierges noirs ; sur
l'autel était placée une figure hideuse représentant sans
doute le démon.
Au second, il y avait des fourneaux , des cornues, des
alambics, du charbon, enfin tout l'appareil des souf-
fleurs.
Au troisième, la chambre était obscure; on y respirait
un air fade et fétide qui obligea les deux jeunes visi-
teuses à ressortir. Madame de Raiz se heurta contre
un vase qui se renversa, et elle sentit sa robe et ses pieds
inondés d'un liquide épais et inconnu ; lorsqu'elle re-
vint à la lumière du palier, elle se vit toute baignée de
sang.
L a sœur Anne voulait s'enfuir, mais chez madame de
Raiz la curiosité fut plus forte que l'horreur et que la
crainte ; elle redescendit, prit la lampe de la chapelle
infernale et remonta dans la chambre du troisième étage :
là un horrible spectacle s'offrit à sa vue.
Des bassines de cuivre pleines de sang étaient rangées
par ordre le long des murailles, avec des étiquettes por-
PROCES CÉLÈBRES. 285

tant des dates, et au milieu de la pièce, sur une table de


marbre noir, était couché le cadavre d'un enfant récem-
ment égorgé.
Une des bassines avait été renversée par madame de
Raiz, et un sang noir s'était largement répandu sur le
parquet en bois vermoulu et mal balayé.
Les deux femmes étaient demi-mortes d'épouvante.
Madame de Raiz voulut à toute force effacer les indices
de son indiscrétion ; elle alla chercher de l'eau et une
éponge pour laver les planches, mais elle ne fit qu'éten-
dre la tache qui, de noirâtre qu'elle était, devenait san-
guinolente et vermeille... Tout à coup une grande rumeur
retentit dans le château ; on entend crier les gens qui
appellent madame de Raiz, et elle distingue parfaitement
ces formidables paroles : «Voici monseigneur qui revient!»
Les deux femmes se précipitent vers l'escalier, mais au
même instant elles entendent dans la chapelle du diable
un grand bruit de pas et de voix ; la sœur Anne s'enfuit
en montant jusqu'aux créneaux de la tour ; madame de
Raiz descend en chancelant et se trouve face à face avec
son mari, qui montait suivi du prêtre apostat et de
Prélati.

Gilles de Laval saisit sa femme par le bras sans lui


rien dire et l'entraîne dans la chapelle du diable; alors
Prélati dit au maréchal : « Vous voyez qu'il le faut, et que
la victime est venue d'elle-même. — Eh bien ! soit, dit
le maréchal; commencez la messe noire. »
Te prêtre apostat se dirigea vers l'autel, M. de Raiz
ouvrit une petite armoire pratiquée dans l'autel même et
y prit un large couteau, puis il revint s'asseoir près de sa
femme à demi évanouie et renversée sur un banc contre
286 HISTOIRE DE LA MAGIE.

le mur de la chapelle ; les cérémonies sacrilèges com-


mencèrent.
11 faut savoir que M. de Raiz, au lieu de prendre, en
partant, la route de Jérusalem, avait pris celle de Nantes
où demeurait Prélati ; il était entré comme un furieux
chez ce misérable, en le menaçant de le tuer s'il ne lui
donnait pas le moyen d'obtenir du diable ce qu'il lui
demandait depuis si longtemps. Prélati pour gagner un
délai lui avait dit que les conditions absolues du maître
étaient terribles et qu'il fallait avant tout que le maréchal
se décidât à sacrifier au diable son dernier enfant arraché
de force du sein de sa mère. Gilles de Laval n'avait rien
répondu, mais il était revenu sur-le-champ à Machecoul,
entraînant après lui le sorcier florentin avec le prêtre son
complice. Il avait trouvé sa femme dans la tour murée
et l'on sait le reste.
Cependant la sœur Anne oubliée sur la plate-forme
de la tour et n'osant redescendre, avait détaché son voile
et faisait au hasard des signaux de détresse, auxquels
répondirent deux cavaliers suivis de quelques hommes
d'armes qui galopaient vers le château ; c'étaient ses
deux frères qui, ayant appris le prétendu départ du sire
de Laval pour la Palestine, venaient visiter et consoler
madame de Raiz. Us entrèrent bientôt avec fracas dans
la cour du château ; Gilles de Laval interrompant alors
l'horrible cérémonie, dit à sa femme : « Madame, j e vous
fais grâce, et il ne sera plus question de ceci si vous faites
ce que j e vais vous dire :
» Retournez à votre chambre, changez d'habits et venez
me rejoindre dans la salle d'honneur où j e vais recevoir
vos frères; si devant eux vous dites un mot ou que vous
PROCÈS CÉLÈBRES. 287

leur fassiez soupçonner quelque chose, je vous ramène ici


après leur départ, et nous reprendrons la messe noire où
nous l'avons laissée, c'est à la consécration que vous
devez mourir. Regardez bien où je dépose le couteau. »
Il se lève alors, conduit sa femme jusqu'à la porte de
sa chambre et descend à la salle d'honneur, où il reçoit
les deux gentilshommes avec leur suite, leur disant que
sa femme s'apprête et va venir embrasser ses frères.
Quelques instants après, en effet, paraît madame de
Raiz, pâle comme une trépassée. Gilles de Laval ne
cessait de la regarder fixement et la dominait du regard :
« Vous êtes malade ma sœur? — Non, ce sont les fati-
gues de la grossesse....'» Et tout bas la pauvre femme
ajoutait : « Il veut me tuer, sauvez-moi.... » Tout à coup
la sœur Anne, qui était parvenue à sortir de la tour, entre
dans la salle en criant : «Emmenez-nous, sauvez-nous,
mes frères, cet homme est un assassin ; » et elle montrait
Gilles de Laval.
Le maréchal appelle ses gens à son aide, l'escorte des
deux frères entoure les deux femmes et l'on met l'épée à
la main ; mais les gens du seigneur de Raiz, le voyant
furieux, le désarment au lieu de lui obéir. Pendant ce
temps madame de Raiz, sa sœur et ses frères gagnent le
pont-levis et sortent du château.
Le lendemain, le duc Jean V fit investir Machecoul,
et Gilles de Laval qui ne comptait plus sur ses hommçs
d'armes se rendit sans résistance. L e parlement de Rre-
tagne l'avait décrété de prise de corps comme homicide ;
les juges ecclésiastiques s'apprêtèrent à le juger d'abord
comme hérétique, sodomite et sorcier. Des voix, que la
terreur avait tenues longtemps muettes, s'élevèrent de
288 HISTOIRE DE LA MAGIE.

tous côtés pour lui redemander les enfants disparus. Ce


fut un deuil et une clameur universelle dans toute la
province ; on fouilla les châteaux de Machecoul et de
Chantocé, et l'on trouva des débris de plus de deux cents
squelettes d'enfants ; les autres avaient été brûlés et
consumés en entier.
Gilles de Laval parut devant ses juges avec une su-
prême arrogance.— « Qui êtes-vous? lui demanda-t-on,
suivant la coutume. — Je suis Gilles de Laval, maréchal
de Bretagne, seigneur de Raiz, de Machecoul, de Chan-
tocé et autres lieux. Et vous qui m'interrogez, qui
êtes-vous? — Nous sommes vos juges, les magistrats en
cour d'Église. — Vous, mes j u g e s ! allons donc ; je vous
connais mes maîtres ; vous êtes des simoniaques et des
ribauds ; vous vendez votre dieu pour acheter les joies
du diable. N e parlez donc pas de me juger, car si je
suis coupable vous êtes certainement mes instigateurs et
mes complices, vous qui me deviez le bon exemple. —
Cessez vos injures, et répondez-nous ! — J'aimerais
mieux être pendu par le cou que de vous répondre ; je
m'étonne que le président de Bretagne vous laisse con-
naître ces sortes d'affaires ; vous interrogez sans doute
pour vous instruire et faire ensuite pis que vous n'avez
encore fait. »

Cette hauteur insolente tomba cependant devant la


menace de la torture. 11 avoua alors, devant l'évêque de
Saint-Brieux et le président Pierre de l'Hôpital, ses
meurtres et ses sacrilèges ; il prétendit que le massacre
des enfants avait pour motif une volupté exécrable qu'il
cherchait pendant l'agonie de ces pauvres petits êtres.
L e président parut douter de la vérité et questionna de
rROCÈS CKLÈDRbS. 289

nouveau le maréchal. — Hélas ! dit brusquement


celui-ci, vous vous tourmentez inutilement et moi avec.
Je ne vous tourmente point, répliqua le président ;
ains je suis moult émerveillé de ce que vous me dites et
ne m'en puis bonnement contenter, ainçois je désire, et
voudrois en savoirpar vouslapure vérité. » Le maréchal
lui répondit : « Vraiment il n'y avait ni autre cause, ni
intention que ce que j e vous ai déjà dit; que voulez-vous
davantage, ne vous en ai-je pas assez avoué pour faire
mourir dix mille hommes? »

Ce que Gilles de Raiz ne voulait pas dire, c'est qu'il


cherchait la pierre philosophale dans le sang des enfants
égorgés. C'était la cupidité qui le poussait à cette mons-
trueuse débauche ; il croyait, sur la foi de ses nécromants,
que l'agent universel de la vie devait être subitement
coagulé par l'action et la réaction combinées de l'outrage
à la nature et du meurtre ; il recueillait ensuite la pelli-
cule irisée qui se formait sur le sang lorsqu'il commen-
çait à se refroidir, lui faisait subir diverses fermentations
et mettait digérer le produit dans l'œuf philosophique de
l'athanor, en y joignant du sel, du soufre et du mercure.
11 avait tiré sans doute cette recette de quelques-uns de
ces vieux grimoires hébreux, qui eussent suffi s'ils avaient
'été connus pour vouer les Juifs à l'exécration de toute
la terre.

Dans la persuasion où ils étaient que l'acte de la fécon-


dation humaine attire et coagule la lumière astrale en
réagissant par sympathie sur les êtres soumis au magné-
tisme de l'homme, les sorciers israélites en étaient venus
a ces écarts que leur reproche Philon, dans un passage
que rapporte l'astrologue Gaffarel. Us faisaient greffer
19
290 HISTOIRE DE LA MAGIE.

leurs arbres par des femmes qui inséraient la greffe pen-


dant qu'un homme se livrait sur elles à des actes outra-
geants pour la nature. Toujours, lorsqu'il s'agit de magie
noire, on retrouve les mêmes horreurs et l'esprit de
ténèbres n'est guère inventif.
Gilles de Laval fut brûlé vif dans le pré de la Magde-
leine, près de Nantes ; il obtint la permission d'aller à la
mort avec tout le faste qui l'avait accompagné pendant
'sa vie, comme s'il voulait vouer h toute l'ignominie de
son supplice le faste et la cupidité qui l'avaient si com-
plètement dégradé et si fatalement perdu.

C H A P I T R E V I I .

SUPERSTITIONS RELATIVES AU DIABLE.

SOMMAIRE. — Les apparitions. — Les possessions. — Procès faits à des


hallucinés. — Sottises et cruautés populaires. — Quelques mots sur
les phénomènes en apparence inexplicables.

Nous avons dit combien l'Église s'est montrée sobre


de décisions relativement au génie du mal ; elle enseigne
à ne pas le craindre, elle recommande à ses enfants de
ne pas s'en occuper et de ne prononcer jamais son nom.
Cependant le penchant des imaginations malades et des
têtes faibles pour le monstrueux et l'horrible donna, pen-
dant les mauvais jours du moyen âge, une importance
formidable et les formes les plus menaçantes à cet être
ténébreux qui ne mérite que l'oubli, puisqu'il méconnaît
éternellement la vérité et la lumière.
S U P E R S T I T I O N S R E L A T I V E S AU D I A B L E . 291

Cette réalisation apparente du fantôme de la perversité


fut comme une incarnation de la folie humaine ; le diable
devint le cauchemar des cloîtres, l'esprit humain se fit
peur à lui-même, et l'on vit l'être prétendu raisonnable
trembler devant ses propres chimères. Un monstre noir
et difforme semblait avoir étendu ses ailes de chauve-
souris entre le ciel et la terre pour empêcher la jeunesse
et la vie de se confier aux promesses du soleil et à la
paisible sérénité des étoiles. Cette harpie de la super-
stition empoisonnait tout de son souffle, infectait tout de
son contact : on ne pouvait boire et manger sans craindre
d'avaler les œufs du reptile ; on n'osait regarder la beauté,
car peut-être était-ce une illusion du monstre ; si l'on
riait, on croyait entendre comme un écho funèbre le
ricanement du tourmenteur éternel ; si l'on pleurait, on ^
croyait le voir insulter aux larmes. L e diable semblait
tenir Dieu prisonnier dans le ciel, et imposer aux hommes
sur la terre le blasphème et le désespoir.
Les superstitions conduisent vite à l'ineptie et à la
démence ; rien de plus déplorable et de plus fastidieux
que la série des histoires d'apparitions diaboliques, dont
les écrivains vulgaires de l'histoire de la magie ont sur-
chargé leurs compilations. Pierre le Vénérable voit le
diable piquer une tête dans les latrines ; un autre chro-
niqueur le reconnaît sous la forme d'un chat qui ressem-
blait à un chien, et qui gambadait comme un singe; un - -
seigneur de Gorasse avait à ses ordres un lutin nommé -
Orthon, qui lui apparut sous la forme d'une truie pro-
digieusement maigre et décharnée. Maître Guillaume
Edeline, prieur de Saint-Germain des P r é s , déclara
l'avoir vu « sous la forme et semblance d'un mouton qu'il
292 HISTOIRE DE L'A MAGIE.

lui semblait lors baiser brutalement sous la queue en


signe de révérence et d'honneur. »
De malheureuses vieilles femmess'accusaient de l'avoir
eu pour amant ; le maréchal Trivulce mourait de frayeur
en s'escrimant d'estoc et de taille, contre des diables
dont il voyait sa chambre remplie ; on brûlait par cen-
taines les malheureux idiots et les folles qui avouaient
avoir eu commerce avec le malin ; on n'entendait parler
que d'incubes et de succubes ; des juges accueillaient
gravement des révélations qu'il eût fallu renvoyer aux
médecins ; l'opinion publique exerçait d'ailleurs sur eux
une pression irrésistible, et l'indulgence pour les sorciers
eût exposé les magistrats eux-mêmes à toutes les fureurs
populaires. La persécution exercée sur les fous rendait
la folie contagieuse, et les maniaques s'entre-déchiraient ;
on battait jusqu'à la mort, on faisait brûler à petit feu,
on plongeait dans l'eau glacée les malheureux que la
rumeur publique accusait de magie pour les forcer à
lever les sorts qu'ils avaient jetés, et la justice n'inter-
venait que pour achever sur un bûcher ce qu'avait com-
mencé la rage aveugle des multitudes.
En racontant l'histoire de Gilles de Laval, nous avons
suffisamment prouvé que la magie noire peut être un
crime réel et le plus grand de tous les crimes; mais le
malheur des temps fut de confondre les malades avec les
criminels, et de punir ceux qu'il aurait fallu soigner avec
patience et charité.
Où commence la responsabilité chez l'homme? où
finit-elle ? C'est un problème qui doit inquiéter souvent
les dépositaires vertueux de la justice humaine. Caligula,
fils de Germanicus, semblait avoir hérité de toutes les
SUPERSTITIONS RELATIVES Aü DIABLE. 293

vertus de son père ; un poison qu'on lui fait prendre


trouble sa raison, et il devient l'effroi du monde. A-t-il
été vraiment coupable, et ne doit-on pas s'en prendre
uniquement de ses forfaits à ces lâches Romains qui lui ' ; (

obéirent au lieu de le faire enfermer? ¿t»-?-**.

Le père Hilarión Tissot, que nous avons déjà cité, va


' plus loin que nous et veut que tout consentement au crime
soit une folie ; malheureusement il explique toujours la
folie par l'obsession du mauvais esprit. Nous pourrions
demander à ce bon religieux ce qu'il penserait d'un père
de famille qui, après avoir fermé sa porte à un vaurien
reconnu capable de toute espèce de mal,* lui laisserait
le droit de fréquenter, de conseiller, de prendre, d'ob-
séder ses petits-enfants? Admettons donc, pour être
vraiment chrétiens, que le diable quel qu'il soit, n'ob-
sède que ceux qui se donnent volontairement à lui, et
ceux-là sont responsables de tout ce qu'il pourra leur .
suggérer, comme l'ivrogne doit être responsable de tous
les désordres auxquels il pourra s'abandonner sous l'in-
fluence de l'ivresse.
L'ivresse est une folie passagère et la folie est une
ivresse permanente ; l'une et l'autre sont causées par un
engorgement phosphorique des nerfs du cerveau, qui
détruit notre équilibre lumineux et prive l'âme de son
instrument de précision. L'âme spirituelle et personnelle
ressemble alors à Moïse lié et emmaillotté dans son ber-
ceau de bitume et abandonné au balancement des eaux
du Nil ; elle est emportée par l'âme fluidique et matérielle
du monde, cette eau mystérieuse sur laquelle planait le
souffle des Éloïmes, lorsque le verbe divin se formula en
ces lumineuses paroles : Que la lumière soit !
294 HISTOIRE DE LA MAGIE.

L'âme du monde est une force qui tend toujours à


l'équilibre ; il faut que la volonté triomphe d'elle ou
qu'elle triomphe de la volonté. Toute vie incomplète la
tourmente comme une monstruosité, et toujours elle
s'efforce de réabsorber les avortons intellectuels ; c'est
pour cela que les maniaques et les hallucinés sentent
un irrésistible attrait pour la destruction et la mort;
l'anéantissement leur semble un bien, et non-seulement
ils voudraient mourir, mais ils seraient heureux de voir
mourir les autres. Us sentent que la vie leur échappe, la
conscience les brûle et les désespère ; leur existence n'est
que le sentiment de la mort, c'est le supplice de l'enfer.
L'un entend une voix impérieuse qui lui ordonne de
tuer son fils au berceau. 11 lutte, il pleure, il s'enfuit et
finit par prendre une hache et par tuer l'enfant ; l'autre,
et cette épouvantable histoire est toute récente, persécuté
par des voix qui lui demandent des cœurs, assomme ses
parents, leur ouvre la poitrine et ronge à demi leurs
cœurs arrachés. Quiconque commet de propos libéré une
mauvaise action, donne des arrhes à la destruction éter-
nelle et ne peut prévoir d'avance où ce marché funeste le
conduira.
L'être est substance et vie. La vie se manifeste par le
mouvement, et le mouvement se perpétue par l'équilibre;
l'équilibre est donc la loi d'immortalité. La conscience
est le sentiment de l'équilibre et l'équilibre c'est la jus-
tesse et la justice. Tout excès, lorsqu'il n'est pas mortel,
se corrige par un excès contraire ; c'est la loi éternelle
des réactions, mais si l'excès se précipite en dehors de
tout équilibre, il se perd dans les ténèbres extérieures et
devient la mort éternelle.
SUPERSTITIONS RELATIVES AU D I A B L E . 295

L'âme de la terre entraîne dans le vertige du mouve-


ment astral tout ce qui ne lui résiste pas par les forces
équilibrées de la raison. Partout où se manifeste une vie
imparfaite et mal formée, elle fait affluer ses forces pour,:
la détruire comme les esprits vitaux abondent,pour fer-
mer les plaies. De là ces désordres atmosphériques qui se
manifestent autour de certains malades, de là ces com-
motions fluidiques, ces tournoiements de meubles, ces
suspensions, ces jets de pierres, ces distensions aérien-
nes qui font apparaître à distance le mirage sensible et
tangible des mains ou des pieds de l'obsédé. C'est la na-
ture qui se tourmente autour d'un cancer qu'elle veut
extirper, autour d'une plaie qu'elle veut fermer, autour
d'une sorte de vampire dont elle veut achever la mort
pour le replonger dans la vie.
Les mouvements spontanés des objets inertes ne peu-
vent venir que d'un travail des forces qui aimantent la
terre ; un esprit, c'est-a-dire, une pensée, ne soulève
rien sans levier. S'il en était autrement, le travail pres-
que infini de la nature pour la création et le perfection-
nement des organes serait sans objet. Si l'esprit dégagé
des sens pouvait faire obéir la matière à son gré, les
morts illustres se révéleraient à nous les premiers par des
mouvements harmonieux et réguliers ; au lieu de cela
nous voyons toujours des mouvements incohérents et fé-
briles se produisant autour d'êtres malades, inintelligents
et capricieux. Ces êtres sont des aimants déréglés qui
font extravaguer l'âme de la terre ; mais quand la terre
a le délire par suite de l'éruption de ces êtres avortés,
c'est qu'elle souffre elle-même en traversant une crise qui
finira par de violentes commotions.
296 HISTOIRE DE LÀ MAGIE.

II y a vraiment bien de la puérilité dans certains


hommes qui passent pour sérieux. Voici, par exemple,
M. le marquis de Mirville qui attribue au diable tous les
phénomènes inexplicables. Mais, mon cher monsieur, si
le diable avait le pouvoir d'intervertir l'ordre naturel, ne
le ferait-il pas immédiatement de manière à tout boule-
verser? Avec, le caractère qu'on lui suppose, il ne serait
sans doute pas retenu par des scrupules. — O h ! mais,
allez-vous répondre, la puissance de Dieu s'y oppose !
—Doucement : la puissance de Dieu s'y oppose, ou elle ne
s'y oppose pas. Si elle s'y oppose, le diable ne peut rien
faire ; si elle ne s'y oppose pas, c'est le diable qui est
le maître... M. de Mirville nous dira que Dieu le permet
pour un peu. Tout juste assez pour tromper les pauvres
hommes, tout juste assez pour troubler leur cervelle déjà
si solide, comme on sait. Alors, en effet, ce n'est plus
le diable qui est le maître ; c'est Dieu, qui serait... Mais
nous n'achevons pas : aller plus loin, ce serait blas-
phémer.
On ne veut pas assez comprendre les harmonies de
l'être, qui se distribuent par la série, comme le disait fort
bien cet illustre maniaque de Fourier. L'esprit agit sur
les esprits par le verbe. La matière reçoit les empreintes
de l'esprit et communie avec lui au moyen d'un orga-
nisme parfait ; l'harmonie dans les formes se rapproche
de l'harmonie dans les idées, le médiateur commun c'est
la lumière : la lumière, qui est esprit et vie ; la lumière,
qui est la synthèse des couleurs, l'accord des ombres,
l'harmonie des formes ; la lumière, dont les vibrations
sont les mathématiques vivantes. Mais les ténèbres et
leurs fantastiques mirages, mais les erreurs phosphores-
SUPERSTITIONS RELATIVES AU DIABLE. 297

centêsdu sommeil, mais les paroles perdues dans,le dé-


lire, tout cela ne crée rien, ne réalise rien ; tout cela, en
un mot, n'existe pas : ce sont les limbes de la vie, ce sont
les vapeurs de l'ivresse astrale, ce sont les éblouisse-
ments nerveux des yeux fatigués. Suivre de pareilles
lueurs, c'est marcher dans une impasse ; croire à de
pareilles révélations, c'est adorer la mort : la nature
vous le dit elle-même.
Les tables tournantes n'écrivent qu'incohérences et in-
jures; ce sont les échos les plus infimes de la pensée, les
rêves les plus absurdes et les plus anarchiques; les mots
enfin dont la plus basse populace se sert pour exprimer
le mépris. Nous venons de lire un livre du baron de Gul-
denstubbé, qui prétend communiquer par lettres avec
l'autre monde. Il a obtenu des réponses, et quelles r é -
ponses ! des dessins obscènes, des hiéroglyphes déses-
pérantes, et cette signature grecque -rrveu^a Ô a v a r o ç , le
souffle mort, ou pour mieux traduire l'esprit de mort. Voilà
le dernier mot des révélations phénoménales de la doc-
trine américaine, si on la sépare de l'autorité sacerdotale et
si on veut la rendre indépendante du contrôle de la hiérar-
chie. Nous ne nions ici ni la réalité ni l'importance des
phénomènes, ni la bonne foi des croyants ; mais nous de-
vons les avertir des dangers auxquels ils s'exposent s'ils
ne préfèrent pas l'esprit de sagesse donné hiérarchique-
ment et divinement à l'Église, à toutes ces communica-
tions désordonnées et obscures dans lesquelles l'âme flui-
dique de la terre reflète machinalement les mirages de
l'intelligence et les rêves delà raison.
LIVRE V.
LES ADEPTES ET LE SACERDOCE.

(f, Hé.

C H A P I T R E P R E M I E R .

PRÊTRES ET PAPES ACCUSÉS DE MAGIE.

SOMMAIRE. — Le pape Sylvestre II et la prétendue papesse Jeanne. —


Impertinentes assertions de Martin Polonus et de Platine. — L'auteur
présumable du grimoire d'Honorius. — Analyse de ce grimoire.

Nous avons dit que depuis les profanations et les im-


piétés des gnostiques, l'Église avait proscrit la magie.
L e procès des templiers acheva la rupture, et depuis
cette époque, réduite à se cacher dans l'ombre pour y
méditer sa vengeance, la magie proscrivit à son tour
l'Église.
Plus prudents que les hérésiarques qui élevaient pu-
bliquement autel contre autel, et se dévouaient ainsi à la
proscription et au bûcher, les adeptes dissimulèrent leurs
ressentiments et leurs doctrines ; ils se lièrent entre eux
par des serments terribles et, sachant combien il importe
de gagner d'abord son procès au tribunal de l'opinion,
ils retournèrent contre les accusateurs et leurs juges les
bruits sinistres qui les poursuivaient eux-mêmes, et dé-
noncèrent au peuple le sacerdoce comme une école de
magie noire.
DEUX SCEAUX OCCULTES,
1,111
du grand oeuvre,l'autre de la magie noire:
d'après le ôrimoire d'ïïonorius.
PRÊTRES ET PAPES ACCUSÉS DE M A G I E . 299

Tant qu'il n'a pas assis ses convictions et ses croyances


sur la base inébranlable de la raison, l'homme se pas-
sionne malheureusement pour la vérité comme pour le
mensonge, et de part, et d'autre, les réactions sont
cruelles. Qui peut faire cesser cette guerre ? L'esprit de
celui-là seul qui a dit : « Ne rendez pas le mal pour le
mal, mais triomphez du mal en faisant le bien. »
On a accusé le sacerdoce catholique d'être persécuteur,
et cependant sa mission est celle du bon Samaritain,
c'est pour cela qu'il a succédé aux lévites impitoyables,
qui passent leur chemin sans avoir compassion du
pauvre blessé de Jéricho. C'est en exerçant l'humanité
qu'ils prouvent leur consécration divine. C'est donc
une suprême injustice que de rejeter sur le sacerdoce
les crimes de quelques hommes qui en étaient malheu-
reusement revêtus. Un homme , quel qu'il soit, peut
toujours être méchant : un vrai prêtre est toujours cha-
ritable.
Les faux adeptes ne l'entendaient pas de cette ma-
nière. Le sacerdoce chrétien, suivant eux, était entaché de
nullité et d'usurpation depuis la proscription desgnosti-
ques. « Qu'est-ce, en effet, disaient-ils, qu'une hiérar-
chie dont la science ne constitue plus les degrés ? » La
même ignorance des mystères et la même foi aveugle
poussent au même fanatisme ou à la même hypocrisie
les premiers chefs et les derniers ministres du sanc-
tuaire. Les aveugles sont conducteurs d'aveugles. La
suprématie entre égaux n'est plus qu'un résultat de l'in-
trigue et du hasard. Les pasteurs consacrent les saintes
espèces avec une foi capharnaïte et grossière ; ce sont
des escamoteurs de pain et des mangeurs de chair hu-
300 HISTOIRE* DE LA MAGIE.

maine. Ce ne sont plus des thaumaturges, ce sont des


sorciers ; voilà ce que disaient les sectaires.
Pour appuyer cette calomnie, ils inventèrent des fa-
bles; les papes, disaient-ils, étaient voués à l'esprit des
ténèbres depuis le x siècle. Le savant Gerbert qui fut
e

couronné sous le nom de Sylvestre II, en aurait fait l'aveu


en mourant. Honorius I I I , celui qui confirma l'ordre de
saint Dominique et qui prêcha les croisades, était lui-
même un abominable nécromant, auteur d'un grimoire
qui porte encore son nom, et qui est exclusivement ré-
servé aux prêtres. On montrait et on commentait ce gri-
moire, on tachait ainsi de tourner contre le saint-siége le
plus terrible de tous les préjugés populaires à cette épo-
que : la haine mortelle de tous ceux qui, à tort ou à rai-
son, passaient publiquement pour sorciers.
Il se trouva des historiens malveillants ou crédules pour
accréditer ces mensonges. Ainsi Platine, ce chroniqueur
scandaleux de la papauté, répète d'après Martin Polonus
les calomnies contre Sylvestre I L Si l'on s'en rapportait
à cette fable, Gerbert, qui était versé dans les sciences ma-
thématiques et dans la kabbale, aurait évoqué le démon et
lui aurait demandé son aide pour parvenir au pontificat.
L e diable le lui aurait promis en lui annonçant de plus
qu'il ne mourrait qu'à Jérusalem, et l'on pense bien que
le magicien fit vœu intérieurement de n'y jamais aller ; il
devint donc pape, mais un jour qu'il disait la messe dans
une église de Rome, il se sentit gravement malade, et se
souvenant alors que la chapelle où il officiait se nommait
la sainte Croix de Jérusalem, il comprit que c'en était
fait ; il se fit donc tendre un lit dans cette chapelle et ap-
pelant autour de lui ses cardinaux, il se confessa tout
PRÊTRES ET PAPES ACCUSÉS DE MAGIE. 301

haut d'avoir eu commerce avec les démons, puis il com-


manda qu'après sa mort on le mît sur un chariot de
bois neuf auquel on attellerait deux chevaux vierges, l'un
noir et l'autre blanc ; qu'on lancerait ces chevaux sans
les conduire et qu'on enterrerait son corps où les che-
vaux s'arrêteraient. L e chariot courut ainsi à travers
Rome et s'arrêta devant l'église de Latran. On entendit
alors de grands cris et de grands gémissements, puis
tout redevint silencieux et l'on put procéder à l'inhuma-
tion ; ainsi finit cette légende digne de la bibliothèque
bleue.

Ce Martin Polonus, sur la foi duquel Platine répète de


semblables rêveries, les avait empruntées lui-même d'un
certain Galfride et d'un chroniqueur nommé Gervaise,
que Naudé appelle « l e plus grand forgeur de fables, et
le plus insigne menteur qui ait jamais mis la main à la
plume. » C'est d'après des historiens aussi sérieux que
les protestants ont publié la légende scandaleuse et pas-
sablement apocryphe, d'une prétendue papesse Jeanne,
qui fut sorcière aussi, comme chacun sait, et à laquelle on
attribue encore des livres de magie noire. Nous avons
feuilleté une histoire de la papesse par un auteur protes-
tant, et nous y avons remarqué deux gravures fort
curieuses. Ce sont d'anciens portraits de l'héroïne à ce
que prétend l'historien, mais en réalité ce sont deux an-
ciens tarots représentant Isis couronnée d'une tiare. On
sait que la figure hiéroglyphique du nombre deux dans
le tarot s'appelle encore la papesse; c'est une femme por-
tant une tiare sur laquelle on remarque les pointes du
croissant de la lune ou des cornes d'isis. Celle du livre
protestant est plus remarquable encore ; elle a les cheveux
3Ô2 " HISTOIRE DE LA MAGIE.

longs et épars; une croix solaire sur la poitrine, elle est


assise entre les deux colonnes d'Hercule, et derrière elle
s'étend l'Océan avec des fleurs de lotus qui s'épanouis-
sent à la surface de l'eau. L e second portrait représente
la même déesse avec les attributs du souverain sacer-
doce, et son fils Horus dans ses bras. Ces deux images
sont donc très précieuses comme documents kabbalisti-
ques, mais cela ne fait pas le compte des amateurs de la
papesse Jeanne.
Quant à Gerbert, pour faire tomber l'accusation de
sorcellerie, si elle pouvait être sérieuse à son égard, il
suffirait de dire que c'était le plus savant homme de son
siècle, et qu'ayant été le précepteur de deux souverains,
il dut son élévation à la reconnaissance d'un de ses au-
gustes élèves. Il possédait h fond les mathématiques et
savait peut-être un peu plus de physique qu'on n'en pou-
vait connaître à son époque ; c'était un homme d'une éru-
dition universelle et d'une grande habileté, comme on
peut le voir en lisant les épîtres qu'il a laissées ; ce n'était
pas un frondeur de rois comme le terribie Hiîdebrand.
Il aimait mieux instruire les princes que de les excom-
munier, et, possédant la faveur de deux rois de France
et de trois empereurs, il n'avait pas besoin comme le remar-
que judicieusement Naudé, de se donner au diable pour
parvenir successivement aux archevêchés de Reims et de
Ravenne, puis enfin à la papauté. Il est vrai qu'il y par-
vint en quelque sorte malgré son mérite, dans un siècle
où l'on prenait les grands politiques pour des possédés et
les savants pour des enchanteurs. Gerbert était non-
seulement un grand mathématicien et un astronome dis-
tingué, mais il excellait aussi dans la mécanique, et
PRÊTRES ET PAPES ACCUSÉS DE M A G I E . 303

composa dans la ville de Reims, au dire de Guillaume


Malmesbery, des machines hydrauliques si merveilleuses
que l'eau y exécutait d'elle-même des symphonies, et y
jouait les airs les plus agréables; il fit aussi, au rapport
de Ditmare, dans la ville de Magdebourg, une horloge,
qui marquait tous les mouvements du ciel et l'heure du
lever et du coucher des étoiles ; il fit encore, dit Naudé,
que nous nous plaisons à citer ici, « cette teste d'airain,
laquelle estoit si ingénieusement labourée, que le susdit
Guillaume Malmesbery s'y est luy-même trompé, la
rapportant à la magie : aussi Onuphrius, dit qu'il a veu
dans la bibliothèque des Farnèses un docte livre de g é o -
métrie composé par ce Gerbert ; et pour moy j'estime
que, sans rien décider de l'opinion d'Erfordiensis et de
quelques autres, qui le font auteur des horloges et de
l'arithmétique que nous avons maintenant, toutes ces
preuves sont assez valables pour nous faire juger que ceux
qui n'auoient jamais ouy parler du cube, paraîéllogran,
dodécaèdre, almicantharath, valsagora, almagrippa,
cathalzem, et autres noms vulgaires et usités à ceux qui
entendent les mathématiques, eurent opinion que c'es-
toient quelques esprits qu'il inuoquoit, et que tant de
choses rares ne pouuoient partir d'un homme sans une
faueur extrahordinaire, et que pour cet effet il estoit
magicien. »

Ce qui montre jusqu'à quel point va l'impertinence


et la mauvaise foi des chroniqueurs, c'est que Platine,
cet écho malicieusement naïf de toutes les pasquinades
romaines, assure que le tombeau de Sylvestre I I est
encore sorcier, qu'il pleure prophétiquement la chute
prochaine de tous les papes, et qu'au déclin de la vie
30/, HISTOIRE DE LA MAGIE.

de chaque pontife on entend frémir et s'enlre-choquer


les ossements réprouvés de Gerbert. Une épitaphe gra-
vée sur ce tombeau fait foi de cette merveille, ajoute im-
perturbablement le bibliothécaire de Sixte IV. Voilà de
ces preuves qui paraissent suffisantes aux historiens pour
constater l'existence d'un curieux document historique.
Platine était le bibliothécaire du Vatican ; il écrivait son
histoire des papes par ordre de Sixte I V ; il écrivait à Rome
où rien n'était plus facile que de vérifier la fausseté ou
l'exactitude de cette assertion, et cependant cette préten-
due épitaphe n'ajamais existé que dans l'imagination des
auteurs auxquels Platine l'emprunte avec une incroya-
ble légèreté ( 1 ) , circonstance qui excite justement l'in-
dignation de l'honnête Naudé. Voici ce qu'il en dit dans
son Apologie pour les grands hommes accusés de magie :
« C'est une pure imposture et fausseté manifeste tant
pour l'expérience (des prétendus prodiges du tombeau
de Sylvestre I I ) , qui n'a esté jusques aujourd'huy obser-
vée de personne, qu'en l'inscription de ce sépulcre, qui
fut composée par Sergius I V , et laquelle tant s'en faut
qu'elle fasse aucune mention de toutes ces fables et re-
sueries, qu'au contraire c'est un des plus excellens témoi-
gnages que nous puissions auoir de la bonne vie et de
l'intégrité des actions de Sylvestre. C'est à la vérité une
chose honteuse que beaucoup de catholiques soient fau-
teurs de cette médisance, de laquelle Marianus Scotus,
Glaber, Ditmare, Helgandus, Lambert et lier m an Con-
tract, qui ont esté ses contemporains, ne font aucune
mention, etc. »

(1) Que les papes s'en assurent, dit-il, c'est pour eux que la chose est
Intéressante.
PRÊTRES ET PAPES ACCUSES DE MAGIE. 305

Venons au grimoire d'Honorius.


C'est à Honorius I I I , c'est-à-dire à un des plus zélés
pontifes du xin e
siècle, qu'on attribue ce livre impie.
Honorius I I I , en effet, doit être haï des sectaires et des
nécromants qui veulent le déshonorer en le prenant pour
complice. Censius Savelli, couronné pape en 1216, con-
firma l'ordre de saint Dominique si formidable aux albi-
geois et aux vaudois, ces enfants des manichéens et des
sorciers. Il établit aussi les Franciscains et les Carmes,
prêcha une croisade, gouverna sagement l'Église et laissa
plusieurs decrétales. Accuser de magie noire ce pape si
éminemment catholique, c'est faire planer le même
soupçon sur les grands ordres religieux institués par lui,
le diable ne pouvait qu'y gagner.

Quelques exemplaires anciens du grimoire d'Honorius


portent le nom d'Honorius I I au lieu d'Honorius III;
mais il est impossible de faire un sorcier de ce sage et
élégant cardinal Lambert, qui, après sa promotion au
souverain pontificat, s'entoura de poètes auxquels il
donnait des évêchés pour des élégies, comme il fit à Hil-
debert, évêque du Mans, et de savants théologiens, comme
Hugues de Saint-Victor. Pourtant ce nom d'Honorius I I
est pour nous un trait de lumière, et va nous conduire
à la découverte du véritable auteur de cet affreux g r i -
moire d'Honorius.

En 1061, lorsque l'Empire commençait à prendre om-


brage de la papauté et cherchait à usurper l'influence
sacerdotale en fomentant des troubles et des divisions
dans le sacré collège, les évêques de Lombardie, excités
par Gilbert de Parme, protestèrent contre l'élection
d'Anselme, évêque de Lucques, qui venait d'être appelé
20
306 HISTOIRE DE LA. MAGIE.

au souverain pontificat sous le nom d'Alexandre II.


L'empereur Henri IV prit le parti des dissidents et les
autorisa à se donner un autre pape en leur promettant
de les appuyer. Ils choisirent un intrigant nommé Ca-
dulus ou Cadalous, évêque de Parme, homme capable
de tous les crimes, et publiquement scandaleux comme
simoniaque et concubinaire. Ce Cadalous prit le nom
d'IIonorius II et marcha contre Rome à la tête d'une
armée. Il fut battu et condamné par tous les évêques
d'Allemagne et d'Italie ; il revint à la charge, s'empara
d'une partie de la ville sainte, entra dans l'église Saint-
Pierre, d'où il fut chassé, se réfugia dans le château
Saint-Ange, d'où il obtint de pouvoir se retirer en payant
une forte rançon. Ce fut alors qu'Othon archevêque de
ywtUt*** Cologne, envoyé par l'Empereur, osa reprocher publi-
quement à Alexandre II d'avoir usurpé le saint-siége.
Mais un moine, nommé Hildebrand, prit la parole pour le
pape légitime, et le fit avec une telle puissance que l'en-
voyé de l'Empereur s'en retourna confus, et que l'Empe-
reur lui-même demanda pardon de ses attentats. C'est
que Hildebrand, dans les vues de la Providence, était déjà
'c&ti le foudroyant Grégoire V I I , et commençait l'œuvre de
sa vie. L'antipape fut déposé au concile de Mantoue, et
Henri IV obtint son pardon. Cadalous rentra donc dans
l'obscurité, et il est probable qu'il voulut être alors le
grand prêtre des sorciers et des apostats ; il peut donc
avoir rédigé; sous le nom d'IIonoriusIl, le grimoire qui
porte ce nom.
Ce qu'on sait du caractère de cet antipape ne justi-
fierait que trop une accusation de ce genre ; il était au-
dacieux devant les faibles et rampant devant les forts,
PRÊTRES ET PAPES ACCUSÉS DE MAGIE. 307

intrigant et débauché, sans foi comme sans mœurs ; il ne


voyait dans la religion qu'un instrument d'impunité et de
rapines. Pour un pareil homme, les vertus chrétiennes
étaient des obstacles et la foi du clergé une difficulté à
surmonter; il aurait donc voulu se faire des prêtres à sa
guise et se composer un clergé d'hommes capables de;'
tous les attentats comme de tous les sacrilèges: tel paraît
être, en effet, le but que s'est proposé l'auteur du gri
moire d'Honorius.

Ce grimoire n'est pas sans importance pour les curieux


de la science. Au premier abord, il semble n'être qu'un
tissu de révoltantes absurdités; mais pour les initiés aux
signes et aux secrets de la kabbale, il devient un véri-
table monument de la perversité humaine ; le diable y
est montré comme un instrument de puissance. Se servir
de la crédulité humaine et s'emparer de l'épouvantail qui
la domine pour la faire obéir aux caprices de l'adepte,
tel est le secret de ce grimoire; il s'agit d'épaissir les
ténèbres sur les yeux de la multitude, en s'emparant du
flambeau de la science, qui pourra au besoin, entre les
mains de l'audace, devenir la torche des bourreaux ou des
incendiaires. Imposer la foi avec la servitude, en se réser-
vant le pouvoir et la liberté, n'est-ce pas rêver, en effet,
le règne de Satan sur la terre, et s'étonnera-t-on si les
auteurs d'une conspiration pareille contre le bon sens pu-
blic et contre la religion, se flattaient de faire apparaître
et d'incarner en quelque sorte sur la terre le souverain
fantastique de l'empire du mal?

La doctrine de ce grimoire est la même que celle de


Simon et de la plupart des gnostiques : c'est le principe
passif substitué au principe actif. La passion, par consé-
SOS HISTOIRE DE LA MAGIE.

quent, préférée à la raison, le sensualisme déifié, la femme


mise avant l'homme, tendance qui se retrouve dans tous
les systèmes mystiques antichrétiens; cette doctrine est
exprimée par un pantacle placé en tête du livre. La lune
isiaque occupe le centre ; autour du croissant sélénique,
on voit trois triangles qui n'en font qu'un ; le triangle est
surmonté d'une croix ansée à double croisillon ; autour
du triangle qui est inscrit dans un cercle, et dans l'inter-
valle formé par les trois segments de cercle, on voit, d'un
côté, le signe de l'esprit et le sceau kabbalistique de Sa-
lomon, de l'autre, le couteau magique etla lettre initiale
du binaire, au-dessous une croix renversée formant la fi-
gure du lingam, et le nom de Dieu *7N également ren-
versé ; autour du cercle, on lit ces mots tracés en forme
de légende : Obéissez à vos supérieurs, et leur soyez sou-
mis, parce qu'ils y prennent garde.
Ce pantacle, traduit en symbole ou profession de foi,
est donc textuellement ce qui suit :
« La fatalité règne par les mathématiques et il n'y a
pas d'autre Dieu que la nature.
» Les dogmes sont l'accessoire du pouvoir sacerdotal
et s'imposent à la multitude pour justifier les sacrifices.
» L'initié est au-dessus de la religion dont il se sert,
et il en dit absolument le contraire de ce qu'il en croit.
«L'obéissance ne se motive pas, elle s'impose;' les
initiés sont faits pour commander et les profanes pour
obéir. »
Ceux qui ont étudié les sciences occultes, savent que
les anciens magiciens n'écrivaient jamais leur dogme et
le formulaient uniquement par les caractères symboli-
ques des pantacles.
PllÈTEES ET P AP ES ACCUSÉS DE M A G I E . 309

A la seconde page, on voit deux sceaux magiques cir­


culaires. Dans le premier, se trouve le carré du tétra­
gramme avec une inversion et une substitution de noms.
Ainsi au lieu de :

n>rm
Eieie,
mrp
Jéhovah,
>nx

Adonaï,

Agla,
disposition qui signifie : L'Etre absolu est Jéhovah, le Sei­
gneur en troispersonnes, Dieu delahiérarchieet de l'Eglise.
L'auteur du grimoire a disposé ainsi ses noms :

mn»
Jéhovah,
•a™
Adonaï,

D'rar,
rt*rm
Eieie,

ce qui signifie : Jéhovah, le Seigneur, n 'est autre chose que


le principe fatal de la ren aissan ce éternelle personnifié par
celte renaissance même dan s l'Etre absolu.
Autour du carré dans le cercle, on trouve le nom de
Jéhovah droit et renversé, le nom d'Adonaï à gauche, et
à droite, ces trois lettres : if№ AEV : suivies de deux
points, ce qui signifie : Le ciel et l'en fer son t un mirage
"M de l'autre, ce qui est en haut est comme ce qui est en
310 HISTOIRE DE LA MAGIE,

bas. Dieu c'est l'humanité. (L'humanité est exprimée par


les trois lettres A E V : initiales d'Adam et d'Eve.)
Sur le second sceau, on lit le nom d'ARARITA ÈWiHfcnK
et au-dessous W) RASCH, autour vingt-six caractères
kabbalistiques, et au-dessous du sceau dix lettres hébraï-
ques, ainsi disposées "n-narDD f>. L e tout est une for-
mule de matérialisme et de fatalité, qu'il serait trop long
et peut-être dangereux d'expliquer ici.
Vient ensuite le prologue du grimoire ; nous le tran-
scrivons tout entier :
« L e saint-siége apostolique, à qui les clefs du royaume
des cieux ont été données, par ces paroles de Jésus-
Christ à saint P i e r r e : Je le donne les clefs du royaume
des cieux, a seul puissance de commander au prince
des ténèbres et à ses anges,
» Qui, comme des servieurs à leur maître, lui doivent
honneur, gloire et obéissance, en vertu de ces autres
paroles adressées par Jésus-Christ à Satan lui-même :
Tu ne serviras qu'un seul maître.
» Par la puissance des clefs, le chef de l'Église a été
fait le seigneur des enfers.
» Jusqu'à ce jour, les souverains pontifes ont eu seuls
le pouvoir d'évoquer les esprits et de leur commander;
mais Sa Sainteté Honorius I I , dans sa sollicitude pas-
torale, a bien voulu communiquer la science et le pou-
voir des évocations et de l'empire sur les esprits à ses
vénérables frères en Jésus-Christ avec les conjurations
d'usage, le tout contenu dans la bulle suivante. »
Voilà bien ce pontificat des enfers, ce sacerdoce sacri-
lège des antipapes que Dante semble stigmatiser par
ce cri rauque échappé à l'un des princes de son enfer :
PRÊTRES ET P A P E S ACCUSÉS DE MAGIE. Ml

Pape Satan ! pape Satan ! aleppe ! Que le pape légitime


soit le prince du ciel, c'est assez pour l'antipape Gadalous
d'être le souverain des enfers.

Qu'il soit le dieu du bien, j e suis le dieu du mal ;


Nous sommes divisés, mon pouvoir est égal.

Suit la bulle de l'infernal pontife.


Le mystère des évocations ténébreuses y est exposé
avec une science effrayante cachée sous des formes su-
perstitieuses et sacrilèges.
Le jeûne, les veilles, les mystères profanés, les céré-
monies allégoriques, les sacrifices sanglants y sont com-
binés avec un art plein de malice ; les évocations ne sont
pas sans poésie et sans enthousiasme mêlés d'horreur.
Ainsi, par exemple, l'auteur veut que le jeudi de la
première semaine des évocations, on se lève à minuit,
qu'on jette de l'eau bénite dans sa chambre, qu'on al-
lume un cierge de cire jaune préparé le mercredi, et qui
doit être percé en forme de croix. A la lueur tremblante
de ce cierge, il faut se rendre seul dans une église et y
lire à voix basse l'office des morts, en substituant à la
neuvième leçon des matines cette invocation rhythmique
que nous traduisons du latin, en lui laissant sa forme
étrange et ses refrains, qui rappellent les incantations
monotones des sorcières de l'ancien monde :

Seigneur, délivre-moi des terreurs infernales,


Affranchis mon esprit des larves sépulcrales.
J'irai dans leurs enfers les chercher sans effroi ;
Je leur imposerai ma volonté pour loi.

Je vais dire à la nuit d'enfanter la lumière ;


Soleil, relève-toi; lune, sois blanche et claire.
312 HISTOIRE JOE L À MAGIE.

A u x ombres, de l'enfer j e parle sans effroi,


Je leur imposerai ma volonté pour loi !

Leur visage est horrible et leurs formes étranges ;


Je veux que les démons redeviennent des anges.
A ces laideurs sans nom j e parle sans effroi,
Je leur imposerai ma volonté pour loi !

Ces ombres sont l'erreur de ma vue effrayée ;


Mais, seul j e puis guérir leur beauté foudroyée,
Car au fond des enfers je plonge sans effroi,
Je leur imposerai ma volonté pour loi !

Après plusieurs autres cérémonies, vient la nuit de


l'évocation ; alors dans un lieu sinistre, à la lueur d'un
feu alimenté par des croix brisées, il faut avec le char-
bon d'une croix, tracer un cercle, et réciter en même
temps une hymne magique composée des versets de plu-
sieurs psaumes ; voici la traduction de cette hymne :

Le roi se réjouit, Seigneur, dans ta puissance,


Laisse-moi compléter l'œuvre de ma naissance.
Que les ombres du mal, les spectres de la nuit,
Soient comme la poussière au vent qui la poursuit.

Seigneur, l'enfer s'éclaire et brille en ta présence,


Par toi tout se termine et par toi tout commence :
Jéhovah, Sabaoth, Éloïm, Éloï,
Hélion, Hélios, Jodhévah, Saddaï!
L e lion de Juda se lève dans sa g l o i r e ;
Il vient du roi David consommer la victoire !
J'ouvre les sept cachets du livre redouté ;
Satan tombe du ciel comme un éclair d'été !
Tu m'as dit : Loin de toi l'enfer et ses tortures ;
Ils n'approcheront pas de tes demeures pures.
Tes yeux affronteront les yeux du basilic,
Et tes pieds sans frayeur marcheront sur l'aspic.
Tu prendras les serpents domptés par ton sourire,
Tu boiras les poisons sans qu'ils puissent te nuire.
PRÊTRES ET PAPES ACCUSES DE MAGIE. 313

Éloïm, Élohah, Sébaoth, Ilélios,


Éïeïe, Éieazereie, ô Théos Tsehyros !
La terre est au Seigneur, et tout ce qui la couvre.
Lui-même il l'affermit sur l'abîme qui s'ouvre.
Qui donc pourra monter sur le mont du Seigneur ?
L'homme à la main sans tache et le simple de cœur.
Celui qui ne tient pas la vérité captive
Et ne la reçoit pas pour la laisser oisive ;
Celui qui de son âme a compris la hauteur
Et qui ne jure pas par un verbe menteur :
Celui-là recevra la force pour domaine,
Et tel est l'infini de la naissance humaine,
La génération par la terre et le feu,
L'enfantement divin de ceux qui cherchent Dieu ! >
Princes de la nature agrandissez vos portes ;
Joug du ciel je te lève ! à moi, saintes cohortes :
Voici le roi de gloire ! il a conquis son nom ;
Il porte dans sa main le sceau de Salomon.
Le maître a de Satan brisé le noir servage,
Et captif à sa suite il traîne l'esclavage.
Le Seigneur seul est Dieu, le Seigneur seul est roi !
Seigneur, gloire à toi seul, gloire à toi! gloire à toi !

Ne croirait-on pas entendre les sombres puritains de


Walter Scott ou de Victor Hugo, accompagner de leur
psalmodie fanatique l'œuvre sans nom des sorcières de
Faust ou de Macbeth !
Dans une conjuration adressée à l'ombre du géant
Nemrod, ce chasseur sauvage qui fit commencer la tour
de Babel, l'adepte d'Honorius menace cet antique r é -
prouvé de resserrer ses chaînes et de le tourmenter de
plus en plus chaque jour s'il n'obéit pas immédiatement
à sa volonté.
N'est-ce pas le sublime de l'orgueil en délire, et cet
antipape, qui ne comprenait un grand prêtre que comme
un souverain des enfers, nesemble-t-ilpas aspirer, comme
Mil HISTOIRE DE LA MAGIE.

à une vengeance du mépris et de la réprobation des


vivants, au droit usurpé et funeste de tourmenter éter-
nellement les morts !

C H A P I T R E I L

APPARITION DES BOHÉMIENS NOMADES.

SOMMAIRE. — Mœurs et habitudes des Bohémiens nomades. — Ils vien-


nent à la Chapelle, près Paris, où ils sont prêches et excommuniés
par l'évêque. — Leur science divinatoire et leur tarot.

Au commencement du xv e
siècle, on vit se répandre
en Europe des bandes de voyageurs basanés et inconnus.
Appelés par les uns Bohémiens, parce qu'ils disaient
venir de la Bohême, connus par d'autres sous le nom
d'Égyptiens, parce que leur chef prenait le titre de duc
d'Egypte, ils exerçaient la divination, le larcin et le
maraudage. C'étaient des hordes nomades, bivouaquant
sous des huttes qu'ils se construisaient eux-mêmes ; leur
religion était inconnue ; ils se disaient pourtant chrétiens,
mais leur orthodoxie était plus que douteuse. Us prati-
quaient entre eux le communisme et la promiscuité, et se
servaient pour leurs divinations d'une série de signes
étranges représentant la forme allégorique et la vertu des
nombres.
D'où venaient-ils ? De quel monde maudit et disparu
étaient-ils les épaves vivantes? Étaient-ce, comme le
croyait le peuple superstitieux, les enfants des sorcières et
des démons? Quel sauveur expirant et trahi les avaitcon-
TAROTS É G Y P T I E N S PRIMITIFS
Le deux et l'as de coupe.
APPARITION DES BOHÉMIENS NOMADES. 315

damnés à marcher toujours? Était-ce la famille du juif


errant? n'était-ce pas le reste des dix tribus d'Israël
perdues dans la captivité et enchaînées pendant longtemps
par Gog et par Magog, dans des climats inconnus?
Voilà ce qu'on se demandait avec inquiétude en voyant
passer ces étrangers mystérieux, qui d'une civilisation
disparue semblaient n'avoir gardé que les superstitions
et les vices. Ennemis du travail, ils ne respectaient ni la
propriété ni la famille ; ils traînaient après eux des
femelles et des petits, et troublaient volontiers par leur
prétendue divination la paix des honnêtes ménages.
Écoutons parler le chroniqueur qui raconte leur premier
campement dans le voisinage de Paris :
« L'année suivante, l/i27, le dimanche d'après la
mi-août, qui fut le 17 du mois, arrivent aux environs de
Paris douze d'entre eux se disant pénitenciers, savoir un
duc, un comte et dix hommes, tous à cheval, lesquels se
disent très bons chrétiens et originaires de la basse
Egypte ; ils affirment avoir été chrétiens autrefois, que
d'autres chrétiens les ont subjugués et ramenés au chris-
tianisme ; que ceux qui s'y sont refusés ont été mis à
mort, et que ceux au contraire qui se sont fait baptiser
sont demeurés seigneurs du pays comme devant sur leur
parole d'être bons et loyaux et de garder la foi de Jésus-
Christ jusqu'à la mort ; ils ajoutent qu'ils ont roi et reine
dans leur pays, lesquels demeurent en leur seigneurie,
parce qu'ils se sont faits chrétiens. Et aussi, disent-ils,
quelques temps après nous être faits chrétiens, les Sar-
razins vinrent nous assaillir. Grand nombre, peu fermes
dans notre foi, sans endurer la guerre, sans défendre
leur pays comme ils le devaient, se soumirent, se firent
SIC HISTOIRE DE LA MAGIE.

Sarrazins et abjurèrent notre Seigneur; et aussi, disent-


ils, l'empereur d'Allemagne, le roi de Pologne et autres
seigneurs ayant appris qu'ils avaient si facilement re-
noncé à la foi et s'étaient faits si tôt Sarrazins et idolâ-
tres, leur coururent sus , les vainquirent facilement,
comme s'ils avaient à cœur de les laisser dans leur pays
pour les ramener au christianisme ; mais l'empereur et
les autres seigneurs, par délibération du conseil statuèrent
qu'ils n'auraient jamais terre en leur pays, sans le con-
sentement du pape ; que pour cela ils devaient aller à
R o m e , qu'ils y étaient tous allés, grands et petits et à
grand'peine pour les enfants ; qu'ils avaient confessé
leur péché ; que le pape, les ayant ouïs, leur avait donné
pour pénitence, par délibération du conseil, d'aller sept
ans par le monde sans coucher dans aucun lit; qu'il avait
ordonné que tout évêque et abbé portant crosse leur
donnât, une fois pour toutes, dix livres tournois comme
subvention à leurs dépenses ; qu'il leur avait remis des
lettres où tout ceci était relaté, leur avait donné sa béné-
diction et que depuis cinq ans déjà ils couraient le
monde.
» Quelques jours après, le jour de saint Jehan Déco-
lace, c'est-à-dire le 29 août, arriva le commun, lequel
on ne laissa point entrer dedans Paris, mais par justice
fut logé à la Chapelie-Saint-Denis. Leur nombre se mon-
tait à environ cent vingt personnes, tant hommes que
femmes et enfants. Ils assurent qu'en quittant leur pays
ils étaient de mille à douze cents; que le reste était
mort en route avec le roi et la reine; que ceux qui
avaient survécu espéraient posséder encore des biens en
ce monde, car le Saint-Père leur avait promis pays
APPARITION DES BOHÉMIENS NOMADES. 317

bon et fertile, quand ils auraient achevé leur péni-


tence.
» Lorsqu'ils furent à la Chapelle, on ne vit jamais
plus de gens à la bénédiction du Landil, tant de Saint-
Denis, de Paris que de ses environs la foule accourait
pour les voir. Leurs enfants, garçons et filles, étaient on
ne peut plus habiles faiseurs de tours. Us avaient presque
tous les oreilles percées, et à chaque oreille un ou deux
anneaux d'argent ; et ils disaient que c'était gentillesse
en leur pays ; ils étaient très noirs, avaient les cheveux
crépus. Les femmes étaient les plus laides et les plus
noires qu'on pût v o i r ; toutes avaient le visage couvert
de plaie, les cheveux noirs comme la queue d'un cheval,
pour toute robe une vieille flaussoie ou schiavina, liée
sur l'épaule par une corde ou un morceau de drap, et
dessous un pauvre roquet ou une chemise pour tout ha-
billement. Bref, c'étaient les plus pauvres créatures que
de mémoire d'âge on eût jamais vues en France. Et
néanmoins leur pauvreté, ils avaient parmi eux des sor-
cières qui regardaient les mains des gens et disaient à
chacun ce qui lui était arrivé et ce qui devait lui advenir ;
et elles jetaient le désordre dans les ménages, car elles
disaient au mari : « Ta femme... ta femme... ta femme t'a
«fait coux, » à la femme : « T o n mari... t'a faite...
»cow/pe;»et, qui pis est, en parlant aux gens par art ma-
gique, par l'ennemi d'enfer ou par habileté, elles vidaient
leurs bourses et emplissaient les leurs ; » et le bourgeois de
Paris qui rend compte de ces faits ajoute : « Et vraiment
je fus trois ou quatre fois pour parler à eux, mais
oncques ne m'aperçus d'un denier de perte ; mais ainsi
le disait le peuple partout, tant que la nouvelle en vint à
318 HISTOIRE DE LA MAGIE.

l'évoque, de Paris, lequel y alla, et même avec lui un


frère mineur, nommé le petit Jacobin, lequel, par le
commandement de l'évêque, fit là une belle prédication
en excommuniant tous ceux et celles qui se faisaient et
avaient cru et montré leur mains. Et convint qu'ils s'en
allassent, et si partirent le jour de Notre-Dame de
septembre, le 8, et s'en allèrent vers Pontoise. »
On ignore s'ils continuèrent leur voyage en se diri-
geant toujours ainsi vers le nord de la capitale, mais il
est certain que leur souvenir est resté dans un des coins
du département du Nord.
« Il existe en effet dans un bois près du village de
Hamel, et à cinq cents pas d'un monument de six pierres
druidiques, une fontaine appelée Cuisine des sorciers;
et, dit la tradition, c'est laque se reposaient et se désal-
téraient les Cara maras, lesquels sont assurément les
Caras'mar, c'est-à-dire les bohémiens, sorciers et devins
ambulants auxquels les anciennes chartes du pays de
Flandre accordaient le droit d'être nourris par les habi-
tants.
» Ils ont quitté Paris, mais à leur place il en vint
d'autres, et la France n'est pas moins exploitée par eux
que les autres pays. On ne les voit débarquer ni en
Angleterre, ni en Ecosse, et pourtant ils sont bientôt dans
ce dernier royaume plus de cent mille ( 1 ) . On les y
appelle ceard et caird, ou comme qui dirait artisans,
monouvriers, parce que, ce mot écossais est dérivé du
/c-f-r, samscrit d'où viennent le verbe faire, Ker-aben
des Bohémiens et le latin cerdo ( s a v e t i e r ) c e qu'ils ne

( 1 ) Borrow.
APPARITION DES BOHÉMIENS NOMADES. 319

sont pas. Si on ne les voit pas non plus à cette époque


au nord de l'Espagne, où les chrétiens s'abritent contre
la domination musulmane, c'est sans doute qu'ils se
plaisent mieux au sud avec les Arabes, mais, sous
Jean I I , on lesdistingue bien de ces derniers, sans savoir
pourtant d'où ils viennent. Quoi qu'il en soit, à partir de
cette époque, ils sont généralement connus sur tout le
continent européen. Une des bandes du roi Sindel s'est
présentée àRatisbonne en 1433, et Sindel lui-même campe
en Bavière avec sa réserve en 1439. Il semble venir
alors de Bohême, car les Bavarois, oublieux de ceux
de 1433 qui se sont donnés pour Égyptiens, les appel-
lent Bohémiens. C'est sous ce nom qu'ils reparaissent en
France et y sont connus désormais. Bon gré, mal gré,
on les supporte. Les uns courent les montagnes et cher-
chent l'or dans les rivières, les autres forgent des fers de
cheval et des chaînes de chiens ; ceux-ci, plus maraudeurs
que pèlerins, se glissent et furètent partout et partout
volent et escamotent. 11 en est qui prennent le parti de
se fixer et qui, fatigués de toujours dresser et lever leurs
tentes, se creusent des bordeils, huttes carrées de quatre
à six pieds, sous terre, et recouvertes d'une toiture de
branchages dont l'arête , à cheval sur deux poteaux
en Y, ne s'élève guère à plus de deux pieds au-dessus
du sol. C'est dans cette tanière, dont il n'est guère resté
en France d'autre souvenir que le nom, que s'entasse
pêle-mêle toute une famille; c'est dans ce bouge, qui n'a
d'autre ouverture que la porte et un trou pour la fumée,
que le père forge, que les enfants, accroupis autour du
feu, font aller le soufflet, et que la mère fait aller le pot
où ne bout jamais que le fruit de quelques larcins ; c'est
320 HISTOIRE DE LÀ MAGIE.

dans ce repaire, où pendent, à de longs clous de bois,


quelques vieilles nippes, une bride et un havresac, dont
tous les meubles consistent en une enclume, des pinces
et un marteau, c'est là, dis-je, que se donnent rendez-
vous la crédulité et l'amour, la demoiselle et le chevalier,
la châtelaine et le page ; c'est là qu'ils viennent ouvrir
leur mains blanches et nues aux regards pénétrants de
la sibylle ; c'est là que l'amour s'achète, que le bonheur
se vend, que le mensonge se paie; c'est de là que sor-
tent les saltimbanques et les tireurs de cartes, la robe
étoilée et le bonnet pointu du magicien, les truands et
l'argot, les danseuses de la rue et les filles de joie. C'est
le royaume de fainéantise et de trupherie, de la villonie
et des franches lipées ; ce sont gens à tout faire pour ne
rien faire, comme dit un naïf conteur du moyen âge ; et
un savant aussi distingué que modeste, M. Vaillant,
auteur d'une Histoire spéciale des Rom-Muni ou Bohé-
miens, dont nous citons ici quelques pages, bien qu'il
leur donne une grande importance dans l'histoire sacer-
dotale de l'ancien monde, n'en fait pas un portrait flatté.
Aussi nousraconte-t-il comment ces protestants étranges
des civilisations primitives, traversant les âges avec une
malédiction sur le front et la rapine dans les mains, ont
excité d'abord la curiosité puis la défiance, puis enfin la
proscription et la haine des chrétiens du moyen âge. On
comprit combien pouvait être dangereux ce peuple
sans patrie, parasite du monde entier et citoyen de nulle
part ; ces bédouins qui traversaient les empires comme
des déserts, ces voleurs errants, et qui s'insinuaient
partout sans se fixer jamais. Aussi bientôt devinrent-ils
pour le peuple, des sorciers, des démons même, des
APPARITION DES BOHÉMIENS NOMADES. 321

jeteurs de sorts, des enleveurs d'enfants, et il y avait


du vrai dans tout cela ; on les accusa partout de célébrer
en secret d'affreux mystères. Bientôt la rumeur devient
générale, on les fait responsables de tous les meurtres
ignorés, de tous les enlèvements mystérieux ; comme
les Grecs de Damas accusèrent les Juifs d'avoir tué un
des leurs pour en boire le sang ; et l'on assure qu'ils pré-
fèrent les jeunes garçons et les jeunes filles de douze à
quinze ans. C'est sans doute un sûr moyen de les faire
prendre en horreur et d'éloigner d'eux la jeunesse ; mais
ce moyen est odieux ; car le peuple et l'enfant ne sont que
trop crédules, et la peur engendrant la haine, il en naît
la persécution. Ainsi, c'en est fait ! non-seulement on les
évite, on les fuit, mais on leur refuse le feu et l'eau;
l'Europe est devenue pour eux les Indes, et tout chrétien
s'est fait contre eux un Brahmane. En certains pays, si
quelque jeune fille, en ayant pitié, s'approche de l'un
d'eux pour lui mettre dans la main une pièce de monnaie :
« Prenez garde, ma mie, lui crie la gouvernante éperdue,
c'est un Katkaon, un ogre qui viendra vous sucer le sang
cette nuit pendant votre sommeil ; » et la jeune fille
recule en frissonnant; si quelque jeune garçon passe
assez près d'eux pour que son ombre se dessine sur la
muraille auprès de laquelle ils sont assis, où toute une
famille mange ou se repose au soleil ; « Au large ! enfant,
lui crie son pédagogue, ces Strigoï (vampires) vont
prendre votre ombre ; et votre âme ira danser avec eux
le sabbat toute l'éternité. » C'est ainsi que la haine du
chrétien ressuscite contre eux les lémures et les farfa-
dets, les vampires et les ogres ; et chacun de gloser sur
leur compte. — Ne seraient-ce pas, dit l'un, les descen-

21
322 HISTOIRE DE LA MAGIE.

dants de ce M ambrés qui osa rivaliser de miracle avec


Moïse? N e sont-ils pas envoyés par le roi d'Egypte pour
inspecter par le monde les enfants d'Israël et leur rendre
leur sort pénible? — Je croirais, dit un autre, que ce
sont les bourreaux dont s'est servi Hérode pour exter-
miner les nouveau-nés de Bethléem. — Vous vous
trompez, dit un troisième, ces païens n'entendent pas un
mot d'égyptien, leur langue en renferme, au contraire,
beaucoup d'hébreux. Ce ne sont donc que les impurs
rejetons de cette race abjecte qui dormait en Judée dans
les sépulcres après avoir dévoré les cadavres qu'ils ren-
fermaient. — Erreur ! erreur ! s'écrie un quatrième :
ce sont tout bonnement ces mécréants de Juifs eux-mêmes
que l'on a torturés, chassés et brûlés en 1348, pour avoir
empoisonné nos puits et nos citernes, et qui reviennent
pour recommencer. — Eh ! qu'importe ? ajoute le der-
nier, Égyptiens ou Juifs, Esséniens ou Chusiens, Pha-
raoniens ou Gaphtoriens, Balistari d'Assyrie ou Philis-
tins de Kanaan, ce sont des renégats, ils l'ont dit en
Saxe, en France, partout, il faut les pendre et les brûler. »
Bientôt on enveloppe dans leur proscription ce livre
étrange qui leur sert à consulter le sort et à rendre des
oracles. Ces cartons bariolés de figures incompréhensi-
bles et qui sont (on ne s'en doute pas) le résumé monu-
mental de toutes les révélations de l'ancien monde, la
clef des hiéroglyphes égyptiens, les clavicules de Salo-
mon, les écritures primitives d'Hénoch et d'Hermès.
Ici l'auteur que nous venons de citer, fait preuve d'une
sagacité singulière, il parle du tarot en homme qui ne
le comprend pas encore parfaitement, mais qui l'a pro-
fondément étudié ; aussi voyons ce qu'il en dit :
A P P A R I T I O N DES BOHÉMIENS NOMADES. 3*23

« La forme, la disposition, l'arrangement de ces t a -


blettes et les figures qu'elles représentent, bien que
diversement modifiées par le temps, sont si manifeste-
ment allégoriques, et les allégories en sont si conformes
à la doctrine civile, philosophique et religieuse de l'an-
tiquité, qu'on ne peut s'empêcher de les reconnaître
pour la synthèse de tout ce qui faisait la foi des anciens
peuples. Par tout ce qui précède, nous avons suffisam-
ment donné à entendre qu'il est une déduction du livre
sidéral d'Hénoch qui est Hénochia ; qu'il est modelé sur
la roue astrale d'Athor, qui estJstarolh ; que, semblable
à Yot-tara indien, ours polaire ou arc-tura du Septen-
trion, il est la force majeure (tarie) sur laquelle s'ap-
puient la solidité du monde et le firmament sidéral de
la terre; que, conséquemment, comme l'ours polaire
dont on a fait le char du soleil, le chariot de David et
d'Arthur, il est, l'heur grec, le destin chinois, le ha-
sard égyptien, le sort des Rômes; et qu'en tournant
sans cesse autour de l'ours du pôle, les astres dérou-
lent à la terre le faste et le néfaste, la lumière et l'om-
bre, le chaud et le froid, d'où découlent le bien et le
mal, l'amour et la haine qui font le bonheur et le mal-
heur des hommes.

» Si l'origine de ce livre se perd dans la nuit des temps,


au point que l'on ne sache ni où ni quand il fut inventé,
tout porte à croire qu'il est d'origine indo-tartare et que,
diversement modifié par les anciens peuples, selon les
nuances de leurs doctrines et le caractère de leurs sages,
il était un des livres de leurs sciences occultes, et peut-
être même l'un de leurs livres sybillins. Nous avons suf-
fisamment fait entrevoir la route qu'il a pu tenir pour
32/l HISTOIRE DE LÀ MAGIE.

arriver jusqu'à nous ; nous avons vu qu'il avait dû être


connu des Romains, et qu'il avait pu leur être apporté
non-seulement aux premiers jours de l'empire, mais déjà
même dès les premiers temps de la république, par ces
nombreux étrangers qui, venus d'Orient et initiés aux
mystères de Bacchus et d'Isis, apportèrent leur science
aux héritiers de Numa. »
M. Vaillant ne dit pas que les quatre signes hiérogly-
phiques du tarot, les bâtons, les coupes, les épées et les
deniers ou cycles d'or, se trouvent dans Homère, sculptés
sur le bouclier d'Achille, mais suivant lui :
« L e s coupes égalent les arcs ou arches du temps, les
vases ou vaisseaux du ciel.
» L e s deniers égalent les astres, les sidères, les étoiles;
les épées égalent les feux, les flammes, les rayons ; les
bâtons égalent les ombres, les pierres, les arbres, les
plantes.
» L'as de coupe est le vase de l'univers, arche de la
vérité du ciel, principe de la terre.
» L'as de denier est le soleil, œil unique du monde, ali-
ment et élément de la vie.
» L'as d'épée est la lance de Mars, source de guerres,
de malheurs, de victoires.
» L'as de bâton est l'œil du serpent, la houlette du
pâtre, l'aiguillon du bouvier, la massue d'Hercule, l'em-
blème de l'agriculture.
» L e 2 de coupe est la vache, io ou isis, et le bœuf
apis ou mnevis.
» L e 3 de coupe est isis, la lune, dame et reine de la nuit.
» L e 3 de denier est osiris, le soleil, seigneur et roi
du jour.
APPARITION DES BOHÉMIENS NOMADES. 325

» L e 9 de denier est le messager Mercure ou Y ange


Gabriel.

» Le 9 de coupe est la gestation du bon destin, d'où


naît le bonheur. »

« Enfin, nous dit M. Vaillant, il existe un tableau chi-


nois composé de caractères qui forment de grands com-
partiments en carré long, tous égaux, et précisément de
la même grandeur que les cartes du tarot. Ces comparti-
ments sont distribués en six colonnes perpendiculaires,
dont les cinq premières renferment quatorze comparti-
ments chacune, en tout soixante et dix ; tandis que la
sixième qui n'est remplie qu'à moitié, n'en contient que
sept. D'ailleurs, ce tableau est formé d'après la même
combinaison du nombre 7 ; chaque colonne pleine est de
2 fois 7 = lli, et celle qui ne l'est qu'à demi en contient
sept. Il ressemble si bien au tarot, que les quatre cou-
leurs du tarot emplissent ses quatre premières colonnes ;
que de ses 21 atouts ili emplissent la cinquième colonne,
et les 7 autres atouts la sixième. Cette sixième colonne
des 7 atouts est donc celle des six jours de la semaine de
création. Or, selon les Chinois, ce tableau remonte aux
premiers âges de leur empire, au dessèchement des eaux
du déluge par IAO ; on peut donc conclure qu'il est ou
l'original ou la copie du tarot, et, dans tous les cas, que
le tarot est antérieur à Moïse, qu'il remonte à l'origine
des siècles, à l'époque de la confection du Zodiaque, et
conséquemment qu'il compte 6,600 ans d'existence ( 1 ) .
» Tel est ce tarot des Rômes, dont par antilogie les

(1) Pour tout ce qui est du tarot, voir Court de Gebelin, 1 vol. i n - 8 ,
e t
le Dogme et rituel de la haute magie, par Éliphas Lévi. 1856,
2
vol. iu-8, avec 23 figures.
326 HISTOir.Ë D K LA MAGIE.

Hébreux ont fait la torah ou loi de Jéhova. Loin d'être


alors un jeu, comme aujourd'hui, il était un livre, un
livre sérieux, le livre des symboles et des emblèmes, des
analogies ou des rapports des astres et des hommes, le
livre du destin, à l'aide duquel le sorcier dévoilait les
mystères du sort. Ses figures, leurs noms, leur nombre,
les sorts qu'on en tirait, en firent naturellement, pour
les chrétiens, l'instrument d'un art diabolique, d'une
œuvre de m a g i e ; aussi conçoit-on avec quelle rigueur
ils durent le proscrire dès qu'il leur fut connu par les
abus de confiance que l'indiscrétion des bayi commettaîï
sur la crédulité publique. C'est alorsque, la foi en sa pa-
role se perdant, le tarot devint jeu, et que ses tablettes se
modifièrent selon le goût des peuples et l'esprit du siècle.
C'est de ce jeu des tarots que sont issues nos cartes à
jouer, dont les combinaisons sont aussi inférieures à
celles du tarot que le jeu de dames l'est au jeu d'échecs.
C'est donc à tort que l'on fixe l'origine des cartes moder-
nes au règne de Charles V I ; car dès 1332, les initiés à
Y ordre de la bande, établi par Alphonse X I , roi de Cas-
tille, faisaient déjà serment de ne pas jouer aux cartes.
Sous Charles V , dit le Sage, saint Bernard de Sienne
condamnait au feu les cartes, dites alors triomphales, du
jeu de triomphe que l'on jouait déjà en l'honneur du
triomphateur Osiris ou Ormuzd, l'une des cartes du tarot;
d'ailleurs, ce roi lui-même les proscrivait, en 1369, et le
petit Jean de Saintré ne fut honoré de ses faveurs que
parce qu'il n'y jouait pas.

» Alors on les appelait, en Espagne, ndipes, et mieux,


en Italie, naïbi, parce que les naïbi sont les diablesses,
les sybilles, les pythonisses. »
A P P A R I T I O N DES BO[I!ÍMÍEL\S N O M A D E S . 327

M. Vaillant, que nous venons de laisser parler, sup-


pose donc que le tarot a été modifié et changé, ce qui
est vrai pour les tarots allemands à figures chinoises ;
mais ce qui n'est vrai ni pour les tarots italiens qui sont
seulement altérés dans quelques détails, ni pour les tarots
de Besançon, dans lesquels on retrouve encore des traces
des hiéroglyphes égyptiens primitifs. Nous avons dit,
dans notre Dogme et Rituel de la haute magie, combien
furent malencontreux les travaux d'Etteilla ou d'Alliette
sur le tarot. Ce coiffeur illuminé n'ayant réussi, après
trente ans de combinaisons, qu'à créer un tarot bâtard
dont les clefs sont interverties, dont les nombres ne s'ac-
cordent plus avec lès signes, un tarot, en un mot, à la
convenance d'Etteilla et à la mesure de son intelligence
qui était loin d'être merveilleuse.
Nous ne croyons pas, avec M. Vaillant, que les bohé-
miens fussent les propriétaires légitimes de cette clef des
initiations. Ils la devaient sans doute à l'infidélité ou à
l'imprudence de quelque kabbaliste juif. Les bohémiens'
sont originaires de l'Inde, leur historien l'a prouvé avec
assez de vraisemblance. Or, le tarot Cpie nous avons
encore et qui est celui des bohémiens, est venu de
l'Egypte en passant par la Judée. Les clefs de ce tarot,
en effet, se rapportent aux lettres de l'alphabet hébraïque,
et quelques-unes des figures reproduisent même la forme
des Caractères de cet alphabet sacré.

Qu'était-ce donc que ces bohémiens? C'était, comme


l'a dit le poète,

Le reste immonde
D'un ancien monde :

c'était une secte de gnostiques indiens que leur commu-


328 HISTOIRE DE LA MAGIE,

nisme exilait de toute la terre. C'étaient, comme ils le


disaient presque eux-mêmes, des profanateurs du grand
arcane, livrés à une malédiction fatale. Troupeau égaré
par quelque faquir enthousiaste, ils s'étaient faits voya-
geurs sur la terre, protestant contre toutes les civilisa-
tions au nom d'un prétendu droit naturel qui les dispen-
sait presque de tout devoir. Or, le droit qui veut s'im-
poser en s'alïranchissant du devoir, c'est l'agression,
c'est le pillage, c'est la rapine, c'est le bras de Caïn levé
contre son frère, et la société qui se défend semble venger
la mort d'Abel.
En 1840, des ouvriers du faubourg Saint-Antoine, las,
disaient-ils, d'être trompés par les* journalistes et de
servir d'instruments aux ambitions des beaux parleurs,
résolurent de fonder eux-mêmes et de rédiger un journal
d'un radicalisme pur et d'une logique sans faux-fuyants
et sans ambages.
Ils se réunirent donc et tinrent conseil pour établir
carrément leurs doctrines ; ils prenaient pour base la
devise républicaine : liberté, égalité et le reste. La liberté
leur semblait impossible avec le devoir de travailler,
l'égalité avec le droit d'acquérir, et ils conclurent au
communisme. Mais l'un d'eux fit observer que dans le
communisme les plus intelligents présideraient au par-
tage et se feraient la part du lion. Il fut donc arrêté que
personne n'aurait droit à la supériorité intellectuelle.
Quelqu'un remarqua que la beauté physique même con-
stitue une aristocratie, et l'on décréta l'égalité de la
laideur. Puis, comme on s'attache à la terre en la culti-
vant, il fut décidé que les vrais communistes ne pouvant
être agriculteurs, n'ayant que le monde pour patrie et
LÉGENDE ET HISTOIRE DE RAYMOND LULLE. 329

l'humanité pour famille, ils devaient s'organiser en cara-


vanes et faire éternellement le tour du monde. Ce que
nous racontons ici n'est pas une parabole, nous avons
connu les personnages présents à cette délibération, nous
avons lu le premier numéro de leur journal intitulé
VHumanitaire, qui fut poursuivi et supprimé en 1841
(voir les procès de presse de cette époque). Si ce journal
eût pu continuer, si la secte naissante eût recruté des
adeptes, comme faisait alors même l'ancien procureur
Cabet pour l'émigration icarienne, une nouvelle bande
de bohémiens se fût organisée et la truanderie errante
compterait un peuple de plus.

CHAPITRE III.
LÉGENDE ET HISTOIRE DE RAYMOND LULLE.

SOMMAIRE. — Ses travaux, son grand art, pourquoi on l'appelle le Doc-


teur illuminé. — Ses théories en philosophie hermétique. — La magie
chez les Arabes. — Idées de Raymond Lulle sur l'Antéchrist et sur la
science universelle.

L'Église, comme nous l'avons dit, avait proscrit l'ini-


tiation en haine des profanations de la gnose. Quand
Mahomet arma dans l'Orient le fanatisme contre la foi,
à la piété qui ignore et qui prie, il vint opposer la c r é -
dulité sauvage qui combat. Ses successeurs prirent pied
dans l'Europe et menacèrent bientôt de l'envahir. « La
Providence nous châtie, disaient les chrétiens; » et les
musulmans répondaient : « La fatalité est pour nous. »
330 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Les juifs kabbalistes, qui craignaient d'être brûlés


comme sorciers dans les pays catholiques, se réfugièrent
près des Arabes qui étaient à leurs yeux des hérétiques,
mais non pas des idolâtres. Ils en admirent quelques-uns
à la connaissance des mystères, et l'islamisme, déjà
triomphant par la force, put aspirer bientôt à triompher
aussi par la science de ceux que l'Arabie lettrée appe-
lait avec dédain les Barbares de l'Occident.
L e génie de la France avait opposé aux envahisse-
ments de la force les coups de son marteau terrible. Un
doigt ganté de fer avait tracé une ligne devant la marée
montante des armées mahométanes, et la grande voix de
la victoire avait crié au flot : Tu ri iras pas plus loin.
L e génie de la science suscita Raymond Lulle qui
revendiqua pour le Sauveur, fils de David, l'héritage de
Salomon, et qui appela pour la première fois les enfants
de la croyance aveugle aux splendeurs de la connaissance
universelle.
Il faut voir avec quel mépris parlent encore de ce
grand homme les faux savants et les faux sages! Mais
aussi l'instinct populaire l'a vengé. L e roman et la
légende se sont emparés de son histoire. On nous le
représente amoureux comme Abailard, initié comme
Faust, alchimiste comme Hermès, pénitent et savant
comme saint Jérôme, voyageur comme le Juif errant,
pieux et illuminé comme saint François d'Assises, martyr
enfin comme saint Etienne, et glorieux dans la mort
comme le Sauveur du monde.
Commençons par le roman ; c'est un des plus touchants
et des plus beaux que nous connaissions : Un jour de
dimanche de l'année 1250, à Palma, dans l'île de Ma-
LÉGENDE ET HISTOIRE DE RAYMOND LULLE. 531

jorque, une dame sage et belle, nommée Ambrosia di


Castello, native de Gênes, se rendait à Péglise.
Un cavalier de haute mine et richement vêtu passait
dans la rue ; il voit la dame, il s'arrête comme foudroyé;
elle entre dans l'église et va disparaître dans l'ombre du
porche. Le cavalier, sans savoir ce qu'il fait, lance son
cheval et entre après elle au milieu des fidèles effrayés :
grande rumeur et grand scandale. Le cavalier est connu;
c'est le seigneur Raymond Lulle, sénéchal des îles et
maire du palais : il a une femme et trois enfants ; deux
fils, l'un, nommé ilaymond Comme lui; l'autre, Gui!
iaume, et une fille nommée Madeleine. Madame Am-
brosia di Castello est également mariée et jouit, de plus,
d'une réputation sans tache. Raymond Lulle passait alors
pour un grand séducteur. Son entrée équestre dans l'église
de Palma fit grand bruit dans la ville. Ambrosia, toute
confuse, consulta son mari qui était sans doute un homme
sage et qui ne trouva pas que sa femme fût offensée parce
que sa beauté avait tourné la tête d'un jeune et brillant
seigneur ; mais il conseilla à Ambrosia de guérir son fol
adorateur par la folie même dont elle était cause. Déjà
Raymond Lulle avait écrit à la dame pour s'excuser ou
pour s'accuser davantage. « Ce qu'elle lui avait inspiré,
disait-il, était étrange, surhumain, fatal : il respectait
son honneur, ses affections qu'il savait appartenir à un
autre. Mais il était touché de la foudre, il lui fallait des
dévouements, des sacrifices à faire, des miracles à ac-
complir, des pénitences de stylite, des prouesses de
chevalier errant. »

Ambrosia lui répondit :


« Pour répondre à un amour que vous dites sur-
332 HISTOIRE DE LA MAGIE.

humain, il me faudrait une existence immortelle.


» Il faudrait que cet amour héroïquement et pleine-
ment sacrifié à notre devoir pendant toute la vie des
êtres qui nous sont chers (et je désire qu'elle soit longue),
pût créer une éternité pour nous au moment où Dieu et
le monde nous permettraient de nous aimer.
» On dit qu'il existe un élixir de vie ; tâchez de le
trouver, et quand vous serez sûr de votre découverte,
venez me voir.
» Jusque-là, vivez pour votre femme et vos enfants,
comme j e vivrai pour mon mari que j'aime, et si vous
me rencontrez dans la rue, ne me reconnaissez même
pas. »
C'était un congé gracieux qui remettait, comme on le
voit, notre amoureux aux calendes grecques ; mais il ne
l'entendit pas ainsi, et, à partir de ce jour, le brillant
seigneur disparut pour faire place à un sombre et grave
alchimiste. Don Juan était devenu Faust. Des années se
passèrent. La femme de Raymond Lulle mourut, Am-
brosia di Castello, à son tour, fut veuve ; mais l'alchi-
miste semblait l'avoir oubliée pour ne s'occuper plus que
du grand œuvre.
Un jour, enfin, la veuve étant seule, on lui annonce
Raymond Lulle : elle voit entrer un vieillard pâle et
chauve qui tenait à la main une fiole pleine d'un élixir.
rouge comme le feu ; il s'avance en chancelant et la
cherche des yeux : elle est devant lui et il ne la reconnaît
pas, car dans sa pensée elle est toujours jeune et belle
comme dans l'église de Palma. « C'est moi, dit-elle
enfin, que me voulez-vous ?» A l'accent de cette voix, l'al-
chimiste tressaille, il la reconnaît, il croit la voir jeune
LÉGENDE ET HISTOIRE DE RAYMOND LULLE. 333

encore, il se jette à ses pieds, et, lui tendant la fiole avec


délire : « Tenez, dit-il, prenez, buvez, c'est la vie. J'ai
mis là-dedans trente ans de la mienne, mais je l'ai essayé,
j'en suis sûr, c'est Pélixir d'immortalité !
—Comment l'avez-vous essayé? dit Àmbrosia avec un
triste sourire.
— Depuis deux mois, dit Raymond, après avoir bu une
quantité d'élixir pareille à celle-là, je me suis abstenu de
toute nourriture. La faim m'a tordu les entrailles, mais
non-seulement je ne suis pas mort, je puis dire que je
sens en moi plus de vie et plus de force que jamais.
— Je vous crois, dit Ambrosia, mais cet élixir qui
conserve la vie ne fait pas revenir la jeunesse, mon
pauvre ami, regardez-vous, » et elle lui présentait un
miroir.
Raymond Lulle recula. Jamais, depuis trente ans, il
n'avait songé à se regarder.
« Maintenant, Raymond, regardez-moi, dit Àmbrosia
en découvrant ses cheveux blancs; puis, détachant
l'agrafe de sa robe, elle lui montra son sein qui avait été
presque entièrement rongé par un cancer : Est-ce cela,
ajouta-t-elle, que vous voulez immortaliser?»
Puis, voyant l'alchimiste consterné:
«Écoutez-moi, dit-elle, depuis trente ans je vous
aime et je ne veux pas vous condamner à la prison per-
pétuelle dans le corps d'un vieillard ; ne me condamnez
pas, à votre tour. Faites-moi grâce de cette mort qu'on
nomme la vie. Laissez-moi me transformer pour revivre,
r
etrempons-nous dans la jeunesse éternelle. Je ne veux
pas de votre élixir qui prolonge la nuit de la tombe,
j'aspire à l'immortalité, »
B3& HISTOIRE DE LA. MAGIE.

Raymond Lulle jeta alors à terre la fiole qui se brisa.


« Je vous délivre, dit-il, et je reste en prison pour
vous. Vivez dans l'immortalité du ciel, moi, je suis con-
damné pour jamais à la mort vivante de la terre. »
Puis, cachant son visage dans ses mains, il s'enfuit en
fondant en larmes.
Quelques mois après, un moine de l'ordre de saint
François assistait Ambrosia di Castello à ses derniers
moments : ce moine, c'était Raymond Lulle. I c i , le
roman se termine et la légende va commencer.
Cette légende ne faisant qu'un seul homme des trois
ou quatre Baymond Lulle qui ont existé à différentes
époques, donne à l'alchimiste repentant plusieurs siècles
d'existence et d'expiation. L e jour où naturellement le
pauvre adepte devait mourir, il ressentait toutes les an-
goisses de l'agonie, puis, dans une crise suprême, il
sentait la vie le reprendre, comme le vautour de Pro-
méthée reprenait son festin renaissant. L e Sauveur du
monde, qui déjà lui tendait la main, rentrait tristement
dans le ciel qui se refermait, et Raymond Lulle se retrou-
vait sur la terre sans espoir de jamais mourir.
Il se mit à prier et dévoua son existence aux bonnes
œuvres ; Dieu lui accordait toutes ses grâces excepté la
mort, et que faire des autres sans celle-là qui doit les
compléter et les couronner toutes? Un jour l'arbre de la
science lui apparut chargé de ses fruits lumineux ; il
comprit l'être et ses harmonies, il devina la kabbale, il
jeta les bases et traça le plan d'une science universelle,
et depuis ce temps on ne l'appela plus que le docteur
illuminé.
11 avait trouvé la gloire. Cette fatale récompense du
LÉGENDE ET HISTOIRE DE RAYMOND LULLE. 335

travail que Dieu dans sa miséricorde n'envoie guère aux


grands hommes qu'après leur mort parce qu'elle enivre
et empoisonne les vivants. Mais Raymond Lulle qui
n'avait pu mourir pour lui faire place devait craindre
encore de la voir mourir avant lui, et cette gloire ne
lui semblait être qu'une dérision de son immortelle
infortune.
11 savait faire de l'or et il pouvait acheter le monde
et tous ses monuments sans pouvoir s'assurer la jouis-
sance d'un seul tombeau.
C'était le pauvre de l'immortalité. Partout il allait
mendiant la mort et personne ne pouvait la lui donner.
Il avait pris corps à corps la philosophie des Arabes,
il luttait victorieusement contre l'islamisme et avait tout
à redouter du fanatisme des sectaires ; tout à redouter,
c'est-à-dire peut-être quelque chose à espérer, et ce
qu'il espérait, c'était la mort.
il prit pour domestique un jeune Arabe des plus fana-
tiques et se posa devant lui en fléau de la doctrine de
Mahomet. L'arabe assassina son maître, c'était ce que
Raymond Lulle attendait, mais il n'en mourut pas comme
il l'avait espéré, ne put obtenir la grâce de son assassin
et eut un remords sur la conscience au lieu de la déli-
vrance et de la paix.
A peine guéri de ses blessures, il s'embarque et part
pour Tunis ; il y prêche publiquement le christianisme,
mais le bey admirant sa science et son courage le défend
contre la fureur du peuple et le fait embarquer avec tous
ses livres. Raymond Lulle revient, prêche à Bône, à
Rougie et dans d'autres villes d'Afrique ; les musulmans
stupéfaits n'osent mettre la main sur lui. Il retourne
336 HISTOIRE DE LA MAGIE.

enfin à Tunis, et amassant le peuple dans les rues, il


s'écrie qu'il a été déjà chassé du pays, mais qu'il y
revient afin de confondre les dogmes impies de Mahomet
et de mourir pour Jésus-Christ. Cette fois toute pro-
tection est impossible, le peuple furieux le poursuit, c'est
une véritable sédition ; il fuit pour les exciter davantage,
il est déjà brisé de coups, inondé de sang, couvert de
blessures, et il vit toujours. Il tombe enfin littéralement
enseveli sous une montagne de pierres.
L a nuit suivante, deux marchands génois, nommés
Etienne Colon et Louis de Pastorga, passant en pleine
mer, virent une grande lumière s'élever du port de Tunis.
Ils s'approchèrent et virent un monceau de pierres qui
projetait au loin cette miraculeuse splendeur ; ils cher-
chèrent sous ces pierres et y trouvèrent Raymond Lulle
brisé et vivant, ils l'embarquèrent sur leur vaisseau et
le ramenèrent à Majorque, sa patrie. Mais en vue de
cette île le martyr expira enfin, Dieu l'avait délivré par
un miracle et sa pénitence était accomplie.
Telle est l'odyssée du Raymond Lulle fabuleux : venons
maintenant aux réalités historiques.
Raymond Lulle le philosophe et l'adepte, celui qui
mérita le surnom de docteur illuminé, était le fils de ce
sénéchal de Majorque, célèbre par sa passion malheu-
reuse pour Ambrosia di Castello. Il ne composa pas
l'élixir d'immortalité, mais il fit de l'or en Angleterre
pour le roi Edouard I I I ; cet or fut appelé l'or de Ray-
mond, et il en existe encore des pièces fort rares à la
vérité, que les curieux nomment des raymondines.
M. Louis Figuier suppose que ces raymondines sont
les nobles à la rose, frappés sous le règne d'Edouard I I I »
LÉGENDE ET HISTOIRE DE RAYMOND LULLE. 337

et avance assez légèrement peut-être que l'alchimie de


Raymond Lulle n'était qu'une sophistication de l'or, dif-
ficile à reconnaître dans un temps où les procédés chi-
miques étaient beaucoup moins perfectionnés que de nos
jours. Ce savant n'en reconnaît pas moins la valeur
scientifique de Raymond Lulle, et voici comment il le
juge (Doctrine et travaux des alchimistes, p. 82) :
« Raymond Lulle, dont le génie s'exerça dans toutes
les branches des connaissances humaines, et qui exposa
dans son livre, Ars magna, tout un vaste système de
philosophie résumant les principes encyclopédiques de la
science de son temps, ne pouvait manquer de laisser aux
chimistes un utile héritage. Il perfectionna et décrivit
avec soin divers composés qui sont très en usage en
chimie. C'est à lui que nous devons la préparation du
carbonate de potasse au moyen du tartre et au moyen
des cendres du bois, la rectification de l'esprit de vin,
la préparation des huiles essentielles, la coupellation de
l'argent et la préparation du mercure doux. »
D'autres savants, convaincus de la pureté de l'or des
nobles à la rose, ont pensé que la chimie pratique ayant,
au moyen âge, des procédés fort imparfaits, les transmu-
tations de Raymond Lulle et des autres adeptes n'étaient
autre chose que la séparation de l'or caché dans les mi-
nes d'argent, et purifié au moyen de l'antimoine, qui est
désigné en effet par un grand nombre de symboles her-
métiques, comme l'élément efficient et principal de la
poudre de projection.
Nous conviendrons avec eux que la chimie n'existait
pas au moyen âge, et nous ajouterons qu'elle fut créée
Parles adeptes ou plutôt que les adeptes, gardant pour
22
338 HISTOIRE DE LA MAGIE.

eux les secrets de la synthèse, ce trésor des sanctuaires


magiques, enseignèrent à leurs contemporains quelques-
uns des procédés de l'analyse , procédés qui ont été per-
fectionnés depuis, mais qui n'ont pas encore conduit nos
savants à retrouver cette antique synthèse qui est à pro-
prement parler la philosophie hermétique.
Raymond Lulle a renfermé dans son testament philo-
sophique tous les principes de cette science, mais d'une
manière voilée, comme c'était l'usage et le devoir de tous
les adeptes : aussi composa-t-il une clef de ce testament,
puis une clef de la clef, c'est-à-dire un codicille qui est,
selon nous, le plus important de ses écrits sur l'alchimie,
L e s principes qu'on y trouve et les procédés qui y sont
exposés n'ont rien de commun avec la sophistication des
métaux purs, ni avec la séparation des alliages. C'est une
théorie conforme aux principes de Geber et d'Arnauld
de Villeneuve pour la pratique, et aux plus hautes con-
ceptions de la kabbale pour la doctrine. Les esprits sé-
rieux qui ne se laissent pas décourager par le discrédit
où l'ignorance fait parfois tomber les grandes choses,
doivent, pour continuer après les plus puissants génies de
l'ancien monde la recherche de l'absolu, étudier d'abord
et méditer kabbalistiquement le codicille de Raymond
Lulle.
Toute la vie de ce merveilleux adepte, le premier ini-
tié après saint Jean qui ait été voué à l'apostolat hiérar-
chique de la sainte orthodoxie, toute sa vie, disons-nous,
se passa en fondations pieuses, en prédications, entra-
vaux scientifiques immenses. Ainsi, l'an 1276 il fonda à
P a l m a un collège de franciscains voués à l'étude des
langues orientales et surtout de la langue arabe, avec la
LÉGENDE ET HISTOIRE DE R A Y M O N D LULLE. 339

mission spéciale de réfuter les livres des docteurs maho-


métans, et de prêcher aux Maures la foi chrétienne.
Jean X X I confirma cette institution par un bref daté de
Viterbe, le 16 des calendes de décembre, la première
année de son pontificat.
Depuis l'an 1293 jusqu'à l'an 1311, il sollicite et ob-
tient du pape Nicolas I V et des rois de France, de Sicile,
de Chypre, de Majorque, l'établissement de plusieurs
collèges pour l'étude des langues. Partout il enseigne son
grand art qui est une synthèse universelle des connais-
sances humaines, et qui a pour but d'amener les hommes
à n'avoir plus qu'une seule langue comme ils n'auront
qu'une pensée. Il vient à Paris, et en émerveille les plus
savants docteurs; puis il va en Espagne, s'arrête à Com-
plute, et y fonde une académie centrale pour l'étude des
langues et des sciences ; il réforme plusieurs couvents,
voyage en Italie et recrute des soldats pour un nouvel
ordre militaire dont il sollicite l'institution à ce même
concile de Vienne qui condamne les templiers. C'est la
science catholique, c'est la vraie initiation de saint Jean
qui veut reprendre à des mains infidèles le glaive défen-
seur du temple. Les grands de la terre se moquent du
pauvre Raymond Lulle, et font malgré eux tout ce qu'il
désire. Cet illuminé qu'on appelle par dérision Raymond
le fantastique, semble être le pape des papes et le roi des
rois : il est pauvre comme Job, et il fait l'aumône aux
souverains; on le dit fou, et il confond les sages. Le plus
grand politique du temps, le cardinalXimenès, esprit
aussi vaste que sérieux, ne parle de lui qu'en l'appelant le
divin Raymond Lulle et ledocteurtrèsilluminé.Il mourut,
suivant Génébrard, en 1314, ou en 1315, suivant l'au-
â/lO HISTOIRE DE LA MAGIE.

teurde la préface des Méditations de l'ermite Blaquerne.


Il était âgé de quatre-vingts ans, et la fin de sa laborieuse
et sainte existence arriva le jour de la fête et du martyre
des apôtres saint Pierre et saint Paul.
Disciple des grands kabbalistes, Raymond Lulle vou-
lait établir une philosophie universelle et absolue, en
substituant aux abstractions conventionnelles des sys-
tèmes la notion fixe des réalités de la nature, et aux ter-
mes ambigus de la scholastique, un verbe simple et
naturel. I l reprochait aux définitions des savants de son
temps d'éterniser les disputes par leurs inexactitudes et
leurs amphibologies. L'homme est un animal raisonnable,
dit Aristote; l'homme n'est pas un animal, peut-on ré-
pondre, et il est rarement raisonnable. De plus, animal
et raisonnable sont deux termes qui ne sauraient s'ac-
corder. Un fou, selon vous, ne serait pas un homme, etc.
Raymond Lulle définit les choses par leur nom même
et non par des synonymes ou des à peu près; puis il ex-
plique les noms par l'étymologie. Ainsi à cette question;
qu'est-ce que l'homme? il répondra : ce mot, pris dans
une acception générale, signifie la condition humaine ;
pris dans une acception particulière, il désigne la per-
sonne humaine. Mais qu'est-ce que la personne humaine?
— Originairement, c'est la personne que Dieu a faite en
donnant un souffle de vie à un corps tiré de la terre (humus) ;
actuellement, c'est vous, c'est moi, c'est Pierre, c'est
P a u l , etc. Les gens habitués au jargon scientifique vont
alors se récrier et diront au docteur illuminé que tout le
monde en pourrait dire autant, qu'il raisonne comme un
enfant; qu'avec cette méthode tout le monde serait sa-
vant, et qu'on préférerait le bon sens des gens du peuple
LÉGENDE ET HISTOIRE DE RAYMOND LULLE.

à toute la doctrine des académies : c'est bien ce que j e


veux, répondrait simplement Raymond Lulle. De là le
reproche de puérilité adressé à toute la théorie savante
de Raymond Lulle, et elle était puérile en effet, puérile
comme la morale de celui qui a dit : si vous ne devenez
semblables à des petits enfants, vous n'entrerez jamais
dans le royaume du ciel. L e royaume du ciel, n'est-ce pas
aussi le royaume de la science, puisque toute la vie c é -
lestedeshommes etde Dieun'est qu'intelligenceetamour 1
Raymond Lulle voulait opposer la kabbale devenue
chrétienne à la magie fataliste des Arabes, les traditions
de l'Egypte à celles de l'Inde, la magie de lumière à la
magie noire ; il disait que dans les derniers temps, les
doctrines de l'Antéchrist seraient un réalisme matéria-
lisé, et qu'alors ressusciteraient toutes les monstruosités de
la mauvaise magie ; il préparait donc les esprits au retour
d'Hénoch, c'est-à-dire à la révélation dernière de cette
science dont la clef est dans les alphabets hiéroglyphi-
ques d'Hénoch, et dont la lumière conciliatrice de la
raison et de la foi précédera le règne messianique et uni-
versel du christianisme sur la terre. Pour les vrais kab-
balistes et les voyants, cet homme était donc un grand
prophète, et pour les sceptiques qui savent du moins
respecter les grands caractères et les hautes aspirations,
c'était un sublime rêveur.
HISTOIRE DE LA MAGIE.

CHAPITRE IV.
ALCHIMISTES.

SOMMAIRE. — Flamel, Trithême, Agrippa, Guillaume Postel


et Paracelse.

Flamel appartient exclusivement à l'alchimie, aussi


ne ferons-nous mention de lui que pour parler de ce
livre hiéroglyphique d'Abraham le juif, dans lequel
l'écrivain de la rue Saint-Jacques-la-Boucherie trouva
les clefs absolues du grand œuvre.
Ce livre était combiné sur les clefs du Tarot et n'était
qu'un commentaire hiéroglyphico-hermétique du Sepher
Jézirah. Nous voyons, en effet,'dans la description qu'en
fait Flamel, que les feuillets étaient au nombre de vingt
et un, soit vingt-deux avec le titre, et qu'ils se divisaient
en trois septénaires, avec une feuille sans écriture à
chaque septième page.
Remarquons que l'Apocalypse, ce sublime résumé
kabbalistique et prophétique de toutes les figures oc-
cultes, partage aussi ses images en trois septénaires,
après chacun desquels il se fait un silence dans le ciel,
analogie frappante avec la feuille non écrite du livre
mystique de Flamel.
Les septénaires de l'Apocalypse sont d'abord sept
sceaux à ouvrir, c'est-à-dire sept mystères à connaître et
sept difficultés à vaincre; sept trompettes à sonner, c'est-
à-dire sept paroles à comprendre, et sept coupes à verser,
c'est-à-dire sept substances à volatiliser et à fixer.
Dans le livre de Flamel, le premier septième feuillet
Pl.XVI. P. 342.

LES SEPT P I A N È T E S E T L E U R S GÉNIES


(Magie de Paracelse.)
ALCHIMISTES.

porte pour hiéroglyphe la verge de Moïse triomphante


des serpents projetés par les enchanteurs de Pharaon et
qui s'entre-dévorent, figure analogue au triomphateur du
Tarot attelant à son char cubique les sphinx blanc et noir
de la magie égyptienne.
Cette figure correspond au septième dogme du sym-
bole de Maïmonides : Nous n'avons qu'un prophète, et
c'est Moïse,
Elle représente l'unité de la science et de l'œuvre; elle
représente aussi le mercure des sages qui se forme par
la dissolution des mixtes et par l'action réciproque du
soufre et du sel des métaux. .. •
La figure du second septénaire était'la représentation
du serpent d'airain fixé sur une croix. La croix représente
le mariage du soufre et du sel purifiés, et la condensa-
tion de la lumière astrale ; le nombre \lx du Tarot repré-
sente un ange, c'est-à-dire l'esprit de la terre mêlant
ensemble les liquides d'un vase d'or et d'un vase d'ar-
gent. C'est donc le même symbole figuré d'une autre
manière.
Au dernier septénaire du livre de Flamel, on voyait le
désert, des fontaines et des serpents qui couraient de tous
côtés, image de l'espace et de la vie universelle. Dans
le Tarot, l'espace est figuré par les quatre signes des
points cardinaux du ciel, et la vie par une jeune fille nue
qui court dans un cercle. Flamel ne dit pas le nombre
des fontaines et des serpents. Il pouvait y avoir quatre
fontaines jaillissant d'une même source, comme dans le
pantacle édénique, avec quatre, sept, neuf ou dix ser-
pents.

Au quatrième feuillet, on voyait le Temps prêt à


U\k HISTOIRE DE LA MAGIE.

trancher les pieds à Mercure. Près de là était un rosier


fleuri dont la racine était bleue, la tige blanche, les
feuilles rouges et les fleurs d'or. L e nombre quatre est
celui de la réalisation élémentaire : le Temps, c'est le
nitre atmosphérique; sa faux, c'est l'acide qu'on en peut
faire et qui fixe le mercure en le transformant en sel; le
rosier, c'est l'œuvre avec ses trois couleurs successives :
c'est le magistère au noir, au blanc et au rouge qui fait
germer et fleurir l'or.
Au cinquième feuillet (le nombre cinq est celui du
grand mystère), on voyait au pied du rosier fleuri des
aveugles fouiller la terre pour y chercher le grand agent
qui est partout ; quelques-uns, plus avisés, pesaient une
eau blanche semblable à de l'air épaissi ; au revers de la
page on voyait le massacre des Innocents et le soleil et
la lune qui venaient se baigner dans leur sang. Cette
allégorie, qui exprime en effet le grand secret de l'art
hermétique, se rapporte à cet art de prendre Y air dans
Vair comme dit Aristée, ou, pour parler une langue intel-
ligible, d'employer l'air comme force en le dilatant au
moyen de la lumière astrale, comme on dilate l'eau en
vapeur par l'action du feu, ce qui peut se faire à l'aide
de l'électricité, des aimants et d'une projection puissante
de la volonté de l'opérateur dirigée par la science et le
bon vouloir. L e sang des enfants représente cette lu-
mière essentielle que le feu philosophique extrait des
corps élémentaires et dans laquelle le soleil et la lune
viennent se baigner, c'est-à-dire que l'argent s'y teint en
or et que l'or y acquiert un degré de pureté qui en trans-
forme le soufre en véritable poudre de projection.
Nous ne faisons pas ici un traité d'alchimie, bien que
ALCHIMISTES. 345

cette science soit réellement la haute magie mise en


œuvre, nous en réservons pour d'autres ouvrages plus
spéciaux et plus étendus les révélations et les merveilles.
La tradition populaire assure que Flamel n'est pas
mort et qu'il a enterré un trésorsouslatour Saint-Jacques-
la-Boucherie. Ce trésor contenu dans un coffre de cèdre
revêtu de lames des sept métaux, ne serait autre chose,
disent les adeptes illuminés, que l'exemplaire original du
fameux livre d'Abraham le juif, avec ses explications
écrites de la main de Flamel, et des échantillons de la
poudre de projection suffisants pour changer l'Océan
en or si l'Océan était du mercure.
Après Flamel vinrent Bernard le Trévisan, Basile
Valentin et d'autres alchimistes célèbres. Les douze clefs
de Basile Valentin sont à la fois kabbalistiques, magiques
et hermétiques. Puis en 1480 parut Jean Trithéme qui
fut le maître de Cornélius Agrippa et le plus grand
magicien dogmatique du moyen âge. Trithême était un
abbé de l'ordre de saint Benoît, d'une irréprochable
orthodoxie et de la conduite la plus régulière. Il n'eut pas
l'imprudence d'écrire ouvertement sur la philosophie
occulte comme son disciple l'aventureux Agrippa; tous
ses travaux magiques roulent sur l'art de cacher les mys-
tères; quanta sa doctrine, il l'a exprimée par un pantacle,
suivant l'usage des vrais adeptes. Ce pantacle, extrême-
ment rare, se trouve seulement dans quelques exemplaires
manuscrits du Traité des causes secondes. Un gentilhomme
polonais qui est un esprit élevé et un noble cœur, M. le
comte Alexandre Branistki, en possède un curieux exem-
plaire qu'il a bien voulu nous communiquer.
Ce pantacle est composé de deux triangles unis par
346 HISTOIRE DE LA MAGIE.

la base, l'un blanc et l'autre noir; sous la pointe du


triangle noir est couché un fou qui redresse pénible-
ment la tête et regarde avec une grimace d'effroi dans
l'obscurité du triangle où se reflète sa propre image ;
sur la pointe du triangle blanc s'appuie un homme dans
la force de l ' â g e , vêtu en chevalier, ayant le regard ferme
et l'attitude d'un commandement fort et paisible. Dans
le triangle blanc sont tracés les caractères du tétra-
gramme divin.
On pourrait expliquer ce pantacle par cette légende :
« L e sage s'appuie sur la crainte du vrai Dieu, l'insensé
est écrasé par la peur d'un faux dieu fait à son image.
C'est là le sens naturel etexotérique de l'emblème ; mais
en le méditant dans son ensemble et dans chacune de ses
parties, les adeptes y trouveront le dernier mot de la
kabbale, la formule indicible du grand arcane : la dis-
tinction entre les miracles et les prodiges, le secret des
apparitions, la théorie universelle du magnétisme et la
science de tous les mystères.
Trithême a composé une histoire de la magie toute en
pantacles, sous ce titre ; Veterum sophorum sigilla et
imagines magicœ; puis dans sa stéganographie et dans sa
polygraphie il donne la clef de toutes les écritures occultes
et explique en termes voilés la science réelle des incan-
tations et des évocations. Trithême est en magie le maître
des maîtres, et nous n'hésitons pas à le proclamer le plus
sage et le plus savant des adeptes.
Il n'en est pas de même de Cornélius Agrippa, qui fut
toute sa v i e un chercheur et qui ne trouva ni la vraie
science ni la paix. Les livres d'Agrippa sont pleins d'éru-
dition et de hardiesse; il était lui-même d'un caractère
ALCHIMISTES, olll

fantasque et indépendant, aussi passa-t-il pour un abo-


minable sorcier et fut-il persécuté parle clergé et par les
princes ; il écrivit enfin contre les sciences qui n'avaient
pu lui donner le bonheur, et il mourut dans la misère et
dans l'abandon.
Nous arrivons enfin à la douce et bonne figure de ce
savant et sublime Postel qu'on ne connaît que par son
trop mystique amour pour une vieille fille illuminée. Il y
a pourtant dans Postel toute autre chose que le disciple
de la mère Jeanne ; mais les esprits vulgaires sont si
heureux de dénigrer pour se dispenser d'apprendre, qu'ils
ne voudront jamais y rien voir de mieux. Ce n'est donc
pas à ceux-là que nous allons révéler le génie de Guil-
laume Postel.
Postel était le fils d'un pauvre paysan des environs de
Barenton en Normandie : à force de persévérance et de
sacrifices il parvint à s'instruire et devint bientôt le plus
savant homme de son temps ; la pauvreté l'accompagna
toujours et la misère même le força parfois de vendre ses
livres. Postel, toujours plein de résignation et de man-
suétude, travaillait comme un homme de peine pour
gagner un morceau de pain et revenait ensuite étudier :
il apprit toutes les langues connues et toutes les sciences
de son temps ; il découvrit des manuscrits précieux et
rares, entre autres les Évangiles apocryphes et le Sepher
Jezirah ; il s'initia lui-même aux mystères de la haute
kabbale et dans sa naïve admiration pour cette vérité
absolue, pour cette raison suprême de toutes les philo-
sophies et de tous les dogmes, il voulut la révéler au
monde. Il parla doncouvertement la langue des mystères,
écrivit un livre ayant pour titre : La clef des choses cachées
348 HISTOIRE DE LA MAGIE.

depuis le commencement du monde. Il adressa ce livre


aux Pères du concile de Trente en les conjurant d'entrer
dans la voie de la conciliation et de la synthèse univer-
selle. Personne ne le comprit, quelques-uns l'accusèrent
d'hérésie, les plus modérés se contentèrent de dire qu'il
était fou.
L a Trinité, disait-il, a fait l'homme a son image et à
sa ressemblance. L e corps humain est double et son
unité ternaire se compose de l'union des deux moitiés;
l'âme humaine aussi est double : elle est animus et anima,
elle est esprit et tendresse ; elle a deux sexes, le sexe
paternel siège dans la tête, le sexe maternel dans le cœur;
l'accomplissement de la rédemption doit donc être double
dans l'humanité : il faut que l'esprit par sa pureté rachète
les égarements du cœur, puis il faut que le cœur par sa
générosité rachète les sécheresses égoïstes de la tête. Le
christianisme, ajoutait-il, n'a encore été compris que par
les têtes raisonneuses, il n'est pas descendu jusqu'aux
cœurs. L e Verbe s'est fait homme, mais c'est quand il se
sera fait femme que le monde sera sauvé. C'est le génie
maternel de la religion qui apprendra aux hommes les
sublimes grandeurs de l'esprit de charité, et alors la raison
se conciliera avec la foi parce qu'elle comprendra, expli-
quera et gouvernera les saintes folies du dévouement.
Voyez maintenant, ajoutait-il, de quoi se compose la
religion du plus grand nombre des chrétiens : une par-
tialité ignorante et persécutrice, un entêtement supersti-
tieux et stupide, et surtout la peur, la lâche peur ! Et
pourquoi cela? Parce qu'ils n'ont pas des cœurs de
femme, parce qu'ils ne sentent pas les divins enthou-
siasmes de l'amour maternel qui leur expliqueraient la
ALCHIMISTES. 349

religion tout entière. La puissance qui s'est emparée


de leur cerveau et qui lie leur esprit, ce n'est pas le Dieu
bon, intelligent et longanime, c'est le méchant et sot et
couard Satanas, ils ont bien plus de peur du diable que
d'amour pour Dieu. Ce sont des cervelles glacées et rétré-
cies placées comme des tombeaux sur des cœurs morts.
Oh ! quand la grâce ressuscitera les cœurs, quel réveil pour
les intelligences ! quelle renaissance pour la raison ! quel
triomphe pour la vérité ! Pourquoi suis-je le premier et
presque le seul à le comprendre? Que peut faire un
ressuscité seul parmi des morts qui ne peuvent encore
rien entendre ! Vienne donc , vienne cet esprit maternel
qui m'est apparu à Venise dans l'âme d'une vierge in-
spirée de Dieu, et qu'il apprenne aux femmes du nouveau
monde leur mission rédemptrice et leur apostolat de saint
et spirituel amour !

Ces nobles inspirations, Postel les devait en effet à une


pieuse fille nommée Jeanne,qu'il avait connue à Venise;
il fut le confident spirituel de cette âme d'élite et fut
entraîné dans le courant de poésie mystique qui tour-
billonnait autour d'elle. Lorsqu'il lui donnait la com-
munion, il la voyait rayonnante et transfigurée, elle avait
alors plus de cinquante a n s . et le pauvre père avoue
naïvement qu'il ne lui en eût pas donné quinze, tant la
sympathie de leurs cœurs la transfigurait à ses yeux.
Etranges égarements de l'amour dans deux âmes pures,
mariage mystique de deux virginités, puérilités lyriques,
célestes hallucinations ; pour comprendre tout cela il faut
avoir vécu de la vie ascétique. C'est elle, disait l'enthou-
siaste, c'est l'esprit de Jésus-Christ vivant en elle qui
doit régénérer le monde, Cette lumière du cœur qui doit
350 HISTOIRE DE LA. MAGIE.

chasser de tous les esprits le spectre hideux de Satan,


ce n'est pas une chimère de mes rêves, j e l'ai vue, elle
a paru dans le monde, elle s'est incarnée dans une vierge,
et j ' a i salué en elle la mère du monde à v e n i r ! Nous
analysons ici Postel plutôt que nous ne le traduisons,
mais l'abrégé rapide que nous donnons de ses sentiments
et de son langage ne suffit-il pas pour faire comprendre
que tout cela était dit au figuré et que suivant lajudicieuse
remarque du savant jésuite Desbillons, dans sa notice
sur la vie et les ouvrages de Postel, rien n'était plus loin
de sa pensée que de faire, comme on l'a prétendu,
une seconde incarnation et une divinité de cette pauvre
sœur hospitalière qui l'avait uniquement séduit par l'éclat
de ses humbles vertus. Nous croyons bien sincèrement
que les calomniateurs et les railleurs du bon Postel ne
valaient pas la mère Jeanne.
Les relations mystiques de Postel et de cette reli-
gieuse durèrent environ cinq ans, après lesquels la mère
Jeanne mourut. Elle avait promis à son confesseur de ne
jamais se séparer de lui et de l'assister quand elle serait
dégagée des chaînes de la vie présente. « Elle m'a tenu
parole, dit Postel, elle est venue depuis me visiter à
Paris, elle m'a illuminé de sa lumière, elle a concilié ma
raison avec ma foy. Sa substance et corps spirituel, deux
ans depuis son ascension au ciel, est descendu en moy, et
s'est partout mon corps sensiblement estendu, tellement
que c'est elle et non pas moy qui vit en moy. »
Depuis cette époque, Postel ne s'appela jamais plus
autrement que le ressuscité, il signait Postellus restitu-
as, et de fait un singulier phénomène s'accomplit en lui,
ses cheveux de blancs qu'ils étaient redevinrent noirs,
ALCHIMISTES. 351

ses rides s'effacèrent et la couleur vermeille de la jeunesse


se répandit sur son visage, pâli et exténué par les austé-
rités et les veilles; ses biographes moqueurs prétendent
qu'il se teignait les cheveux, et qu'il se fardait : comme si
ce n'était pas assez d'en avoir fait un fou, ils veulent en-
core qu'un homme d'un si noble et si généreux carac-
tère ait été un jongleur et un charlatan.
Il y a quelque chose de plus prodigieux que l'élo-
quente déraison des cœurs enthousiastes, c'est la bêtise
ou la mauvaise foi des esprits sceptiques et froids qui les
jugent.
« On s'est imaginé, écrit le père Desbillons, et j e vois
qu'on croit encore aujourd'hui, que la régénération, qu'il
suppose avoir été faite par la mère Jeanne, est le fon-
dement de son système ; le système dont il ne s'est jamais
départi, si ce n'est peut-être quelques années avant sa
mort, subsistait en entier avant qu'il eût entendu parler
de cette mère Jeanne. Il s'était mis dans la tête que le
règne évangélique de Jésus-Christ, établi par les apô-
tres, ne pouvait plus ni se soutenir parmi les chrétiens,
ni se propager parmi les infidèles, que par les lumières
de la raison.... A ce principe, qui le regardait person-
nellement, il en joignait un autre qui consistait dans la
destination d'un roi de France à la monarchie universelle,
il fallait lui préparer les voies par la conquête des cœurs
et la conviction des esprits, afin qu'il n'y eût plus dans le
monde qu'une seule croyance, et que Jésus-Christ y ré-
gnât par un seul roi, par une seule loi et une seule foi. »
Yoilà ce qui prouve, suivant le père Desbillons, que
Postel était fou.
Fou, pour avoir pensé que la religion doit régner sur
352 HISTOIRE DE LA MAGIE.

les esprits par la raison suprême de son dogme, et que


la monarchie, pour être forte et durable, doit enchaîner
les cœurs par les conquêtes de la prospérité publique de
la paix.
Fou, pour avoir cru à l'avènement du règne de celui
à qui nous demandons tous les jours que son règne
arrive.

Fou, parce qu'il croyait à la raison et à la justice sur

la terre ! . . .
Eh bien, ils disent vrai : le pauvre Postel était fou.
L a preuve de sa folie, c'est qu'il écrivit, comme nous
l'avons dit, aux pères du concile de Trente, pour les
supplier de bénir tout le monde et de ne lancer d'ana-
thèmes contre personne.
Autre folie ; il essaya de convertir les jésuites à ses
idées, et de leur faire prêcher la concorde universelle
entre les hommes, la paix entre les souverains, la raison
aux prêtres et la bonté aux princes de ce monde.
Enfin, dernière et suprême folie, il négligea les biens
de la terre et la faveur des grands, vécut toujours hum-
blement et pauvrement, ne posséda jamais rien que sa
science et ses livres, et n'ambitionna jamais autre chose
que la vérité et la justice.
Dieu fasse paix à l'âme du pauvre Guillaume Postel !
I l était si doux et si bon, que ses supérieurs ecclésias-
tiques eurent pitié de lui, et pensant probablement,
comme on l'a dit plus tard de La Fontaine, qu'il était
plus bête que méchant, ils se contentèrent de le renfer-
mer dans un couvent pour le reste de ses jours. Postel les
remercia du calme qu'ils procuraient ainsi à la fin de sa
vie et mourut paisiblement en rétractant tout ce que ses
ALCHIMISTES. 353

supérieurs voulurent. L'homme de la concorde univer-


selle ne pouvait être un anarchiste, et avant toute chose
c'était le plus sincère des catholiques et le plus humble
des chrétiens.
On retrouvera un jour les ouvrages de Postel, et on
les lira avec étonnement.
Passons à un autre fou, celui-ci s'appelle Théophrasle
Auréole Bombast, et on le connaît dans le monde magi-
que sous le nom célèbre de Paracelse.
Nous ne répéterons pas ce que nous avons dit de ce
maître dans notre dogme et rituel de la haute magie, nous
ajouterons seulement quelques remarques sur la méde-
cine occulte dont Paracelse fut le rénovateur.
Cette médecine vraiment universelle repose sur une
vaste théorie de la lumière, que les adeptes nomment l'or
fluide ou potable. La lumière, cet agent créateur, dont
les vibrations donnent à toutes choses le mouvement et la
vie; la lumière latente dans l'éther universel, rayon-
nante autour des centres absorbants, qui s'étant saturés
de lumière projettent à leur tour le mouvement et la vie,
et forment ainsi des courants créateurs ; la lumière astra-
lisée dans les astres, animalisée dans les animaux, huma-
nisée dans les hommes ; la lumière qui végète dans les
plantes, qui brille dans les métaux, qui produit toutes les
formes de la nature, et les équilibre toutes par les lois
de la sympathie universelle, c'est cette lumière qui pro-
duit les phénomènes du magnétisme devinés par Para-
celse, c'est elle qui colore le sang en se dégageant de
l'air, aspiré et renvoyé par le soufflet hermétique des
poumons; le sang alors devient un véritable élixir de vie
où des globules vermeils et aimantés de lumière vivante
23
354 HISTOIRE DE LA MAGIE.

nagent dans un fluide légèrement doré. Ces globules


sont de véritables semences prêtes à prendre toutes les
formes du monde dont le corps humain est l'abrégé, ils
peuvent se subtiliser et se coaguler, renouvelant ainsi
les esprits qui circulent dans les nerfs, et la chair qui
s'affermit autour des os ; ils rayonnent au dehors ou plu-
tôt en se spiritualisant ils se laissent entraîner par les
courants de la lumière, et circulent dans le corps astral,
ce corps intérieur et lumineux que l'imagination dilate
chez les extatiques, en sorte que leur sang va quelquefois
colorer à distance des objets que leur corps astral pénètre
pour se les identifier. Nous démontrerons dans un ouvrage
spécial sur la médecine occulte, tout ce que nous avan-
çons i c i , quelque étrange et quelque paradoxal que cela
puisse paraître d'abord aux hommes de science. Telles
étaient les bases de la médecine de Paracelse, il guérissait
par sympathie de lumière, il appliquait les médicaments
non au corps extérieur et matériel qui est tout passif, et
qu'on peut même tailler et déchirer sans qu'il sente rien
quand le corps astral se retire, mais à ce médium inté-
rieur, à ce corps, principe des sensations dont il ravivait
la quintessence par des quintessences sympathiques.
Ainsi, par exemple, il guérissait les blessures en appli-
quant de puissants réactifs au sang répandu dont il ren-
voyait vers le corps l'âme physique et la séve purifiée. Pour
guérir un membre malade, il faisait un membre de cire
auquel il attachait, par la puissance de sa volonté, le ma-
gnétisme du membre malade ; il appliquait à cette cire le
vitriol, le fer et le feu, et réagissait ainsi par l'imagination
et la correspondance magnétique sur le malade lui-même
dont ce membre de cire était devenu l'appendice et le sup-
ALCHIMISTES. 355

plément. Paracelse connaissait LES MYSTÈRES DU SANG, il


savait pourquoi les prêtres de Baal, pour*faire descen-
dre le feu du ciel, se faisaient des incisions avec des
couteaux ; il savait pourquoi les Orientaux qui veulent
inspirer à une femme de l'amour physique, répandent
leur sang devant elle; il savait comment le sang répandu
crie vengeance ou miséricorde et remplit l'air d'anges
ou de démons. C'est le sang, en effet, qui est l'instru-
ment des rêves, c'est lui qui fait abonder les images
dans notre cerveau pendant le sommeil, car le sang est
plein de lumière astrale. Les globules en sont bisexuels,
aimantés et ferrés, sympathiques et répulsifs. De l'âme
physique du sang, on peut faire sortir toutes les formes
et toutes les images du monde... Lisons le récit d'un
voyageur estimé ;

« A Baroche, dit le voyageur Tavernier, les Anglais


ont un fort beau logis, et je me souviens qu'y arrivant
un jour, en revenant d'Agra à Surate, avec le président
des Anglais, il vint aussitôt des charlatans lui demander
s'il voulait qu'ils lui montrassent quelques tours de leur
métier : ce qu'il eut la curiosité de voir.
» La première chose qu'ils firent fut d'allumer un
grand feu, et de faire rougir des chaînes de fer dont ils
s'entortillèrent le corps, faisant semblant qu'ils en res-
sentaient quelque douleur, mais n'en recevant au fond
aucun dommage. Ensuite, ils prirent un petit morceau
de bois, et, l'ayant planté en terre, ils demandèrent à
quelqu'un de la compagnie quel fruit il voulait avoir. On
leur dit que l'on souhaitait des mangues, et alors un de
ees charlatans, se couvrant d'un linceul, s'accroupit
contre terre jusqu'à cinq ou six reprises. — J'eus la
356 HISTOIRE DE LA MAGIE.

curiosité de monter à une chambre pour voir d'en haut


par une ouverture du linceul, ce que cet homme faisait,
et j'aperçus que, se coupant la chair sous les aisselles
avec un rasoir, il frottait de son sang le morceau de bois.
A chaque fois qu'il se relevait, le bois croissait à vue
d'œil, et, à la troisième, il en sortit des branches avec
des bourgeons. A la quatrième fois, l'arbre fut couvert
de feuilles, et, à la cinquième, on lui vit des fleurs.
» L e président des Anglais avait alors son ministre
avec lui, l'ayant mené à Amadabat pour baptiser un
enfant du Commandeur hollandais, et dont il avait été
prié d'être le parrain ; car il faut remarquer que les Hol-
landais ne tiennent point de ministres que dans les lieux
où ils ont ensemble des marchands et des soldats. Le
ministre anglais avait protesté d'abord qu'il ne pouvait
consentir que des chrétiens assistassent à de semblables
spectacles ; et dès qu'il eut vu que, d'un morceau de bois
sec, ces gens-là faisaient venir, en moins d'une demi-
heure, un arbre de quatre ou cinq pieds de haut, avec
des feuilles et des fleurs comme au printemps, il se mit
en devoir de l'aller rompre, et dit hautement qu'il ne
donnerait jamais la communion à aucun de ceux qui
demeureraient davantage à voir ces choses. Cela obli-
gea le président de congédier ces charlatans. »
L e docteur Clever de Maldigny, à qui nous empruntons
cette citation, regrette que les mangues se soient arrê-
tées en si beau chemin, mais il n'entreprend pas d'ex-
pliquer le phénomène. Nous croyons que c'était une
fascination par le magnétisme de la lumière rayonnante
du sang ; c'était ce que nous avons défini ailleurs : un
phénpmène d'électricité magnétisée, identique avec celui
ALCHIMISTES. 357

qu'on nomme palingénésie, et qui consiste à faire appa-


raître une plante vivante dans un vase qui contient la
cendre de cette même plante morte depuis longtemps.
Tels étaient les secrets que connaissait Paracelse, et
c'est en employant aux usages de la médecine ces forces
cachées de la nature, qu'il se fit tant d'admirateurs et
tant d'ennemis. Paracelse était loin d'ailleurs d'être un
bonhomme comme Postel, il était naturellement agres-
sif et batailleur ; son génie familier était caché, disait-il,
dans le pommeau de sa grande épée, et il ne la quittait
jamais. Sa vie fut une lutte incessante ; il voyageait, il
disputait, il écrivait, il enseignait. Il était plus curieux
de résultats physiques que de conquêtes morales, aussi
fut-il le premier des magiciens opérateurs et le dernier
des sages adeptes. Sa philosophie était toute de saga-
cité, aussi l'intitulait-il lui-même philosophia sagaœ. Il
a plus deviné que personne sans avoir jamais rien su
complètement. Rien n'égale ses intuitions, si ce n'est la
témérité de ses commentaires. C'était l'homme des expé-
riences hardies, il s'enivrait de ses opinions et de sa pa-
role, il s'enivrait même autrement, si l'on en croit ses
chroniqueurs. Les écrits qu'il a laissés sont précieux pour
la science, mais il faut les lire avec précaution ; on peut
l'appeler le divin Paracelse, en prenant cet adjectif dans
le sens de divinateur, c'est un oracle, mais ce n'est pas
un vrai maître ; c'est comme médecin surtout qu'il est
grand, puisqu'il avait trouvé la médecine universelle :
il ne put toutefois conserver sa propre vie, et il mourut
encore jeune, épuisé par ses travaux et par ses excès,
laissant après lui un nom d'une gloire fantastique et
douteuse, fondée sur des découvertes dont ses contem-
358 HISTOIRE DE LA MAGIE.

porains ne profitèrent pas. Il mourut sans avoir dit son


dernier mot, et il est un de ces personnages mystérieux
dont on peut dire comme d'Hénoch et de saint Jean : Il
n'est pas mort, et il reviendra visiter la terre avant le
dernier jour !

C H A P I T R E V.

SORCTERS E T MAGICIENS CÉLÈRRES,

SOMMAIRE. — La Divine comédie et le Roman de la rose. — La Renais-


sance. — Démêlés de Martin Luther et du diable. — Catherine de
Médicis. — Henri I I I et Jacques Clément. — Les rose-croix. — Henri
Kunraih. — O s v a l d Crollius. — Les alchimistes et les magiciens au
commencement du x v n ' siècle.

On a multiplié les commentaires et les études sur


l'œuvre de Dante, et personne, que nous sachions, n'en
a signalé le principal caractère. L'œuvre du grand Gibe-
lin est une déclaration de guerre à la papauté par la
révélation hardie des mystères. L'épopée de Dante est
joannite et gnostique, c'est une application hardie des
figures et des nombres de la kabbale aux dogmes chré-
tiens, et une négation secrète de tout ce qu'il y a d'absolu
dans ces dogmes ; son voyage à travers les mondes sur-
naturels s'accomplit comme l'initiation aux mystères
d'Eleusis et de ï h è b e s . C'est Virgile qui le conduit et le
protège dans les cercles du nouveau Tartare, comme si
Virgile, le tendre et mélancolique prophète des destinées
du fils de Pollion, était aux yeux du poète florentin le
père illégitime, mais véritable de l'épopée chrétienne.
SORCIERS E T MAGICIENS CÉLÈERES. 359

Grâce au génie païen de Virgile, Dante échappe à ce


gouffre sur la porte duquel il avait lu une sentence de
désespoir, il y échappe en mettant sa tête à la place de ses
pieds et ses pieds à la place de sa tête, c'est-à-dire en
prenant le contrepied du dogme, et alors il remonte à
la lumière en se servant du démon lui-même comme
d'une échelle monstrueuse ; il échappe à l'épouvante à
force d'épouvante, à l'horrible à force d'horreur. L ' e n -
fer, semble-t-il dire, n'est une impasse que pour ceux qui
ne savent pas se retourner; il prend le diable à rebrousse-
poil, s'il m'est permis d'employer ici cette expression
familière, et s'émancipe par son audace. C'est déjà le
protestantisme dépassé, et le poète des ennemis de Rome
a déjà deviné Faust montant au ciel sur la tête de M é -
phistophélès vaincu. Remarquons aussi que l'enfer de
Dante n'est qu'un purgatoire négatif. Expliquons-nous :
son purgatoire semble s'être formé dans son enfer comme
dans un moule, c'est le couvercle et comme le bouchon
du gouffre, et l'on comprend que le titan florentin en
escaladant le paradis voudrait jeter d'un coup de pied le
purgatoire dans l'enfer.

Son ciel se compose d'une série de cercles kabbalisti-


ques divisés par une croix comme lepantacle d'Ézéchiel ;
au centre de cette croix fleurit une rose, et nous voyons
apparaître pour la première fois exposé publiquement et
presque catégoriquement expliqué le symbole des rose-
croix.
Nous disons pour la première fois, parce que Guil-
laume de Lorris, mort en 1260, cinq ans avant la nais-
sance d'Àlighieri, n'avait pas achevé son Roman de la
rose, qui fut continué par Clopinel, un demi-siècle plus
360 HISTOIRE DE LÀ MAGIE,

tard. On ne découvrira pas sans étonnement que le Ro-


man de la rose et la Divine comédie sont les deux formes
opposées d'une même œuvre : l'initiation à l'indépen-
dance de l'esprit, la satire de toutes les institutions con-
temporaines et la formule allégorique des grands secrets
de la Société des rose-croix.
Ces importantes manifestations de l'occultisme coïnci-
dent avec l'époque de la chute des templiers, puisque
Jean de Meung ou Clopinel, contemporain de la vieil-
lesse de Dante, florissait pendant ses plus belles années à
la cour de Philippe le Bel. L e Roman de la rose est l'épo-
pée de la vieille France. C'est un livre profond sous une
forme l é g è r e , c'est une révélation aussi savante que celle
d'Apulée des mystères de l'occultisme. L a rose de Fia-
mel, celle de Jean de Meung et celle de Dante sont nées
sur le même rosier.
Dante avait trop de génie pour être un hérésiarqne.
Les grands hommes impriment à l'intelligence un
mouvement qui se prouve plus tard par des actes dont
l'initiative appartient aux médiocrités remuantes. Dante
n'a peut-être jamais été lu, et n'eût certainement jamais
été compris par Luther. Cependant l'œuvre des Gibe-
lins fécondée par la puissante pensée du poète, souleva
lentement l'empire contre la papauté, en se perpétuant
sous divers noms de siècle en siècle, et rendit enfin l'Alle-
magne protestante. Ce n'est certainement pasLuther qui
a fait la réforme, mais la réforme s'est emparée de Lu-
ther et l'a poussé en avant. Ce moine aux épaules carrées
n'avait que de l'entêtement et de l'audace, mais c'était
l'instrument qu'il fallait aux idées révolutionnaires. Lu-
ther était le Danton de la théologie anarchique ; supersti-
SORCIERS ET MAGICIENS CÉLÈRRES. 361

tieux et téméraire, il se croyait obsédé par le diable ; le


diable lui dictait des arguments contre l'Église, le diable
le faisait raisonner, déraisonner et surtout écrire. Ce génie
inspirateur de tous les Caïns ne demandait alors que
de l'encre, bien sûr qu'avec cette encre distillée par la
plume de Luther, il ferait bientôt des flots de sang. Lu-
ther le sentait et il haïssait le diable parce que c'était en-
core un maître ; un jour il lui lança son écritoire à la tête
comme s'il voulait le rassasier par cette violente libation.
Luther jetant son encrier à la tête du diable, nous rap-
pelle ce facétieux régicide qui, en signant la mort de
Charles I , barbouilla d'encre ses complices.
e r

« Plutôt Turc que papiste! » c'était la devise de Luther;


et en effet le protestantisme n'est au fond, comme l'isla-
misme, que le déisme pur organisé en culte convention-
nel, et n'en diffère que par des restes de catholicisme
mal effacé. Les protestants sont, au point de vue de la
négation du dogme catholique, des musulmans avec
quelques superstitions de plus et un prophète de moins.
Les hommes renoncent plus volontiers à Dieu qu'au
diable, les apostats de tous les temps l'ont assez prouvé.
Les disciples de Luther, divisés bientôt par l'anarchie,
n'avaient plus entre eux qu'un lien de croyance commune,
ils croyaient tous à Satan, et ce spectre grandissant à
mesure que leur esprit de révolte les éloignait de Dieu,
arrivait à des proportions terribles. Carlostad, archidiacre
de "Wurtemberg, étant un jour en chaire, vit entrer dans
le temple un homme noir qui s'assit devant lui, et le re-
garda pendant tout le temps de son sermon avec une
fixité terrible; il se trouble, descend de chaire, interroge
les assistants ; personne n'a vu le fantôme. Carlostad
362 HISTOIRE DR LA MAGIE.

revient chez lui tout épouvanté, le plus jeune de ses fils


vient au-devant de lui, et lui raconte qu'un inconnu vêtu
de noir est venu le demander et a promis de revenir dans
trois jours. Plus de doute pour l'halluciné ; le visiteur
n'est autre que le spectre de la vision. La frayeur lui
donne la fièvre, il se met au lit et meurt avant le troi-
sième jour.
Ces malheureux sectaires avaient peur de leur ombre,
leur conscience était restée catholique et les damnait im-
pitoyablement. Luther se promenant un soir avec sa
femme Catherine de Bora, regarda le ciel plein d'étoiles,
et dit à demi-voix avec un profond soupir : « Beau ciel
que je ne verrai jamais! » —- « Eh quoi, dit la femme,
pensez-vous donc être réprouvé ? » — « Qui sait, dit Lu-
ther, si Dieu ne nous punira pas d'avoir été infidèles "
nos vœux? » Peut-être qu'alors si Catherine, en le voyant
douter ainsi de lui-même, l'eût abandonné en le mau-
dissant, le réformateur, brisé par cet avertissement divin,
eût reconnu combien il avait été criminel en trahissant
l'Église sa première épouse, et eût tourné des yeux en
larmes vers le cloître qu'il avait lui-même abandonné!
Mais Dieu qui résiste aux superbes, ne le trouva pas
digne sans doute de cette salutaire douleur. La comédie
sacrilège du mariage de Luther avait été le châtiment
providentiel de son orgueil, et comme il persévéra dans
son péché, son châtiment ne le quitta pas et le ridiculisa
jusqu'à la fin. Il mourut entre le diable et sa femme,
effrayé de l'un et fort embarrassé de l'autre.
La corruption et la superstition s'accommodent bien
ensemble. L'époque de la renaissance débauchée, persé-
cutrice et crédule, ne fut certes pas la renaissance de la
SORCIERS ET MAGICIENS CÉLÈBRES. 383

raison. Catherine de Médicis était sorcière, Charles IX


consultait les nécromants, Henri
1
III faisait des parties
de dévotion et de débauche. C'était alors le bon temps
des astrologues, bien qu'on en torturât quelques-uns de
temps en temps pour les forcer à changer leurs prédic-
tions. Les sorciers de cour à cette époque se mêlaient
d'ailleurs toujours un peu d'empoisonnements et méri-
taient assez la corde. Trois-Échelles, le magicien de
Charles I X , était prestidigitateur et fripon ; il se confessa
un jour au roi, et ce n'étaient pas peccadilles que ses
méfaits ; le roi lui fit grâce avec menace de pendaison en
cas de rechute. Trois-Échelles retomba et fut pendu.
Lorsque la ligue eut juré la mort du faible et miséra-
ble Henri III, elle eut recours aux envoûtements de la
magie noire. L'Étoile assure que l'image en cire du roi
était placée sur les autels où les prêtres ligueurs disaient
la messe, et qu'on perçait cette image avec un canif en
prononçant une oraison de malédictions et d'anathème.
Comme le roi ne mourait pas assez vite, on en conclut
qu'il était sorcier. Des pamphlets coururent où Henri I I I
était représenté tenant des conventicules où les crimes
de Sodome et de Gomorrhe n'étaient que le préludé
d'attentats plus inouïs et plus affreux. Le roi, disait-on,
avait parmi ses mignons un personnage inconnnu qui
était le diable en personne ; on enlevait des jeunes vier-
ges que ce prince prostituait violemment à Béelzébut;
le peuple croyait à ces fables, et il se trouva enfin un
fanatique pour exécuter les menaces de l'envoûtement.
Jacques Clément eut des visions et entendit des voix im-
périeuses qui lui commandaient de tuer le roi. Cet hallu-
ciné courut au régicide comme un martyr, et mourut
9
364 HISTOIRE DE LA MAGIE.

en riant comme les héros de la mythologie Scandinave.


Des chroniqueurs scandaleux ont prétendu qu'une grande
dame de la cour avait uni aux inspirations de la solitude
du moine, le magnétisme de ses caresses : cette anecdote
manque de probabilité. L a chasteté du moine entretenait
son exaltation, et s'il eût commencé à vivre de la vie fa-
tale des passions, une soif insatiable de plaisir se fût
emparée de tout son être, et il n'eût plus voulu mourir.
Pendant que les guerres de religion ensanglantaient
le monde, les sociétés secrètes de l'illuminisme, qui
n'étaient que des écoles de théurgie et de haute magie,
prenaient de la consistance en Allemagne. La plus an-
cienne de ces sociétés paraît avoir été celle des rose-croix
dont les symboles remontent au temps des Guelfes et des
Gibelins, comme nous le voyons par les allégories du
poëme de Dante, et par les figures du Roman de la
rose.
La rose, qui a été de tout temps l'emblème de la beauté,
de la vie, de l'amour et du plaisir, exprimait mystique-
ment la pensée secrète de toutes les protestations mani-
festées à la renaissance. C'était la chair révoltée contre
l'oppression de l'esprit; c'était la nature se déclarant fille
de Dieu, comme la grâce; c'était l'amour qui ne voulait
pas être étouffé par le célibat; c'était la vie qui ne voulait
plus être stérile, c'était l'humanité aspirant à une reli-
gion naturelle, toute de raison et d'amour, fondée sur la
révélation des harmonies de l'Être, dont la rose était pour
les initiés le symbole vivant et fleuri. La rose, en effet,
est un pantacle, elle est de forme circulaire, les feuilles
de la corolle sont taillées en cœur, et s'appuient harmo-
nieusement les unes sur les autres; sa couleur présente les
SORCIERS ET MAGICIENS CÉLÈBRES. 365

nuances les plus douces des couleurs primitives, son calice


est de pourpre et d'or. Nous avons vu que Flamel, ou plu-
tôt le livre du juif Abraham, en faisait le signe hiérogly-
phique de l'accomplissement du grand œuvre. Telle est la
clef du roman de Clopinel et de Guillaume de Lorris. La
conquête de la rose était le problème posé par l'initiation
à la science pendant que la religion travaillait à préparer
et à établir le triomphe universel, exclusif et définitif
de la croix.
Réunir la rose à la croix, tel était le problème posé par
la haute initiation, et en effet la philosophie occulte
étant la synthèse universelle, doit tenir compte de tous
les phénomènes de l'Etre. La religion, considérée unique-
ment comme un fait physiologique, est la révélation et la
satisfaction d'un besoin des âmes. Son existence est un
fait scientifique : la nier, ce serait nier l'humanité elle-
même. Personne ne l'a inventée, elle s'est formée comme
les lois, comme les civilisations, par les nécessités de la
vie morale; et considérée seulement à ce point de vue
philosophique et restreint, la religion doit être regar-
dée comme fatale si l'on explique tout par la fatalité, et
comme divine si l'on admet une intelligence suprême à la
source des lois naturelles. Il suit de là que le caractère
de toute religion proprement dite étant de relever direc-
tement de la divinité par une révélation surnaturelle,
nul autre mode de transmission ne donnant au dogme
une sanction suffisante, il faut en conclure que la vraie
religion naturelle c'est la religion révélée, c'est-à-dire
qu'il est naturel de n'adopter une religion qu'en la
croyant révélée, toute vraie religion exigeant des sacri-
fices," et l'homme n'ayant jamais ni le pouvoir, ni le droit
366 HISTOIRE DE L A MAGIE.

d'en imposer à ses semblables, en dehors et surtout au-


dessus des conditions ordinaires de l'humanité.
C'est en partant de ce principe rigoureusement ration-
nel que les rose-croix arrivaient au respect de la religion
dominante, hiérarchique et révélée. Ils ne pouvaient par
conséquent pas plus être les ennemis de la papauté que
de la monarchie légitime, et s'ils conspiraient contre des
papes et contre des rois, c'est qu'ils les considéraient
personnellement c o m m e des apostats du devoir et des
fauteurs suprêmes de l'anarchie.
Qu'est-ce, en effet, qu'un despote soit spirituel, soit
temporel, sinon un anarchiste couronné?
C'est par cette considération qu'on peut expliquer le
protestantisme et m ê m e le radicalisme de certains grands
adeptes plus catholiques que certains papes, et plus mo-
narchiques que certains rois, de quelques adeptes excen-
triques, tels que H e n r i Khunrath et les vrais illuminés de
son école.
Henri Khunrath est un personnage peu connu de ceux
qui n'ont pas fait des sciences occultes une étude parti-
culière ; c'est pourtant un maître et un maître du premier
ordre; c'est un prince souverain de la rose-croix, digne
sous tous les rapports de ce titre scientifique et mystique.
Ses pantacles sont splendides comme la lumière du
Sohar, savants c o m m e Trithême, exacts comme Py-
thagore, révélateurs du grand œuvre comme le livre
d'Abraham et de Nicolas Flamel.
Henri Khunrath était chimiste et médecin, il était né
en 1502, et il avait quarante-deux ans, lorsqu'il parvint à
la haute initiation théosophique. L e plus remarquable de
ses ouvrages, son Amphithéâtre de la sagesse éternelle, était
SORCIERS ET MAGICIENS CÉLÈBRES. 367

publié en 1598, car l'approbation de l'empereur Rodol-


phe qui s'y trouve annexée est datée du 1 e r
juin de cette
même année. L'auleur, bien qu'il fît profession d'un pro-
testantisme radical, y revendique hautement le nom de
catholique et d'orthodoxe ; il déclare avoir en sa posses-
sion, mais garder secrète comme il convient, une clef de
l'apocalypse, clef triple et unique comme la science uni-
verselle. La division du livre est septénaire, et il y partage
en sept degrés l'initiation à la haute philosophie; le texte
est un commentaire mystique des oracles de Salomon ;
l'ouvrage se termine par des tableaux synoptiques, qui
sont la synthèse de la haute magie et de la kabbale oc-
culte, en tout ce qui peut être écrit et publié verbalement.
Le reste, c'est-à-dire la partie ésotérique et indicible de
la science, est exprimé par de magnifiques pantacles des-
sinés et gravés avec soin. Ces pantacles sont au nom-
bre de neuf.

Le premier, contient le dogme d'Hermès.


Le deuxième, la réalisation magique.
Le troisième représente le chemin de la sagesse et les
travaux préparatoires de l'œuvre.
Le quatrième représente la porte du sanctuaire éclai-
rée par sept rayons mystiques.
Le cinquième est une rose de lumière, au centre de
laquelle une forme humaine étend ses bras en forme de
croix.
Le sixième représente le laboratoire magique de Khun-
rath, avec son oratoire kabbalistique, pour démontrer la
nécessité d'unir la prière au travail.
Le septième est la synthèse absolue de la science.
Le huitième exprime l'équilibre universel.
368 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Le neuvième résume la doctrine particulière de


Khunrath avec une énergique protestation contre tous
ses détracteurs. C'est un pantacle hermétique encadré
dans une caricature allemande pleine de verve et de
naïve colère. Les ennemis du philosophe sont travestis
en insectes, en oisons bridés, en bœufs et en ânes, le
tout orné de légendes latines et de grosses épigrammes
en allemand ; Khunrath y est représenté à droite et à gau-
che, en costume de ville et en costume de cabinet, faisant
face à ses adversaires, soit au dedans, soit au dehors :
en habit de ville, il est armé d'une épée et marche sur la
queue d'un scorpion ; en costume de cabinet, il est muni
de pincettes et marche sur la tête d'un serpent ; au de-
hors il démontre, et chez lui il enseigne, comme ses gestes
le font assez comprendre, toujours la même vérité sans
craindre le souffle impur de ses adversaires, souffle si
pestilentiel pourtant que les oiseaux du ciel tombent
morts à leurs pieds. Cette planche très curieuse manque
dans un grand nombre d'exemplaires de VAmphithéâtre
de Khunrath.
Ce livre extraordinaire contient tous les mystères de
la plus haute initiation ; il est, comme l'auteur l'annonce
dans son titre même : Christiano-kabbalistique, divino-
magique, physico-chimique, triple unique et universel.
C'est un véritable manuel de haute magie et de philo-
sophie hermétique, et l'on ne saurait trouver ailleurs, si
ce n'est dans le Sepher Jésirah et le Sohar, une plus
complète et plus parfaite initiation.
Dans les quatre importants corollaires qui suivent
l'explication de la troisième figure, Khunrath établit :
1° Que la dépense à faire pour le grand œuvre (à part
SORCIERS ET MAGICIENS CÉLÈBRES. 369

l'entretien et les dépenses personnelles de l'opérateur)


ne doit pas excederla somme de trente thalers; j'en parle
sciemment, ajoute l'auteur, l'ayant appris de quelqu'un
qui le savait. Ceux qui dépensent davantage se trompent
et perdent leur argent. Ces mots : l'ayant appris de quel-
qu'un qui le savait, prouvent que Khunrath ou n'a pas fait
lui-même la pierre philosophale, ou ne veut pas dire qu'il
l'a faite, et cela par crainte des persécutions.
Khunrath établit ensuite l'obligation pour l'adepte, de
ne consacrer à ses usages personnels que la dixième par-
tie de sa richesse et consacrer tout le reste à la gloire
de Dieu et aux œuvres de charité.
Troisièmement, il affirme que les mystères du chris-
tianisme et ceux de la nature s'expliquant et s'illustrant
réciproquement, le règne futur du Messie (le messia-
nisme) s'établit sur la double base de la science et de la
foi, en sorte que le livre de la nature confirmant les ora-
cles de l'Évangile, on pourra convaincre par la science et
par la raison les juifs et les mahométans de la vérité du
christianisme, si bien qu'avec le concours de la grâce d i -
vine, ils seront infailliblement convertis à la religion de
l'unité ; il termine enfin par cette sentence :

SIG1LLÜM NATDRiE E T ARTIS SIMPLIGITAS.

Le cachet de la nature et de Vari, c'est la simplicité»

Du temps de Khunrath, vivait un autre médecin initié,


philosophe hermétique et continuateur de la médecine
de Paracelse ; c'était Oswald Crollius, auteur du Livre
des signatures, ou de la vraie et vivante anatomie du grand
& du petit monde. Dans cet ouvrage dont la préface est
un abrégé fort bien fait de la philosophie hermétique,
24
370 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Crollius cherche à établir que Dieu et la nature ont en


quelque sorte signé tous leurs ouvrages, et que tous les
produits d'une force quelconque de la nature portent,
pour ainsi dire, l'estampille de cette force imprimée en
caractères indélébiles, en sorte que l'initié aux écritures
occultes puisse lire à livre ouvert les sympathies et les
antipathies des choses, les propriétés des substances et
tous les autres secrets de la création. L e s caractères des
différentes écritures seraient primitivement empruntés à
ces signatures naturelles qui existent dans les étoiles et
dans les fleurs, sur les montagnes et sur le plus humble
caillou. L e s figures des cristaux, les cassures des miné-
raux, seraient des empreintes de la pensée que le Créa-
teur avait en les formant. Cette idée est pleine de poésie
et de grandeur, mais il manque une grammaire à cette
langue mystérieuse des mondes, il manque un vocabu-
laire raisonné à ce verbe primitif et absolu. L e roi Sa-
lomon seul passe pour avoir accompli ce double travail ;
or les livres occultes de Salomon sont perdus : Crol-
lius entreprenait donc non pas de les refaire, mais de
retrouver les principes fondamentaux de cette langue
universelle du Verbe créateur.
Par ces principes on reconnaîtrait que les hiéroglyphes
primitifs formés des éléments mêmes de la géométrie
correspondraient aux lois constitutives et essentielles des
formes déterminées par les mouvements alternés ou com-
binés que décident les attractions équilibrantes ; on re-
connaîtrait à leur seule figure extérieure les simples et
les composés, et par les analogies des figures avec les
nombres, on pourrait faire une classification mathématique
de toutes les substances révélées par les lignes de leurs
SORCIERS ET MAGICIENS CÉLÈBRES. 371

surfaces. Il y a au fond de ces aspirations, qui sont des


réminiscences de la science édénique, tout un monde de
découvertes à venir pour les sciences. Paracelse les avait
pressenties, Crollius les indique, un autre viendra pour
les réaliser et les démontrer. La folie d'hier sera le g é -
nie de demain, et le progrès saluera ces sublimes cher-
cheurs qui avaient deviné ce monde perdu et retrouvé
cette Athlantide du savoir humain !
Le commencement du xvir siècle fut la grande épo-
3

que de l'alchimie, alors parurent : Philippe Muller,


Jean Thorneburg, Michel Mayer, Ortelius, Poterius,
Samuel Northon, le baron de Beausoleil, David Planis-
campe, Jean Duchesne, Robert Flud, Benjamin Musta-
pha, le président d'Espagnet, le cosmopolite qu'il fallait
nommer le premier, de Nuisement, qui a traduit et publié
les remarquables écrits du cosmopolite, Jean-Baptiste
an Helmont, Irénée Philalèthe, Rodolphe Glauber, le
sublime cordonnier Jacob Bœhrn. Les principaux de ces
initiés s'adonnaient aux recherches de la haute magie,
et en cachaient avec soin le nom décrié sous les appa-
rences des recherches hermétiques. Le Mercure des
sages qu'ils voulaient trouver et donner à leurs disciples,
c'était la synthèse scientifique et religieuse, c'était la paix
qui réside dans la souveraine unité. Les mystiques n'é-
taient alors que les croyants aveugles des véritables illu-
minés, et l'illuminisme proprement dit n'était que la
science universelle de la lumière. En 1623, au printemps,
on trouva affichée dans les rues de Paris cette étrange
proclamation :
« Nous, députés des frères rose-croix, faisons séjour
visible.et invisible dans cette ville, par la grâce du Très-
372 HISTOIRE DE LÀ MAGIE.

Haut, vers lequel se tourne le cœur des sages ; nous en-


seignons, sans aucune sorte de moyens extérieurs, à
parler les langues des pays que nous habitons, et nous
tirons les hommes, nos semblables, de la terreur et de la
mort.
» S'il prend envie à quelqu'un de nous voir par curio-
sité seulement, il ne communique jamais avec nous ;
mais si sa volonté le porte réellement et de fait à s'in-
scrire sur les registres de notre confraternité, nous, qui
jugeons des pensées, lui ferons voir la vérité de nos pro-
messes, tellement que nous ne mettons point le lieu de
notre demeure, puisque la pensée, jointe à la volonté
réelle du lecteur, sera capable de nous faire connaître à
lui et lui à nous. »
L'opinion se préoccupa alors de cette manifestation
mystérieuse, et si quelqu'un alors demandait hautement
ce que c'était que les frères rose-croix, souvent un per-
sonnage inconnu prenait à part le questionneur, et lui
disait gravement :
« Prédestinés à la réforme qui doit s'accomplir bien-
tôt dans tout l'univers, les rose-croix sont les déposi-
taires de la suprême sagesse, et paisibles possesseurs de
tous les dons de la nature, ils peuvent les dispenser à
leur gré.
» En quelque lieu qu'ils soient, ils connaissent mieux
toutes les choses qui se passent dans le reste du monde,
que si elles leur étaient présentes ; ils ne sont sujets ni à
la faim ni à la soif, et n'ont à craindre ni la vieillesse ni
les maladies.
» Ils peuvent commander aux esprits et aux génies les
plus puissants.
PROCÈS DE MAGIE. 373
» Dieu les a couverts d'une nuée pour les défendre de
leurs ennemis, et on ne peut les voir que quand ils le
veulent, eût-on des yeux plus perçants que ceux de
l'aigle.
» Ils tiennent leurs assemblées générales dans les py
ramides d'Egypte.
» Mais ces pyramides sont pour eux comme le rocher
d'où jaillissait la source de Moïse, elles marchent avec
eux dans le désert, et les suivront jusqu'à leur entrée
dans la terre promise. »

CHAPITRE VI.
PROCÈS DE MAGIE*

SOMMAIRE. -— Gaufridi, Urbain Grandier, Boulé et Picart, le père Girard


et mademoiselle Cadière.— Phénomènes des convulsions.—Anecdotes
diverses.

L'auteur grec qui a écrit la description du tableau


allégorique de Cebès finit son œuvre par cette conclu-
sion admirable :
« Il n'y a qu'un bien véritable à désirer, c'est la sa-
gesse; et il n'y a qu'un mal à craindre, c'est la folie. »
Le mal moral en effet, la méchanceté, le crime, ne sont
autre chose qu'une folie véritable : et le père Hilarion
Tissot a toutes les sympathies de notre cœur, lorsqu'il
répète sans cesse dans ses brochures follement coura
geuses qu'au lieu de punir les criminels, il faudrait les
soigner et les guérir.
874 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Nous disons les sympathies de notre cœur, parce que


notre raison proteste contre cette trop charitable inter-
prétation du crime dont les conséquences seraient de dé-
truire la sanction de la morale en désarmant la loi. Nous
comparons la folie à l'ivresse, et considérant que l'ivresse
est presque toujours volontaire, nous applaudissons à la
sagesse des juges qui, ne regardant pas la perte sponta-
née de la raison comme une excuse, punissent sans pitié
les délits et les crimes commis dans l'ivresse. Un jour
viendra même peut-être où l'ivresse sera comptée parmi
les circonstances aggravantes, et où tout être intelli-
gent qui se mettra volontairement hors de la raison,
se trouvera hors de la loi. La loi n'est-elle pas la raison
de l'humanité ?
Malheur à l'homme qui s'enivre soit de vin, soit d'or-
gueil, soit de haine, soit même d'amour! Il est aveugle,
il est injuste, il est le jouet de la fatalité ; c'est un fléau qui
marche, c'est une calamité vivante ; il peut tuer, il peut
violer; c'est un fou sans chaîne ; haro sur lui ! L a société
a droit de se défendre ; c'est plus que son droit, c'est son
devoir, car elle a des enfants.
Ces réflexions nous viennent au sujet des procès de
magie dont nous avons à rendre compte. On a trop ac-
cusé l'Église et la société de meurtre judiciaire sur des
fous; nous admettons que les sorciers étaient des fous
sans doute, mais c'étaient des fous de perversité; si
parmi eux quelques innocents malades ont péri, ce sont
des malheurs dont l'Église et la société ne sauraient
être responsables. Tout homme condamné suivant les lois
de son pays et les formes judiciaires de son temps, est
justement condamné, son innocence possible n'appartient
PROCÈS DE MAGIE. 375

plus qu'à Dieu ; devant les hommes il est et doit rester


coupable.
Ludwig Tieck, dans un remarquable roman intitulé le
Sabbat des sorcières, met en scène une sainte femme, une
pauvre vieille épuisée de macérations, la tête affaiblie par
les jeûnes et les prières, qui, pleine d'horreur pour les
sorciers, et disposée par excès d'humilité à s'accuser
de tous les crimes, finit par se croire en effet sorcière,
s'en accuse, en est convaincue par erreur et par pré-
vention, puis est brûlée vive. Cette histoire fût-elle vraie,
que prouverait-elle? Qu'une erreur judiciaire est pos-
sible, rien de plus, rien de moins.
Mais si l'erreur judiciaire est possible en fait, elle
ne saurait l'être en droit : autrement que deviendrait la
justice humaine?
Socrate condamné à mort aurait pu fuir, et ses juges
eux-mêmes lui en eussent fourni les moyens, mais il res-
pecta les lois et voulut mourir.
C'est aux lois et non aux tribunaux du moyen âge
qu'il faut s'en prendre de la rigueur de certaines senten-
ces. Mais GiUes de Laval, dont nous avons raconté les
crimes et le supplice, fut-il injustement condamné, et
devait-on l'absoudre parce qu'il était fou? Étaient-elles
innocentes ces horribles folles qui composaient des phil-
tres avec la moelle des petits enfants? La magie noire
d'ailleurs était la folie générale de cette malheureuse
époque : les juges, à force d'étudier les questions de sor-
cellerie finissaient quelquefois par se croire sorciers eux-
mêmes. La sorcellerie, dans plusieurs localités, devenait
épidémique, et les supplices semblaient multiplier les
coupables.
376 HISTOIRE DE LA MAGIE.

On peut voir dans les démonographes, tels que De-


lancre, Delrio, Sprenger, Bodin, Torre-Blanca et les
autres, les récits d'un grand nombre de procès dont les
détails sont aussi fastidieux que révoltants. Les condam-
nés sont pour la plupart des hallucinés et des idiots,
mais des idiots méchants et des hallucinés dangereux ;
les passions erotiques, la cupidité et la haine sont les
causes principales de l'égarement de leur raison : ils
étaient capables de tout. Sprenger dit que les sorcières
s'entendaient avec les sages-femmes pour leur acheter
des cadavres d'enfants nouveau-nés. Les sages-femmes
tuaient ces innocents au moment même de leur naissance,
en leur enfonçant de longues aiguilles dans le cerveau,
on déclarait un enfant mort et on l'enterrait. La nuit
venue, les stryges grattaient la terre et en arrachaient le
cadavre, elles le faisaient bouillir dans une chaudière
avec des herbes narcotiques et vénéneuses, puis distil-
laient, alambiquaient, mélangaient cette gélatine hu-
maine. Le liquide servait d'élixir de longue vie, le so-
lide était broyé et incorporé aux graisses de chat noir
mélangées de suie qui servaient aux frictions magiques.
L e cœur se soulève de dégoût à la lecture de ces révéla-
tions abominables, et l'indignation fait taire la pitié;
mais lorsqu'on en vient aux procédures, lorsqu'on voit
la crédulité et la cruauté des juges, les fausses promesses
de grâce qu'ils emploient pour obtenir des aveux, les
tortures atroces, les visites obscènes, les précautions
honteuses et ridicules, puis après tout cela, le bûcher
en place publique, l'assistance dérisoire du clergé qui
livre au bras séculier en demandant grâce pour ceux
qu'il voue à la mort, on est forcé de conclure qu'au mi-
PROCÈS DE MAGIE. 377

lieu de tout ce chaos, la religion seule reste sainte,


mais que les hommes sont tous également des idiots ou
des scélérats.
Ainsi en 1598, un prêtre limousin, nommé Pierre
Jupetit, est brûlé vif pour des aveux ridicules qui lui ont
été arrachés par la torture.
A Dôle, en 1599, on brûle une femme nommée Antide
Collas, parce que sa conformation sexuelle avait quel-
que chose de phénoménal, qu'on crut ne pouvoir expli-
quer que par un commerce infâme avec Satan. La mal-
heureuse, mise et remise à la torture, dépouillée, sondée,
visitée en présence des médecins et des juges, écrasée
de honte et de douleurs, avoua tout pour en finir.
Henri Boguet, juge de Saint-Claude, raconte lui-même
qu'il fit torturer une femme comme sorcière, parce qu'il
manquait quelque chose à la croix de son chapelet, signe
certain de sorcellerie, au dire de ce féroce imbécile.
Un enfant de douze ans, stylé par les inquisiteurs,
vient accuser son père de l'avoir mené au sabbat. L e
père meurt en prison par suite de ses tortures, et l'on
propose de faire brûler l'enfant. Boguet s'y oppose et se
fait un mérite de cette clémence.
Une femme de trente-cinq ans, Rôllande de Vernois,
est oubliée dans un cachot si glacial qu'elle promet de
s'avouer coupable de magie, si on veut la laisser s'appro-
cher du feu. Dès qu'elle sent la chaleur, elle tombe dans
des convulsions affreuses, elle a la fièvre et le délire; en
cet état on la met à la torture, elle dit tout ce qu'on
mi fait dire, elle est traînée mourante au bûcher. Un
orage éclate, la pluie éteint le feu, Boguet se félicite alors
de la sentence qu'il a rendue, puisque évidemment cette
378 HISTOIRE DE LA MAGIE.

femme que le ciel semblait défendre, devait être protégée


par le diable. Le même Boguet a fait encore brûler deux
hommes, Pierre Gaudillon et le gros Pierre, pour avoir
couru la nuit, l'un en forme de lièvre, l'autre en forme
de loup.
Mais le procès qui fit le plus de bruit au commence-
ment du xvii siècle, fut celui de messire Louis
e
Gaufridi,
curé de la paroisse des Accoules à Marseille. Le scan-
dale de cette affaire donna un funeste exemple qui ne
fut que trop tôt suivi. Un prêtre accusé par des prêtres !
un curé traîné devant les tribunaux par ses confrères !
Constantin avait dit que s'il voyait un prêtre déshonorer
son caractère par un péché honteux, il le couvrirait de sa
pourpre, c'était une belle et royale parole. Le sacer-
doce, en effet, doit être impeccable, comme la justice
est infaillible devant la morale publique.
En décembre 1610, une jeune fille de Marseille nom-
mée Magdelaine de la Palud, étant allée en pèlerinage à
la Sainte-Baume, en Provence, y fut prise d'extase et de
convulsions. Une autre dévote nommée Louise Capeau
fut bientôt atteinte du même mal. Des dominicains et
des capucins crurent à la présence du démon, et firent
des exorcismes. Magdelaine de la Palud et sa compagne
donnèrent alors le spectacle qui se renouvela si souvent
un siècle plus tard lors de l'épidémie des convulsions.
Elles criaient, se tordaient et demandaient à être battues
et foulées aux pieds, un jour six hommes marchèrent en
même temps sur la poitrine de Magdelaine qui n'en res-
sentit aucune douleur; en cet état elle s'accusait des plus
étranges dérèglements ; elle s'était livrée au diable corps
et âme, disait-elle ; elle avait été fiancée au démon par
PROCÈS DE MAGIE. 379

un prêtre nommé Gaufridi. Au lieu d'enfermer cette


folle, on l'écouta, et les pères exorcistes dépêchèrent à
Marseille trois capucins pour informer secrètement les
supérieurs ecclésiastiques de ce qui se passait à la Sainte-
Baume, et amener, s'il était possible, sans violence et
sans scandale le curé Gaufridi pour le confronter avec
les prétendus démons.
Cependant on commençait à écrire les inspirations
infernales des deux hystériques, c'étaient des discours
d'une dévotion ignorante et fanatique, présentant la reli-
gion telle que la comprenaient les exorcistes eux-mêmes.
Les possédées semblaient raconter les rêves de ceux qui
les interrogeaient : c'était exactement le phénomène
des tables parlantes et des médiums de notre temps.
Les diables se donnaient des noms aussi incongrus
que ceux des esprits américains ; ils déclamaient con-
tre l'imprimerie et contre les livres, faisaient des ser-
mons dignes des capucins les plus fervents et les plus
ignares. En présence de ces démons faits à leur image
et à leur ressemblance, les pères ne doutèrent plus de
la vérité de la ppssession et de la véracité des esprits
infernaux. Les fantômes de leur imagination malade
prenaient un corps et leur apparaissaient vivants dans
ces deux femmes dont les confessions obscènes surexci-
taient leur curiosité et leur indignation pleines de secrètes
convoitises, ils devinrent furieux et il leur fallut une vic-
time : telles étaient leurs dispositions lorsqu'on leur
amena enfin le malheureux Louis Gaufridi.
Gaufridi était un prêtre assez mondain, d'une figure
agréable, d'un caractère faible et d'une moralité plus que
suspecte, il avait été le confesseur de Magdelaine de la
380 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Palud, et lui avait inspiré une implacable passion ; cette


passion, changée en haine par la jalousie, était devenue
une fatalité, elle entraîna le malheureux prêtre dans son
tourbillon de folie qui le conduisit au bûcher.
Tout ce que pouvait dire l'accusé pour se défendre
était retourné contre lui. Il attestait Dieu et Jésus-Christ,
et sa sainte mère et son précurseur saint Jean-Baptiste,
et on lui répondait : vous récitez à merveille les litanies
du sabbat ; par Dieu, vous entendez Lucifer, par Jésus-
Christ, Béelzébub, par la sainte Vierge, la mère apostate
de l'Antéchrist, par saint Jean-Baptiste, le faux prophète
précurseur de Gog et Magog... Puis on le mettait à la
torture, et on lui promettait sa grâce s'il voulait signer les
déclarations de Magdelaine de la Palud. Le pauvre prêtre,
éperdu, circonvenu, brisé, signa tout ce qu'on voulut: il
en signa assez pour être brûlé, et c'était ce qu'on de-
mandait. Les capucins de Provence donnèrent enfin au
peuple cet affreux spectacle, ils lui apprirent à violer
les privilèges du sanctuaire, ils lui montrèrent com-
ment on tue les prêtres, et le peuple s'en souvint plus
tard.
0 saint temple, disait un rabbin témoin des prodiges
qui précédèrent la destruction de Jérusalem par Titus,
ô saint temple, qu'as-tu donc? Et pourquoi te fais-tu
peur à toi-même?
Ni le saint-siège ni les évêques ne protestèrent contre
le meurtre de Gaufridi, mais le x v i n siècle allait venir
e

traînant la révolution à sa suite. '


Une des possédées qui avaient tué le curé des Ac-
coules déclara un jour que le démon la quittait pour aller
préparer la perte d'un autre prêtre, qu'elle nomma d'à-
PROCÈS DE MAGIE. 38i

vance prophétiquement et sans le connaître; elle le nomma


Urbain Grandier.
Alors régnait le terrible cardinal de Richelieu, qui
comprenait l'autorité absolue comme le salut des États ;
malheureusement les tendances du cardinal étaient plu-
tôt politiques et habiles que véritablement chrétiennes.
Ce grand esprit avait pour borne une certaine étroitesse
de cœur qui le rendait sensible à l'offense personnelle, et
implacable dans ses vengeances. Ce qu'il pardonnait le
moins au talent, c'était l'indépendance ; il voulait avoir
les gens d'esprit pour auxiliaires, plutôt que pour flat-
teurs, et il avait une certaine joie de détruire tout ce qui
voulait briller sans lui. Sa tête aspirait à tout dominer,
le père Joseph était son bras droit et Laubardemont son
bras gauche.
Il y avait alors en province, à Loudun, un ecclésiasti-
que d'un génie remarquable et d'un grand caractère, il
avait de la science et du talent, mais peu de circonspec-
tion ; fait pour plaire aux multitudes et pour attirer les
sympathies des grands, il pouvait dans l'occasion d e v e -
nir un dangereux sectaire ; le protestantisme alors
remuait en France, et le curé de Saint-Pierre de Loudun,
trop disposé aux idées nouvelles par son peu d'attrait 1

pour le célibat ecclésiastique, pouvait devenir à la tête


de ce parti un prédicant plus brillant que Calvin et aussi
audacieux que Luther, il se nommait Urbain Grandier.
Déjà des démêlés sérieux avec son évêque avaient :
signalé son habileté et son caractère inflexible, habileté
malheureuse et maladroite, d'ailleurs, puisqu'il en avait
appelé de ses puissants ennemis au roi et non pas au car-
é n a i ; le roi lui avait donné raison, le cardinal devait lui
382 HISTOIRE DR LA MAGIE.

donner tort. Grandier était retourné triomphant à Lou-


dun, et s'était permis la fanfaronnade peu cléricale d'y
rentrer une branche de laurier à la main. A dater de
ce jour il fut perdu.
Les religieuses ursulines de Loudun avaient alors pour
supérieure, sous le nom de la mère Jeanne des anges,
une certaine Jeanne de Belftel, petite-fille du baron de
Gose. Cette religieuse n'était rien moins que fervente,
et son couvent ne passait pas pour un des plus régu-
liers du pays, il s'y passait des scènes nocturnes qu'on
attribuait à des esprits. Les parents retiraient les pen-
sionnaires, et la maison allait être bientôt dénuée de
toute ressource.
Grandier avait quelques intrigues et ne les cachait pas
assez, c'était, d'ailleurs, un personnage trop en vue
pour que l'oisiveté d'une petite ville ne fît pas grand
bruit de ses faiblesses. Les pensionnaires des Ursulines
en entendaient parler avec mystère chez leurs parents,
les religieuses en parlaient entre elles pour déplorer le
scandale, et restaient toutes préoccupées du personnage
scandaleux, elles en rêvèrent ; elles le virent pendant la
nuit apparaître dans les dortoirs avec des attitudes bien
conformes à ce qu'on disait de ses mœurs, elles poussè-
rent des cris, se crurent obsédées, et voilà le diable dans
la maison.
L e s directeurs de ces filles, mortels ennemis de Gran-
dier, virent tout le parti qu'ils pouvaient tirer de cette
affaire dans l'intérêt de leur rancune et dans l'intérêt du
couvent. On fit des exorcismes en secret d'abord, puis
en public. Les amis de Grandier sentaient qu'il se tramait
quelque chose et pressaient le curé de Saint-Pierre du
PROCÈS DE MAGIE. 38&

Marché de permuter ses bénéfices, et de quitter Loudun.


Tout s'appaiserait dès qu'on le verrait parti \ mais Gran-
dier était un vaillant homme, il ne savait pas ce que c'é-
tait que de céder à la calomnie, il resta, et fut arrêté un
matin comme il entrait dans son église, revêtu de ses
habits sacerdotaux.
A peine arrêté, Grandier fut traité en criminel d'État,
ses papiers furent saisis, les scellés apposés à ses meu-
bles, et lui-même fut conduit sous bonne garde à la for-
teresse d'Angers. Pendant ce temps on lui préparait à
Loudun un cachot qui semblait plus fait pour une bête
féroce que pour un homme. Richelieu, instruit de tout,
avait dépêché Laubardemont pour en finir avec Gran-
dier, et avait fait défendre au parlement de connaître
de cette affaire.
Si la conduite du curé de Saint-Pierre avait été
celle d'un mondain, la tenue de Grandier, prisonnier
et accusé de magie, fut celle d'un héros et d'un mar-
tyr. L'adversité révèle ainsi les grandes âmes, et il est
beaucoup plus facile de supporter la souffrance que la
prospérité.
11 écrivait à sa mère :
« . . . Je supporte mon affliction avec patience, et plains
plus ta vôtre que la mienne. Je suis fort incommodé,
n'ayant point de lit ; tâchez de me faire apporter le mien,
car si le corps ne repose, l'esprit succombe. Enfin en-
voyez-moi un bréviaire, une Bible et un saint Thomas,
pour ma consolation ; au reste, ne vous affligez pas, j ' e s -
père que Dieu mettra mon innocence au jour... »
Dieu, en effet, prend tôt ou tard le parti de l'innocence
opprimée, mais il ne la délivre pas toujours de ses enne-
38/i. HISTOIRE DE LA MAGIE.

mis sur la terre, ou ne la délivre que par la mort. Gran-


dier devait bientôt l'éprouver.
N e faisons cependant pas les hommes plus méchants
qu'ils ne sont en effet : les ennemis de Grandier ne
croyaient pas à son innocence, ils le poursuivaient avec
rage, mais c'était un grand coupable qu'ils croyaient
poursuivre, Les phénomènes hystériques étaient alors
mal connus et le somnambulisme entièrement ignoré : les
contorsions des religieuses, leurs mouvements en dehors
des habitudes et des forces humaines, les preuves qu'elles
donnaient d'une seconde vue effrayante , tout cela était
de nature à convaincre les moins crédules. Un athée
célèbre de ce temps-là, le sieur de Kériolet, conseiller au
parlement de Bretagne, vint voir les exorcismes pour
s'en moquer. Les religieuses qui ne l'avaient jamais vu
l'apostrophèrent par son nom et révélèrent tout haut des
péchés que le conseiller croyait bien n'avoir fait connaî-
tre à personne. Sa conscience fut bouleversée et il passa
d'un extrême à l'autre, comme font tous les naturels
emportés; il pleura, il se confessa, et se voua pour le
reste de ses jours à l'ascétisme le plus rigoureux.
L e sophisme des exorcistes de Loudun était cet ab-
surde paralogisme que M. de Mirville ose soutenir en-
core de nos jours ;
Le diable est l'auteur de tous les phénomènes qui ne
s'expliquent pas par les lois connues de la nature.
A cet aphorisme antilogique, ils en joignaient un autre
dont ils faisaient en quelque sorte un article de foi.
Le diable dûment exorcisé est forcé de dire la vérité,
et on peut l'admettre à témoigner en justice.
L e malheureux Grandier n'était donc pas livré à des
PROCÈS DE MAGIE. 385

scélérats ; c'était à des fous furieux qu'il avait affaire ;


aussi, forts de leur conscience, donnèrent-ils à cet in-
croyable procès la plus grande publicité. Jamais pareil
scandale n'avait affligé l'Église : des religieuses hurlant,
se tordant, se livrant aux gestes les plus obscènes, blas-
phémant, cherchant à se jeter sur Grandier comme les
bacchantes sur Orphée; puis les choses les plus sacrées
de la religion mêlées à ce hideux spectacle, traînées dans
cette fange ; Grandier seul calme, haussant les épaules
et se défendant avec dignité et douceur ; des juges pâles,
éperdus, suant à grosses gouttes, Laubardemont en robe
rouge planant sur ce conflit comme le vautour qui a t -
tend un cadavre. Tel fut le procès d'Urbain Grandier.
Disons-le hautement pour l'honneur de l'humanité : un
complot pareil à celui que supposerait l'assassinat juridi-
que de cet homme, si l'on n'admet pas la bonne foi des
exorcistes et des juges, est heureusement impossible. Les
monstres sont aussi rares que les héros; la foule se com-
pose de médiocrités aussi incapables de grands crimes
que de grandes vertus. Les plus saints personnages de ce
temps-là ont cru à la possession de Loudun ; saint Vin-
cent de Paul ne fut pas étranger à cette histoire et fut ap-
pelé à en dire son avis. Piichelieu lui-même, qui, en tout
cas peut-être, eût trouvé moyen de se débarrasser de
Grandier, finit par le croire coupable. Sa mort fut le
crime de l'ignorance et des préjugés de son temps, et
ce fut une catastrophe bien plutôt qu'un assassinat.
Nous n'affligerons pas nos lecteurs du détail de ses tor-
tures; il demeura ferme, résigné, sans colère et n'avoua
rien il n'affecta pas même de mépriser ses juges, il pria
;

avec douceur les exorcistes de l'épargner: «Et vous, mes


386 HISTOIRE DE LA MAGIE.

pères, leur disait-il, modérez la rigueur de mes tour-


ments, et ne réduisez pas mon âme au désespoir. » On
sent à travers ce sanglot de la nature qui se plaint, toute
la mansuétude du chrétien qui pardonne. Les exorcistes,
pour cacher leur attendrissement, lui répondaient par des
invectives, et les exécuteurs pleuraient.
Troisdesreligieuses, dans un de leurs moments lucides,
vinrent se prosterner devant le tribunal, en criant que
Grandier était innocent ; on crut que le démon parlait
par leur bouche, et cet aveu ne fit que hâter le supplice.
Urbain Grandier fut brûlé vif, le 18 août 1634. 11 fut
patient et résigné jusqu'à la fin. Lorsqu'on le descendit de
la charrette, comme il avait les jambes brisées, il tomba
rudement le visage contre terre sans pousser un seul cri
ou un seul gémissement. Un cordelier, nommé le père
Grillau, fendit alors la foule et vint relever le patient
qu'il embrassa en pleurant : « Je vous apporte, dit-il, la
bénédiction de votre mère, elle et moi nous prions Dieu
pour v o u s . — M e r c i , mon père, répondit Grandier, vous
seul ici avez pitié de moi, consolez ma pauvre mère et
servez-lui de fils.» Le lieutenantdu prévôt, tout attendri,
lui dit alors : e. Monsieur, pardonnez-moi la part que je
suis forcé de prendre à votre supplice. — Vous ne
m'avez pas offensé, répondit Grandier, vous êtes obligé
de remplir les devoirs de votre charge. » On lui avait
promis de l'étrangler avant de le brûler, mais quand le
bourreau voulut tirer la corde elle se trouva nouée, et le
malheureux curé de Saint-Pierre tomba tout vivant dans
le feu.
Les principaux exorcistes, le père Tranquille et le
père Lactance, moururent bientôt après, dans les trans-
PROCES DE MAGIE. 387

ports d'une frénésie furieuse ; le père Surin, qui les rem-


plaça, devint fou. Manoury, le chirurgien qui avait aidé
à torturer Grandier, mourut poursuivi par le fantôme de
la victime. Laubardemont perdit son fils d'une manière
tragique, et tomba lui-même dans la disgrâce de son
maître ; les religieuses restèrent idiotes ; tant il est vrai
qu'il s'agissait d'une maladie terrible et contagieuse :
la maladie mentale du faux zèle et de la fausse dévotion.
La Providence punit les hommes par leurs propres fau-
tes, elle les instruit par les tristes conséquences de
leurs erreurs.
Dix ans à peine après la mort de Grandier, les scan-
dales de Loudun se renouvelèrent en Normandie. Des
religieuses de Louviers accusèrent deux prêtres de les
avoir ensorcelées ; un de ces prêtres était mort, on viola
la majesté de la tombe pour en arracher le cadavre, les
phénomènes de la possession furent les mêmes qu'à Lou-
dun et qu'à la Sainte-Baume. Ces filles hystériques tra-
duisaient en langage ordurier les cauchemars de leurs
directeurs ; les deux prêtres, l'un mort et l'autre vivant,
furent condamnés au bûcher. Chose horrible, on attacha
au même poteau un homme et un cadavre ! Le supplice
de Mézence, cette fiction d'un poète païen, trouva des
chrétiens pour la réaliser, un peuple chrétien assista
froidement à cette exécution sacrilège, et les pasteurs ne
comprirent pas qu'en profanant ainsi le sacerdoce et la
mort, ils donnaient à l'impiété un épouvantable signal.
On appelait le x v n f siècle, il vint éteindre les b û -
chers avec le sang des prêtres, et comme il arrive
presque toujours, ce furent les bons qui payèrent pour
les méchants.
388 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Le xvin e
siècle était commencé, et l'on brûlait encore
des hommes; la foi était déjà perdue, et l'on abandonnait
par hypocrisie le jeune Labarremx plus horribles sup-
plices pour avoir refusé de saluer la procession. Voltaire
était alors au monde et sentait grandir dans son cœur
une vocation pareille à celle d'Attila. Les passions hu-
maines profanaient la religion, et Dieu envoyait ce nou-
veau dévastateur pour reprendre la religion à un monde
qui n'en était plus digne.
En 1731, une demoiselle Catherine Cadière de Toulon
accusa son confesseur, le père Girard, jésuite, de séduction
"et de magie ; cette fille était une extatique stigmatisée qui
avait passé longtemps pour une sainte ; ce fut toute une
immonde histoire de pâmoisons lascives, de flagellations
secrètes, d'attouchements luxurieux... Quel lieu infâme a
des mystères pareils à ceux d'une imagination célibataire
et déréglée par un dangereux mysticisme ? La Cadière
ne fut pas crue sur parole, et le père Girard échappa
aux dangers d'une condamnation ; le scandale n'en fut
pas moins immense, et le bruit qu'il fit eut un éclat de
rire pour écho : nous avons dit que Voltaire était alors au
monde.
Les gens superstitieux avaient jusqu'alors expliqué les
phénomènes extraordinaires par l'intervention du diable
et des esprits ; l'école de Voltaire, non moins absurde, nia
contre toute évidence les phénomènes eux-mêmes.
Ce que nous ne pouvons pas expliquer vient du dia-
ble, disaient les uns ;
Ce que nous ne pouvons pas expliquer n'existe pas,
répondaient les autres.
L a nature, en reproduisant toujours dans des circon-
PROCÈS DE M A G I E . 389

stances analogues les mêmes séries de faits excentriques


et merveilleux, protestait contre l'ignorance présomp-
tueuse des uns et la science bornée des autres.
En tous temps, des perturbations physiques ont ac-
compagné certaines maladies nerveuses ; les fous, les
épileptiques, les cataleptiques, les hystériques, ont des
facultés exceptionnelles, sont sujets à des hallucinations
contagieuses et produisent parfois, soit dans l'atmos-
phère, soit dans les objets qui les entourent, des commo-
tions et des dérangements. L'halluciné projette ses rêves
autour de lui, et il est tourmenté par son ombre ; le corps
s'environne de ses reflets rendus difformes par les souf-
frances du cerveau ; on se mire alors en quelque sorte
dans la lumière astrale dont les courants excessifs, agis-
sant à la manière de l'aimant, déplacent et font tourner
les meubles; on entend alors des bruits et des voix comme
dans les rêves. Ces phénomènes, répétés tant de fois de
nos jours qu'ils sont devenus vulgaires, étaient attri-
bués par nos pères aux fantômes et aux démons. La
philosophie voltairienne trouva plus court de les nier, en
traitant d'imbéciles et d'idiots les témoins oculaires des
faits les plus incontestables.
Quoi de plus avéré, par exemple, que les merveilles
des convulsions au tombeau du diacre Paris, et dans les
réunions des extatiques de saint Médard? Comment ex-
pliquer ces étranges secours que demandaient les con-
v
ulsionnaires ? des milliers de coups de bûche sur la tête, Ç
des pressions à écraser un hippopotame, des torsions
de mamelles avec des pinces de fer, le crucifiement même
a v e c
des clous enfoncés dans les pieds et les mains? puis
^ e s
contorsions surhumaines, des ascensions aériennes ?
890 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Les voltairiens n'ont voulu voir là que des grimaces


et des gambades, les jansénistes criaient miracle et les
vrais catholiques gémissaient ; mais la science qui seule
devait intervenir pour expliquer cette fantasque maladie,
la science se tenait à l'écart : c'est à elle seule pourtant
qu'appartiennent maintenant les ursulines de Loudun, les
religieuses de Louviers, les convulsionnaires et les mé-
diums américains. Les phénomènes du magnétisme ne la
mettent-ils pas sur la voie des découvertes nouvelles. La
synthèse chimique qui se prépare, n'amènera-t-elle pas
d'ailleurs nos physiciens à la connaissance de la lumière
astrale? Et cette force universelle une fois connue, qui em-
pêchera de déterminer la force, le nombre et la direction
de ses aimants? Ce sera toute une révolution dans la
science, on sera revenu à la haute magie des Chal-
déens.
On a beaucoup parlé du presbytère de Cideville, MM. de
Mirville, Gougenot Desmousseaux et autres croyants
sans critique ont vu dans les choses étranges qui s'y pas-
saient une révélation contemporaine du diable; mais les
mêmes choses sont arrivées à Saint-Maur, en 1706, tout
Paris y courait. On entendait frapper de grands coups
contre les murailles, les lits roulaient sans qu'on y tou-
chât, les meubles se déplaçaient : tout cela finit par une
crise violente accompagnée d'un profond évanouissement
pendant lequel le maître de la maison, jeune homme de
vingt-quatre à vingt-cinq ans, d'une constitution frêle et
nerveuse, crut entendre des esprits lui parler longuement,
sans pouvoir jamais repéter depuis un mot de ce qu'ils lui
avaient dit.
Voici une histoire d'apparition du commencement du
PROCÈS DE MAGIE. 391

xviii siècle ; la naïveté du récit en prouve l'authenticité,


6

il y a certains caractères de vérité que les inventeurs


n'imitent pas.
Un bon prêtre de la ville de Valogne, nommé Bézuel,
étant prié à dîner, le 7 janvier 1708, chez une dame,
parente de l'abbé de Saint-Pierre, avec cet abbé, leur
conta, d'après leur désir, l'apparition d'un de ses cama-
rades,, qu'il avait eue en plein jour il y a douze ans.
« En 1695, leur dit Bézuel, étant jeune écolier d'envi-
ron quinze ans, je fis connaissance avec les deux enfants
d'Abaquène, procureur, écoliers comme moi. L'aîné était
de mon âge, le cadet avait dix-huit mois de moins, il s'ap-
pelait Desfontaines ; nous faisions nos promenades et
toutes nos parties de plaisir ensemble ; et soit que Des-
fontaines eût plus d'amitié pour moi, soit qu'il fût plus
gai, plus complaisant, plus spirituel que son frère, j e
l'aimais aussi davantage.
En 1696, nous promenant tous deux dans le cloître des
Capucins, il me conta qu'il avait lu depuis peu une histoire
de deux amis qui s'étaient promis que celui qui mourrait
le premier viendrait dire des nouvelles de son état au vi-
vant; que le mort revint, et lui dit des choses surpre-
nantes. Sur cela, Desfontaines me dit qu'il avait une
grâce à me demander, qu'il me la demandait instam-
ment : c'était de lui faire une pareille promesse, et que,
de son côté, il me la ferait ; je lui dis que j e ne voulais
Point. Il fut plusieurs mois à m'en parler souvent et très
sérieusement ; je résistais toujours. Enfin, vers le mois
d'août 1696, comme il devait partir pour aller étudier
à Caen, il me pressa tant, les larmes aux yeux, que j ' y
consentis. 11 tira dans le moment deux petits papiers
302 HISTOIRE DE LA MAGIE.

qu'il avait écrits tout prêts, l'un signé de son sang, où


il me promettait, en cas de mort, de venir dire des nou-
velles de son état, l'autre où j e lui promettais pareille
chose. Je me piquai au doigt, il en sortit une goutte de
sang avec lequel j e signai mon nom ; il fut ravi d'avoir
mon billet, et, en m'embrassant, il me fit mille remer-
cîments.
Quelque temps après, il partit avec son frère. Notre
séparation nous causa bien du chagrin ; nous nous écri-
vions de temps en temps de nos nouvelles, et il n'y avait
que six semaines que j'avais reçu de ses lettres, lorsqu'il
m'arriva ce que je m'en vais conter.
L e 31 juillet 1697, un jeudi, il m'en souviendra toute
ma vie, feu M. de Sortoville, auprès de qui j e logeais, et
qui avait eu de la bonté pour moi, me pria d'aller à un
pré près des Cordeliers, et d'aider à presser ses gens qui
faisaient du foin ; j e n'y fus pas un quart d'heure que vers
les deux heures et demie j e me sentis tout d'un coup
étourdi et pris d'une faiblesse ; j e m'appuyais en vain sur
ma fourche à foin, il fallut que je me misse sur un peu
de foin, où je fus environ une demi-heure à reprendre
mes esprits. Cela se passa; mais comme jamais rien de
semblable ne m'était arrivé, j ' e n fus surpris, et je crai-
gnis le commencement d'une maladie, il ne m'en resta
cependant que peu d'impression le reste du j o u r ; il est
vrai que la nuit je dormis moins qu'à l'ordinaire.
L e lendemain à pareille heure, comme j e menais au
pré M. de Saint-Simon, petit-fils de M. de Sortoville, qui
avait alors dix ans, je me trouvai en chemin attaqué
d'une pareille faiblesse, je m'assis sur une pierre à l'om-
b r e . Cela se passa, etnous continuâmes notre chemin ; il
PROCÈS DE MAGIE. 393

ne m'arriva rien de plus ce jour-là, et la nuit je ne dor-


mis guère.
Enfin, le lendemain, deuxième jour d'août, étant dans
le grenier où on serrait le foin que l'on apportait du pré,
précisément à la même heure, je fus pris d'un pareil étour-
dissement et d'une pareille faiblesse, mais plus grande que
les autres. Je m'évanouis et perdis connaissance. Un des
laquais s'en aperçut. On m'a dit qu'on me demanda alors
qu'est-ce que j ' a v a i s ; et que je répondis : J'ai vu ce que
je n'aurais jamais cru ; mais il ne me souvient ni de la
demande ni de la réponse. Cela cependant s'accorde à ce
qu'il me souvient avoir vu alors comme une personne nue
à mi-corps, mais que j e ne reconnus cependant point. On
m'aida à descendre de l'échelle ; je me tenais bien aux
échelons; mais comme je vis Desfontaines, mon cama-
rade, au bas de l'échelle, la faiblesse me reprit, ma tête
s'en alla entre deux échelons et je perdis encore con-
naissance. On me descendit et on me mit sur une grosse
poutre qui servait de siège sur la grande place des capu-
cins; je n'y vis plus alors M. de Sortoville, ni ses
domestiques, quoique présents ; mais apercevant Des-
fontaines vers le pied de l'échelle, qui me faisait signe de
venir à lui, je me reculai sur mon siège, comme pour lui
faire place, et ceux qui me voyaient, et que je ne voyais
pas, quoique j'eusse les yeux ouverts, remarquèrent ce
mouvement.
Comme il ne venait point, je me levai pour aller à lui ;
il s'avança vers moi, me prit le bras gauche de son bras
droit, et me conduisit, à trente pas de là, dans une rue
écartée, me tenant ainsi accroché. Les domestiques
croyant que mon étourdisseraent était passé, et que j'allais
394 HISTOIRE DE LA MAGIE.

à quelques nécessités, s'en allèrent chacun à leur besogne,


exepté un petit laquais qui vint dire à M. de Sortoville
que je parlais tout seul. M. de Sortoville crut que j'étais
ivre ; il s'approcha*, et m'entendit faire quelques ques-
tions et quelques réponses qu'il m'a dites depuis.
Je fus là près de trois quarts d'heure à causer avec Des-
fontaines. Je vous ai promis, me dit-il, que si je mou-
rais avant vous, j e viendrais vous le dire. Je me noyai
avant-hier à la rivière de Caen ; à peu près à cette heure-
ci, j'étais à la promenade avec tels et tels, il faisait grand
chaud, il nous prit envie de nous baigner, il me vint une
faiblesse dans la rivière, et je tombai au fond. L'abbé
de Ménil-Jean, mon camarade, plongea pour me repren-
dre, je saisis son pied; mais, soit qu'il eût peur que ce
ne fût un saumon, parce que je le serrai bien fort, soit
qu'il voulût promptement remonter sur l'eau, il secoua
si rudement le jarret, qu'il me donna un grand coup
sur la poitrine, et me jeta au fond de la rivière, qui est
là fort profonde.
Desfontaines me conta ensuite tout ce qui leur était
arrivé dans la promenade, et de quoi ils s'étaient entre-
tenus. J'avais beau lui faire des questions s'il était sauvé,
s'il était d a m n é , s'il était en purgatoire, si j'étais en état
de grâce, et si j e le suivrais de près, il continua son dis-
cours c o m m e s'il ne m'avait point entendu, et comme
s'il n'eût point voulu m'entendre.
Je m'approchai plusieurs fois pour l'embrasser; mais
il me parut que je n'embrassais rien ; je sentais pourtant
bien qu'il m e tenait fortement par le bras, et que lors-
que j e tâchais de détourner ma tête pour ne le plus voir,
parce que j e ne le voyais qu'en m'affligeant, il me se-
PROCÈS DE MAGIE. 395

couait le bras, comme pour m'obliger à le regarder et à


l'écouter.
Il me parut toujours plus grand que je ne l'avais vu,
et plus grand même qu'il n'était lors de sa mort,
quoiqu'il eût grandi depuis dix-huit mois que nous ne
nous étions vus ; je le vis toujours à mi-corps et nu, la
tête nue avec ses beaux cheveux blonds, et un écriteau
blanc, entortillé dans ses cheveux, sur son front, sur
lequel il y avait de l'écriture, où je ne pus lire que ces
mots : In, etc.
C'était son même son de voix : il ne me parut ni gai,
ni triste, mais dans une situation calme et tranquille; il
me pria, quand son frère serait revenu, de lui dire cer-
taines choses pour dire son père et à sa mère ; il me pria
de dire les sept psaumes qu'il avait eus en pénitence le
dimanche précédent, qu'il n'avait pas encore récités;
ensuite il me recommanda encore de parler à son frère,
et puis me dit adieu, s'éloigna de moi en me disant :
« Jusques, jusques, » qui était le terme ordinaire dont il
se servait quand nous nous quittions à la promenade pour
aller chacun chez nous.
Il me dit que, lorsqu'il se noyait, son frère, en écri-
vant une traduction, s'était repenti de l'avoir laissé aller
sans l'accompagner, craignant quelque accident ; il
me peignit si bien où il s'était noyé, et l'arbre de l'avenue
de Louvigni où il avait écrit quelques mots, que deux
ans après, me trouvant avec le feu chevalier de Gotot,
un de ceux qui étaient avec lui lorsqu'il se noya, je lui mar-
quai l'endroit même, et qu'en comptant les arbres d'un
certain côté, que Desfontaines m'avait spécifié, j'allai
droit à l'arbre, et j e trouvai son écriture : il me dit aussi
396 HISTOIRE DE LA MAGIE.

que l'article des sept psaumes était vrai, qu'au sortir de


confession, ils s'étaient dit leur pénitence; son frère me
dit depuis qu'il était vrai qu'à cette heure-là il écrivait
sa version, et qu'il se reprocha de n'avoir pas accom-
pagné son frère.
Comme j e passai près d'un mois sans pouvoir faire ce
que m'avait dit Desfontaines à l'égard de son frère, il
m'apparut encore deux fois, avant dîner, à une maison
de campagne où j'étais allé dîner, à une lieue d'ici. Je me
trouvai m a l ; j e dis qu'on me laissât, que ce n'était rien,
que j'allais revenir : j'allai dans le coin du jardin. Des-
fontaines m'ayant apparu, il me fit des reproches de ce
que j e n'avais pas encore parlé à son frère, et m'entre-
tint encore un quart d'heure sans vouloir répondre à mes
questions.
En allant le matin à Notre-Dame-de-la-Victoire, il
m'apparut encore, mais pour moins de temps, et me
pressa toujours de parler à son frère, et me quitta en me
disant toujours «Jusques, jusques, » et sans vouloir ré-
pondre à mes questions.
C'est une chose remarquable que j'eus toujours une
douleur à l'endroit du bras qu'il m'avait saisi la pre-
mière fois, jusqu'à ce que j'eusse parlé à son frère . Je
fus trois jours que je ne dormais pas de l'étonnementoù
j ' é t a i s . Au sortir de la première conversation, je dis à
M. de Varonvifle, mon voisin et mon camarade d'école,
que Desfontaines avait été noyé, qu'il venait lui-même
de m'apparaître et de me le dire. Il s'en alla toujours
courant chez les parents, pour savoir si cela était v r a i ;
on en venait de recevoir la nouvelle ; mais, par un
malentendu, il comprit que c'était l'aîné. Il m'assura
PROCÈS DE MA.GIK. 3 J7
(

qu'il avait lu la lettre de Desfontaines, et il le croyait


ainsi : je lui soutins toujours que cela ne pouvait pas
être, et que Desfontaines lui-même m'était apparu : il
retourna, revint, et me dit en pleurant : « Gela n'est que
trop vrai. »
Une m'est rien arrivé depuis, et voilà mon aventure au
naturel. On l'a contée diversement; mais je ne l'ai contée
que comme je viens de vous le dire. L e feu chevalier de
Gotot m'a dit que Desfontaines est aussi apparu à M. de
Ménil-Jean. Mais j e ne le connais pas; il demeure à vingt
lieues d'ici, du côté d'Argentan, et je ne puis en rien
dire de plus. »
Il faut remarquer le caractère de rêve qui se montre
partout dans cette vision d'un homme éveillé, mais à
demi asphyxié par les émanations du foin. On recon-
naîtra l'ivresse astrale produite par la congestion du
cerveau. L'état de somnambulisme qui en est la consé-
quence, et qui fait voir à M. Bézuel le dernier reflet
vivant que son ami a laissé dans la lumière. Il est nu, et
l'on ne peut le voir qu'à mi-corps, parce que le reste
était déjà caché par l'eau de la rivière. La bandelette
dans les cheveux était sans doute un mouchoir ou un cor-
don qui avait servi au baigneur à retenir sa chevelure.
Bézuel eut alors l'intuition somnambuliquedelout ce qui
s'était passé, il lui sembla l'apprendre de la bouche même
de son ami. Cet ami d'ailleurs ne lui parut ni triste, ni
gai, manière d'exprimer l'impression que lui fit cette
image sans vie toute de réminiscence et de reflet. Lorsque
cette vision lui vient pour la première fois, M. Bézuel,
enivré par l'odeur du foin, se laisse tomber d'une échelle
et se blesse au bras ; il lui semble alors, avec la logique
398 HISTOIRE DE LA MAGIE.

des rêves, que son ami lui serre le bras, et à son réveil il
sent encore d e la douleur, ce qui s'explique tout naturel-
lement par le coup qu'il s'était donné ; du reste, les dis-
cours du défunt étaient tout rétrospectifs, rien de la mort
ni de l'autre v i e , ce qui prouve une fois de plus com-
bien est infranchissable la barrière qui sépare l'autre
monde de celui-ci.
L a vie dans la prophétie d'Ézéchiel est figurée par des
roues qui tournent les unes dans les autres ; les formes
1

élémentaires représentées par les quatre animaux, mon-


tent et descendent avec la roue, et se poursuivent sans
s'atteindre jamais comme les signes du zodiaque. Jamais
les roues du mouvement perpétuel ne retournent sur
elles-mêmes ; jamais les formes ne reculent vers les
stations qu'elles ont quittées ; pour revenir d'où l'on est
parti, il faut avoir fait le tour du cercle dans un mouve-
ment toujours le même et toujours nouveau. Concluons-
en que tout ce qui se manifeste à nous en cette vie, est
un phénomène de cette même vie, et qu'il n'est donné ici-
bas, ni à notre pensée, ni à notre imagination, ni même
ànos hallucinations et à nos rêves, de franchir, ne fût-ce
que pour un instant, les barrières redoutables de la
mort.
ORIGINES MAGIQUES DE LA MAÇONNERIE. 399

CHAPITRE VIL
ORIGINES MAGIQUES DE LA MAÇONNERIE.

SOMMAIRE. — La légende d'Hiram ou d'Adoniram. — Autres légendes


maçonniques. — Le secret des francs-maçons. — Esprit de leurs
rites. — Sens de leurs grades, leurs tableaux allégoriques, leurs
signes.

La grande association kabbalistique, connue en Eu-


rope sous le nom de maçonnerie, apparaît tout à coup
dans le monde au moment où la protestation contre
l'Église vient de démembrer l'unité chrétienne. Les his-
toriens de cet ordre ne savent comment en expliquer
l'origine : les uns lui donnent pour mère une libre asso-
ciation de maçons, formée lors de la construction de la
cathédrale de Strasbourg ; d'autres lui donnent Cromwell
pour fondateur, sans trop se demander si les rites de la
maçonnerie anglaise du temps de Cromwell ne sont pas
organisés contre ce chef de l'anarchie puritaine ; il en est
d'assez ignorants pour attribuer aux jésuites, sinon la
fondation du moins la continuation et la direction de
cette société longtemps secrète et toujours mystérieuse.
A part cette dernière opinion, qui se réfute d'elle-même,
on peut concilier toutes les autres, en disant que les frères
maçons ont emprunté aux constructeurs de la cathédrale
de Strasbourg leur nom et les emblèmes de leur art,
qu'ils se sont organisés publiquement pour la première
fois en Angleterre, à la faveur des institutions radicales
et en dépit du despotisme de Cromwell.

On peut ajouter qu'ils ont eu les templiers pour mo-


ÛOD HISTOIRE DE LÀ MÀOIIÎ.

dèles, les roses-croix pour pères et les joannites pour an-


cêtres. Leur dogme est celui de Zoroastre et d'Hermès,
leur règle est l'initiation progressive, leur principe l'éga-
lité réglée par la hiérarchie et la fraternité universelle;
ce sont les continuateurs de l'école d'Alexandrie, héritière
de toutes les initiations antiques ; ce sont les dépositaires
des secrets de l'apocalypse et du sohar; l'objet de leur
culte c'est la vérité représentée par la lumière; ils tolè-
rent toutes les croyances et ne professent qu'une seule et
même philosophie; ils ne cherchent que la vérité, n'en-
seignent que la réalité et veulent amener progressive-
ment toutes les intelligences à la raison.
L e but allégorique de la maçonnerie c'est la recon-
struction du temple de Salomon; le but réel c'est la re-
constitution de l'unité sociale par l'alliance de la raison
et de la foi, et le rétablissement de la hiérarchie, sui-
vant la science et la vertu, avec l'initiation et les épreu-
ves pour degrés.
Rien n'est plus beau, on le voit, rien n'est plus grand
que ces idées et ces tendances, malheureusement les
doctrines de l'unité et la soumission à la hiérarchie ne
se conservèrent pas dans la maçonnerie universelle ; il
y eut bientôt une maçonnerie dissidente, opposée à la
maçonnerie orthodoxe, et les plus grandes calamités de
la révolution française furent le résultat de cette scission.
Les francs-maçons ont leur légende sacrée, c'est celle
d'Hiram, complétée par celle de Cyrus et de Zorobabel.
Voici la légende d'Hiram :
Lorsque Salomon fit bâtir le temple, il confia ses
plans à un architecte nommé Hiram.
Cet architecte, pour mettre de l'ordre dans les travaux,
ORIGINES MAGIQUES DE LA MAÇONNERIE. 401

divisa les travailleurs par rang d'habileté, et comme


leur multitude était grande, afin de les reconnaître, soit
pour les employer suivant leur mérite, soit pour les ré-
numérer suivant leur travail, il donna à chaque catégo-
rie, aux apprentis, aux compagnons et aux maîtres, des
mots de passe et des signes particuliers.
Trois compagnons voulurent usurper le rang des maî-
tres sans en avoir le mérite, ils se mirent en embuscade
aux trois principales portes du temple, et lorsque Hiram
se présenta pour sortir, l'un des compagnons lui demanda
le mot d'ordre des maîtres, en le menaçant de sa règle.
Hiram lui répondit : Ce n'est pas ainsi que j ' a i reçu
le mot que vous me demandez.
Le compagnon furieux frappa Hiram de sa règle de
fer, et lui fit une première blessure.
Hiram courut à une autre porte, il y trouva le second
compagnon, même demande, même réponse, et cette
fois ïîiram fut frappé avec une équerre, d'autres disent
avec un levier.

A la troisième porte était le troisième assassin, qui


acheva le maître d'un coup de maillet.
Ces trois compagnons cachèrent ensuite le cadavre
sous un tas de décombres, et plantèrent sur cette tombe
improvisée une branche d'acacia, puis ils prirent la iuite
comme Caín après le meurtre d'Abel.
Cependant Salomon, ne voyant pas revenir son archi-
tecte , envoya neuf maîtres pour le chercher, la branche
d'acacia leur révéla le cadavre, ils le tirèrent des dé-
combres, et comme il y avait séjourné assez longtemps,
ils s'écrièrent en le soulevant : Mac bénach! ce qui signi-
fie : la chair se détache des os.
26
402 HISTOIRE DE L.\ MAGIE,

On rendit à Hiram les derniers devoirs, puis vingt-


sept maîtres furent envoyés par Salomon à la recherche

des meurtriers.
L e premier fut surpris, dans une caverne, une lampe
brûlait près de lui et un ruisseau coulait à ses pieds, un
poignard était près de lui pour sa défense; le maître qui
pénétra dans la caverne reconnut l'assassin, saisit le poi-
gnard et le frappa en criant : Nekum ! mot qui veut dire
vengeance ; sa tête fut portée à Salomon, qui frémit en
la voyant, et dit à celui qui avait tué l'assassin : Malheu-
reux, ne savais-tu pas que j e m'étais réservé le droit de
punir ? Alors tous les maîtres se prosternèrent et deman-
dèrent grâce pour celui que son zèle avait emporté trop
loin.
Le second meurtrier fut trahi par un homme qui lui
avait donné asile; il était caché dans un rocher près d'un
buisson ardent, sur lequel brillait un arc-en-ciel, un
chien était couché près de lui, les maîtres trompèrent la
vigilance du chien, saisirent le coupable, le lièrent et le
menèrent à Jérusalem, où il périt du dernier supplice.
L e troisième assassin fut tué par un lion, qu'il fallut
vaincre pour s'emparer de son cadavre, d'autres versions
disent qu'il se défendit lui-même à coups de hache con-
tre les maîtres, qui parvinrent enfin à le désarmer et le
conduisirent à Salomon, qui lui fit expier son crime.
Telle est la première légende, en voici maintenant
l'explication.
Salomon est la personnification de la science et de la
sagesse suprêmes.
L e temple est la réalisation et la figure du règne hié-
rarchique de la vérité et de la raison sur la terre.
ORIGINES MAGIQUES DE LA MAÇONNERIE. 40o

Hiram est l'homme parvenu à l'empire par la science


et par la sagesse.

11 gouverne par la justice et par l'ordre, en rendant


à chacun selon ses œuvres.
Chaque degré de l'ordre possède un mot qui en exprime
l'intelligence.
Il n'y a qu'une parole pour Hiram, mais cette parole
se prononce de trois manières différentes.
D'une manière pour les apprentis, et prononcé par
eux il signifie nature et s'explique parle travail.
D'une autre manière pour les compagnons, et chez
eux il signifie pensée en s'expliquant par l'étude.
D'une autre manière pour les maîtres, et dans leur
bouche il signifie vérité, mot qui s'explique par la sagesse.
Cette parole est celle dont on se sert pour désigner
Dieu, dont le vrai nom est indicible et incommunicable.
Ainsi il y a trois degrés dans la hiérarchie, comme il
a trois portes au temple ;
Il y a trois rayons dans la lumière;
Il y a trois forces dans la nature ;
Ces forces sont figurées par la règle qui unit, le levier
qui soulève et le maillet qui affermit.
La rébellion des instincts brutaux, contre l'aristocratie
hiérarchique de la sagesse, s'arme successivement de
ces trois forces qu'elle détourne de l'harmonie.
H y a trois rebelles typiques :
Le rebelle à la nature ;
Le rebelle à la science ;
Le rebelle à la vérité.
Us étaient figurés dans l'enfer des anciens par les trois
têtes de Cerbère.
îlOk HISTOIRE DE t'A MAGIE.

Us sont figurés dans la Bible par Goré, Dathan et


Abiron.
Dans la légende maçonnique, ils sont désignés par des
noms qui varient suivant les rites.
L e premier qu'on appelle ordinairement Abiram ou •
meurtrier d'Hiram, frappe le grand maître avec la
règle.
C'est l'histoire du juste mis à mort, au nom de la loi,
par les passions humaines.
L e second nommé Miphiboseth, du nom d'un préten-
dant ridicule et infirme à la royauté de David, frappe
Hiram avec le levier ou avec l'équerre.
C'est ainsi que le levier populaire ou l'équerre d'une
folle égalité devient l'instrument de la tyrannie entre les
mains de la multitude et attente, plus malheureusement
encore que la règle, à la royauté de la sagesse et de
la vertu.
L e troisième enfin achève Hiram avec le maillet.
Comme font les instincts brutaux, lorsqu'ils veulent
faire l'ordre au nom de la violence et de la peur en écra-
sant l'intelligence.
L a branche d'acacia sur la tombe d'Hiram est comme
la croix sur nos autels.
C'est le signe de la science qui survit à la science ;
c'est la branche verte qui annonce un autre prin-
temps.
Quand les hommes ont ainsi troublé l'ordre de la na-
ture, la Providence intervient pour le rétablir, comme
Salomon pour venger la mort d'Hiram.
Celui qui a assassiné avec la règle, meurt par le poi-
gnard.
ORIGINES MAGIQUES DE LA MAÇONNERIE. 405

Celui qui a frappé avec le levier ou l'équerre, mourra


sous la hache de la loi. G'est l'arrêt éternel des r é -
gicides.
Celui qui a triomphé avec le maillet, tombera vic-
time de la force dont il a abusé, et sera étranglé par
le lion.
L'assassin par la règle, est dénoncé par la lampe
même qui l'éclairé et par la source où il s'abreuve.
C'est-à-dire, qu'on lui appliquera la peine du talion.
L'assassin par le levier sera surpris quand sa v i g i -
lance sera en défaut comme un chien endormi, et il
sera livré par ses complices ; car l'anarchie est mère de
la trahison.
Le lion qui dévore l'assassin par le maillet, est une
des formes du sphinx d'OEdipe.
Et celui-là méritera de succéder à Hiram dans sa di-
gnité qui aura vaincu le lion.
Le cadavre putréfié d'Hiram montre que les formes
changent, mais que l'esprit reste.
La source d'eau qui coule près du premier meur-
trier, rappelle le déluge qui a puni les crimes contre la
nature.
Le buisson ardent et l'arc-en-ciel qui font découvrir le
second assassin, représentent la lumière et la vie, dénon-
çant les attentats contre la pensée.
Enfin le lion vaincu représente le triomphe de l'esprit
sur la matière et la soumission définitive de la force à
l'intelligence.
Depuis le commencement du travail de l'esprit pour
bâtir le temple de l'unité, Hiram a été tué bien des fois,
et il ressuscite toujours.
406 HISTOIRE DE LA MAGIE.

C'est Adonis tué par le sanglier, c'est Osiris assassiné


par Typhon.
C'est Pythagore proscrit, c'est Orphée déchiré par les
Bacchantes, c'est Moïse abandonné dans les cavernes
du Mont-Nébo, c'est Jésus mis à mort par Caïphe, Judas
et Pilate,
Les vrais maçons sont donc ceux qui persistent à vou-
loir construire le temple, suivant le plan d'Hiram.
Telle est la grande et principale légende de la maçon-
nerie; les autres ne sont pas moins belles et moins pro-
fondes, mais nous ne croyons pas devoir en divulguer
les mystères, bien que nous n'ayons reçu l'initiation que
de Dieu et de nos travaux, nous regardons le secret de la
haute maçonnerie comme le nôtre. Parvenus par nos
efforts à un grade scientifique qui nous impose le silence,
nous nous croyons mieux engagé par nos convictions
que par un serment. La science est une noblesse qui
oblige, et nous ne démériterons point la couronne prin-
cière des roses-croix. Nous aussi nous croyons à la résur-
rection d'Hiram !
L e s rites de la maçonnerie sont destinés à transmettre
le souvenir des légendes de l'initiation, à le conserver
parmi les frères.
On nous demandera peut-être comment, si la maçon-
nerie est si sublime et si sainte, elle a pu être proscrite
et si souvent condamnée par l'Église.
Nous avons déjà répondu à cette question, en parlant
des scissions et des profanations de la maçonnerie.
L a maçonnerie, c'est la gnose, et les faux gnostiques
ont fait condamner les véritables.
Ce qui les oblige à se cacher, ce n'est pas la crainte
ORIGINES MAGIQUES DE LA MAÇONNERIE. /407

de la lumière, la lumière est ce qu'ils veulent, ce qu'ils


cherchent, ce qu'ils adorent.
Mais ils craignent les profanateurs, c'est-à-dire, les
faux interprètes, les calomniateurs, les sceptiques au
rire stupide, et les ennemis de toute croyance et de toute
moralité.
De notre temps d'ailleurs un grand nombre d'hommes
qui se croyent francs-maçons, ignorent le sens de leurs
rites, et ont perdu la clé de leurs mystères.
Ils ne comprennent même plus leurs tableaux symboli-
ques, et n'entendent plus rien aux signes hiéroglyphi-
ques, dont sont historiés les tapis de leurs loges.
Ces tableaux et ces signes sont les pages du livre de la
science absolue et universelle.
On peut les lire à l'aide des clés kabbalistiques, et
elles n'ont rien de caché pour l'initié qui possède les
clavicules de Salomon.
La maçonnerie a non-seulement été profanée, mais
elle a servi même de voile et de prétexte aux complots
de l'anarchie, par l'influence occulte des vengeurs de
Jacques de Molay, et des continuateurs de l'œuvre
schismatique du temple.
Au lieu de venger la mort d'Hiram, on a vengé ses as-
sassins.
Les anarchistes ont repris la règle, l'équerre et le
maillet, et ont écrit dessus liberté, égalité, fraternité.
C'est-à-dire liberté pour les convoitises, égalité dans
la bassesse, et fraternité pour détruire.
Voilà les hommes que l'Église a condamnés juste-
ment et qu'elle condamnera toujours !
LIVRE VI
t A MAGIE ET LA RÉVOLUTION.

1, Waou.

CHAPITRE PREMIER.

AUTEURS REMARQUABLES DU XVIII e


SIÈCLE.

SOMMAIRE. — Importantes découvertes en Chine. — Les livres kabba-


listiques d e fo-hi — L'y-Kun et les trigrammes. — Kong-Fu-Tzée et
fo. — L e s jésuites et les théologiens. — Mouvement des esprits en
Europe. — Swedenborg et Mesmer.

Jusqu'à la fin du x v n siècle, la Chine était à peu près


e

inconnue au reste du monde. C'est seulement à cette


époque que ce vaste empire, exploré par nos mission-
naires, nous est révélé par eux, et nous apparaît comme
une nécropole tle toutes les sciences dupasse. Les Chinois
semblent être un peuple de momies. Rien ne progresse
chez eux, et ils vivent dans l'immobilité de leurs tradi-
tions dont l'esprit et la vie se sont retirés depuis long-
temps. I l s ne savent plus rien, mais ils se souviennent
vaguement de tout. Le génie de la Chine est le dragon
des Hespérides qui défend les pommes d'or du jardin de
la science. Leur type humain de la divinité, au lieu de
vaincre le dragon comme Cadmus, s'est accroupi, fasciné
et magnétisé par le monstre qui fait miroiter devant lui
le reflet changeant de ses écailles. Le mystère seul
L E GRAND A R C A N E HERMÉTIQUE
suivant Rasile Valentin.
AUTEURS REMARQUABLES DU XVIII e
SIÈCLE. 409

est vivant en Chine, la science est en léthargie, ou du


moins elle dort profondément et ne parle jamais qu'en
rêve.
Nous avons dit que la Chine possède un tarot calculé
sur les mêmes données kabbalistiques et absolues que
le Sepher Jézirah des Hébreux, elle possède aussi un li-
vre hiéroglyphique composé uniquement des combinai-
sons de deux figures, ce livre est Yy-Kim attribué à
l'empereur Fo-hi, et M. de Maison, dans ses Lettres
sur la Chine, le déclare parfaitement indéchiffrable.
Il ne l'est pourtant pas plus que le Sohar dont il paraît
être un complément fort curieux, et un précieux appen-
dice. Le Sohar est l'explication du travail de la balance
ou de l'équilibre universel : l'y-Rim en est la démonstra-
tion hiéroglyphique et chiffrée.
La clé de ce livre est ûn pantacle connu sous le nom
des Trigrammes de Fo-hi. Suivant la légende rapportée
dans le Vay-Ky, recueil d'une grande autorité en Chine,
et qui fut composé par L é o n - ï a o - Y u e n , sous la dynastie
des Soms, il y a sept ou huit cents ans, l'empereur Fo-hi
méditant un jour au bord d'une rivière sur les grands
secrets de la nature, vit sortir de l'eau un sphinx, c'est-
à-dire, un animal allégorique ayant la forme mixte d'un
cheval et d'un dragon. Sa tête était allongée comme celle
du cheval, il avait quatre pieds et finissait par une queue
de serpent; son dos était couvert d'écaillés et sur chacune
de ses écailles brillait la figure des mystérieux Trigram-
mes, plus petits vers les extrémités, plus larges sur sa
poitrine et sur le dos, mais en parfaite harmonie les uns
avec les autres. Ce dragon se mirait dans l'eau, et son
reflet avait les mêmes formes, et portait les mêmes
kiO HISTOIRE DE LA MAGIE.

images que lui, mais en sens inverse des formes et des


images réelles. Ce cheval serpent, inspirateur ou plutôt
porteur d'inspirations comme le Pégase de la mytholo-
gie grecque, symbole de la vie universelle, comme le
serpent de kronos, initia Fo-hi à la science universelle.
Les Trigrammes lui servirent d'introduction, il compta
les écailles du cheval-serpent, et combínales Trigrammes
en autant de manières qu'il conçut une synthèse des
sciences comparées et unies entre elles par les harmo-
nies préexistantes et nécessaires de la nature ; la rédac-
tion des tables de l'y-Kim fut le résultat de cette merveil-
leuse combinaison. Les nombres de Fo-hi sont les mêmes
que ceux de la haute kabbale, son pantacle est analo-
gue à celui de Salomon, comme nous l'avons expliqué
dans notre dogme et rituel de la haute magie; ses tables
correspondent aux trente-deux voies et aux cinquante
portes de la lumière, et l'y-Kim ne saurait avoir d'ob-
scurité pour les sages kabbalistes qui ont la clé du sepher
Jézirah et du Sohar.
La science de la philosophie absolue a donc existé en
Chine. Les Kims ne sont que les commentaires de cet
absolu caché aux profanes, et ils sont à l'y-Kim ce que
le Pentateuque de Moïse est aux révélations du Siphra
de Zéniuta, qui est le livre des mystères, et la clé du
Sohar chez les Hébreux. Koug-fu-tzée, ou Confucius,
n'eût été que le révélateur ou révoilateur de cette kab-
bale qu'il eût niée peut-être pour en détourner les
recherches des profanes, comme le savant Talmudiste
Maïmonides nia les réalités de la clavicule de Salomon,
puis vint le matérialiste Fo, qui substitua les traditions
de la sorcellerie indienne aux souvenirs de la haute magie
AUTEURS REMARQUABLES DU XVIII e
SIÈCLE. 411

des Égyptiens. Le culte de Fo paralysa en Chine le pro-


grès des sciences, et la civilisation avortée de ce grand
peuple tomba dans la routine et dans l'abrutissement.
Un philosophe d'une admirable sagacité et d'une
grande profondeur, le sage Leibnitz, qui eût été si digne
d'être initié aux vérités suprêmes de la science absolue,
croyait voir dans l'y-Kim sa propre invention de l'arith-
métique binaire, et dans la ligne droite et la ligne brisée
de Fo-hi, il retrouvait les caractères 1 0, employés par
lui-même dans ses calculs; il était bien près de la vérité,
mais il ne l'entrevoyait que dans un de ses détails, il ne
pouvait en embrasser l'ensemble.
Des disputes théologiques ont été l'occasion des recher-
ches les plus importantes sur les antiquités religieuses
de la Chine. Il s'agissait de savoir si les jésuites avaient
raison de tolérer chez les Chinois convertis au christia-
nisme le culte du ciel et celui des ancêtres ; en d'autres
termes, si l'on devait croire que par le ciel les lettrés de
la Chine entendaient Dieu ou simplement l'espace et la
nature. Il était tout naturel de s'en rapporter aux lettrés
eux-mêmes et au bon sens public, mais ce ne sont pas là
des autorités théologiques; on argumenta donc, on écrivit
beaucoup, on intrigua davantage, les jésuites qui avaient
raison pour le fond,furent convaincus d'avoir tort pour
la forme, et on leur créa de nouvelles difficultés qui ne
sont pas surmontées encore et qui font de nos jours
même couler en Chine le sang de nos infatigables
martyrs.
Pendant qu'on disputait ainsi à la religion ses conquê-
tes en Asie, une immense inquiétude agitait l'Europe. La
foi chrétienne semblait prête à s'y éteindre et il n'était
[\ 12 HISTOIRE DE LA MAGIE.

bruit de tous côtés que de révélations nouvelles et de


miracles. Un homme sérieusement posé dans la science
et dans le monde, Emmanuel Swedenborg, étonnait la
Suède par ses visions et l'Allemagne était pleine de nou-
veaux illuminés; le mysticisme dissident conspirait pour
remplacer les mystères de la religion hiérarchique par
les mystères de l'anarchie ; une imminente catastrophe se
préparait.
Swedenborg, le plus honnête et le plus doux des pro-
phètes du faux illuminisme , n'était pas pour cela moins
dangereux que les autres. Prétendre, en effet, que tous
les hommes sont appelés à communiquer directement
avec le ciel, c'est remplacer l'enseignement religieux
régulier et l'initiation progressive par toutes les diva-
gations de l'enthousiasme et toutes les folies de l'imagi-
nation et des rêves. Les illuminés intelligents sentaient
bien que la religion étant un des grands besoins de l'hu-
manité, on ne la détruira jamais; aussi voulaient-ils se
faire de la religion même et du fanatisme qu'elle en-
traîne par une conséquence fatale de l'enthousiasme in-
spiré à l'ignorance, des armes pour détruire l'autorité hié-
rarchique de l'Église, comptant bien voir sortir des
conflits du fanatisme une hiérarchie nouvelle dont ils es-
péraient être les fondateurs et les chefs.
« Vous serez comme des dieux, connaissant tout sans
avoir eu la peine de rien apprendre; vous serez comme
des rois, possédant tout sans avoir eu la peine de rien
acquérir. »
Telles sont en résumé les promesses de l'esprit révolu-
tionnaire aux multitudes envieuses. L'esprit révolution-
naire, c'est l'esprit de mort, c'est l'ancien serpent de la
AUTEURS REMARQUABLES DU XV111* SIECLE. 413

Genèse, et cependant c'est le père du mouvement et du


progrès, puisque les générations ne serenouvellentque par
la mort ; c'est pour cela que les Indiens adoraient Schiva,
l'impitoyable destructeur, dont la forme symbolique
était celle de l'amour physique et de la génération m a -
térielle.
Le système de Swedenborg n'est autre chose que la
kabbale, moins le principe de la hiérarchie ; c'est le
temple sans clef de voûte et sans fondement; c'est un im-
mense édifice, heureusement tout fantastique et aérien,
car si l'on avait jamais tenté de le réaliser sur la terre,
il tomberait sur la tête du premier enfant qui essayerait,
nous ne dirons pas de l'ébranler, mais de s'appuyer seule-
ment contre une de ses principales colonnes.
Organiser l'anarchie, tel est le problème que les ré-
volutionnaires ont et auront éternellement à résoudre;
c'est le rocher de Sisyphe qui retombera toujours sur
eux ; pour exister un seul instant ils sont et seront tou-
jours fatalement réduits à improviser un despotisme sans
autre raison d'être que la nécessité, et qui, par consé-
quent, est violent et aveugle comme elle. On n'échappe à
la monarchie harmonieuse de la raison, que pour tomber
sous la dictature désordonnée de la folie.
L e moyen proposé indirectement par Swedenborg,
pour communiquer avec le monde surnaturel, était un
état intermédiaire qui tient du rêve, de l'extase et de la
catalepsie. L'illuminé suédois affirmait la possibilité de
cet état, mais il ne donnait pas la théorie des pratiques
nécessaires pour y arriver; peut-être ses disciples, pour
combler cette lacune, eussent-ils recouru au rituel magi-
que de l'Inde, lorsqu'un homme de génie vint compléter
/|14 HISTOIRE DE LA MAGIE.

par une thaumaturgie naturelle les intuitions prophétiques


et kabbalistiques de Swedenborg. Cet homme était un
médecin allemand, nommé Mesmer.
Mesmer eut la gloire de retrouver, sans initiateur et
sans connaissances occultes, l'agent universel de la vie
et de ses prodiges ; ses Aphorismes ( 1 ) , que les savants
de son temps devaient regarder comme autant de para-
doxes, deviendront un jour les bases de la synthèse phy-
sique.
Mesmer reconnaît dans l'être naturel deux formes, qui
sont la substance et la vie, d'où résultent la fixité et le
mouvement qui constituent l'équilibre des choses.
Il reconnaît l'existence d'une matière première flui-
dique, universelle, capable de fixité et de mouvement,
qui, en se fixant, détermine la constitution des substances,
et qui, se mouvant toujours, modifie et renouvelle les
formes.
Cette matière fluidique est active et passive : comme
passive elle s'attire elle-même, comme active elle se
projette.
Par elle les mondes et les êtres vivants qui peuplent
les mondes, s'attirent et se repoussent; elle passe des uns
aux autres par une circulation comparable à celle du
sang.
Elle entretient et renouvelle la vie de tous les êtres,
elle est l'agent de leur force et peut devenir l'instrument
de leur volonté. '
Les prodiges sont les résultats des forces ou des vo-
lontés exceptionnelles.
(1) Mesmer, Mémoires et aphorismes, suivis des procédés d'Eslon,
nouvelle édition, 1846, 1 vol. gr. in-18.
AUTEURS REMARQUABLES DU X V I I I e
SIECLE. 415

Les phénomènes de cohésion, d'élasticité, de densité


ou de subtilité des corps, sont produits par les diverses
combinaisons des deux propriétés du fluide universel
ou de la matière première.
La maladie, comme tous les désordres physiques, vient
d'un dérangement de l'équilibre normal de la matière
première dans un corps organisé.
Les corps organisés sont ou sympathiques ou antipa-
thiques les uns aux autres, par suite de leur équilibre
spécial.
Les corps sympathiques peuvent se guérir les uns les
autres, en rétablissant mutuellement leur équilibre.
Cette propriété des corps de s'équilibrer les uns les
autres par l'attraction ou la projection de la matière pre-
mière, Mesmer la nomme magnétisme, et comme elle se
spécifie suivant les spécialités des êtres, lorsqu'il en étu-
die les phénomènes dans les êtres animés, il la nomme
magnétisme animal.
Mesmer prouva sa théorie par des œuvres, et ses expé-
riences furent couronnées d'un plein succès.
Ayant observé l'analogie qui existe entre les phéno-
mènes du magnétisme animal et ceux de l'électricité, il fit
usage de conducteurs métalliques, aboutissant à un réser-
voir commun qui contenait de la terre et de l'eau, pour
absorber et pour projeter les deux forces ; on a depuis
abandonné l'appareil compliqué des baquets, qu'on peut
remplacer par une chaîne vivante de mains superposées
à un corps circulaire et mauvais conducteur comme le
bois d'une table, l'étoffe de soie ou de laine d'un cha-
peau, etc.

Il appliqua ensuite aux êtres vivants et organisés les


416 HISTOIRE DE LA MAGIE.

procédés de l'aimantation métallique, et il acquit la cer-


titude de la réalité et de la similitude des phénomènes
qui s'ensuivirent.
Un seul pas lui restait à faire, c'était de déclarer que
les effets attribués en physique aux quatre fluides im-
pondérables sont les manifestations diverses d'une seule
et même force diversifiée par ses usages, et que cette
force inséparable de la matière première et universelle
qu'elle fait mouvoir, tantôt splendide, tantôt ignée, tantôt
électrique et tantôt magnétique, n'a qu'un seul nom in-
diqué par Moïse dans la Genèse, lorsqu'il la fait appa-
raître à l'appel du Tout-Puissant, avant toutes les sub-
stances et avant toutes les formes : LA LUMIÈRE; T I N >NM
Et maintenant ne craignons pas de le dire d'avance,
car on le reconnaîtra plus tard.
La grande chose du xvin e
siècle, ce n'est pas l'ency-
clopédie, ce n'est pas la philosophie ricaneuse et dérisoire
de Voltaire, ce n'est pas la métaphysique négative de
Diderot et de d'Àlembert, ce n'est pas la philanthropie
haineuse de Rousseau ; c'est la physique sympathique et
miraculeuse de Mesmer ! Mesmer est grand comme Pro-
méthée, il a donné aux hommes le feu du ciel que Fran-
klin n'avait su que détourner.
Il ne manqua au génie de Mesmer, ni la sanction de
la haine, ni la consécration des persécutions et des in-
jures; il avait été chassé de l'Allemagne, on se moqua
de lui en France, tout en lui faisant une fortune, car ses
guérisons étaient évidentes et les malades allaient à lui
et le payaient, puis se disaient guéris par hasard, pour
ne pas attirer sur eux l'animadversion des savants. Les
corps constitués ne firent pas même au thaumaturge
A U T E U R S R E M A R Q U A B L E S DU XVIII E
SIÈCLE. &17

l'honneur d'examiner sa découverte et le grand homme


dut se résigner à passer pour un adroit charlatan.
Les savants seuls n'étaient pas hostiles au mesmé-
risme, les hommes sincèrement religieux s'alarmaient
des dangers de la découverte nouvelle, et les supersti-
tieux criaient au scandale et à la magie. Les sages pré-
voyaient les abus, les insensés n'admettaient pas même
l'usage de cette merveilleuse puissance. N'allait-on pas
au nom du magnétisme nier les miracles du Sauveur et
de ses saints, disaient les uns; que va devenir la puis-
sance du diable, disaient les autres? Et pourtant la reli-
gion qui est vraie, ne doit craindre la découverte d'au-
cune vérité ; d'ailleurs, en donnant la mesure de la puis-
sance humaine, le magnétisme ne donne-t-il pas aux
miracles divins une sanction nouvelle, au lieu de les dé-
truire? Il est vrai que les sots attribueront au diable moins
de prodiges, ce qui leur laissera moins d'occasions d'exer-
cer leur haine et leurs fureurs; mais ce ne sont certai-
nement pas les personnes d'une véritable piété qui son-
geront jamais à s'en plaindre : le diab'e doit perdre du
terrain quand la lumière se fait et quand l'ignorance
se retire ; mais les conquêtes de la science et de la lu-
mière étendent, affermissent et font aimer de plus en
plus au monde l'empire et la gloire de Dieu !

27


HISTOIRE DE LA MÂGÎE.

CHAPITRE II.

PERSONNAGES MERVEILLEUX DU XVIII E


SIÈCLE.

SOMMAIRE. — Le comte de Saint-Germain. — L'adepte Lascaris et le


grand Cophte dit le médecin Joseph Balsamo. — Le baron du Phénix
et le comte de Cagliostro.

L e XVIII siècle n'a eu de crédulité que pour la magie,


6

car les croyances vagues sont la religion des âmes sans


foi ; on niait les miracles de Jésus-Christ et l'on attribuait
des résurrections au comte de Saint-Germain. Ce singulier
personnage était un théosophe mystérieux qu'on faisait
passer pour avoir les secrets du grand œuvre et pour
fabriquer des diamants et des pierres précieuses ; c'était
d'ailleurs un homme du monde, d'une conversation agréa-
le et d'une grande distinction dans ses manières. Ma-
dame de Genlis, qui, pendant son enfance, le voyait pres-
que tous les jours, assure qu'il savait donner même à des
pierreries qu'il représentait en peinture, tout leur éclat
naturel et un feu dont aucun chimiste ni aucun peintre
ne pouvait deviner le secret; avait-il trouvé le moyen
de fixer la lumière sur la toile, ou employait-il quelque
préparation de nacre ou quelque incrustation métallique?
c'est ce qu'il nous est impossible de savoir, puisqu'il ne
nous reste aucune de ces peintures merveilleuses.
L e comte de Saint-Germain faisait profession de la
religion catholique, et en observait les pratiques avec
une grande fidélité ; on parlait cependant d'évocations
suspectes et d'apparitions étranges, il se flattait de pos-
séder le secret de la jeunesse éternelle. Était-ce mysti-
PERSONNAGES MERVEILLEUX DU XVHI 6
SIÈCLE. !\\ 9
cisme, était-ce folie? Personne ne connaissait sa famille,
et à l'entendre causer des choses du temps passé, il sem-
blait qu'il eût vécu plusieurs siècles ; il parlait peu de tout
ce qui se rapportait aux sciences occultes, et lorsqu'on lui
demandait l'initiation, il prétendait ne rien savoir ; il
choisissait lui même ses disciples, et leur demandait tout
d'abord une obéissance passive, puis il leur parlait d'une
royauté à laquelle ils étaient appelés, celle de Melchisé-
dech et de Salomon, la royauté des initiés qui est aussi
un sacerdoce. « Soyez le flambeau du monde, disait-il ;
si votre lumière n'est que celle d'une planète, vous ne
serez rien devant Dieu : je vous réserve une splendeur
dont celle du soleil n'est que l'ombre, alors vous diri-
gerez la marche des étoiles, et vous gouvernerez ceux
qui régnent sur les empires. »
Ces promesses, dont la signification bien comprise n'a
rien qui puisse étonner les véritables adeptes, sont rap-
portées, sinon textuellement, du moins quant au sens des
paroles, par l'auteur anonyme d'une Histoire des sociétés
secrètes en Allemagne, et suffisent pour faire compren-
dre à quelle initiation appartenait le comte de Saint-
Germain.
Yoici maintenant quelques détails jusqu'à présent in-
connus sur cet illuminé :
Il était né à Lentmeritz, en Bohême, à la fin du
xvn siècle, il était fils naturel ou adoptif d'un rose-croix
e

qui se faisait appeler Cornes cabalicus, le compagnon ca-


baliste, et qui fut tourné en ridicule sous le nom de
comte de Gabalis, par le malheureux abbé de Villars ;
jamais Saint-Germain ne parlait de son père. A l'âge de
sept ans, disait-il, j'étais proscrit et j'errais avec ma
420 HISTOIRE DE LA MAGIE.

mère dans les forêts. Cette mère dont il voulait parier,


c'était la science des adeptes ; son âge de sept ans est
celui des initiés promus au grade de maîtres ; les forêts
sont les empires dénués, suivant les adeples, de la vraie
civilisation et de la vraie lumière. Les principes de
Saint-Germain étaient ceux des roses-croix, et il avait
fondé dans sa patrie une société dont il se sépara dans
la suite quand les doctrines anarchiques prévalurent
dans les associations des nouveaux sectateurs de la
gnose. Aussi fut-il désavoué par ses frères, accusé même
de trahison, et quelques auteurs de mémoires sur l'illumi-
nisme semblent insinuer qu'il fut précipité dans les ou-
bliettes du château de Ruel. Madame de Genlis, au
contraire, le fait mourir dans le duché de Holstein, tour-
menté par sa conscience et agité par les terreurs de
l'autre vie. Ce qui est certain, c'est qu'il disparut tout à
coup de Paris, sans qu'on pût savoir bien au juste où il
s'était retiré, et que les illuminés laissèrent tomber, au-
tant que cela leur fut possible, sur sa mémoire le voile
du silence et de l'oubli. La société qu'il avait fondée sous
le titre de Saint-Jakin, donton afait Saint-Joachim, dura
jusqu'à la révolution et disparut alors ou se transforma,
comme tant d'autres. Voici, au sujet de cette société,
une anecdote qu'on trouve dans les pamphlets hostiles
à l'illuminisme ; elle est extraite d'une correspondance
deVienne. Tout cela, comme on le voit, n'a rien de bien
authentique ni de bien certain. Voici toutefois l'anec-
dote : ,

« J'ai été fort bien accueilli, à votre recommandation,


par M. N. Z 11 était déjà prévenu de mon arrivée.
L'harmonica eut toute son approbation. Il me parla
PERSONNAGES MERVEILLEUX DU XVIII e
SIECLE. &21

d'abord de certains essais particuliers auxquels je ne


compris rien du tout ; ce n'est que depuis peu que mon
intelligence peut y suffire. Hier, vers le soir, il me con-
duisit à sa campagne, dont les jardins sont fort beaux.
Des temples, des grottes, des cascades, des labyrinthes,
des souterrains procurent à l'œil une longue suite d'en-
chantements; mais un mur très haut qui environne ces
beautés me déplut infiniment, il dérobe à l'œil un site
enchanteur
« J'avais emporté Yharmonica, d'après l'invitation de
M. N. Z., afin d'en toucher, seulement pendant quel-
ques minutes, dans un lieu désigné et à un signe con-
venu. Il me conduisit, après notre visite dans le jardin,
à une salle sur le devant de la maison, et me quitta bientôt
sous quelque prétexte. Il était fort tard : je ne le voyais
point revenir ; l'ennui et le sommeil commençaient à me
gagner, lorsque je fus interrompu par l'arrivée de plu-
sieurs carrosses. J'ouvris la fenêtre : il était nuit, je ne pus
rien voir ; je compris encore moins le chuchotage bas et
mystérieux de ceux qui paraissaient entrer dans la mai-
son. Bientôt le sommeil s'empara tout à fait de moi; et,
après avoir dormi environ une heure, je fus réveillé en
sursaut par un domestique envoyé pour me guider et por-
ter l'instrument. Il marchait très vite et fort loin devant
moi; je le suivais assez machinalement, lorsque j'enten-
dis des sons de trompettes qui me paraissaient sortir des
profondeurs d'une cave ; à cet instant, je perdis de vue
mon guide ; et m'avançant du côté où le bruit paraissait
venir, je descendis à moitié l'escalier d'un caveau qui
s'offrit devant moi. Jugez de ma surprise! On y psalmo-
diait un chant funèbre. J'aperçus distinctement un ca-
&22 HISTOIRE DE LA MAGIE.

davre dans un cercueil ouvert ; à côté, un homme vêtu de


blanc paraissait rempli de sang ; il me parut qu'on lui
avait ouvert une veine au bras droit. A l'exception de
ceux qui lui prêtaient leur ministère, les autres étaient
enveloppés dans de longs manteaux noirs, avec l'épée
nue à la main. Autant que la terreur dont j'étais frappé
me permit d'en juger, il y avait à l'entrée du caveau des
monceaux d'ossements humains entassés l'un sur l'autre.
La lumière qui éclairait ce spectacle lugubre me parut
produite par une flamme semblable à celle de l'esprit
devin brûlant.
» Incertain si je pourrais rejoindre mon guide, je me
hâtai de me retirer ; je le trouvai précisément à quelques
pas de là qui me cherchait ; il avait l'œil hagard, il me
prit la main avec une sorte d'inquiétude, et m'entraîna
à sa suite dans un jardin particulier où je me crus trans-
porté par l'effet de la magie. La clarté que répandait
un nombre prodigieux de lampions, le murmure des cas-
cades, le chant des rossignols artificiels, le parfum qu'on
y respirait exaltèrent d'abord mon imagination. Je fus
placé derrière un cabinet de verdure dont l'intérieur
était richement décoré, et dans lequel on transporta im-
médiatement une personne évanouie (vraisemblablement
celle qui paraissait dans un cercueil au caveau) ; aussitôt
on me fit le signal de toucher mon instrument.
» Excessivement ému pendant cette scène, beaucoup de
choses ont dû m'échapper (1) ; j'observai cependant que

(1) Le néophyte dont il est question dans cette lettre, et qui fut pris
pour un cadavre, était dans l'état de somnambulisme produit par le
magnétisme. A propos du cabinet de verdure dont il est question, et des
effets de Y harmonica, on peut consulter un ouvrage curieux, Histoire
PERSONNAGES MERVEILLEUX DU X V I I I e
SIÈCLE. /[23

l'individu évanoui revint à lui aussitôt que j'eus touché


l'instrument, et qu'il fit ces interrogations avec surprise :
Où suis-je?... quelle voix entends-je?... Des jubila-
tions d'allégresse accompagnées de trompettes et de
timbales furent la seule réponse ; on courut aux armes et
l'on s'enfonça dans l'intérieur du jardin où je vis tout le
monde disparaître.
» Je vous écris ceci encore tout agité.... Si je n'avais
pris la précaution* de noter cette scène sur-le-champ, je
la prendrais aujourd'hui pour un rêve. »
Ce qu'il y a de plus inexplicable dans cette scène, c'est
la présence du profane qui la raconte. Gomment l'asso-
ciation pouvait-elle s'exposer ainsi à la divulgation de ses
mystères? Il nous est impossible de répondre à cette
question, mais pour ce qui est des mystères eux-mêmes,
nous pouvons facilement les expliquer.
Les successeurs des anciens roses-croix, dérogeant
peu à peu de la science austère et hiérarchique de leurs
ancêtres en initiation, s'étaient érigés en secte mystique ;
ils avaient accueilli avec empressement les dogmes ma-
giques des templiers, et se croyaient seuls dépositaires
des secrets de l'Évangile de saint Jean ; ils voyaient dans
les récits de l'Évangile une série allégorique de rites
propres à compléter l'initiation, et croyaient que l'his-
toire du Christ devait se réaliser dans la personne de
chacun des adeptes ; ils racontaient une légende gno-

critique du magnétisme animal, par Deleuze, 2 édit., 1819, 2 vol. in-8;


e

il contient des notices fort piquantes sur la chaîne et le baquet magné-


tiques, les arbres magnétisés, la musique, la voix du magnétiseur, et
l'instrument qu'il emploie. L'auteur est d'ailleurs un partisan du mes-
mérisme, ce qui ne rend pas ses opinions suspectes.
424 HISTOIRE DE LA MAGIE.

stique suivant laquelle le Sauveur, environné de parfums


et de bandelettes, n'aurait point été renfermé dans le
sépulcre neuf de Joseph d'Arimathie, et serait revenu
à la vie dans la maison même de saint Jean. C'était ce
prétendu mystère qu'ils célébraient au son de l'harmo-
nica et des trompettes. Le récipiendaire était invité à
faire le sacrifice de sa vie, et subissait, en effet, une sai-
gnée qui lui procurait un évanouissement ; cet évanouis-
sement, on lui disait que c'était la mort, et lorsqu'il reve-
nait à lui, des fanfares d'allégresse et des cris de triom-
phe célébraient sa résurrection. Ces émotions diverses,
ces scènes tour à tour lugubres et brillantes, devaient
impressionner à jamais son imagination et le rendre
fanatique ou voyant. Plusieurs croyaient à une résurrec-
tion réelle et se croyaient assurés de ne plus mourir. Les
chefs de l'association mettaient ainsi au service de leurs
projets cachés le plus redoutable de tous les instruments,
la folie, et s'assuraient de la part de leurs adeptes un de
ces dévouements fatals et infatigables que la déraison
produit plus souvent et plus sûrement que l'amitié.
La secte du Saint-Jakin était donc une société de
gnostiques adonnée aux illusions de la magie fascina-
trice, elle tenait des roses-croix et des templiers, son
nom du Saint-Jakin venait de l'un des deux noms gravés
en initiales sur les deux principales colonnes du temple
de Salomon, Jakin et Bohas. L'initiale de Jakin en hébreu
est le Jod, lettre sacrée de l'alphabet hébreu, initiale du
nom de Jéhova que celui de Jakin sert à voiler aux pro-
fanes, c'est pourquoi on la nommait le Saint-Jakin.
Les saint-jakinites étaient des théosophes qui s'occu-
paient beaucoup trop de théurgie.
PERSONNAGES MERVEILLEUX DU XVIlf SIÈCLE. 425

Tout ce qu'on raconte du mystérieux comte de Saint-


Germain donne lieu de croire que c'était un physicien
habile et un chimiste distingué : on assure qu'il possédait
le secret de souder ensemble les diamants sans qu'on
pût apercevoir aucune trace du travail ; il avait l'art
d'épurer les pierreries et de donner ainsi un grand prix
aux plus imparfaites et aux plus communes ; l'auteur
imbécile et anonyme que nous avons déjà cité, lui ac-
corde bien ce talent, mais nie qu'il ait jamais fait'd'or,
comme si l'on ne faisait pas de l'or en faisant des pierres
précieuses. Saint-Germain inventa aussi, suivant le
même auteur, et légua aux sciences industrielles l'art de
donner au cuivre plus d'éclat et de ductilité, autre inven-
tion qui suffisait pour faire la fortune de son auteur. De
pareilles œuvres doivent faire pardonner au comte de
Saint-Germain d'avoir beaucoup connu la reine Cléopâ-
tre, et d'avoir même causé familièrement avec la reine
de Saba. C'était d'ailleurs un bon et galant homme qui
aimait les enfants, et sè plaisait à leur fabriquer lui-
même des bonbons délicieux et de merveilleux joujoux ;
il était brun et de petite taille, toujours vêtu richement,
mais avec beaucoup de goût, et se plaisant d'ailleurs à
tous les raffinements du luxe. On assure que le roi
Louis XV le recevait familièrement, ets'occupait avec lui
de diamants et de pierreries. Il est probable que ce mo-
narque entièrement dominé par des courtisanes et ab-
sorbé par ses plaisirs, céda, en invitant Saint-Germain
à quelques audiences particulières, plutôt à quelque ca-
price de curiosité féminine qu'à un amour sérieux pour
la science. Saint-Germain fut un moment à la mode, et 1

comme c'était un aimable et jeune vieillard qui savait


426 HISTOIRE DE LA MAGIE.

unir le babil d'un roué aux extases d'un théosophe, il fit


fureur dans certains cercles, puis fut bientôt remplacé
par d'autres fantaisies ; ainsi va le monde.
On a dit que Saint-Germain n'était autre que ce mys-
térieux Althotas qui fut le maître en magie d'un adepte,
dont nous allons bientôt nous occuper, et qui prenait le
nom kabbalistique à'Jcharat ; rien n'est moins fondé que
cette supposition, comme nous le verrons en étudiant ce
nouveau personnage.
Pendant que le comte de Saint-Germain était à la
mode à Paris, un autre adepte mystérieux parcouraitle
monde en recrutant des apôtres pour la philosophie
d'Hermès : c'était un alchimiste qui se faisait appeler
Lascaris, et se disait archimandrite d'Orient, chargé de
recueillir des aumônes pour un couvent grec ; seulement,
au lieu de demander l'aumône, Lascaris semblait suer de
l'or, et en laissait partout une traînée après lui. Partout
il ne faisait qu'apparaître, et ses apparitions changeaient
de formes ; ici il se montrait vieux, ailleurs il était en-
core jeune ; il ne faisait pas lui-même de l'or publique-
ment, mais il en faisait faire par ses disciples auxquels il
laissait en les quittant un peu de poudre de projection.
Rien de plus avéré et de mieux établi que les transmu-
tations opérées par les émissaires de Lascaris. M. Louis
Figuier, dans son savant ouvrage sur lesalchimistes, n'en
révoque en doute ni la réalité ni l'importance. Or,
comme il n'y a rien, surtout en physique, de plus inexora-
ble que les faits, il faudrait donc conclure de ceux-là, que
la pierre philosophale n'est pas une rêverie, si l'im-
mense tradition de l'occultisme, si les mythologies an-
ciennes, si les travaux sérieux des plus grands hommes
PERSONNAGES MERVEILLEUX DU X V I I I e
SIÈCLE. 427

de tous les âges n'en démontraient pas d'ailleurs suffi-


samment l'existence et la réalité.
Un chimiste moderne, qui s'est empressé de publier
son secret, est parvenu à tirer de l'or de l'argent par un
procédé ruineux, car l'argent détruit par lui ne rend en
or que le dixième ou environ de sa valeur. Agrippa, qui
n'est jamais arrivé à la découverte du dissolvant univer-
sel, avait été cependant plus heureux que notre chimiste,
car il avait trouvé en or une valeur équivalente à celle de
l'argent employé, il n'avait donc perdu absolument que
son travail, si c'est le perdre que de l'employer à la re-
cherche des grands secrets de la nature.
Engager par l'attrait de l'or les hommes à des recher-
ches qui les conduiraient à la philosophie absolue, tel
paraît avoir été le but de la propagande de Lascaris,
l'étude des livres hermétiques devant ramener néces-
sairement les hommes d'étude à la connaissance de la
kabbale. Les initiés, en effet, pensaient au x v m e
siècle
que leur temps était venu, les uns pour fonder une hié-
rarchie nouvelle, les autres pour renverser toute autorité
et promener sur toutes les sommités de l'ordre social le
niveau égalitaire. Les sociétés secrètes envoyaient leurs
éclaireurs à travers le monde pour sonder et réveiller au
besoin l'opinion : après Saint-Germain et Lascaris, Mes-
mer; après Mesmer, Cagliostro. Mais tous n'étaient pas
de la même école : Saint-Germain était l'homme des illu-
minés théosophes, Lascaris représentait les naturalistes
attachés à la tradition d'Hermès.
Cagliostro était l'agent des templiers, aussi écrivait-il
dans une circulaire adressée à tous les francs-maçons de
Londres, que le temps était venu de mettre la main à
/¡28 HISTOIRE DE LA MAGIE.

l'œuvre pour reconstruire le temple de l'Éternel. Comme


les templiers, Cagliostro s'adonnait aux pratiques de la
magie noire, et pratiquait la science funeste des évoca-
tions; il devinait le passé et le présent, prédisait l'ave-
nir, faisait des cures merveilleuses et prétendait aussi
faire de l'or. Il avait introduit dans la maçonnerie un
nouveau rite qu'il nommait rite, égyptien, et il essayait
de ressusciter le culte mystérieux d'Isis. Lui-même, la
tête entourée de bandelettes et coiffé comme un sphinx
de Thèbes, il présidait des solennités nocturnes dans des
appartements pleins d'hiéroglyphes et de flambeaux. Il
avait pour prêtresses des jeunes filles qu'il appelait des
colombes, et qu'il exaltait jusqu'à l'extase pour leur faire
rendre des oracles au moyen de l'hydromancie, l'eau
étant un excellent conducteur, un puissant réflecteur et
un milieu très réfringent pour la lumière astrale, comme
le prouvent les mirages de la mer et des nuages.
Cagliostro, comme on le voit, continuait Mesmer, et
avait retrouvé la clef des phénomènes de médiomanie ;
lui même était un médium, c'est-à-dire un homme d'une
organisation nerveuse exceptionnellement impression-
nable; il joignait à cela beaucoup de finesse et d'aplomb,
l'exagération publique et l'imagination des femmes sur-
tout faisaient le reste. Cagliostro eut un succès fou ; on se
l'arrachait, son buste était partout avec cette inscri-
ption : le divin Cagliostro, On put dès ce moment prévoir
une réaction égale à cette vogue : après avoir été un
dieu, Cagliostro devint un intrigant, un charlatan, un
proxénète de sa femme, un scélérat enfin, auquel l'in-
quisition de Rome crut faire grâce en'le condamnant
seulement à une prison perpétuelle. Ce qui fit croire qu'il
PERSONNAGES MERVEILLEUX BU XVIII e
SIECLE. /]29

vendait sa femme, c'est que sa femme le vendit. Il fut


amené et pris dans un piège, on lui fit son procès et l'on
publia de ce procès ce qu'on voulut. La révolution arriva
sur ces entrefaites, et tout le monde oublia Cagliostro.
Cet adepte n'est cependant pas sans importance dans
l'histoire de la magie ; son sceau est aussi important que
celui de Salomon, et atteste son initiation aux secrets les
plus relevés delà science. Ce sceau, expliqué par les let-
tres kabbalistiques des noms d'Acharat et d'Althotas,
exprime les principaux caractères du grand arcane et du
grand œuvre. C'est un serpent percé d'une flèche, figu-
rant la lettre aleph, N , image de l'union de l'actif et du
passif, de l'esprit et de la vie, de la volonté et de la
lumière. La flèche est celle de l'Apollon antique, le ser-
pent est le Python de la fabie, le dragon vert des philo-
sophes hermétiques. L a lettre aleph représente l'unité
équilibrée. Ce pantacle se reproduit sous diverses formes
dans les talismans de l'ancienne magie, mais tantôt le
serpent est remplacé parle paon de Junon, le paon à la
tête royale, à la queue multicolore, l'emblème de la lu-
mière analysée, l'oiseau du grand œuvre dont le plu-
mage est tout ruisselant d'or ; tantôt, au lieu du paon
coloré, c'est l'agneau blanc, l'agneau ou le jeune bélier
solaire traversé par la croix, comme on le voit encore
dans les armoiries de la ville de Rouen. Le paon, le bé-
lier et le serpent représentent le même signe hyérogly-
phique : celui du principe passif et le sceptre de Junon,
la croix et la flèche, c'est le principe actif, la volonté, l'ac-
tion magique, la coagulation du dissolvant, la fixation
par la projection du volatil, la pénétration de la terre
par le feu. L'union des deux, c'est la balance universelle,
430 HISTOIRE DE LA MAGIE.

c'est le grand arcane, c'est le grand œuvre, c'est l'équi-


libre de Jakin et de Bohas.
L e trigramme L . \ P. \ D . - . qui accompagne cette
figure, veut dire liberté, pouvoir, devoir, il signifie aussi
lumière proportion, densité, loi, principe et droit.
Les francs-maçons ont changé l'ordre des lettres, et
en l'écrivant L.*. D.*. P . \ ils en font les initiales des
mots liberté de penser qu'ils inscrivent sur un pont sym-
bolique, en y lisant pour les profanes : liberté de passer.
Dans les actes du procès de Cagliostro, il est marqué
que lui-même donna à ces trois lettres dans ses interro-
gatoires une autre signification ; il les aurait traduites par
cette légende : Lilia destrue pedibus, foule aux pieds*
les lys; et l'on peut citer à l'appui de cette version, une
médaille maçonnique du x v i e
ou du x v n siècle, où l'on
e

voit une épée coupant une branche de lys avec ces mots
sur l'exergue : Talem dabit ultio messem.
L e nom d'Acharat que prenait Cagliostro, écrit kab-
balistiquement en hébreu de cette manière :

va
IN

exprime la triple unité, v k , unité de principe et d'équi-


libre ;
Ttf' unité de v i e et perpétuité du mouvement régéné-
rateur.
rm, unité de fin dans une synthèse absolue.
L è nom d'Althotas, maître de Cagliostro, se compose
du nom de T h o t et des syllabes al et as, qui, lues kabba-
listiquement, sont Sala qui signifie messager, e n v o y é ; le
nom entier signifie donc Thot, le messie des Égyptiens,
PERSONNAGES MERVEILLEUX DU X V I I I e
SIECLE. &31

et tel était en effet celui que Cagliostro reconnaissait


avant tout pour maître.
La doctrine du grand Cophte, tel était, on le sait, le
titre que prenait Cagliostro; sa doctrine, disons-nous,
avait un double objet, la régénération morale et la régé-
nération physique.
Voici pour la régénération morale les préceptes du
grand Cophte :
« Monte sur le Sinaï avec Moïse, sur le Calvaire, puis
sur le Thabor avec Phaleg, sur le Carmel avec Élie.
» Sur le plus haut de la montagne, tu bâtiras ton ta-
bernacle.
» Il sera divisé en trois bâtiments unis ensemble et
celui du milieu aura trois étages.
» Le rez-de-chaussée ou le premier étage sera le r é -
fectoire.
» L'étage du milieu sera une chambre ronde avec
douze lits autour et un au milieu, ce sera la chambre du
sommeil et des songes.
» La chambre supérieure, celle du troisième étage,
sera carrée et percée de seize fenêtres, quatre de chaque
côté, ce sera la chambre de la lumière.
» Là, tu prieras seul pendant quarante jours, et tu
dormiras pendant quarante nuits dans le dortoir des
douze maîtres.
» Alors, tu recevras les signatures des sept génies et tu
obtiendras d'eux le pentagramme tracé sur la feuille de
parchemin vierge.
» C'est le signe que personne ne connaît, sinon celui
qui le reçoit.
» C'est le caractère occulte du caillou blanc dont
432 HISTOIRE DE LA .MAGIE.

il est parlé dans la prophétie du plus jeune des douze


maîtres.
» Alors, ton esprit sera illuminé d'un feu divin et ton
corps deviendra pur comme celui d'un enfant. T a péné-
tration n'aura point de bornes, ton pouvoir sera im-
mense ; tu entreras dans le repos parfait, qui est le
commencement de l'immortalité, et tu pourras dire avec
vérité et sans orgueil : Je suis celui qui est.
Cette énigme signifie que, pour se régénérer morale-
ment, il faut étudier, comprendre et réaliser la haute
kabbale.
L e s trois chambres sont l'alliance de la vie physique,
des aspirations religieuses et de la lumière philosophi-
que ; les douze maîtres sont les grands révélateurs dont
il faut comprendre les symboles; la signature des sept
esprits, c'est l'initiation au grand arcane, etc., etc. Tout
ceci est donc allégorique, et il ne s'agit pas plus de faire
bâtir en réalité une maison à trois étages, qu'il ne s'agit
dans la maçonnerie de bâtir un temple à Jérusalem.
Venons maintenant au secret de la régénération phy-
sique.
Pour y arriver il faut, toujours suivant les prescri-
ptions occultes du grand Cophte :
Faire tous les cinquante ans une retraite de quarante
jours en manière de jubilé,
Durant la pleine lune de mai,
Seul, à la campagne avec une personne fidèle ;
Jeûner pendant quarante jours, buvant la rosée de
mai, recueillie sur les blés en herbe avec un linge de
lin pur et blanc, mangeant des herbes tendres et nou-
velles.
PERSONNAGES MERVEILLEUX DU X V I I I e
SIECLE. 433

Commençant le repas par un grand verre de rosée et


le finissant par un biscuit ou une simple croûte de pain.
L e dix-septième jour, saignée légère.
Prendre six gouttes de baume d'azoth le matin et six
le soir, augmenter de deux gouttes par jour jusqu'au
trente-deuxième.
Renouveler alors la petite émission de sang au cré-
puscule du matin, dormir ensuite et rester au lit jusqu'à
la fin de la quarantaine.
Prendre au premier réveil, après la saignée, un pre-
mier grain de médecine universelle.
On éprouvera un évanouissement qui doit durer trois
heures, puis des convulsions, des transpirations et des
évacuations considérables, on changera ensuite de linge
et de lit.
Il faut ensuite prendre un consommé de bœuf sans
graisse, assaisonné avec de la rue, de la sauge, de la
valériane, de la verveine et de la mélisse.
L e jour suivant, second grain de médecine univer-
selle, c'est-à-dire, de mercure astral combiné avec le
soufre d'or.
L e jour d'après, prendre un bain tiède.
L e trente-sixième jour, boire un verre de vin d'E-
gypte.
Le trente-septième jour, troisième et dernier grain de
médecine universelle.
Suivra un sommeil profond.
Les cheveux, les dents et les ongles se renouvelle-
ront, la peau se renouvellera.
Le trente-huitième jour, bain aux herbes aromatiques
ci-dessus nommées. 28
№k HISTOIRE DE LA MAGIE.

L e trente­neuvième jour, avaler dans deux cuillerées


de vin rouge, dix gouttes de l'élixir d'Âcharat.

Le quarantième jour, l'œuvre est achevée et le vieil­

lard est rajeuni.


C'est au moyen de ce régime jubilaire, que Cagliostro
prétendait avoir vécu lui­même plusieurs siècles. C'était,
comme on le voit, une nouvelle préparation du fameux
bain d'immortalité des gnostiques ménandriens. Caglio­
stro y croyait­il sérieusement?
Devant ses juges il montra beaucoup de fermeté et de
présence d'esprit, il se déclara catholique, et dit qu'il
honorait dans le pape le chef suprême de la hiérarchie
religieuse. Sur les questions relatives aux sciences oc­
cultes, il répondit d'une manière énigmatique, et comme
on lui disait que ses réponses étaient absurdes et inin­
telligibles : Comment pouvez­vous savoir qu'elles sont
absurdes, répondit­il, si vous les trouvez inintelligibles?
Les juges se fâchèrent et lui demandèrent brusquement
les noms des péchés capitaux : Cagliostro nomma la
luxure, l'avarice, l'envie, la gourmandise et la paresse.
— Vous oubliez l'orgueil et la colère, lui dit­on. — P a r ­
donnez­moi, reprit l'accusé, je ne les oublie pas, mais je
ne voulais pas les nommer devant vous par respect et de
peur de vous offenser. On le condamna à mort : puis la
peine fut commuée en une détention perpétuelle. Dans sa
prison, Cagliostro demanda à se confesser et désigna lui­
même le prêtre, c'était un homme à peu près de sa
tournure et de sa taille. Le confesseur entra et au bout
de quelque temps on le vit ressortir ; quelques heures
après, le geôlier en entrant dans la prison du condamné
y trouva le cadavre d'un homme étranglé, ce cadavre
PROPHÉTIES DE GAZOTTE. 435

défiguré était couvert des habits de Cagliostro. ; on ne


revit jamais le prêtre.
Des amateurs du merveilleux assurent que le grand
Cophte est actuellement en Amérique, et qu'il y est le
pontife suprême et invisible ^des croyants aux esprits
frappeurs.

CHAPITRE III.
PROPHÉTIES DE GAZOTTE.

SOMMAIRE. — Les martinistes. — Le souper de Cazotte. — Le roman du


Diable amoureux. — Nahéma, la reine des stryges. — La montagne
sanglante. — Mademoiselle Cazotte et mademoiselle de Sombreuil. —
Cazotte devant le tribunal révolutionnaire.

L'école des philosophes inconnus fondée par Pasqua-


lis Martinez et continuée par Saint-Martin, semble avoir
renfermé les derniers adeptes de la véritable initiation.
Saint Martin connaissait la clef ancienne du tarot, c'est-
à-dire le mystère des alphabets sacrés et des hiéro-
glyphes hiératiques ; il a laissé plusieurs pantacles fort
curieux qui n'ont jamais été gravés et dont nous possé-
dons des copies. L'un de ces pantacles est la clef tradi-
tionnelle du grand œuvre, et Saint-Martin le nomme la
clef de l'enfer, parce que c'est la clef des richesses ; les
martinistes parmi les illuminés furent les derniers chré-
tiens, et ils furent les initiateurs du fameux Cazotte.
Nous avons dit qu'au x v m e
siècle une scission s'était
faite dans l'illuminisme : les uns, conservateurs des tra-
ditions de la nature et de la science, voulaient restaurer
Il'àO HISTOIRE DE LA MAGIE.

la hiérarchie; les autres, au contraire, voulaient tout ni-


veler en révélant le grand arcane, qui rendrait impossibles
dans le monde la royauté et le sacerdoce. Parmi ces der-
niers, les uns étaient des ambitieux et des scélérats, qui
espéraient trôner sur les débris du m o n d e ; les autres
étaient des dupes et des niais.
Les vrais initiés voyaient avec épouvante la société
lancée ainsi vers le précipice, et prévoyaient toutes les
horreurs de l'anarchie. Cette révolution qui plus tard
devait apparaître au génie mourant de Vergniaud sous la
sombre figure de Saturne dévorant ses enfants, se dres-
sait déjà tout armée dans les rêves prophétiques de
Cazotte. Un soir qu'il se trouvait au milieu des instru-
ments aveugles du jacobinisme futur, il leur prédit, à
tous, leur destinée : aux plus forts et aux plus faibles,
Téchafaud; aux plus enthousiastes, le suicide; et sa pro-
phétie qui ne parut alors qu'une lugubre facétie fut plei-
nement réalisée ( 1 ) . Cette prophétie n'était, en effet,
qu'un calcul des probabilités, et le calcul se trouva rigou-
. reux, parce que les chances probables étaient déjà chan-
gées en conséquences nécessaires. L a Harpe que cette
prédiction frappa d'étonnement plus tard, y ajouta quel-
ques détails pour la rendre plus merveilleuse, comme le
nombre exact des coups de rasoir que devait se donner
un des convives, etc.
Il faut pardonner un peu de celte licence poétique à
tous les conteurs de choses extraordinaires ; de pareils
ornements ne sont pas précisément des mensonges, c'est
tout simplement de la poésie et du style.

(1) Deleuze, Mémoire stir la faculté de prévis-on, i n - 8 , 1836.


PROPHÉTIES DE CAZOTTE. ¿37

Donner aux hommes naturellement inégaux une liberté


absolue, c'est organiser la guerre sociale ; et lorsque ceux
qui doivent contenir les instincts féroces des multitudes
ont la folie de les déchaîner, il ne faut pas être un pro-
fond magicien pour voir qu'ils seront dévorés les pre-
miers, puisque les convoitises animales s'entre-déchire-
ront jusqu'à la venue d'un chasseur audacieux et habile
qui en finira par des coups de fusil ou par un seul coup
de filet. Cazotte avait prévu Marat, Marat prévoyait une
réaction et'un dictateur.
Cazotte avait débuté dans le monde par quelques
opuscules de littérature frivole, et on raconte qu'il dut
son initiation à la publication d'un de ses romans inti-
tulé le Diable amoureux. Ce roman, en effet, est plein
d'intuitions magiques, et la plus grande des épreuves de
la vie, celle de l'amour, y est montrée sous le véritable
jour de la doctrine des adeptes.
L'amour physique en effet, cette passion délirante,
cette folie invincible pour ceux qui sont les jouets de
l'imagination, n'est qu'une séduction de la mort qui veut
renouveler sa moisson par la naissance. La Vénus physi-
que, c'est la mort fardée et habillée en courtisane ; l'amour
est destructeur, comme sa mère, il recrute des victimes
pour elle. Quand la courtisane est rassasiée, la mort se
démasque et demande sa proie à son tour. Voilà pourquoi
l'Église qui sauve la naissance par la sainteté du ma-
riage, dévoile et prévient les débauches de la mort en
condamnant sans pitié tous les égarements de l'amour.
Si la femme aimée n'est pas un ange qui s'immorta
lise par les sacrifices du devoir dans les bras de celui
qu'elle aime, c'est une stryge qui l'énervé, l'épuisé et le
438 HISTOIRE DE LA MAGIE.

fait mourir, en se montrant enfin à lui dans toute la hi-


deur de son égoïsme brutal. Malheur aux victimes du
diable amoureux! Malheur à ceux qui se laissent pren-
dre aux flatteries lascives de Biondetta! bientôt le gra-
cieux visage de la jeune fille se changera pour eux en
cette affreuse tête de chameau qui apparaît si tragique-
ment au bout du roman de Gazotte.
Il y a dans les enfers, disent les kabbalistes, deux
reines des stryges : l'une, c'est Lilith la mère des avor-
tements, et l'autre, c'est Nahéma, la fatale et meurtrière
beauté. Quand un homme est infidèle à l'épouse que lui
destinait le ciel, lorsqu'il se voue aux égarements d'une
passion stérile, Dieu lui reprend son épouse légitime et
sainte pour le livrer aux embrassements de Nahéma.
Cette reine des stryges sait se montrer avec tous les
charmes de la virginité et de l'amour: elle détourne le
cœur des pères et les engage à l'abandon de leurs de-
voirs et de leurs enfants ; elle pousse les hommes mariés
au veuvage, et force à un mariage sacrilège les hommes
consacrés à Dieu. Lorsqu'elle usurpe le titre d'épouse, il
est facile de la reconnaître : le jour de son mariage elle
est chauve, car la chevelure de la femme étant le voile
de la pudeur, lui est interdite pour ce jour-là; puis après
le mariage, elle affecte le désespoir et le dégoût de l'exis-
tence, prêche le suicide, et quitte enfin avec violence ce-
lui qui lui résiste en le laissant marqué d'une étoile infer-
nale entre les deux yeux.
Nahéma peut devenir mère, disent-ils encore, mais
elle n'élève jamais ses enfants; elle les donne à dévorer
à Lililh, sa funeste sœur.
Ces allégories kabbalistiques qu'on peut lire dans le
PROPHÉTIES DE CÀZOTTE. 439

livre hébreu de la Révolution des âmes, dans le Diction-


naire kabbalistique du Sohar, et dans les Commentaires
des Talmudistes sur le Sota, semblent avoir été connues
ou devinées par l'auteur du Diable amoureux ; aussi
assure-t-on qu'après la publication de cet ouvrage, il
reçut la visite d'un personnage inconnu, enveloppé d'un
manteau à la manière des francs-juges. Ce personnage
lui fit des signes que Cazotte ne comprit pas, puis enfin
il lui demanda si réellement il n'était pas initié. Sur la
réponse négative de Cazotte, l'inconnu prit une physio-
nomie moins sombre, et lui dit : Je vois que vous n'êtes pas
un dépositaire infidèle de nos secrets, mais un vase d'élec-
tion pour la science. Voulez-vous commander réellement
aux passions humaines et aux esprits impurs? Cazotte était
curieux, une longue conversation s'ensuivit, elle fut le
préliminaire de plusieurs autres, et l'auteur du Diable
amoureux fut réellement initié. Son initiation devait en
faire un partisan dévoué de l'ordre et un ennemi dan-
gereux pour les anarchistes, et, en effet, nous avons vu
qu'il est question d'une montagne sur laquelle on s'é-
lève pour se régénérer suivant les symboles de Caglio-
stro, mais cette montagne est blanche de lumière comme
le Thabor, ou rouge de feu et de sang comme le Sinaï et
le Calvaire. 11 y a deux synthèses chromatiques, dit le
Sonar : la blanche, qui est celle de l'harmonie et de la vie
morale ; la rouge, qui est celle de la guerre et de la vie
matérielle : la couleur du jour et celle du sang. Les
Jacobins voulaient élever l'étendard du sang, et leur
autel s'élevait déjà sur la montagne rouge. Cazotte
s'était rangé sous l'étendard de la lumière, et son taber-
nacle mystique était posé sur la montagne blanche. La
tlkO HISTOIRE DE LA MAGIE.

montagne sanglante triompha un moment, etCazotte fut


proscrit. Il avait une fille, une héroïque enfant, qui le
sauva au massacre de l'Abbaye. Mademoiselle Cazotte
n'avait pas de particule nobiliaire devant son nom, et ce
fut ce qui la sauva de ce toast d'une horrible fraternité,
par lequel s'immortalisa la piété filiale de mademoiselle
de Sombreuil, cette noble fille qui, pour se disculper
d'être une fille noble, dut boire la grâce de son père dans
le verre sanglant des égorgeurs !
Cazotte avait prophétisé sa propre mort parce que sa
conscience l'engageait à lutter jusqu'à la mort contre
l'anarchie. Il continua donc d'obéir à sa conscience, fut
arrêté de nouveau et parut devant le tribunal révolution-
naire ; il était condamné d'avance. L e président, après
avoir prononcé son arrêt, lui fit une allocution étrange,
pleine d'estime et de regret : il l'engageait à être jus-
qu'au bout digne de lui-même et à mourir en homme de
cœur comme il avait vécu. La révolution, même au tri-
bunal, était une guerre civile et les frères se saluaient
avant de se donner la mort. C'est que des deux côtés il
y avait des convictions sincères et par conséquent res-
pectables. Celui qui meurt pour ce qu'il croit la vérité,
est un héros, même lorsqu'il se trompe, et les anarchistes
de la montagne sanglante ne furent pas seulement hardis
pour envoyer les autres à l'échafaud, ils y montèrent eux-
mêmes sans pâlir : que Dieu et la postérité soient leurs
juges !
RÉVOLUTION FRANÇAISE. (M

CHAPITRE IV.
RÉVOLUTION FRANÇAISE.

SOMMAIRE. — Le tombeau de Jacques de Molai. — L a vengeance des


templiers. — Propagande contre le sacerdoce et la royauté. —•
Louis X V I au Temple. — Spoliation et profanation des églises. — Le
pape prisonnier à Valence. — Accomplissement des prophéties de
saint Méthodiûs.

Il y avait eu dans le monde un homme profondément


indigné de se sentir lâche et vicieux, et qui s'en prenait
de sa honte mal dévorée à la société tout entière. Cet
homme était l'amant malheureux de la nature, et la na-
ture, dans sa colère, l'avait armé d'éloquence comme d'un
fléau. Il osa plaider contre la science la cause de l'igno-
rance, contre la civilisation celle de la barbarie, contre
toutes les hauteurs sociales en un mot celle de toutes les
bassesses. Le peuple par instinct lapida cet insensé,
mais les grands l'accueillirent, les femmes le mirent à la
mode, il obtint tant de succès que sa haine contre l'hu-
manité s'en augmenta et qu'il finit par se tuer de colère
et de dégoût. Après sa mort, le monde s'ébranla pour se
retourner en réalisation des rêves de Jean-Jacques Rous-
seau, et les conspirateurs qui, depuis la mort de Jacques
de Molai, avaient juré la ruine de l'édifice social, établi-
rent rue Platrière, dans la maison même où Jean-Jac-
ques avait demeuré, une loge inaugurée sous les auspices
du fanatique de Genève. Cette loge devint le centre du
mouvement révolutionnaire, et un prince du sang royal
vint y jurer la perte des successeurs de Philippe le Bel,
sur le tombeau de Jacques de Molai.
Ce fut la noblesse du x v i u siècle qui corrompit le
c
HISTOIRE DE LA MAGIE.

peuple; les grands, à cette époque, étaient pris d'une


furie d'égalité qui avait commencé avec les orgies de la
régence ; on s'encanaillait alors par plaisir, et la cour
s'amusait à parler le jargon des halles. Les registres de
l'ordre des templiers attestent que le régent était grand
maître de cette redoutable société secrète, et qu'il eut
pour successeur le duc du Maine, les princes de Bourbon-
Condé et de Bourbon-Conti, et le duc de Gossé-Brissac.
Cagliostro avait rallié dans son rite égyptien les auxi-
liaires du second ordre : tout s'empressait d'obéir à cette
impulsion secrète et irrésistible qui pousse vers leur
destruction les civilisations en décadence. Les événe-
ments ne se firent pas attendre, ils vinrent tels que
Gazotte les avait prévus, ils se précipitèrent poussés par
une main invisible. L e malheureux Louis X V I était con-
seillé par ses plus mortels ennemis ; ils arrangèrent et
firent échouer le malheureux projet d'évasion qui amena
la catastrophe de Varennes, comme ils avaient fait l'orgie
de Versailles, comme ils commandèrent le carnage du
10 août ; partout ils avaient compromis le roi, partout
ils le sauvèrent de la fureur du peuple, pour exaspérer
cette fureur et amener l'événement qu'ils préparaient
depuis des siècles; c'était un échafaud qu'il fallait à la
vengeance des templiers !
Sous la pression de la guerre civile, l'assemblée na-
tionale déclara le roi suspendu de ses pouvoirs, et lui assi-
gna pour résidence le palais du Luxembourg, mais une
autre assemblée plus secrète en avait décidé autrement.
L a résidence du roi déchu, ce devait être une prison, et
cette prison ne pouvait être que l'ancien palais des tem-
pliers, resté debout avec son donjon et ses tourelles,
RÉVOLUTION FRANÇAISE.

pour attendre ce prisonnier royal promis à d'inexora-


bles souvenirs.
Le roi était au Temple et l'élite du clergé français était
en exil ou à l'Abbaye. L e canon tonnait sur le Pont-
Neuf, et des écritaux menaçants proclamaient la patrie
en danger. Alors des hommes inconnus organisèrent le
massacre. Un personnage hideux, gigantesque, à lon-
gue barbe, était partout où il y avait des prêtres à égor-
ger. Tiens, leur disait-il avec un ricannement sauvage,
voilà pour les Albigeois et les Vaudois! tiens, voilà
pour les templiers ! voilà pour la Saint-Barthélemy 1 voilà
pour les proscrits des Gévennes; et il frappait avec rage,
et il frappait toujours avec le sabre, avec le couperet,
avec la massue. Les armes se brisaient et se renouvel-
laient dans ses mains, il était rouge de sang, de la tête
aux pieds, sa barbe en était toute collée, et il jurait
avec des blasphèmes épouvantables qu'il ne la laverait
qu'avec du sang.
Ge fut cet homme qui proposa un toast à la nation,
à l'angélique mademoiselle de Sombreuil.
Un autre ange priait et pleurait dans la tour du Tem-
ple, en offrant à Dieu ses douleurs et celles de deux en-
fants, pour obtenir de lui le pardon de la royauté et de
la France. Pour expier les folles joies des Pompadour et
des Dubarry, il fallait toutes les souffrances et toutes les
larmes de cette vierge-martyre, la sainte madame Eli-
sabeth.
L e jacobinisme était déjà nommé avant qu'on n'eût
choisi l'ancienne église des Jacobins pour y réunir les
chefs de la conjuration ; ce nom vient de celui de Jacques,
nom fatal et prédestiné aux révolutions. Les extermina-
hfik HISTOME DE LA MAGIE.

teurs en France ont, toujours été appelés les Jacques ; le


philosophe dont la fatale célébrité prépara de nouvelles
jacqueries et servit aux projets sanglants des conspira-
teurs joannites se nommait Jean-Jacques, et les moteurs
occultes de la révolution française avaient juré le ren-
versement du trône et de l'autel sur le tombeau de
Jacques de Molai.
Après la mort de Louis X V I , au moment même où il
venait d'expirer sous la hache de la révolution, l'homme
à la longue barbe, ce juif errant du meurtre et de la
vengeance, monta Sur l'échafaud devant la foule épou-
vantée, il prit du sang royal plein ses deux mains et les
secouant sur la tête du peuple, il cria d'une voix terrible :
« P e u p l e français, j e te baptise au nom de Jacques et de
la liberté ( 1 ) ! »
L a moitié de l'œuvre était faite, et c'était désormais
contre le pape que l'armée du Temple devait diriger tous
ses efforts.
L a spoliation des églises , la profanation des choses
sacrées, des processionsdérisoires, l'inauguration du culte
de la raison dans la métropole de Paris, furent le signal
de cette guerre nouvelle. L e pape fut brûlé en effigie au
Palais-Royal, et bientôt les armées de la république se
disposèrent à marcher sur R o m e .
Jacques de Molai et ses compagnons étaient peut-être
des martyrs, mais leurs vengeurs ont déshonoré leur
mémoire. L a royauté se régénéra sur l'échafaud de
Louis X V I , l'Église triompha dans la captivité de P i e V I ,

( 1 ) P r u d h o m m e , dans son journal, rapporte autrement les paroles de


cet h o m m e . Nous tenons celles que nous donnons ici d'un vieillard qu
les a entendues.
RÉVOLUTION FRANÇAISE. [\llï>
traîné prisonnier à Valence et mourant de fatigue et de
douleurs, mais les indignes successeurs des anciens
chevaliers du Temple périrent tous ensevelis dans leur
funeste victoire.
Il y avait eu dans l'état ecclésiastique de grands abus
et de grands scandales entraînés par le malheur des
grandes richesses; les richesses disparurent et on vit
revenir les grandes vertus. Ces désastres temporels et
ce triomphe spirituel avaient été prédits dans VApocalypse
de saint Méthodius, dont nous avons déjà parlé. Nous
possédons de ce livre un exemplaire en lettres gothiques,
imprimé en 1527, et orné des plus étonnantes figures :
on y voit d'abord des prêtres indignes jetant les choses
saintes aux pourceaux, puis le peuple révolté assassinant
les prêtres et leur brisant les vases sacrés sur la tête ; on
y voit d'abord le pape prisonnier des hommes de guerre,
puis un chevalier couronné qui d'une main relève l'éten-
dard de la France et étend de l'autre son épée sur l'Italie;
on y voit deux aigles et un coq qui porte une couronne
sur la tête et une double fleur de lys sur la poitrine ; on
y voit le second aigle qui fait alliance avec les griffons
et les licornes pour chasser le vautour de son aire, et
bien d'autres choses étonnantes. Ce livre singulier n'est
comparable qu'à une édition illustrée des prophéties de
l'abbé Joachim (de Calabre), où l'on voit les portraits de
tous les papes à venir avec les signes allégoriques de
leur règne jusqu'à la venue de l'Antéchrist. Chroniques
étranges de l'avenir raconté comme le passé et qui feraient
croire à une succession de mondes où les événements se
renouvellent, en sorte que la prévision des choses futures
ne serait que l'évocation des reflets perdus du passé î
M6 HISTOIRE DE LA MAGIE.

CHAPITRE V.
PHÉNOMÈNES DE MÉDIOMANTE.

S O M M A I R E . •— Secte obscure de joannites mystiques. — Catherine Théot


et Robespierre. — Prédiction réalisée.—Visions et prétendus miracles
des sauveurs de Louis X V I I .

En 1 7 7 2 , un habitant de Saint-Mandé nommé Loiseaut,


étant à l'église, crut voir à genoux près de lui un fort
singulier personnage : c'était un homme tout basané et
qui portait pour tout vêtement un caleçon de laine gros-
sière. Cet homme avait la barbe longue, les cheveux
crépus et autour du cou une cicatrice vermeille et circu-
laire, il portait un livre sur lequel était tracée en lettres
d'or cette inscription : Ecce A gnus Dei.
Loiseaut s'étonna fort en voyant que cette étrange
figure n'était remarquée de personne, il acheva sa prière
et revint chez lui ; là il trouva le même personnage qui
l'attendait, il s'avança pour lui parler et lui demanda qui
il était et ce qu'il voulait, mais le visiteur fantastique
avait tout à coup disparu. Loiseaut se mit au lit avec la
fièvre et ne put s'endormir ; la nuit il vit tout à coup sa
chambre éclairée par une lueur rougeâtre, il crut à un
incendie et se leva brusquement sur son séant, alors au
milieu de la chambre, sur sa table, il vit un plat doré et
dans ce plat toute baignée de sang la tête de son visiteur
de la veille. Cette tête était entourée d'une auréole rouge,
elle roulait les yeux d'une manière terrible, et ouvrant
la bouche comme pour crier, elle dit d'une voix étran-
glée et sifflante : J'attends les têtes des rois et celles des
PHÉNOMÈNES DE MEDIOMANIE. 1\kl

courtisannes des rois, j'attends Hérode et Hérodiade; puis


l'auréole s'éteignit et le malade ne vit plus rien.
Quelques jours après il fut guéri et put retourner à
ses affaires. Gomme il traversait la place Louis X V , il
fut abordé par un pauvre qui lui demanda l'aumône,
Loiseaut sans le regarder tira une pièce de monnaie et
la jeta dans le chapeau de l'inconnu : Merci, lui dit cet
homme, c'est une tête de roi, mais ici, ajoute-t-il en
étendant la main et en montrant le milieu de la place,
ici il en tombera une autre, et c'est celle-là que j'attends.
Loiseaut alors regarda le pauvre avec surprise et jeta un
cri en reconnaissant l'étrange figure de sa vision. —
« Tais-toi, lui dit le mendiant, on te prendrait pour un
fou, car personne ici ne peut me voir excepté toi. Tu
m'as reconnu, je le vois, je suis en effet saint Jean-
Baptiste le précurseur, et je viens t'annoncer le châtiment
des successeurs d'Hérode et des héritiers de Gaïphe, tu
peux répéter tout ce que je te dirai. »
Depuis cette époque, Loiseaut croyait voir presque
tous les jours saint Jean-Baptiste près de lui. La vision
lui parlait longuement des malheurs qui allaient tomber
sur la France et sur l'Église.
Loiseaut raconta sa vision à quelques personnes qui
en furent frappées et qui devinrent visionnaires comme
lui. Us formèrent ensemble une société mystique qui se
réunissait en grand secret; les membres de cette asso-
ciation se plaçaient en cercle en se tenant la main et
attendaient les communications en silence ; ils attendaient
souvent plusieurs heures, puis la figure de saint Jean
apparaissait au milieu d'eux; ils tombaient tous ensemble
ou successivement dans le sommeil magnétique et voyaient
M8 HISTOIRE DE LA MAGIE.

se dérouler sous leurs yeux les scènes futures de la révo-


lution et de la restauration future.
L e directeur spirituel de cette secte ou de ce cercle
était un religieux nommé dom Gerle, il en devint le chef
à la mort de Loiseaut arrivée en 1788, puis à l'époque
de la révolution, ayant été gagné par l'enthousiasme
républicain, il fut rejeté par les autres sectaires
qui suivirent en cela les inspirations de leur princi-
pale somnambule qu'ils nommaient la sœur Françoise
André.
Dom Gerle avait aussi sa somnambule et il vint exercer
dans une mansarde de Paris le métier alors nouveau de
magnétiseur ; la voyante était une vieille femme presque
aveugle nommée Catherine Théot, elle fit des prédictions
qui se réalisèrent, elle guérit plusieurs malades, et comme
les prophéties avaient toujours quelque chose de politi-
que, la police du Comité de salut public ne tarda pas à
s'en préoccuper.
Un soir, Catherine Théot entourée de ses adeptes était
en extase : « Écoutez, disait-elle, j'entends le bruit de
ses pas, c'est l'élu mystérieux de la Providence, c'est
l'ange de la révolution ; c'est celui qui en sera le sauveur
et la victime, c'est le roi des ruines et de la régénération,
le voyez-vous? 11 approche : lui aussi, il a i e front ceint
de l'auréole sanglante du précurseur; c'est lui qui portera
tous les crimes de ceux qui vont le faire mourir. Oh l que
tes destinées sont grandes, toi qui vas fermer l'abîme en
y tombant 1 L e voyez-vous paré comme pour une fête, il
tient à la main des fleurs.... ce sont les couronnes de
son martyre... » Puis s'attendrissant et fondant en larmes:
a Qu'elles ont été cruelles tes épreuves, ô mon fils, s'écria-
PHÉNOMÈNES DE MÉDIOMANIE. Zj/|9

t-elle, et combien d'ingrats maudiront la mémoire à


travers les âges ï Levez-vous ! levez-vous ! et inclinez-
vous, U voici ! c'est le roi.... c'est le roi des sanglants
sacrifices.
À ce moment la porte s'ouvrit sans bruit, et un homme,
le chapeau rabattu sur les yeux et enveloppé d'un man-
teau, entra dans la chambre; l'assemblée se leva, Cathe-
rine Théot étendit vers le nouveau venu ses mains trem-
blantes : « J e savais que tu devais venir, dit-elle, et j e
t'attendais; celui que tu ne vois pas et que j e vois à ma
droite t'a montré à moi aujourd'hui, lorsqu'un rapport
t'a été remis contre nous : on nous accusait de con.-pirer
pour le roi, et en effet j'ai parlé d'un m i , d'un roi dont le
précurseur me montre en ce moment la eouronne leinte
de sang, et sais-tu sur quelle tête elle est suspendue? Sur
la tienne, Maximilienî »
A ce nom l'inconnu tressaillit comme si un fer rouge
l'eût mordu à la poitrine, il jeta autour de lui un regard
rapide et inquiet, puis reprenant une contenance impas-
sible :
— Que voulez-vous dire? murmura-t-il, d'une voix
brève et saccadée, je ne vous comprends pas.
— Je veux dire, reprit Catherine Théot, qu'il fera un
beau soleil ce jour-là et qu'un homme vêtu de bleu et
s
tenant en main un sceptre de fleurs, sera un instant le
roi et le sauveur du monde; j e veux dire que lu seras
grand comme Moïse et comme Orphée, lorsque, mettant
le pied sur la tête du monstre prêt à te dévorer, tu diras
aux bourreaux et aux victimes qu'il existe un Dieu. Cesse
de te cacher, Robespierre, et montre-nous sans pâlir cetie
tête courageuse que Dieu va jeter dans le plateau vide
29
450 HISTOIRE DE LA MAGIE.

de sa balance. La tête de Louis X V I est l o u r d e , et la


tienne seule en peut équilibrer le poids.
— Est-ce une menace, dit froidement Robespierre en
laissant tomber son manteau, et croit-on par cette jon-
glerie étonner mon patriotisme et influencer ma con-
science ? Prétendez-vous, par des menaces fanatiques et
des radotages de vieilles femmes, surprendre mes réso-
lutions, comme vous avez épié mes démarches? Vous
m'attendiez, à ce qu'il me paraît, et malheur à vous de
m'avoir attendu ! car, puisque vous forcez le curieux, le
visiteur inconnu, l'observateur à être Maximilien Robes-
pierre, représentant du peuple, comme représentant du
peuple, j e vous dénonce au Comité de salut public et je
ferai procéder à votre arrestation.
Ayant dit ces mots, Robespierre rejeta son manteau
autour de sa tête poudrée, et marcha avec roideur vers
la porte, personne n'osa ni le retenir, ni lui adresser la
parole. Catherine T h é o t joignait les mains et disait :
Respectez ses volontés, il est roi et pontife de l'ère nou-
velle; s'il nous frappe, c'est que Dieu veut nous frapper :
tendons la g o r g e au couteau de la Providence.
Les initiés de Catherine Théot attendirent toute la
nuit qu'on vînt les arrêter, personne ne parut; ils se sé-
parèrent pendant la journée suivante ; deux autres jours
et deux autres nuits se passèrent pendant lesquels les
membres de la secte ne cherchèrent pas à se cacher. L e
cinquième jour, Catherine Théot et ceux qu'on appe-
lait ses complices, furent dénoncés aux Jacobins par un
ennemi secret de Bobespierre, qui insinua adroitement
aux auditeurs des doutes contre le tribun. On parlait de
dictature, le nom de roi avait même était prononcé. Ro-
PHÉNOMÈNES DE MEDIOMANIE. /}5Î

bespierre le savait et comment le tolérait-il ? Robespierre


haussa les épaules, mais le lendemain, Catherine Théot,
dom Gerle et quelques autres furent arrêtés et envoyés
dans ces prisons qui ne s'ouvraient plus, une fois qu'on
y était entré, que pour fournir la tâche quotidienne du
bourreau.
L'histoire de l'entrevue de Robespierre avec Cathe-
rine Théot transpira au dehors on ne sait comment. Déjà
la contre-police des futurs thermidoriens épiait le dicta-
teur présumé et on l'accusait de mysticisme, parce qu'il
croyait en Dieu. Robespierre n'était pourtant ni l'ami,
ni l'ennemi de la secte des nouveaux joannites ; il était
venu chez Catherine pour observer des phénomènes ;
mécontent d'avoir été reconnu, il sortit en proférant des
menaces qu'il ne réalisa pas, et ceux qui transformèrent
en conspiration les conventicules du vieux moine et de
la vieille béate avaient espéré faire sortir de ce procès
un doute ou du moins un ridicule qui s'attacherait à la
réputation de l'incorruptible Maximilien.
La prophétie de Catherine Théot eut son accomplis-
sement par l'inauguration du culte de l'Être suprême et
la réaction rapide de thermidor.
Pendant ce temps, la secte qui s'était ralliée à la sœur
André, dont un sieur Ducy écrivait les révélations, con-
tinuait ses visions et ses miracles. Leur idée fixe était
la conservation de la légitimité par le règne futur de
Louis X V I I : plusieurs fois ils sauvèrent en rêve le pauvre
petit orphelin du Temple, et crurent réellement l'avoir
sauvé ; d'anciennes prophéties promettaient le trône des
lys à un jeune homme autrefois captif. Sainte Brigitte,
sainte Hildegarde, Bernard Tollard, Lichtemberger,
/452 HISTOIRE DE LA MAGIE.

annonçaient tous une restauration miraculeuse après de


grands désastres. Les néo- joannites furent les interprè-
tes et les continuateurs de ces prédictions, jamais les
Louis X V I I ne leur manquèrent, et ils en eurent succes-
sivement sept ou huit, tous parfaitement authentiques
et non moins parfaitement conservés ; c'est aux influen-
ces de cette secte que nous avons dû depuis les révé-
i ations du paysan Martin ( d e Gallardon) et les prodiges
de Vintras.
Dans ce cercle magnétique comme dans les assemblées
de quakers ou des trembleurs de la Grande-Bretagne,
l'enthousiasme était contagieux et se transmettait de
frère en frère. Après la mort de la sœur André, la se-
conde vue et la faculté de prophétiser furent le partage
d'un nommé L e g r o s , qui était à Charenton lorsque Mar-
tin y fut mis provisoirement. Il reconnut un frère dans
le paysan bauceron , qu'il n'avait jamais vu. Tous ces
secîaires, à force de vouloir Louis X V I 1 , le créaient en
quelque sorte, c'est-à-dire qu'ils évoquaient de telles
hallucinations, que des médiums se faisaient à l'image
et à la ressemblance du lype magnétique, et se croyant
réellement l'enfant royal échappé du Temple, ils attiraient
à eux tous les reflets de cette douce et frêle victime, et
se souvenaient de circonstances connues seulement de la
famille de Louis X V I . Ce phénomène, quelque incroyable
qu'il paraisse, n'est ni impossible, ni inouï. Paracelse
assure que si, par un effort extraordinaire de volonté, on
pouvait se figurer qu'on est une personne autre que soi-
même, on saurait aussitôt la plus secrète pensée de cette
autre personne et on attirerait à soi ses plus intimes sou-
venirs. Souvent apiès un entretien qui nous a mis en
PHÉNOMÈNES DE MÉDIOMANIE. 453

rapport d'imagination avec notre interlocuteur, nous


rêvons en dormant des réminiscences inédites de sa vie.
Parmi les faux Louis X V I I , il faut donc en reconnaître
quelques-uns qui n'étaient pas des imposteurs, mais des
hallucinés, et parmi ces derniers, il faut distinguer
un Genevois, nommé Naùndorff, visionnaire comme
Swedenborg, et d'une conviction si contagieuse que
d'anciens serviteurs de la famille royale l'ont reconnu
et se sont jetés à ses pieds en pleurant : il portait sur lui
les signes particuliers et les cicatrices de Louis X V I I ; il
racontait son enfance avec une vérité saisissante, entrait
dans ces détails insignifiants, qui sont décisifs pour les
souvenirs intimes. Ses traits mêmes étaient ceux qu'aurait
eus l'orphelin de Louis X V I , s'il avait vécu. Une seule
chose enfin lui manquait pour être vraiment Louis X V I I ,
c'était de n'être pas Naùndorff.
La puissance contagieuse du magnétisme de cet hal-
luciné était telle, que sa mort ne détrompa aucun des
croyants à son règne futur. Nous en avons vu un des
plus convaincus, auquel nous objections timidement,
lorsqu'il parlait de la Restauration prochaine de ce qu'il
appelait la vraie légitimité, que son Louis X V I I était
mort. — Est-il donc plus difficile à Dieu de le ressusci-
ter qu'il n'a été à nos pères de le sauver du T e m p l e !
nous répondit-il avec un sourire si triomphant qu'il était
presque dédaigneux, A cela nous n'avions rien à répli-
quer, et force nous fut de nous incliner devant une pa-
reille conviction.
454 HISTOIRE DE LA MAGIE.

CHAPITRE VI.
LES ILLUMINÉS D'ALLEMAGNE.
. , . , . . v i,,,. -, .* • '.• -,

S O M M A I R E . —- Lavater et Gablidone. — Stabs et Napoléon. — Cari Sand


et Kotzebue. — Les Mopses. — Le drame magique de Faust.

L'Allemagne est la terre natale du mysticisme m é -


taphysique et des fantômes; fantôme elle-même de
l'ancien empire romain, elle semble toujours évoquer la
grande ombre d'Hermann, en lui consacrant le simula-
cre des aigles captives de Varus. L e patriotisme des
jeunes Allemands est toujours celui des anciens Ger-
mains : ils ne rêvent pas l'invasion des contrées riantes
de l'Italie, ils ne l'acceptent tout au plus que comme une
revanche, mais ils mourraient mille fois pour la défense
de leurs foyers : ils aiment leurs vieux châteaux et leurs
vieilles légendes des bords du Rhin ; ils lisent patiem-
ment les traités les plus obscurs de leur philosophie, et
voient dans les brumes de leur ciel et dans la fumée de
leur pipe mille choses indicibles qui les initient aux mer-
veilles de l'autre monde.
Bien avant qu'on ne parlât en Amérique et en France
de médiums et d'évocations, il y avait en Prusse des illu-
minés et des voyants qui tenaient des conférences réglées
avec les morts. Un grand seigneur avait fait bâtir à
Berlin une maison destinée aux évocations : le roi Frédé-
rie-Guillaume était fort curieux de tous ces mystères et
s'enfermait souvent dans cette maison avec un adepte
nommé Steinert ; les impressions qu'il y recevait pro-
duisaient en lui des sensations si vives, qu'il tombait en
LES ILLUMINÉS D'ALLEMAGNE. 455

défaillance et ne revenait à lui que lorsqu'on lui donnait


quelques gouttes d'un élixir magique analogue, à celui de
Cagliostro. On trouve dans une correspondance secrète
sur les premiers temps du règne de ce prince, citée par
le marquis de Luchet dans sa Diatribe contre les illumi-
nés, une description de la chambre obscure où se faisaient
les évocations : elle était carrée, séparée en deux par un
voile transparent devant lequel étaitplacé le fourneau ma-
gique ou l'autel des parfums ; derrière le voile était un
piédestal sur lequel se montrait l'esprit. Eckartshausen,
dans son livre allemand sur la magie, décrit tout l'ap-
pareil de cette fantasmagorie. C'est un système de ma-
chine et de procédés pour aider l'imagination à se créer
les fantômes qu'elle désire, et pour jeter les consultants
dans une sorte de somnambulisme éveillé, assez sembla-
ble à la surexcitation nerveuse produite par l'opium ou
le hatchich. Ceux qui se contenteront des explications
données par l'auteur que nous venons de citer ne ver-
ront dans les apparitions que des effets de lanterne ma-
gique ; il y a autre chose certainement, et la lanterne
magique n'est dans cette affaire qu'un instrument utile,
mais non absolument nécessaire à la production du phé-
nomène. On ne fait pas sortir des reflets d'un verre de
couleur des visages autrefois connus et qu'on évoque par
la pensée; on ne fait pas parler les images peintes d'une
lanterne, et elles ne viennent pas répondre aux questions
delà conscience. Le roi de Prusse, à qui appartenait la
maison, savait à merveille comment elle était machinée,
et n'était pas dupe d'une jonglerie, comme le prétend
l'auteur de la correspondance secrète. Les moyens natu-
rels préparaient et n'accomplissaient pas le prodige ; il se
/j56 HISTOIRE DE LA MAGIE.

passait là réellement des choses à étonner le plus scepti-


que et à troubler le plus hardi. Schroepffer, d'ailleurs,
n'employai! ni la lanterne magique ni le voile, mais il
faisait boire à ses visiteurs un punch préparé par lui: les
figures qu'il faisait apparaître étaient comme celles du
médium américain Home, à demi corporelles, et produi-
saient une sensation étrange à ceux qui essayaient de les
tourner. C'était quelque chose d'analogue à une commo-
tion électrique qui faisait frissonner l'é[)iderme, et l'on
n'éprouvait rien si, avant de toucher à la vision, on avait
eu soin de se mouiller les mains. Schroepffer était de bonne
f o i , comme l'est aussi l'américain H o m e ; il croyait à la
réalité des esprits qu'il évoquait et se tua lorsqu'il vint à
en douler.
Lavaler, qui mourut aussi de mort violente, était en-
tièrement adonné à l'évocation des esprits, il en avait
deux à ses ordres ; il faisait partie d'un cercle où l'on se
mettait en extase au moyen de l'harmonica, on faisait
alors la chaîne, e t une espèce d'idiot servait d'inter-
prète à l'esprit en écrivant sous son impulsion. Cet esprit
se donnait pour un kabbali^te juif mort avant la nais-
sance de Jésus-Christ et fit écrire au médium des choses
tout à fait dignes des somnambules de ('ahagnet (1),
comme, par exemple, cette révélation sur les peines de
l'autre vie où l'esprit assure que l'âme de l'empereur
François est condamnée dans l'autre monde à faire le

( l ) M. Cahagnet est auteur des ouvrages suivants : Arcanes de la vie


future, 18Z|S-1854, 3 v o l . gr. i n - 1 2 ; Lumière des morts, 1851, 1 vol.
i n - 1 2 ; Magie magnétique, 2 édition, 1858, 1 vol. i n - 1 2 ;
e
Sanctuaire
du spiritualisme, 1 8 5 0 , 1 v o l . in-12: Révélations d'outre-tombe, 1856,
1 vol. in-12, etc.
LES I L L U M I N É S D'ALLEMAGNE. 457

compte et l'état exact de toutes les coquilles d'escargots


qui peuvent exister ou avoir existé dans tout l'univers. Il
révéla aussi que les vrais noms des trois mages n'étaient
point, comme le disait la tradition des légendaires, Gas-
par, Melchior et Balthasar, mais bien Vrasapharmion,
Melchisedech et Bolealhrasaron ; on croit lire des noms
écrits par nos modernes tables tournantes. L'esprit dé-
clara en outre qu'il était lui même en pénitence pour
avoir levé le glaive magique contre son père, et qu'il
était disposé à faire cadeau à ses amis de son portrait.
Sur sa demande, on plaça derrière un écran, du papier,
des couleurs toutes préparées et des pinceaux ; on vit
alors se dessiner sur l'écran la silhouette d'une petite
main, et on entendit un petit frottement sur le papier ;
quand le bruit cessa, tout le monde accourut, et l'on
trouva un portrait grossièrement peint, représentant un
vieux rabbin vêtu de noir avec une fraise blanche tom-
bant sur les épaules et une calotte noire sur le sommet
de la tête, costume un peu hétéroclite pour un person-
nage antérieur cà Jésus-Christ ; la peinture, d'ailleurs, était
tachée et incorrecte, et ressemblait beaucoup à l'œuvre
de quelque enfant qui se serait amusé à faire un colo-
riage les yeux fermés.
Les instructions écrites par la main du médium sous
l'impulsion de Gablidone sont d'une obscurité qui l'em-
porte sur celle de tous les métaphysiciens allemands.
— 11 ne faulpas donner, dit-il, le nom de majesté à la
légère ; majesté vient de mage, parce que les mages,
étant pontifes et rois, étaient les majestés premières.
Pécher mortellement, c'est offenser Dieu dans sa ma-
jesté, c'est-à-dire le blesser comme père en jetant la
458 HISTOIKB DE LA MAGIE.

mort dans les sources de la vie. L a source du Père est


lumière et vie, la source du Fils est sang et eau, la lu-
mière du Saint-Esprit est feu et or. On pèche contre le
Père parle mensonge, contre le Fils par la haine, et con-
tre le Saint-Esprit par la débauche qui est œuvre de mort
et de destruction. L e bon Lavater recevait ces communi-
cations comme des oracles, et lorsqu'il demandait à l'es-
prit quelques éclaircissements nouveaux : « L e grand
initiateur viendra, répondait Gablidone, il naîtra avec
le siècle prochain : alors la religion des patriarches sera
connue sur notre globe. Il expliquera au monde le tri-
gramme d'Âgion, Hélion, Tetragrammaton et le Seigneur
dont le corps est ceint d'un triangle apparaîtra sur la
quatrième marche de l'autel; l'angle suprême sera rouge
et la devise mytérieuse du triangle sera : Venite ad pa-
tres osphal. — Que veut dire le mot osphal? demanda
un des assistants à l'esprit. Le médium écrivit ces trois
mots : Alphos, M : Aphon, Eliphismatis, sans donner
d'autres explications ; quelques interprètes en conclurent
que le mage promis au x i x e
siècle se nommerait Maphon
fils d'Éiiphisma : c'était une explication peut-être un peu
risquée.

Rien n'est plus dangereux que le mysticisme, parce


qu'il produit la folie qui déjoue toutes les combinaisons
de la sagesse humaine. Ce sont toujours des fous qui
bouleversent le monde, et ce que les grands politiques ne
prévoient jamais, ce sont les coups de tête et les coups
de main des insensés. L'architecte du temple de Diane à
Éphèse, en se promettant une gloire éternelle, avait
compté sans Érostrate.
Les girondins n'avaient pas prévu Marat, Que fallait-
LES ILLUMINÉS D'ALLEMAGNE. 459

il pour changer l'équilibre du monde? dit Pascal à pro-


pos de Cromwell : un grain de sable formé par hasard
dans les entrailles d'un homme. Que de grandes choses
s'accomplissent par des causes qui ne sont rien ! Quand
le temple de la civilisation s'écroule, c'est toujours un
aveugle comme Samson, qui en a secoué les colonnes.
Un misérable de la lie du peuple a des insomnies et se
croit appelé à délivrer le monde de l'Antéchrist. Cet
homme poignarde Henri IV, et apprend à la France
consternée le nom de Ravaillac. Les thaumaturges
allemands voient dans Napoléon l'Apollyon de VApo-
calypse, et il se trouve un enfant, un jeune homme illu-
miné, nommé Stabs, pour tuer cet Atlas militaire qui,
en ce moment, portait sur ses épaules le monde arraché
au chaos de l'anarchie ; mais cette influence magnétique
que l'empereur appelait son étoile, était plus puissante
alors que le mouvement fanatique des cercles allemands :
Stabs ne put ou n'osa frapper. Napoléon voulut l'inter-
roger lui-même, et admira sa résolution et son audace;
toutefois, comme il se connaissait en grandeur, il ne voulut
pas amoindrir le nouveau Scevola en lui faisant grâce, il
l'estima assez pour le prendre au sérieux et pour le lais-
ser fusiller.

Cari Sand qui tua Kotzebue, était aussi un malheureux


enfant perdu de mysticisme, égaré par les sociétés se-
crètes où l'on jurait la vengeance sur des poignards.
Kotzebue méritait peut-être des soufflets, le couteau de
Sand le réhabilita et en fit un martyr : il est beau, en
effet, de mourir l'ennemi et la victime de ceux qui se
vengent par le guet-apens et par l'assassinat ! Les socié-
tés secrètes de l'Allemagne avaient des cérémonies et
460 HISTOIRE DE LA MAGIE.

des rites qui se rapportaient plus ou moins à ceux de l'an-


cienne magie ; dans la société des mopses, par exemple,
on renouvelait avec des formes adoucies et presque plai-
santes la célébration des mystères du sabbat et de la
réception secrète des templiers. L e bouc baphométique
était remplacé par un chien, c'était Hermanubisau lieu
de Pau ; la science à la place de la nature, substitution
équivalente, puisqu'on ne connaît la nature que par la
science. Les deux sexes étaient admis chez les mopses
comme au sabbat ; la réception était accompagnée
d'aboiements et de grimaces, et, comme chez les templiers,
on proposait au récipiendaire de baiser à son choix le
derrière du diable, celui du grand maître ou celui du
mopse ; le mopse était, comme nous venons de le dire,
une petite figure de carton recouverte de soie, repré-
sentant un chien, nommé mops en allemand. On devait
en effet, avant d'être reçu, baiser le derrière du mopse,
comme on baisait celui du bouc Mendès, dans les initia-
tions du sabbat. Les mopses ne s'engageaient pas les
uns aux autres par des serments, ils donnaient simple-
ment leur parole d'honneur, ce qui est le serment le
plus sacré des honnêtes g e n s ; leurs réunions se passaient
comme cellesdu sabbat, en danses et en festins, seulement,
les dames restaient vêtues, ne pendaient pas de chats
vivants à leurs ceintures et ne mangeaient pas de petits
enfants : c'était un sabbat civilisé.
L e sabbat eut en Allemagne son grand poëte et la
magie son é p o p é e : cette épopée, c'est le drame g i g a n -
tesque de Faust, cette Babel achevée du génie humain.
Goethe était initié à tous les mystères de la magie phi-
losophique, il avait même pratiqué dans sa jeunesse la
LES ILLUMINÉS D'ALLEMAGNE. 461

magie cérémonielle, et le résultat de ces tentatives au-


dacieuses avait été pour lui d'abord un profond dégoût
de la vie et une violente envie de mourir. 11 accomplit en
effet son suicide, non pas dans un acte, mais dans un livre:
il fit le roman de Verther, ce fatal ouvrage qui prêche
la mort et qui a fait tant de prosélytes; puis, victorieux
enfin du découragement et du dégoût, arrivé aux régions
sereines de la vérité et de la paix, il écrivit Faust. Faust
est le magnifique commentaire d'une des plus belles pa-
ges de l'Évangile, la parabole de l'enfant prodigue.
C'est l'initiation au péché par la science insoumise, à la
douleur par le péché; à l'expiation et à la science har-
monieuse par la douleur. Le génie humain, représenté
par Faust, prend pour valet l'esprit du mal, qui aspire
à devenir son maître, il épuise vite tout ce que l'ima-
gination met de joie dans ies amours iiiégitimes, ii tra-
verse les orgies de la folie, puis, attiré par le charme de
la souveraine beauté, il se relève du fond de ses désan-
chantements pour monter sur les hauteurs de l'abstrac-
tion et de l'idéal impérissable, là, Méphistophélès n'est
plus à l'aise, le rieur implacable devient triste, Voltaire
fait place à Chateaubriand ; à mesure que la lumière se
fait, l'ange des ténèbres se tord sur lui-même et se tour-
mente, les anges l'enchaînent, il les admire malgré lui,
il aime, il pleure, il est vaincu.
Dans la première partie du drame, nous avions vu
Faust séparé violemment de Marguerite, et des voix du
ciel avaient crié : Elle est sauvée, pendant qu'on la menait
au supplice ; mais Faust peut-il être perdu, puisqu'il est
toujours aimé de Marguerite, son cœur n'est-il pas déjà
fiancé au ciel I L e grand œuvre de la rédemption par la
462 HISTOIRE DE LA MAGÍE.

solidarité s'accomplit. L a victime serait-elle jamais con-


solée de ses tortures, si elle ne convertissait son bourreau ?
L e pardon n'est-il pas la vengeance des enfants du ciel ?
L'amour qui était arrivé au ciel le premier, attire à lui
la science par sympathie; le christianisme se révèle dans
son admirable synthèse. La nouvelle Eve a lavé avec le
sang d'Abel la tache du front de Gain, et elle pleure de
joie sur ses deux enfants qui se tiennent embrassés.
L'enfer, désormais inutile, est fermé pour cause d'a-
grandissement du ciel. L e problème du mal a reçu sa
dernière solution et le bien seul nécessaire et triomphant
va régner dans l'éternité.
Tel est le beau rêve du plus grand de tous les poetes,
mais malheureusement ici le philosophe oublie toutes les
lois de l'équilibre, il veut absorber la lumière dans une
splendeur sans ombre et le mouvement dans un repos
absolu qui serait la cessation de la vie. Tant qu'il y
aura une lumière visible, il y aura une ombre propor-
tionnelle à cette lumière. L e repos ne sera jamais le
bonheur, s'il n'est équilibré par un mouvement analo-
gue et contraire ; tant qu'il y aura une bénédiction libre,
le blasphème sera possible ; tant qu'il y aura un ciel, il
y aura un enfer. C'est la loi immuable de la nature,
c'est la volonté éternelle de la justice qui est Dieu !
E M P I R E E T R E S T A U R A T I O N . 463

CHAPITRE VII.
E M P I R E E T R E S T A U R A T I O N .

S O M M A I R E . — Le côté merveilleux du règne de Napoléon. — Prédictions


qui l'avaient annoncé. — Prophéties du Liber mirabilis, de Nostra-
damus et d'Olivarius. — Rôle joué sous l'empire par mademoiselle Le
Normand. — La sainte-alliance et l'empereur Alexandre. — Madame
Bouche et madame de Krudener. —Les visions de Martin (de Gallardon).

Napoléon remplissait le monde de merveilles et il était


lui-même la plus grande merveille du monde; sa femme,
Vimpératrice Joséphine, curieuse et crédule comme une
créole, passait d'enchantements en enchantements. Cette
gloire lui avait été prédite, assure-t-on, par une vieille
bohémienne, et le peuple des campagnes croit encore
que Joséphine était, elle-même, le bon génie de l'empe-
reur; c'était en effet une douce et modeste conseillère,
qui l'eût écarté de bien desécueils, s'il eût toujours écouté
sa voix, mais la fatalité ou plutôt la Providence le pous-
sait en avant, et ce qu'il avait à devenir était écrit.
Dans une prophétie attribuée à saint Césaire, mais
qui est signée Jean de Vatiguerro, et qui se trouve dans
le Liber mirabilis, recueil de prédictions imprimé en 1524,
on lit ces paroles étonnantes :
« L e s églises seront souillées et profanées, le culte
public cessera...
« L'aigle volera par le monde et se soumettra plusieurs
nations...
« Le prince le plus grand et le plus auguste souverain
de tout l'Occident, sera mis en fuite après une défaite
surnaturelle...
464 HISTOIRE DE LA MAGIE.

« L e très noble prince sera mis en captivité par ses


ennemis et s'affligera en pensant à ceux qui étaient atta-
chés à lui...
« Avant que la paix se rétablisse en France, les mêmes
événements recommenceront et se produiront plusieurs
fois...
« L'aigle sera couronné de trois diadèmes, et il rentrera
victorieux dans son aire d'où il ne sortira plus que pour
s'élever vers le ciel... »
A ostradamus, après avoir prédit la spoliation des églises
1

et le meurtre des prêtres, annonce qu'un empereur naîtra


près de l'Italie, que sa souveraineté coûtera bien du sang
à la France, et que les siens le trahiront et l'accuseront
du sang versé.

Un empereur naîtra près d'Italie,


Qui, à l'empire, sera vendu bien c h e r ;
Mais il doit voir à quels gens il s'allie,
Qui le diront moins prince que boucher.

De soldat simple parviendra à l ' e m p i r e ,


De robe courte parviendra à la longue ;
Vaillant aux armes, en l'Kglise au plus pire,
Traiter les prêtres c o m m e l'eau fait l'éponge.

C'est-à-dire qu'au moment des plus grandes calami-


tés de l'Église, il comblera les prêtres de biens.
Dans un Recueil de prophéties, publié en 4820, dont
nous possédons un exemplaire, on trouve, après une pré-
diction qui concerne Napoléon I E R
, cette phrase ;
« Lt fera le neveu ce que l'oncle n'avait pu faire. »
La célèbre mademoiselle Lenormand avait dans sa bi-
bliothèque un volume cartonné, à dos de parchemin, con-
tenant le Traité d'Olivarius sur les prophéties, suivi de
EMPIRE ET RESTAURATION. 465

dix pages manuscrites où le règne de Napoléon et sa


chute étaient formellement annoncés. La devineresse com-
muniqua ce livre à l'impératrice Joséphine. Puisque nous
venons de nommer mademoiselle Lenormand, il faut
dire quelques mots de cette singulière femme : c'était une
grosse demoiselle fort laide, emphatique dans ses dis-
cours, amphigourique dans son style, mais somnam-
bule éveillée et d'une lucidité toute particulière ; elle fut
sous le premier empire et sous la restauration la devine-
resse à la mode. Rien n'est plus fastidieux que la lecture
de ses ouvrages, mais elle tirait les cartes avec le plus
grand succès.
La cartomancie retrouvée en France par Éteilla n'est
autre chose que la consultation du sort au moyen de si-
gnes convenus d'avance ; ces signes combinés avec les
nombres, inspirent des oracles au médium qui se magné-
tise en les regardant. On tire ces signes au hasard après
les avoir lentement mêlés, on les dispose par nombre
kabbalistiques, et ils répondent toujours à la pensée de
celui qui les interroge sérieusement et de bonne foi, car
nous portons en nous tout un monde de pressentiments
auxquels il ne faut qu'un prétexte pour nous apparaître.
Les natures impressionnables et sensitives reçoivent de
nous le choc magnétique qui leur communique l'em-
preinte de notre état nerveux. L e médium peut alors lire
nos craintes et nos espérances dans les rides de l'eau,
dans la configuration des nuages, dans les points jetés
au hasard sur la terre, dans les dessins laissés sur une
assiette par du marc de café, dans les chances d'un jeu de
cartes ou d'un tarot. L e tarot surtout, ce livre kabbalis-
tique et savant, dont toutes les combinaisons sont une
30
466 HISTOIRE DE LA MÀCIË.

révélation des harmonies préexistantes entre les signes,


les lettres et les nombres, le tarot est alors d'un usage
vraiment merveilleux. Mais nous ne pouvons impuné-
ment nous arracher ainsi à nous-mêmes les secrets de
notre communication intime avec la lumière universelle.
L a consultation des cartes et des tarots est une véritable
évocation qui ne peut se faire sans danger et sans crime.
Dans les évocations, nous forçons notre corps astral à
nous apparaître, dans la divination nous le contraignons
à nous parler ; nous donnons ainsi un corps à nos chimères
et nous faisons une réalité prochaine de cet avenir qui
sera véritablement le nôtre, quand nous l'aurons évoqué
par le Verbe et adopté par la foi. Contracter l'habitude
de la divination et des consultations magnétiques, c'est
faire un pacte avec le vertige : or, nous avons déjà établi
que le vertige c'est l'enfer.
Mademoiselle Lenormand était folle d'infatuation de
son art et d'elle-même ; le monde ne roulait pas sans elle,
et elle se croyait nécessaire à l'équilibre européen. Lors
du congrès d'Aix-la-Chapelle, la devineresse partit
suivie de tout son mobilier, se fit des affaires à toutes
les douanes, et tourmenta toutes les autorités pour qu'on
fût en quelque sorte forcé de s'occuper d'elle : c'était la
vraie mouche du coche, et quelle mouche ! A son r e -
tour, elle publia ses impressions et mit en tête de son
livre une vignette où elle se représente entourée de
toutes les puissances qui la consultent et qui tremblent
devant elle.
Les grands événements qui venaient de s'accomplir
dans le monde avaient tourné à cette époque les âmes
vers le mysticisme, une réaction religieuse était corn-
EMPIRE ET RESTAURATION. 467

mencée, et les souverains qui formèrent la sainte alliance


sentaient le besoin de rattacher à la croix leurs sceptres
unis en faisceaux. L'empereur Alexandre, surtout, croyait
que l'heure était venue pour la sainte Russie de convertir
le monde à l'orthodoxie universelle.
La secte des sauveurs de Louis X V I I , secte intrigante
et remuante, voulut profiter de cette disposition pour
fonder un nouveau sacerdoce et parvint à introduire
près de l'empereur de Russie une de ses illuminées. Cette
nouvelle Catherine Théot, que les sectaires appelaient
sœur Salomé, se nommait madame Bouche; elle passa
dix-huit mois à la cour de l'empereur, ayant souvent avec
lui des entretiens secrets ; mais Alexandre avait plus
d'imagination dévote que de véritable enthousiasme, il
se plaisait au merveilleux, et prétendait qu'on l'amusât.
Ses confidents mystiques lui présentèrent une prophè-
tesse nouvelle qui lui fit oublier la sœur Salomé, c'était
la fameuse madame de Krudener, cette aimable coquette
de piété et de vertus, qui fit et ne fut pas Valérie. Son
ambition était pourtant qu'on la crût l'héroïne de son
livre, et comme une de ses intimes amies la pressait de
lui en nommer le héros, elle désigna un homme éminent
de ce temps-là. — Mais alors, dit l'amie, le dénoûment
de votre livre n'est pas conforme à la vérité de l'anecdote,
car ce monsieur n'est pas mort. — O h ! ma chère, s'écria
madame de Krudener, je vous assure qu'il n'en vaut
guère mieux. Cette réponse fit fortune. Madame de
Krudener exerça sur l'esprit un peu faible d'Alexandre
une influence assez grande pour alarmer ses conseillers,
il s'enfermait souvent avec elle pour prier, mais elle se
perdit par excès de zèle. Un jour, comme l'empereur allait
/.68 HISTOIRE DE LÀ MAGIE.

la quitter, elle se jette au-devant de lui et le conjure de


ne pas sortir. Dieu me révèle, dit-elle, que vous courez un
grand danger : on en veut à votre vie; un assassin est
caché dans le palais. L'empereur s'alarme, il sonne, il
se fait entourer de gardes, on fait des perquisitions et
'on finit par trouver un pauvre diable muni d'un poi-
gnard. Cet homme, interrogé, se trouble et finit par avouer
qu'il a été introduit par madame Krudener elle-même.
Était-ce vrai, et cette dame avait-elle joué dans cette af-
faire le rôle de Latude près de madame Pompadour?
Était-ce faux, et cet homme, aposté par les ennemis de
l'empereur, avait-il pour mission secrète, si le meurtre
ne réussissait p a s , de perdre madame Krudener? De
toutes façons, la pauvre prophétesse fut perdue. L'em-
pereur, honteux d'avoir été pris pour dupe, la congédia
sans l'entendre, et elle, dut s'estimer heureuse encore
d'en être quitte à si bon marché.
La petite église de Louis X V I I ne se tint pas pour
battue par la disgrâce de madame Bouche, et vit dans
celle de madame de Krudener un véritable châtiment
divin, ils continuèrent leurs prophéties, et firent a u b e -
soin des miracles. Sous le règne de Louis X V I I I , ils mi-
rent en avant un paysan de la Beauce, nommé Martin,
qui soutenait avoir vu un ange. Cet ange, dont il décrivait
le costume et la figure, avait toute l'apparence d'un
laquais de bonne maison : il avait une redingote très
longue et très serrée à la taille, d'une couleur jaunâtre
ou blonde, il était pâle et mince et portait sur sa tête un
chapeau probablement galonné et verni. Ce qu'il y a
d'étrange, et ce qui prouve une fois de plus combien il y
a de ressources dans la persistance et dans l'audace,
EMPIRE ET RESTAURATION. ¿69

c'est que cet homme se fit prendre au sérieux, et parvint


à s'introduire auprès du roi. On assure qu'il l'étonna
par des révélations de sa vie intime, révélations qui n'ont
rien d'impossible ni même d'extraordinaire, maintenant
que les phénomènes du magnétisme sont mieux consta-
tés et mieux connus.
Louis X V I I I , d'ailleurs, était assez sceptique pour être
crédule. L e doute en présence de l'être et de ses harmo-
nies, le scepticisme en face des mathématiques éternelles
et des lois immuables de la vie qui rendent la divinité
présente et visible partout, n'est-ce pas la plus sotte des
superstitions et la plus inexcusable comme la plus dan-
gereuse de toutes les crédulités ?
L I V R E V I I .

LA MAGIE AU XIX E
SIÈCLE.

T, Zaïn.

CHAPITRE PREMIER.

LES MAGNÉTISEURS MYSTIQUES ET LES MATÉRIALISTES.

S O M M A I R E . — Une évocation dans l'église de Notre-Dame. — Les faux


prophètes et les faux dieux.

La négation du dogme fondamental de la religion ca-


tholique, si poétiquement formulée dans le poëme de
Faust, avait porté ses fruits dans le monde. La morale
privée de sa sanction éternelle devenait douteuse et
chancelante. Un mystique matérialiste retourna le sys-
tème de Swedenborg pour créer sur la terre le paradis
des attractions proportionnelles aux destinées. Par les
attractions, Fourier entendait les passions sensuelles,
auxquelles il promettait une expansion intégrale et abso-
lue. Dieu, qui est la suprême raison, marqua d'un sceau
terrible ces doctrines réprouvées : les disciples de Fou-
rier avaient commencé par l'absurdité, ils finirent par
la folie.
Ils crurent sérieusement au changement prochain de
l'Océan en un vaste bol de limonade, à la création future
des antilions et des antiserpents, à la correspondance
épistolaire des planètes les unes avec les autres. Nous ne
PIJFUL г -tío.

Plan général de la doctrine des Kabbalistes.


LES MAGNÉTISEURS MYSTIQUES ET LES MATÉRIALISTES. /J71

parlons pas de la fameuse queue de trente-deux pieds


dont ils voulaient, dit-on, gratifier l'espèce humaine,
parce qu'ils ont eu eux-mêmes la générosité de renoncer
à cette queue et d'en considérer l'avènement, possible,
suivant le maître, comme purement hypothétique.
C'est à de pareilles absurdités que devait conduire la
négation de l'équilibre, et il y a au fond de toutes ces
folies plus de logique qu'on ne pense. La même raison
qui nécessite la douleur dans l'humanité, rend indispen-
sable l'amertume des eaux de la mer ; supposez bonne
l'expansion intégrale des instincts, et vous ne pourrez
plus admettre l'existence des animaux féroces; donnez
à l'homme pour toute moralité l'aptitude à satisfaire ses
appétits, il aura toujours quelque chose à envier aux
orangs-outangs et aux singes. Nier l'enfer, c'est nier le
ciel, puisque, suivant la plus haute interprétation du
dogme unique d'Hermès, l'enfer est la raison équili-
brante du ciel, parce que l'harmonie résulte de l'ana-
logie des contraires. Quod superius,sicutquod inferius,
la supériorité existe en raison de l'infériorité; c'est la
profondeur qui détermine la hauteur, et si vous comblez
les vallées vous ferez disparaître les montagnes; de
même, si vous effacez les ombres, vous anéantirez la lu-
mière qui n'est visible que par le contraste gradué de
l'ombre et du jour, et vous produirez l'obscurité univer-
selle par un immense éblouissement ; les couleurs même
n'existent dans la lumière que par la présence de l'om-
bre, c'est la triple alliance du jour et de la nuit, c'est
l'image lumineuse du dogme, c'est la lumière faite o m -
bre, comme le Sauveur est le Verbe fait homme, et tout
cela repose sur la même loi, la loi première de la création,
¿72 HISTOIRE DE L A MAGIE,

la loi unique et absolue de la nature, celle de la distinc-


tion et de la pondération harmonieuse des forces contrai-
res dans l'équilibre universel.
Ce n'est pas le dogme de l'enfer, ce sont les interpré-
tations téméraires de ce dogme qui ont révolté la con-
science publique. Ces rêves barbares du moyen âge, ces
supplices atroces et obscènes sculptés sur les portiques
des églises, cette infâme chaudière où cuisent des chairs
humaines ajamáis vivantes pour souffrir et à la fumée de
laquelle se réjouissent les élus, tout cela est absurde et
impie, mais tout cela n'appartient pas au dogme sacré de
l'Église. La cruauté attribuée à Dieu est le plus affreux
des blasphèmes, et c'est pour cela même que le mal est
à jamais sans remède, quand la volonté- de l'homme se
refuse à la bonté divine. Dieu n'inflige pas plus aux
damnés les tortures de la réprobation, qu'il ne donne la
mort à ceux qui se suicident.
a Travaille pour posséder, et tu seras heureux, dit à
l'homme la justice suprême.
— Je veux posséder et jouir sans travailler !
— alors tu voleras et tu souffriras.
— Je me révolterai !
— Alors tu te briseras et tu souffriras davantage.
— Je me révolterai toujours !
— Alors tu souffriras éternellement. »
Tel est l'arrêt de la raison absolue et de la souveraine
justice ; que peut répondre à cela l'orgueil de la folie
humaine ?
La religion n'a pas de plus grands ennemis que le
mysticisme téméraire qui prend les visions de sa fièvre
pour des révélations divines. Ce ne sont pas les théolo-
LES MAGNÉTISEURS MYSTIQUES ET LES MATÉRIALISTES. /j.73

giens qui ont créé l'empire du diable, ce sont les faux


dévots et les sorciers.
Croire à une vision de notre cerveau plutôt qu'à l'au-
torité de la raison et de la piété publiques, tel est toujours
le commencement de l'hérésie en religion, de la folie
dans l'ordre de la philosophie humaine ; un fou ne serait
jamais fou s'il croyait à la raison des autres.
Les visions ne manquent jamais à la piété révoltée,
pas plus que les chimères à une raison qui s'excommu-
nie et qui s'égare.
A ce point de vue, le magnétisme a certainement ses
dangers : car l'état de crise amène aussi bien les hallu-
cinations que les intuitions lucides.
Nous consacrerons dans ce livre un chapitre spécial
aux magnétiseurs, les uns mystiques, les autres matéria-
listes, et nous les avertirons, au nom de la science, des
dangers auxquels ils s'exposent.
Les consultations du sort, les expériences magnéti-
ques et les évocations appartiennent à un seul et même
ordre de phénomènes. Or, ce sont des phénomènes dont
on ne saurait impunément abuser, il y va de la raison et
delà vie.
11 y a trente ou quarante ans, un vicaire de chœur de
l'église de Notre-Dame, homme fort pieux et fort esti-
mable d'ailleurs, s'était épris du magnétisme, et se li-
vrait à de fréquentes expériences, il consacrait plus de
temps qu'il ne l'aurait peut-être dû, à la lecture des
mystiques, et surtout du vertigineux Swedenborgj sa
tête bientôt se fatigua, il fut travaillé d'insomnies, il se
levait alors pour étudier, ou même lorsque l'étude n'arri-
vait pas à calmer les agitations de son cerveau, il prenait
hJk HISTOIRE DE LA MAGIE.

la clef de l'église et y entrait par la porte rouge, il péné-


trait ensuite dans le chœur éclairé seulement par la fai-
ble lampe du maître-autel, gagnait sa stalle et y restait
jusqu'au matin, abîmé dans des prières et des médita-
tions profondes.
Une nuit, le sujet de sa méditation était la damnation
éternelle, il songeait à la doctrine si menaçante du petit
nombre des élus, et ne savait comment concilier cette
rigoureuse exclusion du plus grand nombre avec la
bonté infinie de ce Dieu qui veut que tous les hommes
soient sauvés, dit l'Écriture sainte, et qu'ils arrivent à
la connaissance de la vérité ; il pensait à ce supplice du
feu que le plus cruel tyran de la terre ne voudrait pas
infliger, s'il le pouvait, pendant une journée seulement,
à son plus cruel ennemi, et le doute entrait de tous côtés
dans son cœur; puis il se mit à songer aux explications
conciliantes de la théologie. L'Église ne définit pas le feu
de l'enfer, il est éternel, suivant l'Évangile, mais il n'est
écrit nulle part que le plus grand nombre des hommes
doit le souffrir éternellement. Beaucoup de réprouvés
pourront n'avoir à supporter que la peine du dam, c'est-
à-dire, la privation de Dieu ; enfin l'Église défend absolu-
ment de supposer la damnation de personne. Les païens
ont pu être sauvés par le baptême de désir, les pécheurs
scandaleux par une contrition subite et parfaite, enfin
il faut espérer pour tous et prier pour tous, excepté pour
un seul, celui de qui le Sauveur a dit qu'il eût été plus
avantageux pour cet homme-là de n'être point né.
Le vicaire s'arrêta à cette dernière pensée, et songea
tout à coup qu'un seul homme portait ainsi officielle-
ment le poids de la réprobation depuis des siècles; que
LES MAGNÉTISEURS MYSTIQUES ET LES MATÉRIALISTES. 475

Judas Iscariote, car c'est de lui qu'il s'agit dans le pas-


sage de l'Écriture, après s'être repenti de son forfait
jusqu'à en mourir, était devenu le bouc émissaire de l'hu-
manité, l'Atlas de l'enfer, le Prométhée delà damnation,
lui que le Sauveur prêt à mourir avait appelé son a m i !
Ses yeux alors se remplirent de larmes, il lui sembla que
la rédemption était sans effet, si elle n'avait pas sauvé
Judas ; c'est pour celui-là et pour celui-là seul, répétait-
il dans son exaltation, que j'aurais voulu mourir une se-
conde fois, si j'avais été le Sauveur! mais Jésus-Christ
n'est-il pas meilleur que moi mille fois? Que doit-il donc
faire maintenant dans le ciel, pendant que je pleure son
malheureux apôtre sur la terre?... Ce qu'il fait, ajouta le
prêtre en s'exaltant de plus en plus, il me plaint et il me
console ; je le sens, il dit à mon cœur que le paria de
l'Évangile est sauvé, et qu'il sera, par la longue malédic-
tion qui pèse encore sur sa mémoire, le rédempteur de
tous les parias... — Mais s'il en est ainsi, c'est un nouvel
Évangile qu'il faut annoncer au monde... celui de la
miséricorde infinie, universelle, au nom de Judas régé-
néré... Mais je m'égare, je suis un hérétique, un im-
p i e ! . . . Non cependant, puisque je suis de bonne foi ! . . .
Puis joignant les mains avec ferveur : «Mon Dieu, dit le
vicaire, donnez-moi ce que vous ne refusiez pas jadis
à la foi, ce que vous ne lui refusez pas encore... un mi-
racle pour me convaincre et me rassurer, un miracle
comme gage d'une mission nouvelle... »

L'enthousiaste alors se lève, et dans le silence de la


nuit, si formidable, au pied des autels, dans l'immen-
sité de cette église muette et sombre, il prononce à haute
voix, d'une voix lente et solennelle, cette évocation :
476 HISTOIRE DE LA. MAGIE.

« Toi qu'on maudit depuis dix-huit siècles, et que je


pleure, car tu semblés avoir pris l'enfer pour toi seul,
afin de nous laisser le ciel, malheureux Judas, s'il est
vrai que le sang de ton Maître t'a purifié, si tues sauvé,
viens m'imposer les mains pour le sacerdoce de la misé-
ricorde et de l'amour î »
Le vicaire ayant dit ces paroles, et pendant que l'écho
éveillé en sursaut les murmurait erîcore sous les voûtes
épouvantées, le vicaire se lève, traverse le chœur, et va
s'agenouiller sous la lampe au pied du maître-autel.
« Alors, dit-il (car c'est à lui-même.que nous devons le
récit de cette histoire), alors je sentis positivement et
réellement deux mains, deux mains chaudes et vivantes,
se poser sur ma tête, comme font celles de l'évêque le
jour de l'ordination, je ne dormais pas, je n'étais pas
évanoui, et je les sentis ; c'était un contact réel et qui
dura quelques minutes. Dieu m'avait exaucé, le miracle
était fait, de nouveaux devoirs m'étaient imposés, et une
vie nouvelle commençait pour moi ; à partir du lende-
main, je devais être un nouvel homme... »
Le lendemain, en effet, le malheureux vicaire était
fou.
Le rêve d'un ciel sans enfer, le rêve de Faust a fait
bien d'autres victimes dans ce malheureux siècle de doute
et d'égoïsme qui n'est parvenu à réaliser qu'un enfer
sans ciel. Dieu même devenait inutile dans un système
où tout était permis, où tout était bien. Les hommes
arrivés à ne plus craindre un juge suprême trouvèrent
bien facile de se passer du Dieu des bonnes gens, moin?
Dieu, en effet, que les bonnes gens eux-mêmes. Les fous
qui s'érigeaient en vainqueurs du diable en arrivèrent à
LES MAGNÉTISEURS MYSTIQUES ET LES MATÉRIALISTES. 4-77

se faire dieux. Notre siècle est surtout celui de ces mas-


carades prétendues divines, nous en avons connu de
toutes les sortes. L e dieu Ganneau, bonne et trop poéti-
que nature, qui eût donné sa chemise aux pauvres, et
qui réhabilitait les voleurs, Ganneau qui admirait Lace-
naire, et qui n'eût pas tué une mouche ; le dieu Che-
neau, marchand de boutons de la rue Croix-des-Petits-
Champs, qui était visionnaire comme Swedemborg et qui
écrivait ses inspirations en style de Jeannot, le dieu
Tourreil, bon et excellent homme qui divinise la femme,
et veut qu'Adam soit sorti d'Eve; le dieu Auguste
Comte, qui conservait de la religion catholique tout, ex-
cepté deux choses, deux misères : l'existence de Dieu et
l'immortalité de l'âme ; le dieu Wronski, vrai savant
celui-là, qui eut la gloire et le bonheur de retrouver les
premiers théorèmes de la kabbale, et qui, en ayant vendu
la communication cent cinquante mille francs à un riche
imbécile nommé Arson, déclare dans un de ses livres
les plus sérieux que ledit Arson, pour avoir refusé de le
payer intégralement, est devenu réellement et en vérité
la bête de Y Apocalypse. Voici ce curieux passage que
nous tenons à citer, pour qu'on ne nous accuse pas d'in-
justice envers un homme dont les travaux nous ont été
utiles, et dont nous avons fait sincèrement l'éloge dans
nos précédentes publications.
Wronski, pour forcer Arson à le payer, avait publié
une brochure intitulée Oui ou N O N , c'est-à-dire, m'avez-
vousacheté, oui ou non, pour cent-cinquante millefrancs
ma découverte de l'absolu ?
Or, voici en quels termes, dans son livre intitulé :
478 HISTOIRE DE LA MAGÏÈ.

Réforme de la philosophie, Wronski (1) rappelle à l'uni-


vers entier qui ne s'en soucie guère, la publication de cette
brochure; on trouvera par la même occasion dans ce
passage un échantillon curieux du style de ce négociant
en absolu.
« Ce fait de la découverte de l'absolu, qui paraît si
fortement révolter les hommes, se trouve déjà constaté
dans un grand scandale, celui du fameux oui ou N O N ,
aussi décisif par l'éclatant triomphe de la vérité qui en
fut l'issue, qu'il est remarquable par l'apparition sou-
daine de l'être symbolique dont menace Y Apocalypse,
de ce monstre delà création, qui porte au front le nom
de MYSTÈRE, et qui, cette fois, craignant d'être frappé
mortellement, ne put plus contenir dans l'ombre ses hi-
deuses convulsions, et vint, par la voie des journaux et
par toutes les autres voies où l'on entraîne le public,
étaler au grand jour sa rage infernale et son extrême
imposture, etc. »
îl est bon de savoir que ce pauvre Ârson qui est
accusé ici de rage infernale et d'extrême imposture avait
déjà payé à l'hiérophante quarante ou cinquante mille
francs.
L'absolu que Wronski vendait si cher, nous l'avons
retrouvé après lui, et nous l'avons donné pour rien à nos
lecteurs, car la vérité est due au monde, et nul n'a le
droit de se l'approprier et d'en faire métier et marchan-
dise. Puisse cet acte de justice expier la faute d'un
homme qui est mort dans un état voisin de la misère,
après avoir tant travaillé, non pas pour la science, mais

(1) Wronski, Réforme de la philosophie, p. 512.


DÉS H A L L U C I N A T I O N S . /¡.79

pour s'enrichir au moyen de la science, qu'il n'était peut-


être digne ni de comprendre ni de posséder.

CHAPITRE II.
DES HALLUCINATIONS.

S O M M A I R E . — Encore la secte des sauveurs de Louis X V I I . — Singulières


hallucinations d'un ouvrier cartonnier nommé Eugène Vintras.—Ses
prophéties et ses prétendus miracles. — Accusations portées contre
lui par des sectaires dissidents. — Les moeurs des faux gnostiques. —
Les hallucinations contagieuses.

On trouve toujours au fond du fanatisme de toutes les


sectes un principe d'ambition ou de cupidité ; Jésus-
Christ lui-même avait souvent réprimandé sévèrement
ceux de ses disciples qui ne l'entouraient, pendant les
jours de ses privations et de son exil au milieu même de
sa patrie, que dans l'espérance d'un royaume où ils au-
raient les premières places. Plus les espérances sont folles,
plus elles séduisent certaines imaginations ; on paye alors
de sa bourse et de sa personne le bonheur d'espérer.
C'est ainsi que le dieu Wronski ruinait des imbéciles en
leur promettant l'absolu ; que le dieu Auguste Comte
se faisait six mille livres de rentes aux dépens de ses
adorateurs, auxquels il avait distribué d'avance des digni-
tés fantastiques, réalisables lorsque sa doctrine aurait
conquis le monde; c'est ainsi que certains magnétiseurs
tirèrent de l'argent à un grand nombre de dupes en leur
promettant des trésors que les esprits dérangent tou-
jours Quelques sectaires croient réellement à ce qu'ils
480 HISTOIRE DE LA MAGIE.

promettent, et ceux-là sont les plus infatigables et les


plus hardis dans leurs intrigues: l'argent, les miracles, les
prophéties, rien ne leur manque, parce qu'ils ont cet
absolu de volonté et d'action qui fait réellement des pro-
diges, ce sont des magiciens sans le savoir.
La secte des sauveurs de Louis X V I I appartient,
sous ce rapport, à l'histoire de la magie. L a folie de ces
hommes est contagieuse au point de gagner à leurs
croyances ceux-mêmes qui viennent les trouver pour les
combattre ; ils se procurent les pièces les plus impor-
tantes et les plus introuvables, attirent à eux les plus
singuliers témoins, évoquent des souvenirs perdus, c o m -
mandent à l'armée des rêves, font apparaître des anges
à Martin, du sang à Rose Tamisier, un ange en guenilles
à Eugène Vintras. Cette dernière histoire est curieuse
à cause de ses suites phénoménales, et nous allons la ra-
conter.
En 1839, les sauveurs de Louis X V I I qui avaient
rempli les almanachs de prophéties pour l'an 1840,
comptant bien que, si tout le monde attendait une révolu-
tion, cette révolution ne tarderait pas à s'accomplir, les
sauveurs de Louis X V I I qui n'avaient plus leur prophète
Martin résolurent d'en avoir un autre ; quelques-uns de
leurs agents les plus zélés étaient en Normandie, pays
dont le faux Louis XVII avait la prétention d'être le
duc ; ils jetèrent les yeux sur un ouvrier dévot, d'un
caractère exalté et d'une tête faible, et voici le tour dont
ils s'avisèrent : ils supposèrent une lettre adressée au
prince, c'est-à-dire au prétendu Louis X V I I , rempli-
rent cette lettre des promesses emphatiques du règne
futur, jointes à des expressions mystiques capables de
DES H A L L U C I N A T I O N S . /j81

faire impression sur une tête faible et firent tomber cette


lettre dans les mains de l'ouvrier qui se nommait Eugène
finiras, avec les circonstances que lui-même va nous
raconter :

« Le 6 août 1839.

» À neuf heures environ, j'étais occupé à écrire..., on


frappe à la porte de la chambre où j'étais ; croyant que
c'était un ouvrier qui avait affaire à moi, je réponds assez
brusquement: Entrez. Je fus bien surpris, au lieu d'un
ouvrier, de voir un vieillard déguenillé ; je lui demandai
seulement ce qu'il voulait.
» Il me répondit bien tranquillemeut : Ne vous fâchez
pas, Pierre-Michel (noms dont jamais personne ne se
sert pour me nommer ; dans tout'le pays on m'appelle
Eugène, et même, lorsque je signe quelque chose, je ne
mets jamais ces deux prénoms).
» Cette réponse de mon vieillard me fit une certaine
sensation ; mais elle augmenta lorsqu'il médit : « Je suis
» bien fatigué ; partout où je me présente , on me re-
» garde avec mépris ou comme un voleur. » Ces der-
nières paroles m'effrayèrent beaucoup, quoique dites d'un
air triste et malheureux. Je me levai, et pris devant moi
non pas de la monnaie, mais une pièce de dix sous que
j e lui mis dans la main en lui disant : Je ne vous prends
pas pour cela, mon brave homme. Et en lui disant cela,
j e lui fis apercevoir que j e voulais l'éconduire. Il ne
demanda pas mieux et me tourna le dos d'un air peiné.
» A peine eut-il mis le pied sur la dernière marche
que je retirai la porte sur moi, et la fermai à clef. Ne
l'entendant pas descendre, j'appelai un ouvrier et lui
3!
&82 HISTOIRE DE LA MAGIE.

dis de monter à ma chambre. Là, sous prétexte d'affai-


res, j'espérais lui faire parcourir avec moi tous les en-
droits que j e jugeais possibles de cacher mon vieillard,
que j e n'avais pas vu sortir. Cet ouvrier monte à ma
chambre, j e sors avec lui en fermant ma porte à clef,
et je parcourus tous les plus petits réduits. Je ne vis
rien.
» J'allais entrer dans la fabrique, quand tout à coup
j'entends sonner une messe. J'éprouvais du plaisir p e n -
sant que, malgré le dérangement de mon vieillard, j e
pourrais néanmoins assister à une messe. Alors j e courus
à ma chambre pour prendre un livre de prières. Je
trouvai, à la place où j'écrivais, une lettre adressée à
madame de Générés, à Londres. Cette lettre était signée
et écrite par M. Paul de Montfleury, de Caen, et con-
tenait une réfutation d'hérésie et une profession de foi
orthodoxe.
» Cette lettre, quoique adressée à madame de Générés,
était destinée à remettre sous les yeux du duc de Nor-
mandie les plus grandes vérités de notre sainte reli-
gion catholique, apostolique et romaine. Sur la lettre était
posée la pièce de dix sous que j'avais donnée à mon
vieillard. »
Dans une autre lettre, Pierre-Michel avoue que la
figure de ce vieillard ne lui était pas inconnue, mais
qu'en le voyant ainsi apparaître tout à coup, il eut extra-
ordinairement peur, il verrouilla et barricada la porte
quand il fut sorti, écouta longtemps à la porte s'il l'en-
tendait descendre. Le vieux mendiant ôta sans doute ses
souliers pour descendre sans faire du bruit, car Vintras
n'entendit rien $ il court alors à la fenêtre et ne le voit
DÈS H A L L U C I N A T I O N S . /l83

pas sortir, attendu qu'il était sorti depuis longtemps.


Voilà mon homme bouleversé, il appelle au secours,
cherche partout, trouve enfin la lettre qu'on voulait lui
faire l i r e , c'est évidemment une lettre tombée du ciel.
Voilà Vintras dévoué à Louis X V I I , le voilà visionnaire
pour le reste de ses jours, car désormais l'image du
vieux mendiant ne le quittera plus. Ce mendiant devien-
dra saint Michel, parce qu'il l'a appelé Pierre-Michel, as-
sociation d'idées analogue à celles des rêves. Les hallu-
cinés de la secte de Louis X V I I avaient deviné, avec la
seconde vue des maniaques, juste le moment où il fallait
frapper la faible tête de Vintras pour en faire en un seul
instant un illuminé et un prophète.
La secte de Louis X V I I se compose surtout d'anciens
serviteurs de la royauté légitimiste, aussi Vintras, devenu
leur médium, est-il le fidèle reflet de toutes ces imagina-
tions pleines de souvenirs chevaleresques et de mysti-
cisme vieilli. Ce sont partout, dans les visions du nouveau
prophète, des lys baignés de sang, des anges en costume
de chevaliers, des saints déguisés en troubadours. Puis
apparaissent des hosties collées sur de la soie bleue.
Vintras a des sueurs de sang, et son sang apparaît sur les
hosties, où il dessine des coeurs avec des légendes de
l'écriture et de l'orthographe de Vintras; des calices
vides paraissent tout à coup pleins de vin, puis où le vin
tombe apparaissent des taches de sang. Les initiés
croient entendre une musique délicieuse et respirer des
parfums inconnus ; des prêtres appelés à constater ces
prodiges sont entraînés dans le courant de l'enthou-
siasme.
Un curé du diocèse de Tours, un vieux et vénérable
484 HISTOIRE DE LA MAGIE.

ecclésiastique, quitte sa cure, et se met à la suite du pro-


phète . Nous avons vu ce prêtre, il nous a raconté les
merveilles de Viritras avec l'accent de la plus parfaite
conviction, il nous a montré des hosties injectées de sang
d'une manière inexplicable, il nous a communiqué des
procès-verbaux signés de plus de cinquante témoins, tous
gens honorables et bien posés dans le monde, des ar-
tistes, des médecins, des hommes de loi, un chevalier
de Razac, un duchesse d'Armaillé. Les médecins ont
analysé le fluide vermeil qui coulait des hosties, et ont
reconnu que c'était véritablement du sang humain ; les
ennemis même de Vintras, et il en a de cruels, ne con-
testent pas les miracles et se contentent de les attri-
buer au démon. Mais concevez-vous, nous disait l'abbé
Charvoz, ce curé de Touraine dont nous avons parlé,
concevez-vous le démon falsifiant le sang de Jésus-Christ
sur des hosties réellement consacrées ? Car l'abbé Charvoz
est bien réellement prêtre, et ces signes se produisent
aussi sur les hosties qu'il consacre. Cependant la secte
. de Vintras est anarchique et absurde, Dieu ne fait donc
pas de miracles en sa faveur. Reste l'explication natu-
relle des phénomènes, et dans le cours de cet ouvrage,
nous l'avons assez indiquée pour qu'il soit inutile de la
développer ici.
Vintras, que ses sectaires posent en nouveau Christ, eut
aussi ses Iscariotes : deux membres de la secte, un cer-
tain Gozzoli et un nommé Alexandre Geolfroi, publièrent
contre lui les révélations les plus odieuses. A les croire,
les sectaires d e Tilly-sur-Seules (ainsi se nommait leur
résidencej se livraient aux pratiques les plus obscènes;
ils célébraient dans leur chapelle particulière, qu'ils nom-
DES HALLUCINATIONS. 485

niaient le cénacle, des messes sacrilèges auxquelles les


élus assistaient dans un état complet de nudité ; à un cer-
tain moment, tous gesticulaient, fondaient en larmes en
criant : Amour ! amour! et ils se jetaient dans les bras
les uns des autres ; on nous permettra de supprimer le
reste. C'étaient les orgies des anciens gnostiques, mais
sans qu'on prît la peine d'éteindre les lumières. Alexan-
dre Geoffroi assure que Vintras l'initia à un genre de
prière qui consistait dans l'acte monstrueux d'Onan,
exercé au pied des autels, mais ici le dénonciateur est
trop odieux pour être cru sur parole. L'abbé Charvoz,
à qui nous avons parlé de ces accusations infâmes, nous
a dit qu'il fallait les attribuer à la haine de deux hommes
chassés de l'association pour avoir commis eux-mêmes
les actes dont ils accusent Vintras. Quoi qu'il en soit, les
désordres moraux engendrent naturellement les désor-
dres physiques, et les surexcitations anormales du
système nerveux produisent presque toujours des d é -
règlements excentriques dans les mœurs; si donc V i n -
tras est innocent, il aurait pu et peut encore devenir
coupable.
L e pape Grégoire X V I , par un bref du 8 novembre
1843, a condamné formellement la secte de Vintras.
Voici un spécimen du style de cet illuminé, homme
d'ailleurs sans instruction et dont les écrits emphatiques
fourmillent de fautes de français.
« Dormez, dormez, indolents mortels : restez, restez
encore sur vos couches moelleuses ; souriez à vos rêves
de fêtes et de grandeurs; l'ange de l'alliance est des-
cendu sur vos montagnes, il a écrit son nom jusque
dans le calice de vos fleurs; il a touché, des anneaux qui
486 HISTOIRE DE LA MAGIE.

ornent ses pieds, les fleuves qui font votre orgueil et


votre espérance ; les chênes de vos forêts ont pris l'éclat
de son front pour une nouvelle aurore; la mer, d'un
bond voluptueux, a salué son r e g a r d ! Elie l'a précédé!
Penchez-vous du côté de la t e r r e , mais ne vous ef-
frayez point de ce bruit si actif des tombeaux. Dormez,
dormez encore; je l'ai vu vers l'orient; il burinait son
nom sur des monts inaccessibles; il criait au temps de
hâter sa barque, et j ' a i vu lui sourire le plus vieux des
vieillards. Dormez, dormez e n c o r e ; Elie, à l'occident,
pose une croix à la porte du temple ; il la scèle avec du
feu et l'acier d'un poignard. »
Encore le temple, le feu et le poignard ! Chose étrange l
les fous se reflètent les uns et les autres, tous les fana-
tismes échangent leurs inspirations, et le prophète de
Louis X Y I I devient ici l'écho du cri de vengeance des
templiers,
Il est vrai que Vintras ne se croit pas responsable de
ses écrits ; voici comment il en parle lui-même.
« Oh ! si mon esprit était pour quelque chose dans ces
écrits que l'on condamne, j'inclinerais ma tête, et la
crainte entrerait dans mon âme. Ce n'est point mon ou-
vrage ; j e n'y ai point prêté mon concours par recherche
ni par désir. L e calme est en moi ; ma couche ne con-
naît pas l'insomnie ; les veilles n'ont point fatigué mes
paupières ; mon sommeil est pur comme quand Dieu le
créa : j e puis dire à mon Dieu avec un cœur libre : Cu-
stodi animam meam et erue me : non erubescam, quoniam
speravi in te. »
Un autre prétendu réformateur, celui qui se posait en
messie des bagnes et de l'échafaud, Lacenaire, auquel
DES HALLUCINATIONS. 487

nous ne comparerons certainement pas Vintras, écrivait


aussi de sa prison :

Comme une vierge chaste et pure


Dans des rêves d'amour j e veille et je m'endors.
Quelqu'un m'apprendra-t-il ce que c'est qu'un remords ?

L'argument de Vintras, pour légitimer son inspiration,


n'est donc pas concluant, puisqu'il a servi également à
Lacenaire pour excuser et même pour légitimer aussi,
non plus des rêveries, mais des crimes.
Condamnés par le pape, les sectaires de Tilly-sur-
Seules condamnèrent le pape h leur tour, Vintras, de
son autorité privée, s'est créé souverain pontife. La forme
de ses vêtements sacerdotaux lui a été révélé : il porte un
diadème d'or avec un lingam indien sur le front, il revêt
une robe de pourpre et tient en main un sceptre magique
terminé par une main dont les doigts sont fermés à l'ex-
ception du pouce et de l'auriculaire, les doigts consacrés
à Vénus et à Mercure, hiéroglyphe de l'hermaphrodite
antique, emblème des anciens cultes orgiaques et des
priapées du sabbat. Ainsi les réminiscences et les reflets
de la magie noire apportés par la lumière astrale vien-
nent rattacher aux mystères de l'Inde et au culte pro-
fane du Baphomet, les extases de ce malade contagieux
dont l'infirmerie est à Londres, et qui continue à y faire
des prosélytes et des victimes.
Aussi l'exaltation du pauvre prophète n'est-elle pas
toujours exempte d'épouvante et de remords, quoi qu'il
en dise, et parfois il laisse échapper les plus tristes aveux.
Voici ce que nous trouvons dans une lettre adressée à un
de ses plus intimes amis :
488 HISTOIRE DE LA MAGIE.

« Je suis toujours en attente de nouveaux tourments.


Demain arrive la famille Verger, j e vais voir sur leurs
traits la pureté de leur âme s'annonçant par leur j o i e ;
on rappellera tout mon bonheur passé ; on citera des
noms que j e prononçais avec amour dans des temps peu
éloignés. Enfin, tout ce qui fera les délices des autres
sera pour moi de nouvelles tortures ! Il faudra être à
table ; tandis que l'on fouillera mon cœur avec un glaive,
j e devrai sourire ! Oh ! si pourtant ces paroles terribles
que j ' a i entendues n'étaient pas éternelles, j e chérirais
encore mon cruel supplice! Pardon, mon cher, j e ne
pourrais vivre sans aimer Dieu !
» Écoutez, si votre charité d'homme vous le permet,
comme ministre du Dieu vivant, j e ne la réclame pas,
celui que votre maître a vomi de sa bouche doit être
maudit de vous :
» Dans la nuit de dimanche à lundi (17 au 18 mai) un
songe affreux a porté dans mon âme comme dans mon
corps un coup mortel. J'étais à Sainte-Paix, il n'y avait
plus personne au château ; cependant les portes en
étaient ouvertes. Je suis promptement monté à la sainte
chapelle ; j'allais en ouvrir la porte quand j ' a i vu écrit
sur cette porte, en caractères de feu : « N'approche pas
de ce lieu, toi que j ' a i vomi de ma bouche ! » Je n'ai pu
descendre ; j e suis tombé anéanti sur la première mar-
che ; mais j u g e z de mon effroi quand j e n'ai plus vu au-
tour de moi qu'un large et profond abîme! il y avait
dans le fond des monstres hideux qui m'appelaient leur
frère !
» L a pensée me vint en ce moment que le saint ar-
change aussi m'appelait son frère. Quelle différence!
-
DES H A L L U C I N A T I O N S , 489

lui faisait bondir mon âme de la plus vive allégresse ; et


ceux-ci, en les entendant m'appeler ainsi, je me tordais
dans des convulsions semblables à celles que leur faisait
éprouver la vertu que Dieu avait attachée à ma croix de
grâce lors de leur apparition du 28 avril dernier.
» Je cherchais à me cramponner à quelque chose pour
éviter de rouler dans ce gouffre sans fond. Je priais la
mère de Dieu, la divine Marie, j e l'appelais à mon se-
cours. Elle était sourde à ma voix ! Pendant ce temps
je roulais toujours laissant des lambeaux de ma chair aux
pointes rocailleuses qui bordaient cet effroyable abîme!
Tout à coup, des tourbillons de flammes s'élèvent vers
moi delà profondeur où j'allais bientôt tomber. J'enten-
dais les cris d'une joie féroce, et j e ne pouvais plus prier.
Tout à coup, une voix plus effrayante que les longs r e -
tentissements du tonnerre dans un violent orage retentit
à mes oreilles. J'entendis ces mots : « Tu croyais me
vaincre et tu vois que je t'ai vaincu ; je t'ai appris à être
humble à ma manière : viens goûter mes douceurs, de-
viens un de mes meilleurs ; apprends à connaître le tyran
du ciel; viens avec nous lui vomir des blasphèmes et
des imprécations : toute autre chose est inutile pour toi
maintenant ! » Puis partant d'un long éclat de rire il m'a
dit : « Regarde Marie, celle que tu appelais ton bouclier
contre nous, vois son sourire gracieux, entends sa douce
voix. »
» Mon cher, je l'ai vue au-dessus de l'abîme : ses yeux
d'un bleu céleste se sont remplis de feu, ses lèvres ver-
meilles sont devenues violettes, sa voix si suave et si di-
vine s'est changée, elle est devenue dure et terrible !
elle m'a lancé ces mots comme une foudre : « Roule, or-
490 HISTOIRE DE LA. MAGIE.

gueilleux, dans ces lieux remplis de feu qu'habitent les


démons!
» Tout mon sang reflua vers mon cœur ; je crus que
l'heure était sonnée où l'enfer terrestre allait faire place
à l'enfer éternel ! j ' a i pu encore rassembler quelques
mots de Y Ave Maria; j e ne sais combien j ' a i été de
temps; j e sais que j ' a i trouvé la domestique couchée
en rentrant ; elle m'a dit qu'il était tard.
» Ah ! si j e fais connaître aux ennemis de l'œuvre de
la miséricorde ce qui se passe en moi, n'est-ce pas qu'ils
crieraient victoire ? ils diraient que ce sont bien là les
preuves d'une monomanie. Plût à Dieu que cela fût ! j e
serais moins à plaindre ! Mais ne craignez rien, si Dieu ne
veut pas entendre ma voix pour moi je prierai pour lui
qu'il double mes souffrances, mais qu'il les cache à ses
ennemis. »
Ici l'hallucination triomphante s'élève jusqu'au su-
blime ; Vintras consent à être damné, pourvu qu'on ne
dise pas qu'il est fou; dernier instinct du prix inestimable
de la raison qui survit à la raison même : l'homme ivre
n'est préoccupé que de la crainte de passer pour ivre ;
l'insensé et le monomane demandent la mort plutôt que
d'à vouer leur délire. C'est que, suivant la belle sentence
de Cèbes que nous avons déjà citée, il n'y a pour
l'homme qu'un bien désirable, c'est la sagesse qui est
l'usage de la raison, et il n'y a aussi qu'un véritable et
suprême malheur à redouter, c'est la folie.
LES MAGNÉTISEURS ET LES SOMNAMBULES. 491

CHAPITRE III.
LES MAGNÉTISEURS ET LES SOMNAMBULES.

SOMMAIRE. — M. le baron Du Potet et ses travaux sur la magie.— Expé-


riences du miroir magique, analogues aux phénomènes d'hydromancie.
— Les tables tournantes et la catastrophe de Victor Hennequin. — Le
monstre et le magicien.

L'Église, dans sa haute sagesse, nous défend de con-


sulter le sort et de violer par une indiscrète curiosité les
secrets de l'avenir; mais de nos jours la voix de l'Église
n'est plus guère entendue, et la foule revient aux devins
et aux pythonisses ; les somnambules sont devenues les
oracles de ceux qui ne croient plus aux préceptes de
l'Évangile, et l'on ne songe pas que la préoccupation
d'un événement prédit supprime en quelque sorte notre
liberté, et paralyse nos moyens de défense : en consul-
tant la magie pour prévoir les événements futurs, nous
donnons des arrhes à la fatalité.
Les somnambules sont les sybilles de notre époque,
comme les sybilles étaient les somnambules de l'anti-
quité : heureux les consultants qui ne mettent pas leur
crédulité au service de magnétiseurs immoraux ou in-
sensés, car ils communieraient par le fait même de leur
bénévole consultation à l'immoralité ou à la folie des
inspirateurs de l'oracle : le métier de magnétiseur est
facile et les dupes sont en grand nombre.
Il est donc important de connaître parmi ceux qui
s'occupent du magnétisme, quels sont les hommes vrai-
ment sérieux.
Parmi ceux-ci nous devons mettre au premier rang
492 HISTOIRE DE LA MAGIE.

M. le baron Du Potet, dont les travaux consciencieux ont


fait déjà faire un grand pas à la science de Mesmer.
M. Du Potet a ouvert à Paris une école pratique de ma-
gnétisme où le public est admis à s'instruire des pro-
cédés et à vérifier les phénomènes.
L e baron Du Potet est une nature exceptionnelle et
particulièrement intuitive. Gomme tous les contempo-
rains, même les plus instruits, il ignore la kabbale et ses
mystères, et cependant le magnétisme lui a révélé la
magie ; il a senti le besoin de révéler et de cacher cette
science effrayante encore pour lui-même, et il a écrit un
livre qu'il vend seulement à ses adeptes et sous le sceau
du secret le plus absolu. Ce secret, nous ne l'avons pas
promis à M. Du Potet, mais nous le garderons par respect
pour les convictions de l'hiérophante ; qu'il nous suffise
de dire que son livre est le plus remarquable de tous les
ouvrages dépure intuition ; nous ne le croyons pas dange-
reux, parce que M. le baron Du Potet indique des forces
dont il ne précise pas l'usage. Il sait qu'on peut nuire ou
faire dubien, tuer ou sauver par lesprocédés magnétiques;
mais ces procédés, il ne les indique pas d'une manière
claire et pratique, et nous l'en félicitons d'ailleurs, car le
droit de vie et de mort suppose une souveraineté divine, et
cette souveraineté, nous regarderions comme un indigne
celui qui, la connaissant et la possédant, consentirait à
la vendre de quelque manière que ce fût.
M. Du Potet établit victorieusement l'existence de cette
lumière universelle dans laquelle les crisiaques perçoi-
vent toutes les images et tous les reflets de la pensée ;
il provoque des projections puissantes de cette lumière
au moyen d'un appareil absorbant qu'il nomme le miroir
LES MAGNÉTISEURS ET LES SOMNAMBULES. 493

magique : c'est tout simplement un cercle ou un carré


couvert de charbon en poudre fine et tamisée. Dans cet
espace négatif, la lumière projetée par le crisiaque et par
le magnétiseur réunis, colore bientôt et réalise toutes les
formes correspondantes à leurs impressions nerveuses.
Dans ce miroir vraiment magique, apparaissent pour le
sujet soumis au somnambulisme tous les rêves de l'opium
ou du hatchich, les uns riants, les autres lugubres ; le
malade doit être arraché à ce spectacle, si i'on ne veut
pas qu'il tombe dans des convulsions.
Ces phénomènes sont analogues à ceux de l'hydroman-
cie pratiquée par Cagliostro : l'eau, considérée attentive-
ment, éblouit et trouble la vue ; alors la fatigue des yeux
favorise les hallucinations du cerveau. Cagliostro voulait
pour ces expériences des sujets vierges et parfaitement
innocents, afin de n'avoir pas à craindre les divagations
nerveuses produites par les réminiscences erotiques. Le
miroir magique de Du Potet est peut-être plus fatiguant
pour le système nerveux tout entier, mais les éblouisse-
mentsde l'hydromancie doivent avoir une influence plus
redoutable sur le cerveau,
. M. Du Potet est un de ces hommes fortement con-
vaincus qui supportent courageusement les dédains de la
science et les préjugés de l'opinion, en répétant tout bas
la profession de foi secrète de Galilée : La terre tourne
cependant !
On a découvert tout récemment que les tables tour-
nent aussi, et que l'aimantation humaine donneaux objets
mobiliers soumis à l'influence des crisiaques un mouve-
ment de rotation. Les masses même les plus lourdes peu-
vent être soulevées et promenées dans l'espace par cette
494 HISTOIRE DE LA MAGTË.

force, car la pesanteur n'existe qu'en raison de l'équilibre


des deux forces de la lumière astrale, augmentez l'action
de l'une des deux, l'autre cédera aussitôt. O r , si l'appa-
reil nerveux aspire et respire cette lumière en la rendant
positive ou négative, suivant les surexcitations person-
nelles du sujet, tous les corps inertes soumis à son ac-
tion et imprégnés de sa vie deviendront plus légers ou
plus lourds, suivant le flux et le reflux de la lumière qui
entraîne dans le nouvel équilibre de son mouvement les
corps poreux et mauvais conducteurs autour d'un centre
vivant, comme les astres dans l'espace sont emportés,
balancés, et gravitent autour du soleil.

Cette puissance excentrique d'attraction ou de projec-


tion suppose toujours un état maladif chez celui qui en
est le sujet, les médiums sont tous des êtres excentriques
et mal équilibrés; la médiomanie suppose ou occasionne
une suite d'autres manies nerveuses, idées fixes, d é r è -
glements d'appétits, érotomanie désordonnée, penchants
au meurtre ou au suicide. Chez les êtres ainsi affectés,
la responsabilité morale semble n'exister plus ; ils font
le mal avec la conscience du bien ; ils pleurent de piété à
l'église et peuvent être surpris dans de hideuses bac-
chanales; ils ont une manière de tout expliquer, c'est
le diable, ce sont les esprits qui les obsèdent et les en-
traînent. Que leur voulez-vous? que leur demandez-vous?
Ils ne vivent plus en eux-mêmes; c'est un être mysté-
rieux qui les anime, c'est lui qui agit à leur place, et être
se nomme légion !
Les essais réitérés d'une personne bien portante pour
se créer des facultés de médium la fatiguent, la rendent
malade, et peuvent déranger sa raison. C'est ce qui est
LÈS MAGNÉTISEURS ET LES SOMNAMBULES. /$5

arrivé à Victor Hennequin, ancien rédacteur de la Dé-


mocratie pacifique, et membre, après 1848, de l'Assem-
blée nationale : c'était un jeune avocat d'une parole abon-
dante et facile, il ne manquait ni d'instruction, ni de
talent, mais il était infatué de rêveries de Fourier: exilé
après le 2 décembre, il se livra dans l'inaction de sa
retraite aux expériences des tables tournantes; bientôt il
fut atteint de médiomanie, et crut être l'instrument des ré-
vélations de l'âme de laterre. Il publia un livre intitulé :
Sauvons le genre humain, c'était un mélange de souvenirs
phalanstériens et de réminiscences chrétiennes, une der-
nière lueur de raison mourante y brille encore, mais les
expériences continuèrent et la folie triompha. Dans un
dernier ouvrage dont le premier volume a été seul pu-
blié, Victor Hennequin représente Dieu comme un i m -
mense polype placé au centre de la terre avec des an-
tennes et des trompes contournées en vrilles qui vont et
viennent à travers son cerveau et celui de sa femme Octa-
vie. Bientôt après on apprit que Victor Hennequin était
mort des suites d'un accès de démence furieuse dans
une maison d'aliénés.
Nous avons entendu parler d'une dame du grand
monde qui se livrait à des conversations avec les préten-
dus esprits des meubles, et qui, scandalisée outre mesure
par les réponses inconvenantes de son guéridon, fit le
voyage de Rome pour déférer le meuble hérétique au
saint siège ; elle avait emporté avec elle le coupable, et en
fit un autodafé dans la capitale du monde chrétien. Mieux
vaut brûler son mobilier que de se rendre folle, et en
vérité pour cette dame le péril était imminent.
Ne rions pas d'elle, nous, enfants d'un siècle de rai-
Ü9G HISTOIRE DE LA MAGIE.

son où des hommes sérieux, comme le comte de Mirville,


attribuent au diable les phénomènes inexpliqués de la
nature.
Dans un mélodrame qui se joue sur les boulevards, il
est question d'un magicien qui, pour se faire un auxiliaire
formidable, a créé un androide, un monstre à griffes de
lion, à cornes de taureau, à écailles de liévathan, il donne
la vie à ce sphinx hybride, et aussitôt, épouvanté de son
ouvrage, il prend la fuite. Le monstre le poursuit, appa-
raît entre lui et sa fiancée, incendie sa maison, brûle
son père, enlève son fils, le poursuit jusque sur la mer,
monte avec lui sur son vaisseau qu'il fait engloutir et
finit lui-même par un coup de foudre. Ce spectacle af-
freux, risible à force d'épouvante, a été réalisé dans
l'histoire de l'humanité, la poésie a été personnifiée le fan-
tôme du mal lui a prêté toutes les forces de la nature.
Elle voulait de cet épouvantail faire un auxiliaire à la
morale, puis elle a eu peur de cette laideur enfantée par
ses rêves. Depuis ce temps, le monstre nous poursuit à
travers les âges, il apparaît hideux et grimaçant entre
nous et les objets de nos amours, cauchemar immonde,
il étouffe nos enfants pendant leur sommeil, il apporte
dans la création, cette maison paternelle de l'humanité,
l'incendie inextinguible de l'enfer, il brûle et torture à
jamais nos pères et nos mères ; il étend ses ailes noires
pour nous cacher le ciel et il nous crie : Plus d'espé-
rance! il monte en groupe et galope après nous comme
le chagrin ; il plonge dans l'océan du désespoir la der-
nière arche de notre espérance; c'estl'antique Arimanes
des Perses, c'est le Typhon de l'Egypte, c'est le dieu noir
des sectaires de Manès, du comte de Mirville et de la magie
LES FANTAISISTES EN MAGIE. ¿97

noire du diable, c'est l'horreur du monde et l'idole des


mauvais chrétiens. Les hommes ont essayé d'en rire et
ils en ont peur. Us en font des caricatures, et ils tressail-
lent, parce qu'il leur semble voir ces caricatures mêmes
s'animer pour se moquer d'eux à leur tour. Cependant
son règne est passé, mais il ne périra pas écrasé par la
foudre du ciel : la science a conquis le feu du tonnerre,
et elle a fait des ilambeaux, le monstre s'évanouira d e -
vant les splendeurs de la science et la vérité : le génie de
l'ignorance et de la nuit ne peut être foudroyé que par
la lumière !

CHAPITRE IV.

LES FANTAISISTES EN MAGIE.

SOMMAIRE. — Le Magicien, par Alphonse Esquiros. — Les livres et les


miracles de Henri Delaage. — Les expériences du comte d'Ourches.
— Le livre du baron de Guldenstubbé. — Un mot sur les nécroman-
ciens et les vampires. — Le cartomancien Edmond.

Il y a une vingtaine d'années qu'un de nos amis d'en-


fance, Alphonse Esquiros, publia un livre de haute fan-
taisie, intitulé le Magicien. C'était tout ce que le roman-
tisme d'alors pouvait imaginer de plus bizarre, l'auteur
donnait à son magicien un sérail de femmes mortes, mais
embaumées par un procédé retrouvé depuis par Gannal.
Un androïde de bronze qui prêchait la chasteté, un
hermaphrodite amoureux de la lune et qui entretenait
avec elle une correspondance suivie, et bien d'autres
choses encore que nous ne nous rappelons pas. Alphonse
32
498 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Esquiros, par la publication de ce roman, fonda une école


de fantaisistes en magie dont le jeune et intéressant
Henri Delaage est actuellement le représentant le plus
distingué.
Henri Delaage est un écrivain fécond, un thaumaturge
méconnu et un fascinateur habile. Son style n'est pas
moins étonnant que les idées d'Alphonse Esquiros, son
initiateur et son maître ; ainsi dans son livre des Ressus-
cites, il dit en parlant d'une objection contre le christia-
nisme : « Je vais prendre cette objection à la g o r g e , et
quand je la lâcherai, la terre retentira sourdement sous
le poids de son cadavre étranglé. » Il est vrai qu'il ne
répond pas grand'chose ensuite à cette objection, mais
que voulez-vous qu'on réponde à une objection étranglée,
quand une fois la terre a retenti sourdement sous le
poids de son cadavre?
Henri Delaage est, avons-nous dit, un thaumaturge
méconnu ; il a avoué, en effet, à une personne de notre
connaissance que pendant un hiver où régnait impitoya-
blement cette affection de poitrine si fâcheuse qu'on
nomme la grippe, il n'avait qu'à se présenter dans un
salon pour guérir immédiatement toutes les personnes
qui s'y trouvaient ; il est vrai qu'il était la victime du mi-
racle, car il y a gagné un léger enrouement qui ne l'a
pas quitté depuis.
Plusieurs amis d'Henri Delaage nous ont assuré qu'il
a i e don d'ubiquité, on vient de le quitter au bureau de
la Patrie, on le retrouve chez Dentu, son éditeur, on
s'enfuit effrayé, on rentre chez soi et l'on y trouve...
Delaage qui vous attendait.
Henri Delaage est aussi un fascinateur habile. Une
LES FANTAISISTES EN M A G I E . /|99

dame du monde qui venait de lire un de ses livres, décla-


rait qu'elle ne connaissait rien au monde déplus beau et
de .mieux écrit, mais ce n'est pas seulement à ses livres
que Delaage communique le don de beauté. Un jour
nous venions de lire un feuilleton signé Fiorentino, où
Ton disait que les charmes physiques du jeune magicien
égalaient ou même surpassaient ceux des anges. Nous
rencontrons Delaage et nous le questionnons avec curio-
sité sur cette révélation singulière. Delaage alors met la
main dans son gilet, se tourne de trois quarts et lève
en souriant les yeux vers le ciel... Heureusement nous
avions sur nous YEnchiridion de Léon I I I , qui est, comme
on sait, un préservatif contre les enchantements, et la
beauté angélique du fascinateur resta invisible à nos
yeux.
Nous donnerons à Henri Delaage des éloges plus sé-
rieux que ceux des admirateurs de sa beauté, il se déclare
sincèrement catholique, et proclame hautement son res-
pect et son amour pour la religion ; or la religion pourra
faire de lui un saint, ce qui est un titre plus estimable et
plus glorieux que celui de sorcier.
C'est à cause de sa qualité de publiciste que nous avons
nommé ce jeune homme le premier parmi les fantaisistes
de la magie. Ce rang sous tous les autres rapports ap-
partenait à M. le comte d'Ourches, homme vénérable
par son âge qui consacre sa vie et sa fortune aux expé-
riences magnétiques. Chez lui les meubles et les dames
somnambules se livrent à des danses effrénées, les
meubles se fatiguent et se brisent, mais les dames, à ce
qu'on assure, ne s'en portent que mieux.
Pendant longtemps M. le comte d'Ourches a été do-
500 HISTOIRE m LA MAGIE.

miné par une idée fixe : la crainte d'être enterré vivant,


et il a fait plusieurs mémoires sur la nécessité de consta-
ter les décès d'une manière plus certaine qu'on ne le fait
habituellement. M. d'Ourches avait d'autant plus raison
de craindre, que son tempérament est pléthorique, et
que son extrême susceptibilité nerveuse, journellement
surexcitée par ses expériences avec les jolies somnam-
bules, l'expose peut-être à des attaques d'apoplexie.
M. le comte d'Ourches est en magnétisme l'élève de
l'abbé Faria, et en nécromancie il appartient à l'école du
baron de Guldenstubbé.
L e baron de Guldenstubbé a publié un livre intitulé :
Pneumatologie positive et expérimentale ; la réalité des
esprits et le phénomène merveilleux de leur écriture di-
recte.
Voici comment il raconte lui-même sa découverte :
« Ce fut déjà dans le courant de l'année 1850, environ
trois ans avant l'invasion de l'épidémie des tables tour-
nantes, que l'auteur a voulu introduire en France les
cercles du spiritualisme d'Amérique, les coups mysté-
rieux de Rochester et récriture purement machinale des
médiums. Il a rencontré malheureusement beaucoup
d'obstacles de la part des autres magnétiseurs. Les
fluidistes, et même ceux qui s'intitulèrent magnétiseurs
spiritualistes, mais qui n'étaient en vérité que dessom-
nambuliseurs de bas étage, traitèrent les coups mystérieux
du spiritualisme américain de folies et de songes creux.
Aussi ce n'est qu'au bout de plus de six mois, que l'au-
teur a pu former le premier cercle selon le mode des
Américains, grâce au concours zélé que lui a prêté
M . Roustan, ancien membre de la société des magnéti-
LES FANTAISISTES EN MAGIE. 501

seurs spiritualistes, homme simple, mais plein d'enthou-


siasme pour la sainte cause du spiritualisme. Plusieurs
autres personnes sont venues se joindre à nous, parmi
lesquelles il faut citer feu l'abbé Châtel, le fondateur de
l'Église française, qui, malgré ses tendances rationalistes,
a fini par admettre U réalité d'une révélation objective
et surnaturelle, condition indispensable du spiritualisme
et de toutes les religions positives. On sait que les cercles
américains sont basés (abstraction faite de certaines con-
ditions morales, également requises) sur la distinction
des principes magnétiques ou positifs et électriques ou
négatifs.
» Ces cercles se composent de douze personnes, dont
six représentent les éléments positifs, et les six autres, les
éléments négatifs ou sensitifs. La distinction des éléments
ne doit pas être faite d'après le sexe des personnes, bien
que généralement les femmes aient des attributs négatifs
et sensitifs, et que les hommes soient doués de qualités
positives et magnétiques. Il faut donc bien étudier la con-
stitution morale et physique de chacun, avant de former
les cercles, car il y a des femmes délicates qui ont des
qualités masculines, comme quelques hommes vigoureux
ne sont que des femmes au moral. On place une table
dans un endroit spacieux et aéré. L e médium (ou les mi-
lieux) doits'asseoir au bout de latableet être entièrement
isolé ; il sert de conducteur à l'électricité par son calme
et sa quiétude contemplative. Un bon somnambule est
en général un excellent MÉDIUM. On place les six natures
électriques ou négatives qu'on reconnaît généralement
aux qualités affectueuses du cœur et à leur sensibilité, à
droite du médium, en mettant immédiatement auprès du
502 HISTOIRE DE LA MAGIE,

médium la personne la plus sensitive ou négative du cer-


cle. Il en est de même quant aux natures positives que
l'on place à gauche du médium, parmi lesquelles la per-
sonne la plus positive, la plus intelligente doit se mettre
également auprès du médium. Pour former la chaîne,
il faut que les douze personnes posent la main droite sur
la table, et qu'elles mettent la main gauche du voisin
dessus, en faisant ainsi le tour de la table de la même
façon. Quant au médium ou aux milieux, s'il y en a
plusieurs, ils restent entièrement isolés des douze per-
sonnes qui forment la chaîne.
» Nous avons obtenu au bout de plusieurs séances cer-
tains phénomènes remarquables, tels que des secousses
simultanées, ressenties par tous les membres du cercle
au moment de Y évocation mentale des personnes les plus
intelligentes. Il en est de même des coups mystérieux
et des sons étranges ; plusieurs personnes même très in-
sensibles ont eu des visions simultanées, bien qu'elles
fussent restées à l'état ordinaire de veille. Quant aux
sujets sensibles, ils ont acquis Yadmirable faculté des
médiums, d'écrire machinalement grâce à une attraction
invisible, laquelle se sert d'un bras sans intelligence pour
exprimer ses idées. Au surplus, les individus insensibles
ressentaient cette influence mystérieuse d'un souffle ex-
terne, mais l'effet n'était pas assez fort pour mettre en
mouvement leurs membres. Du reste, tous ces phéno-
mènes obtenus selon le mode du spiritualisme améri-
cain, ont le défaut d'être encore plus ou moins indi-
rects, parce qu'on ne peut pas se passer dans ces expé-
riences de l'intermédiaire d'un être humain, d'un médium.
Il en est de même des tables tournantes et parlantes
LES FANTAISISTES EN MAGIE. 503

qui n'ont envahi l'Europe qu'au commencement de l'an-


née 1853.
» L'auteur a fait beaucoup d'expériences de tables
avec son honorable ami, M. le comte d'Ourches, l'un des
hommes les plus versés dans la magie et dans les sciences
occultes. Nous sommes parvenus peu à peu à mettre les
tables en mouvement sans attouchement quelconque ; M. le
comte d'Ourches les a fait soulever même sans attouche-
ment. L'auteur a fait courir les tables avec une grande
vitesse également sans attouchement et sans le concours
d'un cercle magnétique. l i e n est de même des vibrations
des cordes d'un piano, phénomène obtenu déjà le 20 jan-
vier 1856 en présence des comtes de Szapary et d'Our-
ches. Tous ces phénomènes révèlent bien la réalité de
certaines forces occultes, mais ces faits ne démontrent pas
suffisamment l'existence réelle et substantielle des intelli-
gences invisibles, indépendantes de notre volonté et de
notre imagination, dont on agrandit, il est vrai, démesu-
rément, de nos jours le pouvoir. De là le reproche que
l'on adresse aux spiritualistes américains de n'avoir que
des communications! n signifiantes et vagues avec le
monde des esprits, qui ne se manifestent que par cer-
tains coups mystérieux, et par la vibration de quelques
sons. En effet il n'y a qu'un phénomène direct, intelli-
gent et matériel à la fois, indépendant de notre volonté et
de notre imagination, tel que l'écriture directe des esprits,
qu'on n'a pas même évoqués ni invoqués, qui puisse ser-
vir de preuve irréfragable de la réalité du monde surna-
turel.
» L'auteur, étant toujours à la recherche d'une preuve
intelligente et palpable en même temps, de la réalité
504 HISTOIRE DE LA MAGIE.

substantielle du monde surnaturel, afin de démontrer


par des faits irréfragables, l'immortalité de l'âme, n'a
jamais cessé d'adresser des prières ferventes à l'Éternel
de vouloir bien indiquer aux hommes un moyen infail-
lible pour raffermir la foi en l'immortalité de l'âme, cette
base éternelle de la religion. L'Éternel, dont la miséri-
corde est infinie, a amplement exaucé cette faible prière.
Un beau jour, c'était le premier août 1856, l'idée vint à
l'auteur d'essayer si les esprits pouvaient écrire directe-
medt, sans Y intermédiaire d'un médium. Connaissant
l'écriture directe et merveilleuse du Décalogue selon
Moïse, et l'écriture également directe et mystérieuse
durant le festin du roi Baltazar suivant Daniel, ayant
en outre entendu parler des mystères modernes de
Strattford en Amérique, où l'on avait trouvé certains
caractères illisibles et étranges, tracés sur des morceaux
de papier, et qui ne paraissaient pas provenir des
médiums, l'auteur a voulu constater la réalité d'un p h é -
nomène dont la portée serait immense, s'il existait
réellement.
» Il mit donc un papier blanc à lettres et un crayon
taillé dans une petite boîte fermée à clef, en portant cette
clef toujours sur lui-même et sans faire part de cette
expérience à personne. Il attendit durant douze jours en
vain, sans remarquer la moindre trace d'un crayon sur
le papier, mais quel fut son étonnement, lorsqu'il r e -
marqua le 13 août 1856 certains caractères mystérieux,
tracés sur le papier ; à peine les eut-il remarqués qu'il
répéta dix fois pendant cette journée, à jamais mémo-
rable, la même expérience, en mettant toujours au bout
d'une demi-heure, une nouvelle feuille de papier blanc
LES FANTAISISTES EN MAGIE. 505

dans la même boîte. L'expérience fut couronnée chaque


fois d'un succès complet.
» L e lendemain, ïh août, l'auteur fit de nouveau une
vingtaine d'expériences, en laissant la boîte ouverte et
en ne la perdant pas de vue ; c'est alors que l'auteur
voyait que des caractères et des mots dans la langue
esthonienne se formèrent ou furent gravés sur le papier,
sans que le crayon bougea. Depuis ce moment, l'auteur,
voyant l'inutilité du crayon, a cessé de le mettre sur le
papier ; il place simplement un papier blanc sur une
table chez lui, ou sur le piédestal des statues antiques,
sur les sarcophages, sur les urnes, etc., au Louvre, à
Saint-Denis, à Y église Saint-Etienne-du-Mont, etc. 11 en
est de même des expériences faites dans les différents
cimetières de Paris. Du reste, l'auteur n'aime guère les
cimetières, la plupart des esprits préférant les lieux où
ils ont vécu durant leur carrière terrestre, aux endroits
où repose leur dépouille mortelle. »
Nous sommes loin de révoquer en doute les phéno-
mènes singuliers observés par M. le baron, mais nous lui
ferons observer que la découverte avait été faite avant
lui par Lavuter et qu'il y a encore loin de quelques lignes
obtenues par M. de Guldenstubbé au portrait peint à
l'aquarelle par le kabbaliste Gablidone.
Maintenant, au nom de la science, nous dirons, à M. de
Guldenstubbé, non pas pour lui qui ne nous croira pas,
mais pour les observateurs sérieux de ces phénomènes
extraordinaires :
Monsieur le baron, les écritures que vous obtenez ne
viennent pas de l'autre monde ; et c'est vous-même qui
les tracez à votre insu.
506 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Vous avez par vos expériences multipliées à l'excès et


par l'excessive tension de votre volonté détruit l'équi-
libre de votre corps fluidique et astral, vous le forcez à
réaliser vos rêves et il trace en caractères empruntés à
vos souvenirs le reflet de vos imaginations et de vos
pensées.
Si vous étiez plongé dans un sommeil magnétique par-
faitement lucide, vous verriez le mirage lumineux de
votre main s'allonger comme une ombre au soleil cou-
chant, et tracer sur le papier préparé par vous ou vos
amis les caractères qui vous étonnent.
Cette lumière corporelle qui émane de la terre et de
vous est contenue par une enveloppe fluidique d'une
extrême élasticité, et cette enveloppe se forme de la
quintessence de vos esprits vitaux et de votre sang.
Cette quintessence emprunte à la lumière une couleur
déterminée par votre volonté secrète, elle se fait ce que
vous rêvez qu'elle est; alors les caractères s'impriment
sur le papier comme les signes sur le corps des enfants
qui ne sont pas encore nés sous l'influence des imagina-
tions de leurs mères.
Cette encre que vous voyez apparaître sur le papier,
c'est votre sang noirci et transfiguré. Vous vous épuisez
à mesure que les écritures se multiplient. Si vous con-
tinuez vos expériences, votre cerveau s'affaiblira gra-
duellement, votre mémoire se perdra ; vous ressentirez
dans les articulations des membres et des doigts d'inex-
primables douleurs et vous mourrez enfin, soit foudroyé
subitement, soit dans une longue agonie accompagnée
d'hallucinations et cle démence. Voici pour M. le baron
de Guldenstubbé.
LES FANTAISISTES EN MAGIE. ÛU7

Maintenant nous dirons à M. le comte d'Ourches : Vous


ne serez pas enterré vivant, mais vous risquez de mourir
par les précautions mêmes que vous prendrez pour ne pas
l'être.
Les personnes enterrées vivantes ne peuvent d'ailleurs
avoir sous terre que des réveils rapides et de peu de
durée, elles peuvent toutefois y vivre longtemps con-
servées par la lumière astrale dans un état complet de
somnambulisme lucide.
Leurs âmes alors sont sur la terre encore enchaînées
au corps endormi par une chaîne invisible, alors si ce
sont des âmes avides et criminelles, elles peuvent aspirer
la quintessence du sang des personnes endormies du
sommeil naturel, et transmettre cette séve à leur corps
enterré pour le conserver plus longtemps dans l'espérance
vague qu'il sera enfin rendu à la vie. C'est cet effrayant
phénomène qu'on appelle le vampirisme, phénomène
dont la réalité a été constatée par des expériences nom-
breuses aussi bien attestées que tout ce qu'il y a de plus
solennel dans l'histoire.
Si vous doutez de la possibilité de cette vie magnétique
du corps humain dans la terre, lisez ce récit d'un officier
anglais nomméOsôorae, récit dont la fidélité a été attestée
à M. le baron Du Potet par le général Ventura.
« L e 6 juin (1838), dit M. Osborne, la monotonie de
notre vie de camp fut heureusement interrompue par
l'arrivée d'un individu célèbre dans le Pendjab. 11 jouit
parmi les Sikhs d'une grande vénération à cause de la
faculté qu'il a de rester enseveli sous terre aussi long-
temps qu'il lui plaît. On rapportait dans le pays des faits
si extraordinaires sur cet homme, et tant de personnes
508 HISTOIRE DE LA. MAGIE.

respectables en garantissaient l'authenticité, que nous


étions extrêment désireux de le voir. I l nous raconta lui-
même qu'il exerçait ce qu'il appelle son métier (celui de
se faire enterrer) depuis plusieurs années ; on l'a vu en
effet répéter cette étrange expérience sur divers points
de l'Inde. Parmi les hommes graves et dignes de foi qui
en rendent témoignage, j e dois citer le capitaine W a d e ,
agent politique à Lodhiana. Cet officier m'a affirmé très
sérieusement avoir assisté lui-même à la résurrection de
ce fakir après un enterrement qui avait eu lieu quel-
ques mois auparavant, en présence du générai Ventura,
du maharadja et des principaux chefs sikhs. Voici les
détails qu'on lui avait donnés sur l'enterrement, et ceux
qu'il ajoutait, d'après sa propre autorité, sur l'exhu-
mation.
» À la suite de quelques préparatifs qui avaient duré
quelques jours et qu'il répugnerait d'énumérer, le fakir
déclara être prêt à subir l'épreuve. L e maharadja, les
chefs sikhs et le général Ventura se réunirent près
d'une tombe en maçonnerie construite exprès pour le
recevoir. Sous leurs yeux, le fakir ferma avec de la cire,
à l'exception de la bouche, toutes les ouvertures de son
corps qui pouvaient donner entrée à l'air ; puis il se
dépouilla des vêtements qu'il portait : on l'enveloppa
alors d'un sac de toile, et, suivant son désir, on lui r e -
tourna la langue en arrière de manière à lui boucher
l'entrée du gosier ; aussitôt après cette opération le fakir
tomba dans une sorte de léthargie. L e sac qui le con-
tenait fut fermé, et un cachet y fut apposé par le
maharadja. On plaça ensuite ce sac dans une caisse de
bois cadenassée et scellée qui fut descendue dans la
LES FANTAISISTES EN MAGIE. 509

tombe : on jeta une grande quantité de terre dessus, on


foula longtemps cette terre et on y sema de l'orge; enfin
des sentinelles furent placées tout alentour avec l'ordre
de veiller jour et nuit.
» Malgré toutes ces précautions, le mabaradja con-
servait des doutes ; il vint deux fois dans l'espace de dix
mois, temps pendant lequel le fakir resta enterré, et il
fit ouvrir devant lui la tombe; le fakir était dans le sac
tel qu'on l'y avait mis, froid et inanimé. Les dix mois
expirés, on procéda à l'exhumation définitive du fakir.
L e général Ventura et le capitaine W a d e virent ouvrir
les cadenas, briser les scellés et élever la caisse hors de
la tombe. On retira le fakir : nulle pulsation soit au cœur,
soit au pouls, n'indiquait la présence de la vie. Comme
première mesure destinée à le ranimer, une personne lui
introduisit très doucement le doigt dans la bouche et
replaça sa langue dans la position naturelle. L e sommet
de la tête était seul demeuré le siège d'une chaleur sen-
sible. En versant lentement de l'eau chaude sur le corps
on obtint peu à peu quelques signes de vie : après deux
heures de soins, le fakir se releva et se mit à marcher en
souriant.
» Cet homme vraiment extraordinaire raconte que,
durant son ensevelissement il a des rêves délicieux, mais
que le moment du réveil lui est toujours très pénible;
avant de revenir à la conscience de sa propre existence,
il éprouve des vertiges.
» Il est âgé d'environ trente ans; sa figure est désa-
gréable et a une certaine expression de ruse.
» Nous causâmes longtemps avec lui, et il nous offrit
de se faire enterrer en notre présence, Nous le prîmes au
510 HISTOIRE DE LA MAGIE.

mot, et nous lui donnâmes rendez-vous à Lahore en lui


promettant de le faire rester sous terre tout le temps que
durerait notre séjour dans cette ville. »
» Tel est le récit de M. Osborne. Cette fois encore le
fakir se laissa-t-il enterrer ? La nouvelle expérience pou-
vait être décisive. Voici ce qui arriva.
» Quinze jours après la visite du fakir à leur camp, les
officiers anglais arrivèrent à Lahore ; ils y choisirent un
endroit qui leur parut favorable, firent construire une
tombe en maçonnerie avec une caisse en bois bien solide,
et demandèrent le fakir. Celui-ci les vint trouver le len-
demain en leur témoignant le désir ardent de prouver
qu'il n'était pas un imposteur. Il avait déjà, disait-il,
subi les préparatifs nécessaires à l'expérience ; son main-
tien trahissait cependant l'inquiétude et l'abattement. I l
voulut d'abord savoir quelle serait sa récompense : on
lui promit une somme de quinze cents roupies, et un
revenu de deux mille roupies par an que l'on se char-
gerait d'obtenir du roi. Satisfait sur ce point, il voulut
savoir quelles précautions on comptait prendre ; les
officiers lui firent voir l'appareil de cadenas et de clefs,
et l'avertirent que des sentinelles choisies parmi les
soldats anglais veilleraient alentour pendant une semaine.
L e fakir se récria et exhala force injures contre les
Frenghis, contre les incrédules qui voulaient lui ravir
sa réputation ; il exprima le soupçon que l'on voulût
attenter à sa vie, il refusa de s'abandonner ainsi com-
plètement à la surveillance des Européens, il demanda
que les doubles clefs de chaque cadenas fussent remises
à quelqu'un de ses coreligionnaires, et il insista surtout
pour que les factionnaires ne fussent pas des ennemis de
LES FANTAISISTES EN MAGIE. 511

sa religion. Les officiers ne voulurent point accéder à ces


conditions. Différentes entrevues eurent lieu sans ré-
sultat ; enfin le fakir fit savoir par un des chefs sikhs que
le maharadja l'ayant menacé de sa colère s'il ne rem-
plissait pas son engagement avec les Anglais, il voulait se
soumettre à l'épreuve, bien qu'entièrement convaincu
que le seul but des officiers était de lui ôter^lavie, et
qu'il ne sortirait jamais vivant de sa tombe ; les officiers
déclarèrent que comme sur ce dernier point ils parta-
geaient complètement sa conviction, et qu'ils ne voulaient
pas avoir sa mort à se reprocher, ils le tenaient quitte de
sa promesse.
» Ces hésitations et ces craintes du fakir sont-elles des
preuves péremptoires contre lui ? En résulte-t-il que toutes
les personnes qui auparavant ont soutenu avoir vu les
faits sur lesquels repose sa célébrité aient voulu en
imposer ou aient été les dupes d'une habile fourberie ?
Nous avouons que nous ne pouvons douter, d'après le
nombre et le caractère des témoins, que le fakir ne se
soit fait souvent et réellement enterrer ; mais admettant
même qu'après l'ensevelissement il ait réussi chaque fois
à communiquer avec le dehors, il serait encore inexpli-
cable comment il aurait pu rester privé de respiration
pendant tout le temps qui s'écoulait entre son enterre-
ment et le moment où ses complices lui venaient en aide.
M. Osborne cite en note un extrait de la Topographie
médicale de Lodhiana, du docteur Mac Gregor, médecin
anglais qui a assisté à une des exhumations, et qui, témoin
de l'état de léthargie du fakir et de son retour graduel
à la vie, cherche sérieusement à l'expliquer. Un autre
officier anglais, M. Boileau, dans un ouvrage publié il y
512 HISTOIRE DE LA MAGIE.

a quelques années, raconte qu'il a été témoin d'une,autre


expérience où tous les faits se sont passés de la même
manière. Les personnes qui voudraient satisfaire plus
amplement leur curiosité, celles qui verraient dans ce
récit l'indication d'un curieux phénomène physiologique,
peuvent remonter avec confiance aux sources que nous
venons d'indiquer. »
Il existe encore un grand nombre de procès-verbaux
sur l'exhumation des vampires. Les chairs étaient dans
un état remarquable de conservation, mais elles suin-
taient le sang, leurs cheveux avaient cru d'une manière
extraordinaire et s'échappaient par touffes entre les
fentes du cercueil. L a vie n'existait plus dans l'appareil
qui sert à la respiration, mais seulement dans le cœur qui
d'animal semblait être devenu végétal. Pour tuer le
v a m p i r e , il fallait lui traverser la poitrine avec un
pieu, alors un cri terrible annonçait que le somnambule
de la tombe se réveillait en sursaut dans une véritable
mort.
Pour rendre cette mort définitive, on entourait la
tombe du vampire d'épées plantées en terre la pointe en
l'air, car les fantômes de lumière astrale se décomposent
par l'action des pointes métalliques qui, en attirant cette
lumière vers le réservoir commun, en détruisent les amas
coagulés.
Ajoutons, pour rassurer les personnes craintives, que
les cas de vampirisme sont heureusement fort rares, et
qu'une personne saine d'esprit et de corps ne saurait être
la victime d'un vampire si elle ne lui a pas abandonné
de son vivant son corps et son âme par quelque com-
plicité de crime ou de passion déréglée-
LES FANTAISISTES EN MAGIE. 513

Voici une histoire de vampire qui est rapportée par


Tournefort, dans son Voyage au Levant :
« Nous fûmes témoins (dit l'auteur), dans l'île de
Mycone, d'une scène bien singulière, à l'occasion d'un
de ces morts, que l'on croit voir revenir, après leur
enterrement. Des peuples du Nord les appellent Vam-
pires; les Grecs les désignent sons le nom de Broucola-
ques. Celui dont on va donner l'histoire était un paysan
de Mycone, naturellement chagrin et querelleur ; c'est
une circonstance à remarquer par rapport à de pareils
sujets : il fut tué à la campagne, on ne sait par qui ni
comment.
» Deux jours après qu'on l'eut inhumé dans une cha-
pelle de la ville, le bruit courut qu'on le voyait la nuit
se promener à grands pas : qu'il venait dans les maisons
renverser les meubles, éteindre les lampes, embrasser
les gens par derrière, et faire mille petits tours d'espiègle.
On ne fit qu'en rire d'abord; mais l'affaire devint
sérieuse, lorsque les plus honnêtes gens commencèrent
à se plaindre. Les papas (prêtres grecs) eux-mêmes
convenaient du fait, et sans doute qu'ils avaient leurs
raisons. On ne manqua pas de faire dire des messes :
cependant le paysan continuait la même vie sans se cor-
riger. Après plusieurs assemblées des principaux de la
ville, des prêtres et des religieux, on conclut qu'il fallait,
je ne sais par quel ancien cérémonial, attendre les neuf
jours après l'enterrement.
» L e dixième jour, on dit une messe dans la chapelle
où était le corps, afin de chasser le démon que l'on
croyait s'y être renfermé. Après la messe, on déterra le
corps, et on en ôta le cœur ; le cadavre sentait si mauvais
9 9
00
514 HISTOIRE DE LA MAGIE.

qu'on fut obligé de brûler de l'encens ; mais la fumée,


confondue avec la mauvaise odeur, nefit quel'augmenter,
et commença d'échauffer ces pauvres gens. On s'avisa de
dire qu'il sortait une fumée épaisse de ce corps. Nous,
qui étions témoins, nous n'osions dire que c'était celle
de l'encens.
» Plusieurs des assistants assuraient que le sang de ce
malheureux était bien vermeil; d'autres juraient que le
corps était encore tout chaud ; d'où l'on concluait que le
mort avait grand tort de n'être pas bien mort, ou, pour
mieux dire, de s'être laissé ranimer par le diable ; c'est
là précisément l'idée qu'ils ont d'un broucoïaque ; on
faisait alors retentir ce nom d'une manière étonnante.
Une foule de gens, qui survinrent, protestèrent tout haut
qu'ils s'étaient bien aperçus que ce corps n'était pas
devenu roide, lorsqu'on le porta de la campagne à l'église
pour l'enterrer; et que, par conséquent, c'était un vrai
broucoïaque ; c'était là le refrain.
» Quand on nous demanda ce que nous croyions de ce
mort, nous répondîmes que nous le croyions très bien
mort ; et que, pour ce prétendu sang vermeil, on pouvait
voir aisément que ce n'était qu'une bourbe fort puante ;
enfin, nous fîmes de notre mieux pour guérir, ou du
moins pour ne pas aigrir leur imagination frappée, en
leur expliquant les prétendues vapeurs et la chaleur d'un
cadavre.
« M a l g r é tous nos raisonnements, on fut d'avis de
brûler le cœur du mort, qui, après cette exécution, ne
fut pas plus docile qu'auparavant, et fit encore plus de
bruit. On l'accusa de battre les gens la nuit, d'enfoncer
les portes, de briser les fenêtres, de déchirer les habits
LES FANTAISISTES EN MAGIE. 515

et de vider les cruches et les bouteilles. C'était un mort


bien altéré. Je crois qu'il n'épargna que la maison du
consul, chez qui nous logions. Tout le monde avait l'ima-
gination renversée. Les gens du meilleur esprit parais-
saient frappés comme les autres. C'était une véritable
maladie de cerveau, aussi dangereuse que la manie et
que la rage. On voyait des familles entières abandonner
leurs maisons, et venir des extrémités de la ville porter
leurs grabats à la place pour y passer la nuit. Chacun
se plaignait de quelque nouvelle insulte, ët les plus sensés
se retiraient à la campagne.
» Les citoyens les plus zélés pour le bien public
croyaient qu'on avait manqué au point le plus essentiel
de la cérémonie ; il ne fallait, selon eux, célébrer la messe
qu'après avoir ôté le cœur à ce malheureux. Us préten-
daient qu'avec cette précaution, on n'aurait pas manqué
de surprendre le diable ; et sans doute, il n'aurait eu
garde d'y revenir; au lieu qu'ayant commencé par la
messe, il avait eu tout le temps de s'enfuir, et de revenir
à son aise.
» Après tous ces raisonnements, on se trouva dans le
même embarras que le premier jour. On s'assembla soir
et matin ; on fit des processions pendant trois jours et
trois nuits ; on obligea les papas de jeûner ; on les voyait
courir dans les maisons, le goupillon à la main, jeter de
l'eau bénite et en laver les portes : ils en remplisssaient
même la bouche de ce pauvre broucolaque.
» Dans une prévention si générale, nous prîmes le
parti de ne rien dire. Non-seulement on nocs aurait
traités de ridicules, mais d'infidèles. Comment faire
revenir tout un peuple ? Tous les matins, on nous don-
51G HISTOIRE DE LA MAGIE.

naît la comédie, par le récit des nouvelles folies de cet


oiseau de nuit ; on l'accusait même d'avoir commis les
péchés les plus abominables.
» Cependant nous répétâmes si souvent aux adminis-
trateurs de la ville, que, dans un pareil cas, on ne man-
querait pas, dans notre pays, de faire le guet la nuit,
pour observer ce qui se passerait, qu'enfin on arrêta
quelques vagabonds, qui, assurément, avaient part à
tous ces désordres : mais on les relâcha trop tôt ; car,
deux jours après, pour se dédommager du jeûne qu'ils
avaient fait en prison, il recommencèrent à vider les
cruches de vin, chez ceux qui étaient assez sots pour
abandonner leurs maisons la nuit. On fut donc obligé
d'en revenir aux prières.
» Un jour, comme on récitait certaines oraisons, après
avoir planté je ne sais combien d'épées nues sur la fosse
du cadavre, que l'on déterrait trois ou quatre fois par
jour, suivant le caprice du premier venu, un Albanais, qui
se trouvait là, s'avisa de dire, d'un ton de docteur, qu'il
était fort ridicule en pareils cas, de se servir des épées
des chrétiens. « N e voyez-vous pas, pauvres g e n s ,
» disait-il, que la garde de ces épées faisant une croix
» avec la poignée, empêche le diable de sortir de ce
» corps? Que ne vous servez-vous plutôt des sabres des
» Turcs ? »
» L'avis de cet habile homme ne servit de rien ; le
broucoïaque ne parut pas plus traitable, et on ne savait
plus à quel saint se vouer, lorsque tout d'une voix, comme
si l'on s'était donné le mot, on se mit à crier, par toute
la ville, qu'il fallait brûler le broucoïaque tout entier ;
qu'après cela ils défiaient le diable de revenir s'y nicher;
LES FANTAISISTES EN M A G I E . 517

qu'il valait mieux recourir à cette extrémité, que de


laisser déserter l'île. En effet, il y avait déjà des famille
qui pliaient bagage pour aller s'établir ailleurs.
« On porta donc le broucolaque, par ordre des adminis-
trateurs, à la pointe de l'île de Saint-Georges, où l'on
avait préparé un grand bûcher avec du goudron, de
peur que le bois, quelque sec qu'il fût, ne brûlât pas assez
vite. Les restes de ce malheureux cadavre y furent jetés
et consumés en peu de temps. G'était le premier jour de
janvier 1701. Dès lors, on n'entendit plus de plaintes
contre le broucolaque ; on se contenta de dire que le
diable avait été bien attrapé cette fois-là, et l'on fit
quelques chansons pour le tourner en ridicule. »
Remarquons dans ce récit de Tournefort, qu'il admet
la réalité des visions qui épouvantaient tout un peuple.
Qu'il ne conteste ni la flexibilité ni la chaleur du
cadavre, mais qu'il cherche à les expliquer, et cela seu-
lement dans le but fort louable sans doute de rassurer
ces pauvres gens.
Qu'il ne parle pas de la décomposition du cadavre,
mais seulement de sa puanteur ; puanteur naturelle aux
cadavres vampiriques comme aux champignons vénéneux.
Qu'il atteste enfin que le cadavre une fois brûlé, les
prodiges et les visions cessèrent.
Mais nous voici bien loin des fantaisistes de la magie,
revenons-y pour oublier les vampires, et disons quelques
mots sur le cartomancien Edmond.
Edmond est le sorcier favori des dames du quartier
de Notre-Dame-de-Lorette, il occupe, rue Fontaine-Saint-
Georges, n 30, un petit appartement assez coquet, son
0

antichambre est toujours pleine de clientes et parfois


518 HISTOIRE DE LA MAGIE.

aussi de clients. Edmond est un homme de grande taille,


un peu obèse, sont teint est pâle, sa physionomie ouverte,
sa parole assez sympathique. Il paraît croire à son art
et continuer en conscience les exercices et la fortune des
Éteilla et des demoiselles Lenormand. Nous l'avons
interrogé sur ses procédés, et il nous a répondu avec
l'accent de la franchise et avec beaucoup de politesse
qu'il a été depuis son enfance passionné pour les sciences
occultes et qu'il s'est exercé de bonne heure à la divina-
tion ; qu'il ignore les secrets philosophiques des hautes
sciences et qu'il n'a pas les clefs de la kabbale de
Salomon, mais qu'il est sensitif au plus haut point, et que
la seule présence de ses clients l'impressionne si v i v e -
ment qu'il sent en quelque sorte leur destinée. Il me
semble, disait-il, que j'entends des bruits singuliers,
des bruits de chaînes autour des prédestinés du bagne,
des cris et des gémissements autour de ceux qui mour-
ront de mort violente, des odeurs surnaturelles viennent
m'assaillir et me suffoquent. Un jour, en présence d'une
femme voilée et vêtue de noir, j e me pris à tressaillir,
j e sentais une odeur de paille et de sang.... Madame,
lui criai-je, sortez d'ici, vous êtes environnée d'une
atmosphère de meurtre et de prison. Eh bien 1 oui, dit
alors cette femme, en dévoilant son visage pâle, j ' a i été
accusée d'infanticide et j e sors de prison. Puisque vous
avez vu le passé, dites-moi aussi l'avenir.
Un de nos amis et de nos disciples en kabbale, parfai-
tement inconnu d'Edmond, est allé un jour le consulter,
il avait payé d'avance et attendait les oracles, lorsque
Edmond se levant avec respect le pria de reprendre son
argent. Je n'ai rien à vous dire, ajouta-t-il ; votre des-
S O U V E N I R S INTIMES DE L ' A U T E U R . 519

tinée est fermée pour moi avec la clef de l'occultisme ;


tout ce que je pourrais vous dire, vous le savez aussi
bien que moi, et il le reconduisit en le saluant beau-
coup.
Edmond s'occupe aussi d'astrologie judiciaire, il
dresse au plus juste prix des horoscopes et des thèmes de
nativité ; il tient en un mot tout ce qui concerne son état.
C'est d'ailleurs un triste et fatiguant métier que le sien :
avec combien de têtes malades et de cœurs malsains ne
doit-il pas être continuellement en rapport! et puis les
sottes exigences des uns, les reproches injustes des au-
tres, les confidences gênantes, les demandes de philtres
et d'envoûtements, les obsessions des fous, tout cela, en
vérité lui fait bien gagner son argent.
Edmond n'est à tout prendre qu'un somnambule
comme Alexis, il se magnétise lui-même avec ses cartons
bariolés de figures diaboliques, il s'habille de noir et
donne ses consultations dans un cabinet noir : c'est le
prophète du mystère.

CHAPITRE V.
SOUVENIRS INTIMES DE L'AUTEUR.

S O M M A I R E . — Influence des illuminés et des maniaques sur les évéce-


ments historiques. — Le mapah. — Sobrier et la révolution de février
1848. — Puissance magnétique de certains hommes. —• Une somnam-
bule statique.

En 1839, l'auteur de ce livre reçut un matin la visite


d'Alphonse Esquiros.
520 HISTOIRE DE LA MAGIE.

— Venez-vous avec moi, voir le mapah, lui dit ce


dernier.
— Qu'est-ce que c'est que le mapah ?
— G'est un dieu.
— Merci, alors je n'aime que les dieux invisibles.
— Venez-clone, c'est le fou le plus éloquent, le plus
radieux et le plus superbe qu'on ait jamais vu.
— Mon ami, j ' a i peur des fous, la folie est conta-
gieuse.
— Eh mon cher, j e viens bien vous voir, m o i !
— G'est vrai : et puisque vous y tenez, eh bien, allons
voir le mapah.
Dans un affreux galetas, était un homme barbu, d'une
figure majestueuse et prophétique, il portait habituelle-
ment sur ses habits une vieille pelisse de femme, ce qui
lui donnait assez l'air d'un pauvre derviche, il était en-
touré de plusieurs hommes barbus et extatiques comme
lui et d'une femme aux traits immobiles qui ressemblait
à une somnambule endormie.
Ses manières étaient brusques mais sympathiques,
son éloquence entraînante, ses yeux hallucinés; il parlait
avec emphase, s'animait, s'échauffait jusqu'à ce qu'une
écume blanchâtre vînt border ses lèvres. Quelqu'un a
défini l'abbé de Lamennais, quatre-vingt-treize faisant
ses pâques ; cette définition conviendrait mieux au mys-
ticisme du Mapah, on peut en juger par ce fragment
échappé à son enthousiasme lyrique :
« L'humanité devait faillir : ainsi le voulait sa desti-
née, afin qu'elle fût elle-même l'instrument de sa recon-
stitution, et que dans la grandeur et la majesté du labeur
humain passant par toutes ses phases de lumières et de
SOUVENIRS INTIMES DE L'AUTEUU. 521

ténèbres, apparussent manifestement la grandeur et la

majesté de Dieu.
» Et l'unité primitive est brisée par la chute ; la douleur
s'introduit dans le monde sous la forme du serpent ; et
l'arbre de vie devient arbre de mort.
« Et les choses étant ainsi, Dieu dit à la femme : Tu
enfanteras dans la douleur; puis il ajoute : C'est par loi
que la tête du serpent sera écrasée.
» Et la femme est la première esclave ; elle a com-
pris sa mission divine, et le pénible enfantement a com-
mencé.
» C'est pourquoi, depuis l'heure de la chute, la tâche
de l'humanité n'a été qu'une tâche d'initiation, tâche
grande et terrible; c'est pourquoi tous les termes de
cette même initiation, dont notre mère commune
Eve est l'alpha, et notre mère commune Liberté,
l'oméga, sont également saints et sacrés aux yeux de
Dieu.
» J'ai vu un immense vaisseau surmonté d'un mât gi-
gantesque terminé en ruche, et l'un des flancs du vais-
seau regardait l'Occident et l'autre l'Orient.
» Et, du côté de l'Occident, ce vaisseau s'appuyait sur
les sommets nuageux de trois montagnes, dont la base
se perdait dans une mer furieuse ;
» Et chacune de ces montagnes portait son nom san-
glant attaché à son flanc. La première s'appelait Gol-
gotha ; la seconde, mont Saint-Jean ; la troisième Sainte-
Hélène.
» Et au centre du mât gigantesque, du côté de l'Occi-
dent, était fixé une croix à cinq branches sur laquelle
expirait une femme.
0222 HISTOIRE DE LA MAGIE.

» Au-dessus de la tête de cette femme, on lisait :

France :
18 juin 1815 ;
Vendredi-Saint.

» Et chacune des cinq branches de la croix, sur laquelle


elle était étendue, représentait une des cinq parties du
monde ; sa tête reposait sur l'Europe et un nuage l'en-
tourait.
» Et du côté du vaisseau qui regardait l'Orient les té-
nèbres n'existaient pas ; et la carène était arrêtée au seuil
de la cité de Dieu sur le faîte d'un arc triomphal que le
soleil illuminait de ses rayons.
» Et la même femme apparaissait de nouveau, mais
transfigurée et radieuse. Elle soulevait la pierre d'un
sépulcre : sur cette pierre il était écrit :

Restauration, jours du tombeau.


29 juillet 1830;
Pâques. »

L e mapah était, comme on le voit, un continuateur de


Catherine Théot et de dom Gerle, et cependant étrange
sympathie des folies entre elles, il nous déclara un jour
confidentiellement qu'il était Louis X V I I , revenu sur la
terre pour une œuvre de régénération , et que cette
femme qui vivait avec lui avait été Marie-Antoinette de
France. 11 expliquait alors ses théories révolutionnaires
jusqu'à l'extravagance, comme le dernier mot des préten-
tions violentes de Caïn, destinées à ramener par une
réaction fatale le triomphe du juste Abel. Esquiros et moi,
nous étions allés voir le mapah pour nous amuser de sa
démence, et notre imagination resta frappée de ses dis-
SOUVENIRS INTIMES DE I„'AUTEUR. 523

cours. Nous étions deux amis de collège à la manière de


Louis-Lambert et de Balzac, et nous avions souvent rêvé
ensemble des dévouements impossibles et des héroïsmes
inconnus. Après avoir entendu Ganneau, ainsi se nom-
mait celui qui se faisait appeler le mapah, nous nous
prîmes à penser qu'il serait beau dédire au monde le der-
nier mot de la révolution et de fermer l'abîme de l'anar-
chie, en nous y jetant comme Curtius. Cet orgueil d'éco-
liers donna naissance à Y Évangile du peuple et à la Bible
de la liberté, folies qu'Esquiros et son malencontreux ami
n'ont que trop chèrement payées.
Tel est le danger des manies enthousiastes, elles sont
contagieuses, et l'on ne se penche pas impunément au
bord des abîmes de la démence ; mais voici quelque chose
de bien autrement terrible.
Parmi les disciples du mapah, se trouvait un jeune
homme nerveux et débile nommé Sobrier. Celui-là per-
dit complètement la tête, et se crut prédestiné à sauver
le monde en provoquant la crise suprême d'une révo-
lution universelle.
Arrivent les journées de février 1848. Une émeute
avait provoqué un changement de ministère, tout était
fini, les Parisiens étaient contents et les boulevards
étaient illuminés.
Un jeune homme apparaît tout à coup dans les rues
populeuses du quartier Saint-Martin. Il se fait précéder
de deux gamins, l'un portant une torche, l'autre battant
le rappel, un rassemblement nombreux se forme, le
jeune homme monte sur une borne et harangue la
foule. Ce sont des choses incohérentes, incendiaires,
mais la conclusion, c'est qu'il faut aller au boulevard
524 HISTOIRE DE LA MAGIE.

des Capucines porter au ministère la volonté du


peuple.
Au coin de toutes les rues l'énergumène répète la
même harangue, et il marche en tête du rassemblement,
deux pistolets aux poings et toujours précédé de sa
torche et de son tambour.
L a foule des curieux qui encombrait les boulevards se
joint par curiosité au cortège du harangueur. Bientôt ce
n'est plus un rassemblement, c'est une masse de peuple
qui roule sur le boulevard des Italiens.
Au milieu de cette trombe, le jeune homme et les deux
gamins ont disparu, mais devant l'hôtel des Capucines
un coup de pistolet est tiré sur la troupe.
Ce coup de pistolet, c'était la révolution, et il fut tiré
par un fou.
Pendant toute la nuit, deux tombereaux chargés de
cadavres se promenèrent dans les rues à la lueur des
torches ; le lendemain tout Paris était aux barricades,
et Sobrier sans connaissance était rapporté chez lui.
C'était Sobrier qui, sans savoir ce qu'il faisait, venait de
donner une secousse au monde.
Ganneau et Sobrier sont morts, et l'on peut main-
tenant, sans danger pour eux, révéler à l'histoire ce ter-
rible exemple du magnétisme des enthousiastes et des
fatalités que peuvent entraîner après elles les maladies
nerveuses de certains hommes. Nous tenons de source
certaine les choses que nous racontons et nous pensons
que cette révélation peut apporter un soulagement à la
conscience du Bélisaire de la poésie, l'auteur de Y Histoire
des Girondins.

Les phénomènes magnétiques produits par Ganneau


DES SCIENCES OCCULTES. 525

durèrent même après sa mort. Sa veuve, femme sans


instruction et d'une intelligence assez négative, fille d'un
honnête Auvergnat, est restée dans le somnambulisme
statique où son mari l'avait plongée. Semblable à ces
enfants qui subissent la forme des imaginations de leurs
mères, elle est devenue une image vivante de Marie-
Antoinette prisonnière à la Conciergerie. Ses manières
sont celles d'une reine à jamais veuve et désolée, parfois
seulement elle laisse échapper quelques plaintes qui sont
de s'écrier que son rêve la fatigue, mais elle s'indigne
souverainement contre ceux qui cherchent à la réveiller ;
elle ne donne d'ailleurs aucun signe d'aliénation mentale;
sa conduite extérieure est raisonnable, sa vie parfaite-
ment honorable et régulière. Rien n'est plus touchant,
selon nous, que cette obsession persévérante d'un être
follement aimé qui se survit dans une hallucination con-
jugale. Si Artémise a existé, il est permis de croire que
Mausole était aussi un puissant magnétiseur, et qu'il avait
entraîné et fixé à jamais les affections d'une femme toute
sensitive en dehors des limites du libre arbitre et de la
raison.

CHAPITRE VI.
DES SCIENCES OCCULTES.

S O M M A I R E . — Coup d'œil synthétique sur les sciences occultes. — La


recherche de l'absolu.

Le secret des sciences occultes c'est celui de la nature


elle-même, c'est le secret de la génération des anges et
des mondes, c'est celui de la toute-puissance de Dieuï
526* HISTOIRE DE LA MAGIE.

Vous serez comme les Élohims, connaissant le bien et


le mal, avait dit le serpent de la Genèse, et l'arbre de la
science est devenu l'arbre de la mort.
Depuis six mille ans, les martyrs de la science travail-
lent et meurent au pied de cet arbre pour qu'il redevienne
l'arbre de vie.
L'absolu cherché par les insensés et trouvé par les
sages, c'est la vérité, la réalité et la raison de l'équilibre
universel !
L'équilibre, c'est l'harmonie qui résulte de l'analogie
des contraires.
Jusqu'à présent l'humanité a essayé de se tenir sur un
seul pied, tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre.
Les civilisations se sont élevées et ont péri, soit par la
démence anarchique du despotisme, soit par l'anarchie
despotique de la révolte.
Tantôt les enthousiasmes superstitieux, tantôt les mi-
sérables calculs de l'instinct matérialiste ont égaré les
nations, et Dieu pousse le monde enfin vers la raison
croyante et les croyances raisonnables.
Nous avons eu assez de prophètes sans philosophie et
de philosophes sans religion, les croyants aveugles et les
sceptiques se ressemblent et ils sont aussi loin les uns que
les autres du salut éternel.
Dans le chaos du doute universel et des conflits de la
science et de la foi, les grands hommes et les voyants
n'ont été que des artistes malades qui cherchaient la
beauté idéale aux risques et périls de leur raison et de
leur vie.
Aussi voyez-les tous encore, ces sublimes enfants, ils
sont fantasques et nerveux comme des femmes, un rien
DES SCIENCES OCCULTES. 527

les blesse, la raison les offense, ils sont injustes les uns
envers les autres, et eux qui ne vivent que pour être
couronnés, ils sont les premiers à faire dans leurs fantas-
ques humeurs ce que Pythagore défend d'une manière
si touchante dans ses symboles admirables, ils déchi-
rent et foulent aux pieds les couronnes! Ce sont les
aliénés de la gloire, mais Dieu, pour les empêcher de
devenir dangereux, les contient avec les chaînes de
l'opinion.
L e tribunal de la médiocrité juge le génie sans appel,
parce que le génie étant la lumière du monde, est
regardé comme nul et comme mort, dès qu'il n'éclaire
pas.
L'enthousiasme du poète est contrôlé par le sang-
froid de la prosaïque multitude. L'enthousiaste que le
bon sens public n'accepte pas, n'est point un génie, c'est
un fou.
Ne dites pas que les grands artistes sont les esclaves
de la foule ignorante, car c'est d'elle que leur talent
reçoit l'équilibre de la raison.
La lumière, c'est l'équilibre de l'ombre et de la clarté.
Le mouvement, c'est l'équilibre de l'inertie et de

l'activité.

L'autorité, c'est l'équilibre de la liberté et du pou-

voir.
La sagesse, c'est l'équilibre dans les pensées.
La vertu, c'est l'équilibre dans les affections ; la beauté,
c'est l'équilibre dans les formes.
Les belles lignes sont les lignes justes, et les magni-
ficences de la nature sont un algèbre de "grâces et de
splendeurs.
528 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Tout ce qui est juste est beau : tout ce qui est beau
doit être juste.
Le ciel et l'enfer sont l'équilibre de la vie morale; le
bien et le mal sont l'équilibre de la liberté.
L e grand œuvre, c'est la conquête du point central
où réside la force équilibrante. Partout ailleurs, les réac-
tions de la force équilibrée conservent la vie univer-
selle par le mouvement perpétuel de la naissance et de
la mort.
C'est pour cela que les philosophes hermétiques com-
parent leur or au soleil.
C'est pour cela que cet or guérit toutes les maladies
de l'âme et donne l'immortalité. Les hommes arrivés à
ce point central sont les véritables adeptes, ce sont les
thaumaturges de la science et de la raison.
Ils sont maîtres de toutes les richesses du monde et
des mondes, ils sont les confidents et les amis des prin-
ces du ciel, la nature leur obéit parce qu'ils veulent ce
que veut la loi qui fait marcher la nature.
Yoilà ce que le Sauveur du monde appelle le royaume
de Dieu! c'est le sanctum regnum d e l à sainte kabbale.
C'est la couronne et l'anneau de Salomon, c'est le scep-
tre de Joseph devant lequel s'inclinent les étoiles du ciel
et les moissons de la terre.
Cette toute-puissance nous l'avons retrouvée, et nous
ne la vendons pas, mais si Dieu nous avait chargé de la
vendre, nous ne trouverions pas que ce soit assez de toute
la fortune des acheteurs ; nous leur demanderions en-
core, non pas pour nous, mais pour elle toute leur âme et
toute leur vie î
RÉSUMÉ ET CONCLUSION. 529

CHAPITRE VII.
RÉSUMÉ ET CONCLUSION.

S O M M A I R E . — L'énigme du Sphinx. — Les questions paradoxales. —


Portée des découvertes de la science magique dans l'ordre religieux,
dans l'ordre moral et dans l'ordre politique. — Objet et but de cet
ouvrage.

Il nous reste maintenant à résumer et à conclure.


Résumer l'histoire d'une science, c'est résumer la
science. Aussi allons-nous récapituler les grands princi-
pes de l'initiation conservés et transmis à travers tous
les âges.
L a science magique est la science absolue de l'équi-
libre.
Cette science est essentiellement religieuse, elle a pré-
sidé à la formation des dogmes de l'ancien monde, et a
été ainsi la mère nourrice de toutes les civilisations.
Mère pudique et mystérieuse, qui, en allaitant de poé-
sie et d'inspiration les générations naissantes, couvrait
son visage et son sein !
Avant tout principe, elle nous dit de croire en Dieu, et
de l'adorer sans chercher à le définir, parce que souvent
pour notre intelligence imparfaite, un Dieu défini est
en quelque sorte un Dieu fini! Mais après Dieu, elle
nous montre comme souverains principes des choses, les
mathématiques éternelles et les forces équilibrées.
Il est écrit dans la Bible que Dieu a tout disposé par-
le poids, le nombre et la mesure, voici le t e x t e :
Omnia in pondère et numéro et mensurâ disposmi

Deus.
530 HISTOIRE DE LA MAGUÍ.

Ainsi le poids, c'est-à-dire l'équilibre, le nombre ou


la quantité et la mesure, c'est-à-dire la proportion,
telles sont les bases éternelles ou divines de la science
de la nature.
L a formule de l'équilibre est celle-ci :
« L'harmonie résulte de l'analogie des contraires. »
L e nombre est l'échelle des analogies dont la propor-
tion est la mesure.
Toute la philosophie occulte du Sohar pourrait s'appe-
ler la science de l'équilibre.
L a clef des nombres se trouve dans le Sepher Jézirah.
L a génération des nombres est analogue à la filiation des
idées et à la production des formes.
En sorte que, dans leur alphabet sacré, les sages hié-
rophantes de la kabbale ont réuni les signes h i é r o g l y -
phiques des nombres, des idées et des formes.
Les combinaisons de cet alphabet donnent des équa-
tions d'idées, et mesurent, en les indiquant, toutes les
combinaisons possibles dans les formes naturelles.
Dieu, dit la Genèse, a fait l'homme à son image : or,
l'homme étant le résumé vivant de la création, il s'en-
suit que la création aussi est faite à l'image de Dieu.
Il y a dans l'univers trois choses : Yesprit, le média-
teur plastique et la matière.
Les anciens donnaient à l'esprit pour instrument
immédiat, le fluide igné auquel ils prêtaient le nom
générique de soufre; au médiateur plastique, le nom
de Mercure à cause du symbolisme représenté par le
caducée, et à la matière le nom de sel, à cause du sel
fixe qui reste après la combustion et qui résiste à l'ac-
tion du feu.
RÉSUMÉ ET CONCLUSION. 531

Ils comparaient le soufre au père, à cause de l'activité


génératrice du feu; le mercure à la mère, pour sa puis-
sance d'attraction et de reproduction ; et le sel était pour
eux l'enfant ou la substance soumise à l'éducation de la
nature.
La substance créée pour eux était une, et ils la nom-
maient lumière.
Lumière positive ou ignée, le soufre volatil ; lumière
négative ou rendue visible par les vibrations du feu, le
mercure fluide éthéré ; et lumière neutralisée ou om-
bre, le mixte coagulé ou fixé sous la forme de terre ou
de sel.
C'est pourquoi Hermès trismégiste s'exprime ainsi
dans son symbole connu sous le nom de Table d'émeraude:
« Ce qui est en hautest comme ce qui est en bas, et ce
qui est en bas est comme ce qui est en haut pour former
les merveilles de la chose unique. »
C'est-à-dire que le mouvement universel est produit
par les analogies du fixe et du volatil, le volatil tendant
à se fixer, et le fixe à se volatiliser, ce qui produit un
échange continuel entre les formes de la substance uni-
que et, par cet échange, les combinaisons sans cesse
renouvelées des formes universelles.
Le feu c'est Osiris ou le soleil, la lumière c'est Isis ou
la lune, ils sont le père et la mère du grand Télesma,
c ' t - à - d i r e de la substance universelle, non qu'ils en
es

soient les créateurs, mais ils en représentent les deux


forces génératrices, et leur effort combiné produit le fixe
ou la terre, ce qui fait dire à Hermès que leur force est
parvenue à toute sa manifestation quand la terre en a
été formée.
532 HlStOI'RE DE LA MAGIE.

Osiris n'est donc pas Dieu, même pour les grands hié-
rophantes du sanctuaire égyptien. Osiris n'est que l'om-
bre lumineuse ou ignée du principe intellectuel de la vie,
et c'est pour cela qu'au moment des dernières initiations
on jetait en courant dans l'oreille de l'adepte cette révéla-
tion redoutable : Osiris est un dieu noir.
Malheur, en effet, au récipiendaire dont l'intelligence
ne se serait pas élevée par la foi au-dessus des symboles
purement physiques de la révélation égyptienne ! Cette
parole devenait pour lui uue formule d'athéisme et son
esprit était frappé d'aveuglement. Elle était au contraire
pour le croyant d'un génie plus élevé, le g a g e des plus
sublimes espérances. Enfant, semblait lui dire l'initia-
teur, tu prends une lampe pour le soleil, mais ta lampe
n'est qu'une étoile de la nuit; il existe un véritable so-
leil ; sors de la nuit et cherche le jour !
Ce que les anciens appelaient les quatre éléments
n'étaient pas pour eux des corps simples, mais bien les
quatre formes élémentaires de la substance unique. Ces
quatre formes étaient figurées sur le sphinx : l'air par les
ailes, l'eau par le sein de femme, la terre par le corps de
taureau, le feu par les griffes du lion.
La substance une, trois fois triple en mode d'essence,
et quadruple en forme d'existence, tel est le secret des
trois pyramides triangulaires d'élévation, carrées par
la base et gardées par le sphinx. L ' E g y p t e , en élevant
ces monuments, avait voulu poser les colonnes d'Hercule
de la science universelle.
Aussi les sables ont monté, les siècles ont passé et les
pyramides toujours grandes proposent aux nations leur
énigme dont le mot a été perdu. Quant au sphinx, il
RÉSUMÉ ET CONCLUSION. 533

semble avoir sombré dans la poussière des âges. Les


grands empires de Daniel ont régné tour à tour sur la
terre, et se sont enfoncés de tout leur poids dans le
tombeau. Conquêtes de la guerre, fondations du tra-
vail, œuvres des passions humaines, tout s'est englouti
avec le corps symbolique du sphinx ; maintenant la
tête humaine se dresse seule au-dessus des sables du
désert, comme si elle attendait l'empire universel de la
pensée.
Devine ou meurs! tel était le terrible dilemme posé
par le sphinx aux aspirants à la royauté de Thèbes. C'est
qu'en effet les secrets de la science sont ceux de la vie ;
il s'agit de régner ou de servir, d'être ou de ne pas être.
Les forces naturelles nous briseront, si elles ne nous ser-
vent à conquérir le monde. Roi ou victime, il n'y a pas
de milieu entre cet abîme et cette sommité, à moins
qu'on ne se laisse tomber dans la masse cle ceux qui
ne sont rien, parce qu'ils ne se demandent jamais pour-
quoi ils vivent ni ce qu'ils sont.
Les formes du sphinx représentent aussi par analogie
hiéroglyphique les quatre propriétés de l'agent magique
universel, c'est-à-dire de la lumière astrale : dissoudre,
coaguler, réchauffer, refroidir. Ces quatre propriétés
dirigées par la volonté de l'homme, peuvent modifier
toutes les formes de la nature, et produire, suivant l'im-
pulsion donnée, la vie ou la mort, la santé ou la mala-
die, l'amour ou la haine, la richesse même ou la pau-
vreté. Elles peuvent mettre au service de l'imagination
tous les reflets de la lumière ; elles sont la solution para-
doxale des questions les plus téméraires qu'on puisse
poser à la haute magie.
h'èll HISTOIRE DE LA MAGIE.

lies questions paradoxales de la curiosité humaine,


les voici ; nous allons les poser et y répondre :

1 . Peut-on échappera la mort?


2. L a pierre philosophale existe-t-elle, et comment
faire pour la trouver ?
3. Peut-on se faire servir par les esprits?
II. Qu'est-ce que la clavicule, l'anneau et le sceau de
Salomon ?
5. Peut-on prévoir l'avenir par des calculs certains?
6. Peut-on faire à son gré du bien ou du mal par
influence magique ?
7. Que faut-il pour être un vrai magicien ?
8. En quoi consistent précisément les forces de la
magie noire ?

Nous appelons paradoxales ces questions qui sont en


dehors de toute science, et qui semblent être d'avance
résolues négativement par la foi.
Ces questions sont téméraires si elles sont faites par
un profane, et leur solution complète donnée par un
adepte ressemblerait à un sacrilège.
Dieu et la nature ont fermé le sanctuaire intime de la
haute science, en sorte qu'au delà de certaine limite ce-
lui qui sait, parlerait inutilement, il ne se ferait plus com-
prendre ; la révélation du grand arcane magique est
donc heureusement impossible.
Les solutions que nous allons donner seront donc la
dernière expression du verbe magique; nous les ren-
drons aussi claires qu'elles peuvent être, mais nous ne
nous chargeons pas de les faire comprendre à tous nos
lecteurs.
RÉSUMÉ ET CONCLUSION. 535

QUESTIONS 1 et 2.

1. Peut-on échapper à la mort?


2. La pierre philosophale existe-t-elle, et comment
faire pour la trouver ?

RÉPONSES.

On peut échapper à la mort de deux manières, dans


le temps et dans l'éternité.
Dans le temps, en guérissant toutes les maladies et
en évitant les infirmités de la vieillesse;
Et dans l'éternité, en perpétuant par le souvenir
l'identité personnelle dans les transformations de l'exis-
tence.
Posons d'abord en principes :
1 ° Que la vie résultant du mouvement ne peut se con-
server que par la succession et le perfectionnement des
formes ;
2° Que la science du mouvement perpétuel est la
science de la vie ;
3° Que cette science a pour objet la juste pondération
des influences équilibrées ;
4° Que tout renouvellement s'opère par la destruction,
et qu'ainsi toute génération est une mort, et toute mort
une génération.
Maintenant établissons avec les anciens sages que Je
principe universel de la vie est un mouvement substan-
tiel ou une substance éternellement et essentiellement
mue et motrice, invisible et impalpable, à l'étal volatil,
5.36 HISTOIRE DE LA MAGIE,

et qui se manifeste matériellement en se fixant par les


phénomènes de la polarisation.
j Cette substance est indéfectible, incorruptible, et par
conséquent immortelle.
Mais ses manifestations par la forme sont éternelle-
ment, changées par la perpétuité du mouvement.
Ainsi tout meurt parce que tout vit, et si Ton pouvait
éterniser une forme, on arrêterait le mouvement et l'on
aurait créé la seule véritable mort.
Emprisonner ajamáis une âme dans un corps humain
momifié, telle serait la solution horrible du paradoxe
magique de l'immortalité prétendue dans le même corps
et sur la même terre.
Tout se régénère par le dissolvant universel qui est la
substance première.
Ce dissolvant concentre sa force dans la quintessence,
c'est-à-dire au centre équilibrant d'une double polarité.
Les quatre éléments des anciens sont les quatre f o r -
ces polaires de l'aimant universel représenté par une
croix.
Cette croix qui tourne indéfiniment autour de son
centre, en posant ainsi l'énigme de la quadrature du
cercle.
L e Verbe créateur se fait entendre du milieu de la
croix et il crie : Tout est consommé.
C'est dans la juste proportion des quatre formes élé-
mentaires qu'il faut chercher la médecine universelle
des corps, comme la médecine de l'âme nous est pré-
sentée par la religion en celui qui s'offre éternellement
sur la croix pour le salut du monde.
L'aimentation et la polarisation des corps célestes r é -
RÉSUME ET CONCLUSION.

sultent de leur gravitation équilibrée autour des soleils, qui


sont les réservoirs communs de leur électro-magnétisme.
La vibration de la quintessence autour des réservoirs
communs se manifeste par la lumière, et la lumière r é -
vèle sa polarision par les couleurs.
L e blanc est la couleur de la quintessence. Vers son
pôle négatif, cette couleur se condense en bleu et se
fixe en noir; mais vers son pôle positif, elle se condense
en jaune et se fixe en rouge.
La vie rayonnante va donc toujours du noir au rouge,
en passant par le blanc ; et la vie absorbée redescend
du rouge au noir, en traversant le même milieu.
Les quatre nuances intermédiaires ou mixtes pro-
duisent avec les trois couleurs de la syllepse de l'analyse
et de la synthèse lumineuse, ce qu'on appelle les sept
couleurs du prisme ou du spectre solaire.
Ces sept couleurs forment sept atmosphères ou sept
zones lumineuses autour de chaque soleil, et la planète
dominante dans chaque zone se trouve aimentée d'une
manière analogue à la couleur de son atmosphère.
Les métaux dans les entrailles de la terre se forment
comme les planètes dans le ciel, par les spécialités d'une
lumière latente qui se décompose en traversant divers
milieux.
S'emparer du sujet dans lequel la lumière métallique
est latente, avant qu'elle se soit spécialisée, et la pousser
à l'extrême pôle positif, c'est-à-dire au rouge vif, par un
feu emprunté à la lumière même, tel est tout le secret
du grand œuvre.
On comprend que cette lumière positive à son ex-
trême degré de condensation est la vie même devenue
538 HISTOIRE DE LA MAGIE.

fixe, et peut servir de dissolvant universel et de méde-


cine à tous les règnes de la nature.
Mais pour arracher à la marcassite, austibium, à l'ar-
senic des philosophes son sperme métallique vivant et
androgyne, il faut un premier dissolvant qui est un mens-
true minéral salin, il faut de plus le concours du ma-
gnétisme et de l'électricité.
L e reste se fait de soi-même, dans un seul vase,
dans un seul athanor, et par le feu gradué d'une seule
lampe; c'est, disent les adeptes, un travail de femmes et
d'enfants.
Ce que les chimistes et les physiciens modernes appel-
lent chaleur, lumière, électricité, magnétisme, n'était
pour les anciens que les manifestations phénoménales
élémentaires de la substance unique appelée aour, TIN,
od, Tm et ob, DIN, par les Hébreux. Od est le nom de l'actif,
ob le nom du passif, et aour, dont les philosophes hermé-
tiques ont fait leur O R , est le nom du mixte androgyne et
équilibré.
L'or vulgaire c'est Y aour métallisé, l'or philosophique
c'est Yaour à l'état de pierrerie soluble.
En théorie, suivant la science transcendantale des
anciens, la pierre philosophale qui guérit toutes les ma-
ladies et opère la transmutation des métaux, existe donc
incontestablement. Existe-t-elleetpeut-elleexister en fait?
Si nous l'affirmions, on ne nous croirait pas, donnons
donc cette affirmation comme une solution paradoxale
aux paradoxes exprimés parles deux premières questions
et passons au second chapitre.
Remarque. — Nous ne répondons pas à la question
subsidiaire : Comment faire pour la trouver, parce que
№UME E T CONCLUSION. 539

M. de La P alisse lui­même répondrait à notre place que


pour trouver il est indispensable de chercher, à moins
qu'on ne trouve par hasard. Nous en avons dit assez
pour diriger et faciliter les recherches.

QUESTIONS 3 ET ft.

3. — P eut­on se faire servir par les esprits?


4. — Qu'est­ce que la clavicule, le sceau et l'anneau

de Salomon.
RÉPONSES.

Lorsque le Sauveur du monde eut triomphé, dans sa


tentation du désert, des trois convoitises qui asservis­
sent l'âme humaine :
La convoitise des appétits, la convoitise des ambitions

et celle des cupidités.


Il est écrit que les anges s'approchèrent de lui et le

servirent.
Car les esprits sont au service de l'esprit souverain,
et l'esprit souverain est celui qui enchaîne les turbulences
déréglées et les entraînements injustes de la chair.
Remarquons bien toutefois qu'il est contre l'ordre de
la P rovidence d'intervertir la série naturelle des commu­
nications entre les êtres.
Nous ne voyons pas que le Sauveur et les apôtres
aient évoqué les âmes des morts.
L'immortalité de l'âme étant un des dogmes les plus
consolants de la religion, doit­être réservée aux aspirations
de la foi, et ne sera par conséquent jamais prouvée par
des faits accessibles à la critique de la science.
Aussi l'ébranlement ou la perte de la raison est­elle
5/iO HISTOIRE DE LA MAGIE.

et sera-t-elle toujours le châtiment de ceux qui auront


la témérité de regarder, dans l'autre vie, avec les yeux
de celle-ci.
Aussi les traditions magiques font-elles toujours appa-
raître les morts évoqués, avec des visages tristes et
colères.
Ils se plaignent d'avoir été troublés dans leur repos
et ne profèrent que des reproches et des menaces.
Les clefs ou clavicules de Salomon sont des forces reli-
gieuses et rationnelles exprimées par des signes, et qui
servent moins à évoquer les esprits qu'à se préserver
soi-même de toute aberration dans les expériences rela-
tives aux sciences occultes.
L e sceau résume les clefs, l'anneau en indique l'usage.
L'anneau de Salomon est à la fois circulaire et carré,
et il figure ainsi le mystère de la quadrature du cercle.
Il se compose de sept carrés disposés de manière à
former un cercle. On y adapte deux chatons, l'un circu-
laire, l'autre carré, l'un en or, l'autre en argent.
L a bague doit être faite de filigrane des sept métaux.
Dans le chaton d'argent on enchâsse une pierre blan-
che, et dans le chaton d'or une pierre rouge avec ces
signatures :
Sur la pierre blanche, le signe du macrocosme ;
Sur la pierre rouge, le signe du microcosme.
Lorsqu'on met l'anneau à son doigt, une des pierres
doit être au dedans de la main, l'autre au dehors, sui-
vant qu'on veut commander aux esprits de lumière ou
aux puissances des ténèbres.
Expliquons en quelques paroles la toute-puissance de
cet anneau.
RÉSUMÉ ET CONCLUSION. 541

La volonté est toute-puissante, lorsqu'elle s'arme des


forces vives de la nature.
L a pensée est oisive et morte tant qu'elle ne se mani-
feste pas par le verbe ou par le signe, elle ne peut donc
alors ni exciter, ni diriger la volonté.
Le signe étant la forme nécessaire de la pensée est
l'instrument indispensable de la volonté.
Plus le signe est parfait, plus la pensée est fortement
formulée, et plus par conséquent la volonté est dirigée
avec puissance.
La foi aveugle transporte les montagnes, que sera-ce
donc de la foi éclairée par une science complète et im-
muable?
Si notre âme pouvait concentrer toute son intelli-
gence et toute son énergie dans l'émission d'une seule
parole, cette parole pour elle ne serait-elle ' pas toute-
puissante?
L'anneau de Salomon avec son double sceau, c'est
toute la science et toute la foi des mages résumées en
un signe.
C'est le symbole de toutes les forces du ciel et de
la terre et des lois saintes qui les régissent, soit dans
le macrocosme céleste, soit dans le microcosme hu-
main.
C'est le talisman des talismans et le pantacle des
pantacles.
L'anneau de Salomon est tout-puissant, si c'est un si-
gne vivant, mais il est inefficace, si c'est un signe mort ;
la vie des signes c'est l'intelligence et la foi, intelligence
de la nature, foi en son moteur éternel.
L'étude approfondie des mystères de la nature peut
$42 HISTOIRE DE LA MAGIE.

éloigner de Dieu l'observateur inattentif chez qui la


fatigue de l'esprit paralyse les élans du coeur.
C'est en cela que les sciences occultes peuvent être
dangereuses et même fatales à certaines âmes.
L'exactitude mathématique, la rigueur absolue des
lois de la nature, l'ensemble et la simplicité de ces lois,
donnent à plusieurs l'idée d'un mécanisme nécessaire,
éternel, inexorable, et la Providence disparaît pour eux
derrière les rouages de fer d'une horloge au mouvement
perpétuel.
Us ne réfléchissent pas au fait redoutable de la liberté
et de l'autocratie des créatures intelligentes.
Un homme dispose à son gré de l'existence d'êtres
organisés comme lui ; il peut atteindre les oiseaux dans
l'air, les poissons dans l'eau, les bêtes sauvages dans les
forêts ; il peut couper ou incendier les forêts elles-mêmes,
miner et faire sauter les rochers et les montagnes, chan-
ger autour de lui toutes les formes, et malgré les analo-
gies ascendantes de la nature, il ne croirait pas à l'exis-
tence d'êtres intelligents comme lui qui pourraient à leur
gré déplacer, briser et incendier les mondes, souffler sur
les soleils pour les éteindre, ou les broyer pour en faire
des étoiles... des êtres si grands qu'ils échappent à sa
vue, comme nous échappons sans doute à celle de la
mite ou du ciron... Et si de pareils êtres existent sans
que l'univers soit mille fois bouleversé, ne faut-il pas
admettre qu'ils obéissent tous à une volonté suprême, à
une force puissante et sage, qui leur défend de dépla-
cer les mondes, comme elle nous défend de détruire le
nid de l'hirondelle et la crysalide du papillon? Pour le
mage qui sent cette force au fond même de sa con-
RÉSUMÉ ET CONCLUSION. 543

science, et qui ne voit plus dans les lois de l'univers que


les instruments de la justice éternelle, le sceau de Salo-
mon, ses clavicules et son anneau sont les insignes de
la suprême royauté.

QUESTIONS 5 ET 6.

5. Peut-on prévoir l'avenir par des calculs cer-


tains?
6. Peut-on faire du bien ou du mal par influence
magique ?
RÉPONSES.

Deux joueurs d'échec d'égale force, sont assis à une


table, ils commencent la partie, lequel des deux ga-
gnera ?
— Celui qui sera le plus attentif à son jeu.
Si j e connais les préoccupations de l'un et de l'autre,
je puis prédire certainement le résultat de leur partie.
Au jeu d'échecs, prévoir c'est gagner, il en est de
même au jeu de la vie.
Rien dans la vie n'arrive par hasard, le hasard, c'est
l'imprévu ; mais l'imprévu de l'ignorant avait été prévu
par le sage.
Tout événement, comme toute forme, résulte d'un
conflit ou d'un équilibre de forces, et ces forces peuvent
être représentées par des nombres.
L'avenir peut donc être d'avance déterminé par le

calcul.
Toute action violente est balancée par une réaction
égale, le rire pronostique les larmes, et c'est pour cela
que le Sauveur disait : Heureux ceux qui pleurent !
544 lliSTOïnlï DE LA MAGIE.

C'est pour cela aussi qu'il disait : Celui qui s'élève,


sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé.
Aujourd'hui Nabuchodonosor se fait Dieu, demain il
sera changé en bête.
Aujourd'hui Alexandre fait son entrée dans Babylone,
et se fait offrir de l'encens sur tous les autels, demain il
mourra brutalement ivre.
L'avenir est dans le passé; le passé est dans l'avenir.
Quand le génie prévoit, il se souvient.
Les effets s'enchaînent si nécessairement et si exacte-
ment aux causes et deviennent ensuite eux-mêmes des
causes d'effets nouveaux si conformes aux premiers dans
leur manière de se produire, qu'un seul fait peut révé-
ler au voyant toute une généalogie de mystères.
Quand le Christ est venu, il est certain que l'Anté-
christ viendra : mais la venue de l'Antéchrist précédera
le triomphe du Saint-Esprit.
L e siècle d'argent où nous vivons est le précurseur
des plus abondantes charités et des bonnes œuvres les
plus grandes qu'on ait encore vues dans le monde.
Mais il faut savoir que la volonté de l'homme modifie
les causes fatales, et qu'une seule impulsion donnée
par un homme peut changer l'équilibre de tout un
monde.
Si telle est la puissance de l'homme dans le monde qui
est son domaine, que doivent donc être les génies des
soleils !
Le moindre des égrégores pourrait d'un souffle, en
dilatant subitement le calorique latent de notre terre, la
faire éclater et disparaître comme un petit nuage de
cendre.
RÉSUME Eï CONCLUSIÓN. 5/t5

L'homme aussi peut d'un souffle faire évanouir toute


la félicité d'un de ses semblables.
Les hommes sont aimantés comme les mondes, ils
rayonnent leur lumière spéciale comme les soleils. ,.
Les uns sont plus absorbants, les autres irradient plus
volontiers.
Personne n'est isolé dans le monde, tout homme est
une fatalité ou une providence.
Auguste et Cinna se rencontrent : tous deux sont or-
gueilleux et implacables, voilà la fatalité.
Cinna veut fatalement et librement tuer Auguste, Au-
guste est entraîné fatalement à le punir, il veut lui par-
donner et librement il lui pardonne. Ici la fatalité se
change en providence, et le siècle d'Auguste inauguré par
cette bonté sublime devient digne de voir naître celui qui
dira : Pardonnez à vos ennemis ! Auguste, en faisant
grâce à Cinna, a expié toutes les vengeances d'Octave.
Tant que l'homme est asservi aux exigences de la
fatalité, c'est un profane, c'est-à-dire un homme qu'il
faut repousser loin du sanctuaire de la science.
L a science, en effet, serait entre ses mains un instru-
ment terrible de destruction.
L'homme libre au contraire, c'est-à-dire celui qui
domine par l'intelligence les instincts aveugles de la
vie, celui-là est essentiellement conservateur et répa-
rateur, car la nature est le domaine de sa puissance, le
temple de son immortalité. '
Quand le profane voudrait bien faire, il ferait
mal.
L'initié libre ne peut pas vouloir mal faire; s'il frappe,
c'est pour châtier et pour guérir,
35
546 HISTOIRE DE LA MAGIE.

Le souffle du profane est mortel, celui de l'initié est


vivifiant.
L e profane souffre pour faire souffrir les autres, l'initié
souffre pour que les autres ne souffrent pas.
L e profane trempe ses flèches dans son propre sang et
les empoisonne; l'initié, libre avec une goutte de son
sang, guérit les plus cruelles blessures.

QUESTIONS 7 ET 8.

7. Que faut-il faire pour être un vrai magicien?


8. En quoi consistent précisément les forces de la
magie noire?

RÉPONSES.

L'homme qui dispose des forces occultes de la nature,


sans s'exposer à être écrasé par elles, celui-là est un vrai
magicien.
On le reconnut à ses œuvres et à sa fin, qui est tou-
jours un grand sacrifice.
Zoroastre a créé les dogmes et les civilisations primi-
tives de l'Orient, et a disparu comme OEdipe dans un
orage.
Orphée a donné la poésie à la Grèce, et avec cette
poésie la beauté de toutes les grandeurs, et il a péri
dans une orgie à laquelle il refusait de se mêler.
Julien, malgré toutes ses vertus, n'a été qu'un initié
à la magie noire. Il est mort victime et non martyr ; sa
mort a été une destruction et une défaite, il ne compre-
nait pas son époque.
11 connaissait le dogme de la haute magie, mais il en
appliquait mal le rituel.
RÉSUMÉ ET CONCLUSION. 547

Apollonius de T h y a n e et Synesius n'ont été autre


chose que de m e r v e i l l e u x philosophes, ils ont cultivé
la vraie science, mais ils n'ont rien fait p o u r la p o s -
térité.
L e s m a g e s de l ' É v a n g i l e régnaient alors dans les trois
parties d u m o n d e c o n n u , et les oracles se taisaient en
écoutant les vagissements d u petit enfant de B e t h l é e m .
L e roi des r o i s , le m a g e des m a g e s , était v e n u dans
le m o n d e , et les cultes, les lois, les e m p i r e s , tout était
changé !
E n t r e J é s u s - C h r i s t et N a p o l é o n , le m o n d e m e r v e i l l e u x
reste v i d e .
N a p o l é o n , ce V e r b e de la g u e r r e , ce messie a r m é , est
v e n u f a t a l e m e n t et sans le s a v o i r , compléter la parole
chrétienne. L a r é v é l a t i o n chrétienne ne nous a p p r e n a i t
q u ' à m o u r i r , la civilisation napoléonienne doit nous a p -
prendre à vaincre.
D e ces d e u x V e r b e s contraires en a p p a r e n c e , le dé-
v o u e m e n t et la v i c t o i r e , s o u f f r i r , m o u r i r , c o m b a t t r e et
v a i n c r e , se f o r m e le g r a n d arcane de I'HONNEUR !

Croix du S a u v e u r , croix d u b r a v e , vous n'êtes pas


complètes l'une sans l ' a u t r e , car celui-là seul sait v a i n -
cre q u i sait se d é v o u e r et m o u r i r !
E t c o m m e n t se d é v o u e r et m o u r i r , si l'on ne croit pas
à la vie éternelle ?
N a p o l é o n q u i était m o r t en a p p a r e n c e , devait r e v e n i r
dans le m o n d e en la personne d ' u n h o m m e réalisateur
de son esprit.
Salomon et C h a r l e m a g n e r e v i e n d r o n t aussi en un
seul m o n a r q u e , et alors saint J e a n l ' É v a n g é l i s t e , q u i , s e -
lon la t r a d i t i o n , d o i t r e v i v r e à la fin des t e m p s , ressusci-
5/l8 HISTOIRE DE LA MAGIE.

tera aussi en la personne d'un souverain pontife, qui


sera l'apôtre de l'intelligence et de la charité.
Et ces deux princes réunis, annoncés par tous les
prophètes, accompliront le prodige de la régénération
du monde.
Alors fleurira la science des vrais magiciens : car,
jusqu'à présent, nos faiseurs de prodiges ont été pour
la plupart des hommes fatals et des sorciers, c'est-à-dire
des instruments aveugles du sort.
Les maîtres que la fatalité jette au monde sont bientôt
renversés par elle. Ceux qui triomphent par les passions
seront la proie des passions. Lorsque Prométhée fut j a -
loux de Jupiter et lui déroba sa foudre, il voulut se faire
aussi un aigle immortel, mais il ne créa et n'immortalisa
qu'un vautour.
La fable dit encore qu'un roi impie nommé Ixion vou-
lut faire violence à la reine du ciel, mais il n'embrassa
qu'une nuée mensongère, et fut lié par des serpents de
feu à la roue inexorable de la fatalité.
Ces profondes allégories menacent les faux adeptes,
les profanateurs de la science, les séides de la magie
noire.
La force de la magie noire c'est la contagion du v e r -
tige, c'est l'épidémie de la déraison.
L a fatalité des passions est comme un serpent de feu
qui roule et se tortille autour du monde en dévorant les
âmes.
Mais l'intelligence paisible, souriante et pleine d'amour,
figurée par la mère de Dieu, lui pose le pied sur la tête.
L a fatalité se dévore elle-même ; c'est l'antique ser-
pent de Ghronos qui ronge éternellement sa queue.
RÉSUMÉ ET CONCLUSION. 5&9

Ou plutôt se sont deux serpents ennemis qui se battent


et se déchirent de morsures, jusqu'à ce que l'harmonie
les enchante et les fasse s'enlacer paisiblement autour du
caducée d'Hermès.

CONCLUSION.

Croire qu'il n'existe pas dans l'être un principe intel-


ligent universel et absolu, c'est la plus téméraire et la
plus absurde de toutes les croyances.
Croyance, parce que c'est la négation de l'indéfini et

de l'indéfinissable.
Croyance téméraire, parce qu'elle est isolante et dé-
solante; croyance absurde, parce qu'elle suppose le plus
complet néant, à la place de la plus entière perfection.
Dans la nature, tout se conserve par l'équilibre et se
renouvelle par le mouvement.
L'équilibre, c'est l'ordre ; et le mouvement, c'est le

progrès.
La science de l'équilibre et du mouvement est la
science absolue de la nature.
L'homme, par cette science, peut produire et diriger
des phénomènes naturels en s'élevant toujours vers une
intelligence plus haute et plus parfaite que la sienne.
L'équilibre moral, c'est le concours de la science et
de la foi, distinctes dans leurs forces et réunies dans
leur action pour donner à l'esprit et au cœur de l'homme
une règle qui est la raison.
Car, la science qui nie la foi est aussi déraisonnable
que la foi qui nie la science.
OOU HISTOIRE DE LA MAGIE.

L'objet de la foi ne saurait être ni défini ni surtout


nié par la science, mais la science est appelée elle-même
à constater la base rationnelle des hypothèses de la foi.
Une croyance isolée ne constitue pas la foi parce
qu'elle manque d'autorité, et par conséquent de garan-
tie morale, elle ne peut aboutir qu'au fanatisme ou à la
superstition.
La foi est la confiance que donne une religion, c'est-
à-dire une communion de croyance.
La vraie religion se constitue par le suffrage uni-
versel.
Elle est donc essentiellement et toujours catholique,
c'est-à-dire universelle. C'est une dictature idéale ac-
clamée généralement dans le domaine révolutionnaire
de l'inconnu.
La loi d'équilibre, lorsqu'elle sera mieux comprise,
fera cesser toutes les guerres et toutes les révolutions du
vieux monde. Il y a eu conflit entre les pouvoirs comme
entre les forces morales. On blâme actuellement les papes
de se cramponner au pouvoir temporel, sans songer à la
tendance protestante des princes pour l'usurpation du
pouvoir spirituel.
Tant que les princes auront la prétention d'être papes,
le pape sera forcé, par la loi même de l'équilibre, à la
prétention d'être roi.
Le monde entier rêve encore l'unité de pouvoir, et ne
comprend pas la puissance du dualisme équilibré.
Devant les rois usurpateurs de la puissance spirituelle,
si le pape n'était plus roi, il ne serait plus rien. Le pape
dans l'ordre temporel subit comme un autre les préju-
gés de son siècle. Il ne saurait donc abdiquer son pou-
RÉSUMÉ ET COiNCLUSION. 551

voir temporel quand cette abdication serait un scandale

pour la moitié du monde.


Quand l'opinion souveraine de l'univers aura proclamé
hautement qu'un prince temporel ne peut pas être pape,
quand le czar de toutes les Russies et le souverain de la
Grande-Bretagne auront renoncé à leur sacerdoce déri-
soire, le pape saura ce qui lui reste à faire.
Jusque-là, il doit lutter et mourir, s'il le faut, pour
défendre l'intégrité du patrimoine de saint Pierre.
L a science de l'équilibre moral fera cesser les que-
relles de religion et les blasphèmes philosophiques.
Tous les hommes intelligents seront religieux, quand il
sera bien reconnu que la religion n'attente pas à la liberté
d'examen, et tous les hommes vraiment religieux respec-
teront une science qui reconnaîtra l'existence et la né-
cessité d'une religion universelle.
Cette science répandra un jour nouveau sur la philo-
sophie de l'histoire et donnera un plan synthétique de
toutes les sciences naturelles. La loi des forces équili-
brées et des compensations organiques révélera une phy-
sique et une chimie nouvelles; alors de découvertes en
découvertes, on en reviendra à la philosophie herméti-
que, et l'on admirera ces prodiges de simplicité et de
clarté oubliés depuis si longtemps.
L a philosophie alors sera exacte comme les mathé-
matiques, car les idées vraies, c'est-à-dire, identiques à
l'être, constituant la science de la réalité fournissent avec
la raison et à la justice des proportions exactes et des
équations rigoureuses comme les nombres. L'erreur
donc ne sera plus possible qu'à l'ignorance ; le vrai sa-
voir ne se trompera plus.
552 HISTOIRE DE LA MAGIE.

L'esthétique cessera d'être subordonnée aux caprices


du goût qui change comme la mode. Si le beau est la
splendeur du vrai, on devra soumettre à d'infaillibles
calculs le rayonnement d'une lumière dont le foyer sera
incontestablement connu et déterminé avec une rigou-
reuse précision.
La poésie n'aura plus dje tendances folles et subver-
sives. Les poètes ne seront plus ces enchanteurs dan-
gereux que Platon bannissait de sa république en les
couronnant de fleurs ; ils seront les musiciens de la rai-
son et les gracieux mathématiciens de l'harmonie.
Est-ce à dire que la terre deviendra un Eldorado? Non,
car, tant qu'il y aura une humanité, il y aura des enfants,
c'est-à-dire des faibles, des petits, des ignorants et des
pauvres.
Mais la société sera gouvernée par ses véritables maî-
tres, et il n'y aura plus de mal sans remède dans la vie
humaine.
On reconnaîtra que les miracles divins sont ceux de
l'ordre éternel, et l'on n'adorera plus les fantômes de
l'imagination sur la foi des prodiges inexpliqués. L'étran-
geté des phénomènes ne prouve que notre ignorance d e -
vant les lois de la nature. Quand Dieu veut se faire con-
naître à nous, il éclaire notre raison et ne cherche pas à
la confondre ou à l'étonner.
On saura jusqu'où s'étend le pouvoir de l'homme créé
à l'image et à la ressemblance de Dieu. On comprendra
que lui aussi, il est créateur dans sa sphère, et que sa
bonté dirigée par l'éternelle raison est la providence
subalterne des êtres placés par la nature, sous son in-
fluence et sous sa domination ; la religion alors n'aura
RÉSUMÉ ET CONCLUSION. 55$

plus rien à craindre du progrès, et en prendra la direc-


tion.
Un docteur justement vénéré dans les enseignements
du catholicisme, le bienheureux Vincent de Lérins,
exprime admirablement cet accord du progrès et de
l'autorité conservatrice.
Selon lui. la vraie foi n'est digne de notre confiance
que par cette autorité invariable qui en rend les dogmes
inaccessibles aux caprices de l'ignorance humaine. « Et
cependant, ajoute Vincent de Lérins, cette immobilité
n'est pas la mort; nous conservons, au contraire, pour
l'avenir, un germe de vie. Ce que nous croyons aujour-
d'hui sans le comprendre, l'avenir le comprendra et se
réjouira d'en avoir connaissance. Posteritas inlelleclum
gratuletur, quod ante vetustas non intellectum veneraba-
tur. Si donc on nous demande : Est-ce que tout progrès
est exclu de la religion de Jésus-Christ? Non sans doute,
et nous en espérons un très grand.
«Quel homme, en effet, serait assez jaloux des hommes,
assez ennemi de Dieu, pour vouloir empêcher le progrès?
Mais il faut que ce soit réellement un progrès, et non pas
un changement de croyance. Le progrès, c'est l'accrois-
sement et le développement de chaque chose dans son
ordre et dans sa nature. Le désordre, c'est la confusion,
et le mélange des choses et de leur nature. Sans aucun
doute, il doit y avoir, tant pour tous les hommes en général
que pour chacun en particulier, selon la marche naturelles
des âges de l'Église, différents degrés d'intelligence, de
science et de sagesse, mais en telle sorte que tout soit
conservé, et que le dogme garde toujours le même esprit
et la même définition. La religion doit développer suc-
55/t HÏSTOIHK DE LA MAGIE.

cessivement les âmes, comme la vie développe les corps


qui grandissent et sont pourtant toujours les mêmes.
» Quelle différence entre la fleur enfantine du premier
âge et la maturité de la vieillesse ! Les vieillards sont
pourtant les mêmes, quant à la personne, qu'ils étaient
dans l'adolescence; il n'y a que l'extérieur et les appa-
rences de changés. Les membres de l'enfant au berceau
sont bien frêles, et pourtant ils ont les mêmes principes
rudimentaires et les mêmes organes que les hommes;
ils grandissent sans que leur nombre augmente, et le
vieillard n'a rien de plus en cela que n'avait l'enfant. Et
cela doit être ainsi, sous peine de difformité ou de mort.
» Il en est ainsi de la religion de Jésus-Christ, et le
progrès pour elle s'accomplit dans les mêmes conditions
et suivant les mêmes lois. Les années la rendent plus
forte et la grandissent, mais n'ajoutent rien à tout ce qui
compose son être. Elle est née complète et parfaite dans
ses proportions, qui peuvent croître et s'étendre sans
changer. Nos pères ont semé du froment, nos neveux ne
doivent pas moissonner de l'ivraie. Les récoltes inter-
médiaires ne changent rien à la nature du grain ; nous
devons le prendre et le laisser toujours le même.
» Le catholicisme a planté des roses, devons-nous y
substituer des ronces? Non sans doute, ou malheur à
nous ! Le baume et le cinname de ce paradis spirituel
ne doivent pas se changer sous nos mains en aconit et
en poison. Tout ce qui, dans l'Église, cette belle campa-
gne de Dieu, a été semé par les pères, doit y être cultivé
et entretenu par les fils : c'est cela qui toujours doit croî-
tre et fleurir ; mais cela peut grandir et doit se dévelop-
per. Dieu permet en effet que les dogmes de cette philo-
I1ESÜMIÍ ET CONCLUSION'. 555

sophie céleste soient, par le progrès du temps, étudiés,


travaillés, polis en quelque sorte ; mais ce qui est dé-
fendu, c'est de les changer ; ce qui est un crime, c'est
de les tronquer et de les mutiler. Qu'ils reçoivent une
nouvelle lumière et des distinctions plus savantes, mais
qu'ils gardent toujours leur plénitude, leur intégrité,
leur propriété. »
Considérons donc comme acquises au profit de l'Église
universelle toutes lesconquêtes de la science dans le passé,
et promettons-lui, avec Vincent de Lérins, l'héritage com-
plet des progrès à venir ! A elle toutes les grandes aspi-
rations de Zoroastre et toutes les découvertes d'Hermès!
A elle la clef de l'arche sainte, à elle l'anneau de Salo-
mon, car elle représente la sainte et immuable hiérar-
chie. Ses luttes l'ont rendue plus forte, ses chutes appa-
rentes la rendront plus stable ; elle souffre pour régner,
elle tombe pour grandir en se relevant, elle meurt pour
ressusciter !
« Il faut vous tenir prêts, dit le comte Joseph de
Maistre, pour un événement immense dans l'ordre divin,
vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée
qui doit frapper tous les observateurs ; des oracles re-
doutables annoncent d'ailleurs que les temps sont arri-
vés. Plusieurs prophéties contenues dans l'Apocalypse se
rapportaient à nos temps modernes. Un écrivain est allé
jusqu'à dire que l'événement avait déjà commencé, et
que la nation française devait être le grand instrument
de la plus grande des révolutions. Il n'y a peut-être pas
un homme véritablement religieux en Europe (je parle de
la classe instruite) qui n'attende dans ce moment quel-
que chose d'extraordineire, Or, n'est-ce rien que ce cri
ODO HISTOIRE DE LA MAGIE.

général qui annonce de grandes choses? Remontez aux


siècles passés, transportez-vous à la naissance du Sau-
veur ; à cette époque, une voix haute et mystérieuse,
partie des régions orientales, ne s'écriait-elle pas :
« L'Orient est sur le point de triompher... Le vainqueur
» partira de la Judée... Un enfant divin nous est donné;
» il va paraître ; il descend du plus haut des cieux ; il
» ramènera l'âge d'or sur la terre. » Ces idées étaient
universellement répandues, et comme elles prêtaient in-
finiment à la poésie, le plus grand poète latin s'en em-
para, et les revêtit des couleurs les plus brillantes dans
son Pollion. Aujourd'hui, comme au temps de Virgile,
l'univers est dans l'attente. Comment mépriserions-nous
cette grande persuasion, et de quel droit condamne-
rions-nous les hommes qui, avertis par ces signes divins,
se livrent à de saintes recherches ?
» Voulez-vous une preuve de ce qui se prépare? cher-
chez-la dans les sciences; considérez bien la marche de
la chimie, de l'astronomie même, et vous verrez où elles
nous conduisent. Croiriez-vous, par exemple, que New-
ton nous ramène à Pythagore, et qu'incessamment il sera
démontré que « les corps célestes sont mus précisément,
» comme le corps humain, par des intelligences qui leur
» sont unies» sans qu'on sache comment : c'est cependant
ce qui est sur le point de se vérifier, sans qu'il y ait
bientôt aucun moyen de disputer. Cette doctrine pourra
sembler paradoxale sans doute, et même ridicule, parce
que l'opinion environnante en impose ; mais attendez que
l'affinité naturelle de la religion et la science les réunissent
dans la tête d'un seul homme de génie. L'apparition de
cet homme ne saurait être éloignée. Alors des opinions
RÉSUMÉ ET CONCLUSION. 557

qui nous paraissent aujourd'hui ou bizarres ou insen-


sées seront des axiomes dont il ne sera pas permis de
douter, et Ton parlera de notre stupidité actuelle comme
nous parlons de la superstition du moyen âge (1). »
Au tome dixième de ses œuvres, page 697, saint T h o -
mas dit cette belle parole : « Tout ce que Dieu veut est
juste, mais le juste ne doit pas être nommé ainsi unique-
ment parce que Dieu le veut : non ex hoc dicilur justum
quod Deus illud vult, » La doctrine morale de l'avenir
est renfermée là tout entière ; et de ce principe fé-
cond on peut immédiatement déduire celui-ci : Non-
seulement il est bien, au point de vue de la foi, de
faire ce que Dieu commande, mais encore, au point de
vue de la raison, il est bon et raisonnable de lui obéir.
L'homme donc pourra dire : Je fais le bien non-seule-
ment parce que Dieu le veut, mais aussi parce que je le
veux. L a volonté humaine sera ainsi soumise et libre en
même temps; car la raison, démontrant d'une façon ir-
récusable la sagesse des prescriptions de la foi, agira de
son propre mouvement en se réglant d'après la loi di-
vine, dont elle deviendra en quelque sorte la sanction
humaine. Alors il n'y aura plus ni superstition, ni i m -
piété possible, on le comprend facilement d'après ce
que nous venons de dire : donc, en religion et en philo-
sophie pratique, c'est-à-dire en morale, l'autorité abso-
lue existera et les dogmes moraux pourront seulement
alors se révéler et s'établir.
Jusque-là, nous aurons la douleur et l'effroi de voir
tous les jours remettre en question les principes les plus

( l ) Joseph de Maistre, Soirées de Saint-Pétersbourg, 1821, p. 308.


HISTOIRE D E LA MAGIE.

simples et les plus communs du droit et du devoir entre


les hommes. Sans doute, on fera taire les blasphéma-
teurs; mais autre chose est imposer silence, autre chose,
persuader et convertir.
Tant que la haute magie a été profanée par la mé-
chanceté des hommes, l'Église a dû la proscrire. Les
faux gnostiques ont décrié le nom si pur d'abord du gnos-
ticisme, et les sorciers ont fait tort aux enfants des
mages; mais la religion, amie de la tradition et gardienne
des trésors de l'antiquité ne saurait repousser plus long-
temps une doctrine antérieure à la Bible, et qui accorde
si parfaitement avec le respect traditionnel du passé, les
espérances les plus vivantes du progrès et de l'avenir?
Le peuple s'initie par le travail et par la foi à la pro-
priété et à la science. 11 y aura toujours un peuple, comme
il y aura toujours des enfants; mais quand l'aristocratie
devenue savante sera une mère pour le peuple, les voies
de l'émancipation seront ouvertes à tous, émancipation
personnelle, successive, progressive, par laquelle tous
les appelés pourront, par leurs efforts, arriver au rang
des élus. C'est ce mystère d'avenir que l'initiation anti-
que cachait sous ses ombres ; c'est pour ces élus de
l'avenir que sont réservés les miracles de la nature as-
sujettis à la volonté de l'homme. Le bâton sacerdotal doit
être la baguette des miracles, il l'a été du temps de
Moïse et d'Hermès, et il le sera encore. Le sceptre du
mage redeviendra celui du roi ou de l'empereur du
monde, et celui-là sera de droit le premier parmi les
hommes, qui se montrera de fait le plus fort par la
science et par la vertu.
Alors la magie ne sera plus une science occulte que
RÉSUMÉ Et CONCLUSION. 559

p o u r les i g n o r a n t s , mais elle sera p o u r tous une science


incontestable. A l o r s la r é v é l a t i o n universelle ressou-
d e r a les uns aux autres tous les anneaux de sa chaîne
d ' o r . L ' é p o p é e h u m a i n e sera terminée et les efforts m ê m e
des T i t a n s n'auront servi q u ' à rehausser l'autel d u v r a i
Dieu.
A l o r s toutes les formes q u ' a successivement revêtues
la pensée d i v i n e renaîtront i m m o r t e l l e s et parfaites.
T o u s les traits q u ' a v a i t esquissés l'art successif des
nations se r é u n i r o n t et f o r m e r o n t l'image complète de
Dieu.
L e d o g m e épuré et sorti d u chaos p r o d u i r a naturelle-
m e n t la morale infaillible, et T o r d r e social se constituera
sur cette base. L e s systèmes qui se heurtent maintenant
sont les rêves d u crépuscule. Laissons-les passer. Le
soleil luit et la terre poursuit sa m a r c h e ; insensé serait
celui qui douterait d u j o u r ! ^ÔL^vCût**
11 en est qui d i s e n t : L e catholicisme n'est plus q u ' u n
tronc a r i d e , portons-y la h a c h e .
Insensés ! ne v o y e z - v o u s pas que sous l'écorce d e s -
séchée se renouvelle sans cesse l'arbre v i v a n t . L a vérité
n'a ni passé ni avenir ; elle est éternelle. C e qui finit ce
n'est pas elle, ce sont nos rêves.
L e marteau et la hache qui détruisent a u x y e u x des
h o m m e s , ne sont dans la m a i n de D i e u que la serpe de
r é m o n d e u r , et les branches mortes, c'est-à-dire les s u -
perstitions et les hérésies, en religion, en science et en
politique, peuvent seules être coupées sur l'arbre des
croyances et des convictions éternelles.
N o t r e Histoire de la magie a eu pour but de d é m o n -
trer q u e , dans le p r i n c i p e , les grands symboles de la
560 HISTOIRE DE LA MAGIE.

religion ont été en même temps ceux de la science alors


cachée.

Que la religion et la science, réunies dans l'avenir,


s'entr'aident donc et s'aiment comme deux sœurs,
puisqu'elles ont eu le même berceau !

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-TÍA as 'PBIUTQOA EAISANU a p s a m a i p u a d a p u i a sosaaAip SOAIIOUI AOD a n b ' s a a o i i a a s n s soisg
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-ad B 'a.!qnií.I3IQ ap pp s a i u e e a q o BJ j i q p a a a p o p e u i u i a a i ueÁeq s a j o i u a s n s so¡ s o p o ] a n b
.XB.tSo¡ AIQÍSOD o p i s e q s o n o u ' o q a a q s o u i a q o ) p e a e d a n b sozaanjsa s o ¡ s o p o j ap a e s a d y

•soasap sns aptjsod

o¡ opo] ua jaaejsiiBS e uaanpaa a s SAUOPSAÍDSB seaisatm s e p o j sand ' » B j q o seajsanu «>p s a a o i a

-ipiioo SB| Bip e p e a aeaofaui s a a o i u ó s u s sa|U8]sua3 s o a i s a n u B ' o ^ a e q u i a uis 'sotaaiainoaj


•BUNIJOJ Bjsa ap naeBdpi}

-JT'D a n b sa.ioii.i3sns a p o.iaiunn [a ua;,quuei. a s a n j aoÁBaí a n b ap u y B 'aoÁeui j a s o p i p o d B Á « q ou


s o p S a a so¡ a p oaaiiinu p a n b s o u i u u a s OJOS A ' a j a a n s ns .iod a i u a i u B a a a u p s o u t e i p i p i sa i r

•sojBSai s a u í a i p UOD* >.uo3 s n s oapjistuoaa Á" oanSas s e i u o p o r a |ap sa|jtiioiaj


e.n;D o p j ^ n a e ap souaauod «omepod atib ap u y 8 souaiquasa uapand *so,í¡8ai sopBuopuaui soj
a a n a i q o a p ai.tails B¡ o p i q e a e q s a u a i u b ¡ Á ' s B u u i A o a d ua s a i u a p i s a a s a a o ) U 3 « n s " s a a s s o ' i

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sns s o u j a j e a q q n d 'sopiuiniao; ¿ a i o i u a s n s s o i o p i s u e q sau3rnb s o m e t í a s o u o a o i u c u d UBJ[

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- B s a a d x a BQIJIE seui SOJ B ¡enSí oaarjjuu u n 95? o u a a p s n a P> uoo o i p a d a j saj as a n b OPEYASBJI
-uoa aia||iq ja i a aauai AP a].ians B ¡ opiqfio B,íeq sauauíb e i 'e.iqo BJ aiqiaaj ap vi OPBU'.uuai
ueq sauoioipuoo SBJ unSas anb 'saj.ioj uouiajj saaoiuosns 'saag so¡ 'aiuaingisuoa jo¿

•oiapi oiumÍ3 \d u. ¿/j 19

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'í?¡joq umuay ap sajojuosns so¡ e. s o p t o a j j o sojcSai SO| ap soionquisip e¡ eaed aiAaas a q a p

oajaos OAtia 't»9Ht »p aaqiuapiQ »p .«ip. ¡a npanyi.iaA píuopuu p a j o i 8[ a p OCIAOS p


L I B R A I R I E DE G E R M E R BAILLIERE.

Ouvrage du même auteur:

DOGME ET RITUEL
DE LA H A U T E MAGIE
1 8 5 6 , 2 vol. i n - 8 , avec 23 figures. — P r i x : 2 5 francs.
Cet ouvrage esl divisé en deux parties. Dans l'une, l'auteur établit le dogme cabalistique
o
et magique dans son entier; l'autre est consacrée au culte, c'est-à-dire à la magie cérémo-
niale. L'une est ce que les anciens sages appelaient la clavicule ; l'autre, ce que les gens
de la campagne appellent encore le grimoire. Le nombre et le sujet des chapitres qui se
correspondent dans les deux parties n'ont rien d'arbitraire et se trouvent tout indiques
dans la grande clavicule universelle, dont l'auteur donne pour la première fois une expli-
cation complète et satisfaisante.
Ce livre est catholique, et si les révélations qu'il contient sont de nature à alarmer la
conscience des simple;, il est consolant de 'penser qu'ils ne le liront pus. Il est écrit poul-
ies hommes sans préjugés, et l'auteur n'a pa" voulu plus flatter l'irréligion que le fanatisme.

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bulisme. 1852, 2 édition, 1 vol. i n - 8 .
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