Communismemc Sionneau Com
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Pour tous ceux qui médisent le style de la « Chine Pop », je voudrais rappeler cette
vérité : le Maoïsme n’a pas affaibli la médecine chinoise, il l’a sauvée. Pour
comprendre cela, nous devons faire un bref rappel historique. Avant que la médecine
occidentale arrive en Chine vers la fin du 19ème siècle, la médecine était simplement
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Il est vrai qu’il existe d’autres grands textes remarquables qui contribuèrent à élaborer ce système médical, on
aurait pu évoquer aussi les ouvrages de Sūn Sī Miǎo, de Liú Wán Sù, Lǐ Dōng Yuán, Zhāng Jiè Bīn, Yè Tiān Shì
et beaucoup d’autres, mais ces cinq ouvrages semblent avoir jeté la base de ce qu’est la médecine chinoise.
Talisman médical
Tiré du Jiàng Xuě Yuán Gǔ Fāng Xuǎn Zhù
绛雪园古方选注
(Sélections expliquées des anciennes formules du jardin de neige écarlate)
De Wáng Zǐ Jiē 王子接, dynastie Qing, 1732
Cependant, il est historiquement avéré qu’au plus tard à l’époque des Printemps et des
Automnes (770-476 av. JC), la médecine « yī » ( 医 ) est devenue un corps
professionnel différent des courants spiritualistes et chamaniques. Elle est devenue
officiellement la médecine des Empereurs et des Etats, bien que subsistaient
activement les autres systèmes de soin. Comme chez nous, l’hégémonie de la
médecine scientifique n’a pas fait disparaître les guérisseurs et autres rebouteux. Donc,
si on respecte l’histoire et si on veut être large, la médecine chinoise a en réalité un peu
moins de 3000 ans, bien qu’elle fut probablement élaborée à partir de pratiques plus
anciennes. Mais même ces trois millénaires sont encore trop généreux. Car nous
savons que la bible de la médecine chinoise, le Nèi Jīng (Classique interne), a été
terminé, affiné, structuré sous la dynastie Han (206 av. JC – 220 ap. JC). C’est à cette
même époque que les cinq mouvements, tels que nous les connaissons aujourd’hui,
furent amenés à maturité et clairement reliés aux théories du yīn yáng, qui constituent
la matrice fondamentale, le langage fondateur de la médecine chinoise. Cette évolution
transparaît d’ailleurs dans les derniers remaniements du Nèi Jīng (Classique interne).
On invita les médecins à abandonner leur cabinet privé pour travailler dans les
institutions gouvernementales. Le besoin en soin était important et les acupuncteurs et
autres praticiens devaient se mettre au service de la collectivité. Tout ou presque devait
se passer dans ces nouvelles structures d’Etat. C’est aussi à ce moment-là que pour
chaque grande spécialité : médecine interne, médecine externe, gynécologie, pédiatrie,
ophtalmologie, ORL, massage, acupuncture, etc., on demanda aux experts les plus
réputés de proposer un enseignement officiel pour chaque discipline, afin de rendre
homogène l’enseignement, indispensable pour une organisation universitaire. Cette
réorganisation de l’enseignement et de la pratique de cet art changea quelque peu son
apparence, mais pas son essence. Il est possible que momentanément, cela réduisit
l’étendue de son savoir, de son expérience, de ses techniques. Mais avec la
redynamisation de l’initiative privée, un nouvel essor est en train de s’opérer. J’ai
l’intime conviction que la médecine chinoise sortira victorieuse de cette époque
particulière grâce à l’énorme effort de recherche tant sur le plan théorique que pratique.
Est-ce pour ces raisons que je disais que le communisme sauva la médecine chinoise ?
Non, ce n’est que la description du bonus ! Car le vrai bienfait de cette époque
s’appliqua sur quelque chose de plus grave.
Yú Yún Xiù
余云岫
L’événement déterminant qui initia l’intérêt des chinois pour la médecine occidentale
fut l’épidémie de peste pneumonique de Manchourie de 1910-1911. Durant cette grave
épidémie d’une maladie infectieuse transmissible, des chinois formés par les
occidentaux conseillèrent de mettre en quarantaine les malades et de brûler les morts.
Dès que ces simples précautions d’hygiène furent appliquées, l’affection diminua
rapidement. A partir de ce moment-là cette médecine venue des étrangers de l’ouest
fut prise au sérieux, sa popularité ne cessa de grandir et fut une concurrente de plus en
plus redoutable pour le système de soin conventionnel local.
Bref, l’époque n’était pas très favorable aux tenants de la « médecine des anciens ».
C’est pourquoi devant le développement dynamique de la médecine occidentale en
Chine, devant la pression des gouvernants et d’une partie de l’intelligentsia, de grands
noms de la médecine chinoise de l’époque élevèrent la voix pour défendre leur art.
La première conséquence, la plus capitale à mes yeux et qui est sans doute la racine de
l’organisation actuelle de la médecine chinoise en Chine, fut que les rivalités des
différents courants médicaux disparurent au bénéfice d’une unification solide. En effet,
depuis l’avènement de l’école des maladies de la tiédeur sous la dynastie Qing, de
nombreux conflits, dissensions, scissions faisaient rage entre les tenants de cette école
et celle du Shāng Hán Lùn (Traité des lésions du froid). Les tensions entre les
différents courants médicaux n’étaient pas nouvelles. Les premières remontent aux
dynasties Song et Yuan. Mais ces luttes ne furent jamais aussi fortes que sous la
dynastie Qing.
La seule chose que certains « puristes » pourraient reprocher aux premiers dirigeants
communistes, et je parle de Mao Ze Dong, Zhou En Lai, Liu Shao Qi, c’est d’avoir
suivi ce que certains médecins chinois de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle
préconisèrent. En effet, des maîtres de renom comme Zhāng Xí Chún 张锡纯 (1860 -
1933) ou Yùn Tiě Qiáo 恽 铁 樵 (1878 – 1935) prônèrent la combinaison de la
médecine chinoise et occidentale. Yùn Tiě Qiáo mit notamment en avant la capacité de
la médecine chinoise à absorber les nouveaux concepts de la médecine occidentale
pour créer une « nouvelle médecine chinoise – 新中医 ». Et bien avant la réforme
médicale orchestrée par le nouveau pouvoir dans le milieu des années 50, la médecine
occidentale fut intégrée dans le cursus des études des étudiants dès le début des années
30. Par exemple, le très célèbre médecin Shī Jīn Mò 施今墨 incorpora anatomie,
physiologie, bactériologie, pathologie dans son institut dès 1932.
Il est évident que ce ne sont pas les « communistes chinois » qui modifièrent la
médecine chinoise, mais plutôt la concurrence de la médecine moderne. Certaines
manières de penser, de pratiquer évoluèrent avec cette influence contemporaine, mais
la « Chine Pop » ne peut pas être accusée d’avoir déformé le système médical chinois.
Au contraire, elle l’a sauvé d’une disparition annoncée. Mao n’a jamais eu l’intention
de faire disparaître la médecine chinoise, dès le départ il a voulu l’intégrer dans le
système de soin, contrairement à ce que voulait faire les Républicains. En 1954, les
praticiens en médecine occidentale eurent même l’obligation d’étudier la médecine
chinoise2. En 1958, elle fut déclarée « trésor national ».
L’autre transformation qui peut être imputée à Mao est le fait d’avoir écarté de
l’enseignement de la médecine chinoise des pratiques jugées superstitieuses. Dans les
faits on a surtout évacué les méthodes qui appartenaient à la médecine chamanique ou
religieuse qui subsistaient avec le courant plus conventionnel de la médecine chinoise,
celui du Nèi Jīng (Classique interne) et du Shāng Hán Lùn (Traité des lésions du
froid). Cela impliqua non pas la disparition mais l’atténuation de l’utilisation de
multiples techniques comme les talismans, les incantations, les rituels magiques, le Yì
Jīng (Classique des changements) médical, certaines notions comme les esprits
démoniaques (guǐ 鬼 ) et les esprits (shén 神 ). Tout cela ne collait pas avec une
structure universitaire et fut mis à l’écart. Ces pratiques continuent cependant à être
employées discrètement partout en Chine, et dans toute l’Asie.
Beaucoup de français qui affirment que la Chine moderne a mis à mal sa tradition
médicale, le font à partir d’une vision fantasmée de la Chine antique. Le plus souvent
ces personnes n’ont aucune connaissance de l’histoire réelle de la médecine chinoise,
de ses différents courants idéologiques. Ils ne pratiquent pas selon les acquis d’une des
grandes écoles anciennes comme celles du Shāng Hán Lùn, des maladies de la tiédeur,
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Cette initiative cessa à la fin des années 50 mais eut comme résultat d’imposer la médecine chinoise comme
une alliée sérieuse dans le système de soin général.
Même leur acupuncture n’est pas basée sur l’enseignement du premier et du plus grand
classique de cette spécialité, j’ai nommé le Zhēn Jiǔ Jiǎ Yǐ Jīng (Classique de l’ABC
de l’acupuncture et de la moxibustion). La grande majorité ne pratique que
l’acupuncture, une acupuncture déviante, qui n’a AUCUN lien réel avec une lignée
ancestrale, qui est toujours le fruit d’inventions récentes en France. Sans exception, ils
ne lisent pas le chinois, n’ont aucun lien direct avec la tradition dont ils se réclament et
souvent critiquent les médecins chinois et la pharmacologie chinoise qu’ils ne
connaissent pas. Ils véhiculent des tas de théories fumeuses qu’on ne rencontre qu’en
France et qui font l’étonnement du reste du monde. Pour avoir été souvent invité dans
les congrès internationaux pour donner des conférences, je peux témoigner que les
français sont souvent considérés comme suspects aux yeux des autres…
Ces personnes, porteuses de confusion, doivent savoir que malgré les évolutions
modernes, il demeure en Chine un courant très traditionnel utilisant les concepts et la
sagesse directement tirés des tous premiers classiques originels. De très nombreux
grands experts continuent à maintenir vivace et dynamique la tradition des grands
courants de pensée du système médical chinois. J’émets le vœu que la jeune génération
ne s’accroche pas aux supercheries franco-françaises et s’assure d’étudier la médecine
chinoise « chinoise », avec comme référence absolue les grands classiques qui ont créé
ce système médical. Commençons à étudier la médecine chinoise à la chinoise et
ensuite quand nous la maîtriserons vraiment, nous pourrons peut être proposer
quelques apports personnels. Mais avant de la transformer, soyons humbles, étudions-
là.
Il est à noter que face à ce déclin de l’acupuncture, quelques acupuncteurs dans les
années 30 participèrent à un renouveau. Le plus emblématique d’entre eux est Chéng
Dàn Ān ( 承 淡 安 ). Après un voyage au Japon il ouvra le tout premier collège
d’acupuncture en 1933. Son approche de l’acupuncture est complètement basée sur les
grands classiques de cette spécialité, du Zhēn Jiǔ Jiǎ Yǐ Jīng (Classique de l’ABC de
l’acupuncture et de la moxibustion) au Zhēn Jiǔ Dà Chéng (Compendium de
l’acupuncture et de la moxibustion) en passant par les écrits de Sūn Sī Miǎo et d’autres
grands noms de l’acupuncture ancienne. Cependant, il systématisa l’enseignement, le
structura de manière plus moderne, afin de répondre aux besoins de la Chine
contemporaine. Jusqu’alors, il faut le dire, l’enseignement de cet art médical était très
désordonné, familial, horizontal et surtout basé sur l’application des formules
anciennes, des indications traditionnelles des classiques avec plus ou moins de
dextérité. Chéng Dàn Ān initia une première forme de standardisation, d’organisation,
qui influença fortement les générations suivantes.
Chéng Dàn Ān
承淡安
Pour dire vrai, ce que les responsables universitaires ont voulu faire, c’est standardiser
l’acupuncture pour qu’elle rentre plus facilement dans le moule d’un enseignement
universitaire. Cette spécialité a davantage souffert de cette standardisation que de
l’influence de la pharmacologie. Bien qu’intéressante cette démarche a affaibli, peu à
peu, la notion de méridiens et de liaisons dans la pratique de l’acupuncture. On peut
dire que d’un côté ce nouveau style a bouleversé le style ancien, l’a fortement diminué.
C’est vrai. D’un autre côté, il offre une nouvelle voie, un nouveau développement de
cet art. Il n’est pas coupé de ses racines traditionnelles et prouve depuis 50 ans, qu’il
est capable de soigner des centaines de milliers de personnes tous les jours. Il faut à
nouveau comprendre que ce nouveau style ne remplace pas l’ancien mais vient s’y
ajouter.
En outre, les pratiquants d’une acupuncture plus antique, basée sur les méridiens, sur
la palpation du réseau des jīng luò 经络, et l’utilisation des points selon les classiques
anciens, sont de plus en plus nombreux. Le Dr Wáng Jū Yì 王居易 est un exemple de
ce renouveau de l’approche antique. Il est fort à parier que dans une ou deux
générations celle-ci reprendra la place qu’elle mérite. A aucun moment je n’ai dit que
l’acupuncture chinoise contemporaine n’était pas valable. Au contraire je pense que
c’est un outil remarquable, que je soutiens, que je pratique. Mais je reconnais que c’est
le domaine qui a le plus évolué ces quatre derniers siècles.
Wáng Jū Yì
王居易
Conclusion
Le fait qu’aujourd’hui la médecine chinoise ait intégré dans son cursus une partie des
connaissances de la médecine occidentale est-il un danger ? Cette combinaison ne
risque-t-elle pas d’affaiblir ses principes ancestraux ? Pour ma part, je pense que non.
Car la civilisation chinoise a toujours eu cette capacité d’assimiler de nouveaux points
de vue et de les rendre compatibles avec leur système de pensée. Les chinois ont
toujours eu une propension à l’expansion du savoir, en ajoutant à l’ancien le nouveau.
Ce que j’ai pu constater durant mes nombreux séjours en Chine, c’est que les chinois
ont réussi à associer intelligemment ces deux sciences et qu’ils ont même gardé une
place importante pour une pratique plus traditionnelle, plus classique, plus ancienne.
Donc rien n’est renié ou oublié au pays du milieu, on a simplement ajouté un nouveau
développement à la médecine chinoise.
Toutes les personnes qui en France critiquent la médecine chinoise d’aujourd’hui sont
des personnes, sans exception, qui n’ont pas réussi à s’adapter à ses nouveaux
développements en Chine, et à ses apports massifs de connaissances notamment au
niveau de la pharmacologie et de la pathologie. Comme ils se sentent dépassés, ils
dénigrent par réflexe de défense. Cela ne serait pas très grave s’ils n’avaient pas,
souvent, des responsabilités d’enseignement par le biais desquelles ils polluent l’esprit
des étudiants. Par chance, la médecine chinoise est bien plus résistante qu’eux et leur
génération sera évacuée par la nouvelle qui étudie actuellement en Asie.
Bibliographie :
Zhang Yan Hua (Ethnographic account from contemporary China).
Elisabeth Hsu (The Transmission of Chinese Medicine).
Kim Taylor (Medicine of Revolution: Chinese medicine in Early Communist China
1945-63 et TCM: The Construction of Tradition).
Volker Scheid (Chinese Medicine in Contemporary China: Plurality and Synthesis et
TCM: The Construction of Tradition).