9782402288248
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MÉTAPHYSIQUE
Collection "Mystiques et religions"
L A PERSPECTIVE
MÉTAPHYSIQUE
par Georges Vallin
Professeur à l'Université de Nancy II
AVANT-PROPOS
de P a u l Mus
Professeur au Collège de France
2 EDITION
DERVY-LIVRES
6, rue de Savoie
PARIS-VI
© Dervy-Livres, février 1977
N° ISBN 2-85076-041-2
PRÉFACE A LA DEUXIÈME ÉDITION
(4) Cf. l'analogie frappante entre la société sans classes vers laquelle
tend le marxisme et le mélange des castes à la fin de l'âge sombre (Kali-
Yuga) selon l'Hindouisme.
(5) Il s'agit ici surtout de formes politiques et sociales. Un Non-dua-
liste ne peut pas ne pas comprendre la légitimité des luttes révolution-
naires visant à supprimer des injustices sociales scandaleuses qui s'abri-
tent, dans beaucoup de pays du tiers monde, derrière des institutions
traditionnelles qui tendent à être littéralement des « superstitions »,
c est-a-dire des survivances mystificatrices.
(6) On pourrait évoquer à ce propos l'e mot de l'Ecclésiaste : « Un
chien vivant vaut mieux qu'un lion mort. » Le Non-dualiste est capable
de discerner, conformément au symbolisme chinois du Yin-Yang, le point
blanc reflétant le « Yang » dans la surface noire du « Yin », qui figu-
rerait ici les ultimes possibilités de la fin de « l'Age sombre ».
La pensée non dualiste nous paraît donc impérativement
comporter une attitude intégrative qui loin de condamner ou de
rejeter « les aberrations » de la modernité, les intègre dans
l'horizon illimité qui est le sien et permet de les cerner d'une
manière à la fois forte et nouvelle. C'est en cela que nous paraît
consister la dimension « subversive » d'une pensée de type tra-
ditionnel telle que nous pouvons avoir le désir et l'ambition de
la faire fonctionner aujourd'hui, après Guénon, dans le contexte
de cette modernité qui constitue notre lot, notre incontournable
destin.
Aussi bien la notion clé que nous voudrions retenir de Gué-
non n'est-elle pas tant celle de tradition, en raison des équivoques
qu'elle permet d'entretenir, que celle de métaphysique, malgré
l'hypothèque qui pèse sur cette dernière. Nous sommes parfai-
tement conscient, en tant que philosophe, de l'insolence dont
témoigne, aux yeux des tenants des idéologies dominantes
d'aujourd'hui, le retour délibéré à cette notion usée et décriée
de « métaphysique ». Mais cette insolence nous paraît plus que
jamais nécessaire et justifiée, car ce qu'à la suite de Guénon
nous appelons « métaphysique » est sans commune mesure
avec ce que la tradition philosophique occidentale, inaugurée
par Aristote, entendra par ce terme. Il convient de rappeler
ici que c'est dans les doctrines non dualistes de l'Asie (Advaîta-
Védanta, Bouddhisme du Grand Véhicule, Taoïsme) que la
« Métaphysique » nous offre ses formulations les plus cohéren-
tes et les plus explicites.
Ce que nous proposons d'appeler « la Perspective métaphy-
sique » nous paraît nouer avec les aspects les plus caractéris-
tiques de la Modernité une relation de mise en lumière réci-
proque qui justifie amplement sa pertinence et son actualité.
Le non-dualisme métaphysique est capable, croyons-nous, de
rendre raison de façon non résiduelle du nihilisme qui se trouve
au cœur de la pensée contemporaine. Dans son optique nous
pouvons comprendre comment notre culture, modelée par l'aris-
totélisme et le monothéisme judéo-chrétien, et fondée sur l'affir-
mation de la réalité de l'ego, a été progressivement contrainte à
mettre en relief le néant ou la puissance de négation à l'état
pur qui se trouve à la racine de l'ego. La Perspective métaphy-
sique nous permet de saisir la nécessité de cette nihilisation
qui est le support ontologique et historique de la dissolution
progressive des formes dont nous parlions plus haut. Elle nous
aide à cerner avec rigueur la présence envahissante de ce néant,
nié et refoulé par les épigones de Nietzsche aussi bien que par
le scientisme structuraliste. Ce que nous disions en 1959 dans
cet ouvrage nous paraît toujours valable : lorsque Sartre, dans
l'Etre et le Néant, identifiait le « Pour-soi » et le « Néant » il
avait visé croyons-nous, le terme du processus de dissolution
qui définit la modernité. Les philosophies actuelles, y compris
la deuxième philosophie de Sartre (7), nous semblent des régres-
sions en deçà de ce nihilisme radical dont Sartre avait vigoureu-
sement esquissé les contours théoriques. Le Non-dualisme nous
aide à cerner la nécessité de cet éclatement de l'homme vers
le bas, analogiquement inverse de l'éclatement vers le h a u t que
visent les techniques spirituelles des sagesses non dualistes.
Réciproquement cette nihilisation de fait, que masquent et
refoulent l'agitation technocratique aussi bien que les délires
progressistes contemporains peut conduire aujourd'hui à une
ouverture naturelle et spontanée au Non-dualisme métaphysique,
au-delà de la fascination parfois douteuse mais significative
qu'exercent de plus en plus, en Amérique comme en Europe,
les doctrines de l'Asie traditionnelle (8). La proximité du Néant
qui se trouve au moins implicitement présupposée par les
doctrines contemporaines de « la mort de Dieu » et de « la
mort de l'homme (9) » constitue une remarquable possibilité
d'ouverture à ce que Guénon appelle le Non-être, c'est-à-dire
à l'Absolu transpersonnel qui se trouve au cœur du Non-dua-
lisme métaphysique (10).
A cet égard les formulations métaphysiques d'un Shankara
ou d'un Nagarjuna nous paraissent plus actuelles que les lita-
nies soporifiques de la scolastique freudo-marxiste. Elles nous
permettent en effet d'envisager de façon bien plus radicale
que celle-ci la démystification des illusions « humanistes » grâce
à une mise en lumière des présupposés idéologiques sur lesquels
se fonde l'ethnocentrisme occidental qui inspire cette scolas-
tique aussi bien que les idéologies auxquelles elle s'attaque.
La philosophie occidentale s'avère actuellement et non sans
raison frappée d'inhibition et de mauvaise conscience devant les
impératifs d'une idéologie politique qui proclame la nécessité
de transformer le monde au lieu de l'interpréter et devant la
toute-puissance des sciences dont la philosophie peut rêver tout
au plus, dans son masochisme et son complexe de culpabilité,
d'être aujourd'hui la modeste servante.
Or nous pensons qu'il est urgent pour la philosophie de
prendre un peu de recul et de liberté en face de ces terrorismes
rassurants et de se tourner, en s'affranchissant de son ethno-
centrisme culturel vers les modèles théoriques élaborés par le
Non-dualisme dans ses formulations les plus caractéristiques.
(11) Nous nous sommes surtout attaché aux textes indiens, hindouistes
et bouddhiques, dont nous pouvions avoir la version sanskrite. Pour une
approche de ces modèles théoriques et leur interprétation, nous tenons
à mentionner quelques ouvrages importants, parmi d'autres, qui ne figu-
rent pas tous dans notre première bibliographie. En premier lieu l'en-
semble de l'œuvre de R. Guenons ; « l'Absolu selon le Védanta » d'Olivier
Lacombe ; l'ouvrage plus récent de G. Bugault : « La notion de Prajñâ
ou de Sapience selon les perspectives du Mahâyâna ». (Institut de civi-
lisation indienne ; de Boccard.) Dans la même collection, signalons les
textes sanskrits édités, traduits et commentés par L. Silburn et consacrés
au Shivaïsme du Kashmir (notamment le Vijñâna bhairava et le Para-
mârthasara) ainsi que le commentaire, l'édition et la traduction par
J. Varenne de la Mahâ-Narâyana Upanishad. Du même auteur nous
mentionnerons le bel ouvrage sur : « Le Yoga et la Tradition hindoue »,
Edition Retz, qui complète l'excellente approche de M. Eliade : « Le
Yoga : liberté et immortalité », Payot. Pour une approche doctrinale du
Non-dualisme, nous citerons aussi la revue « Les Etudes traditionnelles »
(Ed. Traditionnelles) ainsi que la revue « Etre », dirigée par J. Klein. Parmi
les ouvrages influencés par la pensée de R. Guénon il y a lieu de signa-
1 l'ouvrage de R. Chenique : « Eléments de logique classique », deux
tomes, Dunod, 1975.
(12) Nous développons davantage ces divers points dans un article
à paraître : « Pourquoi le Non-dualisme asiatique ? (elements pour une
théorie de la philosophie comparée) ».
que des comparaisons entre formulations orientales et formula-
tions occidentales de type non dualiste. Il s'agirait alors de
mesurer l'écart entre des expressions plus lacunaires (en cer-
n a n t les raisons des lacunes et des silences éventuels) telles
qu'on peut les rencontrer chez certains présocratiques ou cer-
tains néoplatoniciens et les expressions plus complètes et plus
rigoureuses des formulations asiatiques (13). Un second type
de démarche conduit à une comparaison à l'intérieur d'un
même contexte culturel ou d'une même tradition spirituelle
entre les formulations d'inspiration ou de forme non dualiste
et les doctrines s'opposant à ces dernières. La réfutation du
non-dualisme shankarien par R a m a n u j a (14) peut nous ouvrir
des perspectives nouvelles sur les limitations constitutives du
monothéisme (15) voire sur la naissance de l'ontothéologie
occidentale à partir de la critique aristotélicienne de la théorie
des Idées de Platon.
Enfin la référence aux modèles non dualistes nous apporte
une nouvelle grille de lecture des productions idéologiques de
l'Occident et de leur histoire. C'est ainsi que la dialectique
hégélienne pourra faire figure d'inversion caricaturale de cer-
taines formulations non dualistes, ainsi que la doctrine sar-
trienne du Néant dont nous avons déjà signalé le rôle de véhicule
et de point de départ possibles pour une approche de ces modè-
les. Le Non-dualisme asiatique (théorie de la Manifestation, de
l'Illusion cosmique, etc.) pourra nous éclairer sur le devenir
des systèmes idéologiques de l'Occident et en premier lieu sur
le passage même de la pensée traditionnelle aux diverses étapes
de la modernité. Par rapport à l'Absolu transpersonnel de
l'Advaïta-Védanta ou du Mahâyana, le Dieu personnel du mono-
théisme exotérique fera figure non plus d'objet suprême de la
pensée religieuse en général ainsi que l'ethnocentrisme idéolo-
gique des Occidentaux, chrétiens ou athées, tendait à l'admet-
tre (16) mais comme la première étape de « la mort de
Dieu (17) ». Le Non-dualisme peut être alors le point de départ
d'une véritable philosophie de l'histoire des systèmes philoso-
phiques.
La philosophie comparée, par son analyse des modèles théo-
riques du Non-dualisme, peut nous aider à produire non seule-
G. VALLIN,
Nancy, le 11 octobre 1976.
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